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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 32 - Témoignages du 20 mars 2013


OTTAWA, le mercredi 20 mars 2013

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à qui l'on a renvoyé le projet de loi C- 53, Loi d'assentiment aux modifications apportées à la Loi concernant la succession au trône, se réunit aujourd'hui, à 16 h 17, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue aux honorables sénateurs, à nos invités et aux membres du public qui suivent les délibérations d'aujourd'hui du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous nous réunissons pour entamer l'étude du projet de loi C-53, Loi d'assentiment aux modifications apportées à la Loi concernant la succession au trône.

Le projet de loi C-53 donne son assentiment au projet de loi du Royaume-Uni sur la succession à la Couronne, qui est actuellement à l'étude au Parlement britannique. Le projet de loi vise à mettre fin à la pratique selon laquelle on donne la préférence aux héritiers masculins plutôt qu'à leurs sœurs aînées dans l'ordre de succession et supprime les dispositions juridiques qui stipulent que les héritiers qui marient des catholiques sont inadmissibles à la succession au trône. Le projet de loi C-53 donne l'assentiment du Parlement du Canada pour que ces modifications soient apportées à la succession au trône en Grande-Bretagne.

Je rappelle à ceux qui regardent les délibérations du comité que ces audiences sont ouvertes au public et sont disponibles en diffusion sur le web à parl.gc.ca. Aussi, vous pouvez trouver des renseignements supplémentaires sur les comparutions de témoins au site Web sous la rubrique « Comités du Sénat ».

Dans le cadre de nos délibérations aujourd'hui, j'ai le plaisir de vous présenter M. Benoît Pelletier, professeur à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa. Nous recevons également, par vidéoconférence, M. Andrew Heard, professeur associé au Département de sciences politiques de l'Université Simon Fraser.

Bienvenue, messieurs. Nous allons commencer avec M. Heard, qui comparaît de Victoria, en Colombie- Britannique.

Andrew Heard, professeur associé, Université Simon Fraser, à titre personnel : Merci beaucoup de me donner l'occasion de comparaître devant vous.

À mon avis, le projet de loi C-53 ne modifie pas la succession royale. Il ne fait que consentir aux changements apportés au Royaume-Uni. Le consentement du Canada est seulement requis dans le cadre d'une convention; il ne l'est pas dans le cadre d'une loi canadienne ou britannique. Cependant, on peut se demander si ces modifications à la succession royale peuvent être apportées ainsi ou si elles doivent expressément être promulguées au Canada. Dans le deuxième cas, reste à savoir si ce peut être fait par le Parlement canadien unilatéralement ou s'il faut le consentement unanime étant donné que ces modifications touchent la charge de la Reine.

L'obstacle principal est la Loi de 1982 sur le Canada, qui prévoit à l'article 2 qu'aucune loi du Parlement du Royaume-Uni ne peut s'appliquer à des parties de loi du Canada après 1982. Des dispositions semblables relativement à l'Australie et à la Nouvelle-Zélande ont fait en sorte que ces pays ont adopté des mesures différentes que celles du Canada. Ces pays adoptent leurs propres lois régissant la succession royale. C'est donc dire qu'ils créent des familles royales distinctes pour l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

Cependant, je ne crois pas que cette déclaration dans la Loi de 1982 sur le Canada devrait être considérée comme une vérité absolue puisqu'il y a encore des moyens selon lesquels les lois britanniques futures, sur différents sujets, seront reconnus et applicables au Canada. Cette démarche est connue sous le nom d'incorporation par renvoi, c'est-à- dire qu'une règle juridique nationale prévoit que telle ou telle loi étrangère peut faire partie de nos lois.

Je crois que notre loi incorpore les lois britanniques actuelles et futures sur la succession royale. En bref, la loi canadienne régissant notre chef d'État décrète que le monarque britannique est notre chef d'État.

Je dois m'arrêter ici et reconnaître que cette position est contraire à celle de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire O'Donohue. Cette décision a confirmé la position du juge d'instance inférieure, qui a déterminé que les lois sur la succession font partie du droit constitutionnel canadien. Si cette position était adoptée au pied de la lettre, cela donnerait du poids à l'argument selon lequel des modifications à la succession royale doivent être apportées au moyen de procédures de modification officielles ici au Canada. Cependant, la décision d'une cour d'appel provinciale n'est pas finale pour l'ensemble du Canada, et je crois que certains aspects de cette disposition sont erronés.

Certains commentateurs ont également mentionné que nous avons une Reine du Canada et que, par conséquent, toute modification à la Loi sur la succession doit être apportée au Canada pour qu'elle s'applique ici. Cependant, je crois que c'est une mauvaise interprétation du titre de la Reine en tant que Reine du Canada créé par une loi adoptée par le Parlement canadien en 1953. Il s'agit simplement d'un titre, d'une étiquette, et non pas d'une reformulation de la charge de la Reine du Canada. Cette loi n'a pas créé une monarchie canadienne distincte. Bien que nous ayons assisté à la création d'une Reine du Canada sur les plans politique et culturel au cours des dernières décennies, cela reste une notion politique plutôt que juridique.

Ce que nous avons de distinct au Canada est une fiction juridique, la Couronne du Canada. En droit, nous avons une entité juridique unique, la Reine du chef du Canada, au nom de laquelle le gouvernement canadien dirige ses affaires. Il existe également des entités juridiques semblables pour chacune des provinces, mais il ne faut pas exagérer le rôle de ces entités juridiques. L'existence juridique d'une Couronne canadienne ne doit pas être confondue avec les lois déterminant quelle personne est roi ou reine. La loi canadienne prévoit que quiconque occupe le trône britannique est notre chef d'État. Cette personne incarne les pouvoirs juridiques de la Couronne du chef du Canada, du Manitoba, de la Colombie-Britannique, et cetera.

Nous pourrions modifier cette situation n'importe quand en appliquant la formule de modification pertinente afin d'établir nos propres règles en matière de succession royale. Cela aurait pour effet de créer une famille royale canadienne distincte et une monarchie canadienne unique, mais ce n'est pas ce que cherche à faire le projet de loi C-53, qui constitue l'expression valable du consentement du Canada aux modifications apportées par le Royaume-Uni.

Le président : Merci, monsieur Heard.

[Français]

Benoît Pelletier, professeur, faculté de droit, Section du droit civil, Université d'Ottawa, à titre personnel : Honorables sénateurs, merci de m'avoir invité à discuter de ce petit projet de loi, mais qui est d'une importance fondamentale, puisqu'il s'agit du choix de la personne qui sera éventuellement le roi ou la reine du Canada.

Permettez-moi, avant de faire ma présentation officielle, de dire que j'estime que la monarchie est le système le mieux adapté aux besoins du Canada. Cela est fondé sur le rôle du premier ministre, celui du gouvernement et, bien entendu aussi, sur le rôle historique qu'a joué la monarchie dans le système canadien.

Je suis donc l'un des Québécois — je ne sais pas combien nous sommes — qui sont favorables à la monarchie. L'étude que je vais vous livrer dans un instant est une étude purement juridique. Ce n'est donc pas une étude qui est influencée par le courant politique. C'est une étude qui se veut également tout à fait objective.

J'ai déjà eu l'occasion de vous remettre une série de documents qui vous ont été transmis par courriel. J'ajoute aujourd'hui deux documents qui vous ont été distribués, l'un étant le texte de ma présentation accompagné d'un jugement qui n'est pas d'une importance singulière, mais que j'avais omis de joindre dans mon premier envoi. Il y a également un deuxième document qui est une loi britannique, soit l'Interpretation Act.

Je vous dirai que les propos que je tiendrai aujourd'hui sont tous motivés par l'un ou l'autre des documents que je vous ai distribués. C'est-à-dire que s'il s'avère que je parle d'un arrêt ou d'une loi, vous avez cet arrêt ou cette loi à votre disposition, qui vous a déjà été transmis soit par courriel, soit par les documents d'aujourd'hui. Voici donc ma présentation.

[Traduction]

Il n'est pas nécessaire d'appliquer la procédure de modification de la Constitution canadienne prévue à la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982. Pour des raisons que j'expliquerai de manière plus détaillée plus tard, certaines lois britanniques, comme le Bill of Rights et l'Act of Settlement — lois que modifierait le projet de loi 81 du Royaume-Uni — ne sont pas assujetties à la partie V.

Notamment, le paragraphe 41a) de la Loi constitutionnelle de 1982 ne s'applique pas aux modifications à la charge de la Reine. Le projet de loi C-53 ne concerne pas le statut constitutionnel, les pouvoirs et les droits au Canada de la souveraine. Le projet de loi C-53 ne vise aucun pouvoir aux prérogatives royales. Il est clair que ce projet de loi ne concerne pas la charge de la Reine.

Le Parlement canadien peut adopter une loi sur l'ordre de succession au trône en exerçant son pouvoir résiduel. Ni le Parlement canadien ni le gouvernement ne sont tenus de consulter les provinces ou, a fortiori, d'obtenir leur consentement. Les précédents de 1937, de 1947 et de 1952 montrent que les provinces n'ont aucun rôle à jouer dans les modifications relatives à la succession au trône ou aux titres royaux. Les provinces n'ont pas réagi non plus. Aucune règle constitutionnelle, y compris les conventions constitutionnelles, n'exige la participation des provinces. Au Canada, il y a un souverain en vertu d'un ensemble de règles, qui relève exclusivement du gouvernement fédéral, sauf lorsque le paragraphe 41a) de la Loi constitutionnelle de 1982 s'applique.

Toutefois, il aurait été bon, ne serait-ce que par courtoisie et compte tenu de la nature fédérale de notre système, que le gouvernement fédéral consulte les provinces ou, à tout le moins, les informe officiellement.

On ignore si la méthode adoptée dans le projet de loi C-53 est adéquate. À cet égard, il existe deux théories crédibles. Selon la première, il suffirait de donner son assentiment conformément au préambule du Statut de Westminster de 1931. Selon l'autre, le Parlement canadien doit non seulement donner son assentiment à l'adoption du projet de loi 81 au Royaume-Uni, mais aussi adopter une loi reflétant la loi britannique.

Voici les arguments qui étayent la première théorie.

Tout d'abord, dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, on parle de former « une seule et même Puissance sous la Couronne du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande ». On pourrait donc faire valoir que le souverain du Royaume-Uni est automatiquement le souverain du Canada. C'est le Royaume-Uni qui choisit son souverain, lequel devient automatiquement souverain du Canada.

Deuxièmement, l'article 9 de la Loi constitutionnelle de 1867 dispose que le gouvernement et le pouvoir exécutif du Canada sont et continueront d'être attribués à la Reine. Par conséquent, on pourrait faire valoir que la Reine exerçant l'autorité souveraine en 1867 était le monarque régnant au Royaume-Uni, que c'est encore cette personne et que ce sera à l'avenir ce monarque et ceux qui lui succéderont, conformément aux règles établies par le Royaume-Uni.

Le troisième argument est celui de l'abrogation de l'article 2 de la Loi constitutionnelle de 1867 par la Loi de 1893 sur la révision du droit législatif. L'article 2 prévoyait que « les dispositions de la présente loi relatives à Sa Majesté la Reine s'appliquent également aux héritiers et successeurs de Sa Majesté, rois et reines du Royaume-Uni de la Grande- Bretagne et d'Irlande ». Cette disposition a été abrogée, car on estimait qu'elle faisait double emploi avec l'Interpretation Act de 1889, une loi britannique disposant que toute mention du souverain au moment de l'adoption d'une loi devait être interprétée comme se référant au souverain régnant, sauf intention contraire manifeste.

J'expliquerai le quatrième et dernier argument dans le contexte des décisions rendues par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique et par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Farrell.

La deuxième théorie, celle de la loi canadienne reflétant la loi britannique, s'appuie sur les arguments suivants.

Premièrement, quand le Parlement du Canada a adopté la Loi sur la modification de la Loi concernant la succession au trône en 1937, on a invoqué l'article 4 du Statut de Westminster de 1931. Le Parlement et le gouvernement fédéral ont donc présumé que la British Abdication Act ferait partie du droit canadien. Et même en l'absence d'une telle présomption, le recours à l'article 4 du Statut de Westminster de 1931 a probablement eu pour effet d'inclure l'Abdication Act au droit canadien.

Voici le deuxième argument : dans l'affaire Rex c. Hess, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a déclaré que la Magna Carta de 1215, la Pétition des droits de 1627 et l'Acte d'établissement de 1701, lequel n'est toutefois pas en cause en l'occurrence, faisaient partie de la Constitution du Canada par l'entremise du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867.

Dans l'affaire Farrell, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a invoqué la Magna Carta pour invalider une disposition de la législation de cette province. Toutefois, notons que cette décision a été infirmée par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, et que la Cour suprême du Canada a par la suite confirmé la décision de la cour d'appel. Ni la Cour d'appel de la Colombie-Britannique ni la Cour suprême du Canada n'ont invoqué ni même fait mention de la Magna Carta. En conséquence, on peut faire valoir que ces deux tribunaux ont implicitement rejeté l'idée que la Magna Carta fasse partie de la Constitution du Canada. Évidemment, la Magna Carta ne s'applique pas dans l'affaire qui nous occupe, mais le fait qu'elle ne soit pas considérée comme faisant partie du droit canadien nous donne une indication de ce qu'elle aurait statué sur la Déclaration des droits et sur l'Acte d'établissement.

Quatrièmement, dans Chapman et Currie, une cour de district de l'Ontario a statué que la Habeas Corpus Act, 1679, une loi britannique, s'appliquait au Canada. Notons que cette décision a été confirmée par le juge Stewart de la Haute Cour de justice le 11 août 1970. Le juge Stewart a conclu que la Habeas Corpus Act était pleinement en vigueur en Ontario. Même si cette loi n'a rien à voir avec la succession au trône, il y a lieu de se demander si on ne tirerait pas la même conclusion que la cour de district et de la Haute Cour de justice en ce qui a trait à la Déclaration des droits et à l'Acte d'établissement.

Cinquièmement, dans la cause Ganapathi, le juge Hume, de la Cour provinciale de justice, a invoqué la Magna Carta comme si elle faisait partie de la Constitution du Canada. Toutefois, en appel, la Cour suprême de la Colombie- Britannique n'a pas voulu se prononcer sur l'application de la Magna Carta à la Colombie-Britannique. Toutefois, le juge Hinkson de la Cour suprême de cette province a fait une remarque très intéressante :

Par conséquent, même si la Magna Carta est en vigueur en Colombie-Britannique, elle peut comme toute autre loi être modifiée par l'Assemblée législative [...] Dans ce cas, il n'y a qu'une exigence, à savoir que la loi soit claire et incontestable.

En 1973, dans l'arrêt Calder, la Cour suprême du Canada déclare ce qui suit au sujet de la Proclamation royale de 1763 :

Sa force de loi est analogue au statut de la Magna Carta, qui a toujours été considérée comme étant la loi à travers l'empire. Elle était une loi qui s'appliquait à chaque fois que l'Angleterre prenait en main la souveraineté sur les terres ou territoires nouvellement découverts ou acquis. Par conséquent, il s'ensuit que le Colonial Laws Validity Act s'est appliqué de façon à donner effet à la Proclamation en Colombie-Britannique.

Dans l'arrêt Résolution pour modifier la Constitution de 1981, la Cour suprême du Canada a déclaré à l'unanimité que le Bill of Rights de 1689 — nous avons ici la Déclaration des droits qui est censée le modifier — « fait indubitablement partie du droit du Canada ».

En 1993, dans l'affaire New Brunswick Broadcasting Co., voici ce qu'a dit la juge McLachlin concernant le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 :

[...] il est évident qu'en l'absence d'un renvoi spécifique, le préambule ne devrait pas être interprété comme renvoyant à un article précis du Bills of Rights anglais. Cela ne veut pas dire que les principes qui sous-tendent l'article 9 du Bill of Rights anglais de 1689 ne font pas partie de notre droit [...]

Enfin, dans la cause O'Donohue, la Cour supérieure de l'Ontario a conclu que les règles régissant la succession de manière générale et l'Acte d'établissement en particulier faisaient partie de la Constitution du Canada et que, à ce titre, ils n'étaient pas assujettis à la Charte.

Si le Sénat penche pour la seconde théorie, celle de la loi canadienne reflétant la loi britannique, il devra répondre à trois questions. D'abord, si la Déclaration des droits et l'Acte d'établissement font partie de la Constitution du Canada, pourquoi ne pas invoquer la procédure de modification de la Constitution du Canada prévue à la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982? Deuxièmement, quelle disposition permettrait au Parlement fédéral d'adopter une loi qui modifierait la Déclaration des droits et l'Acte d'établissement? Troisièmement, la loi ainsi adoptée par le Parlement fédéral serait-elle assujettie à un examen fondé sur la Charte?

En réponse à la première question, je dirais qu'on peut définir la Constitution du Canada de différentes façons. Dans son sens plus large, la Constitution du Canada comprend bien des lois britanniques, fédérales et provinciales, le droit coutumier, les conventions constitutionnelles, les coutumes, les décisions du Parlement et des assemblées législatives, les décisions des gouvernements fédéral et provinciaux, la doctrine, les différents principes constitutionnels et même les traités canadiens tels que les traités conclus avec les Autochtones.

Dans la décision de 1981 sur le rapatriement, on définit la Constitution du Canada de façon stricte. Dans cet avis, la Cour suprême du Canada affirme que la Constitution du Canada comprend les lois, le droit coutumier et les conventions.

On trouve une définition encore plus stricte de la Constitution du Canada au paragraphe 52(2) de la Loi constitutionnelle de 1982 et dans ses annexes. Cette définition vaut pour l'application de la procédure de modification de la Constitution du Canada prévue à la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982. Le lien entre la définition de la Constitution du Canada qui figure à l'article 52, d'une part, et celle de la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982, d'autre part, est évident au paragraphe 52(3), qui dispose que « la Constitution du Canada ne peut être modifiée que conformément aux pouvoirs conférés par elle ».

Il semble que la Déclaration des droits et l'Acte d'établissement ne soient pas explicitement assujettis au paragraphe 52(2) de la Loi constitutionnelle de 1982. Même si la définition qu'on donne à la Constitution du Canada dans cette disposition n'est pas exhaustive, comme l'indique le mot « comprend », nous doutons fort qu'elle puisse être élargie au point d'inclure des lois telles que la Déclaration des droits et l'Acte d'établissement. Autrement dit, nous ne croyons pas que ces deux lois soient comprises dans le paragraphe 52(2) de la Loi constitutionnelle de 1982 ni, par conséquent, assujetties aux dispositions de la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982. Il s'ensuit que si l'on considérait que la Déclaration des droits et l'Acte d'établissement font partie de la Constitution du Canada, ce serait aux termes de la définition qu'on donne à la Constitution du Canada dans le renvoi sur le rapatriement, et non pas au sens du paragraphe 52(2) de la Loi constitutionnelle de 1982.

Pour répondre à la deuxième question, c'est l'article 2 du Statut de Westminster de 1931 qui permet au Parlement, et aux assemblées législatives le cas échéant, d'abroger ou de modifier les lois britanniques auxquelles le paragraphe 52(2) de la Loi constitutionnelle de 1982 ne s'applique pas, telles que la Déclaration des droits et l'Acte d'établissement.

Enfin, la réponse à la troisième question est oui. La troisième question concerne l'examen en regard de la Charte. Même après l'adoption du projet de loi 81 par le Parlement britannique et d'une loi semblable par le Parlement du Canada, une certaine discrimination à l'encontre des catholiques persisterait. Cependant, je doute fort qu'un tribunal déclare la loi en question non constitutionnelle en vertu de la Charte des droits et libertés. Il y a de fortes chances pour que la loi soit sauvée par l'article 1 de la Charte. Toutefois, il y aura toujours le risque, quoique faible, que la loi correspondante ne satisfasse pas aux critères de l'article 1 de la Charte et soit déclarée en partie invalide.

Le président : C'est la vice-présidente du comité, la sénatrice Fraser, qui entamera la période de questions.

La sénatrice Fraser : J'ai deux questions, une pour chacun d'entre vous. Je sais que le président respectera rigoureusement l'horaire, donc je vous demanderais de répondre de la façon la plus succincte possible.

Tout d'abord, monsieur Heard, je trahis le fait que je ne suis pas avocate. Le Statut de Westminster, au sujet des lois régissant la succession, prévoit que l'assentiment « des dominions » est nécessaire, mais ailleurs, au sujet d'autres lois, on dit que le « consentement » des dominions peut être exigé. Cette distinction ne fait-elle aucune différence? L'utilisation de ces deux mots, assentiment et consentement, est-elle digne d'intérêt?

M. Heard : Je ne crois pas qu'on devrait accorder beaucoup d'importance à la différence entre les deux mots, non. Je pense que c'est plutôt du pareil au même.

[Français]

La sénatrice Fraser : Professeur Pelletier, ma question concerne votre expérience en tant que juriste et parlementaire. J'ai été quelque peu perplexe lorsque j'ai vu que le projet de loi qui est devant nous accorderait notre consentement aux modifications apportées à un projet de loi déposé devant le Parlement du Royaume-Uni, c'est-à-dire qu'on demande notre consentement à un projet de loi étranger avant même qu'il ait été adopté et ce, même s'il avait pu faire l'objet d'amendements.

Lorsqu'on dit qu'il faut donner notre consentement à un projet de loi déposé, cela nous limite-t-il à la version déposée ou si on peut comprendre que le projet de loi pourrait faire l'objet d'éventuels amendements?

M. Pelletier : Permettez-moi de vous répondre en trois points. Premièrement, lorsqu'on parle de consentement dans le préambule du Statut de Westminster, on parle surtout de consentement aux principes de l'adoption d'une loi.

Bien entendu, ce projet de loi peut encore faire l'objet d'amendements. Probablement que Sa Majesté la reine attendra que les 15 autres pays impliqués dans le processus donnent leur consentement avant de proclamer la nouvelle loi au Royaume-Uni. Il faut comprendre que c'est de consentement aux principes d'une loi. Dans le cas qui nous occupe, il s'agit du changement à la succession au trône qui est proposé dans le projet de loi.

Deuxièmement, il y a une grosse différence entre le consentement dont parle le préambule du Statut de Westminster et celui prévu à l'article 4 du Statut de Westminster. L'article 4 s'applique lorsqu'une loi britannique devient applicable au Canada. Depuis 1931, aucune loi britannique ne peut s'appliquer au Canada, à moins que le Canada n'y consente et en fasse la demande.

Or, cela devait être précisé explicitement dans la loi britannique. C'était sous ces deux conditions que la loi britannique pouvait s'appliquer au Canada. Depuis 1982, en vertu de la Loi constitutionnelle du le Canada, aucune loi britannique ne peut s'appliquer au Canada. Alors que le préambule est tout simplement un consentement qui est considéré par la plupart des auteurs comme étant purement conventionnel, la différence est majeure.

Malheureusement, je ne suis pas d'accord avec ce qu'a dit M. Heard, car selon moi il y a une différence entre les deux. Et là se pose, au surplus, la question de la loi-miroir. J'ai mentionné plus tôt qu'il était très difficile de garantir aux sénateurs que le procédé prévu par le projet de loi C-53 était tout à fait adéquat et protégeait une loi éventuelle d'une poursuite quelconque devant les tribunaux.

Madame la sénatrice, cela signifie que je suis absolument certain qu'il n'y a pas d'amendements constitutionnels. Par ailleurs, je ne suis pas totalement certain qu'il n'y a pas d'obligation de consulter les provinces, même si j'ai dit qu'il aurait été de bon aloi de le faire.

Je ne suis pas non plus certain que la façon de procéder soit tout à fait étanche, bien que je doive admettre que je penche du côté de la position fédérale, c'est-à-dire que sans pouvoir le garantir, mon analyse m'amène à croire que la personne qui sera nommée roi ou reine du Royaume-Uni sera éventuellement en même temps roi ou reine du Canada.

Le sénateur Joyal : Monsieur Pelletier, bienvenue au comité. Monsieur Heard, j'aimerais apporter une nuance à ce que vous exprimez au sujet du Statut de Westminster.

[Traduction]

Si vous n'avez pas l'interprétation, monsieur Heard, je répéterai en anglais.

J'aimerais apporter une nuance à ce que vous avez dit au sujet du Statut de Westminster. Ce dernier, à mon avis, est plus qu'une convention ou que l'expression d'une bonne intention. L'alinéa 52(2)b) de la Constitution indique clairement que :

La Constitution du Canada comprend :

b) les textes législatifs et les décrets figurant à l'annexe;

À l'article 17 de l'annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, on mentionne clairement le « Statut de Westminster », « dans la mesure où ils s'appliquent au Canada ». Par conséquent, le Statut de Westminster, dans la mesure où il s'applique au Canada, fait partie de la Constitution du Canada. Il a les mêmes répercussions constitutionnelles que n'importe quelle autre disposition de la Constitution. Évidemment, en ce qui concerne le projet de loi C-53, c'est le préambule qui fait référence à la succession.

Permettez-moi de vous le lire, parce que je ne pense pas que vous en ayez parlé, monsieur Pelletier : « [...] l'obligation d'assujettir désormais toute modification des règles de succession au trône et de présentation des titres royaux à l'assentiment des parlements des dominions comme à celui du Parlement du Royaume-Uni. »

Cela fait partie de la Constitution du Canada; c'est plus qu'une convention. C'est la responsabilité du Parlement fédéral — du Parlement du dominion — de consentir à toute modification des règles de « présentation des titres royaux » ou « de succession au Trône ».

Manifestement, tel que prévu à l'article sur le Statut de Westminster dans l'annexe, en vertu de l'alinéa 52(2)b) de notre Constitution, lorsque le Parlement fédéral légifère en matière d'expression de son consentement à des changements, il ne fait qu'exercer sa responsabilité constitutionnelle. Par conséquent, je ne pense pas que la question de la Déclaration des droits et des lois régissant la succession soit aussi douteuse que vous ne le laissiez entendre. Ce peut être une question bien intéressante, même si, comme je vous l'ai dit, le préambule est non équivoque. Le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 parle d'« une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni ».

Nous savons tous que la Déclaration des droits et les lois régissant la succession et l'Act of Settlement font partie de la Constitution du Royaume-Uni. En fait, il s'agit des documents fondamentaux de celle-ci. Par conséquent, même si la Déclaration des droits et les lois régissant la succession ne font pas partie en tant que telles de la Constitution du Canada, parce qu'elles ne figurent pas à l'article 17 de l'annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, comme les juges l'ont répété à maintes reprises, leurs principes sont néanmoins partie de la Constitution du Canada. Voilà la nuance qui vient dissiper vos doutes concernant l'importance de ces documents dans la compréhension de notre Constitution.

M. Pelletier : Avec tout le respect que je vous dois, sénateur Joyal, je n'ai pas dit que le Statut de Westminster était conventionnel. J'ai plutôt dit que le consentement prévu au préambule l'était. Le Statut de Westminster fait sans nul doute partie de la Constitution du Canada, en vertu de l'article 17 de l'annexe de la Loi constitutionnelle de 1982. Cela ne fait aucun doute.

Cependant, je ne suis pas le seul à affirmer que le consentement prévu dans le préambule est conventionnel. De nombreux auteurs l'affirment également. Pourquoi? Si ce n'était pas le cas, n'importe lequel des 16 pays participants au processus pourrait recourir à son droit de veto pour s'opposer à un changement aux règles de succession au Trône. Historiquement, il était entendu qu'un tel consentement était conventionnel.

Cependant, je le répète, je n'ai pas dit que le Statut de Westminster ne faisait pas partie de la Constitution du Canada; il en fait effectivement partie.

Le sénateur Joyal : Oui, à mon avis.

M. Pelletier : C'est le cas. Si vous voulez changer le Statut de Westminster, il vous faut alors probablement passer par la partie 5 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit que le consentement prévu dans le préambule — et, si vous le souhaitez, je pourrais vous recommander différents auteurs — est considéré comme étant conventionnel. Je ne prétends pas qu'on devrait en abuser ou y accorder peu d'importance, puisque ce consentement est important.

Cependant, ceux qui ont promulgué le Statut de Westminster n'avaient probablement pas l'intention de donner à un dominion le droit de veto sur un changement à la succession au Trône.

Le sénateur Joyal : Certainement pas.

Monsieur Heard, pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez? M. Pelletier et moi-même parlions anglais précisément pour que vous puissiez vous joindre à la discussion.

M. Heard : Merci.

Oui, je suis d'accord avec M. Pelletier. Je pense qu'il est important d'établir une distinction entre la partie du Statut de Westminster qui figure dans le préambule et celle qui figure dans les articles de fond. On ne fait référence au consentement nécessaire pour changer la loi sur la succession que dans le préambule et, par conséquent, cela n'a pas du tout le même poids que si cela figurait dans le corps de la loi.

Il ne faut pas non plus oublier que ce qui est prévu dans le préambule découle d'une série d'ententes issues des conférences impériales de 1926 à 1930. Au cours de ces conférences, on a convenu que dans certaines circonstances, le Royaume-Uni pouvait aller de l'avant sans le consentement à l'égard de la succession, et, si nécessaire, obtenir le consentement après coup.

Le sénateur McIntyre : Le ministre de la Justice et procureur général du Canada a déposé le projet de loi C-53 à la Chambre des communes le 31 janvier de cette année. Le 4 février, la Chambre des communes l'a adopté, par une seule motion, à toutes les étapes, sans débat. Le 5 février, le projet de loi a été déposé et lu pour la première fois au Sénat.

J'ai été quelque peu surpris de voir qu'il n'y avait eu aucun débat à la Chambre des communes sur ce projet de loi. Comme l'a fait remarquer le sénateur Joyal au Sénat récemment, ce projet de loi est important puisqu'il y est question de choisir notre chef d'État.

Je crois savoir qu'on en a débattu au Parlement britannique et à la Chambre des lords. Savez-vous si des débats ont lieu dans d'autres pays du Commonwealth, et si certains d'entre eux se sont opposés au projet de loi britannique?

M. Heard : Je ne suis au courant d'aucune opposition. L'initiative a bénéficié de l'appui généralisé de tous les chefs de gouvernement des royaumes du Commonwealth, les seules différences relevant de la façon de procéder. Comme je l'ai déjà indiqué, tant la Nouvelle-Zélande que l'Australie ont décidé d'adopter leur propre version des lois sur la succession royale. La plupart des parlements des autres pays ne siègent pas pour l'instant, donc nous ne pouvons pas savoir ce qu'ils sont sur le point de déposer. Il est fort possible qu'ils attendent que la loi britannique ait franchi toutes les étapes avant de passer à l'action.

M. Pelletier : Je ne suis au courant d'aucune opposition; je pense que tout le monde est d'accord sur ce principe.

L'un des documents que je vous ai envoyés est rédigé par Paul Bowers pour la Chambre des communes de la Grande-Bretagne. Il s'intitule Succession to the Crown Bill, 2012-13, et explique que même si tous les pays sont d'accord sur le principe, ils ne procèdent pas tous de la même façon en raison de leurs constitutions et des différentes modalités qui s'appliquent à chacun de ces pays.

Dans le cas du Canada, il n'y a que la possibilité de l'assentiment; ce pourrait être suffisant. J'ai dit plus tôt que je souscrivais à la position fédérale, bien que je sache que certains arguments s'y opposent.

Cependant, dans d'autres pays, il pourrait y avoir différentes façons de procéder — peut-être même, dans certains cas, par l'entremise de modifications constitutionnelles. Si l'article 2 de la Loi constitutionnelle de 1867 n'avait pas été abrogé ici, il est possible que nous ayons aussi à réviser officiellement la Constitution, mais l'article a été abrogé.

[Français]

Le sénateur Rivest : Bienvenue au Sénat, monsieur Pelletier; quand vous avez fait allusion à la fin à la question religieuse, c'est quand même reliée historiquement à la Couronne britannique, qu'il pourrait y avoir un léger problème, vous ne le considérez pas comme étant déterminant au titre de l'article 1 de la Charte. Est-ce que le fait, compte tenu de tous les antécédents juridiques, institutionnels et conventionnels qui existent entre le Canada et la Grande-Bretagne, que les catholiques ne puissent pas devenir roi d'Angleterre constituerait une limite raisonnable? Est-ce dans ce sens que vous dites que le test de la Charte pourrait être réussi?

M. Pelletier : Tout à fait, j'ai écrit qu'il y avait une mince possibilité. C'est par mesure de prudence plus qu'autre chose. Je suis à peu près convaincu que cela passerait le test de la Charte. Je parle du projet de loi C-53 tel quel présentement.

D'abord, 16 pays vont adopter les mêmes modifications, peut-être pas de la même façon, mais essentiellement ils vont adopter les mêmes modifications. Il est difficile de dire après que ce n'est pas raisonnable et justifiable dans le cadre d'une société libre et démocratique. C'est d'autant plus raisonnable que c'est fondé sur des motifs historiques. On connaît l'histoire de la Grande-Bretagne, du Royaume-Uni par rapport aux catholiques. On sait que le roi ou la reine devient le chef de l'Église d'Angleterre.

À mon avis, il n'y a pas de risques en vertu de la Charte. S'il s'avérait que quelqu'un conteste, je crois que cela n'irait pas loin.

[Traduction]

M. Heard : L'idée de l'établissement de l'Église au Royaume-Uni est bien différente de notre propre relation avec l'État. Le lien entre l'État et l'Église ne fait ici aucun doute. Le seul problème serait la discrimination religieuse, mais M. Pelletier a déjà très bien traité de la question.

La sénatrice Fraser : Peut-être que je ne suis qu'obnubilée par ce problème qui n'en est pas un, mais ce qui me pose problème, c'est le fait qu'on ait demandé à notre Parlement souverain de consentir à un projet de loi qui a été, « laid before » en anglais, et en français, « déposé devant » le parlement d'un autre pays souverain avant qu'on ait vu la version finale de ce projet de loi. Mon obsession découle de l'utilisation de ces expressions : « laid before » et « déposer devant ». Il me semble qu'il s'agit là d'une approche plutôt étrange, qui pourrait bien poser problème si le Parlement souverain du Royaume-Uni, dans toute sa sagesse, choisissait d'amender le projet de loi. Il n'existerait donc plus dans la forme sous laquelle il a été « déposé devant » « laid before » ce parlement. Suis-je insensée, ou cela pourrait-il poser problème?

M. Pelletier : Vous avez absolument raison.

La sénatrice Fraser : L'un ou l'autre ou même les deux.

M. Pelletier : Cela renvoie à la façon dont le Canada a procédé en 1937 dans le cas de l'abdication. Le Canada a envoyé un télégramme. Quand je dis « le Canada », je veux dire le gouvernement du Canada. Il a envoyé un télégramme indiquant qu'il consentait à l'adoption de la Loi sur l'abdication du Royaume-Uni et ensuite, après coup, il a adopté une loi. J'ai fait remarquer que le Canada avait invoqué l'article 4 du Statut de Westminster tout comme s'il considérait que le droit britannique faisait partie du Canada ou qu'il devrait faire partie du Canada, car si cela n'était pas le cas, il n'y aurait pas de raison d'invoquer l'article 4 du Statut de Westminster.

Dans ce cas-ci, on aurait pu procéder de la même façon et peut-être qu'on aurait dû le faire. Est-ce que le gouvernement du Canada aurait dû tout d'abord exprimer son consentement? Il l'a fait. Ensuite, après coup, il aurait soutenu la loi, mais cela se serait fait par le biais d'une loi miroir. Si vous n'avez qu'une loi qui consent à l'adoption d'une loi britannique, cela doit se faire avant son adoption.

M. Heard : Je crois qu'il nous faut regarder la chronologie également. Nous avons la demande et le consentement qui ont lieu en même temps. Le processus normal aurait été que nous envoyions une demande avant et que nous consentions à ce qui se passait, mais le Statut de Westminster est formulé en fonction d'une demande et d'un consentement octroyé avant qu'un projet de loi ne soit déposé ou adopté par le Parlement du Royaume-Uni. Le libellé de l'article 4 du Statut de Westminster indique assez clairement que la demande et le consentement devraient normalement se concevoir comme précédant l'adoption d'un projet de loi par le Parlement du Royaume-Uni.

Je crois que la procédure est correcte en ce qui concerne le Statut de Westminster, mais vous avez raison, sénatrice Fraser, en disant qu'il semble bizarre que l'on consente à un projet de loi avant d'en voir la forme finale. En ce sens, ce que nous faisons avec le projet de loi C-53 porte sur les enjeux qui sont couverts ici, la fin des progéniteurs mâles, la fin de la Loi sur les mariages royaux et la restriction se limitant à uniquement six degrés de parenté. Nous stipulons ici les enjeux qui nous préoccupent et ceux auxquels nous consentons.

En outre, la sénatrice LeBreton a indiqué au Sénat que si des changements étaient apportés à la loi du Royaume-Uni après l'adoption du projet de loi C-53 ici, il y aurait toujours une garantie en termes de procédure ici, au Canada. Cette loi n'entrerait pas en vigueur à moins d'avoir été proclamée par le gouverneur général. Si de véritables changements de fond allaient à l'encontre de l'esprit de ce dont avait convenu le Parlement du Canada, alors on peut penser que le gouvernement du Canada puisse présenter un nouveau projet de loi, soit pour modifier ceci ou révoquer sa sanction et présenter ses propres enjeux ou ses propres règles de succession royale.

Le sénateur Baker : À ce sujet également, j'imagine que les derniers mots du projet de loi « la présente loi entre en vigueur à la date fixée par décret » serviraient de déclenchement pour présenter un nouveau projet de loi si effectivement le projet de loi actuel n'était pas approuvé dans sa forme actuelle au Parlement britannique. On entend tout le monde dire « d'accord, nous allons adopter ce projet de loi et permettre au gouverneur en conseil de fixer une date » et bien entendu s'il y a un gros changement, eh bien ils ne le proclameraient pas, mais présenteraient un nouveau projet de loi. Est-ce là également votre impression?

M. Heard : C'est bien ce que j'ai compris, oui.

Le sénateur Joyal : La condition c'est que la même session ne peut pas voter deux fois sur la même question. Cela constituerait un problème juridique. Cela fait partie de nos règlements. Nous ne pouvons pas voter deux fois au cours du même Parlement sur la même question. Cela créerait un autre obstacle à surmonter si cela se produisait. Toutefois, cela n'était pas ma question.

Le sénateur McIntyre : Je remarque que la date du 28 octobre 2011 est importante. D'abord, le sommet des chefs du gouvernement du Commonwealth s'est tenu à Perth, en Australie, le 28 octobre 2011. Ensuite, si je ne m'abuse, selon le projet de loi C-53, la nouvelle règle concernant la succession au Trône s'applique aux héritiers nés après le 28 octobre 2011. À votre avis, messieurs, aurait-on dû choisir une autre date que celle du 28 octobre 2011?

M. Pelletier : Je ne suis pas certain de comprendre la question.

Le sénateur McIntyre : Le 28 octobre 2011 était une date importante; elle s'applique aux héritiers nés après cette date. Nous savons que le projet de loi du Royaume-Uni n'entrera pas en vigueur avant d'être passé par les 16 pays du Commonwealth et le Parlement du Royaume-Uni. Bien entendu, la Reine doit donner sa sanction et le signer. Pensez- vous que la date aurait dû être choisie une fois que la Reine aurait signé les documents finaux?

M. Pelletier : Je crois que oui, mais il s'agit là d'une question très théorique, car il n'y aura probablement aucun enfant né avant la sanction de la Reine. S'il devait y avoir une naissance, le projet de loi serait bien entendu rétroactif pour couvrir cet enfant qui serait né entre le moment de la sanction du projet de loi et la date que vous avez mentionnée.

Pour être franc avec vous, je ne suis pas très à l'aise face à cette question. Peut-être que M. Heard pourrait vous donner plus de détails.

M. Heard : Essentiellement, cette date a été choisie, car c'est le moment auquel tous les royaumes du Commonwealth ont consenti à ce changement concernant la succession et ils se sont dit que ces changements devraient entrer en vigueur à partir de ce moment-là. En ce sens, il y a un effet rétroactif, mais cela couvre la période à partir de laquelle les royaumes du Commonwealth ont accepté, par l'entremise de leurs chefs de gouvernement, ce changement à la succession.

[Français]

Le sénateur Joyal : Monsieur Pelletier, je me permets de revenir sur la question de l'application de l'article 41. Le professeur Patrick Taillon, qui enseigne à la faculté de droit de l'Université Laval, a publié un article le 3 février dernier sur le projet de loi sur la succession. Il soutient dans son article que le projet de loi en question et je cite :

[...] touche directement à la charge de la Reine qui est constitutionnellement protégée par la Constitution de 1982.

Toute sa théorie, son interprétation dans le long article qu'il publie est fondée sur le fait que l'article 31 prévoit que toute modification à la charge de la Reine doit être soumise évidemment à la formule de l'unanimité. Il concluait son article en disant que par conséquent, les provinces devraient chacune exprimer leur consentement aux modifications contenues au projet de loi C-53.

Pouvez-vous ré-exprimer les raisons pour lesquelles vous croyez que le professeur Taillon est dans l'erreur d'interpréter les modifications recherchées par le projet de loi C-53 comme affectant la charge de la Reine définie à l'article 41.1 de la Constitution?

M. Pelletier : Effectivement en tout respect pour M. Taillon, qui est un grand juriste, je vous dirai que je ne suis pas du tout de son avis.

L'article 41 parle de « la charge », « the office ». À mon avis, cela renvoie au pouvoir, au statut, au rôle constitutionnel du monarque, mais pas à la question de savoir qui peut succéder à la reine.

Si nous avions été en présence d'un sujet susceptible d'une modification constitutionnelle, en 1937, le Canada plutôt que d'invoquer l'article 4 aurait dû carrément dire : on demande à Londres de modifier la Constitution canadienne pour agréer l'abdication. Ce n'est pas de cette façon qu'on a procédé. On n'est pas en présence d'une modification constitutionnelle.

Des juristes sérieux et crédibles le prétendent. Je suis convaincu que si la question devait être posée à la Cour suprême du Canada, à savoir si les provinces ont le droit de veto sur la question en cause ici, je crois que la réponse serait non, entre autres, parce que la relation entre les lieutenants-gouverneurs et la Reine est une relation qui n'est pas directe. Les lieutenants-gouverneurs ne sont pas nommés par la Reine, ils le sont par le gouverneur général. Les relations des lieutenants-gouverneurs chez nous avec la Reine sont différentes de celles qui existent en Australie, à titre d'exemple.

Cela m'a permis de dire tout à l'heure que s'il y avait une Couronne et que cette Couronne obéissait à un ensemble de règles, à mon avis, ce n'était pas l'intention de donner un droit de veto à chaque province — notamment en raison de ce lien trop indirect qui existe entre les provinces, les lieutenants-gouverneurs et Sa Majesté.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Monsieur Heard, avez-vous entendu la réponse du professeur Pelletier à la question? Le projet de loi C-53 a-t-il un effet sur la charge de Reine, en vertu de l'article 41 de la Constitution?

M. Heard : Je ne le crois pas. La réponse à cette question dépend de la façon dont vous percevez la charge de Reine telle qu'elle existe en vertu de notre Constitution actuelle. À mon avis, cela est formulé de manière à ce que la disposition constitutionnelle canadienne prévoie que quiconque est monarque du Royaume-Uni est notre reine ou notre roi. Si la charge de Reine, telle que l'indique la Constitution canadienne, inclue directement ces règles de succession, que nous essayons de changer au Canada, eh bien je serais d'accord avec les arguments présentés dans l'article. C'est là une des mésententes et peut-être un des malentendus sur la nature de ce que représente la charge de Reine au Canada et sur la façon dont elle est constituée. Il est important de souligner que la fonction est limitée par rapport à la charge de Reine au Royaume-Uni. La charge de Reine comporte certains pouvoirs en vertu de la Loi constitutionnelle de 1982, pouvoirs qui sont nécessaires pour le fonctionnement de notre gouvernement. Toutefois, inhérente à cette charge est la règle fondamentale de la reconnaissance que la personne qui occupe ce poste est choisie par les règles de succession du Royaume-Uni. Ces règles de succession ne font pas partie de notre charge. Notre charge indique que ces règles de succession sont déterminées par le Parlement du Royaume-Uni.

La sénatrice Fraser : En guise de questions complémentaires et pour plus de certitude sur la question, tout le monde pense à ce projet de loi et aux effets qu'il a sur le droit d'une fille à hériter du trône. Évidemment, la Reine ne peut pas choisir le sexe de ses descendants. Le projet de loi limite également strictement un des pouvoirs réels qu'elle conserve, à savoir s'opposer au mariage de bien des gens — tous les descendants, sauf six de George II. Certaines de ces personnes peuvent être canadiennes; qui le sait? À ma connaissance, elle n'a pas exercé ce pouvoir sur des Canadiens, mais à des fins purement juridiques, je voudrais m'en assurer et faire figurer au dossier que vous ne pensez pas que cela fasse partie de la charge de Reine, même si le projet de loi du Royaume-Uni que nous nous apprêtons à approuver y fait allusion.

M. Heard : Non, je ne crois pas.

[Français]

M. Pelletier : Je ne le crois pas non plus. Je ne crois pas que cela fasse partie des pouvoirs de la Reine, en droit du Canada, et deuxièmement, même si cela en faisait partie, je ne crois pas que cela fasse partie de sa charge au sens de l'alinéa 41a) de la Loi constitutionnelle de 1982.

La sénatrice Fraser : C'est cela.

[Traduction]

La sénatrice Buth : Pourriez-vous nous dire ce qui arriverait si ce projet de loi n'était pas adopté?

M. Heard : À ma connaissance, le droit britannique entrerait en vigueur, peu importe ce qu'il adviendra de ce projet de loi. Ce projet de loi est une exigence politique conventionnelle — une subtilité, si vous le voulez. Toutefois, il n'est pas essentiel pour déterminer un changement à la succession au trône du Royaume-Uni et qui par la suite serait notre chef d'État. Un certain nombre de commentateurs en Angleterre ont indiqué que ce changement entrera en vigueur, quel que soit l'assentiment donné par les royaumes du Commonwealth.

En ce qui concerne la situation canadienne, cela n'aura aucune incidence. Ainsi, le consentement est un protocole d'accord symbolique et politique, mais il ne constitue pas une nécessité juridique et ne changerait pas les résultats si le projet de loi venait à être rejeté ou s'il venait à échouer.

M. Pelletier : Je suis d'accord avec cette opinion. J'ai indiqué plus tôt que, à mon sens, l'assentiment prévu dans le préambule du Statut de Westminster était uniquement conventionnel.

Ensuite, le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 indique que le souverain du Royaume-Uni est le souverain du Canada. S'il devait y avoir un changement de souverain au Royaume-Uni, ce changement se reflétera au Canada.

Toutefois, encore une fois, avons-nous besoin d'apporter un changement à la loi canadienne? Je ne le pense pas, mais certains prétendent que oui. Je soutiens la position du gouvernement fédéral.

[Français]

Le sénateur Joyal : Monsieur Pelletier, lorsque l'article 41 fait référence à la charge de la Reine — en anglais the office of the Queen —, pouvez-vous être plus spécifique sur ce que ces termes recouvrent?

M. Pelletier : Oui. Par exemple, sénateur, il y a la nomination des sénateurs, qui est prévue à l'article 24 de la Loi constitutionnelle de 1867. Si nous voulions que, dorénavant, le gouverneur général n'ait plus de rôle par rapport à la nomination des sénateurs, nous devrions modifier l'article 24 et cela tomberait sous le couvert de l'article 41a). Même chose pour le pouvoir de sanction du gouverneur général et l'article 55 de la Loi constitutionnelle de 1867. Même chose pour le rôle des lieutenants-gouverneurs et pour l'abolition de la monarchie. L'abolition de la monarchie ne peut passer que par la règle de 41a).

Ce dont on parle ici, ce sont des pouvoirs et des prérogatives de la reine qui sont constitutionnalisés, parce que certains ne le sont pas. Ils sont constitutionnalisés dans une des lois dont fait mention le paragraphe 52(2) de la loi de 1982. Si c'est un pouvoir de Sa Majesté ou de ses représentants que l'on retrouve dans la Loi constitutionnelle de 1867, la modification va passer par 41a).

Le sénateur Joyal : Est-ce que vous incluriez le pouvoir législatif de la reine, puisque la reine proclame les lois sur avis et consentements du Sénat et de la Chambre des communes? Si on devait retirer le Sénat de l'exercice du pouvoir législatif par le souverain, est-ce que cela n'affecterait pas l'article 41, à votre avis?

M. Pelletier : Vous êtes dans l'hypothèse d'une abolition du Sénat?

Le sénateur Joyal : Oui, par exemple.

M. Pelletier : Je ne crois pas que cela toucherait au statut de la Reine conformément à l'article 41a) parce que la Reine continuerait d'être une composante du Parlement canadien. Mais certains juristes vous diront que, cependant, il faudrait modifier la procédure de modification constitutionnelle et il faudrait appliquer aussi la règle de l'unanimité en vertu de 41e). Mais là, il y a un débat entre les juristes. Soit on applique 41e), qui est la règle de l'unanimité, soit on applique 42b) qui touche aux pouvoirs du Sénat.

Mais minimalement, je dis bien, l'abolition du Sénat passerait par la procédure 7/50, et peut-être même, comme je l'ai dit, l'unanimité.

Le sénateur Joyal : Oui mais, à l'article 17, on dit bien que le Parlement du Canada est constitué de la Reine, du Sénat et de la Chambre des communes. Donc la Reine, lorsqu'elle exerce son pouvoir législatif, l'exerce en tant que constituante du Parlement avec les deux avis qu'elle doit nécessairement recevoir.

Si vous modifiez l'exercice du pouvoir législatif de la Reine, à mon avis, il y a des chances que vous ayez un impact sur la charge de la Reine, comme l'article 41 le mentionne.

M. Pelletier : Deux choses, sénateur : premièrement, l'hypothèse que vous m'avez soumise c'est l'abolition du Sénat, et je vous ai dit que je ne croyais pas que cela affectait la charge de la Reine qui demeurerait une composante du Parlement du Canada en vertu de l'article 17 et de l'article 91 de la plus Loi constitutionnelle de 1867.

Deuxièmement, les quelques arrêts de jurisprudence qui existent jusqu'à présent en matière de modification constitutionnelle — il y en a quelques-uns mais aucun de la Cour suprême, dois-je dire — ne nous permettent pas d'aller aussi indirectement dans l'application des procédures.

Je vais vous donner un exemple. Dans le cas de la déconfessionnalisation du système scolaire québécois, on aurait pu prétendre que cela touchait l'Ontario parce qu'il y avait eu une espèce de compromis Ontario-Québec sur cette question. Mais la Cour d'appel du Québec s'est refusée d'aller aussi indirectement dans l'application de la procédure.

J'en viens à croire que la cour n'irait pas aussi loin que ce que vous suggérez, mais je répète que beaucoup d'auteurs estiment que l'abolition du Sénat, c'est 41e). Donc, de toute façon, c'est l'unanimité.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Monsieur Heard, avez-vous des commentaires additionnels sur la définition de la « charge de Reine » et sur ce que nous devrions interpréter par l'expression « la charge de Reine » qui est utilisée à l'article 41?

M. Heard : Oui, je crois que la « charge de Reine » à laquelle il est fait allusion ici se veut être un sens très étroit. Je sais qu'un certain nombre d'experts prétendent que cela devrait inclure toutes les fonctions de la Reine et les pouvoirs de la Reine, mais je ne pense pas que ce soit pratique ni même que ce soit l'intention. À mon avis, cela comprend l'existence de la monarchie — et donc son abolition serait certainement couverte ainsi — mais également, après cela, uniquement les pouvoirs précis qui sont mentionnés dans les documents constitutionnels inclus dans la liste que l'on retrouve à l'article 52 de la loi de 1982. Ainsi, je ne pense pas que tous les pouvoirs de la Reine fassent partie de l'expression « charge de Reine » en ce sens. Je vais m'expliquer.

Les pouvoirs très importants de la Reine sont des prérogatives conférées par la common law. Je crois que c'est une grave erreur que de considérer ces prérogatives conférées par la common law comme faisant partie de la Loi suprême de la Constitution et ne pouvant pas être affectées par une loi ordinaire et pouvant uniquement être changées par le biais d'une procédure de modification formelle. Je crois que c'est une règle qui a été bien établie dans notre Constitution qui nous vient de la position britannique disant que les pouvoirs de la Reine du monarque provenant de prérogatives conférées par la common law sont assujettis à des amendements, une abrogation ou à des changements au moyen d'une loi dans un processus législatif ordinaire.

Si l'on suit la même logique, je dirais que l'entendement que l'on donne à l'expression « charge de Reine » est vraiment très étroit.

Le président : Monsieur Heard et monsieur Pelletier, merci beaucoup pour votre contribution très intéressante à nos délibérations. Nous l'apprécions grandement.

Nos prochains témoins viennent de la Fondation du patrimoine royal du Canada, qui est un organisme caritatif d'éducation nationale, dont le mandat consiste à conserver, présenter et rehausser le patrimoine royal du Canada. Elle a été fondée en 1994. Elle entretient des archives ainsi qu'une bibliothèque, un musée et des galeries d'exposition, ainsi qu'un site web. La fondation vient en aide à des étudiants et au grand public. Elle effectue de la recherche historique et offre des présentations communautaires ainsi que des présentations publiques.

Les témoins qui comparaissent ici aujourd'hui sont Garry Toffoli, directeur général de la fondation, et Paul Benoit, vice-président.

Messieurs, j'imagine que l'un d'entre vous a une déclaration préliminaire.

[Français]

Paul Benoit, vice-président, Fondation du patrimoine royal du Canada : Au nom de la Fondation du patrimoine royal du Canada, j'aimerais vous remercier de nous avoir invités à participer à cette discussion sur un projet de loi qui, pour l'ensemble de la population, peut paraître un peu éloigné de leurs préoccupations ordinaires.

Comme l'a si bien exprimé le sénateur Joyal en Chambre l'autre jour, je crois que ce sujet est au cœur même de notre Constitution, qui nous ressemble un peu en tant que Canadiens, et fait de notre société une société civile.

J'aimerais commencer par vous lire deux petits extraits du Statut de Westminster. Il en était question lors des témoignages que nous venons d'entendre, et je pense qu'il doit peut-être y régner encore un peu de confusion. Dans les extraits du Statut de Westminster, le langage est très précis et contrairement à ce que pensent d'autres témoins, nous croyons qu'il y a une grande différente entre « assent » et « consent ».

Vous êtes tous familiers avec le deuxième paragraphe qui fait partie du Statut de Westminster et qui est contenu dans le projet de loi C-53. Le troisième paragraphe du préambule se lit comme suit, et je cite :

[Traduction]

Attendu qu'est également conforme à cette situation constitutionnelle la règle selon laquelle les lois désormais adoptées par le Parlement du Royaume-Uni ne peuvent faire partie du droit d'un dominion qu'à la demande et avec le consentement de celui-ci.

[Français]

Cette même idée de consentement est reprise à la section 4 du Statut de Westminster. Je vous lis la section numéro 4.

[Traduction]

Les lois adoptées par le Parlement du Royaume-Uni après l'entrée en vigueur de la présente loi ne font partie du droit d'un dominion que s'il est expressément déclaré dans ces lois que le dominion a demandé leur édiction et y a consenti.

[Français]

Sur cette base, je vais maintenant céder la parole à mon collègue, M. Garry Tiffoli, qui va faire un résumé de notre mémoire.

[Traduction]

Garry Toffoli, directeur général, Fondation du patrimoine royal du Canada : Dans notre mémoire, nous avons donné une explication plus détaillée de notre position, mais pour vous en exposer les grandes lignes, l'hypothèse voulant que le projet de loi C-53 est suffisant repose sur quatre arguments : Un, que la Reine du Royaume-Uni est automatiquement la Reine du Canada; deux, que le Royaume-Uni contrôle la Loi sur la succession et peut l'appliquer au Canada; trois, qu'il n'existe aucune loi canadienne sur la succession; et quatre, que la Couronne du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande, telle qu'elle est mentionnée dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, signifie aujourd'hui la Couronne du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et non la Couronne du Canada.

Ces quatre théories ont été rejetées en 1936 lors de l'abdication du roi Édouard VIII. Le gouvernement du Canada et le Parlement canadien, le gouvernement du Royaume-Uni et le Parlement du Royaume-Uni ont tous convenu du fait qu'il n'y avait pas de transfert automatique de la succession après l'abdication d'Édouard VIII jusqu'à l'accession au trône de George VI. Lorsqu'Édouard VIII a rédigé l'ébauche de son instrument d'abdication, au départ il ne mentionnait que le Royaume-Uni. Une fois que les dominions l'ont entérinée, l'instrument d'abdication, dans sa forme finale, mentionnait son abdication du Royaume-Uni et des dominions britanniques.

Ensuite, la question consistait à savoir comment appliquer cette abdication et la succession de George aux différents dominions. C'est la différence entre le fait de donner assentiment au projet de loi ou à la loi et la demande et le consentement. Le Parlement du Royaume-Uni et le gouvernement et le Parlement canadien ont accepté que cette loi devait être incluse dans les lois du Canada, et le processus par lequel cela a été effectué a été un décret exigeant que le Parlement du Royaume-Uni intègre la loi sur la modification et la succession aux lois du Canada, pas simplement de l'appliquer au Canada, mais qu'elle fasse partie intégrante des lois du Canada. C'est ce qu'indique l'article 4 et ce qui a été invoqué.

Il convient de se rappeler qu'il y avait cinq dominions en 1936, et quatre processus différents ont été utilisés pour appliquer l'abdication à ces dominions. C'est seulement au Canada que la demande et l'assentiment que la loi soit intégrée aux lois du Canada a été invoquée. Le Canada était unique, et c'est un aspect que l'on pourrait aborder, si vous le souhaitez, dans les questions. Comme nous l'expliquons dans notre mémoire, c'est la raison pour laquelle cela n'a pas été fait pour les quatre autres dominions.

L'assentiment des parlements, auquel on fait référence dans le préambule, est une mesure de courtoisie; il ne s'agit pas d'une exigence juridique. En fait, aucun parlement des dominions n'a donné son assentiment au préalable : c'est la façon dont cela a été appliqué aux parlements. L'assentiment du Parlement du Canada a été donné trois mois plus tard, le 31 mars 1937, rétroactivement. En fait, l'assentiment du Parlement canadien a été donné au nom du roi George VI, qui était déjà le souverain en droit, au moment du changement à la succession, ce qui de toute évidence n'aurait pas été logique si cela avait été une exigence. La loi au Royaume-Uni est au nom du roi Édouard VIII.

Les faits de 1936 ont confirmé que cela n'était pas automatique : il fallait que ce soit intégré aux lois du Canada. Ce qui a été confirmé en 1952-1953 au moment de l'accession au trône de la Reine. Il convient de remarquer, par exemple, que le juge en chef du Canada et le Conseil privé de la Reine du Canada ont proclamé Sa Majesté souveraine du Canada avant qu'elle soit proclamée souveraine au Royaume-Uni. Si le souverain du Royaume-Uni était devenu souverain du Canada, le juge en chef n'aurait pu émettre cette proclamation en premier. Ce serait illogique. Je ne veux pas laisser entendre que le juge en chef a mal agi en 1952, mais plutôt l'inverse.

Une autre occasion probablement moins marquante, date de 1981, lorsque la Reine a appliqué la Royal Marriages Act au Canada. Lorsque le prince de Galles s'est marié à Diana, qui est devenue la princesse de Galles, la Reine, en vertu de la Royal Marriages Act, a proclamé son consentement à ce mariage au Conseil privé de la Reine du Canada, en plus de l'avoir proclamé au Conseil privé de la Reine au Royaume-Uni.

On a soulevé un argument concernant la Couronne canadienne. La Couronne canadienne est une version évoluée de la Couronne de Grande-Bretagne et d'Irlande à laquelle il est fait référence dans la Loi sur l'Amérique du Nord britannique ou Loi constitutionnelle de 1867. Aucune loi n'a créé la Couronne canadienne. En quelque sorte, tout l'ADN de la Couronne de 1867 est contenu dans la Couronne du Canada. La notion selon laquelle la Couronne à laquelle on a fait référence en 1867 signifiait une Couronne du Royaume-Uni moderne est incorrecte aux fins du droit canadien. La Couronne du Canada est l'héritière de la Couronne du Royaume-Uni à laquelle il est fait référence dans la Loi sur l'Amérique du Nord britannique et devrait être comprise de cette façon.

Ce n'est pas tant le projet de loi lui-même qui nous pose problème mais plutôt les notes et les arguments qui l'ont accompagné. Le projet de loi du Royaume-Uni qui a été adopté ne prétend pas être appliqué au Canada. Le projet de loi C-53, de par son essence, ne prétend pas appliquer le projet de loi du Royaume-Uni au Canada ou modifier les lois régissant la succession au Canada, puisqu'en fait il ne fait rien. Il donne un assentiment de courtoisie qui n'était pas nécessaire d'un point de vue juridique en 1936. Il n'y a aucune raison pour laquelle on pourrait refuser de le faire, mais dans les faits, cela n'a aucune répercussion sur les lois régissant la succession. On pourrait dire que le projet de loi pourrait être adopté tel quel, car il ne cause aucun préjudice. Cependant, si l'objectif du Parlement est de modifier les règles de succession au Canada, alors le projet de loi C-53 n'a aucun objectif.

Pour modifier les règles de succession, il faut une loi nationale canadienne. Le fait de savoir si cela doit faire l'objet d'une loi du Parlement du Canada ou si cela exige une modification de la Constitution à laquelle les provinces doivent donner leur consentement, est une question qui se prête au débat, nous sommes d'accord. Nous sommes d'avis que l'obtention du consentement des provinces serait très logique, mais ce n'est pas une solution définitive et absolue. Le Parlement peut aussi agir sans le consentement des provinces.

Nous avons laissé entendre que l'un des aspects de ce que faisait l'assentiment du Parlement canadien en 1937 était de créer la loi concernant la succession au Trône dans le droit canadien, comme loi canadienne, en plus du fait que la Grande-Bretagne l'applique au Canada. Par conséquent, il y a un mécanisme que nous recommanderions, à savoir que le Parlement modifie la Loi de 1937 concernant la succession au Trône, qui incorpore toutes les lois régissant la succession. Nous sommes d'accord sur le fait qu'il se peut que cela n'exige pas de modification de la Constitution, mais ce pourrait ne pas être le cas.

Le président : Merci, monsieur Toffoli.

Nous avons environ 20 minutes, j'invite donc des membres du comité et les témoins à être aussi concis que possible afin de permettre au plus grand nombre possible de sénateurs de poser leurs questions.

La sénatrice Fraser : La Loi de 1937 à laquelle vous faites référence est la Loi concernant la modification de la loi concernant la succession au Trône.

M. Toffoli : La Loi de 1937 est la Loi concernant la succession au Trône du Canada, par laquelle on a donné assentiment de l'abdication de Sa Majesté en 1936.

La sénatrice Fraser : Il se peut que je ne parle pas de la même. Celle à laquelle je fais référence a reçu l'assentiment du gouverneur général le 31 mars 1937 et concerne entièrement le roi Édouard VIII.

M. Toffoli : C'est exact.

La sénatrice Fraser : Comment modifieriez-vous cette loi afin d'atteindre les objectifs que vous proposez?

M. Toffoli : Dans l'Annexe 1 de la loi, on indique que le fait que les descendants d'Édouard VIII ne sont pas en mesure de lui succéder au Trône. Cela amène la question de la succession dans le droit canadien. Ensuite, les trois parties de l'Annexe 2 sont intégrées dans le droit canadien. La première partie concerne vraiment la règle de la primogéniture, car il y est fait référence au prochain héritier dans la ligne de succession au Trône, à savoir George VI.

La sénatrice Fraser : Je sais que le président va m'interrompre.

M. Toffoli : Je pense que cela pourrait être fait en modifiant l'Annexe 2, les trois parties faisant référence à l'Act of Settlement, à la Royal Marriages Act et aux règles de succession pourraient ensuite être modifiées pour y apporter des changements proposés.

Le président : Allez-y si vous avez une autre question.

La sénatrice Fraser : Je m'efforçais de suivre vos consignes concernant le fait d'être concis.

Le président : Vous êtes la seule personne sur ma liste pour le moment.

La sénatrice Fraser : Je voulais aussi faire preuve de respect à l'égard de mon collègue. Je peux attendre une deuxième série de questions, s'il doit y en avoir une.

Le sénateur Joyal : Le Parlement du Royaume-Uni a le pouvoir, et il est le maître des lois régissant la succession en Grande-Bretagne et au Royaume-Uni. Compte tenu du principe de symétrie enchâssé dans notre Constitution, toute personne qui accède au Trône du Royaume-Uni devient le roi ou la reine du Canada. Par conséquent, est-ce que vous trouvez que le projet de loi C-53 serait redondant?

M. Toffoli : En fait, nous pensons plutôt que le dernier élément de votre déclaration est inexact. Quiconque devient souverain au Royaume-Uni n'est pas automatiquement le souverain du Canada.

Par exemple, si le Parlement n'avait pas étendu l'abdication d'Édouard VIII au Canada, il serait resté le Roi du Canada. Ce n'est pas automatique. À notre avis, le projet de loi C-53 ne fait absolument rien. Nous ne nous y opposons pas en un sens. Il y a deux ou trois éléments techniques liés à des citations fautives de la Loi constitutionnelle dans la version anglaise, mais à part cela, il ne change pas vraiment la succession. Il lui donne un sens, mais il ne fait rien de plus. Nous ne nous y opposons donc pas.

Là où nous voulons en venir, c'est que si nous ne faisons rien de plus, et le prince Harry épouse une catholique, il serait exclu de la succession au Trône au Canada, même s'il n'a pas été exclu.

Le scénario plus probable, c'est que si la duchesse de Cambridge donne naissance à une fille cet été et à un fils dans un an, le fils sera le roi légitime du Canada dans 50 ans. Cela ne nous touchera pas parce que nous serons probablement tous morts quand le fils ou la fille de William et Catherine accédera au Trône, mais nous allons léguer un problème aux générations futures parce que nous n'aurons pas changé la loi au Canada en adoptant tout simplement le projet de loi C-53. Il faut faire plus. Nous ne nous opposons pas au projet de loi, mais il faut faire plus.

En 1936, nous avons fait deux choses : le Parlement a donné son assentiment à titre rétroactif, mais ce n'est pas la sanction du Parlement qui a changé la succession pour le Canada. C'est la demande et le consentement présentés par le Conseil privé du Canada au Parlement du Royaume-Uni afin que le changement s'applique aux lois du Canada. C'est cela qui a changé les choses pour le Canada, et non pas seulement la sanction.

Comme je l'ai dit, aucun parlement n'a donné son assentiment à l'époque. À ce moment-là, le Parlement de la Nouvelle-Zélande ne siégeait pas, celui de l'Afrique du Sud a trouvé que ce n'était pas nécessaire et celui de l'Irlande n'en voulait pas. En Australie, une lutte interne faisait rage et le Parlement n'adoptait que les résolutions du Sénat et de la Chambre des communes. Le Parlement du Canada ne siégeait pas.

La sanction, c'est bien beau, mais cela ne fait pas grand-chose. Il faut appliquer la loi aux pays de la façon appropriée, quelle qu'elle soit. C'est d'ailleurs ce que font actuellement la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Elles ne font pas que donner leur consentement; elles modifient leurs lois. Je suppose que les autres dominions feront de même.

Le sénateur Joyal : Il ne faut pas oublier que l'article 4 du Statut de Westminster était en vigueur à ce moment-là.

M. Toffoli : C'est exact.

Le sénateur Joyal : Comme vous le savez, il n'est pas applicable au Canada depuis 1982.

Si la Grande-Bretagne ne peut pas légiférer pour le Canada, le Canada doit acquiescer, d'une façon ou d'une autre, aux changements, ou y donner son accord.

M. Toffoli : Il le ferait en changeant les lois du pays, ce que font actuellement la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Elles donnent leur consentement en modifiant la loi de la Nouvelle-Zélande pour l'uniformiser avec la loi du Royaume- Uni. Elles donnent leur consentement parce qu'elles changent leurs lois nationales.

Selon nous, puisque le Parlement, en 1936, a intégré les lois régissant la succession aux lois du Canada, nous avons les moyens d'agir. Quant à savoir si c'est en adoptant une loi toute nouvelle et tout à fait distincte, c'est au Parlement d'en décider. Le Canada doit soit adopter une loi du Parlement, si la question ne relève que du pouvoir du Parlement; ou il doit apporter une modification à la Constitution si, de fait, les provinces ont voix au chapitre, en vertu de l'article 41. Il ne suffit plus seulement de donner son consentement au Parlement du Royaume-Uni, pour aucun des royaumes, puisqu'aucun d'eux n'est plus assujetti à l'article 4. Les royaumes, quels qu'ils soient, devront obéir à leurs propres lois.

Notre loi la plus récente en la matière est la Loi de 1937 sur la succession au trône. Au moins, nous avons une loi portant sur cette question. Il y a moyen de la modifier, si c'est ce que vous voulez, ou encore de créer une toute nouvelle loi. Le Parlement a le droit de créer une nouvelle loi s'il juge trop compliqué de travailler avec la loi de 1937, mais toujours est-il que c'est la plus récente. Nous avons une loi sur la succession au Canada, celle de 1937. C'est dans la loi. Ce n'est pas de la théorie. C'est quelque chose qui a été enchâssé dans la législation du Canada par le Parlement.

Le sénateur Joyal : Donc, vous pensez que nous devrions adopter une loi sur la succession qui comprendrait les modifications qui sont envisagées dans le projet de loi qu'étudie actuellement Westminster?

M. Toffoli : Ce que nous pensons, comme l'a dit le juge Rouleau, c'est que ce soit ou non constitutionnel, avant 1936, la loi sur la succession héréditaire au trône a été appliquée au Canada. S'il y a le moindre doute, il faut savoir qu'en 1936 il y avait une loi très précise à ce sujet. Si ce n'était pas dans les lois du Canada avant 1936, ça l'a été après. La législation canadienne ne peut pas modifier la loi d'établissement, l'Act of Settlement, si l'Act of Settlement n'est pas intégrée à la législation canadienne. Les modifications à la Royal Marriages Act, à l'Act of Settlement et à la règle de primogéniture dans la législation canadienne étaient étendues en 1936 à la fois par le Parlement du Royaume-Uni et par l'acte confirmatif qu'a adopté le Parlement canadien. Il n'aurait pas été possible de les modifier s'ils n'avaient pas été intégrés ici. En modifiant l'Act of Settlement en fonction du Canada, nous avons convenu que l'Act of Settlement a été intégré à la législation du Canada par l'action du Parlement du Royaume-Uni en 1936. Selon nous, donc, cette loi fait partie de notre législation depuis 1936 et nous avons le pouvoir et le droit de la modifier.

Vous avez sûrement raison en disant que nous ne pouvons plus pousser le Parlement du Royaume-Uni à le faire. C'aurait été possible jusqu'en 1982, si le Parlement du Royaume-Uni avait abrogé la Loi de 1937. Ce n'est plus possible. Si cela avait été fait avant 1982, ç'aurait été différent. Maintenant, selon nous, nous avons à tout le moins ce qui a été intégré à notre législation en 1936. C'est avec cela que nous devons travailler, et nous le pouvons. C'est ce que devrait faire le Parlement.

Le sénateur Joyal : Quel est votre avis, en ce qui concerne la charge de Reine, à l'article 41. Pensez-vous qu'il faille l'accord des provinces pour adopter le genre de loi que vous envisagez?

M. Toffoli : Tout porte à le croire, mais selon nous, cela dépend. Si on se fie à la Loi de 1937, c'était une loi du Parlement du Canada. Nous convenons qu'elle n'est pas directement ou spécifiquement partie intégrante de la Loi constitutionnelle. Par conséquent, la question qui se pose est la suivante : avec l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982, est-ce que la Loi de 1937 sur la succession au trône était assujettie aux dispositions de l'alinéa 41a). Cela reste à savoir, et nous en convenons. Si le mode de révision de la Loi constitutionnelle s'applique aux lois particulières du Canada, elle y serait assujettie. La question qui se pose vraiment est la suivante : Est-ce que la loi de 1937 s'applique à l'article 44 de la Loi constitutionnelle, en ce qui concerne le mode de révision, ou à l'alinéa 41a)? Nous n'en sommes pas sûrs. Comme cela touche les provinces, nous pensons qu'elles diraient que tout porte à le croire. Cependant, le Parlement pourrait aller de l'avant avec une loi du Parlement bien simple et si aucune province ne s'y objecte, ce serait considéré comme un assentiment, ou ce ne serait pas forcément prendre une modification constitutionnelle. Peut-être l'assemblée provinciale pourrait-elle émettre une résolution disant qu'elle ne voit pas d'objection à ce que le Parlement modifie la Loi de 1937 pour changer la disposition liée à la succession.

C'est quelque chose d'intéressant en Australie. Ils soutiennent que c'est différent, chez eux. Le Parlement de l'Australie, le Parlement du Commonwealth, a demandé aux États d'adopter des lois permettant précisément au Parlement de faire quelque chose qui, normalement, exigerait aussi l'assentiment des États. Nous n'avons pas de disposition de ce genre, mais c'est ce qu'eux font. L'État du Queensland s'est opposé à cela et adopte ses propres mesures législatives pour que la loi soit en vigueur dans le Queensland. Ils sont en pleine dispute constitutionnelle, en Australie, sur la manière de l'appliquer. Le seul pays où tout soit clair pour l'instant, c'est la Nouvelle-Zélande, parce que c'est un État unitaire.

M. Benoit : Dans le cadre de ce débat sur la pertinence ou non de la participation des provinces, il me semble que la Loi constitutionnelle de 1982, qui traite du mode de révision qu'en ce qui concerne la charge de Reine — et je souligne que « charge » en français a une connotation légèrement plus restreinte que, en anglais, « office of the Queen ».

Je vais faire une analogie. Dans le domaine du commerce international, quand on parle d'accès à un marché, un marché est certainement fonction de l'accès qu'on peut y avoir, et c'est ce qui le détermine. D'une certaine façon, ce qu'on envisage ici, dans le flot, c'est la libéralisation de l'accès à une fonction. C'est une fonction centrale. C'est la fonction que nous reconnaissons tous. Elle est au cœur de notre Constitution. Dans le fond, cela revient à la libéralisation de l'accès à une fonction. Avec le temps, le Parlement a décidé de limiter cet accès, au moyen de diverses lois. Maintenant le vent a tourné et souffle peut-être dans le sens de la libéralisation de cet accès, et tous les chefs de gouvernement des royaumes du Commonwealth en ont convenu. C'est ce que nous faisons. La libéralisation de l'accès à la fonction, à mon avis, modifie certainement cette fonction, et d'autres analogies peuvent être faites avec d'autres aspects du droit international.

Cela fait cependant partie du débat parallèle qu'on peut avoir sur la mesure dans laquelle les provinces interviennent ou non. Cependant, ce qui est important, c'est qu'il faut faire plus que de donner notre assentiment. Je conviens qu'on peut donner son assentiment à la déclaration que fait quelqu'un. C'est un assentiment. Le consentement, comme dans l'expression « âge de consentement » entend la maturité et l'autodétermination. Nous ne sommes pas encore passés par le consentement. Depuis 1982, nous avons défini une formule pour ce processus, et c'est lui que nous devons maintenant mettre en œuvre.

M. Toffoli : Pour ce qui est de la charge de Reine, je dois expliquer ce que je voulais dire, au sujet des citations fautives de la Constitution dans le projet de loi C-53. Puisque j'en ai parlé, je pense que je dois m'expliquer. Dans le préambule, on lit « Attendu que la Loi constitutionnelle de 1867 » et là, l'anglais dit « provides » alors que le français dit « déclare » que Sa Majesté la Reine est investie du pouvoir exécutif pour le Canada ». C'est le français qui est juste — « déclare ». La Loi constitutionnelle ne dispose pas, elle déclare que ce pouvoir existe. C'est un concept important. Les articles 9 et 15, qui portent sur le commandement de la milice, sont explicites. Ce sont des articles interprétatifs. La Loi constitutionnelle ne conférait pas le pouvoir à la Reine. Le pouvoir de la Constitution lui est conféré par la Reine. Ce qui manque, dans la Loi constitutionnelle, c'est « continueront d'être et sont attribués ». L'idée, c'est que c'est une déclaration interprétative, et qu'aucune nouvelle reine n'est créée. Le pouvoir de la Reine, ou la charge de Reine, ou quel que soit le terme qu'on veut lui donner, lui a été attribué avant la Confédération et continue. Les deux versions, la française et l'anglaise, sont inexactes puisqu'il y manque la notion de « continuer ». Dans la version anglaise, l'erreur est dans le terme « provides » alors que ce devrait être « declared » comme dans le français, « déclaré ». Cela nous pose problème. C'est une interprétation erronée du statut de la Couronne.

Cela témoigne de l'évolution de la Couronne. L'acte de l'ANB n'a pas créé de nouvelles Couronnes. C'est la même que celle qui existait avant l'acte de l'ANB. À l'époque, on considérait la Couronne comme une seule entité, mais aujourd'hui elle s'est multipliée en plusieurs Couronnes comme le suggère le préambule. Ces Couronnes ne sont pas créées par la Couronne unique. L'acte de l'ANB précise que le Canada est sous la souveraineté de la Couronne du Royaume-Uni, et non celle du Canada. C'est pour cette raison que nous prétendons qu'il n'y a aucune Couronne du Royaume-Uni et de l'Irlande aujourd'hui. Ce royaume n'existe pas. La Couronne a évolué. Si l'on croit que la Couronne est devenue celle du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et de l'Irlande du Nord, alors elle peut tout aussi bien devenir la Couronne du Canada. C'est pour cette raison que nous croyons qu'il faut éviter d'interpréter que le Canada est subordonné aux lois du Royaume-Uni et de la Couronne du Royaume-Uni. Il y a une Couronne du Canada, mais elle est issue de cette première Couronne; il ne s'agit pas d'une nouvelle création. C'est un peu comme si la Couronne de 1867 était nos grands-parents qui sont peut-être décédés ou encore nos arrière-grands-parents qui sont peut-être décédés. Nous sommes cousins. Nous avons hérité de tout cela. Nous sommes indépendants l'un de l'autre, mais nous avons l'ADN de nos ancêtres. La Couronne d'avant a disparu; elle n'existe pas. On ne peut donc pas s'y référer. Il faut se référer aux Couronnes modernes.

Le sénateur Joyal : Je dois dire que je suis d'accord, car le texte anglais de la partie 9 de la Constitution est plutôt clair :

The Executive Government and Authority of and over Canada is hereby declared to continue and be vested in the Queen.

Il est parfois utile de consulter le texte français, comme l'a fait M. Benoit un peu plus tôt :

À la Reine continueront d'être et sont par la présente attribués le gouvernement et le pouvoir exécutifs du Canada.

Cela veut dire que la situation existait avant la Constitution.

M. Toffoli : Tout à fait. Il ne s'agit pas uniquement d'une question de langue. Si vous consultez l'article 17 de la Loi constitutionnelle de 1867, celui qui crée le Parlement, étant donné que le Parlement du Canada est une nouvelle création, le pouvoir de la Reine ne continue pas. Avec les changements au libellé de l'article 17, ça devient « Il y aura, pour le Canada, un Parlement qui sera composé de la Reine..., du Sénat et de la Chambre des communes. » On exprime donc le pouvoir exécutif de façon déclaratoire. On crée l'organe législatif par voie législative.

Le sénateur Joyal : Comme vous le savez, nous n'avons pas rédigé le projet de loi C-53. Nous l'avons reçu de l'autre endroit tel quel. Ils ne l'ont pas étudié à l'autre endroit. Ils n'ont même pas cru qu'il était suffisamment important pour l'étudier pendant 10 minutes. Mais voilà une toute autre question.

Je souhaite retirer ma déclaration, monsieur le président.

D'après vous, pourquoi les parties n'ont-elles pas inclus la loi régissant la succession dans l'Annexe de la Loi constitutionnelle?

M. Toffoli : Je n'en suis pas certain. Il se peut que personne n'y ait pensé. C'est toujours possible. Elles ont peut-être aussi cru qu'il n'y avait aucun besoin de l'inclure puisque des mesures avaient été prévues en 1936.

J'ai dit qu'il y avait quatre raisons possibles, et peut-être que cela répondrait à la question. En 1936, l'Australie et la Nouvelle-Zélande n'avaient pas adopté l'article 10 du Statut de Westminster, qui mettait en œuvre l'article 4 pour eux. Ils n'étaient donc pas visés par l'article 4. Par conséquent, lorsque la loi régissant la succession a changé au Parlement britannique, elle s'appliquait automatiquement à l'Australie et à la Nouvelle-Zélande en 1936, puisque ces pays n'étaient pas indépendants comme l'était le Canada. Ils ont adopté les articles en question en 1942 et en 1947 respectivement. Lorsque l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont ensuite adopté l'équivalent de notre Loi constitutionnelle de 1982, ils ont pris des dispositions concernant la Loi de succession puisque cela n'avait jamais été fait dans leur cas en 1936.

C'est ainsi que j'explique la différence. Dans notre cas, c'était fait en 1936, donc nous n'avons pas eu à répéter l'exercice en 1982. L'Australie et la Nouvelle-Zélande, pour leur part, ne l'avaient pas fait en 1936. Ils ont donc dû le faire avant d'éliminer l'article 4, sans quoi ils n'auraient eu aucune façon de composer avec cette situation.

D'après moi, c'est ainsi qu'on explique le fait qu'ils aient agi à ce moment-là. De notre côté, cela a été fait en 1936. Aucun besoin donc de répéter l'expérience en 1982. Nous ne pouvons pas savoir pour quelle raison exactement nous n'avons pas agi en 1982, mais d'après moi, c'est parce que le Canada l'avait déjà fait.

La sénatrice Fraser : Cela répond à ma question. J'allais poser une autre question au sujet des provinces.

Le président : Notre temps est écoulé. Messieurs, je vous remercie pour votre exposé fort intéressant. Nous vous remercions de votre aide dans nos délibérations.

Je rappelle aux membres du comité directeur que nous aurons une brève réunion suite à la réunion actuelle.

(La séance est levée.)


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