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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 33 - Témoignages du 25 mars 2013


OTTAWA, le lundi 25 mars 2013

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 55, Loi modifiant le Code criminel, se réunit aujourd'hui, à 14 h 1, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à mes collègues, à nos invités et aux membres du public qui assistent aujourd'hui aux délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Nous nous réunissons aujourd'hui pour poursuivre l'examen du projet de loi C-55, Loi modifiant le Code criminel, qui donne suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Tse. Je rappelle aux personnes qui suivent nos délibérations que les séances du comité sont ouvertes au public et sont également offertes en webdiffusion sur le site web parl.gc.ca. Vous trouverez également de plus amples renseignements sur la comparution des témoins sous la rubrique « Comités du Sénat ».

Pour notre première table ronde, nous accueillons à nouveau, de Justice Canada, Donald Piragoff, sous-ministre adjoint principal; et Karen Audcent, avocate-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal. Ils n'ont pas de remarques liminaires à faire, alors nous allons immédiatement passer aux questions, en commençant par la vice- présidente du comité, la sénatrice Fraser.

La sénatrice Fraser : Bonjour. Merci beaucoup d'être ici. Votre aide nous est très précieuse.

J'essaie de mettre de l'ordre dans ma tête avec tous les différents petits éléments de ce projet de loi et j'aimerais vous poser une question qui porte précisément sur les rapports annuels. Il me semble, à moins que j'aie manqué quelque chose, que nous demandons au ministre de soumettre un rapport fédéral qui est substantiellement plus détaillé que les rapports provinciaux sur les mesures prises par la police provinciale. Ai-je raison? Éclairez-moi.

Karen Audcent, avocate-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, Justice Canada : Ces rapports contiennent les mêmes détails. Si vous avez cette impression, c'est simplement parce que le libellé fait un renvoi au rapport fédéral, lequel contient tous les détails.

La sénatrice Fraser : D'accord, passons aux détails. Les détails m'ont l'air assez précis; on en parle sur plus d'une page. Toutefois, une des choses qui me frappent, et ce serait très intéressant pour nous au Parlement de savoir, c'est combien de ces interceptions n'aboutissent pas à des accusations ni même à des enquêtes plus poussées sur des choses qui sont mises au jour grâce à l'utilisation de ces tables d'écoute. Pourquoi ces interceptions n'ont-elles pas été incluses? Je veux dire par là celles qui ne fonctionnent pas, celles qui s'avèrent être de fausses alarmes.

Donald Piragoff, sous-ministre adjoint principal, Justice Canada : Merci, madame la sénatrice. Il est difficile de faire rapport sur un fait non accompli, car il peut s'agir d'un chiffre infini. Si vous regardez la partie sur les rapports, au premier paragraphe, on dit que toutes les personnes qui ont fait l'objet d'une interception doivent en être avisées.

La sénatrice Fraser : Je parlais des rapports au Parlement.

M. Piragoff : Ah, je vois. Tout sera inclus dans le rapport. On doit faire rapport au Parlement du nombre total de personnes qui ont fait l'objet d'une interception et ensuite, il y a certaines sous-catégories; si l'interception a mené la police à porter des accusations, il faut en faire rapport. Si elle a donné lieu à des poursuites, il faut également en faire rapport. Bref, il s'agit de faits accomplis, c'est-à-dire des choses qui se produisent réellement et sur lesquelles on doit faire rapport, mais si rien ne se passe, on fait rapport sur un incident qui ne s'est pas produit. Il est facile de calculer les interceptions qui n'ont abouti à rien. Si on connaît le nombre total d'interceptions et qu'on y soustrait ensuite celles qui ont fait l'objet de poursuites, on saura alors ce qui n'a pas fait l'objet de poursuites.

La sénatrice Fraser : Au départ, je pensais qu'on allait simplement nous laisser faire le calcul. Toutefois, supposons qu'une interception mène à plus d'une poursuite pénale contre plus d'une personne; dans ce cas-là, les rapports présentés au Parlement ne nous permettront pas de savoir combien de ces interceptions ont été, en quelque sorte, réellement productives pour le système judiciaire, c'est-à-dire combien ont mené à des infractions, à des enquêtes plus poussées, et cetera, et combien se sont avérées des impasses ou de fausses alarmes, comme je l'ai dit. En tout cas, je ne vois pas ici suffisamment de renseignements à ce sujet — peut-être que j'ai mal lu encore une fois, ce qui est possible. Pourriez-vous m'indiquer comment on pourrait extraire ces renseignements de ces rapports?

M. Piragoff : Comme je l'ai dit, il est difficile de faire rapport sur un fait non accompli. Je ne parle pas uniquement des interceptions prévues à l'article 184.4, car ce que nous avons essayé de faire, c'est de reproduire les modalités de présentation de rapports pour l'article 184.4, d'après l'interception des communications régulières aux termes de l'article 186 ou de l'article 188, c'est-à-dire les cas normaux dans lesquels on doit effectivement obtenir une autorisation.

Ce qui arrive parfois dans des cas d'interception de communications, c'est qu'on commence par mettre sur écoute une personne — plus précisément, son téléphone. En écoutant la conversation, on ne trouve rien de probant sur cette personne, mais en raison de ce que d'autres personnes ont dit, on commence alors une nouvelle enquête sur quelqu'un d'autre. Cela arrive assez souvent dans le cas de transactions de stupéfiants. On met quelqu'un sur écoute et, au bout du compte, rien n'arrive à la personne qui a fait l'objet de l'interception. Toutefois, de fil en aiguille, à la suite de conversations entre cette personne et d'autres, on entame d'autres enquêtes. Certaines de ces enquêtes peuvent en fait mener à des accusations; voilà pourquoi je dis qu'il est difficile de faire rapport sur un fait non accompli — car comment peut-on en faire le calcul? Toutes les personnes qui ont appelé ce numéro de téléphone et qui par la suite n'ont jamais fait l'objet d'accusation aboutissent à un résultat négatif.

La sénatrice Fraser : Je ne pensais pas aux personnes impliquées. Je pensais au nombre réel d'interceptions faites par les policiers. Combien d'entre elles seraient en réalité productives? Dans combien de cas vous êtes-vous rendu compte, après la mise sur écoute, que non seulement la cible directe n'a rien à voir avec cette affaire, mais que ses interlocuteurs n'y ont rien à voir non plus, ce qui fait que vous devez fermer le dossier et le mettre de côté? La police doit savoir cela, n'est-ce pas?

Mme Audcent : Nous avons essayé de faire en sorte que ce soit le plus conforme possible aux modalités de présentation de rapports qui sont en vigueur. La disposition en matière de présentation de rapports que l'on propose dans le projet de loi C-55 reflète ce qui est en vigueur à l'heure actuelle. Pour l'instant, en ce qui concerne les rapports sur les interceptions de communications normales, le point de mire a toujours été, comme l'a mentionné M. Piragoff, sur les résultats positifs — en d'autres termes, combien d'interceptions y a-t-il eu, combien ont mené à des poursuites et combien ont donné des renseignements qui, plus tard, ont mené à quelque chose d'autre. Vous pouvez voir cela dans la liste.

Dans la pratique, les autorités responsables de se conformer à ces exigences de rapports n'auront qu'à poursuivre leurs pratiques actuelles en matière de présentation de rapports, mais elles devront y ajouter l'article 184.4. Nous avons vraiment essayé d'instaurer une démarche très conforme aux pratiques existantes et aux renseignements dont vous parlez, c'est-à-dire les interceptions qui n'ont mené à rien. Vous pouvez peut-être tirer certaines conclusions à partir des chiffres globaux, par rapport aux cas qui ont réellement débouché sur quelque chose. Je pense qu'il est juste de dire que le calcul n'est pas toujours évident, mais c'est le système dont nous disposons à l'heure actuelle, et nous essayons de continuer cette démarche, tout en incluant l'article 184.4.

La sénatrice Fraser : La prochaine fois que vous proposerez des changements, vous pourriez peut-être suggérer que tout le système inclut cette information.

Mme Audcent : Oui, et nous n'avons pas revu les choses de fond en comble.

La sénatrice Batters : Merci d'être venus aujourd'hui et de nous aider avec ce projet de loi important. Pourriez-vous s'il vous plaît nous expliquer quel est le processus de surveillance judiciaire normal pour les interceptions de communications?

Mme Audcent : Le processus normal d'écoute électronique est prévu aux articles 185 et 186, et il y a quand même pas mal de conditions à remplis : on doit être en mesure de prouver au tribunal que d'autres méthodes ne pouvaient pas être utilisées; on doit expliquer ses motifs; évidemment, on doit aussi expliquer ce qu'on a l'intention de faire, quelles sont les cibles et les méthodes utilisées, entre autres choses. Tous ces renseignements sont soumis au tribunal par voie de déclaration assermentée; ensuite, le tribunal prend sa décision d'autoriser ou non l'utilisation de cette technique intrusive. C'est évidemment assez différent de ce que l'on trouve à l'article 184.4, et cela prend plus de temps. Voilà pourquoi il faut imposer les circonstances exceptionnelles prévues à l'article 184.4.

Il y a également le processus intermédiaire prévu à l'article 188; il s'agit d'un processus accéléré pour des situations d'urgence. Il n'est pas aussi complet que celui des articles 185 et 186 dont je vous ai parlé; c'est un processus abrégé, c'est-à-dire qu'il aboutit uniquement à une autorisation abrégée sur une période de 36 heures en cas d'urgence. Les tribunaux examinent ensuite la demande faite aux termes des articles 185 et 186 avec un dossier plus complet. Bref, ce processus permet aux tribunaux d'autoriser quelque chose à court terme.

Ensuite, l'article 184.4 qui fait l'objet du projet de loi C-55 prévoit un délai encore plus court pour permettre une réponse réellement rapide, mais la police envisagerait alors immédiatement d'invoquer les articles 188, 185 et 186, en vue d'aller devant le tribunal et d'obtenir l'autorisation du tribunal pour lui permettre de continuer l'enquête, si cela s'avère nécessaire.

M. Piragoff : J'ajouterais que le processus normal fait appel à un juge spécialement désigné d'une cour supérieure. Ces demandes ne sont pas soumises à un juge d'une cour provinciale ni à un juge de paix; il faut que ce soit un juge d'une cour supérieure, et il y en a certains qui sont désignés pour s'occuper de ces demandes.

En outre, la demande doit être faite par un procureur général spécialement désigné; c'est donc très limité. Pour obtenir une autorisation normale d'interception de communications, il faut parfois plusieurs jours, voire parfois des semaines, rien que pour préparer les affidavits. Il s'agit d'un processus très exigeant. La Cour suprême y a d'ailleurs fait allusion dans son arrêt dans la cause Tse en disant qu'en raison du processus normal qui devrait être suivi, même si c'est en application de l'article 185 ou 186, ou du processus plus rapide prévu par l'article 188, le temps nécessaire pourrait en fait mettre en danger la vie des gens. La Cour suprême a précisé que c'était justement pour cette raison que le Parlement avait créé cette disposition précise en 1993, afin de faire face aux situations où il faut procéder immédiatement à une interception de communications. En effet, s'il s'agit d'un enlèvement ou d'une prise d'otages, chaque seconde compte, et c'est une question de vie ou de mort pour les otages.

La Cour suprême a expliqué que la disposition prévue à l'article 184.4 était structurée de manière à permettre une interception immédiate des communications. La police n'a pas besoin de parler à un juge et d'obtenir l'approbation d'un policier désigné supérieur; on installe la table d'écoute et on s'occupe de la procédure administrative après coup, s'il y a lieu de croire que l'interception va durer plus d'une heure ou deux. La cour a déclaré très fermement que des délais inhérents sont prévus dans le processus. Plus le temps passe, plus il devient raisonnable de faire appel à un juge, auquel cas on devrait mettre fin à l'interception et entamer une nouvelle interception de communications. Tel est le processus général.

La sénatrice Batters : Merci. C'est très utile.

Certaines des organisations qui sont intervenues dans la décision R. c. Tse ont exprimé leur appui aux amendements qui sont actuellement proposés au Comité permanent sur la justice et les droits de la personne de la Chambre des communes. Pourriez-vous nous indiquer le genre de soutien qu'ont témoigné ces organisations?

Mme Audcent : De façon générale, le projet de loi a été accueilli positivement par le groupe d'avocats de la défense en droit criminel qui a comparu devant la Chambre des communes, la British Columbia Civil Liberties Association. On a également reçu des mémoires de l'Association du Barreau canadien. Essentiellement, tous ces témoins ont indiqué que le projet de loi apportait, selon eux, des changements très positifs et qu'il répondait à la décision de la Cour suprême. Ils ont formulé certaines suggestions d'amendements que la Chambre des communes n'a finalement pas adoptés, mais de manière générale, tous ces témoins estimaient que le projet de loi était une mesure positive.

Le président : J'ai une question supplémentaire, si vous me le permettez. Vous avez expliqué que le processus normal prend des jours, voire des semaines, et je me suis dit que c'était principalement à cause de l'exigence de démontrer que rien d'autre ne pourrait fonctionner. Ma question ne se rapporte pas nécessairement au projet de loi, mais n'avons- nous jamais pensé à trouver des façons de réduire l'importance accordée au processus qu'il faut suivre pour obtenir une autorisation? Y a-t-il du travail qui se fait actuellement là-dessus, au ministère?

M. Piragoff : Le ministère est en train d'examiner, en consultation avec les provinces, les dispositions en matière d'interception des communications. Une des façons d'obtenir l'autorisation pour faire des écoutes électroniques avec moins de paperasserie, c'est la disposition prévue à l'article 188, dont Mme Audcent a parlé. Aux termes de cette disposition, on n'a pas besoin de se soumettre à tout le processus administratif; on peut faire une demande verbale. La Cour suprême a clairement dit qu'on pouvait présenter une demande de vive voix aux termes de l'article 188. C'est au juge d'une cour supérieure que le policier désigné doit présenter sa demande, mais cette écoute électronique ne dure que, tout au plus, 36 heures. Encore une fois, l'article 184.4 prévoit une structure qui permet de dire : « Procédez à votre écoute électronique immédiatement, si vous êtes dans une situation d'urgence. » Ensuite, il y a un autre type d'écoute électronique pour lequel on peut obtenir une autorisation en vertu de l'article 188, en en faisant une demande verbale à un juge, et qui durera jusqu'à 36 heures. S'il faut poursuivre l'écoute au-delà de cette limite, on devra alors entamer une procédure intégrale pour obtenir l'autorisation de cette interception.

La raison pour laquelle il y a toute cette paperasserie administrative, c'est qu'il s'agit d'établir un véritable équilibre entre, d'un côté, la nécessité de cette procédure dans le cadre d'une enquête et, de l'autre côté, les droits des Canadiens et des particuliers à la vie privée et à la protection des renseignements personnels. Le Parlement a indiqué que le caractère privé des conversations était de la plus haute importance, et c'est pour cela que nous avons les différentes mesures de protection.

Le président : L'exigence de prouver que rien n'a fonctionné ou ne pourra fonctionner est, en quelque sorte, le champ d'activité des avocats de la défense. Quoi qu'il en soit, je vais maintenant céder la parole au sénateur Baker.

Le sénateur Baker : S'il y a des discussions avec les provinces, on pourrait peut-être proposer que tout le processus se fasse par téléphone. Depuis des années, nous avons l'article 487.1 pour les télémandats : à n'importe quel moment de la journée ou de la nuit, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, des juges de cours provinciales sont disponibles partout au pays pour donner le feu vert sur-le-champ, par le biais du formulaire 5.1 envoyé par télécopieur dans la voiture de police à des fins d'autorisation. Je suis certain qu'il existe une meilleure façon de s'y prendre, comme le président l'a laissé entendre, mais je ne vais pas vous demander de commenter là-dessus. Il s'agit d'une opinion.

Je ne sais pas si vous voulez commenter cette question : un grand nombre de Canadiens pensent que quiconque a fait l'objet d'une interception des communications téléphoniques par la police, tout Canadien dont le domicile ou la voiture ont été mis sur table d'écoute devrait en être avisé, une fois que le dispositif d'écoute est enlevé ou une fois que le téléphone n'est plus sur écoute. S'ils ne font pas l'objet d'accusations, ils devraient en être avisés. Ce projet de loi ne fait pas cela. Il ne le fait que pour les objets.

Je remarque que la Cour suprême du Canada a fait preuve d'une énorme prudence dans son jugement — elle n'aurait pas l'être plus. La cour dit « les personnes visées » — on parle de personnes visées. Ce projet de loi ne s'applique qu'aux personnes visées, et non pas, comme vous l'avez dit tout à l'heure, aux dizaines de téléphones qui sont sur écoute — l'ancien chef de police qui est en face de vous le confirmera. La plupart des mandats comportent une disposition omnibus ou des dispositions semblables — l'autorisation d'écouter les entretiens téléphoniques de bien des gens. Cependant, ces gens-là ne sont pas inclus dans cette procédure de notification.

En ce qui concerne les personnes dont le téléphone a été mis sur écoute dans le cadre d'une enquête de la police, a-t- on proposé qu'elles en soient averties, même si elles n'étaient pas visées par l'autorisation?

M. Piragoff : Ce qui est visé, c'est le numéro de téléphone qui est intercepté. C'est la cible. Quant à savoir qui utilise le téléphone, c'est différent. On vise un numéro de téléphone bien précis, qui généralement, appartient à une personne, laquelle devient la cible. Des gens peuvent appeler ce numéro de téléphone, mais la police ne connaît pas leur identité. Toutes sortes de gens peuvent appeler un numéro et ils ne disent pas : « Salut, mon nom c'est Untel, et je vis à telle adresse. » Ils appellent tout simplement à ce numéro, laissent un message ou ont une conversation.

On ne sait pas qui est à l'autre bout du fil; et on ne le saura peut-être jamais. On ne peut pas aviser des gens dont on ne connaît pas l'identité. C'est pourquoi le processus prévoit qu'il faut aviser les gens dont on connaît l'identité. On sait qui est le propriétaire du téléphone, parce que c'est la personne enregistrée à ce numéro. Si la police connaît l'identité de deux personnes qui s'entretiennent dans une pièce, elle est obligée de les aviser. J'ai bien fait attention quand j'ai dit que bien des gens peuvent appeler à un numéro de téléphone, mais ils ne deviennent pas pour autant des cibles.

Le sénateur Baker : En effet. Dans le cas d'une autorisation aux termes de l'article 186, on constate qu'il y a trois ou quatre personnes dont les téléphones sont visés, et plus loin, on voit qu'il y a d'autres autorisations pour l'ajout de numéros de téléphone au fur et à mesure que des gens appellent à ce numéro. D'autres autorisations suivent, pour ajouter les gens qui téléphonent à ce numéro, et l'écoute de certains téléphones est interrompue au cours de l'enquête.

Je vais lire une phrase tirée de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Michaud c. Québec. Au paragraphe 118, on lit ceci :

De plus, nous tenons à souligner que ce pourvoi ne soulève pas la question des droits des interlocuteurs de la cible ou d'un tiers non accusé et non ciblé dont la communication a été interceptée mais qui ne reçoit pas d'avis en vertu de l'art. 196 du Code criminel.

M. Piragoff : C'est exactement à cela que je voulais en venir. Certaines personnes ne sont pas avisées parce qu'on n'en connaît pas l'identité.

Le sénateur Baker : Toutefois, leur téléphone a été mis sur écoute.

M. Piragoff : Si c'est le cas, elles deviennent des cibles.

Le sénateur Baker : Tout le monde est avisé.

M. Piragoff : Si les interlocuteurs deviennent des cibles.

Le sénateur Baker : Les tierces parties.

M. Piragoff : Les tierces parties peuvent être des gens dont on ne connaît pas l'identité. Donc, on ne peut pas les aviser.

Le sénateur McIntyre : Il est évident que diverses conditions et contraintes sont enchâssées dans l'article 184.4, dans sa forme actuelle. Ces conditions et contraintes resteront partie intégrante de l'article 184.4 si le projet de loi est adopté. Par exemple, la Couronne doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que ces conditions et contraintes ont été respectées — on emploie des expressions comme « motifs raisonnables et probables », « diligence raisonnable », « urgence d'une situation », « dommages sérieux », et cetera. Ce ne sont pas des termes vagues, et ils font partie intégrante du dossier pour la Couronne.

Par-dessus le marché, on a ajouté des garanties constitutionnelles supplémentaires au projet de loi C-55, notamment celles qui concernent les avis, la présentation de rapports et la restriction du recours aux policiers et aux infractions énumérées à l'article 183 du code. Est-ce que vous connaissez d'autres contraintes, conditions ou garanties constitutionnelles, à part celles que j'ai déjà énumérées, qui devraient être intégrées au projet de loi C-55?

Mme Audcent : La Cour suprême a seulement dit que les avis seraient nécessaires à des fins de conformité à la loi constitutionnelle. Pour ce qui est des autres garanties constitutionnelles qui ont été ajoutées, la Cour suprême a indiqué que le gouvernement aurait intérêt à envisager une définition plus étroite d'agent de la paix, mais elle n'a pas déclaré que c'était nécessaire sous l'angle constitutionnel. Pour ce qui est de l'autre mesure, c'est-à-dire la limitation aux infractions prévues à l'article 183 et l'ajout d'exigences en matière de présentation de rapports, la Cour suprême a jugé que ce n'était pas nécessaire d'un point de vue constitutionnel. Le projet de loi va un peu plus loin que ce qui serait exigé sur le plan constitutionnel, d'après la décision rendue dans l'affaire Tse, car il limite davantage les pouvoirs conférés par l'article 184.4.

M. Piragoff : Puis-je fournir une réponse plus simple? Cela revient aussi à la question qu'a posée la sénatrice Batters. En gros, il y a trois séries de propositions. Dans la première, la cour a déclaré que c'est une lacune constitutionnelle et que la présentation d'avis réglera cette lacune. Le gouvernement aurait pu s'en tenir à cela, et il y aurait eu un article dans le projet de loi. Cependant, d'autres problèmes ont été soulevés devant les tribunaux. Ils se classent en deux catégories : dans la catégorie intermédiaire, la cour a décrété que ces suggestions et propositions, quoique bonnes, ne sont pas nécessaires sur le plan constitutionnel. Elle a dit que ce sont de bonnes politiques et que c'est au Parlement de décider s'il faut les adopter ou non.

Vient ensuite une troisième catégorie d'autres enjeux qu'ont soulevés les parties quand elles ont demandé à la cour de prendre une décision, notamment en ce qui concerne les délais ou les périodes déterminées. La cour a dit, au fond, que ce n'était pas nécessaire. Quand on lui a demandé si le policier devrait tenir un registre et inscrire les motifs précis de sa décision de mettre quelqu'un sur écoute, la cour a déclaré que ce serait bien, mais que ce n'était pas nécessaire.

Certains témoins qui ont comparu à l'autre endroit, et probablement d'autres qui viendront comparaître, parleront de certains éléments de la troisième série qu'ils voulaient, en tant que parties, faire accepter par la cour, mais que la cour a rejetés. Et puis il y a la solution intermédiaire, que la cour ne juge pas constitutionnellement nécessaire, mais qu'elle qualifie de bonne politique; elle laisse le Parlement en décider, parce que ce n'est pas son rôle à elle. La seule chose qui se trouve dans la première série, c'est l'avis, et la cour a dit qu'il faudrait énoncer l'exigence en matière d'avis, pour que ce soit constitutionnellement valable. Quand on parle de propositions, il ne faut pas oublier ce qui est exigé sur le plan constitutionnel, ce que la Cour suprême qualifie de bonne politique, et les autres bonnes idées.

Le projet de loi est considéré comme une réponse à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Tse, pour combler la lacune constitutionnelle et tenir compte des trois ou quatre propositions qui, selon la cour, sont de bonnes idées de politiques que le Parlement devrait envisager. Cependant, le projet de loi ne traite pas de tous les autres problèmes qui pourraient être réglés, en ce qui concerne la mise sur écoute. Je sais que le comité s'intéresse à cet aspect et souhaite en discuter, parce que ce sont des questions stratégiques. Toutefois, le projet de loi vise à régler les enjeux de la première et de la deuxième catégorie, mais pas ceux de la troisième. Je sais que certains témoins qui ont comparu à l'autre endroit et qui témoigneront probablement ici aussi voudront parler de cette troisième catégorie.

Le sénateur White : Quand je lis la liste des infractions, j'essaie de comprendre pourquoi on n'a pas divisé ces infractions selon, d'un côté, les situations exceptionnelles — le mode de mise sur écoute dont nous discutons aujourd'hui — et de l'autre, les cas pour lesquels il faut une autorisation en bonne et due forme. Je suis heureux des changements apportés, surtout en ce qui concerne l'agent de la paix par opposition à l'agent de police. Cependant, quand je regarde cette liste d'infractions, j'ai du mal à comprendre que ce sont les policiers, à eux seuls, qui pourraient avoir besoin de mettre un téléphone sur écoute, dans des circonstances exceptionnelles — pour la collusion dans les soumissions, ce genre de choses. Est-ce qu'on y a pensé? L'un pourrait faire partie de l'autre, mais sans nécessairement être inclusif, par exemple.

Mme Audcent : Pour l'article 184.4, nous avons adopté la même démarche que pour les autres dispositions relatives à la mise sur écoute; autrement dit, nous en avons faisant une infraction visée à l'article 183. Toutefois, quand on regarde bien les conditions préalables à l'article 184 et à son application, il est clair que certaines des infractions énumérées à l'article 183 sont très peu susceptibles de causer des dommages sérieux à une personne ou à un bien.

Le sénateur White : La deuxième question se rapporte à ce que disait le sénateur Baker. Je me souviens d'une pizzeria qu'on mettait sur écoute à une certaine heure tous les soirs, et il nous fallait écouter en direct les appels reçus à ce numéro. Est-ce que ce ne serait pas une solution aux préoccupations du sénateur Baker, c'est-à-dire que les juges imposent l'écoute en direct de façon à ce qu'on ne repère pas les 75 personnes qui commandent une pizza de format moyen, mais seulement les gens qui commandent de la cocaïne avec leur pizza?

Mme Audcent : Cela arrive. Les tribunaux peuvent imposer l'écoute en direct dans les situations comme celles que vous venez de décrire. Souvent, quand on pense pouvoir intercepter des communications entre l'avocat et son client, le tribunal peut imposer une condition d'écoute en direct pour limiter ces communications.

La sénatrice Fraser : Je suis décontenancée. Je suis sûre qu'il y a une bonne explication, mais j'ai besoin de l'entendre.

À partir de la page 5, on propose l'article 196.1 qui porte sur l'avis écrit; le paragraphe (3) énumère, me semble-t-il, des motifs très exhaustifs pour lesquels un juge peut accorder une prolongation de la période avant qu'un avis soit requis. On parle d'une prolongation d'une durée maximale de trois ans. J'ai interrogé le ministre à ce sujet, la semaine dernière.

Ensuite, au paragraphe 196.1(5), il s'agit clairement d'infractions graves, mais je ne vois pas en quoi c'est nécessaire. Pourquoi a-t-on besoin du paragraphe (5) quand le paragraphe (3) semble pouvoir ratisser tellement large?

Mme Audcent : La raison d'être du paragraphe (5), c'est que dans le contexte d'une demande normale de prolongation, il faut démontrer que l'une des enquêtes est toujours en cours. Cependant, on estime que dans le contexte des enquêtes sur les infractions liées au crime organisé et au terrorisme, il est implicite qu'on pourrait avoir besoin de prolongation. Si on peut démontrer qu'on a affaire à ce genre d'enquête, on n'a pas besoin de démontrer aussi que l'enquête est toujours en cours. Voilà la distinction.

La sénatrice Fraser : Mais si vous demandez une prolongation, n'est-ce pas forcément parce que l'enquête se poursuit? Ou est-ce l'un de ces merveilleux cas où le gouvernement veut avoir toute l'information, en tout temps, sur tout ce qui bouge?

Mme Audcent : Si vous voyez bien, au paragraphe (3), il s'agit de l'enquête sur l'infraction à laquelle est liée l'interception, ou d'une enquête subséquente sur une infraction qui a été entreprise en conséquence de renseignements obtenus dans le cadre de l'enquête visée à l'alinéa a). Ce n'est pas n'importe quelle enquête en cours; ces critères particuliers doivent être remplis. Pour l'autre, évidemment, comme vous l'avez dit, il faudrait que quelque chose de pertinent soit en cours, mais dans le contexte du terrorisme et du crime organisé, on pense que, compte tenu de la nature de ces infractions, les exigences spécifiques à la poursuite de l'enquête peuvent être levées, et cela reprend ce qui est prévu à l'article 196.

M. Piragoff : Par ailleurs, il est bien stipulé au paragraphe (5) que le juge peut accorder une prolongation s'il l'estime dans l'intérêt de la justice. La décision n'incombe pas au gouvernement; au bout du compte, c'est le juge qui décide qu'il est de l'intérêt de la justice d'accorder une prolongation de l'avis dans les cas de terrorisme ou de crime organisé, dont les enquêtes peuvent durer très longtemps. Avec le terrorisme surtout, il faut parfois un an rien que pour cerner le groupe.

La sénatrice Fraser : Je comprends très bien ce que vous dites en préambule, monsieur Piragoff. J'étais quelque peu sarcastique. J'ai toutefois été frappée, au fil du temps, par le fait que quand on demande à un service de police, au SCRS ou à quiconque dans ce genre de domaine, de supprimer des noms de leur liste ou de détruire des dossiers, ils y sont très réticents. Je me demandais seulement si cela faisait partie de cette mentalité. Vous n'avez pas besoin de répondre à cela.

La sénatrice Batters : Monsieur Piragoff, vous avez parlé tout à l'heure de trois séries d'éléments : ce qui est nécessaire sur le plan constitutionnel, ce que la cour qualifie de bonnes idées en matière de politiques, mais qui ne sont pas nécessairement exigées, et une liste de mesures souhaitées, mais qui ne sont pas jugées nécessaires. Le gouvernement a intégré, dans le projet de loi, certaines de ces bonnes idées de politiques sur lesquelles la Cour suprême s'est prononcée. Pourriez-vous nous expliquer en quoi consistent ces bonnes idées de politiques?

M. Piragoff : Il y a une proposition qui touche à une lacune constitutionnelle, à savoir l'exigence de donner un avis. Au nombre des recommandations formulées par la Cour suprême, l'une portait sur la garantie visant la présentation de rapports au Parlement, dont on a déjà parlé, c'est-à-dire l'exigence de rendre compte, au Parlement, de l'utilisation. La cour a dit ne pas y voir l'impératif constitutionnel, mais que cela contribuerait à renforcer la reddition des comptes. Selon elle, donc, ce peut être une bonne exigence en matière de politiques, sans que ce soit nécessaire sur le plan constitutionnel.

Au sujet de l'« agent de la paix », la cour a dit avoir quelques réserves en ce qui concerne le large éventail de gens qui, en vertu de la définition de l'expression « agent de la paix », seraient habilités à mettre un téléphone sur écoute en vertu de cette disposition. Elle a néanmoins ajouté que les faits dont elle avait été saisie concernaient un agent de police et que, par conséquent, elle ne s'occuperait pas de cette question. Selon elle, le Parlement devrait examiner cette question, et bien entendu, le projet de loi restreint la définition des personnes qui peuvent tirer parti de cette disposition; on passe d'un concept plus vaste « d'agent de la paix » à une catégorie plus limitée de « policier ».

Le quatrième enjeu consistait à remplacer les limitations de l'acte illicite par une limitation beaucoup plus restreinte, au moyen d'un renvoi aux infractions prévues à l'article 183. Là encore, comme l'a dit le ministre la semaine dernière, il s'agit d'améliorer la reddition des comptes et de mieux informer le public au sujet de la portée des pouvoirs de la police.

Le sénateur Baker : Tout d'abord, selon cette disposition, un rapport doit être rédigé après la fin de chaque année sur les interceptions faites, le recours à l'article dont nous discutons ici au cours de l'année précédente, et ce rapport doit aussi contenir, en regard de l'application de cet article du Code criminel pour l'année antérieure, toute une liste de choses, y compris le nombre de poursuites qui, l'année précédente, ont abouti à une inculpation, et cetera. Si je me souviens bien, les cas de mise sur écoute ne sont jamais résolus en une seule année. Quand on met quelqu'un sur écoute dans le cadre d'une enquête, il se passe bien trois ans avant qu'il y ait un procès, et on ne parle pas encore de condamnation.

Dans de telles circonstances, comment peut-on dresser la liste exigée aux termes du projet de loi?

Ma deuxième question se rapporte au libellé. Je vais lire l'alinéa 195(1)c). Voici ce qui a été ajouté :

c) aux interceptions faites en vertu de l'article 184.4 au cours de l'année précédente, si elles ont trait à une infraction pour laquelle des poursuites peuvent être intentées par le procureur général du Canada.

Rappelons-nous : « les poursuites sont intentées à compter du dépôt d'une dénonciation » — le chef de police, en face, le sénateur Dagenais, intente une poursuite en portant une accusation, et non pas le procureur général du Canada — et deuxièmement, « des poursuites peuvent être intentées par le procureur général du Canada ». En 2006, nous avons modifié la loi. Le procureur général du Canada ne peut même plus intervenir dans des poursuites, à moins d'y avoir été autorisé par le directeur des poursuites pénales. En lisant ce paragraphe tel qu'il est — c'est-à-dire, à première vue —, toute personne serait déroutée par le sens du libellé.

La question que j'ai à vous poser est la suivante : comment est-il possible de fournir ces statistiques en un an, après que des interceptions ont été faites?

Mme Audcent : Vous avez tout à fait raison de dire que ces choses prennent beaucoup de temps. Les rapports permettront de le constater, puisque la GRC fournira des mises à jour. Si on regarde les rapports annuels qui sont déposés actuellement sur la mise sur écoute, la GRC gère cette question en mettant à jour les données fournies. Au moment de préparer ses rapports, elle procède à un examen sur une durée de cinq ans afin de mettre à jour les données. Votre rapport annuel pour l'année en cours pourrait contenir des renseignements mis à jour par la GRC en regard de rapports annuels antérieurs, puisque comme vous l'avez dit, les procès peuvent durer de nombreuses années. C'est ainsi que les données sont aussi à jour que possible. La GRC analysera les données dont elle dispose pour l'année, mais cela peut comprendre une mise à jour des données publiées dans le rapport précédent. Elle décidera, une année, de faire une mise à jour sur les poursuites entamées, et tout le reste, ou sur des poursuites qui ont abouti à une condamnation, dont il a déjà été question auparavant, parce que le processus judiciaire a avancé.

Le sénateur Baker : Les statistiques que nous avons ici ne sont pas exactes?

Mme Audcent : Elles le sont pour l'instant, mais il se peut qu'elles ne reflètent pas, sur cette seule année, des procédures qui durent plusieurs années.

Le sénateur Baker : Elles ne le peuvent pas, parce que la loi l'empêche.

Mme Audcent : Chaque année, les renseignements additionnels sont fournis, au fur et à mesure que le processus avance.

Le sénateur Baker : Voilà les statistiques que nous avons pour 2011 : il y a eu 116 demandes d'autorisation, 167 personnes contre qui des poursuites ont été intentées, 102 personnes qui n'ont pas été identifiées dans l'audit et 1 111 avis qui ont été émis. Ça, c'est pour l'année 2011. Cependant, cela ne traduit pas avec exactitude la situation pour 2011.

Mme Audcent : En fait, mais des données à jour seront ajoutées.

Le sénateur McIntyre : L'article 184.4, dans sa forme actuelle, est en vigueur depuis une vingtaine d'années, puisqu'il a été promulgué en 1993. Dans son témoignage devant notre comité, le ministre Nicholson a parlé de deux cas où cet article avait été appliqué, soit l'affaire R. c. Tse et un cas en Ontario, où la police faisait enquête sur un meurtre commis par fusillade au volant.

Êtes-vous au courant d'autres cas où des représentants de la loi, c'est-à-dire des policiers, ont eu recours à l'article 184.4?

Mme Audcent : Oui. Souvent, c'est dans des cas d'enlèvement, mais il y a eu un autre cas un peu différent de celui dont a parlé le ministre : l'affaire Riley. La police avait appris que quelqu'un allait faire l'objet d'un attentat. C'est semblable à la fusillade au volant, en ce sens que la police craignait qu'il y ait d'autres meurtres, mais dans le cas en question, la police avait eu vent d'un projet d'assassinat alors qu'elle avait mis une ligne sur écoute aux termes de l'article 186. Il lui fallait immédiatement mettre une autre ligne sur écoute pour savoir qui était la cible de ce projet d'assassinat; la police a donc invoqué l'article 184.4. C'est généralement dans le cas d'enlèvement et ce genre de menaces de mort.

Le président : Merci, madame Hudson, monsieur Piragoff. Je vous suis reconnaissant d'être revenus pour aider le comité dans ses travaux. Nous allons suspendre la séance pendant deux minutes pour permettre au groupe de témoins suivant de s'installer.

Je vous présente donc nos prochains témoins, qui viennent du Bureau de l'ombudsman des victimes d'actes criminels du Canada : Chantal Bernier, commissaire adjointe à la protection de la vie privée, et Patricia Kosseim, requête générale principale et directrice générale. Madame Bernier, vous avez préparé des observations préliminaires, alors je vous laisse la parole.

[Français]

Chantal Bernier, commissaire adjointe à la protection de la vie privée, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Je vous remercie de l'invitation que vous m'avez faite pour discuter avec vous cet après-midi de cet important projet de loi.

Je m'appelle Chantal Bernier, commissaire ajointe à la protection de la vie privée et je suis accompagnée cet après- midi par notre avocate générale principale, Patricia Kosseim. La commissaire s'excuse de ne pas avoir pu se plier aux délais du comité pour pouvoir se joindre à vous.

D'entrée de jeu, je voudrais préciser que le projet de loi C-55, loi donnant suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Tse représente un pas dans la bonne direction en matière de protection de la vie privée.

J'exposerai notre position en décrivant d'abord ce que nous considérons être l'enjeu central de ce projet de loi pour ensuite partager nos considérations et notre analyse.

Comme vous le savez, l'arrêt R. c. Tse découle d'un présumé enlèvement survenu en Colombie-Britannique où les policiers ont procédé à l'interception de communications privées sans autorisation judiciaire, invoquant l'urgence de la situation. L'enjeu central est donc le respect du droit fondamental à la vie privée dans le cadre de la protection de la sécurité en cas de situation d'urgence.

Notre commissariat a publié, en 2010, un cadre d'analyse qui cerne clairement les considérations en jeu. En cas de violation de la vie privée dictée par des mesures de sécurité, cette violation doit être justifiée de façon empirique comme étant nécessaire. Si c'est le cas, elle doit être encadrée d'un régime d'imputabilité qui assure la reddition de comptes quant à cette justification. C'est exactement la teneur de l'arrêt de la Cour suprême ici, dans l'affaire R. c. Tse.

De la même façon, dans sa décision, la Cour suprême reconnaît à titre exceptionnel le besoin de procéder à l'interception de communications sans mandat en cas d'urgence pour prévenir des dommages sérieux et imminents à une personne ou à un bien.

Aussi, la cour insiste sur les obligations fondamentales de transparence et de reddition des comptes lors du recours à des pouvoirs si attentatoires. Ceci est primordial lorsque des protections courantes, comme l'obligation d'obtenir une autorisation judiciaire préalable, s'opposent à des cas exceptionnels où il est nécessaire de procéder à l'interception de communications privées.

Le pouvoir de surveiller les communications privées des citoyens est l'un des pouvoirs les plus attentatoires que détiennent les policiers. L'obligation de notification et la reddition de comptes constitueraient des garanties contre le recours excessif à ce pouvoir exceptionnel. Compte tenu de tout ce qui précède, le projet de loi C-55 vise la protection de la vie privée dans le contexte des situations d'urgence de trois façons en particulier :

Premièrement, il impose des contrôles plus explicites en précisant que seuls les policiers — et non tous les agents de la paix — peuvent invoquer cette disposition, et seulement en cas de certains crimes graves.

Deuxièmement, il impose une transparence en exigeant la production continue de rapports publics, dans une disposition similaire aux dispositions existantes relatives à d'autres formes de surveillance électronique.

Troisièmement, il impose un mécanisme de reddition de comptes en exigeant que les personnes visées soient informées.

Je vais maintenant revenir plus en détails sur chacun de ces trois volets en commençant par celui des contrôles.

[Traduction]

Tout d'abord, il faut admettre que des circonstances exceptionnelles ou des situations d'urgence peuvent se présenter dans le cours du travail d'un policier ou d'une enquête criminelle. C'est ce qui peut causer des dommages sérieux à une personne ou à un bien, si rien n'est fait dans l'immédiat. Dans ces cas, il est parfois impossible ou inopportun de solliciter une autorisation judiciaire préalable — par écrit ou même de vive voix. Dans de telles situations, les tribunaux canadiens ont accordé une certaine latitude aux policiers quant à l'exercice du pouvoir de surveillance, de fouille et de saisie.

C'est pourquoi le projet de loi C-55 définit le fondement juridique qui autorise les policiers à intercepter des communications sans mandat, uniquement lorsque la situation est urgente et le besoin, immédiat et si la mesure peut prévenir un dommage sérieux et que l'objet de la cible est soit le suspect, soit la victime.

Le fait de restreindre ce pouvoir uniquement aux policiers constitue un changement positif parce qu'en droit canadien, un agent de la paix peut être un maire, un président de conseil de comté, un juge de paix, un huissier, un gardien de prison, un inspecteur des douanes, et j'en passe. Ces nouvelles modifications définissent d'importants nouveaux paramètres qui, selon moi, permettront nettement de limiter les abus possibles. Cette approche s'inscrit clairement dans le cadre analytique établi par notre commissariat puisqu'elle limite l'intrusion dans la vie privée à ce qui est exclusivement nécessaire à la sécurité.

Passons maintenant à la transparence. Le projet de loi C-55 ajoute de nouvelles exigences de présentation de rapports au Code criminel, exigences qui s'inspirent de rapports annuels existants relatifs à d'autres modes de surveillance électrique. Par souci de transparence, les exigences de présentation de rapports offrent aux organismes gouvernementaux l'occasion de rendre des comptes détaillés de leurs recours à ce genre de mesures extraordinaires de surveillance. C'est pourquoi, à mon avis, les exigences de tenue d'un registre détaillé et de présentation de rapports publics constituent une nette amélioration.

De toute évidence, en matière de garantie des droits conférés par l'article 8 de la Charte, les exigences proposées en matière de présentation de rapports contribueraient largement à rétablir le caractère raisonnable global des mesures de surveillance, de même que la confiance des citoyens. Pour pouvoir évaluer concrètement le caractère raisonnable de la surveillance électronique — ou de toute autre forme de surveillance par le gouvernement, soit dit en passant —, les dispositions relatives à l'obligation de rendre des comptes au public sont de toute première importance. Sinon, l'examen et la supervision des techniques d'enquête, des autorisations qu'elles exigent, de leur application et de leur utilisation seraient tout à fait inefficaces.

C'est pourquoi nous appuyons ces nouvelles dispositions en matière de présentation de rapports qui exigeront plus de transparence et de responsabilité de la part des autorités qui interceptent des communications privées dans des circonstances exceptionnelles.

Pour terminer, en ce qui concerne la reddition des comptes, l'obligation d'informer les personnes dont les communications ont été interceptées constitue une autre proposition importante pour limiter le pouvoir de mise sur écoute sans mandat. L'article 6 du projet de loi C-55 exigerait que les personnes ayant fait l'objet d'une surveillance soient avisées par écrit de ce fait dans les 90 jours. Loin d'être banale, cette exigence est une mesure importante de contrôle puisqu'elle permet aux citoyens de contester toute surveillance déraisonnable ou inappropriée et de demander réparation. Faute de notification, les interceptions effectuées par les enquêteurs pourraient demeurer inconnues des personnes ayant fait l'objet d'une surveillance.

À moins qu'une poursuite au criminel ne soit intentée, les cibles d'une interception pourraient ne jamais être informées d'une intrusion dans leurs communications privées. La transparence et l'ouverture sont des pratiques fondamentales éprouvées en matière de protection de la vie privée. J'estime donc que ces nouvelles dispositions représentent une amélioration peu contestable.

[Français]

Pour conclure, je vous rappelle que le commissariat demande depuis longtemps au gouvernement de tenter d'améliorer le régime de reddition de comptes quant aux pouvoirs existants d'interception des communications privées. À mon avis, c'est l'essence même de la décision dans l'affaire R. c. Tse, et j'estime que le projet de loi C-55 y apporte une réponse efficace.

Je vous remercie à nouveau de cette occasion qui est offerte au commissariat de vous faire part de notre point de vue, et je serai heureuse de répondre à vos questions.

La sénatrice Fraser : Il n'arrive pas souvent que vous soyez en position de venir ici et dire : voilà un bon projet de loi. Ce doit être agréable pour vous, autant que pour nous. Permettez-moi toutefois de vous demander s'il y a des éléments que vous auriez voulu voir un peu plus forts, plus renforcés. Il est fort peu probable qu'on apporte des amendements à ce projet de loi, étant donné le délai très strict, suite à la décision de la Cour suprême. Cependant, le temps passe et il peut y avoir d'autres amendements. Y a-t-il d'autres éléments que vous auriez voulu voir dans ce domaine?

Mme Bernier : Comme je vous le disais d'entrée de jeu, ce projet de loi correspond très bien au cadre analytique que nous avons nous-mêmes développé, qui s'appelle d'ailleurs « une question de confidence ». Il constitue justement une carte, si on peut dire, du juste équilibre ou l'intégration des besoins reliés aux impératifs de sécurité publique et de la protection du droit fondamental à la vie privée. Cette intégration résulte toujours, évidemment, en un accommodement. Or, ce projet de loi est un accommodement qui, à notre avis, correspond véritablement au cadre d'analyse qu'on met de l'avant.

La sénatrice Fraser : J'aimerais vous poser une deuxième question, que j'ai posée aux fonctionnaires qui comparaissaient juste avant vous. Les rapports publics qui seront faits par les ministres, chaque année, sur le nombre d'interceptions qui ont été faites, le nombre qui a résulté en d'autres investigations ou même des accusations, ne nous diront pas combien de ces interceptions n'ont eu aucun résultat utile pour le système policier judiciaire et le système de justice. Auriez-vous aimé voir cela?

Mme Bernier : Pour nous, ce qui est important et essentiel, c'est que la personne affectée soit au courant qu'elle a été affectée, puisqu'il est intégral à la protection de la vie privée, le droit de remédier à toute violation ou d'avoir accès à des renseignements personnels qui ont été prélevés sur nous. Alors tant que la vie individuelle est préservée, ce droit est respecté.

Pour ce qui est de l'aspect public, ce qu'on tente de viser c'est une imputabilité face aux Canadiens. L'imputabilité doit véritablement se concentrer sur le nombre de personnes qui ont été affectées. Que cela résulte en une poursuite ou non, il y a intrusion à la vie privée, et c'est cette intrusion qui doit être essentiellement divulguée pour que la population puisse exercer son devoir de contrôle sur les agissements du gouvernement.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Merci de votre présence. Je suis ravie d'entendre vos commentaires et la manière dont vous analysez ce projet de loi crucial. Votre bureau a reconnu la nécessité d'adopter ces importantes mesures et a félicité à bon escient, je crois, le ministère de la Justice du Canada pour avoir inclus des mesures de protection de la vie privée que la Cour suprême du Canada n'avait pas expressément exigées dans l'arrêt R. c. Tse.

À la page 5 de votre document de 2010, que vous nous avez fourni, vous indiquez que l'évolution rapide des nouvelles technologies représente un défi important pour la protection de la vie privée. Êtes-vous d'accord pour dire que l'évolution rapide des nouvelles technologies est également un défi pour les forces de l'ordre qui doivent rester à l'affût des usages qu'en font les criminels.

Mme Bernier : Absolument; nous en sommes conscients. C'est précisément la raison pour laquelle nous avons élaboré le cadre analytique que vous avez sous les yeux. Nous nous sommes dit que même si les principes fondamentaux — le droit fondamental à la vie privée — ne peuvent pas changer, les modalités pour leur protection doivent constamment s'adapter aux nouvelles circonstances — d'où la flexibilité de ce document —, tout en fournissant un cadre très clair qui peut ensuite être modifié en fonction de l'évolution de la technologie.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup. Je vous en suis reconnaissante.

Le sénateur Baker : Je désire remercier les témoins pour leur excellent exposé, comme d'habitude. Je suis, toutefois, quelque peu perplexe devant la déclaration que vous avez faite il y a quelques instants. Il s'agit de la même déclaration qui m'a laissé confus de la part de la Cour suprême, à savoir qu'on devrait informer toute personne qui n'est pas accusée d'une infraction du fait que ses conversations téléphoniques ont été interceptées ou que sa voiture ou son domicile ont été mis sur table d'écoute. C'est exactement ce que ce projet de loi propose de faire dans un délai d'un an ou 90 jours après l'interception des communications. C'est une condition préalable pour que la personne puisse entamer un recours.

Je suis dérouté par le type de recours dont la Cour suprême du Canada et vous parlez. Si je me souviens bien, vous avez des pouvoirs considérables qui vous sont conférés par votre loi. Je crois que c'était Mme Patricia Kosseim qui a représenté le commissariat en cour lorsque quelqu'un avait réclamé des dommages-intérêts, car la police avait divulgué ses renseignements personnels à un employeur. Je remarque que Mme Kosseim hoche de la tête; ma mémoire doit donc être bonne pour mon vieil âge. En tout cas, cela ne s'est pas produit il y a bien longtemps.

Toutefois, vous avez conclu que vous ne pouviez pas leur accorder de recours. Oui, vous pouviez ordonner la transmission de formulaires, mais vous ne disposiez d'aucun recours.

Vous voici maintenant devant le comité. Vous nous dites que les gens peuvent réclamer des mesures correctives, tout comme l'a indiqué la Cour suprême du Canada. Les Canadiens qui seront désormais avisés que leur téléphone a fait l'objet d'écoute et qui n'ont pas été accusés de quoi que ce soit se demanderont ce que le Commissariat à la protection de la vie et la Cour suprême du Canada veulent dire.

Mme Bernier : Vous soulevez un très bon point. Effectivement, c'est ce que le commissariat avance : nous aimerions que la loi soit modifiée pour prévoir de meilleurs recours.

Le sénateur Baker : Bravo.

Mme Bernier : La violation de la vie privée peut entraîner des dommages sérieux — certains d'ordre matériel et d'autres d'ordre non matériel. Toutefois, la jurisprudence au Canada dit qu'on peut recevoir des dommages-intérêts même pour des choses non matérielles; on peut demander réparation pour des dommages non matériels et non quantifiables, tels que la perte de réputation. Nous sommes donc tout à fait d'accord avec vous.

Cela étant dit, le terme « recours » ne signifie pas nécessairement un paiement forfaitaire ou une restitution financière. Cela peut signifier l'obligation de se rendre à nos bureaux pour une enquête ou tout simplement la possibilité d'obtenir justice. Il peut s'agir de récupérer ces renseignements personnels. Il existe un vaste éventail de réparations. Il y a également la Commission des plaintes du public contre la GRC, ce qui pourrait constituer un recours.

Lorsque la cour et nous parlons de recours, nous faisons allusion à toute une variété de recours existants, même s'il s'agit d'une liste limitée, nous l'admettons.

Le sénateur Baker : C'est une assez bonne réponse, monsieur le président. J'imagine quelqu'un qui reçoit ce genre d'avis, et il s'agit simplement d'une phrase qui dit : « Conformément à tel ou tel article, nous vous avisons que votre ligne téléphonique a fait l'objet d'une interception par la police. » Ensuite, cette personne va voir un avocat et doit payer le prix fort pour obtenir une opinion qui ne lui dit rien, car il est quasiment impossible d'essayer de déposer un recours contre la police, selon notre jurisprudence au Canada, tout comme c'est le cas si quelqu'un demande comme recours une compensation financière.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à Mme Bernier d'avoir accepté notre invitation. Il est difficile de poser une question à une personne qui est déjà d'accord avec le projet de loi. Je vais tout de même tenter de poser une question.

Ne pensez-vous pas, madame Bernier, que la situation d'urgence et la protection de la sécurité devrait toujours avoir préséance sur le respect du droit fondamental à la vie privée, parce que je vous dirais que peut-être, comme ex-policier, on reconnaît que ce genre d'enquête peut souvent nécessiter une réaction rapide et immédiate de la part des policiers. J'aimerais vous entendre à ce sujet.

Mme Bernier : Tout à fait, je pense que c'est la prémisse de la décision dans l'affaire R. c. Tse et c'est la prémisse de notre position également.

Il y a une hiérarchie de droit, des impératifs de sécurité publique qui doivent être véritablement tenus en compte. Et c'est ce que la Cour suprême fait avec l'arrêt Tse. C'est ce que nous faisons dans notre cadre d'analyse. Lorsque c'est justifié et, encore une fois, c'est à partir de l'arrêt Oakes, qui est mentionné dans l'arrêt Tse, qui est le fondement de notre cadre d'analyse à laquelle vous faisiez référence. Donc dans l'arrêt Oakes, la cour dit vraiment comment on peut réconcilier, intégrer des questions, des impératifs à des droits fondamentaux. Et selon cet équilibre de nécessité, de proportionnalité, d'efficacité et d'absence d'une alternative moins intrusive, on peut justifier une invasion de la vie privée et le cas d'urgence ici en est un.

Le sénateur Dagenais : Comme le dirait le sénateur Baker, excellente réponse, madame. Je vous remercie.

Le sénateur Rivest : Ce projet de loi prévoit des situations d'urgence pour autoriser un policier à faire de l'écoute électronique. Comment concilier cette urgence à la possibilité d'une prolongation pour trois ans qu'on comprend. On comprend le sens et la finalité. Mais si c'est trois ans, est-ce qu'il n'y aurait pas la possibilité à ce moment-là pour prolonger l'écoute, d'aller demander au juge?

Mme Bernier : C'est ce que le projet de loi effectivement prévoit. Donc à titre strictement exceptionnel, et cela revient à la question du sénateur Dagenais, à titre tout à fait exceptionnel, lorsque le temps ne le permet pas, pour sauver une vie ou des biens, ils peuvent passer sans autorisation judiciaire. Mais par la suite, évidemment, l'excuse du temps ne tient plus et c'est là qu'ils doivent passer par un juge.

[Traduction]

La sénatrice Fraser : J'ai une question supplémentaire à ce sujet. Si, à votre avis, l'élément fondamental du projet de loi est l'exigence en matière d'avis, ne pensez-vous pas qu'une suspension de trois ans de cette exigence — renouvelable — est quelque peu excessive? Je ne suis pas en train de dire que la police ne devrait pas pouvoir faire son travail et je reconnais que cela prend parfois du temps. Toutefois, est-il acceptable de dire tout simplement : « D'accord, partez et revenez dans trois ans »? Peut-être qu'on respecterait plus le droit à la vie privée si on disait : « Partez et revenez dans un an. »

Mme Bernier : Pour nous, l'enjeu central du projet de loi consiste à imposer des paramètres très stricts sur l'interception des communications privées sans mandat. Cette situation est traitée comme étant totalement exceptionnelle et, comme vous l'avez vu, les conditions sont cumulatives. Elles doivent toutes être respectées. Ce n'est qu'à ce moment qu'on peut procéder sans mandat et, après cela, tout le reste est assujetti à l'autorisation d'un juge. Nous comprenons que, dans certains cas, l'avis pourrait complètement annuler le travail de la police; donc, on commence d'abord par très bien définir la circonstance exceptionnelle dans laquelle on peut procéder sans mandat, après quoi on doit rectifier le tir. Il faut que ce soit soumis à la surveillance judiciaire, et c'est ce qui permettra aux policiers de poursuivre leur enquête sur une plus longue période.

La sénatrice Fraser : Vous nous dites, comme le ministre me l'a indiqué, que nous devrions faire confiance au pouvoir discrétionnaire des juges?

Mme Bernier : C'est ainsi que notre système est bâti.

La sénatrice Fraser : À son meilleur.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Merci pour votre présentation. Je note, à la page 2 de votre rapport, que vous soulevez toute la question de transparence, l'exigence de produire des rapports publics. Comme vous l'avez mentionné, le projet de loi C-55 prévoit que les rapports soient déposés par les organismes gouvernementaux provenant du pouvoir exécutif.

Je comprends, par ailleurs, qu'aux États-Unis et au Royaume-Uni, ces rapports sont plutôt déposés par une personne indépendante du pouvoir exécutif. Pensez-vous qu'une telle mesure devrait être suivie au Canada?

Mme Bernier : Franchement, je ne peux pas vous dire que j'en ressens le besoin. Évidemment, lorsqu'on a analysé le projet de loi C-55, c'était à la lumière de notre propre attente comme commissariat, d'un système d'imputabilité très robuste.

On a regardé ce qui se faisait déjà au Canada en matière de surveillance électronique. Je dois dire que, à ce stade, nous sommes satisfaits, nous sommes confiants que la structure proposée dans le projet de loi C-55 rencontrerait le droit à l'imputabilité des Canadiens.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Pour revenir à la question de la prolongation dont parlait la sénatrice Fraser, je ne sais pas si cela dépasse votre domaine d'expertise en la matière, mais dites-le-moi si c'est le cas. Selon la décision de la Cour suprême dans l'affaire R. c. Tse, n'est-il pas vrai que la proposition de prolongation à l'article 196.1, lequel porte sur la prolongation de ces 90 jours jusqu'à concurrence de 3 ans, reflète la disposition de prolongation que l'on retrouve déjà à l'article 196 du Code criminel? Savez-vous de quoi je veux parler?

Mme Bernier : Je l'ai sous les yeux. Est-ce que cela reflète ce que l'on y retrouve actuellement? Je ne peux pas dire que je les examinés en parallèle. J'ai examiné le projet de loi C-55 à proprement parler. Nous pourrions comparer les deux textes pour voir dans quelle mesure ils sont semblables, mais je dois dire que je me suis concentrée exclusivement sur le projet de loi C-55 et que je l'ai comparé aux dispositions qu'il propose de modifier plutôt que les autres. Toutefois, Mme Kosseim peut l'examiner quelques instants et vous dire ce que nous en pensons.

Le sénateur Baker : J'ai bien aimé votre exposé. Je ne cherche pas à être négatif, mais je pense à haute voix. J'essaie de comprendre ce que vous avez voulu dire dans votre exposé, et il y a une chose qui m'échappe au sujet des partisans du projet de loi. Tout le monde semble appuyer le projet de loi, mais ce que je ne comprends pas, c'est ce qui suit : le projet de loi propose un bon changement, comme vous l'avez fait remarquer, en conférant l'autorité au « policier » plutôt qu'à « l'agent de la paix ». J'ai toutefois une réserve à ce sujet, parce que l'expression « agent de la paix » existe depuis toujours dans le Code criminel et jusqu'à maintenant, personne n'a invoqué l'argument que cela signifiait autre chose que policier dans le Code criminel. Ça, c'est correct. Un policier a maintenant le pouvoir de faire quelque chose sans autorisation judiciaire : intercepter des conversations privées. D'accord, très bien.

Ensuite, le gouvernement a fait volte-face dans ce projet de loi et a défini ce qu'il voulait dire par policier. Il a précisé :

[...] « policier » s'entend d'un officier ou d'un agent de police ou de toute autre personne chargée du maintien de la paix publique.

Dans le Code criminel, la définition de « toute autre personne chargée du maintien de la paix publique » correspond à un agent de la paix. Dans les lois municipales et provinciales, cela signifie également un agent chargé de faire respecter les règlements — exactement ces mêmes mots — ou un gestionnaire de fourrière de chiens en Ontario et dans d'autres provinces.

Je peux comprendre pourquoi vous nous dites que c'est une bonne chose que d'indiquer « policier », mais pourquoi le gouvernement a-t-il ensuite dilué le libellé pour indiquer que le terme « policier » signifiait un agent de la paix ou un gestionnaire de fourrière de chiens?

Mme Bernier : Je crois que toutes les questions qui portent sur la raison d'être du libellé devraient être adressées aux rédacteurs. Selon notre interprétation, il s'agit d'une restriction délibérée de la catégorie des personnes pouvant se prévaloir des pouvoirs mentionnés à l'article 184.4, et nous estimons que cette restriction est favorable. Maintenant, pour ce qui est du choix des mots, je vous invite à poser cette question aux rédacteurs.

Le sénateur Baker : Je suppose alors que ce à quoi vous faites allusion, c'est en fait le mot « policier » qui a été inséré à l'article 184.4; vous ne faisiez pas allusion, dans vos éloges, au fait que le gouvernement a désormais identifié un policier comme étant quelqu'un d'autre qu'un policier. Vos éloges concernaient l'ajout du mot « policier », ajout qui a bel et bien été fait, mais vous n'étiez pas du tout en train d'appuyer la définition du terme « policier » dans ce projet de loi comme étant un agent chargé de faire respecter les règlements.

Mme Bernier : Nous interprétons le projet de loi C-55 comme une restriction de l'article 184.4 aux policiers.

Le sénateur Baker : Bonne réponse.

Le président : Désirez-vous réagir à ce que la sénatrice Batters a soulevé?

Mme Bernier : Certainement. Mme Kosseim a examiné les deux dispositions, et l'une reflète effectivement l'autre.

La sénatrice Batters : Je vous en remercie.

Le président : Cela met fin aux questions que les membres du comité ont à vous poser, et nous souhaitons vous remercier pour votre comparution ici aujourd'hui et pour votre aide dans nos délibérations. Merci.

Chers collègues, le prochain groupe que nous allons entendre se compose de deux témoins. Il s'agit de Russell Silverstein, représentant du Conseil canadien des avocats de la Défense; et de Michael Rosenberg, conseiller juridique de l'Association canadienne des libertés civiles. Bienvenue, messieurs. Avez-vous une déclaration préliminaire à faire?

Russell Silverstein, représentant, Conseil canadien des avocats de la défense : Merci beaucoup, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs. Merci de nous avoir invités à comparaître ici aujourd'hui et d'avoir sollicité notre témoignage dans ce dossier.

Je représente le Conseil canadien des avocats de la Défense, et nous sommes un organisme qui s'efforce d'offrir une voix nationale en ce qui a trait à notre perspective sur les enjeux de justice pénale, en tant qu'avocats de la défense pratiquant le droit pénal. Je suis ici avec mon collègue, Michael Rosenberg, qui représente l'Association canadienne des libertés civiles. Dès le départ, permettez-moi de vous indiquer que j'appuie tous ses commentaires et que j'espère qu'il appuiera les miens. Nous nous sommes consultés avant de venir ici aujourd'hui pour répartir entre nous deux les questions à couvrir afin de ne pas nous répéter.

Si le Conseil canadien des avocats de la Défense respecte et appuie, en règle générale, les efforts déployés par le Parlement dans le projet de loi C-55 pour remédier aux problèmes identifiés par la Cour suprême du Canada par rapport à la Charte dans R. c. Tse ainsi que ses tentatives visant à renforcer davantage l'article 184.4 du point de vue des libertés civiles, nous sommes néanmoins préoccupés par les amendements proposés. La Cour suprême du Canada a critiqué l'article 184.4, car il permettait à tous les agents de la paix, tels que définis à l'article 2 du Code criminel, d'avoir recours à ces dispositions extraordinaires pour mettre sur écoute des conversations. Le Parlement propose de remplacer « agent de la paix » par « policier » et je suis certain qu'il le fait en réponse au dictum de la Cour suprême du Canada à ce sujet. La cour n'avait pas besoin de se prononcer sur la question, mais elle a indiqué clairement qu'elle n'était pas contente de l'utilisation qui était faite du terme « agent de la paix » à l'article 184.4. Toutefois, l'article proposé définit un policier comme étant « un officier ou un agent de police ou toute autre personne chargée du maintien de la paix publique », ce qui, à notre avis, est une définition trop large pour une personne qui est autorisée à avoir recours à ces pouvoirs extraordinaires.

Chargée par qui, pourrait-on demander? Si le Parlement veut inclure certains agents de la paix qui ne sont pas, en fait, des policiers, tels que des gardes de sécurité aux frontières et autres types d'agents de la paix qui ne sont pas des policiers, mais qui ne sont pas des agents de la paix selon l'ancienne définition, le Parlement devrait l'indiquer plus précisément. À l'heure actuelle, la définition est beaucoup trop large et vous pouvez voir d'où cela vient. À l'article 2 du Code criminel, on définit le terme « agent de la paix » et il existe plusieurs catégories d'agents de la paix. L'une d'entre elles concerne les officiers ou agents de police ou toute autre personne chargée du maintien de la paix publique. Je crois qu'il s'agissait d'une tentative quelque peu maladroite pour limiter la catégorie des personnes pouvant exercer ce pouvoir et nous estimons que cela n'atteint pas l'objectif visé.

Ce problème est peut-être plus théorique que réel. Après tout, c'est bien la police qui a accès à l'équipement nécessaire pour organiser de telles interceptions; néanmoins, la définition pourrait s'appliquer à des agents de sécurité privés employés par des entités privées ou par le gouvernement.

Nous avons également des inquiétudes quant à la prolongation jusqu'à trois ans. Nous avons écouté les discussions ici, plus tôt cet après-midi. Effectivement, le Parlement a créé un régime qui reflète le régime des avis que l'on retrouve dans des cas d'interception moins urgents en permettant à la police d'obtenir des prolongations pouvant aller jusqu'à trois ans avant de se conformer aux exigences en matière d'avis. À notre humble avis, ce délai de trois jours, bien qu'il soit laissé à la discrétion du juge de l'imposer ou pas, est simplement trop long en l'occurrence.

Il pourrait sembler logique de fournir ce délai de trois ans dans des cas d'interception téléphonique qui sont de nature moins urgente, qui sont moins controversés, si je puis m'exprimer ainsi, mais dans des cas d'écoute téléphonique qui ne constituent pas une imposition sur les discussions privées qui ne sont pas autorisées par mandat. Toutefois, trois ans, c'est un délai trop long. À mon avis, il devrait plutôt s'agir d'un an.

Il y a une autre question qui se pose et plus particulièrement dans le contexte des poursuites au pénal et de la défense en droit pénal. Lorsque la Couronne s'appuie sur des conversations interceptées pour prouver qu'une infraction a été commise et quand l'accusé conteste l'admissibilité de la preuve obtenue par le biais de ces interceptions, c'est à l'accusé que revient la responsabilité de prouver au juge du procès que l'interception constituait une intrusion déraisonnable dans sa vie privée. Dans de tels cas de figure, l'agent judiciaire a généralement déjà déterminé que les exigences de la loi et de la Charte ont été respectées et il a ainsi émis une autorisation. Il est logique que si l'accusé prétend que les exigences statutaires ou de la Charte n'ont pas été respectées, il doit prouver cela étant donné l'autorisation judiciaire préalable.

Toutefois, dans le cas de l'interception électronique prévue à l'article 184.4, là où il n'y a pas d'autorisation préalable, et donc où l'agent judiciaire n'a pas établi que les exigences statutaires avaient été respectées, nous estimons que le texte concernant les interceptions devrait explicitement exiger qu'il incombe à la Couronne de prouver que la police a effectivement respecté les exigences de la loi lorsque l'interception électronique a été imposée.

Je conviens du fait que ces interceptions d'urgence ne constituent pas réellement des interceptions permettant d'amasser des preuves — du moins, ce n'est pas pour cela qu'on y a recours —, mais qu'elles pourraient néanmoins le devenir. Le but visé par la police pourrait être de prévenir la perpétration d'un crime, mais une fois que l'écoute électronique est installée et que l'on recueille des preuves par le biais de cette écoute, cette preuve peut être présentée dans le cadre d'une poursuite au pénal, nonobstant le fait que cela n'était pas l'objet ni l'objectif de l'interception initiale. Dans un tel cas de figure, où il n'y a pas eu d'autorisation préalable, le Parlement devrait explicitement renverser le fardeau de la preuve en ce qui a trait à cette question par rapport à la Charte.

Maintenant, on pourrait soutenir que la common law prévoit déjà un tel mécanisme. Il s'agirait d'une perquisition sans mandat, où on pourrait dire que de par la jurisprudence, il incombe au gouvernement de prouver que la perquisition n'est pas déraisonnable ou, en d'autres termes, que les exigences de la loi et de la Charte sont respectées. Toutefois, il n'y aurait certainement pas de mal à ce que le Parlement adopte précisément une telle disposition dans le Code criminel ou dans la Loi sur la preuve au Canada. Il est très difficile pour un accusé de prouver quelque chose de négatif, surtout lorsque la police dispose de renseignements pertinents pour déterminer si le critère de la loi a été respecté et si l'accusé n'a pas accès à ces renseignements.

Voilà pour ma déclaration préliminaire et je cède maintenant la parole à mon collègue, M. Rosenberg.

[Français]

Michael Rosenberg, conseiller juridique, Association canadienne des libertés civiles : Bonjour monsieur le président, c'est avec grand plaisir que je m'adresse au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour présenter la perspective de l'Association canadienne des libertés civiles.

L'association est un organisme à but non lucratif fondée en 1964 afin de promouvoir le respect des droits de la personne et des libertés civiles. L'association a été particulièrement impliquée dans le développement de la Loi sur l'écoute électronique sans autorisation judiciaire. Personnellement, j'ai servi comme conseiller juridique pour l'association dans l'affaire R. C. Tse devant la Cour suprême du Canada.

[Traduction]

Permettez-moi de commencer en disant que le projet de loi C-55 est une mesure très importante dans l'élaboration d'un régime conforme à la Constitution relativement à l'utilisation de tables d'écoute sans autorisation au Canada. Rien dans mes propos aujourd'hui ne vise à déroger de ce fait.

J'aimerais également préciser clairement que l'Association canadienne des libertés civiles reconnaît que les interceptions sans mandat peuvent être nécessaires en dernier recours dans des circonstances extraordinaires. Parallèlement toutefois, l'ACLC estime que ces interceptions électroniques constituent de graves violations des droits à la vie privée et que leur utilisation doit être limitée à des circonstances extraordinaires et, qui plus est, que cette utilisation doit être assujettie à une surveillance rigoureuse.

Conscient que nous en sommes à une étape tardive du processus législatif et ne désirant pas parler de la constitutionnalité du projet de loi dans son ensemble, je me propose de concentrer ma déclaration préliminaire sur la façon dont le projet de loi C-55 peut être progressivement ajusté de manière à mieux promouvoir et à mieux protéger les libertés civiles.

J'aimerais aborder trois de ces amendements. Le premier concerne la transparence dans les rapports faits au Parlement et aux assemblées législatives, le deuxième concerne la durée permise des écoutes électroniques sans mandat; et le troisième concerne les personnes pouvant être assujetties à ces écoutes électroniques sans mandat.

Au sujet du premier point, parmi les problèmes identifiés par l'ACLC, citant le fait qu'on n'a aucun moyen de connaître le nombre de tierces parties dont les conversations privées ont fait l'objet d'interception en vertu d'écoute sans mandat dans le régime de rapport actuel. Pour l'ACLC, l'article 196.1 proposé exige que toutes les personnes ayant fait l'objet d'une écoute soient avisées, qu'elles en aient ou pas été la cible. À notre avis, elles sont toutes visées par le libellé de cet article.

C'est un fait avéré, cependant, que les tables d'écoute interceptent les communications de personnes qui ne peuvent pas être identifiées et qui, ainsi, ne pourront pas en être avisées. Effectivement, les témoins du ministère de la Justice, plus tôt cet après-midi, nous ont indiqué que seules les personnes ciblées seraient avisées, si le projet de loi C-55 était adopté. En ce sens, le nombre d'avis émis ne donne pas d'indication sur le nombre de personnes dont les communications privées ont été interceptées. Cela est particulièrement inacceptable dans le contexte des écoutes sans mandat, où il y a de grandes préoccupations quant au pouvoir discrétionnaire sans surveillance de la police pour décider des personnes dont les communications peuvent être interceptées.

Ainsi, il est crucial que les rapports au Parlement et aux assemblées législatives contiennent des statistiques sur le nombre de parties, identifiées ou pas, dont les communications ont été interceptées et qui sont uniquement des tierces parties par rapport aux dommages que l'écoute tente de prévenir. Sans cette information, il serait impossible de connaître l'ampleur des dommages collatéraux entraînés par ces écoutes sans mandat pour les droits à la vie privée des personnes qui ne sont ni soupçonnées d'être des contrevenants ni même des victimes.

Permettez-moi maintenant de passer à mon deuxième point. La Cour suprême du Canada a été très claire en disant que l'écoute sans mandat entamée dans une situation d'urgence ne pouvait pas être maintenue une fois qu'il serait raisonnable d'obtenir une autorisation judiciaire. Une déclaration expresse de la nécessité d'obtenir une autorisation judiciaire, dans des délais raisonnables, permettrait d'éviter la situation qui s'est produite dans l'affaire Tse. Dans cette affaire, les agents de la GRC croyaient qu'ils pouvaient continuer d'écouter les communications sans mandat 24 heures avant d'obtenir une autorisation judiciaire. Ils en étaient arrivés à cette conclusion en se basant sur les propres politiques écrites de la GRC. L'ACLC estime qu'il faut imposer des limites expresses sur le maintien des écoutes sans mandat pour prévenir les violations de la Charte avant qu'elles ne se produisent.

Au sujet de mon dernier point, il existe un danger semblable d'interprétation erronée qui découle du fait que le projet de loi C-55 n'indique pas expressément la décision de la Cour suprême voulant que la police ne puisse intercepter que les communications des « victimes directes de dommages sérieux », par opposition aux victimes indirectes de dommages sérieux telles que les membres de la famille. Dans cette situation, encore une fois, l'ACLC estime que des mesures prophylactiques sont nécessaires pour prévenir les violations de la Charte.

À moins qu'il n'y ait des questions du comité à cette étape-ci, cela met fin à l'exposé de l'ACLC. Comme vous l'a indiqué mon ami M. Silverstein, j'appuie certainement la position qu'il vous a présentée.

Le président : Merci, messieurs.

La sénatrice Fraser : Bienvenue et merci à vous deux pour vos exposés très intéressants.

Sur la question des agents de la paix, monsieur Silverstein, un certain nombre d'entre nous ont été inquiets du terme policier, y compris de ce qui semble être une catégorie plutôt large, potentiellement. Lorsque le ministre et ses représentants ont comparu devant le comité la semaine dernière, je leur ai posé la question et on m'a dit que le mot « police » signifiait la police. J'ai alors demandé « par exemple », les services frontaliers? » La réponse était que non, les agents des services frontaliers n'en faisaient pas partie.

Dans une conversation avec un représentant éminent du ministère de la Justice, j'ai posé la question suivante : « À qui se réfère-t-on? » La réponse, c'est que lorsqu'ils rédigeaient cette section, ils avaient la police militaire en tête. On peut penser que ce qui a été rédigé correspond ou non à cela, mais, à titre d'information, c'est ce qu'on m'a dit.

Monsieur Rosenberg, je trouve tous vos points intéressants, y compris ceux que vous n'avez pas eu le temps de lire. J'aimerais en savoir davantage sur votre dernier point, c'est-à-dire que les agents de police ne peuvent mettre sur écoute que les victimes ayant directement subi des torts sérieux. J'aimerais vous présenter ce scénario hypothétique, mais il semble qu'il y ait eu des parallèles.

La police sait que quelqu'un planifie un mauvais coup — c'est-à-dire qu'un tireur de la mafia souhaite tuer quelqu'un cet après-midi. La police ne sait pas de qui il s'agit, mais elle espère que l'écoute électronique lui permettra de le déterminer afin de protéger la personne menacée. Toutefois, si vous ne savez pas qui est visé, comment pouvez- vous mettre sous écoute le téléphone de la victime potentielle?

M. Rosenberg : La réponse à cette question comporte deux volets. C'est une excellente question dans le sens qu'elle présente un exemple réaliste de l'application de ces dispositions.

Le point de départ pour l'ACLC porte sur le libellé de l'alinéa 184.4b) qui met en lumière l'aspect de nécessité immédiate. Toute utilisation d'écoute électronique dans cette situation, advenant une contestation, ferait l'objet d'un examen pour déterminer s'il y avait des motifs de nécessité immédiate qui auraient poussé la police à identifier les cibles particulières de cette mise sur écoute. Si l'on peut déterminer que ces personnes faisaient l'objet d'une menace immédiate, elles pourraient être considérées comme des victimes directes, et il serait immédiatement nécessaire d'empêcher qu'on puisse leur faire du tort.

Si on prend un peu de recul, il pourrait être logique d'éclairer la position que j'ai présentée dans ma déclaration préliminaire. La Cour suprême a bien présenté ce principe, lorsqu'elle a déterminé qu'il n'était pas interdit d'intercepter des appels en provenance d'un autre numéro ou bien de mettre une ligne sur écoute qui n'appartient pas à une victime immédiate ou à un suspect. Dans ce cas, il faut tout simplement avoir recours à une surveillance en direct pour s'assurer que si l'appel intercepté ne vise ultimement que des tierces parties, il ne soit pas enregistré — afin que les policiers n'établissent pas un dossier permanent de cette conversation. Il faut insister là-dessus dans le libellé du projet de loi.

Dans l'arrêt R. c. Tse, la GRC enregistrait des conversations entre de tierces parties véritablement impliquées dans l'infraction, comme les enfants et les associés de la victime d'enlèvement. Du point de vue de notre association, ce n'est tout simplement pas justifié dans le libellé de l'alinéa. Cette interprétation a été confirmée par la Cour suprême, mais il y a toujours un risque que sans interprétation claire de l'alinéa, ce genre d'écoute électronique et illégale puisse continuer.

La sénatrice Fraser : Je pense que je vous comprends; mais je ne suis pas sûre d'être entièrement d'accord que votre mémoire porte sur cet élément, mais c'est vous qui êtes l'avocat et pas moi. Je vais y réfléchir beaucoup.

La sénatrice Batters : Monsieur Rosenberg, merci pour vos observations relativement à cette proposition de mesures législatives essentielles et pour avoir indiqué dans votre exposé que tout ce que vous pouvez dire aujourd'hui n'empêche pas qu'il s'agit d'une mesure importante et pour avoir évoqué les développements positifs contenus dans ce projet de loi.

Ma question s'adresse à M. Silverstein. Je suis désolée d'avoir manqué le début de votre exposé, de sorte que vous avez peut-être déjà répondu à cette question. Vous avez parlé de prolongation. Je pense que vous étiez ici à la fin du témoignage du groupe de témoins précédents lorsque j'ai posé une question sur les dispositions proposées en matière de prolongation conformément à la décision de la Cour suprême dans l'arrêt R. c. Tse et qu'on m'a répondu que l'article proposé 196.1 reflète les possibilités de prolongation qui figurent à l'article 196 du Code criminel. Seriez-vous d'accord?

M. Silverstein : Oui. En tant que proposition générale, le Parlement semble prendre la structure des dispositions visant les rapports pour les intégrer tout simplement dans l'article 184.4 avec les mêmes mécanismes, les mêmes limites et périodes de prolongation.

Le sénateur Baker : Je remercie les témoins et félicite M. Rosenberg de son excellent exposé en ce qui a trait à ce dossier en particulier, qui a été étudié par la Cour suprême, et je remercie aussi M. Silverstein pour sa longue expérience en jurisprudence. Il a fait un travail remarquable devant la Cour suprême et les cours supérieures au fil des ans et il a apporté une grande contribution au droit au Canada.

Je suis intéressé par un élément en particulier de votre exposé, monsieur Silverstein. Vous croyez que le fardeau devrait reposer sur la Couronne de prouver la raisonnabilité des mesures prises par les policiers en première instance en vertu de l'article 184.4. Ce n'est pas nouveau en droit, parce qu'il existe certaines circonstances où c'est la Couronne qui a la responsabilité de prendre certaines mesures. Toutefois, j'aimerais savoir exactement ce que vous voulez dire. Remettez-vous à la place de l'avocat de la défense au procès. Vous disposez des notes de l'agent de police, du feuillet d'information du procureur et du rapport de continuation. Dans cette information vous trouverez les réflexions, vraisemblablement, de l'agent de police qui sera responsable de la mise en œuvre de cette procédure particulière dont nous parlons. Dites-vous que ce n'est pas suffisant pour que vous respectiez les usages habituels de la cour lorsque vous comparaissez devant un juge pour présenter les arguments avant le procès pour soutenir qu'il y a eu violation de l'article 8 en première instance?

M. Silverstein : Je pense que la divulgation et l'information sont suffisantes pour commencer votre requête. Toutefois, le fardeau de la preuve dans une requête fondée sur la Charte est considérable lorsque l'accusé est obligé de faire appel à ses propres témoins — faire témoigner les agents de police comme ses propres témoins, leur imposer un interrogatoire principal et être circonscrits par la nature de cette interrogation — c'est-à-dire, un interrogatoire principal. Je soutiens que c'est injuste dans une circonstance où les policiers ont agi sans autorisation judiciaire. Il me semble logique que l'accusé assume le fardeau de la preuve lorsqu'une telle autorisation a été donnée et qu'elle fait l'objet d'une contestation. Toutefois, lorsqu'on commence à zéro et que la police a mis le téléphone de votre client sur écoute sans autorisation judiciaire, je pense qu'il est tout à fait équitable d'obliger la Couronne à démontrer qu'elle avait des motifs raisonnables de prendre les mesures qu'elle a appliquées. Après tout, elle a eu recours à des pouvoirs extraordinaires et devrait être en mesure de le justifier.

Ce n'est pas injuste, parce que la Couronne devrait pouvoir le faire facilement. Elle a eu accès à toutes les informations nécessaires pour préparer son argument. Si c'est justifiable, je n'y vois rien de mal; en effet, je pense que la jurisprudence appuie la notion selon laquelle la Couronne devrait avoir la responsabilité de démontrer qu'elle a agi conformément à la loi.

Le sénateur Baker : Vous avez dit que c'est l'avocat de la défense qui a le fardeau de la preuve — sur l'accusé — qui doit présenter les arguments en vertu de la Charte, pendant la phase précédant l'instruction, selon les règles des tribunaux qui jugent l'affaire et appeler des témoins pour un interrogatoire principal — c'est-à-dire, sans contre- interrogatoire. Dans certaines provinces canadiennes, j'ai noté que c'est pratique courante que les arguments en vertu de la Charte ne sont pas examinés selon cet argument, mais qu'on demande à la Couronne de présenter sa requête. C'est une fois que les éléments de preuve sont présentés que les arguments en vertu de la Charte sont traités dans le cadre du procès.

Estimez-vous cela préférable à ce que vous venez de présenter? Cela résoudrait-il le problème?

M. Silverstein : Vous avez recensé ce que nous appelons un « voir-dire mixte », qui doit d'abord être convenu par les deux parties et accepté par la Couronne, sinon cela ne peut pas avoir lieu. Lorsque les deux parties s'entendent, c'est une mesure d'économie de temps; plutôt que de faire présenter tous les éléments de preuve relativement à la demande en vertu de la Charte et encore une fois pendant le procès, on convient de présenter tous les éléments de preuve en une seule fois. Toutefois, en tant qu'avocat de la défense, nous cherchons toujours à maintenir le droit de contre-examiner les témoins, ce qui nous serait habituellement accordé, tout en acceptant la responsabilité de faire subir un interrogatoire principal aux témoins lorsque c'est prévu par la loi. Par conséquent, lorsque les deux parties arrivent à un tel compromis, il faut souvent céder quelque chose de part et d'autre afin de pouvoir fonctionner, mais nous veillons à ne pas trop faire de concessions en contrepartie de ce que nous voulons obtenir.

Peu importe si cela se passe comme vous l'avez décrit ou autrement, dès qu'il y a une perquisition sans mandat, les avocats de la défense veulent s'assurer qu'il incombe à la Couronne de démontrer que la Charte a été respectée, peu importe la façon dont l'instance est présentée et si elle est mixte ou non.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur le président, merci à nos deux témoins. Monsieur Silverstein, tout en considérant le droit à la vie privé, comme vous l'avez mentionné, ne pensez-vous pas que la protection de la sécurité publique doit avoir préséance sur l'interception de la conservation de la vie privée, surtout lorsque la demande d'interception est exercée par des officiers de police?

[Traduction]

M. Silverstein : Sénateur, je pense que tout le monde a reconnu qu'il s'agit d'un exercice d'équilibre dans ce cas : il faut trouver un équilibre entre le respect de la loi, la prévention des crimes sérieux et le droit à la vie privée. Il ne fait aucun doute, et la Cour suprême du Canada l'a dit clairement, qu'il faut pour prévenir les crimes sérieux, comme c'est le cas ici, accorder aux policiers des pouvoirs extraordinaires. Et ce projet de loi se penche justement sur ces pouvoirs extraordinaires.

Toutefois, quand on accorde aux policiers des pouvoirs extraordinaires, ces pouvoirs doivent faire l'objet de freins et contrepoids. La question est la suivante : a-t-on trouvé le juste équilibre dans ce cas-ci? La Cour suprême du Canada semble penser que oui, et nous l'estimons également, mais avec l'apport de certains rajustements. La Cour suprême du Canada fait la loi, et lorsqu'elle dit que telle chose est requise pour répondre au critère constitutionnel, alors, on ne peut pas la contredire. Toutefois, on peut proposer que puisque le Parlement a la suprématie, il peut aller un peu plus loin que ce qu'exige la Cour suprême du Canada, et c'est exactement ce qui se passe ici. Reste à savoir s'il n'aurait pas dû aller encore un peu plus loin. Voilà ce que je soumets respectueusement, oui, et de la façon dont je l'ai décrit.

Toutefois, je ne pense pas que ce que je propose retire à la police le droit et le pouvoir de faire ce qu'elle doit faire pour nous protéger tous dans certaines situations.

La sénatrice Fraser : Je pense que je vais passer mon tour. Je continue de lire. Je poserai peut-être une question lors de la troisième série.

Le sénateur McIntyre : Merci à vous deux pour vos exposés. L'article 184.4, tel qu'il est, parle d'« agents de la paix ». Le projet de loi C-55 parle de « policiers ». L'article 188 parle d'un « agent de police spécialement désigné ».

Je remarque que l'Association du Barreau canadien et la Criminal Trial Lawyers' Association recommande toutes les deux que la discrétion exceptionnelle d'entreprendre une action — article 184.4, interceptions — soit limitée par une classe d'agents supérieurs désignés. Que pensez-vous de tout cela?

M. Silverstein : Je peux comprendre pourquoi quelqu'un soulèverait ce point. Je pense qu'il faut tenir compte du fait que — et je pense que la Cour suprême du Canada a fait des observations là-dessus — ces agents spéciaux ne sont peut- être pas toujours facilement disponibles. L'article 184.4 accorde un pouvoir pour faire face aux situations urgentes les plus extrêmes qui nécessitent des mesures immédiates.

Il est logique de permettre à tout policier, même s'il n'est pas spécifiquement ou spécialement désigné aux termes de l'article 188, d'avoir le pouvoir de mettre sur écoute électronique, à condition que, comme M. Rosenberg l'a évoqué et que la cour l'a stipulé, il y ait une recherche parallèle pour trouver un fonctionnaire judiciaire ou obtenir une approbation judiciaire. Le mandat accordé en vertu de l'article 184.4 ne devrait pas durer plus que quelques heures; le nombre d'heures est matière à discrétion et dépendra des circonstances.

Personnellement, je n'ai aucune objection à ce qu'un policier ouvre une enquête aux termes de l'article 184.4.

M. Rosenberg : Si vous me le permettez, j'aimerais respectueusement dire que je suis en désaccord avec mon ami sur ce point. Il s'agit peut-être de l'instance où il faut diviser les deux intervenants de l'intérêt public.

Le président : On m'avait assuré dès le départ qu'il n'y aurait pas de différences d'opinions.

M. Rosenberg : C'est pour cette raison que nous sommes deux à comparaître.

L'ACLC estime que ce pouvoir n'est accordé qu'aux policiers, ou du moins qu'ils devraient être les seuls à s'en prévaloir. Nous pourrions aller plus loin et dire que, comme vous l'avez mentionné, il y a un véritable avantage à ce qu'un agent supérieur examine la mise sur écoute électronique sans mandat, pas nécessairement avant sa mise en œuvre — parce que nous savons bien que la situation peut être suffisamment urgente et que l'on ne puisse pas procéder ainsi — mais que cela devrait avoir lieu peu de temps après. C'est ce qui s'est produit dans l'affaire Tse; on avait commencé la mise sur écoute électronique qui a été, peu de temps après, examinée par des officiers supérieurs et même par le surintendant de la GRC à Vancouver.

Voilà le processus que nous aimerions voir appliquer. Notre association estime qu'il s'agit là d'un pouvoir extraordinaire et d'une violation extraordinaire des droits de ceux dont les conversations sont interceptées, et ce n'est pas nécessairement le genre de choses que nous voudrions voir traiter par un quelconque agent de la paix; ce n'est pas non plus un outil qui devrait être utilisé par n'importe quel policier pendant cette période, bien sûr, jusqu'à ce qu'on ait obtenu une autorisation judiciaire.

Le sénateur Baker : J'aimerais revenir à un autre point qui a été soulevé plus tôt, c'est-à-dire les solutions de rechange à cette procédure aux termes de l'article 184.4. C'est-à-dire, comme l'a dit la Cour suprême, de faire en sorte qu'un juge soit accessible par téléphone à tout moment.

Ces mandats, de l'article 186, sont accordés en fonction de l'article 186 par un juge, ce qui signifie un juge de la Cour supérieure d'une province. En vertu du Code criminel, les télémandats peuvent être délivrés par des juges des tribunaux provinciaux, et il existe un système pour l'ensemble du Canada qui fonctionne 24 heures par jour, sept jours sur sept, vous permettant de communiquer par téléphone avec un juge de la Cour provinciale et d'obtenir verbalement un mandat en cinq minutes, grâce à un formulaire appelé le formulaire 5.1 du Code criminel. C'est très simple à obtenir et le tout est envoyé par télécopieur.

Y a-t-il véritablement une grande différence entre un juge de la cour supérieure et un juge de la cour provinciale? Un juge de la cour provinciale doit se référer beaucoup plus souvent au Code criminel qu'un juge de la cour supérieure. Pourquoi dans ce cas-ci on ne peut pas obtenir accès à un juge 24 heures par jour, sept jours par semaine, mais que c'est possible lorsqu'on veut obtenir un télémandat?

M. Silverstein : Vous avez posé deux questions. D'abord, y a-t-il véritablement une différence entre les juges de tribunaux provinciaux et les juges de la cour supérieure? Ça, c'est une autre question. Supposons qu'il y en ait une. Le Parlement reconnaît qu'il y a une différence, et il a limité aux juges de la cour supérieure la possibilité d'avoir recours à certains pouvoirs. Examinons votre question dans ce contexte.

Je pense qu'il est entendu que la mise sur écoute électronique, soit l'interception d'une conversation privée, constitue probablement la plus grande atteinte à la vie privée. Voilà pour le premier volet. Certains pourraient dire que la perquisition d'une demeure est tout à fait identique. Mettons cela de côté, au terme de l'article 186, lorsqu'il n'y a pas d'urgence, on peut comprendre qu'un juge de la Cour supérieure soit appelé à exercer son autorité. Il arrive bien souvent, comme vous l'avez dit plus tôt, que l'on cherche à obtenir un télémandat dans une situation où les policiers sont à la porte d'une maison et qu'ils doivent en faire la perquisition immédiatement. C'est en raison de l'urgence de cette situation que le processus d'autorisation judiciaire est la solution la plus rapide. Encore une fois, il faut trouver un équilibre entre la prise de mesures immédiates et la protection des droits garantis par la Charte. Je pense que c'est ce qui explique la différence.

Dans une situation liée à l'article 186, je trouve tout à fait logique que ce pouvoir soit réservé à un juge de la Cour supérieure.

Le sénateur Baker : Comme vous l'avez signalé, certaines personnes soutiendraient que la fouille d'un domicile constitue une action tout aussi importante et exigeante que les conditions dont nous discutons maintenant, surtout en ce qui a trait au cas particulier de l'arrêt Tse.

M. Silverstein : L'article 184.4 est tellement exigeant qu'on n'a pas besoin d'autorisation. Ça, c'est une autre question. Je pensais que vous vouliez examiner l'article 186 et que vous vouliez savoir pourquoi nous ne permettons pas aux policiers d'effectuer plus rapidement plutôt des interceptions au terme de l'article 186 plutôt que de les forcer à se tourner vers la Cour supérieure.

Le sénateur Baker : C'était ma question; et vous y avez bien répondu. J'ai une autre question si vous me le permettez. Je me souviens très bien, en 1993, lorsque ces articles ont été adoptés. Il y avait deux mesures législatives, une liée à l'article 184.4 et l'autre à l'article 487.01 du Code criminel, la disposition sur les mandats généraux. Cela vous permettait de faire tout ce que vous ne pouviez pas au terme d'autres lois tant et aussi longtemps qu'il s'agissait d'un non-respect de la Charte. Voilà l'exigence liée à l'article 487.01. Ces deux changements draconiens ont été apportés au Code criminel, mais il a fallu attendre de 1993 à aujourd'hui pour corriger l'un de ces articles.

Selon vous, y a-t-il une façon d'éviter un problème évident comme celui-là dans une loi qui est adoptée en violation de la Charte des droits? Il faut beaucoup de temps pour que, dans une situation idéale, il y ait procès au niveau provincial ou devant la Cour suprême, avant que l'affaire ne passe à la Cour d'appel et que l'on demande et obtienne la permission de se rendre jusqu'à la Cour suprême du Canada. Y a-t-il une autre façon de régler ces sérieux problèmes de manquement à la Charte qui existent dans la loi sans avoir à attendre 10 ans avant d'y apporter des corrections?

M. Rosenberg : Je pense que la réponse c'est d'examiner le processus législatif pour déceler ce genre de mesure de façon préventive. Malheureusement, les tribunaux ne peuvent se prononcer que sur les instances qui leur sont présentées.

Il y avait une situation différente dans l'arrêt Tse puisque c'était une demande sous forme de question interlocutoire qui s'est rendue directement en appel à la Cour suprême du Canada, c'est une situation intéressante parce que, finalement, la Couronne a eu gain de cause au procès de l'affaire Tse mais, ayant eu gain de cause, elle devait interjeter appel de la décision contraire dans le cadre de cette question interlocutoire portant sur l'application de la Charte.

Par ailleurs, vous avez tout à fait raison de dire que les tribunaux fonctionnent lentement. Nous nous tournons vers le processus législatif, comme M. Silverstein l'a dit, pour qu'il aille un peu en deçà du seul respect de la Charte. L'ACLC voit la Charte comme présentant les droits minimums à respecter et non maximums, ainsi, lorsqu'il s'agit de possibilité comme celle-ci où le projet de loi est ouvert à discussion et qu'il y a la possibilité de l'amender d'une façon ou d'une autre pour protéger les libertés civiles, nous profitons certainement de cette occasion en venant à Ottawa pour vous implorer d'agir.

La sénatrice Fraser : Monsieur Rosenberg, dans votre passage sur la transparence, lorsque vous discutez de tierce partie — et nous avons eu un certain nombre de ces discussions ici relativement aux tierces parties mentionnées dans le projet de loi —, vous avez dit que dans l'arrêt Tse la GRC est allée aussi loin que d'enregistrer les conversations entre de tierces parties qui n'étaient soupçonnées d'aucun tort et qui n'étaient pas victimes de préjudice. Il faudrait donner à la GRC le bénéfice du doute et supposer qu'elle a intercepté les conversations parce que les agents pensaient qu'ils pourraient obtenir de l'information utile, même si cela ne s'est pas avéré. Si je comprends, c'est de cela que vous parlez ici.

M. Rosenberg : Je pense qu'il s'agit d'un point légèrement différent, madame la sénatrice. Dans l'affaire Tse, la GRC avait enregistré des conversations entre les enfants de la victime d'enlèvement et ses associés ainsi que les conversations entre les enfants de la victime. Il est vrai qu'il est possible que de telles conversations auraient dévoilé de l'information qui aurait pu aider à régler l'affaire et empêcher le préjudice qui avait lieu. Toutefois, cela ne relève pas de l'article 184.4. Je pense que cela revient au troisième point que j'ai soulevé plus tôt. Il s'agit en fait d'une disposition extraordinaire qui permet d'intercepter des communications entre, dans la plupart des cas, deux parties. C'est-à-dire, d'une part, les conversations entre les suspects et, d'autre part, les victimes directes du préjudice. Dans l'affaire Tse, il s'agissait de la victime d'enlèvement et des suspects. Ce ne sont pas les autres personnes qui sont visées par la portée, à moins qu'ils n'aient des conversations avec les membres de ces deux parties, soit les suspects ou la victime.

La sénatrice Fraser : Ma question visait à savoir ce qui arrive des enregistrements une fois qu'ils ont été faits. Les dispositions visent-elles ces enregistrements, qui s'avèrent à être tout à fait inutiles pour l'enquête en cours ou bien, pour toute autre enquête, y a-t-il donc, selon vous, des dispositions pour les détruire? Si non, devrait-il y en avoir?

M. Rosenberg : J'aimerais très certainement obtenir l'avis de M. Silverstein là-dessus. Je ne sais pas quelles pratiques sont appliquées, mais, d'après mon examen du Code criminel, je ne connais aucune disposition exigeant la destruction de ces enregistrements. Je pense que cela rajoute à la gravité de la transgression des libertés civiles dans ce cas. Nous parlons d'enregistrements permanents qui sont dans les mains de responsables d'application de la loi et qui portent sur des conversations privées interceptées subrepticement.

La sénatrice Fraser : Il pourrait s'agir de conversations entre moi et mon médecin.

M. Rosenberg : Vous avez tout à fait raison. Bien sûr, je pense que la Cour suprême exigera toujours dorénavant une surveillance directe dans ces circonstances, en particulier lorsque l'on intercepte les conversations téléphoniques de tierces parties. Toutefois, il est préoccupant de savoir que, à ce que je sache, il n'existe aucune disposition exigeant la destruction de ces enregistrements.

La sénatrice Fraser : Avez-vous quelque chose à ajouter à cela, monsieur Silverstein?

M. Silverstein : Oui, madame la sénatrice. Il existe une disposition exigeant la destruction. Je la lisais justement ce matin et, malheureusement, je ne la trouve plus. Je pense qu'il s'agit de situations où les policiers auraient enregistré des conversations privées par inadvertance, par exemple. Je sais qu'il existe une disposition qui exige leur destruction. Je ne suis pas en meilleure position que M. Rosenberg pour vous donner davantage de détails là-dessus. Toutefois, j'ai sous la main les dispositions actuelles relativement à l'écoute électronique. J'ai constaté que; il y a quelque chose là-dessus.

La sénatrice Fraser : Oui, j'ai pensé qu'il y aurait quelque chose pour les conversations privilégiées, mais il y a aussi toute une variété de conversations qui ne devraient pas se retrouver dans les classeurs des services de police, ou peu importe où l'on range ce genre de choses.

M. Rosenberg : C'est exact, madame la sénatrice. Je suis tout à fait d'accord avec mon collègue. De façon générale, il n'existe aucune disposition stipulant la destruction, mais il y en a certainement dans le cas des communications protégées. C'est plutôt le reste, soit les communications avec des tiers qui ne sont pas visées par la portée étroite, qui nous préoccupe particulièrement.

Le sénateur Baker : Monsieur Rosenberg a travaillé sur l'article visant la Cour suprême. La personne qui a été enlevée dans l'affaire Tse, est-elle actuellement incarcérée? Cet individu recherché par la police avait été libéré sous caution, si j'ai bien compris, pour avoir importé au Canada plus de 100 millions de dollars en stupéfiants. On craignait qu'il ne disparaisse de la circulation. Je sais par certains faits présentés lors du procès que la police souhaitait attraper ce gars. Même s'il a été enlevé, les policiers voulaient mettre la main dessus pour l'incarcérer. Ont-ils fini par l'emprisonner?

M. Rosenberg : Sénateur, je vous avoue que je n'ai pas suivi tous les développements de la procédure pénale de M. Li. D'après moi, cela soulève toutefois une question importante, soit l'utilisation de l'article 184.4 visant la prévention d'une atteinte grave. Ce n'est pas forcément pour l'enquête des infractions. Ce n'est pas certainement pas pour l'enquête des infractions secondaires. Il s'agit généralement d'une situation d'enlèvement d'une victime. Dans ce cas, il y avait certainement des allégations graves contre la victime. Il s'agit cependant de le secourir plutôt que d'enquêter toute autre question à laquelle il aurait pu participer. Nous devrions éviter d'utiliser l'article 184 comme point de départ pour une interception à grande échelle des communications avec ses associés.

M. Silverstein : J'aimerais revenir à la question de la sénatrice Fraser au sujet de la destruction et consulter l'article 184.1.

La sénatrice Fraser : On vient de me le souligner, et ça me rassure.

M. Silverstein : Je suis désolé de ne pas avoir été le premier à le faire.

Il existe une disposition stipulant que lorsque la police intercepte en vertu de cet article, et qu'il n'y a aucune preuve de lésions corporelles ou de tentatives d'infliger des lésions corporelles ou de menaces d'infliger de telles lésions, ils sont obligés de détruire les fruits de l'enquête.

La sénatrice Fraser : Est-ce que cela s'appliquerait également aux interceptions en vertu de l'article 184.4?

M. Silverstein : Je dirais que non.

La sénatrice Fraser : Il semblerait que non.

M. Silverstein : Le paragraphe 3 de l'article 184.1 porte sur l'application de cet article particulier soit l'article 184.1. Je ne vois rien dans le projet de loi C-55 ni dans l'article actuel 184.4 stipulant la destruction.

M. Rosenberg : C'était certainement la position prise par l'ACLC tout au long de la procédure de l'affaire Tse.

La sénatrice Fraser : Merci.

Le président : Messieurs, je vous remercie d'être venus témoigner aujourd'hui et de nous avoir aidés dans l'étude du projet de loi. Un grand merci; c'est très apprécié.

Notre prochain témoin, témoignant par vidéoconférence de Vancouver, est un représentant de l'Association canadienne des chefs de police, Warren Lemcke, chef de police adjoint, Service de police de Vancouver. Bienvenue, monsieur Lemcke; veuillez commencer votre exposé.

Warren Lemcke, chef de police adjoint, Service de police de Vancouver, Association canadienne des chefs de police : J'aimerais vous présenter le point de vue de l'Association canadienne des chefs de police concernant la réponse du projet de loi C-55 à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Tse. Au Canada, la police a rarement recours à l'article 184.4 du Code criminel, mais, lorsqu'elle le fait, cela peut contribuer à sauver des vies. Cet article autorise l'interception de communications privées par la police quand il n'a pas été possible d'obtenir un mandat avec diligence raisonnable, et lorsqu'il y a des motifs raisonnables de croire que l'interception est nécessaire pour empêcher un acte illégal qui causerait à quelqu'un des dommages graves. Un enlèvement en cours ou un homicide potentiel commis par des criminels organisés en seraient des exemples.

Les tribunaux, le gouvernement et les citoyens canadiens croient tous à juste titre que l'interception de communications privées par l'État devrait seulement se faire lorsque c'est absolument nécessaire. La police au Canada le croit aussi.

Les tribunaux, le gouvernement et les Canadiens ont aussi besoin d'avoir l'assurance que lorsque l'article 184.4 est utilisé par la police de manière appropriée et seulement dans les circonstances les plus graves. Nous, les policiers, rendons des comptes à ceux que nous servons, et c'est pourquoi nous appuyons le projet de loi.

D'autres articles dans le code ont des exigences de produire des rapports quand on intercepte des communications privées. L'article 195 est l'un de ces articles. Avant le projet de loi, il n'y avait aucune exigence de produire des rapports quand la police utilisait l'article 184.4 pour intercepter des communications privées lors de situations d'urgence. Des modifications à l'article 195 en vertu du projet de loi changeront cela et exigeront la production de rapports lorsqu'on utilise l'article 184.4.

Nous appuyons cette nouvelle mesure de reddition de compte et la protection qui en découlera pour la vie privée des Canadiens. Les Canadiens doivent savoir que la police interceptera leurs communications privées seulement lorsqu'ils sont autorisés par la loi et qu'il y a des mesures de reddition de compte en place pour garantir que toute interception se fait toujours de manière appropriée et seulement quand les circonstances le justifient. Le projet de loi met ces mesures en place tout en permettant à la police d'intercepter des communications privées sans mandat quand des vies sont en péril.

La sénatrice Fraser : Bienvenue au comité. Ce serait encore mieux si vous étiez ici en personne, mais les merveilles de la technologie vous font apparaître devant nous. Avez-vous participé à des cas où il y a eu recours à l'article 184.4?

M. Lemcke : Non. Cependant, je devrais dire que jusqu'en septembre de l'année dernière, j'étais le chef adjoint responsable de la section d'enquête au Service de police de Vancouver, et l'article 184.4 était utilisé par des inspecteurs et des enquêteurs du service habituellement pour des cas d'enlèvement en cours.

La sénatrice Fraser : Vous étiez donc au courant de combien de cas?

M. Lemcke : Très peu. Je ne pourrais pas vous donner les chiffres, mais heureusement ce n'est pas quelque chose de courant dans la ville de Vancouver.

La sénatrice Fraser : Croyez-vous que les exigences en matière de notification, tel que prévu dans le projet de loi, seront assez simples pour la police, qui doit les mettre en œuvre? En particulier, je pense à toute la question de tierces parties — pas toujours des personnes que vous connaissez. Comment pensez-vous que ça va fonctionner en pratique?

M. Lemcke : Parlez-vous de l'exigence de notifier les gens dans un délai de 90 jours sauf si on obtient une prolongation?

La sénatrice Fraser : Oui.

M. Lemcke : C'est quelque chose que nous faisons déjà. Les délais sont acceptables. Ma seule inquiétude porte sur les prolongations parce que dans certains cas le fait de divulguer ces renseignements pourrait nuire au bon déroulement d'une enquête en cours; mais, je n'y vois aucun problème.

La sénatrice Fraser : Merci beaucoup.

Le président : Comme question complémentaire sur les conséquences de la notification, à quel point est-ce que c'est difficile dans l'ère moderne de communication? Est-ce que la notification pose problème dans votre service?

M. Lemcke : Elle pourrait, mais bien sûr nous serions aussi assidus que possible pour le faire, au besoin. Tout dépend parce que le monde a changé sur le plan de la technologie, comme nous le savons tous. Il y a tellement d'échanges par courriel, message texte ou téléphone cellulaire que ça peut poser un problème. Je n'ai jamais entendu nos enquêteurs dire que c'était quelque chose de difficile à faire.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Lemcke, de votre témoignage, j'aimerais vous entendre sur l'importance de l'interception d'une conversation téléphonique dans le but de protéger la sécurité publique et évidemment dans des cas où il faut intervenir assez rapidement.

[Traduction]

M. Lemcke : Un exemple serait un enlèvement en cours et notre besoin de pouvoir intercepter des conversations, surtout par cellulaire ou téléphone fixe, entre un suspect ou une victime et quelqu'un d'autre. Cela revient à la possibilité de sauver des vies en retrouvant des gens aussi rapidement que possible. Il pourrait s'avérer que cette conversation nous donne la preuve qui nous permet de déterminer où ils sont et de les secourir immédiatement.

Il faut aussi reconnaître qu'au début de ce genre d'enquêtes, telles que dans un enlèvement où le cas de quelqu'un qui risque d'être assassiné, l'objectif principal de l'enquête au début est de sauver des vies. Il s'agit de toute action qu'on peut prendre, et si on peut obtenir ces renseignements par interception légale, c'est excellent. Cela est toujours l'objectif principal.

Le sénateur Baker : Merci de votre excellent exposé. Je me demande à quel point cette disposition et d'autres sont pratiques relativement à l'interception de communications privées. Je fais référence non seulement à l'article 184.4 mais aussi aux articles 186 et 188 puisque vous devez signaler au procureur général de la Colombie-Britannique le nombre d'interceptions faites en vertu de trois articles du Code criminel dans l'année qui suit. Le Code criminel exige que vous communiquiez les résultats de ces interceptions au procureur général de la Colombie-Britannique s'il y a une poursuite au niveau provincial ou au procureur général du Canada si la poursuite se fait au niveau fédéral. Les résultats comprennent le nombre de condamnations et de personnes accusées suite à ces interceptions.

Si je comprends bien, mettre des téléphones sous écoute et interférer avec des communications privées sont des éléments d'une enquête qui habituellement dure des années. Comment pouvez-vous donc donner une réponse exacte à toutes ces exigences concernant le nombre de poursuites, de personnes condamnées et de personnes mises sur écoute chaque année?

M. Lemcke : C'est une bonne question. Il serait très difficile de le faire. La seule chose que je peux dire c'est qu'on donnerait l'information qu'on a à ce moment. Donc, si on faisait rapport l'année suivante du nombre de fois qu'on s'est servi d'écoute électronique en vertu de l'article 184.4 ou tout autre article, on pourrait fournir la raison et indiquer s'il y a eu des erreurs, et on pourrait probablement indiquer à ce moment si des accusations ont été portées.

Cependant, vous avez raison : ça pourrait être deux ou trois ans plus tard quand on fait rapport encore et on dit quels ont été les résultats de l'interception effectuée en 2012 — et nous sommes en 2015 — et on a reçu les condamnations imposées à ces dates. Vous avez raison, car étant donné le temps que prend l'affaire aux tribunaux on ne serait pas en mesure de communiquer rapidement le nombre de personnes condamnées.

Le sénateur Baker : Les rapports donnés par la province de la Colombie-Britannique, le gouvernement fédéral et chacun des gouvernements provinciaux doivent respecter les lois que nous adoptons, et les lois que nous adoptons précisent que vous devez inscrire chaque année des chiffres dans certaines colonnes.

Dites-vous que si je consulte l'année 2011 et je que lis « nombre de demandes pour autorisation »; une autre colonne « nombre de personnes contre lesquelles des poursuites ont été entamées »; une autre colonne, « nombre de personnes contre lesquelles des poursuites ont été entamées et pas identifiées dans l'autorisation »; et ensuite votre dernière colonne, « nombre de notifications données en vertu de l'article 196 » — que peut-être certains de ces renseignements d'années précédentes pourraient être inclus et qu'un aperçu annuel de ce qui s'est passé l'année précédente serait pratiquement impossible à divulguer?

M. Lemcke : Il serait très difficile de divulguer certains résultats en temps opportun.

Le sénateur Baker : Merci.

M. Lemcke : De surcroît, tous les ans on recevrait aussi des mises à jour; on recevrait l'information actuelle et, lorsque d'autres informations arrivent, on produirait des rapports annuellement sur cela aussi. Je comprends le point que vous soulevez.

Le sénateur Baker : On parle d'une obligation prévue par la loi, et on ne peut pas faire semblant. Votre service doit présenter des listes tous les ans en Colombie-Britannique et, si la poursuite est au niveau fédéral, au ministre fédéral. Vous dites qu'on ne peut pas le faire de manière exacte en se fondant sur les actions de l'année précédente; il faut que cela se fasse sur une certaine période et pas tel que précisé dans le texte. Est-ce que cette interprétation est correcte?

M. Lemcke : Oui, c'est correct.

Le président : Monsieur le chef adjoint, est-ce que la définition de « policier » dans le projet de loi préoccupe de façon ou d'une autre votre association?

M. Lemcke : Non, il n'y a pas de problème là.

Le sénateur Joyal : Merci, chef Lemcke, pour vos commentaires. J'ai lu votre mémoire, j'ai remarqué que vous concentrez vos commentaires surtout sur les dommages subis par les personnes; j'ajouterais dommages aux biens. Vous ne mentionnez nulle part dans votre mémoire que vous êtes aussi préoccupé par les dommages aux biens. Le nouvel article 184.4 couvre les dommages aux personnes ou aux biens. Cela veut dire que tout policier informé de dommages faits à des biens pourrait vraiment utiliser le même article pour intercepter la communication. Avez-vous le projet de loi devant vous?

M. Lemcke : Oui.

Le sénateur Joyal : Quand on lit l'article 184.4, à la toute fin de la première page, la dernière ligne est : « ... qui causerait des dommages sérieux à une personne ou un bien ». En d'autres termes, il y a une nette distinction dans le projet de loi.

Vous semblez consacrer vos commentaires aux dommages sérieux aux personnes, mais le projet de loi est beaucoup plus vaste que ce que vous nous proposez comme réflexion. Cela voudrait dire que si quelqu'un, par exemple, parlait à quelqu'un d'autre pour préparer un vol ou informer quelqu'un qu'il pouvait aller à la banque et ainsi de suite, la police pourrait intercepter cette conversation, et en gros c'est une infraction qui causerait des dommages à des biens, par exemple, tels que voler de l'argent.

C'est beaucoup plus large que ce que vous nous avez présenté dans votre mémoire. Je suis certain que vous avez lu le projet de loi et vous serez d'accord avec moi que le projet de loi couvrait effectivement la question des otages — et nous appuyons tous cela —, mais ça couvre aussi tout dommage aux biens, ce qui représente beaucoup d'infractions aussi; c'est le plus grand nombre d'infractions dans le Code criminel. Comment réagissez-vous à mes commentaires?

M. Lemcke : D'une perspective policière, on examinerait cet article particulier, et je pense que ça serait « des dommages sérieux à un bien ». Cela serait quelque chose comme, disons, une attaque terroriste sur une institution vitale dans une ville, le bombardement d'une école ou un grand incendie volontaire. Ça serait un cas dans lequel on aurait à se présenter devant les tribunaux plus tard, ou ceux qui nous demanderaient des comptes, et dire, « oui, c'était sérieux, et voici pourquoi on l'a fait ».

Je ne pense pas que les tribunaux toléreraient, et je n'accepterais pas que les tribunaux tolèrent, que la police intercepte une conversation entre deux personnes dont une projetait de briser la clôture de son voisin ou quelque chose comme ça. On ne prendrait jamais à la légère le fait d'intercepter les communications privées des gens, et pour recourir à l'article 184.4, il faut que la situation soit très grave.

Il faut également comprendre que lorsque nous décidons d'avoir recours à l'article 184.4, c'est parce que nous sommes dans une situation où nous estimions pouvoir obtenir un mandat, or, nous n'avons pas suffisamment de temps pour en obtenir un, en d'autres mots, nous devons agir immédiatement. Nous ne pourrions jamais obtenir un mandat de la partie VI en vertu d'un autre article du Code criminel pour intercepter une conversation entre deux gamins qui planifient le vol d'un vélo quelconque. Pour pouvoir obtenir un mandat nous permettant d'intercepter les communications privées, il faut une situation beaucoup plus grave.

Encore une fois, en examinant l'article 184.4, il faut garder à l'esprit qu'il s'applique uniquement à la situation où on croit pouvoir obtenir un mandat mais on ne peut pas faute de temps. La situation doit être très grave.

Le sénateur Joyal : La procédure de production des rapports m'inquiète également. L'Association du Barreau canadien en a fait état jusqu'à un certain point, et je partage ses préoccupations. Il s'agit d'une personne qui aurait pu faire l'objet d'une interception, mais qui n'est pas par la suite accusée d'infraction. Cette personne ne serait pas l'objet pas d'un rapport. En d'autres mots, un honnête citoyen pourrait faire l'objet d'une interception, parce que vous et un autre policier croyez avoir des motifs raisonnables. Il serait ensuite l'objet d'une interception mais, au bout du compte, il ne serait pas accusé d'infraction. Les noms de ce genre de personnes ne figureront pas dans les rapports.

En d'autres mots, je vois ça comme une brèche qui pourrait mener à un abus possible. Nous ne saurions pas du tout qui pourrait faire l'objet d'une interception de communication sans avoir été accusé d'infraction. Alors on ne saurait pas. On va passer sous silence les noms de ces gens.

Je crois qu'il faut tenir compte de cet élément important, pour les mêmes raisons que vous avez indiquées dans votre mémoire; c'est-à-dire, vous voulez savoir avec certitude que ces interceptions sont limitées à des situations exceptionnelles. Si vous n'êtes pas tenu de faire rapport d'une interception qui n'a pas mené à des accusations à l'égard de la personne qui a fait l'objet de ces interceptions, eh bien, toute l'opération demeure secrète, ce qui est, à mon avis, à quelques égards contraire à la loi dont l'objectif est d'atteindre un équilibre entre le pouvoir donné à la police et la divulgation de ces initiatives et de ces interventions au nom du policier. Je crois que vous me comprenez.

M. Lemcke : En effet, je vous comprends. Je lis le nouvel alinéa 195(5)c), qui dit « aux interceptions faites en vertu de l'article 184.4 au cours de l'année précédente, dans les cas non visés à l'alinéa (1)c) ».

Cependant, nous devons également comprendre que la police « avise par écrit, dans les 90 jours suivant l'interception, toute personne qui en a fait l'objet ». Alors il faut en faire rapport, et il faut aviser directement la personne qui a fait l'objet de l'interception. Je me dis et j'espère que si cette personne avait des questions, des préoccupations ou si elle estime qu'il y a eu quelque chose d'inapproprié, qu'elle signalera le problème au service de police qui a fait l'interception.

Le sénateur White : Merci beaucoup, monsieur le chef de police adjoint. Je vous remercie de votre présence virtuelle. Si j'ai bien compris, vous avez une question relative à « agent de la paix », et « agent de police ». Vous êtes d'accord avec ces changements également, c'est-à-dire que ce doit être un policier?

M. Lemcke : Oui.

Le sénateur White : Les témoins ont beaucoup discuté des situations d'urgence en ce qui concerne ces autorisations d'écoute électronique. Je sais que, au cours de votre carrière, vous avez probablement été responsable d'eux, ou du moins approuvé un certain nombre d'autorisations d'écoute électronique en vertu de la partie VI. En moyenne, au cours des cinq dernières années, combien de temps mettriez-vous à préparer une autorisation en vertu de la partie VI, et combien de pages est-ce que cela représenterait?

M. Lemcke : Vous voulez dire l'autorisation en vertu de la partie VI au complet?

Le sénateur White : Oui, s'il vous plaît.

M. Lemcke : Ça pourrait être un mois ou plus.

Le sénateur White : Je vous pose la question surtout parce qu'ici, je crois que nous oublions parfois de quoi il s'agit. Il s'agit d'une situation d'urgence, d'une possibilité, souhaitons-le, de sauver la vie de quelqu'un et d'agir immédiatement plutôt que de suivre ces mesures qui ont été mises en place. Probablement quand vous avez commencé votre carrière — car je sais que cela a été le cas pour moi — dans les forces policières, l'obtention d'une autorisation en vertu de la partie VI, ce qui représentait 10 ou 15 pages, pouvait prendre quelques heures. Maintenant, ça prend quelques semaines ou plus et cela représente des centaines de pages. Je pense qu'il s'agit ici de situations d'urgence.

M. Lemcke : Vous avez raison, sénateur. Ce qui importe dans ces situations d'urgence c'est de sauver la vie d'un enfant, même s'il n'y a jamais d'inculpation. C'est là le principal.

Le sénateur White : Merci beaucoup de votre réponse.

La sénatrice Fraser : Merci. Je reviens aux questions du sénateur Joyal au sujet de l'avis.

Le projet de loi prévoit que toute personne qui a fait l'objet d'une interception doit en être avisée. C'est en haut de la page 5, paragraphe 196.1(1). Je voudrais mieux comprendre ce que signifie pour vous le mot « objet », dans « objet d'une interception ». Est-ce que ça fait référence à la personne qui était la vraie cible de l'interception, la personne au sujet de qui vous vouliez vous informer, ou est-ce que ça fait référence également aux tiers, des gens qui ne sont pas en cause mais qui se font attraper parce que, lorsqu'on utilise l'écoute électronique, des fois on arrête des personnes qui n'étaient pas vraiment celles qu'on recherchait? Que veut dire « objet »?

M. Lemcke : Selon moi, il s'agit de la personne qui a été ciblée par l'interception.

La sénatrice Fraser : Vous ne croyez pas que cela exigerait un avis aux tiers?

M. Lemcke : Non. Je crois que si la personne sous écoute électronique est en conversation, par exemple, avec son mécanicien au sujet de réparations à son auto, et qu'une partie de cette conversation est entendue puisqu'on l'aurait écoutée en entier, alors nous n'aviserions pas le mécanicien que nous avions entendu cette partie de la conversation. Lorsque ces conversations sont interceptées, nous ne les écoutons pas si elles ne sont pas pertinentes à l'enquête.

La sénatrice Fraser : Merci beaucoup.

Le sénateur Baker : Vous avez parlé des motifs raisonnables de croire. Le sénateur White a bien sûr mis l'accent sur le fait que, s'il fallait faire une demande d'autorisation en vertu de l'article 186, cela exigerait parfois 500 ou 600 pages de motifs raisonnables, dépendamment des déposants et des sous-déposants. Dans le cas qui nous concerne, l'article 184.4 n'exige pas ce niveau de détails, mais cela exige quand même des motifs raisonnables de croire, qui est une norme très élevée. Le policier doit avoir des motifs raisonnables de croire que la situation est urgente et de croire que cette interception est immédiatement nécessaire.

Vous dites que les policiers doivent d'abord satisfaire à des critères très exigeants prescrits par la loi avant de procéder en vertu de l'article 184.4. Est-ce que cela est exact?

M. Lemcke : C'est exact.

Le sénateur Baker : On a déjà fait valoir au comité que, en l'absence d'un mandat prouvant quels étaient les motifs raisonnables aux yeux du policier, il incomberait donc à la Couronne de prouver qu'il existait des motifs raisonnables avant que la preuve puisse être autorisée en première instance. Pour le policier qui doit normalement présenter en première instance les éléments de preuve établissant les motifs raisonnables, c'est dans ses notes qu'on trouverait les motifs raisonnables. Est-ce qu'ils pourraient se trouver dans ce format-là? Est-ce que ces motifs se trouveraient dans le rapport sur l'incident? Comment appelle-t-on ces rapports qu'on doit soumettre à la cour dans votre province? Aux fins de la divulgation, vous serez tenu d'avoir des motifs raisonnables, formulés par le policier après l'incident, avant de pouvoir présenter quelque chose en première instance. Est-ce exact?

M. Lemcke : Il vous faudrait les notes faites au fur et à mesure que l'enquête s'est déroulée. Par la suite, il vous faudrait tous les rapports sur l'incident ainsi que les rapports soumis aux avocats de la Couronne qui contiennent tous les détails depuis le tout début de l'enquête. Tout y sera, tout sera divulgué.

Le sénateur Baker : Les notes prises au fur et à mesure, ce qui constitue peut-être l'élément le plus important, font partie des exigences de divulgation au moment du procès. Est-ce que cela est correct?

M. Lemcke : C'est exact.

Le sénateur Joyal : Dans la même veine, chef Lemcke, dans le cas d'une procédure subséquente où le policier doit témoigner pour expliquer pourquoi il croyait avoir des motifs raisonnables pour procéder à l'interception des communications, quel genre de documents va appuyer le policier? En d'autres mots, existe-t-il un rapport? Des notes? Est-ce qu'une conversation avec un officier supérieur a eu lieu après l'incident? Quels sont les éléments de preuve? Est- ce qu'on se fonde simplement sur les dires du policier? Quels sont les documents justificatifs qui soutiennent un policier devant témoigner quant au motif raisonnable lui permettant de procéder à l'interception des communications?

M. Lemcke : Tout ce que vous avez dit, monsieur. Les policiers doivent documenter tout du début à la fin. De plus, d'autres éléments s'ajoutent au rapport. Ces éléments pouvaient comprendre les appels 911, les enregistrements de ces appels en format audio et transcrits, les déclarations des témoins, toutes les notes faites par les policiers et toutes les directives données par les officiers supérieurs.

Si un officier supérieur du Service de police de Vancouver avait dit, « Nous allons nous servir de l'article 184.4 du Code criminel », le policier en question est tenu d'indiquer tous les détails justificatifs.

Il faut également comprendre que tout ce que nous faisons qui a amené le policier à avoir recours à l'article 184.4 sera examiné par les tribunaux plus tard, dans n'importe quel procès. Les juges examinent cet élément très attentivement. S'il s'agit d'une enquête plus à long terme, tout ce qu'on a fait en vertu de l'article 184.4 fera partie de la demande en vertu de la partie VI ou moment où nous demandons un mandat de la part d'un juge. Tout est scruté à la loupe, comme cela se doit, parce que nous sommes en train d'intercepter des communications privées.

Les cours vont vouloir tout scruter. Les juges vont vouloir tout examiner. Dans le cas d'un procès, les avocats de la défense et la Couronne vont vouloir tout examiner pour s'assurer que tout soit en règle, parce que personne ne prend cette question à la légère. C'est pour cette raison que le recours à l'article 184.4 est très rare au Canada. Nous sommes chanceux au Canada parce que nous n'avons pas besoin d'y avoir recours souvent, on s'en sert seulement dans le cas de circonstances très graves. Tout doit être documenté à partir du premier appel 911.

Le sénateur Joyal : C'est pour cette raison que je partage votre préoccupation relative au projet de loi, qui n'exige pas que le policier fasse rapport à son supérieur ex post facto, et non pas avant, parce que je comprends qu'il y a des choses qui se passent et le policier doit prendre une décision sur-le-champ. Cependant, une fois la décision prise, afin d'en protéger sa gravité, si le policier était tenu de signaler à son supérieur qu'il a pris une telle démarche en croyant qu'il existait des motifs raisonnables, des motifs qui, bien entendu, feront l'objet d'un examen du juge et du procureur de la Couronne, et ainsi de suite, il serait une sauvegarde contre toute décision fondée sur les motifs raisonnables mal établis.

M. Lemcke : Je dirais qu'une telle chose ne pourrait jamais se produire en vertu de l'article 184.4 sans la participation d'un policier supérieur qui a été informé de chaque aspect de l'enquête menant à l'interception des communications

Je peux dire qu'à Vancouver, dans le cas d'un enlèvement ou d'un incident majeur, et que nous croyons devoir recourir à l'article 184.4 du Code criminel, il y a toujours un inspecteur présent dans la salle; on fait toujours appel aux officiers de divers rangs et ils savent tous ce qui se passe du début à la fin de l'enquête.

Encore une fois, un policier assis à son bureau ne peut pas simplement décider qu'il veut faire un appel et intercepter les communications de quelqu'un en vertu de l'article 184.4. La reddition de comptes doit se faire à l'interne, au sein de nos propres organismes, également. Les officiers supérieurs vont tous être au courant de ce qui se passe.

De plus, nos policiers sont très bien formés. Ils connaissent la loi. Ils savent quand le recours à l'article 184.4 est légitime et quand ils peuvent se prévaloir de cet article. De cela, je suis sûr.

Le sénateur Baker : Monsieur le chef, nous avons entendu beaucoup de témoins aujourd'hui. Nous avons passé une très longue journée ici pour débattre du projet de loi. Les rares témoins qui s'opposent au projet de loi ont fait valoir un argument tout à fait légitime, c'est-à-dire que le Code criminel ou la Loi réglementant certaines drogues et autres substances peuvent permettre à un policier, dans des circonstances urgentes, de recevoir de façon très rapide et efficace un télémandat par téléphone. En d'autres mots, le policier n'a qu'à téléphoner à un juge de la cour provinciale. L'article 11 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances prescrit qu'on peut avoir recours à l'article 487, soit la disposition relative au télémandat. Au bout de cinq minutes, le juge de la cour provinciale, après avoir écouté le policier, peut lui télécopier un mandat, formulaire 5.1, ce qui autorise le policier à faire irruption chez quelqu'un, ce qui exige une preuve suffisamment forte, afin de chercher des drogues. Les gens se posent la question suivante : pourquoi ne pas se prévaloir de la même disposition dans les circonstances qui font l'objet du débat aujourd'hui?

Certains témoins s'y opposent en disant que les dispositions du Code criminel à l'étude aujourd'hui peuvent être autorisées, selon l'article 196, seulement par un juge de la cour supérieure. Le code dit « un juge », en anglais « judge », ce qui est défini comme un juge de la Cour supérieure. Mais en anglais, le mot « justice » signifie un juge de paix ou un juge de la cour provinciale.

Si vous voulez procéder à une descente pour trouver des drogues chez quelqu'un, vous pouvez demander, par téléphone, à un juge de la cour provinciale de l'autoriser, mais selon les circonstances prescrites à l'article 184.4, vous devez vous adresser à un juge de la Cour supérieure. Cependant, ces juges ne sont pas nombreux et ils ne sont pas disponibles 24 heures sur 24, sept jours par semaine.

Avez-vous songé à la possibilité de faire appel à un juge de la cour provinciale plutôt que de la Cour supérieure étant donné que ce sont les juges de la cour provinciale qui entendent 95 p. 100 des cas criminels dans les provinces de toute manière?

M. Lemcke : Vous me demandez si j'ai déjà envisagé la possibilité de faire appel à un juge de la cour provinciale afin d'obtenir un mandat dans ces circonstances?

Le sénateur Baker : Oui; en d'autres mots, reprendre les dispositions de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et du Code criminel aux articles 487 et 492.2. Il s'agit des dispositions relatives au mandat. Si la police avait le même accès à un juge de la cour provinciale, qui est de service 24 heures sur 24, sept jours par semaine, elle pourrait obtenir un télémandat en cinq minutes, ce qui n'est pas possible en vertu des dispositions actuelles parce qu'il faut obtenir l'autorisation d'un juge de la cour supérieure. Avez-vous déjà pensé à cela? Vous n'avez pas besoin de dire quoi que ce soit si vous ne voulez pas le faire. C'est une question qui a été soulevée pendant nos séances.

M. Lemcke : Je veux bien faire part de mes observations. Les cinq minutes que je devais prendre afin d'obtenir un mandat du juge auraient pu coûter la vie de quelqu'un. Je ne veux pas vivre avec cela. Je ne peux pas vivre avec cela. C'est tout ce que ça prend.

Nous parlons d'une démarche qui est prise lors des circonstances les plus graves. Dire à chaque Canadien dont l'enfant a été enlevé qu'on avait le numéro du téléphone cellulaire du méchant type qui avait pris leur enfant et qu'on aurait pu intercepter la conversation tout de suite étant donné que la personne venait d'appeler quelqu'un d'autre pour dire qu'ils étaient en cours de route, allant de Vancouver à Hope, mais qu'on devait attendre cinq minutes afin d'obtenir un mandat, cinq autres minutes pour le signifier et cinq minutes de plus ici, entre-temps on a perdu l'enfant et ce serait impardonnable. Voici la situation où on pourrait se prévaloir de l'article 184.4 afin de sauver une vie. Je ne veux pas attendre cinq minutes pour cela.

Le sénateur Baker : Bonne réponse. Vous faites du bon travail, monsieur.

Le président : Merci beaucoup. Nous vous remercions de votre comparution aujourd'hui, et votre témoignage aidera les délibérations du comité énormément. Merci beaucoup.

Avant de prendre une pause, je tiens à vous informer que nous allons nous réunir demain matin, à 9 heures, à la salle 256 de l'édifice du Centre pour procéder à l'étude article par article du projet de loi C-55.

(La séance est levée.)


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