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OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule 12 - Témoignages du 29 octobre 2012


OTTAWA, le lundi 29 octobre 2012

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 17 heures pour faire une étude sur l'application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et instructions en découlant avec pour sujet le Rapport annuel du commissaire aux langues officielles 2011-2012; ainsi qu'une étude sur les obligations de CBC/ Radio-Canada en vertu de la Loi sur les langues officielles et de certains aspects particuliers de la Loi sur la radiodiffusion

Le sénateur Maria Chaput (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des langues officielles. Je suis le sénateur Maria Chaput du Manitoba, présidente du comité. Avant de présenter les témoins qui comparaissent aujourd'hui, j'invite les membres du comité à se présenter en commençant à ma gauche avec la vice-présidente.

Le sénateur Champagne : Bonjour, je suis Andrée Champagne, sénateur de Saint-Hyacinthe, au Québec.

Le sénateur Poirier : Bonjour, je suis Rose-May Poirier, sénateur du Nouveau-Brunswick,.

Le sénateur McIntyre : Bonjour, je suis Paul McIntyre, sénateur du Nouveau-Brunswick,.

Le sénateur Tardif : Bonjour, je suis Claudette Tardif, sénateur de l'Alberta.

Le sénateur Robichaud : Bonjour, je suis Fernand Robichaud, de Saint-Louis-de-Kent, au Nouveau-Brunswick.

La présidente : Aujourd'hui, nous accueillons le commissaire aux langues officielles, M. Graham Fraser, qui comparaît pour nous présenter les principales conclusions du Rapport annuel sur les langues officielles publié récemment par le Commissariat. Cette comparution est aussi une occasion pour les sénateurs de poser des questions dans le cadre de l'étude en cours des obligations de CBC/Radio-Canada, en vertu de la Loi sur les langues officielles et de certains aspects particuliers de la Loi sur la radiodiffusion.

Monsieur Fraser, au nom des membres du comité, je vous remercie de prendre le temps de nous présenter votre rapport et de répondre à nos questions.

Je vous invite maintenant à prendre la parole, les sénateurs suivront avec des questions.

Graham Fraser, commissaire aux langues officielles, Commissariat aux langues officielles : Merci, madame la présidente, honorables sénateurs, membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles. Je suis ici pour vous présenter les conclusions de mon Rapport annuel 2011-2012. Je suis accompagné aujourd'hui, de Mme Lise Cloutier, commissaire adjointe, de la Direction de la gestion intégrée, de Mme Ghislaine Charlebois, commissaire adjointe, Direction générale de l'assurance de la conformité, de M. Sylvain Giguère, commissaire adjoint, Direction générale des politiques et des communications, et de Mme Johane Tremblay, avocate générale, Direction des affaires juridiques.

[Traduction]

La semaine dernière, j'ai déposé mon rapport annuel 2011-2012 au Parlement. Il s'agit de mon sixième. Je le dépose dans un contexte de restructuration de l'effectif de la fonction publique et de rationalisation des organismes fédéraux à la suite des réductions annoncées dans le dernier budget fédéral.

[Français]

Même si la Loi sur les langues officielles en est à sa cinquième décennie, la dualité linguistique du Canada passe trop souvent inaperçue. Lorsque tout fonctionne bien, les services bilingues font partie de la vie quotidienne, et on ne les remarque pas. C'est leur absence qui attire l'attention. L'échec saute aux yeux, la réussite est invisible.

[Traduction]

Cette année, je valorise les succès. Aussi, le rapport que je dépose se veut encourageant et réaliste. J'y propose certaines recommandations, en plus d'y souligner l'importance d'adopter dès maintenant des mesures pour nous préparer en vue des célébrations du 150e anniversaire de la Confédération en 2017. La dualité linguistique du Canada devrait toujours être bien visible et audible, et devrait être mise encore plus en évidence lorsque nous célébrons notre histoire.

[Français]

Je présente également les conclusions de nos observations effectuées dans la région de la capitale nationale, qui ont provoqué une controverse en août 2011. Ces observations visaient à faire l'expérience du service réservé aux visiteurs francophones et anglophones dans la région de la capitale nationale. Ces observations se sont avérées fort encourageantes.

[Traduction]

Nous avons également porté un intérêt particulier à l'approche de certaines entreprises qui ont choisi de promouvoir la dualité linguistique dans le cadre de leurs affaires. Finalement, j'examine les plaintes qui ont été déposées au commissariat ainsi que les résultats de certaines de nos enquêtes.

Comme je l'ai mentionné précédemment, il est très important que la dualité linguistique soit bien visible à l'occasion des célébrations du 150e anniversaire de la Confédération en 2017. Ainsi, le fait d'encourager plus de jeunes Canadiens à faire l'expérience de l'autre langue officielle constitue une excellente façon de préparer le pays à célébrer son héritage commun.

[Français]

Selon les chiffres publiés la semaine passée par Statistique Canada, le taux de bilinguisme au pays est passé de 17,4 p. 100, en 2006, à 17,5 p. 100, en 2011. Malgré les différentes initiatives proposées par le gouvernement du Canada pour promouvoir l'apprentissage du français ou de l'anglais, langue seconde, la proportion de Canadiens bilingues demeure faible. Les Canadiens et les Canadiennes démontrent un grand intérêt à devenir bilingues, pourtant dans certaines régions, des programmes d'éducation offerts dans la seconde langue officielle sont insuffisants pour répondre à la demande. Chaque année, 20 000 jeunes veulent participer aux programmes d'échange, mais seulement 8 000 places sont disponibles.

[Traduction]

À cet égard, dans mon rapport 2011-2012, je formule deux recommandations en vue de favoriser l'apprentissage d'une langue seconde afin d'accroître le nombre de Canadiens et de Canadiennes qui parlent nos deux langues officielles. Je recommande au premier ministre de prendre les mesures qui s'imposent pour doubler le nombre de jeunes Canadiens qui participent chaque année à des échanges linguistiques à court et à long terme de niveau secondaire et postsecondaire.

[Français]

Je recommande également au ministre du Patrimoine canadien et des langues officielles de collaborer avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, ainsi qu'avec les établissements d'enseignement postsecondaires, pour augmenter le nombre de programmes qui offrent aux étudiants la possibilité de suivre certains cours dans leur seconde langue officielle.

[Traduction]

Cette année, Ottawa occupe une place de choix dans mon rapport. En vertu du préambule de la Loi sur les langues officielles, il est attendu que le gouvernement du Canada s'engage à promouvoir le caractère bilingue de la région de la capitale nationale et à encourager les entreprises, les organisations patronales et syndicales, ainsi que les organismes bénévoles canadiens à promouvoir la reconnaissance et l'usage du français et de l'anglais.

La loi mentionne également qu'il incombe au commissaire de prendre, dans le cadre de sa compétence, toutes les mesures visant à assurer la reconnaissance du statut de chacune des langues officielles.

[Français]

En fonction de ces aspects de la loi et afin de vérifier si la dualité linguistique était bel et bien une valeur fondamentale de la capitale, mon bureau a effectué un certain nombre d'observations. Nous avons récréé le parcours d'une visite typique dans la région de la capitale nationale, tant du côté d'Ottawa que du côté de la ville de Gatineau. L'objectif était de déterminer s'il était possible d'être servi en français dans certains commerces d'Ottawa et en anglais dans certains commerces de Gatineau.

[Traduction]

À la suite de ces observations, nous avons conclu que des ressources bilingues considérables sont mises à la disposition des visiteurs, mais qu'elles sont souvent invisibles. Le bilinguisme des commerces et des zones touristiques d'Ottawa est un secret bien gardé de la capitale. Dans ces commerces, peu d'employés utilisent l'accueil bilingue « Bonjour! Hello! » pour indiquer à leur clientèle qu'ils sont en mesure de la servir dans les deux langues officielles. Les employés des institutions fédérales, pour lesquelles il s'agit d'une obligation légale, réussissent mieux.

[Français]

Dans la région de la capitale nationale, à Gatineau, du côté du Québec, la quasi-totalité des commerces était en mesure de servir les visiteurs en anglais. Seulement 10 p. 100 des entreprises avaient recours à l'offre active. Dans l'ensemble, les hôtels et les restaurants de Gatineau constituent un exemple que les commerces d'autres villes canadiennes devraient suivre. Vous avez sans doute compris que le secteur privé nous intéresse également compte tenu du fait que la dualité linguistique est l'affaire du tous. Même si elles ne sont pas sujettes à la Loi sur les langues officielles, les entreprises qui font des affaires au Canada sont plus concurrentielles lorsqu'elles utilisent le français et l'anglais dans leurs approches auprès des clients.

[Traduction]

Par exemple, Rogers Communications et Mountain Equipment Co-op ont choisi d'intégrer les principes de la dualité linguistique à leur modèle de gestion et offrent toutes deux des services dans les deux langues officielles. Il importe que le gouvernement du Canada continue de favoriser le recours aux deux langues officielles chez les entreprises canadiennes et les entreprises étrangères établies au pays. Je recommande donc au ministre de l'Industrie de créer un mécanisme d'appui pour inciter les entreprises canadiennes à développer leur capacité de fonctionner et offrir des services dans les deux langues officielles.

[Français]

Les nominations très médiatisées d'un juge unilingue à la Cour suprême du Canada et du vérificateur général du Canada, également unilingue, ont eu des répercussions importantes sur l'opinion publique partout au Canada. La controverse autour des nominations a montré que les attentes du public, anglophones et francophones, sont élevées en ce qui concerne le bilinguisme des hauts fonctionnaires. Malheureusement, ces revers ont éclipsé plusieurs réussites en matière de bilinguisme.

[Traduction]

Comme l'indique le titre de l'avant-propos de mon rapport annuel, l'échec saute aux yeux, alors que la réussite est invisible. Il est important de souligner aussi les succès de la politique linguistique canadienne qui sont passés sous silence. Mentionnons, par exemple, le bilinguisme de hauts fonctionnaires originaires de l'Ouest du Canada, de la majorité des premiers ministres des provinces, et de ministres et de parlementaires de tous les partis, provenant de partout au Canada.

[Français]

En vertu de mon mandat, je dois m'assurer que les institutions fédérales respectent les droits linguistiques du public et ceux de leurs employés. Parfois, je le fais de façon proactive, par exemple, en intervenant auprès des institutions afin qu'elles se conforment à la Loi sur les langues officielles. Parfois, mon bureau affecte des enquêtes à la suite de plaintes qui ont été portées à mon attention.

[Traduction]

En 2011-2012, mon bureau a reçu 643 plaintes, desquelles 518 ou 81 p. 100 ont été jugées recevables. De ce nombre, 341 concernaient les communications avec le public et la prestation des services, 79, la langue de travail, 45, la promotion du français et de l'anglais, et 42, les exigences linguistiques des postes.

[Français]

Mon bureau a donc mené des enquêtes auprès d'institutions fédérales qui ont fait l'objet de plaintes. Certaines institutions ont réagi positivement et ont ajusté leur pratique en conséquence.

L'armée canadienne a corrigé de nombreuses lacunes relativement à l'égalité du français et de l'anglais dans ses sites web, et l'égalité entre le français et l'anglais est devenue une plus grande préoccupation dans les sites web de l'armée canadienne.

Le bureau de Passeport Canada de St. John's à Terre-Neuve-et-Labrador, qui n'a pas l'obligation de servir le public dans les deux langues officielles, est allé au-delà de ses obligations linguistiques et s'est déclaré officiellement bilingue afin de mieux servir les quelque 2 000 francophones de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Traduction]

Nos enquêtes nous ont permis de dresser un important constat : bon nombre de nos institutions fédérales sont engagées en faveur du bilinguisme officiel de façon continue. Cet engagement positif mérite d'être souligné.

Attardons-nous maintenant aux vérifications.

En septembre 2011, Air Canada a produit un plan d'action linguistique au moment de la diffusion du rapport de vérification. Puisque mon bureau continue de recevoir des plaintes à propos du transporteur, il serait important que celui-ci suive sans délai toutes les recommandations du rapport de vérification.

[Français]

En 2011-2012, mon bureau a mené une vérification de l'offre des services en français et en anglais chez Parcs Canada. Malgré certaines lacunes qui devront être comblées, il existe des points forts dans la conduite de Parcs Canada en matière de langues officielles.

En 2011, mon bureau a aussi mené une vérification auprès d'Industrie Canada. Dans le rapport de vérification, j'ai formulé six recommandations dont la prise en compte permettra à Industrie Canada d'améliorer sa capacité à appliquer la partie VII de la loi.

[Traduction]

J'ai suivi avec attention les témoignages qui vous ont été présentés dans le cadre de votre étude sur CBC/Radio-Canada, notamment pour me préparer à rencontrer le CRTC à la fin du mois de novembre, dans le cadre des audiences sur le renouvellement des licences de la société d'État. La Loi sur les langues officielles impose certaines obligations à CBC/ Radio-Canada quant aux services offerts à la population canadienne en français et en anglais et à l'appui aux communautés de langue officielle.

[Français]

C'est la responsabilité de toutes les institutions fédérale et mon rôle en tant que commissaire aux langues officielles de voir à ce qu'elle soit respectée. J'ai déposé au CRTC mes observations écrites au début de ce mois et j'espère que vous prendrez le temps de les consulter pour qu'elles puissent alimenter vos réflexions.

[Traduction]

Mon intervention aux audiences concernera les compressions à la programmation de CBEF Windsor, qui font l'objet d'un litige m'opposant à CBC/Radio-Canada en Cour fédérale. Elle portera également sur plusieurs autres aspects des services de radiodiffusion ayant un impact important sur la dualité linguistique canadienne et les communautés de langue officielle partout au pays.

[Français]

J'ai également consulté le rapport publié par votre comité la semaine dernière sur les sites Internet, les nouveaux médias et les médias sociaux. J'aimerais vous féliciter. Il s'agit d'un document de référence important, que j'ai lu avec intérêt et que mon bureau analysera minutieusement.

[Traduction]

Avant de répondre à vos questions, j'aimerais ajouter que même si nous soulignons des réussites cette année, nous ne devrions pas oublier que le succès est fragile. Si nous ne sommes pas vigilants dans la protection et la promotion des droits linguistiques, la situation peut dégénérer rapidement. Certaines organisations ont décidé de centraliser leurs services dans des bureaux situés à l'extérieur des régions désignées bilingues aux fins de la langue de travail.

[Français]

Nous avons déjà reçu des plaintes reliées aux suppressions gouvernementales, par exemple la fermeture d'une ferme expérimentale située en milieu rural francophone, la fermeture de neuf bibliothèques scientifiques dont deux servent des francophones et la disparition de l'Initiative de développement coopératif, l'unique programme fédéral consacré aux coopératives.

Nous avons entendu des témoignages de fonctionnaires qui ont peur de perdre leur droit de travailler dans la langue officielle de leur choix. D'autres n'osent plus exercer leur droit de travailler dans la langue de leur choix par crainte d'être ciblés dans l'exercice de réduction des postes.

[Traduction]

À l'heure où les questions linguistiques ressurgissent dans le paysage politique canadien, il est particulièrement important de souligner que l'avenir de la dualité linguistique dépend de notre capacité à favoriser un environnement linguistique décloisonné, où le français et l'anglais ont tous deux leur place dans chaque région du pays.

Je vous remercie de votre attention. J'aimerais maintenant prendre le temps qu'il me reste pour répondre à vos questions.

[Français]

La présidente : Je vous remercie, monsieur le commissaire.

Le sénateur Tardif : Bienvenue, monsieur le commissaire, ainsi qu'à votre équipe. Nous sommes toujours heureux de vous recevoir. Avant de poser mes questions, j'aimerais avoir vos commentaires par rapport aux chiffres qui ont été publiés la semaine dernière par Statistique Canada. La majorité des médias donnent une impression très négative sur l'état du bilinguisme au Canada. Pourquoi croyez-vous que les médias font cela et êtes-vous d'accord avec eux?

M. Fraser : Je ne suis pas d'accord avec cette interprétation. Je trouve que cela relève d'un intérêt presque obsessionnel pour les pourcentages. On a tendance à négliger le fait qu'il y a plus de francophones, plus de gens qui parlent français à l'extérieur du Québec. On a dépassé le cap d'un million de francophones à l'extérieur du Québec, et plus de personnes au Québec parlent français maintenant, soit 7,7 millions.

Je pense que cette notion de déclin est basée sur la question proportionnelle du poids relatif des francophones, mais on ne peut pas, comme société, accueillir 250 000 personnes d'autres pays, ce que j'approuve, je pense que c'est l'une de nos valeurs comme pays d'être une société d'accueil, mais on ne peut pas accueillir 250 000 personnes par année, dont 80 p. cent n'ont ni l'anglais ni le français comme langue maternelle, et maintenir la même proportion.

Personne ne remarque qu'il y a un plus grand pourcentage de personnes à Montréal qui parlent français qu'il y a un pourcentage de personnes à Toronto qui parlent anglais. Toronto et Montréal sont toutes deux des villes d'accueil. On ne peut pas, de façon mathématique, accueillir 1 025 000 personnes depuis le dernier recensement et garder la même proportion de gens ayant le français ou l'anglais comme langue maternelle. Je crois qu'il y a une notion positive qui va à l'encontre de cette notion de déclin que je trouve malheureuse.

Le sénateur Tardif : Merci, monsieur le commissaire. J'espère que vous allez faire connaître votre avis dans les journaux. On semble trop oublier que, quand même, le chiffre de 10 millions de personnes qui comprennent le français, qui peuvent communiquer en français au Canada, c'est très positif comme situation. Également, plusieurs provinces connaissent une augmentation de leur population francophone; par exemple en Alberta.

M. Fraser : En Alberta, c'est frappant.

Le sénateur Tardif : Au Yukon, également.

M. Fraser : Cela va renforcer le système d'éducation et les institutions de la communauté. Je pense que c'est des éléments très positifs et, effectivement, depuis la semaine dernière, depuis la sortie de ces chiffres, je donne des entrevues. J'ai eu une longue entrevue aujourd'hui, avec MacLean's, et je rencontre le comité éditorial du Toronto Star et du Globe and Mail demain. Je n'ai de cesse de véhiculer ce message. Je trouve regrettable de voir qu'on aime tellement cette notion de déclin, soit de la part de Québécois nationalistes, qui veulent s'en servir pour leurs propres fins, pour critiquer la nature du pays, ou bien de certains observateurs, chroniqueurs ou analystes canadiens-anglais qui disent que c'est le début de la fin, que l'on n'aura plus à s'occuper du fait français parce que cela va disparaître.

Un autre élément ne doit pas être oublié : je trouve intéressant de constater l'augmentation de l'utilisation de certaines langues étrangères au Canada, mais la tendance à long terme, c'est que ces langues ne survivent pas plus de trois générations. En 1951, il y avait 450 000 personnes qui parlaient ukrainien à la maison et, trente ans plus tard, de ces 450 000, il n'en reste que 45 000. C'est une tendance naturelle.

On constate une augmentation du nombre de personnes qui parlent français et même une augmentation nette — plutôt minime, on ne doit pas nécessairement s'en féliciter — de 0,9 p. 100 de francophones unilingues au Canada.

Donc, l'idée que nous devons constater c'est que le début de la fin de la francophonie au Canada est en voie de disparition. C'est faux et c'est prouvé par ces chiffres.

Le sénateur Tardif : Merci, monsieur le commissaire, de vos commentaires. Comme on dit en anglais, we have to change the channel. Il est très important d'intervenir maintenant, parce que, justement, beaucoup trop d'écrits, de commentaires projettent une image très négative de l'état du bilinguisme au Canada.

Maintenant, concernant votre rapport annuel, cette année, vous avez choisi de ne pas procéder à l'évaluation du rendement d'un certain nombre d'institutions fédérales. Pourquoi, monsieur le commissaire?

M. Fraser : Cette fois-ci, on a décidé qu'il serait intéressant de prendre la voie de l'encouragement, d'identifier les meilleures pratiques, de cibler les institutions ayant des pratiques modèles. C'est la première fois qu'on le fait. Ce n'est pas une habitude qu'on va nécessairement prendre à l'avenir, mais nous avons pensé qu'il serait intéressant de se concentrer sur les bonnes pratiques, les meilleures performances, et démontrer qu'autant dans le secteur privé que public, il y a des institutions qui ont adopté ce comportement dans le recrutement, dans la formation, dans les informations et dans la culture de leur organisation. Bref, on a décidé que, pour une fois, on allait abandonner l'évaluation formelle, puis voir quel impact cette autre approche aura.

Le sénateur Tardif : Donc, ce n'est pas parce que vous jugez que cet outil n'est plus important.

M. Fraser : Au contraire. Certaines institutions se sont plaintes du fait que comme on commençait l'évaluation pour l'année suivante quelques semaines après avoir annoncé nos résultats, cela leur laissait peu le temps pour s'améliorer. On continue de faire des suivis de nos vérifications, on va revenir avec des évaluations pour certaines institutions, mais on a une approche beaucoup plus ciblée; on choisit très soigneusement les institutions en fonction des thèmes pour le rapport annuel, mais c'est certain que ce n'est pas une approche qu'on a abandonnée, du tout.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Merci beaucoup, madame la présidente. En tout premier lieu, soyez le bienvenu, monsieur Fraser, c'est toujours un grand plaisir pour nous de vous recevoir.

Avant de vous poser ma question, j'aimerais vous faire un commentaire. J'ai vu dans les médias que vous aviez maintenant un site web et que la population canadienne peut communiquer facilement avec vous. Quand nous avons reçu les hauts fonctionnaires des différents ministères, ils étaient tellement contents de venir nous parler des progrès qu'ils avaient réalisés. La proportion des francophones qui utilisaient les nouveaux médias correspondait vraiment à la proportion de francophones à travers le Canada. On ne peut pas dire s'il y en avait plus ou s'il y en avait moins, mais cela correspondait. Comme ils étaient si heureux de nous parler des progrès qui avaient été réalisés, je me suis dit qu'il fallait que je fasse une petite parenthèse à ce sujet, parce que c'est tellement positif.

M. Fraser : Effectivement. D'ailleurs, j'ai trouvé vos données sur les initiatives et les innovations des différentes institutions particulièrement intéressantes dans l'étude que vous venez de publier.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Ma question concerne Air Canada. Vous avez mentionné, à la page 39 de votre rapport — je résume un peu — vous dites par exemple que la capacité bilingue des agents n'est pas suffisante dans plusieurs aéroports, qu'Air Canada n'a pas établi de mécanisme de surveillance pour mesurer le rendement de Jazz en matière de prestation de services bilingues. Ensuite, dans le troisième paragraphe de la page 40 : « Puisque le Commissariat continue de recevoir des plaintes à propos d'Air Canada, il serait important que le transporteur suive sans délai toutes les recommandations contenues dans le rapport ».

Je crois que vous avez dû faire au moins 12 recommandations pour essayer d'améliorer la situation. En ce qui a trait au nombre de plaintes, y en a-t-il eu plus qu'avant ou moins?

M. Fraser : Effectivement, le nombre de plaintes chez Air Canada est en déclin. Ghislaine, voulez-vous donner plus de détails?

Ghislaine Charlebois, commissaire adjointe, Direction générale de l'assurance de la conformité, Commissariat aux langues officielles : On voit une baisse au niveau des plaintes à Air Canada. On est parti d'environ 80 plaintes, en 2007- 2008, à environ une vingtaine dans la dernière année. Il y a effectivement une diminution du nombre de plaintes.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Avez-vous été en mesure de voir s'ils avaient suivi vos 12 recommandations?

M. Fraser : Le suivi se fait deux ans après, donc nous n'avons pas encore de résultats. Par contre, on a découvert — et c'était très utile — que certains employés avaient compris que nos recommandations ne devaient être appliquées que durant les Jeux olympiques. Lorsqu'on a présenté les résultats de ces entrevues au conseil de direction d'Air Canada, ils nous ont dit que ce n'était pas le message qu'ils avaient voulu transmettre. Ce processus de vérification nous a donc permis de découvrir que, parfois, les messages de la gestion sont mal interprétés par les employés. C'est l'un des aspects très utiles du processus de vérification.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Merci beaucoup, monsieur le commissaire.

Le sénateur Champagne : Bonjour, monsieur le commissaire. C'est un plaisir de vous revoir. J'ai lu votre rapport qui, comme toujours, est excellent, mais j'ai envie de souligner une chose absolument extraordinaire : son titre. Cela peut s'appliquer à peu près n'importe où dans la vie de tous les jours et à n'importe qui : L'échec saute aux yeux, la réussite est invisible. Que l'on parle de politiciens, de nos enfants ou de qui que ce soit, c'est une phrase qu'il faut retenir. Je vais la faire imprimer et l'exposer dans mon bureau pour ne jamais l'oublier.

Vous parlez beaucoup de l'importance du bilinguisme chez nos jeunes et comment il serait important qu'un plus grand nombre d'entre eux puisse participer à des échanges.

Je vais vous raconter une courte anecdote, qui vous fera peut-être sourire, lorsque ma famille et moi sommes déménagés d'un quartier qui était totalement francophone. Mon mari et moi avions l'habitude de parler couramment anglais à la maison, mais j'ai toujours parlé français aux enfants qui fréquentaient également l'école française. Le jour du déménagement, dans la nouvelle maison, je suis à ranger des choses dans les armoires quand ma petite de cinq ans arrive en pleurnichant : « Maman, je veux m'en aller chez nous, ici, tout le monde parle anglais ». J'ai dit : « Écoute, depuis que tu es au monde, tu entends parler anglais dans la maison parce que ton père n'a pas encore appris le français. Écoute comme il faut et tu vas comprendre ».

Effectivement, dans ce nouveau quartier, il y avait des gens qui parlaient anglais, français et autre. Six mois plus tard, les amis de mes enfants étaient devenus aussi bilingues, on avait joué, vu des spectacles ensemble.

Ce qui me dérange beaucoup dans nos villes, c'est que, lorsqu'arrivent des immigrants, on crée, pour une raison que j'ignore encore, des ghettos. Les Italiens, les Grecs ou les Portuguais, par exemple, habitent chacun dans leur coin, ce qui fait que les enfants apprendront le français à l'école, parce qu'ils sont obligés d'aller à l'école française quand ils arrivent au Québec, ou ils apprendront l'anglais parce que l'école est anglaise. Le mélange ne se fait pas, cette possibilité d'apprendre les deux langues aussi facilement parce qu'on fait des ghettos de gens qui parlent la langue qu'on parlait dans leur pays.

C'est la même chose pour les gens qui viennent de pays arabes. Ils se retrouvent tous on dirait dans le même quartier. Ils gardent donc leur langue d'origine et apprennent plus difficilement l'une ou l'autre de nos deux langues. Comment empêcher la formation de ces ghettos?

M. Fraser : J'hésite à les traiter de ghettos. C'est un phénomène tout à fait naturel, parce que lorsque des gens déménagent au Canada, que ce soit à Montréal, Toronto ou ailleurs, ils ont naturellement tendance à suivre leur famille, leurs amis et à s'implanter aussi près d'eux que possible. La formation des quartiers ou des communautés où les gens parlent italien, grec ou arabe est un phénomène tout à fait normal dans le processus de migration, mais cela ne dure pas plus qu'une génération, et même moins. Une fois établis, lorsqu'ils deviennent plus prospères, ils déménagent dans d'autres quartiers. Ce qui est important, c'est de faire en sorte qu'il y ait une formation linguistique disponible, qu'il y ait des institutions accueillantes pour faire la transition de la communauté à la société.

Le sénateur Champagne : Ils connaissent quelqu'un qui a immigré avant eux et automatiquement habiteront au même endroit où il s'est installé. Sur la Rive-Sud de Montréal, en ce moment, on retrouve de grosses communautés asiatiques et arabophones. C'est en ce sens que j'ai utilisé le mot ghetto. Je ne l'utilisais pas de façon négative. Nous avons du mal à distinguer s'ils sont Vietnamiens, Chinois ou Japonnais. Entre eux, ils se reconnaissent, mais pour nous c'est difficile. Même si on sait dire bonjour et merci, souvent on se trompe de langue. Mais ils se réunissent tous ensemble. À la bibliothèque de Brossard, on retrouve autant de livres en chinois, dans les deux langues principales de la Chine, qu'en vietnamien. On est à Brossard, au Québec, au Canada. Cela m'étonne toujours. Si ces enfants allaient plus avec des jeunes Québécois francophones et anglophones, peut-être qu'on aurait plus de Québécois qui parleraient mandarin, par exemple, et ces jeunes apprendraient davantage à parler anglais ou français.

M. Fraser : Il y a des quartiers à Toronto qui sont presque le miroir de certains villages d'Italie. J'ai déjà marché sur la rue College lors d'une coupe du monde du soccer et par les drapeaux étrangers que je voyais aux édifices, je savais quand je quittais le quartier portugais pour entrer dans le quartier italien. Ce phénomène n'est pas unique à Brossard.

Le sénateur Champagne : La petite Italie à Montréal, c'est la même chose.

M. Fraser : C'est la même chose à New York, à Londres, Paris, Toronto ou Montréal. Ce qui est important, c'est de faire en sorte qu'il y ait des lieux de rencontres.

Vous avez mentionné des bibliothèques. Selon un texte que j'ai lu récemment, ce sont les immigrants qui sont les plus grands utilisateurs des bibliothèques de Montréal. Les bibliothèques publiques sont une ressource extraordinaire pour l'intégration des nouveaux arrivants.

Il y a aussi des centres communautaires, des centres sociaux. Il existe plusieurs façons pour la société d'intégrer les immigrants, soit en offrant des cours du soir en formation linguistique et sur les valeurs de la société canadienne.

Le sénateur Champagne : Entre le soccer et le football, c'est peut-être là qu'on se retrouve finalement.

Le sénateur Poirier : Bienvenue au comité monsieur Fraser. La semaine dernière, on a finalement déposé notre rapport sur Internet, les nouveaux médias et les médias sociaux. Vos deux premières recommandations visent les jeunes qui sont limités à des programmes d'échange et de leur offrir des cours dans leur deuxième langue officielle.

Pour quelles raisons vos recommandations n'explorent-elles pas l'intégration des nouvelles technologies telles que les médias sociaux, l'endroit où les jeunes se retrouvent. Par exemple, au Nouveau-Brunswick, un professeur utilise Internet afin de créer une salle de classe sans frontière, A Classroom behond walls. Je voulais vos commentaires à ce sujet.

M. Fraser : C'est le suivi qu'on a fait dans notre étude sur les occasions d'apprentissage au niveau postsecondaire. J'ai même l'honneur de vous annoncer que nous sommes maintenant sur Facebook et Twitter depuis environ un mois.

Comme mentionné dans votre rapport, nous avons dû autofinancer le changement de notre système GITI. Mais de plus en plus, c'est une transformation qui se fera, et ce, avant que ces systèmes ne soient eux-mêmes transformés et qu'il ne nous faille trouver d'autres façons d'utiliser de nouveaux médias qui ne seraient pas encore inventés. Nous continuons à nous intéresser à la question des nouveaux médias et peut-être en sera-t-il question plus en détail dans un prochain rapport annuel, mais en tous les cas c'est évidemment une question extrêmement importante. Comme je l'ai dit dans mes remarques, j'ai trouvé votre rapport très utile et nous allons nous-mêmes l'utiliser dans le cadre de nos réflexions.

Le sénateur Poirier : Merci.

Ma deuxième question porte sur l'enquête faite dans la région de la capitale nationale. Comment prévoyez-vous utiliser les résultats afin d'améliorer les pratiques et faire la promotion des bonnes pratiques, et ceci, non seulement dans la région de la capitale nationale, mais partout au Canada? Avez-vous l'intention de répéter cet exercice dans d'autres régions bilingues du Canada?

M. Fraser : Nous n'avons pas pris de décision à cet effet. Mon intérêt était particulier vis-à-vis Ottawa, qui est la capitale. C'est un intérêt que j'avais depuis longtemps. J'ai toujours pensé que j'avais un rendez-vous, à titre de commissaire aux langues officielles, avec Ottawa, la capitale nationale.

En vue de la présentation de notre Rapport annuel 2011-2012, j'ai eu des rencontres avec le maire d'Ottawa, le maire de Gatineau, le maire de Chelsea, ainsi qu'avec des représentants des associations d'affaires. J'ai déjà un rendez-vous avec le Regroupement des gens d'affaires d'Ottawa. J'espère pouvoir utiliser ces observations pour parler davantage aux associations d'affaires, des hôteliers, des commerçants et des associations comme le Centre Rideau, le marché By, le mail Sparks et d'autres qui ont fait partie du sujet de nos observations. Lorsque j'ai annoncé à ces gens que nous allions faire rapport de ces observations, plusieurs m'ont dit espérer que je puisse venir par la suite pour en parler à leurs membres. J'espère pouvoir le faire.

Le sénateur Poirier : Avez-vous l'intention de partager ces bonnes pratiques ou les mesures qui seront changées pour faire suite à ces bonnes pratiques avec d'autres au Canada bilingue?

M. Fraser : Oui, car chaque fois que j'effectue une visite en région, je fais un effort pour rencontrer des institutions. J'étais récemment à Calgary et j'ai essayé d'avoir une rencontre avec des gens de WestJet, par exemple. Malheureusement, j'avais mal choisi le moment de ma visite parce qu'ils étaient en période de réflexion. Mais ils étaient très intéressés par l'idée de me recevoir. J'ai déjà parlé au Manitoba Business Council, et c'est un des volets que je compte poursuivre après avoir fait ce chapitre dans le Rapport annuel 2011-2012.

Le sénateur Poirier : Les résultats constatés lors de votre étude de la région de la capitale, d'Ottawa et de Gatineau, sont- ils, à votre avis, le portrait que vous pourriez trouver un peu n'importe où dans d'autres régions bilingues ou un peu bilingues du Canada?

M. Fraser : Il est fort probable que oui, mais je ne peux pas faire une comparaison directe. La ville de Moncton a l'avantage d'être une ville officiellement bilingue. Nous avons déjà organisé, avec la ville d'Ottawa et l'Institut des langues officielles et du bilinguisme, un colloque international sur les villes bilingues où on a fait venir des gens d'Helsinki, de Suisse, de Barcelone, de Moncton et d'Ottawa pour parler effectivement des différents défis pour des villes bilingues.

Toutefois, je soupçonne un élément commun, c'est-à-dire qu'il est tout à fait possible qu'il y ait plus de capacité que de visibilité. C'est un phénomène qui m'a frappé. Je savais que l'environnement — ce que certains appellent le paysage linguistique — était fortement anglophone à Ottawa. Très peu d'affiches dans les commerces indiquent que l'on peut se faire servir en français. Ce qui m'a étonné dans cette étude, c'était la proportion de rencontres qui se sont révélées positives; à savoir qu'il y a une capacité linguistique qu'on n'aurait pas pu soupçonner selon les affiches et l'accueil du personnel.

Le sénateur Poirier : Merci.

Le sénateur Robichaud : Merci, madame la présidente. C'est toujours un plaisir de lire les rapports que vous et votre équipe préparez. Comme le sénateur Champagne, je trouve que votre avant-propos est tout à fait à propos. Vous soulignez différents endroits où l'on fait des efforts; vous parlez de l'hôtel Delta Beauséjour, à Moncton. Je trouve que c'est bien parce qu'on a besoin de souligner des choses comme cela pour que les gens voient que cela vaut vraiment la peine de faire des efforts. Vous terminez votre chapitre sur l'hôtel Delta en disant que « voilà l'exemple frappant d'une entreprise qui intègre le bilinguisme comme valeur organisationnelle ». Et puis vous parlez aussi de deux autres exemples : Rogers et Mountain Equipment Co-op.

M. Fraser : Oui.

Le sénateur Robichaud : Est-ce que c'est une tendance qui augmente de façon considérable? Ou bien devra-t-on attendre?

Votre troisième recommandation s'adresse au ministre de l'Industrie et suggère la création d'un mécanisme d'appui. Pour que cette tendance prenne des ailes, a-t-on besoin de cet appui?

M. Fraser : Cela ne va pas se faire tout seul, je crois. D'abord, souvent, il y a des commerces, des compagnies, des sociétés qui aimeraient mieux servir leurs clients, mais qui ne savent pas comment y arriver, à savoir quels sont les mécanismes, quel est l'encadrement, quelle est la nature de la formation des emplois, ou quels sont les mécanismes à mettre en place pour qu'un employé non bilingue puisse savoir comment faire servir le client par quelqu'un d'autre. Tout cela prend de l'organisation. Ce qui m'a frappé, c'est que dans le cas de Rogers, par exemple, il y a un comité mixte de gestionnaires et d'employés sur la dualité linguistique. Ces gens se rencontrent très régulièrement et réfléchissent à ces questions.

Pour faire le lien avec votre étude, je pense aussi qu'il y a des façons d'utiliser les nouvelles technologies. Par exemple, une raison que nous avions identifiée pour la diminution des plaintes de services était que, avec les numéros 1-800, il était de plus en plus facile de mettre les gens en relation avec un répondant capable de les servir en français, ce qui était moins faisable auparavant. Cela peut se faire aussi avec des sites Web, avec l'interactivité.

Je pense donc qu'il y a de plus en plus de potentiel, pour des sociétés privées, pour mieux servir leurs clients dans la langue de leur choix, mais cela prend souvent des informations. Il existe un site Web de Patrimoine canadien pour donner des informations aux compagnies qui veulent mieux servir leurs clients.

Je pense qu'il y a aussi de la place pour un « mécanisme ». Il existait un fonds par lequel Patrimoine canadien finançait un programme d'appui aux commerçants, à Ottawa, qui voulaient mieux servir leurs clients en français et en anglais. C'est un programme qui est géré maintenant par le regroupement des gens d'affaires. Il y a plusieurs exemples comme cela pour lesquels on a intentionnellement utilisé un terme assez vague comme « mécanisme » pour ne pas être trop spécifique.

Il y a aussi une autre possibilité. Lorsque j'ai présenté ce rapport annuel à un des chefs de parti, il m'avait dit : « Pourquoi le ministre de l'Industrie, pourquoi pas le ministre des Finances avec certains mécanismes fiscaux pour inciter les organismes à dépenser de l'argent et à avoir des avantages fiscaux en le faisant? » On n'avait pas pensé à cela. Mais je pense que c'est un autre exemple et que le mot « mécanisme » recouvre toutes sortes de possibilités.

Le sénateur Robichaud : C'est à suivre, n'est-ce pas?

M. Fraser : Oui.

Le sénateur Robichaud : Vous avez parlé de compressions budgétaires et de la fermeture d'une ferme expérimentale. J'en connais une qui est à Bouctouche au Nouveau-Brunswick et qui, en fait, servait la population de la province en français — je suis certain qu'ils pouvaient les servir aussi en anglais. Et puis là, on la ferme, tout simplement. Des efforts sont en train d'être faits pour essayer de conserver une partie de ses activités. Est-ce que vous allez ou est-ce que vous avez déjà évalué la possibilité pour Agriculture et Agroalimentaire Canada de fournir ces services-là en français à cette même population?

M. Fraser : Vous savez, nous avons reçu une plainte à ce sujet; c'est une plainte recevable et nous faisons enquête. Dans un tel cas, je ne peux pas commenter, parce qu'un processus de plainte es en cours. C'est un phénomène particulier. Je peux parler des situations avant qu'une plainte soit déposée, après que la situation soit réglée; mais entre les deux, je ne peux pas commenter — à moins que je ne me trompe.

Le sénateur Robichaud : Vous dites que vous pouvez parler de la situation avant que la plainte soit déposée?

M. Fraser : C'est cela. C'est paradoxal parfois, mais dès qu'une plainte est déposée, je ne peux plus faire de commentaire sur la situation.

Le sénateur Robichaud : Cela veut dire que cela va prendre un certain temps avant qu'il y ait enquête et que des conclusions soient tirées, n'est-ce pas?

M. Fraser : Oui.

Le sénateur Robichaud : Quel résultat peuvent avoir ces conclusions? Les conclusions peuvent être d'un côté ou de l'autre.

M. Fraser : Je ne peux pas absolument prévoir la nature de l'enquête, ni les recommandations qui peuvent ressortir d'une enquête qui n'est pas encore terminée. Tout dépend de la nature de l'enquête et des recommandations que je déciderai de faire.

Le processus est le suivant : on fait l'enquête, un rapport préliminaire va au plaignant et à l'institution; ensuite, il y a certains délais pour recevoir les commentaires du ou des plaignants, et de l'institution. On prend acte de ces commentaires et on fait un rapport final. Je dois vous dire aussi que, pendant tout ce processus, je suis lié par la confidentialité, mais le plaignant ne l'est pas. Donc, souvent, un rapport préliminaire devient public parce que le plaignant a décidé de le rendre public; et le plaignant peut être d'accord avec les recommandations ou avec ce qu'on a découvert dans l'enquête, ou être en désaccord. Mais quand vous voyez des textes dans des journaux ou des reportages à la télévision sur nos enquêtes préliminaires, je peux vous assurer que ce n'est pas moi qui les ai rendus publiques.

Le sénateur Robichaud : Si je dis que les conclusions risquent de sérieusement affecter les services en français pour les agriculteurs de notre région, est-ce que j'ai raison? Que ce soit d'un bord ou de l'autre?

M. Fraser : Je ne peux vraiment pas commenter une enquête en cours. Je pense qu'il y a un dicton juridique qui dit qu'on ne peut pas faire indirectement ce que la loi défend de faire directement. Moi, je ne veux pas commenter indirectement ce que les règles me défendent de dire directement.

Le sénateur Robichaud : Monsieur le commissaire, je ne voulais pas vous pousser dans cette direction. Je vous remercie beaucoup.

La présidente : Mais c'est une plainte recevable que vous avez mentionnée, n'est-ce pas monsieur le commissaire?

M. Fraser : Oui. Cela veut dire que l'enquête est en cours.

La présidente : Merci.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Fraser, merci beaucoup pour votre présentation, que j'ai trouvée très intéressante, très agréable. J'en suis à mes premières armes, ici au Comité des langues officielles. Cela dit, dans le communiqué de presse qui accompagne le dévoilement de votre rapport annuel, voici ce que vous avez affirmé :

Même si la Loi sur les langues officielles en est à sa cinquième décennie, certains ont encore de la difficulté à admettre que la dualité linguistique est une valeur canadienne et un élément essentiel de l'identité du Canada.

À la lumière de cette affirmation, doit-on conclure que, pour plusieurs Canadiens, la dualité linguistique du Canada est un mythe, une réalité qui leur est étrangère, un luxe dont le Canada pourrait bien se passer?

M. Fraser : Malheureusement, certains pensent comme cela. Je reçois des courriels de gens qui pensent comme cela; les membres de votre comité aussi, probablement.

Je trouvais intéressante la divergence entre certaines interprétations des chiffres du recensement. Comme le sénateur Tardif l'a mentionné, avec une certaine satisfaction, on proclamait que c'était la preuve du déclin du français, que désormais les premiers ministres n'auront plus l'obligation de parler le français parce qu'il est évident que le fait français est en déclin.

Je retiens de ces analyses que, en effet, certains continuent de voir et ont toujours vu la dualité linguistique et le bilinguisme officiel comme un mal nécessaire. Les sondages que l'on cite au premier chapitre de notre rapport annuel indiquent que ces opinions sont fortement minoritaires mais continuent d'exister. Ce qui me frappe dans ces chiffres, c'est à quel point, depuis les plus de 40 ans de la Loi sur les langues officielles, il y a eu une évolution de l'opinion publique en faveur de la politique linguistique au Canada, et ce, de gouvernement en gouvernement. Le premier ministre Pearson en a énoncé les principes en 1955. Le premier ministre Trudeau a introduit la Loi sur les langues officielles. Le premier ministre Mulroney l'a amendée en 1988. Sous le gouvernement Chrétien, le Plan d'action pour la dualité linguistique fut introduit, et sous le gouvernement Harper le plan d'action a été transformé et bonifié en Feuille de route.

De gouvernement en gouvernement, il y a eu reconnaissance de la dualité linguistique comme une valeur. Quand une politique est non seulement endossée, mais bonifiée par des gouvernements successifs de partis différents, je crois que c'est la preuve que cela représente un sentiment majoritaire au pays.

Le sénateur McIntyre : Dans votre mémoire, vous parlez de recours judiciaires. Étant avocat de profession, c'est un chapitre qui, naturellement, a attiré mon attention.

Dans l'affaire Thibodeau c. Air Canada, le transporteur aérien a décidé d'en appeler de la décision de la Cour fédérale, en septembre 2011. Si je comprends bien, la Cour d'appel devrait trancher sur cette question ou rendre son jugement d'ici la fin de l'année 2012.

Êtes-vous surpris du fait qu'Air Canada ait décidé de porter cette décision en appel? Doit-on conclure que, pour Air Canada, le problème se situe sur le plan de sa culture corporative?

M. Fraser : Nous sommes devant deux questions. Tout d'abord, il y a tout le débat autour de la question de la culture corporative. Le juge de première instance a indiqué très clairement qu'il y avait un problème systémique et aussi que les obligations dans la loi avaient une importance qui primait sur l'entente de Montréal — entente légale internationale sur l'utilisation de l'anglais comme langue internationale de l'aviation. Cette décision de la Cour d'appel, qu'on avait évoquée dans le rapport, est venue après le 31 mars. Maintenant, une décision de la Cour d'appel a accepté l'interprétation d'Air Canada.

Nous sommes donc devant deux décisions. L'une d'elle dit que la Loi sur les langues officielles prime sur l'entente de Montréal. L'autre dit que l'entente de Montréal prime sur la Loi sur les langues officielles et conteste l'idée qu'il y a un problème systémique. Nous irons donc devant la Cour suprême pour trancher, une fois pour toutes, ces questions.

Je demanderais à Me Tremblay, si toutefois j'ai oublié quelque détail, de bien vouloir intervenir.

Johane Tremblay, avocate générale, Direction des affaires juridiques, Commissariat aux langues officielles : Monsieur le commissaire a très bien résumé les enjeux. Il y avait peut-être le deuxième volet de la question, qui est à savoir si le fait qu'Air Canada soit allé devant la Cour d'appel est relié à la culture d'Air Canada.

M. Fraser : Une chose que j'ai apprise est le fait que, en général, lorsque des institutions, après être allés devant les tribunaux, ne sont pas satisfaites du jugement, elles vont en appel. C'est la nature de notre système juridique.

Pour ma part, j'essaie, dans ces recours, de ne pas personnaliser la question mais de la traiter de la façon suivante : certaines questions de juridiction doivent être tranchées. Si on est en désaccord avec les informations ou les responsabilités d'une institution, ce désaccord doit être tranché devant les tribunaux. Il en va de même pour CBC/ Radio-Canada. Eux prétendent qu'ils ont une obligation uniquement envers le CRTC et que nous n'avons pas juridiction sur leur décision. Nous prétendons que, comme société d'État, elle a certaines obligations en vertu de la partie VII de la Loi sur les langues officielles.

Comme on le dit communément, je ne le prends pas de façon personnelle. Toutefois, il faut qu'à un moment donné les tribunaux tranchent. Et le juge Martineau a décidé que, oui, on a une certaine juridiction partagée avec le CRTC. Il a toutefois suspendu la cause pour que d'autres questions soient soumises au CRTC dans le cadre de ses audiences pour le renouvellement de la licence de CBC/Radio-Canada. Ce sera donc la prochaine étape et on verra la suite.

Le sénateur De Bané : Monsieur le commissaire, j'aimerais échanger avec vous sur trois sujets. Vous avez parlé plus tôt du visage linguistique d'Ottawa. Nous avons entendu, il y a quelques années, un sous-ministre associé du ministère des Affaires étrangères. Je lui avais fait remarquer que, maintenant que nous avons dans la Constitution canadienne le fait que ce pays a deux langues officielles et qu'il n'est pas normal que le ministère ne rappelle pas aux différentes chancelleries à Ottawa que leurs enseignes devraient figurer dans ces deux langues. Le sous-ministre en question m'avait alors répondu : « Écoutez, c'est une distraction, on va s'en occuper ». Remarquez que certaines d'entre elles, comme l'ambassade des États-Unis, affichent dans les deux langues. Toutefois, pour plusieurs autres, c'est la langue anglaise et la langue nationale du pays qui sont affichées. La moindre des choses serait que ces chancelleries respectent la loi suprême du pays.

Vous qui vous intéressez au visage linguistique d'Ottawa, je me demande si vous pourriez rappeler gentiment au ministère de continuer leurs bons offices auprès des différentes chancelleries à Ottawa afin qu'elles respectent l'égalité linguistique ici. C'est le premier point sur lequel j'aimerais échanger avec vous.

M. Fraser : C'est un très bon point. Évidemment, ils ne sont pas assujettis à la loi, mais je pourrais faire ce que je fais quand je reçois une plainte qui touche une entreprise privée. Dans ces cas, si un client se plaint du fait qu'il n'a pas reçu un service dans la langue de son choix de la part d'une entreprise privée, j'envoie une lettre en disant à la société : je sais fort bien que vous n'êtes pas assujetti à la loi, mais je présume que vous aimeriez servir mieux vos clients. Je fais la suggestion tout en reconnaissant que je n'ai pas de pouvoir formel pour faire des enquêtes ni des recommandations, parce que les ambassades n'ont aucune obligation de s'afficher dans les deux langues. Elles peuvent s'afficher dans leur langue si elles le veulent.

Le sénateur De Bané : Je me suis peut-être mal exprimé. Ce n'est pas à vous de parler à ces ambassades, mais comme elles sont en communication avec le ministère tous les jours, je crois qu'elles écouteraient si le ministère leur disait de faire un effort pour respecter la loi canadienne. Ce n'est pas au commissaire aux langues officielles de les contacter, mais je sais qu'au ministère, ils sont d'accord avec le fait qu'on a deux langues officielles et il faudrait que ces ambassades en tiennent compte. On n'a pas besoin d'être un grand expert pour savoir qu'elles seront sensibles à des vœux exprimés par le ministère. Elles font affaire avec le protocole tous les jours, et elles ont besoin du ministère pour fonctionner dans ce pays. Elles écouteront si on leur demande.

Toujours dans le domaine du visage linguistique, je songe à de grandes entreprises québécoises dont l'identité est française, leur origine est française, leur ADN est français, et qui sont situées à deux minutes à pied du Parlement à Ottawa, et qui ne s'affichent qu'en anglais. Des entreprises québécoises, dont l'ADN est français, mais ici ils adoptent une ligne inspirée par une certaine idéologie politique : on est à l'extérieur du Québec, donc on s'affiche ici uniquement en anglais. Je présume que c'est un problème sur lequel vous vous êtes penché.

Lorsque vous parlez avec ces grandes entreprises québécoises, qui font affaire dans le commerce du détail, avec les citoyens, qu'est-ce qu'ils vous répondent pour expliquer la façon dont ils se conduisent?

M. Fraser : Je n'ai pas eu ces contacts, mais je peux vous rapporter ce que des gens de la péninsule acadienne m'ont rapporté quand des succursales de grandes sociétés américaines décident de s'implanter dans la région. Elles font une étude de marché qui tient compte des besoins linguistiques de leur clientèle et elles s'affichent en fonction de l'étude de marché qu'elles ont faite. Je pense aux compagnies comme MacDonald, par exemple. Par contre, des compagnies québécoises ont tendance à penser que hors du Québec point de salut, c'est en anglais, point final.

Il y a eu des pressions, des protestations, mobilisation des gens de la péninsule acadienne pour faire comprendre à certaines compagnies québécoises qu'elles devraient s'afficher dans les deux langues et qu'il y a du français à l'extérieur du Québec.

Je ne fais pas de procès d'intention sur la raison pour laquelle ces compagnies québécoises ont cette attitude. Je remarque, par contre, que, jusqu'à il y a plusieurs années, c'était le cas avec des banques. Les succursales de banques, qui étaient à Ottawa, s'affichaient en anglais, tandis qu'à Gatineau, Hull à l'époque, c'était en français. Il est arrivé qu'un ministre téléphone au président de l'Association canadienne des banquiers, lui-même un ancien sous-ministre, pour lui dire que cela n'avait pas de bons sens. On voit maintenant, si on marche le long des rues Sparks ou Bank, que les succursales des banques s'affichent dans les deux langues.

Le sénateur De Bané : C'est ce qui me peine, voir qu'une entreprise financière québécoise, à deux minutes d'ici, être la seule à n'afficher qu'en anglais.

M. Fraser : Avez-vous communiqué avec eux?

Le sénateur De Bané : Avec le Mouvement Desjardins, non. C'est eux qui sont à deux minutes du Parlement et qui s'affichent uniquement en anglais.

Il y a un autre sujet sur lequel j'aimerais échanger avec vous. Je suis familier avec les données de Statistique Canada sur le recensement de 2006. Suivant ces données, il y avait au Canada 10 millions de personnes, en 2006, qui pouvaient converser et communiquer en français. C'est le chiffre aussi qui se trouve sur le site officiel de la Conférence des ministres sur francophonie canadienne. Est-ce que vous êtes d'accord avec cette donnée?

M. Fraser : Oui, et il y a eu un accroissement de ce chiffre, pas majeur, mais c'est 10 millions environ, selon dernier recensement paru la semaine passée.

Le sénateur De Bané : Sur ces 10 millions, il y a évidemment 6,5 millions d'habitants, au Québec, de langue maternelle française. Il y en a également un million de langue maternelle française à l'extérieur du Québec, et si on ajoute à cela ceux qui peuvent communiquer en français, nous arrivons donc à environ 10 millions. J'étais très étonné récemment d'apprendre d'un employé cadre de la Société Radio-Canada, directrice de services régionaux, qui témoignait devant nous qu'elle était parfaitement au courant qu'il y avait effectivement un million de personnes de langue maternelle française qui vivaient à l'extérieur du Québec, mais combien d'autres, à l'extérieur du Québec, parlent français parce qu'ils viennent d'un pays francophone ou parce qu'ils l'ont appris, comme le ministre du Patrimoine canadien, M. Moore? Elle a dit qu'elle ne savait pas combien ils étaient et que tout ce qu'elle savait était qu'il y a un million de personnes de langue maternelle française. Qu'il y en ait d'autres qui parlent français, sans doute, mais combien sont-ils? Elle m'a répondu : « Je ne sais pas ». Évidemment, je savais pourquoi elle disait cela, parce qu'en vertu de la Loi sur la langues officielles, il y a certaines obligations où on tient compte de la langue maternelle.

Là, nous parlons du service français de Radio-Canada, qui est là pour tous ceux qui peuvent comprendre le français. On a une transcription officielle de cette rencontre où elle nous a dit que non, elle ne sait pas; elle sait combien il y en a de langue maternelle française, mais qu'il y en ait d'autres, non.

D'ailleurs, notre présidente a posé la question directement : « Le un million, c'est qui cela? » Elle a dit : « Langue maternelle, c'est le seul chiffre que nous avons ».

J'aimerais que vous puissiez les sensibiliser au fait que Radio-Canada, c'est la locomotive de la présence, de la défense, de l'illustration de la langue française, et que, sur ces 10 millions de personnes qui peuvent parler français, 26,7 p. 100 n'habitent pas au Québec. Plus que le quart habitent à l'extérieur, dans toutes les provinces canadiennes. Et manifestement, cela, non, ils tiennent compte uniquement de la langue maternelle française.

C'est la première fois qu'on voit une entreprise dans le domaine de la radiodiffusion délibérément réduire son marché potentiel. J'ai vu bien des choses dans ma vie, mais aller jusque-là, ne pas se demander quel est notre marché potentiel — c'est ceux évidemment qui parlent français, qui comprennent le français, qui peuvent échanger en français —, cela n'a pas l'air de les intéresser.

J'aimerais que vous voyiez dans quelle mesure vous pouvez les sensibiliser à cela.

J'aimerais terminer sur un point, madame la présidente. Vous savez que, pour les communautés françaises à travers le pays, pour eux, il est extrêmement important, pour leur propre développement, qu'ils se voient, qu'ils s'entendent sur les antennes de la Société Radio-Canada; non seulement sur ce qui se passe dans leur province, mais sur le réseau pancanadien. C'est extrêmement important pour leur moral. Eux-mêmes me l'ont dit : « Quand on se voit sur le réseau pancanadien, cela nous donne de l'assurance ». Et, comme vous le savez, ils sont tellement invisibles sur le réseau d'un océan à l'autre, qu'ils ont décidé de faire une demande au CRTC pour établir leur propre réseau pancanadien afin de se voir et s'entendre.

Le premier objectif de la Loi sur la radiodiffusion, c'est de permettre aux Canadiens de se voir et s'entendre entre eux. J'aimerais que vous réfléchissiez dans quelle mesure vous pouvez faire pression sur Radio-Canada. Je comprends que vous avez des problèmes avec eux, vous les poursuivez en cour, mais c'est un sujet très important.

M. Fraser : Très brièvement, madame la présidente. Effectivement, on est devant les tribunaux parce qu'on pense que CBC/Radio-Canada a des obligations particulières pour l'épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire, particulièrement dans la réduction dramatique des services dans la région de Windsor, qui a été faite avant l'intervention devant les tribunaux, quasiment sans consultation avec les communautés.

Ce que je peux dire quand même, c'est que Mme Pleszczynska, la cadre à laquelle vous faites référence, a organisé des rencontres avec des membres de la communauté à Sudbury et à Toronto, pour effectivement déclencher des conversations sur les besoins de la communauté en termes de radiodiffusion.

Moi, j'ai déjà écrit un texte pour le National Post sur le rôle extrêmement important que joue Radio-Canada dans les communautés et l'admiration que j'ai pour ces animateurs de radio et de télévision qui jouent un rôle, non seulement devant le micro ou à l'écran, mais également comme animateurs d'événements sociaux dans les communautés. Ils jouent un rôle extrêmement important. C'est un message que j'ai déjà essayé d'envoyer devant les tribunaux et que je vais répéter quand je vais comparaître devant le CRTC.

Le sénateur Mockler : Je vous félicite, monsieur le commissaire. Vous êtes dédié, vous êtes très transparent lorsqu'on regarde vos recommandations et le travail que fait votre bureau. Sans doute suivez-vous de très près ce qu'on lit dans nos journaux anglophones, au Nouveau-Brunswick, sur la modernisation des langues officielles à l'heure actuelle. Cela me préoccupe. D'ailleurs, j'ai trouvé excellent votre tableau de la page 4 sur le bilinguisme, je l'ai utilisé en fin de semaine chez Tim Horton et au MacDonald à Saint-Léonard.

Concernant le débat sur la modernisation des langues officielles qui a lieu chez nous, avez-vous des commentaires? De quelle manière pourrait-on informer davantage notre population étant donné que le Nouveau-Brunswick est la seule province bilingue au Canada?

M. Fraser : J'ai beaucoup d'estime pour mon homologue Michel Carrier qui fait un travail exemplaire comme commissaire aux langues officielles chez vous et qui, dans son rapport, a fait des recommandations très bien ciblées sur la langue de travail. L'une des seules différences, grosso modo, entre la Loi sur les langues officielles fédérale et la loi au Nouveau-Brunswick, c'est que les fonctionnaires au Nouveau-Brunswick n'ont pas la même garantie de travailler dans la langue de leur choix. Je sais que c'est un débat qui suscite beaucoup d'émotion encore aujourd'hui, au Nouveau- Brunswick, et je sais qu'il y a certains endroits où je ne dois pas m'avancer sans maitriser solidement les dossiers linguistiques, parce qu'au Nouveau-Brunswick particulièrement, les dossiers sont très complexes, et souvent, il y a débat sur la différence entre le bilinguisme officiel et la dualité linguistique ainsi que sur les droits attachés à la communauté.

Même si je n'ai pas d'appui matériel à donner à mon homologue Michel Carrier, je suis en contact régulier avec lui, et je lui donne autant d'appui moral que je peux dans, souvent, des situations assez délicates.

Le sénateur Mockler : Sans doute ce que vous avez mentionné à propos de M. Carrier nous permet de sensibiliser davantage la population néo-brunswickoise, puis ses recommandations sont exactes et précises.

Lorsque je regarde les recommandations no 1 et no 2, il est certain que chaque gouvernement veut protéger son bastion, c'est-à-dire ses responsabilités provinciales vis-à-vis des responsabilités fédérales.

M. Fraser : Oui.

Le sénateur Mockler : Je sais qu'une certaine inquiétude se manifeste présentement à travers notre pays avec certains changements de gouvernements au niveau provincial, sans vouloir les nommer. De quelle manière le gouvernement fédéral pourrait-il encourager l'augmentation des programmes scolaires pour favoriser davantage le bilinguisme, sans interférer dans les juridictions provinciales?

M. Fraser : Mon interprétation de ce rôle très important que le gouvernement fédéral pourrait jouer, c'est via son rôle d'employeur. Le gouvernement fédéral est le plus grand employeur au Canada et, comme employeur, il a des besoins. Le gouvernement fédéral a besoin d'employés bilingues. Tout comme certaines firmes de génie envoient des messages très clairs aux facultés de génie en disant « On a besoin de diplômés qui maîtrisent telle ou telle spécialité », ou comme certaines firmes d'architecture vont dire aux facultés d'architecture « Voici le genre de formation dont on a besoin », je pense qu'il est très important pour le gouvernement fédéral de dire aux universités et aux provinces : « Nous avons des besoins comme employeur, comment pouvez-vous, ainsi que vos universités, donner les occasions d'apprentissage? »

Car les sondages démontrent que, non seulement le gouvernement fédéral est le plus grand employeur, mais c'est un employeur de choix. Dans plusieurs domaines, il est étonnant de voir à quel point des étudiants aimeraient travailler pour le gouvernement fédéral.

Le vieux modèle de formation linguistique dans lequel on attendait qu'un employé soit sur le point de devenir gestionnaire ou haut gestionnaire pour l'envoyer en formation linguistique pour des semaines ou des mois, le temps d'atteindre le niveau requis par les obligations linguistiques, c'est un modèle qui est beaucoup trop cher, beaucoup trop lourd.

Le gouvernement a décidé, d'abord, de privatiser la formation linguistique et, ensuite, de transférer cette responsabilité aux ministères. Donc, l'apprentissage linguistique devrait faire partie du plan de formation de chaque employé au gouvernement fédéral. Mais dans le contexte actuel, il est bien compréhensible qu'un gestionnaire dise à un de ses employés : « Je sais que c'est important que tu passes tes tests linguistiques, mais avant cela, pour faire ton travail actuel, il y a d'autres cours que tu devrais suivre — sur les ressources humaines, sur la dotation, sur toutes sortes d'autres éléments professionnels dans la fonction publique ».

Donc, je crois — et toutes les études le démontrent — que plus on peut apprendre une deuxième langue jeune, mieux c'est. Je crois qu'il est très important pour le gouvernement fédéral d'envoyer ce message aux universités. On n'a pas vu encore les résultats, mais il y a eu un projet pilote dans 11 universités, où les étudiants pouvaient suivre des cours de formation linguistique pour avoir leur niveau linguistique avant d'entrer dans la fonction publique. Donc, ils arrivent déjà avec leur CBC ou leur BBB avant d'être engagés. C'est plus efficace, moins cher, et c'est une capacité professionnelle dont le gouvernement fédéral a besoin.

La question n'est pas de faire de l'ingérence dans la nature de cette formation, mais je pense que le gouvernement fédéral a non seulement des responsabilités, mais aussi des droits, comme employeur, d'envoyer le même genre de message que d'autres employeurs envoient aux institutions postsecondaires.

Soyons clairs, il n'est pas ici question pour le gouvernement fédéral de dire que, en deuxième année, ils devraient lire Marie-Claire Blais et, en troisième année, ils devraient lire Proust. Les questions de formation linguistique sont la responsabilité des universités, mais je crois qu'on devrait avoir assez de collaboration pour que l'employeur canadien, qui a le plus besoin d'employés bilingues, puisse avoir un mot à dire en disant : « Nous avons ce besoin ».

Le sénateur Mockler : C'est que, quand on va à l'intérieur de ces boîtes-là, le ministère de l'Éducation veut protéger son propre fief, disant « C'est nous qui allons décider sur notre terrain ». Mais je suis pleinement d'accord avec vous.

Il y a un autre dossier que je suis certain que vous suivez, et j'ai également d'autres questions, mais je vais écrire une lettre pour avoir une réponse.

Ma dernière question est la suivante : on parle de la Feuille de route, on voit que présentement on a une consultation sur ce sujet à laquelle les Canadiens et les Canadiennes participent. Selon votre expérience maintenant vaste, est-ce qu'on a réussi avec la Feuille de route à faire avancer nos communautés au Nouveau-Brunswick? Si oui, et sans vouloir vous mettre dans l'embarras car j'ai trop de respect pour vous et votre bureau, est-ce qu'on peut le codifier, l'exprimer sur une échelle de un à dix?

J'aimerais avoir des résultats que je peux présenter à mes interlocuteurs. J'aimerais pouvoir dire, comme sénateur aujourd'hui, membre du parti gouvernemental, ou au titre d'autres responsabilités gouvernementales que j'ai assumées autrefois, que si le programme ne fonctionne pas, on doit le corriger.

M. Fraser : Je crois qu'il y a eu des succès avec la Feuille de route. Le plus grand succès, à mon avis, a été dans l'élargissement des réseaux de santé en français. Il y a eu des avancées très importantes. Je ne peux pas le codifier spécifiquement pour le Nouveau-Brunswick, mais peut-être que mon collaborateur, Sylvain Giguère, peut vous fournir plus de détails en ce qui concerne le Nouveau-Brunswick.

Sylvain Giguère, commissaire adjoint, Direction générale des politiques et des communications, Commissariat aux langues officielles : Ce ne sont peut-être pas des détails que je peux vous présenter, mais on a quand même des belles réussites au Nouveau-Brunswick. Si je prends, par exemple, le programme Accent, qui a été financé par l'APECA, c'est de l'argent qui venait de la Feuille de route. Ils ont commencé leur travail il y a plusieurs années, mais ils ont réussi à travailler avec une cinquantaine d'organisations — des organismes privés, mais qui ont réussi à faire avancer le service dans les deux langues officielles. Ce sont de belles réalisations qu'on a pu voir.

Est-ce qu'on aurait pu en voir plus? Oui, probablement. Est-ce qu'ils ont fait des pas en avant? Oui. Donc, à défaut de pouvoir vous donner plus de détails, on voit des améliorations, c'est clair.

Le sénateur Mockler : Si vous me permettez un dernier commentaire, la société Santé en français va avoir sa réunion annuelle ici du 21 au 23 novembre. Ils sont plus de 450 participants, et ils n'ont que quelques années d'existence.

Le sénateur Tardif : C'est leur dixième année.

Le sénateur Mockler : Les programmes de santé en français, dans les dernières années, se sont fait grâce à leur leadership.

La présidente : Merci, sénateur Mockler. Le commissaire a gracieusement accepté de rester avec nous jusqu'à 19 heures. Il nous reste 20 minutes. Il y a quatre sénateurs qui ont indiqué avoir des questions pour le deuxième tour de table. Je vous demanderais de garder votre question, très ciblée; la question et la réponse ne devraient pas prendre plus de cinq minutes si nous voulons que chacun puisse poser sa question.

Le sénateur Champagne : En ce moment, et depuis plusieurs années, certaines écoles secondaires de Toronto, étant au courant du fait que des francophones fréquentent l'université à Toronto, invitent des étudiants universitaires de différentes facultés à venir faire de la conversation en français dans les écoles secondaires. C'est tout à fait merveilleux pour ces jeunes d'avoir l'occasion de discuter de la partie de hockey de la veille ou de l'actualité avec un francophone. C'est aussi une belle occasion pour un jeune étudiant de l'université de pouvoir gagner quelques sous dont il aura besoin pour mettre de l'essence dans sa petite voiture. C'est peut-être une suggestion que vous pourriez refiler à d'autres à certains moments.

Vous parliez plus tôt de l'importance de la visibilité du paysage bilingue dans la capitale nationale, surtout à l'approche de 2017. Vous avez rencontré le maire de Gatineau et le maire Watson d'Ottawa. Surtout qu'en ce moment on a à Ottawa un maire francophile. Il doit y avoir moyen pour ces deux maires de suggérer aux différents commerçants une façon d'afficher certaines indications. On voit un peu partout habla español. Or, ici nous sommes bilingues. Je crois que si les deux maires s'y mettaient, on aurait peut-être des enfants bilingues un peu plus forts.

M. Fraser : Excellente suggestion. J'ai déjà un rendez-vous avec le Regroupement des gens d'affaires, un organisme très engagé pour la promotion de la visibilité des deux langues officielles dans les commerces d'Ottawa et qui appuie les commerces qui aimeraient devenir plus visibles. J'ai eu de très bonnes rencontres avec les deux maires. La prochaine fois, je suggérerai une approche conjointe.

Le sénateur Champagne : À mon avis, pour que les choses fonctionnent vraiment, il faut emboîter le pas des deux côtés du pont.

Le sénateur Tardif : Monsieur le commissaire, dans votre rapport annuel de l'an dernier, vous avez présenté plusieurs recommandations au gouvernement. Or, vous n'y avez pas fait référence dans le rapport annuel de cette année. Quel suivi avez-vous fait auprès du gouvernement? Pouvez-vous nous indiquer si le gouvernement a pris des mesures suite à vos recommandations?

M. Fraser : On est en train, effectivement, de faire une compilation de toutes les recommandations qu'on a faites depuis mon arrivée en poste. Lorsque cette compilation sera terminée, je pourrai partager le bilan des recommandations.

M. Giguère : Nous sommes en train de faire une mise à jour. Une première approche avait été faite avec les 39 premières recommandations du commissaire, en mars 2012. Nous ferons une mise à jour cet automne. Il est toujours possible de voir où nous en sommes. Nous ajoutons les trois dernières recommandations, nous sommes donc rendus à 42. Évidemment, nous n'avons aucun suivi sur les trois dernières car il est trop tôt. Nous pourrons faire parvenir au comité les résultats.

Le sénateur Tardif : Ce serait très apprécié.

M. Giguère : Il faudra encore environ deux ou trois semaines.

Le sénateur Tardif : On parle beaucoup, ces derniers jours, de compressions budgétaires imposées aux ministères et organismes fédéraux. Avez-vous commencé à mesurer l'impact de ces coupures sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire?

M. Fraser : Les mesures de compression sont toujours en cours. Par exemple, dans certaines institutions, 40 personnes ont reçu une lettre pour combler 20 postes. Pendant que ce processus est en cours, il est très difficile de faire une évaluation finale de l'impact. On espère pouvoir faire rapport l'an prochain sur l'impact des compressions.

De façon anecdotique, comme je l'ai indiqué dans ma déclaration, on a reçu des plaintes sur quelques fermetures d'institutions. Certaines personnes sont très inquiètes de la régionalisation de certaines institutions où des opérations sont transférées d'une province ou une région bilingue à une région unilingue. La situation est donc plus difficile, et certains craignent de ne plus pouvoir continuer à travailler dans la langue de leur choix.

De façon, encore une fois, tout à fait anecdotique, on entend que certains craignent d'utiliser le français au travail, de peur d'être ciblés pour des éliminations de postes. Bien que nous tentions de les rassurer en leur disant que s'ils déposent des plaintes, le processus est tout à fait anonyme, ces gens ne veulent surtout pas faire des vagues dans un contexte d'élimination de postes.

Le sénateur Tardif : La situation est très sérieuse, monsieur le commissaire. Vous n'êtes pas sans savoir que les communautés de langue officielle sont très inquiètes des effets et des impacts à venir. Elles se demandent également si les organismes pourront respecter leurs engagements en matière de langues officielles.

M. Fraser : Je souligne que je ne prétends pas que le gouvernement a pris la décision de cibler des programmes de langue officielle. Je crains toutefois les effets involontaires des compressions budgétaires sur des communautés.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Monsieur le commissaire, une grande partie de votre rapport traite du rôle des entreprises dans la promotion de la dualité linguistique canadienne. Vous avez cité, dans votre rapport, des entreprises bilingues qui ont connu de très belles réussites. J'aimerais savoir où sont situées ces entreprises au Canada? Qu'en est-il des entreprises dans l'Ouest?

J'ai trois questions, mais il n'est pas nécessaire que votre réponse soit très longue.

Également, quelle est la part de responsabilité du secteur privé dans la promotion des deux langues officielles?

M. Fraser : D'abord, le quartier général de Mountain Equipment Co-op est à Vancouver. Le quartier général de Rogers Communications est à Toronto. Dans les deux cas, ils ont décidé d'adopter la dualité linguistique comme une valeur, même si, proportionnellement, leur clientèle francophone est plutôt minoritaire. La clientèle francophone de Rogers, en termes de câblodistribution dans un de leur marché ne représente que 8 p. 100. Néanmoins, ils ont décidé que c'était une valeur corporative. Je crois qu'il est extrêmement important que les grandes sociétés adoptent la dualité linguistique comme une valeur.

Le sénateur Fortin-Duplessis : On compte environ 10 millions de francophones à travers le pays, soit près du tiers de la population. Qu'en est-il des petites entreprises? On ne retrouve pas que des grandes entreprises au Canada, on en retrouve également des petites. Les petites entreprises se soucient-elles d'offrir les services dans les deux langues officielles?

M. Fraser : C'est difficile à dire. Certains le font, mais tout dépend. Les petites industries ou petites compagnies commencent habituellement avec une clientèle locale. Par conséquent, leur visage linguistique sera basé sur la nature de leur clientèle.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Et comment voyez-vous la part de responsabilité du secteur privé dans la promotion des deux langues officielles?

M. Fraser : Disons que je suis devenu assez intéressé par le concept de paysage linguistique. Ce qui est frappant, c'est qu'une grande partie du paysage linguistique, dans chaque ville canadienne, est sous le contrôle du secteur privé. Le Québec et le Nunavut ont décidé de réglementer le secteur privé alors que le gouvernement fédéral et les autres provinces ont décidé de ne pas le faire. Mais pour faire en sorte que le paysage linguistique reflète la composition linguistique du pays, je pense que le secteur privé à un rôle important à jouer, étant donné son importance dans le paysage linguistique. On a vu que lors d'événements spéciaux comme les Jeux olympiques, les commanditaires de ces jeux s'étaient fortement engagés dans le visage linguistique à Vancouver.

Le sénateur Fortin-Duplessis : J'étais bien contente que vous ayez consacré au moins quatre pages de votre mémoire sur les industries et les performances. Alors, je vous remercie beaucoup.

M. Fraser : Je vous en prie.

Le sénateur Robichaud : Monsieur le commissaire, si vous jetez un coup d'œil autour de cette table, seriez-vous d'accord avec moi pour dire que la question des langues officielles touche principalement les francophones?

M. Fraser : C'est évident que quand un groupe linguistique est en situation minoritaire, ce groupe est plus engagé à la défense et à la promotion des droits linguistiques que la majorité. C'est la même chose en Finlande où les Suédois sont plus intéressés par la question des droits linguistiques que les Finlandais. Je pense qu'il est tout à fait normal que les communautés en situation minoritaire s'intéressent plus à cette question que ceux en situation majoritaire.

Le sénateur Robichaud : Ne croyez-vous pas que si les parlants français en situation minoritaire pouvaient réussir à faire du programme des langues officielles un programme qui desserve tout le Canada et toutes les communautés, on aurait quand même besoin des parlants anglais?

M. Fraser : Oui, tout à fait. C'est d'ailleurs pourquoi un de nos axes stratégiques en tant que commissariat est de rejoindre la majorité. Parce que si la dualité linguistique n'est pas acceptée comme valeur par les majorités au Canada, il sera très difficile d'atteindre cet idéal.

Le sénateur Robichaud : Jusqu'à présent, a-t-on réussi à rejoindre cette majorité? Et le cas échéant, dans quelle mesure?

Cela n'a rien à voir avec votre rapport, c'est tout à fait général.

M. Fraser : Si on regarde le progrès des appuis pour le bilinguisme officiel démontré dans les sondages cités dans le rapport annuel, je pense que la réponse est là. Le problème est que si on est en situation majoritaire, profondément majoritaire, où le français n'est pas très présent, comme à Toronto, par exemple, il est difficile d'être aussi conscient de l'importance de la dualité linguistique que si on est à Moncton, à Ottawa, à Montréal, à Sudbury ou dans des communautés comme Winnipeg, où Saint-Boniface est une ville très présente sur la scène urbaine.

Si on regarde la réaction des éditoriaux à la nomination d'un vérificateur général unilingue, on a vu que cela avait été une décision qui avait été fortement critiquée par le Edmonton Journal, le Calgary Herald, et le Ottawa Citizen. Ce n'était pas les réactions auxquelles je m'attendais venant de ces journaux. Pour moi, cela confirme qu'il est essentiel, pour des positions d'importance nationale, que ces positions soient occupées par des gens bilingues. Il n'y a même plus de débat sur la nécessité que les chefs politiques soient bilingues. C'est un débat dépassé depuis 25 ans.

On voit de plus en plus que le bilinguisme est une capacité essentielle de leadership au pays, que ce soit dans les partis politiques, dans la fonction publique ou dans des positions hautement publiques du pays.

Le sénateur Robichaud : Je vous remercie, monsieur le commissaire, vous et votre équipe d'être venus nous rencontrer.

La présidente : Avant de terminer, monsieur le commissaire, au début de votre présentation, vous avez parlé brièvement de l'étude sur CBC/Radio-Canada. Comme vous le savez sûrement, on procède présentement à cette étude. Vous nous dites avoir déposé au CRTC vos observations écrites au début de ce mois-ci. J'aimerais vous mentionner qu'une copie de votre intervention a été distribuée aux membres du comité.

Si, à un moment donné, les membres du comité jugent avoir des questions additionnelles qu'ils aimeraient vous poser, seriez-vous prêt à comparaître à nouveau si c'était nécessaire?

M. Fraser : Oui, tout à fait.

La présidente : Merci beaucoup monsieur le commissaire, et merci à votre équipe.

Honorables sénateurs, cela a été une réunion assez longue cet après-midi, mais très fructueuse. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)


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