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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 41 - Annexe - 1120-04-02-4.1/L1-C-51, 41, « 1 »


Le 13 juin 2013

Présentation au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles sur le projet de loi C-51, Loi modifiant la Loi sur le programme de protection des témoins et une autre loi en conséquence

INTRODUCTION

Le projet de loi C-51 contient des amendements importants en vue de modifier la Loi sur le programme de protection des témoins (la « LPPT »). Ces amendements visent à améliorer la protection des témoins au Canada, et le ministère du Procureur général de l'Ontario demande ces changements au gouvernement fédéral depuis plus de dix ans. Nous appuyons les amendements et remercions le gouvernement fédéral d'avoir agi. Le ministère du Procureur général estime toutefois qu'il subsiste des problèmes importants qui pourraient et devraient être corrigés. Les changements permettraient de réduire les chevauchements et d’améliorer l'efficacité des programmes de protection des témoins provinciaux ainsi que la sécurité des témoins protégés et des agents de protection des témoins qui travaillent auprès de ceux-ci. La LPPT a été adoptée il y a 15 ans. Il faut saisir l'occasion de la modifier. Le ministère du Procureur général propose de légers changements qui auront toutefois d’importantes conséquences positives. À notre avis, les amendements prévus au projet de loi C-51 mettent en place un processus inutilement complexe.
Plutôt que d'éliminer les retards, le projet de loi C-51 aura pour effet de structurer et d’aggraver les retards actuels. Voici ce qui inquiète le plus l'Ontario :

  •  Nous avons des inquiétudes par rapport au processus de désignation des programmes provinciaux. Le projet de loi permettrait à Sécurité publique Canada d'imposer des exigences notamment en matière d'information et d'admissibilité aux programmes provinciaux et aux témoins avant la formulation d’une recommandation de désignation. Ces exigences pourraient changer au fil du temps. Le projet de loi donne aussi au ministre de la Sécurité publique le pouvoir de radier un programme désigné, sans toutefois établir de processus ou de critère à cet égard.

  •  L'amélioration la plus importante que souhaitait le ministère du Procureur général est l'accès direct aux ministères fédéraux pour l’obtention de cartes d'identité sûres. Cette possibilité n'a pas été accordée aux programmes provinciaux même si ce sont les provinces qui sont principalement responsables, au plan législatif, des changements de nom, y compris les changements de nom confidentiels. Souvent, tout ce dont les témoins protégés de l'Ontario ont besoin, ce sont des cartes d'assurance sociale et des passeports à leur nouveau nom.

  •  L'interdiction de communication des renseignements comprend désormais les renseignements relatifs à la protection des témoins de la province, mais le projet de loi C-51 limite par ailleurs la capacité des agents de protection des témoins de première ligne à prendre des dispositions favorisant la protection en donnant le pouvoir décisionnel en matière de divulgation au commissaire de la GRC ou au fonctionnaire provincial désigné. Bien sûr, une partie des attributions peut être déléguée, mais pour l’essentiel, elles ne le sont pas. Cela nuira à la capacité des agents de protection des témoins de prendre des décisions secrètes et informelles ainsi que les mesures qu’ils jugent nécessaires.

  •  Les modifications proposées à la LPPT établissent un système de communication qui est incompatible avec le système actuel de l’Ontario. Le projet de loi C-51 établit pour la communication de renseignements (erreur judiciaire, innocence de l'accusé) un seuil beaucoup plus élevé que celui en vigueur en Ontario depuis plus de dix ans. L'incompatibilité des deux seuils limitera les capacités et pouvoirs discrétionnaires des procureurs concernant la communication de renseignements et placera les corps policiers et les procureurs de l'Ontario dans une position intenable.

  •  Conformément aux modifications, les personnes protégées peuvent communiquer des renseignements à propos d'elles-mêmes, à condition que cela ne cause aucun préjudice important à toute autre personne protégée. Cela soulève une question importante : qui établira s'il y a préjudice important? Les modifications proposées sont incompatibles avec le fonctionnement actuel du Programme de protection des témoins de l'Ontario, qui interdit aux personnes protégées de communiquer des renseignements à propos des mesures de sécurité sans avoir obtenu au préalable l'approbation des agents de protection des témoins. Le ministère du Procureur général pense que la communication (voulue ou non) de renseignements par un témoin protégé pourrait causer des torts à ce dernier, aux autres témoins et aux policiers qui travaillent auprès d'eux.

  •  Les dispositions du projet de loi C-51 relatives à la notification retarderont considérablement le processus de mise en œuvre des plans fonctionnels et pourraient se traduire par la divulgation de renseignements sensibles et confidentiels.

Programme de protection des témoins de l'Ontario

Le ministère du Procureur général de l'Ontario gère depuis 30 ans le Programme de protection des témoins de l'Ontario en collaboration avec la Police provinciale de l'Ontario (PPO) et environ 30 services de police municipaux ontariens. Le Programme de protection des témoins de l'Ontario est l'un des plus importants programmes du genre au Canada. La PPO gère un petit programme distinct qui sert uniquement à protéger des témoins dans le cadre de ses enquêtes liées à la drogue. Ce programme porte le nom de Programme de protection des témoins de la PPO. La PPO gère ce programme directement parce que le ministère du Procureur général n'intente habituellement aucune poursuite dans les affaires de drogue. Ces poursuites incombent plutôt au Service des poursuites pénales du Canada. Il n'existe que deux programmes de protection des témoins en Ontario et, du côté municipal, il n’y a rien. Les programmes de protection des témoins de l'Ontario ont toujours fonctionné indépendamment du gouvernement fédéral et du programme de la GRC, et il est très important que cette indépendance soit préservée.

Le Programme de protection des témoins du ministère du Procureur général de l'Ontario a financé plus de 500 affaires pour lesquelles il y a eu des poursuites criminelles pour les délits les plus graves commis dans la province. Plus de 60 % de ces affaires comportent des accusations de meurtre ou de tentative de meurtre.
Elles concernent souvent le crime organisé et l'utilisation d'armes à feu. Par exemple, en 2009, un témoin protégé a témoigné contre six membres de la bande de motards les Bandidos accusés du meurtre au premier degré de six hommes à Shedden, en Ontario. En 2011, un autre témoin protégé a témoigné en lien avec le meurtre de Jane Creba qui avait entraîné une fusillade entre deux gangs de rue rivaux de Toronto pendant le Boxing Day sur une rue achalandée du centre-ville de Toronto.

Comme le programme WITSEC du département de la Justice des États-Unis et contrairement au programme de la GRC, le Programme de protection des témoins de l'Ontario a toujours été administré par le ministère du Procureur général et géré par un petit groupe d'avocats de la Couronne du Ministère. Les décisions concernant l'admission, le financement, l'élaboration de politiques, la rédaction d'accords de protection et la fin de la participation d'une personne protégée au programme sont prises par les avocats de la Couronne principaux et sont fondées sur les recommandations d'agents de protection des témoins ayant suivi une formation particulière. Le sous-procureur général autorise personnellement le financement pour chacun des dossiers de protection de témoin. La gestion des témoins acceptés dans le Programme de protection des témoins de l'Ontario, y compris la mise en œuvre de mesures de protection, incombe aux agents de protection des témoins provinciaux et municipaux. Les avocats chargés de la protection des témoins du Ministère et les agents de protection des témoins dans les provinces et les municipalités travaillent indépendamment de l'enquête et de la poursuite connexe. Le programme de l'Ontario est géré conformément à la première recommandation que le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes a formulée dans son rapport de 2008 sur le fonctionnement du programme fédéral.

Le programme de l'Ontario verse des fonds ponctuels pour assurer la prise en charge et le transfert d’un témoin donné ou des membres de sa famille. Il ne prévoit ni récompense ni avantage en contrepartie d'un témoignage. Même si les fonds sont ponctuels, le Programme vise la mise en place d’une protection durable. Si le système de protection est compromis par la suite, le Programme prend les mesures nécessaires et peut offrir d’autres fonds ou mettre en place de nouvelles mesures de protection, ce qui se produit régulièrement. En ce sens, le fonctionnement du programme ontarien ne diffère pas beaucoup de celui du programme WITSEC de l’U.S. Marshal ou du programme de la GRC, qui offrent aussi ce type de financement. Aucun de ces programmes n’offre de financement à vie.

Le Programme de protection des témoins de l'Ontario est principalement axé sur les politiques et régi dans une grande mesure par un manuel des politiques (Practice Memorandum) de la Division du droit criminel du ministère du Procureur général, qui figure à l'annexe A. Le manuel des politiques est fondé sur certaines dispositions de la Loi sur les témoins de la Couronne et de la Loi sur le changement de nom de l'Ontario, qui figurent également aux annexes B et C, respectivement.

Le changement de nom relève des provinces. La Loi sur le changement de nom de l'Ontario permet au procureur général de l'Ontario ou à la personne désignée par celui-ci de reconnaître le changement d’un nom confidentiel, ce qui garantit que le nom sera changé et que le certificat de naissance sera émis sans les avis habituels. La Loi sur les témoins de la Couronne de l'Ontario permet au Ministère de signer des conventions confidentielles avec les fournisseurs de services provinciaux et municipaux afin de délivrer autrement les cartes d'identité provinciales et d’offrir aux personnes concernées les avantages et services usuels.

Récemment, l'Assemblée législative de l'Ontario a modifié la Loi sur les témoins de la Couronne. Un privilège a été créé dans la loi afin d'interdire la communication de certains types de renseignements liés aux programmes de protection des témoins de l'Ontario, sous réserve d'un certain nombre d'exceptions et de protections. La communication des renseignements suivants est interdite : les renseignements liés à l'emplacement et à l'identité d'une personne visée par un changement d’identité confidentiel; la manière dont la protection est fournie; les questions liées au fonctionnement des mesures de protection; les renseignements sur les accords conclus en vertu de la loi. La communication de ces renseignements constituera désormais une infraction provinciale et est passible d'une amende de 25 000 $ ou d'une année de prison, ou les deux. Ces modifications n'ont pas encore été promulguées.

Le privilège est assorti de garanties et d’exceptions qui permettent la communication de renseignements dans les cas où cela est justifié. Le système de communication de renseignements de l'Ontario diffère de ce qui est proposé dans le projet de loi C-51. À une exception près, il ne confère pas, à une personne désignée (comme le commissaire de la GRC ou un fonctionnaire provincial désigné), le pouvoir de communiquer les renseignements et exige une série d'approbations ou de délégations qui sont à leur tour régies par des conditions et des exceptions. L’Ontario fonctionne plutôt selon un code de conduite et donne aux agents de protection des témoins de première ligne, aux procureurs, aux autres acteurs du processus judiciaire ainsi qu’aux tribunaux le pouvoir de communiquer les renseignements nécessaires conformément aux garanties et aux exceptions prévues. Les exceptions permettent la communication de renseignements pour offrir des mesures protection et dans les cas où les renseignements sont importants pour permettre à l'accusé de présenter une réponse et une défense complète et où les renseignements sont essentiels à l'administration de la justice. Des renseignements peuvent aussi être communiqués avec le consentement du procureur général de l'Ontario ou dans d'autres cas prévus dans tout règlement pris en vertu de la loi. La démarche prescrite par la Loi sur les témoins de la Couronne en matière de communication codifie la démarche que préconisent depuis longtemps le Programme de protection des témoins de l'Ontario et les avocats de la Couronne de l'Ontario dans le cadre de nombreuses poursuites importantes.

Défis : gouvernements fédéral et provincial

Dans la grande majorité des cas, le Programme de protection des témoins de l'Ontario et le Programme de protection des témoins de la PPO n'ont besoin du gouvernement fédéral que pour obtenir les cartes d'identité qui relèvent de lui, comme la carte d'assurance sociale ou le passeport, et transférer en toute sûreté les prestations et les dettes fédérales à la suite d'un changement de nom confidentiel par la province.

Avant 1996, le Programme de protection des témoins de l'Ontario traitait régulièrement de façon directe avec les ministères fédéraux pour obtenir de nouvelles cartes d'identité fédérales. Lorsque le Programme de protection des témoins de l'Ontario demandait l'aide de la GRC, cette aide était en général fournie de manière informelle et conforme aux besoins du ministère du Procureur général et des témoins. Depuis l'adoption de la Loi sur le programme de protection des témoins du Canada en 1996, la relation entre le ministère du Procureur général, les agents de protection des témoins de l'Ontario et le Programme de protection des témoins de la GRC a été mise à rude épreuve. Les préoccupations relatives à l'aide fournie par la GRC étaient fondées sur l'interprétation que la GRC donnait à la loi la régissant. De l'avis de la GRC et du ministère de la Justice du Canada, toute aide fournie à un témoin protégé par une province, si anodine ou procédurale soit-elle, exigeait que le témoin fasse officiellement partie du programme fédéral de la GRC, conformément à la LPPT.

Dans les faits, l'interprétation adoptée par la GRC et le ministère de la Justice du Canada faisait en sorte que lorsque le Programme de protection des témoins de l'Ontario cherchait à obtenir une carte d'assurance sociale ou un passeport pour l'un de ses témoins protégés après un changement de nom confidentiel dans la province, il fallait remplir un formulaire de demande compliqué et procéder à des démarches d'inscription complexes. Même si une affaire relevait exclusivement de la compétence de la province et que le sous-procureur général de l'Ontario avait déjà accepté la participation du témoin concerné au programme ontarien, la GRC insistait pour juger de manière indépendante l’admissibilité du candidat à la protection des témoins selon les critères établis dans la LPPT du Canada, en vue d’admettre – ou non – le témoin dans son programme. Cette situation amenait des retards fréquents et des frais supplémentaires considérables.

Cette interprétation était contraire aux garanties offertes à l'Ontario par le gouvernement fédéral au moment du dépôt de la loi. Ces garanties avaient été énoncées dans la lettre du 23 mars 1995 que l'honorable Herb Gray, qui était le solliciteur général du Canada à l'époque, avait adressée au solliciteur général et ministre des Services correctionnels de l'Ontario de l'époque, l'honorable David Christopherson. Dans cette lettre, on rassurait l'Ontario sur le fait que la nouvelle loi ne remplacerait pas les programmes de protection des témoins provinciaux et municipaux et n’empièteraient pas sur ceux-ci.

Il n’y a pas que l'Ontario qui soit en désaccord et insatisfait par rapport à l'interprétation de la loi par la GRC. En juin 2005, Mme Boisvert, doyenne de la Faculté de droit de l'Université de Montréal, a officiellement affirmé – dans un rapport au ministre de la Sécurité publique du Québec – que l'interprétation « excessive » (c'est-à-dire erronée) que faisait la GRC de la loi avait causé au programme de protection des témoins de la province de nombreux retards et de problèmes administratifs.

Le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes a entrepris l’examen du programme de protection des témoins fédéral. En mars 2008, le Comité a publié un rapport exigeant des modifications importantes; il y recommandait notamment une démarche pour conclure des accords avec les gouvernements provinciaux dans le but d'accélérer le traitement des demandes de protection des témoins. En juin 2010, la Commission d'enquête relative aux mesures d'investigation prises à la suite de l'attentat à la bombe commis contre le vol d'Air India a publié son rapport final, qui critiquait en partie le fonctionnement du Programme de protection des témoins de la GRC. Le rapport montrait qu’il fallait que la protection des témoins soit améliorée et plus efficace.

Les inquiétudes de l'Ontario à l’égard de la LPPT ont été communiquées à Sécurité publique Canada et à la GRC à maintes reprises au fil des ans, verbalement et par écrit, à plusieurs échelons de la direction et des opérations. Le ministère du Procureur général a demandé que la LPPT soit modifiée de manière à donner aux programmes ontariens un accès direct aux ministères fédéraux pour obtenir des cartes d'identité fédérales. Nous avons demandé que tous les ministères fédéraux, et non seulement la GRC, soient invités à collaborer de manière constructive à tous les programmes de protection des témoins, afin de garantir le transfert rapide des documents protégés et des avantages à la nouvelle identité du témoin. L'Ontario a aussi demandé que la loi soit modifiée et que la GRC soit autorisée à fournir de l’aide à un programme de protection des témoins d’une province sans que le témoin sous protection provinciale ne doive officiellement devenir membre du programme de protection des témoins de la GRC. Le ministère du Procureur général a demandé que la protection assurée en vertu de l'article 11 de la LPPT s'applique également à tous les témoins protégés plutôt que seulement à ceux officiellement inscrits au programme de la GRC.

En 2011, Sécurité publique Canada a distribué un document de consultation énonçant des propositions pour la modification de la LPPT. Ce document visait à répondre à différentes préoccupations de l'Ontario, et la plupart des propositions constituaient une amélioration. Toutefois, le document laissait de côté des problèmes importants, et certaines propositions ont soulevé de nouvelles inquiétudes.

Les hauts fonctionnaires de l'Ontario ont répondu au document de consultation et ont dit craindre que les modifications proposées ne facilitent en rien l’accès direct aux ministères fédéraux. De nouvelles préoccupations ont alors été formulées, principalement sur la manière dont l'interdiction de communication des renseignements confidentiels sur la protection des témoins (et les exceptions à cette interdiction) entrerait en conflit avec le modus operandi de l'Ontario en matière de protection des témoins et avec les dispositions de la Loi sur les témoins de la Couronne de l'Ontario, une loi qui a été adoptée par l'Assemblée législative de l'Ontario mais qui n’a pas encore été promulguée.

En février 2013, un groupe de travail composé d'agents de protection des témoins de première ligne provenant de la PPO et de services policiers ontariens s'est réuni pendant une journée complète afin de discuter de l'incidence du projet de loi C-51 sur les opérations. Pendant la réunion, les agents de protection des témoins de première ligne ont confirmé qu'ils partageaient les inquiétudes du Ministère. Ils ont aussi exprimé d'autres inquiétudes et discuté d’autres conséquences possibles. Le ministère du Procureur général a confirmé ces inquiétudes auprès de représentants de Sécurité publique Canada en avril 2013 à l'occasion d'une rencontre fédérale-provinciale-territoriale des représentants.

Inquiétudes de l'Ontario en lien avec les modifications proposées

Le ministère du Procureur général aimerait communiquer au Comité quelques-unes de ses inquiétudes à propos des amendements du projet de loi C-51.

Admissibilité

Pour qu'un programme de protection des témoins soit reconnu en vertu de la LPPT, le ministre provincial responsable du programme doit demander son ajout à une annexe. L'étude d'une demande en ce sens exige l’évaluation, selon certains critères, des renseignements demandés par Sécurité publique Canada et fournis par la province qui fait la demande. Le ministre de la Sécurité publique peut ensuite formuler une recommandation.

Dans le contexte du droit pénal, lorsque le gouvernement fédéral autorise une province à assujettir – ou non – l’un de ses programmes à la loi fédérale applicable, on exige normalement de la province qu'elle informe Ottawa de ses intentions. Les articles 736 (mode facultatif de paiement d'une amende), 722 (déclaration de la victime) et 259 (programme d’utilisation d’antidémarreurs avec éthylomètre) du Code criminel constituent quelques exemples de cas où une province peut choisir de « participer » tout simplement par la voie de la notification.

Nous avons des préoccupations sur le processus de désignation qui est prévu dans le projet de loi et qui vise les programmes provinciaux. Le projet de loi permettrait à Sécurité publique Canada d'imposer des exigences notamment en matière d'information et d'admissibilité aux programmes provinciaux et aux témoins avant la formulation d’une recommandation de désignation. Ces exigences ne sont pas définies dans la loi et pourraient donc changer au fil du temps. Le projet de loi confère également au ministre de la Sécurité publique le pouvoir de recommander la radiation d'un programme provincial désigné, sans toutefois établir la manière ou les critères permettant de le faire.

On nous a dit que les ministères fédéraux concernés ne traiteront qu'avec la GRC. Dans ce cas, les options qui s'offrent à l'Ontario pour obtenir des cartes d'identité fédérales pourraient être les suivantes : demander aux participants aux programmes de protection des témoins de l'Ontario de s'inscrire officiellement au programme de la GRC ou encore de souscrire au régime proposé dans le projet de loi C-51. À l'heure actuelle, il ne semble y avoir aucune autre manière d'obtenir une carte d'assurance sociale en toute sécurité. L'Ontario ne comprend pas pourquoi le programme fédéral et les lois qui le régissent doivent l’emporter sur le programme provincial.

Accès direct

Le projet de loi n'apporte pas l’amélioration la plus importante réclamée pour les programmes ontariens depuis de nombreuses années, soit l'accès direct aux ministères fédéraux pour obtenir de nouvelles cartes d'identité fédérales. Pourtant, légalement, c’est la province qui assume principalement les responsabilités relatives au changement de nom, et que ce qui est requis des organismes fédéraux est la carte d'assurance sociale ou le passeport.

Les témoins protégés, de par leur statut de citoyen canadien ou de résidant permanent, devraient avoir le droit d’accéder directement aux services des ministères fédéraux; les Canadiens ne doivent habituellement pas passer par la GRC pour obtenir un passeport ou une carte d'assurance sociale. Le fait d'exiger que les programmes provinciaux passent par la GRC pour obtenir des cartes d'identité fédérales a perpétué et aggravé les retards d'obtention de cartes. Il faut souvent compter jusqu'à six mois pour recevoir les documents fédéraux, voire même un an. Ces retards ne sont pas seulement inopportuns et coûteux; ils minent la capacité des programmes de protection des témoins à mettre en œuvre efficacement et rapidement des mesures de protection qui permettent aux témoins protégés et aux familles de ceux-ci de continuer leur vie, de s'établir à un nouvel endroit, de trouver du travail et de s'inscrire à l'école. Les retards placent les témoins protégés et leur famille en situation d'attente. Il ne s'agit pas d'une pratique exemplaire. Les longs délais causent de l'incertitude et font croître l’anxiété de certains témoins protégés et de leur famille. Les enfants vivent inutilement des situations très difficiles.

Il convient de noter que l'Ontario a un accès direct aux cartes d'assurance sociale à la suite du changement d’identité de toute personne inscrite au programme fédéral de service confidentiel pour les victimes d'agression, que gère Service Canada. Les victimes d'agression changent leur nom de manière confidentielle pour se cacher de leur agresseur. Dans ce genre de situation, l’accès direct est possible, et les cartes d'identité demandées sont obtenues facilement et dans un délai raisonnable mais, pour une raison ou une autre, la même chose n'est pas offerte aux membres des programmes de protection des témoins de l'Ontario et à leur famille. Nous ne comprenons pas cette incohérence du gouvernement fédéral.

Pour créer une nouvelle identité en toute confidentialité, il ne suffit pas de procéder à un changement d’identité confidentiel au provincial : il faut aussi délivrer les cartes d'identité de la province, y compris le permis de conduire et la carte d'assurance maladie. Ces cartes sont délivrées par les ministères provinciaux. La GRC (comme tout autre service de police en Ontario) a toujours eu la possibilité de traiter directement avec les ministères provinciaux, y compris le ministère de la Santé et le ministère des Transports, afin d’obtenir les cartes d'identité provinciales nécessaires aux personnes inscrites à son programme mais non inscrites aux programmes ontariens. L'Ontario n'a pas exigé que la GRC passe par la PPO ou par le ministère du Procureur général. Elle n'a ni établi un processus d'admissibilité comportant un droit de radiation ni exigé que la GRC se conforme aux dispositions de la Loi sur les témoins de la Couronne. Le ministère du Procureur général cherche tout simplement à obtenir l’accès aux ministères fédéraux, de la même façon que nous avons permis l'accès aux ministères provinciaux.

Retrait du pouvoir des agents de première ligne

L'Ontario s'inquiète en outre de l'effet de la loi proposée sur le pouvoir discrétionnaire dont bénéficient actuellement les agents de protection des témoins de première ligne de communiquer des renseignements sur des témoins protégés afin d'accomplir leur travail efficacement et en toute sécurité. Le projet de loi C-51 donne principalement au commissaire de la GRC et au fonctionnaire provincial désigné le pouvoir de prendre des décisions concernant les renseignements sur la protection des témoins protégés. L’article 15.1 du projet de loi C-51 stipule que le commissaire de la GRC et le fonctionnaire provincial désigné ont le pouvoir de déléguer une partie seulement de leurs attributions à tout autre fonctionnaire de la même province ou municipalité. Le projet de loi n’établit pas dans quelle mesure ces attributions peuvent être déléguées, mais précise que le pouvoir de communiquer des renseignements à propos de l'identité et de l'emplacement du témoin dans le but de protéger celui-ci peut être délégué. Le problème demeure toutefois entier. Les agents de protection des témoins travaillent également aux changements d'identité. L’article 11.2 du projet de loi C-51 autorise le commissaire de la GRC à communiquer des renseignements sur l'identité et l'emplacement d’un témoin afin de faciliter son changement d'identité, mais ce pouvoir n'est pas conféré au fonctionnaire provincial désigné en vertu du paragraphe 11.3. Par conséquent, il ne peut être délégué à des fonctionnaires provinciaux ou municipaux de première ligne en vertu du paragraphe 11.5. Pour accomplir leur travail dans ce domaine, ceux-ci pourraient avoir à demander une approbation, qui pourrait avoir à émaner directement du commissaire de la GRC. Il convient de souligner que le Programme de protection des témoins de l'Ontario est géré par le ministère du Procureur général et que le fonctionnaire provincial désigné pour le programme serait nécessairement un membre du Ministère, c'est-à-dire un procureur de la Couronne et non un policier.

L’article 15.1 interdit expressément à un fonctionnaire provincial de déléguer le pouvoir d'établir si des renseignements peuvent être communiqués en vertu des alinéas 11.3(2)b) et 11.3(2)c) et du paragraphe 11.3(3). Cette disposition peut être comprise dans le contexte d'un programme de protection des témoins géré par la police, mais il est difficile de voir comment elle s'appliquera à un fonctionnaire provincial qui est membre du ministère du Procureur général, surtout dans les cas de la communication de renseignements relatifs à une enquête sur une infraction grave ou de renseignements visant à empêcher la perpétration d'une infraction grave. Ces décisions devraient être prises par les policiers de première ligne, et les dispositions relatives à la communication de renseignements devraient refléter cette réalité. Les modifications proposées empêchent les agents de protection des témoins de prendre des décisions et des arrangements secrets et éclairés, au besoin.

Incompatibilité des régimes de communication de renseignements

Le fait que la loi proposée prévoie un régime de communication de renseignements incompatible avec le régime actuel de l’Ontario constitue une difficulté supplémentaire. Dans une grande mesure, les renseignements dont la communication est interdite par la Loi sur les témoins de la Couronne sont aussi les renseignements visés par les interdictions énoncées dans le projet de loi C-51. Toutefois, la nouvelle loi fédérale fixe un seuil plus élevé pour la communication de renseignements (erreur judiciaire, innocence de l'accusé) que la norme qui est employée en Ontario depuis plus de dix ans, que les policiers et les procureurs de la Couronne continuent d'utiliser en Ontario et qui figure dans la Loi sur les témoins de la Couronne de l'Ontario – selon laquelle il faut établir si la communication pour la présentation d’une réponse complète et du plaidoyer.

L'incompatibilité de ces deux seuils limitera le pouvoir des procureurs en matière de communication de renseignements et placera les représentants policiers et les procureurs de l'Ontario dans une position intenable. Le procureur ou le fonctionnaire provincial désigné, par exemple, pourrait conclure que le seuil qui est employé depuis plus d'une décennie dans les tribunaux de l'Ontario et maintenant énoncé dans la Loi sur les témoins de la Couronne de l'Ontario a été atteint, ce qui justifie la communication de renseignements; toutefois, cette communication de renseignements constituerait une infraction à la loi fédérale, le seuil plus élevé n'ayant pas été atteint. Pour illustrer le problème, prenons un exemple simple comportant une allégation d'inconduite policière grave à l'égard des méthodes et des moyens utilisés pour protéger un témoin. Dans un cas pareil, la communication des renseignements serait normalement faite conformément aux principes du régime provincial1. Toutefois, la preuve n'atteindrait pas le seuil le plus élevé en invoquant l'innocence de l'accusé et ne pourrait être communiquée en vertu de la loi fédérale.

Conformément au projet de loi C-51, les procureurs de la Couronne de première ligne n'auraient plus la capacité de prendre des décisions quant à la communication de renseignements selon les principes établis dans la loi; ils seraient plutôt tenus d'obtenir le consentement du fonctionnaire provincial désigné, ou de la personne désignée par ce dernier, dans certains cas, ou d’obtenir la délégation expresse du pouvoir de communication des renseignements du fonctionnaire provincial. Même lorsque le consentement de divulguer a été accordé, le tribunal et la Couronne pourraient ne pas avoir le pouvoir de transmettre les renseignements qu'ils estiment nécessaires aux fins de leurs dossiers.

Capacité du témoin protégé de communiquer des renseignements

Le régime prévu dans le projet de loi C-51 permet également à une personne protégée de communiquer certains renseignements à propos d'elle-même, à la condition que cela ne cause aucun préjudice important à toute autre personne protégée. Cela soulève une question importante : qui établira qu’un préjudice est important ou non? Cette façon de faire est surtout incompatible avec le système actuel de l’Ontario, qui interdit aux témoins de communiquer la nature et le contenu des arrangements relatifs à leur protection, sauf s'ils sont expressément autorisés par la police à le faire. Cette interdiction repose sur le préjudice éventuel qui pourrait découler de la communication de renseignements à propos des changements de nom confidentiels, de l'emplacement des bénéficiaires du Programme de protection des témoins de l'Ontario ou d'autres détails sur les mesures de protection qui ont été prises. Habituellement, les témoins n'ont tout simplement pas les connaissances ou l'expérience requise pour évaluer les préjudices. Les personnes à qui ils pourraient communiquer des renseignements risquent d’avoir encore moins d'expérience ou de connaissances. La divulgation inappropriée de ce genre de renseignements (même par mégarde) peut faire courir des risques au témoin protégé qui communique les renseignements ainsi qu’à d'autres témoins protégés et aux policiers qui ont leur responsabilité et peut entraîner la divulgation de techniques de protection des témoins, qui sont des techniques partagées. Cela nuit à l'intégrité des programmes de protection des témoins.

Notification aux personnes protégées

Le ministère du Procureur général a aussi des préoccupations au sujet des dispositions du projet de loi en matière de notification. Dans de nombreux cas, des mesures raisonnables visant à informer les personnes protégées doivent être prises avant que le commissaire de la GRC ou le fonctionnaire provincial désigné puisse communiquer des renseignements. On doit aussi donner aux personnes protégées la possibilité de s’exprimer sur cette communication.

Les dispositions en matière de notification du projet de loi C-51 entraîneront des retards importants dans la mise en œuvre et la continuité des mesures de protection. Le ministère du Procureur général, qui n’a pas actuellement à respecter d’exigences en matière de notification, craint également que les dispositions du projet de loi à cet égard ne se traduisent par la communication de renseignements sensibles et confidentiels au cours du processus de la notification à la personne protégée. Nous reconnaissons que le paragraphe 11.3(5) prévoit des cas où la remise d'un avis est facultative, mais les dispositions sont complexes et pourraient être difficiles à appliquer. Encore une fois, dans la plupart des cas, les cartes d'identité fédérales sont tout ce que les programmes de protection des témoins de l'Ontario demanderont au gouvernement fédéral. Les renseignements pour lesquels le fonctionnaire provincial doit remettre un avis peuvent porter sur toute question
n’ayant aucun lien avec les cartes d'identité fédérales ou n’ayant pas grand-chose à voir avec la GRC ou le gouvernement fédéral. Nous ne comprenons pas pourquoi le programme fédéral et les lois qui le régissent doivent l’emporter sur le programme provincial.

RECOMMANDATIONS

L'Ontario exhorte le Comité à ralentir l'adoption du projet de loi C-51 de manière à permettre une réflexion plus approfondie sur les craintes soulevées dans le présent document.

Le ministère du Procureur général demande au Comité d'étudier la possibilité de recommander des modifications qui tiendront compte de ses inquiétudes. Voici les modifications souhaitées :

  • Modifier l’article 10.3 - Autoriser les ministères fédéraux à accepter toute demande d'aide déposée par un fonctionnaire provincial désigné pour faciliter le changement d'identité d’un témoin protégé.

  • Modifier l’article 11.3 - Permettre la communication de renseignements sur la protection d'un témoin mettant en cause un programme provincial et des personnes sous protection provinciale, conformément aux lois provinciales en vigueur, le cas échéant. En l’absence de lois provinciales dans le domaine, les dispositions du projet de loi C-51 s'appliqueraient.

L'Ontario appuie les mesures législatives qui renforcent la protection des témoins au pays. Le projet de loi C-51 peut toutefois être amélioré, et il ne faut pas passer à côté de cette possibilité. De plus amples consultations et discussions sont nécessaires. Les représentants du ministère du Procureur général et de la PPO ont prévu une rencontre avec les représentants de Sécurité publique Canada le 19 juin 2013.

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1 Les renseignements seraient filtrés afin de s'assurer qu'ils ne révèlent aucune piste résiduelle.


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