Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule 17 - Témoignages du 18 mars 2013
OTTAWA, le lundi 18 mars 2013
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 16 h 33, pour poursuivre son étude sur les obligations de CBC/Radio-Canada en vertu de la Loi sur les langues officielles et de certains aspects particuliers de la Loi sur la radiodiffusion.
La sénatrice Maria Chaput (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des langues officielles. Je suis la sénatrice Maria Chaput du Manitoba, présidente du comité.
Avant de présenter les témoins qui comparaissent aujourd'hui, j'invite les membres du comité à se présenter.
La sénatrice Poirier : Sénatrice Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick. Bienvenue.
Le sénateur Mockler : Sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Robichaud : Sénateur Fernand Robichaud, de Saint-Louis-de-Kent, au Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Tardif : Sénatrice Claudette Tardif, de l'Ouest canadien, de l'Alberta.
La présidente : Le comité poursuit son étude des obligations linguistiques de CBC/Radio-Canada en vertu de la Loi sur les langues officielles et de certains aspects particuliers de la Loi sur la radiodiffusion.
Le comité a entendu jusqu'à maintenant plus d'une trentaine de témoins dans le cadre de cette étude. Cela comprend les représentants de CBC/Radio-Canada, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le commissaire aux langues officielles, le ministre du Patrimoine canadien et des Langues officielles, des chercheurs ainsi que des organismes francophones et anglophones.
Plusieurs témoins ont rappelé que la jeunesse qui représente l'avenir doit être au cœur des stratégies de CBC/Radio- Canada. Le comité a donc pris l'initiative d'inviter des représentants du secteur de la jeunesse à venir témoigner devant lui afin de connaître la perception des jeunes Canadiens au sujet des obligations linguistiques de CBC/Radio-Canada.
C'est donc avec grand plaisir que nous accueillons aujourd'hui M. Sébastien Lord, président de la Fédération des jeunes francophones du Nouveau-Brunswick, ainsi que M. Gabriel Tougas, délégué du Conseil jeunesse provincial du Manitoba et président pour le Parlement jeunesse pancanadien.
Au nom des membres du comité, je remercie les témoins de prendre le temps de nous présenter leur point de vue dans le cadre de notre étude et de répondre à nos questions.
Le comité a demandé aux témoins de faire une présentation d'environ une dizaine de minutes chacun et les sénateurs suivront avec des questions.
J'invite donc M. Lord à prendre la parole et M. Tougas suivra.
Sébastien Lord, président, Fédération des jeunes francophones du Nouveau-Brunswick : Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, j'aimerais commencer par vous remercier de votre invitation à comparaître devant vous aujourd'hui au sujet de Radio-Canada, ses obligations linguistiques et son engagement envers la jeunesse.
En tant que président de la Fédération des jeunes francophones du Nouveau-Brunswick, je crois sincèrement que la jeunesse, non seulement de ma province mais aussi de ce pays, a des opinions pertinentes concernant notre société et des idées qui peuvent enrichir les discussions publiques. Ce sont des initiatives comme la vôtre, ici, qui permettent à la prochaine génération de continuer à s'impliquer et de s'épanouir dans la sphère publique.
Lors de ma préparation pour ce panel, on m'a proposé quelques questions comme pistes pour mon discours. J'aimerais bien parler de quelques-unes de ces pistes.
La première question à laquelle moi et les jeunes que je représente aimerions répondre est : qu'est-ce que représente Radio-Canada? La réponse est un peu simple mais a des conséquences importantes. Radio-Canada représente une opportunité d'avoir un partage continu, entre autres d'informations, d'opinions et de culture entre les différentes communautés de notre pays.
Ce partage continu, ce discours en constante évolution entre nos concitoyens sont nécessaires pour notre progrès en tant que société. Sans cet échange, nous ferions face à une stagnation politique et culturelle en tant que pays.
Comment vouloir faire face à nos défis économiques si nous ne savons pas ce qui se passe dans les différents secteurs, de ce côté comme de l'autre côté du pays? Comment pouvons-nous demander une constante innovation chez nos artistes s'ils doivent se développer dans un vide culturel? C'est impossible. Un meilleur flux d'information augmente les capacités de tous en nous gardant mieux informés du milieu dans lequel nous vivons.
Ceci est d'autant plus vrai et important pour la francophonie du Canada qui peut souvent retrouver ses membres isolés en petites communautés, loin de leurs pairs linguistiques. Radio-Canada, en tant que radiodiffuseur national, a les capacités de rapprocher ces communautés isolées et d'aider à la création d'un plus grand sentiment d'appartenance à la francophonie canadienne.
Cependant, plus qu'un sentiment d'appartenance, un rapprochement des communautés francophones pourrait nous aider à trouver des solutions à nos défis sociaux. Depuis mon engagement dans le monde communautaire francophone, j'ai remarqué que même si chaque région est unique, il y a certains problèmes qui sont communs à toutes les localités. Le premier qui me vient en tête est l'intimidation dans les écoles. Cependant, il n'est pas rare que certains groupes de gens trouvent des solutions à ces problèmes et qu'ils réussissent à les implanter avec succès. Souvent, ces solutions sont transférables, à quelques modifications près, d'une région à une autre. Une communication accrue et constante facilite nettement ce processus.
En tant que jeune de 19 ans, j'ai grandi avec les médias sociaux, bien que je n'aie jamais utilisé ces outils de communication à leur plein potentiel. Cependant, durant les deux dernières années à titre de président de la Fédération des jeunes francophones du Nouveau-Brunswick, j'ai vu maintes campagnes de sensibilisation être mises sur pied, croître et obtenir un succès incroyable sur les médias sociaux. Je pense notamment à notre campagne Libérons les couleurs, qui cherchait à sensibiliser la population en général au sujet de l'identité et de la diversité sexuelle, en mettant notamment l'accent sur le problème de l'homophobie. Les retombées positives qui sont ressorties de cette initiative sont loin d'être négligeables.
Si des projets de ce genre, qui a pris naissance dans ma province, pouvaient recevoir l'appui des organismes tels que la Société Radio-Canada, l'ensemble du pays pourrait en tirer des bénéfices. Il y a certainement beaucoup de projets qui sont mis sur pieds à travers le pays que nous ignorons et dont nous pourrions bénéficier chez nous.
Tout ceci m'amène à la seconde question à laquelle j'aimerais répondre. En tant que représentant de la jeunesse canadienne, quelles sont mes attentes envers Radio-Canada? Je crois avoir bien capté l'esprit de ma réponse dans ce que je viens de dire, mais permettez-moi quand même de l'expliciter. Je crois que Radio-Canada et nous tous aurions à gagner si une certaine importance était mise sur les activités des organismes communautaires, notamment ceux ayant un aspect jeunesse. Ces organismes travaillent constamment à l'amélioration de la vie sociale de leur localité, et leur donner une vitrine où ils peuvent s'exposer au niveau national pourrait augmenter grandement la portée de leurs projets. Un aspect économique à considérer ici est que cette visibilité au niveau du pays augmente aussi le rendement de chaque dollar investi dans ces organismes.
L'accent sur l'importance d'appuyer les organismes jeunesse dans les réseaux média est une mention qui provient d'une constatation qui est évidente pour tous ceux qui ont déjà travaillé avec des jeunes dans ce milieu. L'idée que les jeunes souffrent d'une apathie concernant leur culture ou les politiques qui ont un impact sur eux est un mythe qui n'améliore le sort de personne. Ce qui est vrai par contre, c'est que les jeunes ne savent pas où commencer à s'impliquer ou quel forum utiliser pour exprimer leur opinion. Une plus grande présence dans les médias des organismes qui leur offrent ces opportunités permettrait plus facilement aux jeunes de se trouver une place où ils peuvent s'impliquer.
Il est important de remarquer la fluidité de la définition du mot « média ». Non seulement ce terme, avec la venue de l'Internet, ne veut plus dire la même chose qu'il y a quelques dizaines d'années, mais il évolue de plus en plus rapidement pour suivre le progrès inexorable de la technologie.
Ainsi, mon rituel du matin ne consiste pas à aller chercher un journal au magasin du coin tel que le faisait mon grand-père, mais plutôt à prendre mon téléphone et à accéder à Internet afin de rester au courant de ce qui s'est produit dans ma région, dans mon pays et dans notre monde et ce, avant même d'être sorti de ma chambre.
Il est évident que Radio-Canada et tout autre organisme, qui cherchent à diffuser des médias, doivent suivre et s'adapter aux changements technologiques que nous vivons tous les jours sinon la population et surtout les jeunes qui réussissent en grande partie à s'adapter à ces changements, trouveront ces organismes désuets et ne leur donneront qu'une attention éphémère et superficielle. Peu importe le contenu ou la qualité d'un reportage, s'il n'est pas dans un format familier ou un médium déjà utilisé par les Canadiens, il risque de tomber dans une sourde oreille.
La dernière mention que j'aimerais faire est que lorsque je lis les nouvelles, je me retrouve plus souvent sur le site web de CBC que celui de Radio-Canada. Ceci est malheureux, mais il est généralement plus facile pour moi de rester au courant de ce qui se passe dans ma province et ma région en lisant la contrepartie anglophone de Radio-Canada.
En sachant que l'énorme majorité des francophones du Canada vivent au Québec, il est compréhensible qu'une grande partie des nouvelles francophones proviennent de cette province. Cependant, en tant que société de la Couronne, la Société Radio-Canada devrait quand même bien desservir toutes les régions francophones du pays. Je ne suis pas le seul à avoir cette réflexion. En effet, c'est quelque chose qui est grandement discuté dans le réseau communautaire francophone de notre pays. Une des actions, suite à ce constat qu'il existe certaines lacunes dans la programmation de Radio-Canada, est un effort de monter une autre chaîne de télévision francophone nommée Accent qui aurait pour public cible les francophones hors Québec.
En conclusion, Radio-Canada représente tout de même un atout important et indispensable pour les jeunes, les francophones et la population générale de ce pays. Je suis d'avis qu'il est toujours possible d'améliorer quoi que ce soit et c'est dans cet esprit que je présente mon point de vue aujourd'hui.
J'espère pouvoir vivre dans un Canada où Radio-Canada continue et améliore son excellent service de télédiffusion.
Encore une fois, merci de m'avoir accordé l'opportunité de vous rencontrer aujourd'hui.
La présidente : Merci beaucoup monsieur Lord. Je passe maintenant la parole à M. Tougas.
Gabriel Tougas, délégué et président pour le Parlement jeunesse pancanadien, Conseil jeunesse provincial (Manitoba) : Merci madame la présidente. Je m'appelle Gabriel Tougas et je suis réalisateur professionnel de télé-documentaires et de longs-métrages dramatiques. Je suis aussi un fier Franco-Manitobain originaire de Saint-Boniface et je me présente devant vous à titre de délégué du Conseil jeunesse provincial (Manitoba).
Je travaille depuis quatre ans au sein de l'industrie de la télévision à titre de réalisateur pour les productions Rivard qui est une boîte de production indépendante bilingue basée à Winnipeg au Manitoba. Depuis deux ans, je réalise également le premier long-métrage dramatique produit et réalisé par des francophones issus de l'Ouest canadien.
Je crois que ces expériences, en plus du fait que j'ai vécu toute ma vie au sein de la communauté franco-manitobaine, me mettent en très bonne position pour livrer une perspective de la jeunesse sur les obligations linguistiques et identitaires de CBC/Radio-Canada.
Avec le temps qui m'est alloué, je désire partager avec vous trois constatations que j'ai faites dans les dernières années. D'abord, une bonne partie de la jeunesse franco-manitobaine ne consomme pas la radio ou la télé de Radio- Canada, mais ce n'est pas nécessairement la faute du diffuseur. Je vais préciser sous peu. Ensuite, en ce qui concerne un bulletin de nouvelles accessible, complet et approprié, Radio-Canada dessert très bien les communautés locales. Enfin, les auditeurs potentiels et la jeunesse en particulier, sont très attirés par la programmation locale. Mes recommandations à cet effet suivront.
Premièrement, selon mon expérience anecdotique assez large de la jeunesse franco-manitobaine, je dois avouer que plusieurs, sinon la plupart des jeunes n'écoutent pas la télé de Radio-Canada et encore moins la radio. Du côté de la petite enfance, c'est une autre histoire, car les parents d'expression française font souvent écouter les émissions pour enfants de Radio-Canada à leurs jeunes. Lorsqu'ils atteignent l'adolescence, les jeunes ne l'écoutent plus beaucoup. En effet à cet âge, l'adolescent moyen va seulement écouter Le Téléjournal s'il sait que lui ou un de ses amis apparaîtra à la télé ce soir-là. Toutefois, je tiens à dire que je ne crois pas que la faute soit attribuable à Radio-Canada. Je vous offrirai plus tard certaines pistes de solution qui existent, mais pour l'instant, je tiens à préciser qu'à cet âge, les jeunes n'écoutent pas Radio-Canada principalement parce qu'ils n'écoutent pas la radio ou la télé, point final.
La programmation actuelle de Radio-Canada n'est pas, non plus, dans leur champ d'intérêt à cet âge. Plus tard, à l'âge universitaire, j'ai vu dans mon entourage une croissance impressionnante dans la consommation de la radio et de la télé de Radio-Canada. Encore une fois, cependant, cette consommation se fait énormément grâce aux plateformes en ligne, Web de Radio-Canada. Sur Internet, par exemple, nous écoutons la radio en direct, nous revoyons Le Téléjournal Manitoba en archives et nous regardons une grande variété d'émissions sur TOU.TV. Il existe de la programmation de très grande qualité sur CBC/Radio-Canada et mon entourage apprécie particulièrement les drames tels que 19-2 et les comédies telles que Pérusse Cité et l'incontournable Tout le monde en parle. Ces productions demeurent néanmoins presque complètement à caractère québécois et je vais préciser ma pensée sur ce point sous peu.
Tout cela pour dire que si les adolescents n'écoutent pas Radio-Canada cela ne constitue pas un problème en soi, car ils vont graviter vers sa programmation au fur et à mesure que les préférences évoluent ce qui n'empêcherait pas quand même que Radio-Canada tente de cibler davantage les adolescents avec des séries de fiction qui pourraient les intéresser. Il est toutefois important de garder en tête que maintenir la gratuité et l'accessibilité de la grande majorité du contenu de CBC/Radio-Canada sur les plateformes Web est nécessaire pour conserver l'intérêt de notre génération.
Deuxièmement, je crois sincèrement qu'en ce qui concerne les nouvelles, Radio-Canada fait un travail extraordinaire d'offrir aux communautés minoritaires un bulletin complet et approprié pour le public. Avant que certains membres de la francophonie se choquent de mon affirmation, je tiens à m'expliquer. Je parle bien du bulletin régional. Au Manitoba, nous retrouvons cela au Téléjournal de 18 heures qui est rediffusé à 23 heures. Évidemment, la francophonie canadienne se choque du contenu du téléjournal dit national qui est sans aucun doute montréalocentrique et je suis complètement d'accord avec eux. Si en regardant le téléjournal national un auditeur a l'impression que des nouvelles québécoises passent pour des nouvelles nationales, en écoutant Le Téléjournal Manitoba on nous offre des nouvelles véritablement internationales et nationales. Par la suite, le reste de l'heure est passé pour des histoires du Manitoba et ce qui concerne directement la communauté franco-manitobaine. Pour la taille du marché qu'elle dessert au Manitoba et dans les autres provinces de l'Ouest, la salle de nouvelles locales de Radio-Canada fait un travail complet, voire même impressionnant pour équilibrer ses reportages et offrir au public ce qu'il veut, et je remercie ces journalistes pour l'attention qu'ils portent à notre province.
Troisièmement, j'aimerais partager avec vous un phénomène intéressant que j'ai observé lorsque j'ai travaillé sur mon long métrage dramatique Héliosols. Comme certains d'entre vous le savent sans doute, une proportion substantielle de jeunes francophones se sentent marginalisés par la communauté francophone et ont donc pris l'anglais comme langue de communication primaire. Ces jeunes sont souvent vus comme des causes perdues par certaines personnes dans notre communauté. Lorsque je faisais la promotion de mon film, ces mêmes jeunes personnes, qui ne semblaient pas s'intéresser à quoi que ce soit qui avait à faire avec la langue française et qui, pour la plupart, m'étaient complètement étrangers, m'ont fait part du fait qu'ils étaient très intéressés de visionner mon film qui se déroule entièrement en français. Plusieurs m'ont révélé qu'ils trouvaient qu'un film comme le mien était très rafraîchissant parce qu'il mettait en vedette des gens qui parlaient et pensaient comme nous et non des Québécois ou des Français avec qui on ne sentait pas le même rapport. J'étais très étonné d'apprendre que ces jeunes désiraient secrètement un film francophone qui les interpellait.
C'est pour cette raison que je vous prie donc de considérer la programmation originale et locale comme une très grande priorité pour Radio-Canada. L'émission de variété manitobaine intitulée Dureault, animé par Vincent Dureault, a connu un succès important chez tous les groupes d'âge et demeure un exemple très récent du potentiel qui existe si la Société Radio-Canada décidait d'investir davantage dans des fonds de programmation locale. Il est grand temps que les communautés minoritaires francophones aient l'occasion de produire autre chose que des nouvelles pour leur marché local.
[Traduction]
Ce concept de programmation régionale ne s'applique pas qu'à la langue française et aux communautés francophones. Rick Mercer, en entrevue avec George Stroumboulopoulos en septembre 2012, a parlé d'une de ses émissions préférées intitulée le Wonderful Grand Band, une émission de CBC produite à Terre-Neuve entre 1980 et 1983. Selon lui, du point de vue d'un jeune Terre-Neuvien, les vedettes de cette émission étaient aussi célèbres, voire plus célèbres, que les vedettes d'Hollywood de l'époque. Le fait d'avoir des idoles locales qu'il pouvait imiter l'avait grandement inspiré, et nous pouvons tous constater le genre d'incidence que M. Mercer a aujourd'hui sur le paysage médiatique canadien.
[Français]
Étant donné que c'est tout le temps dont je dispose et les points que je voulais vous apporter, je vous remercie énormément de nous avoir invités à témoigner et il me fera plaisir de répondre à vos questions.
La sénatrice Tardif : Je tiens à vous dire que vous êtes d'excellents modèles pour la jeunesse francophone qui provient de milieux où le français n'est pas la langue de la majorité. Vos présentations étaient intelligentes, articulées et très pertinentes. Alors bravo.
Je reviens à la question des intérêts des adolescents. Vous dites qu'écouter la télévision ou la radio ne fait pas partie des habitudes des adolescents, que ce soit en anglais ou en français. Même si je connais la réponse, j'aimerais l'entendre une autre fois. Qu'est-ce qui remplace la télévision et la radio comme moyen de communication préféré des jeunes?
M. Lord : La réponse, c'est Internet. C'est vraiment devenu présent un peu partout dans nos vies. Nous les jeunes, nous sommes toujours connectés, nous avons toujours un cellulaire dans nos mains ou dans nos poches. Pour nous, Facebook, Twitter et My Space sont des mécanismes qui nous permettent de rester connectés au monde.
L'importance est accordée au réseau des amis. Ensuite, elle est accordée aux réseaux du pays et du monde. Si on a accès à nos amis par le biais de notre téléphone cellulaire, on a aussi accès au reste du monde. Étant donné que nos vies sont toujours en mouvement, c'est difficile de dire qu'on va s'asseoir une heure ou deux pour écouter des nouvelles régionales à la télé. C'est beaucoup plus facile d'y accéder sur son téléphone, en format écrit et ce, peu importe où on se trouve. C'est plus accessible lorsqu'il y a un moment libre, que l'autobus est en retard ou quand on a du temps entre deux cours.
Finalement, Internet est le médium qui attire les jeunes à cause de sa flexibilité et sa disponibilité.
La présidente : Gabriel, voulais-tu ajouter quelque chose?
M. Tougas : Je vais d'abord parler de la différence entre les nouvelles et le divertissement. Je crois que l'intérêt général des jeunes à l'égard des nouvelles est relativement bas, mais il est loin d'être inexistant. Beaucoup de jeunes s'intéressent aux nouvelles et l'intérêt augmente peu à peu à mesure qu'ils atteignent l'âge universitaire.
Au départ, c'est une question de démographie et d'intérêt. Lorsqu'on en vient au domaine du divertissement, — et on retrouve beaucoup de ce contenu dans Internet — c'est encore plus crucial pour la jeunesse adolescente de voir de la programmation locale. Si je me fie à mon expérience personnelle, lorsque j'écoutais des films québécois ou français à l'âge de 13 ou 14 ans, les acteurs parlaient trop vite pour mes oreilles franco-manitobaines. Je ne comprenais pas les références culturelles et j'avais beaucoup de difficulté à me mettre à la place des personnages, ce qui est assez important dans l'appréciation du divertissement et de la fiction.
Avoir de la programmation locale ciblée vers les jeunes de cet âge, c'est encore plus important. Parce que plus tard dans la vie, on apprend à apprécier des émissions à contenu québécois à 100 p. 100, comme les émissions que j'ai mentionnées tantôt. Je crois donc qu'il faut cibler la programmation vers ces adolescents, le faire dans un français régional et la rendre disponible sur Internet.
Je sais que c'est beaucoup demander, mais en fait, à mon avis Radio-Canada dispose de ces ressources si elles sont mises aux bons endroits. De cette façon, on pourrait accéder à un tout nouveau public qui écoutera Radio-Canada dans le futur.
La sénatrice Tardif : Gabriel, je crois que tu soulèves un excellent point en parlant de l'importance de la production régionale parce que d'abord, les gens se voient reflétés dans leur milieu, ils se sentent valorisés et cela est très important, surtout pour l'adolescent qui se cherche une appartenance, une identité et une culture. Ce sont des points très valables.
Dans son plan stratégique régional, je ne sais pas si Radio-Canada a identifié un volet jeunesse. Je ne crois pas, mais la Société Radio-Canada s'est certainement engagée à avoir un plan stratégique régional. Je crois que ce serait important d'avoir ce volet jeunesse. Mais vous deux, lorsque vous parlez de l'importance de l'Internet, est-ce que vous le faites en anglais ou en français?
M. Tougas : Dans mon cas, présentement je consomme une bonne partie de mon divertissement sur TOU.TV. C'est une plateforme de Radio-Canada qui permet d'avoir accès à des émissions, non seulement à des moments plus propices, mais il est possible que je n'y aie pas accès localement, au Manitoba, à cette programmation-là
Par exemple, à part Tout le monde en parle, les séries que j'ai mentionnées se retrouvent sur TOU.TV et c'est grâce à cette plateforme que je peux consommer mon divertissement. Il s'agit pour moi d'une grande référence culturelle parce que tout mon art se fait en français. Toutes mes réalisations, mes émissions de télé, mes films sont en français. Mes modèles et mes idoles sont des films québécois et français et je peux m'inspirer de ces films. À mon avis, avoir un accès gratuit à ces choses est très important et cela encourage la consommation chez les jeunes.
La sénatrice Tardif : Avant de passer à la réponse de Sébastien, est-ce que tu dirais que ta réponse serait typique d'un jeune de ton âge?
M. Tougas : C'est typique de mon entourage.
La sénatrice Tardif : Parce que tu travailles quand même dans un milieu de production en français.
M. Tougas : Je m'excuse, je parlais plutôt de mon entourage social, dans le sens qu'effectivement je m'entoure de gens qui me ressemblent. Mais des jeunes francophones engagés, il y a une proportion substantielle de jeunes francophones à Saint-Boniface qui consomment de la télé et de la radio à partir des plateformes Web.
La sénatrice Tardif : En français?
M. Tougas : En français, tout à fait.
La sénatrice Tardif : En français plutôt qu'en anglais?
M. Tougas : Oui.
La sénatrice Tardif : Je voulais avoir la réponse de Sébastien. Ça va, Sébastien?
M. Lord : Oui. Je ne peux pas dire que je consomme beaucoup de ce genre de divertissement télévisuel. Ce n'est pas nécessairement mon domaine puis j'ai d'autres penchants, peu importe. Par contre, je peux répondre pour les jeunes que je représente.
Pour eux, le divertissement sera consommé surtout en anglais parce que c'est plus accessible, c'est publicisé et c'est quelque chose qui est plus connu. Par contre, la fédération que je représente a compris le concept du « par et pour les jeunes ». Si les jeunes participent à l'élaboration d'un projet, ils vont s'en approprier le résultat. En plus du « par et pour les jeunes », on peut aussi avoir « par et pour les gens », « par et pour les francophones ».
Si on faisait un peu comme ce que M. Tougas est en train de faire avec son film, étant donné que les jeunes sont soudainement intéressés à avoir un long-métrage en français, si on pouvait avoir des productions locales de fiction, de divertissements ou de nouvelles, peu importe ce que c'est, les gens vont se l'approprier. Cela peut être aussi simple que d'engager les gens de la localité dans les productions télévisuelles pour les amener à les consommer un peu plus tard.
Le sénateur Robichaud : Gabriel, tu disais que tu t'entourais de gens qui ont les mêmes aspirations que toi. Ton groupe représente quel pourcentage des jeunes que vous seriez susceptibles d'intéresser? Sébastien, tu peux aussi répondre à la question.
M. Tougas : Je dirais que c'est difficile de coller un chiffre sur ce pourcentage, mais si j'avais à estimer, je dirais un sur cinq à deux sur cinq jeunes consomment une forme ou une autre de divertissement en français et, à mon avis, ce serait TOU.TV qui représenterait la source de divertissement en français par excellence.
Le sénateur Robichaud : Sébastien, as-tu quelque chose à ajouter?
M. Lord : Je ne connais pas le pourcentage de jeunes qui consomment du contenu en français. Par contre, entre 90 et 100 p. 100 des jeunes qui participent à des activités jeunesses, qui entrent dans le réseau et qui réalisent l'importance culturelle de se battre pour le français voudront s'engager, plus tard, à en consommer. Je pourrais vous dire, dans la population globale, le pourcentage des jeunes qui pensent ainsi. Les jeunes qui commencent à s'impliquer et qui sont exposés à tous ces débats chercheront une consommation culturelle en français.
La sénatrice Poirier : Merci d'avoir accepté de venir témoigner devant nous. Vos présentations sont très impressionnantes. Votre présence est importante car ce sont vous, les jeunes, qui êtes le futur. Pour savoir où on s'en va, il faut écouter ce que vous avez à dire.
Vous avez parlé du fait que, dans votre entourage, étant donné que plus de choses sont disponibles en anglais, les jeunes ont tendance à se tourner vers les médias sociaux avec des programmes anglophones plutôt que francophones. À votre avis, où sont les lacunes? Est-ce du côté des nouvelles, des programmes culturels, des émissions? De quel côté Radio-Canada devrait-il se pencher davantage pour améliorer la situation?
M. Lord : Cette question est très large. Ce qui pousse les jeunes à consommer davantage en anglais est relié à plus d'une cause et à des facteurs très variés. Il y a, par exemple, le contexte social. Le fait que nous vivions dans des minorités et que nos amis soient surtout anglophones nous pousse à consommer les mêmes choses pour une plus grande appartenance.
Ce que Radio-Canada pourrait faire pour encourager les jeunes à mieux consommer en français serait de les impliquer dans le processus. Il ne suffit pas d'aller les voir par le biais de sondages passifs, mais de les impliquer dans la production et les tournages des émissions. Il peut sembler ambitieux ou impossible d'impliquer les jeunes dans de tels processus. Toutefois, c'est un peu ce que nous faisons dans notre fédération. Nous suivons l'exemple de M. Tougas, en tentant de réaliser nous-mêmes une production cinématographique. On voit que les jeunes veulent participer, s'engager et créer la culture. Dès que les jeunes s'engagent dans un processus, ils voudront s'en approprier les résultats.
Si Radio-Canada désire mettre en place un volet jeunesse, ce sera une excellente façon de s'assurer que ces jeunes grandiront avec un intérêt pour ce qu'ils ont produit et continueront à consommer en français une fois qu'ils atteindront l'âge adulte.
La sénatrice Poirier : Vous avez commencé, il y a plusieurs années, dans votre province. Le Nouveau-Brunswick est une province officiellement bilingue. On a donc peut-être mieux saisi, en tant qu'Acadiens, l'importance du français.
Bien que ce ne soit pas de l'époque de nos grands-parents ni de nos parents, en grandissant, l'accès aux médias sociaux, mais aussi aux films, aux programmes culturels, sauf les bulletins de nouvelles peut-être, a-t-il constitué pour vous un défi?
M. Tougas : Cette pratique ne se faisait certainement pas autant à Radio-Canada, je puis vous l'affirmer. Les occasions que j'ai eues, dans ma jeunesse, c'étaient, par exemple, des vidéos que l'on louait à la bibliothèque locale où tout se passait en français. Ces cassettes vidéo et films étaient relativement accessibles. Au Manitoba, nous avons certains avantages, par rapport à d'autres provinces de l'Ouest, car nous avons à notre disposition beaucoup de ressources. Toutefois, ce ne sont pas tous les petits villages ou toutes les villes qui ont des bibliothèques complètes de matériel francophone s'adressant aux jeunes et aux adolescents.
D'autre part, l'école et la division scolaire franco-manitobaine nous ont beaucoup encouragés à consommer en français. Ils nous amenaient voir des projections qu'ils organisaient eux-mêmes dans de vrais cinémas et faisaient venir des films québécois ou français. C'était ma première exposition à ces films et je ne comprenais que quelques mots. Je comprenais plus ou moins l'histoire, mais je m'amusais et je trouvais bien qu'il y ait des films en français, comme les films anglais qu'on voyait ailleurs. Toutefois, je ne sentais pas la même connexion aux personnages parce que je ne pouvais pas comprendre.
Ce qui se passait à Radio-Canada en termes de programmation locale visait surtout les événements spéciaux comme le Festival du voyageur à Saint-Boniface, dont des extraits étaient diffusés en direct. En soi, c'était une belle façon de renforcer l'identité. Cependant, cette couverture ne se déroulait pas à longueur d'année.
La sénatrice Poirier : À la lumière de vos présentations, on voit que la situation s'est améliorée quelque peu, en pensant à ce qui est disponible. Lors des dernières audiences du CRTC, Radio-Canada avait indiqué vouloir concentrer son contenu jeunesse sur Internet plutôt qu'à la télévision. Cependant, Radio-Canada a changé d'avis, suite à la pression d'intervenants.
À votre avis, quelle serait la meilleure façon d'attirer les jeunes à Radio-Canada?
M. Tougas : Il existe souvent une confusion entre le contenu Internet et le contenu audiovisuel disponible sur Internet. Lorsque j'étais adolescent, je consultais parfois la rubrique jeunesse de Radio-Canada. On y retrouvait certaines émissions et aussi plusieurs jeux très amusants. C'était du contenu plus ou moins engageant, et je ne l'associais pas vraiment à Radio-Canada.
J'aimerais souligner qu'il est très important que ce soit quand même du contenu audiovisuel, du genre émissions de télé, mais il faudrait que ces émissions soient disponibles comme média de diffusion sur Internet, car c'est vraiment ce type de contenu qui est engageant. Lorsqu'on voit de l'art qui nous ressemble, on sent un lien d'identité plus fort qu'en jouant à un jeu, par exemple.
En parlant de la rubrique jeunesse de Radio-Canada, c'est ce sur quoi je concentrerais ma réponse pour ce qui est d'attirer les jeunes vers Radio-Canada. Il existe sans doute plusieurs tactiques, mais pour moi, la programmation locale est ce qui me vient le plus vite à l'esprit.
M. Lord : M. Tougas l'a très bien dit, la programmation locale reste clef si on veut attirer non seulement les jeunes, mais la francophonie en général, peu importe où elle se trouve au Canada. La programmation locale a toujours l'avantage de nous montrer les étoiles du village à la télé. Une fois qu'elles apparaissent au petit écran, on veut aller sur Internet pour en savoir un peu plus sur ce qu'elles ont réalisé et l'histoire de leur succès.
C'est donc un genre d'hybride des deux médias dont il s'agit. D'une part, on aurait un contenu télévisuel local axé, par exemple, sur la jeunesse et la francophonie. Puis, on fait la transition vers un contenu sur Internet pour ceux qui veulent en savoir plus, après une première rencontre à la télévision. Ce serait une bonne façon de capter l'intérêt et de le maintenir avec le temps.
La sénatrice Poirier : À titre d'organisation francophone impliquée, comme vous l'êtes, est-ce que Radio-Canada vous a déjà approchée pour connaître vos opinions et voir comment on pourrait améliorer les choses dans le but de s'assurer que la génération future soit branchée à Radio-Canada? Vous a-t-on déjà consultés de quelque façon?
M. Lord : De vive mémoire, je ne crois pas. Par contre, d'autres compagnies ou entreprises qui cherchent à se lancer dans ce marché nous ont approchés. Dans ma présentation, j'ai mentionné Accent. TV5 a également approché la Fédération des jeunes francophones du Nouveau-Brunswick pour savoir si on serait prêt à les appuyer dans le but de diffuser davantage de contenu francophone.
La sénatrice Poirier : Intéressant!
M. Lord : Le besoin est là et il est ressenti par d'autres joueurs dans le marché. Il me ferait plaisir de voir Radio- Canada remplir un rôle similaire, car Radio-Canada a un très bon passé et une très bonne réputation en général. Il suffirait pour eux d'élargir leur contenu pour mieux rencontrer les besoins des communautés francophones un peu partout au pays.
M. Tougas : Du point de vue, encore une fois, des nouvelles, Radio-Canada recherche souvent le point de vue des jeunes et parle constamment des initiatives jeunesses. Je crois que M. Lord sera d'accord avec moi pour dire qu'on parle souvent, dans les bulletins de nouvelles locales, des initiatives jeunesses, des conseils jeunesses, des associations et fédérations jeunesses, et je trouve cela tout à fait louable.
C'est intéressant que vous parliez de cela et c'est aussi une belle coïncidence parce que Radio-Canada organise présentement un forum jeunesse diffusé sur le Web et en partie à la télé. Il y a 10 ans, il y a eu un débat d'organisé avec des étudiants du secondaire sur leurs préoccupations à l'égard du fait français. Radio-Canada réunit aujourd'hui ces mêmes étudiants, qui sont maintenant à l'université ou sur le marché du travail, et ils font une réflexion sur la situation de la francophonie aujourd'hui.
Par contre, d'un point de vue de consultation de programmation, je n'ai rien vu sur ce point. Je suis tout à fait d'accord, ce sont les autres joueurs dans le marché qui ont vraiment sauté sur cette idée. Je souhaiterais donc que Radio-Canada, en tant que diffuseur national, ait ces mêmes instincts dans le futur.
La sénatrice Poirier : À la fin de cet exercice, le comité va faire un rapport. Si vous aviez une recommandation à nous faire qui pourrait être incluse dans le rapport, quelle serait-elle?
M. Tougas : Comme je l'ai dit plus tôt, ce serait d'avoir plus de programmation locale. Et ce qui est très important c'est que souvent, quand on parle de « programmation locale », il est plus facile pour les diffuseurs de créer des émissions de variété et de non-fiction, des documentaires, qui n'attirent pas nécessairement la clientèle jeunesse. C'est beaucoup plus attrayant pour Radio-Canada de pondre des concepts d'émissions de fiction qui pourraient vraiment attirer un auditoire jeunesse, et par la suite, cela créerait une clientèle qui écouterait Radio-Canada et qui pourrait ensuite utiliser leurs autres produits.
Jusqu'à l'an passé, le Fonds pour l'amélioration de la programmation locale permettait la création de certaines émissions qui ont malheureusement été coupées à la suite de l'abolition de ce fonds. Et nous ne voyons pas du tout le même genre de programmation cette année. On se demande si cela reviendra. Ce serait vraiment bien que cela revienne, justement.
M. Lord : Si je peux enchaîner sur le principe de la programmation locale, en tant que président d'un organisme jeunesse, cela ne veut pas simplement dire rapporter passivement sur ce que les jeunes font, mais c'est vraiment inclure ces derniers dans la production.
J'ai eu la chance, il y a deux ans, de vivre l'expérience de tourner une émission de télévision avec Radio-Canada, Génies en herbe : l'aventure. Un des participants de mon équipe, Guillaume Deschênes-Thériault, venait de Kedgwick, un petit village du Nouveau-Brunswick. Et ce qui était vraiment incroyable, c'est qu'on a pu voir la communauté de Kedgwick se rassembler autour de Guillaume et de s'approprier non seulement l'émission, l'équipe mais aussi tout le principe autour de Génies en herbe. Donc dès qu'on inclut les joueurs locaux, des personnes que l'on connaît, cela rassemble les gens. Dans l'exemple de Génies en herbe, on a vu non seulement un rassemblement local, mais aussi un rassemblement jeunesse. Les jeunes connaissaient les différents participants puis ils s'appropriaient l'émission; ils l'écoutaient parce qu'ils étaient intéressés de voir des jeunes avec lesquels ils pouvaient partager des opinions, auxquels ils pouvaient s'identifier.
Le sénateur Robichaud : Madame la présidente, on a répondu à presque toutes mes questions. Vous parlez beaucoup de programmation locale. Monsieur Lord, vous avez donné l'exemple de l'émission Génies en herbe. Est-ce qu'il existe vraiment au niveau local des ressources en personnel et en équipement pour pouvoir en faire plus et aussi pour rendre disponibles ces productions sur le Web?
M. Lord : Je ne voudrais pas avancer une opinion en ce qui concerne les ressources, que ce soit humaines, financières ou matérielles, mais par contre, je pourrais parler en termes de volonté.
Parce que si on revient sur le principe de l'empathie politique, de l'empathie culturelle, c'est un mythe, non seulement au niveau de la jeunesse, mais au niveau de la population en général. Il faut donner la chance, l'opportunité.
Donc lorsqu'on parle de ressources humaines, je suis certain qu'on peut retrouver l'expertise, la volonté de faire avancer les choses, d'avoir de la programmation locale. Puis si on donne la possibilité aux gens qui peuvent le faire, ils devraient saisir l'opportunité. Je crois sincèrement qu'ils vont saisir cette opportunité.
M. Tougas : Si vous vous demandez si l'expertise existe, je répondrais que oui. Il existe plusieurs boîtes de production indépendantes et il y a beaucoup de personnel. Je vous donne l'exemple de l'Ouest canadien, mais en Ontario francophone tout comme en Acadie, il existe plusieurs boîtes de production indépendantes, des producteurs, des techniciens, des acteurs. J'ai pu travailler avec ces gens à travers les documentaires que j'ai eu l'occasion incroyable de réaliser, partout au Canada. J'ai visité chaque province du Canada et deux des territoires, et je trouvais partout des gens qualifiés, qui avaient la volonté de faire ce métier. Et ces experts sont souvent les gens qui sont le plus en demande lorsque des productions anglophones ou américaines viennent tourner chez nous.
L'industrie du film est énorme à Vancouver; l'industrie du film et de la télé connaît des progrès en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba. J'ai nommé les Productions Rivard au Manitoba, qui ont plus de 18 ans d'expertise dans le domaine, qui ont fait du documentaire jusqu'à la fiction, dans toutes les tranches d'âge. Il y a également les Productions Slalom, à Ottawa, qui a fait de grosses productions pour TVA, TV5, Radio-Canada. Donc, l'expertise et la volonté de créer cette programmation existent. Mais on doit se poser l'éternelle question : où trouvera-t-on les fonds? Je suis certain qu'on pourra les trouver, et une fois qu'ils seront trouvés, l'expertise et la volonté seront là.
Le sénateur Robichaud : Si on m'avait demandé pourquoi on ne retrouve pas toutes ces productions locales, j'aurais probablement répondu que c'est peut-être parce qu'on n'a pas l'expertise ou les ressources. Mais d'après ce que vous nous avez dit, les ressources humaines sont là, il y a un certain intérêt. Mais comment se fait-il qu'on n'ait pas pu inciter Radio-Canada à vous inclure?
Vous dites que les jeunes, les adolescents ne consomment pas Radio-Canada. Il faut commencer à les intéresser quelque part ces jeunes et on ne semble pas pouvoir amener les personnes en cause à se consulter et vouloir aller dans cette direction.
M. Tougas : J'entends deux parties dans votre commentaire. En ce qui concerne la première partie, je vais vous donner un exemple. Radio-Canada présente, depuis cinq ou six ans, la série Pour un soir seulement, où deux artistes sont jumelés pour un soir seulement et qui font une performance musicale. C'est une série nationale de Radio-Canada; elle est très bien reçue nationalement mais elle est encore mieux reçue au Manitoba, là où elle est tournée. C'est une émission à caractère québécois, où on voit plusieurs artistes québécois montants, mais on invite tout de même plusieurs artistes de la francophonie minoritaire pour y assister qui sont souvent jumelés avec des artistes québécois de grande renommée, ce qui nous offre des partages intéressants. Et tout cela est tourné à Saint-Boniface, au Centre culturel franco-manitobain. Et l'expertise et la capacité technique sont présentes. Et c'est une émission de Radio-Canada.
De l'autre côté, on parlait des autres joueurs. Je vois plus de programmation qui parle de la francophonie minoritaire au niveau national sur TVA et TFO que j'en vois à Radio-Canada. Je me demande pourquoi Radio- Canada, qui est notre diffuseur national, n'a pas répondu au même appel. TVA a une série qui est entièrement dédiée aux communautés de la francophonie minoritaire intitulée Viens voir ici, les samedis matin. J'ai moi-même réalisé des documentaires pour cette série. Il y a de 250 000 à 300 000 personnes qui regardent cette série chaque semaine. Et on parle uniquement des communautés francophones minoritaires. Mais ce sont des populations québécoises qui regardent ces séries. Il y a quelque part chez les autres joueurs une compréhension du fait que ces émissions sont intéressantes, sont importantes; ils veulent les diffuser. Radio-Canada a été beaucoup plus lente à réagir de ce côté. Je ne pourrais pas dire pourquoi.
Pour ce qui est de la deuxième partie de votre question, je crois que les jeunes répondent immédiatement lorsqu'ils voient quelque chose à leur image. Je le vois dans ma propre production. Lorsque j'en fais la promotion, les jeunes répondent immédiatement à l'appel. C'est à quelqu'un quelque part de juste donner une petite poussée et les jeunes vont embarquer tout de suite. Soudainement, la boule roule et l'initiative continue sans fin.
M. Lord : En ce qui concerne la petite poussée à donner, il est possible qu'on ait besoin de forcer un peu au début, mais dès que les jeunes vont voir que cela se fait, que c'est non seulement à leur image, mais que c'est leur ami avec qui ils ont une classe de mathématique le matin suivant qui apparaît à la télévision, ils vont vouloir s'engager. C'est peut- être ce qui manque si on veut voir un plus grand engagement de la part de la communauté par rapport à Radio-Canda et ses produits.
La présidente : J'ai une question complémentaire aux questions du sénateur Robichaud qui s'adresse à vous deux.
Avez-vous déjà eu l'occasion de discuter de ces points avec Radio-Canada comme vous le faites aujourd'hui avec nous? Est-ce qu'on vous a déjà demandé votre point de vue?
M. Lord : À moins que ma mémoire me fasse défaut, je ne crois pas. Par contre, je ne laisserais pas cette occasion me filer entre les doigts. Il s'agit d'en enjeu important non seulement pour les francophones, mais surtout pour les jeunes francophones. Si l'invitation m'était offerte, je l'accepterais avec joie.
M. Tougas : Je suis tout à fait d'accord avec Sébastien. Je sauterais sur l'occasion tout de suite. Cependant, cela ne s'est pas encore présenté. La structure administrative de Radio-Canada m'échappe un peu. Je ne sais pas à qui on devrait parler nécessairement pour ces décisions. Beaucoup d'administrateurs au niveau local peuvent prendre soin de ces programmations, mais l'argent doit venir de quelque part. En tout cas, pour moi, c'est un mystère. J'avoue ne pas avoir fait ces recherches. J'ai eu cette réflexion il y a longtemps, mais je n'ai jamais vraiment réfléchi au fait que nous devrions peut-être communiquer avec Radio-Canada à cet effet même si je sais que beaucoup de membres de ma communauté l'ont déjà fait, mais peut-être que la jeunesse ne l'a pas encore fait. C'est donc à voir.
La sénatrice Champagne : Je veux d'abord m'excuser de mon retard. Je rencontrais des jeunes. Monsieur Tougas, vous allez certainement comprendre puisque vous avez été président du Parlement pancanadien. Nous rencontrons des jeunes qui représenteront le Canada au Parlement de la jeunesse francophone qui aura lieu à Abidjan au mois de juillet pendant l'assemblée générale de l'Assemblée des parlementaires de la Francophonie. Je m'occupais encore de francophonie, comme vous voyez.
Monsieur Tougas, je m'adresse à vous en tant que réalisateur. Êtes-vous au courant d'un dossier dont le CRTC est saisi en ce moment qui ferait en sorte que TV5 aurait deux réseaux : TV5 Québec Canada relié à TV5 Monde? Il y a 15 ou 20 p. 100 de production canadienne, mais si UNIS prenait vie, ce sera 75 p. cent de production canadienne avec des bureaux dans les Prairies, en Colombie-Britannique et en Atlantique. Voilà des endroits où vous pourriez présenter des projets.
Avez-vous posé un geste de ce côté? Un appui à UNIS pendant que vous y étiez?
Monsieur Lord, une des personnes les plus impliquées dans ce projet est votre homonyme, Marie-Josée Lord. Je ne sais pas s'il y a un lien de parenté. Lord est un nom quand même assez bien connu au Nouveau-Brunswick. Je veux m'assurer que cette étude porte sur les obligations de Radio-Canada.
Lors d'une de nos dernières rencontres, nous avons entendu des gens de la Saskatchewan qui étaient plutôt dans le monde artistique. On a de jeunes artistes, mais on n'a nulle part pour les faire connaître. Je ne peux m'empêcher de penser au bien-être que pourrait apporter TV5 UNIS en offrant des possibilités autant aux jeunes réalisateurs qu'aux jeunes artistes. Je me demandais si vous aviez collaboré ne serait-ce que par une lettre, ce que j'ai fait, je vous l'avoue bien humblement. Cela donnerait une autre ouverture francophone partout au pays. Que savez-vous de ce projet?
M. Tougas : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Ce réseau pourrait certainement ouvrir de très grandes portes précieuses pour la communauté artistique non seulement pour la production audiovisuelle film et télé, mais également pour d'autres formes artistiques qui pourraient être captées par ces médias. En ce moment, nous sommes en période formatrice de cette industrie et je crois que cela arrive à un très bon moment.
Le commentaire que j'aurais envie de vous faire est je dois faire très attention parce que présentement, deux projets sont présentés simultanément.
La sénatrice Champagne : Accent et TV5 UNIS.
M. Tougas : J'ai entendu parler d'Accent il y a de cela plusieurs mois et j'ai immédiatement accordé mon appui. Et je viens d'entendre parler de TV5 UNIS récemment et je comptais certainement leur accorder mon appui également.
Ce qui me préoccupe présentement, c'est que les gens qui voudraient mener ces projets à terme se font une compétition assez féroce pour mener à bien leur projet, presque au détriment de l'autre. Je n'ai pas l'expertise pour vous affirmer que ces deux projets pourraient coexister et je ne vais pas le faire, mais j'ai en ce moment de la difficulté à choisir, quel projet serait le meilleur. J'appuie certainement une initiative de ce genre parce qu'il y a une composante du marché qui est vraiment mal desservie et c'est la francophonie minoritaire. J'aimerais voir un réseau qui nous ressemble plus.
La sénatrice Champagne : Lorsqu'on parle de trois bureaux qui sortent de Montréal ou de l'Ontario, cela donne vraiment des portes ouvertes. Il y a une compagnie à but lucratif alors que TV5 est à but non lucratif, ce qui fait que les profits vont s'en aller dans de la production locale. C'est ce qui m'a amenée à offrir mon appui et je me ferai un plaisir, si vous me laissez une adresse, de vous envoyer un comparatif. Cela pourrait vous aider autant en tant que réalisateur que francophone.
Cela n'enlèvera pas le lien avec TV5 Monde. Mais qu'il y ait autre chose, qu'il y ait plus que Québec Canada Monde, qu'il y ait le TV5 de tout le Canada avec des sommes données par le gouvernement du Canada, par le gouvernement du Québec, ou si tous les profits vont à des productions en région, vous fera connaître, fera connaître votre monde, vos œuvres, cela pourrait vraiment aider.
Quand on s'appelle Sébastien Lord il doit être relativement facile de parler à Mme Marie-Josée Lord à l'Université de Moncton.
M. Lord : Marie-Linda Lord. Oui, elle travaille sur le même campus universitaire que moi.
La sénatrice Champagne : Je m'excuse de mon lapsus. Vous devez la connaître bien sûr?
M. Lord : Oui. mais ce n'est pas nécessairement quelque chose qui influence ou qui dirige les discussions.
Par contre, c'est une source d'information intéressante. Cela dit, l'important ici, ce n'est pas la rivalité avec Radio- Canada, peu importe la politique qui pourrait se jouer à l'arrière-plan.
La sénatrice Champagne : L'important, c'est de vous ouvrir des portes.
M. Lord : Justement. Pour nous, à la Fédération des jeunes francophones du Nouveau-Brunswick, l'important, c'est de voir des artistes locaux sur les ondes, peu importe qui leur offre cette possibilité. Encore une fois, bien sûr il y a différents organismes. Il peut y avoir des avantages et des inconvénients, cela varie en fonction de l'organisation. Mais encore une fois, l'important c'est de voir nos jeunes, nos francophones, nos artistes sur les ondes, à la télévision et à la radio.
Comme M. Tougas l'a mentionné, il y a cette rivalité entre Accent et TV5. Je trouve que c'est un peu triste parce cela crée une division entre des gens qui ont le but commun de voir de la production locale.
Le sénateur McIntyre : Je vous ai écoutés attentivement et je dois avouer que ce que vous avez à dire est très intéressant. Je voudrais revenir sur les audiences du CRTC qui ont eu lieu en novembre dernier, à Gatineau.
Comme vous le savez, le CRTC est une espèce de tour d'ivoire. C'est le CRTC qui donne des directives aux télédiffuseurs et à CBC/Radio-Canada. Et tous les gens qui se sont présentés devant le comité ont dit qu'ils avaient présenté un mémoire au CRTC. Savez-vous si des représentants de la jeunesse ont présenté un mémoire au CRTC ou, du moins, s'il y a eu une présentation orale?
M. Lord : Je peux parler au nom de mon organisme et dire que non. Par contre, TV5 nous avait approchés pour une lettre d'appui, justement en préparation pour ces audiences au CRTC.
M. Tougas : Pour ma part, il faudrait que je vérifie mais de mémoire, je ne crois pas que nous ayons participé aux audiences du CRTC.
Le sénateur McIntyre : Avez-vous eu connaissance d'une certaine mobilisation de la part des représentants de la jeunesse auprès du CRTC afin de faire bouger les choses un peu plus?
M. Lord : J'ai eu la chance d'interagir avec des jeunes à plusieurs reprises lors de colloques et de rencontres. Ce qui est vraiment intéressant, c'est que les jeunes ont la volonté. Par contre, ils n'ont pas nécessairement la connaissance de la bureaucratie et des instances gouvernementales. Je n'ai pas vu de mobilisation auprès du CRTC de la part des jeunes, peut-être parce qu'ils ne connaissent pas nécessairement le principe du CRTC et son rôle.
Par contre, ce ne sont pas les idées qui manquent. Et si on leur disait que cela existe et qu'il incombe aux organismes jeunesse de le faire, les jeunes seraient intéressés à se positionner par rapport à cela.
Le sénateur Mockler : Premièrement, je veux vous féliciter pour le leadership que vous déployez. J'ai été intrigué par votre réponse à une des questions de la présidente, la sénatrice Chaput. Avez-vous été consultés? Allez-vous être consultés ou allez-vous faire des démarches pour être consultés sur le renouvellement de la feuille de route?
M. Tougas : Je dirais que depuis quelque temps je suis la situation d'assez près. Le fait que nous nous présentons devant vous aujourd'hui nous encourage à avancer et à discuter de ces questions. Personnellement et professionnellement, j'avais beaucoup de réflexion par rapport à cela. Je n'avais pas pris ces démarches-là encore, mais du côté de la jeunesse en général et des organismes qui la représentent, je peux affirmer qu'effectivement la réflexion a portée sur le sujet et qu'elle va se poursuivre.
Lorsque je retournerai au Manitoba, je consulterai le Conseil jeunesse provincial et je vais certainement l'encourager à participer davantage au processus. On voit qu'il y a une volonté politique et on a aussi cette volonté politique. Cela fait donc un bon mariage au départ. C'est pourquoi je suis motivé par ces discussions et par l'attention portée à ce sujet.
M. Lord : Encore une fois, la consultation à ce niveau n'est pas quelque chose qui se fait couramment par la jeunesse. Par contre, il est important que nous entamions des démarches pour initier ces contacts et travailler sur quelque chose qui va devenir important pour la Fédération des jeunes francophones du Nouveau-Brunswick.
Toutes nos actions, tous nos principes et toutes nos politiques viennent des jeunes et suivent leurs intérêts. On remarque que l'intérêt pour la production télévisuelle est en train de se développer. Cela ne m'étonnerait pas de voir un mouvement jeunesse d'ici quelques années qui commence vraiment à se mobiliser davantage autour de ces enjeux.
Le sénateur Mockler : Par l'intermédiaire de la présidente, j'aimerais vous dire que la Feuille de route sur la dualité linguistique canadienne touche à ce que sera la dualité linguistique de demain. Je crois que vous aurez un rôle à jouer et vous l'avez démontré cet après-midi. Je vous encourage définitivement à vous impliquer et à vous faire connaître si vous voulez avoir une présence dans ce que sera le renouvellement par le gouvernement canadien.
J'aimerais revenir sur un commentaire qu'a fait un de nos témoins précédents de la Colombie-Britannique, et je cite :
L'avenir étant dans les nouveaux médias sociaux, Radio-Canada pourrait et devrait y consacrer plus d'espace pour les communautés francophones hors-Québec. Cela aurait aussi le mérite de mettre notre jeunesse francophone et francophile en contact avec la SRC afin de maintenir son identité, surtout dans nos provinces éloignées.
J'aimerais entendre vos commentaires. Est-ce que les médias sociaux sont un instrument qui devrait créer davantage de liens pour les francophones au sein des communautés linguistiques et/ou qui pourrait devenir un instrument — étant du Nouveau-Brunswick, je n'aime pas prononcer ce mot — d'assimilation?
M. Lord : Absolument. Les médias sociaux devront jouer un rôle de plus en plus important dans la diffusion et deviendront finalement le médium de choix. Comme je l'ai mentionné dans ma présentation, nous avons des campagnes de sensibilisation à la FJFNB telles Libérons les couleurs qui ont fait fureur sur les médias sociaux.
C'était presque la seule façon pour nous de diffuser notre message. Il y a eu un peu d'intérêt de la part des chaînes de télévision locales, mais c'était par ce médium qu'on l'a fait au début. Si on pouvait encourager CBC/Radio-Canada ou n'importe quelle autre grande compagnie à utiliser les médias sociaux pour diffuser ce message au sujet des productions des jeunes, les retombées positives pourraient être incroyables. De ce côté, oui, les médias sociaux doivent et peuvent être utilisés pour le bien de nos communautés francophones.
Par rapport à la sous-question au sujet de l'assimilation, comme toute chose il peut y avoir une bonne et une mauvaise façon de faire. Et je crois que si on utilise les médias sociaux de façon appropriée, l'assimilation ne devrait pas constituer un risque. Du moins, cela reste un médium comme n'importe quel autre médium.
M. Tougas : Les médias sociaux ont contribué énormément à l'épanouissement d'initiatives jeunesse. Cet épanouissement s'est même concrétisé à l'extérieur du contexte institutionnel.
Un des réflexes intéressants de notre génération, c'est qu'au lieu de consulter ou d'écrire à Radio-Canada pour leur faire part de ce qui nous fâche ou nous frustre, on va tout simplement créer nos propres moyens de distribution. Par exemple, mon long-métrage Héliosols a été entièrement financé par la communauté et on n'a reçu aucune subvention. On n'a même pas encore essayé de jauger l'intérêt des diffuseurs. On a démarré une campagne de financement qui a ensuite été diffusée à travers les médias sociaux principalement, et de bouche à oreille dans les communautés et on a reçu des contributions de gens afin de pouvoir financer la production.
Au départ, les médias sociaux ont énormément favorisé la création de ce produit artistique et, par la suite, ils vont favoriser la distribution de ce même produit artistique. C'était évident avec l'exemple de la campagne Libérons les couleurs; la campagne s'est rendue jusque chez nous à travers les médias sociaux. De la même façon, une des productions d'il y a quelques années du Conseil jeunesse provincial (Manitoba), Ceci est le message, que j'ai réalisé et coécrit avec mon partenaire d'écriture Mathieu Labossière était essentiellement un essai en format de court-métrage sur l'identité culturelle des jeunes francophones du Manitoba. Cela a explosé dans les médias sociaux au sein de la communauté francophone. Cela s'est rendu jusqu'en France et jusqu'en Louisiane.
Ce court-métrage a créé de nouveaux partenariats entre le Conseil jeunesse provincial (Manitoba) et le mouvement jeunesse de la jeunesse francophone en Louisiane, et cela n'avait jamais été fait auparavant. Ce n'était pas notre but du tout au départ, mais cela démontre un peu la tendance spontanée des médias sociaux. Si un groupe de personnes aime quelque chose, soudainement cela va éclater et les médias sociaux nous permettent ainsi de contourner la structure actuelle existante.
Si on revient à la question de Radio-Canada, qui est la question à l'étude de ce comité aujourd'hui, Radio-Canada peut exploiter davantage, mais exploite déjà très bien, à mon avis, les médias sociaux pour rejoindre des gens qui ne consomment pas nécessairement leurs produits tous les jours. Par exemple, l'émission du matin au Manitoba, Le 6 à 9 de Radio-Canada, a sa propre page Facebook, diffuse toutes les grandes nouvelles sur sa page Facebook et elles apparaissent immédiatement sur le fil des nouvelles de tous ceux qui y sont abonnés. Au départ, il faut quand même être abonné à la page Facebook et il faut donc quand même susciter un intérêt envers Radio-Canada. Mais aussitôt l'intérêt suscité, les jeunes n'ont plus besoin de sentir le besoin de visiter le site de Radio-Canada, puisque c'est là devant eux. Oui, il faut que Radio-Canada crée cet intérêt au départ, mais les médias sociaux sont peut-être un des principaux moyens pour communiquer ce qu'ils ont à communiquer.
Le sénateur Mockler : J'aimerais avoir votre opinion, à savoir si cela peut devenir un facteur d'assimilation?
M. Tougas : En fait, je dirais que comparativement à la société normale, les médias sociaux sont plus bénéfiques pour l'identité de la minorité que l'assimilation; l'assimilation est moins prépondérante dans les médias sociaux qu'elle l'est dans la vraie vie, dans les interactions sociales de tous les jours.
Parce que dans les médias sociaux, un groupe de gens peut être en mesure de se rencontrer, peu importe la géographie, en fonction de leurs intérêts ou de leur identité commune. Moi, je peux communiquer avec Sébastien, comme je peux communiquer avec mes amis francophones de partout au pays à l'aide des médias sociaux. Cela me permet de réseauter et de renforcer l'identité que j'ai en moi : au départ une identité de Canadien-Français, ensuite de francophone de l'Ouest canadien et, enfin, de Franco-Manitobain. Souvent, on va retrouver dans les médias sociaux des façons de communiquer entre nous et de renforcer notre identité d'une façon qu'on ne retrouve pas dans nos interactions sociales de tous les jours qui sont plus limitées par nos bornes géographiques. Cela se peut très bien que les médias sociaux véhiculent un peu d'assimilation, mais ce n'est certainement pas un reflet de la même quantité d'assimilation, si on est capable de la quantifier, que celle qu'on pourrait retrouver dans les interactions sociales et dans notre situation de communauté minoritaire de tous les jours.
La présidente : Intéressant. J'ai une question complémentaire à celle du sénateur Mockler. Quand vous parlez des médias sociaux, concernant ce que vous y retrouvez présentement tous les deux, quel serait le pourcentage de ce que vous y retrouvez en français, comparativement à ce qui est en anglais?
M. Lord : Les médias sociaux représentent très bien le cercle de gens dont on s'entoure. Le pourcentage de français, d'anglais ou peu importe quelle autre langue, va souvent refléter les gens que tu connais naturellement autour de toi, mais parfois dans notre cas avec une tendance un petit peu plus vers le français. Parce que justement, on peut maintenir des contacts avec des gens situés à de grandes distances. Comme M. Tougas l'a dit, je peux discuter avec lui sur les médias sociaux même s'il n'est pas dans mon entourage régulier. Cela augmente donc la quantité de gens de la francophonie avec lesquels je peux interagir. De ce côté, même si on peut voir un peu d'assimilation au sein des médias sociaux, on ne va pas en voir plus que ce qu'on pourrait naturellement voir chez les gens s'ils n'étaient pas là. Ce qu'on voit le plus dans les médias sociaux, c'est justement, encore une fois comme M. Tougas l'a dit, qu'on renforce l'identité que l'individu a, et, dans notre cas, c'est l'identité francophone.
La présidente : Parce qu'on veut les rejoindre pour qu'ils puissent continuer à communiquer en français durant cette période qui est si difficile; dans le cas des adolescents, est-ce la même chose? Vont-ils communiquer autant en français qu'en anglais?
M. Lord : Je ne suis pas la meilleure personne pour répondre à cette question. Je ne suis pas expert en médias sociaux. Tout ce que j'en dis finalement, c'est ce que les gens m'en disent.
M. Tougas : Je n'ai pas vraiment très bien connu les médias sociaux lorsque moi-même j'étais adolescent. Je ne peux pas vous parler de mon expérience concernant ma génération. Mais il y a deux tendances très distinctes concernant les médias sociaux qui sont essentiellement des répliques de la vraie vie, ou plutôt de la société dans le giron géographique. D'une part, des gens qui sont bilingues vont parfois sentir que s'ils veulent partager quelque chose avec le plus grand nombre de personnes, ils vont le faire en anglais parce qu'ils savent que leurs amis francophones parlent anglais et ils ont des amis unilingues anglophones qui ne parlent qu'en anglais.
Cependant, il y a un effet inverse que j'aime appeler l'assimilation à l'envers, dans le cas d'anglophones. Par exemple, moi, j'ai des amis unilingues anglophones, comme beaucoup de gens évidemment parce qu'on vit en situation minoritaire, et ces gens sont exposés à mes publications de langue française. Ils ne seraient pas exposés à cela de la même façon si on interagissait socialement dans notre cercle d'amis parce que, souvent, lorsque j'interagis avec eux, je le fais en anglais parce qu'il s'agit d'un cercle d'amis unilingue anglophone. Eux n'auraient pas nécessairement accès ou n'auraient pas la même la vision des interactions que j'ai avec mes amis francophones; ils sont en mesure d'assister à ces interactions et, à la base, ils trouvent cela vraiment très intéressant de voir des gens interagir dans la langue française. Il y a donc non seulement un renforcement de l'identité, mais il y a un aspect d'intérêt et d'intrigue créé auprès de la population anglophone qui souhaiterait apprendre la langue française, afin d'interagir en français et de se pratiquer en français avec l'un et l'autre. Et comme beaucoup de ces médias sociaux offrent de la traduction instantanée, ils peuvent voir la publication en français, mais comprendre ce que cela veut dire. Il y a aussi un facteur d'apprentissage de la langue française, donc c'est vraiment inspirant.
Au niveau des adolescents, vous me demandez de quantifier une proportion, mais cela dépend de quel groupe vous parlez. On peut facilement dire que parmi les gens qui sont fiers d'être francophones, il s'agit de presque 100 p. 100; parmi la population née de parents francophones, je ne sais pas quel est le pourcentage; à partir de la population née de familles exogames, et cetera. Il y a beaucoup de différents girons parmi lesquels on peut retrouver cela.
La présidente : Merci, cela va. C'est très bien comme réponse. Je vous remercie tous les deux.
On va maintenant passer à un deuxième tour de table; il nous reste environ dix minutes.
La sénatrice Tardif : Ma question a été plus ou moins posée par le sénateur Mockler. Elle concernait les médias sociaux et le risque d'assimilation, étant donné le manque de contenu francophone. Je crois que nos jeunes sont davantage attirés par les médias sociaux en anglais parce qu'il y a un plus grand répertoire dans ce sens-là. Vous m'avez aidée à comprendre quelque chose. J'ai toujours pensé que parce que le français n'était pas assez représenté sur les médias sociaux, cela portait nos jeunes vers l'assimilation, alors que vous dites que parce que cela élargit votre cercle, l'identité est renforcée et devient un facteur pour renforcer le fait francophone plutôt que de l'atténuer. Vous m'encouragez. Je croyais réellement que l'absence du français dans les médias sociaux était un facteur d'assimilation.
Vous avez parlé tous les deux de l'importance de jeunes engagés. Vous avez fait cette distinction. Je pense que c'est un facteur important. Si on est engagé en tant que francophone, on sera davantage porté à se tourner vers les sites web comme TOU.TV, par exemple. Cependant, si on n'est pas un jeune engagé dans des organismes tels que Francophonie jeunesse, Parlement jeunesse ou autres, la situation est très différente. Le fait d'avoir accès à des émissions jeunesse et de la programmation locale va-t-il davantage porter cette jeunesse à s'engager ou est-ce que, inversement, il faut être une jeunesse engagée avant de se tourner vers ces médias? Quel est le facteur déterminant selon vous?
M. Lord : Une programmation de fiction ou de divertissement mettant en vedette la jeunesse ne ferait aucunement de tort, mais je ne suis pas certain si c'est nécessairement cela qui va amener les jeunes à s'engager un peu plus. Par contre, lorsqu'on parle de reportages où on discute concrètement des activités que les organismes dans le réseau jeunesse et dans le réseau communautaire offrent, cela pourrait attirer davantage les jeunes à s'engager dans leur communauté, car ils réalisent ainsi que l'engagement est non seulement important, mais qu'il est aussi valorisé par le reste de la société. C'est assez attrayant pour un jeune. Évidemment, une fois que le jeune est engagé, il va entrer dans le milieu francophone et consommer leurs divertissements en français de plus en plus.
M. Tougas : Rapidement, je veux faire une rectification. La communication dans les médias sociaux se fait dans la langue qu'on choisit. Ce serait comme dire que parce que l'opératrice téléphonique parle en anglais, je devrais parler à mon père en anglais au téléphone. Si l'outil fonctionne en anglais, la communication peut quand même se dérouler en français. C'est un clavier, ce sont des mots, ce sont des messages.
Deuxièmement, les grands médias sociaux tels que Facebook et Twitter ont des options de langue française que presque tout mon entourage utilise. On peut interagir sur Facebook complètement en français, que ce soit le mécanisme lui-même ou les gens de qui tu t'entoures. Première des choses.
La deuxième chose, par rapport au contenu, ce n'est pas sur CTV ou CBC, par exemple, que l'on retrouve de la publicité concernant des émissions québécoises en français, mais il faut que cela vienne de quelque part et pas nécessairement des associations jeunesse ou de fédérations qui représentent les francophones. Les parents ou les écoles peuvent mettre les jeunes au courant de ces contenus francophones. Les professeurs et les parents peuvent être des modèles en regardant ou en faisant savoir à leurs jeunes que cette programmation existe.
J'ai connaissance de professeurs qui utilisent des sites web tels que TOU.TV et qui encouragent les jeunes à télécharger sur iTunes du contenu d'artistes francophones. Toute la classe répond à l'appel et consomme ces choses-là, non pas parce que c'est obligatoire, ce n'est pas le cas, mais parce qu'ils sont légitimement intéressés et impressionnés par ces outils. C'est tout simplement une prise de conscience. Le jeune n'a pas nécessairement besoin d'être engagé pour être intéressé par ce divertissement.
La sénatrice Tardif : La musique est très importante pour les jeunes. Y a-t-il de la musique intéressante à télécharger sur les sites web de Radio-Canada?
M. Tougas : Certainement. On joue du Lisa LeBlanc. On joue des artistes super à Radio-Canada, à CKSB au Manitoba, et cette musique est facilement consommable par la jeunesse comme pour tous les francophones.
M. Lord : La musique francophone est effectivement présente sur Internet, non pas juste sur le site de Radio-Canada comme tel. Je peux mentionner des artistes comme Lisa LeBlanc et les Hay Babies. Je peux faire mention de Accros à la chanson que ma fédération organise tous les ans dans un endroit où les jeunes francophones peuvent trouver pour une première fois une plateforme pour s'exprimer de façon artistique en français.
La sénatrice Tardif : Je vous remercie.
Le sénateur Robichaud : Je vais faire une affirmation gratuite ici; Radio-Canada, de par la radio et la télévision, ne représente pas vraiment les aspirations de votre génération, mais plutôt les gens d'une certaine génération. Comme on dit en anglais, yes or no?
La sénatrice Tardif : Vrai ou faux?
M. Lord : Le médium de choix évolue certainement avec la démographie du public. Des gens vont préférer la télévision ou le média papier parce qu'ils sont familiers avec cela, mais la jeunesse a un penchant pour l'informatique. C'est le médium avec lequel ils ont grandi, c'est le médium sur lequel ils travaillent et ils vivent.
M. Tougas : Il y a la jeunesse québécoise, la jeunesse de la francophonie minoritaire et la jeunesse anglophone qui consomme CBC. À mon avis, il y a un seul groupe qui est peut-être un peu moins bien desservi. D'un autre côté, si on parle juste de la jeunesse, on est aussi peut-être en train de parler universellement comme des francophones. Je crois qu'un des seuls groupes mal desservis par Radio-Canada sont les francophones en situation minoritaire. La jeunesse n'est pas universellement mal desservie. Au contraire, j'ai vu qu'il existe de la programmation pour les adolescents, mais à Radio-Canada c'est surtout pour les adolescents québécois. Nous, on n'a pas les mêmes références culturelles, donc on est un peu aliénés par cette programmation.
La sénatrice Poirier : Ce n'est peut-être pas le cas dans toutes les provinces, mais au Nouveau-Brunswick, les radios communautaires occupent une grande place dans les médias. Je donne comme exemple CJSE, à Shédiac, qui couvre un grand territoire. Une bonne partie de la population compte sur la radio communautaire régionale pour avoir des nouvelles locales. Les radios communautaires sont-elles attirantes pour la jeunesse? Les jeunes sont vraiment plus attirés par les médias sociaux, mais écoutent-ils également la radio?
M. Lord : Les jeunes sont fascinés si un ami paraît à la télévision ou à la radio. C'est une excellente façon d'attirer les jeunes hors des réseaux sociaux et vers les médias classiques, si je peux dire. S'ils voient une production jeunesse sur une radio communautaire, les jeunes vont l'écouter et seront ensuite tentés d'écouter le reste de la production.
La sénatrice Poirier : Les radios communautaires accordent-elles du temps d'antenne aux jeunes? Y a-t-il des émissions qui ciblent la jeunesse?
M. Lord : J'ai déjà entendu parler d'émissions produites pour la jeunesse dans des radios communautaires, mais cela varie d'une station à l'autre.
M. Tougas : À la radio communautaire du Manitoba, sans vouloir dénigrer la qualité de la programmation qui est en fait très bonne, presque n'importe qui peut s'y présenter avec le désir légitime de produire une émission de radio et le faire. Pour moi, c'est une ressource énorme! La majorité de ces gens utilisent cela comme tremplin pour ensuite se lancer dans le milieu professionnel à Radio-Canada, par exemple.
Beaucoup d'animateurs radio s'entraînent activement en produisant de la radio. Donc, la radio communautaire n'est pas seulement importante pour les auditeurs, mais elle encourage aussi les jeunes et leur donner des ressources pour commencer à produire leur propre contenu. C'est là où réside la grande force de la radio communautaire.
Je ne pourrais pas nécessairement affirmer qu'il y a beaucoup de gens qui écoutent la radio communautaire, mais beaucoup de gens savent que s'ils veulent en faire, c'est là pour eux.
La présidente : Honorables sénateurs, en votre nom et en mon nom personnel, j'aimerais remercier nos deux témoins « jeunesse », si je peux dire, Sébastien Lord, du Nouveau-Brunswick, et Gabriel Tougas, du Manitoba. Vos présentations ont été fort intéressantes et réfléchies. Vos réponses aux questions des sénateurs ont démontré que vous parliez en connaissance de cause. Vous connaissez votre communauté, vous êtes engagés, vous y croyez, et vous démontrez que vous pouvez vivre en français même si c'est une province bilingue, et qui plus est une province majoritairement anglophone, mais vous avez démontré qu'il est possible de le faire.
Comme vous avez pu vous en rendre compte, vous avez ici un comité du Sénat où vous retrouvez des sénateurs très engagés et qui veulent arriver à produire un rapport des plus pertinents.
En leur nom, je vous remercie de votre contribution et vous souhaite à tous deux un bon voyage de retour.
Honorables sénateurs, je vais suspendre la séance pour quelques minutes et nous reprendrons à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)