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OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule 19 - Témoignages du 29 avril 2013


OTTAWA, le lundi 29 avril 2013

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 17 heures, pour poursuivre son étude sur les meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde dans un contexte de développement économique ou de pluralité linguistique et entame son étude des impacts des changements récents au système d'immigration sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire.

La sénatrice Maria Chaput (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs, je déclare la séance ouverte. Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du comité sénatorial permanent des langues officielles. Je me présente, la sénatrice Maria Chaput, du Manitoba, présidente du comité. Avant de présenter les témoins qui comparaissent aujourd'hui, j'invite les membres du comité à se présenter.

La sénatrice Champagne : Bonjour. Andrée Champagne, je représente la province de Québec.

Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Suzanne Fortin-Duplessis, du Québec, de la circonscription sénatoriale Rougemont.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Tardif : Bonjour. Claudette Tardif, de l'Alberta.

La présidente : Le comité poursuit son étude des meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde dans un contexte de dualité ou de pluralité linguistique et entame aujourd'hui son étude des impacts des changements récents au système d'immigration sur les communautés de langue officielle en milieu minoritaire.

C'est avec grand plaisir que nous accueillons le commissaire aux langues officielles, M. Graham Fraser, à cette réunion. Monsieur Fraser, au nom des membres du comité, je vous remercie de prendre le temps de nous présenter votre point de vue dans le cadre de nos deux études et de répondre à nos questions.

Au nom des membres du comité, je profite de l'occasion pour vous féliciter pour votre nomination pour un deuxième mandat à titre de commissaire aux langues officielles et pour remercier le commissariat pour le travail accompli au cours des dernières années dans la promotion et la réalisation des objectifs de la Loi sur les langues officielles.

Monsieur Fraser, je vous invite maintenant à prendre la parole et les sénateurs suivront avec des questions.

[Traduction]

Graham Fraser, commissaire aux langues officielles, Commissariat aux langues officielles : Merci beaucoup, madame la présidente.

Mesdames et messieurs, honorables sénateurs et membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles, bonjour. Je suis accompagné aujourd'hui de M. Carsten Quell, directeur des politiques et de la recherche, et de M. Sylvain Giguère, commissaire adjoint de la Direction générale des politiques et des communications.

[Français]

Je vous remercie de votre invitation à discuter de deux études importantes entreprises par votre comité. L'apprentissage d'une langue seconde et l'incidence de l'immigration sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire sont des questions qui me préoccupent depuis le début de mon mandat.

[Traduction]

Le Canada est bien connu à l'échelle de la planète grâce à sa dualité linguistique. L'économie du Canada se fonde de plus en plus sur le savoir, dans un monde où la concurrence internationale s'intensifie. Les compétences langagières sont ainsi plus importantes que jamais.

Les données du recensement de 2011 ont montré que l'immigration joue un rôle de plus en plus important dans la croissance démographique du Canada. Ce phénomène fait en sorte qu'il devient plus difficile d'augmenter notre taux de bilinguisme, mais il s'agit également d'une excellente occasion de favoriser la vitalité de nos communautés de langue officielle si elles réussissent à bien intégrer les nouveaux arrivants.

[Français]

Nos communautés de langue officielle sont plus fortes qu'il y a 10 ans mais leur avenir demeure incertain. Bien souvent, ces communautés n'ont pas suffisamment de ressources pour encadrer les immigrants de façon adéquate. Les institutions gouvernementales, qui incitent les immigrants francophones à s'installer ailleurs qu'au Québec, ont la responsabilité d'expliquer très clairement la réalité de ces communautés francophones, mais aussi de se coordonner avec les administrations provinciales. Il faut souligner l'importance de mieux conjuguer dualité linguistique et diversité culturelle.

[Traduction]

Les immigrants ne comprennent pas toujours la complexité de la réalité linguistique au Canada, qui s'éloigne de l'approche purement territoriale adoptée par d'autres pays. Traiter toutes les communautés de façon uniforme ne fonctionne pas dans le cadre de nos politiques d'accueil des immigrants en milieu minoritaire. A ce chapitre, je constate que plusieurs communautés francophones se demandent si le travail qu'elles ont déjà fait a été pris en considération dans le cadre de la nouvelle approche du gouvernement du Canada concernant l'immigration à caractère économique et l'intégration au marché du travail.

[Français]

Certains autres changements ont aussi touché le travail des communautés au quotidien, notamment au Manitoba, où la communauté bénéficie d'une relation étroite avec son gouvernement provincial. Accueillir un cuisinier belge qui veut ouvrir un restaurant à Saint-Boniface n'est vraiment pas la même chose qu'accueillir une famille qui a passé les cinq dernières années dans un camp de réfugiés à la frontière du Rwanda et du Congo.

Cela exige la participation d'organismes différents, des structures d'accueil variées et une grande collaboration. Les systèmes de santé et d'éducation ne sont pas sollicités de la même façon. Il faut ouvrir les appuis nécessaires afin d'accueillir adéquatement ces personnes qui ont vécu des expériences traumatisantes.

[Traduction]

Surtout, il faut bien évaluer la situation particulière des jeunes qui présentent un décalage entre leur âge, leur expérience et leur niveau scolaire. Très souvent, les familles d'immigrants subissent un stress considérable : les deux parents sont absents, ils travaillent, ont deux emplois, souvent au salaire minimum. C'est une réalité avec laquelle les organismes d'accueil doivent composer.

[Français]

Avec l'octroi de sommes additionnelles importantes dans le volet immigration de la nouvelle Feuille de route pour les langues officielles, le gouvernement semble reconnaître l'importance d'appuyer les communautés de langue officielle dans leur démarche pour accueillir, intégrer et retenir les immigrants. Par contre, le peu d'information disponible concernant ces fonds semble indiquer qu'ils sont destinés au perfectionnement de l'une des langues officielles pour favoriser l'intégration au marché du travail, vraisemblablement le français au Québec et l'anglais ailleurs au pays.

[Traduction]

Une telle approche est certes utile, mais aurait peu à voir avec l'augmentation du bilinguisme anglais-français ou la promotion de la dualité linguistique. J'espère que votre étude vous permettra d'obtenir des précisions à ce sujet de la part de Citoyenneté et Immigration Canada.

Il est également difficile de voir de quelle façon ces nouvelles sommes contribueront aux objectifs visés par les communautés de langue officielle d'attirer et de recruter de nouveaux arrivants.

[Français]

La vitalité de nos communautés linguistiques dépend de leur degré de participation et de leur engagement. Mon équipe l'a d'ailleurs constaté, au cours des dernières années, lors de la préparation d'une série d'études de cas sur la vitalité des communautés. L'immigration a été cernée comme un secteur de développement important dans toutes les communautés étudiées : la communauté francophone de la région de Sudbury, celle de Halifax, de Winnipeg, de Calgary, de la Colombie-Britannique, les communautés rurales de la Saskatchewan, et les diverses communautés anglophones du Québec.

[Traduction]

Dans presque tous les cas, un lien direct a été établi entre une plus grande diversité de la communauté et sa vitalité. Ces études sur la vitalité communautaire se trouvent dans le site web du commissariat.

Permettez-moi de parler de votre étude sur l'apprentissage d'une langue seconde. Depuis l'adoption de la Loi sur les langues officielles, le gouvernement du Canada fait la promotion de l'apprentissage du français et de l'anglais langue seconde au moyen de différentes initiatives. Mes rencontres avec des personnes des quatre coins du pays m'ont permis de constater que le succès des programmes de français langue seconde est limité, non pas en raison d'un manque d'enthousiasme de la part des jeunes ou d'un manque de volonté chez leurs parents, mais bien à cause de ressources insuffisantes.

[Français]

En effet, les élèves anglophones qui souhaitent apprendre le français se voient refuser l'admission au programme en raison du nombre restreint de places, le manque de financement ou d'une pénurie d'enseignants qualifiés. Les objectifs sociaux à la base de notre politique linguistique exigent des investissements à long terme.

Pour que la dualité linguistique continue d'être perçue comme une valeur canadienne, le gouvernement doit cibler des mesures durables. Il faut davantage insister sur les moyens mis à la disposition des citoyens pour perfectionner leur maîtrise de la langue seconde.

[Traduction]

Par exemple, il faut investir dans les programmes d'échanges et les programmes de formation linguistique dans les deux langues officielles pour les nouveaux arrivants et leurs enfants. Le Canada doit fournir un véritable continuum de possibilités d'apprentissage en langue seconde à tous les Canadiens, et ce, de l'école primaire au marché du travail. Il s'agit là d'un élément intégral de la préparation de nos jeunes à leur avenir, pour qu'ils deviennent des citoyens productifs dans leur propre pays et des citoyens du monde.

[Français]

L'éducation en langue seconde est l'un des éléments importants qui contribuent à établir la dualité linguistique en tant que valeur canadienne. Un des défis consiste à amener les universités à offrir davantage de possibilités d'apprentissage aux étudiants. Le taux de bilinguisme des anglophones pourrait être plus élevé.

J'aimerais vous rappeler certaines recommandations que j'ai déjà formulées, entre autres dans le cadre de l'étude Deux langues, tout un monde de possibilités : L'apprentissage en langue seconde dans les universités canadiennes, publiée en 2009 et dans les rapports annuels récents, dont celui publié en octobre dernier.

[Traduction]

À l'heure actuelle, la plupart des possibilités d'échanges offertes par les universités concernent des institutions de pays étrangers. Les échanges à l'intérieur du Canada sont plutôt limités. Le gouvernement pourrait mettre sur pied un nouveau programme qui vise à offrir aux étudiants l'occasion d'étudier de façon intensive dans leur langue seconde au sein d'un autre établissement canadien. Ce programme serait l'équivalent canadien des programmes couronnés de succès Erasmus et Erasmus Mundus, conçus pour favoriser la collaboration entre les universités européennes, l'échange et le dialogue entre les cultures de même que la mobilité des étudiants et des universitaires, le tout, dans le but de préparer les participants à vivre dans une société mondiale axée sur les connaissances.

[Français]

J'ai recommandé de favoriser la collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux et les établissements postsecondaires afin d'augmenter le nombre de programmes offrant aux étudiants la possibilité de suivre certains cours dans leur seconde langue officielle.

J'ai également recommandé de prendre les mesures qui s'imposent pour doubler le nombre de jeunes Canadiens participant chaque année à des échanges linguistiques aux niveaux secondaire et postsecondaire.

[Traduction]

Je constate que le gouvernement n'a pas retenu ces recommandations dans le cadre de la feuille de route. Permettre à davantage de jeunes Canadiens de faire l'expérience de la vie dans une communauté où l'autre langue officielle est parlée couramment constitue pourtant une excellente façon pour le pays de célébrer son héritage commun en 2017.

Je vous remercie de votre suggestion. Je me ferai maintenant un plaisir de répondre à vos questions.

[Français]

La présidente : Merci beaucoup, monsieur le commissaire. La première question sera posée par la sénatrice Tardif, suivie de la sénatrice Fortin-Duplessis.

La sénatrice Tardif : Merci, madame la présidente.

Tout d'abord, permettez-moi de vous féliciter encore une fois, monsieur le commissaire, d'avoir accepté le renouvellement de votre mandat pour trois ans. Nous en sommes très heureux.

M. Fraser : Merci beaucoup. J'apprécie cela. C'est avec plaisir que j'entreprends un deuxième mandat.

La sénatrice Tardif : Monsieur le commissaire, j'aimerais vous poser une question par rapport à la question de l'immigration que le comité étudie en ce moment. Je sais que c'est une de vos priorités; vous l'avez indiqué dans un rapport que vous avez produit, ainsi que lorsque vous avez comparu devant le comité plénier du Sénat.

J'aimerais revenir sur la question du financement figurant dans la feuille de route. Le gouvernement a récemment annoncé la nouvelle feuille de route pour les années 2013 à 2018 et on y note des investissements dans le secteur de l'immigration.

Selon vous, la part financière allouée à l'immigration dans la Feuille de route pour les langues officielles de 2013 à 2018 vous apparaît-elle suffisante pour les cinq prochaines années?

M. Fraser : Ce qui est difficile à savoir, c'est la nature de ces sommes d'argent. Des sommes d'argent de 120 millions de dollars ont été consacrées à la formation linguistique aux immigrants. Toutefois, si j'ai bien compris, ce n'est pas nécessairement une formation linguistique consacrée aux communautés de langue officielle, mais plutôt une formation linguistique générale pour les immigrants; en anglais, pour les provinces à l'extérieur du Québec et en français au Québec.

Les détails n'ont pas été établis encore. Avec ces sommes d'argent de 120 millions de dollars, le montant total de la feuille de route a été établi comme s'il y avait eu un total de 1 milliard de dollars à 124 milliards de dollars. J'ai toutefois une certaine difficulté à considérer ce montant de 120 millions de dollars en tant que contribution à la dualité linguistique ou aux communautés. Si c'est pour enseigner l'anglais à un immigrant qui parle pendjabi à Vancouver, c'est excellent, mais je ne sais pas si c'est vraiment relié à la dualité linguistique, à la croissance ou à la défense de la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Je ne critique pas l'idée que ce soit important que les immigrants reçoivent une formation linguistique accrue en arrivant au Canada, mais je pense qu'il faut faire une distinction entre cette formation et l'appui d'un programme qui a été conçu comme un appui à la dualité linguistique et aux communautés de langue officielle en situation minoritaire.

La sénatrice Tardif : C'est certainement une question que je vais poser au ministre lorsqu'il comparaîtra devant notre comité parce que, si je comprends bien, ces sommes d'argent de 122 millions de dollars finançaient un programme existant. Il ne s'agit donc pas de nouvelles sommes d'argent.

M. Fraser : C'est ma compréhension aussi.

La sénatrice Tardif : Ce programme existait déjà et on l'a ajouté à la feuille de route, ce qui fait que le total des sommes d'argent investies dans la feuille de route est de 120 millions de dollars de moins parce qu'on ne fait pas certaines choses qu'on aurait pu faire si on avait investi ces sommes d'argent de 120 millions de dollars ailleurs.

M. Fraser : Effectivement, si on enlève ces sommes de 120 millions de dollars, on verrait, au lieu d'une augmentation du budget de la feuille de route, une compression budgétaire d'environ 9,5 p. 100.

La sénatrice Tardif : Si je comprends bien, ces sommes d'argent pourraient être utilisées pour apprendre soit l'anglais ou le français. Par exemple, dans une province telle l'Alberta, un nouvel arrivant serait probablement inscrit à des cours d'anglais et ces sommes seraient utilisées pour l'ensemble des provinces, sauf au Québec où on enseignerait le français à la minorité anglophone. Ai-je bien compris?

M. Fraser : C'est ma compréhension, mais M. Giguère a regardé cela de plus près.

Sylvain Giguère, commissaire adjoint, Direction générale des politiques et des communications, Commissariat aux langues officielles : On ne sait pas exactement comment cela va fonctionner parce qu'on nous a dit que cela irait au mois de septembre avant de connaître les critères d'admissibilité.

Est-ce que les programmes qui existaient déjà seront maintenus intégralement? Est-ce qu'on va favoriser les communautés de langues officielles en situation minoritaire? Actuellement, on ne le sait pas. Il faut attendre de savoir quels critères seront appliqués pour savoir qui pourra bénéficier de ces sommes d'argent.

La sénatrice Tardif : Plusieurs décrets visent les changements apportés à l'immigration; je pense qu'il y en a une trentaine.

Avez-vous eu la chance d'examiner ces décrets adoptés par le Bureau du Conseil privé? Aussi, avez-vous pu évaluer leurs effets sur la capacité de Citoyenneté et Immigration Canada à réaliser ses objectifs en matière de langues officielles?

M. Fraser : La décision avec laquelle je suis le plus familier concerne la récupération du programme de nominations provinciales où le rôle des provinces a été transféré à Ottawa pour être remplacé par un programme qui souligne l'immigration des gens d'affaires.

Au Manitoba en particulier, le premier ministre Selinger s'est plaint de cette décision parce que, depuis plusieurs années, le Manitoba travaille main dans la main avec Citoyenneté et Immigration Canada et la Société franco- manitobaine pour accroître l'immigration francophone. Mais depuis cette décision, il y a eu, pour la première fois depuis plusieurs années, un décroissement de l'immigration au Manitoba.

Souvent, je pense que l'exemple de la collaboration entre le fédéral, le Manitoba et la communauté franco- manitobaine a été un modèle. Je le mentionne d'ailleurs fréquemment dans d'autres provinces et je pense que c'est regrettable que cela n'ait pu continuer de la même façon, comme cela avait été le cas pendant plusieurs années.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Tout comme mes collègues, je tiens à vous féliciter encore une fois parce que vous avez été nommé à nouveau. C'est sûrement parce que vous avez fait un travail extraordinaire. Je vous souhaite toute la chance du monde.

M. Fraser : Merci beaucoup.

La sénatrice Fortin-Duplessis : J'ai relevé une statistique intéressante dans votre rapport annuel. Vous avez dit ceci : Parmi les anglophones, 70 p. 100 souhaiteraient mieux parler l'autre langue officielle du pays et du côté francophone, c'était 90 p. 100 qui trouvaient qu'il était très avantageux d'apprendre l'anglais, soit pour voyager, obtenir un meilleur emploi ou explorer d'autres cultures.

Au sein de la population canadienne, il me semble y avoir un fort désir d'apprendre les deux langues officielles. Diriez-vous que cet intérêt est en croissance?

M. Fraser : À long terme, depuis l'introduction de la Loi sur les langues officielles, je dirais certainement oui. À l'époque, pendant les années 1960 et au début des années 1970, il y avait une forte opposition à l'idée de la dualité linguistique comme valeur canadienne. Une majorité appuyait la Loi sur les langues officielles, mais c'était plutôt 60-40 et il y avait des parties du pays où c'était plutôt le contraire.

Je pense qu'on peut constater des progrès énormes. Par exemple, il est maintenant acquis que, pour devenir un chef de parti politique, il faut maîtriser les deux langues officielles. C'est pour tous les partis et il n'y a même pas de débat concernant cela.

De là à dire que ce désir latent se traduit toujours dans une volonté personnelle de suivre des cours de langue seconde, c'est autre chose. Mais je crois qu'on en est au point où le niveau de bilinguisme passif est beaucoup plus élevé que par le passé. En fait, il y a beaucoup plus de Canadiens qui apprécient d'entendre, d'écouter le français dans un lieu public ou lors d'une cérémonie publique, qui comprennent, même si au recensement ils diront qu'ils ne peuvent pas soutenir une conversation. Au moins ils comprennent.

Et pour ceux qui ne comprennent pas le français, ils sentent que la présence du français lors des cérémonies officielles publiques fait partie de l'identité canadienne. Et cela, c'est une transformation d'attitude.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Les provinces et les territoires sont responsables de l'éducation en vertu du partage des compétences. On peut donc voir l'instauration de différents modèles d'enseignement visant à favoriser l'apprentissage d'une langue seconde partout au pays. Diriez-vous que le système scolaire actuel permet aux petits enfants canadiens de devenir bilingues?

M. Fraser : Je ne peux pas dire cela parce que l'apprentissage obligatoire du français n'existe pas à l'ouest de l'Ontario. À l'est de l'Ontario, il y a un élément obligatoire de l'apprentissage de l'autre langue officielle. Il y a des différences en termes de quelle année cela commence et de quelle année cela finit. Mais dans l'Ouest canadien, c'est facultatif.

Cela ne veut pas dire que cela n'existe pas, dans le sens que d'après mon expérience à travers le pays, je suis arrivé à la conclusion que le meilleur système d'immersion est à Edmonton. Par exemple, on voit qu'il y a une croissance de l'immersion en Colombie-Britannique. L'intérêt pour l'apprentissage de la langue seconde est fort, mais il y a des inégalités.

Au tout début de mon mandat, un député de l'Ouest avait demandé à me rencontrer et j'avais certaines appréhensions au sujet de la critique de cette personne. À ma grande surprise, la personne m'a demandé : « Comment se fait-il qu'une jeune fille d'une petite ville dans ma province n'a pas accès à la même qualité d'apprentissage du français qu'une autre petite fille qui vit dans une plus grosse ville de la province? »

Je me suis dit que si cette grande critique de la politique des langues officielles vient des députés de l'Ouest, c'est signe qu'on a fait énormément de progrès. Mais effectivement, il y a une inégalité d'accès à une formation de qualité. Il y a aussi une pénurie d'enseignants. Et on en arrive à une étape où c'est un défi de recruter des enseignants pour remplacer ceux qui partent à la retraite. Le recrutement est souvent aussi un défi pour les écoles d'immersion dans les petites villes ou les petites municipalités.

J'ai entendu des histoires quasiment semblables à celle du film La Grande séduction. On tente d'attirer des professeurs d'immersion pour de petites municipalités assez éloignées. La question de l'accès universel est problématique.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Monsieur le commissaire Fraser, je vous remercie.

Le sénateur McIntyre : Monsieur le commissaire, sachez que nous reconnaissons tous votre attachement aux politiques linguistiques du Canada et votre volonté d'accroître les occasions d'apprentissage dans la langue seconde auprès des Canadiens. D'ailleurs, si je ne m'abuse, vous en faites un thème central dans votre dernier rapport annuel de 2011-2012.

J'aurai deux questions à poser. La première porte sur l'immigration et la deuxième sur les politiques linguistiques et l'apprentissage d'une langue seconde. Comme vous le savez, on semble de plus en plus favoriser l'immigration économique et l'embauche de travailleurs qualifiés.

M. Fraser : Oui, effectivement.

Le sénateur McIntyre : Selon vous, est-ce qu'une trop grande insistance sur l'immigration économique pourrait avoir des effets négatifs sur les objectifs que le gouvernement s'est fixé, particulièrement à l'égard de l'immigration francophone?

M. Fraser : C'est la crainte que j'ai entendue de la part des gens du Manitoba, où, effectivement, ils ont vu le transfert de responsabilité, de nomination provinciale dans ce programme. Je crois qu'ils ne sont pas nécessairement contradictoires. Je reviens toujours à la question du Manitoba parce que j'y ai vu une histoire à succès dans ce domaine.

Il y a un restaurant sur le pont Louis-Riel qui rejoint Winnipeg et Saint-Boniface. Le contrat de location est venu à échéance a été renouvelé par les propriétaires du restaurant Chez Sophie. Je mentionne l'histoire hypothétique d'un restaurateur belge parce que le propriétaire de Chez Sophie, c'est un restaurateur qui vient d'Alsace et qui a été attiré par le programme Destination Canada. Il est arrivé il y a huit ans et il a réussi à obtenir un contrat pour gérer ce restaurant dans une position clé de rencontre entre Winnipeg et Saint-Boniface.

Je ne crois pas qu'un programme va nécessairement dire qu'on ne peut pas réussir les objectifs de l'autre. Mais cela nécessite un appui pour le programme Destination Canada. On est allés faire du recrutement de gens d'affaires qui voulaient s'installer et exploiter une entreprise dans un certain domaine, surtout avec le contexte économique en Europe.

J'ai vu un reportage à la télévision sur une campagne de recrutement en France où des compagnies ont réussi à aller chercher de la main-d'œuvre très qualifiée dans le domaine de la haute technologie. Donc c'est possible de réussir les deux objectifs en même temps.

Le sénateur McIntyre : Ma deuxième question porte sur les politiques linguistiques. Comme vous le savez, depuis 1970 les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux appuient conjointement l'apprentissage des langues officielles. Comme l'éducation relève des provinces et des territoires en vertu de la Constitution, on constate que ces derniers ont mis sur pied différents modèles d'enseignement visant à favoriser l'apprentissage de la langue seconde.

Êtes-vous satisfait de l'approche adoptée par les différents paliers de gouvernement? Y a-t-il des provinces ou territoires qui performent mieux que d'autre à cet égard?

Par exemple, si on examine l'évolution du taux d'inscription dans les programmes de français langue seconde, mieux connus sous le nom de FLS, on s'aperçoit que ces programmes sont très populaires dans certaines provinces, comme par exemple l'Île-du-Prince-Édouard, la Colombie-Britannique et Terre-Neuve-et-Labrador.

Par ailleurs, on remarque une légère baisse des inscriptions aux programmes de FLS au Nouveau-Brunswick depuis le milieu des années 1970. Comment expliquer cette baisse au Nouveau-Brunswick, alors qu'il y a une hausse dans d'autres provinces comme celle de l'Île-du-Prince-Édouard?

M. Fraser : Mon explication est qu'il y a eu, il y a quelques années, un changement au programme d'immersion. L'immersion précoce a été abolie au profit de l'introduction de l'immersion en cinquième année seulement et on ne peut pas éliminer quelques années d'immersion sans qu'il y ait un impact concernant le nombre total d'inscriptions d'étudiants en immersion.

J'ai aussi pu constater cela lorsque le gouvernement précédent au Nouveau-Brunswick avait procédé à une étude parce que l'on était très préoccupé par la décroissance économique au Nouveau-Brunswick, et donc une pression sur les ressources. Certaines recommandations ont été faites, incluant celle de mettre fin à l'immersion précoce et cette décision a été mise en œuvre en fonction de cette préoccupation de limitation des ressources.

Concernant l'augmentation en Colombie-Britannique en particulier et dans l'Ouest en général, il faut dire qu'il y a plus de demandes qu'il y a d'offres. Cela fait en sorte que certaines commissions scolaires utilisent le système du premier arrivé premier servi. Les parents font donc la queue toute la nuit pour inscrire leurs enfants et c'est un peu comme une loterie.

Comme indication qu'il y a un problème de capacité, je pense que c'est la preuve. J'ai rencontré le père d'un ministre qui m'avait raconté fièrement comment son fils ministre de la Couronne, lui-même et son gendre organisaient des rondes pour passer la nuit afin de faire en sorte que sa petite-fille soit inscrite. Mes sentiments étaient partagés quand j'ai entendu cette histoire. D'un côté, on peut dire que c'est admirable que le Canada soit un pays tellement démocratique que même un ministre de la Couronne doive passer la nuit pour que sa nièce soit inscrite dans un programme d'immersion; d'un autre côté, comment se fait-il qu'il faut passer la nuit pour inscrire un enfant dans un programme internationalement reconnu comme un programme de qualité?

Je crois que, depuis les années 1980, une espèce de cap sur le financement a fait en sorte que, bon an mal an, 300 000 élèves à travers le pays sont inscrits en immersion.

Une des raisons pour lesquelles il n'y a pas d'augmentation, c'est que des parents n'ont pas réussi à arriver assez tôt pour passer la nuit. D'organiser le partage des ressources de la même façon que la vente de billets des Rolling Stones, je pense que ce n'est pas nécessairement une façon recommandée pour servir une demande aussi évidente que celle exprimée par les parents.

La sénatrice Poirier : Félicitations, monsieur Fraser, pour la prolongation de la durée de votre mandat. C'est grandement apprécié.

Ma première question concerne l'apprentissage d'une langue seconde. D'après vous, quelle province au Canada réussit le mieux et pourquoi? Aussi, leur serait-il possible de partager leur savoir avec le reste du Canada?

M. Fraser : Je vais vous donner une réponse assez particulière et cela concerne ce qu'ont fait les écoles publiques d'Edmonton. Il y a plusieurs années, ils ont constaté une diminution des inscriptions et que des jeunes quittaient le programme après un certain nombre d'années. Après une étude comportant 12 ou 14 recommandations, ils ont analysé les indices de qualité nécessaires pour qu'un programme de qualité fonctionne. Plusieurs critères sont ressortis, dont l'appui du directeur de l'école, un appui pédagogique pour l'enseignante et l'implication des parents. Il s'agissait donc de toute une série de critères assez évidents, d'une certaine façon. La commission scolaire les a mis en œuvre et on a vu de façon assez drastique le virage que les programmes d'immersion ont pris au sein cette commission scolaire.

Je mets toutefois tout cela entre parenthèses; il s'agit d'un modèle pour créer un système de qualité, mais c'est assez limité en ce sens qu'il s'agit d'une commission scolaire dans une province où l'enseignement du français n'est pas obligatoire à aucun niveau. Cela exige donc l'implication des parents et il n'y a pas du tout d'obligation.

Je mentionnerais une autre province qui a, je crois, le taux le plus élevé de participation des étudiants en immersion et en apprentissage d'une langue seconde : l'Île-du-Prince-Édouard. Je ne peux pas faire la même analyse de qualité parce que je n'ai pas les informations, mais toutes les indications que j'ai pu constater démontrent qu'il y a eu vraiment un engagement de la province, de la communauté minoritaire et de la commission scolaire. Dans la province, il y avait cette croyance que plus un grand nombre de jeunes étaient bilingues, plus c'était un atout économique pour la province. J'ai été vraiment impressionné par l'appui que l'on a vu à toutes les étapes d'engagement du bureau du premier ministre jusqu'à la salle de classe.

Il y a aussi beaucoup d'intérêt pour l'enseignement du français langue seconde à Terre-Neuve-et-Labrador. Je mentionne ces exemples, mais comme je n'ai pas le mandat de faire enquête ou d'établir très clairement des mesures de comparaison, c'est donc un peu anecdotique. Mais selon ce que j'ai observé, c'est les constatations que j'ai pu faire.

La sénatrice Poirier : Concernant ces provinces, quand l'immersion francophone commence-t-elle dans le cadre du système scolaire? De façon générale, cela commence-t-il en première année?

M. Fraser : Oui. Il y a trois points d'entrée, si on peut dire, les première, troisième et cinquième années diffèrent d'une province à l'autre.

La sénatrice Poirier : Y a-t-il un pays qui serait un leader ou un modèle quant à l'apprentissage d'une langue seconde? Et si oui, est-ce que le Canada pourrait s'en inspirer?

M. Fraser : En ce sens, j'ai toujours été très impressionné par les pays scandinaves. Selon les études de l'OCDE, c'est en Finlande, par exemple, qu'on retrouve le plus haut niveau d'alphabétisation. On y retrouve aussi deux langues officielles avec enseignement obligatoire de la langue finlandaise et de la langue suédoise. L'apprentissage de l'anglais est aussi introduit à différentes étapes du parcours scolaire.

L'avantage des pays scandinaves et européens qui ont deux langues officielles est que l'éducation est une responsabilité du gouvernement national. Pour une fédération comme le Canada, où l'éducation est une responsabilité provinciale, c'est plus difficile d'établir des standards nationaux.

J'ai lu une étude faite par un étudiant à la maîtrise à l'Université Carleton sur la formation linguistique dans les forces armées dans cinq pays qui avaient deux langues officielles. Le Canada, la Belgique, l'Irlande, la Finlande et la Suisse. De tous les pays, le Canada était le seul pays où il y avait une formation linguistique payée pour des officiers. Tous ces pays avaient des obligations linguistiques. Il fallait que tous les officiers maîtrisent les deux langues officielles du pays, mais c'était à leurs frais. La différence est que dans ces autres pays, les officiers avaient reçu une instruction obligatoire des deux langues officielles, comme c'est le cas pour tous les étudiants jusqu'à la fin du secondaire, ce que nous n'avons pas ici.

La sénatrice Champagne : On a facilement envie de dire que le gouvernement fédéral se fout du bilinguisme ailleurs. On a eu des moments assez difficiles, pourtant on a fait des efforts importants pour appuyer l'immigration francophone en lui donnant une chance de plus. Dans la feuille de route 2013-2018, les investissements dans le secteur de l'immigration sont au moins sept fois plus élevés que lors de l'initiative précédente et 16 fois plus élevés que lors du lancement du Plan d'action pour les langues officielles en 2003.

Il y a donc eu un effort pour faciliter l'arrivée d'immigrants qui étaient francophones au départ. Je crains toujours que nos francophones soient assimilés par les anglophones si on ne fait pas des efforts importants, comme apporter ce projet de loi 14, qui est monstrueux à mon humble avis.

Où placez-vous la ligne entre intégrer et assimiler? Intégrer des gens, qui viennent d'une autre province ou d'un autre pays, à notre vie francophone dans un endroit comme le Québec ou laisser les francophones être assimilés par la portion anglophone qui nous entoure? Vous qui ne vivez que de cela depuis plusieurs années, savez-vous où se situe la ligne entre l'intégration et l'assimilation?

M. Fraser : C'est une très bonne question. Il ne faut pas oublier que quand on parle du recrutement des immigrants francophones à l'extérieur du pays, on parle de moins de deux p. 100 des immigrants francophones. C'est beaucoup moins que le pourcentage que représentent les communautés francophones à l'extérieur du Québec.

Il y a des histoires à succès. Celle que je connais le mieux et qui m'a toujours semblé être un succès est le programme d'une organisation de Winnipeg, qui s'appelle Accueil Francophone du Manitoba, où les francophones de la communauté accueillent des immigrants francophones à leur arrivée à l'aéroport, les accompagnent à leur lieu de résidence, inscrivent leurs enfants dans une école française et organisent un programme d'accompagnement qui dure trois ans.

Ils ont compris qu'il ne suffit pas d'être présent juste à l'arrivée, mais qu'il faut aussi offrir de l'accompagnement aux immigrants ou aux réfugiés. La directrice d'Accueil Francophone est elle-même une immigrante du Mali venue étudier à l'Université de Saint-Boniface. Ce programme a été créé lorsque Ibrahima Diallo était le président de la Société franco-manitobaine et qui travaille à l'Université de Saint-Boniface, lui-même immigrant du Sénégal, et qui a rencontré sa femme, une Franco-Manitobaine, alors qu'il faisait son doctorat à Paris. Ce programme a été organisé par des gens qui connaissent le phénomène de l'immigration et de l'intégration à la communauté francophone.

Il ne faut pas se leurrer. J'ai rencontré des immigrants francophones à Toronto dont certains ne savaient pas du tout qu'il y avait une communauté ou des ressources francophones à Toronto. Ils ont choisi Toronto, parce qu'ils voulaient être dans une ville nord-américaine anglophone.

D'autres, par contre, croyaient que le Canada était bilingue et d'un niveau égal à travers le pays. Quand je leur ai posé la question, à savoir qu'est-ce qui les avait porté à croire que le Canada était totalement bilingue d'un océan à l'autre? Ils m'ont répondu : ce sont les sites web du gouvernement fédéral. Tout est en anglais et en français. Il croyait que cela voulait dire que les deux langues avaient un statut égal et qu'ils pouvaient avoir les mêmes services à travers le pays, parler, magasiner, étudier et autres.

Donc il ne faut pas se leurrer, si on déménage à Winnipeg et qu'on veut ouvrir un commerce, on peut cibler la communauté francophone, mais à un moment donné, pour faire des affaires avec la ville, pour obtenir des permis, pour fonctionner à Winnipeg, il faut parler anglais. Donc, cette organisation, Accueil francophone, organise des cours d'anglais pour les immigrants francophones, pour qu'ils puissent fonctionner de façon efficace dans la société majoritaire.

Je pense que, d'un côté, il y a un consensus parmi les communautés minoritaires selon lequel leur avenir dépend de leur capacité à devenir des communautés d'accueil des immigrants; mais un défi également est que ce ne sont pas tous les immigrants francophones qui veulent devenir membre d'une communauté minoritaire et assumer les revendications, les luttes, l'histoire de la communauté minoritaire de la province.

Donc, il y a double défi : il y a le défi de la communauté canadienne française de se transformer en communauté francophone; puis il y a également le défi de dire aux immigrants qui viennent du Maghreb ou d'un pays africain « vous avez une place ici chez nous ». C'est un double défi d'inclusion.

La sénatrice Champagne : Je me souviens d'une réunion de l'Assemblée des parlementaires de la francophonie, qui a eu lieu à Paris en 2009. On avait eu le droit de poser une question à son excellence, M. Diouf, et moi je lui ai demandé s'ils avaient pensé à qui serait le Grand témoin de la francophonie pour les Jeux olympiques de Vancouver. Il a dit : « Mais, au Canada on n'en a pas besoin. » Je peux vous dire que j'ai participé à la discussion pour dire que, à Vancouver, il fallait avoir un Grand témoin de la francophonie, que nous y travaillions depuis deux ans avec les gens qui organisaient les Jeux, et que vous y aviez travaillé aussi. Et nous avons eu, en fin de compte, quelqu'un de très compétent. Et finalement, nous avons eu, vous-même l'avez dit, peut-être pas des compliments mais les gens ont été surpris du bilinguisme que l'on a pu organiser à Vancouver pour les Jeux olympiques de 2010.

J'aurais une dernière petite question. Vous avez sans doute dû, monsieur le commissaire, réagir officiellement à cette loi 14 au Québec. Vous avez sûrement dû émettre un avis; je ne l'ai pas vu, j'ai honte.

M. Fraser : Je vous en prie, n'ayez pas honte. Ma préoccupation a été l'impact, d'abord, de la politique électorale du Parti québécois et ensuite de la loi 14 sur les institutions de la communauté. J'ai été frappé par le fait que l'on n'avait pas pris les mesures qui étaient dans le programme électoral de limiter l'accès au cégep. Un élément que j'ai communiqué aux ministres, Mme De Courcy et M. Lisée, c'est que je suis très mal à l'aise avec l'utilisation des pourcentages pour mesurer la vitalité des communautés minoritaires. Je pense cela veut dire que c'est la grandeur, le taux de croissance, la majorité qui vont définir les droits et les services de la minorité, et je pense que c'est inapproprié et injuste. Ce n'est pas parce que la majorité croît plus vite que la minorité que la minorité devrait perdre des droits et services.

La sénatrice Champagne : Dont le droit d'aller étudier en anglais pour ceux qui le veulent.

M. Fraser : Oui. Il y a un autre point que j'ai soulevé. Si on regarde la question des droits des militaires d'envoyer leurs enfants dans les écoles anglophones, en termes de masse d'étudiants francophones à venir, la langue française est une goutte d'eau; c'est 600 élèves au total au Québec. Et c'est une extension temporaire.

Si on regarde cela du point de vue des petites écoles éparpillées sur le territoire du Québec, qui survivent difficilement, la perte pour une commission scolaire de 600 élèves, c'est énorme. Si on approche cela de façon cartésienne, en disant : c'est une extension à la loi, ce qui n'est pas logique selon les principes de la Charte de la langue française; je suis d'accord. Mais si on regarde cela du point de vue de la survivance des petites écoles, des institutions très importantes pour des petites communautés anglophones, ce sont des institutions qui vont souffrir de dommages collatéraux à cause d'une décision qui serait prise en vertu d'un principe cartésien, si je peux dire, de rendre plus logique l'application de la Charte de la langue française.

La sénatrice Champagne : De toute façon, ces enfants de militaires, qui doivent très souvent changer de pays ou de province, ils ont déjà la difficulté d'être placés dans un système éducatif différent; si en plus on les force à changer de langue, je ne pense pas que l'on fasse la meilleure chose qui soit pour en faire des gens qui, dans l'avenir, sauront vraiment être des éléments utiles dans la province et le pays. Merci monsieur le commissaire.

Le sénateur De Bané : Monsieur le commissaire, je voudrais m'associer à tous mes collègues pour vous dire combien nous sommes heureux que vous ayez accepté d'assumer un second mandat dans l'exercice de cette fonction si importante pour l'unité du pays qu'est celle de commissaire aux langues officielles.

Il y a un paragraphe qui me semble très, très important dans votre communication. À la page 3, et je le cite :

Les objectifs sociaux à la base de notre politique linguistique exigent des investissements à long terme pour que la dualité linguistique continue d'être perçue comme une valeur canadienne. Le gouvernement doit cibler des mesures durables.

Si je regarde la province qui démographiquement est la plus importante, l'Ontario, et qui attire 50 p. 100 de tous les immigrants qui viennent au Canada, aujourd'hui la grande majorité vient de l'Asie, particulièrement de l'Asie du pacifique. Cinquante pour cent de tous les immigrants vont là; aujourd'hui c'est sans doute la société la plus multiculturelle au monde.

Comment amener ces nouveaux immigrants à comprendre cette valeur canadienne sans mesures durables?

J'aimerais inviter le commissaire aux langues officielles à réfléchir, à nous suggérer à tous collectivement, à ces mesures durables qui nous amèneraient à garder ce défi à l'esprit tout le temps.

Je viens d'une famille d'immigrants et j'ai très bien compris, même si j'avais à peine 10 ans, qu'on venait au Canada parce qu'on ne pouvait pas entrer aux États-Unis. Mais on voulait venir en Amérique du Nord, pas dans une province en particulier.

Comment amener ces gens — qui souvent ne parlent pas une des langues occidentales, où l'anglais et le français sont les deux langues les plus importantes du monde occidental — à comprendre que c'est une valeur fondamentale canadienne?

On n'a pas réussi à le faire depuis la promulgation de cette loi il y a 45 ans. Je connais des anglophones qui ont appris le français qui, comme vous, parlent la langue française mieux que moi, mais qui l'ont fait parce que l'unité du pays est importante pour eux.

Cela me fait penser au sénateur Forsey, de Terre-Neuve, qui était un des paroissiens d'une église protestante francophone à Ottawa, la seule francophone. Je lui ai demandé pourquoi il allait à cette église protestante. Il m'a répondu qu'il voulait faire sa contribution à l'unité canadienne. Il s'agit là de Canadiens sensibles à cette question.

J'aimerais que le bureau du commissaire aux langues officielles, avec son équipe remarquable sous sa direction, réfléchisse à l'idée de nous suggérer des pistes de politique pour ancrer ce qui est écrit dans ce paragraphe et qui me semble tellement vrai. Je ne suis pas sûr que ces immigrants en comprennent l'importance. Le Canada doit être le haut- parleur des deux langues officielles, qu'il soit la caisse de résonance à travers le pays de ces deux langues.

Je crains que ce ne soit pas encore enraciné en Ontario, la province numériquement la plus importante, près de 38 p. 100 de la population canadienne, 50 p. 100 des immigrants. C'est votre bureau, c'est vous qui avez la crédibilité la plus forte pour nous amener à penser à très long terme des politiques qu'il faudrait adopter maintenant afin que, graduellement, nous atteignions cet objectif.

J'ai vu, depuis mon âge d'homme, combien le Canada a changé. Maintenant que j'arrive au crépuscule de ma vie, je me dis que les 40 ou 50 prochaines années vont donner un pays tellement différent que ce ne sera pas celui que nous avons imaginé à l'aube du XXIe siècle.

M. Fraser : Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous lorsque vous dites que les immigrants ne comprennent pas que la dualité linguistique est une valeur canadienne. L'année dernière, j'ai eu la chance de rencontrer une jeune femme qui étudie maintenant à l'université. Elle est immigrante du Kenya. Elle est arrivée ici à l'âge de sept ans ne parlant que le swahili. Ses parents ont insisté pour qu'elle suive des cours en immersion et elle a fait toute son éducation en immersion. Lorsque je l'ai rencontrée, elle m'a parlé de son intention de suivre un cours de médecine à l'Université d'Ottawa en français. Elle m'a dit qu'en apprenant le français, elle se sentait plus canadienne. Et j'ai entendu ces propos de la part de plusieurs immigrants dont les parents ont été inspirés par l'idée que le Canada était un pays bilingue et qui ont insisté pour que leurs enfants soient inscrits à un cours d'immersion et qui ont pris soin de se prévaloir de toutes les opportunités, programmes d'échange et toutes les autres possibilités qui existent, qui sont là, mais qui sont souvent méconnues.

Je dis souvent qu'on estime mal, qu'on évalue mal l'impact qu'a eu le fait que le Canada a eu deux gouverneures générales de suite qui sont arrivées au Canada en tant que réfugiées de minorité visible — Adrienne Clarkson vivait dans un milieu anglophone, Michaëlle Jean vivait dans un milieu francophone — et qui ont décidé que, pour vraiment participer dans la vie nationale du pays, elles devaient non seulement être compétentes, mais l'être dans l'autre langue officielle. Je ne crois pas à une coïncidence qu'après qu'Adrienne Clarkson soit devenue gouverneure générale que la communauté chinoise de Vancouver a demandé à l'ambassade de France d'ouvrir un bureau de l'Alliance française dans un centre communautaire à Vancouver.

Je n'ai jamais vu un lien formellement établi de cause à effet, mais je pense qu'on peut voir l'impact. Plus tard, François Delattre, maintenant ambassadeur de France à Washington, alors qu'il était à Ottawa m'avait dit qu'une des choses qui l'avait impressionné lorsqu'il était ici c'est que le français était la langue de l'ambition. Les immigrants comprennent qu'ils doivent être ambitieux pour réussir parce qu'ils n'ont pas les ressources familiales, les liens de contact, les réseaux qui existent pour des gens qui sont ici depuis des générations. Donc, souvent pour réussir, il faut qu'ils travaillent plus fort que leurs voisins, leurs camarades de classe pour réussir.

Il y a plusieurs années, on a fait un sondage en collaboration avec la Commission canadienne des droits de la personne du niveau de bilinguisme chez les minorités visibles. On a découvert que les gens de minorité visible au Canada sont plus bilingues que les anglophones de souche au Canada. Je suis convaincu que c'est parce qu'il y a des gens qui sont venus ici, qui ont décidé que pour réussir, il fallait qu'ils soient bilingues. C'est peut-être injuste. Le paradoxe du Canada c'est qu'il est un pays officiellement bilingue, mais on peut très bien réussir dans certaines parties du pays en tant qu'unilingue anglophone.

Je crois qu'un certain idéalisme est transmis aux immigrants qui souvent est perdu par les gens qui sont ici depuis des générations.

Sénateur De Bané : Je souscris à votre analyse. Comme l'indiquent les données mentionnées par la sénatrice Fortin- Duplessis, il y a encore plus de francophones qui veulent apprendre l'anglais parce que nous vivons dans cette partie de l'hémisphère occidental où la langue française représente une communauté d'environ 3 p. 100 de la population de l'Amérique du Nord.

Comme me l'a un jour dit le sénateur Forsey, vous devez apprendre l'anglais parce que vous êtes en Amérique du Nord; moi je dois parler français parce que je veux l'unité de mon pays.

Je pense qu'il est indubitable que nous, les francophones, devons apprendre l'anglais à cause de l'endroit où on vit. Quand les étudiants français arrivent à Montréal, ils vont évidemment à l'Université McGill. Et lorsque cela a créé une tempête, l'ambassadeur de France a rappelé aux Québécois : ils parlent déjà français, ce qu'ils veulent, c'est apprendre l'anglais. Cela tombe sous le sens commun et la réalité est têtue.

Je suis d'accord avec vous qu'il y a des immigrants qui sont assez éclairés pour reconnaître que, s'ils veulent garder ce pays uni, ils font mieux d'apprendre les deux langues qui sont sur les deux côtés de la pièce de monnaie, soit le français et l'anglais.

Monsieur le commissaire, vous qui avez réfléchi à ces questions et les connaissez d'une façon bien plus approfondie que nous, pourriez-vous nous ouvrir des pistes qui feraient en sorte que l'obligation de chaque citoyen coïnciderait avec son bénéfice personnel s'il apprend les deux langues? C'est ce qu'on s'attend de lui, mais il faut qu'il en retire également un avantage.

Regardez tout ce qu'on a mis en place pour essayer de corriger un peu l'inégalité dans la participation des femmes aux hautes fonctions, tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Un tas de petite chose ont été pensées. Puis, petit à petit, c'est en train de devenir une chose qu'il faut absolument faire. Il faut que ce soit une réalité. On ne peut pas oublier la moitié de la population du genre humain. Il faut que les femmes et les hommes soient au même point partout.

Lorsque je suis arrivé à Ottawa, il n'y avait aucune femme sous-ministre. La réalité a changé.

En terminant, il faudrait réussir à apporter les mêmes changements pour qu'il soit bien incrusté que le Canada soit le haut-parleur des deux langues officielles au Québec et dans toutes les provinces canadiennes.

M. Fraser : J'ai juste quelques commentaires. Petite correction, d'abord : il est évident que je ne parle pas français mieux que vous.

Sur une note plus sérieuse, je ne pense pas que l'engouement pour l'anglais qui a été démontré dans les chiffres contenus dans notre rapport annuel, que la sénatrice a cités, soient liés au fait que nous sommes en Amérique du Nord. Nous sommes dans un monde où, de plus en plus, l'anglais devient la langue internationale du commerce, de la recherche et de la science. On peut travailler pour faire en sorte que le français ne soit pas évacué de ces domaines au Canada et que les langues nationales ne disparaissent pas au profit, pour employer le terme d'un certain auteur, d'un caractère « globish ». Ce serait une perte énorme.

Il est important de reconnaître le progrès qui a été réalisé, toutefois le défi reste. D'une certaine façon, les immigrants sont plus sensibles à un discours de valeurs et d'identité. Il n'est pas unique au Canada que les immigrants décident, pour des raisons identitaires, d'apprendre la langue minoritaire.

J'ai rencontré un fonctionnaire de la communauté européenne qui était d'origine irlandaise. Il parlait l'irlandais à la maison avec sa femme, et à la frustration de ses fils. La famille vivait à Strasbourg, les fils parlaient donc l'anglais et le français et ne voulaient absolument pas apprendre l'irlandais. Ils trouvaient tout à fait injuste que leurs parents utilisent l'irlandais pour parler entre eux.

Un des fils est revenu à Dublin, pour le travail, et a décidé qu'il devait apprendre l'irlandais. Il s'est inscrit à un cours du soir, or il s'est avéré que tous les autres étudiants dans cette classe étaient des immigrants. Pourquoi? Parce qu'ils voulaient s'identifier à leur nouveau pays. Plusieurs Irlandais croient que l'irlandais est comme le latin, que son apprentissage obligatoire dans les écoles est quelque peu dépassé, que son usage n'est utile que pour les fonctionnaires. Dans ce pays, j'ai un homologue qui a exactement le même rôle que moi.

On ne devrait jamais sous-estimer l'intérêt des immigrants à s'identifier à l'identité du pays hôte. Les personnes qui sont ici depuis des générations abandonnent parfois le discours patriotique identitaire pour être plus pragmatique et penser qu'ils sont plutôt Américains. Ils regardent la télévision américaine, leur identité est souvent plus locale ou provinciale que nationale. Pour les immigrants qui ont dû prêter serment pour devenir citoyen, la question linguistique est souvent reliée à la question identitaire. M. Quell a aussi vécu cette expérience.

Carsten Quell, directeur, Politiques et recherche, Commissariat aux langues officielles : Je suis originaire de l'Allemagne. Le moment où l'on prête serment comme citoyen est important. Je peux parler de deux expériences. Ma femme est d'origine britannique et parle très bien le français. Lors de sa cérémonie, malheureusement, le français était articulé d'une façon presqu'incompréhensible, ce qu'elle trouvait très dommage. Elle disait que cela donne une mauvaise image du pays. Pour ma part, fort heureusement, la cérémonie fut tout le contraire.

Cette cérémonie est un moment clé symbolique pour un immigrant et dont il se souviendra toujours. Lors de ces moments, le Canada peut briller en transmettant certaines valeurs dont celle de la dualité linguistique.

La présidente : Merci beaucoup. Nous passons maintenant au deuxième tour de table. La première question sera posée par la sénatrice Tardif, suivie de la sénatrice Fortin-Duplessis.

La sénatrice Tardif : J'ai quelques questions. J'aimerais toutefois commencer avec une clarification au sujet d'un commentaire de la sénatrice Champagne.

Vous avez fait mention d'une augmentation financière importante par rapport à l'immigration. Vous avez également indiqué que c'était sept fois plus que les feuilles de route précédentes et 16 fois plus que celle de 2003. C'est vrai parce qu'on inclut les 120 millions de dollars consacrés à la formation linguistique des immigrants afin qu'ils puissent apprendre soit l'anglais, soit le français.

Si on retranche cette somme, le montant diminue à 29,5 millions de dollars d'investissement pour l'immigration, ce qui représente environ 500 000 $ de moins que la feuille de route de 2008 à 2013.

Investir dans la formation linguistique est certainement un objectif louable, mais cela répond-il au renforcement des communautés de langue officielle en situation minoritaire? Comme vous l'avez dit, monsieur le commissaire, ce n'est pas du tout le cas.

Ma question concerne les cibles fixées dans le cadre stratégique pour l'immigration. En 2003, la cible de 4,4 p. 100 d'immigrants a été fixée pour les communautés francophones à l'extérieur du Québec. Les gens se disaient qu'à 4,4 p. 100, ils devraient pouvoir recruter 4,4 p. 100 d'immigrants francophones. Cette cible n'a pas été atteinte et en 2009 on a fixé une cible intermédiaire de 1,8 p. 100 pour 2013.

Premièrement, savez-vous si on a atteint cette cible qui avait été fixée en 2009? Est-ce que de nouvelles cibles ont été fixées pour cette feuille de route? Est-ce qu'on devrait consulter les communautés afin de définir de nouvelles cibles dans le cas où elles n'ont pas été fixées? Enfin, il y a aussi toute la question du recensement de 2011 et de savoir comment on en tient compte.

M. Fraser : Je sais que le Manitoba croyait pouvoir atteindre les cibles, mais, avec la fin du Programme de nomination provincial, il y a eu une diminution de l'immigration. Par contre, sur le plan national, je ne sais pas si on a réussi.

M. Quell : On est présentement environ à un peu moins de 2 p. 100. Donc la cible réduite de 1,8 est plus ou moins atteinte. La cible de 4,4 p. 100 a été reportée en 2023. Donc c'est la situation actuelle. À ma connaissance, rien dans la nouvelle feuille de route ne concerne les cibles.

Le plan stratégique pour favoriser l'immigration dans les communautés francophones est venu à échéance le 31 mars de cette année et un éventuel renouvellement de ce plan stratégique devra contenir une cible concrète.

M. Giguère : M. Quell a répondu ce que je voulais répondre, mais c'est vrai. Il est parfois difficile de définir un francophone parce que des fois le français est la troisième langue de cette personne qui arrive au Canada et l'anglais est la quatrième. C'est toujours délicat de mettre des pourcentages et des chiffres précis.

Pour ce qui est des cibles, je crois qu'il serait très important de consulter les organismes porte-parole pour avoir des cibles qui représentent les besoins réels des régions. Cet aspect de la consultation est primordial.

M. Fraser : Jusqu'à ce jour, cette consultation n'a pas eu lieu et certaines organisations communautaires se demandent d'où provient ce chiffre de 1,8 p. 100. Ils ne savent pas comment il a été établi.

C'est donc très important de consulter les communautés parce qu'il faut pouvoir reconnaître les véritables appuis d'accueil lorsqu'il y a une augmentation du nombre d'immigrants et de réfugiés. Il faut que cet appui d'accompagnement soit présent.

La sénatrice Tardif : Croyez-vous que les protocoles d'entente signés entre les provinces et le gouvernement pour la question de d'immigration sont satisfaisants? D'après vous, est-ce qu'ils devraient faire l'objet d'une révision?

M. Fraser : On est en train de faire une vérification des protocoles d'entente dans trois ministères, y inclus Immigration et Citoyenneté Canada. Une première ébauche a été envoyée aux institutions et on attend des réponses. Je ne suis pas en position de commenter le détail de cette vérification qui traite de cette question.

La sénatrice Tardif : Est-ce que vous en feriez rapport, monsieur le commissaire? Est-ce que c'est de l'information que vous pouvez envoyer au comité?

M. Giguère : C'est une vérification horizontale avec trois ministères pour vérifier si ces ministères ont un mécanisme de reddition de comptes, par exemple à savoir s'il y a un suivi des fonds transférés. Évidemment, on n'a pas le pouvoir de suivre les fonds on n'a pas le pouvoir d'aller plus loin dans les provinces pour voir ce qui se passe avec les sommes d'argent. Ce rapport devrait être final en septembre 2013 et vous allez certainement en recevoir une copie.

La sénatrice Tardif : Est-ce qu'il y a des clauses linguistiques incluses dans chaque province qui favorisent l'immigration des francophones, par exemple dans ma province de l'Alberta? Est-ce que lorsque l'Alberta négocie avec le fédéral pour avoir des immigrants, est-ce qu'il y a une clause linguistique qui dit que si vous allez chercher tant d'immigrants, c'est 2 p. 100 d'immigrants francophones que vous devez aller chercher?

M. Gigère : C'était dans le plan stratégique.

M. Quell : Il devait y en avoir une, mais je ne peux pas affirmer que c'est le cas avec chaque protocole d'entente.

La présidente : Je pense que monsieur le commissaire a été assez généreux de son temps. Peut-on vous garder encore 15 minutes supplémentaires?

M. Fraser : Oui, bien sûr.

La sénatrice Tardif : Au sujet de l'enseignement des langues, je sais que la question de l'enseignement postsecondaire est quelque chose qui vous est très chère.

J'ai été déçue ce matin en lisant un article dans le Globe and Mail qui indiquait que, par exemple, à l'Université de Regina, on annulait un programme offert en français parce qu'il y avait des compressions budgétaires, donc l'université ne pouvait pas offrir ces programmes, il n'y avait pas suffisamment d'étudiants et aussi une université en Ontario qui devait réduire le nombre de cours offerts en français. J'oublie le nom de l'université en Ontario.

Je ne sais pas si vous aviez des informations par rapport à cela, mais je sais que c'est quelque chose à laquelle vous êtes attaché, toute la question du continuum pour l'apprentissage d'une langue, que ce ne soit pas uniquement à l'école élémentaire et secondaire, mais aussi au niveau postsecondaire. J'espère que ce n'est pas une tendance qui commence à se faire voir dans une situation de compression budgétaire.

M. Fraser : À l'Université de Regina, je sais qu'un groupe d'étude a examiné de près la situation. J'avoue que pour des raisons bêtement techniques, je n'ai pas pu lire le rapport qu'ils ont rédigé. Je ne peux donc pas commenter le rapport d'étude qui a été préparé.

Comme je l'ai dit dans ma déclaration, une des choses qui ressortaient de notre étude sur les études postsecondaires, c'est que dans le domaine des échanges, il y en avait très peu entre les universités canadiennes.

J'étais assez optimiste concernant le projet-pilote développé par l'École canadienne de la fonction publique qui donnait accès à des outils d'apprentissage à 11 universités. C'était un projet-pilote financé par l'ancienne feuille de route qui, malheureusement, n'a pas été renouvelé dans la feuille de route actuelle. C'était un projet-pilote pour voir si on pouvait faire en sorte que des étudiants universitaires envisageant une carrière au sein de la fonction publique puissent avoir accès à une formation linguistique avec un niveau de bilinguisme établi dès leur entrée dans la fonction publique. J'ai toujours été convaincu qu'il était non seulement plus efficace en termes d'apprentissage, mais aussi moins cher, de former un étudiant que de former un fonctionnaire.

Ce projet-pilote, selon moi, avait beaucoup de potentiel afin de faire en sorte que des gens qui envisageaient de faire des études universitaires dans le but de devenir des fonctionnaires fédéraux pouvaient intégrer la fonction publique avec un niveau de bilinguisme BBB ou CBC. Je ne sais pas pourquoi cela n'a pas été inclus dans la nouvelle feuille de route.

Je crois toutefois que le gouvernement fédéral a le droit et le devoir, à titre d'employeur, d'envoyer un message aux universités disant que les universités ont le devoir d'offrir des occasions d'apprentissage aux étudiants afin qu'ils puissent devenir bilingues. Il faut un effet de cascade et il faut que les universités disent aux étudiants de niveau secondaire que s'ils suivent un cours de français plus difficile, s'ils font leur cours secondaire dans leur langue seconde, il sera reconnu que c'est plus difficile et il y aura une prime lorsqu'ils feront une demande pour devenir étudiant à l'université.

Lors d'une conversation avec une étudiante de niveau secondaire, elle m'a relaté qu'un professeur leur avait dit de ne pas faire l'examen pour des étudiants en immersion, mais plutôt celui de français de base, prétextant qu'ils auraient alors de bien meilleures notes et que c'est tout ce qu'examinent les universités, c'est-à-dire les chiffres. Je ne sais pas si c'est injuste ou pas, il y a de cela quelques années.

Le gouvernement doit utiliser son droit d'employeur pour envoyer un message aux universités et il faut que les universités reconnaissent qu'ils ont le devoir de préparer des étudiants à des emplois où le bilinguisme devient de plus en plus important.

La sénatrice Champagne : Je trouve assez étonnant qu'on en soit encore là, à savoir que le gouvernement fédéral n'exige pas le bilinguisme des gens qu'il engage tout de même à des niveaux assez élevés quand, pour être un gentil organisateur au Club Med, il faut parler quatre langues. Je le sais, ma petite-fille vient d'être engagée pour l'été prochain.

La présidente : J'aimerais poser une question complémentaire à celle de la sénatrice Tardif. Lorsque vous parlez de la cible du gouvernement fédéral par rapport aux immigrants d'expression française à l'extérieur du Québec, vous dites qu'on arrive à atteindre la cible de 2 p. 100. Je suis très préoccupée par cela parce qu'on est encore en train de faire en sorte que la majorité croît plus vite encore que les minorités, n'est-ce pas? On ajoute à l'écart?

M. Fraser : En effet.

La présidente : Merci.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Monsieur le commissaire, que ce soit par l'entremise des programmes de base ou des programmes intensifs, des bains linguistiques ou de l'immersion, différentes approches existent en matière d'enseignement de la langue seconde. Certains parents font baigner leurs enfants immédiatement dans un milieu bilingue en leur parlant les deux langues ou encore même trois langues. D'autres parents préfèrent attendre que l'enfant entre à l'école pour le faire; d'autres attendent plus tard ou préfèrent encore laisser leurs enfants faire un choix. Selon vous, y a-t-il suffisamment de promotion faite auprès des parents canadiens, partout au Canada, pour valoriser l'enseignement de la langue seconde?

M. Fraser : Non. La promotion est un élément très important, mais à part les annonces faites parfois par Canadian Parents for French, il y a eu très peu de promotion de ce genre.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Bon. Cela me déçoit.

La sénatrice Poirier : Nous avons parlé tantôt du Nouveau-Brunswick et aussi de certains changements apportés par l'ancien gouvernement concernant le programme d'immersion dans les écoles.

Tantôt, j'ai posé la question à savoir si, dans la majorité des provinces, l'immersion française commençait en première année. Vous m'avez dit que oui. Je me demandais si vous aviez une opinion concernant les conséquences des changements apportés par le Nouveau-Brunswick, étant donné que nous sommes une province officiellement bilingue?

M. Fraser : Je suis pour une multitude de choix pour les parents. Je trouve cela regrettable qu'un choix ait été éliminé, c'est-à-dire l'immersion précoce. Comme la sénatrice Fortin-Duplessis l'a dit, il y a toutes sortes de façons de faire. Moi, je ne suis pas un produit de l'immersion ni du bilinguisme à la maison. J'ai transformé une langue apprise à la maison en une langue que je pouvais parler par l'entremise d'emplois d'été. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'encourage tellement la création des programmes d'échange ou des programmes d'emplois d'été ou d'autres possibilités d'apprentissage à l'extérieur des salles de classe. Je ne suis pas actuellement en possession de données qui pourraient me permettre d'affirmer les conséquences de ces changements. Sauf que, comme le disait le sénateur McIntyre, il y a eu une diminution du nombre d'étudiants en immersion. Je crois que c'est une question d'arithmétique; si on élimine trois ou quatre heures d'immersion, il y aura moins d'étudiants en immersion qu'auparavant. Ce que cela veut dire à long terme, je ne peux pas vous dire.

La sénatrice Poirier : Il est peut-être trop tôt aussi pour évaluer cela.

M. Fraser : Oui.

La présidente : Puisqu'il n'y a pas d'autres questions, au nom des membres du comité, monsieur le commissaire, j'aimerais vous remercier très sincèrement, ainsi que MM. Giguère et Quell d'avoir été si généreux de votre temps et d'être venus vous présenter ici pour répondre aux nombreuses questions des sénateurs.

Encore une fois, je vous remercie, bon succès et à la prochaine.

M. Fraser : Merci beaucoup. Cela me fait toujours plaisir.

La présidente : Honorables sénateurs, la semaine prochaine, le comité poursuivra son étude des meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde et entendra des représentants de l'Association canadienne des professeurs d'immersion et des représentants de l'Association canadienne des professeurs de langue seconde.

Je vous remercie. La séance est levée.

(La séance est levée.)


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