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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 35 - Témoignages du 2 mai 2013


OTTAWA, le jeudi 2 mai 2013

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S- 16, Loi modifiant le Code criminel (contrebande de tabac), se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue aux membres du comité, aux témoins et au public à l'écoute des délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Nous nous réunissons aujourd'hui afin de poursuivre l'étude du projet de loi S-16, Loi modifiant le Code criminel (contrebande de tabac). Avant que nous commencions nos délibérations, je suis heureux de vous présenter notre premier groupe de témoins : le surintendant Guy Poudrier, directeur des opérations criminelles — Police fédérale de la GRC, Trevor Bhupsingh, directeur général de l'application de la loi et des stratégies frontalières à Sécurité publique Canada, et Geoff Leckey, directeur général des opérations relatives à l'exécution de la loi et au renseignement à l'Agence des services frontaliers du Canada. Messieurs, bienvenue.

Monsieur Bhupsingh, je crois savoir que vous serez le premier intervenant. Vous avez la parole.

Trevor Bhupsingh, directeur général, Direction générale de l'application de la loi et des stratégies frontalières, Sécurité publique Canada : Honorables sénateurs, j'aimerais vous remercier de m'avoir donné l'occasion de parler devant le comité aujourd'hui, en appui au projet de loi S-16, Loi visant à combattre la contrebande de tabac.

Permettez-moi de commencer en disant que la contrebande du tabac constitue un problème grave et important au Canada. Même si la taille réelle du marché illicite est sujette à discussion, il ne fait aucun doute qu'il représente une menace pour la santé et la sécurité des Canadiens et des Canadiennes et qu'il a des répercussions économiques liées aux taxes et aux droits d'accise. Au cours des années, le problème est passé de la contrebande sporadique à l'infiltration par des groupes criminels qui réinvestissent les profits dans d'autres activités illégales, comme la drogue et les armes.

Le gouvernement du Canada, en réponse au problème, a annoncé la création, en 2008, du Groupe de travail sur le commerce illicite des produits du tabac. Sécurité publique Canada a présidé le groupe de travail, composé de cadres supérieurs de neuf ministères et organismes fédéraux, dont le mandat était de mettre au point des mesures concrètes et efficaces de lutte contre la contrebande de tabac au Canada.

[Français]

En 2010, sous la foi des efforts et des conseils du groupe de travail, le gouvernement du Canada investit 20 millions de dollars pour lancer plusieurs mesures cruciales visant la réduction de l'offre et de la demande du tabac de contrebande.

Une de ces mesures cruciales consistait en la mise sur pied d'une unité mixte d'enquête sur le crime organisé, une initiative sur le tabac de contrebande dirigée par la Gendarmerie royale du Canada pour cibler les réseaux criminels participant à la production et la distribution des produits illicites du tabac.

En appui à ces activités d'application de la loi, le laboratoire des sciences de la section d'alcool et du tabac de l'Agence des services frontaliers du Canada a mis au point des méthodes poussées permettant la détermination de l'origine du tabac de contrebande saisi, en isoler l'origine et en précisant les liens possibles avec diverses caractéristiques particulières, pays d'origine, fabricants ou producteurs. On peut plus efficacement cibler les importateurs et les exportateurs des produits de contrebande.

[Traduction]

Au total, les avantages de ces mesures ont entraîné une présence policière accrue dans les régions vulnérables aux activités de contrebande.

Cependant, l'application de la loi ne résout pas à elle seule le problème. Il faut également s'attaquer au côté « demande » de l'équation. À cet égard, le groupe de travail a recommandé une campagne de sensibilisation ciblée visant les consommateurs actuels et potentiels pour leur expliquer l'incidence de la contrebande du tabac au Canada et les liens avec le crime organisé.

L'Agence du revenu du Canada a mené une campagne de sensibilisation en Ontario et au Québec, les deux provinces ayant le taux le plus élevé de consommation de tabac de contrebande. En complément à cette campagne de l'ARC, les organismes d'application de la loi ont souligné la participation du crime organisé et la façon dont les consommateurs de produits de tabac de contrebande contribuent au financement des réseaux criminels.

Prises ensemble, ces mesures visant la réduction de l'offre et de la demande de tabac de contrebande se sont appuyées sur les efforts fédéraux de contrôle du tabac déjà en place et les ont renforcés, notamment la Stratégie de lutte contre le tabac de contrebande de la GRC et la Stratégie fédérale de lutte contre le tabagisme, qui ont mis en place une approche exhaustive de contrôle du tabac sur la base de quatre piliers, soit la prévention, le renoncement, la protection et la réduction du danger.

Les réseaux du crime organisé impliqués dans la production et la distribution de produits de tabac de contrebande exploitent, à leur avantage, les collectivités des Premières Nations et les liens territoriaux et politiques difficiles entre ces collectivités, les administrations et les organismes d'application de la loi.

[Français]

Les collectivités des Premières Nations sont ouvertes à la connexion avec les gouvernements fédéral et provinciaux en vue de s'attaquer au crime organisé. À cette fin, on continuera de consulter les chefs des Premières Nations afin d'établir et de renforcer les partenariats dans le but de lutter contre le crime organisé.

Sécurité publique Canada, en partenariat avec les organismes fédéraux impliqués continuera d'explorer d'autres mesures de lutte contre la contrebande de tabac en partenariat avec les administrations des provinces, des territoires et des Premières Nations, les organismes d'application de la loi et les intervenants de l'industrie et de la communauté internationale.

[Traduction]

En matière d'initiatives relatives aux capacités d'application de la loi, la GRC travaille à renforcer la force anticontrebande de tabac par l'établissement d'une capacité de 50 agents. En outre, 10 policiers chargés exclusivement de la lutte contre le crime organisé dans les collectivités des Premières Nations seront ajoutés aux services de police des Premières Nations afin d'accroître leur capacité d'enquête des partenariats policiers.

Plusieurs groupes ont exprimé leur appui envers ces mesures, notamment la Coalition nationale contre le tabac de contrebande et l'Association canadienne des dépanneurs en alimentation, qui ont reconnu que les mesures fourniront une ressource nécessaire à la GRC afin de pouvoir continuer d'assurer la sécurité des collectivités.

En conclusion, la mise en oeuvre du projet de loi S-16 fournira un outil supplémentaire aux organismes fédéraux et provinciaux d'application de la loi pour lutter contre le tabac de contrebande. La proposition législative vise à criminaliser l'acte de trafiquer du tabac de contrebande en créant une nouvelle infraction au Code criminel. Elle ferait en sorte que les peines reflètent la gravité du crime en précisant des peines d'emprisonnement obligatoires pour les récidivistes.

Avant de laisser la parole à mes collègues, j'aimerais vous remercier encore une fois de m'avoir permis de parler de ce sujet important. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci.

Monsieur le surintendant, vous avez la parole.

[Français]

Surintendant Guy Poudrier, directeur, Enquêtes criminelles de la Police fédérale de la GRC, Gendarmerie royale du Canada : Merci de m'avoir invité pour parler du projet de loi S-16, Loi modifiant le Code criminel (contrebande de tabac). Ce projet de loi vise à créer une nouvelle infraction sur le trafic du tabac de contrebande assortie de peines plus lourdes. Pour aider le comité à examiner le projet de loi, j'aimerais faire un survol général de l'ampleur du problème actuel ainsi que des activités de répression menées par la GRC.

[Traduction]

La contrebande de tabac demeure une menace grave pour la sécurité publique et, si rien n'est fait pour la réprimer, des organisations criminelles continueront d'en tirer profit au détriment du Trésor public et de la sécurité des Canadiens. Une étude de l'Institut MacDonald-Laurier estime ainsi que les pertes potentielles en recettes fiscales seraient d'environ 900 millions à 1,2 milliard de dollars par année.

[Français]

La contrebande du tabac est depuis longtemps une priorité de la GRC. Pour contrer ce type de criminalité en plein essor, le ministère de la Sécurité publique a lancé en 2008 la stratégie de lutte contre le tabac de contrebande.

La stratégie fixe des priorités afin de réduire l'offre et la demande de tabac de contrebande à l'échelle nationale. La SLTC a un impact positif et mesurable sur la contrebande et le marché du tabac au Canada. Depuis son lancement en 2008, la GRC a déposé quelque 4 925 accusations et perturbé 66 groupes criminels organisés impliqués dans le marché du tabac de contrebande.

[Traduction]

Des organisations criminelles sont impliquées dans la production, la distribution et le trafic de tabac de contrebande et exploitent des communautés des Premières Nations. Dans ces dernières, le trafic de tabac illicite s'accompagne de violence et de tactiques d'intimidation.

Outre les points d'entrée canado-américains, la contrebande de tabac est très présente dans les régions frontalières de Cornwall et de Valleyfield, le plus gros de l'activité ayant lieu entre les points d'entrée, ce qui présente des difficultés particulières pour la GRC. En 2012, les produits du tabac saisis en cours d'expédition étaient transportés dans des voitures, des motoneiges, des véhicules tout terrain et des bateaux. Mais, selon la GRC, les contrebandiers utilisent aussi la voie aérienne et le service postal.

Cornwall, en Ontario, est l'une des régions au pays où la contrebande de tabac est la plus forte. C'est pourquoi la GRC fait partie de plusieurs groupes d'enquête conjoints avec des organismes partenaires. Elle travaille ainsi avec la Police mohawk d'Akwesasne, le ministère ontarien des Finances et l'Agence des services frontaliers du Canada, afin de lutter contre le crime organisé impliqué dans la contrebande de tabac et d'autres activités criminelles.

[Français]

En avril 2010, la GRC a mis sur pied l'unité mixte d'enquête sur le crime organisé, initiative anti-contrebande. Basé à Cornwall, ce groupe est chargé de cibler les organisations criminelles impliquées dans la production et la distribution de tabac de contrebande en collaboration avec ses partenaires d'application de la loi.

Le gouvernement a récemment annoncé qu'il mettait en place un nouveau groupe de travail sur la lutte contre le tabac de contrebande de la GRC composé de 50 officiers. La GRC est en train de finaliser son plan de mise en vigueur pour ce groupe de travail qui devrait être entièrement doté et opérationnel d'ici la fin de l'automne 2013.

[Traduction]

Nous ne commentons pas le nombre d'effectifs ni la composition de ce groupe de travail, mais nous nous attendons à commettre des officiers aux régions qui nécessitent une capacité accrue pour mener des enquêtes sur le crime organisé et la contrebande ainsi que pour cibler les producteurs de tabac sans scrupules et les fabricants illicites. Le groupe de travail comptera également une équipe spécialement affectée à la sensibilisation des producteurs de tabac et des fournisseurs de matières brutes utilisées dans la fabrication de produits du tabac.

Comme je viens de l'expliquer, la GRC collabore avec d'autres partenaires d'application de la loi sur plusieurs fronts afin de s'attaquer à la contrebande du tabac.

Merci encore de m'avoir invité à prendre la parole devant vous.

Geoff Leckey, directeur général, Direction des opérations de l'exécution de la loi et du renseignement, Agence des services frontaliers du Canada : Merci, monsieur le président et honorables sénateurs, de me donner l'occasion de témoigner devant vous pour éclairer votre étude du projet de loi S-16. Tout d'abord, je tiens à mentionner que, même si les modifications précises au Code criminel qui sont proposées dans le projet de loi S-16 auront peu de répercussions sur les activités quotidiennes de l'agence, nous appuyons l'objectif du projet de loi, qui vise à souligner l'ampleur du problème de la contrebande des produits du tabac.

[Français]

Le marché du tabac de contrebande est très lucratif et les activités visant à entraver et à empêcher la circulation et l'entrée au pays des marchandises illicites nécessite une participation active des partenaires, tant à l'échelle nationale qu'à l'étranger. L'ASFC collabore avec d'autres ministères, organismes d'exécution de la loi, organisations internationales et gouvernements étrangers sur des questions opérationnelles et analytiques relatives au crime organisé et aux marchés criminels de la contrebande.

Parmi ces nombreux partenaires, l'agence collabore quotidiennement avec la GRC et le service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis sur des questions d'exécution de la loi. La coopération et la collaboration entre nos divers organismes sont établies depuis longtemps et elles vont bien au-delà des questions liées au tabac.

[Traduction]

De concert avec nos partenaires américains, l'ASFC et la GRC font partie des équipes intégrées de la police des frontières, ou EIPF. Ensemble, 15 EIPF travaillent à 24 emplacements afin d'améliorer le niveau d'intégrité et de sécurité de la frontière canado-américaine. Pour y parvenir, elles doivent comprendre les capacités, les intentions, les vulnérabilités et les limites des réseaux criminels et utiliser le renseignement disponible afin de perturber les réseaux et la chaîne d'approvisionnement.

Le démantèlement des réseaux criminels qui sont impliqués dans le mouvement transfrontalier du tabac illicite dépend d'informations et de renseignements fiables. Le marché illicite des cigarettes au Canada a changé depuis les années 1990, lorsque la majorité du marché de la contrebande consistait en des cigarettes en franchise de droits et des cigarettes canadiennes exportées. Actuellement, le marché au Canada consiste en des cigarettes de marques autochtones fabriquées illicitement qui sont transportées par voie terrestre ainsi que des produits du tabac de différentes marques chinoises et d'autres marques étrangères qui entrent au Canada par voie postale, maritime ou aérienne.

[Français]

L'ASFC a mis en place un programme du renseignement solide et complet auquel la collectivité élargie du renseignement participe et dont elle bénéficie. Ceci permet d'appuyer nos activités en matière d'exécution de la loi, grâce à des renseignements opportuns, exacts et approfondis. Bien que les informations et les renseignements soient nécessaires, ils ne suffisent pas en soi à assurer une exécution de la loi efficace à la frontière.

L'agence compte sur un agencement de formation des agents et de technologie afin d'empêcher les marchandises illicites, y compris les produits du tabac, de traverser la frontière.

[Traduction]

Par exemple, l'ASFC utilise de l'équipement d'imagerie de grande envergure pour inspecter les conteneurs maritimes et les camions de transport et elle fournit à ses agents de première ligne des trousses de détection de la contrefaçon afin qu'ils puissent déterminer rapidement, sur place, si un produit du tabac est contrefait ou pas.

[Français]

De janvier 2012 à mars 2013, l'ASFC a effectué environ 3 000 saisies de tabac totalisant plus de 30 000 cartouches de cigarettes, 164 kilos de cigares et 2 800 kilos d'autres produits du tabac comme le tabac à mâcher et le tabac à priser.

[Traduction]

L'ASFC reconnaît les défis liés au mouvement transfrontalier du tabac de contrebande, ainsi que la nécessité d'adopter une approche multidisciplinaire afin de lutter contre de telles activités. Nous continuerons de miser sur toutes les ressources à notre disposition afin de savoir reconnaître le tabac de contrebande à la frontière et de l'empêcher d'entrer.

Je serai ravi de répondre à vos questions.

Le président : Je vous remercie. Commençons la ronde de questions par la sénatrice Fraser, vice-présidente du comité.

La sénatrice Fraser : M. Leckey, votre travail dans ce dossier vise-t-il exclusivement les postes frontaliers officiels ou prenez-vous aussi part aux activités menées sur le Saint-Laurent, par exemple?

M. Leckey : À une exception près, l'autorité de l'Agence des services frontaliers du Canada se limite à la frontière.

La sénatrice Fraser : La frontière, d'accord, mais est-ce toujours aux postes frontaliers officiels?

M. Leckey : Oui. Les zones qui séparent les points d'entrée relèvent plutôt de la GRC. La seule exception concerne notre collaboration avec des policiers pour ce que nous appelons des « livraisons contrôlées », c'est-à-dire le fait de laisser sciemment une cargaison de produits illicites franchir la frontière dans le but d'identifier son destinataire.

La sénatrice Fraser : L'objectif, c'est d'attraper le plus gros des deux poissons.

Il a été question, hier et encore ce matin, dans votre témoignage, des efforts soutenus destinés à resserrer la coopération entre les diverses forces policières. Les résultats sont-ils conformes aux attentes? Quels sont les problèmes? Après tout, ce n'est pas facile de faire collaborer et coopérer divers organismes. Quelles sont les difficultés rencontrées?

[Français]

M. Poudrier : Nous avons déjà des partenariats efficaces qui sont en place depuis plusieurs années et qui connaissent beaucoup de succès. À Montréal, par exemple, on a impliqué des partenariats avec la police de Kanawake, la GRC, la SQ, les partenaires municipaux et provinciaux. À Cornwall, il y aussi des joint task forces qui travaillent ensemble pour contrer la contrebande et la criminalité associée à la contrebande du tabac.

Ces effectifs ont connu beaucoup de succès dans les dernières années. On pense que cette nouvelle initiative de la force anti-contrebande viendra appuyer et augmenter notre efficacité à identifier et neutraliser le crime organisé impliqué dans la contrebande du tabac.

La sénatrice Fraser : Au niveau du fonctionnement quotidien, est-ce que les différentes forces ont des règles de procédure qu'elles ont dû ajuster parce que ce n'est pas exactement la même chose pour tout le monde? J'essaie de comprendre comment cela marche sur le terrain quotidiennement. Comme je ne suis pas policière, je ne le sais pas.

M. Poudrier : Dans des opérations de partenariat comme cela, il est certain que chacun des services policiers a ses propres façons de procéder. Ce qui est important ici, c'est l'échange de renseignements et d'être capable d'appliquer possiblement plusieurs lois de niveau provincial, municipal et fédéral en même temps, ce qui nous permet d'augmenter notre efficacité face aux contrebandiers. Chacune des forces policières et chacun des groupes impliqués apporte une contribution importante à l'équipe, ce qui fait que nous augmentons notre capacité et notre efficacité à contrôler et réduire la menace que représente le crime organisé.

La sénatrice Fraser : Une dernière question. Dans ce projet de loi précis, quel est l'élément qui va être utile pour vous?

M. Poudrier : Au niveau du nouveau projet de loi?

La sénatrice Fraser : Oui.

M. Poudrier : Il n'y aura pas beaucoup de changements au niveau des enquêtes. C'est seulement un outil supplémentaire pour l'équipe chargée des poursuites judiciaires. Cela va nous permettre peut-être d'établir des enquêtes à plus long terme, de plus longue haleine, qui pourraient être efficaces contre le crime organisé. Mais de façon générale, les techniques d'enquête ne changeront pas ou très peu. C'est un outil supplémentaire à la portée de l'équipe des enquêteurs et des avocats du ministère de la Justice.

La sénatrice Fraser : Quelqu'un nous avait suggéré que, pour les forces policières des provinces ou des municipalités, il serait utile d'avoir quelque chose dans le Code criminel, parce que la Loi sur l'accise n'est que fédérale. Est-ce que ceci va aider?

M. Poudrier : Oui, absolument. Je ne veux pas parler pour mes collègues des échelons provinciaux et municipaux, car à la GRC nous avons déjà cette autorité en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, ce qui n'est pas le cas pour les policiers provinciaux et municipaux. Donc évidemment, pour eux, c'est un avantage, certainement.

[Traduction]

Le sénateur White : Ma question vise à déterminer si, oui ou non, le projet de loi apportera quelque chose aux enquêtes relatives aux produits de la criminalité. Vous évoquez les enquêtes à plus long terme, mais aussi la possibilité de saisir les actifs — puisque les dispositions concernant les produits de la criminalité entraîneraient des condamnations au titre du Code criminel — et de déposer, au besoin, d'autres accusations fondées sur les produits de la criminalité. Selon vous, est-ce aussi utile?

[Français]

M. Poudrier : Absolument, vous avez tout à fait raison. Pour appliquer les dispositions concernant les produits de la criminalité, une modification au Code criminel sera très efficace.

[Traduction]

Le sénateur White : Si une personne était jugée coupable de cette infraction, pourrait-on porter contre elle des accusations criminelles pour crime organisé? La Loi sur l'accise aurait-elle permis de le faire? Pourra-t-on un jour le faire?

[Français]

M. Poudrier : Pour la première partie de la question, vous avez raison; oui, cela appuiera des éléments de preuve pour les associations à des organisations criminelles dans le Code criminel, car c'est le genre d'enquête que l'équipe va cibler, les enquêtes à plus long terme, des enquêtes qu'on appelle de type projet. Plusieurs méthodes d'enquête seront mises de l'avant pour recueillir les éléments de preuve nécessaires pour fonder les accusations selon le Code criminel.

Le sénateur Joyal : Bienvenue, messieurs. J'ai plusieurs questions pour chacun d'entre vous. Monsieur Poudrier, j'ai eu l'occasion de parcourir les rapports annuels de votre groupe depuis 2008. J'ai celui de 2008, de 2009 également; j'ai celui de 2011 en particulier, qui est intitulé, à la page 27, priorité 6, « contribution à la mise au point d'instruments législatifs et réglementaires ». Est-ce que cela vous rappelle quelque chose? C'est votre rapport d'août 2011 intitulé Stratégie de lutte contre le tabac de contrebande.

M. Poudrier : D'accord, je dois avoir une copie avec moi; cependant cela date d'avant mon arrivée.

Le sénateur Joyal : Je peux demander à la greffière de vous le remettre, je connais le contenu du rapport. J'ai revu ces rapports annuels depuis que vous les émettez, depuis la formation de la stratégie en 2008. Je n'ai trouvé dans aucun de ces rapports des recommandations spécifiques demandant au Parlement ou au gouvernement d'amender le Code pénal comme le fait le projet de loi actuel. Cela m'a étonné, car je me suis dit : qui a pu, mieux que la Gendarmerie royale ou votre unité, faire cette recommandation, puisque vous êtes ceux qui sont chargés de lutter contre le tabac de contrebande?

Est-ce que vous avez été impliqué dans les démarches préliminaires pour élaborer le projet de loi que nous avons devant nous, puisque vos rapports annuels ne mentionnent pas cette demande précise pour mieux vous outiller?

M. Poudrier : J'aimerais préciser tout d'abord, sénateur, que le mémoire adressé au Cabinet a été une initiative pilotée par la sécurité publique, et nous avons contribué à l'élaboration des options de l'application de la loi, d'où notre implication en ce qui concerne cette initiative.

Le sénateur Joyal : Mais vous n'avez pas recommandé antérieurement une telle initiative. C'est ce que j'essaye de comprendre; cela ne semble pas venir de vous, comme tel. La demande d'amendement au Code pénal ne semble pas venir de l'unité de la Gendarmerie royale du Canada responsable de la lutte contre le tabac de contrebande. Est-ce que je me trompe, oui ou non?

M. Poudrier : Il est possible que ce ne soit pas indiqué dans le rapport de stratégie. Malheureusement, je n'ai pas de réponse à vous donner à ce sujet ni d'explication plus précise à ce niveau.

Le sénateur Joyal : Dans l'annonce qui a été faite lors du dépôt de ce projet de loi, en mars 2013, on mentionne, et plusieurs de vos collègues l'ont mentionné aussi, qu'il y aura une unité additionnelle de 50 officiers de plus de la Gendarmerie royale du Canada.

Encore une fois, je n'ai pas retrouvé dans vos rapports annuels une recommandation faisant valoir le manque de main d'œuvre, d'officiers précisément affectés à cette lutte contre le tabac de contrebande. Qu'est-ce qui fait que, tout à coup, vous recevez 50 officiers de plus, qui seront dorénavant sous votre responsabilité? Est-ce un cadeau du ciel ou est- ce que cela fait partie des recommandations que vouliez faire mais que vous n'avez pas incluses spécifiquement dans vos rapports annuels? Encore une fois, je ne les ai pas retrouvées dans vos rapports annuels.

M. Poudrier : Premièrement, monsieur le sénateur, il n'est pas dans les habitudes de la GRC de demander des fonds ou des ressources additionnelles. La GRC s'engage à utiliser de façon adéquate et plus stratégique, et à repositionner les effectifs actuels.

Le sénateur Joyal : Donc, vous allez prendre ces nouveaux officiers à l'intérieur?

M. Poudrier : Ce ne sont pas de nouveaux officiers.

Le sénateur Joyal : Ce ne sont pas des nouveaux qui s'ajoutent à la force globale, c'est une réaffectation à l'intérieur?

M. Poudrier : C'est une réaffectation selon la priorité, et c'est à la GRC de faire une meilleure utilisation possible de nos effectifs et de les diriger contre le crime organisé.

Le sénateur Joyal : Qu'est-ce que ça représente de plus par rapport à votre unité actuelle, combien il y a de personnes qui travaillent avec vous actuellement dans cette unité? En d'autres mots, j'essaie de comprendre l'importance de ce 50 officiers de plus représente pour vous, à moins que ce ne soit un secret?

M. Poudrier : On avait déterminé aujourd'hui qu'on ne parlerait pas de nombre d'officiers et spécifiquement de leur position. Si vous permettez, pour des raisons opérationnelles, je vais m'abstenir.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Des saisies de tabac de contrebande ont été effectuées au cours des dernières années. Pourriez- vous donner au comité des exemples d'autres produits ayant été saisis, comme de la drogue ou des armes à feu?

[Français]

M. Poudrier : Absolument, je vais me référer à mes notes pour avoir le nombre exact. Comme exemple, désolé, elles sont disponibles en anglais seulement. Je vais vous donner une vue générale.

[Traduction]

Le projet OSTONE a débuté en 2011 et portait initialement sur un groupe supposément impliqué dans la contrebande de tabac. Au fur et à mesure que l'enquête progressait, la police a découvert que d'autres personnes étaient également impliquées dans divers trafics — marihuana et armes à feu. Tout au long de cette enquête de 12 mois, les agents de la police canadienne et américaine ont travaillé en collaboration des deux côtés de la frontière. À la suite de cette enquête, 12 personnes de Cornwall et du territoire mohawk d'Akwesasne font face à 83 accusations pour des infractions telles que participation à des activités d'une organisation criminelle et possession de produits de la criminalité, ainsi que pour des infractions liées à la contrebande de tabac et au trafic d'armes et de marihuana. En plus de ces accusations, le ministère des Finances de l'Ontario a porté 115 accusations supplémentaires en vertu de la Loi ontarienne de la taxe sur le tabac. Parmi les articles saisis pendant le déroulement de l'enquête se trouvent 401 caisses de produits de tabac de contrebande et 11 livres de marihuana.

Voilà un excellent exemple de collaboration à la lutte contre le crime organisé.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup.

La sénatrice Cordy : J'ai l'impression que, bien que les gouvernements successifs aient tenté de mettre un terme à la contrebande de tabac, les criminels organisés ont toujours une longueur d'avance et savent comment contourner les lois que nous adoptons. Je crois que, toutes allégeances confondues, les sénateurs aimeraient qu'on élimine la contrebande des produits du tabac, car elle représente une grave menace.

Les peines minimales obligatoires sont-elles efficaces? Lorsque j'ai posé cette question précédemment à un fonctionnaire, on m'a répondu que l'effet de dissuasion n'était qu'hypothétique. L'imposition de peines minimales obligatoires permettra-t-elle de mettre un terme à la contrebande de tabac?

M. Bhupsingh : En tout cas, nous l'espérons. Je n'ai pas de réponse précise. Je n'ai pas d'étude qui montre que les peines minimales obligatoires, là où elles sont en vigueur, ont un quelconque effet dissuasif. Je n'ai aucune preuve tangible à cet effet.

Le projet de loi ira dans le sens de l'imposition de peines minimales obligatoires. Il s'agit, à notre avis, d'un élément de solution pour lutter contre la contrebande de tabac en ciblant le crime organisé. Nous estimons que c'est un grave problème.

Comme vous l'avez dit, le crime organisé est un modèle très souple et polyvalent; il a une grande capacité d'adaptation. Pour y mettre un terme, il faut pouvoir compter sur toutes les mesures possibles.

En ce qui a trait aux peines minimales obligatoires, nous sommes d'avis que le tabac de contrebande pose un risque pour la santé et a des implications financières. Je crois que l'imposition de peines minimales obligatoires serait une action à la mesure de la gravité du crime commis.

La sénatrice Cordy : Nous n'avons aucun témoin travaillant à Santé Canada, mais peut-être pourrez-vous répondre à une question. De toute évidence, les publicités télévisées destinées à réduire la consommation habituelle de tabac sont assez efficaces. Elles n'ont pas complètement éliminé cette consommation et je doute qu'elles le fassent un jour, mais elles ont été efficaces, sauf auprès des jeunes filles, dont la consommation semble être en hausse.

Je ne suis pas certaine que les gens ont conscience de ce que contient le tabac de contrebande. Comme l'a dit le sénateur White, tout à l'heure, la situation n'est plus ce qu'elle était dans les années 1980. Ces produits ne sont plus fabriqués par une société productrice de tabac, ce qui ne veut pas dire pour autant que le fait d'être produit par ces sociétés en ferait du bon tabac. Quoi qu'il en soit, le tabac de contrebande, lorsqu'on sait ce qu'il contient, c'est dégoûtant. A-t-on envisagé de diffuser une émission ou de faire passer une publicité à la télévision ou dans les journaux pour faire savoir aux Canadiens ce que contient le tabac de contrebande?

M. Bhupsingh : Par le passé, nous avons mené des campagnes de sensibilisation à propos des problèmes associés aux produits de tabac de contrebande et de l'association de ces produits avec le crime organisé. Nous connaissons les dangers du tabac pour la santé. Comme vous l'avez dit, la qualité des produits de tabac de contrebande, en effet, ne correspond pas aux attentes des gens. On y retrouve toutes sortes d'autres substances et, à mon avis, les Canadiens ordinaires n'en ont pas nécessairement conscience.

En partie, la solution consistera effectivement à ne pas se concentrer exclusivement sur la répression de la criminalité ou l'application de la loi. Un volet sensibilisation doit entrer en jeu, surtout auprès de nos jeunes. J'aimerais donc qu'il y ait une certaine sensibilisation aux dangers du tabac de contrebande.

La sénatrice Cordy : Peut-être que si les gens savaient que les cigarettes de contrebande contiennent des excréments de rat et de souris, ils y réfléchiraient deux fois avant d'en acheter.

Je me pose aussi des questions sur la section du Service des travaux scientifiques et de laboratoire qui s'intéresse à l'alcool et au tabac. Vous évoquez la possibilité d'isoler le lieu d'origine et liens potentiels des produits avec des pays ou des fabricants donnés, de manière à intervenir plus efficacement. Quelle est la principale source de tabac de contrebande? J'aurais imaginé que ce serait le Canada ou les États-Unis. Est-ce que des produits arrivent au Canada d'autres pays?

M. Leckey : Oui. Une autre facette du problème de la contrebande de tabac au Canada concerne les vastes quantités de cigarettes de contrefaçon et de contrebande qui sont importées à pleins conteneurs de pays comme la Chine.

La sénatrice Cordy : Je l'ignorais.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos trois invités. Ma première question s'adresse à M. Poudrier. Évidemment, je pense que vous l'avez mentionné, à défaut d'avoir l'appui de certaines communautés sur les réserves, vous avez quand même l'appui des services de police d'Akwesasne et de Kahnawake.

Maintenant, est-ce que vous avez réussi à identifier ceux qui font la contrebande de cigarettes, on peut parler entre autres d'Akwesasne? Vous aviez l'appui des corps de police. Avez-vous pu identifier ces gens-là?

M. Poudrier : Comme notre rapport de 2008 l'indique, comme la stratégie sur la lutte contre le tabac l'indique, depuis trois ans, depuis son entrée en vigueur en 2008, nous avons réussi à perturber 66 organisations criminelles.

Cela nous indique qu'il y a eu un travail d'échange d'intelligence et d'informations remarquables pour être capable d'identifier et de perturber ces organisations. Il y a donc eu une augmentation considérable à ce niveau. Si on continue nos partenariats efficaces et qu'on ajoute en surplus la force anti-contrebande, on ajoute déjà sur des assises, sur des bases solides, des partenariats solides pour augmenter notre capacité à faire face au crime organisé.

Le sénateur Dagenais : Vous avez aussi parlé du succès de vos saisies. Est-ce que vous êtes capable d'identifier le pourcentage de cigarettes de contrebande saisies par rapport à la mise en marché. Est-ce qu'on peut parler de pourcentage à ce moment?

M. Poudrier : Malheureusement, c'est difficile de cibler. Les seules statistiques que l'on peut retenir de notre stratégie, ce sont les saisies qui sont répertoriées depuis 2008 qui indiquent une baisse des saisies depuis 2008 jusqu'à 2011. C'est la seule information que j'ai pour le moment.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Il y a déjà la Loi sur l'accise et nous avons maintenant le projet de loi S-16, qui modifierait le Code criminel afin d'y inclure des peines minimales obligatoires. De surcroît, le ministre de la Sécurité publique a annoncé dernièrement la création du Groupe de travail sur la lutte contre le tabac de contrebande, composé de 50 agents de la GRC.

Comme vous l'avez dit à si juste titre, un seul organisme ne peut pas s'attaquer à lui seul à ce problème. Pour réduire le marché du tabac de contrebande au Canada, il faut absolument que nos agences et nos ministères collaborent entre eux et avec nos partenaires étatsuniens.

En plus de mener une campagne de sensibilisation de la population, faudrait-il modifier d'autres lois, politiques ou mesures d'application de la loi pour enrayer le fléau du tabac de contrebande?

M. Bhupsingh : Je reviens à ce qu'a dit la sénatrice Cordy, c'est-à-dire que le crime organisé est très, comment dire, ingénieux, en ce sens qu'il se concentre sur les failles. Il est donc très souple et a une grande capacité d'adaptation. Lorsqu'il y aura davantage d'outils pour lutter contre la criminalité associée au trafic de tabac de contrebande, comme il est proposé, je crois que nous aurons un régime qui permettra aux forces de l'ordre de cibler ce qui pose problème dans la contrebande de tabac, c'est-à-dire le crime organisé. C'est ce que cherche à accomplir ce projet de loi.

Y a-t-il autre chose à faire? On peut certainement sensibiliser la population en général sur les dangers du tabac de contrebande pour la santé. Il y a peut-être d'autres mesures envisageables, mais il faudra attendre de voir comment les choses évoluent.

À Sécurité publique Canada, nous avons un groupe de travail, que j'ai mentionné dans ma déclaration préliminaire. Nous avons neuf ministères fédéraux et nous interagissons régulièrement avec des services policiers autochtones et leurs dirigeants, les provinces et les territoires. Au fur et à mesure que le dossier évoluera, nous repérerons les lacunes et formulerons d'autres propositions.

Le sénateur McIntyre : De toute évidence, si l'on veut lutter contre ce problème, il faut compter sur la collaboration de la population.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup, messieurs, pour vos mémoires qui sont très intéressants. Je pense que le trio de la contrebande a contaminé beaucoup le tissu social et économique de beaucoup de communautés, particulièrement les communautés autochtones. Vous avez dit que la collaboration était essentielle entre les pouvoirs politiques des réserves et les forces de loi.

J'aimerais revenir sur le mémoire du chef David hier, qui est le chef d'Akwesasne, et ses réponses. Un sénateur a posé une question à savoir, un, j'ai été surpris de voir que le chef s'oppose à ce projet de loi. Et à une réponse où on demandait s'il serait ouvert à des opérations d'envergure à sa réserve même si on savait qu'il y avait des contrebandiers qui s'y cachaient, il semblait en désaccord. C'est ce que je décode.

Comment on peut réussir à annihiler la contrebande si le pouvoir politique de la réserve s'oppose au projet de loi, s'oppose à des opérations d'envergure? J'essaie de comprendre où est la collaboration et comment on peut réussir.

M. Poudrier : Vous avez tout à fait raison. Ce n'est pas facile. Vous comprendrez qu'on en a discuté un peu plus tôt. On a dit que le marché et l'industrie du tabac étaient une économie substantielle pour les réserves. Cependant, on peut toujours travailler vers l'avant en coupant les distributions, les réseaux de distribution vers les réserves.

On peut s'attaquer au crime organisé qui contrôle ces réseaux plus larges. De cette façon, on peut attaquer sévèrement le crime organisé. Si on coupe le pourcentage du produit qui se dirige vers les manufactures illégales, c'est difficile de manufacturer un produit final.

De ce que je comprends, c'est que les services de police sur les réserves sont tout à fait favorables à se débarrasser de l'élément du crime organisé qui profite ou exploite leurs territoires et leur situation géographique. Il faut donc prendre avantage de ces éléments.

Le sénateur Boisvenu : Dernière question, monsieur le président. Le chef a fait une déclaration qui m'a surpris lorsqu'il a affirmé qu'au Canada, nos officiers s'occupent de la contrebande de tabac et les officiers américains s'occupent de la contrebande de marijuana comme si pour les Américains, la contrebande de tabac était secondaire. Est-ce que c'est votre perception lorsque vous travaillez avec les Américains, qu'eux s'occupent de la marijuana et que vous, vous vous occupez du tabac?

M. Poudrier : Non, ma perception est que les enquêtes sont ciblées sur les organisations criminelles, peu importe la quantité qui est transigée au travers la frontière.

[Traduction]

La sénatrice Frum : Selon une note de la Bibliothèque du Parlement, les saisies de tabac de contrebande de la GRC seraient en baisse depuis 2008-2009. Est-ce exact et, si c'est le cas, comment expliqueriez-vous cette situation?

[Français]

M. Poudrier : Oui, absolument, nos statistiques sont en déclin depuis 2009, c'est difficile à expliquer. Les saisies sont en baisse, les ventes légitimes sont en hausse et le taux de tabagisme est stable. On pense que les techniques d'enquête utilisées sont efficaces et que la stratégie de lutte contre le tabac de contrebande fonctionne.

[Traduction]

M. Leckey : Si je peux me permettre d'intervenir, l'une des raisons expliquant la diminution du nombre de saisies effectuées au cours des dernières années, c'est que les chiffres avaient bondi en 2011 étant donné qu'une vaste opération a permis de saisir 11 pleins conteneurs maritimes de tabac. Lorsqu'une telle situation se présente, les chiffres pour l'année concernée sont nécessairement exceptionnels. C'est, en partie, pourquoi les statistiques relatives aux saisies de cigarettes diminuent depuis.

Si vous n'avez pas d'objection, je vais vous expliquer comment nous voyons les choses pour la dernière année. En 2011, l'Agence des services frontaliers du Canada a saisi 35 000 kilogrammes de tabac haché fin. Le tabac haché fin, c'est ce qui sert à fabriquer les produits illicites. Or, l'an dernier, ce chiffre a quadruplé, atteignant 148 000 kilogrammes et, au cours des trois premiers mois de l'année, il a été de 110 000 kilogrammes. Selon la même logique, les saisies devraient donc atteindre 440 000 kilogrammes cette année. Nous constatons actuellement une forte hausse des saisies, une hausse qui pourrait ou non être attribuable au volume de tabac haché fin qui a été importé.

Le président : J'ai une question pour M. Poudrier. Dans le budget fédéral de cette année, je crois que plusieurs millions de dollars sont affectés, sur deux ans, à l'embauchage de policiers des Premières Nations qui s'occuperont exclusivement du problème du tabac de contrebande. Ces policiers collaboreront-ils avec votre nouvelle équipe? Comment concerteriez-vous ces efforts?

M. Poudrier : Sans entrer dans le détail du plan de mise en œuvre, je dirais que les ressources des Premières Nations seront intégrées aux nôtres.

Le président : Quelle est l'ampleur des conséquences de ce qu'on appelle les comptoirs à tabac sur la vente de produits de contrebande? Je vois qu'il y aurait au moins 350 de ces comptoirs en Ontario et au Québec. Quelle est l'ampleur des conséquences sur la vente de produits illicites? Que pouvez-vous y faire? Ou est-ce que cette question relève plutôt de l'ordre provincial? Je constate que le Manitoba cherche à régler le problème, mais s'agit-il, selon vous, d'une responsabilité provinciale?

M. Poudrier : C'est difficile pour moi de répondre à cette question.

[Français]

Nous avons besoin d'une approche regroupant tous les paliers de gouvernement et tous les services de police d'application de la loi, afin d'en venir à une solution viable à long terme pour mettre fin à la vente de tabac illégal sur le marché.

[Traduction]

Le président : Vous n'avez pas vraiment répondu à ma question sur les comptoirs à tabac. Vendent-ils beaucoup de produits illicites aux Canadiens?

M. Poudrier : Oui.

Le président : En ce qui concerne le poste frontalier de Cornwall, est-ce que le déplacement du point de contrôle de l'île jusqu'à la terre ferme a eu des retombées positives ou quelque répercussion que ce soit sur le plan de la contrebande?

M. Poudrier : Selon les renseignements dont nous disposons, le tracé emprunté pour introduire les produits de contrebande au pays aurait changé.

Le président : Je crois que le chef, hier soir, a dit que les contrebandiers traversent davantage le fleuve.

M. Poudrier : Vous avez tout à fait raison.

Le président : Si le point de contrôle se trouvait à Massena plutôt que du côté canadien de la frontière, y verriez-vous un problème?

M. Poudrier : C'est un scénario hypothétique. Le moyen de transport utilisé changerait probablement.

La sénatrice Fraser : Ma dernière question au cours de la première série de questions concernait la capacité des services policiers provinciaux et municipaux d'intervenir au titre de la Loi sur l'accise. Ils n'ont pas le droit de le faire. Cependant, serait-il possible aux autorités fédérales de leur déléguer les pouvoirs nécessaires pour qu'ils puissent intervenir en vertu de la Loi sur l'accise?

[Français]

M. Poudrier : Je pense que c'est possible.

[Traduction]

M. Bhupsingh : Je n'en suis pas certain. Pour vous répondre, il faudrait que je consulte mes collègues du ministère de la Justice.

La sénatrice Fraser : Je crois que c'est possible.

Ensuite, dans l'Est du Canada, une bonne partie du problème met en cause les réserves autochtones. Comment se passe la coopération entre les services de police autochtones et non autochtones?

[Français]

M. Poudrier : La relation entre les corps policiers est excellente. Nous avons des agents, des Peacekeepers, qui sont présentement affectés à l'UMECO autochtone depuis 2002. Ils sont responsables de l'application de la loi et des infractions criminelles sur tous les territoires. C'est une opportunité de développement pour nos policiers des Premières Nations qui travaillent sous la gouverne et en partenariat avec des policiers chevronnés de la GRC, de la SQ, de l'Ontario et des policiers municipaux. Il s'agit d'un regroupement.

[Traduction]

Le sénateur White : M. Poudrier, vous avez mentionné 66 organisations criminelles. Combien d'entre elles s'adonnent à d'autres activités illicites, comme le trafic de stupéfiants ou d'armes à feu, en plus de la contrebande de tabac?

M. Poudrier : Je n'ai pas le chiffre exact, mais je dirais que les activités de contrebande des organisations criminelles concernent toutes sortes de produits.

Le sénateur White : Ce que je cherche à faire ressortir, c'est qu'il n'y a pas que le tabac.

M. Poudrier : C'est tout à fait exact.

Le sénateur Joyal : M. Bhupsingh, à la page 3 de votre mémoire, on lit que, prises ensemble, ces mesures visent la réduction de l'offre et de la demande de tabac de contrebande.

[Français]

Cela concerne la disponibilité et, évidemment, la consommation. Y a-t-il dans votre groupe, monsieur Poudrier, des agents affectés à réprimer la consommation de tabac de contrebande ou êtes-vous plutôt orientés vers l'arrivée de tabac de contrebande au Canada?

M. Poudrier : Vous avez tout à fait raison.

Le sénateur Joyal : Il n'y a pas chez vous d'agents affectés à la répression de la consommation du tabac de contrebande dans le marché?

M. Poudrier : Je dirais que cela concerne plutôt le ministère de la Santé.

Le sénateur Joyal : C'est donc le ministère de la Santé qui serait responsable de cette partie du programme général?

M. Poudrier : Concernant la consommation, oui.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Monsieur Leckey, quel lien existe-t-il, selon vous, entre le trafic de stupéfiants et le trafic de tabac?

M. Leckey : Selon notre expérience et de manière générale, lorsqu'un réseau criminel organisé exploite un système d'approvisionnement, il est très peu probable qu'il se limite à un seul produit illicite. S'il utilise ce système pour importer du tabac, il s'en servira aussi pour faire venir de la drogue et des armes à feu.

La sénatrice Batters : Un peu plus tôt, le sénateur Joyal vous a posé des questions sur l'origine de cette initiative en particulier. J'ai un commentaire plus qu'une question. À titre d'information, cette initiative concrétise une promesse faite par le Parti conservateur au cours de la dernière campagne électorale, qui, incidemment, s'est déroulée il y a deux ans. À l'issue de ces élections, les Canadiens ont octroyé au gouvernement conservateur un mandat majoritaire, endossant par le fait même sa plateforme électorale. Voilà l'origine de l'initiative.

Le président : Merci de cette précision, Mme Batters.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Cultive-t-on du tabac dans les réserves autochtones?

M. Poudrier : Selon les informations policières, il y a actuellement des champs de tabac sur les réserves autochtones.

Le sénateur Boisvenu : J'ai lu un rapport américain sur la contrebande de tabac; un des producteurs en hausse est la Chine d'où le tabac est exporté, via Vancouver, aux États-Unis. Et aux États-Unis, il entre dans la réserve autochtone pour entrer ensuite au Canada. Est-ce une de vos préoccupations pour l'avenir que ces produits fassent l'objet d'une croissance marquée?

M. Poudrier : Oui, c'est une préoccupation. Cependant, jusqu'à maintenant, la prédominance de la contrebande du tabac provient davantage de l'interne au Canada et de nos voisins des États-Unis. On travaille en étroite collaboration avec CBSA pour développer des stratégies pour neutraliser les importations aux ports d'entrée. Comme M. Leckey l'a mentionné, en 2011, il y a eu d'importantes saisies de conteneurs de tabac de contrebande qui ont été faites.

[Traduction]

Le président : Messieurs, merci. Nous vous savons gré d'avoir alimenté nos délibérations.

Notre prochain témoin est le surintendant Carson Pardy, directeur des opérations pour la Région de l'Est de la Police provinciale de l'Ontario.

Je vous remercie d'être parmi nous aujourd'hui. Désirez-vous faire une déclaration préliminaire?

Surintendant Carson Pardy, directeur des opérations, Région de l'Est, Police provinciale de l'Ontario : Oui, s'il vous plaît.

Le président : Allez-y.

M. Pardy : Monsieur le président, membres du comité, je suis heureux de témoigner aujourd'hui au nom de Chris Lewis, commissaire de la Police provinciale de l'Ontario. Nous vous savons gré de nous permettre de vous informer de ce que fait la Police provinciale de l'Ontario pour contribuer à la lutte contre la fabrication, la distribution et la vente de tabac de contrebande.

Le dossier du tabac de contrebande est, évidemment, étroitement lié à ceux de la contrebande et du crime organisé, au point même d'en être indissociable. Puisque ces activités concernent plusieurs instances à la fois, la conclusion de partenariats efficaces entre tous les services de police est essentielle à la lutte contre la contrebande de tabac, la contrebande en général et le crime organisé.

En 1996, la GRC, la Police provinciale de l'Ontario et Revenu Canada, aujourd'hui devenu l'Agence du revenu du Canada, ont uni leurs forces afin de lutter contre les crimes de cet ordre en créant le Groupe de travail régional de Cornwall. En effet, une bonne partie du tabac de contrebande transitait par le fleuve Saint-Laurent, près de Cornwall, et par le territoire de la Première nation d'Akwesasne.

Pendant quelques années, après l'an 2000, les taxes sur les cigarettes ont été égalisées de part et d'autre de la frontière, de sorte que la contrebande a presque complètement cessé. Le problème a toutefois rapidement refait surface quand les taxes ont augmenté de nouveau au Canada. En 2009, les préoccupations croissantes suscitées par les activités de contrebande ont poussé les organismes chargés de l'application de la loi à se réunir pour discuter de la sécurité publique et établir des pratiques exemplaires afin de lutter contre la contrebande de tabac et les activités criminelles connexes. En 2010, nous avons élargi notre partenariat pour le maintien de l'ordre au sein de l'équipe du Groupe de travail régional de Cornwall, qui comprend maintenant des membres de la GRC, de la Police provinciale de l'Ontario, du Service de police communautaire de Cornwall, du ministère du Revenu de l'Ontario et de l'Agence des services frontaliers du Canada. Le Service des poursuites pénales du Canada et le service provincial des poursuites ont également des représentants au sein de cette équipe.

Le Groupe de travail régional de Cornwall assure des opérations policières conjointes efficaces. De 2008 à 2012, 36,2 p. 100 de tous les cartons de cigarettes de contrebande confisqués à l'échelle du pays ont été saisis par la GRC et ses partenaires dans la région de Cornwall. Au cours de la même période, 28,7 p. 100 de tout le tabac haché fin en vrac sur lequel on a mis la main à l'échelle du pays a été saisi dans la région de Cornwall également.

En vertu des lois actuelles, les services de police ne peuvent procéder à des perquisitions et à des saisies de tabac de contrebande qu'en présence de représentants du ministère du Revenu. En 2011, cependant, des modifications grandement nécessaires apportées aux lois provinciales ont donné à la police de l'Ontario le pouvoir de saisir directement le tabac illégal non marqué s'il est bien en vue et de porter les accusations appropriées sans l'intervention du ministère du Revenu. Il s'agissait là d'un changement important, car il signifiait qu'un agent de première ligne à l'œil vif et à l'intuition fine pourrait parfois déjouer ce genre d'activité criminelle à l'occasion d'un simple contrôle routier. En 2011, la nouvelle loi a également imposé des amendes plus sévères pour la possession de cigarettes illégales en Ontario.

À l'heure actuelle, les amendes pour possession de cigarettes illégales en Ontario sont les suivantes : 100 $ plus trois fois la taxe pour la possession d'un maximum de 200 cigarettes; 250 $ plus trois fois la taxe pour la possession de 201 à 1 000 cigarettes; et 500 $ plus trois fois la taxe pour la possession de 1001 à 10 000 cigarettes.

Depuis le début de 2010 jusqu'à maintenant, les équipes de la sécurité routière de la Police provinciale de l'Ontario ont déposé 265 accusations pour possession de cigarettes de contrebande en vertu du paragraphe 29(1) de la Loi de la taxe sur le tabac de la province. Au cours de la même période, elle a saisi plus de 100 000 cartons de cigarettes de contrebande.

La Police provinciale de l'Ontario reconnaît que la contrebande est liée au crime organisé, qui menace sérieusement la sécurité et le bien-être des résidants et des visiteurs de l'Ontario. Suivant les principes de l'établissement de priorités stratégiques, la Police provinciale de l'Ontario oriente ses ressources limitées de manière à s'attaquer en amont aux activités criminelles. Une bonne part de la responsabilité en matière d'application de la loi a été assumée par des agents de première ligne, dont le travail a été complété par les équipes opérationnelles spéciales mentionnées précédemment.

Grâce à des escouades mixtes hautement spécialisées relevant de diverses instances, la Police provinciale de l'Ontario assure un soutien particulier aux agences frontalières du Canada et des États-Unis, notamment par l'intermédiaire des groupes de travail chargés de l'application de la loi et de la sécurité à la frontière connus sous le nom de BEST, dirigés par le département de la Sécurité intérieure des États-Unis, et de l'agence chargée de l'application des mesures relatives à l'immigration et aux douanes, ou ICE.

La Police provinciale de l'Ontario fournit également des ressources pour appuyer les missions de l'équipe intégrée de la police des frontières, ou EIPF, de l'équipe intégrée de la sécurité nationale, ou EISN, des équipes de la sûreté maritime, ou ESM, dirigées par la GRC, ainsi que d'autres opérations policières conjointes visant à prévenir le crime organisé et le terrorisme transfrontaliers. La Police provinciale de l'Ontario croit que la sécurité aux frontières ne peut être assurée que par une rigoureuse approche concertée et coordonnée.

Les services de police municipaux et provinciaux ont un rôle à jouer dans le maintien de la sécurité aux frontières. Tous les jours, ils interviennent lorsque des incidents se produisent aux postes frontaliers. Comme le prix du tabac de contrebande a bondi, augmentant les profits illicites de ceux qui trempent dans le trafic de ce produit, les préoccupations à l'égard de la sécurité publique ont aussi augmenté.

Les contrebandiers se sont mis à utiliser la propriété privée, comme les quais et les maisons riveraines, pour enfreindre la loi. Certains se comportent de façon agressive avec ceux qui essaient de les arrêter ou de s'y opposer. Ils se déplacent aussi la nuit dans des bateaux puissants, à grande vitesse et sans feux, ce qui crée un danger pour la navigation.

Bien entendu, les problèmes associés à la contrebande du tabac ne se limitent pas à la région de Cornwall. Après Cornwall, dans la région de l'Est, la région de l'Ontario où les équipes de la sécurité routière de la Police provinciale de l'Ontario ont porté le plus d'accusations liées à la contrebande du tabac est le sud-ouest de la province.

Les cigarettes de contrebande confisquées à un grand nombre de ces arrêts valaient des dizaines de milliers de dollars. Dans plusieurs cas, elles avaient été fabriquées dans la grande communauté des Six Nations de la rivière Grand, au sud de Hamilton, et les véhicules qui les transportaient étaient immatriculés au nom d'entreprises situées sur le territoire de cette communauté.

Le sud-ouest de l'Ontario a également vu pousser comme des champignons les « comptoirs à tabac », surtout le long de la route 6, qui longe le territoire de la bande des Six Nations. Les cigarettes sur lesquelles la taxe voulue est imposée et dont la vente est autorisée en Ontario portent une bande jaune indiquant clairement « Ontario-Canada, droit acquitté ».

En Ontario, certains détaillants établis dans des réserves ont le droit d'acheter, en quantité limitée, des paquets de cigarettes portant une bandelette d'ouverture ou un timbre de couleur pêche qui ne peuvent être vendus que dans les réserves à des consommateurs reconnus comme des Indiens aux termes de la Loi sur les Indiens du gouvernement fédéral à leur usage exclusif. Il est cependant clair que les comptoirs à tabac installés le long de la route 6 et ailleurs dans la province sont situés de façon stratégique afin que les non-Autochtones puissent acheter des cigarettes sans taxe, ce qui est illégal.

C'est cependant la possession de cigarettes de contrebande par des non-Autochtones qui est manifestement illégale et que nous essayons de contrer du mieux que nous le pouvons. La vente de tabac dans les comptoirs à tabac est un problème qui requiert l'intervention de multiples organismes et dont la Police provinciale de l'Ontario ne peut pas s'occuper seule. La Police provinciale de l'Ontario n'a pas pour mandat de veiller à l'application des lois fédérales sur le tabac et des lois fiscales provinciales, mais elle travaille en collaboration avec les organismes qui sont chargés de le faire.

Quand des mesures d'application de la loi sont prises par le ministère fédéral du Revenu, la Police provinciale de l'Ontario prête son concours pour assurer la sécurité du public et du transport. Tout le monde peut faire le trafic de cigarettes de contrebande, mais en Ontario, c'est souvent le fait de membres de communautés des Premières Nations, ce qui risque de compliquer les choses, car au problème s'ajoutent la revendication de droits issus de traités et les pratiques autochtones traditionnelles.

La contrebande de tabac est une question complexe, et je n'ai touché dans mon exposé que quelques aspects du problème et du rôle de la Police provinciale de l'Ontario. La Police provinciale de l'Ontario veille à l'application des lois, elle ne les fait pas. Nous appuyons toute modification aux lois qui peut se révéler efficace pour réduire et prévenir la contrebande des produits du tabac, leur distribution et leur vente. Nous sommes heureux de pouvoir apporter notre contribution à l'examen du projet de loi.

Merci. Il me fera plaisir de répondre aux questions.

Le président : Merci, monsieur le surintendant. C'est la sénatrice Fraser, vice-présidente du comité, qui sera la première à vous poser des questions.

La sénatrice Fraser : Je vous remercie de votre présence ici, monsieur le surintendant. J'ai deux questions à vous poser. Premièrement, croyez-vous que le projet de loi dont nous sommes saisis vous aidera à faire votre travail?

M. Pardy : La meilleure réponse que je puis vous donner, c'est que n'importe quel outil destiné à faciliter l'application de la loi nous aide à prévenir l'activité criminelle. Comme l'ont fait remarquer les témoins précédents, le cas qui nous occupe est fortement lié au crime organisé. Toutes les mesures dont nous disposons nous aident à combattre le crime organisé; celle-ci dissuadera donc sûrement certains criminels de se livrer à cette activité, mais elle ne réglera pas le problème à elle seule.

La sénatrice Fraser : J'ai trouvé intéressant le fait que la contrebande ait pratiquement cessé après 2000, quand les taxes ont été égalisées de part et d'autre de la frontière.

M. Pardy : Oui.

La sénatrice Fraser : Les taxes ont cependant augmenté de nouveau et elles augmenteront encore, si on se fie au dernier budget. La situation est-elle la même qu'elle était lorsque les taxes étaient faibles? J'ai compris de ce que vous avez dit que lorsque les taxes ont été égalisées des deux côtés de la frontière, les gens se sont mis à acheter des cigarettes légales au lieu de cigarettes illégales. On nous a cependant dit à plusieurs reprises que d'autres éléments du commerce du tabac de contrebande ont changé et qu'il s'agit maintenant du commerce de produits de tabac illégaux, alors qu'auparavant, on passait en contrebande et on vendait des cigarettes légales.

M. Pardy : C'est exact. Lorsque les taxes ont baissé, il ne valait pas la peine, pour de nombreux groupes criminels organisés, de faire le trafic du tabac. Nous avons été témoins de situations très dangereuses où des cargaisons de cigarettes fabriquées au Canada ont été détournées à la pointe du fusil, les conducteurs étant tenus en otage jusqu'à ce que les camions soient vidés, après quoi on les laissait partir avec leur véhicule. Les groupes criminels se sont adaptés et ont eu recours à d'autres stratégies. Le problème n'était pas énorme, en ce qui a trait aux cigarettes, mais cela montre comment ils se sont adaptés.

La sénatrice Fraser : Je pense que la question de la taxe a plus à voir avec le consommateur qu'avec le producteur.

M. Pardy : Je le pense aussi.

La sénatrice Fraser : Comme les taxes augmentent en ce moment, vous attendez-vous à ce que la hausse du prix ait un effet sur le marché du tabac illicite, vu qu'il s'agit d'une activité illicite à partir de la production?

M. Pardy : Oui. Encore une fois, quand la marge de profit augmente pour les groupes criminels organisés et ceux qui s'adonnent à ce commerce, il va de soi que la motivation s'en trouve renforcée.

Le sénateur White : J'ai deux petites questions à vous poser. D'après votre témoignage, je crois comprendre que les agents des services policiers provinciaux, régionaux, municipaux et des Premières Nations, pourront désormais recourir aux dispositions du Code criminel pour enquêter sur la contrebande de tabac, alors qu'auparavant, ils devaient soit travailler de concert avec les autorités fédérales, soit, dans certains cas, être nommés en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada comme gendarmes spéciaux d'office. Ils pourront maintenant agir de façon indépendante, n'est-ce pas?

M. Pardy : C'est exact.

Le sénateur White : Les nombreux services de police, notamment celui d'Ottawa, qui reçoivent des plaintes de la part de propriétaires de magasins au sujet de la contrebande de tabac pourront désormais procéder à des enquêtes plus rapidement et plus efficacement.

M. Pardy : Oui, monsieur, s'ils ont les ressources voulues, évidemment.

Le sénateur White : Ils pourront également recourir aux lois sur les produits de la criminalité. D'après les biens saisis par votre service et d'autres corps policiers en collaboration avec lui, je sais que la Police provinciale de l'Ontario aura accès aux recettes générées par la saisie des produits de la criminalité et pourra porter des accusations en vertu des lois sur les produits de la criminalité.

M. Pardy : C'est exact, monsieur.

Le sénateur Baker : Comme la Police provinciale de l'Ontario effectue déjà de nombreuses arrestations pour le trafic du tabac, il ne faudrait pas donner l'impression que ce projet de loi lui fournira une nouvelle occasion de porter des accusations.

Permettez-moi de vous poser deux questions. La première se rapporte à une affaire instruite devant la Cour de justice de l'Ontario dans laquelle deux de vos agents de police ont pu arrêter deux véhicules chargés de tabac de contrebande. Évidemment, l'affaire a été portée devant les tribunaux et vos agents n'ont pas obtenu gain de cause. La raison pour laquelle ils ont perdu est intéressante. Le tribunal a indiqué que la police provinciale n'a pas certains pouvoirs dont dispose la GRC.

Je vais parler de deux phrases. La première dit que la police croyait avoir le droit de faire son devoir et de fouiller le véhicule conformément à l'alinéa 99(1)f) de la Loi sur les douanes parce qu'elle avait des soupçons et que les soupçons suffisent en vertu de cette loi. On se présente ensuite devant le juge pour signaler que la Loi sur les douanes autorise un agent de police à procéder à l'inspection du véhicule. L'« agent » est défini aux termes de la loi comme une personne engagée pour appliquer la loi. Il peut donc s'agir d'un membre de la Gendarmerie royale du Canada. Au paragraphe 37 de son jugement, le juge déclare que l'inspection du véhicule ne faisait pas partie des compétences de ces agents de la Police provinciale de l'Ontario.

Pourriez-vous nous expliquer ce que cela veut dire? Si un agent de la GRC avait arrêté le véhicule, cela aurait été parfait, mais les agents de la Police provinciale de l'Ontario n'ont pas le pouvoir de le faire de leur propre initiative afin que les personnes en cause soient traduites en justice. Qu'est-ce que le juge veut dire quand il déclare que vous n'avez pas le pouvoir de le faire?

M. Pardy : Vous avez bien jugé la situation, monsieur. Comme le sénateur White l'a signalé, nous pouvons être nommés gendarmes d'office quand nous travaillons en partenariat avec la GRC. Nous avons alors les pouvoirs que la loi confère à la GRC. Nous devons travailler en partenariat, c'est-à-dire de façon concertée, avec la GRC, comme nous le faisons dans le groupe de travail mixte qui existe dans la région de Cornwall. Les agents des équipes de la sécurité routière affectés au corridor de la route 401 et ailleurs dans la province de l'Ontario n'ont pas ce pouvoir, ce qui signifie que s'ils arrêtent un véhicule et y découvrent de la marchandise de contrebande bien en vue, ils doivent saisir la marchandise et aviser le poste de la GRC le plus proche pour obtenir de l'aide.

Le sénateur Baker : Si la marchandise est dans un sac, ils ne peuvent rien faire.

M. Pardy : Comme je l'ai signalé dans mon exposé, les nouveaux pouvoirs prévus dans la Loi de la taxe sur le tabac de l'Ontario nous autorisent à saisir ce qui est bien en vue. Nous n'avons pas le pouvoir de fouiller le véhicule et d'en saisir le contenu.

Le sénateur Baker : Autrement dit, vous ne pourriez pas délivrer de mandat de perquisition, en vertu de la Loi sur les douanes, pour un entrepôt situé ici à Ottawa, comme la GRC peut le faire pour une infraction à la législation douanière parce que la loi lui en donne le pouvoir.

Monsieur le surintendant, je pense que si le sénateur White demeure encore un ou deux ans ici, il fera changer cela.

Ma deuxième question a trait aux nouvelles peines prévues par la loi provinciale dont vous avez parlé. Nous avons ici un projet de loi qui porte sur le trafic de tabac de contrebande en vue de la vente. Vous avez raison, c'est bien l'article 29 de la loi de votre province qui traite de la question. Le paragraphe 29(13) précise les peines prévues. Est reconnu coupable d'avoir vendu des cigarettes illégales quiconque est en possession de plus de 10 000 cigarettes non marquées. Une amende minimale est imposée.

M. Pardy : Oui.

Le sénateur Baker : Et une amende supplémentaire égale à trois fois la taxe qu'il aurait fallu payer si les cigarettes avaient été vendues en toute légalité.

M. Pardy : La taxe, effectivement, monsieur.

Le sénateur Baker : C'est obligatoire. La loi prévoit « une peine d'emprisonnement maximale de deux ans ».

La première condamnation ici prévoit simplement une peine d'emprisonnement d'au plus cinq ans. Nous savons, vous et moi, que personne ne va en prison pour une première condamnation. Si on porte une accusation contre quelqu'un, pourquoi le faire en vertu du Code criminel? Si on veut imposer une pénalité digne de ce nom, il suffit de recourir à la loi provinciale et de porter exactement la même accusation. On ne peut pas porter une accusation pour le même délit en vertu de deux ensembles de lois. À mon avis, cela pose un certain problème.

M. Pardy : Monsieur, la Loi de la taxe sur le tabac de l'Ontario est une loi fiscale, et son effet dissuasif a à voir avec l'évasion fiscale liée à l'activité. Le projet de loi dont il est question a essentiellement pour effet de criminaliser la même activité et, à mon humble avis, la criminalisation de l'activité aura un effet dissuasif plus grand que les seules amendes.

Le sénateur Baker : Oui, bien sûr, elle aura un effet dissuasif plus grand, mais l'activité demeure prévue dans l'article du Code criminel qui porte sur les fraudes envers le gouvernement. Elle y est ajoutée.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vais revenir sur un thème que j'ai abordé avec les autres policiers tantôt, qui est la collaboration entre les corps policiers. Dans votre mémoire, vous faites la liste des corps policiers qui collaborent ensemble depuis des années, mais je n'ai pas vu le nom spécifique de la police autochtone. Y a-t-il un corps policier sur la réserve de Akwesasne, un corps policier autochtone?

[Traduction]

M. Pardy : Oui, il existe un service de police autochtone, le service de police mohawk d'Akwesasne. Nous travaillons en collaboration avec lui sur une multitude de questions. Ce service n'est pas représenté au sein du Groupe de travail régional de Cornwall, mais il participe à d'autres fonctions relatives au renseignement dans cette région. Il est certainement préoccupé par l'activité criminelle qui s'exerce sur son territoire et il a réellement à cœur d'empêcher la criminalité. Il collabore avec nous, mais ce n'est pas un partenaire officiel du groupe de travail, en grande partie à cause de problèmes de ressources.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Une loi appliquée sans collaboration est une loi inefficace. Il faut une collaboration politique et une collaboration des forces policières. Je n'ai pas senti hier avec le témoignage du chef que la collaboration politique est évidente. Il a une vision très différente du problème. Quelle est la contribution opérationnelle du corps policier autochtone dans la poursuite des trafiquants?

[Traduction]

M. Pardy : Les exposés d'hier vous ont fait comprendre, j'en suis certain, que les communautés des Premières Nations ne voient pas la vente du tabac de la même manière que bien d'autres. Je puis vous affirmer sans hésitation que l'établissement et le renforcement constants de nos relations font partie de nos objectifs stratégiques en Ontario. Nos rapports avec le service de police mohawk d'Akwesasne, le service de police de Tyendinaga et le service de police des Six Nations sont bons, car ce sont les premiers à nous offrir leur aide si un crime commis sur l'un de leurs territoires est en lien avec la contrebande.

Je le répète, nous avons des liens très étroits avec ces services de police, et nous en sommes fiers. C'est une relation continue. Ces corps policiers doivent établir un juste équilibre entre, d'une part, leurs droits et ce qui se passe sur leur territoire et, d'autre part, les préoccupations du grand public, et ils doivent travailler en partenariat avec nous.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Est-ce que le corps policier autochtone a lui-même entrepris des enquêtes sur des contrebandiers?

[Traduction]

M. Pardy : Je ne peux pas répondre à cette question, monsieur. Pas que je sache, mais je ne suis pas en mesure de dire ce qu'ils ont fait à cet égard.

Le sénateur Joyal : Je poursuis sur le même sujet. Vous avez signalé que le principal problème tient à la disponibilité des ressources policières. Pouvez-vous nous expliquer ce que cela veut dire, dans le contexte qui nous intéresse, en ce qui a trait à la police d'Akwesasne?

M. Pardy : Le service de police d'Akwesasne est un organisme indépendant, financé séparément de la Police provinciale de l'Ontario. Il a des problèmes sur le plan des ressources, comme la GRC, la Police provinciale de l'Ontario et tous les services de police. Comme je l'ai mentionné, nous nous penchons sur l'établissement de nos priorités stratégiques, tout comme les autres organismes. Nous avons des ressources limitées. Nous n'obtenons pas plus de ressources chaque fois qu'un nouveau problème surgit. Nous cherchons à rationaliser et à utiliser au mieux les ressources dont nous disposons.

Le problème s'étend à tous les corps policiers; il n'est pas propre à la police d'Akwesasne, il est généralisé.

Le sénateur Joyal : Quel est le principal obstacle qui empêche le service de police d'Akwesasne de collaborer plus efficacement avec vous?

M. Pardy : La question de la compétence sur le territoire mohawk d'Akwesasne est bien particulière et fort complexe. Une partie du territoire se trouve aux États-Unis, une autre au Québec et une autre en Ontario. Elles sont séparées par de l'eau. À elle seule, la configuration géographique du territoire complique les problèmes. Malgré tout, nous continuons à travailler en étroite collaboration avec le service de police d'Akwesasne. Par exemple, la semaine dernière, nous avons participé à une opération policière mixte dirigée par la police d'Akwesasne pour démanteler des installations de culture de marijuana installées sur le territoire de la réserve. Nous collaborons au quotidien.

De façon générale, il est juste d'affirmer que la question du tabac est une question politique complexe sur les territoires autochtones comme dans le reste du Canada. Elle a sans contredit une incidence sur le service de police d'Akwesasne et sur sa capacité à répondre aux préoccupations quotidiennes relatives à la sécurité publique sur son territoire.

Le sénateur Joyal : Diriez-vous que le territoire d'Akwesasne sert essentiellement au transit du tabac illégal en provenance des États-Unis plutôt que de celui qui vient d'ailleurs au Canada?

M. Pardy : À mon avis, il serait juste de dire que c'est une combinaison des deux. Notre service du renseignement dirait que même si le produit brut peut venir des États-Unis, les cigarettes sont fabriquées sur le territoire d'Akwesasne et vendues en contrebande à partir de là.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, c'est une activité difficile à empêcher, étant donné les divers intérêts auxquels il faut faire face dans ce contexte.

M. Pardy : Je suis d'accord. Selon les principes des activités policières fondées sur le renseignement, la façon la plus efficace de s'attaquer au problème consiste à aller à la racine du mal. À bien des égards, la racine d'une partie du problème se trouve dans un autre pays, celui d'où vient le tabac.

Le sénateur Fraser : Les cigarettes fabriquées sur le territoire d'Akwesasne le sont-elles du côté canadien ou du côté américain?

M. Pardy : Du côté américain.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Pourriez-vous nous donner une idée des sentences imposées aux contrebandiers de cigarettes que vous avez arrêtés?

[Traduction]

M. Pardy : Il s'agit essentiellement de peines monétaires. Dans le cadre de notre collaboration avec la GRC et nos partenaires conjoints dans la région de Cornwall, nous avons examiné tous les outils dont nous disposons en vertu du droit pénal afin de nous assurer de pouvoir imposer des conditions aux responsables. Ceux-ci obtiennent une libération sous caution, mais c'est généralement en vertu de la Loi sur la taxe d'accise que la peine est imposée. Il s'agit habituellement d'amendes qui, je dois le reconnaître, ne sont la plupart du temps pas perçues.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'ai compris que vous êtes ouvert à des projets de loi qui pourraient rendre les sentences plus musclées. Ce sont évidemment des outils que vous auriez à votre disposition.

Seriez-vous en mesure de me dire que si les sentences étaient plus élevées avec un projet de loi plus musclé, les contrebandiers craindraient encore plus la police et cela vous aiderait dans votre travail?

[Traduction]

M. Pardy : Je suis d'accord. Dissuader les gens de se livrer à des activités criminelles renforcerait certainement la sécurité publique en Ontario et ailleurs au pays. Il est absolument certain que les criminels mesurent les risques qu'ils courent avant d'agir. C'est le profit qui les pousse, certes, mais ils prennent aussi les risques en considération. Quand les risques sont faibles, ils passent à l'action. Plus les risques sont grands, moins il est probable qu'ils se livrent à une activité criminelle. L'activité cessera-t-elle pour autant? Absolument pas.

La sénatrice Cordy : Monsieur le surintendant, je vous remercie de ce que vous faites pour tâcher de mettre fin à la vente et au trafic du tabac de contrebande ainsi qu'aux autres activités criminelles, bien entendu.

À l'instar d'autres témoins, vous nous avez dit que c'est surtout en Ontario et au Québec que se fait le trafic du tabac de contrebande. Vous avez mentionné Cornwall en particulier. Comme l'Ontario est l'une des principales régions touchées, a-t-on consulté la Police provinciale de l'Ontario avant la rédaction du projet de loi?

M. Pardy : Je suis désolé, mais je ne peux pas répondre à cette question.

La sénatrice Cordy : Il y a quelques années, j'ai eu l'occasion de rencontrer le chef de police de la ville de New York. Nous avons parlé de la baisse du taux de criminalité qui a transformé cette ville très peu sûre en une ville où on peut se déplacer sans grand danger. Le chef de police nous a dit que la meilleure solution qu'ils avaient trouvée avait été de multiplier les agents de police sur le terrain et de rencontrer les gens. En ce qui concerne le tabac de contrebande, qu'est-ce que vos agents et vous trouveriez le plus utile pour juguler — probablement pas éradiquer — le trafic?

M. Pardy : Le projet de loi proposé sera certainement utile. Je crois qu'il faudrait insister davantage sur les règlements concernant la culture et la vente de tabac en feuille à l'origine et que des contrôles à cet égard seraient utiles, mais les ressources comptent tout autant pour nous. Je le répète, les ressources dont nous disposons sont limitées et nous devons établir nos priorités. Franchement, quand on pense au port d'armes, aux gangs, aux narcotiques illicites qui circulent dans nos rues et au vol d'identité qui croît de façon exponentielle, on se dit que la contrebande de tabac n'est pas grand-chose par rapport à tout cela.

Il faut définir nos priorités et affecter nos ressources en conséquence. Dans la région de Cornwall, la contrebande de tabac a constitué une priorité à cause des répercussions importantes qu'elle a eues sur la sécurité publique. Nous n'avons pas les mêmes préoccupations ailleurs dans la province, mais les dangers pour la sécurité publique sont grands dans la région de Cornwall.

La sénatrice Cordy : Quand vous parlez de ressources, vous parlez de ressources humaines, je présume? Cependant, qu'est-ce que vous considéreriez également comme des ressources?

M. Pardy : Dans la lutte contre la criminalité, les ressources sont essentiellement les effectifs sur le terrain et c'est d'abord là-dessus qu'il faut mettre l'accent. Comme nous l'avons entendu ici aujourd'hui, cependant, les organismes criminels s'adaptent très rapidement et tâchent d'avoir toujours quelques pas d'avance sur nous. Nous sommes toujours à la recherche de solutions technologiques qui pourraient nous aider à prévenir la criminalité et à l'empêcher, à mettre des bâtons dans les roues des criminels.

Nous avons appris que les criminels disposent de toute une panoplie d'outils technologiques contre lesquels nous devons lutter, et l'inverse est aussi vrai. Il existe des outils technologiques. Pour une bonne partie de la contrebande qui se fait actuellement, les trafiquants se sont adaptés à notre approche de jour et opèrent désormais au milieu de la nuit. Nous devons être en mesure de les voir. Nous examinons les outils technologiques et cherchons ce qui pourrait nous aider à arrêter les criminels.

La sénatrice Cordy : Ils ont certainement des ressources financières.

M. Pardy : Oui, sûrement.

Le sénateur McIntyre : D'après ce que je comprends du marché du tabac de contrebande au Canada, il existe essentiellement trois sources principales de produits illicites : l'importation illégale des États-Unis à Cornwall et dans les environs et, comme vous venez de l'indiquer, dans le sud-ouest de l'Ontario; l'importation illégale de cigarettes de contrefaçon et d'autres produits licites dans des conteneurs maritimes qui proviennent souvent de l'Asie; et enfin, la fabrication illicite dans le centre du pays.

Pour combattre ce marché, je crois comprendre que vous obtenez une bonne collaboration de la part de la police des États-Unis et des Premières Nations. Cependant, quelle collaboration recevez-vous de la part des pays d'Asie?

M. Pardy : Je crois que la GRC serait mieux en mesure que moi de répondre à cette question, monsieur. Pour les enquêtes de haut niveau de cette nature, il est certain que nous travaillons étroitement avec ces pays pour faire appliquer la loi en ce qui concerne le crime organisé, mais je ne peux pas parler du degré de coopération qui existe entre nous.

Nous travaillons avec Interpol pour toutes nos enquêtes de cette nature, mais je ne peux pas préciser le degré de coopération obtenu.

La sénatrice Batters : Dans votre exposé, vous avez parlé des peines très minimes imposées à l'heure actuelle pour la possession de moins de 10 000 cigarettes, ce qui montre à quel point l'approche beaucoup plus sévère proposée ici est nécessaire. Pensez-vous que ces petites peines représentent pour les membres du crime organisé un bien faible coût à payer pour se livrer à leurs activités? En outre, vous avez dit tantôt que, bien souvent, les amendes ne sont pas perçues, de sorte que les criminels ne paient même pas du tout pour exercer leurs activités.

M. Pardy : Je dirais que c'est certainement un facteur de dissuasion. Des municipalités et certains de nos homologues provinciaux se sont dits préoccupés par l'importance des amendes non perçues à l'heure actuelle. Des efforts sont faits constamment pour corriger la situation, réduire le nombre d'amendes non payées et amener les délinquants à se soumettre et à payer. Par exemple, un délinquant qui veut conserver son permis de conduire et l'immatriculation de son véhicule doit être obligé de payer son amende.

Il y a des mécanismes qui sont en place, mais ils ne sont pas aussi efficaces que nous le souhaiterions.

La sénatrice Batters : Lorsque vous évaluez la façon dont vous affectez vos ressources dans le contexte du commerce du tabac de contrebande, vous dites que cette activité peut être considérée moins cruciale comparativement à d'autres types d'activités criminelles. Toutefois, comme vous le mentionniez, les organisations criminelles et les réseaux qui servent à acheminer le tabac de contrebande sont les mêmes groupes et les mêmes réseaux qui servent au trafic d'armes, de drogue et d'autres produits. Est-ce exact?

M. Pardy : C'est exact.

La sénatrice Batters : Lorsque vous évaluez les ressources, vous devez tenir compte de la situation dans son ensemble.

M. Pardy : Oui.

Le président : Le Groupe de travail régional de Cornwall ne se concentre pas seulement sur la contrebande de tabac. Je suppose qu'il s'intéresse aussi au trafic d'armes, de drogue, de personnes, et cetera.

M. Pardy : Le groupe s'intéresse à n'importe quel trafic. Par exemple, on constate actuellement une augmentation du trafic de clandestins des deux côtés de la frontière, mais en grande partie vers les États-Unis.

Le président : Le chef David d'Akwesasne était ici hier. Il a déclaré que l'une des raisons qui expliquent le changement de modus operandi est le déplacement du poste frontalier de l'île vers la rive, à Cornwall. Il a dit qu'un agent de la Police provinciale de l'Ontario a signalé que le plus gros de la contrebande, surtout en matière de tabac — pour les autres produits, je ne suis pas certain —, s'était réorienté du côté de la région des Mille-Îles. Le chef David a mentionné que l'île Wolfe représente un plus grand défi relativement à plusieurs de ces questions. Êtes-vous de cet avis? Est-ce exact?

M. Pardy : Non, je ne dirais pas qu'il s'agit d'un plus gros problème. Nos agents m'ont signalé que, le long de la Voie maritime du Saint-Laurent, il y a plus de 1 500 points d'entrée où des criminels arrivent, je ne pense donc pas qu'il s'agit d'une situation particulière. Cornwall en est une à cause de sa situation géographique, mais je ne pense pas que le problème soit aussi important ailleurs le long de la Voie maritime du Saint-Laurent qu'à Cornwall.

Le président : Quelle est l'ampleur du rôle de la Police provinciale de l'Ontario en ce qui concerne le contrôle de ce couloir? S'en remet-elle principalement aux autorités fédérales? Vous avez parlé de priorités. Quel rôle jouez-vous dans la lutte à la contrebande?

M. Pardy : À l'heure actuelle, comme nous le savons, la mise en application des lois qui visent les produits du tabac relève en grande partie du gouvernement fédéral ou du ministère des Finances de l'Ontario. Nous collaborons avec nos partenaires d'application de la loi tout au long du couloir de l'autoroute 401, même si ce n'est pas de façon aussi officielle qu'à Cornwall.

Le président : Pouvez-vous nous donner un exemple? Si la présence d'un bateau suspect qui se déplace sur le fleuve est signalée à 2 heures du matin, êtes-vous les premiers intervenants?

M. Pardy : Nous ferons partie des premiers intervenants, mais j'ai parlé plus tôt de l'EESM. Sur la Voie maritime du Saint-Laurent, nous travaillons en partenariat avec la composante maritime de la GRC. Nous disposons d'une composante maritime le long de la Voie maritime du Saint-Laurent et nous interviendrions.

Bien entendu, sur la portion autoroute, nous avons des équipes de contrôle routier qui ciblent les activités de contrebande en général. Aujourd'hui, ce sont des cigarettes; demain, ce sera une drogue dangereuse; le jour suivant, ce sera une saisie de 1 million de dollars en argent comptant ou de la cocaïne. Il n'y a pas de limite.

Le sénateur White : Je pense que si l'ancien solliciteur général de l'Ontario était toujours en poste, les ressources ne constitueraient peut-être pas un problème, sénateur Runciman.

Il a été question de la capacité des services de police à réagir aujourd'hui et on peut comprendre pourquoi il est difficile de travailler dans les conditions actuelles. Même maintenant, pour que les agents de la Police provinciale de l'Ontario puissent travailler avec la GRC, il faudrait qu'ils soient assermentés comme gendarmes spéciaux, conformément à l'article 7 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada. Cette assermentation devrait être renouvelée tous les 12 mois. Il en va de même pour tous les autres services de police. Ils sont presque inséparables pour faire leur travail.

L'un des moyens d'accroître l'utilisation des ressources consiste à accorder davantage de pouvoirs à un plus grand nombre de personnes pour qu'elles puissent faire leur travail ce qui, je pense que vous en conviendrez, serait le cas avec ce projet de loi. En ce moment, le fait que tous les intervenants n'aient pas les mêmes pouvoirs entrave leur travail. Est- ce exact?

M. Pardy : C'est juste, monsieur.

Le sénateur Baker : Autrement dit, en vertu de la Loi sur les douanes fédérale, c'est le doute raisonnable qui prévaut. Vous appliqueriez la loi en cas de doute raisonnable ou de motif raisonnable. Toutefois, ces deux notions sont tout à fait différentes.

Surintendant, je vous ai écouté très attentivement et j'en suis arrivé à la conclusion qu'un choix se présentera à vous quand on vous demandera en vertu de quelle loi vous allez accuser les gens qui ont enfreint la loi dans ce cas précis. L'agent de police aura le choix entre quatre mesures législatives. Deux d'entre elles relèvent de votre compétence.

D'après ce que je comprends des explications que vous avez fournies au comité, vous considérez que les autres mesures législatives concernent des questions fiscales et que celle-ci concerne des questions criminelles. Par conséquent, je suppose que vous dites que vos policiers porteront peut-être des accusations en vertu des deux lois et laisseront les tribunaux — c'est-à-dire le procureur de la Couronne ou le juge — décider s'il s'agit d'un seul et même délit qui ne peut encourir qu'une seule condamnation. Cependant, puisqu'il s'agit, dans un cas, d'un délit fiscal et, dans l'autre, d'un délit criminel, il y aurait deux accusations pour la même infraction. Est-ce exact?

M. Pardy : C'est exact. Il y a toutefois une différence. Les lois fiscales s'appliquent aux biens qui n'ont été ni contrôlés, ni taxés. La loi criminelle s'applique à l'acte lui-même, acte qui est commis par des criminels qui cherchent à faire des profits et des gains. Leurs activités ont une incidence sur nos collectivités, sur notre économie et sur notre santé.

Le sénateur Baker : Oui, mais les deux accusations peuvent encourir des peines d'emprisonnement. Dans le cas de la loi fédérale, la première infraction peut donner lieu à une peine d'emprisonnement maximale de cinq ans et, dans le cas de la loi de votre province, la peine maximale est de deux ans, en plus des amendes obligatoires. Les mêmes conséquences pénales s'ensuivent. Je ne vois pas comment vous pouvez les séparer l'une de l'autre. J'ai du respect pour ce que vous faites et je peux comprendre de quelle façon vous tentez de faire cesser les activités criminelles.

On en conclut que les policiers porteront des accusations en vertu du plus grand nombre d'articles possibles et qu'ils laisseront les choses aller.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J'ai une seule question et elle est brève. Vous avez sans doute des rapports assez étroits avec vos collègues policiers américains; j'aimerais que vous nous parliez de la façon dont ils traitent le sujet. Est-ce pris au sérieux autant qu'ici? Les sentences du côté américain sont-elles plus sévères que du côté canadien?

[Traduction]

M. Pardy : Monsieur, je peux seulement parler de ce que j'ai entendu dire. Nous travaillons en étroite collaboration, comme j'y ai fait allusion plus tôt, avec la Border Enforcement Security Task Force, la BEST. En effet, certains de nos policiers sont intégrés dans ces agences américaines à trois endroits stratégiques le long de la frontière entre l'Ontario et l'État de New York.

L'échange d'information est crucial. Nous constatons que nous avons beaucoup de points en commun et nous sommes capables de participer à des enquêtes des deux côtés de la frontière pour freiner les activités criminelles. Cependant, au sujet des peines qui sont imposées aux États-Unis, je ne peux pas en dire plus que ce que j'ai entendu dans les médias. Les peines semblent être plus lourdes là-bas, mais je ne peux pas en parler de façon plus précise.

Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir sur la question des comptoirs à tabac, dont vous avez parlé dans votre mémoire. Au début de la page 7, vous mentionnez que la possession de cigarettes de contrebande par des non- Autochtones est clairement illégale et que vous appliquez la loi du mieux que vous le pouvez. Dois-je comprendre que l'accusation de possession de cigarettes de contrebande d'une personne qui fréquente ces comptoirs à tabac, qui n'est pas un Autochtone et qui achète des produits du tabac illégaux relève de votre compétence?

M. Pardy : Techniquement, en vertu des modifications apportées à la loi en 2011, si cela se passe à la vue de tous, oui. En fin de compte, cela relève de la responsabilité des enquêteurs du ministère des Finances.

Le sénateur Joyal : Imaginons qu'au moment où vous arrivez, les cigarettes se trouvent dans le coffre de la voiture et qu'elles ne sont donc pas à la vue de tous. Vous voyez la voiture quitter le comptoir à tabac, mais il n'y a aucun agent de la GRC dans les environs, ni aucun représentant du ministère des Finances. Que feriez-vous dans ces circonstances?

M. Pardy : Nous laisserions partir la personne. Dans ces circonstances, nous n'avons pas le pouvoir de fouiller le véhicule ou d'effectuer une saisie. Si aucun autre pouvoir que ceux prévus par la loi ne nous est accordé, nous n'avons pas le pouvoir de fouiller un véhicule si nous croyons qu'il contient du tabac de contrebande.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, si nous — par « nous », je veux dire le gouvernement — voulons lutter contre les activités illégales des comptoirs à tabac, il nous faudrait dépêcher régulièrement des agents de la GRC pour surveiller, comme le président l'a dit, les 350 comptoirs à tabac qui se trouvent le long de l'autoroute 66.

M. Pardy : Oui, monsieur.

Le sénateur Joyal : Cela signifie que, la plupart du temps, les activités se déroulent sans qu'aucune intervention n'ait lieu, n'est-ce pas?

M. Pardy : Il est certain qu'il y a actuellement des obstacles législatifs.

Le sénateur Joyal : Que recommanderiez-vous pour remédier à ce problème?

M. Pardy : Mes recommandations concerneraient en partie les ressources, car il s'agit d'une préoccupation pour nous. Les ressources dont nous disposons pour respecter nos mandats actuels sont utilisées au maximum. C'est un problème.

Si les problèmes de longue date qui concernent les droits issus de traités pouvaient être résolus, cela améliorerait nos partenariats et nos relations avec les communautés des Premières Nations et constituerait un pas dans la bonne direction pour remédier à ce genre de situation. Bien sûr, l'obtention de pouvoirs de mise en application de la loi contribuerait grandement à décourager les criminels qui participent à ce genre d'activités.

Le sénateur Joyal : Oui, car il s'agit presque d'une incitation à la criminalité, d'une certaine façon, de permettre à une personne de veiller à ce que quelqu'un guette la présence d'agents de la GRC dans la région. Si ni les agents de la GRC ni vos policiers ne se trouvent sur place, la personne peut passer inaperçue.

M. Pardy : C'est vrai, monsieur. En fait, les renseignements dont nous disposons, fondés sur ce que nous avons observé dans la région de Cornwall, correspondent exactement à cela. Les organisations criminelles ont engagé des guetteurs et nous savons combien ils sont payés. Leur seule tâche consiste à nous épier, par conséquent, la contre- surveillance mobilise énormément nos activités.

Le sénateur Joyal : Cela est très utile. Nous devrions peut-être ajouter des observations lorsque nous nous prononcerons sur ce projet de loi.

Le président : Surintendant, vous conviendrez que les autorités provinciales ont un rôle à jouer ici. Pour la gouverne des membres qui ne le savent peut-être pas, le gouvernement du Manitoba a demandé au tribunal une ordonnance, qu'il a obtenue, lui permettant de s'approprier les très controversés comptoirs à tabac. Le gouvernement indique que la décision du tribunal confirme davantage sa position concernant le caractère illégal de la possession et de la vente de produits du tabac qui ne sont pas marqués par le sceau du Manitoba.

C'est une première de la part d'un gouvernement provincial. Que s'est-il passé depuis? Cela a eu lieu à la fin de l'année dernière, je ne sais donc pas si cette mesure est déjà en vigueur.

J'ai une brève question à poser au sujet des Six Nations. Vous avez parlé d'Akwesasne et du fait que ses installations de production se trouvent du côté américain de la réserve. Selon vous, la majeure partie du produit brut vient des États- Unis, de la Caroline du Nord, je crois. Quelle est la situation du côté des Six Nations? Cette réserve possède ses propres installations de fabrication. D'où vient le matériau brut qui y est utilisé? Est-ce que les producteurs de tabac de l'Ontario les approvisionnent?

M. Pardy : On pourrait dire avec assez de justesse que le matériau brut vient à la fois de l'extérieur — importé légalement dans certains cas — et de l'Ontario.

Le président : Les producteurs font-ils un quelconque suivi de leur produit? Je parle maintenant de l'Ontario. Est-il tout à fait légal qu'ils vendent leur produit à des producteurs des Six Nations? Personne ne demande ce qu'il en advient?

M. Pardy : Je pense que les modifications apportées aux règlements qui accompagnent la Loi de la taxe sur le tabac de l'Ontario ont amélioré cette situation, mais je ne peux pas entrer dans les détails. Grâce à d'autres discussions auxquelles je participe, je sais qu'on parle beaucoup de l'étape suivante contenue dans la mesure législative qui est entrée en vigueur en avril, si je ne m'abuse, et qui permettra d'améliorer les règlements ainsi que de faire le suivi du tabac.

[Français]

Le sénateur Rivest : Dans la mesure où — par exemple, à Akwesasne —, des policiers américains et canadiens doivent collaborer, une personne peut-elle être accusée — parce que l'acte criminel commence aux États-Unis —, en vertu des lois américaines et, par la suite, en vertu des lois canadiennes? Comment faites-vous pour départager cela lorsque le geste criminel a commencé aux États-Unis et s'est poursuivi au Canada? Comment fait-on pour déterminer où la personne sera accusée?

[Traduction]

M. Pardy : Nous sommes deux pays différents qui ont des Constitutions et des lois distinctes.

En ce qui concerne la contrebande de tabac, je ne peux pas vous citer d'exemple. Nous menons nos activités ici, en Ontario, au Québec et ailleurs au pays, et les accusations sont portées ici. Cependant, récemment, un groupe de plusieurs criminels associés à des groupes organisés qui ont été accusés dans le cadre d'enquêtes sur le crime organisé ont aussi été accusés aux États-Unis. Je ne peux pas dire s'il y a un lien entre les accusations et si les crimes reprochés sont les mêmes dans les deux pays. Les lois et les accusations sont différentes aux États-Unis, certaines ressemblent aux nôtres alors que d'autres sont très différentes.

Le président : Superintendant, je vous remercie d'avoir participé à nos délibérations.

Nos prochains témoins sont Alex Scholten, président de l'Association canadienne des dépanneurs en alimentation, et Michel Rouillard, porte-parole national de La coalition nationale contre le tabac de contrebande.

M. Scholten, vous avez la parole.

Alex Scholten, président, Association canadienne des dépanneurs en alimentation : L'Association canadienne des dépanneurs en alimentation a été créée pour représenter plus de 23 000 dépanneurs canadiens, qui emploient plus de 165 000 personnes. Au nom de ces propriétaires de petites entreprises, j'aimerais remercier le comité d'avoir invité l'association à témoigner aujourd'hui.

L'un des défis auxquels sont confrontés les dépanneurs au Canada est la persistance du tabac de contrebande, une industrie illégale soutenue par le crime organisé, qui mine le gagne-pain de nos détaillants et qui menace la sécurité de nos communautés. Plusieurs conséquences d'ordre financier et social résultent de la poursuite de la vente de tabac de contrebande, notamment la perte de revenus pour le gouvernement, puisque des millions de dollars sont perdus chaque année en raison de l'évasion fiscale qui découle de cette industrie illégale. Selon l'Agence du revenu du Canada, cela pourrait se chiffrer à une somme aussi élevée que 2,5 milliards de dollars par année.

Pour illustrer le volume de cette activité illégale, nous avons dressé une carte, que nous avons incluse à la fin de notre mémoire, indiquant les saisies de produits de contrebande partout au pays, telles que rapportées par les médias depuis janvier 2012. Il convient de souligner que cela ne représente que la pointe de l'iceberg de toutes les saisies effectuées, et que toutes les saisies ne représentent que la pointe de l'iceberg de l'ensemble des activités illégales. Au cours de cette période de 16 mois, plus de 150 saisies ont été rapportées dans huit provinces. La valeur des cigarettes de contrebande saisies s'élève à près de 17 millions de dollars, sans compter plus de 60 000 kg de tabac haché fin.

La deuxième conséquence de la contrebande du tabac est que le tabac devient plus accessible et que les jeunes peuvent s'en procurer plus facilement. Les propriétaires de dépanneurs doivent respecter de strictes mesures de contrôle du tabac destinées à empêcher la vente de tabac aux mineurs. Les détaillants responsables forment leurs employés et voient à ce qu'ils effectuent toutes les vérifications de l'âge nécessaires. Les trafiquants de tabac vendent leurs produits à quiconque est prêt à les acheter. En outre, comme le tabac de contrebande est vendu sans que les taxes fédérales et provinciales n'aient été perçues, le prix devient plus attrayant et plus accessible pour les jeunes.

La troisième conséquence est que le commerce du tabac de contrebande soutient le crime organisé, ce qui met nos collectivités en danger. La GRC a déjà évalué que plus de 175 groupes du crime organisé pratiquent cette activité illégale et, en plus des saisies de produits de contrebande, les forces policières ont également confisqué de grandes quantités de drogue et d'armes illégales.

Pour en revenir aux saisies rapportées dans les médias mentionnées dans notre mémoire, ce n'est pas seulement du tabac de contrebande qui a été saisi, mais aussi de la drogue, notamment de la marijuana, de l'ecstasy, de la méthamphétamine, de la cocaïne et de l'héroïne, ainsi que des armes, comme des armes d'épaule, des armes de poing et des couteaux. Il ne s'agit pas d'activités criminelles mineures menées par de petits criminels. En conséquence, nos collectivités sont exposées à de grands risques.

L'Association canadienne des dépanneurs en alimentation a salué l'initiative du gouvernement visant à instaurer des sanctions plus sévères pour les personnes reconnues coupables de contrebande. Des sanctions accrues et des mesures exécutoires dédiées à la lutte contre le tabac de contrebande étaient des piliers du mémoire pré-budgétaire que nous avons déposé en 2012. À titre d'association de l'industrie, nous reconnaissons la complexité du problème du tabac de contrebande, car il chevauche les frontières fédérales et provinciales ainsi que les territoires autochtones, ce qui rend la prise de position très difficile pour les gouvernements et les responsables de l'application de la loi. Cependant, l'indifférence et une approche souple concernant la lutte à la contrebande du tabac donnent l'impression que les lois antitabac, fiscales et de réduction sont appliquées de deux façons très différentes.

Les propriétaires de dépanneurs respectent les règles établies par Santé Canada, par l'Agence du revenu du Canada et par d'autres organismes pour veiller à ce que les produits du tabac légaux vendus dans nos magasins soient conformes à la loi. Les produits qui sont vendus dans nos magasins sont assujettis à tous les niveaux de taxation. Nous appliquons les contrôles de vérification de l'âge afin que ces produits ne tombent pas entre les mains de mineurs. Si nos détaillants ne respectent pas ces mesures de contrôle du tabac, ils sont passibles d'amendes importantes et de sanctions juridiques pouvant entraîner la fermeture de leur magasin. Soyons clairs, l'association n'y voit aucun problème. Ceux qui choisissent d'enfreindre la loi doivent être pénalisés.

Les trafiquants et les vendeurs de produits de contrebande ne sont pas soumis aux mêmes règles ni aux mêmes sanctions. Ces criminels ne respectent pas les règles juridiques ou en matière de santé que respectent nos propriétaires. Leurs produits sont vendus sans taxes à quiconque est prêt à les acheter, qu'ils aient l'âge de le faire ou non. Notre association et ses détaillants espèrent que les sanctions plus sévères actuellement à l'étude auront un effet dissuasif sur ceux qui vendent du tabac de contrebande, ce qui réglerait en fin de compte le problème de l'application inégale des lois sur le tabac aux détaillants respectueux des lois et aux trafiquants.

La contrebande du tabac nuit à nos entreprises et à nos collectivités depuis longtemps. Nous félicitons le gouvernement d'avoir fait un pas vers l'avant dans la lutte contre ce grave problème de sécurité publique.

[Français]

Michel Rouillard, porte-parole national, Coalition nationale contre le tabac de contrebande : Monsieur le président, bonjour, je m'appelle Michel Rouillard et je suis le porte-parole de La coalition nationale contre le tabac de contrebande, the National Coalition Against Contraband Tobacco.

Je suis un sergent à la retraite de la Sûreté du Québec où j'ai passé plus de 30 ans dans diverses fonctions, dont patrouilleur et à la prévention de la criminalité. Retraité très actif, je forme également diverses équipes en matière de prévention et service à la clientèle pour plusieurs organismes. Je suis également président du conseil d'administration de ma chambre de commerce local et j'agis comme chef mentor en entrepreneurship.

La coalition nationale contre le tabac de contrebande est un organisme sans but lucratif et non partisan qui travaille à sensibiliser l'opinion publique face à la problématique des cigarettes illégales et du tabac de contrebande.

La quinzaine de membres de la coalition sont des organismes qui proviennent de tous les secteurs d'activité et de partout au Canada. Nous comptons parmi ceux-ci l'Association canadienne des dépanneurs en alimentation, représentée ici aujourd'hui, le Retail Council of Canada, la Fédération des chambres de commerce du Québec, Toronto Crime Stoppers, le Syndicat des douanes et de l'immigration et plusieurs associations de dépanneurs, d'épiceries et de distributeurs aux petites surfaces commerciales.

À titre de policier à la retraite, de père de famille et de grand-père, je m'engage auprès de la coalition parce que l'accessibilité grandissante à des cigarettes illégales est une grave problématique dans toutes les communautés du Canada, petites et grandes. Que ce soit dans Lanaudière, ou dans le sud-ouest de l'Ontario, dans les régions rurales du nord du Nouveau-Brunswick ou en Gaspésie, des cigarettes illégales circulent librement des mains des bandits directement aux mains de citoyens insouciants et inconscients. Effectivement, la contrebande du tabac et le commerce illégal de cigarettes profitent principalement aux bandits.

Ces individus issus de groupes criminels organisés sont très bien équipés. Ils baignent aussi dans la fabrication et le trafic de drogues synthétiques, tels que les métamphétamines. Ils sont armés d'armes à feu et d'armes de poing. Ils opèrent également dans le proxénétisme, la prostitution et la traite humaine. Ces individus représentent ce que le Canada a de pire à offrir.

La contrebande du tabac pèse aussi lourd dans la balance du tabagisme chez les jeunes. Les contrebandiers de cigarettes qui vendent des cigarettes illégales ne se préoccupent pas de l'âge de leurs acheteurs. Les cigarettes de contrebande étant vendues bien moins chères que les cigarettes vendues légalement, dans les commerces légitimes, elles sont donc beaucoup plus accessibles aux moins de 18 ans. À 15 dollars le baggie pour 200 cigarettes, c'est le prix d'un billet de cinéma.

L'État écope aussi de la contrebande du tabac. En règlementant l'industrie et son commerce, le gouvernement vise à encadrer la production et la vente de cigarettes au Canada tout en percevant d'importants revenus qui sont réinvestis dans les programmes sociaux, les infrastructures et les autres services aux contribuables.

On estime que les pertes de revenus fiscaux annuels au Canada s'élèveraient à 2,1 milliards de dollars à cause de contrebande du tabac. Vous voyez donc que ce sont les contribuables qui écopent encore une fois.

Le projet de loi S-16 est une avancée importante dans la lutte au tabac de contrebande. Son dépôt fait état de l'écoute du gouvernement aux appels de la population, des forces de l'ordre, des provinces et des commerçants face à cette problématique. Cependant le projet de loi S-16 ne règle pas tout. Par exemple, la nouvelle infraction de contrebande de tabac au Code criminel fixe à un seuil beaucoup trop haut la quantité de cigarettes possédée nécessaire afin de commettre une infraction. Cette quantité établie à 10 000 cigarettes, à l'article 4 du projet de loi, est nettement démesurée. Dix mille cigarettes représentent 50 cartouches de cigarettes. À la question combien de cigarettes est-il nécessaire pour commettre l'infraction de contrebande de tabac, il nous apparaît que la réponse doit être considérablement moins? Est-ce que se promener avec 5 000 cigarettes de contrebande devrait constituer une infraction? Peut-être. Devons-nous considérer 25 cartouches de cigarettes illégales de la contrebande du tabac? Fort probablement.

Somme toute, la Coalition nationale contre le tabac de contrebande est satisfaite du dépôt de ce projet de loi. L'annonce du déploiement de 50 nouveaux policiers de la GRC pour lutter contre la contrebande de tabac, annoncée le 5 mars dernier, est également bénéfique. Il en demeure qu'un facteur indéniable d'attrait aux cigarettes illégales est le prix. Lorsque la différence entre une cartouche légale et une cartouche illégale s'élève à près de 90 $, l'attrait saute aux yeux.

Je profite également de cette occasion pour vous sensibiliser à la réalité transfrontalière de la problématique. Le crime organisé qui profite de la contrebande de cigarettes opère sans égard aux frontières politiques, ministérielles et territoriales. Les contrebandiers ne s'arrêtent pas aux frontières des provinces. Ils en profitent chaque fois que les différents paliers de gouvernement ne travaillent pas ensemble pour enrayer la contrebande du tabac.

En conclusion, il est de la plus grande importance que le gouvernement du Canada collabore encore plus étroitement avec ses partenaires des provinces et les Premières Nations afin de trouver main dans la main, des solutions durables à la problématique des cigarettes illégales dans nos communautés.

Nous sommes très heureux de voir que le Sénat du Canada prend cette question au sérieux et nous espérons que votre travail parlementaire portera ses fruits.

[Traduction]

Le président : Merci, monsieur. Nous commencerons les questions avec la sénatrice Fraser, vice-présidente du comité.

[Français]

La sénatrice Fraser : Messieurs, merci beaucoup d'être là.

[Traduction]

Votre témoignage est évidemment très important pour nous. J'ai une brève question à poser à chacun d'entre vous.

M. Scholten, vous avez fourni des statistiques et des cartes très intéressantes qui ne sont pas complètes, selon ce que vous avez signalé, et qui vont d'est en ouest, mais elles s'arrêtent au Manitoba. Est-ce parce que vous n'avez pas recueilli les autres données ou parce que votre association ne compte pas de membres dans l'Ouest?

M. Scholten : Non, nous recueillons les données partout au pays et nous avons constaté que les incidences à l'ouest du Manitoba sont très faibles.

La sénatrice Fraser : Je crois toutefois comprendre qu'elles augmentent. On entend parler d'importation de tabac depuis la Chine. Je suppose qu'une grande partie de ce tabac passe par Vancouver.

M. Scholten : Oui, en effet.

La sénatrice Fraser : Vous n'avez pas recueilli les données à ce sujet, n'est-ce pas?

M Scholten : Non.

[Français]

La sénatrice Fraser : Monsieur Rouillard, vous avez parlé de 15 $ pour un petit sac, une cartouche de 200 cigarettes. Combien coûte une cartouche sur le marché légitime?

M. Rouillard : Cela varie selon les provinces, mais cela joue entre 80 $ et 90 $.

La sénatrice Fraser : Vous savez que les taxes sur les cigarettes ont ou vont augmenter. Cela va-t-il nuire au commerce légitime? Cela va-t-il pousser les clients vers le marché illégal?

M. Rouillard : On espère que non. La coalition ne veut pas s'ingérer dans le processus des différentes provinces, dans la législation des taxes pour le bénéfice de leurs citoyens. Il faut de l'argent pour les infrastructures. On n'embarque pas dans le jeu d'augmenter ou pas les taxes. On préfère plutôt à aider les organismes, tels les corps policiers à combattre le banditisme, la contrebande et aussi à travailler sur le plan de la prévention auprès des citoyens.

Un des gros problèmes mentionnés par les policiers antérieurement est que les gens qui vendent la cigarette dans les différents quartiers des petites municipalités ne se rendent pas toujours compte qu'ils font partie d'une grande chaîne qui est le crime organisé. C'est la même chose pour l'acheteur. Ce sont des gens qui ne voleraient pas 5 cents à personne, mais ils vont acheter des cigarettes de contrebande sans songer que, ce faisant, ils appuient le crime organisé.

[Traduction]

Le sénateur White : M. Scholten, si ce projet de loi est adopté, votre organisme a-t-il un plan pour informer ses membres sur l'interaction avec les forces policières? Je sais que l'exaspération de vos membres vient du fait que, dans le passé, la plupart des services de police ne pouvaient pas répondre aux plaintes parce que la loi ne le leur permettait pas. Y a-t-il un programme de formation prêt à être offert pour amener vos membres à s'engager davantage à l'avenir?

M. Scholten : Oui. Nous avons pris certaines mesures récemment. Lorsque le gouvernement a annoncé de nouvelles peines plus sévères, nous avons immédiatement fait circuler des communiqués de presse parmi nos membres dans tout le pays. De plus, nous venons tout juste de lancer un site web sur la sensibilisation à la contrebande pour les détaillants de tout le pays. Cependant, en ce qui concerne les efforts déployés pour collaborer plus étroitement avec les forces policières, c'est une chose que nous encourageons. Nous avons quatre associations régionales en plus de l'association nationale. Nous encourageons cette collaboration partout au pays et nous travaillons en étroite collaboration avec la GRC et les corps policiers locaux à cet égard.

Le sénateur White : Accessoirement, des questions ont été soulevées concernant les effets néfastes croissants du tabac de contrebande, avec de solides preuves à l'appui, en comparaison avec les effets néfastes du tabac. Avez-vous aussi pensé à informer la population en général sur ce que contient le tabac de contrebande? Dans certains cas, le problème est moins lié au tabac qu'à de nombreuses autres substances. Votre organisme a-t-il aussi envisagé de prendre des mesures proactives concernant ces aspects de la question?

M. Scholten : Oui. En fait, nous avons fait beaucoup de travail dans ce domaine, notamment des panneaux d'affichage en Ontario et au Québec et des dépliants sur la contrebande que nous avons distribués à nos membres et aux politiciens de tout le pays. Nous poursuivons nos efforts pour sensibiliser davantage le public. En ce qui concerne les ingrédients contenus dans le tabac de contrebande, nous avons assurément signalé au public qu'on y trouve des excréments de rongeurs, des parties d'insectes et d'autres choses du genre. Nous espérons que cela touchera les gens et constituera un autre moyen de les dissuader d'utiliser ces produits.

Le sénateur White : À mon avis, il serait utile de distribuer ce matériel dans les écoles également. Le tabac à lui seul est certainement un enjeu pour les éducateurs, mais je pense le problème croissant de la contrebande pourrait aussi faire l'objet de discussions dans les écoles de tout le pays.

M. Scholten : C'est une bonne suggestion. Nous sommes toutefois confrontés à certains défis. En Ontario, par exemple, qui a une stratégie de lutte contre le tabagisme appelée « Ontario sans fumée », certains de nos détaillants ont été blâmés lorsqu'ils ont tenté d'apposer des affiches de sensibilisation dans leurs magasins parce qu'ils n'ont pas le droit d'utiliser le mot « tabac » ou même une image le représentant, même dans le but de lutter contre la contrebande de tabac ou autre. On les a menacés de leur imposer des amendes s'ils n'enlevaient pas leurs affiches. Si nous allions dans les écoles, nous serions confrontés au même problème.

Le président : J'ai une brève question complémentaire à poser concernant la sensibilisation du public. Il y a plus de 350 comptoirs à tabac qui exercent leurs activités en Ontario et au Québec sans qu'aucune mesure ne soit prise. À quel point cela décourage-t-il le public d'écouter votre message? Monsieur et madame Tout-le-Monde se dit : « Vous considérez que je participe au crime organisé parce que j'achète ceci, pourtant, tous ces comptoirs à tabac mènent leurs activités librement. » Cela doit nuire à vos efforts dans une certaine mesure.

M. Scholten : En effet, cela exaspère les détaillants, mais ce qui nous préoccupe le plus, c'est que les consommateurs ne considèrent pas cela comme activité illégale. Ils le voient comme de l'évasion fiscale. Ils ne considèrent pas que ce soit un acte criminel, c'est pourquoi ils fréquentent ces comptoirs à tabac. Il faut sensibiliser bien davantage le public pour lui montrer quelles sont les implications exactes en ce qui concerne le crime organisé, l'accès des jeunes à ces produits et ainsi de suite. C'est un message que nous tentons de diffuser le plus possible.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je naviguais l'autre jour sur un site Internet très intéressant, soit celui du Center for Public Integrity et le site faisait mention d'une taxe pour le terrorisme.

Ce qu'on y apprend, c'est que la production de cigarettes a explosé à la frontière de l'Afghanistan et du Pakistan. On y produit quinze milliards de cigarettes par année, et qui sont principalement exportées vers l'Afrique, l'Amérique et l'Asie. Cela compterait pour environ 20 p. 100 des revenus de l'organisation al-Qaida.

Je n'ai pas vu beaucoup de campagnes sur la prévention. Si des cigarettes se vendent, des acheteurs en achètent. Je n'ai pas vu beaucoup de publicités gouvernementales telles celle concernant le travail au noir et qui a donné des résultats. Je n'ai pas vu beaucoup de publicités ayant pour but la sensibilisation des jeunes sur le fait que ces cigarettes sont du poison — on l'a vu —; il y a de deux à 10 fois plus de contaminants cancérigènes dans ces cigarettes que dans les cigarettes ordinaires. Ce n'est pas pour dire que les cigarettes ordinaires sont bonnes; pas plus. On voit que cet argent profite au crime organisé, comme au groupe Al-Qaïda. Cela veut dire que les fumeurs québécois, les fumeurs ontariens financent les groupes terroristes.

Dans le cadre de votre mission, y aurait-il lieu de cibler, en matière de sensibilisation à l'égard des acheteurs, ce geste radical qu'ils posent lorsqu'ils achètent des cigarettes illégales plutôt que des cigarettes du marché?

M. Rouillard : Vous adressez-vous à moi?

Le sénateur Boisvenu : Aux deux, parce que j'ai vu que vous aviez aussi un mandat d'éducation. Je ne vois pas beaucoup de publicités à ce sujet.

M. Rouillard : En ce qui me concerne, je suis en poste depuis cinq mois à la coalition. Ce que vous venez de dire concernant Al-Qaïda et l'argent pour le terrorisme est valable. Je pense qu'une publicité télévisée ou autre, plus imagée, touchera toujours plus facilement la population. J'étais au Nouveau-Brunswick un peu plus tôt cette année et j'y ai fait le tour de certaines stations de radio et aussi de certains journaux pour sensibiliser les gens à cette problématique.

Parce que concernant l'organisation Al-Qaïda, si c'est vrai, cela vaut la peine de le dire. Mais je pense aussi qu'ici, chez nous, les grosses organisations du crime organisé comme les Hells Angels et autres sont impliquées directement. Les gens le savent et cela les agace. J'ai récemment lu dans le journal qu'une dame avait écopé d'une très grosse amende; on parle d'une centaine de milliers de dollars d'amende et on s'est aperçu qu'elle était une tête dirigeante et dépendait directement du groupe des Hells Angels encore une fois.

C'est pour dire que lorsque la petite personne achète un paquet de cigarettes ou que l'enfant achète cela dans une cour d'école, il encourage directement le crime organisé. Les gens l'ignorent et croient que ce n'est qu'une évasion fiscale, qu'on épargne 75 ou 70 dollars de taxes et que la vie est belle. Votre suggestion est excellente.

[Traduction]

M. Scholten : À ma connaissance, aucune étude n'a été effectuée au Canada sur le lien avec des activités terroristes. Je sais qu'il y en a aux États-Unis. En 2006, je crois, un sénateur américain a terminé une étude qui a montré des liens très précis avec des organisations terroristes. Cette idée me plaît à moi aussi, et je pense que c'est le genre d'information que nous aimerions diffuser, mais comme vous l'avez dit, il n'existe aucune étude à ce sujet à l'heure actuelle. Peut-être que nous pourrions en parler avec la GRC et d'autres organismes, comme l'AFSC et Sécurité publique Canada, pour mettre en place quelque chose du genre.

Le sénateur Boisvenu : Je vous invite à visiter le site web. C'est le Center for Public Integrity.

M. Scholten : Merci.

[Français]

Le sénateur Joyal : Bienvenue. monsieur Rouillard, je ne connaissais pas votre coalition. Vous dites être actif au sein de la coalition depuis cinq mois; quand a-t-elle été fondée exactement?

M. Rouillard : Il y a quelques années. Je ne connais pas la date exacte de la création.

Le sénateur Joyal : C'est de l'ordre de trois ans, quatre ans ou cinq ans?

M. Rouillard : C'est relativement jeune, quelque chose comme trois ou quatre ans.

Le sénateur Joyal : Vous avez mentionné dans votre mémoire que la coalition compte une quinzaine de membres.

M. Rouillard : Oui.

Le sénateur Joyal : Les compagnies de tabac sont-elles membres de cette coalition?

M. Rouillard : Oui, les compagnies de tabac et les producteurs en font partie, entre autres.

Le sénateur Joyal : Parce qu'elles ont intérêt à lutter contre le tabac illégal puisqu'elles produisent elles-mêmes et vendent un produit « légal ». Elles ont un intérêt réel à faire en sorte que leur concurrence déloyale — si je peux utiliser l'expression — et illégale soit réprimée dans la mesure du possible.

M. Rouillard : Elles en font partie comme les 14 autres membres de la coalition. Nous, ce qu'on ne contrôle pas, c'est la contrebande comme telle du tabac. Pour ce qui est de ceux qui tentent d'éliminer le tabac complètement, ce sont d'autres associations dont on ne fait pas partie. Personnellement, je suis non-fumeur, mais je dis cela étant donné que je suis un ancien policier de la contrebande et tout ce qui touche la criminalité.

Le sénateur Joyal : Vous centrez votre activité essentiellement contre la contrebande?

M. Rouillard : Oui, parce que cela offre aussi un accès trop facile aux jeunes, entre autres.

Le sénateur Joyal : Les initiatives d'éducation que vous pourriez préconiser viseraient à sensibiliser les gens à ne pas consommer un produit illégal?

M. Rouillard : Exactement.

Le sénateur Joyal : C'est ce qui est votre créneau particulier?

M. Rouillard : Oui. Tantôt, vous parliez des manufacturiers; que ce soit les dépanneurs, les épiciers ou tous ceux qui gravitent aux alentours de la vente du tabac légal, ces gens payent des impôts et des taxes et respectent les normes légales en termes de vente aux plus de 18 ans.

Le sénateur Joyal : Exactement.

[Traduction]

Je ne suis pas certain que vous étiez dans la salle, M. Scholten, lorsque le surintendant de la Police provinciale de l'Ontario a parlé du phénomène des comptoirs à tabac et que notre président a aussi abordé le sujet dans une question.

M. Scholten : Oui, j'y étais.

Le sénateur Joyal : Il me semble que le principal obstacle auquel nous sommes confrontés est que ces activités sont menées à la vue de tous. Tout le monde les voit et tout le monde sait qu'elles existent.

Comme nous l'avons entendu ce matin, si la GRC n'est pas dans les parages, tout le monde peut se procurer une cartouche ou une dizaine de cartouches en vue de la revente à des proches, à des membres de la famille ou à des amis. Si quelqu'un commettait un vol dans un de vos dépanneurs, à moins qu'il y ait une caméra, cette personne essaierait évidemment d'éviter les dispositifs de surveillance, mais l'activité comme telle est illégale. C'est là qu'il y a, à mon avis, un problème majeur dont ne tiennent pas compte vos recommandations ou les témoignages des gens que nous avons entendus. Comment proposez-vous que nous abordions le problème?

M. Scholten : Comme je l'ai déjà dit, ce genre d'activité cause beaucoup de frustration, surtout pour les détaillants. Pour ce qui est du rapport cité ici, selon lequel il y aurait 350 cabanes à tabac, c'est nous qui avons recueilli cette information en allant dans les réserves et en relevant l'emplacement de chacune de ces cabanes. Nous savons très bien de quel genre d'activité il s'agit.

En ce qui concerne la complexité du problème de la contrebande de tabac, et du rôle des gouvernements fédéraux, provinciaux et autochtones à cet égard, nous faisons valoir depuis un certain temps qu'aucune de ces entités ne peut résoudre ce problème à elle seule. Il faut beaucoup de coopération et de collaboration avec tous les intervenants concernés.

Nous recommandons depuis un certain temps de mettre sur pied un comité, de tenir des audiences ou de consulter des fonctionnaires fédéraux et provinciaux ainsi que des représentants des Autochtones et des États-Unis pour considérer le problème dans son ensemble. Nous avons entendu plus tôt que les amendes et les peines proposées aujourd'hui s'attaquent aux conséquences plutôt qu'à leur cause. Si nous ne discutons pas du problème avec tout le monde, nous ne le réglerons pas.

[Français]

Le sénateur Joyal : Monsieur Rouillard, vous êtes du Québec, vous connaissez bien le phénomène de la réserve Mohawk près de Montréal et comment ce commerce se présente dans l'opinion publique au Québec. Auriez-vous des commentaires?

M. Rouillard : Je vous dirais que, régulièrement, lorsque je m'annonce comme porte-parole pour la Coalition nationale contre le tabac de contrebande, les gens me demandent pourquoi il ne se fait rien en ce qui concerne les réserves. C'est la grande question qui revient à tout coup. Ayant été moi-même à la Sûreté du Québec pendant 30 ans...

Le sénateur Joyal : Oui, justement, comment voyez-vous cela sur la base de votre expérience de policier?

[Traduction]

Le président : Nous devons aller de l'avant, sénateur Dagenais.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma première question s'adresse à M. Rouillard. En passant, c'est toujours intéressant de revoir un ancien collègue. Vous mentionnez que le projet de loi dont on traite actuellement est une avancée importante, mais dois-je comprendre que si le gouvernement allait vers un projet de loi plus musclé, vous le supporteriez aussi?

M. Rouillard : Effectivement, oui. Lorsque je parlais du nombre de cigarettes, c'est un peu dans ce sens-là qu'on allait. Je pense que quelqu'un qui a chez lui 5000 cigarettes, ce n'est pas pour son usage propre.

Le sénateur Dagenais : Mon autre question est pour M. Scholten. Vous représentez les associations de commerçants, entre autres, les dépanneurs, vous savez comme moi que plusieurs dépanneurs, qui ont des bannières pour la vente de cigarettes, ont des bannières aussi pour vendre de l'essence. Est-ce que vous diriez qu'un dépanneur installé près d'une réserve amérindienne influence aussi les ventes d'essence? On sait que l'essence se vend moins cher aussi.

[Traduction]

M. Scholten : C'est une très bonne question, et je suis content que vous l'ayez posée. Avec la contrebande de tabac, l'apparition des cabanes à tabac et l'ampleur grandissante de ces activités, les contrebandiers ont commencé à s'intéresser à l'essence; ils ne font pas payer de taxes sur l'essence. Cela a des conséquences importantes pour les détaillants de l'ensemble du pays. Selon ce qui est ressorti de nos discussions, certains détaillants, notamment à Thunder Bay, ont été gravement touchés par ce qui se passe. Ce qui les frustre, c'est que l'administration municipale de Thunder Bay a dit qu'elle commencera à se procurer de l'essence dans les réserves, parce que le prix est bien meilleur que le prix de détail exigé en ville pour l'essence vendue de façon légale. C'est ce qu'on rapporte notamment dans les entrevues accordées aux médias. Les détaillants sont très frustrés par cela. Si on ne s'occupe pas de la contrebande de tabac, le problème prendra encore plus d'ampleur avec l'essence.

La sénatrice Cordy : Pour répondre à la question du sénateur Joyal, monsieur Rouillard, j'ai été très surprise de vous entendre dire que l'industrie du tabac participe à votre coalition. Bien que nous soyons tous contre la contrebande de tabac, je crois que la plupart d'entre nous ne sont pas en faveur du tabagisme en général, à cause de ses effets sur la santé des Canadiens; je parle à titre personnel, car je ne veux pas parler au nom de qui que ce soit d'autre. J'ai été très surprise d'apprendre que cette industrie participe à votre coalition. Votre organisation est-elle financée par les fabricants de tabac?

[Français]

M. Rouillard : Les 15 participants à la Coalition nationale contre le tabac de contrebande financent la coalition, autant la situation des dépanneurs, des épiciers que les fabricants de tabac légaux. Quand je parle de fabricants de tabac, comme je le disais au sénateur Joyal tantôt, c'est le tabac légal. Oui, eux en font partie à ce moment-là.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Votre organisation cherche-t-elle à être financée par l'industrie du tabac? Recevez-vous de l'argent de la part de l'industrie du tabac?

[Français]

M. Rouillard : Oui, ils participent à la coalition. Donc, oui, ils contribuent à la cagnotte, comme on dit.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Dans votre organisation, combien y a-t-il de cadres qui proviennent de l'industrie du tabac?

[Français]

M. Rouillard : Les membres de la coalition, si vous voulez, font un pot. Ils ont créé la coalition et ils m'ont nommé via une compagnie d'affaires publiques pour être le porte-parole et défendre les intérêts de la coalition comme telle. Là est mon rôle. Je ne rencontre pas directement ces gens. Nous, on leur propose un programme en matière d'information auprès du public, nous faisons des représentations auprès des élus, des gouvernements, pour justement aider à combattre la contrebande et aussi sensibiliser la population aux méfaits de la contrebande. C'est dans ce sens-là, tout simplement, que le travail se fait.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Je suis encore surprise que l'industrie du tabac participe à votre coalition.

Monsieur Scholten, je vous remercie de votre excellente explication de la situation des propriétaires de dépanneur et de petite entreprise qui ont de la difficulté à gagner de l'argent lorsque d'autres vendent du tabac de contrebande.

J'ai été très surprise que ce projet de loi soit présenté au moment même où le dernier budget prévoyait augmenter les taxes sur le tabac. Selon ce que j'ai lu et entendu, et ce que j'ai entendu ce matin, d'ailleurs, une hausse des taxes sur les produits du tabac rend la vente de tabac de contrebande encore plus lucrative. Les gens sont alors plus portés à en acheter, et si je ne m'abuse, les ventes de tabac de contrebande augmentent lorsqu'on augmente les taxes de vente sur le tabac vendu légalement. Qu'en dites-vous?

M. Scholten : Il y a un lien direct entre la hausse des taxes et l'augmentation des activités liées à la contrebande de tabac. C'est ce que nous voyons chaque fois que les taxes augmentent. Nos ventes diminuent, et selon nos discussions avec la GRC, entre autres, il y a une augmentation des activités liées à la contrebande. Alors, l'écart entre le prix du tabac vendu légalement et celui du tabac de contrebande est d'autant plus exagéré, et les consommateurs sont beaucoup plus susceptibles de se tourner vers le marché de la contrebande.

Voici le meilleur exemple que je puisse donner. Récemment, au Nouveau-Brunswick, nous avons rencontré le ministre des Finances dans le cadre de consultations prébudgétaires. Nous lui avons parlé des possibles hausses de taxes dans la province. Il a dit très clairement que les hausses de taxes imposées au Nouveau-Brunswick l'année précédente n'avaient pas généré de recettes fiscales supplémentaires pour la province. On a reconnu que cela était lié à une hausse des activités de contrebande qui a détourné tous les fonds.

La sénatrice Cordy : Parce que les provinces perdent toutes les recettes fiscales à cause...

M. Scholten : Oui, elles ne perçoivent pas de recettes fiscales à cause de la vente de produits de contrebande.

La sénatrice Cordy : Ce que j'ai lu correspond exactement à ce que vous avez dit aujourd'hui. Merci.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Je n'ai pas l'intention de répéter tout ce qui est contenu dans vos mémoires. Décidément, la contrebande du tabac est un véritable fléau ici, au Canada.

Nous avons présentement des lois en vigueur. Je remarque que vous accueillez bien, tous les deux, le projet de loi S- 16. Nous avons également des campagnes de sensibilisation. Selon vous, quelles autres mesures doit-on prendre afin d'éradiquer ce fléau une fois pour toutes?

M. Rouillard : C'est toute une question. J'ai entendu tantôt la même question vis-à-vis les corps policiers et ce n'est pas évident en soi.

Le sénateur McIntyre : Dans votre mémoire, monsieur Rouillard, vous parlez de solutions durables.

M. Rouillard : Une des meilleures façons d'avoir des solutions durables — et c'est vrai dans n'importe quel type de problématique —, c'est d'amener autour de la même table tous ceux qui sont touchés par ce fléau. Dans le mémoire, on parle aussi de travailler ensemble, aux niveaux fédéral, provincial et sur le plan des polices autochtones. Il faut que tous ces gens puissent travailler ensemble. On devrait même aller chercher directement les gens qui sont touchés par le phénomène. Par exemple, demander à des consommateurs pourquoi ils l'ont été, pour trouver des solutions qui vont pouvoir durer. Un peu comme on le fait dans une approche stratégique en résolution de problème. La même solution peut s'appliquer en ce qui concerne cette criminalité.

[Traduction]

Le président : Sur les feuilles que vous nous avez fournies, selon les données de 2013 concernant le nombre de cigarettes saisies dans certaines circonscriptions, je constate qu'il y a eu un nombre considérable de saisies cette année, et qu'un grand nombre ont eu lieu à Cornwall ou dans les environs, où se trouve un groupe de travail mixte censé s'attaquer à ce problème. Cela ne vous porterait-il pas à croire que les lois actuelles n'ont pas d'effet dissuasif, et qu'elles font seulement partie du prix à payer pour faire des affaires?

M. Scholten : Je suis tout à fait d'accord. Je crois que le surintendant Pardy a dit que la loi actuelle, la Loi sur la taxe d'accise, prévoit des amendes qui sont seulement perçues comme un prix à payer pour faire des affaires, et que cela n'a pas l'effet dissuasif nécessaire. En ce qui nous concerne, le problème se concentre à Cornwall, et pour atténuer le problème dans cette région, il faut augmenter les effectifs policiers et imposer des peines plus sévères.

Nous sommes aussi très préoccupés par la décision de déménager le poste frontalier de la région côtière de Cornwall pour l'établir à Massena. Lorsqu'on a déménagé le poste frontalier de l'île de Cornwall pour l'établir sur la côte, nous avons vu les ventes de tabac en vente légale augmenter presque instantanément, et la décision de déménager le poste frontalier de nouveau pour l'établir à Massena nous inquiète beaucoup, car nous croyons que cela rouvrira la frontière canadienne à la contrebande, qui a vraiment été délogée lorsque le poste frontalier a été déménagé sur la côte.

Le président : En avez-vous fait part au gouvernement?

M. Scholten : Nous l'avons fait.

Le président : Est-ce votre organisation qui a mené l'étude sur les mégots il y a quelques années?

M. Scholten : Oui.

Le président : Pourriez-vous en parler, car il s'agit d'étudier les effets sur les enfants en évaluant le nombre de mégots dans les cours d'école.

M. Scholten : Merci.

Nous menons des études sur les mégots partout au pays. Le procédé n'est pas très élégant. Nous faisons appel à des chercheurs indépendants qui vont dans différentes provinces pour recueillir les mégots à certains endroits comme les cours d'école, les immeubles de bureaux de la fonction publique, les établissements de santé et les endroits publics. Ensuite, ces mégots sont emballés et analysés dans un centre de recherche scientifique indépendant afin de déterminer quels sont les produits du tabac qui proviennent de la contrebande, et quels sont ceux qui sont vendus légalement. Grâce à ces études, nous avons pu déterminer que, selon les échantillons trouvés dans les cours d'école, un nombre considérable de produits du tabac proviennent de la contrebande. Par ailleurs, nous savons qu'il y a des gens qui conduisent des fourgons jusqu'aux écoles pour vendre du tabac aux jeunes. On rapporte aussi que des saisies sont faites dans des écoles, où des élèves entreposent du tabac de contrebande dans leur casier en vue d'en faire la vente. Nous trouvions que les études sur les mégots étaient une excellente façon d'expliquer le problème et de démontrer qu'il se manifeste dans les cours d'école de tout le pays.

Le président : Merci. Cela nous intéresse vivement.

La sonnerie retentit, mais il y a encore un certain nombre de personnes qui aimeraient poser des questions pendant la deuxième séance. Je demande à tous ceux qui ont des questions et à ceux qui y répondront d'être le plus bref possible.

La sénatrice Fraser : J'ai une question pour chacun d'entre vous.

[Français]

Monsieur Rouillard, quel est le montant total de votre budget, et quelle portion de ce budget vient de l'industrie du tabac?

M. Rouillard : Je n'ai pas cette information.

La sénatrice Fraser : Mais vous êtes directeur de l'association?

M. Rouillard : Non, je ne suis que le porte-parole.

La sénatrice Fraser : Vous êtes le porte-parole?

M. Rouillard : Oui.

La sénatrice Fraser : Est-ce que vous pourriez nous fournir ce renseignement?

M. Rouillard : Effectivement.

[Traduction]

La sénatrice Fraser : Monsieur Scholten, M. Rouillard a déjà dit que cela ne fait pas partie du mandat de votre groupe, mais en général, prenez-vous part à des campagnes antitabac? La solution définitive contre la contrebande de tabac, c'est d'éliminer le marché des cigarettes.

M. Scholten : Nous ne contribuons pas aux campagnes de cessation du tabagisme. Cependant, notre organisation permet de mettre en œuvre toute stratégie ou loi en matière de lutte contre le tabagisme. Les détaillants se conforment à toutes les mesures législatives mises en place pour prévenir la vente de tabac aux mineurs. Nous mettons en œuvre des interdictions relatives à l'étalage des produits du tabac, et il y a des mesures de vérification de l'âge qui doivent être prises.

La sénatrice Fraser : C'est ce qu'exige la loi.

M. Scholten : Oui, nous ne pouvons pas faire de publicité. Nous respectons toutes ces lois.

[Français]

Le sénateur Joyal : Monsieur Rouillard, nous avons été coupés lorsque vous vous apprêtiez à répondre à ma question à savoir comment vous voyez la situation en ce qui a trait au commerce illégal de tabac près des réserves. En vous basant sur votre expérience à titre d'ancien policier de la Sûreté du Québec, comment voyez-vous la situation?

M. Rouillard : La situation n'est pas simple. Ce que j'allais vous répondre à ce sujet, sénateur Joyal, c'est que les citoyens en sont conscients. Ils ne sont pas aveugles. Certains en tirent un bénéfice, si on peut l'appeler ainsi. Par contre, comme je disais plus tôt en réponse à une question posée par un autre sénateur, si on veut enrayer un problème, il faut amener tous les acteurs autour de la table. Sinon c'est toujours un versus un autre et on crée une « guerre ». La seule façon d'y arriver, c'est avec beaucoup d'informations.

Vous savez, on parle des réserves amérindiennes comme étant le noyau de la contrebande de cigarettes. Toutefois, nous sommes d'accord pour dire que tous les Amérindiens ne sont pas des contrebandiers. La plupart d'entre eux, j'ose espérer, souhaitent vivre dans un milieu honnête, où on respecte les lois et règlements de la société qui nous entoure. C'est là-dessus qu'il va falloir miser.

Bien sûr, on mise sur les forces policières — et on l'a vu plus tôt ce matin — et celles-ci font leur possible. Il faudra miser sur les gouvernements, que ce soit au niveau fédéral ou provincial. À ce titre, le gouvernement fédéral a un rôle majeur à jouer. Lorsqu'on parle des réserves amérindiennes, cela touche tout le Canada.

Je ne veux donc pas vous relancer la balle, mais il faudra un jour que quelqu'un prenne les choses en mains pour faire en sorte que la situation aille dans le bon sens. Le problème demeure, il est toujours difficile et chatouilleux. Vous l'avez constaté par les réponses des représentants de la PPO et de la GRC. Le problème est complexe. Il l'était il y a 20 et 30 ans et il l'est encore aujourd'hui.

[Traduction]

M. Scholten : Je voulais dire notamment que l'Institut Fraser et l'Institut Macdonald-Laurier ont préparé des études sur le tabac de contrebande. Dans les deux cas, on a établi certaines mesures qui pourraient être prises, mais celle mise de l'avant pour éradiquer complètement la contrebande de tabac, c'est l'élimination des taxes. Le gouvernement Chrétien l'a fait il y a plusieurs années, et la contrebande de tabac a aussitôt disparu complètement. Est-ce envisageable en ce moment, compte tenu notamment des problèmes de santé? Ce serait une décision très difficile à prendre pour n'importe quel gouvernement.

Le président : Merci, messieurs. Nous vous remercions infiniment de votre présence, et de votre contribution aux travaux du comité.

Nous reprendrons l'étude du projet de loi S-16 la semaine prochaine. Mercredi, il y aura encore trois panels. Nous prévoyons passer à l'étude article par article jeudi, pour ensuite aller de l'avant avec l'étude du projet de loi C-299.

(La séance est levée.)


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