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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 26 - Témoignages du 21 novembre 2012


OTTAWA, le mercredi 21 novembre 2012

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à qui a été renvoyé le projet de loi C- 293, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (plaignants quérulents), s'est rencontré ce jour à 16 h 15 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, la séance est ouverte. Bonjour et bienvenue à mes collègues, à nos invités et aux membres du public qui suivent la séance d'aujourd'hui du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Nous sommes réunis aujourd'hui pour poursuivre notre étude du projet de loi C-293, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (plaignants quérulents). Ce projet de loi a été déposé initialement à la Chambre des communes par Roxanne James, députée de Scarborough Centre, le 28 septembre 2011. Le projet de loi a été sensiblement modifié par le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes.

Le projet de loi a maintenant pour but de modifier la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition pour qu'elle prévoit que le commissaire peut, si un délinquant a de façon persistante présenté des plaintes ou des griefs mal fondés, vexatoires ou entachés de mauvaise foi, lui interdire de présenter une nouvelle plainte ou un nouveau grief, sauf avec son autorisation.

Le projet de loi C-293 a été adopté, tel que modifié, par la Chambre des communes le 26 septembre 2012, et a été par la suite renvoyé au Sénat et ensuite transmis au comité le 25 octobre 2012, pour étude complémentaire. C'est la deuxième séance que nous consacrons au projet de loi C-293; les audiences du comité sont publiques et sont également diffusées sur le Web sur le site parl.gc.ca. On trouvera d'autres renseignements sur le calendrier de l'audition des témoins sur le site Web sous la rubrique « Comités du Sénat ».

Nous devions entendre trois témoins aujourd'hui, mais nous avons appris, il n'y a pas très longtemps, que M. Rob Sampson était bloqué par le brouillard à l'aéroport de Sudbury. M. Sampson est l'ex-président du Comité d'examen du Service correctionnel du Canada. Ce comité a publié un rapport en 2007 intitulé Feuille de route pour une sécurité publique accrue. M. Sampson devait être accompagné par Mme Sharon Rosenfeldt, que la plupart des membres du comité connaissent bien. Mme Rosenfeldt est la présidente de Victims of Violence Canadian Centre for Missing Children et était également membre du comité d'examen avec M. Sampson. Nous espérons pouvoir les entendre à une autre date.

Notre troisième témoin est ici et je suis heureux d'accueillir M. David Mullan, professeur émérite de l'Université Queen's. En juillet 2010, M. Mullan a procédé à une étude de la procédure de règlement des plaintes et des griefs pour le compte du Service correctionnel du Canada.

Monsieur Mullan, si vous voulez faire une déclaration préliminaire, vous avez la parole.

David Mullan, professeur émérite, Université Queen's, à titre personnel : Comme le président vient de le mentionner, le Service correctionnel du Canada m'a demandé, en janvier 2010, d'examiner le processus de règlement des plaintes des détenus. Cela s'explique en partie par le fait que le SCC estimait que le processus de règlement des plaintes ne fonctionnait pas comme il devait et ce service a pensé qu'il serait bon de procéder à une évaluation externe.

Un des aspects que l'on m'a demandé d'étudier, en particulier dans le cadre de cette évaluation externe, était la question de savoir s'il y avait lieu de modifier les dispositions de la Directive 081 du commissaire concernant la désignation des délinquants de « plaignants multiples ».

Bref, j'ai conclu que cet aspect de la procédure ne fonctionnait pas bien et empêchait le déroulement de la procédure de traitement des griefs dans le respect des intérêts du service et de ceux des délinquants. Il m'est également apparu que le processus actuel de désignation ne fonctionnait pas correctement et qu'il fallait le modifier.

Pour préparer la réunion d'aujourd'hui, parce que je ne me suis pas beaucoup penché sur cette question depuis juillet 2010, j'ai examiné le projet de loi tel qu'adopté par la Chambre des communes et j'ai également relu le projet de loi initial que Mme James avait déposé à titre de projet de loi d'initiative parlementaire à la Chambre.

En outre, dans la mesure où j'ai eu le temps de le faire, j'ai revu la transcription des diverses séances du comité, tant devant la Chambre des communes que celle de la réunion que vous avez tenue ici, en tant que comité sénatorial, dans le but de me familiariser avec les questions soulevées au cours du processus législatif concernant le projet de loi C-293. C'est dans ce contexte que je comparais aujourd'hui pour répondre aux questions que vous voudrez bien me poser et que j'espère pouvoir vous être d'une certaine utilité.

Avant de répondre à vos questions, permettez-moi de faire quatre commentaires qui me paraissent importants, même si je ne suis pas certain qu'ils figurent sur votre ordre du jour.

Le premier est qu'il est assez évident, à la lecture de la transcription des séances du comité de la Chambre des communes, et également de celle de ce comité, que la situation n'a pas beaucoup changé pour ce qui est de la situation des plaignants multiples au sein du système pénitentiaire fédéral. Leur nombre est toujours élevé. Aucune solution ne semble avoir été trouvée pour s'attaquer à ce phénomène.

Le deuxième commentaire est que l'orientation qu'a choisie au départ le comité de la Chambre des communes — ainsi que celle que cette Chambre a suivie pour adopter le projet de loi — à savoir, modifier le format de ce projet de loi m'a paru judicieuse. Celui qui avait été déposé au départ par Mme James, est devenu un projet de loi réduit à l'essentiel qui autorise simplement le commissaire du Service correctionnel du Canada à interdire aux délinquants désignés par le commissaire de déposer des griefs ou des plaintes, sauf autorisation.

Il n'est vraiment pas facile d'imaginer un régime qui règle de façon satisfaisante le problème que posent les plaignants multiples. Je mentionne en passant qu'il m'a paru intéressant de lire dans un article publié dans le Globe and Mail il y a quelques semaines, que la Cour fédérale du Canada a récemment procédé à une révision ou a au moins entamé une procédure de révision de ses propres règles. Une des questions examinées par le comité chargé de le faire était le phénomène de plus en plus courant des plaideurs quérulents qui saisissent la Cour fédérale du Canada, un phénomène qui a, de toute évidence, d'après les statistiques, pris de l'ampleur ces dernières années.

Il est intéressant de constater que, dans ce qui est pour le reste un rapport détaillé et très complet qui recommande des mesures définitives, le seul sujet qui appelle d'autres consultations avec vous a été celle des plaideurs quérulents, des plaideurs fréquents devant la Cour fédérale qui bloquent le processus.

J'attire votre attention sur cet élément pour bien montrer que les systèmes judiciaires du Canada éprouvent quelques difficultés à régler le problème que posent les plaideurs quérulents ou les plaignants multiples. Résultat, j'ai compris qu'il était bien préférable, pour ce qui est de la façon dont ce projet de loi a évolué, de confier cette question aux règlements et aux directives du commissaire plutôt que de présenter une solution détaillée dans le projet de loi lui- même.

Vous connaissez bien mieux que moi qu'il est très difficile de faire modifier les lois fondamentales. Dans un domaine où la souplesse et la capacité de s'adapter et de changer pour tenir compte de l'évolution de la situation sont souvent importantes, il est préférable que, dans ce contexte particulier, la procédure soit précisée par un règlement et par les directives du commissaire, plutôt que de tenter de la décrire en détail dans la loi fondamentale.

Cela dit, j'en arrive à mon troisième commentaire qui touche un aspect que je trouve quelque peu préoccupant. C'est un aspect qui a été abordé et débattu par le comité de la Chambre des communes et aussi, dans une mesure moindre, au cours de la séance que votre comité a déjà tenue à ce sujet. C'est la façon dont ce projet de loi réduit à l'essentiel et qui vise à modifier la loi a été formulé. Comme vous le savez très bien, la décision consistant à désigner, à accorder une autorisation, à lever l'interdiction à la suite d'un examen annuel, est confiée au commissaire du Service correctionnel du Canada. Je ne doute aucunement de la capacité du commissaire à régler ce problème particulier. Lorsqu'il a témoigné devant votre comité et celui de la Chambre des communes, le commissaire s'est déclaré satisfait de ce nouveau projet de loi et a affirmé que son bureau avait les moyens de le mettre en œuvre.

Il me semble toutefois que cela risque de soulever un problème. Un des problèmes que posent les plaignants multiples qui sont détenus dans un pénitencier est qu'ils vont explorer tous les moyens possibles de déposer un grief et de le poursuivre par toutes les manières possibles. D'après ce que je comprends, avec le système que propose le projet de loi C-293, tel que rédigé actuellement, le commissaire peut certes interdire le dépôt de griefs, mais il est toutefois obligé d'examiner les demandes d'autorisation de poursuivre un grief malgré l'interdiction de départ. Ce qui risque d'après moi d'arriver avec ce projet de loi, c'est que tous ces plaignants multiples vont centrer leur action, pour ce qui est de leur grief, sur le processus d'autorisation. Cela aura pour effet de créer des dossiers très volumineux qui devront être examinés personnellement par le commissaire — ce dont je doute — ou par des membres de la haute direction du Service correctionnel.

Le refus de l'autorisation n'est pas susceptible d'appel, mais il est tout de même possible que ce processus d'autorisation soit une tâche très lourde.

Si nous prenons les chiffres qui ont été présentés au comité de la Chambre des communes par le commissaire Head et les deux personnes qui l'accompagnaient, que voyons-nous? Les détenus ou les délinquants qui déposent plus de 100 griefs par an sont au nombre de 5 215 pour la dernière période pertinente.

Si nous prenons les délinquants qui déposent 25 griefs par an ou plus, le chiffre passe à 9 857. Il me paraît tout à fait possible que la plupart de ces griefs vont prendre la forme, à la suite d'une désignation, de demande d'autorisation de déposer un grief malgré la désignation. Il est bien possible que ce processus, tel qu'il est prévu à l'heure actuelle, ne permettra pas de faire des économies importantes, pour ce qui est des ressources consacrées au traitement de toutes ces plaintes, qui est pourtant l'objectif recherché.

Dans le rapport que j'ai remis au Service correctionnel, je recommandais une façon assez différente de s'attaquer à ce problème. J'aimerais attirer votre attention sur cet aspect. Je ne dirais pas que cela est nécessairement la bonne façon d'aborder ce problème et un bon nombre de recommandations que j'ai présentées en 2010 suscitent toujours des discussions.

Il m'a semblé qu'une des façons de résoudre rapidement ce problème était de créer un système dans lequel, lorsqu'un délinquant a déposé un certain nombre de griefs, le directeur de l'établissement où il se trouve peut désigner cette personne comme plaignant multiple ou quérulent. Il ne faudrait pas lui refuser la possibilité de déposer des griefs, mais lui interdire de déposer des griefs successifs plutôt que de limiter les délinquants à un certain nombre de griefs par mois ou par année. Autrement dit, au lieu d'avoir un système où le dépôt d'un grief est interdit et où le plaignant doit alors demander l'autorisation de faire examiner son grief, on aurait un système dans lequel tant que la désignation n'a pas été annulée, le plaignant n'a le droit de déposer qu'un nombre limité de griefs. C'est à lui de choisir les griefs qu'il souhaite déposer, parce qu'au-delà d'un certain nombre, il ne pourra plus le faire, à l'exception des griefs à haute priorité qui touchent la liberté et la sécurité de la personne aux termes de la Charte.

J'ai examiné les documents et les témoignages qu'a entendus le comité jusqu'ici et je demeure convaincu que la solution que je recommande est celle qui permettra le mieux de régler ce problème. En un sens, il y a une désignation, mais celle-ci a pour effet de limiter le nombre des griefs susceptibles d'être déposés au cours d'une période donnée; une fois ces griefs déposés, il est impossible d'en déposer davantage.

Je ferai un dernier commentaire; dans le projet de loi d'origine parlementaire initial de Mme James, il y avait une disposition qui prévoyait que la désignation de plaignant multiple ou quérulent par le commissaire pouvait être contestée au moyen d'une demande de contrôle judiciaire.

Sur le plan juridique, il ne me paraît pas nécessaire que le projet de loi précise cet aspect. Il est toujours possible de déposer une demande de contrôle judiciaire. Compte tenu de l'importance de cet aspect, j'estime qu'il serait approprié de rétablir cette disposition et de préciser, compte tenu de l'importance du processus de désignation, en particulier s'il est toujours confié au commissaire, que la loi reconnaît dans ces circonstances le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire.

Voilà mes quatre commentaires préliminaires. Je vous demande de m'excuser si j'ai dépassé les cinq minutes qui m'étaient accordées. Je suis prêt à répondre à vos questions. Je vous remercie encore une fois de m'avoir écouté.

Le président : Merci, monsieur. La liste des membres du comité qui veulent poser des questions ne fait que s'allonger. Nous allons commencer par la vice-présidente du comité, le sénateur Fraser.

Le sénateur Fraser : Ce sont d'excellents commentaires, qui m'ont incitée à réfléchir et à formuler de nombreuses questions, de sorte que, monsieur le président, vous pouvez m'inscrire tout de suite pour le deuxième tour de questions.

Je vais commencer par vous demander ce qui devrait être, d'après vous, le nombre de griefs maximum que les délinquants qui ont été désignés sous quelque appellation que ce soit pourraient présenter.

M. Mullan : Dans mon rapport, j'ai proposé 100, un chiffre qui, d'après les statistiques que j'utilisais, permettait d'écarter les personnes dont il a été constaté au sein du système qu'elles étaient les exemples les plus évidents de plaignants multiples. J'ai lu les statistiques qui ont été présentées au comité de la Chambre des communes, et j'ai commencé à modifier ma position et à penser qu'un chiffre de 100 est sans doute trop élevé. Je ne pense pas qu'il faudrait descendre jusqu'à 25, qui était la donnée statistique fournie par le commissaire au comité de la Chambre des communes, mais j'aurais tendance aujourd'hui à m'orienter vers un chiffre de 50 griefs par année, qui représente au maximum un grief par semaine.

Le sénateur Fraser : Un par semaine. Cela permet de déposer beaucoup de plaintes. L'idée d'autoriser un nombre maximum de plaintes m'intrigue.

Vous avez parlé du fait que les délinquants bloqueraient le système avec toutes leurs demandes d'autorisation. Pensez-vous que certains d'entre eux pourraient également bloquer le système des plaintes présentées à l'enquêteur correctionnel?

M. Mullan : À mon avis, il est difficile de savoir si cela entraînerait un transfert important de dossiers supplémentaires vers l'enquêteur correctionnel. Il y a un aspect important et qui constitue une grande partie du rôle de l'enquêteur correctionnel, à savoir que celui-ci n'a pas le pouvoir d'accorder directement une réparation aux délinquants qui s'adressent à son bureau. S'il est constaté que le grief est fondé, l'enquêteur transmet une recommandation au Service correctionnel. C'est pourquoi il me paraît difficile de prédire si le nombre des cas transmis à l'enquêteur correctionnel augmenterait massivement.

Le sénateur Fraser : Étant donné que la cible du grief, à la différence du processus, serait le système correctionnel lui- même plutôt que l'enquêteur, c'est peut-être à cette étape que les détenus voudraient bloquer la machine.

Le projet de loi initial contenait également une disposition qui ne figure plus dans le projet de loi actuel. Un décideur, quel que soit le niveau auquel il se trouve, ne peut refuser d'entendre une plainte ou un grief qui entraînerait des conséquences négatives, graves et irréparables pour le délinquant, s'il n'était pas résolu. Pensez-vous qu'il serait souhaitable de rétablir cette disposition?

M. Mullan : D'après ma conception de la situation, et de ce qui se passera si le projet de loi C-293 est adopté sous sa forme actuelle, les critères comme les éléments que le commissaire doit prendre en compte pour désigner une personne comme étant interdite de grief, ou plus probablement, pour lui accorder ou lui refuser une autorisation, figureront dans les règlements d'application de la loi.

Je reconnais que cette disposition devrait figurer expressément dans ce projet. Avec la structure actuelle, je pense que cela pourrait faire partie d'un règlement. Bien entendu, les règlements seront eux-mêmes soumis au comité mixte du Sénat et de la Chambre.

Le sénateur Fraser : On va nous renvoyer un autre projet de loi. Merci. Deuxième tour de questions, s'il vous plaît.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup pour votre présentation. À l'automne 2010, j'ai visité l'ensemble des pénitenciers fédéraux au Québec pour m'imprégner de la réalité carcérale québécoise et canadienne. La majorité des gardiens ainsi que l'administration disaient que le système des plaintes et des griefs comportaient des lacunes. Est-ce un constat que vous avez aussi observé?

[Traduction]

M. Mullan : Oui, effectivement. J'ai également visité un certain nombre d'établissements situés au Québec et les directeurs avec lesquels je me suis entretenu au cours de mes visites dans les pénitenciers du Québec ont signalé les problèmes qu'ils rencontraient avec la procédure de règlement des griefs. En particulier, il y avait dans un de ces pénitenciers, le délinquant qui avait déposé le plus grand nombre de griefs au Canada. En fait, le directeur et les responsables du fonctionnement du système de règlement des griefs ont déclaré que ce seul individu avait complètement bloqué l'examen des griefs et pratiquement empêché l'examen d'autres plaintes légitimes.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J'ai remarqué dans un pénitencier la façon dont on récoltait les plaintes. Des boîtes de métal étaient disposées dans les corridors, et les criminels pouvaient déposer des plaintes de façon anonyme. Cela m'apparaissait très ouvert comme système, comme s'il n'y avait pas de zone tampon entre le plaignant et la boîte de métal dans laquelle il dépose la plainte. Cela m'apparaissait donc comme mécanisme facilitant le dépôt de plaintes de toutes sortes. Avez-vous aussi observé cela?

[Traduction]

M. Mullan : J'ai notamment tenté de savoir si ce mécanisme était efficace dans les divers pénitenciers que j'ai visités. Dans l'ensemble, il me semble que le fait de déposer des plaintes dans une boîte qui était vidée régulièrement, du moins à cette époque, était efficace. Je n'ai pas constaté que ce mécanisme soulevait des problèmes, pourvu que les détenus aient accès à la boîte et que celle-ci soit relevée régulièrement.

Soyons clairs : ce n'est pas un moyen de déposer une plainte anonyme. C'est un moyen qui permet à quelqu'un de déposer, la plupart du temps, une plainte sans être vu. La plainte ne sera toutefois pas examinée si elle est anonyme.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Vous proposez donc de déléguer la responsabilité du commissaire au directeur du pénitencier, si j'ai bien compris, plutôt que de faire remonter la décision jusqu'au commissaire, à savoir si c'est à lui que revient la décision de déterminer qui sont les plaignants abusifs ou pas. Votre proposition est de déléguer le plus près possible au pénitencier cette responsabilité?

[Traduction]

M. Mullan : C'est bien là ma préférence; je souhaite que ces dossiers soient examinés au départ par le directeur de l'établissement local qui a des contacts quotidiens ou réguliers avec le délinquant susceptible d'être désigné comme « délinquant abusif ».

Il me semble également qu'un tel régime inciterait un plaignant multiple, après avoir parlé et discuté avec les agents correctionnels, à trouver une solution au problème. Bien souvent, le problème est la dépendance à l'égard de la procédure de règlement des plaintes.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J'ai observé un autre élément qui m'apparaît être un lien de cause à effet. C'est qu'un grand nombre de criminels incarcérés dans les pénitenciers fédéraux, soit les deux-tiers, n'ont aucune occupation, soit de travail ou de formation. On pourrait penser que des gens qui sont totalement oisifs dans les pénitenciers ont une seule pensée, celle de faire des plaintes. Si ces gens étaient plus occupés à travailler ou à suivre une formation peut-être qu'ils seraient moins préoccupés à faire des plaintes.

Le projet de loi C-10 prévoit des plans correctionnels et de réhabilitation beaucoup plus rigoureux. Est-ce que le fait de tenir le détenu occupé par le biais de mesures de réhabilitation plus rigoureuses peut faire en sorte de réduire le nombre de plaintes?

[Traduction]

M. Mullan : Je suis sûr que le fait d'offrir des possibilités de travail ou des cours de formation ou d'éducation à l'intérieur des pénitenciers détournerait, du moins, un certain nombre des plaignants multiples de leurs activités habituelles. Autrement dit, je pense que certains déposent des griefs parce qu'ils n'ont rien d'autre à faire et que cela remplit leur journée. Je crois également que d'autres sont poussés à être des plaignants multiples pour des raisons différentes.

Je suis tout à fait d'accord avec vous lorsque vous dites qu'il y a d'autres façons de régler le problème des plaignants multiples ou d'en réduire le nombre, en plus du processus structuré dont nous parlons ici.

Le sénateur Baker : J'aimerais féliciter le témoin sur l'excellent travail qu'il a accompli au cours des années pour élaborer le droit au Canada en rédigeant de nombreux écrits qui sont cités par la Cour suprême du Canada dans ses décisions. Cette cour vous cite régulièrement de façon favorable.

Monsieur Mullan, vous avez commencé par dire que la Cour fédérale était en train de réviser les règles relatives aux plaintes frivoles. Bien sûr, au niveau de la Cour fédérale, les plaintes frivoles donnant lieu à une poursuite judiciaire sont sanctionnées par l'attribution de dépens. La personne qui dépose une plainte frivole doit payer. Il faut payer pour l'autre avocat. Si vous n'êtes pas Conrad Black, cela n'est pas facile. C'est le processus habituel.

Selon les règles de la Cour fédérale, le plaignant ou le plaideur frivole participe à une instance où il y a deux parties et non pas une seule, comme le propose le projet de loi, à savoir que c'est au commissaire qu'il incombe de rendre seul la décision dans ce domaine.

L'observation qu'a faite récemment la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse est que cette qualification ne peut s'effectuer ex parte. Il n'est pas possible de qualifier une demande de frivole sans donner à l'autre partie la possibilité de contester cette qualification. C'est là ma première question. Ne pensez-vous pas que ce mécanisme, s'il n'est pas illégal, ne respecte certainement pas les normes de raisonnabilité ou d'équité procédurale garanties par la Charte?

Ma principale question que je vais vous poser est la suivante : vous proposez que ces aspects soient précisés dans les règlements et dans les directives du commissaire, les directives du commissaire, qui ont été qualifiés par la Cour d'appel fédérale de règlements, le pouvoir d'adopter des règlements.

En ce moment, à cette minute même, ce que je ne comprends pas dans tout cela, c'est quel est exactement le problème. Ce projet de loi me semble frivole puisque les dossiers frivoles et vexatoires sont assujettis aux règlements. Autrement dit, le règlement énonce au paragraphe 74(4) :

Le supérieur peut refuser d'examiner une plainte présentée conformément au paragraphe (1) si, à son avis, la plainte est futile ou vexatoire [...]

Toutes les plaintes qui ont été communiquées au comité sont du genre : « les pommes de terre sont trop petites », « la crème glacée est trop chaude », ou quelque chose du genre. Je ne pense pas que vous ayez rencontré ce genre de plaintes vexatoires au cours de vos enquêtes.

Lorsqu'on regarde les directives du commissaire, on constate la même chose. Selon le paragraphe 47 de la Directive 081 du commissaire : le membre de l'institution qui examine la plainte « peut rejeter la plainte ou le grief en partie ou en totalité et la renvoyer au délinquant » même si une partie de celle-ci est jugée futile ou vexatoire.

Quel est le problème? Je ne comprends pas. Si la crème glacée est trop froide, d'après les règles et règlements, vous pouvez la jeter dans les ordures. Ou la renvoyer. Quel est le problème?

M. Mullan : Cette intervention soulève un certain nombre de questions et je vais commencer par la dernière.

Le problème, tel que je conçois, est qu'effectivement ces pouvoirs existent à la fois dans les règlements et dans les directives du commissaire qui permettent de rejeter une plainte jugée futile ou vexatoire; c'est un pouvoir qui est exercé mais, selon le régime actuel, la décision de rejeter un grief parce qu'il est futile ou vexatoire peut elle-même faire l'objet d'un appel de second niveau et finalement, de troisième niveau.

Sous de nombreux aspects, le problème que posent les plaignants multiples est exacerbé par le fait qu'ils ont tous accès à ce qui constitue actuellement deux autres niveaux d'appel dans le système. Ce qui se produirait, d'après ce que j'ai pu comprendre de la version actuelle du projet de loi, mais ce qui pourrait également se produire, je vous le dis franchement, en modifiant les règlements et les directives du commissaire, c'est qu'à l'heure actuelle, si l'on tient pour acquis que le projet de loi C-293 sera adopté sous sa forme actuelle, dans le cas où le commissaire désigne un détenu comme étant un plaignant interdit de plainte, si aucune autorisation n'est demandée, celui-ci n'aurait aucun autre droit d'appel si ce n'est devant les tribunaux et peut-être devant l'enquêteur correctionnel.

À ce moment-là, les mécanismes d'appel sont tout simplement supprimés pour ces griefs, à moins bien sûr que le commissaire décide dans sa sagesse d'accorder une autorisation dans un cas particulier.

Le problème actuel vient en partie du fait que les plaignants multiples n'utilisent pas seulement le premier niveau de la procédure de règlement des griefs, plaintes et griefs internes, mais également les appels de deuxième et de troisième niveaux. Je pense que le commissaire a déclaré au cours de son témoignage devant le comité, que le deuxième niveau d'appel serait probablement supprimé dans un proche avenir.

Le sénateur Baker : Le commissaire a également déclaré que de nouveaux éléments allaient être introduits. J'ai lu la jurisprudence. Il n'est pas possible d'agir de cette façon. On vous renvoie au niveau un. Le commissaire affirme que l'on peut confier de nouveaux éléments aux niveaux 2, 3 ou 4, mais ce n'est pas ce que dit la jurisprudence.

M. Mullan : Je veux répondre à la remarque selon laquelle le projet de loi lui-même est frivole parce qu'il est possible de régler ce problème autrement.

Le sénateur Baker : Si les règles étaient appliquées.

M. Mullan : Ou modifiées en apportant des changements aux règlements ou aux directives du commissaire.

Du point de vue juridique, se contenter de régler la question en disant que le commissaire peut interdire à un détenu de déposer un grief, sous réserve de la disposition relative à l'autorisation, risque de faire problème.

Si vous accordez ce pouvoir en modifiant les règlements ou les directives du commissaire, il est possible que, juridiquement, certains soutiennent qu'aux termes des articles 90 et 91 actuels de la loi, l'accès à la procédure de grief est garanti. Si vous supprimez cet accès par règlement ou en modifiant les directives du commissaire, il y a le risque — et je n'utiliserai pas un mot plus fort — qu'un tribunal déclare cette modification ultra vires parce qu'elle va à l'encontre de ce qui semble être un mécanisme d'accès ouvert à tous aux termes des articles 90 et 91 de la loi. Ne serait- ce que par précaution supplémentaire, si vous voulez attribuer au commissaire le pouvoir d'interdire à un détenu de déposer des plaintes, sous réserve d'une autorisation, il serait peut-être préférable de modifier la loi pour le faire.

Le sénateur Baker : Êtes-vous satisfait du projet de loi?

M. Mullan : Je ne suis pas satisfait de ce projet de loi sous sa forme actuelle, non.

Le sénateur McIntyre : J'ai avec moi un exemplaire de votre rapport daté du 13 juillet 2010. L'appendice A est joint à votre rapport et il énumère les établissements que vous avez visités comme ceux de l'Atlantique, de Dorchester, de Nova Scotia, l'établissement Nova pour femmes, le pavillon de ressourcement Shepody. Je pense que l'établissement de l'Atlantique est le pénitencier Renous et que Dorchester est évidemment le pénitencier de Dorchester. Le Centre de ressourcement Shepody est-il le Shepody Healing Centre?

M. Mullan : Je suis désolé; je ne me souviens pas si cela est bien le cas.

Le sénateur McIntyre : Au Nouveau-Brunswick, il y a l'établissement de l'Atlantique que l'on connait sous le nom de pénitencier Renous, et il y a également le pénitencier de Dorchester, et le Shepody Healing Centre constitue une partie de cet établissement.

M. Mullan : C'est ce que je veux dire.

Le sénateur McIntyre : Le pénitencier de Dorchester — le Shepody Healing Centre — abrite les personnes qui ont été jugées non criminellement responsables en raison de troubles mentaux ou des personnes jugées inaptes à subir un procès. Je crois que votre rapport concerne également les personnes qui ont été déclarées criminellement responsables et non celles qui ont été déclarées non criminellement responsables pour raison de troubles mentaux.

M. Mullan : C'est effectivement le cas.

Le sénateur McIntyre : Très bien. D'après Howard Sapers, le surveillant du Service correctionnel du Canada, une partie des délinquants qui déposent des griefs multiples souffrent de graves problèmes de santé mentale, notamment de paranoïa et ont des comportements obsessifs compulsifs. De son côté, le commissaire du Service correctionnel du Canada semble avoir un autre point de vue. Lorsqu'il a comparu récemment devant le comité, il a déclaré que ces délinquants ne souffraient pas de maladie mentale.

Voici la question que je vous pose : les plaignants multiples souffrent-ils de problèmes de santé mentale et si c'est le cas, ne devrait-on pas prévoir un processus distinct pour les plaignants qui souffrent de maladie mentale?

M. Mullan : Monsieur le sénateur, je n'ai pas fait d'enquête sur l'état de santé mentale des 15 délinquants qui, à l'époque, utilisaient le plus fréquemment le système des griefs. Je ne peux pas faire de commentaires sur l'état de santé mentale de ces 15 personnes, qui sont aujourd'hui apparemment au nombre de 25, si l'on prend le témoignage du commissaire devant le comité de la Chambre des communes au pied de la lettre.

J'ai également lu le témoignage qu'a livré M. Zinger devant le comité de la Chambre des communes. Il a qualifié les problèmes de santé mentale que connaissaient les plaignants multiples de troubles de la personnalité plutôt que de schizophrénie ou de maladie mentale grave. Intuitivement, il semblerait que cela décrive l'état de santé de certains plaignants, mais je ne suis pas un spécialiste dans ce domaine et voilà comment je puis répondre à cette question.

Un des problèmes que me pose l'affirmation de l'enquêteur correctionnel et de M. Zinger est que, lorsque l'on supprime pour les détenus l'accès à la procédure de grief, ils vont s'occuper d'autres choses et même si cela est peut-être vrai, je ne pense pas que ce soit là une bonne raison de ne pas s'attaquer aux problèmes que cela crée pour tous les autres détenus ou tous les autres délinquants du système qui essaient d'avoir accès à ce programme. Les questions de santé mentale sont plus larges que celles des griefs des délinquants qui découlent des règles actuelles et elles devraient être abordées directement.

Il se peut fort bien qu'en les examinant directement, on risque de constater qu'il y a autre chose. D'après l'expérience que j'ai acquise grâce aux visites et aux entrevues que j'ai faites dans 28 pénitenciers, il est exact qu'un des principaux problèmes est l'incapacité de ceux qui souffrent véritablement de maladie mentale d'avoir accès à cette procédure en raison d'un manque de capacité cognitive et d'une incapacité à suivre la procédure de règlement des plaintes. De mon point de vue, la santé mentale est un véritable problème, mais le véritable aspect de ce problème est qu'il faut mettre sur pied un système dans lequel les personnes qui souffrent de dissonance cognitive peuvent néanmoins avoir accès à cette procédure. C'est dans cette mesure que je souscris à l'affirmation selon laquelle il convient de prendre des dispositions spéciales pour ceux dont il est prouvé qu'ils souffrent de maladie mentale grave.

Le sénateur Joyal : Bienvenue, monsieur Mullan. Je suis honoré de vous voir témoigner devant nous, parce que j'ai cité votre rapport au cours d'une réunion précédente de notre comité. J'ai estimé que c'était une source très fiable pour comprendre le phénomène en question. Ma première réaction a été d'être surpris de voir qu'un projet de loi d'origine parlementaire ait été présenté pour résoudre un problème qui est beaucoup plus complexe que le projet de loi déposé. Devons-nous penser que le projet de loi qui nous a été soumis est la réponse que donne le gouvernement à la recommandation et aux explications que vous avez inclus dans votre rapport? Devrions-nous nous attendre à ce que d'autres mesures législatives soient présentées pour véritablement mettre en œuvre votre recommandation?

M. Mullan : J'ai été surpris de voir que les recommandations contenues dans mon rapport faisaient l'objet d'un projet de loi d'origine parlementaire. J'avais pensé que, si le commissaire du Service correctionnel du Canada allait mettre en œuvre ces recommandations, cela aurait été fait en modifiant le règlement et les directives du commissaire. Je ne sais absolument rien du processus, politique ou autre, qui explique que cette mesure ait été présentée à la Chambre sous la forme d'un projet de loi d'origine parlementaire.

Permettez-moi toutefois de dire que si le projet de loi C-293 est adopté sous sa forme actuelle, il y aura encore énormément à faire pour compléter le nouveau système dans lequel le commissaire du Service correctionnel du Canada est la personne qui a le pouvoir d'effectuer cette désignation. J'imagine que la mise en œuvre se fera par des règlements qui seront élaborés à un moment donné pour répondre aux questions qui vous préoccupent, tout comme elles préoccupent aussi le sénateur Fraser, comme le montrent les questions qu'elle m'a posées. Autrement dit, l'adoption du projet de loi sera seulement, à mon avis, la première étape de l'élaboration de ce qui sera inévitablement un ensemble assez complexe de mécanismes visant à régler ce problème.

Le sénateur Joyal : Lorsque j'ai comparé l'essentiel de votre recommandation, qui consiste à accorder à chaque détenu la possibilité de déposer un nombre déterminé de plaintes par opposition à un système où le commissaire devient un décideur, j'ai estimé que votre proposition semble éviter davantage les contestations juridiques que la mesure que contient ce projet de loi. J'ai soulevé cette question à une réunion antérieure du comité. Il me semble que le régime prévu par le projet de loi sera beaucoup plus vulnérable aux contestations constitutionnelles que celui qui refléterait les recommandations que vous avez incluses dans votre rapport et que vous avez reprises dans votre mémoire aujourd'hui, à savoir accorder un nombre fixe de plaintes à chaque détenu alors que dans ce système, nous supprimons le droit de déposer une plainte sauf lorsqu'il existe des circonstances exceptionnelles. Votre proposition consiste à préserver le droit de déposer des plaintes, mais d'en limiter le nombre. Cela me semble bien préférable sur le plan des principes à l'autre régime, qui, à mon avis, pourrait susciter davantage de contestations judiciaires. Ai-je bien compris, d'après vous, la façon dont vous abordez toute cette question?

M. Mullan : Dans l'ensemble, c'est effectivement ce que je pense aussi, et c'est une des raisons pour lesquelles je continue, malgré la forme du projet de loi C-293, à être en faveur d'une désignation suivie par l'attribution d'un nombre maximum de griefs pendant une période donnée.

Je ne suis pas ici pour donner une opinion juridique, mais j'estime qu'il y a un risque de contestation fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés à l'égard d'un régime dans lequel le détenu désigné dépend du bon vouloir du commissaire du Service correctionnel du Canada, lorsqu'il s'agit de déposer un grief qui met en jeu la vie, la liberté et la sécurité de la personne. Il y a, au moins de mon point de vue provisoire, une possibilité de contestation juridique.

Le sénateur Joyal : L'autre aspect que vous mentionnez dans votre mémoire est le système qui existe en Angleterre et au Pays de Galles. Les deux systèmes qui sont en vigueur dans ces pays sont fondés sur l'approche que vous recommandez dans votre rapport et que vous avez reprise dans votre mémoire.

M. Mullan : Oui. J'ai visité le Service des prisons de Sa Majesté à Londres et je me suis également rendu à la prison de Pentonville où l'on m'a exposé en détail le régime actuel qui est appliqué dans les prisons et les pénitenciers en Angleterre et au Pays de Galles. La méthode qui est utilisée là-bas pour éviter les plaintes frivoles est fondée sur la réglementation plutôt que sur l'interdiction, la réglementation prévoyant qu'une fois le détenu désigné, il dispose d'un nombre de griefs limités et est donc obligé de choisir ceux qu'il déposera.

Le sénateur Joyal : C'est à peu près ce que vous recommandez.

M. Mullan : Je dois vous avouer que je me suis inspiré de cette visite pour rédiger cette partie de mon rapport.

Le sénateur Joyal : Si je comprends bien ce que vous dites, un tel mécanisme supprime le droit de déposer des plaintes à la personne qui est désignée par le commissaire comme plaignant quérulent, alors que dans le système britannique et gallois, et selon votre proposition, lorsque la personne est déclarée être un plaignant quérulent, l'accès aux plaintes est alors limité pour cette personne.

M. Mullan : Un accès limité, oui.

Le sénateur Joyal : C'est la différence entre les deux.

M. Mullan : Oui.

Le président : Une brève question de suivi; le dépôt de ce projet de loi est-il la première réaction à votre rapport que vous ayez reçue de la part du SCC? Avez-vous obtenu des réactions immédiates? A-t-on pris, par exemple, des mesures pour mettre en œuvre vos recommandations concernant les médiateurs? A-t-on fait quelque chose entre-temps?

M. Mullan : Je suis en communication avec le personnel du SCC, et je sais que deux projets pilotes ont été mis sur pied aux fins de déterminer si la recommandation consistant à nommer un médiateur dans tous les pénitenciers de sécurité moyenne ou maximale est une mesure utile. J'ai eu connaissance de rapports qui indiquent que, jusqu'ici du moins, la participation de médiateurs au projet pilote mis en place dans les pénitenciers a, effectivement, entraîné une diminution importante du nombre de plaintes et des griefs officiels et a permis de régler des choses qui auraient autrement fait l'objet de recours. C'est un commentaire non officiel que j'ai reçu, mais c'est ce que j'ai appris. Je sais également que certaines de mes recommandations concernant la nécessité de mieux former les agents correctionnels au sujet du fonctionnement de la procédure de règlement des griefs a également été mis en place. Dans cette mesure, oui, mon rapport a débouché sur quelques mesures.

Le président : Avez-vous des craintes, et c'est un aspect que j'ai soulevé quand M. Head nous a présenté son exposé, au sujet du pouvoir étendu qui lui a été accordé pour empêcher les plaintes au sujet du rendement ou du manque de rendement de sa propre organisation? Nous parlons de l'importance d'un mécanisme de contrôle indépendant. Je me demande si cet aspect du projet de loi suscite chez vous des préoccupations.

M. Mullan : Il y aura toujours un problème de perception, à tout le moins, avec une situation dans laquelle le commissaire du Service correctionnel du Canada est l'autorité qui a le pouvoir de désigner un détenu auquel il est interdit de déposer des griefs. Il n'est pas surprenant que certains penseront qu'il est dans l'intérêt administratif du Service correctionnel de multiplier ces désignations. Cela ne met aucunement en doute l'intégrité du commissaire Head, pour qui j'ai le plus grand respect, mais c'est la perception qu'auront les intéressés. Si je pouvais faire ce que je voulais, j'irais au-delà du règlement et des directives du commissaire actuel et aussi au-delà de ce projet de loi et je mettrais sur pied un processus décisionnel ou de désignation externe à l'égard des plaignants persistants et quérulents ou à défaut, à tout le moins, cette désignation serait confiée à un tribunal, en particulier si c'est une désignation qui interdit au détenu de présenter un grief, sauf autorisation.

Le sénateur Fraser : Le sujet qu'a abordé le sénateur McIntyre m'intéresse. Je prends note de votre affirmation prudente selon laquelle la santé mentale n'est pas votre spécialité. J'aimerais néanmoins savoir si cette série de questions et la réponse que vous venez de donner au sénateur Runciman et compte tenu du fait que nos prisons sont de plus en plus surpeuplées alors que nous savons que près de 40 p. 100 des détenus admis souffrent de problèmes de santé mentale et qu'un bon nombre d'entre eux souffrent de paranoïa obsessive et compulsive, si donc tout cela vous amène à penser que l'existence d'un mécanisme de règlement des griefs offre probablement, si je peux m'exprimer ainsi, une soupape de sécurité, une porte de sortie, un moyen de s'exprimer à certains prisonniers qui vont de cette façon évacuer une partie du stress qu'ils vivent? Le seul fait d'être en prison est, j'imagine, pour beaucoup de gens, une situation stressante, mais je parle en ce moment des personnes qui vivent actuellement un stress important qui découle de causes internes. En vous basant sur les travaux que vous avez effectués, qui sont, nous le savons très bien, très fouillés, et quelle que soit la difficulté que cause aux autorités carcérales ce volume impressionnant de griefs, pensez-vous que le fait de supprimer l'accès à ces griefs pourrait, chez les personnes visées par ces interdictions, entraîner d'autres formes de comportement qui seraient peut-être même encore moins désirables? Êtes-vous de cet avis?

M. Mullan : Je pense que le fait d'avoir un mécanisme de règlement des griefs qui fonctionne bien et qui est accessible peut constituer en réalité une soupape de sécurité pour les délinquants qui souffrent de graves problèmes de santé mentale, pourvu qu'ils puissent avoir accès à...

Le sénateur Fraser : Je n'ai pas oublié la réserve que vous avez exprimée sur ce point.

M. Mullan : ... à ce mécanisme de façon appropriée et s'ils sont traités avec dignité et respect par le système.

Je pense toutefois également qu'il existe une différence assez importante entre le fait de fournir une soupape de sécurité aux délinquants qui souffrent de problèmes mentaux graves, d'un côté, et celui de continuer à tolérer une situation dans laquelle les plaignants multiples bloquent le système et empêchent ainsi les autres détenus, y compris ceux qui souffrent de maladies mentales et de déficiences intellectuelles, d'avoir accès à ce processus. À mon avis, je ferai une différence assez nette entre cette catégorie et l'autre.

Dans la mesure où un plaignant multiple est une personne qui risque d'avoir, si on lui refuse l'accès, un comportement indiscipliné, je crois que, dans le cadre du processus de gestion d'un système de désignation des plaignants multiples, il faut prévoir des mesures qui vont tenir compte de la possibilité que les détenus aient ce genre de réaction. Je ne pense pas que le fait que ce phénomène ne touche qu'un certain nombre des 25 ou un ou deux de ces 25 plaignants multiples soit une raison pour ne pas s'attaquer au problème que posent les griefs multiples.

Le sénateur Fraser : Je me fonde uniquement sur mon intuition, mais j'ai le sentiment qu'avec l'augmentation du nombre des cellules à double occupation et tout le reste, les griefs risquent de se multiplier plutôt que de diminuer.

M. Mullan : Le nombre des plaignants multiples est passé de 15 en 2010, à 25 en 2011-2012, ce qui semble indiquer que ce problème s'aggrave.

Le sénateur Fraser : Ce projet de loi est très clair : vous êtes autorisé à présenter des griefs ou vous n'êtes pas autorisé à le faire. Il n'y a pas de milieu. Je crois que le commissaire pourrait sans doute, en adoptant des directives, résoudre ce problème. Pensez-vous qu'il serait utile que le projet précise que le commissaire peut limiter le nombre de griefs qu'un plaignant peut déposer pendant une période donnée ou interdire le dépôt de grief? Cela revient en fait à indiquer clairement qu'il peut y avoir des étapes différentes et des niveaux de contrôle différents?

M. Mullan : À mon avis, ce serait un progrès par rapport à ce qui existe. Comme je l'ai mentionné plus tôt, j'irais même encore plus loin.

Le sénateur Fraser : J'essaie d'examiner ce qui est possible de faire.

M. Mullan : Oui, bien sûr.

Le sénateur Fraser : Merci, monsieur le président.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J'ai constaté en discutant avec les directeurs de pénitencier que l'une de leurs préoccupations était de garder la paix entre les murs. Lorsqu'ils doivent régler des griefs, ils préfèrent souvent les traiter par le biais d'une tierce personne à l'extérieur de leur institution, même si le grief est à leur avantage. Ils se déchargent de cette responsabilité. Avez-vous constaté la même chose?

[Traduction]

M. Mullan : Je ne peux pas dire que cela a été le cas. Il m'a semblé que certains directeurs au moins hésitaient à demander à quelqu'un de l'extérieur d'intervenir dans ce processus parce que pratiquement dans tous les cas, les dispositions du règlement concernant le fonctionnement des comités de citoyens au sein des pénitenciers n'étaient pas appliquées ou n'étaient pas efficaces. Une des causes à l'origine de cette situation est qu'il est devenu de plus en plus difficile de recruter des citoyens disposés à être membre de ces comités. Il m'a également semblé que certains directeurs au moins préféraient que ce mécanisme demeure un mécanisme interne. Lorsque je dis « interne », je veux dire interne pour le Service correctionnel du Canada.

Pour ce qui est des plaintes de harcèlement, le processus actuel prévoit de constituer un comité d'examen externe pour examiner ce genre de plainte. Dans cette mesure, ce sont des personnes extérieures au pénitencier qui s'occupent des plaintes de harcèlement selon la procédure actuelle.

En fin de compte, je dirais que je ne peux pas vraiment me prononcer sur la question que vous avez posée.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J'avais remarqué cette observation. Dans votre rapport, vous indiquez qu'il faudrait supprimer les griefs au deuxième palier, n'est-ce pas? À la page 43. Lorsque M. Don Head est venu faire son témoignage sur ce projet de loi, dans sa recommandation, il nous affirmait qu'en 2013-2014, il allait éliminer le deuxième palier pour vraiment rendre le processus plus efficace.

L'une des solutions qui pourraient être retenues sur le plan administratif, parce qu'on peut avoir une loi qui va baliser les plaignants abusifs, mais si sur le plan administratif, c'est mal géré, on ne sera pas plus avancé. Est-ce que l'une des solutions ne serait pas de donner aux directeurs de pénitenciers une cible de performance au plan de la solution des griefs, par exemple, chaque directeur devrait résoudre 80 p. 100 des griefs dans son établissement pour s'assurer qu'il n'y ait pas plus qu'un nombre x qui remonte à l'administration centrale. Cela ne serait-il pas une solution administrative que le ministre pourrait demander à son commissaire d'imposer comme attente par rapport aux directeurs de pénitenciers?

[Traduction]

M. Mullan : Un des commentaires qui m'a été fait au cours de mon enquête est qu'il faudrait introduire, de façon beaucoup plus explicite, dans l'évaluation annuelle du rendement d'un directeur, un élément portant sur la façon dont le directeur administre le système de règlement des griefs au sein de son établissement. Je conclus de ce commentaire qu'à un moment donné, cet aspect a pu jouer un rôle important, mais que ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Franchement, cette recommandation m'a semblé intéressante, mais je n'ai pas pu l'approfondir, faute de temps. Je n'en suis pas certain, mais dans la mesure où cela ne fait pas partie de l'évaluation régulière du rendement des directeurs, cela me paraît inacceptable. Cela devrait en faire partie.

Cela ne veut pas dire qu'il faudrait automatiquement attribuer au directeur les problèmes de rendement constatés dans certains établissements, parce que bien souvent, le problème vient de l'existence d'un plaignant multiple à cause duquel il est tout simplement impossible de respecter les délais pour les autres délinquants. Les autorités doivent se concentrer entièrement aux plaignants multiples alors qu'elles n'ont pas les ressources ou la capacité d'examiner correctement les griefs de ceux qui ont probablement un grand besoin d'utiliser le système de façon efficace.

Le sénateur Baker : Si vous recevez une plainte vexatoire au sujet d'une pomme de terre trop petite, combien de temps cela vous prendrait-il pour la régler? Je la rejetterais en deux secondes et je dirais au détenu que sa plainte est vexatoire. Si vous suiviez les règles, telles qu'établies, ce problème ne se poserait pas.

Je vais vous poser deux questions. Vous n'êtes pas obligé d'y répondre.

La première question est la suivante : un autre projet de loi va être présenté après celui-ci et j'espère que vous serez invité à témoigner à son sujet, qui consistera à supprimer l'indemnité versée au détenu dans une action en responsabilité civile fondée sur l'action ou l'omission d'un membre du Service correctionnel.

Combiné avec le projet de loi à l'étude, cela revient à supprimer dans certains cas le droit de déposer une plainte. La question qui me vient immédiatement à l'esprit est la suivante : pensez-vous que cela aura un effet important sur le comportement des détenus dans les établissements fédéraux?

Ma seconde question est peut-être plus grave; la voici : la Cour fédérale a entendu, il y a moins de quatre mois, toutes les preuves et a rendu une décision dans l'affaire Spidel c. Canada. Avez-vous lu ce jugement? Il y a quatre mois, la Cour fédérale a examiné la question de savoir si les plaintes et les griefs soulevaient un problème systémique et quels étaient les obstacles?

Premièrement, l'expression plaignant frivole ou quérulent n'apparaît ni dans le jugement, ni dans les preuves. Le Service correctionnel a toutefois déclaré que les retards découlaient de la complexité des plaintes et de l'insuffisance des fonds, des ressources consacrées à leur traitement. C'est la conclusion finale de ce jugement. J'aimerais vous en lire une phrase et vous demander ce que vous en pensez.

La Cour fait référence à l'affaire Ashley Smith. Cela figure dans les commentaires que formule la Cour fédérale au sujet des obstacles qui ralentissent le mécanisme de règlement des plaintes et des griefs. Le juge mentionne toutes les commissions royales et le rapport Arbour qui traite du problème que le projet de loi à l'étude essaie de régler. La Cour déclare ensuite :

Après avoir examiné les rapports publiés par l'enquêteur correctionnel ainsi que le rapport de la juge Arbour susmentionné, les auteurs de l'étude A Flawed Compass se sont penchés sur le cas de la mort tragique d'une jeune femme dénommée Ashley Smith alors qu'elle était confiée à la garde du SCC. Il raconte l'expérience que Mme Smith avait vécue en ce qui concerne la procédure de traitement de règlement des griefs du SCC en faisant observer que le SCC n'avait commencé à examiner le grief déposé par Mme Smith que deux mois après sa mort.

Je vous demande si vous avez des commentaires à faire sur ce point parce que dans ce jugement, le Service correctionnel affirme, élément qui est repris par la juge dans sa décision, que l'arriéré a été réduit d'environ 50 p. 100 dans la région du Pacifique et dans l'ensemble du Canada grâce à des mesures prises récemment depuis 2010. Le commissaire n'a pas mentionné cet aspect lorsqu'il a comparu devant le comité. Il a fourni des chiffres antérieurs à 2010.

Avez-vous des commentaires à faire sur ce que je viens de dire?

M. Mullan : Si je peux commencer par les pommes de terre froides, vous avez bien entendu raison. Dans un simple cas de pommes de terre froides et je crois qu'il y en a quelques-uns, la décision peut être prise une fois les documents déposés en cinq secondes, peut-être un peu plus parce qu'il faut la rédiger par écrit.

Cependant, le problème est plus grave que cela, dans la mesure où avec le régime actuel, avant que le grief vous soit transmis, à vous, les décideurs, quelqu'un doit décider s'il doit être codé et de quelle façon. Il faut saisir toutes sortes de données et ce n'est que par la suite que la plainte vous arrive. Vous rejetez alors la plainte relative à la pomme de terre froide — ce qui touche une réponse qui a été donnée à une question précédente — et le prochain acte de ce drame est que le dossier est ensuite transmis au niveau supérieur. Une simple décision devient une opération assez longue, ce qui cause donc un problème.

Si les détenus qui se plaignent des pommes de terre froides sont des plaignants multiples, il faut multiplier cet exemple par 100 au cours d'une année et même dans certains cas, par 300, ce qui fait problème.

Le deuxième aspect que vous avez soulevé est de savoir si la suppression ou la réglementation rigoureuse du droit de déposer un grief risque d'entraîner une vive réaction parmi la population carcérale lorsque cette mesure sera combinée avec l'autre projet de loi dont vous avez parlé. Je dirais que, même si cette décision est très importante — à savoir supprimer ou réglementer sévèrement le dépôt des griefs de certaines personnes — nous devons en fait savoir qu'il y a relativement peu de détenus qui sont visés par ces mesures. Il y a 25 détenus qui déposent plus de 100 griefs par an et ceux qui déposent plus de 25 griefs par an, ne sont que 136. Par rapport à la population pénitentiaire totale du Canada, cela ne représente pas grand monde.

Pour ce qui est de la réaction, je ne pense pas qu'il y en aurait nécessairement une à moins, bien sûr, que ces plaignants multiples ou fréquents soient des leaders dans la population carcérale de leur établissement. Je ne crois pas que ce soit vraiment le cas.

La troisième question porte sur le jugement de la juge Mactavish dans l'affaire Spidel; d'après la façon dont je comprends cet arrêt, il est certain que la situation dont parlait la juge Mactavish dans ce contexte particulier est celle qui régnait avant 2010. Il est certain que le problème qui est à l'origine de l'affaire Spidel est une des raisons pour lesquelles j'ai été invité à effectuer le travail que j'ai fait pour le compte du Service correctionnel du Canada.

Je ne sais pas, parce que je n'ai pas suivi vraiment les statistiques, si le système s'est vraiment amélioré depuis mon rapport de juillet 2010. Je ne sais pas si l'arriéré a augmenté, est demeuré stable ou a diminué, de sorte que je ne peux pas faire de commentaire à ce sujet.

Quatrièmement, permettez-moi de dire quelques mots au sujet de la situation d'Ashley Smith. Encore une fois, au cours de la réunion d'information à laquelle j'ai assisté avant de commencer mon enquête, le Service correctionnel du Canada a insisté sur le fait que l'affaire Ashley Smith était la principale raison pour laquelle il avait décidé de demander cet examen. Dans la réponse que j'ai fournie au sénateur Boisvenu il y a un instant, j'ai parlé du fait que, lorsque j'ai visité des pénitenciers, j'ai vérifié si le système des boîtes dans lesquelles les détenus placent leurs plaintes fonctionnait comme il devait.

La raison pour laquelle je me suis intéressé de près à cet aspect particulier était l'affaire Ashley Smith et les histoires d'horreur de griefs qui n'étaient jamais retirés de la boîte ou qui n'étaient pas examinés de façon appropriée. Il est tout à fait certain que dans le travail qui m'a été demandé, l'affaire Ashley Smith — et bien évidemment, la mauvaise utilisation du mécanisme ou l'omission d'utiliser le mécanisme correctement dans cette affaire — est un des motifs à l'origine de ma nomination et une des raisons pour lesquelles je m'intéresse autant à cette partie du processus.

Le sénateur McIntyre : M. Mullan, j'examine le projet de loi C-293, et je constate qu'il semble que le commissaire se voit attribuer un pouvoir discrétionnaire très vaste. Par exemple, le commissaire possède, notamment, le pouvoir discrétionnaire de désigner un délinquant à titre de plaignant quérulent, d'interdire à un délinquant de présenter une plainte ou un grief, sauf avec l'autorisation du commissaire. Il est évident que le commissaire fait un peu tout. Il participe directement au mécanisme de règlement des griefs. Son intervention à différentes étapes du processus pourrait créer une crainte de partialité chez le délinquant, tout comme dans la population. Compte tenu de cet aspect, il est possible que vous ayez répondu à cette question il y a un instant, estimez-vous que l'on pourrait remplacer le commissaire par un comité indépendant qui serait chargé d'examiner ces griefs multiples?

M. Mullan : Pour les raisons que vous venez de mentionner, sénateur McIntyre, il me semblerait effectivement justifié de prévoir un examen indépendant ou même un processus décisionnel indépendant pour trancher les questions de ce genre.

Le sénateur McIntyre : L'expérience que j'ai acquise avec les accusés et les procès pénaux m'a permis d'apprendre qu'il arrive que ces personnes aiment recevoir les conseils d'une personne indépendante et non pas de personnes qu'elles rencontrent tous les jours, toutes les semaines ou tous les mois.

M. Mullan : Cela me paraît exact.

Je vais sans doute trahir mon âge ici, mais cette institution existe toujours en Angleterre et au Pays de Galle; c'est un rôle utile que celui des juges ou des comités de visiteurs qui se rendaient dans les universités ou les pénitenciers; il y avait un examen périodique effectué de l'extérieur qui portait sur la façon dont les différents mécanismes d'un établissement, y compris les mécanismes de règlement des griefs et les sanctions disciplinaires, fonctionnaient, combinés à la possibilité de s'occuper de plaintes individuelles.

Les choses ont bien sûr changé depuis cette époque, pour des raisons bien compréhensibles, pour ce qui est des universités et des pénitenciers, mais nous avons peut-être perdu quelque chose, à savoir la possibilité de confier à un organe externe véritablement indépendant la possibilité d'étudier certains aspects de ces mécanismes. Si l'on veut trouver une raison pour un mécanisme de ce genre, il se pourrait fort bien que ce soit la désignation d'une personne à qui l'on interdit de déposer un grief sans autorisation.

Le sénateur Joyal : Vous abordez le point que j'ai soulevé plus tôt, qui est que, si nous voulons interdire à une personne de déposer un grief, il faudrait que la personne qui prend cette décision semble être indépendante. Lorsque nous avons examiné les principes du système de justice militaire, une des recommandations clés qu'avait faites à l'époque le juge Dickson était que la personne qui prend cette décision devait exercer son jugement de façon tout à fait indépendante. Dès qu'il y a le moindre conflit d'intérêts entre la haute direction et les droits de la personne, je crois que toute décision prise dans ce domaine peut être contestée.

Avez-vous le texte du projet de loi devant vous?

M. Mullan : Oui.

Le sénateur Joyal : Je vous invite à vous reporter au projet d'article 91.2. Il énonce ce qui suit :

Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements concernant le régime des griefs et des plaintes qui s'applique aux délinquants assujettis à l'interdiction prévue au paragraphe 91.1(1).

Lorsque j'ai lu le projet de loi rapidement la première fois, j'ai eu l'impression que le gouverneur en conseil pouvait prendre des règlements au sujet du processus décisionnel général suivi par le commissaire, mais ce n'est pas du tout le cas. Les règlements que peut prendre le gouverneur en conseil doivent concerner les délinquants assujettis à une interdiction. Ils font déjà l'objet d'une interdiction. Ce n'est pas une mesure préalable, mais postérieure. Autrement dit, cela concernerait davantage l'examen annuel de ce régime que la première étape de la première décision prise portant qu'il est interdit à un détenu donné de déposer des plaintes pendant un an.

À mon avis, il est plus important que les règlements pris par le gouverneur en conseil s'appliquent à la première étape de la procédure. Autrement dit, ils sont publiés et soumis à un examen public et transmis pour étude au comité mixte de la Chambre et du Sénat. En fait, à mon avis, il faudrait reformuler ce paragraphe pour que le régime des griefs et des plaintes qui est mentionné au paragraphe 91.1 englobe l'ensemble du régime et non pas uniquement la deuxième étape de la décision. Il me semble que, si nous voulons préserver le principe de la primauté du droit du début à la fin de cette procédure, nous devons veiller à ce que ces règlements s'appliquent aussi bien à l'autorité habilitante du commissaire qu'à la décision et au processus suivi pour prendre la première décision et ensuite l'appel, parce que la deuxième étape est un appel. Avez-vous des commentaires à faire sur ce point?

M. Mullan : Je souscris à vos remarques. Si votre interprétation de cette disposition est exacte et compte tenu du sens littéral de la disposition, il me semble que vous avez raison; je serais en faveur de remplacer cette disposition par un pouvoir de réglementation général qui s'appliquerait à l'ensemble du processus et non pas simplement à ce qui arrive par la suite. Je ne sais pas s'il s'agit là tout simplement d'une rédaction législative déficiente ou d'une intention délibérée, mais je crois que c'est une disposition qu'il conviendrait de reformuler. C'est important.

Le sénateur Joyal : Effectivement.

Le président : Merci, monsieur Mullan. Je crois pouvoir affirmer que vous avez apporté une contribution importante aux délibérations du comité et largement compensé l'absence indépendante de leur volonté, de nos deux autres témoins. Nous vous remercions d'être venu aujourd'hui.

M. Mullan : Merci et merci pour vos questions. J'ai bien aimé comparaître devant le comité.

Le président : Voilà qui termine la séance d'aujourd'hui. La séance est levée.

(La séance est levée.)


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