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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 38 - Témoignages du 30 mai 2013


OTTAWA, le jeudi 30 mai 2013

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 15, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d'autres lois en conséquence; et le projet de loi C-350, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (responsabilisation des délinquants), se réunit aujourd'hui, à 10 h 31, pour étudier ces projets de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à mes collègues, à nos invités et aux membres du public qui écoutent la séance d'aujourd'hui du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-15, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d'autres lois en conséquence. Il s'agit de la quatrième séance à ce sujet.

Plus tard aujourd'hui, nous entamerons l'étude du projet de loi C-350, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (responsabilisation des délinquants).

Pour commencer la séance, je suis heureux de vous présenter Pierre Daigle, qui est Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes; Bruno Hamel, qui est président du Comité des griefs des Forces canadiennes; et Glenn Stannard, qui est président de la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire. Nous accueillons également Julianne Dunbar, qui est avocate générale et directrice des Opérations au sein de la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire.

Je crois comprendre que MM. Daigle, Hamel et Stannard ont des exposés. Monsieur Daigle, allez-y en premier.

Pierre Daigle, Ombudsman, Défense nationale et Forces canadiennes : Merci, monsieur le président. Je souhaite d'abord remercier le comité de nous avoir invités à témoigner dans le cadre de l'étude du projet de loi C-15.

Le Bureau de l'Ombudsman a été créé en juin 1998 pour accroître la transparence au sein des Forces canadiennes et du ministère de la Défense nationale, en plus d'assurer un traitement équitable des problèmes soulevés par les membres de la communauté de la défense. Le Bureau de l'Ombudsman n'est pas mentionné dans la Loi sur la défense nationale. Il relève plutôt directement du ministre de la Défense nationale, et ses pouvoirs sont régis par des directives ministérielles. L'Ombudsman est indépendant de la haute direction du ministère de la Défense nationale et de la chaîne de commandement des Forces canadiennes. Le Bureau de l'Ombudsman agit comme conseiller neutre et objectif et essaye de régler les plaintes de manière informelle et au plus bas niveau possible.

En février 2011 et en février 2013, j'ai comparu devant le Comité permanent de la défense nationale de la Chambre des communes pour discuter des conclusions de notre rapport, intitulé Le processus de règlement des griefs des Forces canadiennes : Redresser la situation pour ceux et celles qui servent. Le rapport avait mis en évidence les lacunes du processus de règlement des griefs qui portent davantage préjudice aux membres des Forces canadiennes qui ont déjà été lésés.

[Français]

À ce moment-là nous avions constaté que le processus de règlements des griefs était insuffisant et injuste. Il est censé être un mécanisme rapide et informel qui permet aux soldats, aux marins et aux aviateurs de remettre en question les actions des Forces canadiennes, et de régler des dossiers sans avoir à utiliser les tribunaux ou d'autres processus.

Plus particulièrement, nous avons déterminé que le chef d'état-major de la Défense, qui est l'autorité de dernière instance dans le cadre du processus de règlements des griefs, n'avait pas le pouvoir d'indemniser le militaire pour la résolution complète d'une injustice. De plus, lorsqu'une réclamation est rejetée, ce qui est souvent le cas, on informe les membres des Forces canadiennes qu'ils doivent intenter une action en justice contre le gouvernement du Canada pour obtenir une indemnisation. Toutefois, à l'insu de la plupart des hommes et des femmes militaires, ces actions en justice sont rarement entendues par un tribunal parce que les cours antérieures ont établi qu'il n'y avait aucun contrat de travail ayant force de loi entre la Couronne et les membres des Forces canadiennes.

[Traduction]

Nos conclusions étaient conformes à celles de l'ancien juge en chef Lamer, qui, en 2003, a recommandé que le chef d'état-major de la Défense ait le pouvoir financier de régler les réclamations financières des griefs, et à celles de l'ancien juge LeSage, qui a indiqué en 2012 que cette question devrait être traitée dans la loi.

Le ministre m'a informé en juillet 2012 que le Conseil du Trésor avait approuvé le pouvoir du CEMD à verser des paiements à titre gracieux dans le cadre du processus de règlement des griefs. Cependant, la politique du Conseil du Trésor impose des limites importantes aux paiements à titre gracieux, car ces paiements ne peuvent viser à combler des lacunes perçues ou à pallier l'insuffisance apparente d'une loi, d'une politique ou d'autres instruments gouvernementaux. Par conséquent, de notre point de vue, le processus de redressement des griefs des Forces canadiennes demeure injuste et défectueux.

Sur ce, monsieur le président, je suis prêt à répondre à vos questions.

[Français]

Bruno Hamel, président, Comité des griefs des Forces canadiennes : Monsieur le président, honorables sénateurs, c'est un plaisir pour moi de me retrouver ici parmi vous pour répondre à vos questions au sujet du projet de loi C-15 du point de vue du Comité des griefs des Forces canadiennes, et de son rôle au sein du processus des griefs des Forces canadiennes.

Permettez-moi tout d'abord de vous présenter le comité. Le Comité des griefs des Forces canadiennes a entamé ses opérations en juin 2000. C'est un tribunal quasi judiciaire, indépendant du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes. En fait, le comité représente la composante externe du processus de règlement des griefs des Forces canadiennes.

Depuis sa création, le comité s'est imposé comme un centre d'excellence en matière d'analyse et de résolution des griefs militaires. Il a développé une vaste expertise sur une multitude de sujets reliés à l'administration des affaires des Forces canadiennes. En plus de l'examen des griefs individuels, notre travail nous permet également d'identifier certaines tendances plus générales, et domaines de mécontentement que nous pouvons alors relayer aux officiers et cadres supérieurs des Forces canadiennes.

Du point de vue législatif, le mandat du comité est d'examiner les griefs qui lui sont renvoyés, conformément à la Loi sur la défense nationale et aux Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes. Dans la mesure où les circonstances et l'équité le permettent, le comité doit également agir avec célérité et sans formalisme.

[Traduction]

Une fois l'examen d'un grief achevé, le comité soumet ses conclusions et ses recommandations à la fois au plaignant et au chef d'état-major de la Défense. C'est à ce dernier que revient la décision définitive concernant le grief. Le chef d'état-major de la Défense n'est pas tenu d'adopter les conclusions et les recommandations du comité, mais, s'il choisit de s'en écarter, il doit en expliquer les raisons par écrit.

En ce qui concerne le projet de loi C-15, je me réjouis de constater que ce projet comprend une disposition permettant de remplacer le nom actuel du comité par celui de « Comité externe d'examen des griefs militaires ». Il s'agit d'une modification importante et longuement souhaitée par le comité. Le comité a constaté en effet que son nom actuel contribue souvent à des malentendus et à des complications. Ce changement de nom contribuera à mieux faire comprendre le rôle particulier et unique pour lequel le comité a été créé. Il marquera également son indépendance institutionnelle, tout en clarifiant son mandat.

[Français]

Le projet de loi C-15 se voulant la réponse législative au rapport rédigé, il y a plusieurs années, par le regretté juge en chef Antonio Lamer sur la justice militaire. Je voudrais ici réaffirmer le soutien du comité aux 18 recommandations incluses dans ce rapport et qui concernent le processus de règlement des griefs.

[Traduction]

Plusieurs des recommandations ont déjà été mises en œuvre, et d'autres sont contenues dans le projet de loi C-15. Malheureusement, trois recommandations qui concernent directement les affaires du comité et qui visent à faciliter son travail n'y figurent pas. L'une de ces recommandations propose de permettre à un membre du comité de clore les dossiers qu'il a en main à l'expiration de son mandat. Une deuxième concerne l'octroi d'un pouvoir d'assignation au comité, tandis que la troisième demande que le rapport annuel du comité corresponde à l'année financière plutôt qu'à l'année civile.

Ces trois recommandations sont importantes pour le comité. Afin de les mettre en œuvre, des modifications à la Loi sur la défense nationale seront nécessaires.

[Français]

Sur ce, je vous remercie de m'avoir invité à vous parler aujourd'hui, et c'est avec grand plaisir que je répondrai à vos questions.

[Traduction]

Glenn Stannard, président, Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire : Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs. Merci de nous donner l'occasion de témoigner au nom de la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire dans le cadre de l'étude sur le projet de loi C-15.

Nous sommes ici pour aborder un enjeu, et il s'agit d'une question de principe fondamentale. Est-il approprié d'accorder au VCEMD le pouvoir prévu dans la loi de donner au GPFC des instructions concernant des enquêtes en particulier de la police militaire? Selon nous, la réponse est non. Cela n'a aucune conséquence sur le budget, le mandat ou les pouvoirs de la CEPPM prévus dans la loi. Par contre, cela en dit long sur la raison d'être de la commission que je préside actuellement.

Nous n'avons aucun problème avec les paragraphes 18.5(1) ou (2). Le problème se situe vraiment dans les paragraphes 18.5(3) et (4). Cependant, le nouveau pouvoir proposé aux termes du paragraphe 18.5(3) du VCEMD, à savoir celui de donner au GPFC des instructions concernant une enquête en particulier de la police militaire, représente un recul considérable en ce qui a trait à l'indépendance des enquêtes de la police militaire que diverses réformes au cours des 20 dernières années avaient cherché à améliorer et à protéger. Le paragraphe 18.5(3) aurait comme effet d'abroger le Cadre de reddition de comptes, tel qu'il a été élaboré par le VCEMD et le GPFC en 1998; ce cadre vise à adapter le rapport de commandement entre le VCEMD et le GPFC de manière à protéger expressément l'indépendance des enquêtes de l'influence de la chaîne de commandement.

Je vous en lirai seulement deux petits passages. Le Cadre mentionne :

[...] le VCEMD ne doit pas donner de directives au GPFC en ce qui a trait aux décisions opérationnelles de la police militaire qui se rapportent à des enquêtes [...]

[...] le VCEMD ne doit pas participer directement aux enquêtes individuelles en cours, mais il recevra de l'information du GPFC de façon à pouvoir prendre les décisions de gestion qui s'imposent.

Le Cadre de reddition de comptes a été examiné et approuvé par le Groupe d'examen des services de la police militaire du ministère. Il a également fait l'objet d'un examen de la part du juge en chef Lamer. À l'époque, sa seule réserve au sujet du Cadre de reddition de comptes était que le cadre n'avait pas force de loi et offrait une protection juridique insuffisante concernant l'indépendance des enquêtes du GPFC.

Si je peux brièvement examiner ce à quoi ressemblent les activités policières au Canada, les services de police sont régis au Canada par des lois sur les services policiers. Même si le libellé peut varier, ces lois sont pratiquement identiques. Par exemple, en Ontario, en vertu de l'article 31, les commissions de police, si je peux dresser un parallèle avec le chef de police, avec le VCEMD et le GPFC, n'ont pas le droit de donner d'instructions à un service de police ou de s'ingérer dans ses activités. Cela s'applique également aux maires, aux conseillers ou à quiconque. L'indépendance des enquêtes policières est protégée. On peut donner des instructions concernant des politiques, mais on ne peut pas en donner relativement à des enquêtes.

Si vous me permettez d'étendre cela au juge LeSage et à sa réponse d'il y a deux ou trois jours devant votre comité, il y a certainement des dispositions dans le Code criminel qui obligent les policiers à obtenir la permission du procureur général pour déposer certaines accusations. Cependant, il n'est pas dit qu'il faut demander la permission pour enquêter. De plus, le procureur général peut toujours décider de ne pas donner suite à des accusations déposées par les services de police. Cela n'a rien à voir avec l'ingérence dans les enquêtes.

Dans un tel cas, l'indépendance des policiers est protégée partout au pays. Dans le cas présent, c'est différent. Je sais que le ministère défend le bien-fondé de la disposition en affirmant que de possibles impératifs militaires rendent le tout nécessaire. Pourquoi cette disposition n'est-elle pas restreinte au type de circonstances opérationnelles exceptionnelles auxquelles le ministère a fait allusion?

Je comprends le concept de la police militaire. Revenons au monde municipal canadien. En 15 ans, à titre de chef, de chef adjoint ou de responsable des enquêtes, personne ne m'a donné d'instructions concernant les enquêtes. Je crois que le sénateur White, lorsqu'il était chef de police de Durham ou d'Ottawa, n'aurait pas non plus reçu de telles instructions. J'ai travaillé pour le président du comité. Je n'ai jamais reçu d'instructions de sa part concernant les questions opérationnelles — les politiques, oui, mais pas les enquêtes.

Dans le milieu de la police militaire, nous parlons de la police militaire avec un petit « P » et un grand « M ». Nous le comprenons. On pourrait en débattre : les gens se considèrent avant tout comme des soldats, ensuite comme des policiers. C'est un débat continu. Je crois que les policiers font toujours le serment d'accomplir leur travail, mais c'est un tout autre débat.

En ce qui concerne la grande question du VCEMD et ce qui est proposé dans le présent article, il s'agit en fait d'une ingérence permise par la loi en ce qui a trait à la manière dont la police militaire réagira à quelque chose. La loi prévoira que le VCEMD peut le faire. Je ne sais pas comment c'est possible, mais j'espère que c'est quelque chose dont nous ne serons jamais témoins.

Le Cadre de reddition de comptes est en place depuis des années, et il n'y a jamais eu de problèmes. Qu'est-ce qui a changé? Nous avons participé à un conflit en Afghanistan. Qu'est-ce qui a changé? Nous avons été témoins de toutes les circonstances au fil des ans, et nous avons eu l'occasion de mener des enquêtes. Je n'ai vu personne soulever d'exemples qui pourraient vraiment justifier l'ajout d'un tel article dans la loi.

Je crois qu'il faut examiner étroitement cet aspect. J'ai fait le même exposé devant le comité de la Chambre des communes. Aucun changement n'a été apporté. Il s'agit vraiment de la dernière occasion. Si aucun changement n'est apporté à cette étape, ce sera la réalité durant sept, neuf ou 10 ans, ou peu importe. Je crois qu'il faut examiner le tout sérieusement.

Le président : Merci, monsieur Stannard.

Passons aux questions des membres du comité. Nous avons la vice-présidente, la sénatrice Fraser.

La sénatrice Fraser : Monsieur Stannard, vous avez présenté des arguments que je trouve très convaincants et au sujet desquels j'ai posé des questions aux partisans et aux opposants de l'article en question qui sont venus témoigner au comité avant vous. Même si mon cœur a tendance à être avec vous, je dois vraiment poser une question à M. Hamel sur un aspect qui n'a pas encore été soulevé au comité.

[Français]

Vous avez dit que trois recommandations du juge Lamer seraient essentielles, si j'ai bien compris, du moins importantes pour vous. Quelle est l'importance? Comment l'absence de ces trois recommandations se reflète-t-elle sur votre travail? Ce qui m'intéresse davantage, c'est la raison pour laquelle vous avez besoin de ce pouvoir d'assignation.

M. Hamel : Je vous remercie de cette question.

[Traduction]

Ces trois recommandations ne figurent pas dans le projet de loi C-15, et elles sont importantes aux yeux du comité. Il s'agit de processus internes.

Je vais commencer par la plus facile, soit l'alignement du rapport annuel avec l'année financière, ce qui n'est actuellement pas tout à fait le cas. Pour bien comprendre le travail du comité des griefs, il faut deux rapports annuels pour vraiment obtenir les statistiques pour l'année. Il y a un certain décalage. C'est une recommandation facile.

[Français]

En ce qui a trait au pouvoir pour un membre de continuer sur un dossier auquel il est assigné, c'est un pouvoir qui existe au sein de plusieurs tribunaux. Ce n'est pas quelque chose de novateur. Plusieurs tribunaux administratifs disposent de cette provision dans leur loi.

Cela a un impact direct parce qu'actuellement, le comité a un délai d'examen de ces dossiers d'environ deux mois et demi en moyenne.

[Traduction]

Lorsqu'un dossier est attribué à un membre, il lui faut au moins deux mois et demi pour effectuer l'examen du grief et faire rapport de ses conclusions et de ses recommandations au CEMD. Donc, au cours de cette période de trois mois, je ne peux pas attribuer un dossier à un membre du comité qui a été nommé par le GC. La raison est que le membre risque tout simplement de ne pas avoir le temps de passer en revue le dossier et que je devrai réattribuer le dossier à un nouveau membre du comité à l'expiration du mandat. Un nouveau membre nommé au comité devra recommencer au complet l'examen du dossier. Il devra réentendre les preuves. On comprend que cela risque d'occasionner des retards.

[Français]

Ce qui fait que c'est un outil administratif qui nous permettrait de compléter les dossiers et ce serait un outil de gestion formidable.

On a soulevé, à un moment donné, la probabilité que cela pourrait être un moyen pour les membres de continuer à perpétuer leur mandat, mais mathématiquement, c'est impossible. On ne parle que de cas assignés avant la fin d'un dossier. À toutes fins pratiques un membre pourrait voir son mandat étendu d'environ trois mois.

[Traduction]

Il s'agit de la deuxième recommandation. La troisième concerne le pouvoir d'assignation.

[Français]

Pour celui-là, il y a déjà dans la loi une obligation pour les Forces canadiennes de fournir au comité des griefs toute l'information dont elles déposent ayant trait à un dossier. Donc, le comité n'a pas vraiment besoin de pouvoir d'assignation dans les cas où on parle d'un membre qui sert de façon active au sein des Forces canadiennes. Ce pouvoir d'assignation devient essentiel dans les cas où on a besoin de rechercher des faits concernant des membres qui ne font plus partie des Forces canadiennes ou des personnes civiles. À ce moment-là, pour obtenir l'information, à défaut de l'obtenir de façon volontaire...

[Traduction]

Je serai obligé de tenir une audience, ce qui est beaucoup plus dispendieux et long. Si cette personne se présente ou ne se présente pas à l'audience, il faudra saisir la Cour fédérale de la question pour obtenir les renseignements. Le pouvoir d'assignation est un outil précis en vue de permettre au comité de remplir ses fonctions lorsqu'il est question dans un dossier de gens qui ne sont pas membres des Forces canadiennes.

La sénatrice Fraser : Cela a-t-il déjà créé des problèmes?

M. Hamel : Une telle situation a déjà eu lieu, mais j'ai décidé de ne pas aller de l'avant, parce que la personne qui refusait de fournir des renseignements était le plaignant. Il ne faisait plus partie des FC. Je lui ai dit : « C'est votre dossier. Si vous ne me donnez pas les renseignements, je vais examiner le dossier sans ces renseignements. » C'est arrivé une fois. La personne aurait pu ne pas être le plaignant, et j'aurais alors été obligé de lancer un processus d'audience pour obtenir les renseignements.

Le sénateur White : J'ai écouté attentivement les commentaires concernant les policiers, les élus ou l'ingérence d'une commission de police. J'aimerais plutôt prendre l'exemple des policiers et d'une autre organisation. Prenons l'exemple d'un écrasement d'avion. J'en ai vu. Les policiers veulent se dépêcher et commencer leur enquête pour s'assurer qu'il ne s'agit pas d'un acte criminel. Or, les autorités de l'aviation ou les pompiers, dans certains cas, vous arrêtent et vous disent : « Il y a d'autres choses que nous devons faire en premier. Avant que vous commenciez votre enquête, nous devons en fait contrôler les lieux. » Je sais que M. Stannard, à titre d'ancien chef de police, le sait aussi. Je préfère plutôt me servir de cet exemple que de celui de l'ingérence du milieu politique, parce que je ne les considère pas comme semblables. Comme c'est souvent le cas dans les situations mettant en scène diverses organisations, je sais qu'il y a souvent une plainte, parce qu'une organisation a pris le contrôle des lieux, alors qu'elle ne l'aurait pas dû ou qu'elle ne l'a pas pris, alors qu'elle l'aurait dû. En ce qui concerne la partie relative aux plaintes, ne convenez-vous pas que l'intervention du vice-chef d'état-major de la Défense dans l'émission d'un ordre ou d'instructions ou le contrôle des lieux ou l'émission d'instructions lorsque des gens n'auraient pas dû le faire a en fait sa place, premièrement, en matière de reddition de comptes? Cela doit être mis par écrit, et il faut que ce soit formulé.

Cela a également sa place dans un processus relatif aux plaintes en matière d'ingérence dont pourrait s'occuper la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire. Je comprends que cela ne se produit peut-être pas très souvent, mais j'ai déjà vu des cas où j'ai dû céder la place à d'autres organisations. Étant donné que cela peut survenir une, deux ou trois fois ou plus, il faut d'abord pouvoir le faire. Selon moi, le fait d'avoir le document sur la reddition de comptes est l'important. Je laisse M. Stannard répondre.

M. Stannard : Je comprends que le concept est que ce serait quelque chose de très grave qui concernerait peut-être des opérations militaires sur la scène nationale ou internationale. Bien honnêtement, si c'est assez grave pour justifier l'arrêt d'une enquête policière, je risque probablement de ne même pas voir les renseignements. Cela fait trois ans que je m'occupe du processus de rédaction. Nous avons vu des mentions aussi anodines que des dates, des noms et d'autres éléments semblables être caviardées, à plus forte raison l'ensemble des circonstances.

Nous avons participé à des conflits entiers. Je ne comprends tout simplement pas ce qui pourrait justifier qu'on s'ingère dans une enquête de la police militaire. Je n'ai pas encore entendu un exemple qui m'en convainc. Je comprends ce dont vous parlez. À mon avis, la coopération dans le cas d'un écrasement d'avion et la coordination des policiers, des pompiers et des ambulanciers est une tout autre question. Nous prenons du recul et nous collaborons dans de telles circonstances.

Ce n'est pas ce dont le présent article traite. Cet article prévoit l'émission d'instructions ou de lignes directrices, par écrit, en ce qui a trait à une enquête en particulier. C'est très précis. Ce n'est pas ce dont vous parlez. Cela concerne une enquête en particulier.

Cela étant dit, l'article doit être abrogé ou amendé de manière à ce que ce soit seulement la défense du Canada ou quelque chose du genre.

Je comprends que le JAG et les rédacteurs ont eu de la difficulté à cet égard. Je sais qu'ils ont discuté avec diverses personnes pour essayer d'en arriver à un libellé qui répondrait à cet aspect. Le résultat est l'article 4. Je ne comprends tout simplement pas comment cela fonctionnera. Je crois qu'il faut inclure certaines conditions, si cet aspect et le point quatre demeurent dans le projet de loi. Bien honnêtement, je considère encore cela comme une ingérence permise par la loi. Je ne peux pas comprendre de quelle manière la police militaire peut revenir après que vous avez inclus dans la loi qu'une personne peut donner de telles instructions. Je devrai déterminer si cette personne a eu tort de le faire. Je ne vois tout simplement pas comment cela se ferait. Je sais qu'il s'agit d'un service de police unique, mais l'armée a décidé d'avoir un service de police indépendant. Il n'est pas indépendant si le GPFC n'a pas le droit de diriger les enquêtes policières.

[Français]

Le sénateur Dallaire : Veuillez excuser mon retard; j'ai été retenu dans une autre réunion à cause d'un conflit d'horaire. Je souhaite la bienvenue à nos témoins, et à mon ancien collègue, qui assume présentement le rôle d'ombudsman.

Ma question comporte deux volets. Le premier concerne ce dont on vient de discuter, soit la position du vice-chef d'état-major de la Défense; l'autre traite plus de ce que vous avez présenté, général Daigle, concernant le processus de règlement des griefs et le volet de compensation lorsqu'il y a une décision en faveur de l'individu, et la méthode de gestion de la résolution dans le cas subséquent d'une réponse négative.

[Traduction]

Le chef de l'état-major de la Défense n'est pas autorisé à dépenser des fonds. Ce sont le sous-ministre et le chef des services financiers qui ont ce pouvoir. Nous examinons un processus dont l'autorité de dernière instance est le chef d'état-major de la Défense, mais cette personne n'a pas la capacité d'agir dans le cas d'un règlement positif à l'égard d'un grief.

M. Daigle : Voilà pourquoi nous avons dit dans notre rapport que nous pensions que le système de règlement des griefs des Forces canadiennes est insuffisant et injuste. L'autorité de dernière instance qui détient tout le pouvoir de régler un grief n'a en fait pas le pouvoir de le faire. En 2003, le juge Lamer l'a dit très clairement. En fait, 18 de ses recommandations concernaient la réparation des griefs. À l'époque, 16 recommandations avaient été acceptées, et le ministre de l'époque nous avait dit que tous les changements s'en venaient. C'était en 2003, et l'un de ces changements était d'accorder au chef d'état-major de la défense le pouvoir financier d'offrir des compensations financières dans le cadre du système de règlement des griefs. Le ministère avait approuvé le tout il y a 10 ans.

Le juge en chef Lamer et le juge LeSage ont utilisé des mots très clairs. M. Lamer a dit que le CEMD doit avoir le pouvoir financier nécessaire pour régler les réclamations financières et les griefs. Le juge LeSage a dit que le CEMD « devrait être investi du pouvoir d'accorder réparation ». Actuellement, si le chef d'état-major de la défense, qui entend des griefs et qui est l'autorité de dernière instance, convient qu'une personne a été lésée et qu'une compensation financière doit être liée au règlement, il ne peut pas accorder la compensation financière.

Le dernier changement a été que le ministère a dit que le CEMD pourra maintenant effectuer des paiements à titre gracieux. Cependant, le processus de paiements à titre gracieux est la compétence du sous-ministre. En ce qui concerne les paiements à titre gracieux, le Conseil du Trésor est très clair; on ne peut pas se servir des paiements à titre gracieux pour pallier des lacunes dans les politiques. Bref, à titre d'autorité de dernière instance, le chef d'état-major de la Défense ne peut pas dire : « Vous avez été lésé. Nous vous devons 25 000 $, parce que vous avez été injustement congédié, mais je ne peux pas le faire; je suis d'accord, mais je ne peux pas le faire. »

Dans une telle situation, le recours du membre est de saisir les tribunaux de la question. Voici ce que le directeur des réclamations et des contentieux a dit au membre : « Allez devant les tribunaux. » Il lui a dit cela en sachant fort bien que les tribunaux ont toujours dit par le passé qu'ils n'entendraient pas de telles questions, parce qu'il n'y a pas de contrat qui lie la Couronne et le membre.

Le CEMD, qui s'occupe de l'administration de l'ensemble des Forces canadiennes, est d'accord, et nous devons régler cette question. Il n'a aucun pouvoir. Le membre doit se présenter devant les tribunaux en sachant bien que la cour rejettera son grief.

C'est absolument injuste. Comme le juge Lamer l'a clairement dit; le principe derrière la réparation des griefs est de traiter équitablement les soldats. Il ne faut pas le perdre de vue dans le processus administratif. Nous en parlons depuis la publication du rapport il y a trois ans, et cela fait 10 ans que le juge Lamer a soulevé cet aspect. La réparation des griefs ne fait pas partie du système de justice militaire canadien, qui se veut de nature conflictuelle; c'est un système de nature administrative. Il s'agit d'un système dans lequel la chaîne de commandement examine en collaboration des questions. Cela aborde le moral, le leadership et la qualité de vie en ce qui a trait au bien-être d'un membre. Voilà pourquoi nous insistons.

Même avec ces nouveaux changements, à savoir que le CEMD peut effectuer des paiements à titre gracieux qui sont limités — je n'ai pas le montant exact, mais ils sont limités —, le CEMD ne peut pas s'en servir pour régler un grief, parce que le Conseil du Trésor a clairement établi qu'il ne peut pas s'en servir pour pallier une lacune dans le système. Il y a une lacune.

Monsieur le président, je m'excuse; je sais que je parle longtemps. Un amendement proposé au projet de loi C-41, l'ancien projet de loi C-15, relativement à la présente question disait « tranche toutes les questions ayant trait aux griefs, y compris les questions financières ». L'amendement n'a évidemment pas été adopté. Si vous accordez au chef d'état-major de la défense le pouvoir de trancher toutes les questions financières et de régler les griefs, on boucle la boucle, et on rend le système équitable. Il faut un amendement.

[Français]

Le sénateur Dallaire : Donc, ça prend un amendement?

Le sénateur Dagenais : Bienvenue à nos invités. Ma question s'adresse à M. Hamel et à M. Daigle.

Je suis un policier de la Sûreté du Québec et j'ai été le président du syndicat des policiers de la Sûreté du Québec pendant sept ans. À ce titre, j'ai eu à négocier et à régler avec l'employeur plus de 1 400 griefs et notre moyenne était de près de 90 p. 100. On essayait d'abord de régler la situation avec l'employeur et si on ne s'entendait pas, on entamait un processus d'arbitrage.

Vous nous avez expliqué que chez les militaires, il y a des organismes de résolution de griefs en place mais que le processus est long et laborieux et qu'en bout de ligne, s'ils n'arrivent pas à un résultat satisfaisant, ils font appel au gouvernement. Je pense qu'il faudrait un syndicat à l'intérieur des forces militaires mais je ne crois pas que ce sera mis en place de sitôt.

Est-ce que le projet de loi C-15 va améliorer le processus ou va-t-il plutôt le compliquer?

M. Hamel : En ce qui concerne le projet de loi, j'ai déjà parlé de ce qui affecte le comité en tant que tel. Si on veut élargir la portée du discours, le paragraphe 12(4) va octroyer le pouvoir au chef d'état-major de la Défense de reprendre un militaire dans ses fonctions, s'il a été libéré de façon inappropriée, et d'une façon administrative, d'être réintégré au sein des Forces canadiennes. C'est un élément qui, à mon sens, est positif et pour lequel le comité a émis nombre de recommandations.

On s'est appuyé sur l'arrêt Dunsmuir dans lequel lorsqu'il y avait un bris d'équité procédurale, la décision était de nullité absolue. Pour nous, c'est certainement un pas en avant. Ça fait plusieurs années que ce genre de pouvoir est recherché par l'administration des Forces canadiennes et ce projet de loi sera très positif.

Il y a aussi des recommandations. Pour être cohérent avec ce que j'ai dit, on a appuyé les recommandations du juge Lamer et on appuie également celles du juge LeSage. L'article 29.14(1), qui donne le pouvoir au chef de déléguer, c'est quelque chose qu'on a appuyé. Selon nous, cela va permettre au chef d'état-major d'organiser son portfolio comme bon lui semble.

[Traduction]

Nous avons une réserve à ce sujet. Nous avions recommandé que la délégation des attributions se fasse à un membre d'un grade plus élevé d'un niveau et non d'un même grade. C'est un peu différent que ce que nous avons dans le projet de loi C-15. Nous croyons qu'un colonel ne devrait pas étudier le dossier d'un autre colonel ou qu'un brigadier-général ne devrait pas étudier le dossier d'un autre brigadier-général. Sur le plan de la hiérarchie et de l'équité, il faudrait que le délégataire ait un grade plus élevé d'un niveau. Il y a une légère différence. Cependant, ce seraient les deux points positifs, à mon avis, en ce qui a trait aux griefs.

[Français]

M. Daigle : J'aimerais faire deux remarques qui ont trait directement au Bureau de l'Ombudsman. Premièrement, en ce qui concerne le système de griefs des Forces canadiennes, la boucle ne sera pas bouclée tant et aussi longtemps qu'on ne donnera pas à l'autorité finale le pouvoir financier de compenser pour un grief. Cette boucle a été ouverte en 2003 et depuis ce temps, tout le monde est d'accord mais on est encore à débattre la question. Ça va définitivement boucler la boucle sur le processus.

Deuxième point important, notre expérience nous a montré que le Bureau de l'Ombudsman des Forces canadiennes est dans une position unique pour aider les soldats, les membres des Forces armées canadiennes — principalement les militaires, en ce qui nous concerne, mais également les employés civils du ministère — à résoudre les problèmes d'iniquité ou d'injustice au plus bas niveau. Comme je l'ai dit au début :

[Traduction]

Notre bureau n'est pas mentionné dans la Loi sur la défense nationale. Dans bien des cas, les membres des Forces canadiennes ne sont pas certains des recours qui s'offrent à eux. Ils viennent nous voir, et nous les orientons dans la bonne direction.

[Français]

Pour faire le lien avec votre question à savoir qu'il serait des plus bénéfiques pour les membres des Forces canadiennes d'inclure également une référence dans la loi...

[Traduction]

... que l'ombudsman peut se prévaloir d'un recours en vue d'aider les membres à naviguer le processus de règlement des griefs et tout autre mécanisme.

[Français]

À ce moment-là, on n'est pas là. Je révise les processus qui viennent du système des griefs, mais le Bureau de l'Ombudsman n'est pas reconnu dans la loi. Je regarde le service que l'on donne à tous les membres des Forces canadiennes qui viennent nous voir, ce serait bien qu'eux voient que dans la loi, il y a un service qui leur est totalement dédié pour les aider à résoudre les injustices commises à leur égard.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Vos commentaires me laissent perplexe. Si je vous ai bien compris, le pouvoir spécial que le VCEMD aurait n'existait pas avant, et il n'y a rien qui s'est passé qui pourrait justifier ou expliquer la nécessité d'une telle disposition. Vous ai-je bien compris?

M. Stannard : Oui. Le Cadre de reddition de comptes est en place depuis des années. Je n'ai pas eu ou entendu de problèmes durant mon mandat ou l'histoire de l'organisme qui nécessiteraient qu'une loi prévoie que le vice-chef d'état-major de la Défense peut établir par écrit des lignes directrices précises ou donner des instructions concernant une enquête en particulier. Selon moi, c'est de l'ingérence. Tous les services de police au pays ont une loi qui empêche leurs patrons de s'ingérer dans les enquêtes et de donner des instructions précises. C'est prévu dans la loi provinciale. Le Code criminel ne mentionne pas qu'une personne peut donner des instructions aux policiers. À la suite d'une enquête, il faut obtenir des autorisations en vue de déposer des accusations concernant certaines infractions, mais il n'y a rien au sujet des enquêtes.

Pour ce qui est du Grand Prévôt des Forces canadiennes, il joue en gros le rôle du chef de police de la police militaire. Je reconnais que les gens se considèrent avant tout comme des soldats, ensuite comme des policiers, mais il est le chef de police à cet égard. Le SNE mène de très sérieuses enquêtes sur la scène nationale et internationale, là où il le faut. Je n'ai pas compris l'utilité...

Le sénateur Joyal : Pourrions-nous avancer que le nouveau pouvoir pourrait être utilisé pour tenter d'étouffer quelque chose? Prenons par exemple l'enquête sur la Somalie.

M. Stannard : Cela s'est déroulé avant mon arrivée. La Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire a été créée en raison de ce qui s'est produit en Somalie. L'un de nos mandats définis dans la loi est précis; nous sommes l'organisme d'enquête qui examine les cas d'ingérence dont les membres de la police militaire pensent peut-être avoir été témoins.

Je sais que le Grand Prévôt des Forces canadiennes a témoigné devant votre comité. Je n'ai jamais entendu parler d'une situation et je n'ai pas entendu en comité de situations où nous aurions eu besoin d'une telle disposition.

Le sénateur Joyal : Si une telle disposition demeurait dans le projet de loi, comment la formuleriez-vous pour que cela ne mène pas à des abus?

M. Stannard : Pour ce qui est de la formulation, le problème est que le VCEMD pourrait, comme le projet de loi le dit, établir des lignes directrices ou donner des instructions à l'égard d'une enquête en particulier. J'imagine qu'il devrait tout d'abord être au courant de l'enquête.

Le sénateur Joyal : Bien entendu. Il doit être au courant des détails. Si vous retardez une enquête, il arrive parfois que vous perdiez des éléments de preuve. Selon la pratique normale, tout le monde ici le comprendra. Les gens oublient. Les preuves écrites peuvent disparaître. Divers types de choses ou de situations peuvent survenir si vous retardez une enquête.

M. Stannard : J'ai entendu parler de situations dans lesquelles des directives ont peut-être été données à la police militaire au moment où elle s'apprêtait à procéder à une arrestation ou à prendre une mesure de ce genre qui aurait peut-être entravé quelque chose. Une fois qu'on commence à reporter des arrestations, on doit être très prudents. On communique des renseignements qui n'auraient peut-être pas dû être communiqués en premier lieu.

Selon moi, c'est en fin de compte au chef de police qu'il incombe de s'occuper des enquêtes. C'est sa responsabilité. Je comprends le rôle de la police militaire. Si la situation est grave à ce point, elle aura une incidence sur quelque chose qui aura trait à la défense du Canada. La façon dont la disposition est rédigée ne restreint pas son application à cela. C'est tellement illimité.

Le sénateur Joyal : C'est la raison pour laquelle je vous ai demandé comment nous devrions encadrer la disposition pour éviter une ingérence manifeste dans les affaires policières.

M. Stannard : La première chose à faire est de supprimer cette disposition.

Le sénateur Joyal : Je suis d'accord avec vous. Cela semble être la mesure logique à prendre.

M. Stannard : Si vous ne le faites pas?

Le sénateur Joyal : Il s'agit là de la deuxième étape. Si nous ne la supprimons pas, comment devrions-nous l'encadrer ou la circonscrire, ou établir des critères pour prévenir les usages abusifs?

M. Stannard : Les lignes directrices sont une façon de procéder. On pourrait laisser cela dans le texte. Je pense que, d'une façon ou d'une autre, on doit mentionner que la situation doit être liée à la défense du Canada d'une manière très précise. Dans notre mémoire nous avons fait une suggestion à cet égard, et j'inclus la défense du Canada dans cette suggestion.

Le sénateur Joyal : Quelqu'un pourrait même être amené à contester cette décision parce qu'elle n'est pas compatible avec les principes de justice fondamentale. En effet, la justice ne pourrait pas être rendue dans ce contexte.

M. Stannard : Non, elle ne pourrait pas aller de l'avant.

Le sénateur Joyal : Exactement.

M. Stannard : Je peux comprendre que les rédacteurs ont eu du mal à formuler cette partie du projet de loi. J'ai entendu le ministre dire qu'il était temps que cette mesure législative aille de l'avant, et je suis d'accord avec lui. Toutefois, ce n'est pas le temps de faire adopter une mesure législative boiteuse. C'est le temps de veiller à faire les choses correctement. Si le projet de loi comporte un problème, il ne pourra pas être réglé avant cinq, sept ou huit ans. C'est notre dernière chance de le résoudre.

Une fois que l'on supprime l'indépendance de la police et qu'on parle de camouflage — et je n'irai pas aussi loin, mais celle-ci doit être protégée. Je sais que l'ancien chef de police White sait que les chefs de police protègent leur indépendance. Au cours de toutes mes années de service au sein de commissions des services policiers, personne n'a jamais tenté de me dire ou de dire à mon personnel comment mener une enquête. C'est simplement sans précédent.

Il doit y avoir une façon adéquate de résoudre le problème, et ce n'est pas celle-ci.

Le sénateur McIntyre : Le Comité des griefs des Forces canadiennes est un organisme qui ne fait pas partie des Forces canadiennes, ni du ministère de la Défense nationale. Je remarque que, selon le projet de loi C-15, le Comité des griefs des Forces canadiennes s'appellera maintenant le « Comité externe d'examen des griefs militaires ». Ce changement de nom entraînera-t-il une modification de la structure du comité ou de son mandat, et quelle importance cela aura-t-il dans le processus de règlement des griefs?

M. Hamel : En premier lieu, c'est vraiment une question d'éducation. Le comité a commencé à exercer ses activités en 2000. Treize années plus tard, un grand nombre de membres des FC qui occupent tous les échelons de l'organisation jusqu'aux plus élevés, croient encore que le comité fait partie des Forces armées canadiennes. Tous les ans, les Forces canadiennes et le ministère me demandent de rendre compte de ceci et cela. À mon avis, ce problème est lié au titre actuel de notre organisation. Lorsqu'on parle du Comité des griefs des Forces canadiennes, c'est comme si on parlait du « vélo de Bruno ». Cela sous-entend qu'un lien d'appartenance existe.

La modification de notre nom permettra d'abord de mettre l'accent sur ce que nous faisons. Nous examinons des griefs militaires. Cela confirmera que notre organisation n'est pas une commission et qu'elle ne prend pas de décisions. Nous faisons partie d'un comité. Nous examinons des griefs, nous faisons des constatations, et nous formulons des recommandations à l'intention du chef d'état-major de la Défense. Ces cinq mots ont été choisis soigneusement afin de communiquer à tout le monde, des membres des FC au public, qui nous sommes, ce que nous sommes chargés de faire, et ce que nous faisons vraiment. Nous faisons partie du système, mais non des Forces canadiennes.

Dans la loi actuelle, le paragraphe 29.16(10) prévoit qu'un membre actif des FC peut être détaché auprès du comité des griefs. À mon avis — et je l'ai indiqué au comité de la Chambre des communes —, cette disposition devrait être supprimée. L'indépendance du comité, son caractère externe, est essentielle à son fonctionnement et à sa raison d'être. En ce moment, aucun membre des FC n'est détaché auprès du comité. La loi prévoit que, demain, un membre venant directement des Forces canadiennes pourrait être détaché auprès de mon organisation et siéger à temps partiel ou à temps plein au sein du comité. Ce serait catastrophique.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue et merci pour vos témoignages. Monsieur Hamel, monsieur Daigle, vos témoignages me rendent un peu confus. Je ne sais pas si ce sont vos positions respectives qui font que votre vision de l'impact du projet de loi est différente.

L'un dit que le processus de redressement des griefs des Forces canadiennes demeure injuste et défectueux, et l'autre dit qu'il s'agit de modifications importantes longuement souhaitées qui assureront une indépendance institutionnelle.

Pourquoi avez-vous une vision opposée par rapport à l'impact du projet de loi en ce qui concerne la gestion des griefs? Est-ce que c'est votre rôle respectif qui fait que vous avez une vision différente?

M. Daigle : Je ne suis pas certain de bien saisir. Le rôle de l'Ombudsman des Forces canadiennes et du ministère est, bien entendu, d'informer, d'éduquer et d'aiguiller les gens vers des mécanismes de résolution de problème et, éventuellement, de faire des enquêtes, s'il y a lieu, pour résoudre des cas d'injustice.

Notre mandat consiste également à réviser les processus de résolution de problèmes, dont le système des griefs des Forces canadiennes. Les gens qui viennent à notre bureau souvent ne savent pas où s'adresser et on va les guider au travers des mécanismes. Le mécanisme de dernier recours pour eux, c'est d'avoir accès au système de redressement de griefs. Lorsqu'ils font un grief à l'intérieur des Forces canadiennes, il y a une autorité initiale qui le regarde et qui peut avoir l'autorité de résoudre le grief. Sinon, l'autorité finale, c'est le chef d'état-major de la Défense. Lorsque c'est rendu au chef d'état-major de la Défense, si le chef d'état-major décide qu'il y a effectivement injustice et que, pour réparer l'injustice, il doit donner au membre une compensation financière parce qu'il a perdu de l'argent, il n'a pas ce pouvoir.

Comment le système qu'on révise sera-t-il juste et équitable tant et aussi longtemps que celui qui a l'autorité de clore la situation n'a pas vraiment l'autorité parce qu'il n'a pas le pouvoir de donner une compensation financière? Si vous êtes un fonctionnaire au ministère de la Défense et que votre patron vous renvoie chez vous pendant six mois et que vous faites un grief, et qu'il est convenu que vous avez été renvoyé de façon injuste, votre salaire pour les six mois vous sera remboursé. Le chef d'état-major de la Défense n'a aucune autorité financière.

Le sénateur Boisvenu : C'est l'élément négatif qui est absent. Monsieur Hamel, avez-vous la même perception?

M. Hamel : La vision du comité n'est pas nécessairement différente de celle du Bureau de l'Ombudsman, mais je suis d'accord avec vous, nos rôles sont différents, bien qu'à certains égards, dans certains domaines on puisse les appeler complémentaires. Le comité est un tribunal administratif, un peu comme une cour administrative. J'ai juridiction dans la loi et cette juridiction commence lorsque le chef d'état-major me renvoie un dossier. À défaut de me faire renvoyer un dossier par les Forces canadiennes, je n'ai pas juridiction dans un cas, je n'ai pas le pouvoir de m'ingérer parce que, comme un tribunal, on reçoit les cas, on évalue la juridiction. Et une fois qu'on a juridiction, la mienne commence avec le renvoi et se termine lorsque je produis un rapport au chef d'état-major, lui recommandant un recours, une solution possible. La solution peut être positive ou négative. La solution peut être n'importe où entre les deux. Je reçois une plainte. J'enquête une plainte particulière et puis on va creuser cette plainte. On va écrire un rapport de plusieurs pages et on va dire au chef d'état-major : « Vous nous avez demandé notre opinion sur cette question et nous recommandons d'octroyer le remède suivant au plaignant ou de ne pas octroyer le remède parce que la décision contestée, la décision prise est la bonne. » On agit de façon différente.

[Traduction]

On voit les choses d'un angle différent.

[Français]

M. Daigle : Comme je l'ai expliqué, l'ancien CFVV est une partie intégrante du système de grief. Lorsqu'un militaire fait une plainte, cela part de l'unité initiale, cela peut aller directement au chef d'état-major comme autorité finale.

Dans certains cas, cela passe par son comité qui fait la recommandation au chef d'état-major qui prend la décision finale. Quand quelqu'un vient nous voir en pensant qu'il y a eu une injustice, je révise tout le processus au complet et même si le comité des griefs est à l'extérieur, son action est à l'intérieur de la défense et il recommande au chef d'état- major une décision. Et si le membre qui reçoit la réponse du chef d'état-major n'est pas satisfait et nous demande de réviser le processus, on révise tout ce qui a été fait jusqu'à la décision finale. Toutefois, notre bureau ne fait pas partie du ministère de la Défense nationale.

[Traduction]

La sénatrice Beyak : Vous avez répondu à toutes mes questions. Toutefois, je voulais demander quelque chose à M. Hamel. Au cours du débat de deuxième lecture, il a été proposé que 60 p. 100 des membres du comité soient des civils. Vous vous êtes élevé contre cela. Pourriez-vous me donner plus de détails à ce sujet?

M. Hamel : Je suis heureux que vous me posiez cette question. Pour plusieurs raisons, je m'oppose absolument à ce qu'on nous impose un quota. J'ai déjà énuméré mes raisons pour le compte rendu, mais j'estime que le fait d'avoir des antécédents militaires est un atout, et non une exigence. Lorsqu'on décide qui sera nommé au sein du comité des griefs, on devrait évaluer le mérite des expériences de chacun des candidats.

Cela étant dit, je n'ai jamais demandé que le comité soit complètement constitué de membres ayant des antécédents militaires, et je ne le ferai jamais. L'expérience militaire est un atout, mais j'aime la diversité. En ce sens, nous appuyons la recommandation du juge en chef Lesage.

Nous formons un tribunal spécialisé. Il n'y a rien d'inhabituel à ce que des professionnels défendent les intérêts de leur profession. Des médecins examinent les actions d'autres médecins, et les avocats font de même. Selon moi, la profession des armes ne devrait pas être traitée différemment.

C'est le gouverneur en conseil qui décide de la composition du comité actuel. En tant que président du comité, je me soucie que l'on nomme la personne la plus qualifiée pour le poste au moment du concours. Si cette personne a déjà travaillé dans l'armée, qu'il en soit ainsi. Si ce n'est pas le cas, qu'il en soit ainsi à condition que la personne soit la meilleure candidate.

Maintenir une proportion devient problématique.

[Français]

On pourrait actuellement s'empêcher...

[Traduction]

Le président : Je dois vous interrompre. Nous approchons de notre heure limite. Je vais vous implorer comme d'habitude d'être bref dans vos questions et vos réponses. Cinq membres interviendront au cours de la deuxième série de questions. Par conséquent, si vous souhaitez donner à vos collègues l'occasion d'intervenir, faites-le.

La sénatrice Fraser retire son nom de la liste. Il n'y a donc plus que quatre membres. Vos questions doivent être brèves, tout comme vos réponses.

Le sénateur White : Monsieur Hamel, vous avez parlé de la rapidité et de l'importance qu'elle revêtait dans le processus de règlement des griefs. Selon vous, la mesure législative accordera-t-elle une plus grande priorité à l'accélération du processus?

M. Hamel : Je ne pense pas que le projet de loi s'attaque aux limites de temps. En réalité, c'est un règlement qui influe sur la chronologie du processus de règlement des griefs. Le projet de loi n'accélérera pas le processus, et ne le ralentira pas non plus.

Le sénateur White : Mais limitera-t-il les personnes qui peuvent répondre à des griefs et partager la charge de travail, réduisant ainsi la capacité des gens qui travaillent à d'autres échelons de traiter des griefs?

M. Hamel : Je ne suis pas certain de comprendre la question.

Le sénateur White : Je vais en rester là. Merci.

Le sénateur Dallaire : En raison de l'article relatif au VCEMD, vous avez décrit des situations dans lesquelles ce dernier pourrait faire preuve d'ingérence. Vous avez décrit des services de police surtout dans le contexte de la vie dans une garnison, c'est-à-dire à l'intérieur du Canada. Il s'agit donc de services de police rendus dans une garnison auprès de militaires et de civils — donc des scénarios et des exigences identiques.

J'ai été commandant d'un théâtre d'opérations. En raison de ce qui se passait sur le terrain, j'ai été en mesure d'empêcher des défenseurs des droits de la personne de mener des enquêtes parce que, s'ils l'avaient fait, ils auraient été tués. J'ai également empêché l'aide humanitaire d'entrer, même si des milliers de personnes comptaient sur elle, parce que, si les travailleurs l'avaient acheminée, ils auraient été tués ou capturés et toutes ces ressources auraient aidé et encouragé l'ennemi.

Je songe à ce que la police fait dans un théâtre d'opérations. Notre mission en Somalie a démontré qu'il était grandement nécessaire d'améliorer la qualité de la formation donnée aux membres de la police militaire, leur perfectionnement professionnel et leurs compétences afin de satisfaire aux exigences, et je tiens pour acquis que cela a été fait.

Si le VCEMD, qui est un spécialiste des opérations, n'a pas le pouvoir d'influer sur ce qui se passe sur le terrain, vous diriez que le Grand Prévôt, en raison de ces antécédents militaires, qui découlent de sa formation et de son éducation, devrait être en mesure de décider si on devrait poursuivre une enquête ou si on devrait attendre le moment approprié. Si ce n'est pas le Grand Prévôt qui prend cette décision, qui le fera — le CEMD?

M. Stannard : Le Grand Prévôt des FC est un haut gradé de l'armée. Dans le cas en question, il possède beaucoup d'expérience non seulement des services de police, mais aussi du commandement militaire.

Nous venons juste de traverser d'importants conflits partout dans le monde et, en particulier, en Afghanistan. Nous avons accès au Grand Prévôt canadien, au COMFEC et à diverses personnes. Le VCEMD ne s'est pas mêlé de donner des directives relativement aux enquêtes. C'est le SNE qui menait les enquêtes en Afghanistan. Ses membres sont également des professionnels, et ils savent quand ils doivent sortir du périmètre pour faire certaines choses. Ce sont eux qui décidaient si des escortes ou d'autres mesures étaient nécessaires. Je n'ai observé aucun problème, et le Grand Prévôt des Forces canadiennes ne s'est pas plaint d'une ingérence dans les enquêtes.

Je n'ai observé aucun changement dans le cadre de reddition de comptes, qui est en place. Je ne suis pas ici pour laisser entendre même pendant un moment que le VCEMD a l'intention d'utiliser le pouvoir proposé à des fins répréhensibles. En fait, je ne suis même pas certain que le VCEMD a demandé ce pouvoir...

Le président : Comme je l'ai indiqué, monsieur Stannard, notre temps est compté ici.

Le sénateur McIntyre : Madame Dunbar, ma question concerne les pouvoirs d'arrestation prévus par la Loi sur la défense nationale et le projet de loi C-15. Les articles 154, 155, 156 et 157 de la Loi sur la défense nationale décrivent le pouvoir d'arrêter avec ou sans mandat. Par contre, l'article 27 du projet de loi C-15 limite le pouvoir d'arrestation sans mandat. Êtes-vous satisfaite du nouvel amendement défini dans le projet de loi C-15?

Julianne Dunbar, avocate générale et directrice des opérations, Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire : Je vous remercie beaucoup de votre question. Mis à part les questions que nous soulevons concernant les paragraphes 18.5(3), (4) et (5) proposés, les autres articles ne nous posent pas de problèmes. En réalité, nous sommes ici aujourd'hui pour parler des problèmes qui touchent notre commission, son mandat et, assurément, le caractère indépendant de la police militaire.

Le sénateur McIntyre : Êtes-vous satisfaite des pouvoirs d'arrestation avec ou sans mandat?

Mme Dunbar : Oui.

Le sénateur Joyal : Monsieur Stannard, nous avons mentionné le premier critère que vous avez exposé, à savoir la sécurité du Canada. Je dirais que, si l'avenir de la vie humaine était en jeu, cela pourrait représenter un critère. Le délai maximal est un autre important facteur. Si vous recevez l'ordre d'interrompre votre enquête, n'êtes-vous pas d'accord pour dire qu'un délai maximal devrait être prévu afin qu'elle ne soit pas suspendue indéfiniment?

M. Stannard : C'est tout à fait possible. Cela dépend de la nature de l'enquête et de la question de savoir si une arrestation, l'émission d'un mandat de perquisition ou une perte de preuves est imminente. Chaque cas serait très difficile à trancher, et il serait difficile de se prononcer sans connaître tous les facteurs.

Voilà ce qui cloche dans la mesure législative. Il est difficile de savoir de quelle enquête il s'agirait.

Le président : Je vous remercie tous d'avoir comparu aujourd'hui et d'avoir contribué à nos délibérations. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Le deuxième groupe d'experts que nous accueillons ce matin comprend l'ancienne directrice des Poursuites militaires de la Défense nationale et la capitaine de vaisseau à la retraite, Holly MacDougall. Soyez la bienvenue, madame MacDougall. Je crois comprendre que vous avez une brève déclaration préliminaire à faire.

Capitaine de vaisseau (à la retraite) Holly MacDougall, ancienne directrice, Poursuites militaires, Défense nationale, à titre personnel : Bonjour, chers sénateurs. Ma déclaration préliminaire sera très brève. Premièrement, j'aimerais remercier le comité de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui.

Je tiens à vous donner un bref aperçu de mes antécédents. Jusqu'à ce que je prenne ma retraite en 2009, j'ai travaillé comme avocate militaire pendant 27 ans. À l'époque où j'ai pris ma retraite, j'étais directrice des Poursuites militaires des Forces canadiennes, et j'occupais ce poste depuis quatre ans et 10 mois.

D'emblée, j'aimerais indiquer clairement que je ne suis pas une spécialiste du projet de loi C-15, bien que j'aie bien pris connaissance de son contenu. Cela étant dit, je possède une grande expérience pratique du système de justice militaire que ce projet de loi cherche à renforcer, et je serais heureuse de répondre à toutes les questions qui pourraient vous aider dans vos délibérations.

J'ai une autre observation à formuler. Dans mon domaine de compétence le plus récent, c'est-à-dire les poursuites, le projet de loi renforce effectivement le système de justice militaire. Je signalerais trois dispositions en particulier.

La première porte sur les règles relatives à la pratique en cour martiale que le juge militaire en chef pourra mettre en vigueur, si le projet de loi est adopté. Je crois qu'elles pourraient améliorer et renforcer l'administration de la justice militaire. Dans le système de cours martiales, comme dans le système de justice pénale civil, les délais sont toujours difficiles à éliminer, et le fait que le juge militaire en chef sera en mesure de mettre en œuvre ces règles pourrait régler certains de ces problèmes de délai.

Un autre aspect très utile, selon moi, qui renforce le système de justice militaire est lié à l'élargissement des dispositions relatives à la détermination de la peine. La marge de manœuvre supplémentaire que ces dispositions accordent aux juges des faits au cours des procès sommaires ou des cours martiales est un grand pas en avant.

Enfin, je pense que la déclaration de la victime est un élément qui joue un rôle très important dans notre système, tout comme dans le système civil.

Le président : Merci. La vice-présidente du comité, la sénatrice Fraser, amorcera les séries de questions.

La sénatrice Fraser : Comme je n'ai jamais été procureure moi-même, je n'ai aucune compétence dans ce domaine. Je vais donc vous poser une question qui ne concerne pas les procureurs, mais qui a été soulevée par une personne qui a témoigné plus tôt aujourd'hui et sur laquelle je n'ai pas eu le temps de revenir. Je ne vous demande pas de me donner un avis juridique, mais plutôt une opinion éclairée en tant que personne ayant participé au système de justice militaire et saisissant la mentalité des soldats. Ma question est liée au processus de règlement des griefs, mais non à ses aspects techniques.

Le projet de loi dit ce qui suit : « Le chef d'état-major de la Défense peut déléguer à tout officier qui relève directement de lui ses attributions à titre d'autorité de dernière instance en matière de griefs, sauf dans les cas suivants — et le premier cas est celui à propos duquel je souhaite vous interroger — : a) le délégataire a un grade inférieur à celui de l'officier ayant déposé le grief... » Au cours de notre dernière séance, un témoin nous a dit que ces pouvoirs ne devraient être délégués qu'à un officier ayant un grade supérieur à celui de l'officier ayant déposé le grief. Je suppose que, si l'on demande à quelqu'un ayant un grade égal de prendre une décision, un conflit d'une sorte ou d'une autre pourrait survenir. Compte tenu de votre compréhension du fonctionnement de l'armée, pensez-vous que cette conclusion est juste?

Captv MacDougall : Cette question dépasse mes compétences juridiques.

La sénatrice Fraser : J'en suis consciente, et j'ai consacré tout mon préambule à préciser que cela n'avait rien à voir avec le travail que vous faisiez. Cependant, vous étiez membre des forces, et je ne l'ai jamais été.

Captv MacDougall : Je peux dire que, selon mon expérience personnelle, vous avez tout à fait raison. Normalement, les décisions relatives à une personne seraient prises par des officiers ou des militaires ayant un grade supérieur à la personne. Toutefois, je peux également dire que, dans certaines circonstances restreintes, il arrive que des officiers prennent des décisions concernant une personne ayant un grade égal au leur. Je ne peux pas ajouter quoi que ce soit d'autre au débat.

La sénatrice Fraser : Revenons sur un sujet que vous avez abordé, à savoir la détermination de la peine. Nous croyons que le projet de loi devrait prévoir un éventail pas mal plus vaste de solutions de rechange en matière de peines à infliger, et c'est ce que nous avons recommandé. Pensez-vous que le projet de loi va assez loin et qu'il accorde une marge de manœuvre suffisante à la personne qui détermine la peine?

Captv MacDougall : Je pense que c'est un immense pas en avant. Pour aller plus loin, il faudrait trouver des solutions à certains problèmes difficiles à résoudre. Prenons l'exemple évident des libérations conditionnelles ou de la probation. Je suis certaine que ces possibilités ont été envisagées, et il se peut qu'elles soient mises en œuvre dans les années à venir, mais je ne crois pas qu'il soit possible d'appliquer ce genre de peines tant qu'on n'aura pas mis en place les mécanismes nécessaires pour les superviser. Je ne sais pas si c'est la raison pour laquelle ces peines ne sont pas prévues, mais mon instinct me dit que c'est probablement le cas.

Le sénateur White : Je vais tenter d'aborder la question de l'indépendance. Nous en avons déjà beaucoup parlé. Je m'efforcerai donc d'axer ma question sur votre expérience et de voir si vous êtes en mesure d'établir un parallèle avec celle-ci.

L'article 165 de la Loi sur la défense nationale prévoit que le directeur des Poursuites militaires travaille sous la supervision générale du juge-avocat général. L'article prévoit également que le juge-avocat général peut donner des directives générales relativement aux poursuites et même relativement à une certaine poursuite. Compte tenu de votre expérience, avez-vous une opinion quant à l'incidence que cet arrangement a peut-être eue sur l'indépendance du directeur et, le cas échéant, pouvez-vous faire un parallèle, si vous en voyez un, bien entendu, avec la situation dans laquelle les VCEMD pourraient se retrouver dans les années à venir lorsqu'ils seront aussi en mesure, si la mesure législative est adoptée, de donner des directives générales relativement à une enquête particulière?

Captv MacDougall : C'est avec plaisir que je formulerai des observations concernant la façon dont le processus fonctionne au service des poursuites. Je peux certainement vous donner mon opinion quant à la façon dont je me suis sentie en tant que personne ayant pu recevoir ces directives précises. Il y a presque une correspondance exacte entre le contenu du projet de loi C-15 et les dispositions de la Loi sur la défense nationale ayant trait au directeur des poursuites militaires. Dans le contexte des procureurs partout au pays, il n'est pas sans précédent, ni même inhabituel, de retrouver ce genre de dispositions dans les lois.

Je vais vous donner un exemple. Le directeur des poursuites pénales du Service fédéral des poursuites se voit imposer des contraintes d'un type semblable par la loi qui accorde au procureur général le pouvoir de donner des directives précises. J'ignore ce que les lois stipulent dans le contexte des services de police, mais dans le contexte des poursuites, cela n'est pas inhabituel. Si la notion d'indépendance de la fonction de procureur est tout aussi importante et tout aussi consacrée par la loi que celle du policier — et je dirais même peut-être un peu plus parce qu'elle remonte à un peu plus loin dans l'histoire —, il y a certainement des cas dans l'histoire et un contexte dans lequel des instructions précises peuvent être données.

Je vous dirais que, personnellement, j'ai toujours été réconfortée par le fait qu'une disposition disait que, si on me donnait des directives, je pouvais les rendre publiques. En définitive, si le juge-avocat général et moi avions des discussions concernant des affaires très médiatisées — et je le faisais plutôt pour le renseigner que pour obtenir des instructions de sa part — je savais toujours qu'au bout du compte, si nous ne tombions pas d'accord, nous pouvions rester sur nos positions, et je rendais les directives publiques. Je voyais cela comme une sorte de protection et de transparence, mais cela allait plus loin que cela. Cela me réconfortait, en particulier dans un contexte militaire. Il faut que vous vous rendiez compte que le VCEMD est un général haut gradé, alors que le Grand Prévôt est colonel. Le juge-avocat général est un major-général. En tant que directrice des poursuites, j'étais colonelle. La disposition dont j'ai parlé me donnait le pouvoir légal et l'obligation de défendre les mesures qu'il me semblait approprié de prendre.

Le sénateur White : Dans le cas présent, s'il y avait ingérence, on aurait l'occasion de déposer une plainte, et le processus serait transparent. Vous considéreriez aussi cela comme légitime?

Captv MacDougall : Certainement. En fait, je pense qu'il y a là une seconde protection qui n'existe pas pour le directeur des poursuites.

Le sénateur Dallaire : L'une de mes questions porte sur les juges de réserve et l'autre, sur la détermination de la peine.

L'article 41 décrit les conditions qui doivent être remplies pour nommer un juge de réserve. Pensez-vous qu'en raison d'un énorme arriéré, nous pourrions nommer un juge complètement civil pour tenir des cours martiales, ou est-ce que le désir d'instruire les affaires plus rapidement ne constituerait pas un facteur déterminant pour programmer des cours martiales plus tôt?

Captv MacDougall : Pour être honnête, je ne pense pas que nous appliquerons un jour cette disposition et, encore une fois, il s'agit là de mon opinion personnelle. Selon moi, nous ne ferions jamais appel à des juges civils. Je considère que cette disposition fait allusion à des juges militaires de réserve, tout comme nous avons des réservistes pour les autres classifications des Forces canadiennes. Toutefois, je pense que cela pourrait être utile. Nous disposons de quatre juges en ce moment. Nous avons traversé une période pendant laquelle, il n'y en avait que deux, et cela s'est passé pendant que j'occupais le poste de DPM. L'arriéré d'affaires a certainement augmenté pendant cette période. Je pense que cette disposition pourrait également être utilisée dans ce contexte.

Le sénateur Dallaire : Les critères parlent d'années d'expérience, d'avocat inscrit au barreau, et cetera, mais ils ne disent pas carrément que la personne doit avoir suivi une formation particulière au sein de la structure militaire ou de la réserve. Si ce projet de loi est adopté, est-ce que les juges de réserve auraient la formation requise pour être en mesure de fonctionner dans un système de justice militaire, ou est-ce qu'en réalité, nous considérons qu'il s'agit de juges qui ont peut-être quitté leur emploi, qui figurent sur une liste de réserve et qui sont simplement appelés au besoin?

Capt. MacDougall : Sénateur Dallaire, je n'ai pas rédigé le projet de loi, et je ne peux pas vous dire ce qui est passé par la tête des rédacteurs lorsqu'ils ont rédigé cette disposition mais, quand je la lis, je vois cela comme un système semblable à celui que nous utilisons pour nos procureurs militaires et nos avocats de la défense de réserve. Ce sont des officiers de réserve, et ils reçoivent la même formation que nous. Par conséquent, ils ont l'expérience militaire requise. Toutefois, la plupart de nos procureurs occupent des postes de procureurs civils, comme nous aimons les appeler, pendant la journée. Donc, ils possèdent une combinaison d'expérience qui pourrait être très utile.

Le sénateur Dallaire : Est-ce que la détention devrait être portée au casier judiciaire?

Captv MacDougall : Je ne suis pas étonnée que vous me posiez cette question, sénateur Dallaire. J'ai suivi la transcription des délibérations.

Le sénateur Dallaire : Je suis heureux que vous ne disiez pas que c'est parce que j'y ai recours trop souvent.

Captv MacDougall : Ma réponse est que des personnes raisonnables peuvent ne pas s'entendre sur l'endroit où l'on doit tracer la ligne de démarcation et sur ce que l'on considère comme une grave infraction. Si l'on examine objectivement la gradation des peines, la détention est un châtiment plus lourd que la rétrogradation et la perte d'ancienneté.

Personnellement, j'ai remarqué que des peines de détention étaient infligées — peut-être pas dans les années 1980 et 1990, mais récemment — quand un manquement assez grave à la discipline se produisait.

Si vous voulez savoir ce que j'en pense, je dirais que je fais partie des gens raisonnables qui considèrent que les gens qui purgent des peines de détention devraient peut-être avoir un casier judiciaire.

Le sénateur Dallaire : Ne pensez-vous pas que cela change la nature de cet outil dont les commandants disposent pour, essentiellement, discipliner ou réformer leurs subordonnés?

Captv MacDougall : Bien sûr. Si j'avais observé récemment que la détention était utilisée dans ce contexte, je serais d'accord avec vous. Mes dernières expériences — et au moins une décision qui a été rendue par la Cour d'appel de la cour martiale — ont tendance à démontrer que les gens utilisent la détention et l'emprisonnement de manière interchangeable. Cette constatation, conjuguée à l'endroit où la détention se situe sur l'échelle des peines, explique pourquoi je me classe dans cette catégorie de gens.

[Français]

Le sénateur Dagenais : À la lumière des témoignages que l'on entend, je réalise que le milieu militaire est un milieu qui est quand même très fermé et que ce n'est pas toujours facile d'administrer la justice militaire. Est-ce que vous croyez que le projet de loi C-15 va aider les victimes dans ce système de justice? Vous avez fait mention dans votre présentation du mot « victime ».

[Traduction]

Captv MacDougall : Merci, sénateur. Dans tout système de justice pénale, qu'il soit civil ou militaire, les victimes ne font pas partie du système en tant que tel. Ce sont les victimes, mais elles ne jouent pas vraiment un grand rôle. Je pense que c'est une chose dont les victimes se plaignent communément, à savoir qu'elles ne participent pas beaucoup au processus lui-même, et qu'elles n'ont pas d'incidence sur son résultat.

Dans la mesure où les victimes ont maintenant leur mot à dire dans le processus de détermination de la peine, je pense que cela représente un pas en avant pour les victimes. Cela les aidera à trouver un certain sens à leur épreuve et, au moins, elles ne se sentiront pas aussi impuissantes.

Cela étant dit, je tiens à mentionner que, malgré l'absence d'un processus officiel, les procureurs, conformément aux Directives du directeur des poursuites militaires, consultent les victimes tout au long du processus et tentent de découvrir si elles trouvent approprié que des accusations soient portées et ce qu'elles considèrent comme une peine appropriée. Les procureurs ne sont clairement pas forcés d'en tenir compte. Toutefois, nous cherchons à faire participer les victimes même si ce mécanisme n'est pas en place.

Cependant, il s'agit là d'un pas en avant, parce que cela officialise un processus qui est en place officieusement depuis un certain temps.

Le sénateur Joyal : Si vous me le permettez, je ne tiens pas à paraître misogyne mais, comme j'ai l'occasion d'entendre un membre du système de justice militaire qui est de sexe féminin, je ne peux pas résister à la tentation de vous poser la question suivante : quel sont les problèmes que les femmes de la force rencontrent le plus souvent au sein du système de justice?

Captv MacDougall : Sénateur, je ne suis probablement pas la personne la mieux placée pour répondre à votre question. Selon moi, c'est lié au fait que je suis une femme, que j'ai occupé un poste de procureure militaire pendant à peu près la moitié du temps que j'ai passée dans l'armée et que je ne suis au courant d'aucun problème. Les femmes dont je me suis occupée ne me les ont pas exposés clairement.

J'ai l'impression que le système est non sexiste, ou du moins autant que le système de justice civile l'est. Je ne crois pas que les femmes éprouvent des difficultés particulières au sein du système de justice militaire qui n'existent pas au sein du système de justice civile.

Je suis désolée. Je semble parler pour ne rien dire, mais je ne peux pas penser à quoi que ce soit qui vous donnerait...

Le sénateur Joyal : Depuis l'époque où vous étiez responsable des poursuites, quelles sont les infractions dont les femmes de la force sont accusées le plus fréquemment?

Captv MacDougall : Nous ne conservons pas des statistiques de ce genre. Je n'ai jamais songé à examiner cela. Rien ne m'a frappée et, pour être honnête, rien n'a frappé les juges-avocats généraux, qui étudient constamment l'administration du système de justice militaire, rien qui pourrait faire ressortir ce genre de choses.

Manifestement, beaucoup moins de femmes que d'hommes ont été accusées et poursuivies par le système de justice militaire, mais cela découle uniquement du fait qu'elles sont moins nombreuses dans l'armée que les hommes.

Je ne peux pas vous aider. Je ne connais simplement pas la réponse à votre question.

Le sénateur Joyal : Comment les femmes participent-elles au processus? Vous êtes procureure vous-même. Vous avez dit que vous aviez passé la moitié de votre temps au sein des forces à jouer ce rôle. Y a-t-il d'autres femmes à divers échelons de la police militaire, des cours martiales, et cetera.?

Captv MacDougall : Oui, assurément.

Le sénateur Joyal : Je m'efforce que comprendre comment les femmes interviennent dans l'ensemble du système afin de découvrir l'approche que l'armée a développée pour tenir compte de la présence des femmes sur le terrain.

Captv MacDougall : Je vais replacer cela dans un contexte général, puis je tenterai de relier cela à la justice militaire.

Mon expérience à titre d'avocat juridique au sein des Forces canadiennes a été remarquable. Je l'ai déjà dit auparavant, et je suis tout à fait prête à le répéter maintenant : en toute honnêteté, je peux dire que je n'ai jamais été victime de préjugés fondés sur mon sexe. C'est peut-être inhabituel, mais le fait est que, si on cherche à harceler une femme, il est peu probable qu'on choisisse une avocate.

Des voix : Bravo.

Captv MacDougall : J'irais un peu plus loin en ce qui a trait aux officiers du JAG dans le système de justice militaire, où des femmes occupent des postes de juge et de procureur. Durant mon mandat de directrice des poursuites militaires, les gens disaient à la blague que la capitaine MacDougall essayait de se débarrasser de tous les hommes du bureau. En fait, cela n'avait rien à voir; on ne faisait que suivre le processus normal d'affectation. Il y a des femmes à la défense.

Nous faisons partie intégrante du processus, tout comme dans tout autre aspect du travail que fait le JAG au sein des Forces canadiennes.

Le sénateur Dallaire : Qu'en est-il du Grand Prévôt?

Captv MacDougall : Tout à fait. Je n'ai pas les chiffres exacts, mais des femmes ont certainement occupé ce poste. À ma connaissance, il y en a eu deux. La classification de policier ou d'avocat n'est peut-être pas la meilleure pour déterminer s'il y a du sexisme. Je peux seulement vous faire part de mon expérience personnelle à cet égard.

Le sénateur McIntyre : Si je ne m'abuse, la Loi sur la défense nationale prévoit l'inamovibilité — un mandat d'une durée fixe — des procureurs militaires. J'ai lu quelque part qu'en vue d'accroître la perception d'indépendance des avocats de la défense, le directeur du Service d'avocats de la défense bénéficierait de conditions égales à celle du directeur des Poursuites militaires en ce qui a trait au salaire et à l'inamovibilité. Est-ce exact?

Captv MacDougall : Oui. Lorsque j'étais en poste, le directeur du Service d'avocats de la défense était un lieutenant- colonel. Après mon départ à la retraite, le titulaire de ce poste a été monté grade. Si je ne me trompe pas — et je suis persuadée que les parrains du projet de loi au JAG pourront vous donner les articles en question —, il s'agit simplement de légiférer ce qui était déjà appliqué en pratique et prévu dans la réglementation.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Madame MacDougall, je voulais m'entretenir avec vous sur la compétence des cours martiales versus les procès sommaires. On sait que le code de discipline militaire dans la Loi sur la Défense nationale contient plusieurs articles qui traitent d'infractions, entre autres les articles 72 à 132. On a le choix entre une cour martiale ou d'autres cas sont faits par des officiers qui président un procès sommaire.

Une des infractions les plus difficiles à traiter pour une femme militaire est sans doute une agression sexuelle. Est-ce que, les cas d'agressions sexuelles prévues dans le code de discipline, entres autres les agressions sexuelles armée et agressions sexuelles graves, peuvent être jugées devant un juge qui préside un procès sommaire ou est-ce automatiquement devant la cour martiale?

[Traduction]

Captv MacDougall : Les cas d'agressions sexuelles doivent être entendus par la cour martiale. Ils ne peuvent pas être présentés devant un juge qui préside un procès sommaire. C'est une des infractions renvoyées directement à la cour martiale en vertu de la loi.

La sénatrice Fraser : Je reviens à la question des instructions concernant une enquête ou une poursuite précise. Vous avez dit être à l'aise avec le système établi par la Loi sur la défense nationale. Selon ce système, comme vous l'avez bien dit, le juge-avocat général, le chef de votre département, a le pouvoir d'émettre des instructions. Il est intéressant de noter cependant qu'il n'a pas le pouvoir d'émettre d'instructions à l'intention des avocats de la défense pour une affaire en particulier.

Captv MacDougall : C'est exact.

La sénatrice Fraser : C'est sous la rubrique des instructions générales. Dans le cas de la police militaire, ce n'est pas le Grand Prévôt qui a le pouvoir d'émettre des instructions concernant une enquête précise, c'est le vice-chef d'état- major — on monte d'un cran, si on veut. À votre avis, n'y a-t-il pas une différence? Pourquoi est-ce que cela ne pourrait pas s'appliquer aux avocats de la défense si c'est le cas pour les procureurs?

Captv MacDougall : Je vais répondre à la question la plus facile en premier, c'est-à-dire pourquoi cela ne s'applique pas aux avocats de la défense. C'est contraire à l'éthique. Dans notre système, civil ou militaire, les avocats de la défense ont le poids de la défense, et cela se passe strictement entre l'accusé et l'avocat, qui ne peut recevoir de directives que de son client. C'est simple. Cela ne peut pas s'appliquer.

La sénatrice Fraser : Je comprends cela.

Captv MacDougall : Vous avez raison, il y a une différence. C'est une image parallèle plutôt qu'un reflet exact entre le directeur des Poursuites militaires et le Grand Prévôt. La grande différence est que le rôle du juge-avocat général est défini expressément par la Loi sur la défense nationale. Il est chargé de superviser l'administration du système de justice militaire. De toute évidence, il n'y a rien de précisé dans la loi...

La sénatrice Fraser : Il y aura quelque chose de précisé, car ce projet de loi énonce le rôle du Grand Prévôt.

Captv MacDougall : Pas pour le vice-chef d'état-major. Cela dit, dans le système civil, c'est le poste de procureur général qui se rapproche le plus de celui du JAG ou du directeur des poursuites militaires. Le procureur général peut donner des directives à un procureur dans certains cas, et il l'a déjà fait, notamment en Colombie-Britannique, d'où on pourrait tirer quelques exemples. Cela arrive aussi dans les juridictions civiles, pas souvent, mais ce n'est pas inhabituel. Le JAG joue un peu le même rôle. C'est le parallèle que je peux faire.

Je suis d'accord avec vous pour dire que les postes de vice-chef d'état-major et de Grand Prévôt ne sont pas équivalents. Je peux donc seulement vous faire part de mes commentaires personnels. Dans une organisation militaire, j'ai trouvé qu'il était utile que la loi exige que cela se fasse par écrit. Je considère que c'était une protection plutôt qu'une façon de limiter mon indépendance.

Le sénateur White : Avez-vous déjà eu affaire à des autorisations de mise sur écoute en vertu de la partie 6?

Captv MacDougall : Non.

Le sénateur Joyal : Vous avez fait mention de cas en Colombie-Britannique où le JAG était intervenu. Pourriez-vous nous donner des exemples? Quels étaient ces dossiers?

Captv MacDougall : Il ne s'agissait pas du JAG, mais du procureur général.

Le sénateur Joyal : Pardon.

Captv MacDougall : Il s'agissait de poursuites concernant des mariages polygames. C'est l'exemple qui me vient à l'esprit, mais il y en avait quelques autres.

Le sénateur Joyal : C'était des cas exceptionnels.

Captv MacDougall : Absolument.

Le sénateur Joyal : Cela n'arrive pas couramment.

Captv MacDougall : Définir les exceptions peut s'avérer aussi problématique que de donner des pouvoirs trop vastes. C'est très délicat de tracer la ligne. Voudrait-on accorder une grande marge de manœuvre pour se rendre compte plus tard que les choses n'étaient pas assez précises et qu'il y a eu de l'abus? Ce serait une préoccupation légitime à avoir. Voudrait-on plutôt restreindre les définitions en donnant des exemples précis, pour réaliser un jour qu'on n'avait pas pensé à l'exemple dont on aurait besoin en ce moment? C'est déjà arrivé dans le système de justice militaire, mais pas dans ce contexte.

Je ne peux pas répondre à votre question. Les gens raisonnables peuvent être en désaccord et en débattre de façon éclairée.

Le sénateur Dallaire : Le système fait en sorte qu'une affaire concernant une infraction commise à l'extérieur de la base, ou peut-être sur la base, pourrait être renvoyée au système juridique civil ou au système militaire par l'entremise de la cour martiale. Cette décision revient au responsable potentiel de la cour martiale ou à l'accusé; est-ce exact?

Captv MacDougall : Voulez-vous savoir à quel système sera renvoyée l'affaire?

Le sénateur Joyal : Oui.

Captv MacDougall : Ce n'est pas du tout à l'accusé de décider. Normalement, c'est la police qui prend cette décision. Dans les faits, quand une infraction est commise, c'est soit la police civile, soit la police militaire qui se charge de l'enquête. Le reste est déterminé à partir de là. Selon l'autorité policière ayant entrepris l'enquête, civile ou militaire, le reste des procédures judiciaires vont suivre le cours initial des choses, mais pas toujours.

Je sais que le Grand Prévôt a des politiques à suivre en ce qui a trait à la coordination des compétences policières, au renvoi des dossiers et au responsable du dépôt des accusations.

Dans le système de justice militaire, il arrive que le procureur soit saisi du dossier également, et selon ce qui est logique et préférable de faire, on détermine si les procédures doivent se poursuivre au civil ou au tribunal militaire. À ce moment-là, les procureurs militaires et les procureurs civils de la Couronne discutent du dossier et en viennent à une entente. On procède au cas par cas.

Le sénateur Dallaire : Hier, nous avons eu droit à tout un exposé de la part du juge Létourneau et du colonel Drapeau concernant le projet de loi C-15, en réponse à Antonio Lamer — pas encore au juge LeSage — et sur la façon dont progressent les modifications découlant de la Somalie. On est loin de la réforme qu'ils jugent nécessaire pour notre système de justice et de celle adoptée par les Britanniques et les Australiens, notamment. Pensez-vous que ce sera nécessaire un jour, ou est-ce qu'il s'agit ici de remédier aux lacunes qui ont été cernées par le passé?

Captv MacDougall : J'ai été avocate militaire pendant 27 ans, alors je ne suis pas tout à fait objective face à la valeur du système de justice militaire. Je le précise d'emblée. Cependant, lors de ces 27 années de pratique, j'ai pu voir comment le système fonctionne au niveau des procès par voie sommaire, car je passais à peu près la moitié de mon temps à conseiller les commandants et à travailler pour le système de cour martiale. Je crois que le système est juste et fondamentalement sensé.

Tout système peut bénéficier de données externes, de surveillance et d'un débat éclairé, ce qui constitue un aspect très important de tout système à mon avis.

Si vous me demandez si je crois, à l'instar de M. Drapeau, que le système de procès sommaire est inconstitutionnel et qu'une refonte majeure s'impose, je vous répondrai d'abord qu'il faut avoir un système de procès sommaire. C'est la pierre angulaire du système dont disposent les commandants pour discipliner les troupes. Il est primordial de pouvoir compter sur des troupes disciplinées; autrement, il est impossible de mener des opérations efficacement.

Nous savons que cela fonctionne, car nous avons des preuves subjectives à cet effet. Je vous renvoie au rapport du juge LeSage, qui interviewe des accusés et des commandants. Nous savons que cela fonctionne, parce que le JAG mène un sondage chaque année sur le système de procès par voie sommaire, et celui-ci est publié dans son rapport annuel.

Ce n'est pas comme si tout le monde fermait les yeux sur ce qui ne va pas. Au contraire, on tâche de voir s'il y a des problèmes. Je dirais que nous avons même des preuves objectives, quoiqu'il soit difficile de prouver les points négatifs, car personne n'a déposé de plainte à l'égard du système.

De plus, trois éminents juristes l'ont examiné et ont conclu qu'il était fondamentalement sensé.

J'ai tendance à me ranger du côté de ces trois éminents juristes, et j'estime qu'il est nécessaire d'un point de vue pratique d'avoir un système de procès par voie sommaire. Il faut se tenir au courant de ce qui se fait ailleurs dans le monde. Les responsables des politiques doivent être en mesure de prendre des décisions éclairées, sans suivre à la lettre ce que d'autres pays font dans le contexte d'une structure juridique différente, par leurs politiques et les mesures qu'ils ont adoptées.

Le président : Merci, capitaine MacDougall, d'avoir été des nôtres et d'avoir aidé le comité dans son étude du projet de loi C-15. C'est très apprécié.

Honorables sénateurs, je vous invite à demeurer à votre place pour que nos prochains témoins puissent s'installer rapidement. Certains d'entre nous ont d'autres engagements, et notre prochain invité pourrait aussi être appelé à aller voter.

Notre invité a maintenant pris place, et nous le remercions de sa présence.

Chers collègues, nous allons donc entreprendre notre étude du projet de loi C-350, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (responsabilisation des délinquants). D'après le sommaire, l'objet du projet de loi est de « ... prévoir que les indemnités accordées à des délinquants dans le cadre d'actions ou de procédures engagées contre Sa Majesté la Reine du chef du Canada seront versées aux victimes et autres bénéficiaires désignés. »

J'ai le plaisir de vous présenter le parrain du projet de loi à la Chambre des communes, M. Guy Lauzon, député de Stormont-Dundas-South Glengarry, qui est ici pour nous en parler.

Monsieur Lauzon, vous avez la parole pour une brève déclaration liminaire.

Guy Lauzon, député, StormontDundasSouth Glengarry, parrain du projet de loi : Merci beaucoup, monsieur le président.

[Français]

Mesdames et messieurs les sénateurs, c'est un honneur pour moi de comparaître devant vous cet après-midi.

[Traduction]

C'est un véritable honneur et un plaisir pour moi d'être ici. C'est la première fois que je témoigne devant un comité du Sénat. Je suis très heureux d'être des vôtres, alors je vous en remercie grandement.

Permettez-moi d'abord de dire que je suis fier de venir vous présenter le projet de loi C-350, qui permettra de faire un grand pas en avant pour accroître la responsabilisation des délinquants et améliorer les mesures de dédommagement. Il nous aidera à faire en sorte que les délinquants s'acquittent de leurs dettes monétaires. Le projet de loi C-350 soulève des questions importantes à propos de la manière dont les délinquants sont tenus responsables de leurs dettes non payées.

Les victimes d'actes criminels, leur famille et les groupes de défense des victimes nous ont clairement dit que les délinquants devaient être tenus responsables, et je crois que c'est ce que fait le projet de loi C-350. Il fera en sorte que les indemnités accordées à un délinquant par un tribunal administratif ou judiciaire soient distribuées, par ordre de priorité, afin de rembourser la pension alimentaire pour les enfants et le conjoint, les ordonnances de dédommagement, les suramendes compensatoires et tout autre montant dû conformément à un jugement de la cour. Le montant qui reste ira alors au délinquant. Le projet de loi C-350 établit une structure qui veille à ce que les indemnités versées par la Couronne servent d'abord à remplir les obligations financières du délinquant en dehors du pénitencier. Il veille notamment à ce que les délinquants assument leurs responsabilités familiales en continuant à payer la pension alimentaire pour enfant ou conjoint ordonnée par la cour, ou en payant les ordonnances de dédommagement et les suramendes compensatoires.

Le projet de loi proposé modifie un article bien précis de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, c'est-à-dire l'article 78, qui porte sur les montants versés aux délinquants. Je propose de modifier la loi pour que ces indemnités soient distribuées de façon à remplir les obligations financières du délinquant.

Il est important de préciser que cela ne touche pas toutes les indemnités. La loi vise exclusivement les sommes à payer à un délinquant en exécution d'une décision définitive rendue par un tribunal administratif ou judiciaire. Il pourrait s'agir d'une poursuite intentée contre le Service correctionnel du Canada ou tout autre ministère fédéral.

Lorsqu'un tel cas se présente actuellement, le Service correctionnel du Canada et les autres ministères fédéraux versent les indemnités au délinquant directement. Évidemment, les délinquants sont tenus de rembourser leurs dettes même derrière les barreaux. Mais comme on peut s'en douter, ils ne le font pas toujours.

En vertu de la Loi sur la sécurité des rues et des communautés qui a été adoptée récemment, les délinquants doivent participer pleinement à un plan correctionnel comprenant notamment l'exécution de leurs obligations découlant d'ordonnances judiciaires. Toutefois, le respect de ces obligations n'est inscrit dans aucune loi. Le projet de loi vient combler cette lacune en mettant la priorité sur les pensions alimentaires. Dans bien des cas, les enfants ou le conjoint doivent composer avec la perte de revenu du délinquant et même l'absence de biens de première nécessité et ces personnes sont les plus grandes victimes de la criminalité.

Afin de favoriser la responsabilité parmi les délinquants et d'éviter que les victimes et les familles ne soient pénalisées davantage, le projet de loi C-350 fera en sorte que le délinquant respecte ses obligations, selon un ordre de priorité établi pour le versement des sommes à payer. Ainsi, l'indemnité serait payée par le délinquant selon l'ordre de priorité suivant : premièrement, toute somme à payer en vertu d'une ordonnance alimentaire au profit d'un enfant ou d'un conjoint; deuxièmement, toute somme à payer en vertu d'une ordonnance de dédommagement; troisièmement, toute suramende compensatoire; et quatrièmement, toute autre somme à payer en vertu d'un jugement rendu par un tribunal.

Monsieur le président, je crois que le projet de loi C-350 est un pas important pour que les délinquants assument leurs responsabilités envers la société. Il s'agit de leur réadaptation. Le projet de loi représente un message important pour les familles, les enfants et surtout les victimes de la criminalité. Nous voulons qu'ils sachent que nous ne les oublions pas.

J'espère que tous les honorables sénateurs verront l'importance du projet de loi C-350 et qu'ils l'appuieront, car en toute honnêteté, c'est une question de bon sens. C'est un moyen d'aider à la réadaptation d'un détenu et de l'amener à assumer ses responsabilités.

Je pense qu'il est important de comprendre ce que nous voulons faire. Si la personne, qu'elle soit un homme ou une femme, n'était pas en prison, il faudrait qu'elle assume ses responsabilités, et nous essayons d'inciter les détenus à le faire.

Je vous remercie beaucoup. Je suis prêt à répondre à vos questions.

Le président : Nous entendrons tout d'abord la sénatrice Fraser, vice-présidente du comité.

La sénatrice Fraser : Bienvenue au Sénat, monsieur Lauzon. Je ne connais pas l'ampleur du problème qu'on tente de régler par votre projet de loi. Avez-vous des données sur le nombre de délinquants qui obtiennent des sommes payées par Sa Majesté et l'importance de ces sommes?

M. Lauzon : Je n'ai pas l'information exacte à cet égard. Je peux vous parler de deux ou trois exemples de cas renversants. Il y a les gens reconnus coupables de plusieurs meurtres d'une part, et prenons par exemple un type comme Gregory McMaster, qui a assassiné deux Canadiens et un policier américain. Il a dit à maintes reprises qu'il était malmené par les agents de correction, et cetera, et dans trois cas je crois, on lui a accordé de petits montants;7 000 $ ou 2 500 $, par exemple. Toutefois, cette personne avait une famille et il y avait des victimes. Je ne crois pas que nous puissions parler seulement du nombre de cas. Il y a les dommages. Ces gens n'acceptent pas la responsabilité. Il y a des victimes. Dans tous les cas, il y en a, et comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, la plupart du temps, les victimes sont les enfants et le conjoint.

La sénatrice Fraser : Je comprends.

M. Lauzon : Nous voulons régler le problème. Même si le projet de loi contribue à régler un cas comme celui-là — où un conjoint et deux enfants n'ont pas de nourriture, qu'un détenu reçoit une indemnité de 7 000 $ et fait la grosse vie pendant que les membres de sa famille souffrent —, je pense que si nous réglons l'un de ces cas, l'adoption du projet de loi C-350 en vaudra la peine. Toutefois, c'est plus complexe que cela en a l'air.

La sénatrice Fraser : Vous avez dit que vous aviez deux ou trois exemples. Vous n'en avez pas plus à nous donner?

M. Lauzon : Non. Il y a de nombreux exemples. Il se trouve simplement que j'en avais deux.

Le sénateur White : Je vous remercie beaucoup de votre présence. Je l'apprécie énormément.

On a discuté de la possibilité d'inclure les paiements d'expérience commune découlant des audiences de la Commission de vérité et de réconciliation. Je crois comprendre que ce ne sera pas le cas.

M. Lauzon : Certainement pas.

Le sénateur White : Pouvez-vous expliquer aux membres du comité et aux gens qui nous écoutent pourquoi il est important de ne pas les inclure.

M. Lauzon : À mon avis, c'est totalement distinct de ce que nous essayons de faire. Ce sont des événements malheureux qui se sont produits par le passé et dans ce cas, on parle aussi des victimes. Ce que nous essayons de faire, c'est de dire que quelqu'un est prison — et la plupart des gens qui sont en prison le sont pour une raison. Si l'individu est détenu dans un établissement fédéral, c'est parce qu'il a commis un crime grave. Nous disons que si une indemnité lui est accordée, c'est très précis. Dans quelques cas, le détenu en reçoit une. Il faut que ce soit un organisme fédéral. S'il devait recevoir une indemnité, personnellement, je pense que si la personne avec qui il vit et leurs enfants sont importants pour lui, cela devrait être une priorité, et c'est ce que nous essayons de régler à l'aide du projet de loi.

Le sénateur Joyal : Je veux tout d'abord vous féliciter de votre initiative, mais votre projet de loi me laisse perplexe à divers égards, en particulier l'article 2, dans lequel figure un ordre de priorité relativement aux paiements. Comment les choses se passent-elles par rapport à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité? En d'autres termes, si une personne fait faillite, il y a une liste de priorité pour les paiements, le montant, par exemple, à payer au ministère du Revenu, les pensions alimentaires, et cetera. La Loi sur la faillite et l'insolvabilité contient une liste de priorités. Dans quelle mesure en avez-vous tenu compte pour déterminer la façon de distribuer l'argent?

M. Lauzon : Je ne suis pas comptable ou avocat spécialisé en faillite, mais je crois comprendre...

Le sénateur Joyal : C'est une loi fédérale.

M. Lauzon : On s'est penché là-dessus — je crois comprendre que si une personne déclare faillite, toute somme due au conjoint n'est pas visée. L'obligation de payer ces montants demeure, et il en est de même pour tout ce qui est lié à une victime. Tout d'abord, ces montants sont générés quand la personne est en prison. À l'heure actuelle, si une personne déclare faillite avant son incarcération, ce sera prioritaire, car c'est une somme accordée à une personne qui est incarcérée et payée par un organisme du gouvernement. Ce sera certes après toute procédure de faillite.

Le sénateur Joyal : Si j'ai bien compris, votre projet de loi vise à protéger ou à aider la victime.

M. Lauzon : Exactement.

Le sénateur Joyal : Il semble que ce soit votre objectif général. Cependant, lorsque j'examine la liste sur la façon dont on traite les victimes, c'est essentiellement à l'alinéa c), en vertu duquel il y aurait le paiement d'une suramende à faire, ce que nous avons adopté au Parlement, comme vous le savez, avant le dépôt du projet de loi. Je ne vois aucune autre initiative qui appuierait les fonds provinciaux destinés aux victimes ou n'importe quelle autre initiative à part la suramende compensatoire. Ai-je tort?

M. Lauzon : C'est effectivement ce que le projet de loi prévoit.

Le sénateur Joyal : Comment avez-vous rédigé votre projet de loi? Je crois comprendre qu'il y a eu différentes versions et que divers changements y ont été apportés. Pourriez-vous nous en donner un aperçu? Il est utile pour nous de comprendre où nous en sommes.

M. Lauzon : Vous avez raison. Il nous a fallu resserrer certaines dispositions du projet de loi. Voici comment on en est arrivé là.

Il semble que si un prisonnier reçoit une somme — un montant de 5 000 $ pour une personne incarcérée représente beaucoup d'argent et lui donne du pouvoir. Ce qui se passe, c'est que bon nombre de détenus le réalisent et font des demandes injustifiées, mais à l'occasion, ils obtiennent ce qu'ils demandent. Par hasard, ils se voient accorder une indemnité. Ils font alors la grosse vie, si je puis dire. Pendant ce temps, il y a leur famille ou une victime. Des gens m'en ont parlé. Un gardien de prison m'a dit que c'est tellement injuste sur le plan social. Les victimes, leur famille et les familles des détenus nous disent toutes la même chose : « il, ou elle, a l'argent, et moi, je ne peux pas nourrir mes enfants ».

Nous essayons de régler le problème. Il est peut-être vrai que j'avais mis mes lunettes roses au départ et que je n'avais pas assez mis de limites. Le comité a fait des suggestions, et j'étais d'accord avec lui : pour que cela fonctionne, il nous fallait mettre des limites. C'est le fruit de cette étude. De nombreux échanges ont eu lieu et on nous a donné des conseils sur la façon dont les choses allaient fonctionner et sur la meilleure démarche à suivre.

Le sénateur Joyal : Au cours des échanges qui ont eu lieu dans le cadre de l'étude du projet de loi, a-t-on soulevé la question de la constitutionnalité de certaines dispositions?

M. Lauzon : Oui, et il y avait les compétences provinciales...

Le sénateur Joyal : Les compétences provinciales. Ce que j'ai dit sur la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, qui est bien sûr une loi fédérale, pourrait s'appliquer à d'autres lois provinciales dont l'ordre de priorité des paiements peut être différent du vôtre.

M. Lauzon : C'est pourquoi il nous fallait nous limiter à ces priorités. Bien entendu, nous ne voulions pas empiéter sur les pouvoirs des provinces.

Le sénateur Joyal : L'une des principales questions constitutionnelles c'était bien sûr, comme vous le dites, le partage des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les provinces relativement aux dédommagements. Il y a aussi la question constitutionnelle d'imposer un fardeau à un délinquant, peu importe le crime, qui irait au-delà de ce à quoi ferait face un citoyen ordinaire qui se trouverait dans la même situation. C'est pour l'essentiel à cet égard qu'il y a également une mince marge à définir.

M. Lauzon : C'est exactement ce que je veux régler au moyen du projet de loi. Je ne veux rien de spécial pour la personne. Ce que je lui demande, c'est qu'elle assume la responsabilité tout comme il faudrait qu'elle le fasse dans une situation normale. Chaque personne doit soutenir les personnes qui sont à sa charge.

Le sénateur Joyal : Je suis d'accord avec vous. Je pourrais faire l'objet d'une décision d'un tribunal m'obligeant à soutenir mon ex-femme, ma femme ou mes enfants, ce qui, à mon sens, est reconnu dans tout le Canada, dans toutes les provinces. Vous connaissez la loi.

M. Lauzon : Il pourrait s'agir également d'une victime.

Le sénateur Joyal : Oui. Je peux alors aller devant les tribunaux. Je peux faire l'objet d'une décision judiciaire et comme vous le savez, c'est un processus très rapide, car il s'agit du tribunal de la famille. C'est pourquoi j'essaie de déterminer en quoi la situation d'un détenu empêcherait les membres de sa famille, la personne demeurant avec lui ou ses enfants de le poursuivre, une possibilité qui existe déjà dans le système judiciaire de leur province.

M. Lauzon : Dans bien des cas, les gens ne le savent pas. Dans bien des cas, ils sont séparés, et les victimes ou les membres de la famille n'ont aucun moyen de savoir que l'indemnité a été accordée au détenu. Nous disons donc que si un organisme fédéral accorde une indemnité, nous la retirons. Personne n'a à prendre l'initiative. Tout se fait automatiquement. Si une personne se voit accorder une indemnité, SCC n'a qu'à vérifier s'il y a une convention entre conjoints ou un engagement envers la victime. Si c'est le cas, alors c'est le cas. Il incombe à la personne, au conjoint ou à la victime, de le déclarer à SCC. Ce n'est pas la responsabilité de SCC.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Lauzon, on sait que la plupart des détenus vont essayer de se départir de leurs avoirs en les transférant au nom d'un prête-nom afin que rien ne soit saisi. Si je comprends bien, votre projet de loi stipule que les sommes qui pourraient être saisies sont des allocations que paye le ministère? Est-ce que ce sont aussi des allocations qui pourraient servir à aider la famille?

M. Lauzon : Non. C'est seulement les sommes qu'ils reçoivent suite à un jugement pendant que les détenus sont incarcérés.

Le sénateur Dagenais : Parfait, c'est clair. Merci, monsieur le président.

Le sénateur Rivest : Ma question fait suite aux propos des sénateurs Joyal et Dagenais.

D'abord, je crois que vous êtes conscient qu'au Québec, la pension alimentaire relève du droit civil. Deuxièmement, il y a un régime de perception des pensions alimentaires qui protège le conjoint et les familles. Je ne vois pas ce que ce projet de loi ajoute parce que si un détenu obtient une certaine somme d'argent, à ce moment-là le régime de pension alimentaire joue et le gouvernement aide les conjoints et la famille à saisir l'argent qui va au détenu.

M. Lauzon : S'ils sont au courant. Tout cela prend place dans la prison avec Service correctionnel du Canada. La décision est prise par l'administration et parfois le détenu reçoit quelques milliers de dollars.

Le sénateur Rivest : Cela s'applique à quelqu'un qui n'est pas détenu et qui a un jugement de pension alimentaire. Mais pour une personne qui n'est pas détenue et qui obtient un montant d'argent, la personne n'est pas nécessairement au courant. Pourquoi le régime en faveur des détenus serait-il différent?

M. Lauzon : Je crois qu'on doit essayer d'aider le prisonnier à se réhabiliter dans la société. On essaie de l'encourager à prendre ses responsabilités.

Le sénateur Boisvenu : Monsieur Lauzon, je partage entièrement les objectifs de votre projet de loi que je vais évidemment appuyer. Je tiens à vous féliciter pour cette initiative. Je crois que c'est un principe général qu'il faut reconnaître aujourd'hui. Les criminels qui sont incarcérés au Canada ont des conditions quand même supérieures à celles de beaucoup de pays, aussi bien sur les plans de la qualité de l'hébergement et de la nourriture, de l'accès à des services, à des loisirs et à l'éducation, le tout gratuitement.

Les détenus ont également accès à la possibilité d'avoir d'autres revenus s'ils étudient ou s'ils travaillent. Ils ont la possibilité d'amasser en prison une certaine somme d'argent pour préparer leur départ. Le principe de dire que si vous avez un montant d'argent supérieur à vos besoins, je crois que la priorité pour un criminel, effectivement, c'est de dédommager ses victimes.

Monsieur Lauzon, pourquoi, dans votre liste de priorités le dédommagement des victimes n'a pas eu priorité sur les responsabilités familiales de l'individu? On a un filet social pour les familles dont un criminel est incarcéré. On a un filet social relativement généreux au Canada, via l'assurance-maladie ou la sécurité du revenu. Il y a déjà un filet social, alors que ce filet social-là n'existe pas dans beaucoup de cas pour les victimes d'acte criminel.

Je pense à Terre-Neuve où il n'y a aucun filet social pour les victimes d'acte criminel. Pourquoi ne pas avoir priorisé d'abord les victimes plutôt que la famille?

M. Lauzon : Quant à moi, ma priorité est la famille et je comprends très bien parce que les victimes ont beaucoup souffert. Je crois que c'est la famille qui a souffert le plus. Parce que si on a de jeunes enfants à la maison et que monsieur et madame disposent de très peu d'argent pour essayer de gérer la famille, je pense que ce sont eux qui sont les plus vulnérables. Il faut essayer de donner la priorité à la famille. Quand j'ai rencontré les familles et les victimes, c'est évident qu'elles souffrent. Tout le monde souffre à cause de ce que ce détenu a fait. Ce n'est pas juste.

Le sénateur Boisvenu : Je vous donne l'exemple d'un criminel à col blanc. Il est relativement aisé. Il s'agit souvent de personnes assez ingénieuses et, lors de leur incarcération, il est permis de penser qu'ils puissent trouver toutes sortes de moyens pour cacher de l'argent ou quelque chose du genre. On connaît plusieurs cas de ce genre. Ces individus sont brillants et souvent très à l'aise financièrement. Ne pensez-vous pas que le fait d'indemniser l'épouse d'un de ces personnages se fait au détriment des victimes? N'y aurait-il pas lieu de faire en sorte que votre projet de loi discrimine ces situations pour ne pas pénaliser les victimes? Je ne suis pas certain que les familles des criminels organisés sont toutes mal prises.

[Traduction]

M. Lauzon : Généralement, les sommes dont nous parlons ici sont de moins de 10 000 $. Je veux faire en sorte qu'un criminel qui a commis un crime grave et qui est détenu assumera la responsabilité qu'il a pour ce qui est de sa réadaptation et de sa réintégration dans la société. Il s'agit tout autant du principe que du montant. Comme vous l'avez dit, dans la plupart des cas, les familles des criminels en col blanc ne souffrent probablement pas, mais pour un conjoint qui vit de l'aide sociale, qui a deux ou trois enfants et qui habite dans un logement insalubre, 1 000 $ représente une grosse somme d'argent. Sur le plan humanitaire, ces familles en ont désespérément besoin. Ce n'est pas que la victime n'en a pas besoin; dans bien des cas, la victime est pauvre également, mais je pense que la plupart du temps, les membres de la famille constituent la priorité. En toute honnêteté, je crois que ce sont les premières victimes.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Lauzon, je vous remercie de votre exposé.

Lorsque le projet de loi C-350 a été lu une deuxième fois à la Chambre des communes, il a été renvoyé au Comité permanent de la sécurité publique et nationale. Le comité y a apporté plusieurs amendements et l'a renvoyé à la Chambre des communes pour un vote. En tant que parrain du projet de loi, vous avez proposé un autre amendement concernant les pensions alimentaires versées au conjoint et aux enfants. Avant d'être renvoyé au Sénat, le projet de loi a-t-il fait l'objet d'autres amendements?

M. Lauzon : Oui. Nous avons apporté l'amendement sur les indemnités résultant de...

Le sénateur McIntyre : Cela concernait la définition étroite de « époux » en français.

M. Lauzon : Oui. Il y a eu de la confusion concernant la traduction parce qu'un « common-law spouse » n'est pas un conjoint.

Le sénateur McIntyre : Le terme français s'applique seulement aux couples mariés.

M. Lauzon : Oui. Il nous a fallu régler le problème, et nous l'avons fait, et nous croyons maintenant que c'est correct sur le plan juridique.

Le sénateur McIntyre : Il n'y a pas eu d'autres amendements par la suite?

M. Lauzon : Non.

La sénatrice Beyak : Monsieur Lauzon, nous connaissons tous l'affaire Bernie Madoff aux États-Unis dont les victimes ont perdu des millions de dollars alors que la famille Madoff s'en est bien tirée. Le Canada dispose-t-il de dispositions législatives pour des cas comme celui-là?

M. Lauzon : Malheureusement, je n'ai pas les compétences juridiques qu'il faudrait pour répondre à cette question.

La sénatrice Beyak : J'aurais dû adresser ma question à tout le monde.

La sénatrice Fraser : Monsieur Lauzon, quand vous répondiez au sénateur Joyal, tout à l'heure, vous avez dit que votre projet de loi avait été examiné par quelqu'un, mais vous n'avez pas fini votre phrase.

M. Lauzon : Par le comité; nous avons obtenu des avis juridiques par l'intermédiaire du Sénat.

La sénatrice Fraser : Avez-vous consulté des représentants du ministère de la Justice?

M. Lauzon : Oui.

La sénatrice Fraser : Avez-vous obtenu leur point de vue à savoir si le projet de loi est conforme à la Charte?

M. Lauzon : Il semble qu'il l'est. Il semble que ma première version ne l'était pas, et des améliorations y ont été apportées en cours de route pour veiller à ce qu'il le soit. C'est ce que j'en ai compris.

Je dois vous dire que je n'y ai pas travaillé de très près, car je n'ai pas les compétences juridiques qu'il me faudrait pour poser les bonnes questions.

La sénatrice Fraser : Comme la majorité d'entre nous. Je dirais, sans trop craindre la contradiction, qu'il n'y a rien de mal à cela.

Vous avez dit ne pas avoir bien des données, mais vous avez aussi dit que la plupart des indemnités sont de moins de 10 000 $. Avez-vous des données, ou est-ce encore une fois en fonction de votre expérience?

M. Lauzon : C'est l'information que nous avons obtenue de Service correctionnel Canada.

La sénatrice Fraser : Si nous leur demandons de l'information, ils peuvent nous l'obtenir?

M. Lauzon : Oui. Mettons les choses en contexte : une personne en prison qui le souhaite peut causer du trouble en faisant obstacle à l'administration de la prison. Si je ne me trompe pas, il faut répondre à ces plaintes dans les 60 jours qui suivent. Cela exige beaucoup de ressources, et c'est très coûteux.

La sénatrice Fraser : Nous avons beaucoup entendu parler de cela.

M. Lauzon : C'est presque comme une loterie pour les détenus. Nous avons eu des commentaires. Quelqu'un m'a parlé d'un détenu qui lui a dit que les gens faisaient ça tout le temps. C'était la chose à faire parce qu'à l'occasion, il y en avait qui gagnaient le gros lot et s'enrichissait de 300 $ ou de 3 000 $. C'est beaucoup d'argent, quand vous êtes en prison, et ça donne quelque chose à faire à ceux qui doivent faire leur temps. De l'autre côté, cela donne énormément de travail au Service correctionnel du Canada.

La sénatrice Fraser : Ils nous en ont dit beaucoup à propos de ce problème.

Le sénateur White : Je vous remercie d'avoir souligné cela. Même si ça ne sert pas beaucoup, je pense que ce sera très utile à des fins de reddition de compte.

Avez-vous pensé à la possibilité d'appliquer cela hors des murs des établissements pénitentiaires ou des prisons, à une personne qui est en maison de transition ou en liberté conditionnelle et qui déposerait une plainte ou intenterait une poursuite? Pouvons-nous avoir accès au financement si une telle personne relève du Service correctionnel du Canada, notamment une personne en liberté conditionnelle?

M. Lauzon : Si la plainte a été faite alors que la personne était en prison, la loi s'appliquerait parce que la personne est en prison.

Le sénateur White : Ce que je vous demande, c'est si la plainte est déposée 48 heures après la libération.

M. Lauzon : Si la plainte a été faite alors que la personne était en prison, mais que le jugement est rendu après sa libération, je dirais que la loi s'applique à cette personne et qu'il faut respecter la loi. Vous pourriez poser cette question à une personne qui possède des compétences juridiques.

Le sénateur Joyal : Les paragraphes 78.1(8) et (9) proposés à la page 3 du projet de loi définissent les restrictions applicables quant aux sommes disponibles pour payer les créanciers. Le paragraphe 8 se lit comme suit :

Le présent article s'applique sous réserve de toute autre loi fédérale.

Autrement dit, s'il existe une autre loi fédérale renfermant une liste de créanciers, votre projet de loi n'y changera rien.

M. Lauzon : C'est exact.

Le sénateur Joyal : Voici ce que prévoit le paragraphe (9) :

Le paragraphe 30(1) de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif ne s'applique pas aux sommes visées à l'article 78.1.

Prenons l'exemple d'un contrevenant qui a eu gain de cause dans le cadre d'une poursuite invoquant les responsabilités générales de l'État. Supposons qu'après une chute dans un aéroport, il ait poursuivi la Couronne et obtenu une indemnisation de 10 000 $. Selon ce que prévoit votre projet de loi, ce montant ne ferait pas partie des sommes pouvant être payées aux créanciers énumérés.

J'essaie de mesurer l'effet combiné des paragraphes 78.1(8) et (9) du projet de loi pour comprendre ce qui reste. Voyez-vous où je veux en venir?

M. Lauzon : Je pourrais vous citer très brièvement le cas de Peter Collins qui a assassiné un agent de police en 1983. Il purge depuis sa peine dans un pénitencier. Il a porté plainte contre Service correctionnel Canada (SCC) devant la Commission canadienne des droits de la personne. Il soutenait être victime d'un traitement discriminatoire ciblé de la part du personnel de SCC qui l'obligeait à se tenir debout, conformément à la procédure habituelle, pendant le dénombrement des détenus. Il a obtenu un montant de 7 000 $ plus une indemnisation additionnelle de 2 500 $ de SCC.

C'est ce genre de situations que nous essayons de régler. Il y a déjà des lois applicables à des cas comme celui de cette personne qui fait une chute dans un aéroport, mais il n'existe aucune disposition particulière relativement aux indemnisations que peuvent obtenir des détenus via ce mécanisme auquel ils ont recours quotidiennement. Il y a certains détenus qui fonctionnent effectivement au rythme d'une plainte par jour.

Le sénateur Joyal : Comme la Loi canadienne sur les droits de la personne est une loi fédérale, j'estime que le paragraphe (8) s'appliquerait. Ce montant ne ferait donc pas partie des sommes visées.

M. Lauzon : C'est vous qui êtes avocat, pas moi.

Le sénateur Joyal : J'essaie simplement de comprendre. Ma question cherche à cerner la portée de votre projet de loi. Je vois très bien le sens du paragraphe (9). La responsabilité civile de l'État fait exception. Le paragraphe (8) peut faire intervenir de nombreuses lois fédérales renfermant une liste de créanciers ou de paiements à effectuer.

M. Lauzon : Je ne pourrais pas vous répondre à ce sujet.

Le sénateur Joyal : J'ai bien lu le paragraphe (8) ainsi que le tout premier paragraphe, et j'aimerais que l'on m'explique mieux la distinction possible entre une indemnisation versée à un contrevenant en application d'une loi fédérale ne contenant pas une liste de créanciers par rapport à une autre loi fédérale qui en renfermerait une. Peut-être est-ce là que se situe la distinction visée par le paragraphe (8). Je ne sais pas trop quoi penser. Je vous écoute et j'essaie de comprendre votre projet de loi.

M. Lauzon : J'aimerais pouvoir vous répondre de façon pleinement satisfaisante. J'essaie simplement ici de proposer une solution logique à un problème qu'il est grand temps de régler, comme nous l'ont dit des victimes, des familles et même quelques détenus.

Il faut favoriser la réadaptation des criminels. Il est question ici d'individus qui ont commis un crime grave et qui n'ont jamais assumé la responsabilité de leur geste. Il en demeure parfois ainsi toute leur vie durant. Ils arrivent à 40 ans et ne sont toujours pas disposés à payer leur dette envers la société et à honorer leurs engagements. C'est ce que nous voulons rectifier au moyen de ce projet de loi.

Les spécialistes du ministère de la Justice et de différents services juridiques m'ont indiqué qu'il s'agissait d'une solution adéquate. Le projet de loi permet de cibler directement ces détenus touchant une indemnisation pour que leurs créanciers soient payés suivant l'ordre de priorité indiqué. Il arrive bien sûr parfois que le détenu n'ait aucune somme à payer en vertu d'un jugement ou d'une ordonnance et qu'il conserve ainsi l'indemnisation reçue.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur Lauzon, ma question fait suite à celle du sénateur White plus tôt.

Je cite le texte légal :

En vue de la réalisation du but du système correctionnel énoncé à l'alinéa 3c), toute somme à payer par Sa Majesté du chef du Canada à un délinquant en exécution d'une décision définitive d'un tribunal administratif [...]

À mon avis, cela inclut sa période d'incarcération et sa période de liberté conditionnelle parce qu'il est toujours sous la responsabilité du système carcéral.

M. Lauzon : Oui, absolument.

Le sénateur Boisvenu : On a vu des cas au Québec où des gens ont réclamé des prestations de la CSST pour des accidents de travail survenus à l'intérieur d'un pénitencier. Ce qui est particulier pour les accidents de travail à l'intérieur des pénitenciers fédéraux c'est que vous êtes payé 6 ou 12 $ par jour, mais lorsque vous indemnisé par la CSST, vous l'êtes en fonction du salaire minimum. Il y a donc des criminels, dans des pénitenciers fédéraux au Québec, qui ont reçu des sommes de 30 000 $ ou 40 000 $ de compensation de la CSST.

Est-ce que ce projet de loi vise ces sommes d'argent d'organisations fédérales et provinciales?

M. Lauzon : Oui.

Le sénateur Boisvenu : D'accord, merci.

[Traduction]

La sénatrice Beyak : Ma question précédente s'inspirait de la préoccupation soulevée également par le sénateur Joyal. J'étais favorable à votre projet de loi et à l'idée de le garder simple et ciblé, mais je me disais également que nous avions déjà des lois plus détaillées pouvant s'appliquer à davantage de situations de manière plus approfondie. Je sais que vous n'avez pas la réponse, et c'est la même chose pour moi, mais je me demandais si vous ne pouviez pas nous la trouver.

M. Lauzon : Je conviens avec vous qu'il y a des lois s'appliquant à ce genre de situations. Ces lois sont toutefois si compliquées qu'elles deviennent inaccessibles pour les victimes et les familles. En se limitant ainsi à un seul but, on règle ce problème de complexité. C'est tout ce que je recherche avec mon projet de loi. On ne peut pas tout régler en même temps, mais on peut s'attaquer à une difficulté à la fois.

Le président : Merci, monsieur Lauzon. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir bien voulu comparaître devant nous aujourd'hui.

Chers collègues, lors de notre séance de mercredi prochain, nous allons débuter avec l'étude article par article du projet de loi C-15 avant de poursuivre notre examen du projet de loi C-350.

(La séance est levée.)


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