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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 35 - Témoignages du 1er mai 2013


OTTAWA, le mercredi 1er mai 2013

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 16 h 16, pour examiner le projet de loi S-16, Loi modifiant le Code criminel (contrebande de tabac).

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je souhaite un bon après-midi en même temps que la bienvenue à mes collègues, à nos invités ainsi qu'aux membres du public qui assistent à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous commençons aujourd'hui l'examen du projet de loi S-16, Loi modifiant le Code criminel (contrebande de tabac), et nous avons le plaisir d'inaugurer nos délibérations sur ce sujet en accueillant l'honorable Rob Nicholson, ministre de la Justice et procureur général du Canada. Le ministre Nicholson est accompagné de hauts fonctionnaires du ministère de Justice Canada : Carole Morency, directrice générale et avocate principale par intérim, Section de la politique en matière de droit pénal et Paul Saint-Denis, avocat-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal.

Monsieur le ministre, vous avez la parole.

L'honorable Robert Nicholson, C.P., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Merci beaucoup, monsieur le président. Je comparais en effet devant ce comité alors que vous amorcez vos travaux d'examen du projet de loi S-16 visant à lutter contre la contrebande de tabac. Je remercie mon collègue, le sénateur White, d'avoir présenté le projet de loi devant cette chambre. Comme vous le savez, ce projet de loi fait suite à l'engagement pris par notre gouvernement, lors des élections de 2011, de s'attaquer au problème de la contrebande de tabac en présentant une loi prescrivant des peines d'emprisonnement obligatoires pour les contrebandiers de tabac récidivistes.

Comme la plupart d'entre vous le savent, il n'existe pas, dans le Code criminel du Canada, d'infraction concernant la contrebande de tabac. Le projet de loi crée donc une nouvelle infraction pour ce genre de trafic en interdisant de vendre, d'offrir en vente, de transporter, de livrer, de distribuer ou d'avoir en sa possession, pour la vente, des produits du tabac ou du tabac en feuilles qui ne sont pas emballés ou estampillés.

Le libellé de l'infraction inscrite au Code criminel établit une concordance avec la Loi de 2001 sur l'accise afin que les termes « produit du tabac », « tabac en feuilles », « emballé » et « estampillé » aient une signification correspondant exactement à celle fixée dans l'article 2 de cette loi.

La peine prévue pour une première infraction est un maximum de six mois d'emprisonnement sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, et un maximum de cinq ans si l'infraction est poursuivie par mise en accusation. Les récidivistes reconnus coupables de cette nouvelle infraction seraient condamnés, si la quantité de produits du tabac est égale ou supérieure à 10 000 cigarettes ou à 10 kilogrammes de tout autre produit du tabac, ou si celle du tabac en feuilles est égale ou supérieure à 10 kilogrammes, à un minimum de 90 jours pour une deuxième infraction, de 180 jours pour une troisième et de deux ans moins un jour pour toute infraction ultérieure.

Par ailleurs, le projet de loi amende la définition de « procureur général » dans le Code criminel afin de conférer au procureur général du Canada une compétence commune avec les juridictions provinciales dans la poursuite de cette nouvelle infraction.

Dans leur ensemble, ces propositions représentent une approche ciblée visant à imposer des peines obligatoires pour les infractions graves liées à la contrebande de tabac. Cependant, les peines minimales n'y sont proposées qu'en présence de certains facteurs aggravants.

La production, la distribution et la vente illicite de cigarettes au Canada a atteint, ces dernières années, des niveaux sans précédent et qui mettent en difficulté les responsables de la santé publique, les services de maintien de l'ordre, les autorités fiscales, les responsables des politiques et l'ensemble de la population. La contrebande de tabac représente une menace pour la santé publique au Canada, de même que pour nos collectivités et notre économie. Elle alimente l'expansion des réseaux de la criminalité organisée et contribue à rendre plus facile, au sein de nos collectivités, de se procurer des drogues illégales et des armes à feu.

Il est reconnu que le tabagisme a comme conséquences les plus répandues les maladies cardiaques, hépatiques et pulmonaires. Cependant, il est particulièrement alarmant de constater que le nombre de jeunes qui consomment du tabac de contrebande augmente aussi rapidement. Ils y sont encouragés par la faiblesse des prix pratiqués, la facilité d'obtention et l'absence de vérification de l'âge, si bien que des jeunes qui ne devraient pas fumer du tout n'ont pas de difficulté à se procurer du tabac de contrebande.

Comme on peut le constater dans la cour de toutes les écoles, ce sont les adolescents que visent les réseaux criminels de contrebande du tabac. En 2007, 2008 et 2009, une étude a été menée sur la prolifération du tabac de contrebande dans les écoles secondaires des provinces de l'Ontario et du Québec. Cette étude, qui a porté sur des centaines de sites, a donné des résultats extrêmement préoccupants : près d'un tiers des cigarettes relevées dans les écoles secondaires de l'Ontario et plus de 40 p. 100 de celles relevées dans les écoles secondaires du Québec étaient des produits de contrebande. Je crois que l'une des principales raisons pour lesquelles le taux de tabagisme est élevé parmi les jeunes tient au fait que les marchands de tabac de contrebande et leurs distributeurs ne se soucient guère de vérifier l'identité de leurs acheteurs, ce qui facilite l'obtention de tabac de contrebande par les adolescents. J'ajoute que ces derniers s'orientent davantage vers le tabac de contrebande parce qu'il est moins cher que les cigarettes provenant du commerce licite.

Il convient toutefois de préciser que le projet de loi ne vise pas seulement à décourager la consommation de tabac de contrebande, mais également à lutter contre le problème plus général que représente le trafic lié au tabac de contrebande. Comme vous le savez, outre l'introduction de ce projet de loi, le gouvernement intensifie ses efforts de lutte contre le trafic et la contrebande transfrontalière du tabac en mettant sur pied un groupe d'intervention anti- contrebande composé de 50 agents de la GRC. Ce groupe sur la lutte contre le tabac de contrebande ciblera les éléments du crime organisé qui participent à la production et à la distribution de tabac de contrebande, avec comme mission d'obtenir des résultats mesurables quant à la réduction du marché de contrebande et à la lutte contre les réseaux du crime organisé. Son action s'inscrira dans le cadre de la Stratégie de lutte contre le tabac de contrebande de la GRC, qui vise à réduire la disponibilité de ce produit ainsi que la demande dont il fait l'objet, mais aussi l'implication de la criminalité organisée; cette action s'appuiera sur les mesures d'imposition déjà mises en œuvre à l'échelon fédéral.

Étant donné que le projet de loi S-16 propose des peines d'emprisonnement minimales obligatoires, permettez-moi de consacrer quelques réflexions à l'article 12 de la Charte des droits et libertés. Cet article dispose que « chacun a droit à la protection contre tout traitement ou peine cruels et inusités ». En d'autres termes, il instaure une protection contre des peines tellement excessives qu'elles viennent heurter la notion de dignité qui prévaut au sein de notre société. Démontrer qu'il y a eu violation de l'article 12 n'est pas tâche facile, et implique que l'on démontre qu'une disposition particulière revient à infliger une peine totalement disproportionnée par rapport à l'infraction, ce qui la rend odieuse et intolérable pour l'opinion canadienne.

Les peines minimales d'emprisonnement proposées dans le projet de loi S-16 ont pour objet de combattre un phénomène qui a d'importantes répercussions négatives pour la sécurité, la santé et le bien-être économique de la société canadienne. Elles ont été spécifiquement élaborées de manière à s'appliquer exclusivement aux récidivistes de la nouvelle infraction du Code criminel concernant la contrebande de tabac, dans des cas impliquant des volumes élevés de tabac de contrebande. Elles ne s'appliquent pas aux cas de simple possession de tabac de contrebande, ni aux personnes qui ont été condamnées aux termes de la Loi de 2001 sur l'accise concernant la vente de tabac de contrebande.

Ces mesures sont raisonnables, et elles représentent une réponse pertinente et rationnelle à un grave problème actuel. Je crois pouvoir dire, honorables sénateurs, que les peines obligatoires proposées dans ce projet de loi sont raisonnables. Le gouvernement du Canada a compris que la contrebande de tabac est un problème grave et que les Canadiens tiennent à être protégés de la violence qui entoure la contrebande de tabac et du phénomène de criminalité organisée associé à ce genre d'activité.

Le gouvernement prend au sérieux la responsabilité qui lui incombe de protéger la société contre les éléments criminels. Ce projet de loi reflète l'engagement que continue d'honorer notre gouvernement de prendre les mesures visant à protéger les Canadiens et à améliorer la sécurité de nos voies publiques et de nos collectivités. Les Canadiens veulent des lois qui infligent des peines reflétant de façon adéquate la gravité d'infractions telles que le trafic de tabac de contrebande. Ce projet de loi en est l'expression, et je vous encourage à l'appuyer.

Le président : Merci, monsieur le ministre.

La sénatrice Fraser : Bienvenue à notre comité, vous êtes ici chez vous. J'ai plusieurs questions à poser et je vais essayer de tirer le meilleur parti du temps dont je dispose.

Je commencerai par observer que la Loi sur l'accise contient des dispositions sévères sur la contrebande de tabac, lesquelles ne sont pas abrogées par le présent projet de loi. Donc, pour commencer, avez-vous envisagé de vous appuyer sur cette loi plutôt que sur le Code criminel? En deuxième lieu, y a-t-il un risque de voir quelqu'un être condamné deux fois, je veux dire en vertu de deux lois différentes?

M. Nicholson : Lorsqu'on élabore un projet de loi, on essaie de retenir les meilleures options, et il est évident que les dispositions de la Loi sur l'accise méritent d'être prises en considération. Cependant, la Loi sur l'accise traite principalement de la collecte des impôts, alors qu'il s'agit ici d'activités criminelles. C'est pourquoi je pense qu'il était bon de disposer, dans le Code criminel, d'une mesure distincte traitant de l'ensemble de la question que représentent la vente et la distribution de tabac de contrebande. La décision concernant le texte législatif servant de base à la mise en accusation sera prise au cas par cas et conformément à la latitude discrétionnaire, étant donné qu'une personne peut être mise en accusation en vertu de l'une et l'autre lois; cependant, la condamnation ne relèvera que de l'une d'entre elles.

La sénatrice Fraser : Le paragraphe 121.1(5) du projet de loi traite des infractions antérieures et ultérieures. Dans de nombreuses parties du Code criminel, on traite également des antécédents d'une personne, en prévoyant une prescription, généralement décennale. Or, je vois que ce projet de loi n'en contient aucune. En d'autres termes, si quelqu'un se fait prendre à l'âge de 18 ans, et puis une autre fois à l'âge de 43 ans, on considère qu'il y a cumul d'infractions. J'aimerais donc savoir pourquoi vous n'avez pas prévu une période limite pour la récidive.

M. Nicholson : Je n'ai pas considéré que ce soit nécessaire. Lorsque quelqu'un est condamné pour la première fois pour contrebande de tabac, il n'y a pas de peine minimale obligatoire. C'est le tribunal qui décide. Cependant, lorsque l'intéressé persiste et se fait prendre à nouveau après un certain nombre d'années, les procureurs peuvent alors procéder par mise en accusation, ce qui déclenche l'application automatique de la peine prescrite. Certes, le temps passe entre les infractions, mais une infraction reste une infraction.

La sénatrice Fraser : Oui, mais que se passe-t-il lorsque l'une des infractions n'est qu'une broutille? Je comprends très bien que lorsqu'il s'agit de volumes importants — et je parle ici en tant qu'ancienne fumeuse —, il s'agit vraiment de gros volumes. Cependant, il se peut que l'une des infractions soit tout à fait mineure, tout en relevant néanmoins de la contrebande, et il me semble que cela pourrait déboucher involontairement sur des conséquences assez graves.

M. Nicholson : Lorsque que quelqu'un est condamné pour une deuxième, troisième ou quatrième infraction à la vente, distribution ou trafic de plus de 10 kilogrammes de tabac ou 1 000 cigarettes, alors il faut se poser la question du volume. Je rappelle que, bien souvent, les personnes qui se livrent au trafic de ce genre de produits font partie de la criminalité organisée.

La disposition part du principe que s'il s'agit d'une deuxième, troisième, quatrième ou dixième condamnation, alors il s'agit de volumes importants et la Couronne procède par mise en accusation. Ce sont des infractions graves et je crois que les peines sont tout à fait raisonnables.

Le sénateur White : Merci de votre comparution, monsieur le ministre. Je pense que les personnes qui suivent ces délibérations risquent de ne pas comprendre l'enjeu de toute la question. Nous ne sommes plus dans les années 1980 et 1990, lorsque le tabac de provenance licite était vendu de manière illicite. Aujourd'hui, nous avons du tabac de production illicite qui est vendu de manière illicite, avec les répercussions que cela comporte.

Vous avez aujourd'hui l'occasion d'expliquer au comité, mais aussi à toutes les personnes qui suivent ces travaux, que nous cherchons à combattre la criminalité organisée. Peut-être pourriez-vous nous en toucher un mot.

M. Nicholson : Voilà qui est bien dit, sénateur. En effet, c'est exactement ce qui se passait dans les années 1980, à savoir que l'on faisait transiter le tabac à travers les frontières afin d'éviter de payer les taxes en vigueur. Aujourd'hui, dans la majorité des cas, le phénomène est différent. Nous sommes confrontés à une criminalité organisée, dont les mécanismes sont souvent complexes et perfectionnés, c'est ce que m'ont dit très clairement les représentants des différents organismes de protection de l'ordre public et organisations similaires à travers le pays.

Pour revenir à la question posée précédemment par la sénatrice Fraser, le moment est venu d'incorporer cette mesure au Code criminel. Cela se justifie par le fait que nous devons affronter une criminalité sophistiquée, ce que les Canadiens savent bien. C'est pourquoi, une fois de plus, lorsque nous avons envisagé les différentes options, je n'ai pas hésité à m'engager dans cette direction.

Bien souvent, le tabac de contrebande sert de monnaie d'échange pour d'autres activités illicites, par exemple l'achat de drogues ou d'armes à feu. Il se peut que le tabac importé donne lieu à un troc pour l'exportation d'un autre produit illégal. Je crois donc qu'il était important que nous fassions ce choix, qui est un choix justifié, et je vous suis reconnaissant du rôle déterminant que vous avez joué dans ce sens dans cette Chambre.

Le sénateur White : Vous avez répondu en partie à la question, mais comme dans le jeu Jeopardy, je vais à mon tour répondre par une question. Nous entendons dire que des volumes massifs de tabac de contrebande s'échangent contre de la cocaïne et contre d'autres drogues importées dans notre pays. C'est pourquoi je voudrais applaudir la mise sur pied de ces équipes supplémentaires de policiers chargés de s'attaquer à ce phénomène.

Je crois qu'il faut également dissiper un malentendu. On nous dit que nous nous en prenons à une communauté en particulier, alors qu'il n'en est rien. Nous essayons de résoudre un problème et de nous attaquer de la façon la plus efficace possible à la criminalité organisée. Est-ce bien cela?

M. Nicholson : C'est exactement notre but. Je rappelle que nous sommes confrontés à des organisations criminelles très sophistiquées. Les consultations que j'ai menées au fil des ans me démontrent bien qu'il ne s'agit pas de personnes qui se laissent aller à une transaction une petite fois dans leur vie, mais vraiment de criminels organisés.

En tant que parlementaires, nous devons entre autres veiller à ce que le Code criminel soit mis à jour pour refléter la réalité des choses. Vous vous souviendrez, sénateur White, que j'ai eu, avec vous et avec d'autres, des entretiens concernant les vols de voitures et les réseaux très sophistiqués de démantèlement des voitures volées. À l'époque, on m'avait dit que le Code criminel n'était pas suffisamment actualisé pour combattre ce phénomène, et je n'ai pas hésité à appuyer l'adoption de nouveaux textes législatifs pour lutter contre le vol de véhicules automobiles. Nous avons ici un autre exemple de ce genre de situation. Comme vous l'avez tous les deux illustré dans vos propos, il ne s'agit pas seulement de contrebande de tabac, ni d'un phénomène isolé. Bien souvent, il y a ramification vers d'autres activités illicites telles que le trafic d'armes à feu et de drogues, pour ne mentionner que ces exemples.

[Français]

Le sénateur Rivest : Monsieur le ministre, encore une fois, on a un projet de loi qui revient avec l'idée des sentences minimales même si ce n'est pas directement l'objet de ce projet de loi.

Je voudrais vous dposer une question, puisque vous nous faites l'honneur d'être ici : il y a eu toute une série depuis quelques années d'initiatives ou de projets de loi qui ont imposé des sentences minimales sans que les parlementaires puissent les évaluer. Bien sûr, chacune des sentences que vous avez proposées ont été faites avec discernement et raison, en recherchant l'équilibre du Code criminel, mais il y a un nombre considérable de dispositions du Code criminel qui imposent une sentence minimale. On n'est jamais en mesure d'apprécier la mesure relative. Pourquoi deux ans par rapport à un autre crime?

Est-ce que vous ne croyez pas que votre que ministère devrait songer à publier une étude analysant ces sentences minimales compte tenu de l'infraction? On ne sait pas pourquoi vous imposez telle sentence pour tel type d'infraction. Cela serait utile aux parlementaires.

Sur la notion même des sentences minimales, il y a une dizaine d'années, le ministère de la Justice avait publié une étude sur l'idée même des sentences minimales et sur leur efficacité. Compte tenu que vous recourez à cette technique des sentences minimales très souvent, ne pensez-vous pas qu'il serait d'intérêt public de publier une analyse de l'efficacité et de l'opportunité des sentences minimales?

[Traduction]

M. Nicholson : On me pose parfois cette question. Il existe des dizaines de dispositions du Code criminel qui prévoient une sentence obligatoire, avec, au premier plan, le meurtre avec préméditation. Le minimum est de 25 ans avant que quelqu'un ne soit admissible à la libération conditionnelle. Cela dit, je pense qu'il nous incombe directement, en tant que législateurs, de fixer des lignes directrices.

Je me souviens qu'il y a une vingtaine d'années, lorsque j'étais secrétaire parlementaire du ministre de la Justice, un collègue m'a dit : « Pourquoi placer un maximum de cinq ans pour cette nouvelle disposition du Code criminel, pourquoi ne pas fixer le plafond à 10 ans et laisser le juge décider? » Je lui ai répondu que telle était notre responsabilité. Les lignes directrices visent à harmoniser les dispositions du Code criminel. Pour certains, cinq ans peuvent sembler trop peu comme peine maximale; cette personne-là voulait fixer le plafond à 10 ans, voire plus.

Par ailleurs, nous pouvons également donner des lignes directrices aux tribunaux pour la peine minimale. Lorsque nous adoptons des lois, nous devons, en tant que législateurs, lancer l'avertissement que ce genre d'activité est prise très au sérieux dans notre pays, qu'il est fortement déconseillé de s'y laisser entraîner et que cela peut avoir, à juste titre, de graves conséquences.

Comme vous le savez peut-être déjà, j'ai proposé dans mon introduction une analyse détaillée de la constitutionnalité de ces mesures. Si vous les examinez, vous verrez que les sentences minimales sont modérées et que nous laissons au tribunal la discrétion de choisir. Cependant, je pense qu'il nous incombe en tant que législateurs de fixer, à l'intention des tribunaux, les paramètres de sentences maximales et minimales.

Pour répondre à votre question, nous prenons en considération d'autres actes criminels relevant du mandat de notre ministère et nous en établissons la gravité et les difficultés que cela pose. Nous essayons de faire en sorte que toutes ces dispositions, tout en restant autonomes, soient en harmonie avec les autres articles du Code criminel traitant d'infractions graves. Tel est notre défi en tant que législateurs, et je crois que, grâce aux conseils qui nous ont été prodigués et aux initiatives que nous avons prises, nous nous en sommes bien tirés.

Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur le ministre, de votre exposé. J'observe que, le 5 mars 2013, le jour même où a été introduit votre projet de loi, le ministre de la Santé et le ministre de la Sécurité publique ont annoncé la mise en œuvre de stratégies visant à combattre le trafic et la contrebande transfrontaliers de tabac, deux activités dans lesquelles est engagée la criminalité organisée. Je pense que la raison de l'adoption de telles stratégies est assez claire. En premier lieu, il me semble que la taxe d'accise n'est pas suffisamment efficace pour affronter la situation actuelle, mais aussi qu'un texte législatif plus vigoureux, tel que celui proposé par le projet de loi S-16, aiderait à y remédier.

Par ailleurs, comme vous l'avez indiqué, le trafic et la contrebande transfrontaliers de tabac sont souvent associés à d'autres activités gravement répréhensibles de la criminalité organisée, telles que le trafic d'armes et de drogues illicites. Est-ce bien cela?

M. Nicholson : Je pense que vos deux observations sont fondées, sénateur.

Vous avez bien perçu la raison d'être des mesures que nous avons annoncées. En effet, il est bon que le ministre de la Sécurité publique et le ministre de la Santé participent à cette action, et vous entendrez peut-être les représentants de Sécurité publique Canada vous décrire les efforts que déploie et continuera de déployer la GRC dans le cadre de la mise en œuvre de ce projet.

Comme je l'ai brièvement indiqué dans mon introduction, le tabagisme est lié à de graves problèmes de santé, puisqu'il est établi que c'est un facteur déterminant de cancer, de maladies respiratoires et de maladies cardiaques. Il ne s'agit donc pas d'un simple produit, mais d'une substance qui représente un danger pour la population, surtout si l'on songe à mes commentaires sur la prolifération du tabagisme parmi les jeunes de notre pays.

Je confirme que le gouvernement s'est engagé dans cette direction. Vous aurez entendu parler des modifications apportées à l'étiquetage prodiguant des avertissements au cours des deux dernières années, du renouvellement quinquennal de la Stratégie fédérale de lutte contre le tabagisme, et des initiatives que nous avons encadrées afin de diffuser un message avertissant qu'il est tout à fait déconseillé de se laisser aller au tabagisme. Au demeurant, le gouvernement a interdit les petits cigares aromatisés qui ciblaient les jeunes.

Tout cela fait partie d'une démarche d'ensemble, même si, lorsque je comparais devant vous, nous parlons d'un seul aspect, à savoir le Code criminel. Par contre, comme l'a dit le sénateur White, certaines dispositions contenues dans les mesures annoncées concernent la GRC, et il en sera question lors de vos futures délibérations tout comme il sera question des aspects sanitaires. Encore une fois, c'est une démarche d'ensemble dont je vous présente un volet, très important au demeurant. J'espère que ce projet de loi sera rapidement acheminé à destination dans votre assemblée.

Le sénateur Baker : Monsieur le ministre, je dois vous féliciter pour le nombre de projets de loi que vous avez présentés. Vous avez établi un record pour le Canada — et, probablement, pour le Commonwealth tout entier.

M. Nicholson : Est-ce que vous les avez tous appuyés, sénateur, ou en tout cas la majorité?

Le sénateur Baker : Comme vous le dites, il faut que les Canadiens soient capables de lire un texte de loi et de le comprendre. Lorsque j'ai parcouru le projet de loi il y a un moment, quelque chose m'a sauté aux yeux, à l'alinéa 2g), qui stipule :

[...] le procureur général du Canada ou le procureur général ou le solliciteur général de la province où ces poursuites sont engagées ou le substitut légitime de l'un ou l'autre;

Un lecteur ordinaire comprendra qu'il s'agit d'un sous-ministre ou d'un sous-ministre adjoint. Or, telle n'est pas la signification, étant donné que l'on peut lire, dans la version française « ... ou le substitut légitime de l'un ou l'autre ». Il ne s'agit donc pas du tout d'un sous-ministre; il faut se reporter à la version française pour avoir le sens véritable, comme c'est parfois le cas pour les textes de loi. Alors je ne doute pas que les rédacteurs aient pu employer une autre expression, comme « toute personne agissant en tant que substitut de », plutôt que ce « lawful deputy » de la version anglaise. Encore une fois, et c'est une observation que je fais, un lecteur ordinaire interprétera « deputy » comme signifiant « sous-ministre ».

M. Nicholson : Je tiens à préciser que les versions française et anglaise ne sont pas censées être des traductions l'une de l'autre. Leur but est de transmettre la même idée, même si, parfois, la terminologie et la syntaxe diffèrent quelque peu. Les textes ne sont pas strictement traduisibles l'un par rapport à l'autre, car ils sont rédigés séparément, ce qui me semble justifié dans un pays bilingue.

La disposition que vous évoquez se borne à indiquer qu'il existe une compétence commune entre le procureur général fédéral et ses homologues provinciaux pour la poursuite de telles infractions. Dans le cadre de la Loi sur l'accise, la poursuite de ces actes a été assignée au gouvernement fédéral dans le cadre du Code criminel. Quant aux procureurs généraux provinciaux, cette responsabilité leur incombe généralement, mais nous tenons à ce qu'il existe une compétence commune dans ce domaine, ce qui souligne l'importance que nous lui accordons.

Puisque vous avez tenu à souligner que les textes législatifs doivent être clairs, je crois que ce projet de loi montre bien que toute personne qui s'engage dans la contrebande de tabac avec vente et distribution de volumes importants s'expose à de graves conséquences. Alors, que les poursuites soient engagées par des représentants d'un procureur général provincial ou du procureur général du Canada peut être considéré comme secondaire : ce que nous tenons à bien faire comprendre, c'est que ce genre d'activité ne sera pas toléré.

Le sénateur Baker : Puisque c'est vous qui avez introduit ce projet de loi, il vous appartient de l'interpréter. Devons- nous comprendre, lorsque l'on parle de ministres membres du Cabinet, que l'expression anglaise « lawful deputy » ne se réfère pas au sous-ministre, ni au sous-ministre adjoint, ni au sous-ministre délégué? Merci de nous le préciser.

M. Nicholson : J'interprète le terme « deputy » dans la version anglaise comme désignant le substitut d'un procureur général fédéral ou provincial.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup, monsieur le ministre, pour votre présentation et bravo pour ce projet de loi.

Une des préoccupations que j'ai sur ce projet de loi, c'est bien la contrebande, mais surtout la santé. Les statistiques sont vraiment inquiétantes par rapport à la consommation, surtout chez les jeunes. En secondaire 1, qui équivaut à la huitième année, sept p. 100 des jeunes consomment des cigarettes illégales et en secondaire cinq, on est rendu à 40 p. 100.

Les Américains ont fait une étude d'envergure sur les 17 métaux contenus dans les cigarettes. On a comparé les cigarettes légales et illégales. On parle d'arsenic, de mercure, de plomb, de molybdène et d'antimoine qui sont des matières cancérigènes, surtout pour le foie et les reins, il y a jusqu'à 10 fois plus de ces produits dans les cigarettes illégales. On parle du goudron, 160 p. 100 de plus, la nicotine, 80 p. 100 de plus, le monoxyde de carbone, 133 p. 100 de plus.

Est-ce qu'il n'y aurait pas une possibilité de déclarer ces cigarettes dans ce projet de loi comme des matières dangereuses et toxiques et d'aller plus sévèrement sur les sentences? On n'est pas devant seulement un commerce illégal de cigarettes, mais devant un commerce de produits toxiques dangereux. D'ailleurs, l'âge de consommation, les gens qui arrêtent de consommer, ce ne sont pas les jeunes, ce sont les baby-boomers. Ils veulent vivre plus longtemps. L'augmentation de la consommation chez les jeunes est inquiétante.

[Traduction]

M. Nicholson : Vos observations concernant les risques que pose le tabagisme pour la santé sont tout à fait pertinentes. On me dit que la fumée du tabac contient plus de 4 000 ingrédients chimiques, dont on a démontré que 70 d'entre eux déclenchent ou favorisent un type ou un autre de cancer. Il s'agit donc d'une substance très dangereuse et, comme je l'ai indiqué dans mon introduction, les jeunes ont plus de facilité à mettre la main sur ces cigarettes, car elles ne sont pas assujetties aux mêmes restrictions que celles vendues de façon légale dans un débit local.

Nous laissons aux tribunaux une marge de manœuvre. Cela dit, je me réjouis chaque fois que quelqu'un recommande que l'on se montre plus sévère dans ce domaine. Cependant, même si je m'en réjouis, le projet de loi soumis au Parlement laisse subsister une importante marge discrétionnaire. C'est au tribunal de déterminer la gravité de l'infraction commise dans le cas d'espèce et notamment le rôle joué par l'inculpé dans le transport et la distribution du tabac de contrebande. Je m'en remets complètement à l'appareil judiciaire et je suis sûr que, compte tenu des lignes directrices émises dans ce projet de loi, il agira de façon appropriée. C'est donc un pas dans la bonne direction.

En réponse à la question précédente concernant la Loi sur l'accise, cette dernière traite principalement de la collecte des impôts fédéraux, son objet initial étant de veiller à ce que le gouvernement fédéral perçoive les impôts prévus. En revanche, comme vous l'avez indiqué, ce projet de loi traite principalement d'une activité qui mine gravement la santé et qui est de nature criminelle. Pour ma part, je déclare sans la moindre hésitation que cette activité doit figurer, en tant que telle, dans le Code criminel. Je n'ai aucune réserve non plus en ce qui concerne la mise en œuvre des sentences obligatoires qui accompagnent cette disposition et pour lesquelles nous laissons une marge discrétionnaire aux tribunaux.

Comme vous l'avez bien dit, il ne s'agit pas simplement de l'importation ou de l'exportation d'un produit illégal, mais bien d'une substance qui a des conséquences graves pour la santé. Cela, nous le savons depuis près d'un demi- siècle, la preuve en est donc bien établie.

Tout le travail que nous accomplissons dans le cadre de la Stratégie fédérale de lutte contre le tabagisme, notamment les efforts déployés par Santé Canada, les avertissements que nous diffusons, le travail accompli par les paliers provincial et municipal pour sensibiliser la population aux dangers que représente la cigarette, tout cela est très important et vient compléter le tableau des efforts entrepris pour remédier à ce très grave problème. Je vous remercie de vos observations.

La sénatrice Jaffer : Monsieur le ministre, encore merci d'être des nôtres aujourd'hui.

J'ai bien compris votre exhortation à nous attaquer à ces graves problèmes. Toutefois, se pose également celui de la prévention. À ce propos, certains commentateurs nous disent que l'une des façons de résoudre le problème de la contrebande consiste à passer des accords avec les gouvernements québécois et ontarien ainsi qu'avec le gouvernement américain. Que pensez-vous de cette idée et qu'a-t-on entrepris dans ce sens? Nous savons, en effet, que le problème tient en partie au fait que l'on ne peut pas toujours arrêter les chefs des gangs organisés; il faut donc prévoir également des activités de prévention. Qu'avez-vous entrepris dans ce domaine?

M. Nicholson : Vous faites bien de soulever cette question, qui ne se limite d'ailleurs pas au ressort fédéral. Je dois dire que lors des séances d'information et lorsque j'approfondis moi-même la question, je suis encouragé par le fait que l'on promulgue de nouvelles lois dans ce domaine, aussi bien en Ontario qu'au Québec.

J'ai dit, dans ma réponse au sénateur Boisvenu, que je suis au courant des campagnes de sensibilisation de grande envergure lancées dans toutes les provinces, notamment auprès des établissements scolaires mais aussi dans d'autres endroits pour mieux faire connaître les dangers du tabagisme. Je sais qu'il y a une coopération constante avec les autorités américaines, et cela depuis des années. En fait, s'agissant de certains aspects de la vente de tabac de provenance licite importé au Canada ou exporté de notre pays, je sais qu'il y a eu coopération avec des représentants des autorités américaines en vue d'intenter des poursuites. L'échange d'informations est une composante absolument essentielle.

Vous allez pouvoir, d'ici un jour ou deux, poser la question aux représentants de Sécurité publique Canada qui vont vous parler du volet policier de la question. Je sais toutefois, grâce aux séances d'information dont j'ai bénéficié au cours des années, que nous conservons une très bonne relation de coopération avec les États-Unis. La coopération qui s'est instaurée pour un grand nombre d'accusations liées à l'importation de tabac de provenance légale est destinée à se poursuivre.

La sénatrice Jaffer : Existe-t-il un accord officiel?

M. Nicholson : Comme pour toutes les investigations au criminel, il y a généralement échange d'informations concernant une activité criminelle qui a été dénoncée. Nous maintenons une bonne relation de coopération avec les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Australie et un certain nombre d'autres pays. Les résultats sont excellents, étant donné que nous sommes tous confrontés aux mêmes difficultés. C'est une des choses qui m'a frappé, en ma qualité de ministre de la Justice et de procureur général, et cela sans qu'il y ait rapport exclusif avec tel ou tel pays. Nous sommes tous impliqués, c'est pourquoi si nous parvenons à coopérer réellement — et je me félicite du niveau de coopération qui existe entre tous les pays évoqués —, nous ne pouvons que tous en bénéficier.

La sénatrice Batters : Merci de témoigner devant nous aujourd'hui à propos de cette question importante. J'aimerais vous demander de bien vouloir décrire un peu plus en détail le phénomène de la contrebande de tabac au Canada et le problème qu'il pose.

M. Nicholson : Le problème est d'une ampleur considérable. Pour ne parler que des années au cours desquelles j'ai été ministre de la Justice et procureur général, et comme certains de vos collègues le savent sans doute puisque nous en avons parlé au cours de ces années, cette activité n'a cessé de s'intensifier. Cela est confirmé par les informations qui m'ont été communiquées. J'ai évoqué, dans mon introduction, la quantité de tabac de provenance illégale qui aboutit dans les établissements scolaires secondaires, et lorsque nous nous réunissons avec mes homologues procureurs généraux provinciaux et territoriaux, ils soulignent eux aussi que le problème ne s'atténue guère.

Pour en revenir à ma réponse à la sénatrice Jaffer, ces difficultés ne sont pas le fait d'un pays en particulier, ni, non plus, d'un domaine particulier. Qu'il s'agisse de vol de voitures, ou de trafic d'armes et de drogues, vous constaterez que les individus qui se livrent à ces activités criminelles ne se soucient nullement des frontières, et il arrive même qu'ils les traversent pour aller mettre un produit illicite à l'abri dans une autre entité juridictionnelle. Certes, cela souligne ce que j'ai dit à propos de la nécessité de coopérer, mais toujours est-il que mes informations confirment que le problème s'aggrave et ne cesse de se propager. Votre président, le sénateur White, pourra en témoigner et vous dire quelle est l'étendue du problème que doivent affronter les provinces de l'Ontario et du Québec face à l'importation et à l'exportation de ce genre de produits. C'est, pour notre pays, un problème qui ne cesse de s'aggraver.

Tout ce que j'ai entendu au cours des six années et demie pendant lesquelles j'ai détenu le portefeuille de ministre de la Justice le corrobore. Comme je l'ai indiqué dans mes propos liminaires, c'est sans la moindre réserve que j'ai présenté un projet de loi visant à attaquer le problème de front, et j'ai été très heureux que cela soit mentionné de façon spécifique dans notre programme électoral de 2011.

Le sénateur Joyal : Monsieur le ministre, en ce qui concerne l'interprétation du projet de paragraphe, à savoir le paragraphe 121.1(5) qui traite des infractions ultérieures, il semble, du point de vue des personnes qui vont devoir étudier la loi en vue de son application, qu'elles devront considérer une infraction antérieure aux termes de la Loi sur l'accise ou du Code criminel touchant à la contrebande ou au trafic de tabac comme devant déclencher la peine minimale. Ces personnes ont-elles raison, ou peut-être pourrais-je formuler la question différemment, à savoir est-ce par référence précise à ces articles que l'infraction antérieure doit être...

M. Nicholson : Je vous remercie de soulever cette question, monsieur le sénateur, car il est bon que nous nous comprenions.

Je dirais, tout d'abord, que cela s'applique exclusivement aux infractions commises après l'entrée en vigueur de la loi.

En deuxième lieu, cela ne s'applique pas aux infractions relevant de la Loi sur l'accise. Nous ne traitons pas ici des accusations portées en vertu de la Loi fédérale sur l'accise, mais simplement des dispositions du Code criminel qui entreront en vigueur une fois promulgué le projet de loi dont il est question ici.

Le sénateur Joyal : À mon sens, ce projet de loi représente un changement radical de politique à l'égard des réserves autochtones, qui se trouvent ainsi plus ou moins visées — je veux parler, bien sûr, des Akwesasne et des Kahnawake — car nous savons qu'il y a sur ces réserves des activités illicites de contrebande de tabac. Alors qu'aux termes de la Loi sur l'accise, seule la GRC est responsable de l'application de la loi, aux termes du projet de loi étudié ici, n'importe quelle force de police, qu'il s'agisse de la GRC, de la police provinciale, municipale ou même de la police autochtone, pourra être chargée de l'application de la loi. Ai-je raison de dire que la première force de police visée par cette loi, ou en tout cas celle qui se trouvera en première ligne pour son application, sera la police autochtone opérant dans les réserves autochtones?

M. Nicholson : Là encore, sénateur, il faudrait s'adresser aux services chargés du maintien de l'ordre. Je dois, par ailleurs, me déclarer en désaccord avec le préambule de votre question. Cela dit, en effet, si des forces de police provinciales, municipales ou autochtones ont la preuve qu'une infraction a été commise aux termes de cette loi, elles sont habilitées à porter des accusations, comme elles le font pour toutes les infractions criminelles.

Le cas sera traité de la même manière que les autres infractions au Code criminel, et, comme vous l'avez indiqué, les forces de police municipales, régionales et provinciales seront habilitées à porter ces accusations.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, monsieur le ministre, pour ce projet de loi. Évidemment, ma question en est une qui n'en est pas une mais je vais quand même vous le mentionner. Évidemment, je suis certain que les gens du milieu de la santé se réjouissent, que les gens qui ont des commerces, surtout près des réserves amérindiennes, vont se réjouir.

Je vous le dis très modestement pour avoir travaillé sur la réserve de Kanesatake et d'Akwesasne pendant plus de deux ans, j'ai vu des commerces de cigarettes. On comptait sur l'appui des policiers pour patrouiller ces territoires même si à Kanesatake, c'est toujours la Sûreté du Québec.

Est-ce que les gens de ces communautés se sont manifestés ou vont appuyer, pas nécessairement le projet de loi, et donner leur soutien aux forces policières? Souvent, ce qui est difficile pour les corps policiers, c'est non pas d'avoir l'appui des corps de police autochtones, mais des communautés autochtones, parce que souvent des ravages se font dans les communautés.

[Traduction]

M. Nicholson : Cela ne vise pas une catégorie ou un secteur en particulier, et les répercussions sont à la fois neutres et de portée élargie, car il s'agit d'atteindre la criminalité organisée où qu'elle se trouve. S'il y a une chose qui fait l'unanimité des Canadiens à travers tout le pays, c'est le fait que personne ne veut voir la criminalité organisée prendre le contrôle de sa communauté. C'est pourquoi les instruments mis en place pour s'attaquer à la criminalité organisée seront bien accueillis par l'ensemble de nos citoyens.

La sénatrice Frum : Ma question va dans le même sens, elle sera donc répétitive. Nous savons que nous allons bientôt recevoir le témoignage des instances qui représentent la justice autochtone, lesquelles pensent que cette loi aura un impact disproportionné sur leur jeunesse. J'aimerais entendre vos commentaires là-dessus.

M. Nicholson : Les jeunes qui se laissent aller au tabagisme et à ce qui l'entoure exposent gravement leur santé. Je ne suis pas ministre de la Santé et je n'ai pas de formation médicale, mais on me dit qu'il est très difficile de se défaire de l'accoutumance au tabac. Depuis des décennies, nous savons bien quelles sont les conséquences de la cigarette, et c'est pourquoi je suis d'accord avec ceux qui perçoivent que les jeunes se préoccupent, à juste titre d'ailleurs, de leur santé — laquelle est importante pour tous, qu'il s'agisse de leurs familles, de leurs collectivités ou d'eux-mêmes. Cela s'insère dans une démarche d'ensemble entreprise par le gouvernement pour bien faire comprendre que ce genre d'activité ne sera pas toléré et qu'il faut faire tout ce qui est en notre pouvoir pour aider les jeunes à se soustraire au piège du tabagisme.

Le président : Merci, monsieur le ministre. Nous vous sommes reconnaissants de votre comparution aujourd'hui.

J'ai déjà présenté les fonctionnaires qui vont rester avec nous jusqu'à 17 h 45. Nous allons commencer notre tournée de questions par la sénatrice Fraser, vice-présidente de notre comité.

La sénatrice Fraser : Permettez-moi, afin que tout soit bien clair, de revenir à ma question précédente concernant les infractions ultérieures. Lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a eu deuxième infraction, il se peut que l'on se trouve face à une première infraction relativement mineure pouvant donner lieu à une condamnation par voie de procédure sommaire; donc, cela ne concerne pas seulement les personnes qui trafiquent sur des lots d'au moins 10 000 cigarettes — ce qui, j'en conviens, constitue un problème.

Vous allez comprendre pourquoi j'ai encore à l'esprit les longues heures que nous avons passées à étudier le projet de loi antidrogue. M. Saint-Denis a consacré un temps infini à l'étude des différentes moutures de cette loi.

Je m'intéresse à la proposition de l'article 121.1. Même si je n'ai pas le projet de loi ni le Code criminel sous les yeux, je suis frappée de voir que la définition de l'infraction, à savoir « l'interdiction de vendre, d'offrir en vente, de transporter, de livrer, de distribuer ou d'avoir en sa possession pour la vente », rejoint de très près celle du concept de trafic. Dans ce cas, pourquoi n'a-t-on pas utilisé le mot « trafic »? La composante du concept de trafic qui m'a toujours donné à réfléchir est le fait de donner ou d'offrir de donner. Si nous voulons combattre les gens qui veulent s'emparer du marché des jeunes, pourquoi ne pas inclure dans l'infraction le fait de donner? Nous savons bien, en effet, que lorsque vous donnez une cigarette ou une cartouche de cigarettes, c'est une bonne façon de provoquer la dépendance chez la personne qui l'accepte.

Paul Saint-Denis, avocat-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, Justice Canada : Vous avez parfaitement raison de dire que cela ressemble très fort à la définition de « trafic » contenue dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Cependant, je n'ai pas connaissance d'une définition de « trafic » dans le Code criminel.

La sénatrice Fraser : Dans ce cas, il est temps de l'y mettre.

M. Saint-Denis : En effet. Il y a, dans la définition de « trafic » contenue dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, des éléments qui ne trouvent pas d'application. Ainsi, on y parle d'administration. Or, on peut administrer une drogue, mais pas une cigarette.

Quant au fait de donner, c'est également une chose à laquelle nous avons réfléchi mais que nous avons décidé d'écarter, en grande partie parce que nous visons la criminalité organisée. Étant donné que l'activité porte sur des quantités relativement importantes de cigarettes, nous ne voulions pas nous mettre à cibler les individus chargés de la distribution du tabac de contrebande à d'autres personnes. C'est pourquoi nous n'avons pas inclus la notion de « donner ». Comme je l'ai dit, nous n'avons pas simplement prélevé la définition contenue dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances pour la recopier telle quelle dans le projet de loi, car il y avait des éléments qui n'auraient pas vraiment correspondu à la situation.

La sénatrice Fraser : Ma question concerne le fait que les peines minimales obligatoires suivent une gradation. Je ne suis pas moi-même chaude partisane des peines minimales obligatoires, mais si on tient à les appliquer, je crois que le fait de leur faire suivre une gradation en fonction du nombre d'infractions commises représente une démarche intéressante.

Y a-t-il une raison particulière pour laquelle on a choisi de façon précise 90 jours pour la deuxième infraction, 180 jours pour la troisième infraction et deux ans moins un jour pour la quatrième infraction?

M. Saint-Denis : La question a déjà été posée au ministre, par le sénateur Rivest, je crois bien, qui a demandé quelles étaient les peines minimales applicables. Cela n'est pas déterminé de façon scientifique. Il y a, parmi les facteurs servant de critères, la peine maximale. Ainsi, nous pouvons imposer un minimum de quatre ans pour une infraction punissable d'une peine maximale de cinq ans. Nous avons essayé de proposer des peines minimales compatibles avec la peine maximale en vigueur. Si nous voulions avoir un régime prévoyant une gradation des peines, nous ne pouvions pas commencer avec un minimum d'un an pour ensuite arriver à deux ans. Nous avons essayé de proposer un barème répondant à une logique de gradation raisonnable. Je rappelle que nous devons garder la Charte à l'esprit et nous avons considéré que cette démarche répondait à l'exigence.

La sénatrice Fraser : Mais vous ne vous êtes pas contentés de prendre un barème qui existait déjà ailleurs et de le plaquer sur le projet de loi?

M. Saint-Denis : Non.

Le président : A-t-on jamais envisagé une peine maximale de cinq ans moins un jour, avec les conséquences que l'on sait en matière de coûts pour le système?

M. Saint-Denis : Telles sont les conséquences, en effet. Nous avons également été guidés par l'existence de l'infraction prévue à la Loi de 2001 sur l'accise pour laquelle la pénalité maximale par voie de mise en accusation est de cinq ans. Nous voulions, dans une certaine mesure, établir un parallèle avec cette disposition afin de ne pas nous orienter vers cinq ans moins un jour. Nous l'avons envisagé, mais nous avons préféré établir une certaine concordance, pour ce qui est des peines, avec ce qui est prévu pour la procédure de mise en accusation.

Le président : Avez-vous connaissance de l'initiative liée aux aspects économiques des services de police?

M. Saint-Denis : Non, je n'en ai pas connaissance.

Le président : Je me demandais dans quelle mesure cela y correspondrait.

Le sénateur White : Ma question est axée sur les recettes provenant d'activités illicites. Si ce projet de loi est adopté, les personnes condamnées en vertu de ces dispositions tomberont également sous le coup de la législation concernant les recettes provenant d'activités illicites. Est-ce que, dans ce cas, le même régime s'appliquerait à leurs actifs, je veux parler de la saisie de leurs biens comme c'est le cas pour le trafic criminel de drogues, entre autres?

M. Saint-Denis : Je crois que vous avez à l'esprit l'infraction de possession de produits de la criminalité.

Le sénateur White : C'est bien cela.

M. Saint-Denis : Oui, ces dispositions s'appliqueraient, car il s'agit d'une infraction passible de poursuites par voie de mise en accusation. Quant aux dispositions relatives aux recettes, elles s'appliquent aux infractions désignées, lesquelles, en ce qui concerne le code, sont toutes passibles de poursuites par voie de mise en accusation.

Le sénateur White : Cela nous permettrait donc de nous en prendre à ce qui nous était interdit jusqu'ici, à savoir les actifs des organisations criminelles, qu'il s'agisse de maisons, de bateaux, d'avions, de trains ou d'automobiles, pour bien nous comprendre?

M. Saint-Denis : C'est exact, avec un double point d'appui : tout d'abord, celui concernant le bien associé à une infraction, car si nous réussissons à démontrer que le bien a été utilisé pour commettre une infraction, nous pouvons tenter de saisir le bien par voie de mise en accusation. Et si nous pouvons démontrer qu'une partie des biens appartenant à l'individu concerné découle de la commission de cette infraction, alors, en effet, nous pouvons essayer de les saisir.

Le sénateur White : On dit parfois, notamment lorsqu'il s'agit d'activités dans des secteurs limitrophes, que les équipements utilisés par les contrevenants sont souvent plus perfectionnés et plus coûteux que ceux mis à la disposition de la police. Nous pourrions peut-être renverser au moins partiellement cette tendance en saisissant ces actifs et en les vendant, une fois la condamnation obtenue.

M. Saint-Denis : C'est exact.

Le sénateur Baker : Ce qui m'inquiète le plus, à propos de ce projet de loi, c'est le fait que jour après jour, on condamne au Canada des gens accusés de faire entrer dans le pays et d'y transporter du tabac de production illégale. Tous les jours, on impose des peines d'emprisonnement très lourdes. Il existe, dans la Loi sur l'accise, des amendes minimales pour régler ces situations. Dans chaque province, il existe une loi provinciale pour la taxation du tabac — avec des appellations différentes selon les provinces —, mais toujours est-il que la vente de tabac de provenance illégale est un acte illégal. En d'autres termes, le trafic est un acte illicite et, jour après jour, on condamne des gens à des peines de prison de très longue durée, et cela dans toutes les provinces du pays en vertu de la législation provinciale.

Nous avons donc les lois provinciales, la Loi sur l'accise — dont vous avez précisé que c'est la Loi de 2001 sur l'accise parce qu'il y en a trois —, et nous avons encore la Loi sur les douanes, et enfin aujourd'hui le Code criminel. Étant donné qu'au Canada, on ne peut condamner une personne deux fois pour la même infraction — ça s'appelle la res judicata —, il va falloir que quelqu'un prenne une décision pour les affaires qui seront jugées dans l'avenir, à savoir : en vertu de quelle loi? Se fondera-t-on sur une disposition provinciale ou sur l'une des trois lois fédérales pour mettre quelqu'un en accusation? Je crois pouvoir dire que l'on va se heurter à de grosses difficultés au niveau judiciaire lorsque quelqu'un dira : il s'agit d'une offense ultérieure, donc il y a application d'une peine minimale obligatoire. Cependant, si la Loi sur l'accise a été utilisée à des fins de poursuite dans le passé, cela ne s'applique pas. Je ne sais pas si la loi provinciale s'applique ou si c'est la Loi sur les douanes, ou quel est le régime à retenir pour les condamnations, et je m'attends à une belle confusion au niveau des tribunaux.

Revenons à présent à la question qui avait été posée initialement au ministre. Pourquoi cette disposition n'a-t-elle pas été incorporée à l'une des lois existantes, étant donné que la Loi sur l'accise prévoit l'infraction et l'assujettit à des peines beaucoup plus sévères que celles proposées ici? Pourquoi ne l'a-t-on pas incorporée à la Loi sur l'accise?

M. Saint-Denis : Je pense que le ministre a répondu à cette question, mais pour ce qui est des multiples accusations possibles, elles ne sont pas portées sans tenir compte du contexte. Cela dépend des circonstances. Si l'intéressé se fait prendre à la frontière, il peut être accusé d'une infraction douanière. Une amende peut lui être imposée à la frontière pour avoir essayé d'importer du tabac de contrebande. Il ne fera pas forcément l'objet d'une accusation au criminel.

Si c'est la police provinciale qui attrape le délinquant une fois qu'il s'agira d'une nouvelle infraction au code, elle aura la possibilité de l'accuser de la nouvelle infraction inscrite dans le code ou d'une infraction à la législation provinciale. Elle pourra porter les deux types d'accusations si elle le désire et le procureur de la Couronne décidera de retenir l'une ou l'autre de ces accusations. Vous avez laissé entendre qu'on ne pouvait pas être accusé des deux, mais vous pouvez être accusé; vous ne pouvez pas être déclaré coupable de deux infractions pour les mêmes faits.

Cela se fonde en grande partie sur l'arrêt rendu par la Cour suprême dans Kienapple.

Le sénateur Baker : Oui, si vous vendez ce tabac, comme le dit le projet de loi, vous êtes visé par la loi provinciale, par la Loi sur la taxe d'accise et maintenant par le Code criminel.

M. Saint-Denis : Sauf que...

Le sénateur Baker : L'accusé souhaitera être accusé en vertu d'une des autres lois pour la même infraction sachant que s'il est accusé d'une chose, il ne sera pas accusé d'une autre. Cela va susciter la confusion, selon moi.

M. Saint-Denis : Je n'en suis pas certain. Excusez-moi, mais je ne suis pas d'accord, monsieur. Si l'intéressé est accusé en vertu, disons, du code et de la législation provinciale, ce sont des accusations différentes. L'une est peut-être pour ne pas avoir payé la taxe de vente en vertu de la législation provinciale et ensuite ce serait...

Le sénateur Baker : En vertu des dispositions concernant la fraude.

M. Saint-Denis : C'est exact. Ce serait alors pour avoir vendu un produit de tabac non estampillé. Il s'agit, en fait, de deux infractions portant sur deux choses différentes et je pense qu'il serait alors possible d'être accusé et reconnu coupable des deux. Pour le moment, une personne peut être accusée à la fois en vertu de la législation provinciale et en vertu de la Loi de 2001 sur l'accise, et être reconnue coupable des deux infractions, car il s'agit de deux infractions distinctes se rapportant à des niveaux de gouvernement différents et à des questions différentes. Cela arrive.

Le sénateur McIntyre : Si j'ai bien compris, si les accusations sont portées à la fois en vertu de la Loi sur l'accise et du Code criminel, la poursuite sera intentée à la fois au niveau fédéral et au niveau provincial, n'est-ce pas?

M. Saint-Denis : En même temps ou...

Le sénateur McIntyre : Supposons que le procureur de la Couronne de la province décide de ne pas donner suite à une accusation, mais que le procureur de la Couronne fédéral décide de poursuivre, parce qu'il y a suffisamment de preuves. À votre avis, ce genre de procédure risque-t-il de susciter une contestation constitutionnelle devant les tribunaux si le procureur de la Couronne provincial décide de ne pas poursuivre l'accusation tandis que l'autre décide de le faire?

M. Saint-Denis : Je ne le pense pas, monsieur. Pour le moment, nous avons la possibilité de porter des accusations en vertu de la législation provinciale et de la Loi de 2001 sur l'accise. C'est à la Couronne de décider si elle souhaite donner suite ou non aux accusations, pour une raison ou une autre, et ce sera encore le cas. Il est parfaitement concevable que le procureur provincial décide de ne pas intenter de poursuite pour l'infraction au code, mais que son collègue fédéral juge qu'il vaut la peine de le faire.

[Français]

Le sénateur Joyal : Quand je lis le nouvel article 121.1, on dit qu'il est interdit de vendre, d'offrir en vente, de transporter, de livrer ou de distribuer ou d'avoir pour la sa possession pour la vente des produits non estampillés.

Prenons le cas suivant : un jeune, nous en avons beaucoup parlé dans les interventions précédentes cet après-midi, a en sa possession deux paquets de cigarettes non estampillés. Il est dans un rave. Ce sont les circonstances que mon collègue, le sénateur Baker, aime beaucoup citer comme exemple. Il est avec des amis. Un de ses amis lui demande s'il a des cigarettes, il dit oui, il lui vend un paquet et se fait attraper par la police qui surveille les autres drogues illégales qui peuvent circuler dans les raves. On l'accuse en vertu de l'article 121.1 d'avoir eu en sa possession pour le vendre un paquet de cigarettes non estampillé. On l'accuse en vertu de la procédure sommaire du sous-paragraphe 4b), sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire d'un emprisonnement maximal de six mois. On lui donne une sentence suspendue, c'est une première offense, c'est un paquet de cigarettes, ce n'est pas un seigneur de la drogue ou de la cigarette de contrebande, c'est juste un jeune comme ça. Il se fait prendre une seconde fois. On l'accuse cette fois-là selon l'article 4a), déclaration de culpabilité par mise en accusation d'un emprisonnement maximal de cinq ans, un autre paquet de cigarettes, six mois plus tard. Par mise en accusation, comme le sénateur Baker va vous le dire, on peut prendre ses empreintes digitales, le photographier et il se retrouve avec un casier judiciaire, à 18 ans et demi, pour avoir vendu deux paquets de cigarettes. C'est ce que votre projet de loi permet actuellement. Est-ce que vous ne trouvez pas qu'il y a une sorte d'exagération dans la façon dont on conçoit les lois?

Je comprends qu'on veuille viser le crime organisé, la contrebande, je n'ai aucune objection à cela, au contraire, je suis tout à fait pour, je ne fume pas, je suis contre ceux qui fument. Je n'ai aucun problème d'être convaincu de cela. On a parlé beaucoup de la santé cet après-midi. J'essaie de me demander, poussé à bout, cela nous mène à quoi ce projet de loi? Est-ce que j'ai tort, ou est-ce que j'ai raison?

M. Saint-Denis : Il y a plusieurs questions incluses dans votre question. Premièrement, l'individu qui est accusé et condamné pour une infraction sommaire, dans ce cas-ci, aurait quand même la possibilité de faire prendre ses empreintes digitales. La Loi sur l'identification des criminels prévoit que la police peut prendre les empreintes digitales de quiconque est accusé d'un acte criminel. Pour un acte criminel, d'après la Loi sur l'interprétation, c'est soit une infraction pour laquelle on peut passer par un acte d'accusation ou c'est une infraction hybride.

Le sénateur Joyal : C'est le cas ici.

M. Saint-Denis : Si l'individu est accusé uniquement de l'infraction sommaire, on aurait probablement pris ses empreintes digitales la première fois. Ceci dit, si on regarde la situation de la Loi d'accise 2001, c'est la même situation, c'est une infraction hybride. Il y a moyen de procéder par voie sommaire ou par acte d'accusation. Dans les deux cas, le jeune, théoriquement, pourrait se faire prendre ses empreintes digitales aussi.

On ne crée pas quelque chose de nouveau ici, on n'arrive pas avec une nouvelle approche. La Loi sur l'accise de 2001 nous permettrait de faire exactement cela maintenant. On n'ajoute rien dans ce sens-là.

Le sénateur Joyal : Sauf que la Loi d'accise 2001 prévoit des pénalités financières minimales au lieu de peines d'emprisonnement minimales. C'est là où il y a une différence fondamentale.

M. Saint-Denis : Si j'ai bien compris votre question, vous vous objectiez à ce qu'on prenne les empreintes digitales du jeune, ce n'était pas tellement l'envergure des pénalités qui semblait vous troubler.

Le sénateur Joyal : Et aussi la mise en accusation par déclaration de culpabilité, parce que dans ce cas-là il aura un casier judiciaire.

M. Saint-Denis : C'est la même chose dans la Loi sur l'accise de 2001. Il aura un casier judiciaire, indépendamment du type de pénalité, c'est à partir du moment où on a une infraction hybride; la police peut prendre les empreintes digitales, indépendamment des pénalités. Vous avez déjà ce fait-là qui existe. C'est vrai que, dans la Loi sur l'accise 2001, les peines minimales sont des amendes quand même assez lourdes.

Dans ce cas-ci, à moins que l'individu, dans une deuxième condamnation, ait trafiqué ou a en sa possession pour les fins de vente, comme dans votre exemple, 10 000 cigarettes ou 10 kilos de produits de tabac, il n'aura pas de peine minimale. S'il y a justement ces quantités de tabac, on n'a pas affaire à un jeune de 18 qui ne fout rien, c'est quand même quelqu'un qui est sérieusement impliqué dans la vente.

D'autre part, nous savons, ce n'est pas exclusivement le cas, que le crime organisé est quand même lourdement impliqué dans ces activités. Alors, l'individu qui se fait attraper pour une deuxième, troisième ou quatrième condamnation, les chances sont très fortes qu'il fasse partie d'un réseau. S'il fait partie d'un réseau, cela veut dire qu'il fait partie d'un groupe de criminels organisés. Je pense que c'est justement ce genre d'activités que vise le projet de loi.

Le sénateur Joyal : J'ai des nuances là-dessus, parce que comme le ministre et d'autres sénateurs l'ont dit, la consommation du tabac est très addictive, à cause de toutes sortes d'intrants chimiques. Les gens éprouvent un besoin irrépressible de fumer. Par conséquent, ils vont tenter de se procurer des produits du tabac à toutes les sources, s'ils éprouvent ce besoin puisqu'ils sont en manque.

On ne peut pas penser que quelqu'un qui achète du tabac est dans un réseau. La majorité des gens qui consomment du tabac ne sont pas dans un réseau, malheureusement, parce qu'on pourrait tous les attraper et nos prisons ne seraient pas assez grandes. La réalité, c'est qu'il y a des réseaux de contrebande du tabac, on le sait, en particulier ceux qui vivent dans les provinces où il y a des réserves près de la frontière américaine. On le sait, mais la majorité des gens qui consomment du tabac de contrebande ne sont pas des fraudeurs organisés ou des membres de groupes organisés. Il suffit de regarder les cours d'école pour se rendre compte jusqu'à quel point la majorité des cigarettes consommées dans les écoles sont de contrebande. Ces étudiants ne sont pas des membres de réseaux organisés. Il y a quelqu'un qui fournit quelque part, c'est sûr, il y a aucun doute, mais les consommateurs ne sont pas nécessairement les chevilles ouvrières du maintien de ces réseaux. C'est sûr que s'il n'y a personne pour les consommer au bout, personne ne va en vendre, sauf qu'on sait très bien que la contrebande est facilitée par les taxes et toutes sortes d'autres facteurs qui ne sont pas uniquement reliés au fait de consommer.

M. Saint-Denis : Vous avez tout à fait raison, sénateur Joyal. Par contre, j'aimerais signaler que ce projet de loi ne vise pas le consommateur. Il ne vise que le fournisseur, le trafiquant, le vendeur. La manie du tabac est un fléau. C'est probablement aussi addictif que certaines drogues.

Comme je vous dis, ce projet de loi ne vise pas le consommateur. Il ne vise que les fournisseurs comme vous les avez identifiés.

Le sénateur Boisvenu : Monsieur Saint-Denis, j'ai une question d'information. Aux États-Unis, les plus grands trafiquants de cigarettes sont les Chinois. Ils livrent même sur Internet. Ils trafiquent même les timbres fiscaux. Donc, en plus de vendre une cigarette qui est d'apparence légale, ils trafiquent même le timbre. On sait que les Chinois sont très habiles.

Le sénateur Joyal : Monsieur le président, avant de dire les Chinois...

[Traduction]

Beaucoup de gens sont impliqués. Je ne pense pas que nous devrions viser un groupe en particulier.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Excusez-moi, vous avez raison, je vais parler de la Chine. Une étude américaine, qui vient de sortir, dit effectivement que la Chine est un grand producteur de cigarettes. Beaucoup de cigarettes illégales entrent aux États-Unis et ressortent pour entrer au Canada via les frontières qui sont un peu poreuses. Est-ce qu'on a le même problème, la croissance de ces produits qui viennent de la Chine?

M. Saint-Denis : Je ne peux pas vraiment vous donner beaucoup d'informations concernant l'application de la loi faite dans ce sens.

Vous allez parler aux gens de la Sécurité publique demain et je suis certain qu'eux seront en mesure de vous répondre mieux que moi. Je suis d'accord par contre quand on dit que la Chine est un pays source pour le tabac de contrebande.

[Traduction]

La sénatrice Fraser : Une question me trotte dans la tête à propos du parallèle entre le projet de loi et la Loi de 2001 sur l'accise. Vous avez fait une distinction valide entre certaines infractions qui seraient différentes en vertu des deux lois et comment une personne pourrait être accusée d'une infraction en vertu de la Loi sur l'accise ou d'une autre infraction en vertu du projet de loi. Néanmoins, certaines dispositions sont exactement les mêmes. Le projet de loi porte que « Il est interdit de vendre, d'offrir en vente, ou d'avoir en sa possession pour la vente... » La Loi de 2001 sur l'accise dit que « Il est interdit de vendre, d'offrir en vente, d'acheter ou d'avoir en sa possession du tabac en feuilles » qui n'est pas estampillé. Il est dit aussi qu'il est interdit de vendre, d'offrir en vente ou d'avoir en sa possession des produits du tabac qui ne sont pas estampillés. Les ressemblances sont si importantes que le paragraphe 121.1(1) proposé renvoie à la Loi sur l'accise pour la définition de ces termes. Le paragraphe 121.1(2) proposé comprend toutes les exceptions qui existent pour ces infractions dans la Loi de 2001 sur l'accise, autrement dit, les circonstances dans lesquelles il est légal d'avoir en sa possession des feuilles de tabac ou des produits de tabac non estampillés.

Pour revenir à cette question, je suis peut-être trop bornée pour comprendre. Qu'arrive-t-il si une personne se fait prendre à offrir en vente du tabac de contrebande? Comment décide-t-on en vertu de quelle loi elle sera poursuivie? Que se passera-t-il si le procureur essaie de poursuivre en vertu des deux lois? Comme l'a dit le sénateur Baker, cela me semble peu clair. Pouvez-vous essayer de m'éclairer?

M. Saint-Denis : La décision de porter une accusation sera prise par la police.

La sénatrice Fraser : Dans certains endroits, c'est le procureur de la Couronne qui décide.

M. Saint-Denis : Non. Ce sera décidé avant la mise en accusation en ce sens que dans certaines provinces, les procureurs de la Couronne vont examiner les accusations que la police désire porter et donner leur opinion. La police portera l'accusation. Elle décidera de porter une accusation en vertu d'une loi ou d'une autre ou des deux.

Quand ce sera fait, le procureur de la Couronne décidera d'intenter ou non des poursuites pour l'une ou l'autre des accusations ou les deux. L'inculpé ne sera pas condamné pour les deux. La Couronne devra faire un choix, car l'intéressé ne pourra pas être condamné pour les deux infractions. Comme l'a souligné le sénateur Baker, la jurisprudence est bien claire à ce sujet.

À l'heure actuelle, la police peut porter deux accusations, l'une en vertu de la Loi de 2001 sur l'accise et, s'il s'agit de la police provinciale, une autre en vertu des lois régissant les recettes fiscales de la province. Les deux accusations pourraient être portées, mais elles concernent des questions différentes soit le non-paiement d'une taxe provinciale ou le non-paiement d'une taxe fédérale. En pareil cas, vous pourriez avoir une double condamnation.

La sénatrice Fraser : Nous parlons ici de dispositions identiques.

M. Saint-Denis : Dans ce cas, la Couronne devrait choisir de laisser tomber une des accusations ou de les poursuivre toutes les deux. J'ai peine à croire qu'elle poursuivrait les deux, car cela représente du travail supplémentaire et il ne pourra y avoir qu'une condamnation et non pas deux.

Le sénateur White : Je voudrais commencer par dire que la consommation de tabac me dégoûte. Ce que je vais dire donnera peut-être l'impression que je soutiens l'industrie du tabac, mais il n'en est rien. C'est le seul produit de consommation qui tue la moitié de ses utilisateurs lorsqu'il est utilisé tel que prévu.

Nous continuons de parler du rôle que joue le crime organisé et je tiens donc à souligner que cela a un effet dramatique sur les entreprises légitimes de notre pays. Quand j'étais chef de police, un certain nombre de commerçants d'Ottawa sont venus me demander que la police locale soit plus stricte pour enquêter, porter des accusations et participer à la poursuite des trafiquants de tabac. Les commerçants se plaignent qu'au Canada nous n'ayons pas les outils nécessaires pour permettre à la police de faire son travail et de prendre ce problème au sérieux. N'est-ce pas vrai?

M. Saint-Denis : Je crois que c'est vrai. Je crois que l'Association canadienne des dépanneurs comparaît devant vous demain. Je suis certain qu'elle confirmera exactement ce que vous dites.

Le sénateur White : Je suis sûr également qu'elle le fera.

M. Saint-Denis : Les produits de tabac de contrebande sont vendus à un prix beaucoup plus bas que les produits de tabac légitimes et c'est donc une concurrence déloyale. Les consommateurs de tabac légitime se trouvent désavantagés.

Le sénateur White : Vous avez parlé de concurrence déloyale, mais nous ne comparons pas du tabac avec du tabac. Nous avons la preuve que le tabac illégal vendu illégalement contient aussi toutes sortes d'ingrédients comme des excréments, des insectes et de la moisissure. Je pourrais en donner toute une liste. On trouve ce genre de choses dans le « tabac » vendu de cette manière.

M. Saint-Denis : Je pense que c'est exact. Le produit est pire que le produit légitime.

Le sénateur White : C'est mauvais.

Le sénateur Baker : Je remarque que vous insérez cela dans le Code criminel, dans la partie consacrée aux fraudes contre le gouvernement. Il y a un renvoi à chacun de ces articles : l'article 380 du Code criminel porte sur la fraude, l'article 382.1 sur les prospectus frauduleux, je crois; et c'est la même chose pour l'article 400. Comme vous l'avez souligné, la législation provinciale et la Loi de 2001 sur l'accise portent sur des questions d'argent. C'est dans le même domaine. Je ne vois pas la distinction. La Loi de 2001 sur la taxe d'accise porte sur les taxes et ce projet de loi concerne les taxes, car il s'agit d'une fraude envers le gouvernement. C'est là que ces dispositions sont insérées dans le Code criminel.

La question que le sénateur McIntyre a posée tout à l'heure était judicieuse, car si vous avez une infraction provinciale et une infraction fédérale, vous avez deux procureurs de la Couronne, surtout si cela touche une loi fédérale autre que le Code criminel, par exemple la Loi de 2001 sur l'accise.

J'apprécie votre témoignage, comme tous mes collègues. Quand vous êtes ici tous les deux, vous nous fournissez d'excellents renseignements.

Pour conclure, je voudrais seulement savoir si vous avez d'autres raisons de mentionner le procureur général du Canada et le solliciteur général de la province et de dire ensuite, dans la version anglaise, « or their lawful deputy », alors que vous ne voulez pas du tout parler du sous-ministre, mais de quelqu'un d'entièrement différent. Avez-vous une justification historique de cette formulation qui, à première vue, ne semble pas légitime?

M. Saint-Denis : Je ne vois pas exactement ce qui vous inquiète. Le substitut légitime serait, je suppose, le directeur des Poursuites pénales, qui est le substitut légitime du procureur général. Ensuite, cela pourrait être la personne à qui le directeur déléguerait ou sous-déléguerait cette fonction, conformément à la loi créant les services de poursuite.

Le sénateur Baker : Pourquoi ne pas le formuler comme dans la version française? Le français est très clair. Un citoyen ordinaire est censé pouvoir lire les projets de loi que nous adoptons et comprendre leur teneur. Monsieur Saint- Denis, si un citoyen ordinaire lit cela, il se dira qu'il s'agit du ministre et du sous-ministre.

M. Saint-Denis : En fait, il n'est pas question du ministre, mais du procureur général.

Le sénateur Baker : Le procureur général et son « lawful deputy ».

M. Saint-Denis : Son substitut légitime serait le substitut en chef du procureur général au niveau fédéral.

Le sénateur Baker : Ce rôle pourrait être délégué à n'importe qui.

M. Saint-Denis : Il pourrait être délégué à n'importe qui, mais je voudrais souligner deux choses. Premièrement, à ma connaissance, personne n'a signalé cela comme un problème ou la question n'a jamais été soulevée dans une des causes qui se sont présentées.

Deuxièmement, cette disposition n'avait pas pour but d'essayer de corriger, modifier ou changer la définition de « procureur général ». Nous nous sommes contentés ici d'insérer le renvoi à la définition existant à l'article 121.1.

Le sénateur Baker : J'en ai parlé uniquement parce que la question a été soulevée en 1969 et je me souviens très bien quand les mots « substitut légitime » ont été insérés et que cela a suscité précisément les objections que je viens d'émettre. Il y a une jurisprudence à ce sujet. Je dois reconnaître que ce n'était pas une cause très importante. C'était en première instance, mais il y a une jurisprudence à ce sujet.

M. Saint-Denis : J'aimerais beaucoup obtenir la référence afin de pouvoir lire ce qui a été dit. Nous pourrions peut- être avoir une conversation plus tard.

La sénatrice Jaffer : Pourrais-je simplement avoir un éclaircissement? Je me trompe peut-être. Je pensais que la police recommande et que la Couronne porte les accusations. Suis-je dans l'erreur?

M. Saint-Denis : La police porte l'accusation. Elle ne fait pas de recommandation, sauf en Colombie-Britannique, au Québec et au Nouveau-Brunswick où il y une sorte de régime d'autorisation préalable.

La sénatrice Jaffer : Elle recommande.

M. Saint-Denis : La police discute avec la Couronne de l'accusation qu'elle va porter.

La sénatrice Jaffer : La Couronne décide. Je suis certaine que dans ma province, la Couronne décide en dernier ressort de porter les accusations.

M. Saint-Denis : Une approbation est donnée avant l'accusation. Je ne sais pas exactement comment cela fonctionne, mais c'est peut-être plus qu'une recommandation dans ces provinces.

La sénatrice Jaffer : Je vais me renseigner.

M. Saint-Denis : Dans les autres provinces, en tout cas, la police porte l'accusation.

La sénatrice Jaffer : Pas dans la mienne, mais je vais vérifier.

[Français]

Le sénateur Joyal : Monsieur Saint-Denis, est-ce que votre ministère a fait une évaluation des sentences qui ont été données dans l'application de la Loi sur l'accise?

M. Saint-Denis : Non. Nous n'avons pas fait ce genre d'évaluation.

Le sénateur Joyal : Vous n'avez pas d'évaluation pour savoir si les tribunaux ont plutôt tendance à être stricts dans les prononcés de sentence ou s'ils adoptent une approche plutôt large?

M. Saint-Denis : Si je ne m'abuse, je crois que les tribunaux ont eu tendance à imposer une amende mais que, depuis peut-être quelques années, on a commencé à sévir. Pour répondre à votre question, non, nous n'avons pas fait d'étude sur ce sujet.

Le sénateur Joyal : Vous n'avez pas de conclusions sur la pratique des sentences qui aurait pu vous guider sur la rédaction des sous-paragraphes 4 et 5 du projet de loi?

M. Saint-Denis : Non. Notre mandat était de créer un régime de peines minimales pour les récidivistes. C'est ce que nous avons fait à l'intérieur du cadre législatif que nous connaissions, qui était à cette époque la Loi de 2001 sur l'accise.

Le sénateur Joyal : Très bien. Merci.

[Traduction]

Le président : Merci, monsieur Saint-Denis et madame Morency. Nous apprécions votre comparution et l'aide que vous nous avez apportée pour nos délibérations.

Les témoins suivants sont ici et prêts à témoigner. J'ai le plaisir d'accueillir, pour la dernière partie de la séance de ce soir, Brian W. David, chef du Conseil des Mohawks d'Akwesasne. Le chef David est accompagné de Joyce King, directrice du département de la Justice mohawk d'Akwesasne.

Bienvenue. Nous apprécions votre présence ici ce soir. Un autre témoin devait comparaître, mais comme je l'ai expliqué tout à l'heure, il ne viendra pas ce soir, mais peut-être plus tard au cours des délibérations du comité.

Chef, désirez-vous faire une déclaration préliminaire?

Brian W. David, chef, Conseil des Mohawks d'Akwesasne : Oui, j'ai certaines choses à dire.

Je voudrais remercier l'honorable président, l'honorable vice-président et les honorables sénateurs; je vous remercie infiniment de nous avoir invités. C'est certainement un privilège et un honneur d'être ici en ce moment pour discuter d'une question aussi importante, non seulement pour votre gouvernement et votre peuple, mais aussi pour notre gouvernement et nos concitoyens.

Une bonne partie de ce qui se passe à Ottawa a des répercussions parfois bonnes, parfois mauvaises sur les champs de compétence que nous gouvernons. C'est une bonne chose que nous discutions de ces questions maintenant.

Depuis les années 1990, la communauté mohawk d'Akwesasne a été prise au milieu d'un réseau de contrebande qui a créé un vrai cauchemar sur le plan de l'application et du partage des compétences pour toutes les parties en cause, surtout les membres de notre communauté. Nous avions alors envoyé au gouvernement fédéral un message l'avertissant des conséquences d'une augmentation des taxes sur les cigarettes. Nous avons parlé des problèmes que cela créerait pour Akwesasne et notre communauté et nous avons proposé des solutions raisonnables pour y remédier. Nous avons demandé l'aide et la coopération du gouvernement. Nous n'avons pas été entendus et cela s'est traduit par le développement d'une économie illégitime sous les yeux de notre communauté et, au cours des dernières décennies, nous avons été victimisés par des éléments criminels de l'extérieur.

Le Canada a fait d'Akwesasne son bouc émissaire en stigmatisant Akwesasne comme la capitale de la vente de cigarettes illégales, du transport du tabac de contrebande et, dans une certaine mesure, comme un repère de criminels.

Akwesasne tire une fois de plus le signal d'alarme au sujet des répercussions que le projet de loi S-16 aura sur les Mohawks d'Akwesasne et avertit que c'est un autre pas dans la mauvaise direction. Cela ne fera que criminaliser davantage les membres de notre communauté et perpétuer une image négative d'Akwesasne. Ce n'est pas l'approche que nous avons proposée au Canada, à l'Ontario et au Québec pour trouver un moyen de résoudre efficacement le problème de la contrebande de tabac qu'Akwesasne pourra appuyer.

Nous avons déclaré, et nous continuons d'affirmer, que la solution ultime pour lutter contre la contrebande de tabac n'est pas d'imposer des peines plus sévères ou de resserrer l'application de la loi autour de notre communauté. Il s'agit plutôt de définir nos objectifs communs et d'établir des relations respectueuses dans le cadre de protocoles politiques et de protocoles d'entente, d'accords et d'autres modalités qui aideront à définir nos relations. Il ne s'agit pas d'imposer sa volonté à l'autre.

Oui, nous avons un objectif commun, mais nous l'abordons dans une optique différente. Vous voulez résoudre efficacement le problème de la contrebande de tabac tandis que nous voulons créer des emplois intéressants et durables pour notre population. Nos deux voies peuvent se rencontrer dans l'élaboration d'une stratégie de relance économique pour Akwesasne qui remplacera une économie illégitime par une économie légitime.

Du point de vue politique, le Conseil des Mohawks d'Akwesasne n'a pas de sérieuses objections à ce que le projet de loi S-16 propose d'accomplir. Le conseil a toutefois des inquiétudes à l'égard des répercussions que la loi aura sur les efforts et la reconnaissance que nous avons obtenus dans le jugement Gladue de la Cour suprême du Canada ainsi que d'autres mesures obtenues dans le cadre de protocoles d'entente avec les divers gouvernements provinciaux.

L'arrêt Gladue est une décision de la Cour suprême du Canada. Le projet de loi va sérieusement à l'encontre de cette décision en imposant un régime de détermination de la peine sans tenir compte des principes énoncés dans Gladue. L'article 718.2 du Code criminel du Canada prévoit :

[...] l'examen de toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones.

Si le projet de loi S-16 est adopté avec les peines maximales et minimales qu'il prévoit, cela enlève au procureur de la Couronne et au juge le pouvoir qu'ils ont actuellement de recourir à des programmes de déjudiciarisation ou à d'autres formes de justice alternative engageant la communauté pour punir les infractions les moins graves. Si ce n'est pas le cas, ce n'est pas très clair dans le libellé actuel du projet de loi S-16.

Il y a déjà un nombre disproportionné d'Autochtones qui sont incarcérés dans les prisons fédérales et provinciales. Globalement, la proportion est de 30 p. 100 de détenus autochtones au niveau fédéral et, en Ontario, les Autochtones représentent 10 p. 100 de la population carcérale. Comparativement, les Autochtones ne représentent que 3 p. 100 de la population nationale au Canada. Le projet de loi S-16 ne servira qu'à augmenter le nombre d'Autochtones dans le système pénitentiaire en ne tenant aucun compte de la culture ou de l'ethnicité d'une personne avant d'imposer une sentence.

Si le projet de loi S-16 est adopté avec ses peines « maximales-minimales », il va sans aucun doute augmenter le risque associé au transport des cigarettes non estampillées. Cela incitera peut-être certaines personnes à renoncer à ce commerce, mais nous craignons qu'elles soient seulement remplacées par des criminels endurcis venus de l'extérieur, qui n'ont rien à perdre.

Nous pensons aussi que le côté punitif du projet de loi va surtout punir les mules qui sont utilisées pour le transport de tabac de contrebande, des gens qui connaissent des difficultés économiques en cette période difficile, des gens esclaves de leur toxicomanie et qui sont prêts à tout pour financer leur consommation.

Nous avons constaté ce phénomène il y a des années, quand le Canada a mis en place la nouvelle Loi sur les armes à feu. Un nouveau marché noir des armes à feu a été créé dans les grandes villes canadiennes et nous avons vu la rivière, notre rivière, devenir un endroit très dangereux où se trouver pendant la nuit. Au cours des sept dernières années, nous avons lutté pour reprendre possession de notre rivière. Nous ne voulons pas perdre ce que nous avons gagné sur ce plan à cause de ce changement dans l'approche du Canada. Nous voulons savoir quelles mesures le Canada va prendre pour faire en sorte que cela ne se reproduise plus.

Une autre application inquiétante du projet de loi S-16 est l'inclusion du tabac en feuilles et les répercussions que cela aura sur les pratiques sociales et culturelles particulières des peuples des Premières Nations y compris les Mohawks d'Akwesasne. C'est un autre exemple de l'incompréhension du gouvernement fédéral à l'égard de l'ancienne coutume qui consiste à utiliser du tabac sacré uniquement à des fins cérémoniales.

Comment des agents d'application de la loi feront-ils la distinction entre le tabac non estampillé et le tabac que nous cultivons localement à des fins cérémoniales? Nous connaissons la différence et la plupart des botanistes connaissent la différence, mais je n'ai pas encore rencontré de policiers hors réserve qui connaissent la différence entre ces deux types de tabac. Le projet de loi S-16 aura-t-il des conséquences négatives pour les fonctions cérémoniales qui nous amènent à voyager d'une communauté à l'autre avec notre tabac cérémonial? Quelles dispositions prévoit-on pour que cela n'arrive pas?

Le Conseil des Mohawks d'Akwesasne ne croit pas que la criminalisation du commerce du tabac réglera les préoccupations du gouvernement du Canada à l'égard du tabac des Premières Nations Il y a déjà un nombre disproportionné de détenus autochtones dans le système pénal canadien et cette loi va encore l'augmenter. Ce qu'il faut plutôt, c'est permettre aux Premières Nations de contribuer directement à la recherche d'une solution au problème du tabac, en respectant toutes les parties en cause. C'est grâce à une coopération, à des efforts conjoints grâce auxquels les Premières Nations participeront à la recherche d'une solution que l'on pourra le mieux résoudre, de façon durable, les problèmes relatifs au tabac.

Le Conseil des Mohawks d'Akwesasne en est l'illustration. L'année dernière, il a travaillé avec le gouvernement de l'Ontario et le gouvernement du Québec à l'établissement d'une relation de coopération dans des domaines d'intérêt commun. La préoccupation du gouvernement provincial à l'égard du tabac était l'un de ces domaines d'intérêt commun.

Pour atteindre cet objectif, le Conseil des Mohawks d'Akwesasne et le gouvernement de l'Ontario ont créé une table technique sur le tabac réunissant des dirigeants politiques et des représentants administratifs opérationnels de l'Ontario avec le Conseil des Mohawks d'Akwesasne pour aborder des sujets et des enjeux préoccupants en ce qui concerne le tabac et le caractère multijuridictionnel de la communauté d'Akwesasne. Le travail de cette table de concertation se traduira par des efforts conjoints de coopération et l'orientation des ressources vers des solutions pratiques et réalisables.

Cet effort de coopération a amené le gouvernement de l'Ontario à allouer un montant de près de 500 000 $, sur deux ans, pour soutenir l'élaboration d'une loi et d'un cadre de réglementation sur le tabac pour Akwesasne. Le projet pilote sur le tabac d'Akwesasne est l'un des deux projets des Premières Nations de la province. Il permettra à Akwesasne de réglementer la fabrication, la vente en gros et la vente au détail de produits du tabac dans son territoire. Nous espérons que cela mènera à des accords sur le commerce du tabac entre Akwesasne et les autres Premières Nations de l'Ontario et permettra au Conseil des Mohawks d'Akwesasne de tirer des revenus légitimes de la vente de tabac.

Le Conseil des Mohawks d'Akwesasne poursuit ses efforts auprès du gouvernement de l'Ontario et cherchera ensuite à conclure un accord similaire avec le gouvernement du Québec.

L'année dernière, nous avons eu des réunions avec les hautes instances du gouvernement du Québec sur ce sujet et, en août 2012, nous avons eu une réunion avec les gouvernements des deux provinces afin de voir comment nous pouvions travailler tous les trois ensemble pour résoudre les préoccupations à l'égard du tabac. Akwesasne et les gouvernements de l'Ontario et du Québec se sont engagés à mettre en place une économie légitime dans la communauté d'Akwesasne en cherchant des ressources potentielles et en examinant les revenus générés, dans le cadre de notre stratégie visant à éloigner Akwesasne de l'industrie du tabac et à remplacer cette activité par d'autres formes de développement qui continueront à générer des résultats économiques positifs.

Le Conseil des Mohawks d'Akwesasne se réjouit de la possibilité de faire participer le gouvernement fédéral à ces initiatives. En effet, le conseil a signé un protocole politique avec le Canada, en mai 2012, pour qu'il soit tenu compte de la situation juridictionnelle particulière d'Akwesasne et pour appuyer les négociations et la mise en œuvre de nouvelles ententes entre Akwesasne et le Canada. La question du tabac pourrait être facilement incluse dans ce protocole.

Pour ce qui est des recommandations, nous apprécions ce que le Canada cherche à accomplir pour résoudre le problème de la contrebande de tabac. Pour soutenir ces efforts, Akwesasne est en train de se redéfinir en développant une économie légitime qui pourra remédier au manque de perspectives d'avenir qu'un grand nombre de membres de notre communauté ont devant eux, et qui les a forcés à participer, par le passé, à « l'économie de la noirceur ».

Certaines des mesures que nous avons proposées consistent à reconnaître notre département de la justice qui supervise le tribunal des Premières Nations le plus important du pays, à soutenir notre service de police mohawk qui a reçu une formation professionnelle, et à nous laisser remplacer l'économie dite illégale par un développement économique positif. Cela comprend le remplacement des centaines d'emplois illégaux qui seront perdus par des emplois légitimes.

Nous reconnaissons ce que le gouvernement fédéral cherche à faire, mais vous n'atteindrez pas efficacement votre objectif en renforçant l'application et en imposant des peines plus sévères.

Pour y parvenir, nous vous offrons les recommandations suivantes en réponse au projet de loi S-16. Premièrement, respectez les initiatives en cours entre Akwesasne et l'Ontario. Akwesasne a établi une économie légitime fondée sur la vente légitime de cigarettes comme le prévoit un règlement pris en vertu de la Loi sur les Indiens. En développant davantage cette mesure dans le cadre des règles de procédure pour l'adoption des lois du Conseil des Mohawks d'Akwesasne, nous ferons en sorte que la vente légale de tabac soit strictement réglementée. Le succès de cette initiative est très visible lorsqu'on traverse Akwesasne vers le nord, au Canada, car ce secteur n'est pas, je le répète, n'est pas constellé de cabanes ou de comptoirs improvisés pour la vente de cigarettes. Vous ne voyez pas cela à Akwesasne.

Deuxièmement, exercez une bonne gouvernance et acceptez notre invitation à venir à Akwesasne voir de vos propres yeux. La communauté d'Akwesasne cherche à établir une législation en tant que gouvernement responsable, comme tous les gouvernements devraient l'être envers leur peuple.

Nous sommes une communauté progressiste à Akwesasne et nous avançons en créant des partenariats pour soutenir une économie légitime. Le Conseil des Mohawks d'Akwesasne est un gouvernement responsable qui favorise et crée une croissance économique responsable pour répondre aux besoins de la communauté et s'efforcer de répondre aux besoins actuels.

Troisièmement, établissez un protocole fédéral reconnaissant le programme de justice pour les jeunes contrevenants de la communauté d'Akwesasne pour l'application de la Loi sur l'accise. Le Conseil des Mohawks d'Akwesasne a un programme administré par le département de la Justice d'Akwesasne qui s'appelle le Akwesasne Community Justice Program. L'ACJP existe depuis 1999 et c'est un programme de justice alternative. Il est financé par le Conseil des Mohawks d'Akwesasne, le ministère du Procureur général de l'Ontario, le ministère de la Justice du Québec et la Stratégie relative à la justice applicable aux Autochtones du Canada.

Le conseil a également négocié avec les procureurs de la Couronne des provinces pour élaborer un protocole d'entente entre Akwesasne, l'Ontario et le Québec. Les procureurs de la Couronne des provinces dirigent les infractions de catégorie 1 et certaines infractions de catégorie 2 visées par l'ACJP vers les programmes de déjudiciarisation et font des recommandations pour la détermination de la peine.

Rien n'empêche la Couronne fédérale de conclure un protocole d'entente avec le programme de justice communautaire d'Akwesasne pour travailler avec les jeunes dans le cadre de la Loi sur l'accise. Dans bien des cas, les jeunes accusés en vertu de cette loi sont également des victimes. Nous voyons des jeunes que des adultes utilisent pour passer du tabac en contrebande et qui se voient imposer des amendes qu'ils ne peuvent pas payer. Un protocole fédéral avec la Couronne fédérale aurait de profondes répercussions positives en diminuant le nombre d'adolescents accusés en vertu de la Loi sur l'accise.

Merci beaucoup et je suis prêt à répondre aux questions.

La sénatrice Fraser : Merci; c'était un exposé fascinant. J'ai l'impression qu'à moi seule, je pourrais vous poser des questions pendant quatre heures.

Chef David, il semble assez évident, d'après vos propos, que vous essayez de vous sortir d'une situation qui existe depuis un certain temps et qui a évolué, mais qui a néanmoins causé beaucoup de problèmes.

J'ai retenu deux choses que vous avez dites. L'une d'elle est qu'Akwesasne a bâti une économie légitime fondée sur la vente légale des cigarettes. L'autre est que pour sortir de cette situation et développer une économie productive et légale, il faudra remplacer des centaines — c'est ce que vous avez dit — d'emplois illégitimes qui seront perdus si l'on arrive à faire cesser le commerce de tabac illégal.

Pourriez-vous expliquer, d'une part, comment fonctionne le commerce légal, et d'autre part, quelle est son importance actuelle par rapport au commerce illégal ou illégitime — pour reprendre vos paroles — qui continue d'exister dans la réserve?

M. David : Nous avons un règlement portant sur les cigarettes exonérées de la taxe. Il existe depuis déjà un certain temps. Ce règlement nous permet d'acheter du tabac et des cigarettes en gros, au niveau provincial. Nous avons établi pour cela notre propre système de réglementation, pour la vente locale. C'est ce dont je parlais.

La sénatrice Fraser : Ce sont des cigarettes exonérées de taxe et elles sont donc moins chères que celles que j'achèterais en ville.

M. David : Elles sont moins chères que celles que vous achèteriez de l'autre côté de la rue, c'est certain.

Quant au pourcentage que cela représente, je peux vous dire que ce n'est qu'une très petite partie de ce commerce. Je ne pense pas qu'à l'heure actuelle la police ait une idée très claire de l'ampleur de la contrebande. J'ai examiné certains des rapports les plus récents. Celui que j'ai sous les yeux est de Laura Dawson, une consultante d'Ottawa et parle seulement de chiffres estimatifs, car la police fournit seulement des estimations. Personne ne sait exactement ce qu'il en est.

D'autre part, quand je parle de centaines d'emplois, c'est d'un bout à l'autre de la chaîne, de la production à la distribution. Cela représente facilement des centaines d'emplois.

L'activité légale le confirme. À un moment donné, il y avait quatre permis fédéraux à Akwesasne. Des personnes avaient obtenu quatre permis pour fabriquer des cigarettes. Je pense que deux de ces entreprises n'ont pas eu de succès et que l'une d'elles est actuellement en suspens. Un groupe est en train de constituer une société et est sur le point d'établir une entreprise à grande échelle. Il étudie le marché et a déjà la patente et tous les documents requis. Il attend seulement l'autorisation de la province de l'Ontario pour pouvoir distribuer le produit sur la route.

La sénatrice Fraser : Je suppose que si ce commerce se développe, il y a de bonnes chances qu'il puisse employer certaines des personnes qui travaillent actuellement dans le commerce illégal, illégitime, n'est-ce pas?

M. David : Oui.

La sénatrice Fraser : Merci. Vous pourrez glisser le reste de votre réponse dans la réponse à la prochaine question.

Je sais qu'il est très difficile d'obtenir des statistiques sur des activités qui ne sont pas autorisées par la loi, mais quelle serait, selon vous, la proportion du commerce illégal de source américaine?

M. David : Personnellement, j'estime que le commerce légal représente 10 p. 100 et l'économie souterraine, probablement 90 p. 100. Ce sont les chiffres sur lesquels je me base depuis 18 mois.

Pour revenir à la question précédente, je ne veux pas donner l'impression que nous mettons tous nos œufs dans le même panier en disant que nous allons fabriquer des cigarettes et embaucher toute notre population pour le faire. Nous mettons en place une série d'autres initiatives pour établir une nouvelle infrastructure, par exemple l'Internet à large bande et à haute vitesse. Nous parlons de créer notre propre centre de données pour créer le genre d'emplois pour lesquels nos jeunes étudient. Nous examinons les ressources que nous possédons telles que notre merveilleuse et belle rivière. Nous voulons reprendre possession de la rivière et en profiter peut-être en développant l'industrie touristique. Nous voulons profiter pleinement des jeunes qui sortent des écoles d'hôtellerie. Pourquoi ne pas nous associer avec les casinos de la région et Cornwall, comme nous le faisons déjà? Nous rencontrons régulièrement tous les gouvernements locaux, car c'est un engagement local. Ce n'est plus un problème qui nous concerne uniquement.

Je me souviens d'avoir eu une discussion avec notre député local. Quand nous avons parlé de contrebande, il m'a demandé quand nous allions nous attaquer à notre problème. Je lui ai dit : « Attendez un instant; n'avez-vous pas lu les journaux? Pourquoi serait-ce notre problème? Parmi les gens qui se font prendre, neuf sur 10 sont vos commettants, pas les miens. » Si vous pensez que tous ceux qui se font prendre viennent d'Akwesasne, vous devriez lire le registre de la police, car ils ne viennent pas d'Akwesasne. La majorité de ceux qui se font prendre sur le corridor de la 401 vient d'ailleurs; ils ne résident pas chez nous. Environ 10 p. 100 sont de chez nous.

C'est là où je voulais en venir. Une fois ce projet de loi adopté, s'il l'est, les sanctions deviendront plus sévères. Cela incitera certains à cesser ce commerce, ce qui créera de nouvelles possibilités, mais ce seront des possibilités à plus haut risque qui attireront seulement des gens qui n'ont rien à perdre. Ce seront des criminels endurcis tels que les bandes de motards de Toronto et d'Ottawa qui viendront sur le territoire d'Akwesasne comme ils l'ont fait lors de l'entrée en vigueur de la Loi sur les armes à feu.

Nous pensons prendre les mesures qui s'imposent, mais nous créons une nouvelle situation cauchemardesque dans notre communauté d'Akwesasne et on reviendra nous demander ce que nous faisons pour résoudre notre problème. Ce n'est pas nous qui avons relevé le taux de la taxe au Canada; nous n'avons pas créé le problème et pourtant tout le monde nous demande de le résoudre.

Le sénateur White : Chef David, merci d'être ici aujourd'hui. Vous avez déclaré exactement ce que je dis moi-même, à savoir que ce problème n'est pas celui d'Akwesasne et cette loi ne vise pas les gens d'Akwesasne. En réalité, elle vise les organisations criminelles qui, dans bien des cas, se servent de votre communauté exactement comme vous l'avez dit.

Malheureusement, nous ne pouvons pas considérer cela uniquement comme un problème touchant le tabac. C'est un problème concernant le crime organisé qui comprend le tabac, la drogue, les armes à feu et à peu près n'importe quoi. Nous devons trouver un moyen de contrer continuellement le crime organisé et dans ce cas-ci, je crois que tous les éléments sont tellement imbriqués que si le tabac était exclu du reste, cela permettrait au crime organisé de continuer d'avoir accès à cette source de revenus.

Certains diront, comme vous le ferez sans doute, chef David, que ce n'est peut-être pas la bonne solution, mais ayant été dans la police pendant 31 ans, je dois dire que c'est là un outil de plus que chaque policier qui a travaillé dans ces communautés trouvera utile pour s'attaquer au problème.

Que vous attendez-vous à ce que nous fassions étant donné les difficultés que la drogue, le tabac et les armes à feu représentent pour la police? C'est très difficile, je sais, mais que nous suggéreriez-vous de faire plutôt pour donner à la police les moyens de remédier à la situation?

M. David : Quand j'ai reçu ce projet de loi, je l'ai lu rapidement et ma première impression a été qu'il s'attaquait aux trafiquants et voulait traiter le tabac de la même façon que le trafic de marijuana. Si le but est de s'en prendre au crime organisé, pourquoi le projet de loi ne le dit-il pas? Pourquoi ne nous attaquons-nous pas aux trafiquants?

Le sénateur White : Si c'est une infraction au Code criminel, les personnes reliées au crime organisé qui sont reconnues coupables tomberont sous le coup des lois contre le crime organisé et des lois sur les produits de la criminalité. Votre service de police locale pourra avoir accès au revenu provenant des produits de la criminalité lorsqu'elle aura saisi les biens de ces personnes.

Je ne prétends pas que cet outil réglera tout, mais je crois qu'il donnera aux services de police un outil supplémentaire. Tel est vraiment l'objectif visé.

M. David : Je ne dis pas le contraire. Nous sommes d'accord en ce qui concerne les objectifs. Il y aura toujours un débat et une discussion au sujet de la méthodologie.

Le sénateur White : Oui, et c'est très sain.

M. David : Voilà où nous en sommes. Nous sommes en train d'essayer d'établir ce que nous devons mettre en place pour coexister paisiblement à l'avenir dans cette région du pays. Vous savez de quoi je veux parler.

Le problème vient en partie du fait que les priorités de la police sont très différentes au Canada de ce qu'elles sont aux États-Unis. Au Canada, la priorité semble être la contrebande de tabac tandis qu'au sud de la frontière, on se préoccupe de la drogue et de la marijuana. C'est assez différent. Les États-Unis semblent n'avoir aucune objection à délivrer des permis à des entreprises qui fabriquent les produits de tabac qui causent des problèmes de ce côté-ci de la frontière.

Il existe un sérieux manque de coordination au sujet de ces questions et il est regrettable que la communauté d'Akwesasne soit coincée au milieu de ces problèmes. Nous voyons tout ce qui se passe.

Le sénateur White : Pour faire suite à vos commentaires sur les mesures de rechange et la justice réparatrice, j'imagine que vous êtes conscient du fait qu'une grande part de cette justice réparatrice ou justice communautaire se fait avant la condamnation, auquel cas il se pourrait qu'il n'y ait pas de déclaration de culpabilité. Cela se déroule également avant la mise en accusation, dans certains cas. Je suis certain que vous comprenez qu'on peut toujours avoir recours à une forme de justice réparatrice, avant la mise en accusation ou la condamnation, par un tribunal. Comprenez-vous bien cela par rapport à votre initiative de justice communautaire locale?

M. David : Cela n'était pas clair, à nos yeux. Il semblait ne rien y avoir dans le texte à ce sujet.

Le sénateur White : Je vous offre la possibilité de me rencontrer, à n'importe quel moment, pour en discuter, si vous le souhaitez.

M. David : Merci.

La sénatrice Jaffer : Chef David, vous nous avez beaucoup appris et nous respectons vos propos. Dans une vie parallèle, je travaille activement sur la question du profilage racial. Il y a eu une émission télévisée sur le profilage racial et le tabac de contrebande. Pourriez-vous nous dire s'il y a du profilage racial à l'égard des membres des Premières Nations, dans le cadre des enquêtes sur le tabac de contrebande? Si oui, pensez-vous que ce projet de loi fera empirer la situation?

M. David : Il y a environ trois ou quatre ans, nous avons connu un incident lorsque l'ASFC a mis en œuvre sa politique d'armement. Il y avait un port des douanes sur l'île de Cornwall. Nous n'étions pas vraiment d'accord avec la politique d'armement — il s'agissait d'une initiative pancanadienne — principalement, car la relation entre les autorités portuaires et la communauté n'était pas bonne du tout. Il y a certaines choses qui auraient dû être faites, mais qui ne l'on pas été. En fait, je dirais qu'il n'y avait pas de relation et, donc, lorsqu'il a été question de la politique d'armement, cela a suscité de nombreuses inquiétudes ainsi que des craintes que cela n'entraîne des représailles.

Il y a eu une manifestation. Lorsque le port a repris ses activités à Cornwall, il y a eu des accusations de profilage racial contre nos jeunes femmes, surtout celles qui étaient au volant de belles voitures cylindrées. Nous avons pris note de toutes ces plaintes par l'entremise de nos services de justice. Nous avons ensuite signalé cela à la Commission canadienne des droits de la personne et nous suivons l'évolution des choses depuis sept ou huit ans. Nous suivons le dossier de près.

Pour ce qui est de savoir si un projet de loi comme celui-ci viendrait empirer la situation, je crois que le pire est derrière nous, espérons-le. Je ne crois pas que les choses vont empirer, ici. Ce qui me préoccupe plus, avec le projet de loi S-16, ce n'est pas tant le profilage racial, mais plutôt le fait qu'il encourage ces éléments criminels à retourner sur notre territoire, alors que nous ne voulons pas d'eux. Nous avons fait des progrès pour ce qui est du contrôle du fleuve, pendant la nuit, pour en faire un endroit sûr, où les pêcheurs peuvent pêcher la nuit, sans se soucier de savoir qui se trouve sur l'eau, s'ils sont armés, s'ils viennent d'Akwesasne ou s'ils font partie d'un gang de Montréal ou d'Ottawa. Nous nous sommes occupés de cela. Les choses se sont pas mal calmées maintenant et nous ne voulons pas revenir en arrière. Nous aimons la pêche nocturne. Lorsque nous voulions de l'aide à ce chapitre, soit dit en passant, nous n'avons pas pu en obtenir. Nous avons dû nous en occuper nous-mêmes et c'est ce que nous avons fait.

Le président : Vous parlez de l'époque où il y avait du trafic d'armes, en autres choses. Êtes-vous en train de nous dire que vous n'êtes pas au courant de la présence de non-Autochtones ayant des liens avec le crime organisé au sein de votre communauté, à l'heure actuelle? Êtes-vous en train de nous dire qu'il n'y a aucune personne de la sorte dans votre communauté, en ce moment?

M. David : Des non-Autochtones...

Le président : Ayant des liens avec le crime organisé. À votre connaissance, y en a-t-il?

M. David : Pas à ma connaissance. S'il y en avait et que je le savais, j'en parlerais certainement aux forces de l'ordre. Nous avons notre propre loi pour les résidents de la communauté et des lois contre les intrusions. De fait, dans notre communauté, on se soucie beaucoup du fait que des étrangers se trouvent dans des zones sensibles, où ils ne devraient pas se trouver, notamment des écoles et des foyers pour personnes âgées, où se trouvent des personnes vulnérables. Nous sommes sensibles à ce genre de choses.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur David et madame King. Je connais bien votre réserve pour y avoir patrouillé en 1990, 1991 et 1992 sur la portion québécoise. Évidemment, comme le commerce de cigarettes de contrebande se fait ouvertement sur la réserve, est-ce que vous considérez la fabrication de ces cigarettes comme légale?

[Traduction]

M. David : J'étais sur le mauvais canal d'interprétation et je n'ai pas entendu toute la question.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vais répéter la question. Je connais bien votre territoire, à l'époque, j'étais policier à la Sûreté du Québec. Le commerce de cigarettes de contrebande se fait quand même ouvertement sur la réserve, vous l'avez dit à 90 p. 100. Est-ce que vous considérez la fabrication de ces cigarettes comme légale?

[Traduction]

M. David : La production de cigarettes est parfaitement légale, dans la plupart des cas. Ces cigarettes sont fabriquées dans des usines de fabrication autorisées et dont le permis a été obtenu du côté américain. Ces usines sont entièrement réglementées et autorisées. Cela ne pose aucun problème, jusqu'à ce que ces cigarettes traversent le fleuve. Elles passent par notre territoire pour entrer au Canada et, à ce moment-là, la question qu'on nous pose est si elles sont fabriquées de manière licite ou pas. Oui, elles le sont.

Vous essayez probablement de voir à quel moment elles deviennent illégales. Je crois que, du point de vue du Canada, elles deviennent illégales quand elles franchissent la frontière internationale. De notre point de vue, nous adoptons une vision plus libérale des choses, à savoir que nous disons que oui, c'est vrai, mais que du point de vue politique, elles ne deviennent pas illégales avant d'avoir techniquement quitté le territoire d'Akwesasne. Cela nous laisse une certaine marge de manœuvre pour mettre en œuvre un régime réglementaire, pour réglementer les choses si nous le désirons, ce qui est la voie que nous avons choisie.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous avez mentionné aussi que vous aviez une belle rivière, je l'ai constaté aussi. Par contre, elle est rendue dangereuse par la contrebande du tabac. Même à l'époque, il nous arrivait souvent d'intercepter des bateaux qui n'avaient pas de lumière pour transporter des cigarettes au Canada la nuit.

Selon vous, c'est le peuple amérindien qui bénéficie de la contrebande ou le crime organisé?

[Traduction]

M. David : Il faut évaluer les effets cumulatifs de la chose. Il ne fait aucun doute que le crime organisé est celui qui en profite le plus. Il y aurait aussi un certain avantage pour quiconque serait impliqué, au fur et à mesure que les cigarettes changent de main, au fil du trafic. Toutefois, il faut être réaliste; c'est le crime organisé — quel qu'il soit — qui retire la part du lion dans tout cela. Je reviens maintenant au projet de loi S-16 et je me demande pourquoi il n'y a pas de mesure plus ciblée envers le crime organisé plutôt qu'envers le trafic, à proprement parler.

Le sénateur Baker : Je tiens à vous féliciter de votre exposé.

Un des principaux arguments que vous présentez ici porte sur le fait que vous travaillez de concert avec le gouvernement de l'Ontario. Vous estimez que ce projet de loi risque de perturber la collaboration que vous avez établie avec le gouvernement de l'Ontario qui, comme nous le savons tous, s'est doté d'une loi concernant la vente, le transport et la possession de tabac licite et illicite. Vous avec des liens avec le gouvernement ontarien et avez élaboré un protocole conjoint. Pensez-vous que tout ce travail que vous avez fait avec le gouvernement de l'Ontario, les ententes que vous avez passées — que tout cela risque maintenant d'être perturbé par ce projet de loi?

M. David : Je ne pense pas que les choses en seront perturbées le moindrement; cela ne fait qu'ajouter une dimension différente, dont nous devrons tenir compte à l'avenir. Je ne vois pas cela comme un gros obstacle. La raison pour laquelle j'en ai parlé ainsi était pour indiquer que nous avions contacté le Canada à plusieurs reprises pour lui demander de se joindre à nous dans cette initiative — ou pour le moins de venir en discuter avec nous — en partenariat avec l'Ontario et le Québec, pour voir comment on pouvait cibler plus précisément Akwesasne. Plutôt que d'être une occasion de trouver des solutions, ce projet de loi nous semble contenir des choses que nous ne désirions pas, à savoir plus de mesures législatives et plus de répression.

Le sénateur Baker : À l'heure actuelle, vous devez composer avec la Loi sur les douanes et la Loi sur l'accise, au niveau fédéral, ainsi qu'avec la loi provinciale sur le tabac. Je crois qu'elle s'appelle la Loi sur le tabac, mais je ne suis pas certain du titre ontarien officiel. Vous allez désormais devoir composer avec le Code criminel.

M. David : Oui, avec le Code criminel.

Le sénateur Baker : Cela va vraiment semer la confusion. C'est là votre principale inquiétude. La Loi sur les douanes, aux fins de sa mise en exécution, définit un agent comme étant « un agent des douanes ou un membre de la GRC ». Les corps de police provinciaux n'ont aucune autorité en vertu de la Loi sur les douanes, mais ils ont, bien entendu, une autorité en vertu de la Loi de 2001 sur l'accise. Vous êtes en train de nous dire que cela apportera une punition de plus, alors que les gens sont déjà inculpés en vertu de trois autres lois.

M. David : Exactement.

La sénatrice Batters : J'aimerais confirmer une chose. On nous a informés que, selon certains médias, M. Keith Gordon, du département de la Justice d'Akwesasne, s'était inquiété du fait que les contrevenants auraient plus vigoureusement contesté leur première condamnation s'ils avaient su qu'on pouvait se servir de cette condamnation pour accroître la durée d'incarcération, en cas d'infractions subséquentes. M. Gordon est-il le seul à penser ainsi? J'aimerais dissiper ce malentendu, car, avec ce projet de loi, la première infraction relèverait de cette nouvelle loi et non pas de la Loi de 2001 sur l'accise. Je veux m'assurer que vous êtes tous les deux au courant de cela et que vous ne vous méprenez pas.

Joyce King, directrice, département de la Justice, Mohawk Akwesasne, Conseil des Mohawks d'Akwesasne : Oui, nous savons que ces infractions seront toutes nouvelles.

Le président : Par curiosité, il y a deux points qui portent sur le poste-frontière et sur son déplacement de l'île de Cornwall. Savez-vous si cela a eu un effet sur la contrebande? J'ai cru comprendre que ce poste-frontière allait déménager du côté américain. À votre avis, comment cela va-t-il influer sur l'éventuelle recrudescence de la contrebande?

M. David : Après le déplacement du port, de l'île de Cornwall à Cornwall, là où il est temporairement situé, on a assisté à un plus grand nombre de signalements d'activités de contrebande. Ce changement d'endroit a permis aux douanes d'être plus directement impliquées pour observer ce qui franchissait le pont.

S'agissait-il de l'ensemble du volume total? Non, uniquement d'un petit pourcentage. Il y avait encore une part considérable qui traversait le fleuve. Je lis encore des articles qui disent qu'on se sert du fleuve, depuis la rive sud, jusqu'à la rive nord. Il y a encore pas mal de mouvement à l'extérieur du port, mais pour ce qui est de la proportion que cela représente, je n'en sais rien. Il faudrait que je demande à la police et aux forces de l'ordre pour en avoir une meilleure idée.

Cela changerait-il s'ils déménageaient le port du côté américain? Si les choses n'ont pas vraiment bougé depuis qu'ils ont déplacé le port à Cornwall, cela ne viendra pas faire de différence s'ils le transfèrent aux États-Unis.

S'il devient plus difficile ou dangereux de faire passer la contrebande par les ports, le fleuve devient alors le vecteur principal, car il est moins risqué et qu'il n'implique aucun port. C'est à cause de cela que l'activité nocturne est plus dangereuse sur le fleuve. Ce ne sont pas des activités qui se limitent à Akwesasne. On les retrouve jusqu'en haut du fleuve Saint-Laurent, jusqu'aux Mille-Îles. À un moment donné, on m'a dit que le problème était beaucoup plus grave dans la région de Wolfe Island qu'à Akwesasne. C'est ce que j'ai appris en parlant à un représentant de la Police provinciale de l'Ontario. C'est juste qu'Akwesasne attire vraiment l'attention des médias lorsque ces choses arrivent.

La sénatrice Fraser : Vous avez effectivement joui d'une énorme attention de la part des médias, au fil des ans, mais j'imagine que tout cela n'était pas voulu, ni même souhaité. Cela est en partie dû au fait que même si Akwesasne n'est certainement pas le seul endroit où il y a un problème de contrebande ou de tabac illicite, c'est néanmoins l'endroit le plus complexe, en raison de la multitude de compétences qui s'y retrouvent. Je crois que la situation est unique. Je ne pense pas qu'il y ait d'autres endroits, au Canada, où les choses soient aussi complexes en matière juridique et juridictionnelle. Si je ne me trompe pas en disant que vous êtes uniques en votre genre, eh bien c'est dans cette perspective que j'aimerais que vous répondiez à ma question. Avez-vous été consultés lors de la rédaction de ce projet de loi? J'ai été impressionnée par le nombre d'initiatives et les divers modes de consultations que vous avez mentionnés dans votre exposé. Vous a-t-on consultés sur ce projet de loi, au moyen d'un de ces mécanismes ou autrement?

Mme King : Pas à ce que je sache.

M. David : Pas à ce que je sache. J'ai fait une demande lorsque j'ai entendu parler de ce projet de loi. J'ai parlé au responsable, ici, pour lui demander si je pouvais avoir une audience avec cet honorable comité permanent.

La sénatrice Fraser : Nous ne sommes pas toujours si honorables que cela, même si nous le sommes la plupart du temps.

M. David : Je deviens plus futé avec le temps. Apparemment, c'était à la fin de la dernière session et il n'y avait aucune possibilité. On m'a promis que s'il y avait des audiences subséquentes, on me contacterait — et c'est ce qui s'est produit, ici.

La sénatrice Fraser : Il s'agit de la consultation.

M. David : C'est la consultation en question. J'ai eu l'occasion de lire une ébauche du projet de loi, il y a environ un mois de cela. Je ne sais pas s'il y a eu des changements qui y ont été apportés, par la suite.

La sénatrice Fraser : Je ne le crois pas, non.

M. David : Nous avons basé notre mémoire là-dessus et nous nous sommes demandé comment cela allait se dérouler, étant donné la direction que nous semblons prendre, celle que nous aimerions suivre et la dynamique politique qui prévaut. Nous nous sommes demandé comment les choses allaient s'imbriquer les unes dans les autres — ou pas.

La sénatrice Fraser : Merci.

Le sénateur Baker : J'aimerais féliciter les témoins pour leur excellent exposé — c'est une excellente façon de faire valoir leurs arguments.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'ai une dernière question pour le chef David. Si une vaste opération policière était menée sur votre territoire pour vraiment éliminer l'origine de cette contrebande, est-ce qu'on peut penser que, à ce moment-là, même les forces policières de votre territoire vont se ranger du côté de la GRC pour faire respecter les lois, qu'il va y avoir une collaboration entre les corps de police pour vraiment éliminer le problème, qui est assez large?

[Traduction]

M. David : Les gens partent du principe que le cœur du problème se trouve à Akwesasne et que l'on devrait donc concentrer toutes les activités des forces de l'ordre à Akwesasne. Ce n'est pas ce que nous pensons. Selon nous, le crime organisé n'est pas à Akwesasne. Ces familles se trouvent à Montréal, à Ottawa et à Toronto. Ce n'est pas à Akwesasne que vous les trouverez. Pourquoi concentrons-nous toutes nos énergies et toutes nos ressources là où le problème ne se trouve pas? Si ce n'est pas là que se situe le cœur du problème, pourquoi y accordons-nous tant d'attention?

[Français]

Le sénateur Dagenais : Évidemment, c'est votre point de vue. Merci, monsieur David.

[Traduction]

Le président : J'aimerais faire un commentaire. J'ai sous les yeux quelque chose qui date de 2009. Ce qui était alors le Centre for Public Integrity, aux États-Unis, a publié un rapport sur l'essor de la contrebande de cigarettes au Canada. On y affirmait que les 12 milles de frontière canado-américaine qui passent par Akwesasne représentaient une faille considérable pour la sécurité et on y faisait référence à une affaire parvenue cette année-là, où les autorités américaines avaient arrêté 10 personnes soupçonnées de faire partie d'un réseau de contrebande qui avait fait passer 50 000 livres de marijuana aux États-Unis, en passant par Akwesasne. Un des chefs du réseau était détenteur d'une licence de fabrication de tabac émise par le gouvernement canadien.

Comme l'a indiqué le sénateur Dagenais, le problème, là-bas, est reconnu par bien du monde. Je sais que vous parlez de certains de ces chefs de réseau, ailleurs, mais on pourrait faire valoir qu'ils se servent d'Akwesasne pour parvenir à leurs fins. C'est une des raisons pour lesquelles on s'y attarde, dans ce projet de loi et dans d'autres mesures.

M. David : Je peux certainement le comprendre. Le Canada ira de l'avant de la manière qu'il jugera appropriée, au mieux des intérêts de ses citoyens. De notre côté, nous n'aurions pas eu ce problème sans la Loi sur les Indiens, si nos économies traditionnelles avaient été maintenues en place et si l'on nous avait autorisés à évoluer et à développer des économies dynamiques et saines sur nos territoires. Si nous disposions d'une économie dynamique et saine, nous n'aurions pas cette conversation, aujourd'hui. Nos jeunes auraient du travail. Nous aurions une population active, sur place. Dans ce genre d'économie, nos jeunes gens pourraient regarder l'avenir avec certitude et dire : « Oui, nous allons éradiquer la contrebande et ce sera fini. » Ils ne voudraient pas prendre ces risques s'ils avaient ce genre de possibilités légitimes qui s'offraient à eux.

Voilà l'origine des choses et l'argument que je voulais faire valoir.

Le président : Merci, chef David. Nous apprécions votre comparution, ici, et merci à vous, madame King, d'avoir donné votre avis au comité pendant nos audiences sur cet important projet de loi.

M. David : Je tiens à vous remercier sincèrement pour le temps de parole que vous nous avez accordé. Nous l'apprécions.

Le président : Il n'y a vraiment pas de quoi.

Notre prochaine réunion aura lieu demain matin, à 10 h 30. Nous allons poursuivre notre étude du projet de loi S-16 et nous recevrons des représentants des forces de l'ordre qui s'occupent de l'intégrité de nos frontières, ainsi que des commerçants. Cela s'annonce intéressant.

(La séance est levée.)


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