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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule 13 - Témoignages du 28 février 2012


OTTAWA, le mardi 28 février 2012

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour étudier les raisons potentielles pouvant expliquer les inégalités entre les prix de certains articles vendus au Canada et aux États-Unis, étant donné la valeur du dollar canadien et les répercussions du magasinage transfrontalier sur l'économie canadienne.

Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, mesdames et messieurs. Je déclare ouverte la séance du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

[Français]

Ce matin, nous poursuivons notre étude spéciale sur les raisons pouvant expliquer les inégalités entre les prix de certains articles vendus au Canada et aux États-Unis.

[Traduction]

Aujourd'hui, nous continuons à nous pencher sur la question des différences de prix entre le Canada et les États- Unis en ce qui a trait à certains articles vendus au Canada. Ce matin, nous nous penchons plus particulièrement sur les fabricants et les importateurs de vêtements et leur industrie. Dans notre premier groupe de témoins, nous sommes heureux de souhaiter la bienvenue à M. Bob Kirke, directeur exécutif de la Fédération canadienne du vêtement, et à M. Robert Silver, président de Western Glove Works. Monsieur Kirke, vous nous avez présenté un mémoire, mais je pense que vous voulez faire quelques remarques préliminaires également. Je céderai ensuite la parole à M. Silver pour qu'il puisse faire son exposé, puis nous entamerons la discussion.

Bob Kirke, directeur exécutif, Fédération canadienne du vêtement : Merci. Monsieur le président, honorables sénateurs, je veux vous remercier de me donner l'occasion de faire un exposé dans le cadre de votre étude concernant les écarts de prix. La Fédération canadienne du vêtement est constituée de centaines d'entreprises travaillant dans l'industrie du vêtement d'un bout à l'autre du Canada, et elle représente tous les secteurs, produits et orientations ayant trait à cette industrie. Je suis accompagné de M. Robert Silver, président de Western Glove Works, une entreprise de fabrication de denim basée à Winnipeg. Plusieurs autres membres de notre association et gens de l'industrie comparaîtront dans les séances subséquentes sur des questions particulières. J'aimerais profiter de l'occasion pour offrir au comité un historique de l'industrie, des prix payés par les consommateurs pour les vêtements et d'autres politiques ayant une répercussion sur nos opérations, et je serais prêt ensuite à répondre à vos questions s'il y a lieu.

Les achats de vêtements représentent une grande part des dépenses totales des consommateurs canadiens. Le marché du vêtement au détail au Canada est évalué à environ 29 milliards de dollars annuellement. Il s'agit du vêtement au détail, et non pas du marché des vêtements institutionnels.

En plus de l'importance générale du vêtement en tant que dépenses de base des ménages, les politiques d'établissement de prix de certains détaillants de mode comptaient également parmi les raisons qui ont poussé le ministre à renvoyer la question de l'écart des prix à votre comité. Lors d'audiences précédentes, vous avez entendu plusieurs témoins parler de l'industrie du vêtement ou de questions d'importance pour cette industrie. Je vais essayer de tirer profit de cette information et de vous fournir d'autres renseignements ayant surtout trait aux politiques commerciales pertinentes à la discussion.

Comme on vous l'a dit, environ 20 à 25 p. 100 des vêtements vendus au Canada sont fabriqués ici. Le reste est importé. Le fait est que l'industrie du vêtement au Canada a changé de façon draconienne au cours des dernières années, et il y a eu une restructuration considérable parmi les entreprises canadiennes. Des sociétés comme Western Glove Works peuvent en attester. De la même manière, l'environnement de la mode au détail a changé de façon spectaculaire, surtout au cours des trois dernières années, puisqu'un plus grand nombre de détaillants de mode provenant essentiellement des États-Unis se sont installés ici. Et les changements vont croissant tous les jours.

Pour vous donner davantage d'information, il suffit de savoir que 2001 a marqué un point culminant en matière de production de vêtements au Canada. Au cours de cette année, le dollar canadien se situait à environ 62 cents par rapport au dollar américain. L'industrie employait approximativement 100 000 travailleurs dans des emplois directement liés à la fabrication, et environ 50 p. 100 de la production était exportée vers les États-Unis.

Après 2001, l'emploi a commencé à subir un déclin au fur et à mesure que s'appréciait le dollar canadien. En raison de l'appréciation du dollar, de la fin des quotas d'importation en 2005 et des concessions tarifaires canadiennes unilatérales à l'égard des pays les moins développés, l'industrie a dû faire face à un environnement radicalement différent où il est devenu beaucoup plus difficile d'assurer la production intérieure. Au cours des 10 dernières années, nous avons connu des changements profonds dans cette industrie.

Toutefois, les mêmes pressions qui ont créé une restructuration volatile de l'industrie ont permis aux consommateurs canadiens de profiter de prix à la baisse. Si l'on utilise 2002 comme année de référence, l'indice des prix à la consommation indique que les prix des vêtements ont connu un déclin de 10 p. 100 au cours des 10 dernières années, malgré le fait que le prix pour d'autres produits a connu une augmentation de 10 à 40 p. 100. Le secteur du vêtement est le seul ayant connu un déclin dans les prix pendant cette période. En utilisant les mesures les plus exactes et les plus objectives, on peut dire que les consommateurs canadiens ont profité d'une baisse du prix des vêtements au cours de la dernière décennie. Toutefois, les consommateurs canadiens ne consultent pas l'indice des prix à la consommation pour déterminer s'ils font de bonnes affaires. Ils peuvent toutefois facilement comparer le prix des vêtements vendus au Canada à celui des vêtements vendus aux États-Unis et ils s'interrogent sur l'écart entre ces prix, surtout étant donné l'augmentation du dollar canadien. Les consommateurs canadiens s'attendent maintenant à pouvoir acheter les mêmes produits à essentiellement les mêmes prix de base qu'aux États-Unis.

Voilà qui nous amène au renvoi actuel et au mandat du comité visant à formuler des recommandations au ministre. Notre industrie doit relever un défi, à savoir, comment faire pour réduire encore davantage les prix, même s'ils se situent à un niveau historiquement bas. J'aimerais attirer votre attention sur plusieurs problèmes, et je serai heureux de répondre à toute question au terme de mon exposé.

Dans des témoignages antérieurs, vous avez entendu parler de problèmes de réglementation entre le Canada et les États-Unis. Ces problèmes constituent une importante préoccupation pour l'industrie. À l'heure actuelle, le Canada et les États-Unis conservent des normes de sécurité différentes pour certains produits, ce qui fait augmenter les coûts pour le consommateur canadien tout en n'offrant que peu ou pas d'avantages supplémentaires par rapport à ce qui existe aux États-Unis. Parallèlement, des différences mineures en matière d'étiquetage existent, ce qui fait augmenter le coût des vêtements. Je ne parle pas des dispositions concernant l'étiquetage en français et en anglais, mais plutôt du fait que les exigences sont parfois légèrement différentes entre le Canada et les États-Unis. Il existe également des politiques qui nous obligent à harmoniser la réglementation à l'échelle fédérale et provinciale au Canada, en vertu de l'Accord sur le commerce intérieur.

Essentiellement, il n'y a qu'un marché du vêtement en Amérique du Nord, et nous avons besoin de règlements pour régir ce marché qui s'adapte à cette réalité. Par ailleurs, il existe un certain nombre de dispositions dans des ententes commerciales, y compris l'ALENA, qui empêchent les négociants de profiter pleinement de ces accords. Les règles d'origine qui figurent dans bon nombre de nos accords de libre-échange empêchent les entreprises canadiennes d'exporter leurs produits, et nos partenaires commerciaux d'accéder à nos marchés. Nous avons besoin d'accords commerciaux viables.

Plus que toute autre composante, les tarifs ont été recensés comme étant un déterminant majeur des prix au détail. Bien que les droits sur bon nombre d'autres produits de consommation soient faibles, les droits moyens imposés aux pays bénéficiant du statut de la nation la plus favorisée pour les vêtements s'élèvent à 18 p. 100. Aux États-Unis, les taux tarifaires sur les vêtements varient d'un produit à l'autre, mais leurs droits sont relativement élevés également. Si l'on veut comparer de façon exacte les taux de droit de douane sur des sources externes, il serait plus facile de comparer les droits par rapport à chacun des produits fabriqués. En outre, aux États-Unis, les douanes utilisent une méthode d'établissement de la valeur différente de la nôtre. Elle s'appelle la méthode « du premier coût », de sorte que cela peut se traduire par des prix à la frontière considérablement moins élevés, et cela pour des produits identiques et des produits pour lesquels les taux de droit de douane sont identiques également. Je serais ravi de discuter davantage de cette question étant donné qu'il s'agit d'un sujet assez complexe.

Je veux vous présenter de l'information afin que nous puissions établir des jalons quant à l'impact des tarifs. L'importation de vêtements s'est élevée à environ 9 milliards de dollars en 2011. Sur ce montant, 2 milliards de dollars ont probablement été exempts de droits de douane en vertu de divers accords commerciaux ou de dispositions concernant les tarifs. Par conséquent, environ 7 milliards de dollars en importations ont été assujettis à des droits au taux de 18 p. 100, et ce montant total s'élève approximativement à 1,25 milliard de dollars par année. Voilà les droits payés sur les importations.

Pour mettre le tout en perspective, voici quelques estimations. J'ai choisi ces éléments tout à fait par hasard à partir de statistiques d'importations courantes. Le premier exemple porte sur des jeans pour femmes, dont les importations en 2011 s'élevaient environ à 235 millions de dollars. Les droits payés étaient d'environ 20 millions de dollars. Pour ce qui est des soutiens-gorge féminins, la valeur des importations était de 200 millions de dollars et environ 27 millions de dollars ont été payés en droits. Cela n'arrive pas exactement à 18 p. 100 de tarif pour chacun de ces produits parce que certains ont une plus grande part d'importations provenant de sources exemptes de droits. Le dernier exemple porte sur les vêtements pour nourrissons, qui ont connu des importations de 214 millions de dollars pour lesquels on a dû payer 27 millions de dollars en droits. Je n'ai pas de statistiques équivalentes pour les États-Unis, mais les vêtements et les chaussures sont les secteurs qui génèrent le plus de recettes en tarifs pour le gouvernement américain.

Les tarifs sur les vêtements importés sont les restes de notre ancienne politique industrielle pour le secteur du vêtement. Nous avons supprimé les quotas d'importation qui protégeaient l'industrie jusqu'en 2005, et qui protégeaient sa main-d'œuvre, tout en maintenant des droits élevés pour le secteur des vêtements. Ils font beaucoup moins. À certains égards, ces problèmes auraient été traités à l'OMC dans le cadre du cycle de Doha, mais cela n'a pas abouti.

Il y a environ cinq ans, à l'OMC, dans le cadre du cycle de Doha, le Canada était en faveur d'un ensemble de mesures d'accès au marché non agricole contenant la soi-disant formule suisse sur les réductions tarifaires. En vertu de cette formule, nous aurions réduit les tarifs pour les vêtements de moitié sur une courte période de temps. Reste à savoir si le ministre devrait attendre la conclusion de ce cycle, ou encore régler le problème en fonction de nos besoins et de manière à cibler les réductions tarifaires sur les produits où l'impact de telles réductions seraient limitées.

En guise de conclusion, l'industrie du vêtement a toujours soutenu les négociations de questions commerciales en fonction des secteurs ou des produits. S'il y a des recommandations concernant la réduction des tarifs à l'importation, elles devraient être faites au terme d'un examen de la situation particulière pour un produit ou une catégorie donnée. Ces recommandations devraient viser à minimiser les répercussions sur l'emploi. Nous avons connu une réduction considérable de l'emploi au cours des dix dernières années et il est important de conserver ce que nous avons à l'heure actuelle.

Dans les séances qui vont suivre, plusieurs entreprises feront des exposés concernant les programmes actuels de remise de droits relativement aux vêtements, qui permettent aux fabricants de vêtements canadiens qui importent des produits semblables de se faire rembourser les droits. Ces programmes de remise de droits ont été mis sur pied au moment de la conclusion de l'accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Tous ces programmes sont fondés sur les besoins de chaque sous-secteur, et ils sont appelés à prendre fin au terme de cette année.

Pour ce qui est des recommandations, j'encouragerais le comité à continuer d'examiner les questions de réglementation relativement à la sécurité des produits, à l'étiquetage et à d'autres questions ou mécanismes commerciaux qui sont très importants pour l'industrie. Pour ce qui est des tarifs, le gouvernement devrait considérer de réduire les tarifs sur les vêtements finis lorsque cela comporte des avantages clairs pour les consommateurs canadiens et des répercussions négatives minimales pour les producteurs intérieurs. Toute considération concernant les tarifs de la nation la plus favorisée ne devrait pas mettre l'accent sur une comparaison des taux de droit extérieurs canadiens et américains. Il faudrait plutôt mettre l'accent sur le fait que le Canada est bien servi ou non par les tarifs existants et si les changements à ces tarifs auraient un impact positif dans son ensemble.

Ma troisième recommandation sur les programmes de remise de droits propose que le comité songe à prolonger ces programmes étant donné qu'ils aident à réduire les droits dans certaines catégories de produits. Encore une fois, ces programmes devraient prendre fin à la fin de 2012. Leur disparition aurait pour effet d'accroître les droits pour les produits visés, ainsi que d'augmenter les prix pour le consommateur.

Voilà la fin de mon exposé.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Kirke. Vous avez mentionné à deux occasions dans votre exposé le taux capitalisé de la nation la plus favorisée.

M. Kirke : Le tarif, oui. Il s'agit du droit de la nation la plus favorisée. Le taux s'applique à tous les pays qui ne sont pas visés par un tarif réduit.

Le président : Merci. Nous allons maintenant entendre M. Silver.

Robert Silver, président, Western Glove Works, à titre personnel : Bonjour mesdames et messieurs. C'est un plaisir pour moi d'être ici même si c'est quelque peu intimidant.

Western Glove Works ne fabrique pas des gants et n'en a pas fabriqué depuis 50 ans. Ce que nous faisons plutôt, c'est de fournir les marchés canadiens et américains en jeans. Nous les approvisionnons sous deux marques différentes : Silver Jeans et JAG Jeans. Pour donner un peu de poids à ce que mon associé Bob Kirke a dit, en 2001, nous avions 1 200 employés à Winnipeg. Nous occupions 290 000 pieds carrés de locaux et nous avions trois quarts de travail sept jours par semaine pour la production de jeans. C'était une époque merveilleuse. Nous étions protégés par un dollar très faible, ainsi que par des quotas et des droits de douane. Tout cela a pris fin, et au cours des 10 dernières années, nous ne mettons plus l'accent sur la production, mais plutôt sur la mise en marché, la conception et la distribution. Nous n'avions pas le choix.

J'ai probablement lutté contre le déclin du secteur manufacturier plus fort que quiconque dans ce secteur. Toutefois, c'était inévitable. Nous avons dû déménager notre production à l'étranger, c'est-à-dire dans des pays comme la Chine, le Bangladesh, le Mexique et l'Inde; voilà ce que nous avons fait. En 2001, nos recettes générées par ces quelque 1 200 employés s'élevaient à environ 90 millions de dollars. Aujourd'hui, nos recettes de 2012 sont évaluées à environ 190 millions de dollars, mais nous n'employons plus que 100 personnes. Voilà le changement qu'a connu ce secteur.

Depuis 1921, nous sommes une entreprise canadienne; depuis 1921, notre siège social se situe à Winnipeg; et depuis 1921, nous avons fièrement servi les consommateurs canadiens et américains. Nous avons dû changer notre façon de faire les choses. Nous n'étions plus un producteur à faible coût au Canada; nous ne faisions même plus partie des 40 producteurs à faible coût. Ce que nous avons dû faire en tant qu'entreprise, c'est de mettre l'accent sur ce que nous croyons pouvoir faire le mieux, c'est-à-dire la conception, la mise en marché, le marchandisage et le service à la clientèle, tant aux États-Unis qu'au Canada.

J'étais à Ottawa et j'ai participé aux négociations de l'ALENA et de l'Accord de libre-échange. J'ai vu ce que nous devions faire. Nous devions regarder au-delà de nos frontières et nous transformer en entreprise internationale. Nous avons dû devenir une entreprise reconnue des deux côtés de la frontière, ainsi qu'en Europe et dans d'autres pays du monde. Aujourd'hui, notre volume d'affaires est de 70 p. 100 aux États-Unis, 28 p. 100 au Canada et 2 p. 100 en Europe. Nous sommes devenus ce que l'Accord de libre-échange souhaitait que nous devenions. Nos volumes ont augmenté, la contribution à l'économie canadienne par l'entremise de nos impôts et d'autres éléments a augmenté, mais notre taux d'emploi est très certainement différent.

Nous sommes une entreprise internationale et nous continuerons de croître. Notre objectif consiste à avoir un chiffre d'affaires de 250 millions de dollars au terme de deux ans et de continuer notre expansion à partir de là. Nous sommes probablement l'un des plus importants fabricants de jeans de marque au Canada, sinon le plus important. Tous les autres fournisseurs de jeans ont disparu. Les plus importants ont disparu. RGR, à Saint-George de Beauce, n'est plus; Jack Spratt n'existe plus; Levi's a quitté le pays pour des raisons de production; Keystone n'est plus; Aero Garment à Vancouver n'existe également plus. Il existe toujours quelques producteurs qui occupent un créneau particulier au Canada, mais, en gros, tous mes compétiteurs ont soit suivi mon exemple ou c'est moi qui ai suivi le leur. Nous sommes résolus à faire en sorte que notre marque devienne mondiale. Nous sommes résolus à croître.

Mon fils travaille dans cette entreprise et j'espère que mon petit-fils y travaillera également. Nous sommes déterminés à continuer de voir prospérer l'entreprise que nous avons mise sur pied à Winnipeg. Soit dit en passant, nous avons été la première entreprise au Manitoba à avoir un service de garde d'enfants sur les lieux, et ce service continue d'être offert à ce jour. Nous continuons de l'offrir comme service à la collectivité plutôt qu'uniquement aux membres de notre personnel, parce qu'ils sont très peu nombreux. Même si nous embauchons seulement 100 personnes, je puis vous assurer qu'ils sont beaucoup mieux payés que l'employé moyen en 2001. Il s'agit de personnel professionnel hautement qualifié à l'échelle de l'Amérique du Nord sinon du monde.

Actuellement, le magasinage transfrontalier n'est pas un problème pour moi parce que je fais des affaires des deux côtés de la frontière. Je ne me soucie guère de savoir si les consommateurs vont aux États-Unis ou s'ils restent au Canada pour acheter mes produits. Tant et aussi longtemps qu'ils achètent ce que je produis, je ne m'en soucie guère. Toutefois, le consommateur canadien est mal servi aujourd'hui.

Les produits que j'importe proviennent essentiellement de la Chine. Nous avons établi d'importantes infrastructures et relations en Chine parce qu'il s'agit du meilleur endroit au monde aujourd'hui où l'on peut acheter ou produire des jeans. Les aspects techniques sont nombreux. Il ne s'agit pas d'un produit bas de gamme. Le coût premier pour la plupart de nos jeans provenant de Chine est de 20 $.

Le même vêtement que j'importe au Canada — il s'agit d'un vêtement tout à fait identique; l'étiquetage est le même c'est-à-dire qu'il y a une étiquette en français et en anglais sur tous les vêtements que j'importe aux États-Unis; tout est identique — du point de vue des droits, le même vêtement va me coûter 50 cents moins cher aux États-Unis qu'au Canada, et cela découle de ce que M. Kirke a appelé « la première vente. » Ce 50 cents équivaut à entre 2,50 $ et 3 $ du prix de détail. Voilà ce que cela représente pour chacun des consommateurs. Même si nous avions les mêmes règles d'origine et les mêmes droits de douane qu'aux États-Unis, le consommateur canadien pourrait payer 3 $ de moins qu'il ne paye actuellement pour ce produit. Toutefois, la différence du prix moyen est d'environ 10 $ ou 10 p. 100.

Les autres facteurs liés à cette différence proviennent du coût des opérations au Canada. Le salaire minimum est plus élevé au Canada et les distances à parcourir sont plus grandes. La population constitue certainement un facteur plus important, parce que les ventes au pied carré sont environ le double aux États-Unis. Un commerce de détail raisonnable au Canada qui génère 500 $ au pied carré ne survivrait pas aux États-Unis. Dans ce pays, il faut plutôt générer de 800 à 900 $ par pied carré pour survivre et c'est possible de générer ces montants aux États-Unis.

Toutefois, au Canada, c'est beaucoup plus difficile parce que la population est moins importante; nous devons également tenir compte des grandes distances, et il y a des coûts associés à ces distances. Nous avons également des taxes à payer, le RPC, l'assurance-emploi et tous les autres éléments pour lesquels je n'ai aucun contrôle et n'en veux aucun. Je pense qu'il s'agit d'excellentes mesures pour le Canada et je n'y vois aucune objection.

Ce que nous pouvons contrôler, c'est le tarif douanier que nous imposons sur ces vêtements. Ce tarif sur les jeans importés au Canada se situe à 17 p. 100. Le tarif aux États-Unis est de 16,6 p. 100, mais le principe de la première vente constitue un avantage supplémentaire, comme je l'ai dit, pour ce qui est des États-Unis.

Nous avons la capacité d'agir. Les droits ont été mis en place il y a bon nombre d'années pour protéger les producteurs intérieurs. J'ai fait beaucoup de lobbying à Ottawa, lorsque nous étions toujours un producteur, pour éliminer les droits sur le tissu. Je me suis battu jusqu'à ce que j'abandonne et que je quitte ce champ d'activité. Je n'avais pas le choix. Je ne pouvais pas continuer à me battre. J'ai donc dû transférer ma production ailleurs.

Nous avons même essayé de prédire le montant des droits à payer sur le denim alors que personne au Canada n'en produisait. La compagnie Swift Denim a fermé boutique, a quitté le pays, mais nous avons quand même continué à payer des droits sur le denim. Nous avons toujours le même problème avec les vêtements. La théorie voulant que nous protégions le fabricant national n'est qu'une théorie, parce que le fabricant national a dû s'adapter, changer et faire les choses différemment afin de survivre.

Si le 17 p. 100 que nous imposons au consommateur canadien vise à protéger quelqu'un, je ne sais pas qui ce quelqu'un est. Ce n'est certainement pas moi parce que j'ai dû m'adapter. Ça ne protège pas certainement Levi's ou Jack Spratt, des gens incroyables qui sont partis jouer au golf. Je ne sais plus qui ces droits protègent à l'heure actuelle, mais je peux vous dire qu'ils nuisent au consommateur canadien. Ce n'est qu'une autre taxe sur les vêtements qui ne protège personne.

Le message que je veux vous transmettre, c'est qu'il ne faut pas attendre un autre cycle, d'Uruguay ou de Doha, pour dire que nous ferons telle ou telle concession. Nous accordons des concessions à certains pays pour propulser leur croissance. Le Bangladesh en est un excellent exemple, mais le Bangladesh n'est pas un pays producteur pour moi. J'ai une petite production au Bangladesh, mais c'est surtout en Chine que ça se passe.

Si nous voulons réduire l'écart entre les prix aux États-Unis et au Canada, nous pouvons changer les taux de droits de douane de façon unilatérale. Je ne comprends pas pourquoi nous ne le faisons pas. À l'époque, je ne comprenais pas pourquoi nous n'avons pas changé les taux sur le textile. Je ne comprends pas pourquoi nous ne les changeons pas sur les vêtements. Je répète que, peu importe la solution que vous choisirez, elle me conviendra. Ça m'est égal. Par contre, ça change la donne pour le consommateur canadien.

Au fil des ans, mon partenaire et moi avons investi dans d'autres entreprises, dont une chaîne de magasins de détail au Canada qui s'appelle Warehouse One. Ce serait grandement avantageux de réduire les tarifs douaniers, mais pas en soi; la concurrence ferait en sorte que les prix demeurent compétitifs, mais le consommateur canadien en tirerait profit. Ma compagnie, Warehouse One, en profiterait, tout comme toutes les autres compagnies au Canada concernées. Je serais enchanté si vous exemptiez Western Glove Works de ses droits de douane, mais ce ne serait pas juste. Ces réductions doivent profiter aux Canadiens, pas à Western Glove Works.

Voilà ce que j'avais à dire.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Silver. Vous avez abordé des questions très intéressantes.

J'aimerais savoir si vous pouvez clarifier un point. Imaginons un scénario. Votre compagnie, une compagnie canadienne, importe des vêtements de la Chine; si ces vêtements se rendaient aux États-Unis, est-ce que vous les importeriez directement aux États-Unis ou ils passeraient par le Canada avant d'arriver à destination aux États-Unis?

M. Silver : Non, ils se rendraient directement aux États-Unis.

Le président : Au tarif douanier de 16,5 p. 100 s'ils vont aux États-Unis?

M. Silver : Oui, 16,6 p. 100 comparé à 17 p. 100.

Le président : Cela représente 50 cents à l'étape de l'importation?

M. Silver : En plus de ce qu'on appelle « la première vente ».

Le président : Vous pouvez nous expliquer ce concept?

M. Silver : Aux États-Unis, on paie des droits sur le prix du fabricant. En Asie, on fait très souvent affaire avec une société de négoce. Nous travaillons en partenariat avec une société de négoce. Cette société achète des biens de l'usine. Le prix que l'usine facture à la société de négoce est le prix sur lequel les Américains paient des droits pour les biens à destination des États-Unis.

Au Canada, les droits sont calculés sur le prix total. Pour un produit de 20,30 $ au Canada, je paie 17 p. 100 de ce 20,30 $. Aux États-Unis, je paierais 16,6 p. 100 de 17 $. Il s'agit du coût de première vente. Ce coût n'est pas permis au Canada, en grande partie parce que la compagnie intermédiaire n'est pas indépendante. J'ai des liens avec la compagnie, alors je ne peux pas le faire. Pour une paire de jeans de 20 $, ça représente 50 cents. Pour une paire de jeans de 30 $, ça représente 75 cents. Quand on ajoute ma marge à celle du détaillant, ça représente 3 $, sans même changer les taux que nous avons aujourd'hui.

Si les taux canadiens étaient réduits à 10 ou 12 p. 100, je crois que les prix aux États-Unis et au Canada dans le secteur du jeans seraient beaucoup plus comparables, et on pourrait éviter le magasinage transfrontalier pour cet article, une pratique qui existe de nos jours.

Le sénateur Finlay : Bonjour. Nous sommes heureux de connaître votre opinion. J'ai une question. Vous avez parlé de première vente et de premier coût. Est-ce qu'il s'agit de la même chose?

M. Silver : Tout à fait.

Le sénateur Finlay : Je voulais simplement m'assurer qu'il n'y a aucune différence.

Monsieur Kirke, vous avez mentionné que votre organisation représente, j'imagine, des fabricants, des détaillants, des distributeurs, des grossistes, et cetera. Vous avez dit que 25 p. 100 des vêtements vendus au Canada sont faits au Canada. Serait-il juste d'en conclure que ces ventes s'élèvent à environ 7 ou 8 milliards de dollars par année si on se fie à votre total de 29 milliards de dollars?

M. Kirke : Je pense que ça représente plutôt environ 20 p. 100, mais votre chiffre est assez fiable. J'ajouterais que ça comprend environ 2 milliards de dollars en vêtements institutionnels ou commerciaux, par exemple, des uniformes. Ce chiffre comprend des uniformes militaires et autres. En fait, au niveau du détail, ça pourrait représenter une plus grande part d'importations que ce que ces chiffres laissent supposer. Cela pourrait même représenter 90 p. 100 au détail.

Le sénateur Finlay : Combien d'emplois y avait-il au plus fort de la période? Vous avez dit que la valeur du dollar et la protection des tarifs douaniers ont entraîné un sommet. Je ne me souviens plus exactement, mais je pense que vous avez parlé de 100 000 employés. Était-ce seulement dans le secteur de la fabrication?

M. Kirke : En très grande partie dans le secteur de la fabrication. Il existe un conseil des ressources humaines régi par RHDCC; celui-ci estime que 75 000 employés travaillent présentement dans le secteur du vêtement.

En gros, le conseil a dénombré des employés de production, mais aussi de nombreuses autres personnes qui sont rarement recensées dans les chiffres sur les emplois traditionnels : les travailleurs dans le milieu de la conception, du marchandisage, de l'entreposage, et autres. Selon les critères traditionnels de Statistique Canada, l'entreprise de M. Silver ne serait pas considérée comme un employeur du secteur du vêtement. Pour reprendre l'exemple de ce qu'a connu la compagnie de M. Silver, voici ce que le conseil des ressources humaines dit : « Voici le portrait actuel du secteur du vêtement, qui est en très grande partie axé sur la commercialisation, et cetera. » Le conseil a estimé qu'il existe 75 000 emplois, mais je répète qu'il ne compare pas des pommes à des pommes. S'il y avait 100 000 postes dans le secteur de la production, il y avait peut-être 30 000 emplois en production. Il est évident qu'il y a de nombreux autres emplois du côté de la distribution, de la conception et du marchandisage.

Le sénateur Finlay : Puis-je supposer que la plupart de ces emplois étaient dans les régions de Montréal, Toronto, Winnipeg et Vancouver?

M. Kirke : Oui.

M. Silver : En général, oui.

Le sénateur Finlay : En général. Lequel de ces domaines — je vais aborder les secteurs dans quelques instants — a été le plus durement touché par le déclin de la fabrication de vêtements, qui est en quelque sorte sous l'emprise du géant asiatique?

M. Kirke : Vous pouvez étudier la question sous différents angles. Au cours des dix dernières années, Vancouver a accru son nombre d'emplois et aussi son nombre d'entreprises extrêmement novatrices. Lululemon, Mountain Equipment Co-op et Aritzia sont des entreprises très novatrices. Je dirais que Vancouver s'en est mieux sortie que les autres régions, relativement à sa situation de départ. Winnipeg avait toujours était une ville très fortement axée sur les usines, alors elle a peut-être été la ville la plus durement touchée en termes de pertes d'emplois. Au début de la dernière décennie, Toronto était surtout une ville productrice de vêtements en tricot : des t-shirts, des pulls molletonnés et d'autres articles du genre. En 2003, le Canada a aboli les droits de douane pour des pays comme le Bangladesh. Le tricot est beaucoup plus simple que le tissé, et ça a anéanti les emplois à Toronto. Chaque ville a été touchée de façon différente. Bien entendu, Montréal est la plus importante dans le secteur. Je ne sais pas si M. Silver aimerait dire autre chose quant aux répercussions relatives.

M. Silver : À une époque, il y avait à Winnipeg 5 000 opérateurs de machine à coudre. Présentement, il en reste probablement 300 — et je suis généreux — et ces 300 personnes travaillent avec le ministère de la Défense nationale ainsi qu'avec la seule entreprise qui crée des vêtements pour Canada Goose. L'un des aspects intéressants de ce problème, c'est qu'on ne peut pas mettre tous les vêtements dans le même panier. Différents secteurs du milieu du vêtement font différentes choses à différents moments, et vous verrez, après mon exposé, qu'il y a toujours des emplois dans la production de chemises à Montréal et Toronto.

La donne est différente dans le milieu du jean, alors il faut regarder la situation au cas par cas. Les entreprises toujours en activité à Winnipeg peinent énormément à recruter des employés. Le secteur a toujours été un tremplin pour les immigrants. Si nous n'avions jamais eu un solide secteur manufacturier au Manitoba, nous n'aurions probablement pas de services de santé aujourd'hui parce qu'aucun des employés que j'ai malheureusement dû mettre à pied n'est sans emploi. Ces personnes ont toutes un emploi bien rémunéré, pour la plupart dans le milieu des soins de santé.

Le sénateur Finley : J'aurais voulu parler des secteurs, monsieur le président, mais je m'aperçois qu'il ne me reste plus de temps. J'y reviendrai lors du deuxième tour.

Le président : Merci beaucoup. Six sénateurs veulent intervenir, et il nous reste environ 25 minutes. Je vous demanderais de vous en tenir à environ cinq minutes pour les questions et réponses.

Le sénateur Callbeck : Monsieur Kirke, j'aimerais vous poser une question quant à un paragraphe de votre exposé qui porte sur les différences entre les États-Unis et le Canada. Vous avez entre autres parlé des normes de sécurité. Vous avez dit qu'elles représentent des coûts supplémentaires, mais qu'elles n'apportent pas ou peu d'avantages aux Canadiens. Pouvez-vous commenter là-dessus?

M. Kirke : Bien entendu. Au cours des trois dernières années en particulier, les États-Unis ont changé beaucoup de lois sur la sécurité des produits. Récemment, le Canada a emboîté le pas. J'aimerais insister sur le fait que nous parvenons sans problème à respecter toutes les normes de sécurité établies.

Par contre, il existe des normes similaires au Canada et aux États-Unis où la norme en question, par exemple l'inflammabilité — soit la vitesse à laquelle un vêtement peut s'enflammer — est soumise à la réglementation. Il ne faut pas qu'un vêtement puisse s'enflammer si on se trouve près d'un feu, par exemple. Tout le monde s'entend pour dire que c'est mauvais, mais, en réalité, nous avons le même rendement ou la même spécification. Et pourtant, les tests pour évaluer cette caractéristique sont différents au Canada et aux États-Unis.

Si, comme dans le cas de M. Silver, 70 p. 100 de vos vêtements se rendent aux États-Unis, vous devez utiliser les normes américaines. Si vous voulez vendre le même vêtement au Canada, vous devez le tester à nouveau, sans raison particulière. C'est simplement dû au fait que deux organismes d'élaboration de normes ont créé deux protocoles séparés au fil du temps.

Le Conseil de coopération en matière de réglementation a été mis en place par le Canada et les États-Unis, et c'est le genre de problème sur lequel il devrait se pencher parce que, dans les faits, la plupart des compagnies de par le monde produisent des biens pour le marché américain. Quand les compagnies envisagent d'exporter leurs biens au Canada, elles doivent passer un autre test, ce qui représente des coûts supplémentaires pour le consommateur canadien. Il existe de nombreuses autres normes, en préparation ou déjà créées, qui comportent de petites différences qui n'ont aucun intérêt pour personne. J'aimerais mettre l'accent sur le fait qu'il ne s'agit pas d'alléger les normes. Il faudrait seulement que les compagnies puissent composer avec ces normes plus facilement. Il s'agit d'une politique gouvernementale, et nous exhortons le gouvernement à aller plus loin en la matière, aussi rapidement que possible.

Le président : J'aimerais vous informer que M. Kirke pourra rester pour le deuxième groupe. M. Silver va nous quitter, alors si vous avez des questions à lui poser, c'est le moment idéal de le faire.

Le sénateur Callbeck : Pour une paire de jeans provenant de la Chine, vous dites que le tarif douanier est d'environ 50 cents.

M. Silver : C'est la différence de tarifs douaniers entre les États-Unis et le Canada.

Le sénateur Callbeck : Cela représente donc 3 $?

M. Silver : Cela varie entre 2,50 $ et 3 $, selon la marge de profit.

Le sénateur Callbeck : Par combien d'intermédiaires ces paires de jeans doivent-elles passer? Les vendez-vous directement au détaillant?

M. Silver : Oui. Les marges de profit des détaillants sont vraiment impressionnantes. Un coût s'élevant à 1 $ équivaut à une marge de profit de 2,50 $ à 3 $ au détail, selon le type de détaillant. Walmart empoche une marge de profit plus faible, mais la plupart des détaillants ont une marge de 65 p. 100.

Le sénateur Callbeck : Qu'en est-il des marges de profit aux États-Unis?

M. Silver : C'est comparable. Les détaillants canadiens ont tendance à demander des rabais considérables au départ, et, habituellement, on les leur accorde. Aux États-Unis, les détaillants demandent généralement des rabais à la fin de l'année pour compenser le déficit de la marge. Aucune de ces positions n'est idéale, mais elles sont différentes.

Le sénateur Callbeck : Quelle est la différence de prix entre une de vos paires de jeans vendue au Canada et aux États-Unis?

M. Silver : Au Canada, on les vend 95 $ et aux États-Unis, 85 $.

Le sénateur Callbeck : Ces 10 $ représentent les tarifs douaniers en plus de, dans le contexte du Canada, les salaires, la location de l'espace de vente et d'autres éléments que vous avez mentionnés.

M. Silver : Oui, tout à fait. C'est une combinaison de tous ces facteurs. On en contrôle certains, et dans d'autres cas, on ne les contrôle pas ou on ne devrait pas les contrôler. En faisant passer les tarifs douaniers de 17 à 10 p. 100, l'écart ne serait plus que de 1 $ ou 2 $, ce qui n'inciterait pas les acheteurs à faire du magasinage transfrontalier.

Le sénateur Callbeck : Cela rétrécirait l'écart qui se chiffre présentement à 10 $?

M. Silver : Oui.

Le sénateur Callbeck : Ça permettrait de le réduire dans une si grande mesure?

M. Silver : Oui.

Le sénateur Callbeck : Très bien. Merci.

Le président : Au tour du sénateur Buth du Manitoba.

Le sénateur Buth : Merci, monsieur le président.

Je connais très bien votre compagnie et son emplacement, bien entendu. Monsieur Silver, vous avez dit que vous appuieriez fortement la diminution des tarifs douaniers pour une industrie nationale qui, disons-le, n'existe plus. Connaissez-vous des groupes au sein du secteur du vêtement ou des collègues qui s'opposeraient à l'élimination des tarifs douaniers?

M. Silver : Je ne pense pas qu'il serait raisonnable d'éliminer les tarifs douaniers présentement, surtout que nous les utilisons pour encourager des pays comme le Bangladesh à se développer. Par contre, qui profiterait d'une réduction des tarifs douaniers? Je ne pense pas que quiconque argumenterait. Il existe quelques producteurs nationaux. Je pense notamment aux quelques compagnies qui vendent des jeans à 300 $ la paire. Je ne pense pas que ce dont je vous parle présentement ait des répercussions sur ces compagnies.

Le sénateur Buth : D'accord, très bien.

Le sénateur Marshall : Ma question s'adresse à M. Kirke, mais je vais attendre la deuxième partie de la réunion pour la lui poser.

J'aimerais parler davantage à M. Silver de la différence de prix de 10 $. Si je vous ai bien compris, en faisant passer des tarifs douaniers à 12 p. 100, vous pensez que ça entraînerait des économies d'environ 3 $ sur les 10 $?

M. Silver : Non, je dis que si les tarifs douaniers se situent entre 10 et 12 p. 100, la différence sera de 3 $.

Le sénateur Marshall : Y a-t-il d'autres facteurs qui entrent en ligne de compte? Je sais que d'autres facteurs influencent cette différence de prix de 10 $. Vous avez parlé de certains de ces facteurs, comme le transport, le RPC, les cotisations d'assurance-emploi, l'espace pour la vente au détail, mais y a-t-il un autre facteur influençant cette différence de prix de 10 $ que le gouvernement fédéral pourrait contrôler? D'autres éléments, mis à part les tarifs douaniers dont vous parliez, jouent-ils un rôle?

M. Silver : Je ne pense à aucun autre facteur qui soit aussi simple et aussi bien défini.

Le sénateur Marshall : Vous pensez donc que nous devrions nous concentrer sur les tarifs et que rien d'autre ne joue un rôle?

M. Silver : Oui. Les coûts de fonctionnement à Red Deer et à Los Angeles sont différents, mais on ne peut pas réglementer ces questions, et nous ne devrions pas non plus retirer aux employés canadiens les nombreux avantages qui s'offrent à eux.

Le sénateur Marshall : Des témoins antérieurs nous ont parlé de l'Agence des services frontaliers du Canada, de ses exigences, ainsi que des documents et renseignements qu'on doit lui transmettre. L'agence apporte des changements à son fonctionnement et exige des renseignements supplémentaires. Est-ce que cela a des répercussions sur votre entreprise?

M. Silver : Tout à fait, dans une mesure telle que je n'apporte pas de biens américains au Canada, et ce, même si j'ai un grand entrepôt à Winnipeg. Si nos processus étaient simplifiés et qu'il n'y avait qu'un seul inventaire — je dessers le Canada de Winnipeg et les États-Unis, de Seattle — et si je pouvais desservir tout mon territoire de Winnipeg, ce serait génial. Par contre, les réglementations frontalières sont très complexes et chacune de mes livraisons exigerait un passage aux douanes. Je dépenserais plus d'argent que je n'en épargnerais.

Le sénateur Marshall : Est-ce que ça ferait une différence pour votre entreprise?

M. Silver : Ça ferait une différence pour mon entreprise, mais je ne pense pas que ce serait comparable aux économies qu'on pourrait faire en réduisant les tarifs douaniers.

Le sénateur Marshall : J'aimerais aviser M. Kirke que je vais lui poser une question similaire quant aux services frontaliers et aux effets qu'ils entraînent.

Le président : Il pourrait aussi parler de l'ALENA et des effets du pays d'origine en même temps.

Le sénateur Marshall : Oui, d'accord.

Le sénateur Nancy Ruth : Tout d'abord, monsieur Silver, si j'ai bien compris, les jeans que vous vendez aux États- Unis sont moins chers de 50 cents?

M. Silver : Il s'agit de droits à la frontière qui représentent 50 cents de moins sur ce que je paie.

Le sénateur Nancy Ruth : Oui, 50 sous de moins qu'au Canada.

En vous fiant à votre expérience des autres détaillants de vêtements, les prix d'articles identiques sont-ils toujours plus élevés au Canada qu'aux États-Unis?

M. Silver : Oui.

Le sénateur Nancy Ruth : Divers facteurs créent cette différence, n'est-ce pas?

M. Silver : Oui.

Le sénateur Nancy Ruth : L'inverse se produit-il? Si les prix sont plus élevés aux États-Unis, les forces du marché ramènent-elles les Américains à réduire leurs prix pour être concurrentiels?

M. Silver : Les forces du marché, tant aux États-Unis qu'au Canada, se résument à la nature incroyablement compétitive du milieu du vêtement. Le continent, y compris le Canada, est saturé en commerce de détail. Notre marché du détail est beaucoup trop important, alors nos deux pays essaient de demeurer objectifs.

Le sénateur Nancy Ruth : C'est toujours ainsi?

M. Silver : Rendez-vous à un centre commercial et vous comprendrez ce dont je parle. Rendez-vous au Mall of America de Minneapolis et vous comprendrez ce dont je parle. Rendez-vous à des magasins d'entrepôt. La forte concurrence me pousse à demeurer objectif et à déterminer le prix que les consommateurs paieront.

Le sénateur Nancy Ruth : Merci.

Le sénateur Gerstein : Merci, chers témoins, de comparaître devant nous avec, de surcroît, d'excellents exposés. J'aimerais aussi ajouter que M. Silver a été la première personne au pays à nous avoir dit qu'il désirait comparaître devant nous dans le cadre de notre étude. Je vous félicite.

Notre étude porte sur les différences de prix. Monsieur Silver, M. Kirke a dit dans son exposé que les importations de vêtements ont totalisé 9 milliards de dollars en 2011 et que, de ce montant, 2 milliards de dollars en vêtements sont probablement arrivés au Canada sans être frappés de droits de douane. J'aimerais parler de ces 2 milliards de dollars exempts de droits de douane; à titre de détaillant, pouvez-vous nous dire si des faits portent à croire que la différence de prix sur ces produits, peu importe leur nature, est moindre par rapport aux États-Unis que pour les produits sur lesquels on paie des droits de douane?

M. Silver : Je pense que certains faits le montrent.

Le sénateur Gerstein : Des faits le montrent.

M. Silver : Je pense que les faits le démontrent. J'approvisionne toujours Walmart, mais je le fais de moins en moins parce que c'est frustrant et ce n'est pas valorisant. Tous les vêtements que j'ai vendus à Walmart venaient du Bangladesh. Je puis vous assurer qu'ils coûtaient moins cher que des vêtements comparables aux États-Unis. La guerre ne se disputait pas entre Walmart États-Unis et Walmart Canada, mais plutôt entre Zellers et Walmart pour déterminer qui pouvait offrir les meilleurs prix sur une paire de jeans. Ces jeans se vendaient et se vendent toujours à 14,99 $.

Le sénateur Gerstein : Pourriez-vous être plus précis pour aider le comité? Quels types de produits font partie des 2 milliards de dollars qui sont présentement exempts de droits de douane? S'agit-il de produits qu'on pourrait facilement repérer et sur lesquels on pourrait se concentrer pour comprendre qu'il y a une différence de prix plus ténue sur ces produits par rapport aux produits qui font l'objet de tarifs douaniers?

M. Silver : Je dirais qu'on parle ici de différents types de vêtements, mais votre réponse se trouve dans le pays d'origine et sur les étiquettes qui indiquent « fabriqué au Bangladesh ». C'est surtout de là que les vêtements exempts de tarifs douaniers proviennent. Certains des vêtements viennent des États-Unis et du Mexique en vertu de l'ALENA, mais l'augmentation des exportations du Bangladesh montre que la plupart des vêtements exempts de tarifs douaniers viennent de ce pays. C'est le cas de nombreux jeans chez les détaillants à bas prix ou à prix réduits; c'est aussi le cas de certains lainages chez pratiquement tous les détaillants. Les Canadiens en profitent. J'ai essayé, mais la qualité et les caractéristiques que j'exige pour justifier une paire de jeans se vendant 85 ou 95 $ sont bien plus élevées que ce que le Bangladesh peut actuellement m'offrir. Je vais continuer à travailler avec le Bangladesh, et dans cinq ans je pourrai peut-être y arriver, mais pour l'instant nous avons un problème

Le sénateur Gerstein : Merci. Monsieur Kirke, désirez-vous ajouter quelque chose?

M. Kirke : Si on jette un coup d'œil aux statistiques commerciales, les importations du Bangladesh se chiffrent actuellement, en 2011, à 950 millions de dollars, comparativement à un niveau relativement faible en 2003. Ça représentait probablement 200 millions de dollars à l'époque. Le Bangladesh est le seul pays dont les chiffres augmentent plus rapidement que la Chine.

Le sénateur Gerstein : Ce que je conclus de ce que vous dites, c'est que la différence de prix sur les produits du Bangladesh vendus aux États-Unis et au Canada serait moindre parce que ces biens sont exempts de tarifs douaniers dans les deux pays.

M. Silver : Tout à fait. C'est ce à quoi je m'attendrais.

Le sénateur Gerstein : C'est très informatif.

M. Kirke : Lors de la première audience, des représentants du ministère des Finances, si je ne m'abuse, ont indiqué à raison que les États-Unis ont un programme pour aider les pays les moins développés, programme comparable au nôtre mais beaucoup moins efficace. Le Bangladesh est le pays qui bénéficie le plus du programme, suivi du Cambodge, puis de Madagascar ou d'un autre pays du genre. Les deux grands pays sont le Bangladesh et le Cambodge.

Comme M. Silver l'a dit, ces pays produisent des biens à prix relativement faible qui se retrouvent sur les tablettes. Ces vêtements sont très présents dans des boutiques comme Joe Fresh. Je ne dirais pas que la mode rapide est jetable, mais elle n'a pas une longue durée de vie.

Le sénateur Gerstein : Monsieur le président, si vous me le permettez, j'aimerais dire en guise de conclusion que la compagnie de M. Silver a été fondée en 1921; je pense qu'il est très humble quant à sa capacité à s'adapter qui lui a permis de poursuivre ses activités et d'avoir tout le succès qu'il connaît aujourd'hui.

Je vous en félicite, monsieur.

M. Silver : C'est un perpétuel défi. J'ai répété les mêmes erreurs. J'ai créé un jean pour Victoria Beckham, Sheryl Crow et Calvin Klein, et ça ne s'est jamais bien terminé. J'ai décidé que, à l'avenir, je créerais des jeans en mon propre nom puisque je peux contrôler et faire prospérer mon entreprise et continuer à contribuer à l'économie de notre formidable province et pays.

Le sénateur Finley : Monsieur Kirke, je crois vous avoir entendu dire que si nous décidons de réduire les tarifs douaniers, nous devrions le faire de façon sectorielle et progressive. Est-ce vraiment ce que vous avez dit? Pouvez-vous me dire dans quels secteurs vous aimeriez d'abord voir une réduction de tarifs douaniers et m'expliquer pourquoi?

M. Kirke : Merci de votre question. Les jeans ne se vendent pas comme des uniformes. À titre d'exemple, pour savoir comment on pourrait d'abord diminuer les tarifs douaniers sur un produit de consommation — pas sur les autres, puisque je n'essaie pas de contredire les propos de M. Silver — je peux envisager que certains diront : « Non, attendez un instant. J'ai déjà suffisamment de problèmes. Ma production est déjà assez minée. Je ne veux pas supprimer un tarif douanier de 18 p. 100. »

Est-ce important? Est-ce que c'est l'aspect le plus important de leurs activités? Peut-être pas, mais c'est présent.

Par contre, il existe des catégories générales. Je vous ai donné trois exemples : les soutiens-gorge, les vêtements pour nourrissons et le denim. On pourrait parler d'autres catégories. On veut des produits où la production nationale est minime, où les compagnies qui existent toujours font aussi de l'importation. Il ne s'agit pas seulement de production au pays ou d'importation : de nombreuses compagnies font les deux.

Ce cadre n'existe pas présentement, mais nous pourrions le créer pour déterminer quels secteurs devraient être envisagés ou pas; et à l'intérieur de ces balises, il faudrait trouver un consensus. Je pense que vous constaterez qu'il y a, en général, moins d'opposition à cette idée que par le passé. Il faudrait cibler des produits qui ne sont pas liés aux fabricants d'uniformes, parce qu'une grande part de notre production nationale est maintenant axée sur les marchés institutionnels et de l'uniforme.

C'est une façon de réduire les impacts, c'est-à-dire de mettre l'accent sur ce qui touche les consommateurs tout en réduisant les répercussions sur les producteurs intérieurs qui restent.

Le sénateur Finley : J'imagine que la réponse finale que je voulais obtenir est la suivante : si nous avons un nombre de X milliers d'employés toujours dans ce secteur et que nous décidions ou recommandions que tous les tarifs sur les vêtements importés soient éliminés, eh bien, quelles seraient les répercussions sur les emplois dans les villes que nous avons mentionnées plus tôt dans notre conversation, si la recommandation visait uniquement à éliminer l'ensemble des tarifs?

M. Kirke : Laissez-moi vous présenter de l'information tout à fait contradictoire.

La marque canadienne la plus populaire, probablement de tous les temps, est Canada Goose. Cette marque a du succès non pas en raison des tarifs, mais plutôt parce qu'il s'agit d'une entreprise très innovatrice. Pour les Canada Goose du monde — et il y en a quelques-unes — je ne pense pas que cela aurait une conséquence importante, parce que ces entreprises sont dans un monde à part et qu'elles font exactement ce que fait M. Silver, sauf qu'elles le font au moyen d'une production canadienne, ce qui est excellent. Toutefois, il y en a d'autres que cela touchera, et cela ne fait aucun doute. Quel pourcentage de la réduction de 30 ou 35 sera affecté, je ne le sais pas. Il s'agit de pures conjonctures de notre part.

Certaines entreprises produisent au Canada, mais elles importent également 80 p. 100 de leurs biens de Chine. La production qu'elles font ici a un roulement rapide. Par conséquent, peu leur importe si tout d'un coup leurs importations sont réduites, elles s'en tireront tout de même. Toutefois, il y a quand même les producteurs qui font tout au Canada qui seraient touchés. Peut-être que la moitié de ces emplois serait à risque.

Le sénateur Finley : Cela pourrait représenter un nombre considérable de personnes.

M. Kirke : Voilà le genre de chiffres qu'il faudra trouver en quelque sorte.

Le sénateur Marshall : Monsieur Kirke, j'ai mentionné plus tôt l'Agence des services frontaliers du Canada. J'ai remarqué que sur votre site web, vous vous êtes engagés activement ou bien vous avez des discussions actives avec le ministère des Finances sur la question des tarifs. Votre site web mentionne également d'autres questions comme l'étiquetage, l'innocuité des produits et la divulgation des produits.

Nous avons reçu un certain nombre de témoins qui nous ont parlé des exigences réglementaires de l'ASFC. Quelques témoins nous ont indiqué que des changements étaient éminents ou qu'ils allaient avoir lieu et qu'ils ne souhaitaient pas leur mise en œuvre parce que cela ajouterait des coûts à leur entreprise. Est-ce que cela pose problème pour vos membres? Le cas échéant, s'agit-il d'un problème important?

M. Kirke : Oui. Je ne sais pas comment en quelque sorte retourner en arrière. Nous faisons face à des problèmes très particuliers. J'ai parlé plus tôt de l'inflammabilité. Il s'agit d'un problème très pointu pour ce qui est de certaines personnes. Il y a les normes pour les vêtements de nuit des enfants : la manchette est-elle de cette dimension ou plutôt de celle-ci? Voilà le genre de choses qui se traduit par des rappels.

Toutes les questions réglementaires sont des désastres potentiels pour les entreprises importatrices, parce qu'elles doivent retirer des produits du marché pour respecter ces rappels. Il se peut que ce ne soit pas un problème important.

Lorsqu'il s'agit des douanes, on voit plus ou moins le même genre de choses. L'un des problèmes auxquels doivent faire face les Canadiens, c'est que les entreprises américaines sont devenues des chefs de file en matière de chaînes d'approvisionnement. Elles peuvent gérer n'importe quoi. Ce sont les entreprises canadiennes qui ont tendance à en souffrir.

Il y a des exigences réglementaires aux États-Unis qui sont vraiment extrêmement strictes. Il existe des personnes dont le travail consiste à offrir des conseils sur la conformité, dans une entreprise de renom américaine. Le travail de cette personne ne consiste qu'à assurer la conformité auprès des douanes américaines.

Les douanes américaines ont placé la barre haute, et l'ASFC se dirige en quelque sorte dans la même direction. D'abord, je pense que c'est tout un défi pour bon nombre d'entreprises que de comprendre la réglementation. Nous ne disposons pas des spécialistes dont jouissent les Américains.

En outre, il y a 15 ou 20 ans, les douanes américaines se sont modernisées, décidant de ne pas vérifier chaque conteneur, mais d'imposer de lourdes pénalités lorsqu'une infraction est décelée.

Elles ont adopté une approche de gestion des risques. En gros, elles font du profilage et ciblent certaines choses, notamment les vêtements parce qu'ils sont fortement taxés. Si vous ne payez pas les droits appropriés, les douanes peuvent recouvrer des montants considérables.

Revenons au scénario canadien. Effectivement, l'ASFC met en place de nouveaux programmes, tels que celui du Manifeste électronique. Vous avez entendu le point de vue d'importateurs et d'exportateurs. Vous savez qu'on s'inquiète beaucoup de la rapidité avec laquelle on procède. Les douanes américaines ont mis 15 ou 20 ans à le faire, mais ici on y va à fond de train. A-t-on les effectifs nécessaires pour gérer une telle mise en œuvre? Il convient de se poser des questions, effectivement, puisque l'ASFC procède très rapidement. Par surcroît, les entreprises canadiennes, de façon générale, ne sont pas aussi prêtes à faire face à ce changement que certaines entreprises américaines.

Finalement — et c'est un peu hors sujet, mais il est question de l'industrie —, puisque nous avons un taux de droits de douane très élevé, en ce qui concerne les pays les moins avancés, si on est admissible au programme, le taux est de zéro; sinon, il est de 18.

Devinez où l'ASFC fait des vérifications? Elle examine minutieusement ses importations. Pendant les premières années, l'importation se faisait en grand. Puis, trois ans plus tard, l'ASFC s'est mise à demander — et c'est tout à fait son droit — : « Pourriez-vous nous dire d'où vient le fil utilisé dans la fabrication du tissu produit en février 2004 et dédouané à la frontière canadienne en avril? Vous avez dit qu'aucun taux de droit ne s'appliquait, mais si vous n'êtes pas admissibles, nous voudrions toucher ces droits. »

Malgré tout — et cela fait partie de ce qu'on appelle les accords commerciaux viables —, il est plutôt difficile, trois ans plus tard, de contacter un sous-traitant au Bangladesh pour lui demander d'où venait le fil ayant servi à fabriquer le tissu produit en Chine et exporté au Bangladesh pour en faire des vêtements. C'est pourtant ce qu'on demande. Lorsque vous êtes dans un domaine où le taux de droits de douane est élevé, vous devenez une cible. Cela n'a rien à voir avec le Manifeste électronique et les autres programmes généraux de l'ASFC, mais il n'en demeure par moins que c'est un obstacle énorme.

Le sénateur Marshall : Puisqu'il est question des inégalités entre les prix de certains articles vendus au Canada et aux États-Unis, pourriez-vous me dire si la question des services frontaliers y contribue? Est-ce que cela contribue à créer des inégalités?

M. Kirke : Non, c'est un problème en soi.

Le président : Monsieur Silver, auriez-vous quelque chose à ajouter?

M. Silver : Je pense que les réductions tarifaires, de façon générale, sont inévitables. Tout a commencé lors du cycle d'Uruguay, et ça se poursuit. C'est une question de temps et de moyens. Je crois qu'il est grand temps que le Canada prenne les rênes de sa destinée et n'attende pas que les États-Unis ou qu'un autre pays décide de ce qui se produira. Certains se plaindront, mais je considère que le mal serait déjà fait. On l'a vu du côté du textile, et cela se produira également du côté des vêtements. La production se fera, dans le monde, là où c'est logique. Dans 20 ans, peut-être qu'il sera plus coûteux de la faire en Chine. Est-ce que la production reviendra au Canada? C'est peu probable. Elle sera probablement déménagée au Vietnam ou en Afrique. Les vêtements sont une des rares denrées à avoir contribué à l'industrialisation des pays partout dans le monde. Cela a toujours été un outil à cette fin, et les choses demeureront ainsi. Il y a de meilleurs moyens de faire prospérer une nation que d'essayer de prendre des mesures après coup, alors que le mal est déjà fait.

Le président : Là-dessus, je crois que nous devrions clore cette partie de la séance. Monsieur Robert Silver, président de Western Glove Works, merci beaucoup d'être venu nous rencontrer. Votre participation aux travaux de notre comité est inestimable, et nous sommes heureux d'avoir pu trouver le temps de vous rencontrer.

M. Silver : Je vous remercie également. C'était soit les îles Turks et Caicos, soit cette rencontre.

Le président : Monsieur Kirke, si nous avons bien compris, vous pouvez rester pour la deuxième partie de la séance.

[Français]

Ce matin, nous continuons notre étude spéciale sur les raisons pouvant expliquer les inégalités entre les prix de certains articles vendus au Canada et aux États-Unis.

[Traduction]

Nous sommes très heureux d'accueillir notre deuxième groupe de témoins ce matin : Oliver Morante, premier dirigeant, John Forsyth Shirt Company Ltd.; Susana Stroll, présidente, Tess Sportswear Ltd. et Les Modes Sportives Valia Ltée; et René St-Amant, président, Empire Shirt. Et nous accueillons finalement encore une fois M. Kirke, directeur exécutif de la Fédération canadienne du vêtement, qui a comparu avec le groupe précédent.

Je crois que chacun d'entre vous va faire une déclaration préliminaire, alors je vous invite à commencer.

Oliver Morante, premier dirigeant, John Forsyth Shirt Company Ltd., à titre personnel : Je vous remercie de me permettre de prendre la parole au nom de mes 250 associés à la John Forsyth Shirt Company Ltd. La John Forsyth Shirt Company Ltd. fabrique des chemises dans la région de Cambridge et de Kitchener depuis 1903, soit depuis plus de 100 ans. À l'heure actuelle, nous fabriquons environ 500 000 chemises au Canada, ce qui représente environ 25 p. 100 de nos ventes annuelles. Le reste est importé.

Nous vendons des chemises au Canada et aux États-Unis et nous avons une liste de clients extrêmement diversifiés. Les employés qui servent le café chez Tim Hortons portent nos chemises. Selon le mandat de la société Tim Hortons, tous les uniformes de leurs employés doivent être encore fabriqués au Canada. On retrouve également nos produits tant chez Sears que chez Harry Rosen. Nous vendons environ 50 p. 100 de nos produits au Canada et 50 p. 100 aux États-Unis.

Notre chiffre d'affaires s'élève à environ 35 millions de dollars. Aux États-Unis, nous vendons aux gros détaillants comme Belk et Lord & Taylor, et nous estimons qu'il est nécessaire d'avoir une vaste gamme de clients si nous voulons survivre pendant plus de 100 ans. Nous avons une équipe de créateurs très novateurs et une main-d'œuvre très spécialisée à Cambridge. Avant de devenir premier ministre, M. Harper a visité nos installations il y a six ou sept ans. Il s'est même assis devant une de nos machines pour essayer de faire une couture en ligne droite, et il a mentionné combien cela était difficile.

Nous sommes extrêmement fiers de la qualité des produits fabriqués par nos associés jour après jour. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous sommes concurrentiels sur le marché mondial.

Nos associés ont environ 20 ans d'ancienneté. Il n'est pas inhabituel de trouver dans nos usines des employés qui ont plus de 30 ans d'ancienneté. Les produits que nous fabriquons sont visés par le Décret de remise des droits de douane sur les chemises à col façonné. Ce programme a été créé en 1988 lorsque les accords de libre-échange ont été négociés avec les États-Unis pour nous aider à faire une transition vers un marché de libre-échange et pour s'assurer que les règles du jeu étaient équitables. Depuis 1988, le programme a été prolongé à trois reprises, et ce, pour différentes raisons à différents moments.

La première fois qu'il a été prolongé, le Canada donnait accès au libre-échange à des pays comme le Bangladesh où il y a un solide secteur des vêtements et qui est producteur à faible coût. La fois suivante, encore une fois le Canada négociait des accords de libre-échange avec d'autres pays, ce qui, encore une fois, a déséquilibré les règles du jeu en faveur de nos concurrents. Le Canada continue de conclure des accords de libre-échange avec de nombreux pays, ce que nous appuyons. Cependant, encore une fois, cela déséquilibre les règles du jeu au détriment des fabricants canadiens.

Nous sommes heureux que le ministère ait fait du bon travail en éliminant les tarifs douaniers sur les étoffes finies. Cette mesure a été utile, mais il ne s'agit que d'une partie de la solution. Si les manufacturiers ne fabriquent plus au Canada, tout le travail a été fait en vain parce qu'il ne reste plus personne pour découper le produit ici.

Alors que le gouvernement va de l'avant avec des allégements tarifaires pour les vêtements finis, comme M. Silver l'a indiqué dans son exposé, il est encore plus important d'élargir le Régime de remise de droits, parce qu'il garantit aux manufacturiers du pays des chances égales.

Le secteur manufacturier canadien — et M. Silver en a parlé brièvement auparavant — a des obstacles uniques à surmonter. Le Canada compte une petite population et une grande étendue géographique. Les salaires minimums ont tendance à être plus élevés, les loyers sont plus chers et nos coûts ont tendance à être plus élevés qu'aux États-Unis. Encore une fois, cela nous désavantage du point de vue concurrentiel. Pour offrir des chances égales à tous, le Régime de remise de droits s'applique à tous nos coûts nationaux. Cela a permis de faire baisser nos coûts nationaux ainsi que nos coûts pour nos clients et, ensuite, le consommateur bénéficie de ces coûts. Si le programme n'est pas élargi, les coûts vont augmenter; on ne peut pas y échapper. Si le Régime de remise de droits n'est pas prolongé pour au moins sept ans, l'existence de notre entreprise sera menacée — il s'agit d'une entreprise qui figure dans le paysage canadien depuis plus de 100 ans.

Sans cette aide du gouvernement, je ne vois pas comment nous pourrions conserver nos employés de la fabrication. Tout ce que nous demandons, ce sont des chances égales. C'est tout ce qu'a permis d'obtenir le régime au cours des années. À la John Forsyth Shirt Company Ltd., nous sommes un groupe de travailleurs acharnés et appliqués. Nous affrontons le monde depuis 100 ans, mais nous avons besoin de votre aide pour conserver des règles du jeu équitables. C'est exactement ce que fait le Régime de remise de droits. Je suis d'accord avec M. Silver : il n'existe pas une solution unique pour tout notre secteur. Les allégements tarifaires peuvent être la réponse pour l'industrie du denim ou pour d'autres entreprises, mais la remise de droits répond aux préoccupations d'un groupe de fabricants du pays.

Nous avons confiance; avec votre appui, nous conserverons cet important programme. Il s'agit d'une façon de faire baisser les droits. Nous sommes prêts à présenter nos propositions au ministère des Finances. Je vous remercie de votre temps et je suis prêt à répondre à vos questions.

Le président : Je pense qu'il pourrait y avoir des questions supplémentaires sur la façon dont ça fonctionne, mais tout d'abord, entendons les autres témoins.

Susana Stroll, présidente, Tess Sportswear Ltd. et Les Modes Sportives Valia Ltée, à titre personnel : Bonjour à tous. Je suis aussi heureuse d'être ici pour vous parler de nous et de ce que nous faisons, ainsi que pour vous expliquer nos besoins.

Contrairement à mes collègues ici-présents, nous sommes des fabricants entièrement canadiens. Nous fabriquons tous nos produits au Canada. Nous sommes extrêmement fiers de dire que notre produit est canadien. J'ai amené des vêtements pour vous montrer ce que nous fabriquons, afin que voyez ce que signifie « fabriqué au Canada ». Nous imprimons un drapeau canadien sur chaque étiquette — vous les verrez. Les gens l'apprécient beaucoup.

Nous aimerions vous dire que pour survivre dans cet environnement d'importation et de défis, nous faisons de la magie chaque jour. Au cours des années, nous nous sommes réorientés et nous avons changé notre gamme de produits. Nous ne nous sommes jamais défaits de la certitude qu'à titre de Canadiens, nous devrions être des concepteurs et des producteurs et nous devrions fabriquer nos produits ici, pas simplement devenir des consommateurs. Nous nous sommes taillés un petit créneau. Nous offrons des articles de mode, et nous avons des cycles courts d'environ trois ou quatre semaines. Pour ce faire, nous devons créer une gamme entièrement nouvelle toutes les quatre semaines, ce qui constitue un travail énorme, tout le monde en conviendra sûrement.

Nos produits s'adressent à une consommatrice avertie qui a entre 18 et 30 ans. Elle a toujours cherché les meilleurs prix et est fière de trouver et de porter des vêtements achetés à prix d'aubaine. Cela lui procure encore plus de plaisir. Elle consulte Internet et est bien renseignée sur le prix d'à peu près tout. Vous aurez peut-être peine à le croire, mais notre prix arrondi moyen est de 5 $ au prix du gros. Si je vous montrais les vêtements que nous fabriquons, dont des pantalons, des jupes, des chemisiers, des hauts et des robes, vous seriez étonnés de leur rapport qualité-prix. Voilà ce que souhaite la clientèle, car le prix 9,99 $ a encore un effet magique.

Notre entreprise compte une trentaine d'emplois directs. Notre masse salariale dépasse le million de dollars, et nos employés sont donc bien rémunérés. Certaines de nos employées travaillent pour nous depuis plus de 25 ans. La plupart d'entre elles ont plus de 50 ans et ne pourraient pas trouver un emploi ailleurs au même salaire.

Nous faisons faire tout notre travail de coupe et de couture en sous-traitance. Cela représente de 2 000 à 3 000 emplois indirects de plus. Nous achetons des produits de fournisseurs de tissus, de boutons et de fusion. Les fournisseurs de tous les articles qui entrent dans la fabrication d'un vêtement dépendent de nous parce que nous sommes le plus important fabricant de notre secteur et de notre région.

Nos collègues ont parlé des vêtements importés en franchise de douanes du Bangladesh. Nous devons constamment livrer concurrence à ces produits et à ces prix. Environ 25 p. 100 de la marchandise que nous fabriquons est vendue au Canada, et le reste est exporté aux États-Unis. Évidemment, l'appréciation du dollar a beaucoup nui à notre chiffre d'affaires et à nos bénéfices.

Nous invitons souvent des gens, notamment les étudiants d'écoles de mode, à visiter nos usines parce que nous sommes des fabricants de vêtements et qu'il n'en reste pas beaucoup. Ces jeunes devraient voir comment on fabrique les vêtements sans avoir à aller ailleurs.

Notre gouvernement se montre généreux envers le reste du monde, et nous avons besoin de lui aujourd'hui. Il faut maintenir ce tarif préférentiel pour nous, sinon nous serons forcés d'augmenter nos prix, ce qui risque de faire perdre des emplois. Il est indispensable pour nous qu'on prolonge pendant longtemps cette remise de droits de douane. Cela nous permettra de trouver le moyen de continuer à prospérer et fabriquer nos produits au Québec.

Merci. J'aimerais vous montrer nos vêtements après la réunion.

Le président : Oui. Il sera peut-être difficile de le faire tout de suite, mais nous resterons après la réunion et regarderons ces articles.

[Français]

Monsieur St-Amant de Trois-Rivières, vous avez la parole.

René St-Amant, président, Chemise Empire, à titre personnel : J'aimerais tout d'abord vous remercier. C'est un privilège pour moi et un honneur de représenter Chemise Empire ce matin. C'est la première fois que j'ai l'occasion de vous rencontrer. Je vous remercie de l'opportunité que vous m'offrez de présenter notre compagnie centenaire et de vous parler de la nécessité de reconduire le décret des remises de droits de douane sur les chemises à cols façonnés.

Chemise Empire est une entreprise familiale de quatrième génération incorporée en 1894. Nous sommes juste un peu plus vieux que la compagnie Forsyth. Nous sommes situés à Louiseville dans le comté de Maskinongé. Nous sommes manufacturiers et maintenant aussi importateur de chemises d'uniformes, principalement au Québec et au Canada.

Par la force des choses, nous avons dû nous tourner vers l'importation pour répondre à la demande pour des chemises à plus bas prix et également pour supporter notre production canadienne, qui est beaucoup moins rentable que celle que nous importons. Cette production domestique est nécessaire dans plusieurs contrats. Nous fabriquons des chemises pour l'armée canadienne, la GRC, la police d'Ottawa, l'OPP, VIA Rail, Postes Canada, Service correctionnel. Ce sont toutes des chemises d'uniforme. Avec ses 110 employés, Chemise Empire est l'entreprise manufacturière la plus ancienne en Amérique du Nord et même au monde, qui confectionne toujours des chemises au même endroit. Le salaire de nos employés, en moyenne, est d'environ 15 $ l'heure. C'est bien différent de ce qui se passe dans d'autres pays. Les employés sont majoritairement de la région de Louiseville. Ils participent activement à l'économie de cette ville.

Au début des années 1980, le gouvernement canadien mettait en place un système de remise de droits de douanes sur les chemises à col façonné afin d'aider les entreprises de confection canadienne dans le domaine du vêtement. À cette époque, les montants annuels étaient octroyés en fonction des tissus et aussi de la confection canadienne. Ces règles ont été quelque peu modifiées en cours de route afin de faciliter la gestion de ce programme. Ce dernier a été reconduit, en 1997, pour sept ans. En 2004, un doute régnait dans le secteur quant à la reconduction du programme. Plusieurs usines ont dû fermer leurs portes durant cette période. Ce n'est qu'en novembre 2004 que nous avons appris, à Chemise Empire, avec soulagement, la décision de sa reconduction pour un autre sept ans, ce qui nous amène à 2012. Encore une fois, le doute persiste et l'insécurité s'installe dans le secteur.

Il faut comprendre que ce programme est essentiel. Il nous permet de garder notre production canadienne. Il nous aide à faire face à la concurrence, qui est vraiment féroce. Il nous aide aussi à concurrencer tous ces pays qui, présentement, grâce aux accords de libre-échange, peuvent faire entrer leurs produits au Canada sans douane. Ce programme nous aide surtout à garder les emplois dans notre région. Il faut demeurer compétitif et avoir des prix agressifs pour notre clientèle car pour plusieurs soumissions seuls les prix comptent. C'est le cas pour nos municipalités et pour les instances gouvernementales. Nous devons, dans ces cas, nous battre contre des importateurs, ce qui rend notre tâche doublement difficile.

En résumé, la mise en place de ce programme, dans les années 1980, a permis à notre entreprise de continuer de produire des chemises à Louiseville et de maintenir 110 emplois. Si le programme n'est pas reconduit, nous serons forcés de mettre à pied des employés.

J'ai personnellement à cœur ma contribution au développement économique et social de notre région et nous ferons tous les efforts possibles pour assurer le maintien de ces emplois. Si mon beau-père était ici aujourd'hui, je suis sûr qu'il serait fier de voir que j'ai à cœur son entreprise qu'il m'a léguée il y a déjà 13 ans.

En tant que représentant de la quatrième génération, et je dirais aussi au nom de mes quatre enfants qui peut-être un jour prendront la relève de cette entreprise, je vous remercie du temps que vous m'avez accordé. J'ose espérer que ces arguments, de ma part et de mes collègues, feront en sorte que vous pourrez reconduire ce programme qui nous est si cher.

Le président : Merci, monsieur St-Amant. Nous allons commencer avec les sénateurs qui ont des questions à poser. Nous commencerons avec le sénateur Finley.

[Traduction]

Le président : Le sénateur Finley est originaire de la côte sud de l'Ontario.

Le sénateur Finley : J'aimerais poser quelques questions à Mme Stroll.

Vous créez des vêtements en assemblant beaucoup de composantes. Achetez-vous certaines d'entre elles dans d'autres pays?

Mme Stroll : La plupart de nos activités de fabrication, ainsi que le tissu pour nos vêtements, et presque tout, se fait à l'étranger. Il s'agit de tissus importés même si nous l'achetons aux États-Unis. Rien n'est fabriqué au Canada; à l'occasion, certaines choses sont fabriquées aux États-Unis, mais la plupart de nos produits sont fabriqués en Chine.

Le sénateur Finley : Monsieur St-Amant, avez-vous bien dit que vous versez un salaire d'environ 20 $ de l'heure?

M. St-Amant : J'ai plutôt dit 15 $.

Le sénateur Finley : Et votre taux salarial est à peu près équivalent?

Mme Stroll : Nous payons à peu près le même salaire. Nous avons davantage d'employés salariés à la semaine ou au mois, mais nos salaires sont à peu près les mêmes ou un peu plus élevés que cela.

Le sénateur Finley : Monsieur Kirke, savez-vous quel salaire ou taux salarial est payé au Bangladesh?

M. Kirke : Beaucoup plus bas. Il y a une firme de consultants qui étudie les taux salariaux dans tous les pays du monde. Cette année, je leur ai demandé d'avoir leur étude mais elle n'est pas encore terminée.

M. Morante : D'après les derniers chiffres que j'ai entendus, ce serait environ 200 $ par mois.

Le sénateur Finley : Probablement beaucoup moins que 15 $ de l'heure.

M. Morante : Le salaire moyen est d'environ 17 $ pour nos couturières. Le salaire de départ est 13 $ et il peut augmenter jusqu'à 20 $ou 22 $, selon l'efficacité de l'employée.

Le sénateur Finley : Ce salaire de 15 à 17 $ se compare à environ 1,50 $ au Bangladesh, ou encore moins?

M. Kirke : Effectivement.

Le sénateur Finley : Madame Stroll, vous avez déclaré qu'il faut maintenir un tarif préférentiel de 17 ou 18 p. 100. Évidemment, ce n'est pas seulement pour protéger vos employés; cela doit présenter d'autres avantages. Si l'employé au Bangladesh est payé 1,50 $ pour fabriquer un vêtement et que vous devez produire le même vêtement en payant un salaire de 15 $ de l'heure, cela représente beaucoup plus que 18 p. 100.

Mme Stroll : Nous avons un avantage énorme : nous pouvons livrer ce vêtement au magasin de détail dans un délai de trois à quatre semaines. Le détaillant pourra peut-être payer le supplément d'un ou deux dollars. Mais la semaine suivante, ce vêtement ne nous appartiendra plus et nous devons en créer de nouveaux. Nous suivons toujours de près la mode, ce qui nous permet de demander un ou deux dollars de plus. Voilà la différence. Évidemment, nous sommes bien moins loin des États-Unis ou des détaillants canadiens que les fabricants au Bangladesh, même si le Canada est un vaste pays.

Le sénateur Finley : Mais vous ne protégez pas seulement l'écart salarial de votre main-d'œuvre?

Mme Stroll : Quand j'ai dit que nous sommes de véritables magiciens, je veux dire que nous sommes des gens extrêmement compétents. Nous pouvons réduire nos coûts partout et faire des économies. Cela n'est qu'une façon de nous aider à maintenir notre part du marché.

Le sénateur Finley : Félicitations.

Mme Stroll : Merci.

Le sénateur Finley : Monsieur Morante, en ce qui concerne la remise de droits de douane sur les chemises à col façonné, que vous avez mentionnée, y a-t-il d'autres genres de remises?

M. Morante : Oui. Il y en a pour les chemisiers tailleurs et les vêtements de dessus.

Le sénateur Finley : Comme les complets?

M. Morante : Non. Comme les manteaux d'hiver. Je pense que ce sont les trois seuls articles.

Le sénateur Finley : Pourriez-vous nous expliquer comment fonctionne cette remise?

M. Morante : Cette remise nous permet d'importer un vêtement en franchise de douane. À la dernière étape, un montant est attribué à votre entreprise, en fonction des niveaux de production qui existaient lorsque le tarif a été établi en 1988. J'ai le droit d'importer un vêtement en franchise de douane. Par exemple, si j'ai une remise de 500 000 $, je peux déduire ce montant de mes coûts intérieurs et donc les abaisser de 500 000 $. Voilà ce que fait mon entreprise. D'autres entreprises peuvent s'en servir autrement, mais la remise ne permet d'importer sans payer de droits de douane pour des articles d'une valeur jusqu'à concurrence de 500 000 $.

Le sénateur Finley : C'est une exemption de douane, autrement dit. C'est ce que je croyais.

M. Morante : Quand le programme a été créé en 1988, c'était pour aider les entreprises comme celle de M. Silver : celles qui fabriquaient des chemises et des vêtements de dessus. Elles visaient essentiellement à faciliter la transition pour les fabricants canadiens, dont la plupart étaient aussi des importateurs. C'est ce que nous avons toujours été si bien que nous avons pu profiter de cette exemption de droits de douane sur les biens que nous importions, mais c'était avant que les marchandises fabriquées dans des pays comme le Bangladesh soient exemptées de droits de douane.

Le sénateur Finley : J'ai une dernière question. Sauf erreur, vous avez dit que vous auriez besoin de cette remise pendant au moins sept ans.

M. Morante : Effectivement.

Le sénateur Finley : Pourquoi sept ans? Je sais que vous devriez faire des ajustements, mais quel genre de mesures devriez-vous prendre si cette remise disparaissait? Est-ce que vous devriez déménager vos activités à l'étranger?

M. Morante : Si on supprime la remise de droits de douane, nous cesserons nos activités de fabrication au Canada. Nous ne serons tout simplement plus capables de soutenir la concurrence.

Le sénateur Finley : Cette période de sept ans vous permettrait de trouver une stratégie de sortie, j'imagine?

M. Morante : Peut-être. Nous souhaiterions que la prolongation soit plus longue, mais sept ans nous permettraient de faire la transition à la prochaine étape?

Le sénateur Finley : Merci.

Le président : Merci, sénateur Finley. Madame Stroll, payez-vous des droits de douane sur le tissu que vous importez pour fabriquer des vêtements?

Mme Stroll : La plupart des tissus sont importés en franchises de douane. Certains tissus sont assujettis à un tarif de 3 ou 4 p. 100. Pour soutenir davantage nos fournisseurs au Canada, nous essayons d'importer ces tissus par l'entremise de sous-traitants; ils paient donc certains droits.

Le président : Ne bénéficiez-vous pas de l'exonération de droits dont ont parlé M. St-Amant et M. Morante, sur les tissus que vous importez?

Mme Stroll : Nous importons la plupart de nos tissus en franchises, grâce à un changement survenu au cours des dernières années. M. Kirke pourrait sans doute vous dire depuis quand exactement. Certains tissus sont assujettis à des droits moins élevés que les 15 et 17 p. 100 qui ont déjà existé. Je crois que nous payons de 3 à 4 p. 100 de douane. C'est minime.

Le président : Merci.

Le sénateur Buth : J'ai des questions au sujet de quelque chose que vous avez mentionné, monsieur Kirke. M. St- Amant a également abordé cette question. Pourquoi fabrique-t-on surtout des uniformes au Canada? Est-ce parce que la GRC, par exemple, est tenue d'acheter les produits canadiens?

M. St-Amant : Le seul cas où il est obligatoire que les chemises soient fabriquées au Canada, c'est pour la GRC. C'est le seul contrat où cette exigence existe.

Dans les autres cas, par exemple celui de la police d'Ottawa, nous fabriquons les chemises à Louiseville et nous en importons aussi. Il me serait tout à fait impossible de soutenir la concurrence des importateurs si je n'importais pas moi-même certaines chemises. Nous avons réussi à garder nos 115 à 120 employés au cours des 20 dernières années parce que nous importons de plus en plus pour soutenir notre production intérieure.

M. Kirke : Nous avons aussi des contrats liés à une préférence officieuse pour les produits locaux, à cause des syndicats ou d'autres choses.

Le sénateur Buth : Très bien. Pour revenir à la remise de droits de douane, vous avez indiqué qu'elle s'applique aux chemises à col façonné, aux chemisiers et aux vêtements d'hiver.

M. Kirke : Aux vêtements de sport aussi.

Le sénateur Buth : Combien d'entreprises profitent de cette mesure? Est-ce qu'elles se répercutent sur l'écart des prix entre le Canada et les États-Unis?

M. Kirke : Je crois que l'année dernière, de 65 à 70 compagnies participaient au programme. C'est un programme de longue date auquel participent des entreprises qui existaient lors de sa création; de nombreuses compagnies pourraient donc y participer. Toutefois, certaines d'entre elles se sont restructurées ou ont changé leurs activités.

Je pense qu'il s'agit de 65 à 70 entreprises en tout.

Le sénateur Buth : Est-ce que cela influence les prix pratiqués au Canada et aux États-Unis, à votre avis?

M. Kirke : Comme les participants l'ont dit, cela réduit leurs coûts.

Le sénateur Buth : Très bien.

M. Kirke : Alors oui.

M. Morante : Oui.

M. Kirke : Qu'il y ait ou non une disparité, elles sont capables d'offrir des prix plus bas ici parce qu'elles participent à ces programmes.

Le sénateur Buth : Pourriez-vous décrire l'écart entre les prix de vos produits au Canada et aux États-Unis?

M. Morante : Nous avons vu la situation dans les deux pays. Nous vendons à peu près au même prix au Canada et aux États-Unis les produits fabriqués au Canada. Il en va de même pour nos importations. Il n'y a pas un grand écart de prix dans notre prix de vente pour ces produits. Ce serait un écart maximal de 1 $ pour, par exemple, un produit vendu à 25 $.

Le sénateur Buth : Madame Stroll?

Mme Stroll : Aujourd'hui, nous vendons nos produits au même prix au Canada et aux États-Unis. Il n'y a aucune différence. En ce qui concerne nos concurrents, il faut savoir que les Canadiens ont beaucoup tendance à acheter sur le marché américain. Nous devons donc faire mieux que nos concurrents. Bien sûr, il y a beaucoup plus de produits importés des États-Unis que de produits canadiens exportés vers les États-Unis. À mon avis, cela ne dépend pas seulement des prix, mais aussi du fait que les produits sont à la mode. Je ne pense pas que cela ait un effet important sur nous.

Le sénateur Buth : Très bien.

M. St- Amant : Nous ne vendons nos produits aux États-Unis, mais quand nous le faisions, les prix étaient comparables. À l'heure actuelle, nous n'en vendons plus aux États-Unis.

Le sénateur Peterson : Merci pour vos exposés. Je crois comprendre de vos témoignages que vous avez surmonté les difficultés que représentait la parité entre le dollar canadien et le dollar américain. Est-ce qu'il ne faudrait pas alors se demander si les exonérations de droits de douane sont indispensables pour maintenir l'équilibre? Voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Morante : Permettez-moi de commenter la première partie de votre intervention. Lorsque le dollar canadien était faible par rapport au dollar américain, disons il y a 10 ans, nous exportions beaucoup plus aux États-Unis qu'aujourd'hui, mais c'était strictement à cause de l'écart entre nos deux monnaies. Pour répondre à votre deuxième question, nous avons besoin aujourd'hui de cette exonération des droits de douane pour soutenir la concurrence. Autrement, il ne sera plus possible pour nous d'être compétitifs.

Mme Stroll : Je pense que nous ne savions pas combien nous étions chanceux voilà 10 ans quand le dollar était plus faible. L'appréciation du dollar nous a fait mal, et naturellement, elle a réduit nos marges bénéficiaires. Nous avons besoin de cette remise de droits de douane pour nous aider à trouver les nouveaux moyens d'être prospères en tant que fabricants canadiens.

Le sénateur Peterson : Il était donc louable pour nous d'essayer d'aider les pays en développement dans le cadre de l'Accord de libre-échange. Nous l'avons fait et nous le faisons encore, mais je crois que nous avons aussi le devoir de soutenir l'industrie canadienne. Cela dit, je crois que la remise des droits de douane devrait devenir permanente plutôt que...

Mme Stroll : Comme en Saskatchewan, province que nous aimons beaucoup.

M. Morante : Oui, nous aimons ce mécanisme.

M. St- Amant : Absolument.

M. Morante : C'est ce que nous préconisons depuis 25 ans, mais le gouvernement hésite à le faire. Voilà la situation.

Le sénateur Peterson : Oui, mais c'est malheureux. Nous pourrions peut-être le mentionner dans notre rapport et recommander de telles mesures. Merci.

Le président : Existe-t-il des accords internationaux qui empêcheraient le gouvernement de rendre cette remise permanente?

M. Kirke : Depuis l'ALENA, ce programme ne peut être renouvelé que d'une façon précise et il l'a déjà été deux ou trois fois.

M. Morante : Trois fois, je crois.

M. Kirke : Il n'y a donc aucun problème sur ce plan et je crois que la dernière fois, c'est exactement ce qui a été indiqué dans l'avis publié dans la Gazette du Canada. Il n'y a aucun empêchement.

Le président : La remise de droits sur les produits fabriqués au Bengladesh est nulle et les négociations du cycle de Doha aboutiront à la réduction de tous les tarifs douaniers. Même si cette remise était pérennisée, elle disparaîtrait de façon permanente au fur et à mesure...

M. Morante : Vous avez raison. Elle disparaîtra effectivement un jour.

Le président : Merci.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Bienvenue à tous. Mes questions vont porter sur la main-d'œuvre, puisque l'emploi est la première chose qui intéresse les politiciens. Est-ce que vos entreprises sont syndiquées?

M. St-Amant : La nôtre n'est pas syndiquée. Si je me rappelle bien, des dires du grand-père de mon épouse, elle ne l'a été qu'une seule fois dans les années 1950, mais présentement elle ne l'est pas.

Le sénateur Hervieux-Payette : Et vous?

Mme Stroll : Nous n'avons que trois employés syndiqués et c'est une compagnie externe qui fait toute notre production manufacturière.

[Traduction]

M. Morante : Tous nos employés sont syndiqués.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Est-ce que tout se fait dans votre établissement ou s'il y a du travail à la pièce qui se fait à domicile?

M. St-Amant : À 100 p. 100 le travail se fait à Chemise Empire. Le seul temps où nous avons recours à de la sous- traitance, c'est à l'étape de la broderie parce que nous ne sommes pas équipés pour la faire. Pour le reste, rien n'est fait à domicile.

Le sénateur Hervieux-Payette : Est-ce que la broderie est faite au Canada?

M. St-Amant : Elle est faite au Canada, dans une entreprise ayant pignon sur rue.

Mme Stroll : Nous avons des sous-traitants qui travaillent à la pièce.

[Traduction]

M. Morante : Elle est entièrement faite dans notre usine.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Il y a différents modes de distribution des produits. Vous, vous êtes distributeur pour la GRC, mais on souhaiterait que vous le soyez aussi pour Postes Canada et les autres sociétés. Cela vous ferait une plus grosse clientèle. Au Québec, il y a Simons qui est une entreprise de la ville de Québec — j'encourage mes collègues à venir y faire des achats — et il y a Les Ailes de la Mode.

En ce qui concerne les grandes chaînes comme La Baie — qui appartient maintenant aux Américains — Wal-Mart et Costco, quels sont vos réseaux de distribution?

M. St-Amant : Je dirais que Chemises Empire se spécialise surtout dans la chemise d'uniforme. Lorsque j'ai pris la relève en 1999, j'ai volontairement décidé de laisser tomber le secteur de la chemise habillée. Je croyais qu'il y avait plus d'avenir dans la chemise d'uniforme parce qu'il y avait un besoin d'uniformité. Lorsqu'on exporte des produits, l'uniformité est plus difficile à obtenir. On peut recevoir une livraison parfaite provenant de Bangladesh ou de la Chine, mais c'est plus difficile d'obtenir l'uniformité à chaque fois et c'est ce que nous vendons à notre clientèle.

C'est pourquoi vous voyez des corporations dans notre liste des clients. La GRC, c'est une exception parce que la production se fait à 100 p. 100 au Canada. Pour l'OPP, la Police provinciale de l'Ontario, si vous avez une parade vous ne voulez pas un sapin de Noël; vous voulez de l'uniformité au niveau de la confection et de l'apparence.

C'est notre principale marque de commerce. Je ne sais pas si je réponds bien à la question.

Le sénateur Hervieux-Payette : Oui. C'est intéressant de voir que vous avez un produit spécialisé.

M. St.-Amant : On se distingue vraiment de Forsyth. D'ailleurs, nous ne sommes pas en compétition. Je dirais que c'est un domaine qui demande aussi beaucoup de dextérité.

Le sénateur Hervieux-Payette : Ma prochaine question s'adresse aux deux autres témoins. Est-ce que le marché du Québec est différent de celui du reste du Canada?

Mme Stroll : Très différent.

[Traduction]

Je suis aussi détaillant au Québec et j'ai un magasin à Trois-Rivières. Le marché québécois est très difficile et complexe. Nous sommes si intelligents au Québec.

Le sénateur Hervieux-Payette : Ce n'est pas ce que je dis.

Mme Stroll : Nous faisons affaire avec la maison Simons et surtout avec des chaînes dont les produits sont bon marché ou très sensibles aux prix. Ces chaînes suivent la mode pas à pas, et si elles disposaient de six mois pour offrir un produit, elles n'auraient pas vraiment besoin de nous.

En effet, le marché du Québec est très difficile.

M. Morante : Nous vendons à Simons au Québec, mais je suis d'accord avec Mme Stroll. Le marché québécois est très différent du marché du reste du Canada. Nous fabriquons pour Simons des chemisiers que nous ne pourrions probablement pas vendre à beaucoup d'autres détaillants du pays. Notre principal client au Canada, c'est la maison Sears, mais nous vendons également nos produits à La Baie et à Mark's Work Wearhouse. Nous oeuvrons dans la vente au détail. Nous visons les ventes au détail alors que M. St-Amant produit des uniformes. Nous fabriquons, entre autres, des vêtements de carrière et des produits promotionnels, correspondant à un autre secteur. Cependant, la vente au détail représente 80 p. 100 de notre chiffre d'affaires, tant au Canada qu'aux États-Unis.

Le sénateur Hervieux-Payette : Moi, je veux bien qu'on vous aide autant que possible à être compétitifs. Je précise parce que je crois que ce n'est pas notre rôle de négocier des moyens qui vous permettraient de poursuivre et, si possible, d'améliorer vos activités. Je suis étonnée d'apprendre que les fluctuations du dollar n'ont pas eu d'importantes répercussions sur votre chiffre d'affaires.

M. Morante : Bien au contraire, elles ont eu un effet énorme, mais nous nous y sommes adaptés, comme nous devons nous adapter à toutes les situations. Le dollar est un peu plus stable depuis deux ou trois ans, mais son appréciation a eu un impact énorme.

Le sénateur Hervieux-Payette : Oui, pour vos ventes aux États-Unis. Je suis allée sur la rue Chabanel bien souvent. Je sais bien, car j'ai beaucoup d'amis dans cette industrie. Toutefois, d'après notre étude, les produits vendus aux États- Unis et au Canada ne semblent pas très touchés par la quasi-parité du dollar.

Mme Stroll : Nous nous sommes adaptés.

M. Morante : Effectivement.

Le sénateur Hervieux-Payette : Merci.

Le président : Le sénateur Callbeck de l'Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Callbeck : Je vous souhaite à tous la bienvenue. Merci pour vos exposés.

Madame Stroll, vous avez dit que vous vendez les produits que vous fabriquez à peu près au même prix aux États- Unis et au Canada.

Mme Stroll : Oui, à l'heure actuelle.

Le sénateur Callbeck : Qu'en est-il du prix de détail de vos produits? Est-ce qu'ils varient beaucoup des deux côtés de la frontière?

Mme Stroll : Il y a de légères variations.

Le détaillant canadien s'attend à avoir une plus grande marge bénéficiaire, et il veut l'avoir, sans doute à cause de ces dépenses. Le détaillant américain se base sur le prix de gros ou le double. Ils augmentent les prix peu à peu, en visant 56 ou 58 points, mais ils s'efforcent encore plus que le détaillant canadien de trouver le prix « magique ».

Le sénateur Callbeck : Le fait que le produit soit fabriqué au Canada influence-t-il le choix des consommateurs?

Mme Stroll : Oui, plus que je ne l'aurais pensé. Notre gérante à Trois-Rivières aime bien se vanter du fait que nos produits sont fabriqués au Canada. Elle m'assure que les clients sont toujours très contents de pouvoir acheter des produits canadiens.

Aux États-Unis, il est difficile de savoir si ce facteur joue un rôle, mais ils nous appellent « les Canadiens » lorsque nous nous rendons visite tous les mois. Ils reconnaissent que nous fabriquons de bons produits et que ces produits leur permettent de faire de l'argent. Ils veulent pouvoir les offrir au détail. Nous allons donc continuer à le faire.

Le sénateur Callbeck : Les consommateurs canadiens sont-ils prêts à payer un peu plus cher pour avoir un produit fabriqué au Canada?

Mme Stroll : Je ne crois pas, du moins pas les acheteurs de nos produits. Notre consommatrice est jeune et, contrairement au consommateur un peu plu âgé, elle ne serait pas prête à débourser quelques dollars de plus pour acheter un produit canadien. Elle veut le meilleur prix possible et elle veut se sentir belle dans tout ce qu'elle porte. Elle veut magasiner tout le temps et payer, comme j'ai dit, le moins cher possible. De nos jours, tout le monde se vante d'acheter à vil prix, alors qu'auparavant, on voulait des vêtements de couturier. Non, cette consommatrice ne paiera pas un dollar de plus, mais elle est contente d'acheter les produits faits au Canada.

Le sénateur Callbeck : Monsieur Kirke, j'aurais une question au sujet de ce que vous avez dit dans votre exposé. Quand vous parliez de l'harmonisation entre les règlements des pays d'Amérique du Nord, vous avez également mentionné l'harmonisation de la réglementation des différentes provinces. Pourriez-vous préciser votre pensée?

M. Kirke : Par exemple, il y a un règlement qui remonte à 50 ou 60 ans, adopté en vertu de la Loi sur les articles rembourrés. Il existe dans trois provinces : le Manitoba, le Québec et l'Ontario.

Cette loi règlemente tous les produits matelassés. La veste que vous portez est faite de tissu matelassé, je pense. Si vous la vendez au Québec, en Ontario ou au Manitoba, et ce sont les trois seuls endroits dans le monde entier où ce règlement s'applique, vous devrez y apposer une étiquette attestant qu'il ne contient que des matériaux neufs.

Pour les compagnies canadiennes situées au Québec, il suffit de s'enregistrer au Québec pour satisfaire aux exigences. Cependant, si vous fabriquez ledit vêtement ailleurs, même en Colombie-Britannique, vous devrez vous enregistrer dans chacune des trois provinces, c'est-à-dire le Québec, l'Ontario et le Manitoba, où vous avez l'intention de vendre votre produit. Dans chaque cas, vous devrez payer des frais différents, chaque année, pour apposer l'étiquette voulue à ce vêtement.

Encore une fois, il n'y a que trois endroits au monde où l'on estime qu'il s'agit là d'un élément d'information important pour la protection du consommateur. L'industrie américaine prétend donc qu'il s'agit d'une barrière non tarifaire et porte régulièrement plainte auprès du Bureau du délégué commercial des États-Unis. Et je suis d'accord. C'est un règlement ridicule et désuet.

Comme le président du comité le sait, le gouvernement canadien a instauré de nouvelles mesures législatives sur la sécurité des produits qui primeront sur tous ces règlements provinciaux qui devraient être abolis purement et simplement. Il s'agit simplement d'un moyen de faire de l'argent et ça impose un lourd fardeau à l'industrie. Voilà un exemple de la réglementation dont je voulais parler.

Le sénateur Callbeck : Avez-vous beaucoup d'exemples de cela?

M. Kirke : Celui que je viens de vous donner est assurément le pire. Ce règlement est préservé, tout comme d'autres, en vertu de l'Accord sur le commerce intérieur et le ministre de l'Industrie peut le modifier. Ce règlement existait bien des années avant l'entrée en vigueur de l'accord. Nous souhaitons vivement que le ministre de l'Industrie donne un coup de sa baguette magique pour faire en sorte que ce règlement disparaisse puisque nous n'en pas avons besoin, car il y a déjà la Loi canadienne sur la sécurité des produits de consommation.

Le président : Merci. C'est un argument intéressant.

Le sénateur Marshall : Ma question s'adresse à M. Morante. Il vient d'expliquer le fonctionnement du Régime de remise de droits. Je sais que tous les trois témoins ont demandé la prolongation de ce régime. Avez-vous bien dit que cette remise se fonde sur un montant fixe? Vous avez dit 500 000 $. Ce n'est donc pas un pourcentage?

M. Morante : Non, c'est un montant.

Le sénateur Marshall : Comment ce montant a-t-il été fixé? A-t-il changé avec le temps?

M. Morante : Non, il est resté le même. Il a été établi en 1988 et le montant a été maintenu depuis.

Le sénateur Marshall : Autrement dit, si vous n'existiez pas en 1988, eh bien tant pis pour vous?

M. Morante : Tout à fait.

Le sénateur Marshall : Ma prochaine question s'adresse à Mme Stroll. Dans votre déclaration, vous avez demandé que le régime soit prolongé, mais n'avez-vous pas dit qu'il n'a pas beaucoup d'effet sur votre chiffre d'affaires?

Mme Stroll : Il a un effet énorme...

Le sénateur Marshall : Ah oui?

Mme Stroll : ... parce que nos marges bénéficiaires sont extrêmement minces; ce régime nous a permis de réduire nos coûts de manière à pouvoir soutenir la concurrence et continuer à exister.

Le sénateur Marshall : Votre entreprise existait-elle en 1988?

Mme Stroll : Oui. Je crois qu'elle existe depuis 1984. Je suis un peu plus jeune que les autres personnes assises à cette table.

Le sénateur Marshall : Vous étiez dans le coup dès le départ?

Mme Stroll : Oui, on nous a attribué une remise. D'après les règles établies au moment de la création du régime, si une entreprise faisait de la coupe, si elle avait un atelier de coupe et fabriquait des vêtements au Canada, elle se voyait attribuer un pourcentage. Un pourcentage du montant.

Le sénateur Marshall : On a fixé le montant à l'époque, et on ne l'a pas changé.

Mme Stroll : On l'a fixé alors et, sauf erreur, je crois qu'il a légèrement changé au fil des ans, puis il est devenu fixe.

Le sénateur Marshall : Le montant n'a pas fluctué au cours des 23 ou 25 dernières années? Il est demeuré constant? Très bien.

Le sénateur Nancy Ruth : Madame Stroll, vous avez dit que les clients aiment bien acheter des produits canadiens.

Mme Stroll : Je le crois. D'autant plus que je me suis penchée sur la question dernièrement, car je n'en ai pas toujours été persuadée.

Le sénateur Nancy Ruth : Quelle étiquette apposez-vous sur les 75 p. 100 de vos produits que vous exportez vers les États-Unis?

Mme Stroll : Je pourrais vous montrer nos étiquettes si vous le souhaitez.

Le sénateur Nancy Ruth : Le drapeau canadien figure-t-il sur l'étiquette?

Mme Stroll : Oui, mais en tout petit.

Le sénateur Nancy Ruth : L'image du drapeau est-elle plus petite sur les étiquettes américaines que sur les étiquettes canadiennes?

Mme Stroll : C'est vraiment tout petit, minuscule. Je ne sais pas si cela se voit à la télévision. Les étiquettes de nos produits aux États-Unis sont soit en anglais ou en espagnol, mais elles portent toutes l'image de notre drapeau. J'ai même apporté des vêtements qui portaient l'étiquette d'autres détaillants sur lesquels nous apposions notre étiquette de détaillant; même dans ce cas-là, on nous permettait de mettre le drapeau du Canada, ce qui montre que c'est une image positive.

Le sénateur Nancy Ruth : Pour le marché américain, vous y voyez un avantage, plus qu'un drapeau du Bangladesh ou quelque chose comme cela?

Mme Stroll : Un avantage, mais alors un tout petit avantage. Cela nous distingue un peu des autres, je présume.

Le sénateur Nancy Ruth : Merci.

Le président : Peut-être que vous ne vous servez que d'un tout petit drapeau.

Mme Stroll : J'en préférerais un grand.

Le président : Une question complémentaire, sénateur Finley?

Le sénateur Finley : Ma question s'adresse aux représentants de John Forsyth et elle complète la question d'un autre sénateur : ce qui valait 500 000 $ en 1988 vaut-il toujours 500 000 $?

M. Morante : Bien moins que ça.

Le sénateur Finley : Bien moins que ça.

M. Morante : Et c'est pire encore, permettez que je vous explique. La remise de droits de douane a été coupée de moitié, essentiellement : si vous aviez 500 000 $ en 1988, vous n'avez plus droit qu'à 250 000 $ aujourd'hui, et je ne vous parle même pas de l'inflation. Je parle de dollars réels. Cela fait partie des concessions que nous avons faites pour obtenir la dernière prolongation.

Le président : C'est bon à savoir.

M. Morante : Nous voudrions retrouver les niveaux que nous avions à l'époque.

Le président : Il y a bien sûr les négociations du cycle de Doha, mais voilà une autre chose à laquelle vous ne pourrez pas vous fier trop longtemps. Quoi qu'il en soit, nous avons écouté vos propos qui nous ont été très utiles.

Au nom du Comité sénatorial permanent des finances nationales, je vous remercie tous d'être venus ici aujourd'hui. Merci à M. Oliver Morante, de John Forsyth Shirts, de Kitchener-Waterloo-Cambridge, en Ontario.

M. Morante : C'est bien cela.

Le président : Merci à Susana Stroll, présidente de Tess Sportswear. Nous avons hâte de voir vos produits, plus tard.

Mme Stroll : Merci.

[Français]

M. René St-Amant, président de Chemise Empire, merci. À Louiseville, non loin de Trois-Rivières?

M. St-Amant : Exactement.

Le président : C'est ce que j'ai compris.

[Traduction]

Enfin, merci à Bob Kirke, directeur exécutif de la Fédération canadienne du vêtement. Merci d'être venu ce matin, monsieur Kirke, pour nous présenter le contexte.

Chers collègues, voilà qui termine cette séance. Nous nous attendons à ce qu'on nous renvoie deux projets de loi de crédits aujourd'hui et j'espère convaincre le Sénat de nous permettre de commencer notre examen du Budget supplémentaire des dépenses (C) demain après-midi, pendant que le Sénat siégera. Il n'y aura pas de séance demain soir, et jeudi, nous aurons une séance d'une heure à une heure et demie que nous consacrerons au Budget principal des dépenses, au moins pour ce qui concerne le Conseil du Trésor. Nous pourrons alors commencer la planification de la semaine prochaine.

Le Conseil du Trésor n'est malheureusement pas disponible demain soir, et si nous reportons notre examen d'une semaine, nous nous rapprocherons dangereusement de la fin du mois, qui est notre échéance. Voilà pour nos travaux futurs. Merci.

(La séance est levée.)


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