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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 37 - Témoignages du 22 mai 2013


OTTAWA, le mercredi 22 mai 2013

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à qui a été renvoyé le projet de loi C- 299, Loi modifiant le Code criminel (enlèvement d'une jeune personne), se réunit aujourd'hui, à 16 h 17, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénatrices et sénateurs, bonjour. J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos collègues, à nos invités et aux membres du public qui suivent la séance d'aujourd'hui du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous poursuivons aujourd'hui notre examen du projet de loi C-299, Loi modifiant le Code criminel (enlèvement d'une jeune personne). C'est la troisième séance que nous consacrons au projet de loi.

Pour commencer les débats d'aujourd'hui, j'aimerais présenter Michael Spratt, représentant de la Criminal Lawyers' Association, et Indira Stewart, qui représente le Conseil canadien des avocats de la défense.

Nous avons également avec nous l'honorable John Charles Major, ancien juge de la Cour suprême du Canada, qui comparaît par vidéoconférence de Calgary en Alberta. Je crois savoir que vous n'allez pas présenter de déclaration préliminaire.

L'honorable John Charles Major, ancien juge de la Cour suprême du Canada, à titre personnel : C'est exact. J'aimerais peut-être faire une déclaration finale.

Le président : Nous vous donnerons la possibilité de le faire.

Monsieur Spratt, vous avez la parole.

Michael Spratt, représentant, Criminal Lawyers' Association : Merci, monsieur le président. Je vous demande dès le départ de m'excuser parce que j'ai un rhume. Si je bafouille ou si vous avez du mal à me comprendre, dites-le-moi. J'aimerais également dire que c'est un plaisir d'être ici.

Je suis un pénaliste et je pratique ici à Ottawa. J'ai comparu devant tous les niveaux de juridiction, j'ai représenté tous les genres de contrevenants et me suis occupé de toutes les infractions. Je suis ici pour représenter la Criminal Lawyers' Association. Comme je l'ai déjà dit quand j'ai eu l'occasion de comparaître devant vous, la Criminal Lawyers' Association appuie toute mesure législative pourvu qu'elle soit modeste, nécessaire, équitable, constitutionnelle et, ce qui vise particulièrement la discussion d'aujourd'hui, fondée sur des données factuelles.

La CLA ne peut malheureusement appuyer le projet de loi tel qu'il est rédigé actuellement, parce qu'il n'est pas nécessaire, mais surtout parce que le recours aux peines minimales obligatoires n'est pas efficace, ni justifié par la recherche et a, en fin de compte, des conséquences néfastes sur l'administration de la justice.

Je vais parler brièvement de la nécessité et dire que, si l'on examine la jurisprudence concernant ce genre d'infraction, on constate que les peines imposées sont, d'une façon générale, supérieures à la peine minimale.

J'aimerais maintenant parler d'adopter des politiques fondées sur des preuves. Je devrais commencer par dire que la Criminal Lawyers' Association souscrit aux objectifs du projet de loi, mais pas nécessairement aux mécanismes utilisés pour atteindre ces objectifs. Les peines obligatoires ne dissuadent pas les délinquants, n'empêchent pas la perpétration d'infractions et ne protègent pas mieux la population.

Pour économiser du temps, j'invite le comité — et je ne vais pas examiner ces études en détail — à prendre connaissance des études empiriques effectuées par des criminologues au sujet des peines minimales obligatoires. Lisez les témoignages qui ont été livrés à la Chambre et devant votre comité au sujet des autres projets de loi qui prévoyaient des peines obligatoires ainsi que le rapport de novembre 2010 du Centre canadien de politiques alternatives. Regardez au sud de la frontière ce qu'ont fait Marc Mauer et le Sentencing Project ainsi que les travaux des grands criminologues canadiens qui ont étudié ces questions.

En termes simples, les études démontrent que les peines minimales n'ont pas pour effet d'empêcher les contrevenants de commettre des crimes et nous estimons que lorsque le gouvernement souhaite modifier le Code criminel, il devrait bien réfléchir avant d'introduire ce genre de peines. Les changements devraient s'appuyer sur des études. Il est bon de privilégier les politiques fondées sur des études avant de procéder à des changements. En réalité, lorsque j'ai examiné les témoignages présentés à la Chambre au sujet de ce projet de loi ainsi que les témoignages que le comité a entendus jusqu'ici, j'ai constaté qu'il n'y en avait eu aucun qui parlait de l'utilité des peines minimales en général et plus précisément, de l'utilité des peines minimales associées à ce genre d'infraction.

Il ne devrait pas être surprenant que le recours aux peines minimales obligatoires suscite des préoccupations pour nous. Nous avons déjà présenté des observations à ce sujet. Nous craignons que ces peines soient inconstitutionnelles et qu'elles créent d'autres difficultés pour le système de justice pénale. Bien entendu, il va sans dire que la peine doit être soigneusement adaptée au contrevenant et à l'infraction, et c'est là un principe traditionnel qu'appliquent tous les pays de common law. Les peines minimales obligatoires vont à l'encontre de ce principe en raison de leur nature inflexible, et même si aucune mesure législative n'a pour but d'entraîner des injustices, c'est bien souvent le cas.

Pour ce qui est des problèmes pratiques dont je vais vous parler, je vais commencer par aborder l'absence de discrétion judiciaire. Les peines minimales obligatoires ont pour effet de supprimer la discrétion judiciaire, qui est, à notre avis, un aspect essentiel de notre système de justice pénale. Dans ses commentaires présentés le 31 mai 2012 au sujet du projet de loi et de l'exception introduite dans le projet de loi pour ce qui est des peines minimales obligatoires, M. Kyle Seeback a déclaré :

Je pense que nous y avons réfléchi sérieusement. Les gens ont trouvé un ou deux exemples d'application extrêmement rare. Chaque fois que nous avons fait comparaître des témoins devant le comité, les députés d'en face ont dit qu'ils avaient foi en nos juges et que notre système judiciaire était le meilleur du monde. Pour être franc, j'estime que les juges sont assez intelligents pour déterminer si cet article s'applique à une personne qui a abandonné son enfant et qui, 30 ans plus tard, l'enlève. Je pense que les juges sont en mesure de déterminer cela.

Ce commentaire s'applique également aux peines. Les juges sont bien placés pour imposer des peines justes. C'est eux qui connaissent le mieux la situation du contrevenant et les circonstances de l'infraction; ils font partie de la collectivité. Les juges ont reçu une bonne formation, et lorsqu'un juge se trompe, il existe un mécanisme d'appel efficace qui permet de corriger les erreurs éventuelles.

Ce transfert du pouvoir discrétionnaire entraîne des problèmes pratiques parce que le pouvoir discrétionnaire n'est pas véritablement supprimé. J'appelle cela un transfert. Ce pouvoir discrétionnaire, qui aurait permis auparavant au juge d'imposer une peine appropriée en tenant compte de l'ensemble des circonstances, est désormais transféré aux policiers qui portent les accusations et aux procureurs de la Couronne qui doivent appliquer les articles prévoyant des peines minimales. Le pouvoir discrétionnaire n'est donc pas supprimé; il prend tout simplement une forme qui n'est pas transparente, qui ne responsabilise pas son détenteur et qui n'est pas visible pour les membres de la collectivité. C'est une réalité que je constate tous les jours dans ma pratique. On se sert des peines minimales pour négocier un plaidoyer. Lorsqu'il y a des cas qui débouchent sur une injustice, les procureurs de la Couronne utilisent leur pouvoir discrétionnaire pour essayer de contourner les peines minimales, ce qui n'est pas une solution idéale, parce qu'elle n'est pas transparente et ne fait l'objet d'aucun contrôle.

Le deuxième effet négatif des peines minimales est qu'elles imposent un lourd fardeau à l'appareil judiciaire. Ce qui arrive — et c'est quelque chose que j'ai vu en Ontario et dont on m'a dit que cela se voyait également dans le reste du pays — est que notre système de justice est surchargé. Avec les peines minimales, il y a davantage de dossiers qui donnent lieu à un procès et moins de dossiers qui sont résolus de façon appropriée. Il n'y a pas seulement le coût financier, mais un coût pratique, à la fois pour les participants du système de justice, mais surtout pour les victimes de crimes qui sont obligées, lorsque l'affaire est renvoyée à procès, de témoigner à l'enquête préliminaire et au procès et de revivre encore une fois leur victimisation.

L'idée essentielle est que les peines minimales obligatoires ne sont pas efficaces. Elles représentent une façon simpliste d'examiner un problème complexe. À mon avis, c'est une façon très restreinte d'examiner ce problème. Si le projet de loi a pour but de diminuer le nombre des enlèvements de jeune personne, de protéger les adolescents, il faut reconnaître que les études démontrent que les peines minimales obligatoires ne permettront pas d'atteindre ces objectifs. Elles vont par contre avoir des effets secondaires négatifs et je serai heureux de vous en parler de façon plus détaillée : l'augmentation des heures passées devant les tribunaux, le risque de revictimisation, le transfert du pouvoir discrétionnaire des juges vers les procureurs de la Couronne et les policiers, et la suppression du pouvoir discrétionnaire judiciaire, qui est un aspect essentiel de notre système judiciaire. Il faut bien sûr ne jamais oublier qu'avec l'augmentation des peines — et si elles sont appliquées de façon inéquitable —, les possibilités de réadaptation et de réintégration diminuent, ce qui peut entraîner une augmentation de la récidive et une situation qui est finalement plus dangereuse pour la population.

J'invite le comité à examiner les preuves, les études, à entendre les experts qui peuvent tirer des conclusions à partir de ces preuves, à évaluer les avantages et les inconvénients, mais surtout à bien réfléchir à la question des peines minimales obligatoires. On les retrouve dans le code; elles y sont déjà. Dans certains cas, les tribunaux les ont déclarées constitutionnelles. Cela ne veut pas dire qu'elles reflètent de bonnes politiques et on ne devrait pas y voir une autorisation automatique de toutes les peines minimales obligatoires qui seront adoptées par la suite.

Je serai heureux de répondre à vos questions.

Indira Stewart, représentante, Conseil canadien des avocats de la défense : Honorables membres du comité, bonjour. Je suis ravie d'avoir la possibilité de vous parler du projet de loi C-299 au nom du Conseil canadien des avocats de la défense. Je désignerai par la suite cet organisme par son sigle, le CCAD.

Le CCAD a été fondé en 1992; c'est une organisation qui offre une perspective nationale sur les questions de droit pénal. Je pratique le droit à Toronto. Je pratique exclusivement le droit pénal au palais de justice de Simcoe et je suis également la mère d'un jeune enfant. C'est pourquoi je comprends parfaitement que l'enlèvement de jeunes enfants est une perspective horrible et tout comme vous, je veux que nos enfants soient en sécurité dans nos quartiers.

Cela dit, le CCAD estime que le projet de loi C-299 reflète une intention utile — empêcher l'enlèvement d'enfants — mais qu'il ne permettra pas d'atteindre cet objectif. Les brèves remarques que je vais vous présenter aujourd'hui vont porter sur deux points. Premièrement, nous estimons que le projet de loi est inutile et deuxièmement, qu'il a une portée trop large et qu'il risque de s'appliquer à des personnes d'une façon imprévue. Les groupes qui nous préoccupent le plus sont les femmes, les Autochtones et les personnes souffrant de troubles mentaux.

Je ne vais pas parler beaucoup des peines minimales obligatoires, puisque M. Spratt vient de vous livrer quelques remarques pénétrantes à ce sujet et que le sénateur Jaffer en a également parlé un peu plus tôt cette année. Je dirai uniquement que le CCAD, pour toutes les raisons qu'ont mises de l'avant ces deux personnes, s'oppose aux peines minimales obligatoires.

Pour ce qui est de l'utilité du projet de loi, nous savons bien évidemment que l'enlèvement d'enfants par des étrangers est une question très grave, mais nous savons également, comme les témoignages présentés au comité de la Chambre le montrent, que cela se produit très rarement.

Il est même encore plus rare que des accusations d'enlèvement soient portées seules. Comme nous le savons, et malheureusement, ces accusations sont souvent accompagnées par d'autres chefs visant d'autres infractions.

Pour préparer mon témoignage d'aujourd'hui, j'ai fait une recherche jurisprudentielle portant sur les 20 dernières années environ et j'ai constaté qu'il n'y avait que quelques affaires qui traitaient d'enlèvement ou de rapt par un étranger. J'ai également parlé avec de nombreux avocats de la défense expérimentés et pas un seul d'entre eux n'avait été amené à s'occuper d'une affaire où un étranger avait enlevé un enfant.

Lorsque ces cas se produisent, ils sont graves, mais il n'existe aucun élément qui permette de penser que, lorsqu'ils se produisent, les juges sont trop cléments. Comme le juge Major l'a déclaré devant le comité de la Chambre, les peines imposées dans ce genre d'affaires vont de 10 à 15 ans d'emprisonnement, ce qui est bien supérieur à la peine minimale de cinq ans qui est proposée. Bien sûr, les juges ont la possibilité d'imposer l'emprisonnement à perpétuité dans ces affaires, et cela reflète la gravité de l'infraction.

Dans les rares cas où une peine de moins de cinq ans d'emprisonnement a été imposée, il y a toujours, dans chacun de ces dossiers, des circonstances atténuantes qui l'expliquent. C'est précisément pour cette raison que les juges qui ont eu la possibilité d'entendre toutes les circonstances aggravantes et atténuantes sont les mieux placés pour fixer la peine appropriée. Si l'on craint que le juge ait commis une erreur, les procureurs de la Couronne peuvent interjeter appel des peines qu'ils jugent inappropriées et ils le font.

Pour en arriver rapidement à mon deuxième point, le CCAD estime que le projet de loi, tel que rédigé, ne permettra pas d'atteindre l'objectif qu'il s'est donné. Il ressort clairement de la lecture du hansard que M. Wilks avait l'intention de cibler les étrangers qui enlèvent des enfants.

Les partisans du projet de loi ont presque uniquement parlé des psychopathes et des pédophiles, des hommes qui enlèvent les jeunes enfants pour leur nuire ou pour leur propre gratification sexuelle. Tel que rédigé actuellement, le projet de loi s'appliquera à de nombreuses personnes qui ne font pas partie de ce groupe.

Le CCAD s'inquiète beaucoup des répercussions que pourrait avoir cette peine minimale obligatoire de cinq ans d'emprisonnement sur les groupes qui sont déjà vulnérables et surreprésentés dans notre système de justice, à savoir les Autochtones, les femmes et les personnes qui souffrent de maladies mentales.

Le Code criminel tout comme les arrêts de la Cour suprême obligent les tribunaux à prendre en compte la situation des accusés autochtones. Nous le savons tous et les juges de première instance sont les mieux placés pour le faire. Les peines minimales obligatoires sont incompatibles avec les principes de l'arrêt Gladue. Il existe des études universitaires qui portent sur ce sujet et que je me ferai un plaisir de vous indiquer et il existe la possibilité que la constitutionnalité du projet de loi soit contestée, en particulier avec l'article 12.

Nous savons tous que les personnes atteintes de maladies mentales risquent d'être ciblées par les peines minimales obligatoires. M. Wilks a déclaré devant le comité de la Chambre et encore une fois, ici devant le comité sénatorial, qu'un des groupes dont on sait qu'ils enlèvent des enfants sont ceux que l'on appelle les « psychotiques sans enfant »; ce sont là des personnes qui ne peuvent avoir d'enfants ou qui en ont perdu un.

Ce sont des personnes, presque toutes des femmes, d'après ma recherche, qui souffrent d'un trouble mental déclenché par des circonstances très traumatiques et leurs actions découlent de leur maladie. La plupart du temps, il est possible de soigner ces accusées et lorsqu'elles sont soignées, le risque de récidive est à peu près nul. Ce sont les personnes qui, à notre avis, seront injustement assujetties à cette peine minimale de cinq ans.

Il y a une décision récente de la Cour d'appel, dans l'affaire Batisse qui concernait une jeune femme autochtone, souffrant de maladie mentale. Elle a plaidé coupable au rapt d'un nouveau-né.

La Cour d'appel a ramené sa peine de cinq ans à deux ans et demi, après avoir soigneusement examiné les diverses circonstances atténuantes que l'on retrouvait dans cette affaire.

Elle avait été maltraitée par pratiquement toutes les personnes qu'elle avait connues et après toutes ces années de maltraitance, elle souffrait d'une maladie mentale. Elle a ensuite fait une fausse-couche après avoir été agressée. Son histoire est vraiment horrible. La cour a jugé que la maladie mentale de l'accusé avait joué un rôle central dans la perpétration de l'infraction et que, dans ces circonstances, l'élément dissuasif et la rétribution perdaient de leur importance. Nous estimons que ce genre de cas n'est pas rare. Nous sommes préoccupés en particulier par le fait que des femmes et des personnes souffrant de maladie mentale risquent d'être pénalisées par un projet de loi comme celui- ci. Je serais heureuse de vous parler davantage de cette affaire. Je suis une pénaliste. Je ne suis pas une spécialiste des maladies mentales ou des questions touchant les collectivités autochtones; c'est pourquoi je vous encourage à inviter des experts faisant partie de ces groupes pour qu'ils viennent témoigner au sujet du projet de loi.

Nous estimons que tel que formulé, le projet de loi contient une exception pour les parents, et cela nous préoccupe, en particulier dans les collectivités autochtones et dans certaines collectivités ethniques, dans lesquelles la notion de famille est plus souple et où les membres de la famille élargie et les amis de la famille jouent un rôle important dans la vie des enfants. Nous avons des inquiétudes sur ce point et nous pensons qu'avant d'adopter le projet de loi, il conviendrait de préciser cette question.

J'aimerais enfin dire que le CCAD estime que le Sénat joue un rôle essentiel. Nous pensons que, sous bien des rapports, vous êtes comme une cour d'appel. Votre travail consiste à examiner objectivement les preuves et d'intervenir ou de fournir des conseils lorsque la Chambre commet une erreur; nous vous invitons à le faire dans ce cas-ci. Je vous remercie de m'avoir donné la possibilité d'être ici et serai heureuse de répondre à vos questions.

Le président : Merci. Nous sommes heureux que vous ayez pu comparaître. Nous allons commencer les questions avec le parrain du projet de loi, le sénateur Boisvenu.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : D'abord, je tiens à vous remercier pour votre témoignage. Je vois que vous défendez une position qui, depuis trois ans que je l'écoute, est la même : vous êtes contre les peines minimales et vous laissez à la compétence des juges le choix d'établir les barèmes au niveau des sentences.

Je vais vous citer un cas qu'on a eu en 2012. Il s'agit d'un juge qui s'appelait Jean-Pierre Boyer, et qui jugeait un cas de fraude dans lequel des personnes âgées se sont faites escroquées. Il a refusé d'entendre les victimes âgées exposer les séquelles que ce crime leur a laissées. Ce qu'il a déclaré a surpris tout le monde; il a dit : « Moi, je suis un juge de gestion. M'asseoir dans une salle et passer deux heures à écouter des témoins, je n'ai pas le temps de faire ça. Je me rends disponible pour des plaidoyers et de tas de trucs, mais pas ça. Surtout que c'est un dossier de fraude, donc il y a des séquelles monétaires mais pas physiques ».

Je ne pense pas que les juges ont tous cette sensibilité par rapport aux victimes, et la grande frustration des victimes est de voir souvent un écart important entre la gravité d'un crime commis et la sentence. Donc, pour les victimes, cela vient assurer qu'il y a une sorte de coussin minimal pour respecter leur ressenti du crime commis à leur encontre.

Je voudrais revenir sur un point. Vous êtes avocat de la défense et, au Québec, dans le cadre du projet de loi C-10, 70 p. 100 de la population appuyait les peines minimales obligatoires. J'essaye de comprendre et je voudrais que vous m'expliquiez cet écart important entre la position des avocats de la défense et celle du peuple, des gens qui disent que des peines minimales obligatoires dans certaines circonstances — crimes sexuels, enlèvement d'enfant — c'est tout à fait normal.

La question que je veux vous poser est celle-ci : comment a été faite la consultation auprès de vos membres? Combien en avez-vous consulté? Quelle méthodologie avez-vous employée, et quel est le pourcentage de vos membres qui ont pris position pour s'opposer, par exemple, aux peines minimales obligatoires?

[Traduction]

M. Spratt : L'opposition aux peines minimales obligatoires est une position que partagent tous les membres de la Criminal Lawyers' Association. Il y en a 1 200. Pour ce qui est de l'écart qui existe entre les perceptions de la population et ce qui se passe vraiment sur le terrain, j'ai distribué une liste d'articles de revues universitaires et vous invite vivement à en lire quelques-uns, par exemple, l'article de Julian Roberts de 2003, publié dans le magazine Criminal Justice and Behaviour, une revue examinée par les pairs, et intitulé « Public Opinion and Mandatory Sentencing » (L'opinion publique et les peines obligatoires). Des travaux plus récents sur cette question montrent qu'il existe un écart entre l'opinion publique et ce qui se passe concrètement pour ce qui est des résultats consécutifs à un procès ou à un plaidoyer.

Par contre, lorsque le public connaît les faits entourant l'infraction, la situation du contrevenant, lorsqu'il assiste au procès, entend les observations, lit la jurisprudence et est bien informé, cet écart disparaît. La différence qui existait entre la perception du public et ce qui se passe en réalité disparaît.

Cette question ne dépend pas des sondages et devrait être régie par les sondages. Nous devrions agir en fonction des preuves et de ce que souhaite une population informée. En fait, les études et les preuves indiquent que, lorsque le public est informé de ce qui se fait dans notre système de justice pénale, il a davantage confiance pour ce qui est de la procédure et des résultats finaux. Ce que nous ne devrions pas faire, d'après moi, c'est d'examiner les sondages d'opinion pour justifier une mesure législative. Il conviendrait plutôt que concentrer nos efforts sur le volet information pour que le public sache ce que ceux qui participent à l'administration de la justice savent.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Lorsque le public voit un juge donner une sentence de 45 jours dans la collectivité pour un pédophile — et on l'a vu en Estrie, 45 jours dans la collectivité pour avoir agressé un enfant — et l'autre juge va donner trois ans de sentence pour un crime similaire, est-ce que cela ne discrédite pas aux yeux du public la justice? Avoir des sentences minimales pour des crimes semblables, cela assure une crédibilité à la justice. Il ne s'agit pas de savoir si cela aura un effet sur la réhabilitation ou non. Cela ajoutera une crédibilité à la justice en matière judiciaire, vous ne croyez pas?

[Traduction]

M. Spratt : Il y a sans doute deux façons d'aborder cette question. La première est d'imposer des peines minimales et de fixer des normes élevées. Cela pourrait effectivement rassurer le public au sujet de ce que font nos tribunaux, mais ce serait une façon malhonnête de régler cette question parce qu'elle ne refléterait pas la réalité ni les preuves et ne dirait pas à la population ce qui se passe vraiment.

L'autre solution, qui est bien préférable, est d'informer la population. J'ai trois enfants et je prends donc très au sérieux ce projet de loi. Lorsque mon enfant se réveille en pleine nuit en criant qu'il y a un monstre dans le placard, je pourrais mettre une barrière devant les portes du placard, fermer la porte pour être sûre que ce monstre ne sortira jamais; je pourrais également expliquer rationnellement à mon enfant que les monstres n'existent pas. L'enfant pourrait accepter l'une ou l'autre solution. Une de ces deux solutions est honnête sur le plan intellectuel et la seconde ne l'est pas, d'après moi.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Major, les peines obligatoires existent depuis longtemps, mais ces dernières années, le législateur y a eu recours beaucoup plus fréquemment. Vous êtes un des juristes les plus respectés au Canada. Pensez- vous que les juges devraient disposer d'un pouvoir discrétionnaire lorsqu'ils imposent une peine?

M. Major : Je ne suis pas sûr de bien comprendre la question.

La sénatrice Jaffer : Pensez-vous que les juges devraient avoir un pouvoir discrétionnaire?

M. Major : Oui, je le crois.

La sénatrice Jaffer : Pourriez-vous dire pourquoi vous pensez qu'ils devraient avoir un pouvoir discrétionnaire?

M. Major : Je serais heureux de le faire.

Je souscris à ce que certains intervenants vous ont déclaré et ce qui s'est passé confirme leurs dires. Lorsque vous avez recours au pouvoir discrétionnaire d'un juge, vous confiez un dossier à une personne qui normalement en a entendu un certain nombre. Cette personne a peut-être participé à des procès. Elle connaît le système et elle sait qu'à cause des faits, chaque affaire est différente des autres sur certains points.

Une question précédente portait sur l'opinion de la population, qui est en général mal informée. Comme l'a déclaré l'intervenant, lorsque la population est informée, elle change parfois d'idée.

Pour en arriver à la question précise des peines minimales, quelqu'un a fait remarquer que cela faisait près de 50 ans que je travaillais dans le système judiciaire, à un titre ou à un autre. Je ne me souviens pas qu'un enleveur d'enfants n'ait jamais été condamné à une peine de cinq ans d'emprisonnement, même s'il est possible que cela soit arrivé quelquefois. Dans l'affaire dont je me suis occupé, les auteurs de l'enlèvement étaient des jeunes hommes qui ont chacun reçu une peine de 15 ans de prison. C'était une première infraction. C'était l'enlèvement d'un enfant. Les juges réagissent, tout comme la population, à l'aspect horrible de ce genre de crime.

Le projet de loi qui vous est soumis contient des exceptions pour les parents lorsqu'un conflit familial amène le père à s'emparer de l'enfant alors que la mère en a la garde. Le projet de loi voit là une exception. Permettez-moi de vous dire qu'il arrive qu'il soit dans l'intérêt de l'enfant qu'il soit enlevé, mais pas dans le sens habituel d'enlever en vue d'obtenir une rançon, bien sûr. Lorsqu'un parent d'accueil qui ne bénéficie pas de l'exception voit qu'un enfant est maltraité ou qu'il se trouve dans des circonstances qui le mettent en danger et qu'il agit ensuite pour protéger l'enfant — il ne cherche pas à obtenir une rançon —, il fera l'objet d'une peine minimale de cinq ans de prison. Cela est contraire au bon sens.

La sénatrice Jaffer : Ma question suivante porte sur les principes de la peine. Lorsqu'il existe des peines minimales obligatoires, il est difficile de concilier les objectifs des peines avec les peines minimales obligatoires. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Major : Nous pouvons nous baser sur l'expérience américaine. Des peines minimales ont été appliquées à un certain nombre d'infractions dans différents États qui possèdent un pouvoir dans ce domaine et il s'est passé deux choses. Lorsque les juges estiment qu'il y a une peine minimale obligatoire, ils pensent qu'ils ont respecté leur obligation lorsqu'ils imposent la peine minimale. Dans un dossier où la peine devrait être d'au moins 10 ans, le juge peut se fixer sur l'idée que la peine minimale est de cinq ans. Je dirais que les données indiquent que, sur une certaine période, lorsque la loi impose une peine minimale, c'est la peine qui est habituellement infligée. Pour l'enlèvement d'enfants, une peine de cinq ans n'est pas appropriée.

N'oubliez pas, comme l'a déclaré un de vos témoins, qu'il ne s'agit pas d'un seul juge. Le juge du procès écoute les témoignages, rend une décision et fournit des motifs. Mais s'il ne suit pas les principes établis, il y a toujours la cour d'appel qui est composée d'au moins trois juges et, bien souvent, de cinq; il est ensuite possible d'interjeter appel de la peine devant la Cour suprême.

Parlons d'abord de la Cour d'appel. Il y a quatre avocats expérimentés, qui sont maintenant des juges, et qui ont passé diverses périodes de leur vie à étudier les peines et vous savez que la rétribution est une composante importante de la peine. La réadaptation est un élément important de la peine. La protection du public est un aspect privilégié. Ce problème est trop complexe pour penser qu'il est possible de le résoudre en imposant tout simplement une peine obligatoire.

Le sénateur McIntyre : Si j'ai bien compris, le projet de loi C-299 traite des personnes déclarées criminellement responsables par opposition aux personnes déclarées non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux.

Madame Stewart, vous avez soulevé la question des maladies mentales dont souffrent certains contrevenants. Je dois reconnaître que je suis d'accord avec vous. Il y a des cas où les contrevenants accusés d'infractions comme l'enlèvement ou d'autres dispositions du code comme la séquestration, la prise d'otage, le rapt et les infractions liées à la traite des personnes souffrent bien souvent de troubles mentaux, ce qui les exonère de toute responsabilité pénale. Ne pensez- vous pas que dans ce genre d'affaires un bon avocat n'essaiera pas de soulever la question de la santé mentale, telle que définie à l'article 672.1 du code?

Mme Stewart : Je peux vous dire qu'il arrive bien souvent que l'accusé souffre d'une maladie mentale, mais que cette maladie ne soit pas suffisamment grave pour qu'il soit déclaré non responsable criminellement par un tribunal. L'article 16 présente le critère de l'irresponsabilité criminelle et exige que la personne visée soit atteinte de troubles mentaux qui la rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de son acte et de savoir que celui-ci était mauvais. Il est très difficile de répondre à ce critère, et cet aspect est donc soulevé dans certaines affaires. Ce critère est très rarement rempli de sorte qu'il y a de nombreux accusés qui sont atteints de maladie mentale, mais pas au degré exigé. L'expression utilisée est celle de la capacité réduire. Dans l'arrêt de la Cour d'appel que j'ai mentionné, Batisse, la femme en question souffrait d'une grave dépression, mais n'a pas été déclarée non responsable criminellement par les tribunaux.

Le sénateur McIntyre : Oui, mais l'avocat de la défense peut toujours demander au juge de faire procéder à une évaluation psychiatrique pour savoir si l'accusé souffre réellement d'un trouble mental qui l'exonérerait de toute responsabilité pénale.

Mme Stewart : Il pourrait le faire, mais je crois savoir qu'elle a été évaluée. Il faut toutefois souffrir d'un trouble psychotique pour être déclaré non criminellement responsable. Elle souffrait d'une grave dépression qui résultait de nombreuses années de maltraitance et de la perte de son enfant à la suite d'une fausse couche causée par cette agression.

Le sénateur McIntyre : Ce n'était pas suffisant pour l'exonérer de responsabilité pénale?

Mme Stewart : Pas suffisant pour l'exonérer de responsabilité pénale, mais le juge a conclu que le trouble mental avait joué un rôle central dans la perpétration de l'infraction. Il a donc été amené à prendre en compte sa réadaptation et d'autres éléments en plus de la dissuasion et de la dénonciation.

Le sénateur Baker : Je remercie l'honorable John Major d'être présent aujourd'hui par vidéoconférence. Nous admirons la contribution que vous avez apportée à notre pays pendant que vous étiez juge. Merci également à nos deux témoins qui nous ont présenté d'excellents exposés.

Ma question porte sur les principes de l'arrêt Gladue qui ont été soulevés, mais j'aimerais l'adresser à M. Spratt. Il a représenté un accusé et un jugement a été rendu il y a environ deux mois par la Cour supérieure de justice de l'Ontario dans l'affaire R. c. Serré, [2013] ONSC 1732. Au paragraphe 15 du jugement, le tribunal décrit la situation tragique des prisons canadiennes et mentionne les dernières statistiques.

Monsieur Spratt, vous vous souvenez que vous avez demandé une peine avec sursis dans vos observations à ce sujet.

M. Spratt : C'est exact.

Le sénateur Baker : J'aimerais que vous me rappeliez ce qu'est le droit actuel, parce qu'il n'est pas tel que je le pensais, même si c'est bien évidemment ce qui a été dit. Au paragraphe 15, le juge a déclaré :

Aux termes de l'alinéa 718.2e) du Code, le juge chargé de prononcer la peine doit « prêter attention aux facteurs historiques et systématiques particuliers qui ont pu contribuer à ce que ce délinquant soit traduit devant les tribunaux » (Gladue, au paragraphe 69). Cependant, comme la Cour l'a précisé dans Ipeelee, au paragraphe 83 : [...] Ces facteurs n'influeront pas sur la détermination de la peine, à moins que la situation particulière de l'accusé n'ait un lien avec sa culpabilité et ne suggère de quelle manière la mise en œuvre des objectifs de la peine devrait être adaptée au contexte actuel du prévenu.

Cette personne a reçu une peine de quatre ans d'emprisonnement selon ce jugement.

Pouvez-vous expliquer cela? La Cour suprême du Canada a rendu ce jugement il y a environ six à huit mois, et d'après la Cour supérieure, ce jugement a modifié les principes de l'arrêt Gladue. Vous avez participé à cette affaire. Pouvez-vous expliquer la nature de ce changement majeur?

M. Spratt : Pour ce qui est de la façon dont les arrêts Gladue et Ipeelee s'appliquent à l'affaire que vous avez citée, Serré était une affaire de fraude en matière d'immigration dans laquelle la cour a accordé une importance accrue aux principes de dissuasion générale et de dénonciation générale.

Mme Serré n'avait pas récidivé et était réadaptée. Il était peu probable qu'elle commette une autre infraction. Il fallait toutefois indiquer clairement à la population canadienne qu'en matière d'immigration, il faut faire très attention, parce que celui qui ne respecte pas la loi le fait à ses dépens. C'est dans les affaires de ce genre que les principes de l'arrêt Gladue prennent une grande importance lorsqu'on parle de réadaptation et de réintégration, alors qu'ils peuvent jouer un rôle mineur lorsqu'il s'agit d'infractions très graves qui exigent que l'on se fonde sur la dissuasion générale et sur la dénonciation générale.

Le problème que pose le projet de loi que nous sommes en train d'examiner est qu'il est possible d'imaginer toute une série de dossiers dont sont rarement saisis les tribunaux et qui entraînent l'application des principes de Gladue à une peine minimale. Par exemple, il pourrait s'agir d'une délinquante autochtone primaire qui a des problèmes de santé mentale, qui a elle-même été maltraitée, qui a peut-être fait une fausse-couche à l'hôpital, a donné naissance à un enfant mort-né et qui a enlevé un bébé à l'hôpital; elle a ensuite hésité dès qu'elle a quitté l'hôpital et y a rapporté le bébé. Ce genre d'affaires met en jeu les principes de l'arrêt Gladue, mais ces derniers auraient très peu d'effet sur la peine imposée en fin de compte parce que c'est de toute façon la peine minimale qui s'appliquerait. Ces facteurs Gladue, qui peuvent atténuer la peine et qui pourraient le ramener à moins de cinq ans d'emprisonnement, ne pourraient pas être pris en considération. Voilà qui va certainement à l'encontre de ce que la Cour suprême a déclaré aussi bien dans Gladue que dans Ipeelee.

La sénatrice Batters : Monsieur le juge Major, je vous remercie de comparaître aujourd'hui devant le comité. J'ai lu un article dans le Toronto Star au sujet du témoignage que vous avez livré devant le comité de la Chambre des communes et il n'aborde peut-être pas tous les points que vous avez abordés là-bas.

J'aimerais porter cette affaire à votre attention et savoir ce que vous en pensez. Vous n'avez pas tous les faits.

Je viens de la Saskatchewan, et il y a eu récemment un cas dans la petite ville de Yorkton. Un étranger a attiré une petite fille de 10 ans qui se trouvait dans une fête en été. Elle a réussi à s'échapper assez rapidement avant de subir une attaque physique ou autre, et un autre étranger l'a retrouvée dans un champ. Cet individu s'appelait Melvin Koroluk et il a reçu sa peine à la fin du mois d'avril. C'était un délinquant primaire et il a eu une peine de deux ans moins un jour.

Dans cette affaire, l'avocat de la défense demandait une peine avec sursis. L'article mentionnait que l'agent de probation avait écrit qu'il n'avait pas été en mesure de trouver des stratégies concrètes d'autogestion pour faire en sorte qu'il n'adopte jamais plus ce genre de comportement, à part de suggérer qu'il ne devait jamais se retrouver près d'enfants.

Compte tenu de ce que vous disiez tout à l'heure, monsieur le juge Major, il a reçu une peine très légère pour ce qui était d'un enlèvement par un étranger d'un enfant de 10 ans. Je voulais savoir ce que vous en pensiez, monsieur.

M. Major : Cette question m'est-elle adressée?

La sénatrice Batters : Oui.

M. Major : Il est difficile de dégager un principe d'une affaire particulière. On peut toujours trouver des affaires qui permettent d'étayer n'importe quel principe.

Un des sénateurs a fait remarquer il y a un instant que la population ne comprendrait pas ce que vous décriviez comme étant une peine légère et ce qui semble l'être, de sorte qu'elle préférait les peines minimales obligatoires. Cependant, comme l'un de vos témoins l'a fait remarquer, lorsqu'on explique aux gens le principe des peines obligatoires et le principe de ce que j'appellerais la détermination discrétionnaire des peines, cela change complètement leur façon de voir.

Je ne peux pas faire de commentaire sur un cas particulier. Je pourrais dire, tout comme vous, que cela me semble être une peine légère. Je ne connais pas les faits. Il ne faut pas oublier que cette affaire peut être portée devant la Cour d'appel. On y retrouve la sagesse collective des trois juges d'appel. Je pense que vous pouvez tenir pour acquis que les juges sont particulièrement sensibles aux victimes, lorsqu'il s'agit d'enfants. Ils n'ont pas besoin d'être guidés par l'existence d'une peine obligatoire. Je pense qu'ils réagissent de façon très positive et très sévère aux agressions commises contre les enfants.

Cela dit, il y a des affaires qui ne cadrent pas tout à fait avec ce que nous appelons habituellement un enlèvement. J'ai mentionné plus tôt qu'il existait une exclusion pour les parents qui s'affrontent au sujet de la garde d'un enfant et lorsqu'il y a enlèvement de l'enfant visé. Il n'y a pas d'exception lorsqu'un enfant est enlevé — l'utilisation limitée du mot « enlever » — dans son intérêt. J'ai donné l'exemple d'un parent d'accueil qui ne serait peut-être pas protégé par l'exception, et qui aurait retiré l'enfant d'une situation dangereuse dans laquelle il se trouvait. Il est clair qu'il a agi dans l'intérêt de l'enfant. Que se passe-t-il avec la peine obligatoire? Allez-vous envoyer en prison pendant cinq ans une personne qui a manifestement agi dans l'intérêt de l'enfant? Sur le plan pratique, le poursuivant peut fort bien décider de ne pas porter d'accusation, mais cela ne répond pas à la préoccupation que je viens d'exprimer.

Le sénateur Joyal : J'aimerais vous poser une autre question, monsieur Major, au sujet du principe Gladue. Je crois que vous siégiez à la Cour suprême en 1999 au moment où la cour a rendu cette décision. Vous avez entendu nos témoins et le sénateur Baker a soulevé la question de l'effet qu'auraient les peines minimales sur le principe Gladue. Autrement dit, lorsque la loi prévoit une peine minimale, le juge n'a pas le pouvoir de prendre en considération le statut autochtone du contrevenant.

Avec la multiplication des peines minimales qui ont été introduites dans le Code criminel ces six ou sept dernières années, pensez-vous qu'à un moment donné un avocat va soutenir que le principe Gladue a été contourné de façon systématique dans le code et que cela va à l'encontre de l'objectif qui était à la base de l'arrêt Gladue de 1999? Autrement dit, un Autochtone ne pourrait-il pas contester l'imposition d'une peine minimale en se fondant sur ce principe?

M. Major : Cela fait un moment que je ne siège plus et ma mémoire n'est peut-être pas aussi claire qu'elle devrait l'être. Je dirais toutefois que cela se produit régulièrement.

Le sénateur Joyal : Dans quel contexte?

M. Major : La plupart des praticiens, en particulier les avocats de la défense et les poursuivants, lorsqu'ils estiment que, dans une affaire donnée, la peine minimale n'est pas appropriée, vont trouver le moyen de faire réduire l'accusation pour éviter la peine minimale ou pour amener le tribunal à déclarer que les preuves sont insuffisantes. Lorsque les faits ont probablement été établis, mais que l'accusé risque une peine minimale, le juge déclare tout simplement, en particulier dans une affaire limite, que la personne en question n'est pas coupable.

Il y a une affaire de Californie qui illustre très bien jusqu'où peut aller une peine minimale portée à l'extrême et où trois condamnations — déclarations de culpabilité — ont entraîné une peine d'emprisonnement à perpétuité. Il y a eu une affaire qui a été largement rapportée dans laquelle la troisième infraction venait du fait que l'accusé s'était penché au-dessus d'une table de pique-nique et avait pris un morceau de pizza qui appartenait à quelqu'un d'autre. Selon le droit californien, cela constituait un vol avec violence. Ce geste a déclenché l'application de la peine minimale et l'emprisonnement à perpétuité était automatique. Bien sûr, nous pensons tous que cela est bien extrême, mais lorsqu'on impose des peines minimales et qu'on écarte la sagesse accumulée des tribunaux, je crois que c'est une idée qui risque de venir vous hanter.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma première question s'adresse à Mme Stewart. Est-ce que vos craintes à l'égard des personnes qui souffrent de déficience mentale devraient nous faire conclure que les tribunaux ne sont pas capables de faire preuve de compréhension dans ce genre de cas?

[Traduction]

Mme Stewart : Ce n'est pas vraiment que les tribunaux ne comprennent pas ce genre d'affaires; c'est simplement le fait qu'une peine minimale obligatoire lie les mains du juge. Il peut arriver que celui-ci soit saisi d'une situation qu'il connaît très bien et où l'accusé souffre d'une maladie mentale très grave, mais pas suffisamment pour qu'il soit déclaré criminellement irresponsable. Que peut-il faire lorsque la loi prévoit une peine minimale obligatoire? Il ne peut rien faire d'autre que condamner cette personne à un emprisonnement d'au moins cinq ans, et c'est ce qui nous préoccupe.

Je ne sais pas s'il serait possible de faire une exception pour la personne qui commet l'infraction en raison d'une maladie mentale. Je ne pense pas qu'il existe un précédent de ce genre de cas, c'est ce qui nous inquiète. Le juge connaîtra la situation. Un bon avocat de la défense l'expliquera au juge, mais avec une peine minimale obligatoire, celui-ci ne pourra que s'exécuter.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma dernière question est pour M. Spratt. Elle est fort simple. J'ai écouté votre témoignage et je crois comprendre que vous dites que ce projet de loi ne pourra pas atteindre ses objectifs. J'aimerais entendre vos suggestions concernant d'autres solutions qui pourraient enrayer le genre de criminalité visé par le projet de loi.

[Traduction]

M. Spratt : Oui. Il est tout à fait exact que le législateur dispose de toute une gamme d'outils pour faire savoir qu'il exècre les crimes graves. Nous le voyons déjà avec le code, qui contient une liste de circonstances aggravantes dont le juge doit tenir compte. Il y en a qui figurent déjà dans le code même sans le projet de loi — comme l'âge et la vulnérabilité de l'enfant, le type d'infraction, l'utilisation d'une arme à feu. Ces facteurs se trouvent à l'article 718 du Code criminel.

D'après mon expérience, ces circonstances aggravantes jouent un très grand rôle pour le tribunal et entraînent des peines plus sévères. C'est en confiant l'application des principaux généraux à ceux qui connaissent les faits d'une affaire que l'on peut obtenir, d'après moi, des résultats équitables. La plupart du temps, pour les crimes de ce genre, le résultat équitable est une peine de pénitencier longue et sévère de plus de cinq ans.

Bien entendu, le problème que pose ce genre de solution automatique est qu'elle crée également des injustices à l'autre extrémité de la gamme des peines. C'est avec des déclarations reformulant les principes généraux que l'on applique à des affaires particulières que l'on obtient les meilleurs résultats. Je proposerais que le législateur règle les situations de ce genre en élaborant des déclarations de principe dont les juges doivent tenir compte.

Le sénateur Plett : Mes questions allaient également porter sur la maladie mentale. Je ne suis pas d'accord avec notre témoin, mais je pense qu'elle a répondu à cette question. Je vais tout simplement poser une question supplémentaire à monsieur le juge Major. Il a parlé à deux reprises du cas où des parents d'accueil s'emparent d'un enfant. Le projet de loi vise les étrangers et je me demande s'il faisait référence à des parents d'accueil qui connaissaient l'enfant dont ils s'emparaient. Si c'est bien le cas, je ne pense pas que cela s'appliquerait. Si ce sont d'autres personnes, ne pourrais-je pas soutenir pour me défendre qu'en tant que parent d'accueil, j'ai vu qu'un enfant était maltraité — même toute personne qui voit un enfant maltraité —, ils ont retiré l'enfant de cette situation pour le remettre aux autorités? Cela prouverait certainement que je n'ai pas enlevé cet enfant. Si je n'avais pas remis l'enfant aux autorités, un tel geste mériterait d'être puni.

M. Major : Je suis d'accord avec vous lorsqu'il s'agit d'éviter qu'un enfant soit maltraité, ce qui évidemment n'est pas une infraction. L'enlèvement en vue d'obtenir une rançon est le cas auquel nous pensons habituellement.

Il y a de nombreux cas de parents divorcés. L'affaire la plus récente que j'ai vue concernait une femme qui avait amené les enfants à l'étranger où ils étaient restés pendant 15 ans. La disposition relative aux peines obligatoires contient une exception pour les parents séparés, mais qui demeurent des parents. Il n'y a pas d'exception pour la personne qui n'a pas acquis le statut de parent. Au début d'une relation de fait, les parties ne sont pas considérées comme des conjoints, à quelque fin que ce soit. Si, dans de telles circonstances, la femme ou le mari, celui qui a la garde de l'enfant, retire l'enfant à la mère naturelle dans l'intérêt de ce dernier, alors il faudrait tenir compte de cet élément. Cela devrait faire partie des exceptions.

Il y a de nombreuses affaires d'enlèvement par un membre de la famille et il faudrait prévoir là une exception. Je ne parlais pas de soustraire l'enfant à un danger immédiat, mais de confier la garde de l'enfant à une personne, dans l'intérêt de l'enfant. Il faudrait bien entendu démontrer que la personne a véritablement agi dans l'intérêt de l'enfant.

Il y a d'autres affaires dans lesquelles le Canada n'a pas conclu d'accord avec d'autres pays au sujet du renvoi des enfants enlevés, mais c'est une catégorie d'affaires différentes parce que la personne qui a commis l'infraction ne reviendra jamais au Canada.

Le président : J'ai soulevé ce point lorsque nous avons parlé des peines minimales obligatoires. J'aimerais obtenir une brève réaction de la part des témoins s'il y en a qui souhaitent le faire. C'est un commentaire qui émane de la Cour d'appel de l'Alberta, de décembre 2010. Dans cette affaire, le tribunal avait imposé une peine d'emprisonnement de 90 jours à purger de façon intermittente et la probation à un accusé qui avait violé une jeune fille inconsciente. La cour a déclaré :

[...] La recherche d'un juge favorable est une pratique bien vivante au Canada. [...] Il est pratiquement impossible d'atteindre les objectifs des peines et de respecter les principes qui y sont associés s'il n'y a pas une uniformité raisonnable dans l'approche à la détermination de la peine adoptée par les juges de première instance et d'appel au Canada. La recherche d'une sanction juste devient alors au mieux une loterie et au pire, un mythe. [...] Si les tribunaux n'agissent pas pour donner effet aux promesses du législateur et si la confiance publique dans le système judiciaire diminue, alors le Parlement sera obligé d'intervenir.

Cela explique en partie pourquoi nous constatons à l'heure actuelle un recours accru aux peines minimales obligatoires. Quelqu'un d'entre vous souhaite-t-il commenter cette opinion de la Cour d'appel?

M. Spratt : R. c. Arcand est un long jugement de la Cour d'appel. L'arrêt Arcand reconnaît en particulier que la peine imposée doit se situer à l'intérieur de la gamme des peines possibles. Il peut exister des circonstances aggravantes ou atténuantes qui peuvent amener le tribunal à s'écarter de cette gamme de peine. L'aspect que vous essayez de régler avec les peines minimales obligatoires va tout à fait à l'encontre d'un jugement qui irait dans l'autre sens parce qu'il n'est pas possible de s'éloigner de la gamme inférieure que représente la peine minimale. Il peut fort bien exister des circonstances atténuantes qui obligeraient le tribunal à s'écarter de cette gamme de peines s'il tenait compte de l'ensemble des preuves.

Les peines minimales obligatoires ne vont pas régler le problème qui se posait dans Arcand et elles vont aggraver d'autres problèmes. J'ai comparu au sujet d'un bon nombre de projets de loi qui prévoyaient des peines minimales obligatoires. Nous avons vu un grand nombre de projets de loi et certains au sujet desquels j'ai comparu prévoyaient des exceptions constitutionnelles; cela a entraîné l'annulation de certaines lois et des conflits au niveau des appels. La Cour suprême va un moment donné se prononcer sur cette question et il y a encore des dossiers pendants devant la Cour d'appel.

Pour répondre plus précisément à votre question, je ne pense pas que l'établissement d'une peine minimale résoudra le problème soulevé dans Arcand. Si cela réglait en partie ce problème, il y en aurait d'autres qui apparaîtraient et qu'il faudrait alors régler.

Le président : Nous sommes heureux que vous ayez tous les trois pu contribuer à nos délibérations de ce soir.

M. Major : Puis-je faire un commentaire sur ce point?

Le président : Je suis désolé, mais ce n'est pas possible, monsieur le juge Major, parce que nous n'avons pas respecté l'horaire et il y a d'autres témoins qui doivent comparaître. Nous sommes heureux que vous soyez venu.

M. Major : Puis-je prendre congé selon une formule particulière?

Le président : Allez-y.

M. Major : Dans votre sagesse, lorsque vous examinerez le projet de loi, demandez à n'importe qui s'il peut vous donner un exemple qui montre qu'une peine obligatoire, quel que soit l'État ou le pays où elle a été imposée, a réduit le crime — n'importe où.

Le président : Merci pour cette dernière remarque et pour être venu ici.

Le deuxième panel de ce soir comprend le commissaire adjoint, Antoine Babinsky, opérations techniques, de la GRC. M. Bilinski ne sera pas avec nous ce soir. L'inspectrice Carole Bird est l'officier responsable pour les personnes disparues et les restes non identifiés.

Lianna McDonald, directrice générale du Centre canadien de protection de l'enfance comparaît par vidéoconférence de Winnipeg, au Manitoba. Monique St. Germain, avocate-conseil, s'est jointe à Mme McDonald.

Nous allons commencer par le commissaire adjoint Babinsky. Allez-y.

[Français]

Commissaire adjoint Antoine Babinsky, Opérations techniques, Gendarmerie royale du Canada : Honorables sénateurs et sénatrices, bonsoir. Je voudrais vous remercier de me donner l'opportunité de parler des réalisations de la Gendarmerie royale du Canada concernant les personnes disparues. Le Centre canadien de police pour les enfants disparus et exploités a été créé pour répondre aux préoccupations grandissantes concernant la sécurité des enfants.

Le centre est composé de deux secteurs distincts mais intimement liés qui s'efforcent de protéger les Canadiens ici à et l'étranger. Ces deux secteurs sont le Centre national de coordination contre l'exploitation des enfants, qui a pour mandat de réduire la vulnérabilité des enfants face à l'exploitation sexuelle sur Internet, et le Centre national pour les personnes disparues et les restes non identifiés.

Dans le cadre du budget fédéral de 2010, la GRC a obtenu deux millions de dollars par année pour étendre les activités des opérations nationales pour les enfants disparus dans le but d'établir un centre national comprenant les adultes disparus et les restes humains non identifiés. C'est ainsi que le Centre national pour les personnes disparues et les restes non identifiés, ou CNPDRN, a été créé en 2011.

Le CNPDRN a pour mission de prêter assistance dans les enquêtes sur des personnes disparues et des restes non identifiés à l'échelle nationale. Le mandat du centre est le suivant : améliorer les services d'enquête spécialisés à l'appui des enquêtes sur les personnes disparues et les restes non identifiés, notamment pour les organismes d'application de la loi, les médecins légistes et les coroners en chef; augmenter l'efficacité opérationnelle et la génération de renseignements opérationnels; élaborer de la formation pour les policiers; et prêter assistance dans le cadre de comparaison d'enquêtes sur des dossiers de personnes disparues et de restes non identifiés.

Dans le cadre de son mandat, le centre doit produire quatre produits clés : un site web national, une base de données nationale, des pratiques exemplaires en matière d'enquête, et de la formation. Je décrirai maintenant chacun de ces produits.

Le premier produit, achevé récemment, a été la création du site web, qui est www.disparus-canada.ca.

Lancé en janvier 2013, ce site web est le premier site national accessible au public conçu pour solliciter des indications et des renseignements du grand public sur des affaires concernant des enfants disparus, des personnes disparues et des restes non identifiés.

Les profils sont publiés sur le site web à la demande des enquêteurs principaux, qu'il s'agisse de policiers, de coroners ou de médecins légistes. Le site compte actuellement 746 profils d'enfants disparus, de personnes disparues et de restes non identifiés. De nouveaux profils sont régulièrement affichés sur le site. Le but ultime est d'obtenir du public de l'information qui peut permettre de faire avancer ces enquêtes.

Le deuxième produit du CNPDRN, la base de données sur les enfants disparus, personnes disparues et restes non identifiés est en cours d'élaboration.

Il s'agit de la première base de données policière nationale conçue spécialement pour les dossiers de personnes disparues et de restes non identifiés. La base de données permettra une analyse comparative accrue entre compétences et organismes, soit par le Centre national ou par les centres régionaux s'il y a lieu. Cette approche coordonnée permettra, pour la première fois, de saisir des données sur les dossiers des personnes disparues et des restes non identifiés dans une base de données centrale.

Le troisième produit découlant du mandat du CNPDRN consiste à fournir de la formation spécialisée aux enquêteurs. Une formation homogène permet de promouvoir des pratiques d'enquêtes réussies, ainsi que la collaboration entre différentes compétences et différents mandats pour que l'on puisse repérer les personnes disparues et identifier les restes humains aussi efficacement que possible.

Nous sommes en train d'élaborer de la formation qui sera offerte aux organismes d'application de la loi au Canada. Les deux premiers cours de formation en ligne sont disponibles depuis janvier 2013, et on est en train d'élaborer trois autres cours en ligne.

Le cours avancé d'enquêteur sur les personnes disparues et les restes non identifiés a été lancé comme cours pilote au Collège canadien de police en mars 2012.

Le quatrième produit attendu du CNPDRN est l'élaboration de pratiques exemplaires en matière d'enquête. Les pratiques exemplaires ont été recueillies par le CNPDRN partout au Canada et, dans certains cas précis, à l'échelle internationale, en consultation avec les enquêteurs des unités chargées des personnes disparues et des restes non identifiés. Le document sur les pratiques exemplaires en matière d'enquête a été offert aux services de police, aux coroners et aux médecins légistes du Canada à l'automne 2012.

Le CNPDRN héberge aussi le groupe des Opérations nationales pour les enfants disparus, ou ONED, qui continue d'aider les organismes d'application de la loi dans le cadre des enquêtes, de la localisation et du retour des enfants disparus en collaborant avec les organismes d'application de la loi et des organismes gouvernementaux.

Les ONED, qui font partie du programme Nos enfants disparus, qui comprend l'Agence des services frontaliers du Canada, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, le ministère de la Justice et Passeports Canada, s'efforcent de repérer et de retrouver les enfants qui ont été enlevés et emmenés hors du pays.

Les ONED assurent la liaison entre les autorités centrales fédérales, provinciales et territoriales en vertu de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants afin de retourner les enfants aux parents délaissés. Les ONED travaillent également de concert avec les organismes d'application de la loi dans environ 190 pays par l'intermédiaire d'Interpol afin de repérer les enfants et de les ramener en sécurité à leur gardien légitime.

[Traduction]

Le président : Je vais vous interrompre parce que nous ne disposons pas de beaucoup de temps. Je sais que tous nos témoins savent qu'ils peuvent présenter un exposé de cinq minutes. Si vous voulez rapidement résumer les points qui vous restent alors nous pouvons poursuivre. Nous voulons que les membres du comité puissent poser des questions.

M. Babinsky : Je viens de terminer les quatre missions qui nous ont été attribuées de sorte que je suis prêt à laisser la parole à un autre témoin.

Le président : Je vous remercie.

Madame McDonald, je crois que vous avez également un exposé à présenter. Allez-y.

Lianna McDonald, directrice générale, Centre canadien de protection de l'enfance : Monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de nous donner la possibilité de vous présenter un exposé au sujet du projet de loi C-299.

Je m'appelle Lianna McDonald, et je suis la directrice générale du Centre canadien de protection de l'enfance, un organisme de bienfaisance canadien enregistré qui fournit des services et des programmes nationaux concernant la sécurité personnelle des enfants.

J'ai eu le privilège de comparaître devant le comité dans le passé, tout récemment en rapport avec le projet de loi C- 222. Nous avons fourni à l'époque un bon nombre de documents contenant des renseignements généraux au sujet de notre organisation.

Mon but aujourd'hui est de fournir des explications au sujet du projet de loi C-299, d'appuyer cette mesure qui touche les dispositions du Code criminel en matière d'enlèvement. Pour ce faire, notre agence se base sur notre rôle qui est d'administrer missingkids.ca, le centre de ressource sur les enfants disparus au Canada. Avec ce programme, nous offrons aux familles un soutien qui leur permet de rechercher les enfants disparus et diffusons des documents éducatifs importants qui ont pour but de faire en sorte que les enfants ne disparaissent pas.

Je suis accompagné aujourd'hui par ma collègue Monique St. Germain, qui est avocate-conseil pour notre organisation et qui a effectué une recherche qui nous permettra plus tard d'établir certains liens. Elle et moi allons parler davantage de cet aspect à mesure que nous progressons. Nous nous intéressons à des études importantes au sujet des enfants enlevés et ensuite, assassinés; nous parlerons de cela un peu plus tard.

Notre organisation a été mise sur pied en 1985 à la suite de la mort tragique de Candace Derkson. Candace avait 13 ans et elle a disparu au moment où elle rentrait chez elle de l'école le 30 novembre 1984. Tous les membres de la collectivité se sont lancés à sa recherche, mais ce n'est qu'en janvier 1985 qu'elle a été retrouvée morte dans une remise située à moins de deux kilomètres de sa maison. Celui qui a enlevé Candace a été déclaré coupable de meurtre au second degré par un jury en 2011.

Au cours des 28 dernières années, notre organisation a travaillé avec d'innombrables familles d'enfants disparus pour essayer de leur fournir un soutien et de coordonner les ressources disponibles. Nous travaillons en étroite collaboration avec les services de police pour appuyer leurs recherches et nous distribuons aux enfants et aux familles des documents éducatifs et axés sur la prévention.

En 2011, nous avons lancé missingkids.ca, un service national pour les enfants disparus, avec l'appui du gouvernement du Canada. Ce site web offre d'importantes ressources, ainsi que des documents de prévention et d'information au sujet des enfants disparus au Canada.

Nous nous occupons également d'une ligne sans frais qui est ouverte 24 heures par jour, 7 jours par semaine et dont s'occupe du personnel formé. Nous collaborons avec les services de police canadiens des différentes régions et complétons les efforts qu'ils déploient pour rechercher les enfants disparus. Nous offrons un certain nombre de services de signalement d'enfants disparus qui vont au-delà du signalement des cas urgents, l'alerte AMBER.

Ce sont là quelques-uns des principaux services que nous offrons.

Nous avons eu la possibilité d'examiner le compte rendu des débats touchant le projet de loi C-299 avant de venir ici aujourd'hui. Plutôt que de répéter les renseignements qui vous ont déjà été fournis, nous aimerions en profiter pour présenter au comité quelques observations et des renseignements quelque peu différents.

Comme nous l'avons mentionné, nous offrons un certain nombre de documents éducatifs aux Canadiens et nous sommes toujours prêts à en apprendre davantage au sujet de l'ampleur du phénomène au Canada. Récemment, notre organisation a participé à un projet de recherche tout à fait nouveau qui portait sur les cas d'enlèvement par des étrangers au Canada et sur les victimes, des enfants de 16 ans et moins. Nous examinons des affaires qui remontent à 1960. Jusqu'ici, nous avons recensé plus de 100 dossiers de ce type. Les affaires que nous avons découvertes concernent des enfants qui avaient de deux à 16 ans. En effectuant cette recherche, nous avons examiné un certain nombre de sources importantes, y compris les dossiers judiciaires et les transcriptions des débats. Nous examinons également les aspects démographiques de la victime et de l'auteur de l'enlèvement. Nous étudions les circonstances ayant entouré l'infraction, la motivation de l'auteur de l'enlèvement et les techniques utilisées pour s'emparer de l'enfant.

Nous avons été amenés à effectuer cette analyse complexe à partir de l'idée que l'histoire d'un enfant ne nous apprendrait peut-être pas grand-chose, mais que la voix collective de tous ces enfants nous apprendrait quelque chose. Nous espérons que grâce à cette recherche nous allons mieux comprendre ces crimes et être en mesure de fournir des données importantes.

En 2012, nous avons publié des renseignements préliminaires tirés de l'analyse approfondie de 23 dossiers. L'aspect qui intéressera peut-être le comité compte tenu des débats dont a fait l'objet le projet de loi est que nos constatations préliminaires montrent que dans plus de la moitié de ces 23 dossiers, le délinquant a réussi à attirer l'enfant vers lui et n'a pas eu à s'en emparer par la force. Ces constatations préliminaires sont importantes si vous pensez au fait que les dispositions relatives à l'enlèvement exigent que l'enfant soit pris contre son gré. Dans le cas où l'enfant est attiré par le délinquant et que celui-ci n'utilise pas la force, il sera peut-être plus difficile d'établir au-delà de tout doute raisonnable que l'enlèvement a eu lieu contre le gré de l'enfant.

Par contraste, les dispositions relatives au rapt, les articles 280 et 281, qui sont passibles d'une peine moins sévère, n'exigent pas que l'enlèvement de l'enfant s'effectue contre la volonté de son père ou de sa mère. Il ressort de notre étude de l'échantillon des dossiers où il y a eu une accusation d'enlèvement plutôt qu'une accusation de rapt que la Couronne porte des accusations d'enlèvement lorsqu'elle dispose de preuves convaincantes et que le comportement en question est très grave. À notre avis, ce sont là le genre d'affaires où les peines minimales obligatoires sont particulièrement importantes.

Nous souhaitons également attirer l'attention du comité sur un type particulier d'enlèvement dont notre agence a pris connaissance parce qu'elle a travaillé directement avec les victimes dans cette affaire. Il s'agissait du délinquant Peter Whitmore, qui purge une peine d'emprisonnement à perpétuité pour deux chefs d'enlèvement résultant d'un incident survenu en 2006 au cours duquel il a enlevé un garçon de 14 ans au Manitoba, s'est rendu en Saskatchewan et s'est ensuite emparé là d'un enfant de 10 ans. Il a déclaré aux deux enfants à différentes reprises qu'il les tuerait, eux et leurs familles, s'ils ne lui obéissaient pas. Il les a forcés à regarder de la pornographie juvénile et il a agressé sexuellement les deux garçons. Les détails sont choquants, mais il n'est pas du tout surprenant que le tribunal ait imposé une peine d'emprisonnement à perpétuité pour cet enlèvement.

Ce qui est remarquable dans cette affaire, c'est que ce n'était pas la première fois que Peter Whitmore s'était emparé d'un enfant. Ce délinquant avait pris, à au moins deux occasions à ce que l'on sache, deux autres enfants pour les utiliser à des fins sexuelles. La première fois est survenue en mars 1983 où il a attiré un garçon de 11 ans pour l'agresser sexuellement pendant sept heures avant de le libérer. L'accusation portée était celle de rapt.

Neuf jours après avoir été libéré de cette accusation, il a reçu la permission parentale de s'occuper d'une fille de huit ans. Cette permission a été annulée par la suite, lorsque la mère a appris ses antécédents, mais pendant trois jours, Whitmore a agressé la petite fille avant d'éventuellement la remettre à sa mère. Une accusation de rapt n'a pas été portée dans cette affaire, mais il y a eu des accusations d'agression sexuelle. Il a reçu une peine de 56 mois d'emprisonnement qui reflète non seulement ce qu'il avait fait à cette petite fille, mais également ce qu'il avait fait à d'autres victimes qui se sont fait connaître. Il a purgé intégralement sa peine et un peu plus d'un an après son retour dans la collectivité, il a commis l'infraction d'enlèvement mentionnée plus haut.

Nous fournissions des renseignements concernant ce projet de recherche et l'affaire Whitmore pour deux motifs. Premièrement, nous pensons qu'il est important de savoir qu'il existe une différence très nette entre les dispositions relatives au rapt et à l'enlèvement et que les dispositions en matière d'enlèvement ne sont invoquées que dans les affaires les plus horribles. Deuxièmement, nous appuyons totalement l'imposition de peines minimales obligatoires pour l'enlèvement d'un enfant parce que nous savons que l'infraction telle que rédigée actuellement est extrêmement grave, mais nous voulons également suggérer que les peines maximales associées aux articles 280 et 281 soient révisées, compte tenu du fait que ce sont les dispositions utilisées les plus couramment en cas de rapt d'enfants et qu'il conviendrait d'envisager d'ajouter l'article 279 à la liste des infractions susceptibles de donner lieu à une ordonnance d'interdiction aux termes de l'article 161 du Code criminel du Canada.

Le président : Je suis désolé; je dois être juste pour tout le monde. Vous avez pris toutes les deux neuf minutes pour présenter votre exposé.

Vous pourrez ajouter des éléments lorsque vous répondrez aux questions des sénateurs, parce que notre temps est limité. Nous allons commencer avec le sénateur Boisvenu.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je remercie nos témoins et particulièrement les représentants de la GRC que je tiens d'abord à féliciter, car je constate que le dossier des disparus progresse rapidement.

En 2010, lorsque je suis arrivé au Sénat, on avait revu le dossier, entre autres, des empreintes d'ADN, et on voyait les intentions de faire progresser ce dossier. Ce que j'ai lu dans votre rapport est très intéressant.

J'ai quelques questions d'ordre technique. Vous parlez d'un fichier centralisé. Est-il alimenté par tous les corps policiers à travers le Canada ou seulement par la GRC?

M. Babinsky : Le fichier est toujours en élaboration. Lorsqu'il sera prêt, il regroupera tous les corps policiers à travers le Canada

Le sénateur Boisvenu : Devrez-vous passer par Juristat pour les statistiques, ou les corps policiers devront-ils fournir les données sur les disparitions? Il existe une zone grise dans le cas des disparitions. Ces données ne sont pas reflétées dans les statistiques sur la criminalité. Il y a toujours un délai à savoir s'il s'agit d'un enlèvement, d'une disparition criminelle ou d'une fugue. Comment procéderez-vous pour définir l'enlèvement sur une base criminelle?

[Traduction]

Inspectrice Carole Bird, officier responsable pour les personnes disparues et restes non identifiés, Gendarmerie royale du Canada : Une précision : la base de données qui est en cours d'élaboration doit s'appuyer sur le système du Centre d'information de la police canadienne. Plus de 27 améliorations ont été apportées au système du CIPC de façon à obtenir davantage de renseignements concernant les personnes disparues et les restes non identifiés. La base de données en cours de construction est désignée sous le sigle MCPUR et utilisera les données du CIPC. Cette information sera complétée par des analystes. Les services de police du Canada qui ont accès au CIPC auront accès à la base de données maîtresse au moyen du système du CIPC.

Pouvez-vous répéter la deuxième partie de votre question?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Pour définir une disparition, vous ne mettrez pas dans ce dossier toutes les fugues. On compte près de 100 000 fugues au Canada par année, soit 95 p. 100 des cas de disparition. Vous alimenterez votre répertoire avec des disparitions dites criminelles ou douteuse. Il s'agira de disparitions sur lesquelles travaillent les policiers.

Comment arriverez-vous à nourrir ce répertoire de données intéressantes pour les policiers, sur lesquelles ils peuvent travailler, ou encore qui pourraient intéresser la population pour identifier des enfants disparus?

[Traduction]

Mme Bird : Les données qui sont versées dans la base de données sont fondées sur les renseignements que reçoit l'enquêteur principal. Dans la plupart des affaires de personnes disparues, nous ne savons pas pourquoi elles ont disparu. En réalité, la plupart des signalements de personne disparue enregistrés dans le CIPC sont résolus au cours des sept premiers jours.

Les enquêteurs ne peuvent donner que les renseignements dont ils disposent. Je crois que vous avez entendu plus tôt le témoignage du chef Rodney Freeman, de Woodstock, qui vous a décrit comment l'enquête en question avait démarré parce qu'il s'agissait d'une personne disparue, mais d'autres éléments s'y sont ajoutés.

Pour ce qui est de la base de données, tous les signalements de personne disparue — enfants disparus — contenus dans le CIPC seront ajoutés à la base de données, parce qu'il arrive parfois que nous ne sachions pas pourquoi la personne a disparu. Nous pourrons ainsi comparer le dossier avec les informations sur les restes non identifiés ainsi que sur les autres cas des personnes disparues dans le but d'effectuer des comparaisons, de relier les dossiers entre eux et de voir s'ils ont des points communs. Il nous arrive de penser que nous recherchons une personne disparue alors qu'en réalité elle a été victime d'une infraction pénale. Nous n'allons pas exclure les dossiers des personnes disparues parce qu'ils ne sont pas reliés à une infraction pénale, de sorte que la base de données contiendra tous les dossiers canadiens.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : En conclusion, est-ce que vous appuyez le projet de loi?

M. Babinsky : Nous ne sommes pas en position de faire des commentaires sur cette question.

[Traduction]

Le président : Je crois que le sénateur le savait.

La sénatrice Jaffer : Le projet de loi C-299 vise expressément les enfants de moins de 16 ans. J'aimerais entendre les deux témoins nous dire ce qu'ils pensent de l'idée de faire passer cet âge à 17 ou 18 ans.

Mme Bird : Nous ne sommes pas en mesure de faire des commentaires au sujet de la mesure proposée, mais je vous remercie d'avoir posé la question.

La sénatrice Jaffer : Madame McDonald, pouvez-vous commenter?

Mme McDonald : Nous pensons que ce projet de loi est un excellent début. Les enfants de moins de 18 ans sont particulièrement vulnérables. Ils se rapprochent de l'autonomie et nous examinons le nombre des personnes et des enfants disparus. Ce serait là un aspect important à examiner.

Le sénateur Lang : J'aimerais revenir sur les renseignements qu'a fournis le commissaire adjoint. Vous dites qu'à l'heure actuelle le site contient 746 profils d'enfants disparus, de personnes disparues et de restes non identifiés. Quelle est la répartition des 746 profils? Combien d'entre eux représentent des enfants disparus?

M. Babinsky : Je crois que Mme Bird peut vous présenter ces chiffres.

Mme Bird : À l'heure actuelle, nous avons 104 profils d'enfants disparus, 451 profils d'adultes disparus et 158 profils de restes non identifiés.

Vous allez constater que les chiffres sont légèrement différents parce que nous avons également inclus les personnes associées; ce sont celles qui ont pu se trouver avec une personne disparue. Par exemple, lorsqu'un enfant est déclaré disparu, il est possible qu'il se trouvait avec son père ou sa mère et cette personne est incluse à titre de personne associée sur le site web.

Le sénateur Lang : Ma question suivante porte sur la mise en route de ce site web. Il y en a deux; le premier est www.canadasmissing.ca. Si je m'adresse aux témoins du Centre canadien de protection de l'enfant et je mentionne le site web dont vous vous occupez actuellement, peut-on dire qu'il y a une coordination entre les deux sites web, et si c'est le cas, dans quelle mesure? Vous pourriez peut-être nous fournir cette information.

Mme McDonald : Je peux commencer à vous répondre.

En tant qu'organisme de bienfaisance, notre agence est structurée un peu différemment. Nous faisions partie à l'origine du réseau Child Find de sorte que nos principaux clients étaient les familles d'enfants disparus. Nous avons un mécanisme qui permet aux familles de s'adresser à nous en ligne, de faire des appels 24 heures par jour et nous leur parlons des mesures qu'elles peuvent prendre. Nous pouvons coordonner directement les actions prises par les divers services de police et la GRC lorsqu'il y a des affaires internationales ou d'autres enquêtes auxquelles elles participent.

Nous travaillons avec les familles. Nous travaillons avec les services de police de l'ensemble du Canada et nos clients directs sont les familles des enfants disparus.

Le sénateur Lang : Si j'ai bien compris, ça ne fait pas très longtemps que vous existez. Quand ce site web a-t-il été ouvert?

Mme McDonald : Nous avons lancé le site missingkids.ca il y a deux ans, mais nous nous occupons depuis plus de 28 ans des services aux enfants disparus.

Le site web est devenu le portail qui permet aux Canadiens d'avoir accès à des documents éducatifs importants, de se procurer des listes de contrôle, de savoir ce qu'ils peuvent faire lorsque leur enfant a disparu. Il y a également un portail policier grâce auquel nous coordonnons notre action avec les agences policières chargées de l'enquête. Le site web a été créé pour faciliter les contacts et informer les Canadiens et leur fournir de nouveaux outils en introduisant une nouvelle technologie pour la recherche des enfants disparus.

La sénatrice Batters : Madame McDonald, je tiens à vous remercier pour les commentaires que vous avez faits au sujet de la différence qu'il existe entre l'enlèvement et le rapt. Voilà qui a été utile. Vous avez fait ressortir le fait que ce sont pour les accusations d'enlèvement que les peines minimales obligatoires sont les plus importantes ainsi que les raisons à l'origine de cette distinction.

Je viens de la Saskatchewan, et je suis donc heureux que vous ayez parlé de l'affaire Peter Whitmore. Cette affaire hante encore beaucoup de gens en Saskatchewan, parce qu'ils savent que cela pourrait se produire dans une petite collectivité paisible. Il a également été utile de mentionner cet exemple.

Avez-vous des choses à ajouter au sujet de cette affaire? Vous étiez en train de terminer une longue déclaration préliminaire qui traitait de ce dossier, mais voulez-vous ajouter autre chose? Je crois que vous essayez de montrer que, si cet homme avait été déclaré coupable d'enlèvement et s'était vu imposer une peine minimale obligatoire de cinq ans plus tôt dans sa vie, il n'aurait peut-être pas commis les crimes horribles qu'il a commis par la suite.

Mme McDonald : Notre agence ne peut faire de commentaires sur les différents types de peines minimales obligatoires.

Nous parlons de ce genre de peines en particulier. Nous pensons que les peines minimales obligatoires sont très importantes pour les crimes et les infractions touchant les enfants. Nous voyons dans cette mesure une étape importante dans la lutte contre le plus horrible des crimes.

Un des aspects que nous avons examiné a été les types de condamnations dans les dossiers d'enlèvement. S'il y a d'autres questions, ma collègue pourra y répondre, mais ces infractions ne sont invoquées qu'à cause du seuil associé aux crimes les plus graves. Nous pensons que l'imposition de peines minimales obligatoires fait clairement ressortir la gravité des infractions et que tout cela vise les personnes très vulnérables que sont les enfants.

Le président : J'ai une question supplémentaire concernant l'affaire Whitmore. Il faisait l'objet d'une ordonnance du paragraphe 810(1) qui permet aux autorités de suivre ses mouvements une fois qu'il a purgé sa peine. Elles ont quand même perdu sa trace. Il n'y avait pas de surveillance électronique. Le projet de loi C-10 autorisait la surveillance électronique des personnes de ce genre.

Savez-vous si cela se fait encore, ou si le SCC utilise cette disposition législative pour suivre les individus comme M. Whitmore, qui est un pédophile et un agresseur d'enfant endurci.

Mme McDonald : Je ne connaissais pas cette réponse, mais j'aimerais faire une remarque. Nous avons pris cette affaire parce que nous avons constaté, grâce à notre analyse de la recherche, que ce sont là des individus très actifs. Si nous voulons parler des peines et examiner le rôle de ces mesures — nous avons lu les comptes rendus des débats à ce sujet —, elles n'ont pas d'effet dissuasif.

Notre agence n'examine pas la question de savoir si les peines minimales obligatoires ont un effet dissuasif sur les contrevenants. Nous voyons l'aspect dissuasif spécial, parce que ces individus sont souvent des multirécidivistes. Leur incarcération joue un rôle très important parce que cela empêche qu'il y ait d'autres victimes.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Évidemment, je ne poserai pas la question de savoir si vous appuyez le projet de loi mais, pour ma gouverne, ai-je bien compris que votre système serait relié tôt ou tard au CIPC, ou est-ce que ce n'est pas dans vos intentions?

[Traduction]

Mme Bird : Oui. La base de données en cours d'élaboration nous permettra d'extraire des renseignements du CIPC pour finalement les verser dans notre site web. Ce sera un seul système global.

À l'heure actuelle, les services de police ont tous accès à ces renseignements grâce au CIPC. Ils seront en mesure de saisir des renseignements plus généraux et de les verser dans la base de données qui pourra faire des analyses comparatives automatisées, renforcées par des humains, qui pourront également procéder à des analyses plus fines.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Évidemment, le fait de le relier au CIPC permet à toutes les forces policières d'avoir l'information disponible.

[Traduction]

Mme Bird : On pourra ainsi utiliser la base de données, mais les policiers, les coroners ou les médecins légistes ne pourront pas l'interroger directement. Ce seront des spécialistes qui le feront au centre national. Nous sommes en rapport avec différentes régions pour voir quels sont les services de police qui pourraient devenir des centres régionaux, dont les membres pourraient recevoir une formation spéciale pour ensuite avoir directement accès à la base de données.

Cela ressemble beaucoup à la façon dont nous réunissons les données qui sont versées dans le SALVAC, le système d'analyse des liens entre les crimes de violence, si vous le connaissez. Les analystes du SALVAC ont reçu une formation pour faire des comparaisons plus fines et transmettre les résultats à l'enquêteur principal. Un enquêteur de première ligne qui aurait besoin d'une analyse approfondie appellerait le centre national et nous pourrions alors lui fournir ce service.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'admire le travail que vous faites en dépit du fait qu'il y a beaucoup de disparitions d'enfants dans des grandes villes comme Toronto et Montréal. J'imagine que tôt ou tard les grandes organisations policières pourront communiquer avec ces centres pour aller chercher de l'information?

[Traduction]

Mme Bird : Oui. Si un service de police, un coroner ou un médecin légiste répondaient aux normes exigées pour pouvoir être désigné centre régional, nous serions tout à fait disposés à entamer un dialogue avec lui.

La sénatrice Fraser : J'ai une question au sujet de la base de données. Pouvez-vous inclure les empreintes génétiques dans la base de données? Si c'est le cas, le faites-vous? Si ce n'est pas le cas, serait-il utile que vous puissiez le faire?

Mme Bird : La base de données ne comprendra pas les données génétiques. Elle permettra à un enquêteur de mentionner qu'il y a une empreinte génétique et les enquêteurs principaux qui pensent que leur cas est relié à un autre, pourront ensuite demander à ce que l'on procède à une analyse comparative. Cela pourra se faire, mais la base de données elle-même ne contient pas de données génétiques.

Le sénateur McIntyre : Vous avez tous beaucoup d'expérience au sujet de l'enlèvement des enfants. Ma question est assez simple : votre expérience vous permet-elle de savoir s'il s'agit la plupart du temps de délinquants primaires et non de récidivistes? Votre base de données indique-t-elle qu'il y a beaucoup de récidivistes?

Mme Bird : Notre base de données est à l'heure actuelle en cours d'élaboration. Nous ne pouvons donc pas pour le moment en tirer des données. C'est quelque chose à laquelle la recherche de Mme McDonald permettrait de répondre.

Le sénateur McIntyre : Madame McDonald et madame St. Germain, est-ce que l'une ou l'autre pourrait répondre à la question?

Monique St. Germain, avocate-conseil, Centre canadien de protection de l'enfance : D'après la recherche que nous avons effectuée dans le cadre du projet des enfants enlevés et assassinés, nous constatons, grâce à notre analyse, que la plupart des délinquants qui commettent ce genre de crimes en ont déjà commis d'autres contre des enfants. Nous examinons de très près les antécédents de ces contrevenants et il semble effectivement se dégager cette tendance générale.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Est-ce qu'il y a des statistiques sur le nombre de disparitions criminelles au Canada et sur le taux de résolution?

[Traduction]

Mme Bird : Ce n'est pas le cas. Notre domaine d'expertise et d'action, ce sont les personnes disparues. Lorsque nous apprenons qu'il y a eu un meurtre, l'enquête change de nature. La période dont nous nous occupons est celle qui va du moment où une personne est déclarée disparue jusqu'à celui où elle est retrouvée.

C'est la même chose pour les restes non identifiés. Ce peut-être un meurtre, mais nous exerçons principalement notre expertise pour essayer d'identifier la personne. Ce sont d'autres services policiers qui sont spécialisés dans les enquêtes sur les enlèvements, les rapts ou les meurtres, de sorte que nous n'avons pas ces renseignements avec nous.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J'aimerais savoir si le nombre de disparitions est en augmentation ou en diminution. Étant donné que les cas de disparitions criminelles ne sont pas rapportés dans les statistiques sur la criminalité, il serait important que la GRC se donne comme mandat de documenter les cas de disparitions au fil des années pour être en mesure de savoir si le nombre de disparitions criminelles est en augmentation ou en diminution.

Étant donné que les corps policiers ne recueillent pas de données en termes de statistiques, on ne sait pas si le phénomène de disparition criminelle est en augmentation ou en diminution. On ne sait pas non plus si le taux de résolution est en augmentation ou en diminution.

Au Québec, on sait que le taux de résolution est autour de 15 p. 100. En Ontario, il est autour de 30 p. 100. Mais nous n'avons pas de statistiques. Si on adopte des lois comme celle-ci dans le but de diminuer le nombre de disparitions ou d'enlèvements, il serait intéressant d'avoir des statistiques sur les disparitions disponibles dans le système d'informations policières au Canada. N'est-ce pas?

[Traduction]

Mme Bird : Les renseignements que nous possédons actuellement portent précisément sur le nombre des signalements de personnes disparues et non pas sur les résultats des enquêtes.

Je peux vous donner le nombre des signalements que l'on retrouve dans le CIPC. J'utilise le terme « signalement » parce que cela est très différent du nombre de personnes disparues. Il peut arriver qu'une seule personne soit signalée plusieurs fois ou que plusieurs entrées correspondent à la même personne.

Au cours des trois dernières années, le total des signalements de personnes disparues, y compris les enfants disparus, a été d'environ 65 000 par an. Le nombre de signalements ne nous disent pas si la personne a été retrouvée. Nous savons que 64 p. 100 des signalements relatifs à des adultes disparus en 2012, par exemple, ont été retirés du CIPC dans les 24 heures et 85 p. 100 en ont été retirés dans un délai d'une semaine.

Le sénateur Lang : J'aimerais revenir à la question du site web du Centre canadien de protection de l'enfance. Il existe depuis un certain nombre d'années et votre organisation est active depuis plus de 20 ans. Vous pourriez peut-être nous dire quelles sont les réussites que vous avez enregistrées pour ce qui est d'identifier et de retrouver les enfants disparus. Pouvez-vous dire quelque chose à ce sujet?

Mme McDonald : Bien sûr. J'aimerais également faire un commentaire sur la question importante qu'a posée le sénateur Boisvenu, que je présenterai après avoir répondu à votre question, sénateur.

Pour ce qui est des dossiers d'enfants disparus au Canada — c'est ce que nous avons appris en travaillant avec les services de police —, nous avons un taux de récupération très élevé. Il est important de savoir que dans la majorité des cas d'enfants disparus, le taux de récupération de ces enfants est, au bout d'une semaine, légèrement inférieur à 90 p. 100.

Si l'on examine les données concernant les personnes disparues rapportées à la police au Canada, on constate que la plus grande partie de ces données touchent des fugueurs ou des personnes qui se sont enfuis volontairement. Ces chiffres baissent énormément et nous attribuons une partie de cette diminution au rôle de la technologie; les parents peuvent communiquer avec leurs enfants avec les téléphones portables. La technologie joue un rôle très important.

Si nous prenons les affaires plus complexes, dont nous avons parlé, dans lesquelles on pense qu'il y a des activités criminelles, et s'il s'agit d'un très jeune enfant, il est évident que le père et la mère sont complètement effondrés. Ils savent que quelque chose est arrivée. Ces genres d'affaires, comme l'affaire Tori Stafford, sont beaucoup plus rares et ce sont celles qui deviennent des affaires célèbres parce qu'elles touchent les collectivités.

J'aimerais également signaler qu'une des difficultés que posent les signalements est que bien souvent nous constatons que de jeunes enfants ont été enlevés, disons, dans un parc. Ils sont enlevés pendant quelques heures, agressés sexuellement et ensuite, ils sont libérés. Si nous examinons la façon dont ces éléments sont enregistrés et font l'objet d'un signalement dans le CIPC, nous savons qu'il y a quelques problèmes. On pourrait soutenir qu'il y a eu rapt d'enfants, même si le signalement n'a pas encore été transmis parce que l'enfant a été ramené à ses parents ou récupéré avant que le signalement initial ait été préparé.

Je crois que nous avons beaucoup d'aspects à régler sur la façon d'enregistrer et d'obtenir avec précision les chiffres relatifs à ces affaires d'enfants disparus et il est très important que nous comprenions ces aspects.

Le président : Il nous reste quelques minutes. Je sais que je vous ai demandé d'abréger vos commentaires préliminaires. Si vous voulez présenter des commentaires supplémentaires maintenant, vous pouvez le faire.

M. Babinsky : Non, je vous remercie simplement de nous avoir permis de venir aujourd'hui.

Le président : Madame McDonald, voulez-vous ajouter quelque chose maintenant?

Mme McDonald : Notre agence s'occupe de la protection de l'enfant et il nous paraît très important de tenir compte du fait que les enfants sont particulièrement vulnérables. Ils sont beaucoup plus vulnérables que tous les autres. Si vous regardez les tactiques utilisées pour enlever un enfant de trois ans ou s'emparer de lui, vous constatez qu'il n'est même pas nécessaire d'utiliser la force; il suffit de ramasser l'enfant. Nous constatons que les enfants sont très vulnérables, c'est pourquoi nous sommes très reconnaissants d'avoir eu la possibilité de vous présenter des observations, d'avoir eu cette discussion et de parler de la vulnérabilité des enfants dans le cadre de l'examen de ce projet de loi. Je vous remercie de nous avoir donné cette possibilité.

Le président : Merci à tous d'être venus ce soir et nous vous remercions pour la contribution que vous avez apportée à nos débats sur ce projet de loi.

Y a-t-il autre chose avant de terminer? Nous allons nous réunir à nouveau à 10 h 30 demain matin pour examiner ce projet de loi.

(La séance est levée.)


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