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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 36 - Témoignages du 8 mai 2013


OTTAWA, le mercredi 8 mai 2013

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à qui a été renvoyé le projet de loi S-16, Loi modifiant le Code criminel (contrebande de tabac), s'est réuni aujourd'hui, à 16 h 19, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à mes collègues, à nos invités et aux membres du public qui suivent la séance d'aujourd'hui du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous sommes réunis aujourd'hui pour poursuivre notre étude du projet de loi S-16, Loi modifiant le Code criminel (contrebande de tabac). C'est la troisième séance que nous consacrons à ce projet de loi.

J'ai le plaisir de présenter au comité les membres du premier panel qui va commencer nos débats d'aujourd'hui : Rob Cunningham, analyste principal des politiques, Société canadienne du cancer, Michael Perley, directeur, Ontario Campaign for Action on Tobacco. Nous avons un troisième témoin sur notre liste, mais il n'est pas encore arrivé. Nous allons donc commencer.

Messieurs, bienvenue. Si vous voulez présenter des déclarations préliminaires, veuillez le faire.

Rob Cunningham, analyste principal des politiques, Société canadienne du cancer : Je m'appelle Rob Cunningham; je suis avocat et analyste principal des politiques pour la Société canadienne du cancer.

[Français]

Merci de me donner l'occasion de témoigner.

[Traduction]

Permettez-moi tout d'abord de souligner le rôle essentiel que joue l'augmentation des taxes sur le tabac dans la lutte contre le tabagisme, en particulier chez les jeunes qui ont peu de revenus. Il existe de nombreuses données et études qui confirment ce qui est évident, à savoir que, lorsque les prix augmentent, la consommation du tabac diminue. La contrebande compromet la santé publique ainsi que les recettes que les taxes élevées sur le tabac apportent à l'État; elle donne un accès direct à des produits bon marché et risque de faire problème, parce qu'elle empêche les gouvernements d'augmenter les taxes sur le tabac.

La contrebande que nous connaissons au Canada aujourd'hui ne s'explique pas par le montant des taxes prélevées sur le tabac, mais plutôt par la proximité de sources d'approvisionnement — les usines illégales qui sont situées sur quelques territoires en Ontario ou au Québec, ou à proximité. C'est là le cœur du problème.

La carte fiscale que je vous montre maintenant, qui vous a d'ailleurs été distribuée plus tôt, montre les taux d'imposition provinciaux et territoriaux du tabac dans les différentes régions du Canada. Vous pouvez constater que les taxes sur le tabac sont beaucoup plus élevées dans l'Ouest du Canada qu'en Ontario et au Québec, mais qu'il n'y a pas beaucoup de contrebande dans l'Ouest du Canada. Il se fait un peu de contrebande dans la région de l'Atlantique, mais ces provinces sont un peu plus proches des usines illégales.

L'industrie du tabac reconnaît que la contrebande a fortement diminué ces dernières années. Le deuxième document contient un graphique de la British American Tobacco qui indique que, pour l'ensemble du Canada, la contrebande représentait 17 p. 100 en 2006, 22 p. 100 en 2007, 33 p. 100 en 2008 et 19 p. 100 en 2010 après une très forte diminution. D'autres éléments indiquent que la contrebande a continué à diminuer depuis.

Le projet de loi S-16 favorisera les efforts déployés pour lutter contre la contrebande. Ce projet de loi est raisonnable et justifié. Le projet de loi S-16 crée un mécanisme nécessaire et essentiel qui permettra de réduire encore la contrebande, et ce, de façon permanente. Il accordera à la poursuite la possibilité de demander des peines plus sévères, notamment des peines d'emprisonnement. À l'heure actuelle, les amendes sont bien souvent considérées comme le prix à payer pour faire des affaires; en outre, bien trop souvent, les personnes condamnées à payer une amende n'en tiennent aucun compte et ne la paient jamais. Nous avons besoin d'introduire un élément dissuasif et le projet de loi S- 16 offre une nouvelle possibilité. Les peines que contiennent les dispositions actuelles sur la taxe d'accise sont tout à fait inefficaces.

Chaque année, on enregistre au Canada 37 000 décès attribuables au tabac, ce qui représente 47 fois le nombre total des homicides au Canada, qui s'élevait à 598 en 2011. En diminuant la contrebande et en continuant à augmenter les taxes sur le tabac, nous sauvons des vies et évitons que certains jeunes deviennent dépendants du tabac.

Il faut reconnaître que la contrebande est en partie une question qui touche la santé des Autochtones. Selon une étude, le tabagisme touche 59 p. 100 des membres des Premières Nations vivant dans les réserves, alors que la moyenne canadienne est de 17 p. 100. Les usines illégales fournissent aux Autochtones, jeunes et adultes, un accès direct à des cigarettes à bon marché, sans qu'ils aient à payer de taxes.

Il faut lutter contre la contrebande. Parallèlement, nous ne devons pas laisser l'industrie du tabac, et les associations qu'elle finance, utiliser la contrebande comme un outil de relations publiques pour s'opposer, comme nous l'avons constaté ces dernières années, aux autres mesures de contrôle de la contrebande du tabac qui sont nécessaires. Il convient de combiner le projet de loi S-16 avec d'autres mesures fédérales.

Premièrement, la GRC doit bloquer l'arrivée des matières premières, comme le tabac en feuilles et les papiers à cigarettes, parce qu'elles sont destinées aux usines illégales. C'est là l'élément clé. Il est inquiétant de constater qu'au cours des cinq dernières années, la GRC n'a pas adopté de stratégie pour lutter contre les usines illégales et qu'elle n'a pas obtenu de résultats dans ce domaine. Le témoignage qu'a livré au comité un représentant de la GRC la semaine dernière au sujet des matières premières est intéressant parce qu'il indique qu'il va se faire peut-être quelque chose dans ce domaine. Le projet de loi S-16 pourra également apporter un appui.

Deuxièmement, il est évident que le fait d'avoir déplacé le poste-frontière de Cornwall en 2009 pour le mettre à l'arrivée du pont à Cornwall a réduit la contrebande. C'est devenu un goulot d'étranglement dans les anciens trajets utilisés pour la contrebande. Une autre solution consisterait à mettre sur pied un poste-frontière avec deux points de contrôle : le premier à Massena, dans l'État de New York, et le second, à l'endroit où il se trouve actuellement à Cornwall. Cela se fait dans les aéroports canadiens pour les voyageurs internationaux qui arrivent et qui doivent passer par deux points de contrôle différents.

Troisièmement, il faudrait que le gouvernement fédéral persuade le gouvernement des États-Unis de fermer les usines illégales qui se trouvent du côté américain d'Akwesasne. Il faut adopter une stratégie globale pour lutter contre la contrebande et réduire le tabagisme.

Je vous remercie. J'ai hâte d'entendre vos questions.

Michael Perley, directeur, Ontario Campaign for Action on Tobacco : Monsieur le président, honorables sénatrices et sénateurs, je vous remercie de me donner la possibilité de présenter quelques remarques sur la lutte contre la contrebande du tabac et sur le projet de loi S-16. Je m'appelle Michael Perley; je suis directeur de l'Ontario Campaign for Action on Tobacco. Les groupes membres de notre association, l'Ontario Medical Association, la section de l'Ontario de la Société canadienne du cancer, la Fondation des maladies du cœur de l'Ontario et la Non-Smokers' Rights Association, travaillent ensemble depuis 1992 pour réduire le tabagisme dans la province de l'Ontario, et s'intéressent depuis quelques années à la question de la contrebande considérée comme un problème de santé.

Au cours des cinq dernières années, nous avons constaté que l'industrie du tabac et ses alliés détaillants en Ontario ont déployé beaucoup d'efforts pour convaincre les gouvernements que la contrebande du tabac est la seule question qui mérite qu'on s'y intéresse. Nous avons également constaté que le secteur des dépanneurs a régulièrement demandé à l'Ontario et au Québec de n'imposer aucune nouvelle taxe sur le tabac.

Hier, la National Coalition Against Contraband Tobacco a publié un rapport dans lequel elle citait une affirmation de la Fédération canadienne des contribuables selon laquelle, en Ontario, les gouvernements fédéral et provinciaux perdaient peut-être ensemble près de 1,1 milliard de dollars par an de recettes provenant des taxes sur le tabac. La NCACT soutenait également que la contrebande est un phénomène qui se développe de nos jours dans la région Atlantique du Canada et qui est en déclin au Québec.

Pour savoir quelle est l'ampleur réelle de la contrebande en Ontario aujourd'hui, il faut examiner les recettes et les montants des taxes provinciales sur le tabac. Les taxes provinciales représentent environ 30 $ par cartouche et les taxes fédérales environ 20 $ par cartouche en Ontario. Il en découle que l'impact de la perte annuelle de 1,1 milliard de dollars en recettes provenant de la taxe sur le tabac en recettes provenant de la taxe ontarienne sur le tabac devrait être supérieur à toute perte enregistrée par le gouvernement fédéral parce que l'impôt provincial perçu sur chaque cartouche est supérieur à l'impôt fédéral. Cela devrait apparaître dans les budgets de la province.

Les recettes provenant des taxes sur le tabac pour les dernières décennies montrent toutefois, sur le tableau de la page suivante qui est tiré directement de plusieurs budgets de l'Ontario, qu'aucune perte aussi importante n'a été enregistrée. Il est vrai que les recettes provinciales provenant des taxes sur le tabac ont quelque peu varié depuis 2002- 2003, mais cette variation a été modeste, en particulier depuis 2006-2007, année où la question de la contrebande a pris pour la première fois de l'importance.

Entre-temps, l'industrie du tabac fait, même si ses sociétés sont membres de la NCACT, des affirmations assez différentes au sujet de la contrebande. La société Philip Morris International estime que l'ensemble du marché légal au Canada en 2011 était de 8 milliards de cigarettes, soit une baisse par rapport aux 14 milliards de cigarettes pour 2009. En mai 2011, comme M. Cunningham l'a mentionné, la British American Tobacco, qui est la compagnie mère d'Imperial Tobacco Canada, a déclaré qu'entre le quatrième trimestre de 2009 et le quatrième trimestre de 2010, 5,5 milliards de cigarettes étaient passées du marché illégal vers le marché légal au Canada. Imperial Tobacco, de son côté, a transféré 2,9 milliards de cigarettes de ce volume vers le marché légal. Si les chiffres fournis par les sociétés productrices de tabac concernant le déclin du marché noir sont exacts, alors combinés aux chiffres budgétaires de l'Ontario, il semblerait que la contrebande n'est pas en augmentation dans la province, et qu'elle diminue probablement.

Sur un sujet connexe, que savons-nous du danger que la contrebande représente pour nos enfants, un aspect que l'industrie du tabac et ses alliés, les dépanneurs et les détaillants, soulèvent souvent? Les dernières données de l'Ontario nous donnent pourtant une image quelque peu différente de ce sujet. Si l'on compare les résultats des sondages sur la santé et la consommation de drogues parmi les élèves de l'Ontario en 2009 et 2011, effectués par le Centre de toxicomanie et de santé mentale, l'on constate que le taux global de tabagisme chez les étudiants ontariens est passé de 12 p. 100 en 2009 à 9 p. 100 en 2011. Ce sont là des chiffres globaux. Ce qui nous intéresse plus particulièrement aujourd'hui est que l'étude de 2009 montrait qu'environ 60 000 élèves ontariens avaient fumé du tabac de contrebande l'année précédente — ne serait-ce qu'une cigarette — mais que l'étude de 2011 montrait que ce chiffre était tombé à 37 600 élèves deux ans plus tard. Ce chiffre est certes encore trop élevé, mais la tendance est positive.

En Ontario, notre conclusion est que toutes les mesures visant à lutter contre la contrebande et le tabagisme ont pour effet de réduire, de façon générale, la contrebande touchant les jeunes et ont à peu près stabilisé les recettes provenant des taxes sur le tabac.

Premièrement, le gouvernement provincial a adopté divers programmes de lutte contre le tabagisme et a modifié ses politiques, notamment avec la Loi de 2006 favorisant un Ontario sans fumée et diverses mesures législatives interdisant certains produits du tabac aromatisés, de fumer dans des véhicules où se trouvent des enfants, ainsi que les présentoirs de cigarettes chez les détaillants. La province a également lourdement investi dans des campagnes invitant les fumeurs à cesser de fumer et axées sur le marketing social antitabac.

Deuxièmement, les autorités fédérales et provinciales ont pris, pendant cette période, diverses mesures d'application de la loi pour lutter contre la contrebande et tout récemment, avec le projet de loi 186 de l'Ontario, qui a été adopté en 2011. Dans le budget provincial de la semaine dernière, le gouvernement a promis d'autres mesures d'application de la loi et les budgets provinciaux correspondants ont été augmentés récemment.

Enfin, le règlement provincial imposant le contrôle de l'approvisionnement en tabac naturel en feuilles entrera en vigueur en 2014. Cela est particulièrement important parce que, depuis que j'ai préparé ces remarques, nous avons appris que la récolte de cette année passerait de 26 millions de livres qu'elle était il y a trois ou quatre ans à 62 millions de livres aujourd'hui. Plus la récolte est importante, plus il y a le risque qu'une partie se retrouve sur le marché de la fabrication illégale de cigarettes, de sorte que ce règlement sera très utile, même s'il n'est pas encore applicable cette année.

En Ontario, la contrebande est toujours un problème, mais son ampleur est certainement moindre que l'industrie du tabac et ses alliés détaillants voudraient vous le faire croire. Nous avons remarqué que le secteur de la vente au détail a récemment demandé au gouvernement de l'Ontario et au gouvernement du Québec de ne pas augmenter les taxes sur le tabac, sous aucun prétexte, une position qui est très proche de celle de l'industrie du tabac. Les producteurs de tabac et les détaillants savent très bien, tout comme les agences de santé, que les taxes sur le tabac constituent le moyen le plus efficace de réduire le tabagisme, un fait qui est établi depuis longtemps par des centaines d'études.

Pour résumer, nous allons continuer à suivre la question de la contrebande, mais il y a beaucoup de travail à faire du côté de la lutte contre le tabagisme. Nous pensons que, d'une façon générale, le projet de loi S-16 constitue un outil supplémentaire utile pour le gouvernement fédéral. Malheureusement, le gouvernement fédéral a réduit le budget affecté aux mesures antitabac — cela s'est produit l'année dernière au mois de mars — et à l'exception du renouvellement des avertissements qui doivent figurer sur les paquets de cigarettes et que nous attendons depuis trop longtemps, il ne semble pas, pour le moment, disposé à apporter d'autres modifications à ses politiques.

Le Sénat du Canada peut jouer un rôle critique pour élargir au-delà de la contrebande les questions touchant le tabac pour signaler les nombreuses mesures antitabac que le gouvernement fédéral pourrait adopter dans l'intérêt de tous les Canadiens.

Flory Doucas, codirectrice et porte-parole, Coalition québécoise pour le contrôle du tabac : Je vous remercie et je demande à mes collègues et à tous ceux qui sont ici de bien vouloir excuser mon retard. J'en suis désolée.

[Français]

C'est un privilège pour nous d'être ici aujourd'hui d'autant plus que la coalition a été fondée suite à la crise de la contrebande des années 1990. C'est en 1994 que les gouvernements ont consenti à la baisse des taxes au Québec, au fédéral et dans certaines autres provinces, et que les intervenants de la santé se sont ralliés pour dire que la science ne suffisait pas, qu'il fallait intervenir et avoir une voix dans les arènes politiques. C'est deux ans plus tard que des médecins, des professeurs et tous ceux qui s'intéressent à la santé et aux jeunes ont fondé la coalition.

Je ne veux pas retourner en arrière, mais c'est le même gouvernement qui propose le projet de loi S-16 aujourd'hui, qui avait négocié les ententes avec les contrebandiers et ceux qui avaient plaidé coupables à des chefs d'accusation de contrebande dans les années 1990. Sachez qu'aucun dirigeant de compagnie n'est allé en prison. On vous invite à la réflexion à ce sujet.

Si on mentionne le passé, ce n'est pas parce qu'on veut que le projet de loi S-16 ait des portées rétroactives, mais c'est pour vous dire qu'en ce qui concerne la contrebande, il y a encore beaucoup de désinformation de la part de l'industrie et de ses partenaires.

Comme le soulignait M. Perley, la baisse de la contrebande est fulgurante au Canada, et bravo! Bien que ce ne soit pas ce qu'on entende sur les tribunes publiques de la part des grands fabricants, de leurs partenaires ou des détaillants, des documents internes d'investisseurs abondent en citations qui félicitent le gouvernement de la baisse de la contrebande au Canada, et particulièrement au Québec, d'avoir mis de l'avant différentes interventions.

Je vous présente des portraits de présentations faites aux investisseurs par Philip Morris. Des communiqués semestriels et des rapports annuels de British American Tobacco corroborent les données que les grands fabricants remettent à Santé Canada et qui portent sur la vente des produits légaux.

On voit que les ventes au détail ont augmenté ces dernières années. Cela n'est pas surprenant, et cela se voit par les rentrées dans les coffres de l'État. On vous présente les données du budget au Québec qui montre que, depuis 2008, les revenus sont à la hausse, bien qu'on n'ait pas augmenté les taxes et que le taux de tabagisme, et donc le nombre de fumeurs, soit resté essentiellement le même.

Quels sont les cris d'alarme et pourquoi? Selon les rapports rendus publics cette année, les détaillants, dépanneurs et autres boutiques qui ont fait faillite, entre 2009 et 2011, ont repris le terrain perdu. Ce n'est pas des milliers qui ont fermé, mais plutôt 346, mais, par la suite, 347 ont ouvert. Déjà, il y a un gain.

Il y a beaucoup de propagande et de désinformation à propos de la contrebande. Pourquoi? La British American Tobacco, la compagnie mère d'Imperial Tobacco, fait campagne contre la contrebande, mais, malgré cela, la contrebande se poursuit. Pourquoi?

[Traduction]

La sensibilisation au commerce illégal de cigarettes a pour effet de réduire les augmentations de taxe.

[Français]

Toujours parler de la contrebande et en exagérer les propos a pour effet de freiner les gouvernements à augmenter les taxes et à contrôler le marché légal de façon plus générale. C'est ce qu'on voit dans les communiqués des fabricants comme ceux des détaillants. On répète régulièrement au gouvernement de prioriser la contrebande. On veut un gel de la réglementation. On ne veut pas un encadrement plus sévère sur les produits comme, par exemple, les produits aromatisés ou les cigarettes ultraminces pour les jeunes filles.

Au sommet de la dernière crise de contrebande, en 2008, les marques légales étaient les plus populaires chez les jeunes. Une enquête du Youth Smoking Survey auprès de plus de 50 000 élèves de la sixième à la 12e année montre que trois quarts des élèves disent fumer habituellement une marque provenant des grands fabricants parce que de se promener avec un sac en plastique, même si cela ne coûte pas cher, ce n'est pas très pratique ni très cool. Ce sont les beaux produits qui circulent sur le marché qui rendent encore le tabagisme attrayant chez les jeunes.

La coalition appuie le projet de loi S-16, mais elle se dit préoccupée par ce qui avait été dit la semaine dernière. Pour nous, il s'agit de laisser une marge de manœuvre pour les juges, surtout dans les cas où il n'y a pas de récidive. C'est pour nous un outil supplémentaire, certainement bienvenu pour lutter contre le crime organisé, mais on devrait garder en tête que, bon an mal an, 15 p. 100 des détaillants vendent à des mineurs au Canada. Selon les dernières inspections faites au Québec, 40 p. 100 des détaillants faisaient échec à la lutte en vendant à des mineurs.

Je conclus en disant que les cigarettes, qu'elles soient légales ou de contrebande, sont tout aussi dangereuses et souvent mortelles, pour résumer les conclusions de Santé Canada. Je vous remercie.

[Traduction]

La sénatrice Fraser : J'ai deux questions; nous allons donc vous demander d'y répondre brièvement parce que le président est très strict sur l'horaire.

Le document de la British American Tobacco, auquel, je crois, vous avez tous fait référence, parle du fait que les cigarettes illégales se retrouvent dans le secteur légal. Comment cela se fait-il?

M. Cunningham : Essentiellement, il y a une réduction du marché illégal, de sorte que les personnes qui fumaient des cigarettes illégales fument maintenant des cigarettes légales.

La sénatrice Fraser : Ce ne sont pas vraiment les cigarettes qui se déplacent?

M. Cunningham : Non.

La sénatrice Fraser : C'est un changement dans le marché.

M. Cunningham : Exact.

La sénatrice Fraser : Monsieur Cunningham, vous avez mentionné les fabricants de cigarettes illégaux du côté américain de la frontière près d'Akwesasne. Nous avons entendu un témoignage intéressant la semaine dernière, celui du chef d'Akwesasne. J'ai compris qu'il disait qu'à son avis, et selon le droit américain, il s'agissait là de fabricants de cigarettes légaux et que les Américains préféraient de loin accorder des permis de fabrication de cigarette à toutes sortes de personnes. Il estimait que, si ces usines étaient légales, comme il affirme qu'elles le sont dans la partie américaine de la réserve, alors elles sont légales. Pouvez-vous en dire davantage au sujet de la différence, à votre avis, entre légal et illégal?

M. Cunningham : Selon le droit fédéral des États-Unis, il faut être titulaire d'un permis fédéral pour exploiter une usine de fabrication de cigarettes. Il y a huit ou 10 usines du côté américain d'Akwesasne qui ne possèdent pas le permis fédéral exigé, de sorte qu'elles sont illégales. Les autorités américaines ont obtenu que certaines usines déjà en activité obtiennent un permis. Les autorités américaines reconnaissent que cela est légal.

La sénatrice Fraser : Leur approche a plutôt consisté à légaliser ces usines qu'à les fermer.

M. Cunningham : Non. Dans certains cas, ils ont bloqué l'approvisionnement en matières premières et ont rendu pour ces usines la poursuite de leurs activités très difficile sur le plan financier; à la suite de ces mesures, ces usines ont décidé de respecter la loi.

La sénatrice Fraser : En fin de compte, vous vous alignez, au sujet de ce projet de loi, avec les personnes qui ont adopté des positions que vous attaquez. Tous ceux qui viennent ici disent qu'ils sont en faveur du projet de loi. Vos positions de départ sont peut-être différentes, mais vous vous retrouvez finalement au milieu pour dire que vous aimez bien ce projet de loi. Est-ce bien cela?

M. Perley : Je pourrais peut-être répondre à votre question. Je ne suis absolument pas contre le fait qu'un gouvernement souhaite disposer d'un outil supplémentaire. Nous nous demandons toutefois si c'est bien sur ce point que nous devons faire porter nos efforts? Pour répondre à cette question, je dirais que non. Incriminer ce comportement et prévoir des peines minimales obligatoires sera peut-être utile à un moment donné, mais est-ce bien ce que nous devrions faire?

Prenons, par exemple, les campagnes de sensibilisation de la population. Les autorités canadiennes fédérales, régionales ou provinciales n'ont lancé aucune campagne de marketing social pour faire savoir aux citoyens canadiens, en particulier aux parents dont les enfants achètent ce genre de choses de temps en temps, ce qu'est exactement la contrebande et contrer les mythes qui l'entourent. Je pense que Mme Doucas a fait référence à l'étude de Santé Canada qui a été révisée en 2010 et qui indiquait, après avoir procédé à de nouveaux tests, que de l'avis de Santé Canada, les ingrédients toxiques que contiennent les produits légaux et de contrebande sont identiques. Cela est vrai malgré les annonces publiées par l'industrie dans le Hill Times et ailleurs; elle clame que ses produits sont — elle n'ose pas dire plus « sûrs » — réglementés et que leur qualité est contrôlée.

À notre avis, il y a beaucoup d'autres choses — notamment, inciter les adolescents canadiens à ne pas essayer la cigarette et donner aux personnes âgées l'aide dont elles ont besoin — que nous devrions essayer avant de proposer ce genre de mesure, même si ce genre de mesure peut être utile dans certaines circonstances.

Le sénateur White : Je suis un peu confus. Je ne conteste pas que l'éducation soit une chose utile; je pense qu'elle est utile lorsqu'il s'agit de dissuader les jeunes d'utiliser le tabac et d'autres substances. J'essaie toutefois de comprendre le commentaire qui a été fait au sujet d'obliger les organisations criminelles à rendre des comptes en criminalisant leurs activités, ainsi qu'au sujet de la possibilité de saisir leurs biens à titre de produits de la criminalité, ce que nous ne pouvons pas faire aujourd'hui de la même façon, et des sommes que pourraient retirer de tout cela les provinces, qui pourraient ensuite s'en servir pour informer la population, ce qui se fait en Ontario, par exemple. Ces mesures pourraient, de façon indirecte, avoir l'effet que vous souhaitez, mais il faudrait tout d'abord que nous érigions ce genre d'activités en infraction pénale prévue par le Code criminel du Canada plutôt qu'en infraction reliée à l'accise, qui a un effet tout à fait différent. Cela vous paraît-il utile de voir les choses de cette façon?

M. Perley : Cela serait utile. Cette mesure ne vise pas le marché, mais les personnes qui l'approvisionnent. Elle ne vise pas les utilisateurs.

Le sénateur White : C'est exact.

M. Perley : Toutefois, jusqu'ici, au Canada, aucun gouvernement n'a lancé ce que nous appelons une campagne de marketing social destinée à informer la population — certains pensent en effet encore que les produits de contrebande sont plus dangereux que les produits légaux, ce qui est tout à fait faux — au sujet des pénalités associées à la possession de contrebande. En Ontario, si vous avez sur vous des produits de contrebande qui sont visibles, ils peuvent être saisis. Nous pensons qu'avec le budget de la semaine dernière, les autorités peuvent émettre des contraventions semblables aux contraventions pour excès de vitesse aux personnes qui sont en possession d'une petite quantité de produits de contrebande, de sorte qu'on peut leur imposer sur-le-champ une sanction financière. Il y a de nombreuses autres mesures possibles.

Il n'y a pas eu de campagne d'information de la population au sujet de la nature de ces mesures ou des risques associés au tabac de contrebande. L'industrie du tabac et ses alliés en ont parlé, mais l'impression que nous retirons de nos conversations avec les agents d'application des règlements sur le tabac qui font partie des unités de santé publique en Ontario et qui se rendent dans les collectivités, c'est que les gens ne comprennent pas vraiment le lien qui existe entre le crime organisé et la contrebande.

Il y a quelques années, l'Agence du revenu du Canada a fait des essais, auprès de groupes cibles, sur des messages qui établissaient un lien direct entre le crime organisé et la contrebande. Cette campagne devait cibler les adolescents. Les résultats de ces groupes de consultation ont indiqué que les jeunes n'étaient pas du tout convaincus par cet argument, parce qu'ils n'achetaient pas leurs produits de contrebande auprès de membres du crime organisé, mais auprès de fournisseurs locaux.

Le sénateur White : Entre le milieu et la fin des années 1990, la lutte contre le tabac illégal par le biais de l'application de la loi a donné de bons résultats. Nous avons fait disparaître le tabac illégal au Canada en prenant des mesures d'application de la loi. Vous devez admettre que l'on pourrait également avoir un certain succès en 2013 en essayant la même chose contre les organisations criminelles.

M. Perley : Nous avons réduit le marché de la contrebande en réduisant les taxes sur le tabac.

Le sénateur White : Et par l'application de la loi. Nous saisissions tous les jours des camions qui amenaient du tabac à Terre-Neuve. Nous avons confisqué les camions à leurs conducteurs. C'est comme ça que nous avons réduit l'approvisionnement. Je ne dis pas que nous n'avons pas également diminué les taxes. J'espère que vous ne nous proposez pas de réduire le montant des taxes.

M. Perley : Certainement pas.

Le sénateur White : Si c'était le cas, alors je vous dirais que vous ne travaillez pas pour la bonne entreprise.

Le sénateur Baker : Cela est certain, parce que le code de la route provincial permet désormais aux policiers d'arrêter les véhicules même s'ils n'ont pas de motif précis pour le faire.

Monsieur Cunningham, êtes-vous bien l'auteur du livre Smoke & mirrors : The Canadian tobacco war?

M. Cunningham : Effectivement.

Le sénateur Baker : J'ai remarqué que les décisions québécoises y faisaient souvent référence.

Prenons une décision de la Cour fédérale, le Conseil canadien des fabricants des produits du tabac c. Canada (Ministre du Revenu national) rendue par le juge Russell. Une bonne partie de ce jugement portait sur la demande de consultation avec le gouvernement du Canada que vous aviez formulée. Il semblait assez courant que la Société canadienne du cancer ne soit pas consultée lorsqu'il s'agit de rédiger des règlements. La situation a-t-elle changé depuis? Estimez-vous que le gouvernement vous consulte maintenant davantage?

M. Cunningham : Nous sommes souvent consultés. Cette affaire remonte à quelques années. Il y a l'exemple récent du règlement à l'amiable qui a été négocié avec les grandes compagnies de tabac au sujet de la contrebande. Nous n'avons pas été consultés à ce sujet et c'était là des discussions très importantes qui ont débouché sur diverses mesures imposant de nouvelles obligations.

Je dois dire que Santé Canada nous consulte davantage lorsqu'il s'agit de mesures législatives visant le tabagisme plutôt que celles qui touchent la contrebande. Ces dernières années, il y a eu des consultations.

Le sénateur Baker : Félicitations, monsieur Cunningham, pour vos nombreuses comparutions devant les tribunaux au nom de votre organisation et de vous-même.

Monsieur Perley, ma deuxième brève question porte sur la dernière phrase de votre exposé. Que vouliez-vous dire dans cette dernière phrase?

M. Perley : Je pense que le Sénat du Canada pourrait jouer un rôle extrêmement utile, en qualité d'organisme délibératif, dans l'examen de la situation actuelle du tabagisme au Canada : la lutte contre le tabagisme est-elle efficace et prenons-nous à l'égard de l'industrie qui fabrique ce produit des mesures qui tiennent compte des données dont nous disposons? Avons-nous adopté suffisamment de mesures efficaces? Le gouvernement fédéral pourrait-il faire davantage?

Les emballages neutres constituent une autre mesure qu'il serait bon d'examiner. L'Australie va la mettre en œuvre et d'autres pays sont en train de l'étudier.

Le Sénat pourrait jouer un rôle utile de délibération et de consultation en tenant des audiences, par exemple. Les sénateurs pourraient peut-être également présenter leurs propres projets de loi, si cela est possible, de façon à favoriser un débat sur ces questions.

À l'heure actuelle, il semblerait que le gouvernement fédéral ne soit pas intéressé à agir, et il a ses raisons, mais nous aimerions que le gouvernement fédéral prenne des mesures beaucoup plus vigoureuses. Néanmoins, si la Chambre des communes ne se penche pas sur ces questions, le Sénat pourrait peut-être le faire, il jouerait ainsi un rôle utile en favorisant un débat sur ces questions. Il y a de nombreuses autres choses que nous pourrions faire, mais que nous ne faisons pas.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vous remercie de votre témoignage très instructif. J'ai une question sur un sujet : les taxes. Vous avez dit que, dans l'Ouest canadien, dans les Maritimes, la cigarette de contrebande semble être moins présente et que ce sont les provinces qui taxent le moins où la cigarette de contrebande est la plus élevée. Il n'y a pas de contradiction dans votre affirmation? Il devrait y avoir moins de cigarettes de contrebande en Ontario et au Québec ou si c'est la présence des contrebandiers qui est plus présente en Ontario et au Québec.

M. Cunningham : Je crois qu'il s'agit de la proximité de la population de l'Ontario et du Québec avec les usines illégales et les réseaux de contrebande.

Le sénateur Boisvenu : Donc, cela veut dire que la production de ces cigarettes ne semble pas traverser les frontières du Québec et de l'Ontario? On n'en retrouve pas dans l'Ouest canadien ou dans les Maritimes?

M. Cunningham : On en trouve un peu dans les Maritimes. Il y a aussi des usines illégales du côté américain d'Akwesasne. Dans l'Ouest du Canada, vous avez déjà entendu le témoignage selon lequel la contrebande n'est pas vraiment un problème.

Mme Doucas : En fait, le Québec et l'Ontario sont les deux seules provinces qui ont des territoires autochtones qui chevauchent la frontière, et c'est donc cela l'enjeu. Je vous dirais que le problème n'est pas aussi global qu'on peut le penser. En fait, le taux de contrebande est très différent en Ontario de celui du Québec. Le Québec est passé de plus de 30 p. 100, presque 35 p. 100 à maintenant 15 p. 100, de 2007 à 2011, et c'est, entre autres, parce que le Québec a montré un leadership important en implantant des mesures. Je dirais que, oui, les campagnes d'éducation servent. Cela fait partie de la boîte à outils. Toutefois, il y a certainement des mesures qui aident. Le Québec, depuis plusieurs années, a des contrôles sur les feuilles de tabac. Il faut remplir un manifeste pour l'entreposage, le transport, et cetera. Celui qui sème doit dire à qui il projette vendre ses feuilles de tabac en feuille. Il n'y a plus de tabaculteur au Québec. On pourrait facilement voir la même chose pour le papier et les filtres. Les provinces peuvent le faire et le Québec évalue déjà certaines mesures dans la machinerie, mais le gouvernement fédéral est beaucoup mieux placé pour avoir de telles mesures et voir au transport transfrontalier des équipements.

Le sénateur Joyal : Madame Doucas, le gouvernement du Québec a publié une étude en février 2012, que je vous montre, intitulée Étude des mesures pour contrer le tabac de contrebande. C'est une étude publiée par la Commission des finances publiques de l'Assemblée nationale à Québec. C'est une étude relativement récente, qui a moins d'un an.

[Traduction]

Je pense que M. Perley le sait sans doute.

M. Perley : Oui.

[Français]

Le sénateur Joyal : Il y a plusieurs recommandations à la page 26. Quelles sont, d'après vous, les recommandations les plus importantes de la brochette de recommandations proposées pour lutter contre le tabac de contrebande? Je ne vois pas de modifications au Code criminel sur les sentences comme le projet de loi que nous étudions uniquement. Il y en a une, cependant, qui vise à permettre aux policiers d'enquêter en vertu de l'article 40.1.1 de la Loi sur l'administration fiscale plutôt qu'en vertu du Code criminel exclusivement. Donc, vous ne sembliez pas mettre l'emphase, du moins, sur le renforcement des peines minimales obligatoires, comme M. Perley l'a mentionné, mais beaucoup plutôt sur une gestion plus large du phénomène. Pouvez-vous me dire quelles sont les recommandations les plus importantes de ce rapport?

Mme Doucas : En fait, il s'agit d'un rapport de la Commission des finances publiques où nous avions témoigné. On est heureux de constater que plusieurs de nos recommandations figurent parmi la brochette de ce qui est là. Il y avait deux choses; premièrement, que le poste frontière reste là où il est, parce qu'on a déjà les preuves que cela fonctionne; donc qu'il reste à Cornwall et ne soit pas déménagé du côté américain ou sur une route secondaire qui n'est pas passante. Il faut forcer les camions à passer par un poste. La deuxième mesure serait certainement les contrôles des matières premières. S'il y a une certaine hésitation à aller — on l'a entendu de la part des forces policières la semaine dernière — où les rivières sont utilisées par des gens armés, on peut certainement juguler l'approvisionnement des ressources. Il faut comprendre que les réserves en soi sont des lieux d'assemblage. Les matières arrivent là. On ne fait pas pousser tout le tabac et les filtres ne sont pas fabriqués là. Donc, l'une des façons pour nous qui serait extrêmement efficace, c'est d'agir en amont, en prévention et, au Québec, c'est une des orientations qui semble être plus privilégiée.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Connaissez-vous cette étude, monsieur Cunningham?

M. Cunningham : Oui.

Le sénateur Joyal : Avez-vous comparu à l'assemblée pour témoigner au sujet de cette étude?

M. Cunningham : Oui.

Le sénateur Joyal : Quelles étaient vos recommandations?

M. Cunningham : Nous avons présenté une série de recommandations. Dans cette affaire, il s'agissait du gouvernement québécois et non du gouvernement fédéral de sorte que nos recommandations étaient peut-être différentes de celles que nous avons présentées ici. Nous avons également parlé de matières premières et d'exercer des pressions sur le gouvernement fédéral pour qu'il mette en œuvre certaines recommandations à ce niveau.

Il y a également de meilleures mises en garde sur les paquets et sur les cigarettes, une mesure que le gouvernement fédéral avait déclaré, au milieu des années 1990, vouloir mettre en œuvre. Il a modifié la Loi sur l'accise pour attribuer le pouvoir de le faire par règlement. Cette approche n'a pas été mise en œuvre. Il y a toute une série de recommandations, mais je vous ai donné là que quelques exemples.

Le sénateur Joyal : Monsieur Perley, parmi les recommandations, la première est que le gouvernement négocie un accord conjoint avec le gouvernement de l'Ontario — et c'est la raison pour laquelle je le mentionne — avec le gouvernement américain et avec la Première Nation Mohawk pour mettre sur pied une commission mixte composée des cinq parties qui participent à la lutte contre la contrebande de tabac. Pensez-vous qu'il est possible de faire quelque chose du genre avec le gouvernement de l'Ontario?

M. Perley : Notre projet de loi 186, qui a été adopté il y a quelques années, accorde à la province le pouvoir de conclure des ententes officielles avec les bandes et les conseils des Premières Nations au sujet de la réglementation du tabac. Nous avons tous été surpris de voir cette mesure, parce que nous pensions que le gouvernement avait déjà le pouvoir de conclure des ententes de ce genre, des ententes officielles liant les parties, alors qu'il ne pouvait pas le faire en réalité.

Le projet de loi 186 nous a donné la possibilité de conclure au moins des ententes entre la province et les bandes. De notre point de vue local en Ontario, lorsque nous aurons conclu ce genre d'ententes avec leurs modalités, nous aimerions qu'elles s'étendent au Québec et aux États-Unis. Nous avons eu des discussions avec certains membres des services d'application de la loi de l'État de New York et du Bureau du tabac, de l'alcool, des armes à feu et des explosifs. Ils s'intéressent de plus en plus au genre de produits de contrebande qui se fabriquent à Akwesasne sur le côté des États-Unis et qui entrent en Ontario parce que ces produits commencent à apparaître dans l'État de New York.

Nous avons appris au cours des années que, lorsque les Américains s'intéressent à quelque chose de ce genre, ils s'y intéressent vraiment. Je pense que la situation a suffisamment évolué pour que ce genre d'entente à cinq parties paraisse davantage réalisable que cela ne l'était au moment où ces recommandations ont été présentées.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'ai trois courtes questions, les deux premières à M. Cunningham. Merci à nos trois témoins.

Dans votre présentation, vous mentionniez que les amendes étaient plus ou moins payées. D'où tenez-vous cette information?

M. Cunningham : C'étaient des discussions avec les autorités qui nous ont donné cette information.

Le sénateur Dagenais : Vous avez mentionné que la hausse de taxe aussi favorisait la contrebande. J'aimerais vous réentendre à ce sujet.

M. Cunningham : Non, je crois que je pourrais dire que nous avons l'exemple dans l'Ouest du Canada où les taxes sont plus élevées et le taux de contrebande est moins élevé.

Les taxes en Nouvelle-Écosse ont subi une augmentation de 10 p. 100 par cartouche et il y a eu une grande réduction de la contrebande. Nous pouvons atteindre ces deux objectifs.

Le sénateur Dagenais : Monsieur Perley, vous avez mentionné la mauvaise qualité de tabac utilisée pour le tabac de contrebande. Avez-vous des données à ce sujet?

M. Perley : Une étude a été faite par Santé Canada en 2010 qui a comparé les émissions toxiques provenant de la contrebande aussi bien que du produit légal. Ils ont comparé les constituants toxiques des deux et ont conclu que la toxicité des deux sortes de tabac était égale. Il n'y a aucune différence selon Santé Canada dans la toxicité des deux sortes de tabac.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Je remercie nos témoins du travail qu'ils font, non seulement celui qui touche la contrebande, mais également le tabagisme en général.

Monsieur Perley, vous avez parlé des lois australiennes ainsi que des emballages neutres, ce qui m'a beaucoup intéressée. Je n'avais jamais entendu parler de cela auparavant. Je dirais qu'un emballage neutre, c'est un emballage neutre. Pourriez-vous dire ce que c'est exactement et s'il est prouvé que cela peut aider?

M. Perley : Pour l'essentiel, l'emballage neutre est un emballage qui supprime sur les paquets de cigarettes toutes les couleurs, les logos, le lettrage et les autres marques distinctives qui permettent d'identifier certaines marques. Toutes les marques auraient simplement leur nom sur l'emballage, avec le même emballage de couleur neutre. La seule différence qui existerait entre les emballages serait le nom de la marque concernée.

M. Cunningham en sait beaucoup plus que moi à ce sujet, mais je crois savoir que l'emballage neutre est une mesure qui a été mise en œuvre en Australie malgré la vive opposition de l'industrie internationale du tabac et dont l'implantation va se poursuivre. La question a été soumise à la Cour suprême de l'Australie qui a donné une réponse favorable. C'est un exemple qui mériterait d'être examiné, parce que, si nous avons des mises en garde sur les paquets de cigarettes vendus au Canada, nous avons encore des emballages qui peuvent être identifiés en fonction de leur couleur, de leur lettrage et d'autres marques décoratives ou distinctives. Ces produits ressemblent encore à peu près, si je peux m'exprimer ainsi, à des produits de consommation normaux. Ils portent maintenant des mises en garde comportant de bonnes photos qui sont meilleures que celles qui existaient auparavant, mais nous savons que la recherche démontre que, lorsque les produits du tabac sont peu décorés et normalisés, en tant que produits de consommation, ils attirent moins les jeunes, en particulier. C'est ce que nous avons constaté avec l'interdiction des présentoirs de cigarettes en Ontario, puisqu'auparavant les enfants pouvaient voir des murs de cigarettes derrière les comptoirs des dépanneurs, ce qui leur laissait entendre que, d'après la recherche, ces produits ne pouvaient pas être vraiment nuisibles.

La sénatrice Cordy : Il n'y aurait alors aucune mise en garde sur les paquets?

M. Perley : Il y aurait une mise en garde au sujet du contenu toxique, mais aucune marque décorative.

La sénatrice Cordy : Voilà qui est bien. Je pensais qu'il n'y aurait rien sur un emballage « neutre ». Je pensais que nous avions beaucoup travaillé pour que ces mises en garde figurent sur les paquets de cigarettes et je me demandais ce que nous étions vraiment en train de faire?

Monsieur Cunningham, vous avez parlé du fait que le projet de loi S-16 devait se combiner à d'autres mesures fédérales et je suis d'accord avec vous. Auparavant, nous avons présenté des projets de loi sur le tabac de contrebande. Nous en avons présenté un sur le tabac aromatisé, et les compagnies l'ont en fait contourné et ont changé leur emballage et la taille de leurs cigarettes et cigarillos, que ce soit l'un ou l'autre. Je pense que nous sommes pratiquement revenus au point de départ avec le tabac aromatisé.

Vous avez mentionné un certain nombre de choses. Vous avez parlé des usines illégales et de la nécessité de mettre en place des postes frontaliers en consultation avec les États-Unis. Monsieur Perley, vous avez également parlé de marketing social et d'emballages neutres, aspect que vous avez expliqué. Vous avez également parlé de la participation des États-Unis. Quelle est donc la nature des consultations que le gouvernement a entreprises avec les États-Unis? Lorsque nous avons entendu la semaine dernière des témoins qui venaient de l'Ontario et du Québec, il leur semblait extrêmement important de travailler de concert avec les États-Unis pour mettre un terme à la fabrication de tabac illégal.

M. Cunningham : Il faut collaborer avec les États-Unis et je crois que nous pourrions être plus actifs dans ce domaine. Si la principale source de contrebande aux États-Unis était le Canada, vous pouvez imaginer combien les États-Unis insisteraient pour que notre gouvernement fasse quelque chose.

M. Perley : Puis-je ajouter un élément? Je crois que la question du poste frontalier est importante. Si cela se fait comme cela semble être prévu, cela pourrait être un grave recul pour nous. Il est dommage que nous n'ayons pas une carte du secteur, parce que c'est un peu compliqué, mais ce serait en fait la première fois qu'un poste de douanes et d'accise d'un pays étranger serait créé sur le territoire des États-Unis. Il faut que le Canada et les États-Unis concluent un traité pour le faire. Cela était proposé dans le Plan d'action Par-delà la frontière. Les négociations portant sur une entente visant la création de ce poste-frontière devaient être terminées en décembre de l'année dernière. Je ne sais pas où elles en sont à l'heure actuelle, mais je dirais que, si ce poste est déplacé et qu'il n'y a pas de poste secondaire au Canada, l'île de Cornwall, qui fait partie de la réserve d'Akwesasne, deviendra une zone libre qui permettra d'introduire des produits de contrebande dans des véhicules terrestres qui pourront alors se rendre à Cornwall aussi bien dans l'est et dans l'ouest. C'est un problème grave qui, apparemment, n'a pas été abordé. Je ne sais pas si l'ASFC a dit quelque chose à ce sujet, mais c'est un aspect qui inquiète beaucoup le gouvernement de l'Ontario, tout comme nous d'ailleurs.

La sénatrice Batters : Monsieur Perley, lorsque vous avez répondu à la question qu'a posée le sénateur Dagenais, vous avez apporté certaines précisions, mais je crois également que vous avez dit plus tôt qu'il était très mauvais de dire que le tabac de contrebande est plus dangereux que l'autre. Nous avons toutefois entendu des témoignages disant que le tabac de contrebande contenait des excréments et des substances toxiques. Je me demande si vous affirmez que cela ne le rend pas plus dangereux que le tabac normal.

M. Perley : Nous pouvons nous baser sur les analyses qu'a effectuées Santé Canada sur différents types de tabac de contrebande. Une série d'échantillons ont été testés. Ils ont été comparés à des échantillons du produit illégal, et nous n'avons aucune raison de croire que le tabac de contrebande que Santé Canada a analysé était différent du tabac que l'on retrouve dans la fabrication des cigarettes de contrebande. Santé Canada a dit que, pour l'essentiel, les substances toxiques étaient identiques.

Je crois que ce qui ressort du témoignage dont vous parlez, c'est que les compagnies essaient constamment de présenter le tabac de contrebande comme un produit plus dangereux sur différents plans, notamment l'application de la loi et le danger pour les enfants. La campagne qu'a lancée cette industrie s'appelle, comme l'a décrit le BAT, Argent, Crime, Enfants et Facilité. Je crois que ces compagnies essaient avec cette campagne — et je suis sûr que vous avez entendu les déclarations de l'industrie et de ses alliés — de présenter le tabac de contrebande comme un produit qui est plus dangereux que l'autre et qui pose également un problème d'application de la loi. Nous ne disposons d'aucune preuve qui le démontre. Il est possible que ce tabac contienne d'autres ingrédients, mais lorsque vous le faites brûler et comparez les résultats de la combustion avec le produit légal, vous constatez que les produits sont identiques.

La sénatrice Batters : Ne pensez-vous pas que le public a le droit de savoir, et peut-être qu'il faudrait faire davantage à ce sujet, pour ce qui est de la sensibilisation du public, que l'on retrouve couramment dans le tabac de contrebande des choses comme des excréments de rat.

M. Perley : Cela n'a pas été prouvé. Il a pu y avoir des déclarations en ce sens. Sur ce point, nous essayons de nous en tenir aux analyses qu'a effectuées Santé Canada. Les gens peuvent dire qu'on a trouvé diverses choses. Effectivement, on a trouvé diverses choses; je ne le conteste pas du tout. La plupart des produits de contrebande vendus dans la rue dans des sacs et d'autres formes de contrebande qui sont fabriqués par Grand River Enterprises et qui se retrouvent sur le marché du tabac de contrebande sont des produits emballés. C'est habituellement des produits en sac dont parlent les gens.

Nous ne savons pas vraiment si les produits fabriqués par GRE ou fournis hors taxe aux Premières Nations par les sociétés légales aux termes du système provincial d'allocation et ensuite revendus à ceux qui veulent les acheter, contiennent ces ingrédients; mais il est possible que ces sacs contiennent parfois ces ingrédients. En fin de compte, c'est toujours du tabac. C'est un produit toxique, qu'il soit de contrebande ou légal.

Le sénateur McIntyre : Il est évident que le marché du tabac de contrebande est un grave problème et qu'il faut faire respecter la loi. Plus je lis sur ce sujet et plus j'écoute les témoignages, et plus il me semble que l'application de la loi ne permettra pas à elle seule de supprimer cet énorme marché. Bien évidemment, il est essentiel d'informer et de sensibiliser la population dans le but de réduire la demande de tabac illicite.

Il y a eu toutes sortes de campagnes de sensibilisation de la population sur cette question, dont certaines ont été efficaces ou n'ont pas donné de résultat, même s'il existe des centaines d'études qui démontrent toutes qu'il existe un lien direct, non seulement entre la consommation de tabac et le cancer, mais également entre le tabac de contrebande et le crime organisé. Cette question me dépasse. Qu'en pensez-vous?

M. Perley : Si vous le permettez, je dois dire que je ne souscris pas à l'idée qu'on a lancé de nombreuses campagnes d'éducation, en Ontario du moins. Il y en a peut-être eu dans d'autres provinces, mais en Ontario, qui est notre territoire, cela fait des années que nous demandons au gouvernement de lancer des campagnes de ce genre. Nous leur avons remis des propositions selon lesquelles nous nous portions volontaires pour nous occuper de ces campagnes. Les campagnes décriraient le produit et essaieraient de dissiper certains mythes qui l'entourent, en parlant aux gens des liens qui le relient au crime organisé et en informant la population en lui faisant savoir que, du point de vue de la santé, c'est une question grave. Jusqu'ici, le gouvernement provincial n'a rien fait, et le gouvernement fédéral n'a rien fait non plus. Je ne pense pas que le gouvernement du Québec se soit occupé d'informer la population.

Nous avions l'occasion de débusquer les mythes qui entourent les produits de contrebande et de parler aux gens des peines et des risques qu'ils courent lorsqu'ils les achètent et de ce qu'ils font aux services d'application de la loi dans ce pays en achetant ce genre de chose, mais nous ne l'avons pas fait. Cela ne s'est pas produit. Si nous pouvions au moins commencer ainsi, le public serait informé de façon différente et appuierait davantage certaines mesures de lutte contre le tabagisme qui aideraient à réduire la demande de ce produit, qu'il soit légal ou de contrebande.

Le sénateur Joyal : Aucun d'entre vous n'a mentionné la prolifération des cabanes de vente de tabac qui sont, à mon avis, en tant que personne extérieure à vos préoccupations quotidiennes, une des principales sources d'approvisionnement. Il est vraiment étonnant qu'aucun des témoins n'ait abordé cette question et n'ait présenté de suggestion sur la façon d'en limiter le nombre et de les réglementer. C'est la principale chaîne d'approvisionnement sur le marché libre.

M. Cunningham : Dans l'Ouest, il n'y a pas de cabanes où l'on vend du tabac. En Ontario et au Québec, la situation historique est différente et nous essayons de contrôler les cigarettes avant qu'elles se rendent dans ces cabanes. Il faut contrôler les usines illégales et les matières premières avant qu'elles n'arrivent dans ces usines. C'est la façon la plus efficace de régler ce que vous qualifiez de problème très réel.

M. Perley : Je suis tout à fait d'accord. Il y a également une chaîne d'approvisionnement très importante qui ne passe pas par les cabanes de vente de tabac. Je connais plusieurs endroits en Ontario où l'on trouve les fins de semaine des remorques de 18 roues qui ouvrent leurs portes. Les gens arrivent à 8 heures le dimanche pour passer leur commande. Lorsque le service de police local, ou la PPO, a connaissance de ces remorques, il s'y rend. S'il n'en entend pas parler, les camions arrivent et repartent. Ce genre de chaîne d'approvisionnement va bien au-delà des cabanes de vente. Ces cabanes représentent effectivement un problème, mais elles sont toutes situées sur les réserves. Il faut que ce soit le service de police mohawk qui le ferme parce que nos propres services de police ne peuvent le faire.

M. Cunningham : J'aimerais remercier le service de police d'Akwesasne sur le côté canadien ainsi que le conseil d'Akwesasne pour l'appui et la collaboration qu'ils ont accordés aux autorités québécoises, ontariennes et fédérales.

Pour revenir à ce dont parlait le sénateur White, une bonne partie de la situation concerne la rentabilité. S'il est possible d'aborder ces choses, que ce soit par le biais des produits de la criminalité, de bloquer l'activité économique en empêchant l'accès aux matières premières, cela serait une des meilleures façons de régler ce problème.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Êtes-vous au courant de l'étude menée en 2011 par le Center for Regulatory Effectiveness? Ce centre a fait effectivement la même étude et pas seulement du côté canadien. Selon cette étude, les cigarettes illégales contiendraient jusqu'à 30 fois plus de métaux cancérigènes que les cigarettes légales. On parle entre autres de l'arsenic, du mercure et du plomb, où le taux serait de deux à 10 fois supérieur. Êtes-vous au courant de cette étude?

Mme Doucas : Je le suis. La cigarette est dangereuse de façon inhérente. On parlait d'excréments de je ne sais quoi. Dans les faits, la cigarette contient du poison tel le rodenticide et le polygonum. On peut s'empoisonner avec une demi- bouteille ou trois quarts d'une bouteille de cyanure. Santé Canada nous dit que, malgré les différences à certains niveaux de contaminants, ce sont les produits légaux qui contiennent le plus de substances cancérigènes. La fumée pose donc le même risque pour les individus.

L'enjeu est crucial lorsqu'on parle de faire des campagnes de sensibilisation par rapport à la question de la dangerosité. Le message pervers que l'on risque d'envoyer est qu'une cigarette peut être meilleure que l'autre, alors que ce n'est pas le cas. Dans les faits, les deux vont tuer et posent les mêmes risques.

[Traduction]

Le président : Nous remercions les témoins d'être venus participer aujourd'hui à nos délibérations. Nous l'apprécions beaucoup.

Notre prochain groupe de témoins comprend Jean Daudelin, professeur associé à l'Université Carleton et Nachum Gabler, économiste. Je pense que vous souhaitez tous les deux présenter des déclarations liminaires.

Jean Daudelin, professeur associé, Université Carleton, à titre personnel : Merci de l'invitation. Mon témoignage est fondé sur une étude qui a été commandée par le Macdonald-Laurier Institute, étude que vous avez peut-être vue et que j'ai effectuée avec Stephanie Soiffer et Jeff Willows, deux étudiants de troisième cycle qui travaillent avec moi à Carleton.

[Français]

J'ai écrit le texte en anglais, mais je serai heureux de répondre aux questions en français.

[Traduction]

La contrebande de tabac a des répercussions importantes sur la sécurité. Nous avons isolé six façons dont ce phénomène peut toucher la population et la sécurité nationale du Canada. Le premier moyen vient du fait qu'il n'est pas possible de demander aux services d'application de la loi et aux institutions judiciaires qui garantissent normalement une certaine sécurité dans les activités économiques normales de protéger la production, la contrebande elle-même et la vente de produits du tabac de contrebande, ainsi que d'assurer l'exécution des nombreux contrats nécessaires à cette activité. On n'appelle pas la police lorsqu'un sac de cigarettes a été volé. La protection et le respect des contrats s'appuient alors sur des mécanismes informels et en fin de compte, sur le recours à la violence ou la menace de le faire.

La deuxième façon est que la contrebande de tabac illégal entre le Canada et les États-Unis, l'Europe de l'Est ou la Chine fait appel à toute une série de personnes et d'organisations, que l'on peut se représenter ultimement comme un conduit. Ce conduit peut être utilisé pour transporter du tabac, mais également des marchandises comme des armes, de la drogue et autres substances contrôlées, ainsi que des migrants illégaux.

La troisième façon vient du fait qu'il est très difficile de mettre un chiffre sur ces activités illicites. En me fondant sur les données disponibles, mon équipe a calculé que le revenu brut généré au Canada par le tabac illégal pourrait représenter entre 350 et 400 millions de dollars, ce qui donnerait des bénéfices de 75 à 80 millions de dollars. Une partie de cet argent doit être réinvesti et d'autres activités illégales constituent une option intéressante, étant donné que le blanchiment d'argent par le truchement de gros investissements dans l'économie légale peut être découvert par les services de police.

La quatrième façon est qu'il est possible de détourner une partie des bénéfices provenant de la vente de tabac illégal vers des organisations terroristes.

La cinquième est qu'une grande partie des activités de contrebande, de production et de vente de tabac de contrebande sont exercées sur des réserves des Premières Nations où ces activités jouissent d'une large légitimité, même si ce n'est pas le cas de leurs répercussions criminelles. Si les autorités décidaient de faire respecter la loi de façon agressive, cela pourrait susciter des confrontations et même, une perte de contrôle réel sur ces territoires.

La sixième façon est que la plus grande partie du trafic du tabac illégal s'effectue à proximité de la frontière canado- américaine et sur celle-ci, en particulier dans ce qu'on appelle le corridor de la 401 entre Brantford à l'est de Hamilton — Six Nations — et Montréal. Si les autorités américaines estimaient que ces activités compromettaient la sécurité de leur pays, elles pourraient intensifier les contrôles exercés à la frontière, ce qui aurait un effet négatif sur la circulation des personnes et des biens à la frontière, circulation dont le Canada dépend davantage que les États-Unis.

Ce sont là les façons théoriques. Nous avons obtenu des éléments qui indiquent que toutes ces façons jouent dans le cas qui nous occupe, sauf l'aspect qui concerne le terrorisme. Nous avons toutefois constaté que le problème n'a pas atteint une grande ampleur. La violence reliée aux infractions collatérales directement associées au tabac de contrebande commises pour assurer le respect des contrats a été limitée. L'analyse des saisies effectuées par l'ASFC montre que la contrebande n'est pas très diversifiée, c'est-à-dire, qu'il n'y a pas beaucoup de drogues, d'armes et d'autres marchandises illégales qui sont mélangées avec le tabac de contrebande. Nous n'avons pas non plus constaté que de grandes organisations criminelles, et je souligne « grande », étaient directement impliquées dans ces activités, au moins depuis septembre 2001. Comme cela a été mentionné, nous n'avons trouvé aucun lien entre le tabac de contrebande et le financement d'organisations terroristes au Canada.

Enfin, certaines autorités locales américaines et dirigeants d'institutions publiques américaines affirment qu'un trafic des drogues à grande échelle est associé à la contrebande du tabac sur les réserves mohawks, en particulier autour de Cornwall; nous avons trouvé peu d'éléments susceptibles d'étayer cette affirmation. En outre, les évaluations générales du risque effectuées par le gouvernement américain montrent que ce secteur n'est pas une cause importante d'insécurité. Autrement dit, le régime actuel semble contrôler la plupart des dangers associés à la contrebande du tabac.

Pour ce qui est des répercussions des changements envisagés et que vous examinez ici, à savoir le projet de modifier le Code criminel, en vue d'imposer des peines minimales pour les violations répétées de l'interdiction de la vente, du transport, de la livraison, de la distribution et de la possession aux fins de vendre des produits du tabac illicites, je ne suis pas certain que cette mesure aura pour effet de réduire le niveau général — et je souligne « niveau général » — de l'insécurité découlant du tabac illégal, pour trois principales raisons.

La première est que l'imposition de peines obligatoires atténuerait les différences qui existent à l'heure actuelle entre les peines imposées pour le tabac et celles qui le sont pour d'autres marchandises illégales; ceci aurait pour effet d'inciter à utiliser à d'autres fins le réseau mis sur pied pour la contrebande. Dans la situation actuelle, il faut choisir entre un produit qui procure de bons bénéfices et est passible de sanctions peu sévères — le tabac — et d'autres produits qui sont plus rentables, mais qui sont associés à un risque plus élevé et à des peines beaucoup plus fortes, en particulier avec les changements introduits récemment dans le Code criminel. À notre avis, c'est ce qui explique le niveau assez faible de violence, de contrebande mixte, ainsi que la faible utilisation du réseau de contrebande pour des produits autres que le tabac. La nouvelle disposition risque de rendre plus attrayante la contrebande de produits ayant une valeur plus élevée.

Les deux autres risques associés à ces changements découlent du fait que l'application de cette loi toucherait principalement les collectivités de la Première Nation qui vivent dans le corridor de la 401 où est concentrée la plus grande partie de l'industrie du tabac de contrebande. Une telle application de loi sera considérée comme un affront direct parce que, je le répète, ces collectivités estiment que la production, le transport et la vente de tabac de contrebande sont, dans l'ensemble, des activités tout à fait légitimes. Si les services de police essaient de contrôler les autres utilisations qui sont faites du réseau de contrebande, à savoir pour les drogues, les armes ou les personnes, cette opération risque de devenir beaucoup plus difficile, dans la mesure où les services policiers ne bénéficieront plus de la bonne volonté et de la collaboration de la collectivité, comme c'est le cas actuellement. Le service de police mohawk, en particulier, risque de se retrouver dans une situation extrêmement délicate.

Enfin, on ne peut exclure la possibilité d'une confrontation directe avec les collectivités si ces nouvelles mesures étaient appliquées strictement, ce qui compliquerait et menacerait gravement le contrôle d'une zone frontière stratégique.

En conclusion, je pense qu'il est très préférable d'entamer un dialogue avec les collectivités mohawks au sujet de la légalisation de la production et du commerce du tabac par les Premières Nations, d'un partage de la fiscalité, du développement économique dans et autour des réserves, ainsi qu'au sujet d'une application adaptée de la loi, comme cela se fait actuellement dans cette zone plutôt que d'aggraver les sanctions reliées au tabac de contrebande.

Nachum Gabler, économiste, à titre personnel : J'aimerais commencer par remercier les honorables membres du comité sénatorial de m'avoir donné la possibilité de témoigner au sujet du projet de loi S-16 et de vous communiquer certaines idées au sujet des politiques qui pourraient être adoptées pour atténuer le problème du tabac de contrebande au Canada.

Le tabac de contrebande pose un grave défi aux responsables de la santé publique et des services de police, aux partisans de la lutte contre le tabagisme et aux petits établissements de vente au détail qui vendent du tabac légal. En fait, le tabac de contrebande est surtout un danger pour la population canadienne.

En outre, la distribution du tabac de contrebande a beaucoup augmenté depuis une dizaine d'années. Il me paraît donc impératif que les décideurs canadiens prennent des mesures pour lutter contre ce problème urgent. Malheureusement, je pense que le projet de loi à l'étude reflète une mauvaise approche à la lutte contre la contrebande du tabac. Le but apparent du projet de loi est d'introduire des peines obligatoires et de renforcer les sanctions préexistantes à l'égard des récidivistes qui exercent diverses activités reliées à la distribution du tabac de contrebande.

La raison pour laquelle la gravité de la peine infligée aux personnes qui font la contrebande du tabac a été renforcée repose sur l'idée que la modification de l'équation coût-bénéfice affaiblira la motivation de ceux qui distribuent le tabac illégal, et qui souhaitent exercer ce qui serait autrement un commerce lucratif sur le marché noir. Je pense que cette raison ne tient pas et que les sanctions contenues dans le projet de loi S-16 vont s'avérer inefficaces, inutilement coûteuses si le but réel du projet de loi est bien de réduire l'ampleur du commerce du tabac illégal.

Comme toutes les autres activités commerciales, la contrebande du tabac résulte de l'interaction entre l'offre et la demande. Il y a une demande pour le tabac illégal et ceux qui peuvent fournir le tabac illégal et répondre ainsi à cette demande ont la possibilité de faire de l'argent. Ceux qui fournissent le tabac de contrebande doivent prendre en compte les coûts de fonctionnement habituels ainsi que le coût que représente une sanction pénale. Le coût des sanctions pénales dépend cependant à la fois de la gravité de la peine et de la probabilité de la sanction.

Le criminel qui sait que la peine associée à l'infraction qu'il va commettre est sévère, mais qui croit également que la probabilité qu'il soit arrêté est suffisamment faible, aura quand même tendance à exercer son activité délinquante parce que le coût des sanctions pénales est dans son ensemble faible, à cause de la très faible probabilité d'être arrêté par les services de police. Si la probabilité que les criminels soient traduits devant les tribunaux est très faible, la gravité de la peine dont ils sont passibles perd toute son importance.

De plus, l'augmentation de la sévérité des peines infligées à ceux qui vendent du tabac de contrebande aura peu d'effets sur l'ensemble des forces qui déterminent la contrebande du tabac. Cette politique ne fait rien pour réduire la demande de tabac. Du côté de l'offre, il y aura une augmentation du coût de distribution du tabac de contrebande et un rétrécissement des marges bénéficiaires. Il est toutefois peu probable que cette politique ait pour effet de supprimer tous les bénéfices potentiels et les criminels entrepreneurs seront encore incités à distribuer le tabac de contrebande.

Sur ce point, je comparerais les politiques de contrôle de la contrebande de tabac proposées avec le projet de loi S-16 avec le recours aux peines minimales obligatoires pour réduire le trafic de drogues illégales. Sans m'écarter trop du sujet, je ferais tout simplement remarquer qu'il existe de nombreuses études ainsi que des données empiriques qui démontrent l'inefficacité des sanctions pénales en général et des peines minimales obligatoires en particulier, si l'on veut décourager à la fois l'utilisation des drogues et leur vente. Il n'existe guère de preuves empiriques convaincantes qui démontrent, à mon avis, que l'utilisation de peines minimales obligatoires réduit réellement la récidive.

Le professeur de politiques publiques de l'UCLA, M. Mark Kleiman, a présenté des études particulièrement intéressantes qui discréditent l'idée que l'aggravation des sanctions pénales imposées aux utilisateurs et aux vendeurs de drogue, ainsi qu'aux auteurs d'autres crimes reliés au vice donne des résultats. M. Kleiman soutient que c'est la certitude de se voir imposer rapidement des sanctions pénales telle que perçue par les contrevenants potentiels qui risque davantage de les dissuader d'adopter un comportement délinquant que la simple aggravation des peines. Sans augmentation de la probabilité que la peine sera effectivement imposée, les criminels rationnels qui peuvent profiter de leurs activités lucratives actives sur le marché noir ne seront guère dissuadés de les exercer, quelle que soit la sévérité des sanctions encourues. Ce raisonnement vaut également pour la distribution du tabac de contrebande.

Compte tenu de ces réflexions, j'estime que le projet de loi S-16 n'aura pas un effet sensible sur le commerce du tabac de contrebande avec le Canada. Les initiatives axées sur l'application de la loi sont importantes si l'on veut préserver l'ordre public, mais je ne pense pas qu'augmenter la gravité des peines infligées aux individus condamnés pour distribution de tabac de contrebande ou pour des infractions connexes est une stratégie efficace si le but est de réduire la contrebande du tabac.

Au lieu d'adopter une approche axée sur l'application de la loi comme le propose le projet de loi S-16, j'aimerais vous proposer une autre stratégie de lutte contre la contrebande du tabac. Pour réduire le commerce de tabac de contrebande, les décideurs devraient envisager de prendre des mesures qui auront simultanément pour effet de réduire tant la demande que l'offre de tabac de contrebande. À la lumière de cet objectif plus ciblé, j'aimerais proposer une politique qui aurait probablement pour effet de réduire la demande de tabac de contrebande et une seconde qui viserait à limiter l'offre de tabac de contrebande.

Le président : Monsieur Gabler, désolé de vous interrompre, mais j'aimerais savoir exactement si vous en avez encore pour longtemps parce que nous avons des contraintes de temps à respecter, comme cela vous a été mentionné. Je me demande si vous pourriez terminer dans les deux minutes qui suivent pour que les membres du comité puissent vous poser des questions.

M. Gabler : Je vais résumer mon exposé rapidement.

Du côté de la demande, ma suggestion consisterait à réduire la taxe d'accise sur le tabac, parce que je pense que c'est là la principale raison pour laquelle les fumeurs veulent se procurer du tabac de contrebande. Cette taxe permet également aux distributeurs de tabac de contrebande de vendre leurs produits à des prix bien en deçà du prix de détail légal. Pour réduire la demande de tabac, je pense qu'il faudrait envisager d'adopter une politique visant à réduire partiellement ou légèrement les taxes d'accise sur le tabac, comme celle qui a été mise en œuvre en 1994.

Du côté de l'offre, je crois qu'il faudrait légitimer la partie de la contrebande du tabac qui est contrôlée par les membres des collectivités des Premières Nations. Il convient en effet de légitimer la distribution du tabac dans les réserves des Premières Nations, puisque c'est dans le corridor de la 401 que provient la plus grande partie du tabac de contrebande. Ma suggestion consisterait à communiquer avec les Premières Nations et à les inviter à conclure des ententes fiscales, des ententes de partage fiscal qui leur permettraient d'augmenter le prix du tabac de contrebande vendu sur la réserve, de façon à réduire l'écart qui existe entre celui-ci et le prix de détail des cigarettes vendues à l'extérieur de la réserve, ce qui ferait disparaître les cigarettes offertes sur le marché noir.

Le président : Je vous remercie.

Le sénateur White : J'ai aimé votre commentaire, M. Daudelin, sur le fait de trouver le moyen de travailler de concert avec les collectivités des Premières Nations en particulier. Je crois qu'il y a eu, en 1999, une entente de conclue entre le gouvernement du Québec et une des collectivités frontalières — Kahnawà:ke — je pense, qui aurait eu pour effet de leur attribuer les recettes, ou les taxes imposées aux vendeurs de tabac illégal qui ne sont pas membres d'une Première Nation, mécanisme qui aurait été jugé illégal auparavant; mais cette entente n'a jamais été mise en œuvre. Toutefois, l'entente signée il y a 14 ans n'a pas eu pour effet de réduire l'ampleur du phénomène du tabac illégal. Si cela avait été le cas, elle aurait fait remonter le prix du tabac de contrebande à un niveau proche de celui du tabac légal.

J'essaie de réfléchir à la façon dont nous pourrions le faire. En fin de compte, si le prix était aligné sur celui du tabac légal, les gens achèteraient le tabac légal, tout comme nous l'avons constaté pour l'alcool, sur la côte Est d'où je suis originaire, lorsque les prix de l'alcool de contrebande se rapprochaient du prix de l'alcool légal. Les gens ont tout simplement cessé d'en acheter. J'essaie de comprendre comment cela pourrait fonctionner.

M. Daudelin : Il faudrait que les prix soient à un niveau très bas.

Il existe trois principaux obstacles à la conclusion d'ententes fiscales avec les Premières Nations. Le premier est de nature politique. De nombreux dirigeants, et en fait, il semble que ce soit une opinion largement répandue dans les collectivités autochtones, estiment que les Premières Nations n'ont pas à s'occuper de percevoir les taxes pour quelqu'un d'autre. C'est une raison politique.

La deuxième raison est économique. L'augmentation des taxes entraîne une diminution de la part de marché qui n'est pas accompagnée par une augmentation significative des bénéfices.

Troisièmement, une étude effectuée par l'Institut sur la gouvernance, qui est situé ici à Ottawa, a porté sur cette question. Il ressort de cette étude que les Premières Nations craignent que le fait d'obtenir directement des recettes ait pour effet d'affaiblir l'obligation fiduciaire qu'a le gouvernement fédéral envers leurs collectivités et donc, de compromettre leurs revendications visant d'autres ressources susceptibles d'être fournies par le gouvernement fédéral. Je crois qu'il existe une possibilité dans ce domaine, mais elle est très mince.

Le sénateur White : Dans le même sens, je dirais qu'un certain nombre de Premières Nations de la Colombie- Britannique en sont arrivées au point où elles perçoivent les taxes sur la réserve avec ou sans entente, tout en négociant de façon très efficace. Pensez-vous que cette crainte soit justifiée ou que c'est simplement une crainte superficielle?

M. Daudelin : Je pense qu'il y a une possibilité, mais il ne faudrait pas l'exagérer.

Pour ce qui est du fond de la question, les conversations informelles que j'ai eues avec des dirigeants mohawks m'ont indiqué qu'ils constataient déjà un affaiblissement de l'obligation fiduciaire du gouvernement fédéral, de sorte qu'ils examinaient d'autres options et seraient peut-être plus ouverts à d'autres solutions.

Le sénateur White : Cet aspect n'est pas relié aux taxes; il est relié à la relation générale.

M. Daudelin : La relation générale, mais cela a un effet sur leur attitude face à la possibilité de percevoir les taxes sur les cigarettes.

Le sénateur White : Il est possible qu'ils ferment les yeux sur les activités criminelles exercées sur leur territoire.

M. Daudelin : C'est une autre question.

Le sénateur White : C'est peut-être également une raison.

Le sénateur Joyal : J'ai le texte de l'entente de 1999 entre les mains. La taxe proposée visait un objectif très simple, à savoir qu'une personne était chargée de percevoir les taxes et que le gouvernement en remettait une partie à la bande pour le rôle qu'elle jouait dans la perception de ces taxes et bien entendu, pour montrer également que la bande avait le droit de recevoir cette taxe.

Il y avait là, je crois, un élément d'une solution permanente à ce problème. C'est ce que j'ai entendu dans votre conclusion. Vous l'avez proposé dans vos remarques.

Monsieur Gabler, vous faites la même suggestion dans plusieurs de vos études. Vous connaissez ce document, Six Policies to Counter Contraband (Six mesures pour lutter contre la contrebande). Il se lit ainsi :

Autre solution, pour tenter de légitimer le commerce du tabac auquel se livrent les Autochtones, les provinces canadiennes pourraient mettre en œuvre des ententes fiscales conclues avec les communautés autochtones locales qui attribueraient aux bandes l'intégralité ou une partie des recettes provenant des taxes sur le tabac perçues sur la réserve.

Il me semble que c'est une approche tout à fait ouverte; les gens s'aperçoivent bien qu'il se passe quelque chose, mais ils se cachent les yeux parce qu'ils ne veulent pas voir ce qui se passe et ils disent ensuite : « Oh, il y a de la contrebande et que devrions-nous faire? Nous devrions bloquer les sources de la contrebande. »

Il y aura toujours de la contrebande si les personnes impliquées ne sont pas intégrées à la solution. C'est ainsi que je comprends les choses. Il me semble que cette approche est profitable, rationnelle et économique. Tout le monde doit recevoir sa part. Dans ce contexte, lutter de cette façon contre la contrebande serait plus efficace que de simplement chercher à la réprimer en disant que nous allons envoyer beaucoup plus de gens en prison, mais nous ne nous attaquerons jamais à la cause de la contrebande si nous ne collaborons pas avec toutes les parties intéressées.

M. Daudelin : Cette question m'est-elle adressée?

[Français]

Le sénateur Joyal : À vous et à M. Gabler.

M. Daudelin : Deux brèves réponses; je suis d'accord avec vous, c'est sûrement une avenue de solution et elle est en train d'être explorée actuellement dans les négociations avec les provinces. Elle a fait l'objet d'un accord. On ne peut pas la considérer comme panacée parce qu'elle impose des coûts aux gens qui bénéficient actuellement du régime.

Les distributeurs vont perdre une part de marché. Par ailleurs, les contrebandiers vont perdre eux aussi une part de marché, c'est-à-dire que si les taxes sont trop élevées, la contrebande va recommencer pour alimenter le marché noir. On peut l'augmenter un peu, mais je doute qu'on puisse l'amener au niveau des taxes actuelles dans le reste des provinces canadiennes. Cela me semble peu probable parce que ce sont ces taxes, comme l'a montré M. Gabler, qui créent l'incitatif à produire et à vendre du tabac de contrebande.

[Traduction]

M. Gabler : D'après moi, comme vous l'avez dit, si l'on veut résoudre le problème de la contrebande de tabac, il faut absolument peser sur la demande. Je pense que, pour ce qui est de l'offre, c'est l'approche la plus prometteuse, même si elle soulève également certains problèmes, comme cela était mentionné, le niveau de la taxe à percevoir sur les réserves, par exemple. La plupart des vendeurs qui exercent ces activités à partir de la réserve s'opposeraient à l'égalisation des taxes, de sorte qu'il faudrait choisir un niveau qui soit acceptable pour tous.

Cette solution réglerait en partie le problème de la contrebande du tabac, mais ce ne serait pas une solution globale, parce que les produits de contrebande proviennent d'autres régions, comme les États-Unis et l'étranger. Le dossier historique de cette question montre qu'au milieu des années 1990, à une époque où le problème était particulièrement grave, le gouvernement Chrétien avait réduit la taxe d'accise sur le tabac, ce qui avait entraîné une chute importante de la demande de tabac de contrebande. Les saisies de tabac de contrebande ont elles aussi considérablement diminué parce que le marché noir a commencé à s'étioler. Il faudrait adopter un ensemble de politiques, à mon avis, pour vraiment restreindre le marché noir des produits du tabac.

Le sénateur Joyal : Dans votre document de décembre 2011, préparé pour le Centre for Studies in Risk and Regulation de l'Institut Fraser, un document récent donc, vous proposez six politiques ou initiatives différentes qui permettraient de lutter contre la contrebande du tabac. La première initiative consisterait à établir des partenariats ou des ententes fiscales avec les collectivités autochtones. Vous semblez accorder une grande importance à cette mesure.

M. Gabler : Oui.

Le sénateur Joyal : Vous parlez ensuite de la suppression totale des taxes sur le tabac. C'est la deuxième initiative et la troisième est la réduction des taxes sur le tabac pour atténuer les différences de prix entre les provinces.

La suivante est un meilleur suivi des dossiers par la GRC. Cette recommandation m'a surpris et vous voudrez peut- être en dire davantage à ce sujet.

Une autre initiative consiste à lancer une campagne d'information visant à sensibiliser la population aux dangers et aux coûts reliés à la contrebande du tabac. La sixième est de renforcer l'application de la loi contre les grossistes et les détaillants de produits de contrebande.

Il me semble que cela revient, pour l'essentiel, à rechercher un niveau de taxe approprié, à déterminer quels sont les intéressés dans le milieu de la contrebande et de trouver le moyen de lutter contre ce phénomène. Je sais que l'approvisionnement en tabac provient également de sources extérieures. Nous avons mentionné certains pays d'Asie et d'autres.

M. Gabler : Ces produits sont importés au Canada.

Le sénateur Joyal : Il y aura toujours un peu de contrebande. Nous le savons, mais le phénomène qui existe actuellement est qu'il y a des gens qui vivent à proximité du Canada qui ont profité et bénéficié des recettes qu'ils retirent de ce phénomène. C'est ce que nous voulons éviter et c'est sur cela que semble porter le projet de loi, jusqu'à un certain point.

Je me trouve dans une situation difficile parce que je souhaite concilier tout cela avec ce que les autres témoins nous ont dit. Je ne sais pas si vous avez eu la possibilité de lire le témoignage des autres experts que nous avons entendus ici.

Monsieur Daudelin, souhaitez-vous ajouter quelque chose?

M. Daudelin : Sur les taxes? Je pense que cela fait partie de la solution, mais je ne pense pas qu'il faudrait voir là une panacée parce que les gens qui profitent du régime actuel ne profiteront pas du nouveau et risquent fort de s'y opposer. Le niveau de taxe que l'on peut percevoir ne sera jamais aussi élevé qu'il le faudrait pour avoir un effet important sur la contrebande.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vais être rapide aussi. Première question : quelle a été votre méthodologie pour produire votre étude?

M. Daudelin : On a consulté les études, le matériel secondaire, on a fait une étude détaillée des saisies de CBSA depuis six ans, de toutes les saisies. On a eu l'accès à l'information. En ce qui concerne en particulier le rôle du crime organisé, on a examiné tous les procès qui ont eu lieu au Canada, depuis 1990, qui touchaient Cornwall, la contrebande de tabac ou les grandes organisations criminelles.

Le sénateur Boisvenu : Êtes-vous sorti du pays pour voir ce qui se passe en Amérique du Sud, en Asie, en Afghanistan et au Pakistan?

M. Daudelin : Je travaille sur les drogues en Amérique latine. Les cigarettes, ce n'est pas tellement important là-bas. On a utilisé des études, par exemple, dans l'évaluation du terrorisme, le grand code de lien entre le tabac de contrebande et le terrorisme, c'est un cas qui implique les grands producteurs de tabac, les grandes compagnies de tabac et l'Irak à l'époque de l'embargo. On a considéré les études disponibles assez largement en Grande-Bretagne, en Australie et ainsi de suite.

Le sénateur Boisvenu : On parle sur un site de la cigarette qui est devenue, en Afghanistan et au Pakistan, 20 p. 100 des revenus de Al-Qaïda. Cette étude est récente. Est-ce que le type de criminalité lié à la contrebande de la cigarette a évolué depuis 10 ou 15 ans?

Les statistiques de la GRC disent que 105 organisations criminelles tournent autour de la cigarette illégale, dont 70 p. 100 de ces groupes-là s'adonnent au commerce de la drogue, du commerce d'arme, de la prostitution, d'autres types de criminalité sous-jacentes. Pour le tiers de ces groupes, souvent la violence est un moyen d'intimidation, de dissuasion, de règlement de compte; est-ce que selon vous, le type de criminalité qui était des petits commerçants illégaux il y a 20 ans a évolué vers une criminalité plus internationale et plus liée à d'autres types de criminalité?

M. Daudelin : Cela ne semble pas être le cas. On est parti des documents officiels et on a essayé de les vérifier. On a trouvé à l'occasion qu'il y avait des chiffres extraordinairement gonflés pour des raisons relativement légitimes, comme le chiffre des 105 organisations criminelles dérive de l'utilisation de la définition du traité international sur le crime transnational, qui définit une organisation criminelle comme un groupe de trois personnes, ou plus, régulièrement engagée pendant une période de deux ans dans des activités criminelles. Le chiffre de 105 organisations, qui a été utilisé dans le cas d'Akwesasne est parfaitement ridicule, si on le prend comme un portrait de la situation réelle, c'est ridicule, parce qu'il y a 10 000 personnes à Akwesasne. J'ai l'impression que la GRC essayait de présenter quelque chose, disons d'embellir ou plutôt d'enlaidir la situation pour des raisons institutionnelles.

La raison pour laquelle nous avons fait un examen détaillé de tous les procès, c'était justement pour évaluer la validité de ces chiffres-là et des données et des accusations qui sont faites et on n'a pas trouvé confirmation. Cela dit, la GRC sait des choses que je ne sais pas. La GRC utilise des informations, il y a des procès en cours et ainsi de suite. On a utilisé avec l'accès à l'information et les banques de données sur les procès toutes les informations auxquelles nous avons pu accéder pour évaluer l'implication des grandes organisations criminelles.

Tout cela pour dire, en bout de ligne, je ne crois pas que le modèle ait changé du point de vue des organisations criminelles. Le grand changement dans la criminalité relative à la contrebande de tabac, c'est qu'elle n'est plus alimentée par les grandes compagnies de tabac. Après avoir payé 1,7 milliard de dollars en amendes, elles ont décidé que cette entreprise n'était pas très profitable.

Elles ont arrêté, c'est le changement radical qu'on a vu.

Le sénateur Boisvenu : Est-ce que, à ce moment-là, ceux qui alimentent les matières premières peuvent venir de la Chine ou d'Amérique du Sud?

M. Daudelin : Le tabac semble venir des États-Unis, du Canada, de producteurs locaux. Tantôt j'entendais un témoin qui disait que l'essentiel des activités sont concentrées au Québec et en Ontario, c'est vrai. Si on regarde les saisies de CBSA en 2011, à Vancouver, elles représentaient 50 p. 100 des saisies totales dans la région de Cornwall. Ceci suggère qu'il y a un grand marché dans l'Ouest qui ne reflète pas dans les statistiques sur la consommation de tabac illégal parce que c'est du tabac chinois et du tabac copié. Il y a une sous-évaluation, une sous-estimation de l'ampleur du problème dans l'Ouest du pays.

[Traduction]

Le sénateur Baker : Dans votre exposé, vous avez dit qu'il n'y avait pas de « grande organisation criminelle ». Ce sont là vos termes exacts. Vous dites que vous n'utilisez pas la définition internationale, mais celle d'« organisation criminelle » que nous avons au Canada.

Dans tous les jugements que vous avez étudiés, j'imagine que vous avez vu que le juge tenait un procès relatif à une accusation d'appartenance à une organisation criminelle, alors que vous dites que la définition d'organisation vise trois personnes qui se réunissent dans un but commun illégal. Vous avez déclaré qu'il n'y avait pas de grande organisation criminelle dans ce domaine. Lorsque nous entendons parler d'« organisation criminelle », cela représente une vue déformée de la réalité. Est-ce bien exact?

M. Daudelin : Oui.

Le sénateur Baker : Lorsque j'examine les chiffres que vous avez mentionnés, je constate que les taxes ont commencé à diminuer à partir de 1994. Était-ce bien 1994?

M. Daudelin : De façon significative, oui.

Le sénateur Baker : Jusqu'à environ 2003 ou 2004, le nombre des personnes arrêtées avait fortement diminué.

M. Daudelin : Oui.

Le sénateur Baker : Nous avons ensuite enregistré une augmentation en 2004. Le nombre a continué à augmenter et il est maintenant extrêmement élevé par rapport aux années précédentes. En ce qui concerne les activités illégales, à quoi attribuez-vous cette élasticité de l'augmentation de ces chiffres?

M. Daudelin : Cela vient principalement de la réorganisation de cette industrie. Une fois les grandes compagnies de tabac parties, ce sont les producteurs de la réserve qui ont entrepris de produire les cigarettes parce que l'augmentation que vous avez constatée, le genre de produits qui se trouvent maintenant sur le marché sont très différents de ceux qui étaient sur le marché auparavant. Nous parlons maintenant de « cigarettes indiennes », celles qui n'ont pas très bon goût et qui coûtent beaucoup moins cher. Elles sont produites sur la réserve. Les producteurs avaient besoin d'organiser l'industrie, de se procurer les machines.

Des gens qui font partie de l'industrie — je n'ai pas pu le vérifier et c'est la raison pour laquelle cela ne figure pas dans mon étude — m'ont déclaré que les machines qu'utilisent les membres des Premières Nations leur ont été vendues lorsqu'une grande compagnie de tabac a décidé de transférer sa production au Mexique.

Il a fallu mettre sur pied une infrastructure et des réseaux de distribution. Les fabricants ont dû acheter du tabac et apprendre à fabriquer les produits. C'est ce qui explique, je crois, le temps mis pour que la production reprenne. Je n'ai pas beaucoup de données sur cette industrie, parce que je n'ai pas eu le temps de l'étudier, mais il semble que les coûts de production soient extrêmement faibles. Cela vient peut-être de la qualité du tabac utilisée, mais les producteurs réussissent à offrir un produit qui est vraiment très bon marché. J'ai vu qu'on offrait 600 cigarettes pour 18 $. C'était il y a un mois. Ce prix est beaucoup plus bas que celui des produits qui étaient offerts au cours des années 1990.

Le sénateur Baker : Vous pensez que l'utilisation du tabac illégal a beaucoup augmenté...

M. Daudelin : Non.

Le sénateur Baker : C'était la question que je voulais vous poser. Les chiffres augmentent énormément — le tabac de contrebande — dans les deux documents que vous avez remis, mais vous affirmez qu'il n'y a pas eu d'augmentation. Dites-vous qu'il y a eu une augmentation du nombre des personnes arrêtées?

M. Daudelin : Allez-y.

M. Gabler : Les statistiques que je cite portent sur les saisies de tabac de contrebande et non pas sur l'utilisation du tabac de contrebande. Je n'ai pas calculé l'ampleur de l'utilisation du tabac de contrebande au Canada, mais d'après les autres études que j'ai vues, à la fois des études récentes et d'autres plus anciennes, qui remontent aux années 1990, le pourcentage des fumeurs qui consomment du tabac de contrebande s'établit habituellement entre 25 et 30 p. 100. Il est plus élevé chez les jeunes fumeurs, mais je ne peux pas l'affirmer vraiment. Plus précisément, les statistiques que j'ai utilisées pour démontrer que le marché du tabac de contrebande avait pris de l'importance étaient fondées sur les saisies de tabac de contrebande.

Le sénateur Baker : Sur les personnes qui ont été arrêtées?

M. Gabler : Oui.

Le sénateur Joyal : Cela ne confirme donc pas le phénomène...

Le sénateur Baker : Non. Il pourrait s'expliquer pour d'autres raisons.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Daudelin, savez-vous s'il y a d'autres projets de recherche ou d'autres études qui sont actuellement en cours dans votre université ou dans d'autres universités et qui portent sur la contrebande de tabac? Si c'est le cas, pourriez-vous nous dire quelles sont ces études?

M. Daudelin : C'est une industrie; cela dépend de l'aspect qui vous intéresse. Pour ce qui est du volet sécurité, j'ai été surpris de constater qu'il se faisait très peu de recherche dans ce domaine; et non, je ne connais pas de programme de recherche important qui explore cette question. Pour ce qui est de la sécurité, il y a quelques travaux qui portent, par exemple, sur les liens avec le terrorisme. La plupart des études sont basées sur des rapports tirés des médias et sur de petites études qui utilisent des groupes de réflexion. La recherche universitaire sur les répercussions de la contrebande de tabac sur la sécurité semble être très limitée.

La sénatrice Batters : Monsieur Gabler, dans votre exposé, que j'ai lu, vous parlez de six politiques de lutte contre la contrebande. Je voulais vous donner l'occasion de parler brièvement de deux politiques qui m'ont paru intéressantes : la campagne de sensibilisation de la population et le renforcement de l'application de la loi aux grossistes et aux détaillants. Pouvez-vous nous dire quelques mots de ces deux politiques?

M. Gabler : Il y a eu une étude préparée par deux économistes de Concordia en 2005. L'un d'entre eux, M. Ian Irvine, a beaucoup écrit sur le sujet. Ils ont constaté que c'étaient les diverses initiatives de lutte contre le tabagisme qui étaient à l'origine de la réduction de la consommation du tabac au Canada. Si l'on remonte à 30 ou 40 ans, le pourcentage des fumeurs était de plus de 40 p. 100, et même au-delà de 50 p. 100. Les statistiques les plus récentes que j'ai trouvées indiquent qu'il y a au Canada moins de 20 p. 100 de fumeurs; je pense que ce pourcentage est de 18 ou 19 p. 100.

Nous avons enregistré une diminution constante du nombre des fumeurs au cours des 40 dernières années ou à peu près. Je ne pense pas que les taxes aient été un facteur important dans cette diminution constante. De plus, cette étude de 2005 analysait toute une série de données provenant d'un ensemble de mesures de lutte contre le tabagisme, et a constaté que les nombreux programmes et mesures de lutte contre le tabagisme avaient entraîné une réduction de la consommation du tabac au Canada. Il y a principalement l'éducation; il faut expliquer à nos enfants, aux jeunes adultes ou aux personnes qui ont des problèmes de santé que le tabac est mauvais pour la santé. Mon père était fumeur. Il a eu une légère crise cardiaque et a cessé de fumer le lendemain.

Je me base sur mon expérience personnelle et sur mes études pour dire que la diminution du nombre de fumeurs que nous avons connue au cours des 30 à 40 dernières années est attribuable à un certain nombre de facteurs, mais principalement à la sensibilisation de la population aux conséquences du tabagisme sur la santé.

Cela dit, je pense que l'on pourrait mettre en œuvre une politique semblable qui aurait pour but d'informer la population canadienne au sujet des dangers ou des conséquences négatives qu'entraînent la consommation du tabac de contrebande et l'appui ainsi donné au marché noir du tabac. De nombreuses études montrent que la population ne comprend pas très bien les dangers associés au marché noir du tabac. Il me semble qu'il serait utile d'en informer le public.

Quelle était la deuxième question?

La sénatrice Batters : Elle portait sur le renforcement de l'application de la loi, mais le président aimerait que vous soyez bref.

M. Gabler : J'ai proposé que les services policiers visent les grossistes parce que c'est perdre son temps que d'essayer d'attraper les petits revendeurs. À qui d'autre faudrait-il s'attaquer?

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à M. Daudelin. Les autorités en place ont actuellement beaucoup de difficultés avec les communautés amérindiennes qui transgressent les lois sur des questions comme les casinos, les paris en ligne, et cetera.

J'aimerais que vous m'expliquiez votre enthousiasme à engager une négociation au sujet du tabac de contrebande qui est sous le contrôle d'organisations criminelles.

M. Daudelin : À mon avis, il faut classer la production de tabac de contrebande dans les réserves dans un contexte plus large que celui des implications pour la sécurité que représenterait la mise en œuvre d'une pression policière plus forte, qui ont une moins grande tolérance — puisque c'est le mot à utiliser — à l'endroit des activités illégales qui ont cours sur la réserve. Si on la met dans ce contexte, la négociation est incontournable. Parce qu'une large partie de ces activités, d'une part, a une certaine légitimité; par ailleurs, ce sont des activités payantes et même si les profits ne sont pas redistribués de façon extraordinaire, il y a tout de même une redistribution de profits et plusieurs personnes bénéficient de ces activités illégales ou, dans le cas du tabac, d'une activité qui n'est pas considérée comme illégitime. Il y a des intérêts économiques qui sont assez largement partagés. Et dans ce contexte, la négociation est incontournable.

Je comprends parfaitement ce que vous dites et je suis conscient que des organisations criminelles sont impliquées. Cela dit, il faudrait comparer les casinos de façon systématique à la contrebande du tabac. Je ne suis pas certain que le tabac illégal soit actuellement dominé par des organisations criminelles. La nation Six Nations, à Brantford, est le troisième producteur de cigarettes au Canada. Une large partie de sa production est exportée, c'est une industrie légitime qui fait vivre des gens et qui met des profits dans les poches de gens, des profits légaux qui ne sont pas tous illicites. Dans ce contexte, la négociation est absolument nécessaire.

[Traduction]

La sénatrice Frum : Ma question est quelque peu reliée à vos derniers commentaires. Vous avez dit dans votre exposé que l'attrait relatif que représentent les produits de contrebande de grande valeur risquait d'être renforcé par l'adoption de ces nouvelles dispositions. Vous avez mentionné que les peines minimales obligatoires auront un effet sur les comportements criminels parce qu'elles auront un effet sur le comportement des gens. Vous avez également dit que les personnes qui exercent cette forme particulière d'activité illégale le font à cause des circonstances et des possibilités uniques qu'offre leur situation. J'aimerais savoir pourquoi vous pensez que cette activité va diminuer, parce que, d'après vous, les peines minimales obligatoires vont amener les gens à modifier leur comportement. Si ces comportements sont modifiés, pourquoi ce phénomène risquerait-il de se transformer si la situation n'offre plus les mêmes possibilités?

M. Daudelin : Je pense sincèrement que ces dispositions auront un certain effet. Cela vient des conversations que j'ai eues avec des membres de la GRC. Ils aimeraient que ces dispositions soient plus sévères parce que, comme je l'ai mentionné auparavant, ils trouvent que les gens ne paient pas leurs amendes. Cela aurait un certain effet. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec mon collègue ici.

Si l'on prend en compte toutes les incitations, je dirais que dans l'ensemble, elles seraient négatives. Les pilules d'ecstasy se vendent 10 $ dans la rue à Toronto et vous pouvez en mettre une quantité énorme dans le coffre d'une voiture. Vous et moi pouvons traverser la frontière américaine très facilement. Il sera très intéressant financièrement de passer à quelque chose de ce genre. Nous avons un phénomène qui alimente, dans une certaine mesure, les activités criminelles. Que se passera-t-il si nous le supprimons? Je pense que le résultat sera peut-être pire que ce que nous avons à l'heure actuelle.

La sénatrice Frum : Ces individus font toutefois la contrebande du tabac, parce qu'ils exercent une activité qui est légale dans un pays et exercent ensuite une activité qui est illégale dans un autre pays. Ils utilisent un produit auquel ils ont facilement accès. Pour se procurer des pilules d'ecstasy, il faut faire la concurrence à tous les autres vendeurs et revendeurs et il faut s'en procurer, par opposition à ce produit qui est à la portée de tous. Je ne suis pas très sûre.

M. Daudelin : Il y aurait trois conséquences et je ne pense pas que celle-ci soit la plus importante. Les deux autres raisons pour ne pas faire de la contrebande sont beaucoup plus importantes et elles concernent toutes les deux les relations avec les collectivités des Premières Nations et avec la capacité d'interdire des activités qui sont bien pires. Comme je l'ai mentionné plus tôt, le service de police mohawk et la collectivité collaborent avec la GRC pour réprimer le trafic des drogues, la traite humaine, par exemple. C'est le genre d'activités qui seraient menacées si l'on adoptait une ligne dure à propos des cigarettes parce que cela mettrait fin à cette collaboration. Cela aurait toutefois un certain effet sur le tabac. Je ne suis pas sûr que l'effet global soit avantageux. C'est tout ce que je dis. Je ne parle pas de santé publique ou de choses du genre. Du point de vue de la sécurité, je crois que ce n'est pas une bonne solution.

Le président : Monsieur Daudelin, je ne sais pas si vous avez fait des commentaires sur le partage des taxes, mais dans le rapport que vous avez préparé pour l'Institut Macdonald-Laurier, vous parlez de conserver le niveau des taxes, mais de les partager avec les résidents des réserves dans lesquelles le tabac illégal est produit ou utilisé pour la contrebande. Vous dites également que ceux qui bénéficieraient de ces nouvelles recettes provenant des taxes ne seraient probablement pas ceux qui bénéficient le plus de la contrebande. Vous avez recommandé une initiative, mais vous la critiquez sur le plan de l'efficacité. Vous ai-je bien compris?

M. Daudelin : C'est ce qui ressort de la réponse peut-être un peu confuse que j'ai donnée au sénateur Joyal. C'est une bonne idée de choisir cette orientation, mais nous ne devrions pas nous faire d'illusions sur les bénéfices que nous pouvons en attendre. Il ne faut pas que le niveau des taxes soit trop élevé, sinon le marché noir va reprendre et ceux qui bénéficient des taxes ne seront pas probablement les contrebandiers. Les contrebandiers vont utiliser leur réseau pour transporter d'autres produits. Je ne dis pas que je suis certain qu'ils le feront parce que les sanctions sont sévères et les services d'application de la loi sont actifs. Nous ne devrions pas sous-estimer la capacité des services de police de contrôler la frontière.

C'est exactement pourquoi je pense que nous ne devrions pas avoir trop d'espoir dans l'efficacité de cette mesure.

Le président : Merci messieurs. Nous avons beaucoup apprécié vos témoignages. Vous nous avez été très utiles.

Notre dernier témoin ce soir est le chef Lloyd Phillips du Conseil des Mohawks de Kahnawà:ke.

Bienvenue, chef Phillips. Nous sommes heureux que vous comparaissiez ici ce soir.

Lloyd Phillips, chef, Conseil des Mohawks de Kahnawà:ke : Merci de m'avoir donné la possibilité de comparaître. Je suis ici pour faire connaître l'opinion du Conseil des Mohawks de Kahnawà:ke au sujet du projet de loi S-16. Nous avons estimé qu'il fallait exprimer officiellement au comité permanent notre opinion au sujet du projet de loi S-16 parce qu'il touche directement notre collectivité et que nous avons suivi cette mesure de très près.

Je ne voudrais pas heurter le comité, mais nous estimons que le gouvernement va adopter ce projet de loi quoi que nous puissions dire ici. Nous estimons quand même qu'il est important de bien faire connaître notre opinion. Le dossier du gouvernement actuel en matière de mesures législatives, non seulement de mesures législatives touchant les Premières Nations, parle de lui-même.

Cela dit, je suis venu aujourd'hui faire savoir que le Conseil des Mohawks de Kahnawà:ke s'oppose à ce projet de loi et expliquer les raisons pour lesquelles nous nous y opposons. Il n'est pas possible de voir dans cette mesure une simple question de contrebande ou une question que de nombreuses personnes considèrent comme une activité illégale. Il y a un long passé historique qui est antérieur à la Confédération et aux contacts avec les colons européens. Historiquement, les Mohawks et les autres peuples autochtones ont commercé avec le nord, le sud, l'est et l'ouest; ils ont fait notamment le commerce du tabac, d'autres produits et aliments. Nous parlons ici de tabac.

Nous faisions ces échanges pour établir des relations et pour subvenir à nos besoins personnels ainsi qu'aux besoins collectifs de notre nation. Au cours des siècles, les choses ont évolué. D'autres colons européens sont arrivés dans les années 1500 et 1600. Notre monde a changé et nous avons été obligés de nous y adapter.

Un des premiers traités, le Two Row Wampum Treaty, reconnaissait deux façons de vivre en coexistence pacifique, tout en respectant les croyances et les lois de chacun. Bien évidemment, ce traité a perdu de sa force au cours des années, mais dans nos esprits et dans nos cœurs, nous pensons toujours que le Two Row Wampum existe et qu'il suffirait de le mettre en œuvre.

Nous faisions le commerce des fourrures et avons aidé les Européens à explorer ce pays et à ouvrir des territoires pour l'établissement des colons. À un moment donné, les Mohawks en particulier, mais il y avait également d'autres Premières Nations, se sont alliés avec les Britanniques pour défendre ce qui est aujourd'hui le Canada. Sans cette alliance, le Canada que nous connaissons n'existerait peut-être pas. C'est une autre tranche de notre valeureuse histoire.

Plus récemment, comme beaucoup d'entre vous le savent, nos membres ont dû s'adapter au monde qui les entourait. Nous avons travaillé sur les hautes charpentes métalliques. Mon grand-père, mon père et mon frère ont tous travaillé comme monteurs de charpentes métalliques au Canada et aux États-Unis. Mon grand-père a travaillé sur l'Empire State Building et mon père sur le pont de Manhattan. Nous sommes fiers de cette histoire. Encore une fois, nous nous sommes adaptés.

Pour revenir à la question du tabac, celle-ci a connu une autre évolution dans notre histoire. Le tabac a représenté une autre possibilité de développement économique et un bon nombre de membres de notre collectivité ont estimé qu'il était vital de continuer ce commerce. Il y a eu beaucoup moins de travail dans les charpentes métalliques et peu d'emplois ont été offerts à nos membres; il y a donc eu une évolution très naturelle dans notre histoire.

À l'origine, nous faisions du commerce sur les routes traditionnelles. J'ai entendu mentionner plusieurs fois Akwesasne. Le nord-ouest de l'État de New York, l'Ontario et le Québec étaient nos territoires traditionnels. Malheureusement, des frontières internationales et provinciales ont été créées, frontières que nous respectons, mais que, dans l'ensemble, nous ne reconnaissons pas parce que ce territoire nous appartient. Nous n'avons jamais renoncé à notre territoire et c'est pourquoi nous estimons avoir le droit d'échanger ces produits.

Dans les années 1990, le commerce du tabac est devenu une partie essentielle de notre économie. Au début des années 2000, lorsque nous avons commencé à fabriquer des cigarettes, ce commerce s'est développé énormément dans ma collectivité et il est devenu une source vitale pour notre économie. Je dirais que, lorsque cette croissance atteint son sommet, la moitié de notre collectivité bénéficiait directement ou indirectement de l'industrie des cigarettes.

La plupart de ces gens s'occupaient de petits magasins pour gagner quelques dollars, quelques centaines de dollars par semaine, juste assez pour payer les factures, acheter la nourriture, payer les factures d'électricité et les choses de ce genre. Il est vrai que les personnes qui étaient propriétaires de ces usines gagnaient beaucoup plus d'argent, mais la grande majorité de nos membres étaient des gens qui s'occupaient de petits magasins et qui travaillaient du côté de la fabrication.

Le projet de loi S-16 est une loi qui va, d'après nous, criminaliser davantage nos membres et l'industrie du tabac, et il ne pourra pas faire cesser cette industrie. Il ne pourra pas faire cesser cette industrie.

Lorsque vous parlez d'une activité qui est pour nous un droit, lorsque nous voyons vos interventions comme une atteinte à nos droits, aucune loi ne pourra empêcher les gens de le faire. Personne ne pourra dire : « Le Canada et les États-Unis ont adopté une loi, de sorte que nos droits sont supprimés et que nous ne pouvons plus les exercer pour en retirer un avantage économique. » Cela ne se produira pas.

Comme je l'ai mentionné plus tôt, nous n'avons jamais renoncé à ces droits et nous pensons que le droit à l'autonomie gouvernementale s'exerce par le biais de l'industrie du tabac.

L'adoption du projet de loi S-16 coûtera très cher à la population canadienne parce qu'il faudra financer les activités d'application de la loi et le système judiciaire. En outre, ce projet de loi va transformer en criminels des personnes qui ne sont pas des criminels. En fin de compte, le gouvernement ne respectera pas les droits ancestraux des Mohawks.

Si le Canada veut vraiment faire avancer les choses, nous suggérons qu'il collabore avec les collectivités mohawks et avec Kahnawà:ke et reconnaisse nos compétences. Le Conseil des Mohawk de Kahnawà:ke a adopté des lois dans de nombreux domaines, des lois qui sont reconnues internationalement et par nos entreprises locales. Nous avons la capacité, la volonté et le désir d'adopter des lois. Ce qui manque bien souvent, c'est que ces compétences soient reconnues, mais nous allons continuer à adopter et à appliquer les lois que notre collectivité estime appropriées, notamment des mesures législatives destinées à réglementer et à légitimer l'industrie du tabac dans nos collectivités.

Nous estimons qu'il incombe au Canada, dans notre cadre légal et politique, de trouver la façon ou le moyen d'avoir une sorte d'entente de nation à nation ou de gouvernement à gouvernement fondée sur le concept initial du Two Row Wampum Treaty pour que les Canadiens et les Mohawks puissent continuer à vivre en paix.

Nous estimons que le projet de loi S-16 est peut-être une excellente mesure sur le plan politique. Encore une fois, je ne souhaite pas manquer de respect au gouvernement et aux sénateurs qui sont ici, mais nous savons que le gouvernement aime bien faire croire à la population qu'il lutte contre la criminalité. C'est le mantra qu'a adopté le gouvernement conservateur, mais là encore, nous adoptons des lois qui vont rendre criminelles ces activités.

Nous pensons toutefois également que le gouvernement cherche en fait à se soustraire à ses responsabilités. Il est très facile d'adopter une loi pour criminaliser un comportement, criminaliser ensuite des individus, une organisation ou même une collectivité, pourquoi pas, mais le travail qu'il faut faire est de nature politique. Il faut se réunir pour parler des problèmes complexes, entamer un véritable dialogue politique qui permettra de trouver des solutions permanentes à long terme, pour que nous ne soyons pas obligés dans deux, cinq ou 10 ans de parler encore une fois des mêmes choses, peut-être avec d'autres personnes autour de la table, mais en continuant à parler du même sujet.

Nous devons trouver un terrain d'entente sur les questions touchant la frontière, les préoccupations fiscales, les activités vraiment criminelles, plutôt que de voir le gouvernement continuer à nous diviser, à nous repousser et à rendre plus difficile encore toute idée d'entente.

Dernière remarque, si l'industrie du tabac n'avait pas existé dans ma collectivité et dans d'autres collectivités autochtones, je dirais que les coûts socioéconomiques auraient été très élevés, au cours des 20 dernières années, à cause du chômage et du manque de logement. Il y aurait eu une augmentation de l'aide sociale et de la pauvreté. Les familles auraient dû faire face à des difficultés personnelles et financières, ce qui entraînerait une violence matrimoniale et amènerait les gens à se tourner vers le crime. Je pense que la violence familiale aurait été aujourd'hui multipliée par cinq ou 10. Qu'est-ce que cela coûte? Si l'on veut mettre un chiffre sur ce que les bénéficiaires de l'aide sociale auraient touché, sur les fonds consacrés aux services de police, à la santé et sur tous les autres aspects, ce coût aurait été astronomique pour le système canadien.

Cette activité offre des avantages. À Kahnawà:ke, sur la Rive-Sud de Montréal, nous avons neuf municipalités qui font partie de notre concession de terres seigneuriales, à propos desquelles nous sommes en négociation à l'heure actuelle. Ces neuf municipalités retirent des recettes importantes de l'industrie du tabac. Les gens ont de l'argent; nos gens aiment dépenser. Demandez aux concessionnaires de voitures, aux restaurants et aux gens qui sont abonnés à des gymnases dans la région. C'est une économie en plein essor, principalement parce que les Mohawks dépensent de l'argent, pas seulement celui de l'industrie du tabac. Je crois que c'est un de nos traits de caractère; nous avons tendance à dépenser facilement notre argent, et je crois que les collectivités voisines sont satisfaites de nous voir y dépenser notre argent.

Pour terminer, je tiens à vous mentionner que si vous ne tenez pas compte des avantages socio-économiques, ni des droits ancestraux et issus de traités, vous pourriez penser que le projet de loi S-16 est une mesure logique : « C'est une activité criminelle, nous allons donc intervenir ». Cela paraît peut-être logique, mais nous pensons que cela va beaucoup plus loin. Nous estimons que le gouvernement canadien a une obligation juridique, morale et certainement constitutionnelle d'agir de bonne foi avec les Mohawks pour examiner toutes ces questions de compétence et touchant les traités qui se posent depuis longtemps, en utilisant un processus qui expose clairement les enjeux, et qui montre que les deux côtés sont de bonne foi. Nous pensons que cela est possible.

Je vous remercie.

Le sénateur White : Merci d'être venu, chef Philips.

Connaissez-vous l'existence d'une entente signée en 1999 concernant la perception de taxes auprès des producteurs non mohawks ou auprès de personnes qui vendent du tabac sur votre territoire?

M. Phillips : Oui.

Le sénateur White : Je crois savoir qu'il y a des personnes qui ne résident pas dans votre collectivité et qui participent à la distribution du tabac sur le territoire mohawk. Est-ce bien exact?

M. Phillips : Oui.

Pour ce qui est de l'entente à laquelle vous faites référence, j'ai entendu les témoins précédents en parler pendant que j'écoutais ce qui se disait. Il faut préciser que cette entente ne portait pas sur la question de la fabrication du tabac ou de ce qu'on appelle le tabac « de contrebande ». J'étais membre du conseil à l'époque, de sorte que je connais très bien le sujet. Cette entente portait sur la question des cigarettes acquittées — les du Maurier, les Players et les Export « A » — qui étaient vendues hors taxe dans la réserve, pour la plus grande partie, à des non-Autochtones aussi bien qu'à des Autochtones. L'entente visait uniquement ce but. Le gouvernement provincial attribuait des permis aux grossistes et aux détaillants et aux autres intermédiaires pour qu'ils vendent ces produits. Il y a des failles dans le système grâce auquel des gens peuvent vendre du tabac hors taxe ou peu taxé à des non-Autochtones. L'entente essayait de contrer cette tendance, en faisant en sorte que les Mohawks et les Autochtones aient le droit de ne pas payer de taxe dans la réserve et que les recettes provenant des taxes payées par les non-Autochtones soient perçues selon un mécanisme, grâce auquel la plus grande partie des recettes découlant des produits vendus à des non-Autochtones reviennent dans les coffres de la collectivité.

Le sénateur White : Le faites-vous encore?

M. Phillips : Cette entente n'a jamais été mise en œuvre. Elle a été approuvée. C'était une entente politique. Si vous en avez des copies, vous pouvez constater que c'est une entente très brève et qui porte sur des aspects importants.

Comme vous le savez certainement, il est fréquent que les documents politiques soient rédigés de façon très subtile. Il y a des choses qu'on ne peut pas dire parce que l'entente doit être approuvée par l'Assemblée nationale du Québec. Il y a des choses qui ne doivent pas être mentionnées dans une telle entente, en particulier le fait que les recettes provenant de la taxe reviennent à la collectivité, mais il y avait des accords politiques de nature informelle qui accompagnaient le document.

Malheureusement, après sa signature, il y a eu des discussions partisanes, si je peux m'exprimer ainsi, au Québec. Les responsables ont commencé à revenir sur certains engagements politiques qui avaient été pris au cours des négociations. Les ententes ont lentement commencé à se déliter. Du côté de Kahnawà:ke, les termes de l'entente ont été mal interprétés parce que nous percevions de la taxe sur les produits achetés par nos membres ainsi que par les Mohawks. Il y a eu des tensions internes dans notre collectivité. Il y a eu des discussions politiques des deux côtés, de sorte que cette entente n'a jamais été mise en œuvre. Elle figure encore officiellement dans les recueils de lois du Québec, parce qu'elle a été renouvelée. Nous espérons que l'on pourrait conclure une autre entente de ce genre, mais ce sera très difficile.

Le sénateur White : Je me suis basé sur la traduction, mais il m'a semblé que cette entente visait les non-Mohawks, et non pas les Mohawks, qui vendaient des produits du tabac.

J'essaie de comprendre une chose. Il y a un grand nombre de personnes qui vendent légalement du tabac au Canada et qui paient des taxes, notamment la taxe d'accise. Je ne vais pas aborder la question de savoir si vous avez le droit de ne pas payer de taxe lorsque vous achetez du tabac ou lorsque vous fabriquez votre propre tabac. Vous proposez toutefois qu'il ne soit pas tenu compte du fait que l'on peut en faire le trafic avec le reste du Canada. Cela déstabiliserait les entreprises légitimes et la fiscalité légitime à cause des droits que vous possédez sur votre territoire. Je conteste, comme vous le faites, que nous imposions des taxes sur votre territoire alors que vous ne disposez pas de loi imposant des taxes sur notre territoire. Il existe une entente que vous refusez de mettre en application. Vous refusez de percevoir les taxes que ce soit pour votre propre bénéfice ou pour celui de quelqu'un d'autre. Je ne comprends pas très bien lorsque vous dites que nous vous taxons, alors que vous dites vouloir pouvoir nous taxer.

M. Phillips : Nous n'avons pas refusé de mettre en œuvre l'entente à laquelle vous faites référence. C'est le résultat de jeux politiques — en fin de compte — tant du côté du Québec que du côté de Kahnawà:ke. Tout ce que nous faisons a un aspect politique et cela vient du genre de travail que nous faisons. Les gens ont réussi à mal interpréter ce qui avait été entendu et ont transformé l'entente en une chose qu'elle n'était pas, et les deux côtés en sont responsables. Nous n'avons pas refusé de mettre en œuvre cette entente.

Il est intéressant que vous souleviez cet aspect. Il est exact que vous ne voulez pas nous imposer de taxes et que nous ne voulons pas vous en imposer non plus, c'est une question qui oppose une loi à une loi. Si nous reconnaissons qu'il y a un problème, comment faisons-nous pour nous réunir et reconnaître que nous admettons tous qu'il y a là un problème? Comment en arriver à une solution qui serait favorable à toutes les parties pour que le système fiscal canadien ne soit pas déstabilisé, pour que les Mohawks ou les Premières Nations en général aient accès à un marché équitable, pour que cela procure des recettes, pour que les fabricants, les détaillants et les grossistes fassent des bénéfices, pour que notre collectivité en retire des bénéfices pour compenser les coûts du programme. Ce sont là les diverses possibilités. Je ne peux pas parler au nom des autres collectivités, mais notre collectivité a tenté de négocier avec les ministres pendant des années à ce sujet. La réponse qui nous a été donnée est la suivante : « Non, nous ne voulons pas parler d'activités criminelles. »

Le sénateur White : Il nous est assez difficile d'entamer un dialogue avec des groupes qui travaillent sur le territoire de votre Première Nation et dont nous savons qu'ils exercent d'autres activités criminelles comme la traite de personnes, la contrebande de drogues et d'armes, pas seulement sur le plan de la Loi sur l'accise. Cela est bien connu et j'ai parlé à votre service de police qui a confirmé la chose. Je ne dis pas qu'il s'agit de membres de votre collectivité, parce que ce n'est probablement pas le cas.

M. Phillips : Je dirais que c'est peut-être le cas. Nous en avons la preuve, parce que les gardiens de la paix de Kahnawà:ke constituent probablement le service de police d'une Première Nation qui est le plus professionnel au Canada. Ce service travaille en liaison avec la GRC et avec la police du Québec pour lutter contre les choses que vous avez mentionnées comme la traite des personnes, la contrebande des armes à feu, leurs modifications et leur vente à des gangs, ainsi que la contrebande de drogues. Nous nous entendons là-dessus. Personne ne peut me dire à moi ou à notre conseil quoi que ce soit qui changerait la situation. Il est regrettable que certaines personnes aient profité de ce qui était au départ le commerce du tabac. Qu'elles soient autochtones ou non, ces personnes ont utilisé tout cela à d'autres fins, ce qui est regrettable.

C'est un point sur lequel nous sommes d'accord. Nous devrions unir nos efforts pour mettre un terme à ces activités. J'ai dit plus tôt que nous pourrions travailler de concert pour réprimer les activités criminelles. Nous l'avons fait et nous continuerons à le faire.

Le sénateur Joyal : Je suis heureux que vous ayez pu vous libérer pour nous faire connaître votre point de vue.

J'aimerais revenir à l'entente que vous avez mentionnée et qui a été signée par votre prédécesseur, le chef Norton, en 1999, et qui est toujours en vigueur. Pour bien comprendre l'importance de cette entente, j'aimerais savoir s'il y a à l'heure actuelle entre votre gouvernement et le gouvernement du Québec des discussions pour préciser ce qui pourrait être un malentendu au sujet de la portée de l'entente qui permettrait d'exclure, comme vous l'avez dit à juste titre, la consommation de tabac par les Autochtones dans la réserve, aspect que je comprends personnellement parfaitement, et qui ciblerait plutôt la vente de tabac à des non-Autochtones? Y a-t-il des discussions en cours? Je pose la question parce que dans le rapport de 2012 du Comité des finances publiques de l'Assemblée nationale, la collectivité de Kahnawà:ke était représentée par Mme Sky-Deer. Vous la connaissez peut-être.

M. Phillips : Oui.

Le sénateur Joyal : Je ne sais pas quelle est la position qu'elle occupe dans la collectivité, mais vous pourriez peut- être nous le dire. Elle a déclaré qu'en 2012, la réflexion sur cette question, à la différence des négociations, pourrait être terminée à l'été 2012, soit il y a environ 10 mois. Y a-t-il en ce moment des discussions ou des négociations avec le gouvernement du Québec pour mettre en œuvre l'entente et pour dissiper le malentendu ou pour modifier la partie de l'entente qui fait problème pour vous pour que nous puissions dire qu'un jour nous pourrons mettre en œuvre ensemble quelque chose de concret?

M. Phillips : Je peux vous dire tout de suite que la réponse est non; cela fait quelque temps qu'il n'y a pas de discussions à ce sujet. Nous avons toujours des sujets de discussion avec la province de Québec — cela va de la santé, des services d'ambulance, des routes à de nombreuses autres choses. Les problèmes concernant les taxes et le tabac figurent sur cette liste, mais pour ce qui est d'avoir de véritables discussions avec Québec ou des discussions officielles, cela fait longtemps que nous n'en avons pas. Nous avons tenté de démarrer des négociations avec le Québec sur cette question il y a cinq ans, mais cela n'a jamais débouché. Avec tous les problèmes que posent d'une façon générale les taxes et les impôts, il y a beaucoup plus que le tabac qui est en jeu.

Ce type d'entente devait viser les cigarettes acquittées et non pas la fabrication de cigarettes. Même si l'entente était mise en œuvre aujourd'hui de la façon qui était prévue à l'origine, elle ne s'appliquerait pas au tabac qui traverse la frontière, aux cigarettes qui sont transportées du Québec en Ontario ou du Québec au Manitoba, ni à la fabrication de cigarettes de marque autochtone. Cela n'était pas l'intention de l'entente. Il faudrait la modifier profondément. Il faudrait ensuite ajouter un autre partenaire, qui serait le Canada, parce que c'est le Canada qui accorde les permis de fabrication pour notre territoire et pour le Québec. Je ne suis pas un expert, mais je sais qu'il y a plusieurs niveaux de taxe sur le tabac. Il faudrait réunir autour d'une table plusieurs partenaires.

Le sénateur Joyal : Il n'y a pas eu de discussions ou de négociation sur ces questions?

M. Phillips : À l'heure actuelle, nos relations politiques avec le Québec ne sont pas très bonnes. Nous connaissons un certain nombre de difficultés sur les questions reliées aux revendications territoriales. Nos discussions avec le Québec ont principalement porté sur ces problèmes fonciers. C'est sur ce sujet que portent uniquement nos discussions. Nous avons dit : « Essayons de régler cette question. Vous souhaiteriez peut-être parler de nombreuses autres questions, mais examinons un aspect qui nous touche énormément — nos terres. »

Québec a pris, en 2007, un engagement qu'il n'a toujours pas respecté, et qui porte sur environ 500 acres de terre. Je ne vais pas vous saisir de ce sujet, mais la réalité est que nous avons très peu de discussions avec le Québec. C'est une question très sensible dans notre collectivité. Nous le comprenons parfaitement. Nous voudrions bien reprendre les négociations avec le Québec. Dans ce cas-ci, il faudrait également inviter le Canada à examiner des solutions durables, à long terme qui pourraient régler ce problème, parce que, comme je l'ai dit, ces activités ne cesseront pas. Vous pouvez créer des infractions et emprisonner les gens, mais ces personnes seront toujours remplacées par d'autres. Cela ne résoudra pas le problème. La seule façon de résoudre ce problème est de reconnaître cette compétence et tout le contexte historique qui est le nôtre. Ce n'est qu'en s'orientant vers cette reconnaissance que nous pourrons progresser.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Phillips, je dois tout d'abord vous dire que j'ai été policier à la Sûreté du Québec pendant plus de 38 ans. Durant les années 1990, j'ai été appelé à travailler à Akwesasne. J'ai travaillé à Châteauguay, aux abords de votre réserve, pour les raisons que vous connaissez. À l'aide de Night View, dont on était équipé, on voyait beaucoup d'hydravions atterrir près de votre territoire la nuit. Je ne sais pas ce qu'ils transportaient, vous pouvez peut-être me le dire. J'ai également été témoin des guerres fratricides entre les membres de votre communauté, entre autres à Oka où des maisons ont été incendiées.

Comment pouvez-vous dire aujourd'hui que la vente de cigarettes de contrebande profite à l'économie de votre communauté alors qu'elle ne sert qu'un petit groupe d'individus qui font fi des lois?

[Traduction]

M. Phillips : Comme je l'ai dit plus tôt, l'industrie du tabac comporte évidemment un aspect négatif et personne ne le nie. Vous avez parlé des hydravions. Je ne peux pas faire de commentaire à ce sujet. Je ne suis pas policier. Je ne connais pas suffisamment bien l'industrie ni les activités policières, de sorte que je ne peux pas faire de commentaire à ce sujet.

Kanesatake a une longue histoire dans ce domaine et Kanesatake n'est pas Kahnawà:ke. Je ne veux pas critiquer les collectivités mohawks, mais elles connaissent de nombreux problèmes politiques internes. À Kahnawà:ke, comme dans n'importe quelle collectivité, il y a des divisions et des divergences d'opinions. Au Canada, il y a des divergences d'opinions. Cependant, la grande majorité de nos membres estiment que les avantages qui découlent de cette industrie l'emportent sur les aspects négatifs. Si nous pouvions trouver ensemble les moyens de minimiser ces aspects négatifs — parce qu'il est impossible d'éliminer tous les aspects négatifs dans quelque domaine que ce soit —, les avantages demeureraient.

[Français]

Le sénateur Dagenais : D'autres membres de votre communauté ont témoigné ici et ont reconnu que le crime organisé profitait de la contrebande de cigarettes. Pourtant, si je comprends bien votre raisonnement depuis le début, toutes les cigarettes qui sont maintenant produites par votre communauté le sont légalement et il n'y a pas de crime organisé derrière ce commerce. C'est bien ce que j'ai compris?

[Traduction]

M. Phillips : Ce n'est pas ce que j'ai dit et ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Encore une fois, comme je l'ai entendu dire plus tôt, cela dépend premièrement de la façon dont vous définissez le crime organisé. Cependant, lorsque le public pense au crime organisé, il pense à la mafia, aux Hell's Angels et aux bandes de motards. C'est à ça que les gens pensent. C'est ce qui leur vient à l'esprit.

Est-ce que ce genre de crime organisé a déjà été actif dans cette industrie? Probablement, parce que je connais au moins un cas où l'on a procédé à des arrestations et où il a été prouvé que certaines personnes étaient impliquées. L'aspect essentiel à retenir est que ces personnes ont été arrêtées parce que nous ne tolérons pas ce genre d'activité.

Comme nous l'avons vu au Québec, ces personnes infiltrent l'industrie de la construction et je suis sûr que vous l'avez vu à la télévision. Il y a de la corruption et de l'infiltration reliée au crime organisé dans de nombreux domaines, notamment dans la construction. Il y en a probablement dans le tabac, comme dans beaucoup d'autres industries. Il faut minimiser ces activités le plus possible, les réglementer le plus possible, et conserver les avantages qu'elles offrent.

Je ne nierai pas que le crime organisé s'est parfois infiltré dans certains domaines, mais nous n'approuvons pas ces activités. Nous pensons qu'en adoptant des règlements et en travaillant en partenariat, nous pourrons éliminer le crime organisé. Je pense pouvoir affirmer que l'immense majorité des personnes qui travaillent dans cette industrie n'ont aucun lien avec le crime organisé, si l'on pense aux bandes de motards et à ce genre de choses.

Le président : Très bien, nous allons passer à une autre série de brèves questions et réponses.

La sénatrice Frum : Monsieur Phillips, vous avez dit dans votre réponse à la dernière question que vous estimez que les avantages l'emportent sur les inconvénients. Vous dites que ce projet de loi a pour but de lutter contre la criminalité. Je pense que pour beaucoup d'entre nous, cette mesure touche en fait la santé. Il s'agit d'éviter que les mineurs puissent se procurer des cigarettes. Les cigarettes de contrebande se retrouvent pour la plupart entre les mains d'enfants.

Je me demande quel est votre point de vue sur ce sujet dans votre territoire. L'industrie du tabac tue. Il n'y a pas un parent qui aimerait voir son enfant prendre l'habitude de fumer. Cela doit vous inquiéter également. Je sais que vous dites que cette industrie est très implantée dans votre territoire et que vous en êtes en fait dépendant, mais j'aimerais savoir quel est votre point de vue à long terme sur cette dépendance à l'égard de cette industrie, dont les bénéfices ne l'emportent pas, d'après moi, sur les aspects négatifs. C'est une industrie qui tue les gens.

M. Phillips : Je ne suis pas ici pour parler en détail de la santé. J'admets que les cigarettes tuent. J'ai fumé pendant 20 ans et j'ai arrêté il y a 10 ans parce que je commençais à sentir les répercussions du tabagisme sur ma santé. Ai-je fumé parce que leurs cigarettes étaient moins chères? Non. Je ne fumais même pas des cigarettes de marque autochtone. Je fumais des du Maurier, mais c'est une autre histoire.

J'admets que, d'une façon générale, l'industrie du tabac est en train de mourir. Il y a de moins en moins de gens qui fument. Il est même difficile de fumer. On ne peut plus fumer dans les bars ou dans les restaurants. Il est de plus en plus difficile de fumer en général. Il y a moins de fumeurs. Cela vaut aussi bien pour R.J. Reynolds et les grandes compagnies au monde que pour le tabac autochtone. Nous constatons également que les gens diversifient leurs biens et investissent dans d'autres industries qui en découlent et qui sont, faute d'un meilleur terme, considérées comme étant légales pour tout le monde. Dans notre collectivité, et pendant que cette industrie existe encore, nous aimerions en arriver à un arrangement qui permettrait à notre collectivité d'obtenir les avantages que le Canada obtient grâce aux recettes provenant de la taxation de l'industrie des cigarettes. Si notre collectivité pouvait en arriver à un type d'entente semblable au sein de notre collectivité — une approche individualisée — alors nous devrions continuer à en profiter pendant que nous le pouvons. Notre collectivité pourrait alors réinvestir cet argent dans des programmes et des services ou dans d'autres initiatives économiques.

Nous travaillons beaucoup sur l'énergie éolienne dans la partie sud de notre territoire. Nous envisageons également d'investir en Gaspésie. Nous regardons le fleuve Saint-Laurent et les rapides et les façons d'utiliser cette énergie. Il y a plusieurs façons dont nous pourrions en bénéficier. Si les recettes provenant du tabac pouvaient être un catalyseur, c'est là que, à mon avis, les aspects positifs l'emportent sur les aspects négatifs.

Pour ce qui est de la santé, je reconnais avec vous que cela n'est pas sain, mais je ne peux pas en dire davantage.

Le sénateur Baker : Vous représentez très bien votre peuple et vous avez très bien expliqué tout cela. Quel est d'après vous le principal obstacle à ce que l'on en arrive à une entente, compte tenu du fait que toutes les lois provinciales et fédérales portent jusqu'ici sur la taxation du tabac? Le tabac tue, qu'il soit légal ou illégal, mais tout cela concerne la taxation. Vous avez dit qu'il existait une solution. Quel est le principal obstacle à surmonter?

M. Phillips : Dans un contexte plus vaste, l'obstacle est le refus de reconnaître que les Mohawks sont un gouvernement qui possède des compétences. Dans un contexte plus restreint, les discussions concernant le tabac ont toujours porté sur la taxation de ce produit. Quel est le montant de la taxe qui sera imposé? Quel est le montant qui reviendra au Canada? Quel est le montant qui reviendra aux Mohawks? La discussion a toujours porté sur ces aspects et n'a jamais envisagé la question d'un point de vue économique ni de celui des relations de gouvernement à gouvernement.

Examinons la situation avec un esprit ouvert en reconnaissant que la collectivité a le pouvoir de mettre sur pied ses propres mécanismes de perception, ses propres codes fiscaux de façon à imposer une taxe aux non-Autochtones. Cela fait longtemps que ces discussions auraient dû avoir eu lieu. Il y a beaucoup de lois et codes fiscaux, tant provinciaux que fédéraux, et les gouvernements nous imposent ces lois et nous disent de les mettre en œuvre. Comment voulez-vous négocier lorsqu'on vous met devant un fait accompli? Aucun des éléments que nous apportons à ces négociations n'est pris en compte.

La sénatrice Batters : Chef Phillips, vous avez dit quelque chose dans vos remarques liminaires qui me préoccupent. Lorsque vous avez parlé de la possibilité d'une augmentation de la violence matrimoniale, j'ai pensé que vous vouliez dire que si les recettes provenant du tabac diminuaient, le chômage augmenterait. Pourriez-vous me dire quelque mot de la situation actuelle du marché du travail dans votre réserve?

M. Phillips : Il est bien connu que, dans toute société, la pauvreté est souvent associée à la violence matrimoniale. C'était le contexte de ma remarque. En l'absence de telles recettes, c'est ce qui pourrait arriver.

Je dirais que dans notre collectivité, le taux de chômage est de 20 p. 100. Nos taux sont effectivement plus élevés que celui des collectivités voisines, pour de nombreuses raisons, notamment à cause des barrières linguistiques. La plupart des membres de notre collectivité parlent uniquement l'anglais et le mohawk. Certains ne parlent pas français, ce qui les empêche de travailler à l'extérieur de la réserve.

Je n'aime pas beaucoup en parler, mais il y a aussi un aspect racial. Beaucoup de nos membres aimeraient travailler dans un restaurant qui se trouve à proximité de la réserve, mais les propriétaires ne veulent pas les embaucher. C'est la réalité. Il n'y a pas beaucoup de possibilités économiques.

Nous essayons. Nous avons un système d'éducation, y compris l'éducation pour les adultes. Nous avons des programmes de formation qui sont financés par la province, par le fédéral et par nos propres fonds, pour que nos membres puissent entrer sur le marché du travail. Cela prend du temps, mais cela vaut la peine.

Si l'on supprimait demain les ventes de tabac et qu'il y avait 300 ou 400 personnes de plus au chômage, où pourraient-elles travailler? Vont-elles demander de l'aide sociale ou siphonner les sommes déjà insuffisantes affectées à l'éducation? L'infrastructure ne permettrait pas d'absorber un tel changement.

Le président : Merci, chef. Nous sommes heureux que vous soyez venu. Je suis content que nous ayons pu concilier nos horaires pour que vous puissiez apporter le point de vue de votre conseil aux délibérations du comité.

M. Phillips : Je suis heureux d'avoir pu prendre la parole. Merci de m'avoir écouté.

Le président : Demain matin, nous allons procéder à l'étude article par article de ce projet de loi et ensuite reprendre nos délibérations sur le projet de loi C-299.

(La séance est levée.)


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