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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 25 - Témoignages du 7 novembre 2012


OTTAWA, le mercredi 7 novembre 2012

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 293, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (plaignants quérulents), se réunit aujourd'hui, à 16 h 15 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous nous réunissons aujourd'hui, pour commencer notre examen du projet de loi C-293, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition au sujet des plaignants quérulents. Le projet de loi a été déposé le 28 septembre 2011 à la Chambre des communes par la députée de Scarborough-Centre, Roxanne James.

Le projet de loi a été grandement amendé par le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes. L'objectif déclaré du projet de loi est maintenant de modifier la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition afin de prévoir que le commissaire peut, si un délinquant a de façon persistante présenté des plaintes ou des griefs mal fondés, vexatoires ou entachés de mauvaise foi, lui interdire de présenter une nouvelle plainte ou un nouveau grief, sauf avec son autorisation.

Le projet de loi C-293 modifié a été adopté par la Chambre des communes le 26 septembre 2012, avant d'être transmis au Sénat qui l'a renvoyé à notre comité le 25 octobre pour un examen plus approfondi.

Nos audiences sont ouvertes au public et sont également webdiffusées sur le site www.parl.gc.ca. Vous pouvez obtenir de plus amples renseignements sur l'horaire des témoins sur le site web, sous la rubrique « Comités du Sénat ».

Comme je l'ai mentionné, il s'agit de notre première séance sur le projet de loi C-293, et j'ai aujourd'hui, le plaisir d'accueillir notre premier témoin, la marraine du projet de loi et la députée de Scarborough-Centre; j'ai nommé Roxanne James.

Roxanne James, députée, Scarborough-Centre, marraine du projet de loi : Merci, monsieur le président, honorables sénateurs. Je suis ravie d'être ici. Comme vous pouvez vous l'imaginer, en tant que députée nouvellement élue le 2 mai 2011, j'ai été surprise d'apprendre que les projets de loi d'initiative parlementaire étaient abordés comme une loterie. J'ai tiré le numéro 22, et je peux vous dire que j'avais réellement l'impression d'avoir gagné le gros lot. J'en étais très heureuse, mais j'étais également ravie que le projet de loi obtienne un soutien généralisé à la chambre basse, à la Chambre des communes, de la part des partis conservateur et libéral. Encore une fois, il s'agit d'un accomplissement important pour moi, et je suis honorée d'être ici aujourd'hui, pour venir vous en parler. J'ai également hâte de répondre à vos questions.

Le projet de loi C-293 modifie la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition au sujet des plaignants quérulents. J'ai choisi de déposer ce projet de loi à la Chambre des communes pour bien des raisons, notamment pour m'assurer que Service correctionnel du Canada respecte en fait son obligation légale de garantir l'accès à une procédure de règlement des griefs juste et rapide.

Je sais que vous avez déjà eu certains renseignements, et j'aimerais saisir l'occasion pour remercier les deux sénateurs de leur exposé sur le projet de loi. Je vais tout simplement vous rappeler certaines statistiques qui m'ont poussée à déposer le projet de loi. Dans notre système correctionnel, il y a actuellement un processus qui permet aux détenus de déposer des plaintes ou des griefs. Nous avons 23 000 détenus à Service correctionnel du Canada, et environ 29 000 griefs sont déposés chaque année. De ce nombre, environ 20 détenus déposent de multiples griefs, soit plus d'une centaine par année. En fait, une poignée de détenus ont déposé plus de 500 ou 600 griefs. Je vous laisse imaginer le fardeau que cela représente pour nos agents correctionnels de première ligne qui travaillent fort. Le pire dans tout ça, c'est que les griefs déposés par cette poignée de détenus ne sont pas légitimes.

Moins de 0,1 p. 100 de la population carcérale totale est à l'origine de 15 p. 100 de toutes les plaintes déposées dans le cadre du processus de règlement des griefs. Une très petite partie de la population carcérale dépose des milliers et des milliers de plaintes.

Les modifications que le projet de loi apportera à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition feront en sorte que le processus de règlement des griefs dans nos pénitenciers fédéraux soit juste et, par- dessus tout, accessible à tous les délinquants dont les plaintes sont légitimes, pas seulement quelques privilégiés, c'est-à- dire les 20 ou 25 qui choisissent de saturer le système avec des plaintes frivoles non fondées.

Lorsque j'ai commencé à enquêter sur cette question et que j'ai appris à quel point une poignée de détenus abusaient du système, j'ai été choquée que cela ait été aussi longtemps toléré. Je savais aussi qu'un projet de loi d'initiative parlementaire qui ciblerait un aspect précis de la loi pourrait améliorer sensiblement la situation du Service correctionnel du Canada ainsi que de la population carcérale qui a besoin de cette procédure pour déposer des plaintes légitimes. Pour moi, il était clair qu'il était plus que temps que ces modifications soient apportées, et c'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai décidé de donner suite à la question en déposant un projet de loi d'initiative parlementaire.

Le projet de loi propose de modifier deux articles de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, en l'occurrence les articles 90 et 91. Ces articles, qui ne contiennent actuellement que deux phrases, veillent à ce que tous les délinquants aient accès à une procédure de règlement juste et rapide. Non seulement cette procédure est légale, mais elle constitue aussi un engagement juridique. SCC est tenu par la loi d'offrir aux détenus une procédure de règlement juste et rapide, alors il s'agit d'une obligation juridique, mais elle offre aussi bien des avantages à long terme.

Premièrement, elle offre aux délinquants un recours, qui est la principale raison d'être de cette procédure de règlement des plaintes et des griefs particulière au SCC. Deuxièmement, elle contribue à rendre les établissements plus sûrs en permettant de repérer et de régler les problèmes rapidement. Troisièmement, elle favorise la responsabilité des délinquants en encourageant les détenus à régler leurs problèmes en utilisant des méthodes prosociales. Enfin, elle fait en sorte que toute décision prise par le Service correctionnel du Canada respecte la primauté du droit. Encore une fois, il s'agit d'une obligation juridique, que mon projet de loi aidera à honorer.

Lorsqu'elle est utilisée à bon escient, la procédure de règlement des plaintes et des griefs fait en sorte que les délinquants sont traités justement et qu'ils ont accès à une méthode appropriée pour traiter leurs plaintes. Malheureusement, il y a les délinquants qui choisissent d'abuser de la procédure en déposant plainte après plainte pour harceler le personnel ou simplement occuper leurs journées. En fait, pendant l'une de mes visites à un pénitencier à Kingston, en Ontario, le directeur a en fait dit que c'est presque un jeu pour certains des détenus qui déposent ces plaintes. C'est un problème de taille. Dans certains cas, c'est comme un passe-temps. Je suis certaine que tout le monde en a entendu parler dans les médias. Nous avons tous entendu parler des plaintes scandaleuses concernant la crème glacée trop froide, la pomme de terre trop petite ou l'omelette qui n'est pas de la bonne taille. Voilà le type de plaintes que nos agents de correction, travailleurs acharnés de première ligne, doivent traiter alors qu'il y a des plaintes légitimes de délinquants, de détenus qui ont vraiment besoin d'être entendues.

Mon projet de loi vise ce petit groupe de détenus. Il fera en sorte que la procédure de règlement des plaintes et des griefs fonctionne comme il se doit et il appuiera aussi les détenus qui ont une plainte valable. C'est très important. Non seulement ces plaintes représentent une perte de temps pour le personnel et de ressources énorme, mais en plus, elles saturent le système et nuit aux délinquants qui doivent attendre plus longtemps que l'on rende des décisions concernant les plaintes légitimes. C'est primordial. Encore une fois, je fais allusion à une vingtaine de détenus, dont d'aucuns déposent entre 500 et 600 plaintes par année. On parle de personnes qui déposent deux ou trois plaintes par semaine.

J'ignore si ce renseignement a déjà été mentionné auparavant, mais il arrive que des détenus déposent une plainte et qu'ils la redéposent s'ils ne reçoivent pas de réponse en temps voulu. Selon la loi en vigueur, SCC est actuellement tenu d'examiner chaque plainte et d'y répondre. Vous comprenez que cela peut être très pénible. Non seulement ils ont à y répondre, mais en plus, le détenu contrôle vraiment le système. Vous pouvez vous imaginer une personne qui se plaint de la taille de son œuf ou de son omelette. Quelqu'un va devoir mener une enquête. Il faut que la plainte soit saisie dans l'ordinateur et qu'elle fasse l'objet d'une enquête. Je ne le dis pas pour tourner la situation en dérision, mais la réponse pourrait être : « les poules ne peuvent pas en pondre de plus gros ». Le système est tel que si un détenu n'est pas satisfait de la réponse qu'il obtient, il peut en appeler et passer au palier suivant de la procédure de règlement des griefs. C'est réellement pénible pour les agents de première ligne, c'est un véritable fardeau pour le système et cela le détourne en fait de sa fonction première.

Dans les faits, mon projet de loi, le projet de loi C-293, modifierait le libellé des articles 90 et 91 pour donner au Service correctionnel du Canada une meilleure procédure de règlement des griefs et des plaintes, une procédure, mesdames et messieurs les sénateurs, qui aurait des conséquences pour les délinquants qui déposent une grande quantité de plaintes frivoles ou quérulentes. Je crois que ces modifications feront en sorte que la procédure de règlement des griefs fonctionne comme elle devait le faire à l'origine en mettant un frein aux agissements d'un petit groupe de trublions qui abusent du système. Encore une fois, nous ciblons un petit groupe de détenus. Mon projet de loi atteindra aussi son objectif en conformité avec le reste de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et son règlement d'application.

Mon projet de loi contient trois dispositions claires pour atteindre cet objectif louable. D'abord et avant tout, le commissaire aura maintenant le pouvoir de défendre aux délinquants qui déposent un nombre élevé de plaintes quérulentes ou frivoles de déposer d'autres plaintes ou griefs à moins qu'ils ne soient plus désignés plaignants quérulents. Je veux clairement signaler que même s'ils sont ainsi désignés et ne sont plus autorisés à déposer de plaintes quérulentes ou frivoles, si leur vie, leur liberté ou leur sécurité est en jeu, cette plainte sera toujours entendue. Je l'ai aussi énoncé clairement à la réunion du comité de la Chambre des communes. Je veux faire remarquer que c'est la première fois que cette disposition particulière se trouve dans un texte de loi. Je veux que cela soit bien clair.

L'autre point que j'aimerais clarifier est que, à la Chambre basse, on nous a dit que nous muselions les gens et ne leur permettions plus de se plaindre. Ce n'est pas le cas. Le projet de loi ne vise pas simplement à qualifier le plaignant de délinquant quérulent et à faire en sorte que cette étiquette lui colle à la peau ad vitam aeternam. La deuxième disposition de mon projet de loi prévoit que le commissaire est tenu de faire un examen annuel de cette personne en particulier et de décider si la désignation de plaignant quérulent devrait ou non être levée. Il s'agit d'un examen annuel que l'on fait de tout délinquant qualifié de plaignant quérulent. Encore une fois, si la vie, la liberté ou la sécurité de cette personne entre en jeu, sa plainte sera entendue.

La troisième disposition de mon projet de loi autorise le gouverneur en conseil à apporter des modifications au Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, au besoin, pour préciser l'administration de la procédure de traitement des plaignants quérulents, ce qui, bien entendu, est conforme au Règlement en vigueur.

Mesdames et messieurs les sénateurs, monsieur le président, je crois que le projet de loi C-293 est un projet de loi efficace qui permettra de faire en sorte qu'une poignée de délinquants ne puissent plus abuser de la procédure de règlement des plaintes. Encore une fois, je tiens à insister sur le fait qu'il s'agit d'une poignée de délinquants. Même si nous visons un groupe restreint, le projet de loi profitera en fait à toute la population carcérale.

Monsieur le président, le processus pour composer avec les plaignants quérulents ne vise pas à punir les délinquants, mais plutôt à les tenir responsables de leurs actes. Le projet de loi C-293 définit clairement les étapes que le Service correctionnel du Canada peut suivre en cas de plaintes frivoles. Il favorise aussi la responsabilité en encourageant les délinquants à utiliser la procédure de règlement des plaintes et des griefs à bon escient.

J'aimerais maintenant en profiter pour remercier tous les sénateurs de l'examen minutieux qu'ils ont fait de mon projet de loi, le projet de loi C-293, et aussi de vous remercier de m'avoir invitée à témoigner devant votre comité. Encore une fois, il s'agit d'une petite modification à la loi, mais elle aura une incidence énorme et offrira des avantages réels à tout le monde. Je suis maintenant prête à répondre à vos questions.

Le président : Merci, madame James.

Le sénateur Fraser : Bienvenue au Sénat, madame James, et félicitations. Ce n'est pas banal de recevoir un projet de loi d'initiative parlementaire, mais je crois qu'il est très rare qu'un député en dépose un aussi tôt après son arrivée sur la Colline. Ce n'est pas étonnant que vous en soyez satisfaite.

Votre projet de loi a été modifié de façon dramatique au comité de la Chambre des communes. Quand vous en parliez tout à l'heure, j'ai parfois pensé que vous décriviez des parties qui avaient été retranchées. Vous décriviez la première version du projet de loi, pas celle qui se trouve devant nous.

En particulier, dans la version que nous avons, à part dans le titre, je ne vois aucune référence à la désignation de plaignant quérulent. Je ne vois pas non plus, dans la présente version, de disposition concernant la protection des plaignants lorsque leur sûreté ou leur sécurité est en jeu. Ce que je vois est une disposition assez vaste permettant au commissaire ou au gouverneur en conseil de prendre un règlement pour administrer le projet de loi comme il l'entend.

Vous pourriez peut-être commencer par m'expliquer pourquoi vous êtes aussi certaine que les plaintes concernant la sûreté et la sécurité seraient toujours prises en compte dans le contexte du projet de loi tel qu'il est actuellement.

Mme James : Merci monsieur. Premièrement, vous avez mentionné la partie concernant les plaignants quérulents. Votre question se rapporte-t-elle à la définition de plaignant quérulent? À quoi faisiez-vous allusion dans la première partie de vos commentaires?

Le sénateur Fraser : Vous faisiez une description détaillée dans votre formulaire initial. Vous avez une définition de « plaignant » et vous dites ensuite que le commissaire peut désigner un délinquant plaignant quérulent, et cetera, et cette expression n'apparaît pas dans le projet de loi. Ce n'est pas vraiment essentiel. Cela m'a frappée qu'elle se trouve dans la première version du projet de loi, mais pas dans libellé après la troisième lecture à la Chambre des communes.

Je suis plus préoccupée par la disposition par laquelle les plaintes concernant la sûreté et la sécurité du plaignant seraient prises en compte.

Mme James : À l'heure actuelle, dans le système carcéral, il y a deux types de griefs, le premier est jugé hautement prioritaire et est entendu rapidement, et le second est de l'ordre des plaintes générales.

Pour ce qui est de votre préoccupation, voici ce que dit la fin de l'article 91.1 :

... lui interdire, [...], de présenter une nouvelle plainte ou un nouveau grief, sauf avec son autorisation.

Le commissaire aura le devoir de veiller à ce que la sûreté et la sécurité de la personne aient toujours préséance.

Le sénateur Fraser : Mais ce n'est pas ce que vous dites.

Mme James : Le libellé du projet de loi ne le dit pas, mais c'est la différence entre mentionner un point dans la loi même et le mentionner dans le règlement. Dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, les articles 90 et 91 ne contiennent que deux phrases. La procédure et toutes les informations complémentaires se trouvent dans le règlement.

Lorsque j'ai rédigé mon projet de loi original, j'ai décrit la façon dont le système devrait fonctionner. Au comité, M. Sapers a dit qu'il serait plus sensé de mettre une grande partie du texte de mon projet de loi dans le règlement.

Je remercie le comité d'avoir tenu compte de ces commentaires et je suis d'accord avec la modification qui a été apportée à mon projet de loi pour qu'une partie du texte figure plutôt dans le règlement. Cela a du bon sens. C'est conforme à la façon dont le règlement actuel est formulé pour le Service correctionnel du Canada.

Le sénateur Fraser : Je crois comprendre cet argument, mais je suis toujours un peu perplexe, car la loi en vigueur ne prévoit pas cette interdiction de déposer plainte, alors qu'une plainte se rapporte à la vie et à la sécurité d'une personne ou à la taille d'une omelette est sans importance. Cependant, vous proposez une disposition qui prévoit que l'on puisse interdire aux détenus de déposer plainte. L'un des points que j'aimais dans la première version de votre projet de loi était que la disposition concernant les plaintes hautement prioritaires se trouvait dans la loi. Elle n'y sera plus. Si le règlement le précise, ce sera bien, mais s'il ne le fait pas, peut-être que ce ne sera pas si bien que cela.

Pourquoi êtes-vous si certaine que ce sera si formidable?

Mme James : Je ne dirais pas que c'est formidable. Nous parlons du système carcéral et de criminels condamnés.

Le sénateur Fraser : Pardonnez-moi.

Mme James : Au Service correctionnel du Canada, avant que des questions soient assujetties à la procédure officielle de règlement des plaintes et des griefs, il existe deux autres méthodes par lesquelles les détenus peuvent régler leurs problèmes. Il y a, par exemple, un processus très informel. Lorsque j'ai visité le pénitencier de Kingston, ils ont parlé en termes très élogieux de cette méthode qu'ils suivent pour régler les différends de façon informelle sans avoir à les saisir dans un ordinateur et à suivre toutes les étapes. N'oubliez pas que ces méthodes seront toujours là. Il y a aussi des commis ou des coordinateurs qui sont aussi détenus et qui tentent de résoudre les problèmes entre détenus.

Pour ce qui est de votre préoccupation concernant la vie, la liberté et la sûreté des personnes, le projet de loi vise à cibler un très petit groupe de détenus. Nous parlons de 20 à 25 détenus dans l'ensemble de SCC, qui a une population de 23 000 personnes. Il ciblera ceux qui passent leur temps à déposer des plaintes quérulentes non fondées dans le but de harceler. Comme il est dit dans la première disposition du projet de loi, les plaintes quérulentes ne pourraient être déposées qu'avec l'autorisation du commissaire. Si la vie, la liberté ou la sûreté d'une personne était concernée, c'est là que cette disposition entrerait en jeu.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : D'abord, toutes mes félicitations pour votre projet de loi. Je suis très heureux d'en être le parrain au Sénat. D'autant plus qu'à l'automne 2010, j'ai parcouru les pénitenciers du Québec et je dirais que ce qui m'a le plus sauté aux yeux a été le système de plaintes. De façon unanime, les gardiens autant que les travailleurs sociaux, les professionnels et les directeurs de pénitencier m'ont avoué que le système des plaintes et des griefs dans les pénitenciers fédéraux était tellement utilisé à toutes les sauces, pour toute sorte de raisons, que c'était une vraie farce.

Ils m'ont aussi dit comment le système était devenu permissif, comment cela frustrait les criminels qui avaient de bonnes raisons de porter plainte, mais parce que certains en abusaient, les plaintes fondées étaient traitées dans des délais inacceptables.

Le fait que les plaintes ne soient pas traitées dans un délai acceptable c'est comme une spirale, cela amplifie le problème, d'autres plaintes reviennent, les problèmes se complexifient et cela prend un temps interminable pour les régler.

J'ai trouvé aberrant le fait qu'il y ait une trentaine de commissaires qui ont à traiter au-delà de 1 000 plaintes par année. Cela équivaut à trois ou quatre plaintes par jour, avec les déplacements à faire d'Ottawa à Vancouver, d'Ottawa à Terre-Neuve et Labrador. Cest un système qui n'avait plus aucun sens autant sur le plan des coûts que de l'efficacité.

Il fallait donc revoir ce système et cela faisait d'ailleurs partie d'une des recommandations que j'avais faites au ministre Toews, à l'époque, soit de revoir complètement le système de gestion des plaintes dans les pénitenciers afin de lui redonner une certaine crédibilité.

Contrairement à ce que la sénatrice disait plus tôt, qu'il ne fallait pas tomber non plus dans les abus d'autorité, je rappellerais qu'il est dit, à l'article 3 de la loi, qu'on assure aux personnes incarcérées « [...] l'exécution de leur peine par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines [...] ». La notion d'un système de gestion de plaintes humain mais efficace va donc toujours demeurer dans la loi.

Ce qui m'amène à ma question. Selon vous, est-ce qu'on réussira à redonner au projet de loi que vous avez parrainé à la Chambre des communes, et que je parraine ici, de la crédibilité afin que les personnes incarcérées en abusent moins?

[Traduction]

Mme James : Je suis convaincue que cela améliorera le système. Dans un témoignage qu'il a fait à la Chambre des communes, le commissaire du Service correctionnel du Canada a indiqué que le traitement des plaintes de 20 ou 25 détenus coûte au système entre 250 000 et 500 000 $. Comme je l'ai dit, 15 p. 100 de toutes les plaintes sont déposées par moins de 0,1 p. 100 de la population carcérale. Si on retire ces plaintes vexatoires du système de traitement des griefs, on pourra consacrer ces ressources aux plaintes légitimes déposées par des contrevenants dont les doléances doivent être entendues et réglées. Je suis persuadée que c'est le bon changement à apporter.

Il y a d'autres problèmes dans notre système carcéral sur lesquels il faut s'attarder, mais en tant que députée, je voulais cibler une mesure qui produirait des résultats tangibles et positifs dans l'ensemble du système. Lorsque j'ai entendu parler que certains détenus abusaient du système et que ces abus occasionnaient des coûts pour les contribuables, j'ai su que je voulais m'attaquer à ce problème.

Le sénateur Baker : On serait porté à penser que si quelqu'un dépose une plainte comme celles que vous avez décrites — que la pomme de terre était trop petite ou trop grosse ou que la crème glacée était trop froide ou trop molle —, la personne qui examine la plainte jetterait simplement la plainte à la poubelle et signalerait au détenu que sa plainte ne sera pas traitée. N'est-ce pas la solution logique au problème?

Mme James : Pour vous et moi, cela peut sembler logique. Le hic, c'est que la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prescrit que chaque grief doit être examiné. Comme je l'ai mentionné dans ma déclaration liminaire, le problème est en partie dû au fait que les détenus contrôlent tout le système. Vous et moi serions portés à croire qu'une plainte au sujet d'une pomme de terre serait trop anodine ou frivole et devrait être ignorée. Le hic, c'est que les fonctionnaires sont tenus, en vertu de la loi, de traiter la plainte, d'enquêter sur celle-ci et d'y donner suite.

Si la réponse ne plaît pas au détenu, il peut porter sa plainte en appel au niveau supérieur dans le système de traitement des griefs. Il n'y a pas qu'un niveau. Il y en a trois. À ce moment-là, on peut imaginer l'arriéré, le trouble, le fardeau et tout le reste.

Je suis d'accord lorsque vous dites qu'il serait sensé de procéder ainsi, mais ce n'est pas autorisé par la loi. Les fonctionnaires sont tenus, en vertu de la loi, de traiter la plainte.

Le sénateur Baker : Admettons que la loi prescrivait que si une personne dépose une plainte en prison qui est aussi vexatoire que celles que vous avez décrites, le décideur ne devrait pas être obligé de traiter cette plainte. Lorsqu'on interjette appel, la plainte devient un grief et on conteste la décision qui a été rendue au sujet de la plainte, comme vous l'avez indiqué. Tous les décideurs dans le processus de traitement des griefs devraient pouvoir dire, « Si une partie de votre plainte est frivole, je peux rejeter la plainte au complet et ne pas l'examiner ». Cela semble être la façon logique de régler le problème. Si on avait une loi semblable permettant à la première instance de rejeter la plainte si une partie est vexatoire, on n'aurait pas besoin de votre projet de loi.

Mme James : À vrai dire, je ne suis pas d'accord avec vous.

Le sénateur Baker : Et pourquoi?

Mme James : Les détenus pourraient quand même déposer 4 000 ou 5 000 griefs mal fondés.

Le sénateur Baker : Mais il suffirait de les jeter à la poubelle. Combien de temps faudrait-il?

Mme James : Quelqu'un devrait quand même les consigner et...

Le sénateur Baker : Les mettre à poubelle. Il me faudrait chaque jour une demi-heure pour en jeter au moins 500. Je me débarrasserais sans hésiter des plaintes au sujet de pommes de terre trop petites, et ainsi de suite. Même si nous modifiions la loi en ce sens, vous ne seriez toujours pas satisfaite, n'est-ce pas?

Mme James : J'essaie justement de démontrer à l'aide de mon projet de loi qu'on observe continuellement une tendance de plaintes abusives. La question ne se poserait pas si un seul détenu adressait une plainte. Comme vous dites, où serait le problème s'il n'y en avait qu'une? Il suffirait de la jeter au panier. Je comprends ce que vous dites. Or, les détenus en question ne se contentent pas de formuler une plainte, ni une dizaine ou une centaine; ils en déposent plutôt 500 ou 600.

Le sénateur Baker : Il suffit donc de se débarrasser des 500 plaintes au sujet de patates trop petites.

Mme James : Je ne suis pas d'accord avec vous, car je pense que nos agents correctionnels de première ligne qui travaillent fort ne devraient pas avoir à le faire 500, 600 ou même 4 000 fois par année.

Le sénateur Baker : Me croirez-vous si je vous dis que ce dont je parle se trouve justement dans la loi?

Mme James : Je ne dis pas que vous avez tort. J'ai expliqué mon point de vue. Je sais qu'un article de la loi porte sur les griefs à répétition, mais là n'est pas la question. Nous voulons identifier les plaignants quérulents pour qu'ils ne puissent plus déposer ce genre de plainte jusqu'à leur réexamen annuel. J'ai bien précisé ce point.

Le sénateur Baker : Eh bien, ce n'est pas logique, il me semble. Il existe une procédure de règlement des griefs pour toutes les sphères de la société. Les plaintes qui sont mal fondées sont jetées à la poubelle. Vous dites donc que nos prisons sont trop bien pour cette procédure, qu'il faut traiter toutes les plaintes, puis, identifier les plaignants quérulents pour qu'ils ne puissent plus porter plainte. À mes yeux, il n'est tout simplement pas logique que vous refusiez qu'une plainte abusive soit mise au panier.

Mme James : Il faut tout de même que quelqu'un prenne connaissance de la plainte pour déterminer si elle est mal fondée. Voilà le problème. Actuellement, les détenus ont le droit d'interjeter appel; vous l'avez dit vous-même. La plainte passe ensuite en deuxième instance, et ainsi de suite. Il ne s'agit pas d'une grande partie de la population carcérale. À vrai dire, une poignée de détenus, peut-être 20 ou 25, déposent chacun 500 à 600 plaintes par année. Pouvez-vous imaginer? Cela représente des milliers de plaintes.

Le sénateur Baker : Il suffit de les mettre à la poubelle, ce qui prend 10 minutes.

Mme James : Il faut multiplier par 4 000.

Le président : Vous poursuivrez au deuxième tour, sénateur Baker.

Mme James : Merci.

Le sénateur Frum : Je vous souhaite la bienvenue, madame James, et je vous félicite de votre travail jusqu'à maintenant. Pour revenir sur ce qui vient d'être dit, les chiffres sont éloquents puisque moins de 1 p. 100 de la population carcérale est responsable de jusqu'à 18 p. 100 des plaintes.

Vous avez dit dans votre déclaration que le projet de loi encouragera aussi la responsabilisation du délinquant. Je sais que notre comité discute beaucoup de la relation entre la responsabilisation et la réadaptation des détenus. J'aimerais savoir si vous croyez que le fait de les tenir davantage responsables pourrait contribuer à leur réadaptation.

Mme James : Tout à fait. Mais permettez-moi d'abord d'apporter une précision. Vous avez parlé de moins de 1 p. 100, mais il s'agit plutôt de moins de 0,1 p. 100 des détenus qui sont responsables de 15 p. 100 de l'ensemble des plaintes, et pas de 18. Je tenais à le préciser.

Le sénateur Frum : Merci de me reprendre.

Mme James : Veuillez m'excuser.

Le sénateur Frum : Il n'y a pas de quoi.

Mme James : Je suis d'accord sur ce que vous dites. Un individu incarcéré pour avoir commis un crime est en train de payer sa dette à la société. L'objectif de l'incarcération est aussi de le réadapter au moyen de certains programmes de Service correctionnel Canada, comme CORCAN, la formation de base des adultes, et ainsi de suite. Voilà ce qui devrait être au centre des préoccupations d'un individu qui paie sa dette à la société. Les détenus ne devraient pas jouer avec le processus de plaintes et de griefs. Ils ne devraient pas s'occuper à harceler le personnel, par exemple.

Je suis tout à fait convaincue que la poignée de détenus responsable du problème devrait se concentrer sur la réadaptation, ce qu'ils seront davantage portés à faire si on les empêche de perdre leur temps à porter plainte.

Le projet de loi vise principalement le traitement des griefs légitimes dans un délai raisonnable; je tiens à le répéter. C'est l'objectif principal.

Le sénateur Jaffer : J'ai plusieurs questions, mais je tiens d'abord à vous féliciter de votre réussite. J'étais avocat avant d'arriver ici, et j'ai souvent eu affaire à des procédures vexatoires de la part de détenus; je sais donc de quoi vous parlez. Ce qui me pose problème, c'est la définition du terme « vexatoire ». Qui prendra la décision? Vous avez dit que la réponse se trouvera dans la réglementation, mais le projet de loi ne mentionne rien à ce sujet.

Mme James : C'est précisé dans la Directive du commissaire 081. Tout y est. Le commissaire et les travailleurs du milieu correctionnel connaissent très bien cette terminologie. Je peux même vous lire le passage.

Le sénateur Jaffer : Non merci, je suis au courant.

Mme James : C'est écrit en toutes lettres.

Le sénateur Jaffer : Je le sais. Je suis au courant des 1 ou 2 p. 100 de détenus responsables de toutes ces plaintes. Je vous pose la question parce que les détenus pourront continuer de porter plainte. Ils pourront adresser d'autres griefs au commissaire, qui sera tenu de les examiner. Ainsi, rien ne les empêchera de formuler une plainte ou un grief qui aboutira nécessairement sur le bureau du commissaire, puisqu'ils devront en premier lieu obtenir son autorisation. Le commissaire devra alors décider si les plaintes sont recevables ou non. En plus, il devra chaque année réexaminer l'interdiction, puis, confirmer par écrit s'il la lève ou non. En quoi cette procédure réduit-elle la charge de travail? En fait, elle sera trois fois plus importante.

Mme James : À vrai dire, le délinquant devra davantage prouver en quoi sa plainte est liée à la vie, la liberté ou la sécurité d'une personne.

Le sénateur Jaffer : Ce n'est pas écrit dans le projet de loi.

Mme James : Ce l'était dans la version originale. C'est ce à quoi fait référence l'expression « sauf avec l'autorisation du commissaire ». Voilà les preuves que le commissaire acceptera. Les détenus ne pourront pas déposer de plaintes mal fondées ou non fondées, ou qui sont formulées dans le but de harceler. J'ai assisté à tous les témoignages de la Chambre des communes et du comité de la Chambre, et le commissaire de Service correctionnel Canada est tout à fait d'accord. Il croit que cet outil sera des plus utile, et pour cause. Service correctionnel Canada se préoccupe beaucoup des détenus dont les griefs sont légitimes.

Le sénateur Jaffer : Puisque le président va m'interrompre, je vous demande votre collaboration. Veuillez consulter l'article 91.1. Vous dites que le commissaire doit d'abord décider si les plaintes sont mal fondées, vexatoires ou entachées de mauvaise foi, et ce, dès qu'il reçoit une plainte. Le plaignant peut ensuite formuler un grief, que le commissaire autorisera ou non. En plus, le commissaire devra chaque année communiquer par écrit ses motifs de ne pas autoriser le détenu à porter plainte sans son approbation. Ce processus triple la charge de travail. Je ne comprends pas comment vous le limiterez.

Mme James : Il ne suffit pas à un détenu de formuler deux ou trois plaintes pour être considéré comme un « plaignant quérulent ».

Le sénateur Jaffer : Je comprends ce point.

Mme James : Le détenu doit avoir intentionnellement formulé des centaines de plaintes sans fondement dans le but de harceler.

Le sénateur Jaffer : Pour les besoins de la cause, disons qu'un détenu a déposé 500 plaintes. Lorsqu'il formulera la 501e, le commissaire devra décider si elle est mal fondée, vexatoire ou entachée de mauvaise foi. Le détenu pourra alors adresser une 502e plainte, après quoi le commissaire devra décider s'il autorise le grief ou non. Enfin, le commissaire devra confirmer annuellement par écrit si le détenu demeure dans cette catégorie. Est-ce bien la procédure?

Mme James : N'oubliez pas que le règlement reprendra une bonne partie du projet de loi initial, et que le gouverneur en conseil le passera en revue pour veiller à ce qu'il soit convenable.

Votre question porte sur le réexamen annuel. À l'origine, je proposais d'évaluer la situation tous les six mois, mais si ma mémoire est bonne, le commissaire lui-même a dit qu'un tel examen bisannuel serait plutôt lourd. À la suite de l'audience de bien des témoins, le comité de la Chambre a donc décidé d'amender le projet de loi de façon à ce que l'examen ait lieu une fois par année. Cela répond en partie à votre inquiétude sur la charge de travail accrue du commissaire.

Le comité de la Chambre des communes a retiré certains des éléments qui vous préoccupent du projet de loi. J'ai accepté tous les amendements, car ils me conviennent.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie de votre déclaration, madame James. Voici ce que dit en partie le paragraphe 91.1(1) proposé dans le projet de loi C-293 :

Le commissaire peut [...] interdire [à un délinquant] de présenter une nouvelle plainte ou un nouveau grief, sauf avec son autorisation.

Je constate que le commissaire détient un pouvoir discrétionnaire. Espérons qu'il n'en abusera pas.

En ce qui concerne l'autorisation du commissaire, qu'est-ce que le détenu devra faire pour avoir le droit de formuler de nouvelles plaintes?

Mme James : Je vous invite à poser la question au commissaire lui-même puisqu'il comparaîtra au cours de la prochaine heure, je crois. Je vous rappelle que le règlement précisera une bonne partie du processus. Mon projet de loi ajoute trois nouvelles dispositions à la loi, alors que les articles à ce sujet ne comptent actuellement que deux phrases; c'est plus du double. C'est donc la réglementation qui en déterminera le fonctionnement, la plupart du temps.

Le sénateur McIntyre : Un détenu qui n'obtient pas l'autorisation du commissaire retiendra probablement les services d'un avocat pour demander une révision judiciaire à la Cour fédérale.

Mme James : Les détenus ont déjà accès à la révision judiciaire. Ils ne sont pas nécessairement tenus de se limiter à la procédure de règlement des griefs.

Le sénateur McIntyre : Je crois comprendre que la révision judiciaire ne touche pas le projet de loi C-293.

Mme James : Non. Mon projet de loi cible les articles 91 et 92 de la loi. Il ne se rapporte à aucun recours juridique ni à toute autre question ayant trait à Service correctionnel Canada. Il s'agit d'un projet de loi d'initiative parlementaire très ciblé qui, si tout va bien, permettra de régler une question circonscrite liée à SCC.

Le sénateur Joyal : Je vous souhaite la bienvenue. Je doute que le libellé actuel du projet de loi C-293 respecte la Charte canadienne des droits et libertés. À vrai dire, je crois même qu'il va à l'encontre des recommandations du rapport Mullan. Le 13 juillet 2010, David Mullan a déposé le Rapport sur l'examen externe de la procédure de règlement des plaintes et des griefs des délinquants du Service correctionnel du Canada.

À la page 33 de la section « Auteurs de griefs multiples » du rapport, M. Mullan recommande ce qui suit : la procédure consistant à déterminer qu'un délinquant est l'auteur de griefs multiples, ce qui fait qu'il a un accès restreint à la procédure de règlement des griefs et des plaintes, devrait être moins onéreuse et plus claire sur le plan procédural.

À mon avis, le principal défaut de votre proposition, c'est que vous permettez au commissaire de refuser à un détenu pendant au moins un an le droit de formuler un grief sans d'abord lui permettre de plaider sa cause pour infirmer la décision. Je crois que cela va à l'encontre de du rapport de M. Mullan, qui dit qu'avant de retirer un droit à une personne, celle-ci doit avoir la possibilité de plaider sa cause pour éviter que ce droit ne lui soit refusé.

Ces pages du rapport sont tout à fait fascinantes, car elles portent justement sur l'objectif de votre projet de loi, à savoir favoriser un système viable et empêcher ceux qui en abusent de recommencer. Or, votre projet de loi semble plutôt refuser le droit d'accès à ceux qui abusent du système.

Il me semble qu'il faudrait exposer clairement le principe de primauté du droit à la personne à qui l'on confie la responsabilité de refuser à quelqu'un d'autre le droit de grief prévu à l'article 90 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

Mme James : Je vous remercie de votre question. J'aimerais d'abord m'attarder au rapport et aux auteurs de griefs multiples dont vous avez parlé. Je tiens à expliquer la nuance entre l'auteur de griefs multiples et le plaignant quérulent, car la question a été soulevée à la Chambre. Un auteur de griefs multiples pourrait formuler un grand nombre de griefs à plusieurs occasions sans que ceux-ci ne soient nécessairement vexatoires. Pendant les audiences du comité de la Chambre, les membres du NPD ont voulu préciser un chiffre; par exemple, un détenu qui aurait adressé 50 ou 100 plaintes aurait été considéré comme étant quérulent. Or, j'ai fait valoir que les 50 ou 100 plaintes pourraient bien être légitimes et devoir être entendues. La procédure que je propose entourant les plaignants quérulents repose sur la propension d'un détenu à formuler ce genre de plaintes.

J'ai évoqué les quelque 20 détenus qui ont déposé 100 plaintes ou davantage et d'une poignée de détenus qui en ont présentées 500 ou 600. À bien y réfléchir, après la deuxième, la troisième ou la quatrième plainte, le détenu sait qu'il contrevient aux règles de la procédure de plaintes et de griefs. Je peux difficilement croire qu'après avoir déposé 100 plaintes dans le seul but de harceler, notamment pour se plaindre que les pommes de terre étaient trop petites, on ne finisse pas par déterminer qu'il s'agit d'un plaignant quérulent.

J'espère avoir répondu à votre question.

Le sénateur Joyal : Vous y avez répondu dans une certaine mesure. Cependant, vous n'avez pas abordé le principe fondamental selon lequel la personne à qui l'on a interdit de porter plainte pendant un an devrait avoir le droit d'expliquer pourquoi une telle décision n'aurait pas dû être prise. C'est ce que M. Mullan a bien précisé dans son rapport.

Le paragraphe 91.1(1) du projet de loi ne précise pas cette garantie. Je ne m'oppose pas à votre objectif. Je me demande simplement si votre solution ne serait pas à l'encontre de la Charte des droits et libertés. Le libellé du projet de loi me préoccupe en ce sens.

Mme James : Je voudrais apporter une précision : actuellement, il n'y a que deux phrases dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Essentiellement, il est précisé qu'il doit y avoir une procédure de règlement juste et expéditive des griefs des délinquants, entre autres. La loi ne précise nullement les modalités d'une telle procédure. Cela est davantage expliqué dans le règlement et les règles des établissements. Votre argument est pertinent, mais cela N'est nullement précisé dans la loi. Si quelqu'un présente une série de plaintes vexatoires et interjette appel de la décision rendue contre lui, j'imagine que les autorités carcérales finiraient par lui répondre que ses plaintes ne sont pas fondées et qu'il doit cesser d'en présenter sous peine d'être taxé de plaignant quérulent. Je suis certaine que c'est ainsi que les choses se passeraient. Le commissaire du SCC sera votre prochain témoin. Vous pourrez l'interroger à ce sujet. La loi est muette à cet égard, tout comme le sont les modifications que je propose. Ce sont le règlement et les règles des établissements qui précisent les modalités de cette procédure.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Félicitations pour votre élection, madame James. Vous avez été plus chanceuse que moi. Mais je suis quand même au Sénat, je n'ai pas à me plaindre.

Il faut comprendre que les délinquants qui sont en prison sont là pour payer leur dette envers la société, et que les prisons ne sont pas là pour remplir de la paperasse. Vous avez mentionné le fait qu'il y avait des plaintes et il y a parmi ces dernières des plaintes qui sont frivoles; vous en avez cité quelques exemples.

Pourriez-vous spécifier les conséquences de ces plaintes frivoles pour le service? Lorsque quelqu'un porte plainte, on n'a pas le choix; même s'il n'aime pas les patates, il faut en tenir compte. J'aimerais que vous expliquiez les implications de cet engorgement pour le système et que vous nous parliez également des coûts rattachés à cela.

[Traduction]

Mme James : J'ai également souligné qu'il existe d'autres moyens de résoudre de tels problèmes, des moyens non officiels sans rapport avec le système de plaintes et de griefs. Les responsables des établissements essaient de donner suite à certaines de ces plaintes. Par contre, si l'on a recours au système de plaintes et de griefs, la plainte est alors simplement parcourue et enregistrée dans l'ordinateur. On désigne quelqu'un pour la traiter. Il s'agit de quelqu'un qui travaille dans le domaine sur lequel porte la plainte. Si on se plaint de la taille des pommes de terre, c'est alors le cuisinier qui en hérite. C'est ainsi qu'on fonctionne, mais je n'en suis pas certaine. Essentiellement, on demande à quelqu'un d'examiner la plainte et d'effectuer une enquête. Il s'agit parfois de rencontrer le plaignant pour lui indiquer que des mesures ont été prises. Par la suite, il faut régler la plainte en fournissant une réponse.

Encore une fois, c'est là que réside le problème. Le détenu peut décider ce qui lui plaît dans la réponse fournie. Celle-ci pourrait être logique pour nous tous ici présents, mais il se peut que le détenu s'en moque complètement. Il veut simplement mettre des bâtons dans les roues, paralyser le système. Il ne fait aucun cas des autres détenus qui ont formulé des plaintes fondées. Il en appelle de la décision qui est soumise aux autorités régionales. À cette étape, la plainte peut être examinée par deux personnes différentes. Encore une fois, le détenu peut en appeler de la décision si celle-ci ne lui plaît pas. On peut supposer que, s'il n'a pas aimé la décision à la première étape, celle de la deuxième étape ne lui plaira pas plus. C'est ainsi que le système paralyse. Encore une fois, 15 p. 100 de toutes les plaintes formulées le sont par moins de 0,1 p. 100 de la population carcérale. On parle de 4 000 à 5 000 plaintes. Imaginez les ressources qu'il faut consacrer à tout cela. Le commissaire du SCC parlait d'un coût de 250 000 $ à 500 000 $...

Le président : Je dois vous interrompre pour vous demander d'abréger vos réponses parce que nous allons manquer de temps. Plusieurs autres sénateurs souhaitent poser des questions.

Mme James : Vous pouvez certes imaginer toutes les ressources qu'il faut consacrer à ces plaintes, des ressources qui pourraient être utilisées pour traiter les plaintes fondées. J'ai en tête un exemple particulier. Un détenu a poursuivi le SCC parce que sa plainte n'avait pas été traitée correctement. Mon projet de loi permettrait de résoudre un tel problème. Une plainte de ce genre ne pourrait jamais être présentée.

Le sénateur Cowan : Je vous souhaite la bienvenue, madame James. Je voudrais aborder trois points. Le sénateur Joyal a évoqué les contestations en vertu de la Charte, ce qui nous préoccupe tous. Nous ne voulons pas résoudre un problème en créant un autre.

Ensuite, je voudrais aborder les questions posées par ma collègue, le sénateur Jaffer. Il me semble que, d'une certaine façon, nous ne réglons tout simplement rien. Si j'étais un détenu qui paralysait le système en formulant des plaintes futiles ou vexatoires, quelle que soit la définition qu'on leur donne, et si on m'interdisait d'en déposer de nouvelles à moins d'obtenir l'autorisation du commissaire, je reviendrais donc à la charge pour dire qu'il s'agit d'une question de vie et de liberté pour moi ou un autre détenu et que je veux que le commissaire prenne une décision. Si le commissaire décidait de confier l'examen de ces plaintes à des subordonnés qui les rejetteraient systématiquement, ce serait mal utiliser les ressources. Si le commissaire doit examiner chacune de ces plaintes déposées par un détenu qui veut paralyser le système, il devra alors travailler 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Cela m'apparaît tout à fait illogique de croire que les choses s'amélioreront ainsi.

Enfin, nous élevons nos enfants en leur montrant ce qu'on nous a appris, c'est-à-dire de ne pas crier au loup inutilement. Comment faut-il s'y prendre pour s'assurer qu'une plainte fondée sera examinée et que son examen ne sera pas retardé par d'autres plaintes frivoles et vexatoires? Que proposez-vous comme solutions à ces deux problèmes?

Mme James : Merci. Encore une fois, le règlement d'application précisera les modalités.

Le sénateur Cowan : C'est ce que vous espérez.

Mme James : Il s'agira de modifier le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui précise les modalités ne figurant pas dans la loi, qui ne contient que deux phrases courtes. C'est ce que je tiens à préciser. C'est indiqué clairement dans mon projet de loi.

Le sénateur Cowan : Nous examinons un projet de loi qui a été adopté.

Mme James : Effectivement. Je voudrais cependant recourir à une analogie pour vous faire comprendre. J'ai travaillé dans le domaine des TI à titre d'analyste de systèmes. J'élaborais des spécifications opérationnelles qui étaient examinées et approuvées. Le tout était par la suite versé dans l'ordinateur avec les codes sources. N'étant pas un programmeur, je ne pouvais pas lire les codes sources. Je vous dis cela simplement pour que vous compreniez que l'objectif de mon projet de loi précise que le règlement d'application précisera toutes les modalités.

En ce qui concerne la question du garçon qui crie au loup, des mesures rigoureuses seront prises lorsqu'on aura déterminé qu'un détenu est un plaignant quérulent. Il faudra justifier une telle décision. L'objectif consiste à empêcher de tels détenus de continuer à formuler de façon persistante les mêmes plaintes vexatoires.

Le sénateur Cowan : Il faudra établir la nature de 500 plaintes différentes. Chacune pourra faire l'objet d'un examen pour déterminer s'il faut obtenir l'autorisation du commissaire, n'est-ce pas?

Mme James : Il faudra prouver que la plainte en question est suffisamment fondée pour que le commissaire l'examine. Ce sera la seule façon de procéder.

Le sénateur White : J'ai une brève question. Bon nombre d'organisations fédérales, provinciales et municipales ont des régimes de plaintes similaires à celui-ci. Ces organismes ont-ils adopté des lois ou des règlements qui offrent des modalités semblables à celles-ci pour le traitement des plaintes frivoles et vexatoires?

Mme James : Je ne saurais répondre à cette question.

Le président : Je voudrais vous poser une brève question, madame James, sur ce que vous pensez du fait que le commissaire devra trancher. Les détenus formulent des plaintes contre du personnel ou déposent un grief contre le SCC, et voilà que votre projet de loi le leur interdira. Si je m'exprime ainsi, c'est en raison de ce qui s'est passé récemment dans l'affaire Ashley Smith. La famille de celle-ci voulait obtenir une divulgation à chaque étape des mesures prises par le Service correctionnel du Canada. On a l'impression qu'on cherche à protéger les intérêts de l'établissement. Le projet de loi autorise le commissaire à trancher. N'y voyez-vous pas là un possible conflit d'intérêts?

Mme James : Pas du tout. Il faut se rappeler que le commissaire ne constitue pas le premier palier du traitement des plaintes. Il y a d'abord le palier un au sein de l'établissement. Le détenu qui formule systématiquement ce genre de plainte devrait interjeter appel auprès du palier supérieur, et ainsi de suite. Si quelqu'un déposait une plainte vexatoire et que la décision était prise au sein de l'établissement, le commissaire ne pourrait pas alors intervenir directement.

De toute évidence, il faudra faire ressortir qu'il y a une tendance de la part d'un détenu à formuler ce type de plainte. C'est à ce moment-là que le commissaire pourra trancher. Il ne s'agit pas de se fermer les yeux et de choisir au hasard. Il faut qu'une tendance soit observée pour qu'on détermine qu'un détenu est un plaignant quérulent.

Le président : Je suis heureux que vous en soyez convaincue.

Je vous remercie d'avoir comparu devant le comité.

Nous accueillons maintenant notre deuxième groupe de témoins. Je souhaite la bienvenue à M. Don Head, commissaire du Service correctionnel du Canada, et à Mme Elizabeth Van Allen, commissaire adjointe intérimaire, Secteur des politiques.

Madame Van Allen et monsieur Head, soyez les bienvenus.

Don Head, commissaire, Services correctionnels du Canada : Bonjour, monsieur le président. Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis très heureux d'être ici aujourd'hui, pour vous parler du projet de loi actuellement soumis au comité.

Ce projet de loi, qui cherche à modifier la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, permettra d'apporter des changements importants, et très souhaitables, comme je l'expliquerai dans mon exposé, à la manière dont le Service correctionnel du Canada traite les plaintes et les griefs des détenus.

Je suis accompagné aujourd'hui, de la commissaire adjointe, Secteur des politiques, Mme Elizabeth Van Allen, qui m'aidera à vous informer sur le projet de loi C-293. Le secteur de Mme Van Allen veille au bon déroulement de la procédure de règlement des griefs et répond aux griefs des délinquants à l'administration centrale.

Honorables sénateurs, la loi oblige le SCC à offrir une procédure pour le règlement des plaintes et griefs. Il offre en ce sens une procédure juste, accessible et rapide aux délinquants sous responsabilité fédérale pour qu'ils puissent exprimer leurs préoccupations relativement à leur traitement, à leurs conditions ou aux décisions qui les concernent. La procédure de règlement comporte actuellement quatre paliers. Le premier est habituellement l'établissement — le palier des plaintes —, mais, selon la nature de la plainte, celle-ci peut être présentée à un niveau supérieur. Une plainte est toujours présentée au superviseur de la personne qui a pris la décision ou posé le geste contesté. Si le délinquant est insatisfait de la réponse fournie, il peut présenter un grief au palier supérieur; c'est le directeur de l'établissement qui lui répondra. Si le délinquant est toujours insatisfait de la réponse fournie au deuxième palier, il peut porter le grief au troisième palier, soit à l'administration centrale. Semblable à bien des égards au processus d'appel du premier au deuxième palier, l'appel porté devant l`administration centrale est la dernière étape de la procédure au SCC. Les fonctionnaires du secteur de Mme Van Allen examinent et analysent en profondeur les griefs et les préparent pour décision.

Afin de respecter ses contraintes budgétaires, le SCC s'est efforcé de trouver des modes de fonctionnement plus efficaces. Ainsi, il a décidé d'éliminer le deuxième palier de la procédure des griefs à compter de 2013-2014. On s'attend à ce que cela simplifie la procédure, uniformise le traitement des griefs et réduise le temps d'attente pour faire passer un grief au niveau national.

En plus de la procédure actuelle à quatre paliers, les délinquants peuvent intenter un recours judiciaire s'ils ne sont pas satisfaits d'une décision rendue par le SCC, y compris celles prises en réponse à un grief. Normalement, de tels recours sont intentés en Cour fédérale, mais bon nombre sont aussi portés devant la Commission canadienne des droits de la personne et le Tribunal canadien des droits de la personne.

Monsieur le président, les délinquants peuvent déposer des griefs pour divers motifs, qu'il s'agisse des conditions de leur isolement ou de la température de leur repas.

Lorsqu'on répond aux griefs des détenus, on examine les lois et politiques applicables et on détermine si la décision ou le geste faisant l'objet d'un grief est approprié. Essentiellement, la réponse offerte au délinquant est fondée sur les politiques; on justifie une décision ou une mesure lorsque le grief est rejeté ou on trouve une réparation qui convient lorsque le grief est accueilli.

La procédure des griefs ne fait pas uniquement partie du mandat qui nous a été confié par la loi; elle constitue aussi un élément important d'un système correctionnel efficace. D'abord parce qu'elle incite les délinquants à régler leurs problèmes de manière constructive et prosociale, en leur offrant un mécanisme de recours approprié.

Ensuite, parce que c'est un outil de surveillance important qui nous permet de cerner les tendances associées à la croissance des tensions ou du mécontentement parmi les détenus et, au bout du compte, de régler les problèmes avant qu'ils ne présentent une menace pour la sécurité du public, des employés ou des autres détenus.

Finalement, parce que c'est l'un des nombreux mécanismes régulateurs qui régissent les opérations et les décisions du SCC, ce qui nous permet de remplir notre mandat conformément à la loi et de respecter les droits fondamentaux des délinquants.

Bien entendu, monsieur le président, les avantages d'une procédure efficace de règlement de griefs peuvent être minés par les délinquants qui s'en prévalent pour présenter des demandes de mauvaise foi.

Le projet de loi dont vous êtes saisi propose de concentrer nos ressources sur les plaintes et les griefs légitimes.

Il aidera à empêcher les délinquants qui veulent abuser de la procédure de surcharger le personnel et d'engorger une composante vitale du système correctionnel.

Monsieur le président, le SCC reçoit quelque 29 000 griefs par an. Ces dernières années, de 15 à 25 délinquants ont présenté plus de 100 griefs chacun par an. Certains sont allés jusqu'à en présenter de 500 à 600 chacun. À lui seul, ce groupe de délinquants a présenté de 15 à 18 p. 100 de tous les griefs.

Ce sont ces détenus, ceux qui présentent des griefs que nous qualifions de « non fondés » ou de « vexatoires », que cible le projet de loi. Précisons que le terme « non fondée » renvoie à une plainte présentée sans motif sérieux et que « vexatoire » renvoie à une plainte présentée dans le but de harceler le personnel ou d'engorger le système. Dans les deux cas, ces plaintes grugent une part considérable de notre temps et de nos ressources à chaque palier de la procédure.

Avec l'adoption du projet de loi C-293, le SCC pourrait plus facilement cerner et gérer ces délinquants. La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition sera modifiée de façon à nous permettre de désigner certains délinquants comme étant quérulents et de limiter leur capacité à abuser de la procédure des griefs. Les dispositions réglementaires nous permettraient également de nous assurer que la désignation de ces délinquants est faite équitablement et que des mesures de protection appropriées permettent aux auteurs de plaintes légitimes d'être entendus.

Nous pourrions ainsi optimiser nos ressources et nous concentrer davantage sur les griefs présentés de bonne foi. On espère également que cette mesure législative aura pour effet d'accélérer la procédure. Bien entendu, ce changement fera en sorte que nos analystes des griefs seront plus productifs, mais aussi que les délinquants qui présentent un nombre excessif de griefs utiliseront leur temps à meilleur escient, notamment en se concentrant sur les objectifs de leur plan correctionnel et en préparant leur retour dans la société.

Par ailleurs, au cours du dernier exercice, le SCC a consacré environ cinq millions de dollars à la procédure des griefs, en salaires et en coûts d'exploitation. Malgré cela, il accumule toujours des retards. Mon personnel estime que ce projet de loi pourrait nous faire économiser au moins 250 000 $. Cela permettrait de consacrer nos ressources aux griefs plus légitimes et, ultimement, d'améliorer le fonctionnement du système et de répondre plus rapidement aux délinquants.

Monsieur le président, il ne fait aucun doute que le SCC reconnaît l'importance d'une procédure de règlement des griefs pour le système correctionnel fédéral. Une telle procédure est avantageuse pour les délinquants et pour le personnel, car elle ouvre une voie de communication pour répondre aux préoccupations de manière constructive. Une procédure efficace peut aider les délinquants à se responsabiliser en leur permettant de régler des problèmes de manière appropriée et d'acquérir des compétences prosociales, ce qui contribue à leur réinsertion sociale en toute sécurité. Une procédure efficace de règlement des griefs peut également améliorer la qualité des services offerts dans les établissements, les bureaux de libération conditionnelle et les centres correctionnels communautaires, de même que la sécurité des détenus et du personnel. Elle peut aussi contribuer à la création d'un environnement où les gestes et les décisions du personnel des établissements respectent les exigences des politiques et des lois, et à ce que les politiques et les lois soient appliquées de manière uniforme et dans le respect de la primauté du droit.

Malheureusement, un petit nombre de délinquants cherche à entraver le bon fonctionnement de cette procédure importante et, trop souvent, ils y parviennent.

Monsieur le président, le projet de loi C-293 n'a pas d'incidence négative sur les détenus qui présentent, de bonne foi, des plaintes légitimes. Au contraire, il cible uniquement ceux qui cherchent à engorger le système et qui, ce faisant, nuisent à la capacité de répondre en temps opportun aux griefs légitimes.

En tant que commissaire, je veillerai à ce que le SCC s'engage à maintenir une procédure de règlement des griefs juste, accessible et rapide pour les délinquants et je crois que le projet de loi C-293 nous aidera en ce sens.

Je vous remercie, encore une fois, de m'avoir donné l'occasion de vous parler de cette mesure législative. Mme Van Allen et moi serons plus que ravis de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Head.

Le sénateur Fraser : Bienvenue à vous deux.

Ce projet de loi est bref, mais il peut avoir des conséquences plutôt sérieuses. Monsieur Head, si cette mesure est adoptée, elle vous donnera un pouvoir discrétionnaire considérable vous permettant d'établir des systèmes, des règlements et des directives, tous des outils qui vous sont utiles. Cependant, puisqu'elle nous provient de la Chambre des communes, la mesure ne comprend aucune définition et que très peu de limites et de critères. Je vous demanderais, d'abord, comment vous prévoyez définir l'expression « de façon persistante ».

M. Head : Merci pour cette question, madame la sénatrice. Les dossiers doivent être traités au cas par cas. À nos yeux, un détenu qui présente un, deux ou trois griefs n'apparaît pas le faire de façon persistante. C'est davantage le cas de ceux qui en présentent 100, 200, voire 300 par année, comme les 18 à 25 individus dont je parlais plus tôt. Le nombre élevé de griefs et leur contenu nous aideront à déterminer si le délinquant se plaint de façon persistante.

Le sénateur Fraser : Lorsque vous établirez les procédures proposées dans ce projet de loi, prévoyez-vous inclure un nombre précis à titre de seuil?

M. Head. : Je crois que cela irait à l'encontre de l'objectif. Si on établissait le seuil à 100 griefs, certains détenus en présenteraient 99, puis, attendraient la fin de l'année avant de poursuivre leur manège. Chaque cas sera analysé en fonction de son bien-fondé.

Une des choses que nous ferions si le projet de loi était adopté, madame la sénatrice, serait d'expliquer exactement aux détenus, notamment ceux qui présentent des griefs de façon persistante, ce que signifient ces changements et de les encourager à modifier leur comportement. La dernière chose que l'on veut faire, c'est désigner quelqu'un comme étant quérulent, mais ce projet de loi nous en donne la possibilité lorsque la situation le justifie.

Le mot « peut » dans ce projet de loi est aussi important. Il signifie que cette désignation n'est pas automatique. Comme vous l'avez souligné, l'expression « de façon persistante » est importante, mais le mot « peut » est tout aussi significatif.

Le sénateur Fraser : Je sais que le président s'apprête à m'interrompre, mais il me reste encore quelques points à aborder. Si vous me le permettez, monsieur le président, je vais les réunir sous une seule intervention.

Pourquoi aucune limite de temps n'est-elle prévue quant à l'interdiction de présenter un grief ou une plainte? Il n'y a rien dans le projet de loi à ce sujet. Il vous suffirait d'écrire au détenu pour lui dire que, selon vous, il continue de présenter de façon persistante des plaintes ou des griefs mal fondés. Il n'y a rien ici qui protège le détenu qui modifie son comportement.

De plus, selon le projet de loi, un détenu sous le coup d'une interdiction peut présenter un grief ou une plainte avec l'autorisation du commissaire, mais comment s'y prendra-t-il pour demander cette autorisation? Quelle sera la procédure et sera-t-elle compliquée?

M. Head : Je suis désolé pour la longue explication que je vous ai fournie plus tôt. Je ne voulais pas écouler votre précieux temps de parole.

Le sénateur Fraser : Il y a de la pression. Nous avons besoin d'information, mais notre temps est limité.

M. Head : Je vais tenter d'être le plus précis et le plus concis possible.

Si un détenu sous le coup d'une interdiction continue de présenter des demandes jugées mal fondées ou vexatoires, l'examen annuel serait un bon moment pour l'informer que l'interdiction sera maintenue. S'il a changé son comportement en cours d'année, l'interdiction pourrait être levée et on ferait un suivi pour nous assurer qu'il continue de bien se comporter. Dans un cas comme dans l'autre, les raisons de la décision lui seraient expliquées.

Nous avons discuté de la possibilité de procéder à un examen du dossier avant l'expiration d'un an. En vertu de la loi, nous sommes tenus de faire un examen annuel, mais je pourrais choisir de le faire après six mois ou sur une base trimestrielle en fonction du comportement du détenu. Nous voulons voir un changement de comportement chez lui. Si c'est le cas, nous pourrons modifier la fréquence de l'examen.

Les demandes d'autorisation seraient traitées suivant la procédure normale. Si un détenu sous le coup d'une interdiction présentait une telle demande, elle serait transmise rapidement à l'administration centrale pour être évaluée.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bonjour. J'ai trois petites questions. Est-ce que le Bureau de l'enquêteur correctionnel investit également des ressources dans la gestion de ces plaintes?

[Traduction]

M. Head : Pas pour notre processus de règlement de grief.

Le mandat du Bureau de l'enquêteur correctionnel est légèrement différent. Il peut choisir de ne pas enquêter sur une plainte ou de ne pas recevoir une plainte. C'est une option que je n'ai pas.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : En fonction des coûts, faut-il ajouter, à la somme de 5 millions de dollars M$ dont vous parlez, les ressources fournies par le Bureau de l'enquêteur correctionnel concernant la gestion de certaines plaintes?

[Traduction]

M. Head : Il faudrait leur poser la question.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Le coût du système est donc de plus de 5 millions de dollars?

M. Head : Oui, pour le SCC.

Le sénateur Boisvenu : On sait que, dans les pénitenciers fédéraux, la clientèle souffrant de maladie psychiatrique est assez importante; on parle d'environ 20 p. 100. Lorsqu'il s'agit d'un patient en psychiatrie qui fait une plainte par rapport à un criminel dit « normal » — excusez-moi pour le terme — traitez-vous ces plaintes de la même façon? Ou bien y a-t-il une différente façon de traiter ces plaintes pour nous assurer qu'un malade psychiatrique, sans être délaissé, sera traité de façon différente?

[Traduction]

M. Head : De façon générale, le processus est le même. Toutefois, en vertu des changements apportés à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition avec l'adoption du projet de loi C-10, nous devrons tenir compte de la santé mentale du détenu dans l'application des dispositions du projet de loi C-293.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Le principe de réhabilitation repose sur la responsabilisation et si des gens font des plaintes sans aucun fondement, c'est, selon moi, contraire à ce principe. Ce projet de loi est très intéressant en ce sens.

Lorsque vous pourrez exclure du processus la soumission de plaintes, est-ce que ce sera une décision exécutoire dès le début, ou bien si une gradation est prévue concernant les avis ou avertissements? Ceci afin de faire en sorte que le criminel exclu le sera parce qu'il se sera lui-même exclu du fait qu'il ne se sera pas amendé dans un processus de rapport avec les autorités?

[Traduction]

M. Head : Au bout du compte, le projet de loi n'empêche pas les détenus de présenter un grief ou une plainte légitime. Un détenu sous le coup d'une interdiction qui désire présenter un grief ou une plainte légitime peut en demander l'autorisation au commissaire.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma question concernait la période de temps avant qu'il soit exclu, à savoir s'il y aura une gradation comme on le fait dans les entreprises; d'abord, on va émettre un avis, ensuite une journée de suspension puis, par la suite ce sera un congédiement. Il y a gradation dans les actions posées par l'entreprise avant d'exclure l'employé et j'aimerais savoir si ce sera le même genre de procédé vous concernant.

[Traduction]

M. Head : Voilà une excellente question. Si le projet de loi est adopté, nous rencontrerions les délinquants au sein de comités de détenus, particulièrement ceux que nous considérons comme des auteurs de griefs non fondés et vexatoires, pour leur exposer très clairement les conséquences de tels comportements. Comme vous le savez fort bien, nous tentons de modifier leur comportement afin qu'ils acceptent la responsabilité de leurs actes. Si on considère qu'aucun problème de santé mentale n'altère leur jugement et qu'ils soumettent volontairement des griefs non fondés et vexatoires, ils gaspillent l'argent des contribuables et ébranlent le système instauré pour tous les délinquants. Nous voulons clairement le leur faire comprendre.

Nous devons nous occuper du plan correctionnel. Nous pourrions y inscrire ce que nous attendons d'eux afin de suivre leurs progrès et la modification de leur comportement.

Le sénateur Baker : Monsieur Head, je comprends que vous vous trouviez à l'occasion dans une position très difficile. Heureusement que le commissaire peut déléguer certaines tâches, comme les comparutions en cour, aux commissaires adjoints, poste que vous avez déjà occupé d'ailleurs.

Récemment, la Cour fédérale a examiné la question des dossiers en retard. Je fais ici référence au paragraphe 66 d'une décision rendue le 31 juillet 2012 par la Cour fédérale dans le dossier Carswell NAT-2820. Vous connaissez l'affaire. Au paragraphe 66, le commissaire adjoint indique, dans sa décision, que Service correctionnel du Canada a connu, ces dernières années, une augmentation substantielle du nombre et de la complexité des plaintes et des griefs, et que cette situation avait entraîné des délais dans le traitement des dossiers. Dans cette décision, il n'est nullement question de plaintes vexatoires causant des retards.

Vous ne pouvez pas avoir raison sur tous les plans. Le commissaire adjoint ne peut affirmer en cour que les griefs mal fondés sont la cause des retards, alors que vous comparaissez dans le cadre d'une autre procédure judiciaire aux termes de l'article 118 du Code criminel pour attribuer vos retards à une autre cause.

Voici ce que stipule le paragraphe 74(4) du règlement :

Le supérieur peut refuser d'examiner une plainte...si, à son avis, la plainte est futile ou vexatoire ou n'est pas faite de bonne foi.

En 2003, vous avez affirmé que si des passages de la plainte ou du grief sont considérés comme étant futiles, vexatoires, offensants ou faits de mauvaise foi, le décideur peut rejeter la plainte en tout ou en partie.

Pourquoi appuyez-vous un tel projet de loi? Vous disposez déjà des outils nécessaires. Jetez-le à la poubelle. Qu'est-ce qui ne va pas au service correctionnel? Peut-être devrions-nous déposer un projet de loi pour voir pourquoi le service ne suit pas la loi en rejetant ces plaintes au lieu d'empêcher les plaignants de se plaindre.

M. Head : Voilà une question bien formulée, sénateur. J'aimerais faire quelques remarques.

En ce qui concerne la question du rejet d'une plainte par un supérieur au tout premier palier, à l'étape où le délinquant agit en interaction avec l'employé, rien n'empêche le délinquant de déposer un grief. Cette plainte prend alors forme. Quand le délinquant la porte au deuxième palier, il peut y ajouter des éléments et lui conférer une tournure légèrement différente.

Chaque fois qu'un grief est porté au palier suivant, il faut l'examiner pour être certain de ne laisser échapper aucun détail. Si après le rejet initial de la plainte dénonçant un problème quelconque, le délinquant y ajoute de nouveaux éléments au premier, au deuxième ou au troisième palier, il faut examiner le grief pour vérifier si les éléments s'inscrivent toujours dans la plainte initiale qui a été rejetée ou s'ils apportent un nouveau fait qui mériterait qu'on s'y attarde.

C'est là l'une des difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Si un délinquant dépose une plainte au sujet d'un problème quelconque auprès du palier suivant et que le traitement de la plainte déposée précédemment est en retard, ne serait-ce que d'une journée, il ajoutera à sa plainte le fait que le délai n'a pas été respecté. Habituellement, on finit par ne pas pouvoir rejeter le grief et on doit en accueillir une partie parce qu'il comprend maintenant un élément indiquant qu'un problème mérite d'être examiné.

Le sénateur Baker : Je me dois d'être en désaccord avec vous sur ce point, Monsieur. Je peux citer de la jurisprudence où on indique qu'on ne peut ajouter de nouveaux éléments à mesure qu'on porte sa cause en appel, mais je n'engagerai pas dans cette voie.

Permettez-moi de vous poser une question cruciale : dans la société canadienne, il existe des procédures de grief au sein des organisations et des associations. Comme le sénateur McIntyre le sait, c'est à la Cour fédérale que s'adresse le dernier appel, en vertu de l'article 18.1 des Règles des Cours fédérales. Ces règles stipulent qu'une ordonnance peut être prise à l'endroit d'un plaignant quérulent. La même disposition s'applique à nos instances supérieures. Habituellement, les frais sont imposés dans le cadre d'une procédure judiciaire, laquelle ne peut avoir lieu ex parte, selon la jurisprudence. La décision ne peut être rendue par une personne dans un bureau : on ne peut procéder ainsi.

Comment pensez-vous être capable de prendre une décision concernant un auteur de grief non fondé en utilisant les mêmes paramètres que ceux employés pour un plaignant quérulent en vertu des lois et des règles des tribunaux, seul, en secret, en examinant le dossier? Croyez-vous qu'une telle démarche résisterait à un examen effectué en vertu de la Charte?

M. Head : Une fois encore, c'est une excellente question, sénateur. J'ai quelques points à faire valoir.

En ce qui concerne le processus, la jurisprudence indique que ce n'est pas une procédure judiciaire; les règles relatives au processus administratif sont donc différentes. On peut le voir très clairement dans la jurisprudence, et ce, en remontant loin en arrière. Concernant les règles très précises et strictes dont vous parlez, même dans le processus d'appel, je suis d'accord avec vous. Dans le cadre d'un processus judiciaire, on ne peut ajouter de nouveaux éléments à un appel. On peut toutefois le faire, dans un processus de grief, en passant par un processus administratif. La Cour fédérale a déjà statué que l'autre question n'était pas résolue.

Cela dit, si j'en viens à votre observation sur la décision ex parte, il n'est pas question que je m'enferme derrière une porte close pour décider si le délinquant est considéré comme un auteur de grief non fondé ou vexatoire en tirant à pile ou face.

Comme dans le processus que nous utilisons, qui a résisté à l'examen des tribunaux au sujet des décisions que nous devons prendre concernant le transfèrement imposé d'un délinquant d'un établissement à un autre, nous sommes tenus d'agir de façon équitable, notamment en informant le délinquant qu'il est considéré comme un auteur de plaintes non fondées et vexatoires pour qu'il ait l'occasion de fournir de l'information pour expliquer pourquoi il ne devrait pas être considéré ainsi. Si on décide de procéder au transfèrement en s'appuyant sur l'ensemble des renseignements présentés, y compris la version du délinquant, alors ce dernier est informé par écrit de la décision et des raisons qui la motivent.

Le sénateur Baker : Le président vient de m'interrompre.

Le président : Je me suis montré plus que généreux en raison de vos excellentes questions.

Sénateur Dagenais?

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, madame Van Allen et monsieur M. Head. J'ai écouté votre présentation, et c'est sûr que j'ai sursauté un peu quand j'ai vu qu'il y avait quatre paliers de plainte; c'est quand même beaucoup. Évidemment, il faut respecter les droits fondamentaux des délinquants. C'est peut-être moi qui suis dans l'erreur, mais j'ai parfois l'impression que certaines plaintes viennent d'enfants irascibles non d'adultes qui doivent payer leur dette envers la société.

Cela étant dit, existe-t-il un portrait type de détenu qui dépose des griefs à répétition? Est-ce que c'est quelqu'un qui agit en solitaire ou qui fait partie d'un groupe? Pouvez-vous identifier un profil? Je comprends qu'il y a des détenus qui expriment des griefs à répétition; le font-ils seul ou font-ils partie d'un groupe, simplement pour jeter du sable dans l'engrenage? — et vous savez ce que c'est et comment ça fonctionne.

[Traduction]

M. Head : C'est une très bonne question, sénateur, et je vous remercie de me la poser.

Non, nous ne voyons pas de groupes se former ainsi. Dans la plupart des cas, ce sont des individus qui agissent isolément pour des raisons qui leur sont propres. Il peut s'agir d'une personne qui purge une longue peine d'emprisonnement et qui passe le temps en déposant des griefs. Une autre pourrait être irritée par quelque chose et déposer un grief fondé, puis, entreprendre une série de griefs parce qu'elle n'obtient pas gain de cause et dépose des plaintes à propos de tout et de rien, y compris la manière dont un agent la regarde.

Récemment, un détenu a déposé un grief qui s'est rendu jusqu'au troisième palier parce qu'il a déclaré que les membres du personnel savaient que c'était son anniversaire et qu'ils ne lui avaient pas souhaité bonne fête le jour dit. Il a pu déposer une plainte, passer par le premier et le deuxième palier pour se rendre jusqu'en troisième instance. À mon avis, c'est un abus pur et simple du système et un gaspillage de fonds publics.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Peut-être que, si c'est son anniversaire, vous pourriez préparer un petit gâteau ...

M. Head : C'est possible, monsieur.

[Traduction]

Le sénateur Jaffer : J'aimerais obtenir un éclaircissement au sujet de votre exposé. En page 6, vous indiquez que vous recevez 29 000 griefs par année et qu'un groupe de 15 à 25 délinquants ont déposé plus de 100 griefs. Parlons-nous de 25 délinquants?

M. Head : À l'heure actuelle, oui.

Le sénateur Jaffer : Viennent-ils tous du même établissement?

M. Head : Non, ils viennent d'établissements de diverses régions du pays.

Le sénateur Jaffer : Quel est le profil de ces délinquants? Vous y avez fait allusion quand le sénateur Dagenais vous a posé une question à ce sujet.

M. Head : C'est une très bonne question. Ce profil varie. Certains de ces délinquants purgent une peine d'emprisonnement à perpétuité ou une longue peine, alors que d'autres ont reçu des peines moins longues en comparaison, pour six ans. Il peut s'agit de récidivistes qui ont été libérés, qui ont commis un crime et sont retournés dans le système.

Il n'existe pas de profil type. C'est un aspect que nous avons examiné au début afin de voir si certains facteurs pourraient nous permettre de détecter les plaignants typiques afin de commencer à travailler différemment avec eux, ne serait-ce que pour des choses simples comme le degré d'alphabétisation.

Certains délinquants ne sont pas très instruits, alors que d'autres ont fréquenté l'université. Leur profil démographique est donc très diversifié.

Le sénateur Jaffer : Comme le temps nous manque, je vais vous poser trois questions, et le président pourra décider combien de temps il vous accorde pour y répondre.

Vous avez parlé de persistance. Mais si on empêche une personne de déposer un grief, elle ne peut plus persister. Comment alors peut-on déterminer quand elle cesse de persister?

L'autre question concerne votre définition de bonne foi. Quelque chose me tracasse vraiment à propos de ce projet de loi. Je vous ai entendu affirmer que vous simplifiez le processus et économisez du temps. Comme le sénateur Baker l'a fait remarquer, vous éprouvez de la difficulté à respecter les délais de toute façon, mais vous devez d'abord déterminer si la personne agit à des fins vexatoires. Si elle souhaite continuer de porter plainte, elle revient vous voir, vous ou une personne que vous désignez, pour qu'on détermine si la plainte est fondée et devrait être accueillie. Puis, chaque année, vous rendez une décision écrite indiquant si les plaintes sont toujours vexatoires. Cela fait trois fois plus de travail, n'est-ce pas?

M. Head : On le dirait bien, dans le grand ordre des choses, mais si on considère le nombre d'employés qui doivent analyser chaque grief déposé, effectuer des recherches et glaner de l'information, nous économisons énormément de temps. Voilà qui répond à votre dernière question en premier.

Le sénateur Jaffer : Expliquez-moi comment vous pouvez économiser ainsi du temps pour chaque plainte que vous recevez.

M. Head : En pareil cas, nous examinerions l'affaire pour déterminer s'il s'agit d'un cas mettant en cause la vie ou la sécurité et donc d'une question dont le degré d'importance est plus élevé. Si quelqu'un se plaint constamment, comme nous l'avons vu par le passé, que sa crème glacée est trop froide ou que ses œufs sont trop petits, nous n'accueillons pas ce genre de plaintes. Par contre, si un délinquant se plaint de ses conditions de détention en isolement ou de la manière dont il a été traité dans des situations de recours à la force, nous considérerions que ce sont des griefs doivent être entendus.

Le sénateur Jaffer : Par la suite, détermineriez-vous chaque année si la personne concernée a toujours besoin de votre autorisation?

M. Head : Oui. Le projet de loi prévoit des dispositions minimales. Nous revoyons la situation annuellement, mais comme je l'ai indiqué en répondant aux propos du sénateur Fraser, du point de vue administratif, cet examen peut avoir lieu tous les trois ou six mois. Si une personne cesse de déposer des plaintes pour être autorisée à entreprendre un processus, nous pourrions dire que nous considérons avoir observé la modification de comportement attendue et autoriser la personne concernée à bénéficier d'un accès normal au processus de grief. Cependant, si le comportement revient et persiste à nouveau, nous pourrions désigner la personne comme était un auteur de griefs non fondés ou vexatoires de nouveau.

Le sénateur Jaffer : Pouvez-vous répondre à mon autre question également?

Le président : Nous continuons. Sénateur Cowan?

Le sénateur Cowan : Pour en revenir à la modification du comportement, vous avez, dans votre exposé, évoqué le plan correctionnel, dont le but consiste évidemment à préparer l'individu à réintégrer la société en toute sécurité. Vous avez également indiqué qu'en adoptant le présent projet de loi, vous épureriez le processus, mais « que les délinquants qui présentent un nombre excessif de griefs utiliseront leur temps à meilleur escient. Plutôt que de continuellement rédiger des griefs, ces délinquants pourront se concentrer sur les objectifs de leur plan correctionnel. »

Croyez-vous vraiment que c'est ce qui se passera?

M. Head : Oui, sénateur. Je crois que c'est possible.

Le sénateur Cowan : Croyez-vous que simplement en adoptant ce projet de loi et en suspendant une épée de Damoclès au-dessus de leur tête, on les incitera à mieux employer leur temps? Pouvez-vous le faire maintenant en modifiant le plan correctionnel?

M. Head : Nous pouvons modifier le plan correctionnel, mais pour l'instant, le délinquant peut déposer constamment des plaintes et des griefs. Devant une personne considérée comme étant un auteur de griefs non fondés ou vexatoires sachant qu'elle doit demander une autorisation, notre personnel travaillerait avec elle plus diligemment, l'informant qu'elle ne peut plus présenter de tels griefs et lui indiquant que sont inscrits au plan correctionnel exactement les types de cours, de programmes, de perfectionnement des compétences et d'occasions de développement des compétences professionnelles qu'elle devrait suivre afin de la motiver à s'engager dans cette voie.

Le sénateur Cowan : Vous ne pouvez pas le faire maintenant?

M. Head : Le personnel peut essayer, mais le délinquant peut continuer de présenter des griefs en même temps.

Le sénateur Cowan : Vous avez également indiqué que 15 à 25 personnes présentent 15 à 18 p. 100 des 29 000 plaintes. Selon mes calculs approximatifs, cela signifie qu'elles présentent 4 300 à 4 500 plaintes. Si elles agissent pour des motifs futiles ou vexatoires, et pour enrayer le système, elles rédigeront la préface de chacune de ces plaintes, puisqu'elles doivent vous demander l'autorisation. Elles emploieront les mots que le parrain du projet de loi souhaite voir figurer dans les règlements portant sur la vie, la liberté et la sécurité. Elles vous soumettront les plaintes ainsi formulées et vous devrez les examiner. En présumant que les trois quarts des personnes agissent ainsi, vous recevrez 3 000 plaintes supplémentaires que vous devrez traiter personnellement et que votre personnel devra préparer pour vous. Où sont les économies?

M. Head : Ici encore, sénateur, nous souhaitons modifier les comportements. Si les personnes persistent et commencent à employer ces mots, mais que les griefs continuent d'être rejetés, nous examinerons plus attentivement les problèmes qui sont soumis dans les plaintes.

Comme je l'ai souligné dans mon exposé, afin d'éviter d'accomplir des tâches en double, comme nous le faisons maintenant, et ainsi d'accélérer le processus, nous comptons éliminer le deuxième palier de grief en raison du temps et de l'énergie dépensés à effectuer des recherches.

Le sénateur Cowan : J'aimerais poser juste une question, si vous me le permettez, monsieur le président. Pour revenir à la question du sénateur Baker, considérez-vous qu'il serait préférable de diriger vos efforts et vos attentes sur l'élimination du retard accumulé, que le sénateur Baker a évoqué dans le rapport, plutôt que de vous occuper de ce groupe assez restreint? Il me semble que vous attaquiez le problème au mauvais angle.

M. Head : Nous nous y attaquons des deux angles, en fait, sénateur, et cette mesure nous aidera à rattraper le retard, puisque ce dernier est en partie le résultat du temps passé à composer avec les griefs non fondés et vexatoires que nous recevons.

Le président : Veuillez m'excuser, mais nous devons poursuivre.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie de votre exposé, Monsieur Head. Je présume que vous avez affaire à des gens reconnus criminellement responsables et non à des personnes déclarées non responsables criminellement en vertu du code, n'est-ce pas?

M. Head : C'est exact, sénateur.

Le sénateur McIntyre : En parlant des personnes jugées criminellement responsables, je crois que M. Howard Sapers, le chien de garde des services correctionnels du Canada, a fait remarquer dans le document que j'ai lu que certains de ceux qui présentent des griefs multiples souffrent d'importants problèmes de santé mentale. Seriez-vous d'accord avec M. Sapers à ce sujet?

M. Head : Il y a effectivement des personnes ayant des problèmes de santé mentale qui présentent des griefs. Ce n'est toutefois pas le cas des 25 dont j'ai parlé.

Le sénateur McIntyre : Ces 25 personnes ont été déclarées criminellement responsables, n'est-ce pas?

M. Head : Oui, sénateur.

Le président : Je sais, commissaire Head, que vous étiez présent quand j'ai interrogé le témoin précédent au sujet de la perception de conflit concernant le fait que ce soit vous qui preniez les décisions, étant donné que ces plaintes sont acheminées dans votre système. Est-il prématuré d'adopter le projet de loi, à la lumière de l'enquête sur Ashley Smith?

Il me semble qu'on se penchera sur ce processus dans le cadre de l'enquête. L'Enquêteur correctionnel a fait savoir qu'Ashley Smith a présenté huit plaintes distinctes au sujet de la manière dont elle était traitée, dont sept ont été rejetées et une, jugée hautement prioritaire, reste ouverte deux mois après sa mort. Ce fait ne manquera pas d'être pris en compte dans l'enquête afin de voir comment le processus de plainte fonctionne dans le système. Je me demande donc si le projet de loi arrive au bon moment.

J'aimerais également connaître votre opinion au sujet du conflit. Il y a parmi nous deux anciens agents de police qui peuvent me corriger si je me trompe. Si une personne veut formuler une plainte contre un policier, elle doit se rendre au commissariat local, mais si elle n'est pas satisfaite, elle doit s'adresser à une commission civile.

Considérez-vous qu'il vaudrait mieux laisser à une personne de l'extérieur du système le soin de prendre la décision de désigner quelqu'un comme étant un plaignant quérulent au lieu de laisser la question entre vos mains?

Mes préoccupations découlent, à juste titre ou non, de l'affaire Smith et du fait que Service correctionnel Canada a tout fait pour empêcher les enquêteurs et le public de voir les vidéos montrant comment Mme Smith a été traitée par votre organisation. Voilà qui soulève des inquiétudes au sujet de l'objectivité avec laquelle vous traiterez ces affaires à partir de maintenant.

Je vous laisse la possibilité de répondre à ma question.

M. Head : Merci, Monsieur le président. Vous comprendrez que je m'abstiendrai de faire des commentaires sur l'enquête et la situation que vous venez d'évoquer.

En vertu du projet de loi C-293, une personne ayant présenté sept ou huit griefs ne serait pas désignée comme un auteur de griefs non fondés ou vexatoires. Je ne considère donc pas que le projet de loi soit prématuré du point de vue dont vous présentez les choses. Je trouve qu'il s'agit d'une mesure importante à examiner, compte tenu des défis que nous devons actuellement relever. Même quand certains de ces délinquants sont libérés parce qu'ils purgent une peine d'une durée déterminée, d'autres arrivent, deviennent des auteurs de griefs non fondés et vexatoires, et engorgent le système.

Pour ce qui est de l'impartialité, nous prenons actuellement de nombreuses décisions concernant les délinquants, même dans le système de griefs actuel, et nous accueillons les doléances de ceux qui dénoncent, par exemple, les employés qui agissent de manière non conforme à la politique ou à la loi. Le système ne nous empêche pas de rendre une décision favorable envers un délinquant quand les faits appuient sa démarche.

Concernant la proposition de confier la prise de décisions à une personne de l'extérieur, je suis ici pour répondre aux questions sur le projet de loi dans sa forme actuelle. Je considère que nous pouvons mettre en œuvre des procédures administratives appropriées pour baliser le processus. Nous prenons des décisions graves au sujet de l'isolement et du transfèrement imposé des délinquants. Quand nous avons suivi correctement les procédures établies et que nos décisions ont été contestées en Cours fédérale, cette dernière a maintenu notre autorité de prendre ces décisions tant que nous suivons les règles que tous comprennent clairement.

Le sénateur White : Il faudrait que vous examiniez le cas de 15 à 20 personnes par année. Pour faire suite au commentaire du président, que diriez-vous si l'Enquêteur correctionnel examinait vos décisions sur les auteurs de griefs non fondés et vexatoires à titre d'autorité de contrôle? Ce n'est pas dans le projet de loi.

M. Head : Je le comprends. Cette proposition me semble légèrement incongrue, car l'Enquêteur correctionnel s'occupe de certains auteurs de griefs non fondés et vexatoires, mais peut refuser d'accueillir leurs plaintes ou de faire enquête. Il me semble illogique qu'il puisse agir de la sorte, puis, réexaminer ce genre de décisions.

Le sénateur White : J'examine la question plutôt du point de vue de la perception. Personnellement, je ne m'inquiète pas que vous preniez la décision.

M. Head : S'ils ne sont pas d'accord avec une décision, les délinquants auraient toujours la possibilité de s'adresser à la Cour fédérale. Même si on laisse entendre qu'ils ne devraient plus avoir de recours, ils peuvent faire appel à la Cour fédérale.

Le président : Je remercie nos témoins. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir comparu aujourd'hui, et d'avoir contribué à nos délibérations.

(La séance est levée.)


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