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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule 29 - Témoignages du 21 novembre 2012 (réunion du soir)


OTTAWA, le mercredi 21 novembre 2012

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui, à 18 h 43, pour étudier la teneur complète du projet de loi C-45, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 29 mars 2012 et mettant en œuvre d'autres mesures, déposé à la Chambre des communes le 18 octobre 2012.

Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, nous allons continuer ce soir notre étude de la teneur du projet de loi C-45, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 29 mars 2012 et mettant en œuvre d'autres mesures.

[Traduction]

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous en sommes à notre sixième séance sur la teneur du projet de loi C-45. Comme elles étaient doubles, nous pourrions dire que c'est notre douzième séance, mais nous avons eu six séances de quatre heures chacune.

Au cours de la première partie de la soirée, nous examinerons les modifications proposées aux règles du Régime enregistré d'épargne-invalidité, le REEI, qui figurent dans la partie I du projet de loi. Nous avons essayé de repérer les différents points autour des pages 53, 56 et 57 du projet de loi qui en compte plus de 400.

Nous accueillons M. Brandon Pooran, un avocat, qui représente l'Association canadienne pour l'intégration communautaire. Son cabinet s'appelle Pooran Law et il préside le conseil d'administration de Community Living York South.

Monsieur Pooran, nous sommes ravis que vous ayez pu être avec nous ce soir. Merci de venir nous donner un coup de main.

Nous sommes aussi heureux d'accueillir, par vidéoconférence, Maggie Vilvang, directrice exécutive de Planned Lifetime Advocacy Network, ou PLAN, et Joel Crocker, son directeur des Plans d'avenir.

Je demanderai d'abord à M. Pooran de présenter sa déclaration préliminaire sur les mesures prévues dans ce projet de loi. C'est notre thème principal, mais si vous souhaitez situer un peu le contexte et nous parler de vos antécédents, vous êtes le bienvenu. Je donnerai ensuite la parole à Mme Vilvang.

Brendon Pooran, avocat, conseil d'administration de Community Living York South, Association canadienne pour l'intégration communautaire : Merci de me donner la chance de vous parler ce soir des modifications aux règles relatives au Régime enregistré d'épargne-invalidité.

Pour ceux qui ne le sauraient pas, l'Association canadienne pour l'intégration communautaire a été fondée en 1958. C'est une association de familles qui aide les personnes ayant une déficience intellectuelle et leurs familles à être des chefs de file pour la promotion de l'intégration dans leur vie et dans leurs communautés.

Je vais vous donner un bref aperçu de mes titres de compétence. Je suis conseiller auprès de l'ACIC au sujet du REEI. Je suis avocat spécialisé en droit des personnes handicapées à Toronto, professeur en droit des déficiences graves à l'université York et membre de la Commission du consentement et de la capacité. Tel que le président l'a mentionné, je suis aussi le président de Community Living York South et chargé de projet à l'égard d'une initiative de sensibilisation au Régime enregistré d'épargne-invalidité, le REEI, à RHDCC. Enfin, je suis le frère de deux personnes ayant une déficience intellectuelle.

Dans l'ensemble, nous sommes largement en faveur du REEI et nous voyons d'un bon œil les modifications proposées dans le Budget 2012. À notre sens, le REEI est l'une des initiatives de soutien du revenu des personnes handicapées les plus progressistes au monde. Cela dit, nous avons deux ou trois observations sur les modifications.

Je suis conscient que nous ne sommes pas ici pour discuter du projet de loi C-38 qui a déjà été adopté en juin, mais j'ai une brève observation à faire sur ce dernier. Nous ne croyons pas que l'élargissement de la définition de « titulaire d'un régime » enregistré d'épargne-invalidité règle complètement l'exclusion systémique des adultes ayant une déficience intellectuelle quand il s'agit de tirer parti des avantages d'un REEI. Nous avons beaucoup apprécié l'ouverture de la fenêtre de quatre ans et l'élargissement de la définition afin d'inclure les parents, les conjoints et les conjoints de fait, mais des milliers de personnes handicapées n'ont pas ces personnes dans leur vie. Nous aurions donc aimé que la fratrie soit incluse dans cette liste. Au bout du compte, nous aimerions que le gouvernement du Canada joue un rôle de leadership afin de garantir que tout bénéficiaire adulte d'un REEI peut être le titulaire de son propre régime, en bénéficiant d'une aide adéquate. S'il faut se fier aux provinces pour trouver une solution, la multiplicité d'approches ainsi créée serait une injustice en ce qui concerne les droits civils des personnes handicapées à la grandeur du pays.

L'ACIC a pris l'initiative de faciliter les conversations avec le gouvernement du Canada et les provinces, avec l'Association nationale de tuteurs et de curateurs publics, l'ANTCP, avec les cinq grandes institutions financières, ainsi qu'avec d'autres organismes de défense des droits des personnes handicapées, et nous nous sommes engagés à collaborer avec ces groupes pour trouver une solution adéquate.

Quant au projet de loi C-45, nous voyons d'un bon œil les modifications proposées dans ce projet de loi. Nous n'avons qu'une observation à faire sur la règle de remboursement proportionnel énoncée dans le projet de loi. Là encore, nous apprécions la souplesse accrue que cette règle de remboursement proportionnel offrira aux bénéficiaires d'un REEI, mais malgré cette souplesse accrue, nous croyons que la mesure demeure assez punitive et qu'au bout du compte, elle aide peu à soulager la pauvreté systémique qui afflige beaucoup de personnes ayant une déficience intellectuelle.

D'après les commentaires que nous avons reçus, compte tenu du délai d'attente de 10 ans entre la dernière contribution du gouvernement du Canada et le premier retrait du REEI, un événement qui pourrait survenir quand la personne a 30 ans ou plus, de pair avec l'espérance de vie moyenne plus faible de certaines personnes handicapées, la modification améliore peu la sécurité financière de certains membres de cette population. Au bout du compte, nous verrons beaucoup de proches parents bénéficier de ce soutien financier parce que dans toutes les provinces, en l'absence d'un testament valide, les lois sur les successions non testamentaires reconnaissent généralement les plus proches parents comme héritiers d'une succession.

Bien que nous n'ayons pas de proposition définitive à formuler ce soir sur la solution à ce problème, je vais lancer ou suggérer quelques idées qui pourraient être utiles.

Premièrement, le REEI semble un peu calqué sur la loi régissant le régime enregistré d'épargne-retraite. Nous devrions peut-être envisager une pénalité qui correspondrait davantage à celle prévue à l'égard du REER, par exemple une retenue de l'impôt payable.

Deuxièmement, nous pourrions peut-être envisager une mesure progressive. Disons par exemple que les contributions de la première année deviennent accessibles au bénéficiaire dans la onzième année. La période de 10 ans demeure, mais elle est appliquée sur une échelle progressive de sorte que les bénéficiaires peuvent avoir accès un peu plus tôt à leur argent.

Troisièmement, les bénéficiaires pourraient peut-être accéder seulement à leurs contributions privées dans un délai raisonnable. À mon sens, l'une de ces propositions ou une combinaison de celles-ci pourrait être une solution efficace aux fins de cette disposition du projet de loi.

Pour conclure, nous appuyons fermement le REEI. Nous sommes très satisfaits des modifications présentées dans le projet de loi C-45, mais nous vous demandons de reconnaître les taux de pauvreté inexcusables auxquels les personnes ayant une déficience intellectuelle font face. Près de la moitié de cette population compte sur les programmes d'aide sociale provinciaux ou territoriaux. Le taux d'emploi des personnes ayant une déficience intellectuelle en âge de travailler est de 25 p. 100 comparativement à 75 p. 100 pour les personnes sans déficience. Le revenu moyen des personnes ayant une déficience intellectuelle est moins de la moitié de celui des personnes sans déficience. Nous croyons que le REEI joue un rôle essentiel pour redresser ces injustices et nous nous engageons à collaborer avec le gouvernement du Canada pour poursuivre l'amélioration de ce régime exceptionnel.

Le président : Merci beaucoup. Je suis sûr que des sénateurs voudront s'entretenir avec vous des points que vous avez soulevés, mais nous donnerons d'abord la parole à Mme Vilvang, du Planned Lifetime Advocacy Network.

Maggie Vilvang, directrice exécutive, Planned Lifetime Advocacy Network (PLAN) : Monsieur le président, honorables sénateurs, chers témoins, nous aimerions d'abord remercier les membres du comité de nous avoir invités à comparaître. C'est un honneur pour moi de m'adresser à cette assemblée. Je suis la codirectrice exécutive de PLAN, Planned Lifetime Advocacy Network. Joel Crocker, directeur des Plans d'avenir, m'accompagne.

Le PLAN a été lancé en 1989 par un groupe de familles qui se posaient une question très importante : qu'arrivera-t-il à ma fille ou à mon fils handicapé à mon décès? Au cours des 23 années qui se sont écoulées depuis, de nombreuses réponses intéressantes à cette question ont été formulées, dont notre approche de réseautage unique, le Representation Agreement Act de la Colombie-Britannique et, bien sûr, le Régime enregistré d'épargne-invalidité dont l'idée et le projet ont été conçus en 1997. Toutes ces innovations visaient à aider à bâtir une vie sûre et stable dans la collectivité pour nos parents et amis handicapés et pour élever l'ensemble de la société canadienne en même temps.

Au terme de nombreuses années d'effort, le PLAN a été ravi d'assister enfin à la concrétisation du REEI en 2008. Il était le fruit de nombreuses rencontres avec le cabinet de trois premiers ministres différents et de nombreuses consultations à la grandeur du Canada, notamment un sondage d'opinion publique auprès de 1 200 personnes, 15 tables rondes avec autant de groupes de discussion, plusieurs rapports de recherche et une vaste collaboration avec 24 organismes nationaux de défense des droits des personnes handicapées et de politique sociale, dont l'Association canadienne de l'intégration communautaire, que M. Pooran représente aujourd'hui.

À dire vrai, le REEI annoncé en décembre 2008 dépassait nos attentes. Deux ans plus tôt, le PLAN avait présenté une liste de recommandations au Groupe d'experts sur l'épargne-invalidité de la Direction de la politique de l'impôt du ministère des Finances. Nous y proposions de calquer le REEI sur le Régime enregistré d'épargne-études, en offrant une subvention et un bon similaires, tandis qu'au lancement, nous apprenions que les contributions de l'État au REEI seraient pratiquement 10 fois supérieures à celles accordées dans le cadre du REEE. Le gouvernement du Canada reconnaissait vraiment le problème de la pauvreté chez les personnes handicapées du pays et était disposé à prendre des mesures radicales pour corriger la situation.

Depuis l'entrée en vigueur du REEI, le PLAN s'est énergiquement employé à promouvoir le régime d'épargne auprès des Canadiens, notamment par notre site Internet RDSP.com qui s'échange la première place avec les sites Web officiels sur le REEI au palmarès des recherches sur Google. Nous avons aussi systématiquement recueilli la rétroaction de familles à la grandeur du Canada et collaboré avec le gouvernement afin d'améliorer sans cesse l'accessibilité et l'utilité du REEI pour les personnes handicapées. À maintes reprises, le gouvernement du Canada a dépassé nos attentes en apportant des améliorations au plan, par exemple en approuvant l'an dernier le report sur 10 ans des subventions et des bons inutilisés.

L'examen triennal du REEI mené en décembre dernier par le ministère des Finances ne fait pas exception. En vue de cet examen, le PLAN a colligé les réflexions et les expériences de milliers de familles, notamment de celles qui ont assisté à nos séances de sensibilisation au REEI financées par RHDCC. Nous avons été l'hôte d'un dialogue en ligne sur RDSP.com portant sur les 10 principaux obstacles au REEI et nous avons reçu des centaines de réponses riches en réflexion. Nous avons aussi mené deux sondages nationaux indépendants sur la compréhension et la satisfaction des gens et les solutions possibles pour améliorer le régime d'épargne. En nous inspirant de cette masse d'information, nous avons pris en compte les principales critiques du régime afin de cibler les domaines à améliorer, et après avoir passé en revue les nombreuses propositions novatrices faites par des individus et des familles, le PLAN a présenté ses conclusions au ministère des Finances.

Nos quatre principales recommandations étaient celles-ci : premièrement, réduire la retenue de 10 à cinq ans; deuxièmement, améliorer la souplesse à l'égard des paiements et autoriser des retraits d'urgence; troisièmement, incorporer la littératie financière dans l'administration du REEI; et quatrièmement, en accord avec la Convention des Nations Unies relatives aux droits des personnes handicapées créer un mécanisme national qui permettrait aux personnes admissibles d'établir un REEI sans devoir être déclarées inaptes et à confier tous les pouvoirs décisionnels à une autre personne.

Nous connaissons tous les mesures proposées dans le Budget 2012, le Plan d'action économique. Ce sont ces mesures que nous examinons aujourd'hui, sauf la disposition qui a été adoptée le 29 juin de façon à élargir temporairement la définition de qui peut être le titulaire du régime d'un bénéficiaire adulte afin d'inclure le conjoint, le conjoint de fait ou un parent du bénéficiaire.

Joel Crocker, directeur des Plans d'avenir, va maintenant vous lire une communication que nous avons adressée aux membres du Comité des finances peu après la présentation du budget fédéral en mars dernier.

Joel Crocker, directeur, Plans d'avenir, Planned Lifetime Advocacy Network (PLAN) : Bonsoir.

Il est évident qu'il y a eu beaucoup d'efforts de toutes parts pour faire en sorte que le REEI soit aussi efficace que possible pour les Canadiens. Nous sommes conscients de l'incroyable somme de travail que le ministre, l'équipe du ministère des Finances et d'autres fonctionnaires ont consacrée à l'examen, au budget fédéral et aux modifications du REEI.

Tel qu'elles sont rédigées, nous croyons que les améliorations que le gouvernement a retenues sont solides et nous y souscrivons. À coup sûr, les quatre principales recommandations du PLAN, ainsi que quelques-unes de nos autres suggestions, ont toutes été prises en compte. Nous applaudissons la stratégie du gouvernement du Canada d'utiliser une mesure temporaire pour faire pression sur les provinces et les territoires afin que ceux-ci trouvent des solutions aux problèmes liés à la curatelle, et nous espérons pouvoir poursuivre notre collaboration avec ces administrations à ce sujet.

Quant aux autres améliorations mentionnées, il semble évident que le REEI deviendra encore plus attrayant pour un segment plus vaste de la population canadienne, notamment dans une tranche d'âge plus avancé, pour les gens à plus faible revenu et ceux qui sont atteints de déficiences plus cycliques.

Enfin, le transfert d'un REEE et la simplification du transfert des REEI vers d'autres banques et institutions financières aideront certainement toutes les familles et les auto-intervenants à mieux gérer leurs finances et leurs comptes et, ainsi, à économiser davantage à long terme.

Dans l'ensemble, ce fut un plaisir de collaborer à ces travaux avec l'équipe du ministère des Finances et le processus d'examen triennal et la correspondance échangée entre nos organisations nous sont apparus bien organisés et professionnels, tout en étant transparents et amicaux. Nous espérons poursuivre notre collaboration tandis que nous nous employons tous à garder le Canada à l'avant-garde en matière d'innovation, de croissance, d'équité et de qualité de vie.

Ainsi se termine ce courriel.

Depuis ce temps, en mars dernier, au cours des huit derniers mois, nous avons continué de recevoir une rétroaction régulière de la part d'individus et de familles de même que d'organisations et d'entreprises sur tous les changements proposés. Nous aimerions faire les déclarations ci-dessous.

Comme M. Pooran l'a dit, en qualité de porte-parole de familles, notre organisation estime que la solution du gouvernement du Canada concernant la capacité aurait pu être plus solide. Quant à la mesure temporaire mise en œuvre, nous croyons qu'il aurait été préférable que la définition de « titulaire d'un régime » s'étende aussi aux frères et sœurs, comme le représentant de l'ACIC l'a dit, mais nous savons que le problème n'est pas propre au projet de loi qui nous occupe.

Par ailleurs, plusieurs familles nous ont dit aussi que le PLAN aurait dû insister davantage dans ses recommandations sur l'allégement des restrictions relatives à l'âge pour établir un REEI. C'est l'un des principaux commentaires que nous avons recueillis. Les gens estiment que les limites de 60 ans et de 50 ans pour recevoir des subventions et des bons sont un peu trop basses. Il a été suggéré que les critères d'admissibilité au REEI selon l'âge soient harmonisés avec ceux du programme de la Sécurité de la vieillesse de sorte que toute personne âgée de moins de 65 ans, et à terme de moins 67 ans, puisse ouvrir un REEI et que la subvention et le bon soient disponibles 10 ans plus tôt.

D'autres intervenants ont réitéré leur préoccupation concernant le fait que la formule de calcul des paiements viagers pour invalidité est fondée sur l'espérance de vie de 83 ans, un critère qui s'applique peut-être à la population canadienne en général, mais non à la population des personnes handicapées.

Mme Vilvang : : :roman;roman; En qualité de représentants du PLAN, nous mentionnons ces problèmes potentiels pour nous faire les porte-parole de nombreuses personnes handicapées, mais nous voulons souligner que dans l'ensemble, nous avons entendu surtout des expressions de gratitude et d'appui à un excellent programme et aux modifications proposées. Le PLAN souscrit aux modifications législatives du REEI proposées dans le projet de loi C- 45 à l'étude aujourd'hui, et nous appuyons sans réserve leur approbation.

Merci de nous avoir donné cette occasion de comparaître et pour tout le travail que vous avez accompli au nom des Canadiens handicapés.

Le président : :roman; Merci beaucoup, et merci d'avoir passé en revue les différentes recommandations de vos membres et de personnes handicapées concernant d'autres améliorations potentielles. Cela nous est très utile.

Le sénateur Buth : :roman; Merci beaucoup d'être ici, c'est un réel plaisir de vous entendre décrire ce que ce régime signifie vraiment.

J'aimerais entendre deux ou trois exemples concrets, si possible, du genre de souplesse que ces modifications offriront aux familles. J'aurai aussi une autre question sur les compétences fédérales et provinciales. Pouvez-vous nous donner quelques exemples de la souplesse intégrée dans ce régime et de ce qu'elle signifie pour les familles?

M. Pooran : :roman; Comme bon nombre d'entre nous le savent, les programmes de soutien du revenu provinciaux destinés aux personnes handicapées sont assortis de limites assez nombreuses, en particulier les règles relatives au revenu et celles limitant les actifs. Dans bien des cas, si une personne handicapée doit compter sur l'un de ces programmes, il est très difficile de la sortir de la pauvreté parce qu'en général, elle n'a pas le droit d'accumuler des actifs.

L'entrée en vigueur du REEI a doté cette population d'un mécanisme lui permettant d'épargner. Il a facilité l'épargne à long terme. Il s'est attaqué au problème propre aux personnes handicapées qui n'avaient pas la possibilité d'accumuler un actif décent.

Dans les critères d'admissibilité, la plupart des provinces ont exempté le REEI des actifs. Ainsi, les personnes handicapées ont maintenant la possibilité d'être propriétaires de leur domicile, de faire des retraits pour partir en vacances, même d'acheter un cadeau d'anniversaire pour un ami à l'occasion d'une fête en son honneur. Ces activités sont assujetties à des limitations en vertu des règles applicables aux programmes de soutien du revenu provinciaux. Ce ne sont que quelques exemples.

Le sénateur Buth : :roman; Avez-vous des exemples de Burnaby? Voulez-vous en parler?

Mme Vilvang : :roman; Parmi les choses les plus fascinantes que j'ai entendues au sujet du Régime enregistré d'épargne-invalidité, une jeune mère parlait de son enfant qui fréquentait encore l'école primaire. Elle disait que lorsqu'on est parent d'un enfant handicapé, bien sûr qu'on l'aime et que l'instinct de le protéger et d'en prendre soin est extrêmement fort. On est conscient de ses vulnérabilités, mais on reçoit aussi beaucoup de mauvaises nouvelles en cours de route, comme toutes les choses que son enfant ne peut pas faire, tous les besoins spéciaux auxquels il faudra satisfaire pour lui permettre de poursuivre ses études, de vivre sa vie, de recevoir des soins, et cetera.

Elle a dit que lorsqu'elle a entendu parler pour la première fois du REEI, il lui a fallu quelques minutes pour prendre conscience du fait que c'était la première bonne nouvelle qu'elle recevait au sujet de l'avenir de son fils, que la pauvreté et le handicap n'allaient plus forcément de pair, et que les effets paralysants de la pauvreté et la façon dont elle aboutit à l'isolement et à la dépendance sur le système de service pour le reste de la vie de son jeune fils étaient des choses avec lesquelles elle et sa famille avaient beaucoup plus de difficulté à composer que les effets bien concrets du handicap de son fils. Elle pourrait rayer l'une de ces choses de la liste, en ce sens que son fils pouvait commencer à rêver, à épargner et à faire des plans comme ses autres enfants. Le REEI lui procure beaucoup plus qu'un simple outil d'épargne, il offre une perspective différente et la liberté de rêver et d'épargner à la mesure de ses moyens et de ses capacités pour réaliser ces rêves. Ce fut un outil transformateur pour cette famille.

Le sénateur Buth : :roman; Je vous remercie tous deux pour vos observations, en particulier le PLAN d'avoir tenu de nombreuses consultations et d'être le moteur des changements apportés au REEI pour le rendre aussi souple qu'il l'est et lui permettre d'apporter autant d'aide que possible.

M. Pooran, je veux revenir à votre commentaire sur la curatelle. Vous avez parlé de l'exercice d'une pression temporaire sur les provinces. Pouvez-vous décrire pour nous le partage des compétences entre le fédéral et les provinces en la matière et à quoi votre commentaire faisait référence?

M. Pooran : :roman; Si je ne m'abuse, M. Crocker a parlé de la pression sur les provinces. J'ai parlé de la fenêtre de quatre ans que le gouvernement du Canada a ouverte en quelque sorte pour permettre aux provinces de modifier leurs lois.

M. Crocker et moi avons fait partie d'un groupe de travail national qui a élaboré ce qui nous apparaissait comme la solution optimale en matière de prise de décisions assistée. Elle a été soumise un peu tard dans le processus, je crois, peu de temps avant la présentation du budget plus tôt cette année.

Certains craignaient que le gouvernement du Canada outrepasse ses compétences en ce qui concerne les questions liées à la capacité de consentement dont l'administration incombe habituellement aux provinces. Nous avons présenté des recherches probantes qui montraient que la jurisprudence et la doctrine juridique autoriseraient de fait le gouvernement du Canada à mettre en œuvre une telle solution. Malheureusement, notre argumentation n'a pas été retenue et nous avons obtenu une brève prolongation.

Le PLAN organise aussi plusieurs séminaires sur le REEI. J'en anime moi-même plusieurs par mois. Les individus et les familles sont renversés par ce programme; c'est très évident. Toutefois, nous sommes là à leur donner cette excellente nouvelle, à leur dire que le REEI est une invention de génie, mais nous devons aussi leur dire : « votre fils ou votre fille adulte, ou vous-même en tant qu'adulte handicapée, ne pouvez pas établir un régime sans être déclaré inapte ».

Le sénateur Buth : :roman; Monsieur Crocker, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Crocker : :roman; Non, c'était essentiellement bien dit. Nous pouvons parler pour notre province. La Colombie- Britannique a promulgué le Representation Agreement Act, comme nous l'avons vu plus tôt. Cette loi permet à une personne handicapée de se faire accompagner à une banque par un représentant qui l'aide à prendre des décisions importantes sur ses finances et ainsi de suite. C'est une capacité juridique que nous avons dans notre province.

Quant au groupe de travail dont M. Pooran parlait, nous avions envisagé d'essayer de convaincre toutes les provinces de mettre en œuvre la même mesure, et nous nous y employons depuis plusieurs années. Comme il l'a dit, quelques provinces et quelques territoires ont adopté des dispositions similaires, plus ou moins, mais nous nous retrouvons avec une multitude de dispositions législatives différentes ce qui empêche des familles dont des membres sont handicapés de déménager d'une province à une autre. Des règles différentes sont en vigueur. Nous sommes d'avis que dans un même pays, l'uniformité devrait régner en la matière. Nous espérons poursuivre nos travaux avec le gouvernement fédéral sur ce dossier.

Le sénateur Callbeck : :roman; Je tiens à remercier tous les témoins pour leur déclaration préliminaire ainsi que pour le travail qu'ils accomplissent.

Il sera possible de transférer des fonds d'un REEE à un REEI. Quel en est l'avantage principal?

M. Pooran : :roman; D'après les commentaires que nous recevons de plusieurs familles, à la naissance de leur enfant, elles ont ouvert un REEE pour lui, peut-être avant de recevoir diagnostic. Au fil du temps, le diagnostic a été posé et, dans certains cas, il est devenu apparent qu'il n'y avait aucune possibilité que l'enfant poursuive des études postsecondaires. Ce transfert permettra que les décaissements des sommes accumulées dans un REEE soient versés, libres d'impôt, dans le REEI de sorte que les gains accumulés dans le REEE au fil des ans puissent être utilisés à meilleur escient.

Le sénateur Callbeck : :roman; L'avantage tient au fait que le gouvernement a versé une partie des fonds.

M. Pooran : :roman; Oui. Je ne crois pas que le transfert des fonds de REEE donne lieu à des contributions de l'État sur ce versement du revenu accumulé : les gains en capitaux peuvent être transférés sans être imposés, ou du moins dans un régime d'imposition différé, dans bien des cas. Les contributions seraient remboursées aux cotisants. Les subventions et les bons inutilisés d'un REEE seraient retournés au gouvernement fédéral, mais les gains accumulés pourraient être transférés, libres d'impôt, dans le REEI, ce qui aiderait beaucoup de familles.

Le sénateur Callbeck : :roman; Vous êtes tous d'accord avec les modifications proposées dans ce projet de loi. Mon intérêt a été piqué quand le porte-parole du PLAN a énuméré les 10 obstacles propres au REEI. En matière de littératie financière, quelles améliorations pouvez-vous nous suggérer?

M. Crocker : :roman; Le gouvernement offre plusieurs programmes de littératie financière. Nous avons constaté que l'un des plus grands obstacles au succès du REEI est le fait que beaucoup de gens n'en connaissent pas l'existence. Bien sûr, nous savons que RHDCC finance beaucoup de programmes d'éducation, et nous y participons. M. Pooran y participe. Par ailleurs, les clients des banques sont rarement renseignés sur le REEI. La méconnaissance générale de l'existence du programme à la grandeur du pays est telle que nous rencontrons régulièrement des familles — des parents éduqués ayant un enfant handicapé — qui n'en ont jamais entendu parler. Il y a ce niveau d'éducation.

Le deuxième niveau d'éducation entre en jeu du fait que les personnes handicapées se retrouvent souvent dans une classe sociale à part parce que dans bien des cas, la possibilité d'entrer dans une banque est exclue pour elles parce qu'elles n'ont pas la capacité contractuelle. Elles font face à des institutions qui s'occupent de l'encaissement des chèques et des opérations financières courantes, mais ces personnes ne fonctionnent pas au même niveau que le reste de la société canadienne. Au PLAN, nous croyons que ces obstacles devraient être éliminés.

Tout ce que le gouvernement du Canada pourrait faire pour améliorer la littératie financière des personnes handicapées serait le bienvenu : cibler cet enjeu, mettre en place des programmes d'éducation destinés aux personnes handicapées, ce qui nécessiterait, bien entendu, un moyen de leur assurer une représentation, peut-être à l'institution financière même, selon le degré de leur handicap. Cela implique un ensemble de mesures destinées à rehausser le niveau d'éducation au sein de cette population en matière de finances.

M. Pooran : :roman; Je crois que je n'ai rien d'autre à ajouter.

Le sénateur L. Smith : :roman; J'ai une question pour le groupe. Vous avez parlé de plusieurs éléments du REEI. D'un point de vue strictement administratif, en quoi consistent les trois principales améliorations que vous souhaitez voir apportées au régime un jour. Parmi celles-ci, selon votre ordre de priorité, quelle est votre priorité absolue?

M. Pooran : :roman; Notre priorité absolue serait sans équivoque d'éliminer l'obstacle auquel les bénéficiaires adultes font face en ce qui concerne la « capacité de consentement », ou la curatelle, telle qu'elle a été évoquée. Nous serions très heureux qu'une solution nationale permette à n'importe quel bénéficiaire adulte d'être titulaire de son propre régime, avec aide. Nous sommes conscients que les capacités des personnes handicapées varient et que certaines d'entre elles auront besoin d'une aide plus grande que d'autres, mais nous espérons une solution, la prise de décisions assistée, qui permettrait à n'importe quel bénéficiaire adulte d'un REEI d'être le titulaire de son propre régime.

Le sénateur L. Smith : :roman; Avez-vous pensé à une méthodologie particulière?

M. Pooran : :roman; Oui, nous avons travaillé assez intensivement en collaboration avec le PLAN, l'ACIC, les institutions financières et l'ANTCP. Nous nous sommes réunis plusieurs fois au cours de la dernière année et nous avons élaboré une méthodologie assez détaillée que nous avons soumise au ministère des Finances.

Le sénateur L. Smith : :roman; C'est la première chose.

M. Pooran : :roman; C'est la première chose.

Le sénateur L. Smith : :roman; S'agit-il de votre priorité absolue?

M. Pooran : :roman; Et de loin.

Le sénateur L. Smith : :roman; Est-ce la même chose pour vous?

M. Crocker : :roman; Oui, absolument.

M. Pooran : :roman; Nous aimerions que tout le monde bénéficie du REEI. Il a été conçu pour une population particulière, et nous aimerions que tous les membres de cette population en bénéficient.

Le sénateur L. Smith : :roman; La deuxième chose?

M. Pooran : :roman; La deuxième chose reviendrait à ce que j'ai dit plus tôt : l'objectif fondamental qui sous-tend le REEI est très solide, c'est-à-dire régler le problème systémique inhérent au fort taux de pauvreté chez les personnes handicapées. Le REEI pose le problème que les bénéficiaires risquent de ne pas pouvoir utiliser les fonds accumulés dans leur régime à cause de la combinaison de la formule utilisée pour calculer les paiements et la règle qui prévoit un délai de 10 ans avant le premier remboursement.

Prenons une personne âgée de 30 ans lorsqu'elle ouvre son REEI, ou disons 29 ans. Elle pourrait accumuler 90 000 $ de subventions et de bons du gouvernement du Canada et 200 000 $ de plus de contributions privées, en plus du rendement. Selon le rendement de son investissement, cela pourrait représenter 350 000 $. Elle ne peut pas avoir accès à cet argent avant 59 ans, c'est-à-dire 30 ans après l'ouverture du régime. Selon son handicap et son état de santé, elle risque de ne pas se rendre à 59 ans. Dans le cas contraire, la probabilité est grande, dans certains cas, qu'elle ne puisse pas arriver à épuiser tout cet argent.

Par ailleurs, chaque province impose des critères législatifs régissant l'aptitude à tester. Je vais parler de l'Ontario où j'exerce. En Ontario, la personne doit comprendre l'information pertinente pour faire un testament et mesurer les conséquences prévisibles de celui-ci, ce qui exclut un grand nombre de personnes ayant une déficience intellectuelle. En plus de ne pas pouvoir utiliser les fonds accumulés dans le REEI, elles ne pourront même pas déterminer où cet argent ira.

Dans ces situations, l'argent est remis aux plus proches parents suivant un ordre établi et ces personnes peuvent n'avoir jamais fait partie de la vie du défunt.

Le sénateur L. Smith : :roman; Vous avez une solution?

M. Pooran : :roman; Nous pourrions envisager plusieurs choses. Je crois que c'est M. Crocker qui a mentionné que nous pourrions envisager de réduire le délai du remboursement de 10 ans à cinq ans peut-être, ou quelque chose du genre. Il y a aussi ma proposition concernant un mécanisme progressif.

Supposons que j'ouvre un REEI aujourd'hui. En 2012, le gouvernement contribue 4 500 $. Au lieu de devoir attendre en 2052, si mes calculs sont bons, pour accéder à ces 4 500 $, je pourrais accéder à cette portion de la contribution du gouvernement dans 10 ans, donc en 2022. La solution pourrait ressembler à quelque chose du genre.

Nous pourrions aussi permettre aux bénéficiaires d'accéder à leurs contributions privées. Les contributions de l'État sont bloquées pour une période donnée, mais au moins, les bénéficiaires pourraient avoir accès aux contributions privées, voire à la portion constituée par le rendement du régime, dans un délai raisonnable. Un REEI est censé être un régime d'épargne à long terme. Si un REEI était ouvert aujourd'hui, et qu'une contribution y était versée demain, je ne crois pas que nous voudrions voir la contribution privée être encaissée le surlendemain, mais peut-être dans deux, trois ou cinq ans, elle serait accessible. Le régime pourrait ressembler à un REER, dans lequel le report de l'imposition s'applique.

Le sénateur L. Smith : :roman; Avez-vous une troisième solution?

M. Pooran : :roman; Oui.

Le sénateur L. Smith : :roman; Que pensez-vous de la deuxième priorité? Êtes-vous d'accord avec la deuxième priorité, la suggestion d'élargir la méthode d'accès?

M. Crocker : :roman; Nous avons une liste solide qui renferme six ou sept idées. Oui, nous souscrivons sans réserve à ce que M. Pooran a mentionné. Il est difficile de s'arrêter à trois priorités, mais disons que cette solution figurerait parmi nos cinq plus importantes.

Le sénateur L. Smith : :roman; Et si vous aviez à en choisir trois?

M. Crocker : :roman; Dans l'intérêt de cette population, nous appuierons celle-ci. Elle est certainement importante. Je peux en ajouter une troisième, si vous me le permettez.

Le sénateur L. Smith : :roman; Ce serait excellent.

M. Crocker : :roman; Actuellement, nous utilisons la mesure qui permet de laisser le crédit d'impôt pour invalidité ouvert pendant plusieurs années pour ceux qui ont une incapacité cyclique. Habituellement, le régime est fermé si le bénéficiaire n'a plus droit au crédit d'impôt pour invalidité. Il serait alors obligé de rembourser toutes les subventions et tous les bons. Cette condition poserait problème pour ceux qui ont une invalidité intermittente, peut-être la bipolarité, en ce sens que l'invalidité pourrait revenir et qu'il faudrait alors présenter une toute nouvelle demande de REEI. Nous avons constaté que les membres de cette catégorie ne s'en donnaient même pas la peine.

La mesure qui a été adoptée, à laquelle nous souscrivons, c'est que le régime peut rester inactif pendant plusieurs années si un médecin confirme par écrit que l'invalidité est susceptible de réapparaître. Nous y souscrivons, mais nous aurions plutôt aimé et nous aimerions encore qu'à un certain point, si une personne a pu avoir droit à ces subventions et à ces bons en raison d'une invalidité cette année-là, on ne devrait pas les lui retirer. Elle était invalide au cours de cette période. Avec le REEI, même si la personne ne peut plus contribuer parce qu'elle n'est plus admissible, elle ne perdrait jamais la subvention ni le bon, quoi qu'il arrive, si ces derniers ont été versés pendant une période d'invalidité. À terme, il faudrait que le bénéficiaire fasse des retraits du régime. Si, par exemple, il n'a été invalide que pendant deux ans et il a reçu pour deux ans de subventions et de bons avant de ne plus avoir droit au CIPH et de reprendre une vie normale, il pourrait un jour retirer tout cet argent qui a été versé dans le régime.

Le sénateur L. Smith : :roman; Si vous deviez résumer en 30 mots ou moins votre troisième recommandation, comment la formuleriez-vous? Je n'ai pas autant d'expérience que vous.

M. Crocker : :roman; Laissons les participants au régime garder leur REEI toujours ouvert. Seules les nouvelles contributions ne seraient pas autorisées s'ils ne peuvent pas prouver leur admissibilité au crédit d'impôt pour personnes handicapées. Une personne pourrait toujours garder son REEI ouvert, mais elle ne pourrait y contribuer que si elle est admissible à un crédit d'impôt pour personne handicapée.

M. Pooran : :roman; Permettez-moi d'ajouter une autre implication. Je suis d'accord avec M. Crocker.

Actuellement, si le REEI, ou si le bénéficiaire ou le titulaire du régime est obligé de fermer le régime à cause de la perte d'admissibilité, les contributions fédérales reçues dans les 10 années précédentes sont remboursées à l'État et tout le reste est transféré au bénéficiaire et imposé en conséquence. L'implication potentielle pour beaucoup de personnes, c'est qu'elles seraient disqualifiées ou elles perdraient leur admissibilité aux régimes d'aide sociale provinciaux parce que tout d'un coup, elles recevraient une somme importante qu'elles ne pourraient pas dépenser. Je voulais l'ajouter.

Le président : :roman; Merci. J'espérais que nous dépasserions 15 heures, mais c'est utile que vous ayez dressé une telle liste. À mon avis, les porte-parole du PLAN ont été très clairs en ce qui concerne la consultation. Vous semblez attacher beaucoup d'importance à une consultation efficace.

Monsieur Pooran, estimez-vous aussi qu'il y a eu une consultation efficace avec le gouvernement au sujet de ce programme?

M. Pooran : :roman; La consultation a été excellente. Les résultats des consultations ont été directement incorporés dans la loi. Tout comme M. Crocker du PLAN l'a dit, nous travaillons en étroite collaboration avec RHDCC et nous avons beaucoup apprécié la démarche de l'an dernier et les améliorations qui ont été apportées en conséquence au REEI dans le Budget 2012. Le processus consultatif a été excellent.

Le président : :roman; Vous avez tous eu la chance de prendre connaissance des résultats de la consultation en 2011. Un rapport a été produit au terme de cet exercice.

M. Pooran : :roman; Nous l'avons lu.

Le président : :roman; Le rapport renferme-t-il des recommandations ou des initiatives en suspens dont nous n'avons pas encore parlé et que vous aimeriez voir mises en œuvre?

M. Pooran : :roman; Je ne me rappelle pas si c'était noté ou non dans le rapport de la consultation, mais un sujet qui a fait beaucoup jaser, c'est lorsque le gouvernement a instauré la rétroactivité, dans le Budget 2010 si je ne m'abuse. Les membres de ce groupe étaient extrêmement excités. Cela voulait dire que les personnes handicapées n'avaient pas vraiment perdu les subventions et les bons de l'État. Elles pouvaient remonter rétroactivement à 2008 pour récupérer ces prestations.

Toutefois, ce qui était étonnant, c'est que le bénéficiaire ne pouvait pas présenter de demande pour remonter à 2008 à moins d'être dans sa 49e année. Le bénéficiaire devait présenter la demande avant la fin de l'année civile de son 49e anniversaire, ce qui m'apparaît un peu incompatible avec la loi — et je ne connais pas très bien la raison d'être de cette restriction. La loi dit que le gouvernement contribuera jusqu'à la fin de l'année civile au cours de laquelle un bénéficiaire atteint l'âge de 49 ans.

Prenons une personne âgée de 51 ans aujourd'hui, qui ne connaissait pas l'existence du REEI. Elle vient d'en être informée et veut ouvrir un régime. Elle peut encore le faire, mais elle ne peut pas revenir rétroactivement au moment où elle a eu 49 ans pour récupérer ses bons et ses subventions. Il aurait été intéressant d'avoir cette possibilité.

Le président : :roman; Quelque chose de la frontière entre Vancouver et Burnaby?

M. Crocker : :roman; Nous espérions que le transfert de fonds entre les REEI de deux bénéficiaires soit permis, comme ce l'est pour le REER ou même le REEE, pour lesquels un régime collectif est possible. Cette option n'existe pas. Prenons le cas d'un parent qui a deux enfants handicapés dont l'un meurt. Tout le régime s'effondre. Nous proposons de combiner ces deux REEI au bénéfice de l'enfant handicapé survivant, comme dans les autres régimes enregistrés d'épargne.

Le président : :roman; Nous nous penchons sur les régimes enregistrés d'épargne-invalidité depuis trois ou quatre ans.

M. Crocker : :roman; Excellent.

Le président : :roman; Nous trouvons tous que l'idée est très valable et attrayante, mais on dirait que nous n'arrivons tout simplement pas à la faire coller. Nous apportons sans cesse des améliorations graduelles, alors qu'il faudrait proposer le plan qui satisferait les gens et leur inspirerait confiance. Les gens s'attendent toujours à des modifications aux six mois.

M. Crocker : :roman; Nous répondons souvent à des demandes d'examen et vous nous demandez : y a-t-il des choses que vous aimeriez voir? À mon sens, nous avons en main un régime très solide, et ces petits changements sont souvent une question d'opinion. Beaucoup de gens sont déçus d'être trop vieux pour le régime. La même chose est arrivée lorsque le régime enregistré d'épargne-études est entré en vigueur. De fait, je n'ai pas pu en bénéficier contrairement à ma cadette. Je comprends. Je crois qu'au fil du temps, on peut dire que c'est un bon régime.

La préoccupation la plus importante que je pourrais exprimer de façon générale au nom des personnes handicapées, c'est qu'elles sont sceptiques : elles craignent que le REEI affecte les autres programmes dont elles bénéficient. Elles ont peur qu'il entraîne des récupérations provinciales et fédérales. Il y a une certaine crainte à cet égard. Même en ce qui concerne le Supplément du revenu garanti, ce n'est pas vraiment clair dans les sites Internet de l'ARC, du ministère des Finances ou de RHDCC. Les gens qui veulent voir l'information par écrit la trouvent, dans un seul formulaire. La précision figure dans le formulaire du Supplément de revenu garanti. Nous savons que des familles ont appelé au gouvernement et ont reçu des renseignements erronés. On leur dit que le régime aura une incidence et qu'ils devront déclarer ce revenu, ce qui est faux.

Il y a l'incertitude face à l'avenir. Est-ce que j'aurai vraiment accès à cet argent pour le dépenser comme bon me semble, ou suis-je en train d'épargner aujourd'hui, pour me rendre compte que je serai pénalisé plus tard? C'est la plus grande préoccupation. Quant aux autres détails, ce sont des idées et des suggestions qui viennent des gens. J'espère que c'est utile.

Le président : :roman; C'est très utile.

Monsieur Pooran, voulez-vous nous dire ce que vous en pensez?

M. Pooran : :roman; De notre point de vue, l'ACIC est au service des personnes ayant une déficience intellectuelle et cognitive et des troubles de développement. Loin de moi l'intention de diminuer l'importance de l'accès universel au REEI pour les personnes qui y sont admissibles, parce qu'actuellement, je me répète, je ne peux pas insister trop sur le fait que des milliers de personnes sont admissibles au REEI, sans pouvoir ouvrir un régime à cause de l'obstacle législatif.

Il y a aussi l'accès au fonds. J'ai vu beaucoup d'individus et de familles qui peuvent établir un REEI, mais ils ne l'utilisent pas au maximum parce qu'ils ne versent pas leurs contributions, et par conséquent ils ne reçoivent pas de subvention, parce qu'ils ne croient pas qu'eux-mêmes, ou leur fils ou leur fille, vivront assez longtemps pour bénéficier des produits du régime. De notre point de vue, ce sont les deux principaux problèmes à régler.

Le président : :roman; Pourquoi n'expliquerions-nous pas clairement l'obstacle législatif auquel vous faites allusion, pour que tout le monde comprenne?

M. Pooran : :roman; L'obstacle législatif auquel je faisais allusion tient à la façon dont la Loi de l'impôt sur le revenu définit un titulaire de régime pour un bénéficiaire adulte. Monsieur Crocker, je ne sais pas si vous avez votre copie de la Loi de l'impôt sur le revenu sous les yeux. Le bénéficiaire du régime peut être titulaire du régime; une personne autorisée à agir en son nom peut être titulaire du régime, et par suite de la modification adoptée le 29 juin dans le projet de loi C-38, un parent, un conjoint ou un conjoint de fait peut désormais être titulaire du régime. Je pense que j'ai oublié de souligner que des organismes publics peuvent aussi jouer ce rôle.

Ainsi, l'implication est que nous nous attardons à la définition de « légalement autorisé ». Qui est légalement autorisé à agir au nom de la personne? Cela varie d'une province à une autre. Dans la plupart des provinces — la Colombie- Britannique fait exception — l'autorité légale ou la représentation juridique signifie qu'une personne s'est vu donner une procuration à l'égard de biens matériels ou l'équivalent — j'utilise ici le jargon de l'Ontario — ou qu'une personne a été désignée comme curateur.

Aux termes de la loi, si une personne est réputée inapte à contracter — malheureusement, le mot « apte » est écrit noir sur blanc dans la Loi — les chances sont qu'elle ne pourra remplir les critères législatifs lui permettant de donner une procuration à l'égard de ses biens. C'est pourquoi elle ne peut désigner qui que ce soit pour agir comme son représentant juridique de cette façon. Par conséquent, elle est obligée de se prêter à une évaluation de ses capacités, de renoncer à tous ses droits de prendre des décisions et de se voir désigner un curateur qui prendra toutes les décisions en son nom, simplement pour ouvrir un REEI.

Le président : :roman; Simplement pour qu'elle puisse participer au régime?

M. Pooran : :roman; Oui. Nous avons élaboré en concertation une solution très innovatrice, que nous avons soumise au ministère des Finances. Nous demanderons peut-être un nouvel examen à cet égard.

Le sénateur Chaput : :roman; S'agit-il d'un revenu imposable?

M. Pooran : :roman; Lorsque l'argent est retiré, la seule partie du retrait qui est imposable au nom du bénéficiaire est celle qui représente les gains du régime et les contributions de l'État.

Le sénateur Chaput : :roman; Pas l'argent qui a été mis dans le régime par...

M. Pooran : :roman; Non, c'est de l'argent déjà imposé.

Le sénateur Chaput : :roman; Cela signifie que cette portion est ajoutée au revenu de la personne, est-ce exact?

M. Pooran : :roman; C'est le revenu de la personne. Disons que la seule source de revenu du bénéficiaire est l'aide sociale, qui est généralement considérée comme un revenu non imposable partout au pays. Il peut y avoir une incidence fiscale minime ou une responsabilité fiscale minime, selon l'importance du retrait.

Le sénateur Chaput : :roman; Cependant, cela ne représente habituellement pas un gros montant?

M. Pooran : :roman; L'impôt ne devrait pas être très élevé, à moins que le bénéficiaire retire une somme forfaitaire, disons 20 000 ou 30 000 $, pour une mise de fonds sur une maison ou quelque chose du genre.

Le sénateur Chaput : :roman; Dans un tel cas, c'est imposable?

M. Pooran : :roman; La partie du retrait qui représente le rendement obtenu sur les subventions de l'État le serait.

Le sénateur Enverga : :roman; J'écoutais toute cette discussion. En passant, merci pour les excellentes déclarations préliminaires.

Je ne sais pas si la réponse a déjà été donnée. C'est au sujet des frères et des sœurs. Pouvez-vous nous donner des exemples de la façon dont cela peut être utile à la personne handicapée si nous incluons un membre de la fratrie parmi les bénéficiaires?

M. Pooran : :roman; La modification destinée à inclure un parent, un conjoint ou un conjoint de fait nous apparaissait comme une solution temporaire, une sorte de pansement. La modification a été apportée pour quatre ans afin de permettre aux provinces de modifier leur loi. Entre-temps, l'un ou l'autre des parents, ou les deux, peuvent mourir. Si le parent est le titulaire du régime et qu'il est maintenant décédé, le régime est dans les limbes. Un frère ou une sœur n'a aucune autorité légale — exception faite de provinces comme la Colombie-Britannique qui a adopté le Representation Agreement Act — de devenir le titulaire du régime. On peut alors être obligé de déclarer le bénéficiaire inapte puis d'investir le temps et l'argent nécessaires pour présenter une demande de curatelle, ou le Bureau du tuteur et curateur public, le BTCP, peut devoir d'en mêler et devenir le titulaire du régime. Si on avait inclus « un membre de la fratrie » dans la mesure temporaire, beaucoup plus de gens qui n'ont pas de parent, qui ne sont pas mariés ou qui n'ont pas de conjoint de fait auraient pu établir un REEI.

Le sénateur Enverga : :roman; Pour gérer le compte?

M. Pooran : :roman; Pour gérer le régime, oui.

Le président : :roman; Chers collègues, je tiens à remercier en votre nom M. Pooran pour sa présence et son aide, et je remercie aussi Mme Vilvang et M. Crocker, du Planned Lifetime Advocacy Network. M. Pooran représente l'Association canadienne pour l'intégration communautaire.

Merci à tous d'être venus et de nous avoir aidés à comprendre ce projet fort utile pour les personnes handicapées.

M. Pooran : :roman; Je vous suis très reconnaissant du temps que vous m'avez alloué. Merci.

M. Crocker : :roman; Tout le plaisir était pour nous.

[Français]

Nous allons continuer notre étude de la teneur du projet de loi C-45, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 29 mars 2012 et mettant en œuvre d'autres mesures.

[Traduction]

Au cours de notre deuxième séance ce soir, nous examinerons les modifications qu'on propose d'apporter au crédit d'impôt à la recherche scientifique et au développement expérimental, connu par son sigle, RS&DE. Ces modifications figurent dans la partie 1 du projet de loi à l'article 9, page 14, entre autres.

Nous accueillons M. Martin Lavoie, directeur des politiques, Productivités et innovations chez Manufacturiers et exportateurs du Canada. Nous avions aussi l'intention d'accueillir M. Russ Roberts. Il lui a été impossible de venir pour des raisons personnelles. Nous tenterons de trouver un moment qui lui conviendra pour nous entretenir du même sujet, mais il nous a remis un document, en voie d'être traduit, qui nous sera distribué en temps voulu.

Nous sommes ravis que M. Lavoie soit parmi nous. Vous avez la parole.

[Français]

Martin Lavoie, directeur des politiques, Productivités et Innovation, Manufacturiers et exportateurs du Canada : Merci de m'avoir invité encore une fois au comité, cette fois-ci pour discuter du projet de loi C-45, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 29 mars 2012 et mettant en œuvre d'autres mesures.

Je vais faire mes remarques en anglais, mais sentez-vous bien à l'aise de poser des questions dans l'une ou l'autre des deux langues.

[Traduction]

Manufacturiers et Exportateurs du Canada (MEC) représente 10 000 manufacturiers et exportateurs partout au Canada, lesquels sont responsables de 82 p. 100 de la production manufacturière du Canada et de 90 p. 100 de toutes les exportations. Plus de 85 p. 100 de nos membres sont de petites et moyennes entreprises. Les autres sont des multinationales.

L'innovation et la productivité sont des leviers de plus en plus importants de la croissance manufacturière dans les pays industrialisés, et c'est probablement encore plus vrai au Canada qu'ailleurs. Pendant la dernière décennie, les manufacturiers canadiens ont dû composer avec une concurrence accrue de la part de marchés en développement ainsi qu'avec une appréciation rapide du dollar canadien. La seule stratégie viable à long terme est de miser sur l'innovation et la productivité.

Le secteur manufacturier canadien, bien qu'il ne représente que 14 p. 100 du PIB du Canada, représente 55 p. 100 de toutes les dépenses en R et D des entreprises, année après année. C'est de loin le secteur le plus axé sur la R et D de notre économie. Presque la moitié des utilisateurs de RS&DE sont des manufacturiers.

Il y a deux semaines, MEC a publié un rapport spécial sur l'impact économique des changements proposés au crédit d'impôt à la RS&DE sur l'innovation des entreprises canadiennes. J'ai fait circuler des exemplaires de ce document dans les deux langues officielles.

Je vais parler des conclusions de cette étude. La première conclusion est que les mesures proposées entraîneront une nette diminution des activités de R et D au Canada. Selon nous, toutes les mesures proposées par le gouvernement réduiront de 750 millions de dollars par année les crédits d'impôt en matière de R et D à compter de l'exercice 2016- 2017. Pour vous donner une idée, ce montant représente 5 p. 100 des dépenses en R et D de toutes les entreprises au Canada l'an dernier, soit environ 15,9 milliards de dollars. Selon notre dernier sondage sur les enjeux de gestion publié le mois dernier, 69 p. 100 des manufacturiers canadiens réduiront leurs dépenses de R et D, et un autre 20 p. 100 se tournera vers d'autres compétences pour mener des activités de R et D. Nous estimons donc que le plein impact de ces changements sur les activités de R et D des entreprises au Canada sera d'environ 1,5 milliard de dollars.

Le deuxième point concerne l'élimination des dépenses en capital de l'assiette fiscale aux fins du crédit d'impôt. Le budget propose d'éliminer complètement les actifs de l'assiette fiscale. Là encore, aucun autre secteur de notre économie ne sera aussi touché que le secteur manufacturier, parce que ses activités de R et D ont tendance à exiger beaucoup de capitaux. Bien qu'en moyenne dans l'ensemble de l'économie, environ 5 p. 100 des dépenses en R et D sont en lien avec les capitaux, dans notre secteur ce pourcentage dépasse les 30 p. 100. Notre rapport a comparé comment d'autres pays traitaient les dépenses en capital liées à la R et D sur le plan fiscal. La grande majorité des pays étudiés fournissent soit un crédit d'impôt (comme le Canada avant le budget) ou un taux d'amortissement accéléré (comme au Royaume-Uni par exemple qui autorise l'amortissement des machines et équipements utilisés pour la R et D dans l'année). Là encore, l'attrait du Canada à l'internationale comme destination pour la R et D sera moindre.

La réduction de l'indicateur utilisé pour le remboursement des frais généraux au titre du Programme de RS&DE est la troisième mesure importante du budget. Le gouvernement estime l'indicateur trop généreux et il propose de le réduire de 65 à 55 p. 100 de façon à mieux refléter les frais généraux. Or, nous n'avons vu aucune preuve ou analyse de la part du ministère des Finances qui laisse entendre que ce soit vraiment le cas. De fait, lors de la comparution du directeur de la fiscalité des entreprises devant le Comité des finances de la Chambre des communes le 1er novembre, la question lui a été posée et il a répondu que son ministère n'a pas fait cette analyse et qu'il n'avait donc pas les données en question. Nous croyons cependant que le recours à un indicateur pourrait simplifier le processus de réclamation, tel que suggéré par le conseil d'experts Jenkins Panel, et le gouvernement devrait donc faire une analyse complète avant d'apporter un changement qui incitera plus de sociétés à retourner à la méthode traditionnelle, ce qui aura pour effet d'augmenter les coûts de conformité et la charge de travail des vérificateurs de l'ARC, autre recommandation clef du rapport Jenkins.

Le quatrième point, c'est que le gouvernement veut supprimer l'élément profit des contrats de tiers autonomes aux fins du calcul des crédits d'impôt de RS&DE. Aux termes du projet de loi C-45, les paiements à des tiers autonomes pour la R et D sont limités à 80 p. 100 de ces paiements pour les dépenses engagées après le 31 décembre 2012. Ce changement s'applique aux paiements pour la RS&DE effectuée pour le compte de contribuables (c.-à-d., sous-traitants) et les paiements pour la RS&DE effectuée par des tiers incluant des sociétés qui résident au Canada, des associations, des universités et des collèges approuvés, des instituts de recherche et des sociétés de R et D sans but lucratif. Cette mesure réduira l'effet d'entraînement des programmes de RS&DE sur la recherche collaborative entre les entreprises et les universités et d'autres établissements universitaires et axés sur la recherche.

Je conclurai en disant qu'il y a trois façons de regarder l'impact des changements proposés sur les activités de R et D des entreprises. En termes de dollars réels, les changements réduiront d'environ 1,5 milliard de dollars par année les montants investis par les entreprises en R et D à partir du moment où les mesures seront mises en œuvre. Pour ce qui est des crédits d'impôt des grandes entreprises, l'impact négatif de la réduction de 5 p. 100 de la RS&DE dépassera de loin tout avantage que la réduction du crédit d'impôt instaurée par le fédéral en 2008. Je ne parle ici que des grands manufacturiers.

En termes de compétitivité internationale et de notre capacité d'attirer des capitaux étrangers de grandes entreprises de R et D, notre cote baissera de 13 à 17, d'après notre étude, et les principaux pays en développement comme l'Inde, la Chine, la Turquie et le Brésil offriront désormais aux grandes multinationales des crédits d'impôt en R et D plus avantageux que nous.

Pour réduire l'impact de ce changement sur le secteur manufacturier du Canada, MEC recommande au gouvernement de fournir un appui plus direct aux grandes entreprises en leur offrant un crédit d'impôt partiellement remboursable, lequel pourrait cibler, par exemple, des projets visant à améliorer la productivité, un autre domaine dans lequel l'écart entre le Canada et d'autres pays se creuse. Le gouvernement devrait aussi autoriser les entreprises à amortir plus rapidement le coût de la machinerie et de l'équipement utilisés aux fins de la R et D et faire une analyse plus détaillée des frais généraux et de l'indicateur utilisé avant de procéder à une réduction de 10 p. 100.

Je vais m'arrêter ici. Il me fera plaisir de répondre à vos questions. Je sais que c'est en partie assez technique.

Le président : :roman; Je vous remercie beaucoup. Je veux confirmer que le rapport dont vous parliez, celui qui a été distribué, est daté de novembre 2012. C'est bien celui-ci?

M. Lavoie : :roman; Oui.

Le président : :roman; Nous avons aussi reçu une copie d'une lettre de la Coalition des manufacturiers du Canada, la CMC. Elle est datée du 12 septembre et elle est adressée au ministre Flaherty. Il y en a une autre datée du 7 mai 2012.

M. Lavoie : :roman; C'est exact.

Le président : :roman; Nous avons tous ces documents en notre possession. Votre position aujourd'hui, est la même que celle qui était exprimée dans ces lettres?

M. Lavoie : :roman; Oui, en gros. Elle est maintenant plus détaillée aujourd'hui.

Le président : :roman; Merci.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Ce que je lis dans votre texte en anglais, c'est presque mot à mot. Ce que vous dites, c'est que vous n'êtes pas d'accord avec le rapport Jenkins. Je dis que le rapport Jenkins, c'est un rapport qui a été commandé par le ministre, qui a été fait par un groupe d'experts et par des gens issus strictement du milieu financiers et qui n'étaient pas des experts.

Je me souviens fort bien qu'on avait eu un genre de crédit d'impôt que les banques s'étaient appropriées à des montants faramineux, qu'éventuellement ils ont dû repayer parce que ce n'était pas du tout l'intention du gouvernement. Par la suite, le gouvernement avait été obligé de mettre un holà, disant que ce n'était pas fait pour changer les systèmes électroniques.

Sauf certaines exceptions, je ne vois pas dans votre texte les industries ou les secteurs où on pouvait être mieux ciblé et avoir un focus particulier. Peut-être qu'il serait bon de prévoir des programme particuliers pour les grands manufacturiers. Vous dites que pour les petites et moyennes entreprises, on a besoin de certaines mesures pour leur permettre de prendre de l'expansion.

Est-ce qu'il y a des secteurs particuliers dans lesquels on est des champions et qu'on devrait continuer à supporter?

M. Lavoie : Vous voulez dire des sous-secteurs du secteur manufacturier?

Le sénateur Hervieux-Payette : Oui.

M. Lavoie : Si vous prenez les dix plus grandes compagnies qui font de la R&D au Canada, elle sont dans le secteur de l'automobile, de l'aéronautique, des télécommunications et des ressources naturelles. Par exemple, vous avez Imperial Oil, Rio Tinto Alcan.

La plupart de ces secteurs, sauf peut-être celui des télécommunications, sont très intenses au niveau du capital. Pourquoi? Parce que faire des logiciels, ça demande beaucoup plus de main-d'œuvre que de capital, mais inventer une nouvelle manière d'extraire un minerai, ça requiert beaucoup plus de capital.

Quand je dis « capital », c'est parce qu'il faut une usine-pilote, il faut de la machinerie et des gens qui vont travailler avec aussi. Il y a de la main-d'œuvre mais il y a beaucoup de capital. Je vous dirais que ces secteurs sont au Canada, même si on dit que le Canada a une piètre performance, en général, en R&D comparé aux autres pays.

Par exemple, dans le secteur aéronautique, le Canada performe mieux que beaucoup d'autres pays. C'est un secteur qui bénéficie d'un bon crédit d'impôt à travers SR&DE. C'est un secteur qui bénéficie aussi de soutien particulier à travers le programme appelé Initiative stratégique de l'aéronotique.

Ces programmes de soutien direct ne sont pas accessibles à tout le monde. Ce que M. Jenkins a dit finalement, c'est qu'on devrait faire plus de soutien direct aux entreprises au Canada. Il disait que ça pouvait expliquer peut-être pourquoi on avait une piètre performance comparée à celle des autres pays.

On n'était pas d'accord pour dire : « Oui, on est tous en faveur de plus de soutien direct ». Mais n'allez pas déshabiller Jean pour habiller Jacques. On va chercher de l'argent dans SR&DE et on va le réinvestir dans le soutien direct. Il y a 2 600 compagnies qui seront négativement affectées par la réduction de 5 p. 100 du taux, passant de 20 p. 100 à 15 p. 100 pour le crédit d'impôt. Ces compagnies ne sont pas nécessairement juste de grosses multinationales parce que sous SR&DE, ce qui est considéré comme une grosse compagnie, c'est une compagnie qui génère plus de 400 000 $ en revenu taxable et un certain minimum de capital.

Ce n'est pas vrai que ces compagnies auront nécessairement accès à du soutien direct. Comment vont-elles parvenir à faire du soutien direct qui va compenser ou peut-être même améliorer l'innovation au Canada? C'est une question à laquelle personne n'a encore répondu.

Le sénateur Hervieux-Payette : Qui va prendre la décision du soutien direct? Pour quelles entreprises et pour quels secteurs? Parce que sans objectifs précis, on risque de voir les fonctionnaires se gratter la tête dans leur bureau et dire : « Lui on va le faire aujourd'hui, l'autre on le fera demain. »

Il faut avoir un plan spécifique qui fasse en sorte que dans ces secteurs on part avec une bonne base et allons plus loin. Il faut quand même analyser. Je vous dis cela parce que j'ai une expérience avec une firme d'ingénieurs qui faisait beaucoup de recherche. Et très souvent, par le temps qu'on avait fini de développer le projet pour aller demander une subvention, le programme n'existait plus. On avait dépensé une fortune puis on n'avait pas de subvention et on tuait le projet dans l'œuf. On avait travaillé longtemps et ça n'a pas coûté cher au gouvernement, mais il ne faut pas répéter ces erreurs.

Puisque votre secteur est extrêmement stratégique et important au Canada pour la création d'emplois, il faut d'abord s'assurer qu'on ne tombe pas dans l'arbitraire pour les projets précis et qu'on n'aie pas de directives à savoir où on va investir les sommes d'argent.

M. Lavoie : Si vous faites du soutien direct, ça veut dire que vous créez une agence ou que vous prenez une agence existante et que vous investissez des fonds. Il y a des gestionnaires de programmes qui reçoivent des applications et qui choisissent basés sur les critères X, Y et Z.

Ce qu'on aime de SR&DE, c'est que c'est démocratique. Toute personne qui peut prouver à un auditeur de l'Agence du revenu que ce qu'il a fait c'est un avancement technologique et que ça répond aux critères, il va y être éligible. Tandis que dans le soutien direct, ça va dépendre d'une panoplie de facteurs, mais de facteurs, comme vous dites, plus arbitraires que si c'est basé sur un crédit d'impôt.

[Traduction]

Le sénateur Eaton : :roman; Pour ma propre édification, ils ont en réalité réduit le crédit d'impôt à l'investissement de 20 à 15 p. 100, n'est-ce pas?

M. Lavoie : :roman; Oui, pour les grandes sociétés.

Le sénateur Eaton : :roman; Oui, ils l'ont réduit de 5 p. 100.

M. Lavoie : :roman; C'est exact.

Le sénateur Eaton : :roman; L'investissement dans l'innovation n'est-il pas bon pour votre entreprise? J'imagine que pour survivre dans un marché, les fabricants doivent innover sans cesse.

M. Lavoie : :roman; Dans notre secteur, comme dans beaucoup d'autres secteurs, nous disons que c'est « vital ». Au moment d'établir son plan de gestion de la recherche et de l'innovation, une entreprise qui ne fait pas beaucoup de profits dans une année donnée ne peut pas simplement dire qu'elle ne fera pas de R et D cette année-là.

Le sénateur Eaton : :roman; Si vous êtes un fabricant en santé, j'imagine que vous pouvez vous permettre de travailler sur votre innovation.

M. Lavoie : :roman; Oui.

Le sénateur Eaton : :roman; Je n'arrive pas à comprendre pourquoi vous êtes aussi contrarié que vous semblez l'être pour une compression de 5 p. 100.

Quand vous avez mentionné que le Canada n'aurait plus la capacité d'attirer des investissements étrangers, si je me souviens bien, vous avez dit que les sociétés seraient moins susceptibles de venir s'installer ici. Nous avons l'un des taux d'impôt sur le revenu des sociétés parmi les plus bas au monde. N'est-ce pas suffisant pour compenser? Est-ce un facteur attrayant? Actuellement, le taux est beaucoup plus faible que celui des États-Unis.

M. Lavoie : :roman; Je dirais que si nous prenons en compte le taux d'impôt sur le revenu des sociétés, nous devons prendre en compte les taux fédéraux et provinciaux combinés. Je comprends que vous dites que le taux d'impôt fédéral est le plus bas parmi les pays du G7. Cela dit, si vous êtes une société, vous êtes aussi dans une province et vous payez aussi des impôts à la province.

Le sénateur Eaton : :roman; Ce n'est pas un impôt fédéral.

M. Lavoie : :roman; De son point de vue, la société paie encore des impôts. Un impôt est un impôt.

Le sénateur Eaton : :roman; Oui.

M. Lavoie : :roman; Si nous combinons les deux, si nous prenons les taux d'impôt fédéraux et certains taux provinciaux sur le revenu des sociétés et nous les comparons à ceux des pays de l'OCDE, nous n'arrivons même pas à nous classer parmi les 10 premiers. Nous sommes en plein milieu. Nous sommes dans la moyenne, à 24 p. 100, comme le Royaume-Uni.

Le sénateur Eaton : :roman; Les provinces ne sont pas toutes identiques. Il doit y en avoir des bonnes et des mauvaises.

M. Lavoie : :roman; Des taux plus élevés et plus faibles, oui.

Le sénateur Eaton : :roman; Le Québec et l'Ontario sont-elles les pires?

M. Lavoie : :roman; Non, parce qu'elles ont réduit la taxe sur le carbone. Toutefois, nous ne pouvons pas nous contenter de prendre seulement en compte le taux d'imposition. Le 20 p. 100 représente 20 p. 100 de quoi? C'est 20 p. 100 des impôts que vous payez.

Voici comment nous nous y sommes pris. Nous sommes remontés à 2008 pour les grandes sociétés seulement, pas pour les petites entreprises, parce que celles-ci ont droit à un crédit d'impôt de 35 p. 100. En réalité, deux taux différents s'appliquent aux fins du crédit à la RS&DE : un pour les petites entreprises et un pour les grandes sociétés. Nous examinons seulement les grandes sociétés. Pour chaque dollar qu'une grande société a dépensé en R et D au Canada en 2008, le taux de subventions du programme RS&DE fédéral représentait 18 cents. Le crédit d'impôt de 20 p. 100 était réduit du taux de l'impôt sur le revenu que les sociétés payaient. En 2012, compte tenu de toutes les réductions des taux de l'IRS qui sont survenues, il est vrai que le taux de subventions a augmenté.

Le sénateur Eaton : :roman; Où se situera-t-il maintenant?

M. Lavoie : :roman; Il est passé à 18,4; il a augmenté de 4 cents par dollar.

Le sénateur Eaton : :roman; Et après la réduction?

M. Lavoie : :roman; Avec les modifications proposées, 13,6 cents.

Le sénateur Eaton : :roman; Pouvez-vous survivre à ça?

M. Lavoie : :roman; Je ne dis pas que nous ne survivrons pas. Je dis que ces modifications réduiront l'attrait du Canada à titre de destination pour la R et D des grandes sociétés. Prenons un de nos membres, Magna International, qui figure parmi les cinq entreprises qui font le plus de R et D Magna compte 84 centres de génie en R et D dans 18 pays. Je ne dis pas que le crédit d'impôt pour la R et D est le seul facteur, mais c'en est un.

Le sénateur Eaton : :roman; Il y a la main-d'œuvre qualifiée et le gouvernement stable. Il y a beaucoup de facteurs.

M. Lavoie : :roman; C'est juste, mais le crédit d'impôt en fait clairement partie. Nous disons que c'est un facteur important. La plupart des grands acteurs de la R et D sont membres de MEC et elles ont toutes exprimé leurs préoccupations. Certaines d'entre elles ont envoyé elles-mêmes des lettres. D'autres ont simplement exprimé leur appui à nos recommandations.

Pour les sociétés dont le siège social est à l'étranger, le PDG canadien doit attirer des mandats mondiaux de R et D au sein de sa société. Même si une société a son siège social au Canada, elle a peut-être la possibilité d'aller ailleurs. L'an prochain, le Royaume-Uni commencera à accorder un crédit d'impôt remboursable aux grandes sociétés. Si une société éprouve des problèmes de rentabilité, il vaut mieux pour elle d'aller au Royaume-Uni si elle en a la possibilité. Je ne dis pas que toutes les sociétés s'y précipiteront. Cependant, dans notre sondage, 20 p. 100 de nos membres ont dit qu'ils commenceraient à examiner la situation dans d'autres administrations, juste pour se faire une idée du portrait.

Le sénateur Eaton : :roman; Il y a d'autres facteurs.

Je vous remercie, monsieur le président.

Le président : :roman; Merci, sénateur Eaton. J'étais à la veille de vous demander d'être un de nos témoins, mais je me suis abstenu.

Le sénateur Callbeck : :roman; Les petites et moyennes entreprises représentent 85 p. 100 de vos membres. Comment définissez-vous les petites et moyennes entreprises?

M. Lavoie : :roman; Nous nous fions habituellement au nombre d'employés, soit moins de 500. C'est le critère qu'utilisent aussi des programmes de financement, comme le PARI du CNRC. Cependant, comme je l'ai dit, cela ne s'applique pas au programme de RS&DE.

Le sénateur Callbeck : :roman; Dans vos recommandations, vous demandez une aide plus directe pour les grandes sociétés et pourtant, 8 500 de vos membres sont des petites et moyennes entreprises. Est-ce que la plupart d'entre elles sont admissibles au crédit de 35 p. 100?

M. Lavoie : :roman; Pas forcément, non. Pour faire la distinction entre une petite et une grande société, le programme de RS&DE utilise le seuil applicable aux sociétés privées sous contrôle canadien. Le nombre d'employés n'entre pas en ligne de compte. Ce critère concerne le revenu imposable de la société et le capital qu'elle possède. Pour le revenu imposable, la barre se situe à 400 000 $. Certains de nos membres ont moins de 50 employés, ce sont de petites entreprises qui sont considérées comme étant de grandes sociétés au titre du programme de RS&DE. Elles n'ont donc pas accès au crédit d'impôt de 20 p. 100.

Le sénateur Callbeck : :roman; Je me demandais simplement pourquoi vous demandez une aide plus directe pour les grandes sociétés. Pourquoi ne le demanderiez-vous pas pour toutes les entreprises?

M. Lavoie : :roman; Ce sont les seules touchées par la réduction du taux. Le taux de 35 p. 100 demeure pour les petites sociétés.

Le sénateur Callbeck : :roman; Vous avez dit que certaines petites entreprises ont droit à moins de 35 p. 100. Est-ce bien ce que vous venez de dire? Le taux de 35 p. 100 s'applique-t-il à ces sociétés?

M. Lavoie : :roman; Le taux de 20 p. 100 s'applique. Nous disons que la différence entre le taux de 35 p. 100 et le taux de 20 p. 100 tient au fait que le premier est remboursable et le deuxième ne l'est pas. Cela signifie que si votre société ne fait pas de profit, si elle n'a pas à payer d'impôt, vous devez reporter ces crédits. Pour leur part, les petites entreprises touchent un chèque et elles n'ont pas besoin de reporter le crédit. Elles font leurs travaux de R et D, elles touchent un chèque et elles le dépensent. Nous disons donc que vous devriez instaurer ce remboursement. Si c'est bon pour les petites entreprises, c'est sans aucun doute bon pour les moyennes entreprises et pour les grandes également.

Le sénateur Callbeck : :roman; Vous parlez de l'élimination des dépenses en capital de l'assiette fiscale et d'un taux d'amortissement accéléré. Puis, entre parenthèses, vous dites « [...] autorise l'amortissement des machines et équipements utilisés pour la R et D dans l'année ». Autrement dit, vous radiez le tout cette année-là.

M. Lavoie : :roman; C'est bien ça, une radiation sur un an ou deux. C'est un an au Royaume-Uni, 2 ans et demi, en Afrique du Sud. À notre avis, c'est une solution de rechange à l'élimination des dépenses en capital du crédit d'impôt qui encouragerait quand même les sociétés dont les activités sont exigeantes en investissements à investir dans la machinerie et les équipements nécessaires à la R et D.

Le président : :roman; Est-il logique que le taux de 35 p. 100 pour ce groupe ne soit pas réduit, tandis que l'autre taux, 20 p. 100, est réduit à 15 p. 100? Où est la logique? Est-ce le caractère remboursable ou non remboursable qui entre en jeu?

M. Lavoie : :roman; Prenons le rapport que l'OCDE a publié sur l'innovation au Canada juste avant l'été, vers avril ou mai si je ne m'abuse. On y recommande que le Canada réduise le crédit de 35 p. 100 et utilise l'argent ainsi économisé pour accorder une aide plus directe seulement aux petites entreprises. Prenons le rapport Jenkins, qui dit que nous devrions éliminer le crédit pour dépenses d'immobilisations. C'est vrai. Cependant, il dit aussi de ne pas oublier qu'une telle mesure fera particulièrement mal à certaines catégories de sociétés exigeantes en investissements et qu'il faudrait donc trouver une façon de compenser cette mesure pour elles.

Le gouvernement opte plutôt pour éliminer le crédit pour les dépenses d'immobilisations et réduire le taux en même temps. La plupart des petites entreprises qui participent au programme de RS&DE n'ont pas des activités très exigeantes en investissements. Je dirais que c'est surtout concentré dans les grandes sociétés, dans des secteurs comme les ressources naturelles, l'aérospatiale, l'automobile, et cetera.

Le sénateur Callbeck : :roman; Dans vos conclusions, vous parlez de la compétitivité sur le marché international et de la capacité à attirer des investissements de grands joueurs en R et D, vous dites que vous glisserez de la 13e à la 17e place au classement.

M. Lavoie : :roman; C'est exact.

Le sénateur Callbeck : :roman; Pourquoi le gouvernement agit-il ainsi? Pourquoi n'essayons-nous pas d'attirer davantage de R et D?

M. Lavoie : :roman; Si vous voulez connaître la réponse que le gouvernement nous a donnée — parce que nous lui avons posé la question —, au sujet de la réduction du taux, on nous a dit que parce que le gouvernement avait réduit le taux de l'impôt sur le revenu des sociétés depuis 2008, il devait réduire le crédit d'impôt à la RS&DE de façon à tenir compte du nouveau taux. Comme nous l'avons dit dans notre analyse, le 5 p. 100 nous semble un peu arbitraire. Le gouvernement n'a pas vraiment pris en compte les répercussions. Nous avons dit que la réduction de 5 p. 100 est supérieure à l'avantage que procurent les réductions de l'IRS.

Quant à l'élimination des dépenses d'immobilisations, on nous répond que cette mesure simplifiera le processus de demandes. Il est vrai que le commissaire Jenkins avait aussi soulevé ce point, mais j'ai lu probablement 45 mémoires soumis à la Commission Jenkins et je n'ai lu nulle part que le crédit pour dépenses en capital était si complexe qu'il vaudrait mieux l'éliminer. Je ne crois pas qu'il y aura moins d'experts-conseils pour produire les demandes adressées au programme de RS&DE parce que les dépenses en capital ne font plus partie du crédit d'impôt. Je n'accepte certainement pas cet argument et nos membres ne l'acceptent pas non plus.

Quant à la méthode de remplacement, comme je l'ai dit, le gouvernement n'a aucune preuve qu'elle est trop généreuse. Comme je l'ai dit dans ma déclaration, en obligeant les sociétés à utiliser la méthode conventionnelle, on ne fait qu'alourdir le processus de demande. Si l'objectif est de le simplifier, cette mesure n'est pas la solution.

Quant aux paiements à des tiers, le gouvernement a décidé de façon très arbitraire que 20 p. 100 de la valeur de tous les contrats représente un profit net pour le sous-traitant, ce qui justifie de couper ce pourcentage. Si l'université de Guelph obtient un contrat de R et D, met-elle 20 p. 100 de l'argent dans sa poche? Je ne sais pas.

[Français]

Le sénateur Bellemare : M. Lavoie, j'ai une question de méthodologie, parce que, dans vos conclusions vous dites que les changements apportés peuvent réduire les dépenses en recherche et développement de 1,5 milliard par année. Je voudrais savoir comment vous avez évalué ce coût, parce que c'est assez important.

M. Lavoie : Je me suis basé sur le fait que 55 p. 100 des demandes venaient du secteur manufacturier. On a appliqué cela aux grandes corporations seulement pour le 5 p. 100 et on l'a appliqué à toutes les corporations concernant les autres mesures, puis on est arrivé à ces chiffres. Aussi, comme je l'ai dit tantôt, on a fait des sondages puis on a essayé de connaître la moyenne. Mettons que les compagnies disaient qu'elles allaient réduire entre 15 et 30 p. 100 leur budget de recherche et développement, alors on a fait une moyenne, puis cela nous a donné une idée. Ce n'est peut-être pas exact à la cenne près, mais l'idée est basée sur une méthodologie assez commune.

Le sénateur Bellemare : Je vais poursuivre la réflexion de madame le sénateur Eaton. Comment compareriez-vous le programme de crédit d'impôt à la recherche et au développement pour les grandes entreprises à un programme de crédit d'impôt à la formation de la main-d'œuvre?

Je vous ramène en arrière à un programme qui a existé au Québec, un programme de crédit d'impôt pour les dépenses en formation de la main-d'œuvre. Un moment donné, le gouvernement a annulé ce programme parce que plus il était connu plus il devenait coûteux. Il était coûteux non pas parce qu'il encourageait nécessairement des entreprises à faire de la formation, mais parce que celles qui en faisaient ont bénéficié du crédit d'impôt. Cela n'a pas beaucoup incité les entreprises à en faire d'autres. Je ne sais pas si vous comprenez mon point. Une bonne entreprise qui veut aujourd'hui, être compétitive, comme le disait le sénateur Eaton, doit faire de la recherche et du développement, donc est-ce que le programme SR&DE se compare à un crédit d'impôt à la formation ou s'il y d'autres arguments qui font en sorte que les entreprises en font plus?

M. Lavoie : Je comprends. C'est une critique qui a souvent été faite envers le programme SR&DE. En anglais, on dit : « It is not incremental ». Autrement dit, on vous donne un crédit d'impôt pour ce que vous avez fait en janvier passé, alors qu'on ne sait pas si cela aurait été fait de toute façon. C'est un peu cela que vous voulez dire?

Le sénateur Bellemare : C'est exactement cela, oui.

M. Lavoie : Moi, je dirais que ce n'est probablement ni noir ni blanc, mais c'est vrai que c'est une critique à laquelle j'ai pensé qui m'a porté à regarder le modèle américain. Aux États-Unis, ils ont un crédit d'impôt de 14 p. 100, mais ce n'est pas vraiment 14 p. 100; il faut faire une moyenne des dépenses en recherche et développement des trois années antérieures et, si le budget de recherche et développement a augmenté, on se rapproche du 14 p. 100. Autrement dit, plus les dépenses en recherche et développement ont augmenté durant les trois années antérieures à la demande, plus le crédit d'impôt sera substantiel. Il y a comme un effet d'entraînement qui fait que les compagnies veulent dépenser en recherche et développement.

Notre recommandation de rendre une partie du 15 ou 20 p. 100 remboursable n'empêche pas le ministère des Finances de dire que cela sera 15 p. 100 à partir de maintenant, mais 5 p. 100 du 15 p. 100 sera remboursable. Donc, si vous ne faites pas de profit, vous aurez quand même un chèque et il n'y a rien qui empêche le ministère des Finances de dire, bien, ce qu'on veut, par exemple, c'est un engagement que l'année prochaine, vous réinvestirez tout cet argent en recherche et développement ou vous investirez un pourcentage de vos revenus en recherche et développement. Rien n'empêcherait le ministère de le faire. Je ne vois pas en quoi couper le crédit d'impôt de 5 p. 100 va amener le programme à être plus différentiel. Il n'a pas vraiment changé de ce point de vue, comparativement avec les changements proposés dans le budget.

Le sénateur Bellemare : Donc, vous êtes ouvert à une discussion avec le ministère des Finances.

M. Lavoie : Oui. Dans le fond, si vous regardez nos recommandations, il n'y a rien qui demande au gouvernement de changer ce qu'ils ont mis dans le budget. Ce sont toutes des mesures qui pourraient très bien être adoptées dans le prochain budget sans nécessairement avoir à changer ce qu'il y a dans le budget de cette année. Si on parle de rendre une partie du crédit d'impôt remboursable, on peut le faire en dehors du cadre du budget 2012. Si on parle de donner une déduction accélérée pour le capital, encore là, cela peut être fait en dehors du budget. Peut-être à part la procuration — on peut peut-être vivre avec —, on a essayé d'être le plus constructif possible. On n'a pas dit que le 15 p. 100 n'avait pas d'allure, que le gouvernement devrait revenir sur son budget, que c'est une erreur; on a recommandé de le garder à 15 p. 100, mais d'essayer de compenser avec d'autres mesures alternatives.

Le sénateur Chaput : Je reviens à plusieurs questions qui ont déjà été posées. Je veux m'assurer que j'ai bien compris. Quand vous parlez de l'incidence négative que le changement proposé au crédit d'impôt pour le SR&DE peut avoir, est-ce que l'une de ces incidences négatives pourrait être que certaines sociétés au Canada soient plutôt tentées de mener des activités dans un autre pays?

M. Lavoie : Oui.

Le sénateur Chaput : Cela pourrait être le cas?

M. Lavoie : Oui.

Le sénateur Chaput : Parce que cela pourrait être plus payant pour eux dans un autre pays qu'au Canada.

M. Lavoie : Absolument.

Le sénateur Chaput : Si c'est le cas, quel serait l'impact de ces mesures sur les centres de recherche universitaires? C'est une question quand même assez importante.

M. Lavoie : Oui, puis à peu près la moitié de nos membres ont des relations de recherche collaborative avec les universités. La moitié, c'est peut-être pas assez, on devrait en avoir plus, mais on a la moitié. Donc, c'est bien certain que si une compagnie déplace un centre de recherche et développement, il y aura ce qu'on appelle une réaction en chaîne qui va disparaître.

À ce sujet, d'ailleurs, je trouve cela ironique que les fonctionnaires du ministère des Finances nous disent — et on l'entend aussi de la part du ministre lui-même — que le programme SR&DE ne fonctionne pas, soit qu'il n'est pas différentiel, et cetera. J'ai entendu aussi : « You don't have a bang for a buck ». Pourtant, dans notre mémoire, on cite une évaluation du programme SR&DE faite par Finances Canada en 2008 — ce n'est pas moi qui le dis, je le cite — qui dit que « pour chaque dollar qui va dans SR&DE, il y a une réaction en chaîne de 11 cents par dollar ». C'est probablement ce à quoi vous référez quand vous parlez des compagnies qui utilisent SR&DE comme incitatif pour donner un contrat à une université ou un collège ou un laboratoire.

Le sénateur Chaput : Combien de ces centres de recherche universitaires au Canada pourraient être affectés? Le savez-vous?

M. Lavoie : Il y a au-dessus de 1 200 centres de recherche académique au Canada, mais je ne pourrais pas dire combien il y en a dans le secteur manufacturier.

Le sénateur Chaput : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur McInnis : :roman; Si je vous ai bien compris, vous ne vous attendiez pas à ce que ces changements figurent dans le dernier budget. Est-ce bien ce que vous avez dit?

M. Lavoie : :roman; Vous parlez de nos recommandations?

Le sénateur McInnis : :roman; Oui.

M. Lavoie : :roman; Non.

Le sénateur McInnis : :roman; C'est bien.

M. Lavoie : :roman; Il aurait été un peu tard de toute façon.

Le sénateur McInnis : :roman; C'est juste. J'examine vos recommandations et je ne suis pas sûr que vous avez eu accès à celles de la CMC.

M. Lavoie : :roman; La Coalition des manufacturiers?

Le sénateur McInnis : :roman; Oui. Avez-vous vu leurs recommandations?

M. Lavoie : :roman; Oui. Je me dois de souligner que la Coalition des manufacturiers du Canada est une coalition de 50 associations commerciales comme la nôtre. Nous en faisons partie, ce qui règle la question. Nous en faisons partie et j'ai même participé à la rédaction de ces recommandations.

Le sénateur McInnis : :roman; En avez-vous déterminé le coût? Je vois six recommandations ici, puis il y a les vôtres. Je ne vois aucun chiffre sur les deux ou trois que vous avez. Il y a six recommandations en tout.

M. Lavoie : :roman; C'est juste.

Le sénateur McInnis : :roman; Avez-vous fait une estimation des coûts?

M. Lavoie : :roman; Nous l'avons fait pour le crédit d'impôt remboursable. Nous ne pouvons faire des estimations que d'après les données dont nous disposons. Je ne suis pas à l'ARC ni au ministère des Finances, mais nous avons accès aux données de Statistique Canada sur les dépenses des entreprises en R et D, et cetera. En ce qui concerne le crédit d'impôt remboursable, en fonction des dépenses réelles des entreprises en R et D de l'an dernier, nous savons qu'un crédit d'impôt remboursable de 5 p. 100 coûterait environ 470 millions de dollars à l'État. Il est difficile d'établir le coût de l'amortissement rapide en raison du coût initial lié au taux de déduction accéléré que les entreprises appliqueraient. Cependant, une telle mesure aurait de nombreux avantages parce que les sociétés remplaceraient plus rapidement leur équipement, sans l'amortir sur 10 ou 14 ans.

Le crédit d'impôt remboursable de 5 p. 100 est le poste le plus important. Il représente 470 millions de dollars. Il est même possible de réduire ce montant parce que les critères sont très larges, entre autres pour la RS&DE. Pour être admissible, le projet doit porter sur une percée technologique avérée. Il y a l'innovation en matière de produits et de procédés. Ainsi, le gouvernement pourrait décider que seuls les projets liés à l'augmentation de la productivité sont admissibles au crédit d'impôt remboursable, ce qui réduirait encore plus le coût de cette mesure. On peut aussi penser qu'il serait possible de ne cibler que certains secteurs, par exemple le secteur manufacturier et le secteur des équipements informatiques et de télécommunications. Ensemble, ces deux secteurs représentent 88 p. 100 des dépenses en R et D.

Je réfléchis tout haut. Si on réduisait l'admissibilité à ces deux secteurs, on soustrairait encore 12 p. 100 à l'estimation. La mesure pourrait être mise en œuvre pour 200 à 300 millions de dollars, moins que les 663 millions de dollars que le gouvernement économisera avec les modifications prévues. Il reste 400 millions de dollars à dépenser pour d'autres types de programmes ou des mécanismes de soutien direct.

Le sénateur McInnis : :roman; Je ne suis pas certain d'avoir bien saisi, mais vous lancez beaucoup de chiffres. À un moment donné, j'ai eu l'impression que vous approchiez du milliard de dollars en tout.

M. Lavoie : :roman; Il y a l'incidence sur les recettes de l'État et il y a l'incidence sur les dépenses des entreprises, parce que les grandes sociétés réclameront les dépenses de RS&DE sans forcément utiliser le crédit la même année. Si elles n'ont pas fait de profit cette année-là, elles reporteront les crédits dans leurs livres. Elles ont 20 ans pour les réclamer. Chaque année, environ 30 ou 35 p. 100 du total des crédits gagnés ne sont pas utilisés. Sur le plan des finances de l'État, c'est de l'argent que le gouvernement n'a pas dépensé cette année-là. Il devra le dépenser sur les 20 prochaines années. Le gouvernement calculera autrement l'incidence sur ses recettes. Que la société réclame le crédit et l'utilise la même année ou non, la mesure demeure un encouragement et la société base ses investissements sur cet encouragement. C'est la seule différence.

[Français]

Le sénateur Chaput : Ce n'est pas une question de suivi, mais c'est une question très brève.

J'aimerais revenir aux centres de recherche universitaire. Vous avez parlé des centres de recherche universitaire dans le secteur manufacturier qui pourraient subir un impact négatif. Pouvez-vous me donner des exemples de recherche universitaire dans le secteur manufacturier?

M. Lavoie : Par exemple, au Québec, vous avez le CRIAC dont vous avez sûrement déjà entendu parler. Ce sont des projets de collaboration entre les centres de recherche, les universités, les compagnies, tous les centres d'excellence auxquels vous pouvez penser, comme les centres AUTO21, par exemple. Vous en avez probablement plusieurs au Manitoba. Il y a aussi plusieurs compagnies dans l'aéronautique, chez vous, qui utilisent probablement les laboratoires universitaires.

Le sénateur Chaput : Merci, c'est ce dont j'avais besoin.

[Traduction]

Le président : :roman; Chers collègues, comme vous ne semblez pas avoir d'autres questions à poser, je tiens à remercier en votre nom M. Martin Lavoie.

M. Lavoie : :roman; C'est toujours un plaisir. Merci de nous accueillir.

Le président : :roman; Nous vous sommes reconnaissants d'avoir représenté les Manufacturiers et exportateurs du Canada et du travail de sensibilisation publique que vous faites, et nous espérons vous revoir.

Chers collègues, nous aurons demain une séance de deux heures, à 14 heures. À titre d'information pour que vous puissiez vous préparer, nous accueillerons des témoins du Registre de la Lloyd's Limitée et nous parlerons de la mesure relative à la marine marchande; nous entendrons ensuite des porte-parole du Conseil de contrôle des renseignements relatifs aux matières dangereuses dont nous avons parlé ce matin. Nous avons les choses bien en main. Nos travaux avancent très bien.

(La séance est levée.)


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