Aller au contenu
OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule 19 - Témoignages du 6 mai 2013


OTTAWA, le lundi 6 mai 2013

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 17 heures, pour poursuivre son étude des meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde

La sénatrice Maria Chaput (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des langues officielles. Je suis la sénatrice Maria Chaput, du Manitoba, présidente du comité.

Avant de présenter les témoins qui comparaissent aujourd'hui, j'invite les membres du comité à se présenter.

Le sénateur Mockler : Bonjour. Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Poirier : Je vous souhaite la bienvenue. Sénatrice Rose-May Poirier, de la province du Nouveau- Brunswick.

La sénatrice Fortin-Duplessis : J'ai bien hâte de vous entendre. Suzanne Fortin-Duplessis, de la ville de Québec.

Le sénateur Dawson : Sénateur Dennis Dawson de la même ville de Québec. Presque voisins.

La sénatrice Tardif : Bonjour. Claudette Tardif de la province de l'Alberta.

La présidente : Je vous remercie. Le comité poursuit aujourd'hui son étude des meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde dans un contexte de dualité ou de pluralité linguistique et accueille maintenant des représentants de l'Association canadienne des professeurs d'immersion.

C'est avec grand plaisir que nous accueillons M. Philippe Le Dorze, président de l'Association canadienne des professeurs d'immersion, et Mme Chantal Bourbonnais, directrice générale. Je vous souhaite la bienvenue.

Au nom des membres du comité, je vous remercie de prendre le temps de nous présenter votre point de vue dans le cadre de notre étude et de répondre à nos questions. Le comité vous a demandé de faire une présentation d'au plus sept minutes et les sénateurs suivrons avec des questions. La parole est à vous.

Philippe Le Dorze, président, Association canadienne des professeurs d'immersion : Honorables sénateurs, cela nous fait grand plaisir de participer à votre audience cet après-midi. On est très heureux de pouvoir partager avec vous notre perspective sur l'apprentissage du français langue seconde au Canada. Je suis président de l'Association canadienne des professeurs d'immersion et coordonnateur des programmes de langue seconde au conseil scolaire de Pembina Trails, à Winnipeg.

J'aimerais commencer par vous donner quelques faits sur l'immersion française. Que de progrès en 45 ans! En matière d'apprentissage de la langue seconde, environ 350 000 jeunes Canadiens anglophones sont inscrits en immersion française. Il n'y a jamais eu autant de Canadiens capables de s'exprimer en anglais et en français qu'aujourd'hui, avec 5,4 millions de Canadiens qui peuvent parler l'anglais et le français, comparativement à 2,8 millions en 1971. C'est presque le double.

Apprendre une langue seconde contribue même à la santé. Des études récentes ont démontré que le bilinguisme retarde les maladies cognitives telles que l'Alzheimer.

[Traduction]

L'immersion est et restera le programme le plus efficace pour apprendre le français langue seconde. Les élèves atteignent des niveaux élevés de compétences en français et sans que cela n'affecte leur langue maternelle. Il est donc souhaitable de maintenir et d'élargir l'accès à ces programmes, car la demande est croissante dans bien des régions.

[Français]

Malgré la popularité de l'immersion, il reste encore beaucoup à faire pour parler d'accès équitable à ce programme qui a fait ses preuves et qui fait la renommée du Canada partout dans le monde. D'une province ou territoire à l'autre, il existe de grandes différences dans la prestation des programmes d'immersion. Certaines instances limitent le nombre d'inscrits en immersion tandis que d'autres exigent des frais supplémentaires pour le transport. L'accessibilité n'est pas garantie pour tous les Canadiens. L'ACPI croit fermement que chaque enfant devrait avoir accès à un programme d'immersion partout où il se trouve au Canada.

Dans certaines provinces comme en Colombie-Britannique, l'immersion est comme une loterie : seuls les chanceux y accèderont, ce que nous déplorons. Tout parent au Canada qui choisit l'immersion pour ses enfants devrait y avoir accès, qu'il vive en milieu rural ou urbain.

[Traduction]

Beaucoup de conseils scolaires ne fournissent pas le transport scolaire aux élèves qui choisissent l'immersion. Le transport devrait être gratuit et accessible à tous, y compris les élèves provenant d'un milieu rural.

[Français]

Finalement, il faudrait que les provinces et les territoires établissent des politiques d'accès équitables à l'immersion et, à cet effet, le Manitoba est un exemple à suivre. Les allophones tiennent beaucoup à apprendre les deux langues officielles, car ils estiment que c'est un atout important pour accéder au marché du travail. Plusieurs études démontrent que les enfants d'immigrants réussissent très bien en immersion. Selon une étude de Canadian Parents for French, 80 p. 100 des parents allophones n'ont reçu aucune information sur les programmes d'immersion française.

[Traduction]

Dans la prochaine Feuille de route pour la dualité linguistique, il faudrait peut-être définir des cibles et des stratégies pour favoriser l'apprentissage du français langue seconde ou tierce pour les allophones.

[Français]

Et d'ailleurs, il serait intéressant d'y inclure des cibles pour augmenter l'accessibilité aux programmes d'immersion pour tous les Canadiens. L'immersion devrait également être accessible aux élèves présentant des difficultés d'apprentissage. Comme premier réflexe, on a souvent tendance à retirer les enfants présentant des difficultés d'apprentissage des programmes d'immersion. Beaucoup de gens pensent à tort que l'immersion est un programme pour les enfants doués. Or, les recherches ont démontré que les élèves avec des difficultés d'apprentissage ne sont pas plus à risque en immersion que les élèves de même niveau inscrits à un programme anglais. Un point d'entrée en maternelle jumelé à des appuis pour les élèves qui éprouvent de la difficulté assure la plus grande diversité au sein de l'immersion.

Ceci ne veut pas dire qu'il faut se limiter à l'immersion précoce. Il faut aussi encourager les instances à offrir une gamme complète de points d'entrée pour permettre à tous d'avoir accès à l'immersion et avoir des nombres suffisants pour offrir la pleine gamme de cours au secondaire. Chaque parent devrait être renseigné au sujet des programmes d'immersion des points d'entrée de même que des niveaux de maîtrise du français que procure chaque option.

Offrir des programmes riches au secondaire et au postsecondaire pose aussi des défis. Dans certains cas, les élèves délaissent l'immersion au milieu du secondaire pour se préparer à leurs études universitaires, invoquant le manque de cours dans certains domaines, les conflits d'horaire ou juste une certaine lassitude. La poursuite de l'apprentissage du français langue seconde à l'université est donc importante pour le succès des programmes d'immersion au secondaire.

[Traduction]

L'Association canadienne des professeurs d'immersion croit fermement que les universités ont un grand rôle à jouer dans la formation de jeunes bilingues pour aider la fonction publique à recruter les quelque 5 000 employés bilingues par an qu'il lui faudra au cours des prochaines années.

[Français]

Les enseignants en immersion sont fiers de participer à la dualité linguistique du Canada. Toujours soucieux d'améliorer la qualité de l'éducation, ils sont préoccupés par la pénurie d'enseignants bilingues. Comme les enseignants d'immersion travaillent pour des conseils anglophones, l'offre de perfectionnement professionnel en français et s'adressant aux enseignants d'immersion n'est pas aussi commune que souhaité. Il existe plusieurs pistes possibles pour aider les enseignants à se perfectionner dont celle d'appuyer les organismes tels que l'ACPI qui en font une spécialité.

J'aimerais rapidement parler du fait qu'au Canada, il n'existe aucun instrument national pour l'évaluation des compétences en langue seconde qui soit utilisé par toutes les instances. Cela est problématique et en créer un aiderait énormément à faire avancer le bilinguisme chez nos populations de langue anglaise.

Finalement, l'éducation de jeunes Canadiens et Canadiennes en immersion française est garante d'un avenir bilingue pour notre pays où la valorisation du français et de l'anglais valorise aussi les autres langues parlées du Canada. Nous pensons que le gouvernement fédéral a un rôle critique et important à jouer dans cette promotion et nous avons, à la fin du document, préparé quelques recommandations à cet effet : faire connaître le succès de l'immersion au pays; fixer des cibles d'accès pour l'immersion; encourager et faciliter la création d'un outil national d'évaluation des compétences en langue seconde reconnu et utilisé par l'ensemble des provinces, du gouvernement, de l'entreprise privée, des universités; encourager les universités à créer des programmes bilingues dans d'autres facultés.

Cela tiendrait compte de tous ces jeunes bilingues qui sortent des écoles secondaires. Quand ils arrivent à l'université, il n'y a rien pour les encourager à choisir des options où ils pourraient continuer à apprendre la langue seconde; financer les organismes qui offrent du perfectionnement professionnel aux enseignants de langue; financer de la recherche sur l'acquisition des langues et plus spécifiquement l'enfance en difficulté et la bilittéracie; favoriser les échanges linguistiques et culturels entre les élèves et les enseignants et renforcer l'imputabilité pour les fonds versés aux provinces et territoires pour l'apprentissage de la langue seconde.

Je pense que j'ai réussi à tout dire en sept minutes et je vais me mettre à respirer maintenant.

La présidente : Je vous remercie. De toute façon, nous avons aussi votre présentation que l'on pourra relire à notre gré. Vous n'avez rien à ajouter, madame?

Chantal Bourbonnais, directrice générale, Association canadienne des professeurs d'immersion : Non, c'est beau.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Avez-vous constaté si certaines des provinces canadiennes sont plus performantes que d'autres au niveau de l'enseignement d'une langue seconde, que ce soit par immersion ou autre?

M. Le Dorze : À quel niveau?

La sénatrice Fortin-Duplessis : Dans le sens du résultat au bout de la ligne, par exemple, des statistiques qui pourraient révéler le taux de réussite dans chaque province.

M. Le Dorze : Je pense que le Manitoba réussit bien du fait qu'il y a des écoles secondaires qui sont des centres d'immersion. Typiquement, un peu partout au pays, au niveau secondaire, il y a des écoles à deux voies, et l'immersion française y occupe une toute petite place. Alors qu'au Manitoba, il y a quand même quelques écoles secondaires qui sont entièrement des écoles d'immersion. Cela contribue certainement à un meilleur succès et aussi à maintenir les jeunes en immersion, ce qui est une bonne chose. Cela rend le programme certainement moins élitiste, parce que cela maintient tous les étudiants dans le programme, ce qui est très positif.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Je suis préoccupée aussi surtout par ce qui se passe au Québec. Le gouvernement précédent avait mentionné que l'apprentissage de l'anglais pour les jeunes francophones commencerait en deuxième année. Le nouveau gouvernement n'est pas tout à fait d'accord avec cela. J'aimerais savoir quel est l'âge idéal pour commencer à apprendre une langue seconde.

Les premières expériences en immersion se sont faites ici, au Canada. Le Canada est un très bel exemple, mais il n'est pas le seul à avoir adopté des politiques favorisant la promotion de la langue et l'apprentissage d'une langue seconde. En Europe, de nombreux pays se montrent ouverts à la diversité linguistique et deviennent des terres d'accueil pour les nouveaux arrivants. Ils ont mis en place des systèmes d'éducation pour promouvoir l'apprentissage d'autres langues.

Êtes-vous au courant si, en Europe, des pays performent mieux que d'autres dans l'apprentissage d'une langue seconde?

M. Le Dorze : Je vais commencer par la dernière question. C'est clair que les pays nordiques tels la Suède et la Finlande réussissent très bien dans l'enseignement des langues secondes. Je pense que le contexte de l'Europe est certainement plus favorable à l'apprentissage des langues en général du fait qu'il y en a plusieurs et pas que deux. Donc, ils ont adopté le cadre européen des compétences en langue seconde afin d'être sur un pied d'égalité quand cela vient le temps de décrire l'apprentissage des langues secondes. Le fait que cet outil existe permet de parler de l'apprentissage des langues là-bas. On en a fait l'étude au Canada et je suis certain que mon collègue, M. Leclair, va en parler tout à l'heure. On en a fait l'étude au Canada et l'adoption d'un tel cadre pour décrire les performances en langue seconde serait un outil avantageux dans notre pays aussi.

En Suède et en Finlande, pays que j'ai eu le plaisir de visiter, les émissions de télévision américaines sont sous-titrées en finlandais ou en suédois. Les jeunes enfants qui regardent la télé font en même temps de la lecture. Selon l'endroit où ils apprennent l'anglais, ils ont soit un accent britannique, car souvent les enseignants ont appris l'anglais en Angleterre, ou un accent américain lorsqu'ils regardent la télévision.

On aurait raison au Canada d'encourager les gens à utiliser les sous-titres en regardant la télévision. Une directrice d'école m'expliquait qu'un de ses apprenants lui disait : « Madame, je sais que je dois m'exercer davantage à lire, donc je vais regarder la télévision davantage. » C'est ainsi qu'ils apprennent l'anglais et ils font de la lecture en regardant la télé.

Vous aviez une question au sujet de la situation au Québec, à savoir quel est le meilleur âge pour commencer l'apprentissage d'une langue seconde. Le plus tôt serait le mieux. Le meilleur moment serait dès qu'ils commencent l'école. Les enfants sont équipés pour apprendre les langues naturellement dès un jeune âge. On devrait commencer le plus tôt possible si notre objectif est de rendre les gens bilingues.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Et vous, dans votre association, vous faites la promotion de l'immersion.

M. Le Dorze : Oui.

La sénatrice Fortin-Duplessis : C'est peut-être plus difficile pour les jeunes d'apprendre une langue seconde? Enseigner à des tout-petits de cinq ou six ans peut être bon aussi, mais comment faire pour l'immersion? Dans mon esprit, l'immersion, c'est un groupe de jeunes qui vont dans une autre province où ils restent trois semaines. C'est ainsi qu'on voit l'immersion au Québec.

M. Le Dorze : C'est un peu cela à l'école. Ils viennent à l'école et un professeur qui représente le Québec et la France et Saint-Boniface parle en français. Les élèves sont immergés dans cet espace en français. C'est clair que quand ils rentrent à la maison, c'est autre chose, mais à l'école, ils sont dans un milieu où on s'exerce à parler français et apprendre la langue.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Est-ce qu'ils le parlent jusque dans les cours de récréation?

M. Le Dorze : Idéalement, on voudrait qu'ils le parlent tout le temps, mais la réalité nous dit que quand ils jouent à la récréation, ils jouent en anglais, dans leur langue maternelle. Au fur et à mesure qu'ils apprennent, on sait qu'ils sont de plus en plus en mesure de jouer en français.

La sénatrice Tardif : C'est avec plaisir que nous vous recevons à notre comité. Je suis d'accord avec vous qu'il y a eu beaucoup de progrès dans la mise sur pied de programmes d'immersion depuis 1968, alors que le premier programme a été offert, à Saint-Lambert, au Québec. Depuis ce temps, on a vu une augmentation des inscriptions dans toutes les provinces du Canada et même dans l'Ouest canadien, en Alberta, ma province. Cependant, vous avez indiqué que le pourcentage — peut-être que vous ne l'avez pas indiqué, mais je constate quand même que le pourcentage ne dépasse jamais plus de 20 p. 100. Dans la majorité des provinces, le pourcentage est à peu près de 10 p. 100 et peut-être moins que 10 p. 100, 5 ou 6 p. 100 de jeunes et leurs parents, parce que c'est souvent les parents qui prennent la décision d'inscrire leurs enfants. Pourquoi est-ce qu'on ne peut pas dépasser ce seuil de parents et d'enfants qui sont désireux de devenir bilingues?

M. Le Dorze : Je pense qu'une des difficultés que l'immersion rencontre, en particulier dans l'Ouest, c'est le nombre d'enseignants capables d'enseigner en langue seconde.

On sait que chez nous, par exemple, il n'y a pas tout à fait assez d'enseignants pour fournir à la demande. Une collègue m'expliquait que pour un poste affiché en immersion française elle recevra six candidatures. Le poste équivalent dans une école anglaise en recevra de 50 à 75. Des six candidatures obtenues pour l'immersion, trois ne parlent pas français. Alors il n'y a pas beaucoup de choix quand vient la possibilité de faire croître l'offre.

On aurait donc raison de faire valoir auprès de nos jeunes en immersion qu'il y a des possibilités pour eux de devenir enseignant de français en immersion, s'ils en font le choix de carrière. C'est un des éléments qu'on doit nourrir.

On doit aussi faire savoir à tous nos parents allophones qui arrivent au Canada qu'il est possible de faire instruire leurs enfants en immersion. Comme on le sait, l'immersion a été créée pour donner suite à des demandes de parents. Les divisions scolaires ne se sont pas offertes pour créer l'immersion, ce sont les parents qui ont défoncé les portes. Ce mécanisme est probablement resté en place. Les divisions scolaires ne font pas une offre active de leurs programmes d'immersion. Ils vont souvent contingenter les inscriptions. Il pourrait y avoir davantage de parents qui voudraient choisir l'immersion, mais ils ne sont pas inscrits, ils sont donc sur la liste d'attente et ils finissent par ne pas y avoir accès.

C'est problématique et c'est évidemment plus facile pour les divisions scolaires de ne pas créer de nouvelles classes d'immersion française. Alors je pense qu'il y a une partie de cela qui nuit à l'évolution de l'immersion dans certaines régions du pays.

Mme Bourbonnais : Pour compléter, j'ajouterais que certains parents qui ont des enfants avec des problèmes d'apprentissage hésitent à les mettre en immersion. Les recherches prouvent au contraire que l'enfant qui a des problèmes en immersion en aura tout autant en anglais. Et dans le fond, on lui donne un avantage s'il poursuit en immersion, parce qu'il aura au moins la connaissance d'une deuxième langue.

La sénatrice Tardif : Vous avez raison de dire que ce sont les parents qui ont toujours pris l'initiative d'exiger les programmes d'immersion pour leurs enfants. Mais c'est un petit nombre de parents, et les gens considéraient souvent l'immersion comme pour l'élite, pour un groupe sociodémographique assez avantagé.

Je voudrais revenir sur la question de la formation des enseignants. Combien d'universités offrent présentement, selon vous, des programmes de formation en pédagogie en immersion? Quel succès obtenez-vous auprès des universités afin qu'un plus grand nombre d'universités offre de tels programmes de formation ou encore des cours pour les étudiants finissants en immersion?

M. Le Dorze : D'après moi, il y en a plusieurs. Il y en a probablement dans chacune des provinces. Il y a la faculté Saint-Jean, en Alberta; il y a Simon Fraser, il y a UBC aussi dans différents campus; il y a Kelowna, à Vancouver; il y a l'Université de Saint-Boniface, évidemment; il y a Regina; il y a Western University. Il y en a beaucoup. Est-ce qu'il y en a assez? Je ne sais pas. Je sais que dans le cas de l'Université de Saint-Boniface, ils n'ont pas tellement d'inscriptions. Il pourrait y en avoir plus pour permettre aux écoles du Manitoba d'avoir davantage de finissants avec lesquels ils pourraient combler les postes.

En Ontario, je pense que la situation est stable mais elle varie d'une région à l'autre. Qu'est-ce qu'il faudrait faire pour augmenter le nombre d'étudiants qui choisissent la profession d'enseignant? Il faut certainement valoriser la profession. Dernièrement, si on écoute les nouvelles, on s'aperçoit que ça va plutôt mal de ce côté. On est de plus en plus exigeant envers les enseignants un peu partout au pays, sauf peut-être au Manitoba.

Le fait de s'apercevoir que la profession n'est pas valorisée par les gouvernements en place n'encourage pas, n'ennoblit pas la profession.

Mme Bourbonnais : Il faut appuyer ces enseignants aussi. Ils sont dans des conseils scolaires anglophones, donc les journées sur la pédagogie du français langue seconde n'est pas nécessairement monnaie courante. On parle d'associations nationales comme l'ACPI ou l'AQEFLS, où on peut donner de la formation à ces enseignants qui sont souvent seuls dans leur école, avec un directeur qui ne parle pas français. La ressource pédagogique n'est pas toujours disponible.

Il est donc essentiel d'appuyer ces enseignants afin qu'ils puissent poursuivre et ne pas abandonner après trois ans faute d'appui et parce qu'ils se sentent seuls dans leur coin.

Le sénateur Dawson : Je suis un peu étonné. En fait, je suis très satisfait des chiffres que vous avancez quant à la croissance du bilinguisme, mais je pense qu'il y a un rapport de Statistique Canada, qui devrait sortir cette semaine, et on pourra alors voir si la tendance se maintient ou si la situation a changé.

Si on subdivise ces chiffres, est-ce que vous savez un peu dans quel coin du Canada c'est un succès et à quel endroit on ne retrouve pas le même niveau de participation?

Vous parlez de croissance assez considérable de 1971 à aujourd'hui. Est-ce que cette croissance se voit à certains endroits en particulier? On entend régulièrement parler de la Colombie-Britannique comme étant une histoire à succès en immersion. Mais est-ce qu'il y a d'autres provinces qui sont soit à la baisse ou qui n'ont pas fait le même effort?

M. Le Dorze : En termes de pourcentage, le Manitoba va chercher à peu près 11 p. 100 des jeunes à l'école qui sont en immersion. C'est en croissance. Ça dépasse les 21 000 inscrits. Alors que la population totale des étudiants au Manitoba diminuait, l'immersion était en train de continuer à s'accroître de 0,5 p. 100 à 1 p. 100 par année pour en arriver à dépasser les 20 000 il y a deux ans.

On voit que c'est en croissance. On ne va pas aller de 11 à 20 p. 100 d'une année à l'autre. On est plus à l'époque de parents revendicateurs. Les systèmes scolaires offrent ce qu'ils offrent et les parents s'en contentent.

Au Manitoba, il n'y a pas de limite sur les inscriptions. Alors ça augmente tranquillement et ça fait son petit bonhomme de chemin. En ce qui concerne l'Ouest canadien, je pense que madame la sénatrice serait en meilleure position pour parler du pourcentage d'immersion en Alberta, par exemple.

La sénatrice Tardif : On parle de 5 p. 100.

M. Le Dorze : Alors ce n'est pas énorme. En Colombie-Britannique, en termes de pourcentage, je ne pense pas que ça atteigne 10 p. 100 non plus. Les nombres sont importants, mais en pourcentage, ils ne sont pas si importants que ça.

Le sénateur Dawson : Ils n'ont pas un plus grand succès qu'au Manitoba?

M. Le Dorze : Il y a plus de gens en immersion parce que la province est quatre fois plus grosse.

Le sénateur Dawson : Il y a plus de monde.

M. Le Dorze : En termes de pourcentage, je crois que ça serait un peu moins de 10 p. 100.

Le sénateur Dawson : J'ai vu, dans certains des documents, la notion d'évaluation comparative entre la notion d'immersion au Québec versus la notion d'immersion en Alberta versus la Colombie-Britannique. Est-ce qu'il y a des normes nationales? Lorsque les ministres de l'Éducation provinciaux se rencontrent, est-ce qu'ils discutent de ce sujet?

Mme Bourbonnais : En ce moment, il n'y a pas d'outil national d'évaluation. Alors chaque province a sa façon d'évaluer les jeunes qui sortent du secondaire.

Il n'y a pas de normes nationales et nous croyons que ce serait quelque chose d'important, tout comme celles existant en Europe, avec le cadre européen. Il y a un cadre avec des niveaux, puis quand on dit que quelqu'un est B2, que ce soit en allemand, en espagnol, en français ou dans une autre langue, on sait que cette personne est fonctionnelle dans cette langue.

Au Canada, il y a une multitude de tests. Le niveau de bilinguisme de Terre-Neuve-et-Labrador équivaut-il à celui du Québec ou celui de la Colombie-Britannique? On ne le sait pas. Est-ce un niveau de bilinguisme permettant de travailler chez Tim Horton ou bien à la fonction publique? On a de la difficulté en ce moment à le dire, car il n'y a pas de normes nationales.

Cela a été discuté au conseil des ministres où a été présenté un cadre en vue de l'adoption d'un cadre commun, mais il n'y a pas eu de consensus à ce sujet. Certaines provinces s'en inspirent, par exemple la Colombie-Britannique, l'Ontario, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve-et-Labrador. Ils s'en inspirent et ils commencent à parler des mêmes niveaux de cadres.

Il y a aussi un test qui existe qui s'appelle le DELF. C'est un diplôme d'études de langue française, fait par la France et qui est calibré de pair avec ce cadre, donc avec les six niveaux du cadre et ce test devient de plus en plus populaire au Canada. Son niveau de popularité est exponentiel d'une année à l'autre. Il y a maintenant environ 6 000 jeunes qui passent le test DELF, lequel leur attribue un niveau selon le cadre. Les jeunes peuvent alors se situer par rapport aux autres et cela leur donne une idée de leur niveau de bilinguisme. Il serait donc souhaitable d'avoir cela.

M. Le Dorze : Concernant l'immersion française, étant donné que c'est une responsabilité provinciale, l'immersion française se montre sous différents visages dans différentes instances. Il n'y a pas de normes nationales sur ce que devrait être un programme d'immersion française. Il y a des points d'entrées en maternelle dans certaines provinces, d'autres c'est en première année, d'autres en troisième année. Il y en a qui ont de l'enseignement en français à 100 p. 100 les premières années, d'autres à 75 p. 100, et d'autres à 50 p. 100. Cela varie énormément d'une instance à l'autre; lorsqu'on parle d'immersion française, on pense à une chose dans notre tête, mais elle montre plusieurs visages, dépendant de l'endroit où l'on se situe. L'immersion française parle de stratégies et de philosophie d'enseignement, mais elle est mise en œuvre de façon très variée partout au pays.

Le sénateur Dawson : Merci, madame la présidente.

La présidente : J'ai une question complémentaire suivant celles du sénateur Dawson. Vous tout à l'heure avez mentionné l'appui non existant — si je puis dire — aux enseignants dans les écoles d'immersion. S'il y a des journées quelconques où les enseignants se rencontrent, c'est très rare qu'ils le fassent en français, car ils font tout de même partie d'une division anglophone. En termes d'appui aux parents, ceux qui ont choisi que leur enfant apprenne l'autre langue officielle du Canada, je présume qu'il n'y a pas tellement d'appuis pour ces parents non plus? Y a-t-il des journées où les parents peuvent se rencontrer et discuter des difficultés? Y a-t-il quelque chose?

M. Le Dorze : Il y a des organismes tel l'organisme Canadian Parents for French qui travailleront pour répondre aux besoins des parents, mais en termes de parents qui ont des enfants à l'école, la communication avec eux ne se fera qu'en anglais étant donné que, pour la plupart, ils ne parlent pas français. Lorsque nous arrivons à la saison des inscriptions à la maternelle, il y aura des soirées d'information dans les écoles qui offrent le programme d'immersion française pour faire valoir leur école. Mais de là à permettre aux parents de se rencontrer pour discuter de l'immersion française, je ne pense pas que cela se fasse beaucoup.

Peut-être qu'au niveau des écoles il y aura des comités de parents qui s'occuperont de certains dossiers. Dans ce cas, ils parleront certainement de l'école, mais pas uniquement de l'immersion ou de l'apprentissage de la langue française.

La présidente : L'organisme Canadian Parents for French, comme on le sait tous, est aussi limitée en termes de financement. Ils font ce qu'ils peuvent, mais avec très peu.

M. Le Dorze : Oui.

Le sénateur Mockler : Merci beaucoup, madame la présidente. Vous méritez des félicitations pour votre énoncé. J'ai une question concernant la page 5 de votre document. J'aimerais avoir vos commentaires sur les changements et ce qu'on devrait réviser. Vous dites qu'au Nouveau-Brunswick, par exemple, on a éliminé l'immersion précoce malgré toutes les études qui démontrent que l'immersion n'a aucun effet négatif sur les habiletés en anglais; pourriez-vous expliquer davantage ce commentaire?

M. Le Dorze : Comme vous le savez, au Nouveau-Brunswick, l'immersion a été offerte en première année. Sous un gouvernement précédent, ils ont fait des études et ils ont décidé de changer le point d'entrée. Ce qui s'est passé au Nouveau-Brunswick, c'est que le système était fait de façon à ce que le programme d'immersion française englobait, au final, tous les jeunes capables de réussir. Les jeunes incapables de réussir étaient systématiquement renvoyés vers le volet anglophone. Ce qui s'est passé au Nouveau-Brunswick, c'est qu'on avait un système à deux vitesses : le système de l'immersion française pour tous ceux qui étaient capables et le système anglais pour les autres. Le gouvernement a décidé de résoudre ce problème. Malheureusement, la façon dont il a choisi de le faire ne réglera pas le problème, au contraire. Les parents qui choisiront l'immersion pour leurs jeunes en troisième année, ce ne seront certainement pas ceux qui penseront que leurs jeunes ont des difficultés à l'école. Alors dès le départ, cela va favoriser les jeunes qui sont capables au détriment d'une population tout à fait normale et qui devrait être représentée en immersion. Je pense que c'est ce qui s'est passé au Nouveau-Brunswick.

Quand on a un programme d'immersion française qui commence très tôt, on a beaucoup plus de chance d'avoir des jeunes de toutes les habiletés dans le programme et cela est souhaitable. Il ne faut pas que l'immersion soit un programme élitiste, car cela va à l'encontre de nos valeurs en éducation. Il faut que l'immersion soit accessible à tous nos apprenants. Et elle peut l'être lorsqu'on donne du soutien aux apprenants pour qu'ils réussissent en immersion. Les études montrent que ces jeunes vont réussir aussi bien en immersion que s'ils étaient dans un programme anglais. Ce fait n'est pas connu par tout le monde. On aurait raison de le faire savoir et d'encourager les parents à garder leur jeune en immersion, car cela finirait par être bénéfique pour leurs jeunes enfants.

Le sénateur Mockler : J'aimerais poser une question complémentaire. Que recommanderiez-vous au Nouveau- Brunswick selon votre expérience?

M. Le Dorze : Ce serait bien que le point d'entrée en immersion soit le plus tôt possible pour tout le monde.

Le sénateur Mockler : D'accord.

On prend connaissance de plusieurs documents depuis longtemps et j'aimerais me pencher sur des critères qui devraient valoriser davantage le bilinguisme : le Canada, le bilinguisme et le commerce.

Je crois qu'on ne met pas assez d'emphase là-dessus, selon mes dernières lectures en préparation de ce comité. Vous parlez du rôle du gouvernement fédéral en particulier — moi, j'oserais dire « des gouvernements » — dans l'appui de l'enseignement et de l'apprentissage de la langue seconde. Vous mentionnez également des énoncés sur ce qu'on devrait faire.

Je remarque d'ailleurs que, parmi vos neuf énoncés, pas un seul énoncé ne touche spécifiquement au fait d'accorder de la valeur au bilinguisme au Canada; on devrait pourtant mettre davantage l'accent sur cela.

Je sais qu'une étude sera publiée prochainement. Je vais citer un extrait de cette étude, mais je vais vous poser la question d'abord : de quelle manière devrait-on s'y prendre pour informer la population canadienne des avantages à être bilingue?

Je cite :

Les résultats montrent que la langue joue un rôle central dans les relations commerciales. En 2011, les exportations du Québec et du Nouveau-Brunswick et des pays francophones ont été deux fois ce qu'on aurait pu supposer compte tenu de leur part des exportations canadiennes globales.

Je crois que le gouvernement a un rôle à jouer pour faire connaître les avantages du bilinguisme. La fin de semaine dernière, j'ai discuté avec différentes personnes qui ont appris une autre langue. Ils m'ont tous dit qu'ils avaient appris une langue seconde pour faire du commerce, pour transiger et pour avoir de meilleurs salaires. Les langues sont un instrument de travail pour accélérer le commerce.

Vous êtes-vous penchés sur cette question?

M. Le Dorze : Statistique Canada a fait des études qui démontrent clairement que les Canadiens bilingues ont des revenus supérieurs aux Canadiens unilingues, qu'ils soient francophones ou anglophones. Monsieur Jim Shea, du Regroupement Québec Network, dit que les anglophones unilingues au Québec ont des revenus inférieurs aux anglophones bilingues.

Souvent, les jeunes Canadiens qui apprennent une troisième langue — soit le mandarin, le japonais, le coréen ou l'espagnol — sont des jeunes qui ont déjà appris l'autre langue officielle du pays. Souvent, les jeunes en immersion sont ceux qui apprennent cette troisième langue.

Pour répondre à votre premier commentaire, notre première recommandation dit bien de valoriser et promouvoir les langues officielles et l'apprentissage de ces langues. C'est notre campagne de publicité. On est tout à fait conscients que c'est important pour tous les gens et le gouvernement fédéral en particulier de s'afficher bilingue et d'en être fier et de le faire savoir. Cela encourage tous les jeunes apprenants et encourage les commissions scolaires à offrir des programmes qui vont en ce sens.

En ce qui concerne le commerce, les facultés universitaires aux études commerciales auraient avantage à incorporer des composantes interculturelles et langagières pour développer la capacité de leurs apprenants à communiquer avec d'autres cultures dans leur langue. Nous appuyons cela à 100 p. 100. C'est bon pour le commerce. C'est bon pour le Canada.

Mme Bourbonnais : La valorisation et la promotion sont notre première recommandation. C'est ce qu'on sous- entendait par cet énoncé, de faire la valorisation de tous les avantages à être bilingue, que ce soit pour voyager ou faire du commerce. C'était dans le premier énoncé de promotion et de valorisation.

Le sénateur Mockler : Donc, on s'entend.

Mme Bourbonnais : Ah, oui!

Le sénateur Mockler : J'aimerais faire un commentaire. Vous devriez peut-être insérer dans vos recommandations ce que cela veut dire d'être bilingue ou trilingue pour le Canada. Les preuves sont tangibles et démontrent que les gens bilingues gagnent mieux leur vie.

La sénatrice Poirier : Je vous remercie d'être parmi nous, ce soir, pour partager vos idées. J'ai essayé de retracer un article de journal de chez nous de ce matin, mais sans succès. Je vais donc vous le résumer. Cet article a été écrit par un professeur de l'Université de Moncton, qui a fait une étude sur la manière dont l'enseignement en immersion française se fait dans les écoles et de quelle façon les méthodes d'enseignement pourraient être améliorées afin d'attirer plus de clientèle. L'article était vraiment intéressant. Elle proposait de changer les méthodes d'enseignement. Elle a demandé à des élèves de Winnipeg ce qu'ils pensaient de leur cours de français et la plupart ont répondu qu'ils préféraient leurs cours en anglais plutôt que ceux en français. Elle leur a demandé pourquoi et voici ce qu'ils ont répondu :

[Traduction]

Les cours en anglais sont plus amusants. On fait davantage de choses. On en apprend davantage. On échange.

[Français]

En français, tout ce qu'on apprend, c'est des verbes.

L'avenir, c'est d'encourager les gens à apprendre une deuxième langue via les écoles en immersion française. Il serait peut-être temps que les professeurs du Canada changent leurs méthodes d'enseignement afin d'attirer les jeunes.

Que pensez-vous de ces idées?

M. Le Dorze : Au niveau de la pédagogie, il faut vraiment intéresser les jeunes, peu importe la langue qu'on utilise pour enseigner. L'une des grandes caractéristiques en immersion française, c'est la place de l'oral dans l'enseignement. Étant donné que c'est une langue seconde, il faut qu'il y ait une composante orale et qu'on ait l'occasion de se parler. Certainement, il faut permettre aux jeunes de s'exprimer et de pratiquer la langue. Apprendre des verbes, on faisait cela à l'époque de nos grands-parents. Ils pouvaient souvent lire le français, mais ne l'ont jamais parlé. L'immersion propose un autre modèle, une approche communicative et l'oral fait partie de cela.

Souvent, au secondaire, les professeurs sont tiraillés, car ils se voient comme des professeurs de contenu. Je suis un prof de chimie, je suis un prof de mathématique, j'enseigne l'histoire du Canada. Ils négligent, dans leur rôle d'enseignant en immersion, de dire : je suis aussi enseignant de langue. Le prof en immersion est aussi enseignant de langue tout le temps. Dans nos ateliers, on le rappelle souvent, on cherche toujours des experts qui font les deux, qui se savent enseignant des langues en même temps que de physique ou de chimie. C'est un défi, évidemment.

La sénatrice Poirier : Y a-t-il des provinces qui, dans leur cours, sont beaucoup plus avancés? Un de nos témoins a dit qu'il avait appris une langue seconde lors d'un échange étudiant estival. C'est plus intéressant que de s'asseoir dans une classe.

Y a-t-il des provinces où les élèves sont beaucoup plus avancés parce qu'ils font des échanges au lieu de juste apprendre la langue en classe une heure par jour?

M. Le Dorze : On sait que les expériences culturelles font souvent comprendre aux jeunes pourquoi ils sont en train d'apprendre la langue seconde, que ce soit par des échanges étudiants ou des visites du Parlement, à Ottawa, en français.

J'ai déjà eu une étudiante inscrite comme professeur de langue à l'Université de Saint-Boniface et qui m'a dit que c'est lors d'un voyage d'échange à Ottawa qu'elle a compris la valeur de maîtriser une autre langue. C'est clair que nos programmes éducatifs qui donnent l'occasion aux jeunes de visiter des endroits où on parle et on vit en français, cela les allume et leur fait comprendre qu'apprendre la langue seconde, ce n'est pas juste académique. C'est évident que les expériences culturelles font comprendre beaucoup de choses à nos apprenants.

La sénatrice Poirier : Le Canadian Parents for French cite de nombreuses études qui affirment que les enseignants et les directeurs d'école conseillent aux parents de ne pas inscrire leurs enfants en immersion française. Êtes-vous d'accord avec cette affirmation?

M. Le Dorze : Il y a probablement une grande part de vérité qui fait que dans certaines instances, c'est plus facile à gérer s'il y a moins de gens en immersion. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils mettent des limites. Pour une classe de 25 élèves, les 25 premiers arrivés auront accès à l'immersion française, mais s'il y en avait 35, ce serait plus compliqué pour la direction d'école qui devrait faire une classe et demie.

Mme Bourbonnais : Ça ne devrait pas avoir lieu.

La sénatrice Poirier : Ce sont les provinces qui contrôlent le nombre d'élèves que le système scolaire doit accepter?

Mme Bourbonnais : Cela dépend des provinces; ce sont parfois les conseils scolaires qui mettront des quotas.

M. Le Dorze : Il y a des préjugés contre l'immersion. Par exemple, si un nouvel arrivant ne parlant pas anglais s'installe à Winnipeg, le réflexe de tous sera de dire que cette personne doit apprendre l'anglais. Mais souvent, les nouveaux arrivants voudraient apprendre les deux langues, et ils ne savent pas qu'ils ont accès à un programme d'immersion française. Et quelques années plus tard, ils se rendent compte qu'ils auraient pu mettre leur enfant en immersion française.

Dans ma division scolaire, lorsqu'on fait des concours d'art oratoire, ce sont les nouveaux arrivants qui participent. Ils parlent déjà une autre langue. Ils parlent leur langue maternelle lorsqu'ils arrivent au Canada, ils apprendront l'anglais, le français. Cela se fait naturellement pour eux.

Souvent, nos collègues unilingues anglais ne comprennent pas que l'apprentissage du français est une valeur ajoutée. Ils ne comprennent pas toujours que ces jeunes pourraient très bien réussir en immersion.

La sénatrice Poirier : Merci.

La sénatrice Tardif : Croyez-vous qu'une des raisons pour lesquelles les conseils scolaires, les directeurs et peut-être certains enseignants ne conseillent pas aux parents d'inscrire leurs enfants dans les programmes d'immersion, c'est que ces enseignants et directeurs font partie de la communauté anglophone? Parce que souvent, c'est un programme d'immersion à l'intérieur d'une école mixte, où il y a le programme d'immersion et le programme régulier. C'est donc un système à deux voies. Et à ce moment-là, le directeur d'école n'a pas le réflexe et c'est à ce moment-là que le problème se pose. Alors souvent, on conseille de mettre les enfants dans le programme régulier anglophone.

Seriez-vous d'accord pour dire que c'est un peu le problème? Il n'y a pas de masse critique. Et souvent, les conseils scolaires n'aiment pas qu'il y ait des centres consacrés uniquement à l'immersion française. Ils préfèrent les écoles à deux voies que celles où il n'y a qu'un programme d'immersion.

M. Le Dorze : Il y a aussi la problématique qu'il y a des points d'entrées pour l'immersion. Alors on commence l'immersion à la maternelle; dans certaines instances, comme au Nouveau-Brunswick, il y aura la troisième année et peut-être ensuite, la sixième ou la septième année.

S'il y a des multiples de points d'entrée, on peut récupérer les nouveaux arrivants. Quand ils arrivent avec un jeune de huit, neuf ou 10 ans, on met ce dernier dans la classe appropriée, mais en immersion, typiquement la pratique change un peu, mais on est moins ouvert à placer quelqu'un qui ne parle pas français dans la classe d'immersion en troisième année.

Chez nous, on fait des exceptions, mais la politique n'est pas claire que ce soit permis, toutes les instances scolaires gèrent cela un peu au cas par cas. Cela pourrait être problématique pour l'immersion, mais philosophiquement, s'ils ne parlent pas anglais, on les place en anglais. En immersion, on est des professeurs de langue, il me semble que s'il y a une place où les accueillir, c'est bien dans un endroit où il y a des professeurs de langue. La profession a besoin de gérer cela.

Le sénateur McIntyre : Je remarque que vos associations ont été fondées dans les années 1970 : en 1976 dans le cas des professeurs d'immersion, et en 1970 dans le cas des professeurs de langues secondes. On note que depuis de nombreuses années, vous avez fait un bon bout de chemin. Alors chapeau pour le beau travail que font vos associations.

En vertu de l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, l'enseignement dans la langue de la minorité jouit d'une protection constitutionnelle alors que l'enseignement des langues secondes n'est pas protégé par un tel statut.

Je comprends que le gouvernement du Canada, en vertu d'autres pouvoirs qui lui sont conférés par la Constitution, peut néanmoins appuyer l'apprentissage des langues avec du financement complémentaire. Selon vous, est-ce que le fait que l'apprentissage de la langue seconde ne jouit pas d'une protection constitutionnelle soulève un problème pour les enseignants de vos associations?

M. Le Dorze : Je répondrai de deux manières. On est conscient du fait que l'on n'est pas protégé, que ce n'est pas un droit, mais que si cela l'était, cela faciliterait la tâche de plusieurs façons. On réussit à fonctionner. Les enseignants font leur métier dans le cadre juridique qui existe. Ils ne se préoccupent pas outre mesure de ce qui pourrait être. Mais c'est clair que si on pouvait avoir cette reconnaissance ou si elle existait, cela aiderait à régler bien des problèmes et on verrait sans doute une augmentation intéressante des gens qui choisiraient l'immersion française et le bilinguisme pour leurs enfants.

Le sénateur McIntyre : Nous savons qu'il existe différentes approches en matière d'enseignement de la langue seconde, telles que les programmes de base, les programmes intensifs, les bains linguistiques et l'immersion. Je comprends que les programmes d'immersion sont non seulement les plus populaires mais également les plus efficaces. Comment voyez-vous les autres approches?

M. Le Dorze : Les autres approches ont également beaucoup de valeur. Je dirais que votre affirmation n'est pas tout à fait précise. Il y a plus d'apprenants du français dans les programmes de français de base que dans les programmes d'immersion. Même si la tendance de ce côté est une tendance inverse, il demeure qu'il y a plus de jeunes Canadiens en français de base qu'en immersion.

Le sénateur McIntyre : L'immersion demeure plus populaire?

M. Le Dorze : L'immersion est en croissance, mais il y a moins de jeunes qui étudient le français en immersion que de jeunes qui étudient le français dans le programme de français de base.

C'est le cas au Manitoba, du moins, même si la tendance augmente en immersion et diminue en français de base. Il y a eu un renouveau dans la pédagogie du français de base qui s'inspire beaucoup plus du français oral, et cela donne des résultats intéressants et certainement meilleurs que ceux qu'on voyait auparavant. Le défi pour le français de base consiste aussi à trouver des gens suffisamment compétents dans la langue seconde pour l'enseigner. Alors un anglophone qui ne parle pas le français, mais qui l'enseigne, ce n'est pas évident.

La sénatrice Champagne : Vous parliez de votre élève qui avait vraiment compris l'importance de parler une deuxième langue lorsqu'elle est venue à Ottawa. Lorsque j'avais sept ans environ, j'avais un oncle et une tante qui n'avaient pas d'enfant. Occasionnellement, ils venaient m'emprunter pour une fin de semaine ou autres. Quand ils ne voulaient pas que je comprenne ce qu'ils disaient, ils se parlaient en anglais. Cela me rendait furieuse.

Dès que j'ai pu commencer à apprendre l'anglais à l'école, cela commençait en cinquième année, je crois que c'était 15 minutes par jour au départ, dans ma petite ville du Québec — au niveau secondaire, cela augmentait à trois quarts d'heure ou une heure — ce ne fut pas long pour moi de l'apprendre. Je voulais tellement l'apprendre parce que je me disais que la prochaine fois que j'irais chez mon oncle et ma tante qu'ils ne m'en passeraient plus des petites vites. C'est pour cela que j'ai appris l'anglais rapidement.

C'est la même situation que la personne qui avait un peu de français, mais qui ne vivant pas dans le bain linguistique de cette autre langue. C'est une des choses qui me chagrinent énormément au Québec. L'apprentissage de l'anglais est trop souvent mis de côté. On en a parlé beaucoup, il y a deux ans. On voulait que les jeunes, dès la première année, ne serait-ce qu'un quart d'heure par jour, aient la possibilité d'apprendre cette langue. Mais un Québécois qui apprendrait l'anglais, ce n'est pas beau. Alors on se rend compte que les gens apprennent l'anglais sur le tas, dans la rue, et parlent la langue de façon épouvantable. Ils n'ont pas de vocabulaire ni en anglais ni en français. La prononciation douce ou dure du « th » n'est enseignée à personne. Mais il y a des commissions scolaires qui font des efforts pour regrouper des jeunes d'écoles de langues différentes afin qu'ils puissent partager leurs connaissances respectives. Il n'y a pas d'enseignement intensif en anglais au Québec. Les cours ou les écoles d'immersion en anglais n'existent à peu près pas. Je dis peut-être une folie, mais il n'y en a pas beaucoup du moins. L'ancien premier ministre s'est même essayé à mettre sur pied des classes en anglais.

Au Québec, on sent la crainte de perdre le français si on apprend l'anglais, alors qu'apprendre une autre langue facilite même l'apprentissage d'une troisième ou d'une quatrième langue une fois qu'on a réussi.

Comment faciliter l'apprentissage? On parle beaucoup de la manière de faciliter l'apprentissage du français pour les anglophones, mais pour les francophones, en particulier ceux du Québec, comment leur faciliter l'apprentissage de l'anglais selon les règles de grammaire et de phonétique? La façon la plus facile d'apprendre une autre langue, vous qui vivez là-dedans constamment, ce serait quoi, pour les enfants qui n'ont pas de parents qui parlent l'un et l'autre une des deux langues?

M. Le Dorze : Il s'agirait de faire des échanges : des enseignants de l'Ouest canadiens viendraient enseigner l'anglais de manière intensive chez vous et des enseignants québécois viendraient enseigner en immersion chez nous. Ces échanges seraient bénéfiques aux deux régions du pays.

Quant à l'enseignement de l'anglais au Québec — il est clair que quand on a grandi dans un milieu minoritaire, comme au Manitoba, où j'ai fait l'école d'immersion anglaise, parce que quand j'ai commencé, l'école française n'existait pas —, il y a des craintes d'assimilation par la majorité anglaise de l'Amérique du Nord. Je n'ose pas me prononcer sur la meilleure façon dont le Québec pourrait gérer cela.

La sénatrice Champagne : Toutefois, avoir de bons professeurs, c'est important.

M. Le Dorze : Absolument.

La sénatrice Champagne : Je me souviens de mon enfant de neuf ans qui me disait : « Maman, c'est bizarre, le professeur aujourd'hui me parlait de `vej-tai-beulz'. Ce n'est pas ce que toi et daddy dites. Elle me parlait de `wed-nes- day' ». Elle ne comprenait pas, ce qu'on lui disait à l'école n'était pas ce qu'elle entendait à la maison. La qualité des professeurs est importante.

Mme Bourbonnais : Beaucoup de recherches ont été faites, depuis les derniers 40 ans, qui prouvent que l'apprentissage d'une langue seconde ne se fait pas au détriment de la langue première, pour répondre aux craintes qu'ont les Québécois de perdre leur langue maternelle s'ils devaient recevoir un apprentissage intensif de l'anglais. Apprendre une langue, c'est additif. La deuxième langue qu'on apprend ne prendra pas la place de la première langue dans notre cœur et notre cerveau. C'est additif. On ne comprend pas encore toute cette dynamique. Il faudrait mettre les gens au courant de toutes les recherches qui ont été faites sur l'immersion. Pour un parent anglophone, qui met son enfant en première année ou en maternelle en anglais, est-il aussi évident que l'enfant parlera anglais?

Pour ce qui est de l'immersion, de nombreuses recherches ont démontré que l'enfant sera correct dans sa langue première. Si on mettait à jour ces recherches, il serait plus facile de justifier l'apprentissage d'une langue seconde.

La sénatrice Champagne : Mon adjointe parle trois langues. Elle me demande parfois un mot en français ou en anglais, mais l'apprentissage de ces deux langues ne lui a pas fait perdre son espagnol, sa langue maternelle.

Mme Bourbonnais : Exactement.

La sénatrice Champagne : Quand on a appris à les parler, il reste à apprendre à les écrire, mais c'est une autre histoire.

La présidente : Nous entreprenons le deuxième tour de table avec la sénatrice Tardif.

La sénatrice Tardif : Vous avez indiqué qu'un des problèmes était relatif à la pénurie d'enseignants dans les programmes d'immersion. Je crois aussi qu'il y a un autre problème, à savoir celui concernant le leadership politique au niveau des provinces et au niveau du gouvernement fédéral.

Nous avons maintenant une nouvelle Feuille de route sur les langues officielles qui vient d'être annoncée à la fin du mois de mars et couvrant la période de 2013-2018. Croyez-vous que les investissements figurant à cette feuille de route seront suffisants pour répondre à la demande croissante pour les programmes d'immersion?

Mme Bourbonnais : Tellement de choses restent à faire; on pourrait toujours investir. Nous sommes contents de savoir que la feuille de route a été reconduite et que des sommes d'argent y ont été réinvesties. Cependant, il restera toujours de la place pour l'amélioration dans plusieurs domaines, tels les nombreux enjeux dont nous avons discuté.

M. Le Dorze : On ne dirait pas non à davantage d'argent, c'est clair.

La sénatrice Champagne : Ce serait une première.

M. Le Dorze : Oui. Au sein de notre organisation, nous qui dépendons des octrois de Patrimoine canadien, nous sommes quand même satisfaits de la façon dont les choses se passent. Il pourrait y avoir des investissements ciblés dans certains domaines, tels la création d'un instrument d'évaluation des compétences langagières en langue seconde qui soit utilisé par tout le monde. Cela aiderait pour bien des choses.

Mme Bourbonnais : Une campagne de valorisation et de promotion serait un investissement qui pourrait aider à plusieurs niveaux.

La sénatrice Tardif : Vous avez parlé de la nécessité — et vous en avez fait une recommandation — d'établir des cibles. Quelles seraient ces cibles et quelles seraient vos recommandations?

M. Le Dorze : On devrait essayer d'augmenter le nombre de participants en immersion. Si on pouvait augmenter de 7 p. 100 par année le nombre d'inscriptions en immersion, ce serait extraordinaire.

La sénatrice Tardif : Ce serait votre recommandation, soit une augmentation d'une proportion de 7 p. 100 par année pour les programmes d'immersion?

M. Le Dorze : Oui.

La sénatrice Tardif : Il n'y a pas eu de cible fixée dans la feuille de route de 2008 ni dans celle de 2013.

M. Le Dorze : C'est vrai. Je pense aussi que si on avait un instrument de mesure commun, on disposerait d'un autre outil pour fixer des cibles. Au niveau du bilinguisme, par exemple, si on utilisait le cadre B2, on pourrait calculer et voir le progrès qu'on fait. Je pense que cela irait dans le bon sens.

Mme Bourbonnais : Plusieurs sénateurs ont posé des questions, à savoir quelles provinces détenaient le meilleur taux de succès; mais comme on n'a pas d'outil d'évaluation national, il est très difficile de répondre, à savoir qui est meilleur qu'un autre. Il y a tellement de mesures différentes qu'il est très difficile de mesurer le succès.

La sénatrice Tardif : Cela pourrait varier non seulement d'une province à l'autre, mais d'une région à l'autre dans la même province et même d'une école à l'autre dans la même ville. Cela dépend de la qualité des enseignants, en grande partie, et du milieu scolaire dans lequel on vit ces expériences.

Mme Bourbonnais : Oui.

La présidente : Au nom des membres du comité, je vous remercie très sincèrement d'être venus répondre à nos nombreuses questions. Je tiens à vous féliciter pour le travail que vous faites et à vous souhaiter bon succès.

[Traduction]

La présidente : Le comité écoutera maintenant le témoignage de l'Association canadienne des professeurs de langues secondes. Nous sommes heureux d'accueillir Michael Salvatori et Guy Leclair, respectivement président et directeur général de l'association.

[Français]

Au nom des membres du comité, je vous remercie de prendre le temps de nous présenter votre point de vue dans le cadre de notre étude et de répondre à nos questions. Le comité vous a demandé de faire une présentation d'au plus sept minutes et les sénateurs suivront avec des questions.

[Traduction]

J'invite maintenant M. Salvatori à formuler ses observations préliminaires.

[Français]

Michael Salvatori, président, Association canadienne des professeurs de langues secondes : Il nous fait grand plaisir de parler de nos perspectives sur la question que vous avez posée.

[Traduction]

Ma présentation sera essentiellement en anglais, car notre association représente des professeurs de diverses langues; il y a le français et l'anglais, bien sûr, mais aussi beaucoup d'autres langues. J'y reviendrai.

L'Association canadienne des professeurs de langues secondes, ou ACPLS, existe depuis 43 ans et a pour mission de favoriser l'excellence professionnelle dans l'enseignement des langues secondes au Canada. Elle regroupe plus de 3 000 membres, et sa structure organisationnelle, où chaque province et chaque territoire est représenté, lui permet de soutenir ses membres et les communautés de langue seconde ou additionnelle en général au moyen d'activités de perfectionnement professionnel ainsi que par la conception de ressources pédagogiques, la diffusion de travaux de recherche et la défense des intérêts associés à l'enseignement et à l'apprentissage des langues.

Comme vous le savez, l'un des plus grands obstacles à l'élaboration et à l'évaluation de politiques linguistiques réside dans la difficulté à s'exprimer d'une seule voix alors que les perspectives varient d'un bout à l'autre du pays. Cependant, notre message central axé sur la valorisation de l'apprentissage des langues et de ses nombreux avantages et appuyé à l'échelle fédérale contribue grandement à promouvoir, à faire progresser, à favoriser et à éclairer les programmes de langues additionnelles.

Un cadre ou des lignes directrices d'envergure pancanadienne permettraient de donner une impulsion à l'apprentissage des langues officielles et additionnelles, qui, comme nous le savons, procure de nombreux avantages aux apprenants, notamment sur les plans de l'estime de soi, des débouchés, de l'industrie du savoir, de la culture, du voyage et des relations interpersonnelles. Par ailleurs, l'apprentissage des langues favorise la compréhension interculturelle, renforce les habiletés linguistiques de l'apprenant dans sa langue maternelle et, puisqu'il apporte un mode de communication, ouvre des perspectives enrichissantes, entre autres sur le plan des études supérieures et de l'emploi.

Nous disposons de peu de temps ce soir, mais nous entendons faire ressortir trois éléments clés qui pourraient former l'assise d'une politique ou d'un cadre nationaux en enseignement des langues. Nous soumettons par ailleurs un mémoire officiel, qui viendra compléter et approfondir mes observations. Je tiens aussi à préciser que chaque fois que je l'utilise où qu'il est employé dans notre mémoire, le mot « additionnelles » désigne toute langue autre que la langue maternelle de l'apprenant.

En premier lieu, je tiens à souligner le rôle qu'un cadre de référence pour les langues inspiré du Cadre européen commun de référence pour les langues, ou CECR, pourrait jouer dans la définition d'une terminologie commune tout en servant de repère pour tous les apprenants canadiens. Le CECR est aujourd'hui une norme internationale qui définit une terminologie transparente, neutre et uniforme pour l'analyse des compétences linguistiques. Presque tous les pays y recourent, y compris certains de nos proches partenaires économiques et du domaine de l'éducation. Au Canada, le Cadre européen commun de référence pour les langues est appliqué à divers degrés; une coordination et une impulsion pancanadiennes sont nécessaires.

Notre association joue un rôle de premier plan dans les travaux entourant le recours au CECR au Canada pour acquérir, transmettre et évaluer des compétences linguistiques. Elle poursuivra sa collaboration avec le gouvernement fédéral en vue de l'application du cadre et continuera d'appuyer ses membres à ce sujet.

Le Cadre européen commun de référence pour les langues n'est pas un outil destiné exclusivement aux paliers primaire et secondaire. Il est aussi pertinent sur le plan des études postsecondaires, du marché de l'emploi, de l'immigration, du marché canadien des études internationales ainsi que de la mobilisation nationale et internationale.

Le cadre met par ailleurs l'accent sur l'autonomie de l'apprenant en traçant une feuille de route pour l'étude des langues, soulignant ainsi le fait que cet apprentissage ne se termine pas à la fin du secondaire, mais constitue une compétence à entretenir la vie durant.

À notre avis, le temps est venu pour le Canada d'adopter un unique outil pour caractériser la compétence linguistique de tous ses citoyens, de ses immigrants et de ses étudiants étrangers, quel que soit leur âge. Cet outil devrait viser toutes les langues du monde, et notamment celles qui sont utilisées dans les lieux de travail canadiens, qu'ils aient une portée nationale ou internationale. C'est ce que propose le CECR. Il est le seul outil, le seul cadre du genre qui soit assez souple pour les apprenants et les locuteurs de toutes les langues, quels que soient leur âge ou leur degré de compétence linguistique.

En deuxième lieu, je veux traiter de l'offre et de la demande vis-à-vis des programmes de langue seconde officielle, comme l'immersion française, le français intensif, le français de base ainsi que l'anglais de base et l'anglais intensif. Il nous faut absolument une politique linguistique pancanadienne favorisant, appuyant et exigeant l'apprentissage des deux langues officielles à tous les paliers d'enseignement, ce qui permettra aux apprenants de vraiment maîtriser leur deuxième langue officielle.

Il faudrait aussi promouvoir et valoriser l'apprentissage de langues additionnelles, en tant qu'incontournable, au XXIe siècle, pour la croissance interpersonnelle et interculturelle, la santé du cerveau et l'acuité intellectuelle à long terme ainsi que l'adaptation aux besoins et aux exigences de l'économie mondiale.

Les organismes qui, à l'instar de l'Association canadienne des professeurs de langues secondes, visent l'excellence dans l'enseignement et l'apprentissage des langues en insistant sur l'acquisition de langues additionnelles, comme le français, l'anglais, les langues autochtones, l'espagnol, l'allemand et le japonais, font valoir l'importance du plurilinguisme dans le contexte canadien.

Dans notre contexte plurilinguistique, rien n'est plus important que d'apprendre les langues officielles du Canada. Il faut faire ressortir en quoi les langues peuvent favoriser et enrichir l'apprentissage du français ou de l'anglais. Il faut également faire mieux ressortir le lien indissociable qui existe entre la langue et la culture, mais surtout viser à faire du Canada un pays fort et peuplé de citoyens plurilingues et pluriculturels qui sont prêts à prendre leur place dans le village planétaire d'aujourd'hui. Notre association est en bonne posture pour collaborer avec le gouvernement fédéral afin d'éclairer ses politiques et de les faire progresser.

L'éducation relève bien sûr des provinces et des territoires, mais une vaste politique pancanadienne sur l'apprentissage des langues les aiderait à élaborer des politiques et des directives propres et aptes à favoriser l'apprentissage de langues additionnelles. Ainsi, un énoncé pancanadien pourrait mettre l'accent sur les avantages de cet apprentissage pour la société canadienne — valorisation de diverses cultures et de notre société multiculturelle —, ses retombées pour l'apprenant — habileté pour la communication, renforcement des aptitudes en langue maternelle, élargissement des perspectives, et cetera — et la nécessité d'ouvrir les perspectives d'apprentissage à tous, y compris aux élèves immigrants ou ayant des besoins spéciaux.

En troisième lieu, il faut concevoir et étudier des approches novatrices et issues de la recherche. Ainsi, tous les élèves canadiens, de même que tous les Canadiens, devraient avoir accès à des cours de langue virtuels ainsi qu'à des passeports linguistiques et des portfolios des langues virtuels. Les travaux du Centre d'apprentissage à distance et d'innovation, à Terre-Neuve-et-Labrador, et ceux du CAMEF, le Conseil atlantique des ministres de l'Éducation et de la Formation, sont deux exemples d'approches novatrices en matière d'enseignement des langues secondes.

Il faudrait par ailleurs financer les universités, les instituts de recherche et les associations de langues secondes de façon à soutenir la recherche sur l'acquisition, l'apprentissage, l'évaluation et l'enseignement d'une langue seconde et à déterminer ce qui est le plus efficace, ce qui peut être amélioré et de quelle manière il peut l'être. Il faut aussi les aider à faire connaître leurs conclusions et leurs pratiques exemplaires aux communautés de l'enseignement des langues secondes. Les chercheurs, les praticiens et d'autres personnes influentes en matière de pédagogie devraient disposer d'une tribune et de ressources afin de poursuivre leur excellent travail à ce chapitre.

Notre mémoire approfondit les trois grands thèmes que je viens d'aborder et formule des recommandations connexes précises.

Au nom de l'Association canadienne des professeurs de langues secondes et de ses membres, je vous remercie de nous avoir invités et de vous intéresser à ces questions d'importance, qui font partie intégrante de l'évolution constante de notre société canadienne dynamique.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Soyez les bienvenus. Parmi les enjeux que vous avez soulevés devant le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes, je note que vous avez noté le manque d'enseignants en langue seconde, le manque de ressources pédagogiques. Vous avez aussi mentionné le fait que la profession soit peu valorisée. Pouvez-vous nous parler un peu des recommandations que vous auriez à formuler concernant ces enjeux?

M. Salvatori : Je pense que nous avons compté sur les recherches qui ont été faites en Ontario et au Canada, et deux études en particulier qui font part de la valorisation de la profession de l'enseignant de langue seconde.

Dans nos recommandations aujourd'hui, on ne cible pas forcément ces trois enjeux, mais en général, en tant qu'association, on travaille à élaborer des ressources basées sur le cadre européen et d'autres ressources pédagogiques pour aider à former les enseignants et aussi à aider les enseignants qui en sont à la moitié de parcours de carrière.

Le problème de la pénurie d'enseignants de français langue seconde ou anglais langue seconde est plus difficile à résoudre, mais parmi nos recommandations qu'on va partager avec vous, on parle aussi des échanges culturels, des échanges linguistiques pour des enseignants. C'est important aussi, de donner l'occasion aux enseignants de français langue seconde d'aller vivre dans une communauté où le français est la langue qu'on utilise; pour continuer à développer leurs propres compétences linguistiques. Ces stratégies pourraient aider à combler ces lacunes.

Guy Leclair, directeur général, Association canadienne des professeurs de langues secondes : Il y a aussi des lacunes concernant la formation professionnelle des enseignants de langue seconde. Il s'agit essentiellement d'une problématique structurelle, à savoir un manque de programmes.

Lorsque la demande excède l'offre, on devrait développer et appuyer toute l'infrastructure, c'est-à-dire plus d'enseignants, des enseignants mieux formés, plus de ressources pédagogiques et de formation professionnelle, et cetera. C'est ce que nous avons constaté suite aux études et aux enquêtes que nous avons menées.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Pourriez-vous nous en dire plus sur les pratiques, les politiques et les systèmes en place ailleurs dans le monde, et en particulier en Europe — puisque vous avez cité l'Europe?

M. Salvatori : Quand on parle de ce cadre européen de référence pour les langues qui est très utilisé en Europe, où les jeunes apprennent non seulement leur langue, mais une deuxième et une troisième langue, cela donne une terminologie, un langage que les élèves peuvent utiliser. On parle des énoncés « can do », ce que les élèves peuvent faire. Ils ne parlent pas de lacunes mais plutôt des compétences qu'ils ont présentement ainsi que des pistes à suivre afin d'améliorer leur langue seconde. Je sais qu'il existe des politiques qui sont vraiment ancrées sur le cadre commun et ce langage positif aide.

Je pense aussi que la situation géographique de l'Europe aide. Quand on voyage en Europe, on ne va pas loin sans entendre une autre langue. Au Canada, nous devons fournir plus d'occasions aux jeunes d'aller vivre en français ou en anglais pour mieux apprendre la deuxième langue et comprendre la culture et l'utilité d'apprendre cette langue et pour connaître d'autres jeunes.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Avez-vous quelque chose à rajouter?

M. Leclair : Le cadre commun est une approche assez globale. C'est un renforcement positif pour les étudiants de dire qu'ils peuvent faire quelque chose. Souvent, on entend : « Je ne peux pas parler anglais » ou « I don't speak French » alors que cette tournure permet une attitude positiviste par rapport à l'enseignement. C'est axé sur l'apprentissage, sur la durée de la vie et sur l'autoapprentissage, donc l'étudiant apporte un passeport dans lequel il met tout ce qu'il a réalisé au long de sa vie. Cela fait partie d'une approche assez globale qui permet des renforcements de plusieurs niveaux qui offrent des succès en Europe. On croit que si on l'adoptait au Canada, on pourrait réussir également.

La sénatrice Tardif : Bienvenue et félicitations pour le beau travail qu'accomplit votre association. Vous avez parlé de la nécessité d'une politique nationale d'éducation linguistique, ici, au Canada, basée sur le cadre commun de référence à l'image de l'Europe. Et je suis tout à fait d'accord avec vous.

Quelle réaction recevez-vous lorsque vous faites la promotion de cette recommandation auprès, par exemple, de vos provinces, auprès du Conseil des ministres en Éducation? Y a-t-il une réaction favorable par rapport à cette recommandation? Quelle réaction obtenez-vous?

M. Salvatori : Je dirais que la réaction a été favorable dès le début. Ce dont on a besoin maintenant, c'est de l'énergie pour continuer le mouvement et l'adoption du cadre européen au Canada.

Je pense que cela a été adopté dans l'Ouest autant que dans l'Est canadien. Il y a certaines provinces, certains territoires qui, dans leur programme d'étude, leur curriculum, font référence au cadre et utilise la terminologie.

Je viens de l'Ontario et je dirais qu'on a du travail à faire en Ontario. Ce n'est pas parce que le cadre n'est pas valorisé ni accepté. Je pense que le mot « européen » ou « Europe » pose un problème et on se demande pourquoi utiliser un cadre commun européen et non canadien. Mais je pense qu'il est possible de l'adapter à nos besoins.

Je dirais que la réaction a été très positive. Cela nous donne un outil très accepté dans le monde où on peut parler le même langage, à utiliser les mêmes références pour aider les apprenants.

La sénatrice Tardif : Vous avez parlé de l'énergie que cela prendrait. Mais qu'est-ce que cela veut dire? De l'énergie de la part de qui? Et est-ce simplement de l'énergie que cela requiert ou y a-t-il d'autres besoins ou critères?

M. Salvatori : Quand je dis « énergie », je parle d'argent et d'appui. Mais je pense que cela prend aussi un effort de coordination. Certaines provinces ont adopté le cadre européen et d'autres ne l'ont pas fait. Quelques enseignants sont très familiers avec les outils et d'autres moins. Alors cela prendrait vraiment un effort de coordination. Une association comme CASLT pourrait très bien aider à coordonner les efforts pancanadiens pour faire connaître les outils.

Nous avons très récemment développé un portefolio de langues pour les enseignants qui est basé sur le cadre commun. On est en train de développer d'autres outils basés sur le cadre pour le faire connaître. Donc lorsque je parle d'énergie, c'est vraiment un travail de coordination pancanadienne qui est nécessaire.

La sénatrice Tardif : Dans les demandes de financement que vous faites, faites-vous la demande pour faire la coordination, par exemple, d'un cadre commun? Et le cas échéant, avez-vous reçu un tel financement?

M. Leclair : On a fait des demandes pour la promotion de l'implantation. Et on reçoit de l'argent à cet égard. Mais pour la coordination, non. Cela demanderait un travail assez élaboré puisqu'il faudrait travailler avec les provinces et probablement avec le Conseil des ministres de l'Éducation. Nous, en tant que représentants de professeurs, on n'est pas tout à fait bien placés pour faire seul un travail de coordination. Je pense que cela prend le Conseil des ministres de l'Éducation du Canada, Patrimoine canadien et l'ACPLS pour vraiment mettre en place un programme comme le cadre.

La sénatrice Tardif : Selon vous, quel organisme serait le mieux placé pour faire la coordination?

M. Leclair : À notre humble avis, ce serait l'ACPLS, mais avec des appuis politiques. Donc avec l'appui du fédéral et des provinces et territoires, c'est certainement réalisable. Mais cela prend cette coordination, cet effort concerté.

M. Salvatori : On est très bien placé pour coordonner les efforts et on travaille souvent en partenariat avec d'autres associations pancanadiennes et nationales. On serait donc prêt à travailler avec d'autres associations qui connaissent bien le cadre et qui ont un intérêt à le faire vivre au Canada.

Le sénateur Champagne : Monsieur Salvatori, la phrase la plus importante que vous ayez dite dans votre présentation — et vous l'avez dite deux fois de façons différentes —, c'est que l'apprentissage d'une deuxième langue ne diminue pas la connaissance de la langue maternelle.

Le ministère du Patrimoine canadien devrait faire des publicités dans les médias et répéter le message encore et encore. Je sais qu'au Québec, si les enfants apprennent l'anglais, on dit qu'ils vont perdre leur français. C'est une phrase qu'on entend constamment. Une chose est certaine, si on apprend une deuxième langue, c'est beaucoup plus facile d'en apprendre d'autres par la suite.

Vous parliez du cadre européen. Je pense automatiquement à la Suisse où un élève qui termine son secondaire doit connaître le français, l'anglais, l'italien, l'allemand et certains parleront même le romanche. Nos élèves ne sont pas plus imbéciles que les jeunes Suisses.

Au Québec, la croyance populaire veut que si on apprend l'anglais, on va perdre son français. C'est d'un ridicule inouï. Il faut trouver une façon de prendre cette phrase, d'en faire un logo, d'en faire une ritournelle, d'en faire une chanson, n'importe quoi, mais que cela soit martelé dans la tête des parents. Il faut trouver une manière.

[Traduction]

Il faut l'imposer comme une évidence dans la tête et dans le cœur de chacun : apprendre une langue seconde ne fait pas oublier la langue maternelle.

[Français]

Le sénateur Champagne : Il faut trouver le moyen de rendre cela populaire, pour que tout le monde comprenne, comme on le fait dans les publicités de bière ou de boisson gazeuse.

M. Salvatori : Je suis tout à fait d'accord avec vous.

[Traduction]

Beaucoup de travaux ont été menés sur ce qu'a mentionné Mme Bourbonnais à propos du bilinguisme additif, du fait que l'apprentissage d'une deuxième, d'une troisième ou d'une quatrième langue ne diminue en rien la connaissance d'une langue apprise ou en cours d'apprentissage. Au contraire, il s'y ajoute; il renforce les compétences en langue maternelle. L'apprenant devient attentif au vocabulaire, aux structures grammaticales et aux différences culturelles, ce qui le rend plus sensible à sa propre langue et à sa propre culture.

L'ACPLS a notamment pour objectif de faire connaître les conclusions de travaux de recherche. Cette année, nous avons demandé à des chercheurs de vulgariser l'un de leurs rapports à l'intention des professeurs. Au moyen d'un balado diffusé sur notre site web, ils ont permis aux professeurs de les écouter expliquer leurs travaux et de leur poser des questions. Une de ces personnes a évoqué le cas d'immigrants qui apprennent l'anglais à leur arrivée au Canada, mais qui, étant donné le contexte ontarien, sont très désireux d'apprendre également le français. Ceux qui ont appris les deux langues ont d'ailleurs obtenu de meilleurs résultats que les autres apprenants unilingues ou canadiens de souche grâce à leur bilinguisme ou à leur trilinguisme.

Bien des travaux le confirment. Je suis absolument d'accord pour dire qu'il faut trouver un moyen de promouvoir et de populariser l'idée que l'apprentissage d'une deuxième ou d'une troisième langue renforce les compétences du locuteur dans sa langue maternelle et ne pose aucun danger à ce chapitre.

[Français]

Le sénateur Champagne : Votre meilleure publicité, en ce moment, doit être celle de Rosetta Stone. Leurs publicités ne le disent pas, mais ce ne serait pas une mauvaise idée de passer le message que d'apprendre une deuxième langue ne fait pas perdre la langue maternelle. C'est un argument que nous pourrions inclure dans nos recommandations au gouvernement. On fait de la publicité pour ceci et pour cela, mais sur l'apprentissage d'une langue, c'est une suggestion que je mets quelque part dans nos dossiers.

M. Salvatori : D'ailleurs, l'une des stratégies dans les salles de classe des nouveaux arrivants, c'est de ne pas défendre aux enfants d'utiliser leur langue maternelle, et même plutôt de le valoriser dans la salle de classe et laisser les autres demander comment se dit tel mot en arabe ou en italien, pour aider au développement de l'enfant.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie pour vos présentations. Le protocole d'entente conclu entre le Conseil des ministres de l'Éducation et le gouvernement fédéral venait à échéance le 31 mars dernier. Êtes-vous satisfaits des résultats atteints à l'égard de l'apprentissage d'une langue seconde dans le cadre du dernier protocole? Et savez-vous quand les négociations pour le nouveau protocole d'entente seront enclenchées?

M. Salvatori : Je commencerai par la deuxième question. Je ne sais pas quand les discussions recommenceront. Sur la première question, je pense qu'il ne faut jamais être satisfait des résultats. Il faut toujours essayer d'aller au-delà des résultats. On parle, au Canada, d'un bilinguisme qui est difficile à définir. Qu'est-ce que cela signifie être bilingue? Est- ce pouvoir parler une langue aussi bien que l'autre? Est-ce bien communiquer ou transmettre son message? C'est l'une des difficultés à évaluer les résultats d'une politique sur la langue. Mais nous continuons à travailler, à faire des efforts pour améliorer la situation pour les enfants, en aidant les enseignants avec des ressources et du perfectionnement professionnel.

Le sénateur McIntyre : À la fin mars 2013, le gouvernement fédéral a annoncé la nouvelle Feuille de route pour les langues officielles du Canada couvrant la période de 2013 à 2018. Êtes-vous satisfaits des montants prévus dans la Feuille de route 2013-2018 pour l'apprentissage d'une langue seconde?

M. Salvatori : Si j'ai bien compris, le financement continue et la réduction dans le budget ou le financement ne touche pas les programmes pour les enfants ni pour les enseignants; c'était plutôt quelque chose d'administratif. Donc, on est contents de voir que le financement continue et nous permettra à tous de poursuivre notre travail.

M. Leclair : C'est la constatation que nous avons faite. On était heureux que cela soit reconduit et que les montants soient semblables. On aurait préféré avoir un peu plus, car il y a toujours le coût de la vie et le nombre des étudiants qui augmente. Les coûts augmentent, alors on fait toujours un peu plus ou on se maintient avec un peu moins, mais essentiellement, comme je le disais tantôt, il y a quand même du travail à faire et, avec l'argent qu'on a, on fait de notre mieux. Si on en avait plus, cela nous aiderait, évidemment.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Nous avons tenu des audiences au Québec et nous sommes allés voir comment cela se passait pour les anglophones. On s'est informé au niveau des institutions, des écoles et des soins de santé. L'une des phrases qui revenaient constamment de la part des anglophones, c'était : On n'est pas capable de savoir les montants que le gouvernement investit pour les anglophones dans la province de Québec.

Monsieur Salvatori, vous venez de l'Ontario, êtes-vous capables de savoir exactement où l'argent est placé? On a entendu cela souvent et cela nous a fait quelque chose.

M. Salvatori : En Ontario, dans le domaine de l'éducation élémentaire et secondaire, selon mon expérience en tant qu'enseignant et directeur d'école, je verrais la même difficulté. Des montants sont dirigés vers les commissions scolaires pour les programmes de langue seconde, mais c'est très difficile de savoir le montant exact, comment les écoles reçoivent ces fonds et comment ils sont utilisés.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Ce serait donc pareil partout?

M. Salvatori : Oui.

La sénatrice Poirier : Je vous remercie de vos présentations. Vous avez parlé tantôt du défi d'avoir des professeurs qualifiés pour enseigner une langue seconde. J'imagine qu'on parle autant du français que de l'anglais.

Au Nouveau-Brunswick, on est une province officiellement bilingue. Il y a beaucoup de gens bilingues et beaucoup d'autres ne le sont pas. L'an passé, des centres d'appel sont venus s'installer chez nous, étant donné que nous étions une province officiellement bilingue. Au fil du temps, ils ont découvert qu'une troisième langue pourrait aider beaucoup de gens, surtout du côté de l'espagnol, car c'était la troisième langue la plus demandée à travers les centres d'appel. Des cours du soir ont donc été offerts pour apprendre l'espagnol. Nous avons été surpris du nombre de personnes qui s'y sont inscrites, la majorité étant probablement des adultes intéressés par cette langue pour des raisons personnelles ou bien des employés de compagnies.

S'agit-il du même défi pour trouver des professeurs pour seulement la langue française ou la langue anglaise ou bien s'agit-il du même défi pour trouver quelqu'un qui parle une troisième ou une quatrième langue, que ce soit le chinois, l'espagnol, le japonais ou l'allemand? Est-ce également un défi?

M. Salvatori : Vous parlez du défi de trouver un enseignant qualifié pour enseigner cette troisième ou quatrième langue. Je parle encore de mon expérience en Ontario; je dirais que c'est difficile, et c'est le mot « qualifié » qui pose un défi. On peut toujours trouver des gens qui parlent le français, le mandarin, l'allemand et qui le parlent bien, mais pour l'enseigner, cela prend non seulement la connaissance de la langue et les compétences de la langue, mais aussi les compétences pédagogiques pour transmettre les connaissances. Quand on parle de l'acquisition d'une deuxième langue, avec toute cette recherche et cette pédagogie, il y a aussi les connaissances culturelles. Et c'est là le défi.

En Ontario, par exemple, on sait que la grande majorité des enseignants de français langue seconde ont eux-mêmes appris le français en tant que langue seconde et que cette composante culturelle est donc très difficile pour eux, car ils n'ont pas vécu la culture francophone. Je pense que le même défi existe pour ceux qui enseignent d'autres langues si ce n'est pas leur langue maternelle, que ce soit l'allemand, le mandarin ou le chinois.

Il existe toujours un défi pour trouver des gens qualifiés avec une compétence, mais aussi les compétences nécessaires pour enseigner la langue et pour maintenir le niveau de compétence linguistique. Parce que c'est souvent un problème; les adultes ou les enseignants n'ont pas d'autres adultes ou d'autres experts avec qui ils peuvent parler en français ou en allemand pour maintenir leur niveau de compétence. C'est donc aussi un problème pour les enseignants d'autres langues internationales.

La sénatrice Poirier : D'après vous, les personnes qui savent apprendre une autre langue, sont-ils plutôt des Canadiens francophones ou anglophones, ou bien des nouveaux arrivants au Canada?

M. Salvatori : C'est une question intéressante. Il y a des recherches, mais je ne veux pas m'avancer de façon définitive. Je sais toutefois que de plus en plus de nouveaux arrivants inscrivent leurs enfants dans les programmes d'immersion ou dans les programmes de langues internationales, de langues vivantes. Il y a déjà un intérêt, car ces gens arrivent avec une langue, que ce soit l'italien, le mandarin, l'arabe, et ils apprennent soit l'anglais ou le français à l'école et la deuxième langue. Ces gens, selon mon expérience, nous disent que c'est aussi facile d'apprendre deux autres langues qu'une autre langue à la fois parce qu'ils savent qu'en apprenant une deuxième et une troisième langue c'est plus facile parce qu'on a déjà les structures, les syntaxes, la terminologie pour comprendre une langue. Mais à savoir si c'est plutôt les anglophones, les francophones ou les nouveaux arrivants possédant une troisième langue qui souhaitent s'inscrire dans les programmes de langues, je ne saurais dire.

La sénatrice Poirier : D'après vous, pour un immigrant qui arrive au Canada et qui veut apprendre une des langues officielles ou les deux, y a-t-il des programmes pour l'aider financièrement à suivre cette formation?

M. Salvatori : Pour les enfants?

La sénatrice Poirier : Pour les adultes, soit dans un collège communautaire, à l'université, ou dans le cadre de cours du soir.

M. Salvatori : Il existe des agences d'appui pour les nouveaux arrivants et je pense qu'il y a un financement provenant du gouvernement fédéral en appui à ces centres. Je pense qu'ils offrent aussi des services de langue ou des leçons de langue. Je dirais que oui, mais je ne sais pas exactement.

La sénatrice Poirier : S'il s'agit d'un Canadien qui désire apprendre une deuxième langue, savez-vous s'il disposera des mêmes ressources ou opportunités financières qu'un nouvel arrivant pour apprendre cette deuxième langue?

M. Salvatori : Je ne suis pas au courant, mais lorsque je songe aux agences que je connais, c'est plutôt pour les nouveaux arrivants afin qu'ils apprennent le français ou l'anglais, et non pas pour un Canadien qui maîtrise déjà une des deux langues officielles du pays.

La sénatrice Poirier : Je ne sais pas si c'est le cas dans toutes les provinces, mais au Nouveau-Brunswick, dans le cadre d'une initiative du ministère de la Formation et du Développement de l'emploi, si quelqu'un veut apprendre une deuxième langue parce qu'il a de la difficulté à trouver un emploi à cause des exigences de bilinguisme, il existe des programmes et le ministère se voit alloué des fonds provenant du gouvernement fédéral qui sont transférés aux provinces et cela peut les aider. C'est pour cette raison que j'aurais aimé savoir si toutes les provinces ont de tels programmes. Cela existe au Nouveau-Brunswick, mais je ne sais pas si c'est disponible partout.

Le sénateur De Bané : La réflexion de la sénatrice Champagne me rappelle deux choses; premièrement, c'est ce mot de M. Jacques Parizeau, ancien premier ministre indépendantiste du Québec, qui a dit que, pour nous, petit peuple, c'est clair qu'il faut apprendre l'anglais. Il a ajouté que, lorsque nous serons indépendants, il donnera un coup de pied dans le derrière à tous ceux qui n'apprennent pas l'anglais.

Mais il faut attendre l'indépendance pour enlever ce blocage psychologique. Ce qui me console, c'est que malgré cela, tous les sondages au Québec démontrent que l'immense majorité des gens francophones veulent que leurs enfants puissent parler les deux langues qui existent en Amérique du Nord.

Le sénateur Champagne : M. Parizeau parlait un excellent anglais.

Le sénateur De Bané : Oui, et il a fait son cours en Angleterre. Il m'a dit, d'ailleurs, que son papa, Gérard, a envoyé ses trois garçons étudier en Angleterre, et non pas en France.

Madame la présidente, avant de poser mes questions à nos distingués invités, j'aimerais savoir si le sous-comité du programme et de la procédure pourrait étudier la possibilité d'inviter, en même temps, un haut fonctionnaire de chacune des 10 provinces pour répondre à certaines questions posées à nos distingués invités. Il me semble que cela vaut la peine que le sous-comité du programme et de la procédure étudie la possibilité d'inviter un haut fonctionnaire de chacune des 10 provinces pour nous expliquer ce qu'ils font et ce qu'ils ne font pas. Cela nous aiderait à comprendre cela.

Pour moi, ce qui dépasse l'entendement, c'est que nous ne faisons pas face ici au même problème qu'en Belgique; en Belgique, on peut convaincre un francophone d'apprendre le flamand, le néerlandais, car ils savent qu'ils ne sont pas nombreux, à part ceux qui sont en Belgique et aux Pays-Bas. Ici, on a les deux langues les plus importantes du monde occidental. Plus que cela, il n'y en a pas d'autres; ce sont les deux principales.

Quel est ce blocage qui fait en sorte que l'on ne se rend pas compte que ce serait une immense richesse de connaître les deux langues les plus importantes du monde occidental? Est-ce qu'on met plus d'énergie à rester unilingue qu'à apprendre les deux langues? Comme on dit, celui qui parle deux langues en vaut deux. Pourquoi ce blocage chez nous de ne pas comprendre que c'est une immense richesse? Vous avez certainement réfléchi beaucoup à cela. Si vous pouviez nous faire part de quelques pistes de réflexion.

M. Salvatori : C'est une question que je me pose depuis 25 ans, depuis que je suis devenu enseignant de français langue seconde, et je n'ai malheureusement pas de réponse. On continue à communiquer, à faire connaître les avantages d'apprendre le français et l'anglais, de les maîtriser dans un pays bilingue comme le Canada. Mais je n'arrive pas à comprendre pourquoi la grande majorité — si on parle de l'Ontario et de nos jeunes — ne maîtrise pas les deux langues. J'ai quand même de l'espoir, parce que les témoins précédents parlaient de la croissance des programmes d'immersion. Je pense donc que les parents, les citoyens canadiens, commencent à mieux comprendre la valeur de bien connaître les deux langues.

M. Leclair : Dans les années 1970 et 1980, il y avait une volonté collective qui faisait en sorte que l'immersion était quelque chose qu'il fallait implanter au Canada. Est-ce qu'on aurait besoin encore d'un petit coup de pouce à cet égard et avoir des campagnes de promotion et de valorisation de l'enseignement et de l'apprentissage des langues? Oui, certainement.

Comme on le disait tantôt, ce sont les parents qui souvent forcent la main aux conseils scolaires. Je crois que si on donnait plus d'informations aux nouveaux arrivants, aux parents qui ne sont pas toujours au courant qu'ils peuvent demander ou essayer d'inscrire leurs enfants dans des programmes d'immersion mais aussi le français de base, cela aiderait. Le français de base est l'assise de l'enseignement du français et de l'anglais langue seconde.

Plus d'informations, plus de valorisation et de promotion aideraient à disséminer l'information qui souvent manque aux parents au sens que, oui, vous pouvez envoyer votre enfant dans une classe d'immersion ou de français de base. Cela pourrait aider. Je ne sais pas. Il y a une concertation qui est défectueuse pour l'instant et qu'éventuellement j'espère tout s'alignera.

Le sénateur De Bané : Je suis convaincu d'une chose. Si l'un des six sénateurs que vous voyez ici était responsable de ce dossier, je vous assure que cela changerait.

La présidente : Merci sénateur. Maintenant, deuxième tour de table.

La sénatrice Tardif : Merci, madame la présidente. Dans plusieurs provinces, l'apprentissage d'une langue seconde n'est pas obligatoire. Croyez-vous que l'apprentissage d'une deuxième langue, que ce soit le français, une des langues officielles du pays, et en plus peut-être une troisième langue, devrait être obligatoire?

M. Salvatori : Tout à fait, et j'allais justement ajouter que je n'ai pas une réponse à votre question, mais une des raisons pour lesquelles la majorité des enfants ne parlent pas les deux langues, c'est que les cours ne sont pas obligatoires. Rendus au secondaire, les élèves font des choix dans les cours facultatifs et décident parfois de décrocher, de ne pas continuer leurs études dans la deuxième langue.

Le sénateur De Bané : Au Nouveau-Brunswick, c'est obligatoire?

La sénatrice Poirier : Non, ce n'est pas obligatoire. C'est une province officiellement bilingue, mais les gens ont quand même le choix.

La sénatrice Tardif : Était-ce l'un des facteurs de blocage? Pour répondre au sénateur De Bané, est-ce que le fait que l'apprentissage du français n'est pas obligatoire dans toutes les provinces du Canada est un facteur important?

M. Salvatori : C'est certainement un facteur très important. C'est ce qui fait qu'on n'a pas la présence de la deuxième langue officielle dans plusieurs communautés, donc les élèves ne savent pas pourquoi ils devraient l'apprendre. Mais si les cours étaient obligatoires, on verrait plus de présence de cette deuxième langue dans la communauté, les cinémas, les centres d'achats où les jeunes vont. Ils comprendraient alors les raisons pour apprendre cette deuxième langue.

J'ai bien posé la question : pourquoi vous ne continuez pas à apprendre le français? La réponse est souvent : « je ne vais pas l'utiliser, je vais à une université anglophone. Je vise une carrière où j'utiliserai l'anglais ou une autre langue et non le français. » Rendre les cours obligatoires aiderait sur la scène canadienne.

La sénatrice Tardif : C'est là où je parle toujours d'un leadership politique, que ce soit au niveau des conseils scolaires, des municipalités, des provinces ou du fédéral pour faire valoir l'importance du français dans ce cas-ci, de l'anglais au Québec et surtout pour nous en tant que société canadienne.

M. Salvatori : Je suis d'accord.

La sénatrice Tardif : Mais il faire des investissements.

M. Salvatori : Je suis d'accord.

La sénatrice Tardif : Merci.

La présidente : Puisqu'il n'y a pas d'autres questions, messieurs, j'aimerais vous remercier très sincèrement d'être venus rencontrer le comité, d'avoir répondu à nos questions et d'avoir exposé vos points de vue. Merci beaucoup et félicitations pour le travail que vous accomplissez et bon succès.

M. Salvatori : Merci à vous.

La présidente : Honorables sénateurs, j'aimerais juste vous rappeler que, d'ici l'été, il ne nous reste que quatre réunions. Alors si on se retrouve avec des ordres du jour un peu plus chargés dans quelques semaines, il y aura peut- être une bonne raison. Quatre réunions, et la prochaine aura lieu le 27 mai. Merci beaucoup.

(La séance est levée)


Haut de page