Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 41 - Témoignages du 20 juin 2013
OTTAWA, le jeudi 20 juin 2013
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 32, Loi modifiant la Loi sur le mariage civil, se réunit aujourd'hui, à 10 h 39, pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour et bienvenue, chers collègues, invités et membres du public qui suivent aujourd'hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous sommes ici aujourd'hui pour discuter du projet de loi C-32, Loi modifiant la Loi sur le mariage civil. Le projet de loi propose de modifier la Loi sur le mariage civil afin de rendre valides, en vertu du droit canadien, tous les mariages célébrés au Canada entre non-résidents et de permettre aux tribunaux canadiens d'accorder le divorce à ces couples s'ils ne peuvent pas divorcer dans leur pays de résidence.
Je tiens à rappeler aux auditeurs que les séances du comité sont ouvertes au public et qu'elles sont également diffusées sur le site web du Parlement, parl.gc.ca. Vous trouverez plus de détails sur les témoins en consultant le site web sous la rubrique « Comités du Sénat ».
Nous avons invité des fonctionnaires de Justice Canada, qui sont prêts à répondre aux questions que les sénateurs pourraient avoir au sujet du projet de loi C-32. Notre premier témoin est Mme Lisa Hitch, avocate-conseil, Section de la famille, des enfants et des adolescents, Justice Canada.
Madame Hitch, je crois que vous avez une déclaration préliminaire à faire; on vous écoute.
Lisa Hitch, avocate-conseil, Section de la famille, des enfants et des adolescents, Justice Canada : Merci. Toutes mes excuses aux membres du comité pour le retard ce matin.
Je suis heureuse d'être ici aujourd'hui pour parler du projet de loi C-32, Loi modifiant la Loi sur le mariage civil. Le projet de loi permettrait de rendre légalement valides, pour l'application du droit canadien, les mariages célébrés au Canada entre non-résidents, dans les cas où leur validité aurait été reconnue si les deux époux avaient été des résidents canadiens. De plus, le projet de loi prévoit une procédure pour permettre aux époux non résidents de dissoudre le mariage qu'ils ont contracté au Canada. La première partie du projet de loi assurerait la validité juridique des mariages célébrés au Canada entre non-résidents. Je vais expliquer brièvement pourquoi cette mesure est nécessaire.
Le droit international privé comporte des règles qui déterminent dans quelles conditions un mariage à l'étranger ou, en l'occurrence, un mariage entre étrangers est légalement valide. Ces règles, qui ont été élaborées au cours de centaines d'années, précisent que, pour être valide, un mariage doit satisfaire aux exigences relatives à la forme prévues dans le droit du pays où le mariage est célébré, ce qui comprend l'obtention d'un permis et l'inscription au registre civil. Le mariage doit également respecter le droit du pays où les deux personnes vivent ou, plus techniquement, où elles ont leur domicile. C'est ce qu'on appelle la « capacité légale » de contracter le mariage. Autrement dit, les non-résidents qui viennent au Canada pour se marier demeurent assujettis aux lois de leur pays de résidence quant à leur capacité de contracter le mariage.
Par exemple, si ces lois ne reconnaissent pas le mariage entre personnes du même sexe ou si elles imposent des restrictions au mariage entre personnes du même sexe, comme c'est le cas dans certains pays, alors le mariage est invalide non seulement dans leur pays de résidence, mais aussi au Canada et, j'ajouterais, dans la plupart des pays du monde. La même règle s'applique aux personnes de sexes opposés qui veulent se marier, bien que la capacité légale entre moins souvent en jeu. Ainsi, dans le cas des couples hétérosexuels, certains pays interdisent le mariage entre personnes de confessions différentes. Si l'homme et la femme devaient venir au Canada pour se marier, leur mariage serait jugé invalide dans les deux pays.
Le projet de loi ne peut pas changer les lois des autres pays, mais il permettra de rendre valides, en vertu du droit canadien, les mariages célébrés au Canada entre non-résidents. Le projet de loi éliminerait également tout doute quant à la validité du mariage lorsque l'une des personnes est résidente canadienne et que l'autre ne l'est pas. La validation ne s'appliquera pas seulement aux mariages qui seront célébrés à l'avenir, après l'entrée en vigueur du projet de loi, si jamais il est adopté, mais elle s'appliquerait aussi à ceux qui l'ont déjà été, pourvu qu'on en ait établi la validité pour deux résidents canadiens.
Au fil du temps, il y aura inévitablement des couples mariés au Canada qui mettront fin à leur union, avant même que le projet de loi n'entre en vigueur, advenant son adoption. Afin d'éviter de créer une nouvelle injustice, le projet de loi C-32 précise que si un couple obtient une ordonnance de la cour — au Canada ou à l'étranger — qui déclare le mariage nul et non avenu ou qui prononce le divorce avant l'entrée en vigueur de la loi — ce qui s'est déjà produit à quelques reprises aux États-Unis —, le mariage est dissous dès la date de l'ordonnance initiale, et le couple n'aura pas besoin d'obtenir une nouvelle ordonnance.
La deuxième partie du projet de loi créerait une nouvelle procédure visant à permettre à un couple de non-résidents qui s'est marié au Canada de dissoudre le mariage à la suite d'une rupture. Les nouvelles procédures de divorce ont été intégrées à la Loi sur le mariage civil, au lieu d'être incluses sous forme de modifications dans la Loi sur le divorce. La raison pour laquelle il existe des procédures distinctes de divorce, c'est que les mariages de résidents et de non-résidents correspondent à des situations juridiques fort différentes. On a décidé qu'il serait plus compliqué d'essayer d'enlever les dispositions applicables de la Loi sur le divorce que d'inclure le code intégral dans un endroit, particulièrement dans l'intérêt des non-résidents qui ne connaissent pas bien le droit canadien et qui cherchent à consulter le code.
À l'échelle internationale, la plupart des pays, notamment le Canada, exigent qu'une personne vive à l'intérieur de ses frontières pendant une période de temps minimale — le plus souvent, pendant au moins un an — avant de pouvoir demander le divorce ou toute autre ordonnance relative à celui-ci. Après un an, les gens ont assez d'attachement envers le pays pour que les tribunaux puissent valablement se déclarer compétents. Le projet de loi veillera à ce que les différends soient soumis au tribunal le mieux placé pour entendre la preuve et pour rendre une décision judiciaire destinée à appliquer l'ordonnance. Il s'agira généralement du tribunal ayant compétence dans le pays où vivent les époux et leurs enfants et où sont situés les biens, les pensions et toute autre chose pouvant faire l'objet d'un différend.
Les règles en matière de résidence permettent de mieux garantir que toute ordonnance de la cour sera appliquée. Par exemple, dans un pays qui ne reconnaît pas le mariage célébré au Canada, il est très peu probable qu'il reconnaisse le divorce contracté au Canada, car rien ne le justifie sur le plan juridique, ce qui fait que l'ordonnance de divorce ne peut être appliquée.
Troisièmement, les exigences en matière de résidence visent à empêcher les gens de soumettre leurs différends dans un pays où ils ne résident pas simplement parce qu'ils croient pouvoir obtenir de meilleurs résultats que dans leur pays de résidence. Bien entendu, dans chaque divorce, il y a deux versions de la même histoire, et un tribunal pourrait facilement favoriser un époux plutôt qu'un autre, ce qui amène les gens à faire ce qu'on appelle une « course au mieux- disant judiciaire ».
Cependant, bien que les exigences en matière de résidence soient logiques, selon nous, dans la plupart des cas, il est évident qu'elles entraînent des difficultés pour les couples de non-résidents qui se sont mariés au Canada parce qu'ils ne pouvaient pas le faire dans leur propre pays. Étant donné que le mariage célébré au Canada constitue la raison pour laquelle les époux ne peuvent pas accéder au divorce, le projet de loi cherche à régler cette injustice en leur offrant un accès aux tribunaux uniquement dans le seul but de dissoudre le mariage.
La nouvelle procédure de divorce réservée aux couples de non-résidents comporte trois aspects. Les couples de non- résidents peuvent obtenir une ordonnance de divorce, mais pas de mesure accessoire. Ce qui suscite des inquiétudes, c'est que les couples de non-résidents devraient payer des frais d'avocat au Canada pour obtenir du tribunal une ordonnance qui, de toute façon, risque fort de ne pas être exécutoire dans le pays d'où ils viennent. Toutefois, ils doivent aussi s'entendre pour soumettre une demande, sauf dans trois situations précises. Il s'agit là d'une autre différence par rapport à ce qui est actuellement prévu dans la Loi sur le divorce. C'est parce que le tribunal au Canada a compétence sur le différend entre les couples; il est donc plus logique que l'un des époux fasse une demande sans le consentement de l'autre. Dans l'autre cas concernant les couples de non-résidents étrangers, le but est de s'assurer, dans la mesure du possible, que l'entente amène les époux à s'entendre sur les conséquences d'une rupture avant de demander le divorce.
Bien qu'il soit difficile pour certains couples de non-résidents de régler leur différend dans leur pays d'origine, les lois canadiennes ne peuvent pas donner à des couples de non-résidents de nouveaux droits et de nouvelles obligations qui ne sont pas reconnus dans le droit du pays où ils habitent. Les couples de non-résidents doivent donc régler leurs différends dans leur pays; voilà donc une des raisons pour lesquelles on exige un consentement. Il peut cependant y avoir des cas où l'un des époux est dans l'impossibilité d'obtenir le consentement de l'autre. Dans pareille situation, afin de rectifier toute injustice, le projet de loi C-32 permettrait à la demande de suivre son cours au moyen d'une ordonnance canadienne, conformément à l'amendement proposé par la Chambre des communes, ou au moyen d'une ordonnance d'un tribunal étranger et ce, dans trois situations.
Les trois situations ont été sélectionnées parce qu'il n'est pas possible de faire en sorte que le droit canadien accorde aux couples étrangers le pouvoir de s'adresser aux tribunaux de leur pays pour faire une demande d'ordonnance. Il s'agit des trois situations les plus susceptibles de donner lieu à des cas où un résident étranger pourrait déjà avoir obtenu une ordonnance judiciaire qui pourrait être utilisée par un tribunal canadien en guise de référence. Maintenant, bien entendu, le tribunal canadien se voit également accorder la capacité d'émettre ces ordonnances.
Les époux pourront présenter une demande seulement s'ils ont vécu séparément pendant au moins un an. Il y a deux autres motifs prévus dans la Loi sur le divorce : l'adultère et la cruauté physique ou mentale. Ces motifs ne pourront être invoqués au Canada pour des raisons pratiques, parce que ces questions entraînent la présentation d'une preuve substantielle et la tenue de longues audiences, alors que cela pourrait aboutir au même résultat pour le couple de non- résidents, à savoir la dissolution du mariage.
Le projet de loi C-32 crée une nouvelle procédure de divorce pour les non-résidents, qui représente une exemption spécifique à l'approche générale adoptée partout dans le monde, approche qui consiste à limiter le divorce aux résidents.
À cet égard, le Canada ouvre la voie à une nouvelle ère grâce à cette mesure législative qui vise, bien entendu, à atténuer les difficultés. Même si le Canada ne peut modifier les lois des autres pays, le projet de loi nous permettrait d'élaborer nos propres lois afin de trouver des façons de traiter tous les couples avec dignité et de respecter leurs choix s'ils souhaitent se marier pour exprimer leur engagement réciproque.
Je serais heureuse de répondre aux questions que les membres du comité pourraient avoir.
Le président : Merci, madame Hitch.
Le sénateur Joyal : Ma première question porte sur la décision du tribunal ontarien qui est à l'origine du projet de loi. Avez-vous la décision en main?
Mme Hitch : Je suis désolée, mais parlez-vous de la décision dans l'affaire Hincks, qui n'est pas associée au projet de loi?
Le sénateur Joyal : Oui, exactement.
Mme Hitch : Le projet de loi découle plutôt de l'affaire L c. M, qui n'a toujours pas été instruite par la cour.
Le sénateur Joyal : Dans ce cas-là, je n'en dirai pas plus pour éviter de semer la confusion.
Comme première question alors, j'aimerais m'attarder sur le cas du couple qui se rend, par exemple, à Las Vegas. L'obligation de résidence est, comme vous le savez, très limitée. Vous connaissez sans doute le cas du jeune couple qui s'est rendu là-bas pendant une fin de semaine et qui a décidé de se marier, seulement pour se rendre compte, à son retour au Canada, de toutes les conséquences liées au mariage. Le projet de loi aidera-t-il ces époux à mettre fin à leur mariage, même s'il n'y a aucune obligation de résidence dans le pays d'origine?
Mme Hitch : Pas s'ils sont des résidents canadiens. D'après l'exemple que vous avez donné, je suppose que vous parlez d'un couple dont au moins un des époux est un résident canadien.
Le sénateur Joyal : Oui, et l'autre serait un citoyen américain.
Mme Hitch : Le projet de loi obligerait quand même tout résident canadien à présenter une demande de divorce en vertu du droit canadien.
Le sénateur Joyal : La personne serait alors contrainte de suivre le processus normal, comme tout autre Canadien. Et que se passerait-il dans le cas de deux Américains?
Mme Hitch : Cela dépendrait de la compétence législative aux États-Unis car, comme vous le savez, les lois américaines ont subi pas mal de changements.
Le sénateur Joyal : Dans l'exemple que je vous ai donné, l'obligation de résidence est limitée au minimum requis. Quelle serait la situation de ce couple au Canada?
Mme Hitch : Parlez-vous des lois sur le divorce en vigueur à Las Vegas?
Le sénateur Joyal : Oui.
Mme Hitch : Ces lois sont reconnues partout dans le monde, et elles montrent bien pourquoi l'obligation de résidence est acceptée par la plupart des pays. À Las Vegas, il n'y a pas d'obligation de résidence avant l'obtention d'une ordonnance de divorce, ce qui est très inquiétant. De ce fait, une des questions qui se posent est celle de savoir si le tribunal peut valablement se déclarer compétent pour accorder une ordonnance de divorce. D'ailleurs, bon nombre de ces ordonnances ont fini par être contestées devant les tribunaux du lieu où réside l'un ou l'autre des deux époux.
Le sénateur Joyal : Qu'en est-il des citoyens qui se marient dans une compétence où la procédure de divorce est très complexe? J'ai en tête le cas d'un époux qui doit accorder son consentement pour que l'épouse puisse demander le divorce. Que se passerait-il si cette personne venait au Canada pour chercher à obtenir le divorce?
Mme Hitch : S'il s'agit d'un couple de non-résidents, c'est-à-dire si les deux époux habitent à l'extérieur du Canada et qu'ils se sont mariés au Canada...
Le sénateur Joyal : Non, ils se seraient mariés à l'extérieur du Canada.
Mme Hitch : S'ils se sont mariés à l'extérieur du Canada et qu'ils n'habitent pas au Canada, ils n'auraient aucun accès aux dispositions de la loi, même à la suite des modifications qui y sont proposées.
Le sénateur Joyal : Ils ne pourraient pas venir au Canada pour, par exemple, porter leur divorce devant le tribunal le plus favorable à leur cause?
Mme Hitch : Non. Le projet de loi vise à maintenir la position du Canada, qui, comme nous l'avons tous deux dit, est conforme à celle généralement adoptée ailleurs dans le monde et qui exige l'établissement d'un lien avec le pays avant que les tribunaux aient la compétence d'accorder une ordonnance de divorce. La Loi sur le divorce prévoit une obligation de résidence d'un an dans une compétence particulière au Canada. Dans le cas que vous venez de mentionner, le couple n'aurait pas non plus accès aux changements proposés parce qu'aux termes du projet de loi, les deux époux sont tenus de résider dans une compétence où la question de capacité les empêche de divorcer.
Le sénateur Joyal : Dans ce cas-là, la question de capacité est essentiellement liée à l'obligation de résidence.
Mme Hitch : La question de capacité en l'occurrence tient davantage au fait que leur mariage n'est pas reconnu comme étant valide dans leur pays de résidence. Dans les cas où le mariage est reconnu comme étant valide dans le pays de résidence et que l'accès au divorce est tout simplement plus coûteux, les deux époux seraient quand même tenus de s'adresser aux tribunaux de leur pays de résidence.
Le sénateur Joyal : Le projet de loi s'appliquerait-il aux personnes qui forment un couple en vertu d'une loi sur l'union civile. Supposons qu'un couple se soit inscrit au registre civil, de façon officielle, dans son pays d'origine, puis que les deux conjoints se soient installés au Canada pendant un certain temps et, après avoir répondu à la condition de résidence, qu'ils aient cherché à dissoudre leur union civile? Le projet de loi s'appliquerait-il dans une telle situation?
Mme Hitch : Le projet de loi ne s'applique pas aux gens qui se sont inscrits au registre civil ou qui se sont mariés à l'extérieur du Canada. Il ne s'applique qu'aux gens qui se sont mariés au Canada.
Le sénateur Joyal : Les Canadiens qui ont noué un partenariat civil à l'étranger ne pourront obtenir que ce partenariat soit dissous une fois rentrés au pays; ils devront retourner au pays où ils ont officialisé leur union, conformément aux lois de l'endroit où ils vivaient à l'époque, c'est bien cela?
Mme Hitch : Comme vous le savez, l'affaire Hincks est en appel, alors je ne peux pas vraiment parler des faits qui la concernent.
Le sénateur Joyal : Je posais la question de façon générale.
Le président : Nous devons continuer. Sénateur Plett?
Le sénateur Plett : Je présume que la loi vise surtout à aider les couples homosexuels, mais qu'elle s'applique aussi à tous les autres couples.
Mme Hitch : C'est exact.
Le sénateur Plett : Avez-vous des statistiques sur le nombre de couples hétérosexuels qui seront touchés par cette loi, ainsi que sur le nombre de couples homosexuels mariés au Canada qui pourraient être touchés par le bien-fondé de cet enjeu?
Mme Hitch : Malheureusement, nous n'avons pas de données désagrégées sur les mariages homosexuels au Canada, ni de données qui ventilent le nombre de couples non-résidents par rapport à celui des couples résidents. Dans la même optique, nous n'avons pas de statistiques sur le lieu de résidence des couples hétérosexuels. Certains chiffres ont circulé. Nous ne savons pas exactement d'où ils proviennent, mais ils semblaient indiquer qu'il y a peut-être 5 000 couples homosexuels non-résidents. Je me hasarderais à vous dire qu'il y a probablement très peu de couples hétérosexuels non- résidents, puisque, encore une fois, la plupart de ces couples disposent des conditions de fond dans leur pays de résidence. Même si je suis convaincue que le Canada serait une destination de choix pour le tourisme « matrimonial », je continue de croire que certaines plages exercent un plus grand attrait.
Le sénateur Plett : Pourquoi était-il selon vous nécessaire de créer une procédure distincte plutôt que de se contenter d'apporter des modifications à la Loi sur le divorce en ce qui concerne les couples non-résidents?
Mme Hitch : Comme je l'ai dit, la possibilité d'inclure les couples non-résidents à la Loi sur le divorce a été envisagée. Le problème, c'est que les couples non-résidents sont une nouveauté dans le droit canadien, et qu'il pourrait être encore plus difficile de trouver le code qui s'appliquerait à eux s'ils se retrouvaient figés dans la Loi sur le divorce, compte tenu, entre autres, de la longue liste de dispositions qui s'appliqueraient et qui ne s'appliqueraient pas. L'objectif est d'améliorer l'accès pour les couples non-résidents en regroupant tous les cas d'espèce dans la Loi sur le mariage civil et d'ajouter une deuxième partie à cette dernière.
Le sénateur Baker : Par souci de clarté, l'affaire Hincks à laquelle vous avez fait allusion concerne ce couple qui s'était uni aux termes du Civil Partnership Act du Royaume-Uni et qui a vu son union dissoute en vertu d'une décision prononcée par un tribunal canadien, est-ce exact?
Mme Hitch : Au risque de me répéter — et il ne me semble pas avoir été celle qui a fait allusion à cette affaire en premier — la cause est en appel. Toutefois, oui, ce qui est arrivé découle d'une décision de première instance.
Le sénateur Baker : Quel est le nom de la cause qui a provoqué la présentation de ce projet de loi?
Mme Hitch : L. c. M.
Le sénateur Baker : Pouvez-vous nous dire pourquoi elle se nomme L. c. M., pourquoi les noms ne sont pas...
Mme Hitch : Selon moi, le couple n'était pas particulièrement intéressé à ce que leurs noms soient connus. On a avancé qu'il était possible que la famille d'un des deux conjoints n'était pas au courant.
Le sénateur Baker : Au Canada, le principe de l'audience publique s'applique aux questions juridiques relatives à la famille et au divorce. Les règles...
Le sénateur Joyal : Puis-je vous interrompre, avec l'accord de mes collègues? Il y a à Montréal une cause en matière d'équité que l'on a nommée l'affaire Lola, et où les deux parties en cause n'ont pas été nommées. C'est une affaire hautement médiatisée.
Mme Hitch : Fait intéressant, cette cause est intitulée M. c. L.
Le sénateur Baker : Je pourrais vous citer une cause dont la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a été saisie l'an dernier, intitulée Jacques c. Jacques, où l'on avait dit que le principe de l'audience publique s'appliquait, comme cela a été le cas avec Dagenais, qui avait été soumis à la Cour suprême du Canada, de Thompson Newspapers Co., Globe and Mail, Toronto Star et ainsi de suite... ce qui indique qu'une chose entendue à huis clos ne s'applique pas à une procédure de divorce. Je crois que c'est pour cette raison qu'on n'en rapporte aucune dans Quicklaw, Carswell ou Westlaw. Je n'y ai pas trouvé ces causes.
Mme Hitch : L'affaire L. c. M. n'a pas encore été entendue. Il y a eu un certain nombre de requêtes préliminaires, dont celle pour faire en sorte que les noms ne soient pas mentionnés au complet. La cause a été retardée jusqu'au 1er juin.
Le sénateur Baker : C'est ce que je pensais. Alors, n'a-t-elle pas été entendue?
Mme Hitch : Non.
Le sénateur Joyal : L'affaire Lola a été entendue.
Le sénateur Baker : Oui. Vous avez tout à fait raison, monsieur.
Permettez-moi de revenir en arrière. Bien que le principe d'audience publique s'applique à une procédure de divorce, il ne faut pas pour autant oublier les règles de procédure. Dans les provinces, les procédures civiles — les règles de pratique en matière civile — s'appliquent aux instances en matière familiale. Dans certaines conditions, un juge, pour peu que cela soit justifié — et les conditions sont très strictes et peu nombreuses —, pourrait décider que la procédure se tiendra à huis clos ou demander la mise sous scellés de tous les documents associés à la procédure.
Y a-t-il quoi que ce soit dans ce projet de loi qui pourrait entrer en conflit avec les règles de procédure? Par exemple, ce passage stipulant que la cour doit fournir une preuve de dissolution à toute personne qui en fait la demande. Ainsi, lorsque les règles de procédure permettent à un juge de recourir au huis clos pour telle ou telle raison, vous semblez dire, dans ce cas particulier, que la cour doit divulguer ce qui s'est passé. Croyez-vous qu'il y a là matière à conflit?
Mme Hitch : La disposition à laquelle vous faites référence est...
Le sénateur Baker : Ou toute autre disposition?
Mme Hitch : Cette disposition fait aussi partie de la Loi sur le divorce. Ce projet de loi suggèrerait, un peu comme la Loi sur le divorce, que les comités des règles de diverses provinces fournissent et préparent des règles pour administrer ces modifications, si ces dernières devaient être adoptées par le Sénat et recevoir la sanction royale. Par conséquent, j'estime que les comités des règles travailleraient très fort pour structurer ces règles de manière à ce qu'il n'y ait aucun conflit. Cependant, si cela devait se produire, le gouverneur en conseil dispose de l'autorité réglementaire nécessaire pour assurer l'uniformité.
Le sénateur Baker : C'est bien.
La sénatrice Batters : Avant de faire partie du Sénat, je pratiquais le droit et, notamment, le droit de la famille. J'aimerais par conséquent que certaines clarifications soient apportées afin que les personnes qui auront à traiter de ces questions aient accès à des réponses dûment écrites.
J'expliquais toujours cette procédure à ceux qui venaient me voir pour obtenir un divorce. Je leur expliquais les différents motifs qu'ils pouvaient invoquer, c'est-à-dire la cruauté mentale ou physique, ou l'adultère. S'ils ne voulaient pas tomber dans un différend sur les faits, le motif que la grande majorité d'entre eux utilisait était qu'ils « vivaient séparément depuis un an ». D'après ce que vous dites, le seul motif disponible pour ça, étant donné qu'il s'agit d'un processus sur papier, est de dire que l'on « vit séparément depuis un an ». Est-ce exact?
Mme Hitch : Oui. À cet égard, les statistiques montrent que près de 95 p. 100 des divorces prononcés entre 1998 et 2008 ont été jugés sur la base d'une séparation d'un an. Même si le gouvernement ne tente pas de nier l'existence de l'adultère et de la cruauté mentale et physique au sein de ces couples non-résidents, l'idée qui sous-tend le processus est que, contrairement au processus utilisé pour les couples résidents en vertu duquel la cour est saisie de tous les différends qui découlent du bris de la relation, le seul pouvoir que les cours canadiennes ont pour les non-résidents est de dissoudre le mariage. Il n'y a pas de raison d'être particulière sur le plan juridique pour justifier un recours à ces deux motifs additionnels.
La sénatrice Batters : Merci pour cette explication.
Vous avez parlé de cela plus tôt, lorsque mon collègue, le sénateur Plett, vous a questionné à ce sujet. Pouvez-vous nous donner d'autres exemples de mariages hétérosexuels qui pourraient ne pas être valides et sur lesquels cette loi serait susceptible d'avoir une incidence?
Mme Hitch : On arrive à la partie tant attendue où l'on me reproche d'ennuyer l'auditoire avec des détails. Je m'en excuse d'avance. Si c'est effectivement le cas, n'hésitez pas à m'arrêter.
Comme je l'ai dit, il y a trois grands systèmes juridiques dans le monde : le droit commun, le droit civil et le droit religieux. Certains pays qui appliquent le droit religieux ne permettent pas le mariage civil, alors ils ont vraisemblablement des codes de mariage particuliers pour chacune des différentes confessions. Ce qu'il faut retenir, c'est qu'il y a des vides juridiques pour les mariages interconfessionnels. En Israël, par exemple, il est impossible de célébrer légalement un mariage interconfessionnel, même si l'État israélien reconnaît ces mariages lorsqu'ils ont été célébrés à l'étranger. Il y en a d'autres.
L'Arabie saoudite a un intéressant code juridique qui jouit d'un historique considérable. Dans ce pays, une femme n'a pas le droit d'épouser un homme qui ne vient pas du Conseil de coopération du Golfe, même si c'est un musulman, à moins qu'elle n'obtienne une dispense spéciale du roi. Il y a aussi d'autres considérations visant à proscrire la consanguinité. En Chine, par exemple, il est interdit à une personne d'épouser une autre personne avec laquelle elle a un lien de parenté par le sang de sixième degré ou moins. Nous avons tendance à nous limiter aux premier et deuxième degrés. Les Chinois ne peuvent épouser un parent par alliance de cinquième degré ou moins. Il y a d'autres États où il est interdit d'épouser un ancien beau-parent. Ce n'est plus le cas au Canada. Le mariage avec un cousin germain ou une cousine germaine est toujours interdit dans un certain nombre de pays, mais pas au Canada.
La sénatrice Jaffer : Je voudrais préciser, d'après ce que j'ai compris, que l'affaire L. c. M. n'a pas été entendue à cause de ce qui nous occupe aujourd'hui. Il y a des négociations en cours, n'est-ce pas?
Mme Hitch : Un sursis a été accordé jusqu'à ce que le projet de loi soit adopté ou défait, ou jusqu'au 1er juin de cette année, selon la première de ces éventualités. Le sursis a donc pris fin récemment.
La sénatrice Jaffer : Ma grande inquiétude — et je ne crois pas que vous en ayez parlé — concerne l'article 9. La Loi sur le divorce vous accorde 31 jours pour interjeter appel. Si j'ai bien compris, l'article 9 qui est proposé stipule que le divorce entre en vigueur le jour où le jugement est prononcé. Cela signifie-t-il que le processus ne permet pas d'interjeter appel?
Mme Hitch : C'est exact. Rien n'a été prévu en ce sens. Dans la Loi sur le divorce, l'appel est possible, car la cour est saisie de tous les différends qui découlent du bris de la relation, alors que dans le cas des non-résidents, le pouvoir de la cour se limite à prononcer ou à rejeter la dissolution. Aucun droit d'appel n'était requis pour cela, principalement parce que le projet de loi est structuré de façon à ce que, dans la majorité des cas, la demande sera présentée conjointement par le couple ou d'un commun accord des deux parties.
La sénatrice Jaffer : Ceci nous amène à parler de cet autre point, qui, selon moi, est encore plus préoccupant, soit celui de l'absence d'accès. Vous avez abordé la question, nommément l'article 8 proposé, décrit comme « Aucune mesure accessoire ». Je crois que ce sera la prochaine chose qui devra nous être soumise. Si la personne qui n'est pas reconnue comme étant mariée dans son pays vient ici pour profiter d'une mesure accessoire, qu'arrive-t-il à la garde des enfants ou aux pensions alimentaires? Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous n'avez rien prévu à cet effet? Je comprends très bien qu'il peut y avoir des problèmes de communication avec le pays d'origine, mais je veux connaître votre point de vue sur la question.
Mme Hitch : Bien sûr.
Comme vous l'avez mentionné, le premier problème est une question de compétences. En effet, si tout ce qui touche la vie du couple — ses biens, ses enfants, sa maison — concerne un autre pays, alors nous avons de sérieuses raisons de croire que les cours canadiennes n'auront pas la compétence voulue pour traiter d'un seul de ces aspects. Comme cela a déjà été soulevé en ce qui concerne Las Vegas, si les cours canadiennes s'arrogeaient la compétence nécessaire pour traiter de ces questions et qu'elles se mettaient à accorder des mesures accessoires, lesdites mesures ne seraient vraisemblablement pas applicables dans le pays d'origine et pourraient être contestées.
Autre problème, si un couple vient au Canada pour se marier — et encore, il faut faire des distinctions selon qu'il s'agit de Canadiens et de résidents canadiens —, on présume qu'il comprend les conséquences légales de son geste, c'est-à-dire l'ensemble des obligations juridiques et des avantages prévus aux termes du droit canadien. Le hic est que les législatures canadiennes ne peuvent pas imposer d'obligations juridiques au pays de résidence.
Le fait de permettre aux couples de venir au Canada et de jouir de mesures accessoires pourrait faire sourciller, puisque le Canada se retrouverait à agir à l'extérieur de son territoire pour imposer au droit d'un autre État des obligations et des avantages qui existent en vertu de son droit à lui.
La sénatrice Jaffer : De toute évidence, cela doit être fait, mais je m'inquiète surtout pour les enfants et les droits des enfants. Étant donné le domaine dans lequel vous travaillez, vous n'êtes pas sans savoir qu'il faut de plus en plus tenir compte de la Convention relative aux droits de l'enfant et d'examiner chaque projet de loi en fonction de ces droits. Avez-vous tenu compte de la Convention quand vous avez rédigé le projet de loi?
Mme Hitch : Oui, nous tenons compte de la Convention dans tout ce que nous faisons. Le problème est que si les gens veulent protéger les droits de leurs enfants, la meilleure façon de procéder, selon le droit canadien, est de déménager ici. Ce serait problématique que le Canada essaie de protéger des enfants assujettis aux lois d'un autre État.
La sénatrice Seth : Merci pour ces renseignements très intéressants. Ma question va un peu dans le même sens que celle de Mme Jaffer. Il n'y a qu'une petite différence.
Je voudrais savoir ce qui arrive lorsqu'un non-résident vient au Canada avec un permis de travail, qu'il reste ici pendant un certain temps, qu'il épouse un autre non-résident et qu'il présente une demande d'immigration. Supposons qu'une fois mariés, ils ont un enfant, et qu'ils divorcent après un certain temps. Qu'arrive-t-il alors? Comme vous l'avez dit, les conditions des mariages de ce type ne prévoient rien pour certains aspects comme la pension alimentaire ou le soutien au conjoint. Présumons qu'ils souhaitent rester au pays, malgré leur divorce. Qu'arrive-t-il à l'enfant né de cette union?
Mme Hitch : Toutes mes excuses. S'ils résident au Canada, ils n'ont pas besoin d'être des citoyens canadiens. S'ils résident au Canada, ils peuvent demander le divorce en vertu de la Loi sur le divorce, peu importe où leur union a été célébrée.
La sénatrice Seth : Je veux dire si une personne vient ici grâce à un permis de travail, je parle d'un non-résident, et qu'elle se marie avec un non-résident.
Mme Hitch : Oui, et qu'ensuite le couple va s'établir dans un autre pays?
La sénatrice Seth : Non. Il reste ici.
Mme Hitch : Il réside alors au Canada.
La sénatrice Seth : Pendant combien de temps doit-il rester ici?
Mme Hitch : Un an.
La sénatrice Seth : Et alors toutes les règles s'appliquent?
Mme Hitch : Oui.
La sénatrice Seth : Merci.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question sera simple. Vous instaurez une nouvelle législation pour les procédures de divorce. Ne craignez-vous pas que les gens s'ajusteront et qu'on pourra faire face à de nouvelles procédures concernant le divorce étant donné qu'il y a une nouvelle législation?
[Traduction]
Mme Hitch : Oui, il faudra un certain temps. Si le projet de loi est adopté et qu'il reçoit la sanction royale, il appartiendra ensuite aux comités provinciaux des règles de structurer le processus de demande dans chaque province et territoire.
Le projet de loi est structuré de telle façon que la partie 2 peut être mise en application dans chaque province et territoire dès que les comités des règles auront établi le processus. Les couples pourront alors présenter une demande de divorce. Bien entendu, comme vous l'avez souligné, des documents d'information devront être préparés, ou du moins les sites Web devront comporter des liens menant à des renseignements au sujet du nouveau processus et de l'entité à laquelle présenter une demande dans les différentes provinces.
Le sénateur McIntyre : Madame Hitch, j'aimerais attirer votre attention sur le paragraphe 5(3) du projet de loi C-32, qui se lit comme suit :
Toute ordonnance d'un tribunal rendue au Canada ou à l'étranger avant l'entrée en vigueur du présent paragraphe et annulant le mariage ou accordant le divorce aux époux dissout le mariage, pour l'application du droit canadien, à compter de la date de sa prise d'effet.
Autrement dit, il s'agit d'une ordonnance qui a pour effet de dissoudre le mariage. Cela dit, j'ai sous les yeux un document de l'Association du Barreau canadien, daté du 22 mars 2012, dans lequel l'ABC propose certaines modifications au projet de loi C-32. Une de ces modifications se lit comme suit :
Dans le texte anglais du projet de loi, au paragraphe 5(3), les termes « as of the day on which the other takes effect » devraient être remplacés par « as of the effective day of the order ».
Que pensez-vous de ce changement?
Mme Hitch : Nous avons examiné attentivement les suggestions de l'Association du Barreau canadien, et nous en avons discuté avec nos propres spécialistes. Nous en sommes venus à la conclusion que ce nouveau libellé, bien qu'on ne s'entendra jamais tout à fait sur la meilleure formulation à adopter, aurait au bout du compte le même effet.
Le sénateur McIntyre : Savez-vous si le comité de la Chambre des communes a proposé des modifications au projet de loi C-32?
Mme Hitch : Le projet de loi n'a pas été étudié par le comité de la Chambre des communes, ce qui est très inhabituel. Il a plutôt été modifié en chambre. La modification qui a été apportée, comme je l'ai mentionné, vise à permettre au tribunal de se passer du consentement dans le cas de trois circonstances particulières. Il s'agit du paragraphe 7(2). Le libellé original de cette disposition visait à permettre au tribunal canadien de s'appuyer uniquement sur les ordonnances de tribunaux étrangers dans ces trois circonstances, non pas pour offrir un accès supplémentaire aux tribunaux étrangers, mais parce que ces ordonnances sont les plus susceptibles d'exister déjà pour des procédures indépendantes et distinctes.
Étant donné cette modification apportée par la Chambre des communes, il est également possible de demander à un tribunal canadien une ordonnance pour être dispensé de l'obligation d'obtenir le consentement, dans ces trois mêmes circonstances.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Ce projet de loi fait-il du Canada un pays précurseur en termes de reconnaissance de nouveaux droits ou d'autres pays ont-ils adopté des législations similaires à celle-ci?
[Traduction]
Mme Hitch : Très peu de pays se sont penchés sur le concept de la reconnaissance du divorce de non-résidents. Comme je l'ai dit, la plupart des pays qui ont étudié cette question ont davantage examiné la reconnaissance des mariages à l'étranger, et ils limitent le divorce aux personnes qui sont des résidents ou, rarement, des personnes qui sont des citoyens ou qui sont très attachées au pays.
Il est extrêmement inhabituel que le Canada compte parmi les pays à l'avant-garde en prévoyant une très légère exception au principe général pour redresser l'injustice dont ces couples sont victimes. Comme plusieurs auteurs l'ont fait remarquer, par contre, le recours à ces amendements, si la mesure est adoptée, diminuera au fil du temps, à mesure que d'autres pays reconnaîtront le mariage entre conjoints de même sexe et que le divorce deviendra possible pour ces couples dans leur pays.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Dans ces pays, est-ce qu'ils ont les mêmes pressions que celles qu'on a subies au Canada pour reconnaître ce droit?
[Traduction]
Mme Hitch : Comme le Canada a été un des premiers pays à permettre le mariage entre conjoints de même sexe, un grand nombre de personnes sont venues au Canada pour profiter de ce droit. Elles ont ici la possibilité de se marier, ce qu'elles ne peuvent pas faire dans leur propre pays.
Je le répète, plusieurs auteurs, y compris ceux qui ont rédigé les documents que nous avons en main, ont souligné le fait qu'un grand nombre de ces pays, contrairement au Canada, ont établi des exigences en matière de résidence en ce qui a trait au mariage.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Cela a-t-il amené certains pays à faire des pressions sur le Canada pour ne pas adopter ce projet de loi?
[Traduction]
Mme Hitch : Je crois qu'il n'y a aucune pression, sauf de la part des couples qui sont venus se marier au Canada et qui maintenant se trouvent un peu dans un vide juridique. Ils peuvent demander une ordonnance d'annulation dans leur pays de résidence, qui confirmerait que le mariage n'en est pas un. Ce n'est pas ce qu'ils veulent. Ils veulent que leur mariage soit reconnu; ils veulent par conséquent que leur état matrimonial soit confirmé.
Le sénateur Joyal : Autrement dit, ce projet de loi cible 14 pays, à savoir ceux qui ont reconnu le mariage civil de la même façon que le Canada l'a fait en 2005; les 14 pays qui jusqu'à maintenant ont légiféré sur la question du mariage entre conjoints de même sexe.
Mme Hitch : Dans les pays où le divorce est possible, ces couples doivent se divorcer dans leur pays de résidence. Sans faire référence à la décision concernant l'affaire Hincks, je peux dire que d'autres pays ont choisi d'établir un système parallèle d'enregistrement des unions. Ces pays ont généralement tendance à considérer les mariages contractés au Canada comme des partenariats enregistrés, qui, selon la loi, peuvent être annulés, selon une certaine procédure. On parle donc probablement de plus de 14 pays. Les pays de l'Union européenne, en particulier, en raison de la mobilité, ont dû reconnaître les unions, y compris celles entre conjoints de même sexe, qui sont enregistrées ou les mariages.
Le sénateur Joyal : Même si la Cour européenne des droits de l'homme n'a pas reconnu la discrimination fondée sur la non-reconnaissance des mariages entre conjoints de même sexe au sein des pays de l'Union européenne?
Mme Hitch : Le système est intéressant en ce sens que les pays doivent reconnaître ces unions, dans la mesure où ils les reconnaissent pour leurs propres citoyens.
Le sénateur Joyal : Pensez-vous que ce projet de loi aura une plus grande incidence sur les femmes que sur les hommes?
Mme Hitch : C'est une question intéressante. Je ne crois pas qu'en ce qui concerne les couples non-résidents qui viennent au Canada, on tienne des statistiques sur le nombre de femmes par rapport au nombre d'hommes. Je ne pense pas être en mesure de répondre à cette question.
Le sénateur Joyal : Je pense en particulier aux pays où le divorce est interdit pour les femmes. Je pense que le Canada offre aux femmes de ces pays-là une possibilité qu'elles n'ont pas.
Mme Hitch : Je le répète, il faudrait que les critères soient respectés. Les conjoins doivent s'être mariés au Canada et, au moment du mariage, ils ne devaient pas résider au Canada.
Le sénateur Joyal : Il doit s'agir d'une personne qui habite à l'étranger, qui a décidé de se marier au Canada et qui demande le divorce, selon les conditions que nous avons mentionnées.
Mme Hitch : Si on connaît le meilleur endroit pour divorcer, on peut déterminer où se marier. On se trouve tout de même dans une situation où le mariage n'est pas reconnu comme valide légalement dans notre pays de résidence.
Le sénateur Joyal : Je dis toujours à mes amis que la clause la plus importante de leur contrat de mariage est la clause concernant le divorce.
Dans le document qu'a fait parvenir l'Association du Barreau canadien au ministre de la Justice, l'ABC affirme que l'obligation de résidence pendant un an devrait s'appliquer à seulement un des époux, et non aux deux. Sinon, un des époux pourrait empêcher l'autre époux de faire la demande en s'établissant ailleurs chaque année, ce qui constituerait un moyen de contourner le projet de loi. Je pense que c'est une situation qui pourrait se produire; les personnes pourraient s'établir aux États-Unis, par exemple.
Mme Hitch : Il est très possible qu'une situation inhabituelle de ce genre se produise. La relation entre les anciens conjoints peut être conflictuelle au point où une des deux personnes décide délibérément de s'établir dans un État où elle ne peut pas se marier parce que le mariage n'est pas reconnu par la loi, mais il serait tout de même ardu pour une personne de faire cela sans cesse. Il est difficile de concevoir une loi qui tienne compte de toutes les situations extrêmes.
Cela dit, lorsqu'on peut prouver qu'une personne a délibérément déménagé tous les deux mois pour empêcher le divorce, on peut avoir recours au paragraphe 7(2) du projet de loi et faire valoir que la personne refuse de donner son consentement sans motifs valables.
Le sénateur Joyal : Les tribunaux canadiens reconnaîtraient une union civile comme étant équivalente au mariage. J'ai sous les yeux la liste des pays où les unions civiles sont reconnues. Comme vous le savez, de plus en plus de pays reconnaissent les unions civiles. À mon avis, ce projet de loi aurait une bien plus grande incidence s'il incluait les personnes qui auraient pu se marier dans ces pays.
Mme Hitch : Je ne peux pas commenter la décision rendue dans l'affaire Hincks parce qu'elle a été portée en appel. Je peux vous dire cependant que les unions civiles n'ont pas été incluses lorsqu'on a rédigé le projet de loi au départ parce que les droits et les obligations visant les unions civiles varient considérablement d'un État à l'autre sur le plan de leur similarité avec ceux qui s'appliquent au mariage. La seule chose que nous savons pour l'instant, c'est que ce problème est attribuable au fait que des gens sont venus au Canada et se sont mariés ici en toute bonne foi. On ne tient pas compte du fait qu'elles se sont peut-être mariées ailleurs ou qu'elles ont contracté une union à l'étranger. Le projet de loi ne couvre pas les unions qui sont possibles dans quatre provinces du Canada.
Le sénateur Joyal : Je me penche sur l'alinéa 7(2)a) en particulier, où on parle d'incapacité mentale. Il est écrit ceci : « soit est incapable de prendre des décisions concernant son état civil en raison d'une incapacité mentale ». Ne faudrait-il pas procéder à une évaluation médicale pour établir cela? Comme vous l'avez dit, dans certaines circonstances, la cruauté sur le plan physique ou mental peut être aussi difficile ou facile à prouver que l'incapacité mentale.
Mme Hitch : Oui. Je le répète, le projet de loi original prévoyait à cet égard une ordonnance d'un tribunal étranger, ce qui signifie qu'il n'y aurait pas eu d'audience devant un tribunal canadien.
Le projet de loi modifié permet une audience devant un tribunal canadien et, en effet, un certain nombre de preuves peut être présenté au tribunal. J'imagine toutefois que le tribunal aurait des préoccupations en ce qui concerne l'équité procédurale s'il ne peut pas entendre les deux époux.
La sénatrice Seth : Je sais que je change de sujet, mais je me demande quel est l'avantage pour des non-résidents de se marier et de se divorcer au Canada? Sommes-nous trop généreux? Si c'est le cas, quelle est l'ampleur du fardeau financier pour le gouvernement ou les contribuables?
Mme Hitch : Lorsque nous avons élaboré le projet de loi, nous avons veillé à limiter les répercussions sur le contribuable canadien de cette nouvelle accessibilité aux tribunaux canadiens pour les non-résidents.
Comme tout le monde le sait je pense, les tribunaux au Canada sont déjà très occupés à régler les différends de couples canadiens, et le coût du système judiciaire est assez élevé. C'est nécessaire, bien entendu, mais il y a toujours des préoccupations quand il s'agit d'ouvrir le système judiciaire, déjà très engorgé, aux non-résidents qui décident pour diverses raisons de régler leurs différends ici. Le projet de loi a été rédigé de façon à ce qu'il n'y ait uniquement qu'un processus administratif, de sorte qu'il n'y ait pas d'audience. On a fait une seule exception avec la modification apportée en chambre au paragraphe 7(2). Cependant, nous espérons qu'il n'y aura pas beaucoup de cas où la demande ne sera pas présentée par les deux époux conjointement ou sans le consentement de l'un ou l'autre.
Je le répète, nous procédons ainsi parce que les tribunaux canadiens ne disposent pas de la compétence nécessaire pour régler les différends concernant la pension alimentaire pour enfants, la garde des enfants, le partage des biens ou toutes les autres questions qui doivent être réglées en vertu des lois du pays de résidence. En encourageant l'obtention du consentement, nous espérons faire en sorte que les couples auront réglé leurs affaires avant de présenter la demande de divorce.
La sénatrice Seth : D'après vous, il n'y aura aucun coût, ou bien le coût sera minime?
Mme Hitch : Nous espérons maintenir les coûts au minimum en évitant le plus possible la tenue d'audiences.
Le sénateur Baker : Le juge est rémunéré par le gouvernement fédéral, mais il travaille bien sûr au sein d'un tribunal provincial. Comme vous l'avez mentionné, les tribunaux et les provinces adapteront leurs règles en fonction de la nouvelle loi lorsqu'elle aura été adoptée. Dans quelle mesure les règles sont-elles similaires d'une province à l'autre?
Mme Hitch : Il y a des différences, mais dans l'ensemble, il serait juste de dire qu'il y a une certaine uniformité à l'échelle du Canada.
Le sénateur Baker : Il existe des différences en ce qui concerne les règles?
Mme Hitch : Oui, les règles varient d'un tribunal à un autre.
Le sénateur Baker : Je voudrais revenir à l'affaire Hincks, mais pas sur le sujet en tant que tel. Je veux revenir là- dessus en raison de la Loi sur le divorce. Les procédures se déroulent dans une cour supérieure — dans un tribunal de la famille dans les provinces — mais ce sont les lois provinciales qui s'appliquent. Par exemple, en Ontario, il s'agit de la Loi sur le droit de la famille; et dans d'autres provinces, elles sont désignées différemment. Dans l'affaire Hincks, deux mesures législatives sont examinées : la Loi sur le divorce et la Loi sur le droit de la famille, telles qu'elles s'appliquent. Le point de vue qu'a fait valoir le demandeur visait l'éventualité dans laquelle l'affaire serait réglée en vertu de la Loi sur le droit de la famille. Quelle incidence cela aura-t-il à votre avis sur les lois provinciales, sans égard à l'appel concernant l'affaire Hincks?
Mme Hitch : En quelques mots, je pense que l'objectif est de ne pas empiéter sur les compétences ou le droit de la famille des provinces. Comme vous le savez, au Canada, en vertu de la Constitution, le droit de la famille est un domaine de compétence partagée. Des aspects tels que les mesures accessoires en cas de divorce relèvent de la sphère fédérale, tandis que d'autres, comme le partage des biens, sont du ressort des provinces, tout comme la séparation et les ordonnances initiales. Bien entendu, comme on l'a indiqué dans l'affaire Hincks, il y a la question de la séparation des conjoints de fait.
La question soumise à la cour dans l'affaire Hincks était que la Loi sur le droit de la famille de l'Ontario ne reconnaît pas les conjoints enregistrés à l'étranger tout comme la Loi sur le divorce ne reconnaît rien d'autre que le mariage; il y avait également l'exigence de résidence d'un an. La cour a été saisie de beaucoup de questions dans cette affaire.
Le sénateur Baker : En ce qui concerne la compétence ainsi que les règles et les lois provinciales qui s'appliquent, les décisions prises par la Cour suprême du Canada permettent une certaine uniformisation dans l'ensemble du pays.
Mme Hitch : Oui, c'est vrai. Il y a également la Loi sur le divorce et les lignes directrices qui proviennent du fédéral et qui sont donc appliquées de façon uniforme.
Le sénateur Baker : Oui.
Le sénateur Plett : Je ne sais pas si vous pourrez me donner les chiffres suivants. Combien de couples ont fait une demande de divorce à laquelle on n'a pas donné suite en raison des lois, pas combien se sont mariés, mais combien ont demandé un divorce? La loi sera rétroactive. Allez-vous aviser tous ceux qui ont demandé le divorce, mais qui n'ont pas pu l'obtenir parce qu'il n'y avait pas cette loi?
Vous avez parlé de l'annulation. Je suppose que certains de ces couples, étant donné qu'on n'a jamais reconnu leur mariage là où ils vivent, ont fini par se remarier sans avoir obtenu de divorce. Y en a-t-il qui préféreraient ne pas être avisés qu'ils peuvent maintenant obtenir un divorce?
Mme Hitch : En raison de ce genre de situations, on s'est justement inquiété de la période de temps qui s'est écoulée depuis que le mariage civil a été autorisé pour les couples de même sexe. Il y en a forcément qui se sont séparés depuis et qui ont ensuite établi de nouvelles relations. Nous espérons que la plupart ont reçu de bons conseils juridiques.
Nous n'avons pas de base de données sur les personnes qui ont fait une demande de divorce, car ils n'auraient pas pu la déposer. Cela dit, ils auraient posé des questions à la cour ou aux gouvernements provinciaux. Dans certains cas, des lettres ont été adressées au ministre de la Justice pour s'informer de la façon de procéder.
Une fois de plus, je crois que nous devrons trouver un moyen d'informer ceux qui seront concernés par le changement si le projet de loi est adopté.
Le sénateur Plett : Si le projet de loi est adopté, envisagez- vous d'informer ces personnes qu'elles peuvent maintenant obtenir un divorce si elles le désirent?
Mme Hitch : Je pense que, pour l'instant, les mesures prévues sont plus modestes; il s'agirait d'ajouter des avis sur des sites Web. Nous pourrions examiner la question.
La sénatrice Jaffer : J'ai réfléchi à ce que vous avez dit. Il aurait été bien que nous ayons davantage de temps pour examiner le projet de loi, mais nous devons nous contenter de ce que nous avons. Vous avez parlé des tribunaux canadiens qui entendent des témoignages. D'après mon expérience, ils reçoivent des éléments de preuve concernant des événements qui se sont produits à l'étranger; vous êtes au courant. Il s'agit de cas concernant des demandes d'asiles ou des actes criminels, actes qui s'apparentent au tourisme sexuel ou enlèvements, et il est aussi souvent question de garde d'enfants dans le contexte du droit de la famille. Les tribunaux entendent constamment parler de ce qui s'est passé ailleurs. Si nous pouvons entendre des témoignages dans ce genre d'affaires, pourquoi ne le faisons-nous pas quand il s'agit du divorce d'un non-résident? Est-ce que le fait qu'un non-résident ou un couple de même sexe ne puisse pas invoquer de tels motifs ne va pas à l'encontre de l'article 15 de la Charte?
Mme Hitch : Je vais répondre à ces questions dans l'ordre inverse.
Pour ce qui est de ne pas accepter les deux motifs, la position du ministère est que cela ne pose pas de problème, simplement parce que, comme je l'ai dit, 95 p. 100 des cas sont actuellement réglés en se référant à la résidence d'un an.
Rien ne s'oppose à la dissolution du mariage des couples de non-résidents. À vrai dire, dans la plupart des cas, cette démarche est plus rapide que s'ils essayaient de prouver un adultère ou de la violence psychologique ou physique; on ne rallonge donc pas la procédure.
À propos des tribunaux canadiens, oui, ils entendent souvent des témoignages sur des événements qui se sont produits à l'étranger, mais là n'est pas la question. Dans ce cas-ci, le problème est plutôt que le contrat de mariage est le seul élément concernant le Canada.
Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir à la page 4, aux articles proposés 12 et 13 de la partie 2 concernant l'établissement de règles applicables au titre de cette partie devant le tribunal ou la province. Je fais référence au paragraphe 12(2).
Plus bas, au paragraphe 13(2), le projet de loi contient selon moi un élément très surprenant, qui est :
Les règlements visant l'uniformité des règles l'emportent sur celles-ci.
Autrement dit, il me semble que le gouvernement fédéral a maintenant la capacité d'harmoniser en vertu de l'article 12 la procédure adoptée par les provinces et relevant de leurs compétences. Comment expliquez-vous et, si c'est possible, justifiez-vous cette disposition du projet de loi?
Mme Hitch : Je peux mentionner qu'elle reflète des dispositions équivalentes de la Loi sur le divorce, et le ministère de la Justice, pour n'en nommer qu'un, ne s'attend pas à devoir établir des règles dans ce domaine. Il s'agissait simplement de faire correspondre le processus à la Loi sur le divorce en gardant ce pouvoir à titre de précaution. Nous ne pensons pas devoir nous en servir.
Le sénateur Joyal : C'est la raison pour laquelle je voulais connaître l'intention du ministère à ce sujet. S'il veut entreprendre des démarches pour uniformiser les règles, je m'attends à ce qu'il tienne une conférence fédérale- provinciale et à ce que les provinces s'entendent. J'en connais une qui déploierait beaucoup de zèle pour maintenir ses règles en matière de divorce, et je ne pense pas devoir la nommer.
Mme Hitch : Non, plutôt que d'imposer des règles uniformisées, nous préférons généralement recourir à des mécanismes qui reposent davantage sur la collaboration. Je pense que dans le cas de la Loi sur le divorce, la préoccupation, de façon similaire, serait qu'une province souhaite imposer des exigences supplémentaires qui rallongeraient son processus par rapport à celui des autres provinces, ce qui ne s'est pas encore produit, et de déterminer si cela poserait un problème d'équité.
Le sénateur Joyal : C'est un critère très important à maintenir, et je vous remercie de nous en avoir fait part.
La sénatrice Batters : À ce sujet, depuis combien d'années la Loi sur le divorce est-elle en vigueur?
Mme Hitch : Je suis désolée, mais je ne pense pas pouvoir encore compter.
La sénatrice Batters : Pendant cette période, est-ce que le gouvernement fédéral s'est déjà servi de l'article sur l'uniformité des règles dont nous venons tout juste de parler?
Mme Hitch : Non.
Le président : Nous faisons rarement un troisième tour de questions, ce qui veut dire que vous avez été un témoin intéressant et utile. Merci beaucoup. Nous vous en sommes reconnaissants.
Notre prochain témoin, qui se joint à nous par vidéoconférence de Toronto, est Brenda Cossman, professeure de droit et directrice du Bonham Centre for Sexual Diversity Studies de l'Université de Toronto.
Madame Cossman, je crois comprendre que vous avez une déclaration liminaire. Nous vous cédons la parole.
Brenda Cossman, professeure de droit et directrice du Bonham Centre for Sexual Diversity Studies, Université de Toronto, à titre personnel : Je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître pour parler du projet de loi C-32, Loi modifiant la Loi sur le mariage civil. À mon avis, le projet de loi C-32 est une solution soigneusement adaptée à un problème de compétence très spécifique auquel sont confrontés les non-résidents qui se marient au Canada, mais qui ne peuvent pas divorcer à leur domicile ou ici.
Comme vous le savez probablement, le problème provient de trois séries de lois. La première est constituée des lois canadiennes sur le mariage qui n'imposent aucune exigence en matière de résidence et qui permettent donc aux non- résidents de venir se marier au Canada. La deuxième est la loi canadienne sur le divorce, qui exige une exigence de résidence d'un an avant qu'un tribunal ou une province ait la compétence pour être saisi d'une affaire de divorce ou en accorder un. La troisième concerne les règles très complexes du droit international privé sur la reconnaissance du mariage.
Au Canada, nous avons une gamme de lois sur la reconnaissance du mariage, mais elles portent spécifiquement sur la validité de fond, qui est la capacité des gens de se marier. Nous suivons la règle du double domicile, ce qui signifie que nous reconnaissons la validité d'un mariage seulement s'il est considéré comme valide où les deux parties sont domiciliées. Autrement dit, un mariage conclu au Canada par un couple de même sexe qui retourne ensuite chez lui dans un État qui ne reconnaît pas le mariage homosexuel ne serait pas considéré comme étant valide d'après la loi canadienne et les règles bien établies du droit international privé, même si l'union a été contractée au Canada.
D'autres pays ont des règles de reconnaissance du mariage différentes. C'est souvent le cas. La plupart des États américains se fient à la loi de l'endroit où le mariage a été célébré. Ils vont le reconnaître s'il est valide où il a eu lieu.
Toutefois, les États ont également une exception relative à la politique publique, ce qui veut dire que même si une règle relative au lieu de célébration s'applique et qu'on s'attendrait à ce que les mariages contractés au Canada soient reconnus, ce n'est pas le cas. Tous les États ont cette exception relative à la politique publique. Ils s'en servent pour dire qu'ils ne reconnaissent pas un mariage entre deux partenaires de même sexe parce que cela va à l'encontre de la politique de l'État.
Si l'on réunit toutes les lois sur le mariage et le divorce ainsi que les règles très complexes du droit international privé, cela signifie que le mariage d'un couple de même sexe célébré au Canada n'est pas reconnu ici ni au domicile du couple. Ils ne peuvent pas obtenir de divorce chez eux à défaut d'être mariés légalement ni au Canada parce qu'ils ne vivent pas ici. Ils se retrouvent donc en très mauvaise posture et ne peuvent pas dissoudre leur mariage.
Différentes solutions peuvent être envisagées. Nous pouvons imposer des exigences relatives à la résidence, ce qui, à mon avis, pose certains problèmes. Tout d'abord, cela relèverait principalement des provinces, pas du fédéral. Cette approche pourrait aussi causer un problème dans la mesure où il semblerait que nous privons les gens de quelque chose.
Nous pourrions également abolir dans la Loi sur le divorce les exigences relatives à la résidence, ce qui créerait également une série de problèmes. Ces exigences découlent d'une question de compétence interprovinciale et aident à déterminer de qui relève un couple qui vit à deux endroits différents. Cette approche créerait toute une gamme de problèmes liés à la répartition des pouvoirs entre les provinces.
Nous pourrions changer les lois sur la reconnaissance du mariage, ce qui ne réglerait qu'une petite partie du problème. Cela permettrait peut-être de reconnaître le mariage comme étant valide, mais la question de savoir comment obtenir un divorce ne serait pas réglée.
Chacune de ces solutions ne serait que partielle dans le meilleur des cas, et plusieurs créeraient d'autres problèmes.
Je pense que le projet de loi C-32 aide de manière très précise les couples de non-résidents à obtenir un divorce tout en laissant intact le reste des lois sur le mariage et le divorce.
La partie 1 modifie simplement les règles sur la reconnaissance du mariage seulement pour ce qui est de ceux célébrés au Canada. Un mariage de non-résidents contracté au Canada sera maintenant reconnu comme étant valide, peu importe la loi en vigueur où ils habitent.
Il est également important de noter que nous semblons parler principalement des mariages homosexuels, mais ce n'est pas les seuls. Le projet de loi vise également les mariages entre cousins germains et ceux qui sont reconnus au Canada, mais pas dans de nombreux autres États. Aucune disposition ne porte précisément sur les mariages homosexuels. On ne semble pas être très nombreux à venir des États-Unis pour conclure des mariages entre cousins germains, mais le projet de loi s'appliquerait aussi à eux.
La partie 2 porte sur une procédure réservée aux non-résidents qui se sont mariés ici et permet dorénavant à un tribunal canadien d'accorder un divorce à un couple qui vit séparément depuis un an dans un État qui ne reconnaît pas leur union et qui rejetterait leur demande. C'est une petite exception à ce que prévoient habituellement nos lois sur le divorce. Elle vise très précisément les couples qui se retrouvent dans cette mauvaise posture légale.
Le paragraphe 7(2) autorise un couple à présenter conjointement une demande ou l'un des deux époux à la présenter avec le consentement de l'autre. Comme l'a déjà dit Mme Hitch, selon la version préliminaire du projet de loi, une personne qui présentait une demande sans le consentement de l'autre époux devait obtenir une ordonnance de la cour où ils habitent. Nous étions nombreux à penser que cela posait un problème dans la mesure où il est extrêmement improbable qu'une personne qui vit dans un État qui ne reconnaît pas les mariages ou les divorces homosexuels soit en mesure d'obtenir une quelconque ordonnance de la cour pour l'aider à dissoudre son union.
Cela dit, le paragraphe 7(2) dans sa forme révisée permet maintenant aux tribunaux canadiens d'être saisi d'une affaire de divorce sans le consentement de l'autre époux pour pouvoir déterminer si l'absence d'ordonnance est justifiée et traiter la demande le cas échéant. Je crois que cela règle le problème de manière satisfaisante tout en donnant aux tribunaux la latitude nécessaire pour examiner un dossier.
Enfin, j'aimerais juste mentionner avant de terminer ma déclaration liminaire que le projet de loi C-32 stipule très clairement que les non-résidents ne peuvent pas recourir aux mesures accessoires prévues dans la Loi sur le divorce : la pension et la garde. Je serais heureuse d'en parler davantage si l'un de vous a des questions à ce sujet, mais je crois fermement qu'il serait absolument inapproprié que ces questions relèvent de la compétence des tribunaux canadiens. Cela dit, il est tout à fait indiqué que le projet de loi C-32 comprenne le passage suivant : « Nous nous penchons simplement sur la question du divorce et les lois qui s'y rapportent. Nous ne voulons pas permettre à des couples de s'adresser comme les Canadiens à nos tribunaux pour régler les questions plus vastes qui en découlent telles que la pension alimentaire pour époux ou pour enfants ou bien la garde des enfants. »
Je serai heureuse d'en parler plus longuement pendant la période de questions.
Le président : Merci, madame Cossman. Nous passons maintenant aux séries de questions.
Le sénateur Joyal : La représentante du ministère de la Justice nous a dit que le Canada ferait partie des premiers pays à « normaliser » la situation. À votre avis, pourquoi la question n'a-t-elle pas été abordée par les autres pays de common law?
Mme Cossman : Pour plusieurs raisons. C'est une question émergente, en évolution. Le Canada a fait partie des premières administrations à reconnaître le mariage entre conjoints de même sexe, et il fait partie du petit nombre de pays à tradition de common law à l'avoir fait.
Les objectifs changent. Il faudra suivre la situation de près.
Aux États-Unis, un certain nombre d'administrations ont entrepris de régler certaines de ces questions. Toutefois, comme ils comptent 50 juridictions distinctes en matière de droit familial, qui ont chacune leur ensemble de règlements — qui, dans la majorité des cas, ne reconnaissent pas le mariage entre conjoints de même sexe — ils sont confrontés à des problèmes similaires, puisque les couples se marient dans un État où le mariage est valide puis déménagent dans un autre où il ne l'est pas. Les tribunaux se démènent avec cette question. Certains le refusent carrément et ne veulent rien savoir du mariage entre conjoints de même sexe tandis que d'autres tentent de trouver une façon de le reconnaître.
Comme nous étions au premier plan de la question du mariage entre conjoints de même sexe, nous le sommes également dans cette situation.
Le sénateur Joyal : Avant de passer à la prochaine question, j'aimerais faire inscrire un point au compte rendu. La sénatrice Batters a demandé au témoin précédent quand a été adoptée la première loi sur le divorce au Canada. Elle a été adoptée en 1968 dans le but de normaliser la situation de Terre-Neuve-et-Labrador et du Québec, où il n'y a pas eu de divorce avant cette année-là pour des raisons historiques. La loi a été modernisée en 1985 pour reconnaître le divorce sans faute, qui peut être demandé sans autre raison à la suite d'une séparation d'un an. Puisque ma collègue était dans la même situation que mes ancêtres en ce qui a trait au divorce, j'aimerais consigner ce point au compte rendu.
Vous avez dit appuyer l'idée d'exclure la Loi sur le divorce de la situation visée par la première partie du projet de loi parce que vous croyiez que les conséquences du divorce pouvaient varier grandement d'un pays à l'autre et qu'il valait mieux ne pas aborder la question dans le projet de loi. Le barreau quant à lui voulait qu'elle soit visée par la portée du projet de loi. Pourriez-vous répéter votre réponse à cet argument?
Vous savez peut-être que l'Association du Barreau canadien a remis en mars 2012 une lettre au ministre de la Justice pour expliquer cet aspect du projet de loi et la situation que vous semblez appuyer. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous maintenez cette position?
Mme Cossman : Je crois qu'on parle de deux questions distinctes ici. La première consiste à déterminer si le projet de loi et les modifications qu'il vise à apporter ont trait à la Loi sur le divorce en soi ou devraient plutôt faire partie de la Loi sur le mariage civil. Je ne sais pas à quelle loi il devrait être associé. Je crois que le ministère de la Justice a décidé de l'intégrer à la Loi sur le mariage civil pour faire une certaine distinction et permettre à ces couples de divorcer sans avoir à passer par la Loi sur le divorce.
Selon mon souvenir, dans sa présentation, l'Association du Barreau canadien faisait valoir que les questions de divorce devaient être visées par la Loi sur le divorce et qu'une petite partie de cette loi pourrait également être consacrée aux non-résidents. On pourrait faire exactement la même chose et établir des règles juridictionnelles spécifiques pour les non-résidents.
Nous établirions aussi clairement que les non-résidents n'auraient pas accès aux autres dispositions de la Loi sur le divorce. Il faudrait toutefois faire cette précision pour de nombreuses autres dispositions. Ils ne pourraient pas se prévaloir de l'article 8 proposé, qui présente un ensemble de motifs généraux, ni des articles 15 et 16 proposés qui traitent des mesures accessoires.
Je crois qu'on pourrait le faire dans la Loi sur le mariage civil ou dans la Loi sur le divorce. Il me semble logique de l'intégrer à la Loi sur le divorce, puisqu'elle traite du divorce. Je crois toutefois qu'on pourrait le faire dans l'une ou l'autre des lois.
Le sénateur Joyal : Le barreau soulève également la question de la résidence d'un an des conjoints. Il fait valoir qu'un époux pourrait empêcher le divorce en quittant le pays. Comment répondez-vous à cette question?
Nous savons qu'en cas d'échec du mariage ou d'une union — surtout si les deux époux ont un pays d'origine différent — un des deux époux peut être tenté de retourner dans son pays d'origine, ce qui empêcherait l'autre d'obtenir le divorce. Comment répondez-vous à cela?
Mme Cossman : Selon ce que je comprends, les époux doivent être séparés depuis un an. Ils n'ont pas à vivre ensemble, mais doivent chacun habiter le même domicile pendant un an alors qu'ils sont séparés. Il se peut que dans une situation conflictuelle, un époux non consentant décide de déménager régulièrement, à la fin de chaque année. Comme l'a mentionné le témoin précédent, cette situation est tout à fait possible, mais exigerait bien des efforts.
En tant que professeure de droit de la famille, je ne pourrai jamais sous-estimer la capacité des personnes de se comporter de façon épouvantable au moment du divorce. Toutefois, il me semble très extrême de changer de pays chaque année pour empêcher un divorce. Il y a très peu de risque que cela arrive.
Le sénateur Joyal : Vous vous spécialisez dans l'étude de la diversité sexuelle. Croyez-vous que le projet de loi aurait une plus grande incidence sur les femmes que sur les hommes?
Mme Cossman : Non, je ne crois pas. Nous n'avons pas de statistiques fiables sur le sexe des non-résidents qui se marient au Canada pour ensuite retourner dans leur pays. Nous n'avons pas non plus accès à une ventilation fiable selon le sexe. Si je me fie seulement aux données démographiques et à la situation financière, je dirais qu'il y a un peu plus de couples masculins que féminins.
Ce raisonnement s'applique également aux couples homosexuels. Je ne vois pas de grands écarts ici, surtout parce qu'on n'aborde pas la question des pensions alimentaires ni de la garde des enfants. Il s'agit seulement de personnes qui se sont mariées et qui se retrouvent dans une situation difficile où elles ne peuvent pas divorcer.
Le sénateur Plett : Ironiquement, le sénateur Joyal a dit que la Loi sur le divorce était entrée en vigueur en 1968. C'est l'année où ma pauvre femme et moi nous sommes mariés, et nous sommes ensemble depuis près de 45 ans. Notre certificat de mariage n'avait pas de clause de divorce; nous sommes toujours ensemble, et toujours heureux.
Sur ce, je crois que j'aurais dû poser cette question à Mme Hitch lorsqu'elle était ici, mais je vais la poser maintenant. Le divorce est de plus en plus commun au fil des ans. Bien que la Loi sur le divorce soit entrée en vigueur en 1968, celle sur le mariage homosexuel — dont nous parlons surtout aujourd'hui — est entrée en vigueur beaucoup plus tard, alors que les divorces étaient beaucoup plus fréquents.
Comment avons-nous pu oublier d'intégrer cet élément dans la loi lorsqu'elle a été créée? Cela me semble être un trou béant que nous avons oublié et que nous devons maintenant remplir. Je ne sais pas si vous pouvez répondre à cette question, mais j'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Mme Cossman : Je crois que le trou était bel et bien là, mais ceux d'entre nous qui suivaient la situation de près — ceux qui lisent les règles d'un jeu, même lorsqu'elles sont fastidieuses, comme le droit international privé — savaient qu'on en arriverait là. On ne savait tout simplement pas quand, mais nous y sommes. C'est un grave problème aux États-Unis puisque chaque administration a ses règlements. Donc oui, à de nombreux égards, il y avait un trou béant dans la loi.
Est-ce qu'on aurait dû y penser à l'époque? Peut-être. Je crois qu'il était plus facile de créer la Loi sur le mariage civil, en 2005, ce qui a été assez pénible en soi. Le contexte politique était difficile, et je suis certaine que le ministère de la Justice et son ministre de l'époque ont pris les décisions qu'il fallait, non sans savoir qu'elles allaient peut-être poser problème.
Je suis un prophète du malheur pour les mariages; mon fantôme se tenait à l'entrée de l'hôtel de ville où tous les Américains venaient se marier pour leur dire : « Savez-vous ce que vous faites? Vous ne pourrez pas vous sortir de ce mariage. » Personne ne veut d'un tel invité à son mariage. C'est la réalité pour tout ce qui a trait au droit de la famille.
Oui, la situation était tout à fait problématique avant, mais comme pour nombre d'autres problèmes, on les règle à mesure qu'ils surgissent. C'est ce que nous devons faire aujourd'hui.
Le sénateur Plett : Pour terminer, je suis heureux de ne pas vous avoir vue lorsque ma jeune femme a pris la folle décision de m'épouser, parce que vous l'auriez peut-être convaincue de ne pas le faire.
La sénatrice Jaffer : J'ai entendu vos propos au sujet des mesures accessoires et j'ai lu votre article dans le Canadian Family Law Quarterly où vous présentiez la proposition du NPD et vous expliquiez clairement pourquoi elles ne devraient pas faire partie de la loi. Ces propos me tourmentent encore. En tant qu'avocate, lorsque je présente une demande de divorce, je dois notamment proposer au juge des arrangements financiers acceptables pour les enfants, et il doit en être convaincu.
Il pourrait aussi y avoir des enfants dans ces cas-ci. Si le mariage et le divorce ne sont pas reconnus, alors que leur arrivera-t-il?
Mme Cossman : Je crois que dans le cas des pensions alimentaires ou de la garde des enfants, il faut déterminer quel État a compétence sur ces questions, selon un ensemble de lois tout à fait différent, et selon les règles de droit international privé relatives à la compétence à l'égard des enfants.
Au Canada, plusieurs règles permettent de désigner les cas où nos tribunaux ont compétence sur des questions touchant des non-résidents ou lorsqu'au moins deux ou trois administrations sont en cause. Selon la Cour suprême du Canada, le critère actuel en droit international privé consiste d'abord à déterminer s'il y a un lien réel et important entre l'enfant et le tribunal. Même lorsque c'est le cas, il faut se demander si le tribunal doit avoir la compétence, ou s'il y a une méthode plus appropriée.
Dans ce contexte, prenons l'exemple d'un couple qui habite au Texas et qui vient se marier au Canada, pour ensuite retourner au Texas. Si les époux veulent divorcer, ils peuvent le faire au Canada et obtenir le statut de divorcés. S'ils ont des enfants, les questions qui les touchent devront être entendues par l'administration qui a un lien étroit avec eux. Dans le cas en question, ce serait probablement le Texas, si les deux parents y vivent toujours. Il se pourrait qu'un des deux parents habite maintenant dans l'État de New York; il faudrait alors déterminer si les enfants seraient visés par les règles de New York ou du Texas et se demander lequel des deux États a le lien le plus étroit avec eux.
Les règles de droit international utilisent le plus souvent — mais pas au Canada — le lieu de résidence habituelle de l'enfant pour déterminer la compétence. Cette méthode a été approuvée par la Conférence de La Haye, qui compte des experts en matière de droit international privé, et c'est celle que je choisirais également.
Pour répondre à votre question au sujet du sort des enfants, il faudra utiliser les autres critères juridictionnels pour déterminer l'administration qui a le lien le plus étroit avec l'enfant. Si le critère est le lieu de résidence habituelle, alors il faudra déterminer ce lieu. Est-ce au Texas ou à New York? Ces États devront régler la question.
La sénatrice Jaffer : Ma question a trait à la Convention relative aux droits de l'enfant. Je ne donnerai pas l'exemple des États-Unis. Sans vouloir montrer un pays du doigt, en Arabie saoudite, par exemple, la règle veut qu'après un certain âge, le lien n'ait plus d'importance, si j'ai bien compris. Le père a la garde de l'enfant. Si les parties se sont mariées ici et que la mère est d'avis qu'elle n'aura pas droit à un traitement équitable en Arabie saoudite, ne sommes- nous pas devant une question visée par la Charte?
Mme Cossman : Je crois que cette situation pose problème.
Le problème, c'est que nous ne pouvons pas assumer la compétence. Nous ne pouvons pas ouvrir les portes des tribunaux canadiens sur la simple présomption que les lois canadiennes sont meilleures que celles d'autres pays, puisque nous les avons adoptées. Il serait très problématique d'assumer la compétence selon l'hypothèse que les lois des autres pays sont injustes. Il faut un lien plus étroit entre les parties — ou dans ce cas-ci l'enfant — et nos tribunaux, et non simplement juger les pratiques des autres pays.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Nous avons abordé le sujet avec le témoin précédent, mais je vais tout de même vous poser la question. Cette nouvelle législation en matière de divorce ne risque-t-elle pas d'attirer des non-résidents, légalement mariés dans un autre pays, vers le Canada? On parle de gens légalement mariés, non résidents et qui viennent d'autres pays.
[Traduction]
Mme Cossman : Est-ce que vous me demandez si ces gens viendront au Canada seulement pour divorcer?
[Français]
Le sénateur Dagenais : Effectivement, ce peut être intéressant pour les non-résidents qui sont légalement mariés dans leur pays. Ils pourraient avoir envie de venir au Canada parce que les procédures de divorce, avec la nouvelle législation, rendront le processus plus facile que dans leur pays de résidence.
[Traduction]
Mme Cossman : La loi proposée prévoit trois exigences. Le projet de loi a été conçu de façon à en restreindre la portée. Pour divorcer au Canada, les époux doivent être des non-résidents qui se sont mariés au pays et qui vivent dans un État qui leur refuse le divorce. Il doit leur être impossible de divorcer. Prenons par exemple le cas d'une personne qui vit en Louisiane, où les lois sur le divorce sont un peu plus sévères. Il ne suffit pas de dire, « En Louisiane, il faudrait vivre séparément pendant trois ans, mais au Canada, il ne faut qu'un an, alors nous allons divorcer au Canada. » On doit vous interdire le divorce dans votre État de résidence. Seul un petit groupe de personnes qui autrement auraient les mains liées peuvent venir divorcer au Canada. On n'invite pas les gens à venir ici parce que c'est plus facile d'y divorcer.
Le sénateur Baker : J'ai une question générale au sujet des explications préalables. En vertu de la loi en vigueur, si la garde d'enfant est contestée et que les enfants sont au Canada avec l'un des conjoints, une requête sera soumise à un tribunal au Canada demandant que la garde soit accordée au lieu de résidence précédent où les enfants habitaient avec l'autre conjoint. La cour ordonne toujours qu'il en soit ainsi et, en vertu de la loi en vigueur, les enfants et le conjoint sont renvoyés où ils habitaient. Je crois que c'est le principal point que vous soulevez, n'est-ce pas, dans la loi en vigueur?
Mme Cossman : En vertu de la loi en vigueur, effectivement.
C'est un domaine dans lequel le pouvoir discrétionnaire du tribunal joue un rôle considérable. C'est un domaine conçu et exprimé clairement par les tribunaux. Cependant, en cas de problème relatif à la garde d'enfant, les tribunaux tenteront de déterminer s'ils doivent se déclarer compétents pour trancher la question et si l'enfant vit dans leur juridiction. Si l'enfant ne vit pas dans leur juridiction, cela posera quelques problèmes. Y a-t-il une raison de plus qui prouve que nous avons un lien réel et solide avec l'enfant? Souvent dans ce type de situation, l'enfant passe la majeure partie de sa scolarité dans un endroit et les étés dans un autre endroit. Est-ce suffisant pour les tribunaux de se déclarer compétents parce que l'enfant passait les étés à cet endroit? Existait-il un lien suffisamment réel et solide pour que les tribunaux exercent leur compétence?
Si l'enfant habite tout simplement dans une autre juridiction et y a toujours vécu et qu'il n'a comme lien avec le Canada que le fait que ses parents s'y sont mariés, cela ne devrait pas suffire pour que nous nous déclarions compétents pour trancher le problème relatif à la garde de cet enfant.
Le sénateur Baker : Il y a une jurisprudence abondante pour ce type de décisions faisant référence à un État des États-Unis ou à un autre pays étranger à des fins de règlement judiciaire et l'affaire relative à la garde d'enfant n'est pas jugée ici au Canada.
Mme Cossman : C'est vrai.
Le sénateur Baker : Quel est votre avis sur l'affaire Hincks jugée en janvier 2013?
Mme Cossman : J'ai des avis sur tout. Me posez-vous cette question en ce qui concerne précisément le projet de loi C-32 ou ce que j'en pense plus généralement?
Le sénateur Baker : Oui.
Mme Cossman : Plus généralement, je pense que la décision rendue par madame le juge Mesbur est solide. Elle explore de nouveaux horizons, mais c'est une décision très judicieuse qui tente d'offrir une voie de sortie à ceux qui sont pris dans cet étrange vide juridique. D'autres juridictions perçoivent différemment les relations entre des personnes. J'estime que son raisonnement — soit qu'un partenariat civil en Angleterre équivaut à un mariage dans le cadre de l'application du droit tant fédéral que provincial — est assez convaincant. Ils habitent ici, et c'est la raison pour laquelle ils doivent relever de notre juridiction. La question qui se pose est la suivante : Devraient-ils avoir accès au partage des biens et à l'entretien d'un conjoint en Ontario? Je trouve le raisonnement de madame le juge Mesbur plutôt convaincant.
Le sénateur Baker : Ce n'est pas le gouvernement qui interjette appel de la décision, c'est l'intimé. Le procureur général du Canada est seulement intervenu à la demande d'un tribunal et n'a pas agi unilatéralement ni présenté le point de vue du gouvernement. Cependant, le requérant dans cette affaire est l'intimé et pas le procureur général du Canada, n'est-ce pas?
Mme Cossman : C'est exact. Dans le premier procès, les deux parties avaient chacune un procureur général : le procureur général du Canada d'un côté et le procureur général de l'Ontario de l'autre.
La sénatrice Seth : Cette discussion devient plus intéressante. Je crois comprendre que ces règles seront appliquées dans toutes les provinces et tous les territoires en modifiant les conditions de mariage et de divorce des non-résidents. A-t-on établi des restrictions ou des critères pour le mariage et le divorce des non-résidents?
Mme Cossman : Me demandez-vous si des restrictions sont imposées en ce qui concerne le moment où ils pourront obtenir un divorce?
La sénatrice Seth : Y a-t-il des restrictions ou des règles liées au mariage? Est-ce que n'importe qui peut venir ici et se marier?
Mme Cossman : En raison de la façon particulière dont la compétence en matière de mariage est partagée entre le gouvernement fédéral et les provinces, aujourd'hui au Canada, ce sont principalement les provinces qui détiennent la compétence en matière de célébration du mariage, c'est-à-dire la cérémonie de mariage. Les provinces n'ont pas imposé d'obligation de résidence. Elles pourraient le faire, mais ne l'ont pas fait. Il incomberait à chaque province de décider d'imposer une obligation de résidence. Si elles pensaient qu'elles ne devraient pas laisser des gens venir ici, cela relèverait entièrement de leur compétence et aussi de leur pouvoir discrétionnaire.
Je ne suis pas certaine que le gouvernement puisse le faire. Je ne suis pas convaincue que le gouvernement fédéral ait la compétence de trancher ces questions parce que cela toucherait la célébration du mariage, qui est du ressort provincial.
Actuellement, en raison des règles appliquées dans les provinces, n'importe qui peut venir au Canada et se marier, oui, tant qu'il ou elle répond à nos exigences en matière de mariage. Les gens ne peuvent pas venir d'un pays où la polygamie est légale et se marier; et les membres d'une même fratrie ne peuvent pas se marier entre eux. Les gens peuvent venir et se marier tant qu'ils satisfont à la définition du « mariage » énoncée dans la Loi sur le mariage civil.
La sénatrice Seth : J'arrivais à ce sujet. Est-ce que des restrictions seront imposées aux non-résidents qui ont fait de la prison dans leur pays?
Mme Cossman : Non. Nous n'avons pas ce genre de restrictions. Le gouvernement fédéral ne pourrait probablement pas imposer de telles restrictions, mais une province pourrait être en mesure de le faire en invoquant pour motif un problème relatif à la célébration.
La sénatrice Seth : Si une personne a fait de la prison dans son pays et qu'elle vienne ici pour se marier, n'est-ce pas une menace pour notre pays que de l'autoriser à se marier? Qui sait ce qui se passera par la suite car elle peut ne pas retourner dans son pays.
Mme Cossman : Elle peut venir et se marier ici mais elle ne peut pas rester. Le fait qu'elle se marie ne lui donne pas le droit de rester. N'importe qui peut traverser le pont Peace Bridge, se marier et retourner tout de suite à son domicile. Le fait de se marier ici ne donne pratiquement aucun droit. Les gens peuvent venir, faire du magasinage transfrontalier, se marier et retourner chez eux. Le mariage ne leur permet nullement de rester ici.
Le sénateur Joyal : Je voudrais rappeler, à vous madame la professeure et aux téléspectateurs qui nous regardent, qu'il y a des raisons historiques qui expliquent pourquoi, comme vous l'avez dit, nous avons une situation difficile au Canada où les définitions du mariage et du divorce relèvent de la compétence fédérale et où la célébration relève de la compétence provinciale.
Comme vous le savez, à l'époque du débat sur la Confédération, les représentants du Bas-Canada, c'est-à-dire le Québec d'aujourd'hui, ne voulaient pas que le divorce soit sous la juridiction des provinces vu qu'il n'était pas reconnu au Bas-Canada parce que pour l'Église le mariage était pour la vie. Une fois les conditions du mariage remplies, il était impossible d'en sortir. Bien sûr, depuis la situation a changé dans le monde entier et aussi au Canada.
Pensez-vous qu'il serait bon que le projet de loi s'applique aussi au partenariat civil? Quatorze pays au monde reconnaissent le partenariat civil, soit presque le même nombre de pays qui permettent le mariage entre des personnes du même sexe. N'est-il pas vrai que l'élargissement de la portée du projet de loi au partenariat civil permettrait d'atteindre les objectifs de la mesure législative?
Mme Cossman : Non, je ne pense pas et pour deux raisons. La première est qu'il n'est pas clair que le partenariat civil relève de la compétence du gouvernement fédéral. Le mariage et le divorce relèvent de la compétence du gouvernement fédéral. On se demande si le partenariat civil correspond à l'idée que l'on a du mariage et du divorce et l'opinion la plus répandue semble être que le gouvernement fédéral n'a pas de compétence dans ce domaine. Que cela relève des provinces.
La deuxième raison et probablement la plus déterminante, à mon avis, est que le projet de loi est simplement conçu pour traiter les cas des non-résidents qui sont venus au Canada, se sont mariés parce qu'ils le pouvaient, puis sont retournés chez eux. Quant aux partenariats civils, ils ont été contractés dans un autre pays. Ils ont été contractés ailleurs, pas ici, je pense donc qu'en cas de problème avec des personnes qui ont contracté un partenariat civil, laissons- les retourner dans ces pays. Si c'est au Danemark ou en Norvège, qui reconnaissent depuis longtemps le partenariat civil, ce sont à ces pays de régler le problème de la dissolution de ce partenariat.
Une autre question se pose : Est-ce qu'un partenariat civil contracté dans un autre pays sera reconnu comme un mariage ici? C'est exactement la question qui se pose dans l'affaire Hincks et je crois que c'est aux tribunaux d'en décider, puis aux provinces de décider de quelle façon leurs législations sur le droit de la famille s'appliqueront aux partenariats civils.
Le président : Merci beaucoup madame la professeure. Merci pour votre contribution aux délibérations du comité.
Mme Cossman : Je vous en prie. Merci.
Le président : Mesdames et messieurs, habituellement nous ne procédons pas ainsi, mais le comité de direction a convenu que nous procèderons à l'étude article par article aujourd'hui. Plaît-il au comité de procéder à l'étude article par article du projet de loi C-32, Loi modifiant la Loi sur le mariage civil?
Des voix : Oui.
Le président : L'étude du titre est-elle reportée?
Des voix : Oui.
Le président : L'étude de l'article 1, qui contient le titre abrégé, est-elle reportée?
Des voix : Oui.
Le président : L'article 2 est-il adopté?
Des voix : Oui.
Le président : L'article 3 est-il adopté?
Des voix : Oui.
Le président : L'article 4 est-il adopté?
Des voix : Oui.
Le président : L'article 5 est-il adopté?
Des voix : Oui.
Le président : L'article 1, qui contient le titre abrégé, est-il adopté?
Des voix : Oui.
Le président : Le titre est-il adopté?
Des voix : Oui.
Le président : Le projet de loi est-il adopté?
Des voix : Oui.
Le président : Vous plaît-il que je fasse rapport du projet de loi au Sénat?
Des voix : Oui.
Le président : Le comité souhaite-t-il discuter d'observations?
Des voix : Non.
Le président : Merci à tous.
(La séance est levée.)