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Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule 20 - Témoignages du 27 mai 2013


OTTAWA, le lundi 27 mai 2013

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui à 17 heures pour faire une étude des impacts des changements récents au système d'immigration sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire et pour faire l'étude des meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde dans un contexte de dualité ou de pluralité linguistique.

La sénatrice Maria Chaput (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Je me présente, la sénatrice Maria Chaput, du Manitoba, présidente du comité. Avant de présenter les témoins qui comparaissent aujourd'hui, j'invite les membres du comité à se présenter. Je commence à ma gauche avec la vice-présidente du comité.

La sénatrice Champagne : Je suis Andrée Champagne, je représente la province de Québec.

Le sénateur Mockler : Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, je représente le Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Suzanne Fortin-Duplessis, je représente le Québec.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, sénateur du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Tardif : Claudette Tardif, de l'Alberta.

Le sénateur Robichaud : Fernand Robichaud, Saint-Louis-de-Kent au Nouveau-Brunswick.

La présidente : Le comité poursuit son étude des meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde dans un contexte de dualité ou de pluralité linguistique et son étude des impacts des changements récents au système d'immigration sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Nous accueillons aujourd'hui des représentants de Statistique Canada pour nous présenter des statistiques récentes sur l'immigration et l'apprentissage des langues secondes.

Au nom des membres du comité, je souhaite la bienvenue à M. Jean-Pierre Corbeil, directeur adjoint de la division de la statistique sociale et autochtone et spécialiste en chef de la section des statistiques linguistiques et à M. François Nault, directeur de la division de statistique sociale et autochtone.

Messieurs, au nom des membres du comité, je vous remercie de prendre le temps de nous présenter les données récentes dans le cadre de nos études et de répondre à nos questions. Le comité vous a demandé de faire une présentation d'au plus dix minutes et les sénateurs suivront avec des questions. Monsieur Nault, je vous invite maintenant à prendre la parole.

François Nault, directeur, Division de la statistique sociale et autochtone, Statistique Canada : Je remercie les membres du comité d'avoir invité Statistique Canada à comparaître devant eux afin de nourrir leur réflexion sur l'état des lieux en matière d'apprentissage des langues secondes au Canada et sur la diversité linguistique canadienne et les défis engendrés par la part croissante que représente l'immigration internationale au sein de la population du pays.

D'entrée de jeu, permettez-moi de mentionner qu'en raison du temps qui nous est imparti, M. Corbeil brossera un portrait socioéconomique général de l'évolution de la population canadienne et des défis de cette évolution sur les langues officielles et les groupes qui les utilisent aujourd'hui.

D'une part, M. Corbeil présentera certaines informations statistiques sur l'apprentissage des deux langues officielles et les principaux facteurs qui modulent et influencent l'évolution du bilinguisme anglais-français au Canada.

D'autre part, il fera une brève description de l'évolution de l'immigration au pays au cours des 20 à 30 dernières années et son influence de la dualité linguistique canadienne et les minorités de langue officielle en particulier.

Jean-Pierre Corbeil, directeur adjoint, Division de la statistique sociale et autochtone et spécialiste en chef, Section des statistiques linguistiques, Statistique Canada : Je vais d'abord traiter de l'immigration comme moteur principal de la croissance et de la diversité de la population.

Lors de la première diffusion des données de recensement de 2011 sur les comptes de population, Statistique Canada, par l'entremise de données administratives, a mis en lumière le fait que l'immigration internationale constitue le principal moteur de croissance de la population du pays.

De 2001 à 2011, l'accroissement migratoire était responsable d'environ les deux tiers de l'accroissement de la population canadienne. De plus, des projections de populations révèlent que dans 30 ans, 90 p. 100 de la croissance de la population du pays sera attribuable à l'immigration internationale.

Le 8 mai dernier, lors de la diffusion de la première série de données de l'enquête nationale auprès des ménages, Statistique Canada révélait que la population canadienne née à l'étranger représentait 20,6 p. 100 de l'ensemble de la population du pays, soit près de 6,8 millions de personnes.

De ce nombre, 1 163 000 ont immigré entre 2006 et 2011, représentant 17,2 p. 100 de la population née à l'étranger. En raison de la grande diversité des pays d'origine de ces immigrants, il s'ensuit que le visage linguistique de la population canadienne l'est également.

De fait, parmi l'ensemble des immigrants arrivés au pays entre 2006 et 2011, 79 p. 100 n'avaient ni le français ni l'anglais comme langue maternelle, mais plutôt l'une des quelque 150 langues immigrantes déclarées. En comparaison, dans l'ensemble du pays, 16 p. 100 des immigrants récents avaient l'anglais comme langue maternelle et un peu plus de 5 p. 100 déclaraient une langue maternelle française.

À l'extérieur du Québec, les données de l'enquête nationale auprès des ménages révèlent que la part de la langue maternelle française dans l'immigration récente est de 1,3 p. 100 et celle de l'anglais et des autres langues est de 18,5 p. 100 et 80 p. 100 respectivement. Au Québec, le profil linguistique des nouveaux immigrants est très différent puisque plus de 21 p. 100 ont le français comme langue maternelle et 5 p. 100 sont de langue maternelle anglaise.

Les tierces langues y représentaient 73,5 p. 100. Si le critère de langue maternelle nous renseigne sur la diversité linguistique de la population immigrante, elle dit peu sur les pratiques linguistiques à la maison ou sur l'utilisation des langues officielles dans l'espace public. Par exemple, dans l'ensemble du Canada, bien que 16 p. 100 des immigrants récents aient l'anglais comme langue maternelle, près de 31 p. 100 parlent cette langue le plus souvent à la maison et 74 p. 100 ont l'anglais comme première langue officielle parlée. C'est un critère assez révélateur de l'utilisation de cette langue dans l'espace public ou pour la demande de service auprès du gouvernement fédéral.

Quant au français, 5 p. 100 des immigrants récents ont déclaré cette langue comme langue maternelle, 8 p. 100 comme principale langue d'usage au foyer, et 13 p. 100 comme première langue officielle parlée. Notons, par ailleurs, que parmi les immigrants récents au Canada, près de 105 000 personnes ne pouvaient soutenir une conversation, ni en français ni en anglais en 2011, soit une proportion de 9 p. 100 de la population.

La dualité linguistique dans un contexte de diversité ethnolinguistique : bien que le Canada soit de plus en plus diversifié sur le plan linguistique, les deux langues officielles du pays exercent une forte attraction comme langue de convergence et d'intégration à la société canadienne, notamment comme langue de travail, langue d'éducation et langue de service avec les administrations publiques.

La grande diversité linguistique du pays ne doit cependant pas faire oublier le fait que près de 98 p. 100 des Canadiens peuvent parler le français ou l'anglais. En ce qui a trait particulièrement au français, le dernier recensement révélait que près de 10 millions de Canadiens parlent cette langue, soit une proportion de 30 p. 100, loin devant les locuteurs du Pendjabi, troisième langue la plus souvent déclarée au pays, avec 546 000 locuteurs, soit 1,7 p. 100 de la population canadienne.

Le défi que pose cette diversité linguistique et l'attrait de l'une ou l'autre des langues officielles auprès des immigrants diffèrent cependant beaucoup d'une région à l'autre du pays, voir selon qu'on examine la situation québécoise ou celle qui prévaut dans le reste du pays.

En 2011, 79 p. 100 des immigrants résidant au Québec déclaraient pouvoir parler le français. Cette proportion était similaire chez les immigrants récents, soit 80 p. 100. Quant à la connaissance de l'anglais, 67 p. 100 de l'ensemble des immigrants et 56 p. 100 des immigrants récents pouvaient parler cette langue. Dans l'ensemble des autres provinces et territoires à l'extérieur du Québec, la proportion des immigrants qui déclaraient pouvoir parler le français était de 6,3 p. 100, un pourcentage identique, tant pour les immigrants récents que ceux établis depuis plus de cinq ans. Pour ce qui est de l'anglais, 87 p. 100 de l'ensemble des immigrants ont déclaré ne connaître que l'anglais comparativement à 84 p. 100 des immigrants récents.

L'apprentissage et la capacité de parler les deux langues officielles constituent l'une des facettes importantes de la notion de dualité linguistique canadienne. En 2011, 17,5 p. 100 de la population du pays, soit 5,8 millions de personnes, déclaraient pouvoir soutenir une conversation en français et en anglais. Il s'agit d'une baisse comparativement à 2001, alors que cette proportion atteignait un sommet de 17,7 p. 100. De même chez les jeunes âgés de 15 à 19 ans, 22,6 p. 100 pouvaient parler les deux langues en 2011, en baisse comparativement au taux de 24 p. 100 observé en 2001.

Cette évolution est toutefois différente lorsqu'on distingue le Québec du reste des autres provinces et territoires. Ainsi, au Québec, le taux de bilinguisme français-anglais de ces jeunes est passé de 48 p. 100 à 52 p. 100 entre 2001 et 2011, alors qu'à l'extérieur du Québec elle a plutôt diminué de 17 p. 100 à 14 p. 100.

Deux facteurs clés expliquent cette tendance observée à l'extérieur du Québec. La diminution de l'exposition à l'enseignement du français langue seconde en milieu scolaire et la part croissante de l'immigration internationale au sein de la population canadienne, une population moins susceptible d'apprendre les deux langues officielles.

Ainsi, au cours des 20 dernières années, bien que l'effectif des jeunes inscrits en immersion française dans les écoles du secteur public à l'extérieur du Québec soit passé de 267 000 à 341 000 élèves, celui des jeunes inscrits à un cours régulier de français, en français langue seconde, diminuait de 432 000 pour atteindre 1,4 millions durant l'année scolaire 2010-2011. En d'autres termes, au cours de cette période, la proportion de jeunes du secteur public exposés à l'enseignement du français est passée de 53 p. 100 à 44 p. 100.

À la baisse de l'exposition au français et conséquemment celle du niveau de bilinguisme des jeunes non francophones, s'ajoute l'érosion au fil du temps de la capacité à maintenir les acquis dans sa langue seconde. Toutefois, ce phénomène touche principalement les jeunes qui ont fréquenté les programmes réguliers de français langue seconde, puisque les jeunes ayant fréquenté un programme d'immersion maintiennent leur capacité bilingue beaucoup plus longtemps.

En ce qui a trait au second facteur, soit celui de l'immigration internationale, son influence sur l'évolution du taux de bilinguisme tient au fait que les immigrants à l'extérieur du Québec affichaient, en 2011, un taux de bilinguisme français-anglais de 6 p. 100 comparativement à 11 p. 100 de la population née au Canada. Qui plus est, étant donné que l'immigration non bilingue compose une part sans cesse croissante de l'ensemble de la population canadienne, il en résulte une baisse du taux global de bilinguisme à l'extérieur du Québec. Notons qu'au Québec les immigrants présentaient, en 2011, un taux de bilinguisme français-anglais de 51 p. 100 comparativement à 42 p. 100 de la population née au pays.

En terminant, laissez-moi aborder quelques éléments concernant l'immigration de langue française dans les provinces à l'extérieur du Québec.

En raison de la propension de la très grande majorité des nouveaux immigrants à adopter l'anglais plutôt que le français comme principale langue d'usage dans l'espace public voire même privé, dans les provinces et territoires à l'extérieur du Québec, l'attraction, la rétention et l'intégration de l'immigration de langue française au sein des communautés francophones à l'extérieur du Québec constituent un défi important.

Selon les statistiques tirées de l'enquête nationale auprès des ménages en 2011, on dénombrait 114 173 immigrants de langue française à l'extérieur du Québec. Lors du recensement de 2006, ce nombre s'établissait à 99 000 personnes. Ces quelque 15 000 immigrants de plus dénombrés en 2011, ne reflètent cependant pas complètement le nombre total d'immigrants de langue française venus s'établir à l'extérieur du Québec entre 2006 et 2011. Ainsi, c'est plutôt 27 640 immigrants qui, en 2011, ont déclaré avoir immigré au pays au cours de cette période, soit environ 5 500 par année.

La différence entre cet effectif et celui du solde net de l'immigration de langue française dénombré en 2011, tient au fait qu'une partie des immigrants qui résidaient dans les provinces et territoires hors Québec ont migré vers cette dernière province au cours des cinq dernières années.

La rétention de l'immigration au sein des communautés francophones hors du Québec constitue donc un enjeu pour ces communautés.

Bien que 4 p. 100 de la population hors du Québec avait le français comme première langue officielle parlée en 2011, les immigrants de langue française, selon le critère de première langue officielle parlée, y représentaient 2 p. 100 de l'ensemble de la population immigrante. Notons par ailleurs que parmi les immigrants récents, cette proportion est de 3 p. 100.

Malgré la croissance de l'immigration de langue française à l'extérieur du Québec, celle-ci n'est cependant pas suffisante pour compenser la baisse du poids démographique de la population francophone principalement attribuable à la poussée de l'immigration de langue anglaise. L'immigration représente une part grandissante de la population de langue française à l'extérieur du Québec.

Ainsi, en 1991, 6,2 p. 100 de la population francophone était composée d'immigrants internationaux; 20 ans plus tard, en 2011, cette proportion avait doublé, atteignant 12 p. 100. En 2011, sur les quelque 114 000 immigrants de langue française résidant hors Québec, 68 p. 100 résidaient en Ontario, principalement à Toronto et Ottawa, 13,5 p. 100 en Colombie-Britannique et 10,4 p. 100 en Alberta.

En terminant, j'aimerais souligner que devant les nombreux défis auxquels sont confrontés les immigrants qui s'établissent dans ces communautés, notamment en matière d'intégration économique et sociale, nos consultations auprès des représentants de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada ont mis en lumière les besoins importants de mieux comprendre ces défis ainsi que les besoins, les obstacles et les dynamiques qui favorisent ou nuisent à l'insertion des immigrants. À cet égard, les intervenants du milieu communautaire nous ont récemment manifesté un très grand intérêt pour qu'une enquête puisse être réalisée par Statistique Canada sur les immigrants de langue française à l'extérieur du Québec, afin de mieux les outiller face aux défis qui les attendent au cours des prochaines décennies.

La sénatrice Fortin-Duplessis : En tout premier lieu, messieurs, je vous remercie pour votre excellente présentation. J'aurai deux ou trois questions à vous poser.

Entre 2006 et 2011, le nombre de personnes ayant déclaré pouvoir soutenir une conversation dans les deux langues officielles du Canada s'est accru de près de 350 000 personnes, atteignant ainsi 5,8 millions. Le taux de bilinguisme est passé de 17,4 p. 100, en 2006, à 17,5 p. 100 en 2011. Qu'est-ce que vous pensez de cette statistique? De quelle manière qualifieriez-vous l'intérêt des Canadiens pour l'apprentissage d'une langue seconde?

M. Corbeil : Je vous remercie pour votre excellente question. Il est clair que le nombre de Canadiens qui déclarent pouvoir soutenir une conversation dans les deux langues officielles du pays est en croissance. Par contre, la proportion, elle, est en baisse. Il faut savoir que l'on doit traiter la statistique de 17,4 p. 100 en 2006 avec prudence. En fait, la proportion était de 17,7 p. 100 en 2001, et, en 2006, la proportion de francophones qui ont déclaré ne plus pouvoir parler leur langue seconde a diminué, ce qui est très difficile à expliquer. On a attribué cela, à l'époque, à un courriel qui avait circulé un peu partout à travers le pays qui enjoignait les Canadiens à ne pas se déclarer bilingue de crainte que les services en français ne leur soient plus offerts.

Cela dit, c'est pour cela que je préfère regarder ce qui se passe de 2001 à 2011, donc de 17,7 à 17,5. En fait, comme je l'ai mentionné plus tôt, il y a une croissance du nombre de personnes qui peuvent parler les deux langues, mais en terme de poids démographique, cette proportion est à la baisse et les principaux facteurs sont attribuables au fait que l'immigration internationale est en forte croissance et que la proportion de jeunes qui sont inscrits dans un court de français langue seconde à l'extérieur du Québec diminue, ainsi que leur nombre d'ailleurs.

Il faut savoir que la statistique à laquelle vous faisiez référence entre 2006 et 2011, le taux de bilinguisme anglais- français au Québec s'est accru de deux points de pourcentage, donc de 40,6 à 42,6, attribuable pour 70 p. 100 aux personnes de langue maternelle française. Les quelque 36 000 personnes de plus à l'extérieur du Québec qui ont déclaré pouvoir soutenir une conversation dans les deux langues officielles sont à 70 p. 100 des personnes de langue maternelle française. Donc, il faut montrer que les francophones évidemment sont plus susceptibles — à l'extérieur du Québec, s'entend — d'apprendre les deux langues officielles.

Au Québec, c'est une situation exceptionnelle dans le sens où on sait que les jeunes anglophones et les anglophones en général affichent un taux très élevé de bilinguisme français-anglais.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Avez-vous des statistiques au niveau des jeunes francophones qui apprennent l'anglais au Québec?

M. Corbeil : Absolument. Il y a une croissance importante du bilinguisme au Québec, mais ce qu'il faut savoir, c'est que chez les francophones, cela correspond à un mode différent d'apprentissage de la langue seconde. Les jeunes anglophones habituellement apprennent la langue seconde au moment où ils fréquentent l'école. Donc, leur taux de bilinguisme atteint un sommet entre l'âge de 10 et 19 ans. On voit aussi le même phénomène au Québec, une plus forte croissance du bilinguisme, un taux plus élevé chez les plus jeunes. Chez les francophones du Québec, on améliore nos acquis en langue seconde à partir du moment où on intègre le marché du travail. Cela se reflète dans nos statistiques sur l'utilisation du français et de l'anglais au travail. On constate que les francophones ont tendance à utiliser davantage l'anglais à partir du moment où ils intègrent le monde du travail.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Cette statistique est importante. Est-ce que vous avez des exemples de pratiques implantées dans certaines régions qui fonctionnent particulièrement bien?

M. Corbeil : Je ne suis peut-être pas la meilleure personne pour répondre à cette question, mais je vais vous répondre de façon indirecte.

Comme vous le savez peut-être, les premières expériences qui ont mené à l'implantation des programmes d'immersion au Canada — expériences effectuées par MM. Genesee et Penfield de l'Université McGill, à Saint- Lambert — ont montré clairement quels sont les facteurs qui contribuent au bilinguisme et au maintien des acquis. On avait identifié la valorisation, le soutien, l'encadrement tant des parents que des professeurs, mais également la présence de la langue seconde dans l'environnement des gens.

Cet élément est donc particulièrement important, parce que les statistiques qui ont été diffusées dernièrement démontrent clairement que les jeunes atteignent l'apogée du bilinguisme entre 15 à 19 ans, et dès qu'ils quittent l'école, leur taux de bilinguisme baisse, peu importe la cohorte. Pour faire une analogie, lorsqu'on cesse de pratiquer le piano, on perd notre capacité de jouer de cet instrument. C'est la même chose avec l'enseignement du français.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Corbeil, en tant que sénateur du Nouveau-Brunswick, j'aimerais aborder avec vous les statistiques récentes sur l'immigration. En examinant les résultats dévoilés le 8 mai dernier par Statistique Canada, on remarque que dans l'ensemble du Canada, une personne sur cinq est née à l'étranger; le ratio au Nouveau- Brunswick est d'une personne sur 25.

Si on s'en tient aux chiffres de Statistique Canada, on remarque également que le Nouveau-Brunswick semble avoir bien du mal à conserver ses immigrants. De 2006 à 2011, plus de 5 000 immigrants ont quitté le Nouveau-Brunswick pour une autre province canadienne ou un autre pays.

On rapporte également que le taux de rétention des immigrants ne serait que de 68 p. 100 pour le Nouveau- Brunswick alors qu'il est beaucoup plus élevé dans d'autres provinces canadiennes telles que l'Ontario, le Québec, la Colombie-Britannique et l'Alberta.

De plus, la proportion de francophones parmi les immigrants est également en recul au Nouveau-Brunswick. Par exemple, entre 2006 et 2011, je remarque que le Nouveau-Brunswick a accueilli moins de 600 immigrants francophones, ce qui risque de renforcer le déséquilibre entre les deux communautés linguistiques.

Est-il normal qu'un grand nombre d'immigrants arrivent dans une province et la quittent peu de temps après pour une autre? Voit-on ce phénomène fréquemment dans la région atlantique?

M. Corbeil : Excellente question encore une fois. Je dois vous souligner qu'en ce moment, les statistiques dont on dispose et qui ont été diffusées le 8 mai dernier, ne portent que sur les effectifs de population. En ce sens, on n'a pas encore les données sur la mobilité ou la migration interprovinciale. Ces données seront diffusées le 26 juin prochain.

Tout à l'heure, j'ai mentionné le fait qu'on avait près de 27 000 immigrants qui avaient déclaré être arrivés au pays, à l'extérieur du Québec, entre 2006 et 2011, mais quand on regarde le solde — la population totale en 2011 d'immigrants de langue française moins celle observée en 2006 —, on a un nombre inférieur à cela, ce qui traduit fort probablement la migration vers le Québec.

On avait diffusé un document d'analyse en 2010 sur l'immigration de langue française à l'extérieur du Québec, et la migration entre les provinces est un phénomène important. Par exemple, entre l'Ontario et le Québec et entre le Nouveau-Brunswick et le Québec, il y a effectivement une forte migration. Il faut savoir qu'en général, peu importe le groupe linguistique, les facteurs qui motivent en grande partie la migration interprovinciale sont souvent de nature économique. Je ne peux pas me prononcer aujourd'hui sur la situation du Nouveau-Brunswick, mais ce qui est clair, c'est que les facteurs de nature économique poussent la population à migrer. On le voit pour les francophones en général, l'Alberta et la Colombie-Britannique ont connu une forte croissance relative de leur population francophone comparativement aux autres provinces. Il y a donc vraiment eu une migration des francophones vers les provinces de l'Ouest et du Québec, et bien sûr l'immigration du Nouveau-Brunswick n'échappe pas à ce phénomène. Il faut savoir également que l'immigration francophone représente une petite population en termes d'effectifs.

Le sénateur McIntyre : Surtout que les immigrants ont tendance à se diriger vers les milieux urbains plutôt que ruraux.

M. Corbeil : Absolument. Et c'est un phénomène que vous avez sans doute remarqué au Nouveau-Brunswick. Il y a vraiment une migration du nord de la province vers des villes comme Moncton.

Le sénateur McIntyre : Au Nouveau-Brunswick, les immigrants se dirigent plutôt vers les centres urbains tels que Moncton et Saint-Jean.

Quels sont les principaux pays d'origine des immigrants arrivés au Canada dans les dernières années? Peut-on dire avec certitude qu'ils proviennent principalement de la Corée du Sud, en premier, suivi des États-Unis et du Royaume- Uni?

M. Corbeil : Si on parle de l'ensemble des immigrants au Canada, je vais vous donner une statistique. En 1961, près de 60 p. 100 de l'immigration internationale provenait de l'Europe alors qu'environ 14 à 15 p. 100 provenait de l'Asie. Aujourd'hui, c'est une situation complètement inversée. On sait qu'au moins 60 à 65 p. 100 de l'immigration internationale actuelle provient d'Asie.

Pour ce qui est de l'immigration francophone, c'est un phénomène complètement différent. On remarque que la plupart des immigrants de langue française qui viennent s'établir à l'extérieur du Québec proviennent essentiellement d'Afrique et d'Europe. C'est différent au Québec et on voit que dans l'Outaouais, c'est un phénomène qui traverse les frontières. Les deux groupes les plus importants d'immigration francophone proviennent d'Amérique latine et du Maghreb. On le voit du côté d'Ottawa, il y a une forte population en croissance de langue espagnole ou en provenance du Maghreb, de langue arabe. Cela caractérise quand même le Québec et le distingue des autres provinces en matière de pays d'origine.

La sénatrice Tardif : Merci beaucoup et bienvenue. Je suis très préoccupée par le fait que les communautés francophones en situation minoritaire ne reçoivent pas leur juste part d'immigrants francophones. De 2006 à 2011, ces communautés n'ont eu une augmentation que de 0,5 p. 100 en comparaison aux statistiques de 2001 à 2006.

Croyez-vous que le fait qu'il n'y ait pas eu de cible identifiée dans les dernières feuilles de route a eu un impact sur les politiques et sur la capacité de recruter des immigrants francophones dans ces régions où le français n'est pas majoritaire?

M. Corbeil : Comme vous le savez, à Statistique Canada, nous tentons de ne pas nous prononcer sur l'influence des politiques. Par contre, encore une fois, je vous répondrai de façon indirecte. Je ne sais pas s'il y a beaucoup de gens qui savent qu'en fait, au début ou au milieu des années 1980, 30 p. 100 des immigrants qui s'établissaient au Québec avaient une connaissance du français. En 2010-2011, c'est près de 65 p. 100 des immigrants qui s'établissent au Québec au moment de leur arrivée qui ont une connaissance du français. Il est bien connu que cette évolution est principalement attribuable aux politiques du Québec en matière d'immigration, de sélection des immigrants qui sont soit de langue française ou qui ont un penchant plus naturel à s'orienter vers le français.

À l'extérieur du Québec, la majorité de l'immigration n'a pas tendance à s'orienter naturellement vers le français, en grande partie à cause des pays sources d'immigration. Mais il est clair que ce n'est pas parce qu'il n'y a pas suffisamment d'immigrants de langue française à l'extérieur du Québec. C'est tout ce que je peux vous dire.

Par ailleurs, il y a eu récemment des projections démographiques qui ont été faites par l'Organisation internationale de la francophonie. J'ai mentionné tout à l'heure que le pays source principal d'immigration à l'extérieur du Québec est sans doute l'Afrique.

On mentionne que, d'ici 40 ans, la population francophone de l'Afrique pourrait tripler. Il est donc en train de se passer au niveau international une croissance de la population francophone. À quoi cela est-il attribuable? Il est clair que des cibles aident à mieux orienter la sélection des immigrants.

La sénatrice Tardif : Merci de parler de l'importance des cibles pour attirer davantage d'immigrants francophones. En parlant de cibles, je sais que le Manitoba et l'Ontario avaient fixé des cibles de 7 p. 100 pour l'Ontario et de 5 p. 100 pour le recrutement d'immigrants francophones. Savez-vous si ces provinces ont pu atteindre leur cible?

M. Corbeil : Tout ce que je pourrais dire, c'est qu'en Ontario, si on prend la population totale, par exemple, parmi les immigrants récents arrivés entre 2006 et 2011, 2,5 p. 100 de la population immigrante avait le français comme première langue officielle parlée; et si on ajoute le français et l'anglais, qui est un peu une catégorie résiduelle, on ajoute 2,1 p. 100.

Par contre, cette fameuse catégorie doit souvent être scindée en deux, car ces immigrants ont des comportements beaucoup plus semblables à ceux des immigrants de langue anglaise que ceux qui n'ont que le français comme langue maternelle.

Je ne me souviens pas quelle était la cible concernant la province de l'Ontario, mais chose certaine, c'est que la proportion a quand même augmenté depuis la dernière période quinquennale. Il faut savoir qu'entre 2001 et 2006, la proportion était de 1,6 p. 100 d'immigrants qui avaient le français comme première langue officielle parlée, et je vous ai mentionné tout à l'heure que nous sommes passés à 2,5 p. 100. Il y a quand même eu une augmentation de 9 000 à 12 400 immigrants de langue française, si on prend seulement le critère de première langue officielle parlée.

La sénatrice Tardif : Vous parlez de la province de l'Ontario?

M. Corbeil : Oui.

La sénatrice Tardif : Je pense qu'une cible de 4,4 p. 100 avait été identifiée en 2001 comme une cible alors réaliste, pour attirer un nombre d'immigrants francophones. Selon vous, une cible de 4,4 p. 100 représente-t-elle la proportion des francophones au Canada à l'extérieur du Québec?

M. Corbeil : C'était la raison pour laquelle cette proportion de 4,4 p. 100 avait été adoptée. En fait, c'est qu'en 2001 précisément, la proportion qui avait le français comme première langue officielle parlée à l'extérieur du Québec était de 4,4 p. 100. Cette proportion est en train de diminuer; aujourd'hui, on parle davantage de 4 p. 100.

La sénatrice Tardif : Aujourd'hui, ce serait 4 p. 100?

M. Corbeil : Oui.

La sénatrice Tardif : Ce serait une cible réalisable de 4 p. 100?

M. Corbeil : Si notre objectif est de faire en sorte que l'immigration représente ce niveau, ce serait la cible. Cela dit, il faut garder à l'esprit aussi que l'immigration, avec un niveau comme celui-là, n'est pas suffisante pour compenser la baisse du poids démographique des francophones. Parce que comme on le sait, il y a le vieillissement de la population, la transmission de l'anglais plutôt que du français, des parents aux enfants. Si on tenait à atteindre une cible qui arriverait à compenser la baisse du poids démographique, il faudrait viser beaucoup plus que 4 p. 100.

La sénatrice Tardif : Pourriez-vous avancer un chiffre?

M. Corbeil : Je ne pourrais pas avancer un chiffre comme cela, mais il faut savoir que Statistique Canada est un leader mondial dans le domaine de la projection par micro-simulations. Ce qu'on pourrait faire à recouvrement de frais, c'est de dire que, par exemple, si on ajoutait 25 000, 30 000, 50 000 ou 100 000 immigrants, comment le poids démographique et l'effectif des francophones à l'extérieur du Québec évolueraient-ils en tenant compte de la migration interprovinciale, du vieillissement de la population, de l'enseignement du français langue seconde; donc tous ces éléments qui modulent l'évolution de la population de langue française à l'extérieur du Québec.

La sénatrice Tardif : Ce serait une étude fort intéressante et qui pourrait certainement être considérée.

La présidente : Deux questions complémentaires par les sénateurs Robichaud et McIntyre.

Le sénateur Robichaud : Lorsque vous avez parlé de faire une telle étude, vous avez parlé de récupération des frais; c'est-à-dire que vous n'avez pas les moyens de faire cette étude actuellement?

M. Corbeil : Ce qu'il faut savoir, c'est que la plupart des études effectuées par Statistique Canada sont effectuées à la demande ou grâce au soutien financier des agences et des ministères du gouvernement fédéral. Par exemple, il faut savoir que Statistique Canada, au cours des dernières années, a fait des projections de population jusqu'en 2030 et 2036, pour ce qui est des populations des minorités visibles et pour ce qui est des peuples autochtones. On pourrait faire une chose semblable pour ce qui est des populations de langue française. L'idée de voir cela n'est pas tellement de le voir tel une boule de cristal, mais c'est davantage de voir cela comme un outil de planification, c'est-à-dire qu'à partir du moment où on agit sur tel paramètre, cela permet de savoir dans 20 ans et dans 30 ans quelles seraient les données résultantes. Plutôt que de cibler un montant donné ou un nombre donné, on en aurait une assez bonne idée compte tenu des facteurs sous-jacents à l'évolution des groupes linguistiques.

Le sénateur McIntyre : La sénatrice Tardif a soulevé la question de la cible. Quand on parle de cible, si je comprends bien, on parle du plan stratégique de 2006?

M. Corbeil : Oui.

Le sénateur McIntyre : Parce qu'il y avait un autre plan stratégique de 2003.

M. Corbeil : Exactement.

Le sénateur McIntyre : Corrigez-moi si j'ai tort, mais je pense qu'on a décidé de faire une révision du plan de 2003 afin de donner au gouvernement jusqu'en 2023 pour atteindre sa cible de 4,4 p. 100. N'a-t-on pas parlé également d'une cible intermédiaire de 1,8 p. 100 jusqu'en 2013?

M. Corbeil : C'est possible, mais concernant cela, je devrais consulter mes collègues de Citoyenneté et Immigration Canada.

Le sénateur McIntyre : On semble avoir des problèmes avec une cible de 4,4 p. 100 jusqu'en 2013, donc on a essayé d'étendre cette cible jusqu'en 2023; du moins, c'est ce que j'ai compris.

M. Corbeil : Je sais que nos collègues ont adopté le critère de première langue officielle parlée. Tout à l'heure, j'ai mentionné qu'on avait 6 p. 100 des nouveaux immigrants à l'extérieur du Québec qui déclarent pouvoir soutenir une conversation en français. C'est un enjeu additionnel puisque, en fait, la question se pose quand même de savoir ce qu'on fait de ces immigrants qui peuvent soutenir une conversation en français et en quoi cela est-il différent des gens qui se trouvent à être dans notre catégorie de première langue officielle parlée français-anglais, donc essentiellement des immigrants bilingues. Le critère de définition est quand même assez important à ce chapitre.

La présidente : Monsieur Corbeil, lorsque vous parlez de la proportion de 4 p. 100, il s'agit bien des francophones qui ont le français comme langue première?

M. Corbeil : C'est exact.

La présidente : Alors si vous preniez en considération tous ceux qui peuvent s'exprimer en français, quel pourcentage pourrait-on mentionner?

M. Corbeil : On parle essentiellement à l'extérieur du Québec?

La présidente : Oui.

M. Corbeil : Si on observe les statistiques, tous groupes confondus, parmi les immigrants arrivés entre 2006 et 2011, on avait 12,6 p. 100 de ces immigrants qui déclaraient pouvoir parler le français et l'anglais. Si je rajoute ceux qui ont déclaré ne parler que le français, je rajouterais une proportion de 7,9 p. 100 additionnelle, ce qui donnerait en fait une proportion de 20,5 p. 100 des immigrants qui sont arrivés. Tous groupes linguistiques confondus s'entend de toutes langues maternelles confondues, et cela donnerait une proportion de 20,6 p. 100 de la population, alors qu'en fait, si je ne prends que ceux qui n'ont ni le français ni l'anglais comme langue maternelle, je me retrouve avec une proportion de bilinguisme de 11 p. 100, assez semblable.

Toutefois, essentiellement, chez les immigrants qui ont l'anglais comme langue maternelle, cette proportion est évidemment beaucoup plus faible; autour de 8 p. 100.

Grosso modo, dans l'ensemble, parmi tous les immigrants arrivés entre 2006 et 2011, à peu près 20 p. 100 ont déclaré pouvoir parler le français, mais 12,6 p. 100 ont déclaré parler les deux langues officielles du pays.

La présidente : Le total des personnes à l'extérieur du Québec pouvant s'exprimer en français est donc de combien?

M. Corbeil : En proportion, cela donne 20,5 p. 100 et en termes de nombre, ce serait quelque chose comme 238 000 personnes qui sont arrivées au Canada. Je suis en train de vous induire en erreur; si je regarde à l'extérieur du Québec — je m'excuse —, il s'agit d'une proportion de 6,3 p. 100 de personnes qui sont venues s'établir entre 2006 et 2011.

Je suis désolé, tantôt je parlais de l'ensemble du pays. En termes de nombre, cela représente 58 000 personnes.

La présidente : On a donc 4 p. 100 de francophones dont le français est la langue première. C'est à l'extérieur du Québec?

M. Corbeil : C'est exact.

La présidente : Et en termes de personnes capables de s'exprimer en français, de francophones dont le français est la langue première et de tous les autres, c'est combien?

M. Corbeil : Au total, on a 6,2 p. 100 parmi les immigrants récents, mais c'est essentiellement la même chose si on regarde l'ensemble des immigrants qui représente 6,3 p. 100.

La présidente : Est-ce que cela comprend les anglophones qu'on appelle les francophiles?

M. Corbeil : Il s'agit de toute langue maternelle confondue.

M. Nault : Madame la présidente, demandez-vous la proportion parmi les immigrants ou par rapport à l'ensemble de la population?

La présidente : Par rapport à l'ensemble de la population à l'extérieur du Québec.

M. Nault : Jean-Pierre est en train de vous donner les chiffres pour les immigrants.

La présidente : Merci, monsieur Nault. Je croyais qu'il y avait quelque chose que je ne comprenais pas.

M. Corbeil : Au total, à l'extérieur du Québec, environ 2,4 millions de personnes sont capables de parler le français. Si on exclut à peu près le million de francophones, on aurait à peu près 1,5 million de non francophones capables de soutenir une conversation en français.

La présidente : Alors quel est le pourcentage?

M. Corbeil : À l'extérieur du Québec, cela représente à peu près 11 p. 100 de la population.

La présidente : Merci.

M. Corbeil : Je pourrai vous fournir toutes ces statistiques. Je suis désolé, j'étais vraiment axé sur l'immigration plutôt que sur l'ensemble de la population.

La présidente : Merci, monsieur Corbeil.

La sénatrice Poirier : Merci d'être ici aujourd'hui pour répondre à nos questions. Au Nouveau-Brunswick, des changements ont été faits pour reporter le début de l'immersion en cinquième année, ce qui a créé beaucoup de controverse. Savez-vous si, au cours des dernières années, le Nouveau-Brunswick a suivi la tendance nationale de l'augmentation des inscriptions en immersion?

M. Corbeil : Si on veut comparer le Nouveau-Brunswick, il faut savoir que la proportion est moins forte car au Nouveau-Brunswick on avait une croissance à peu près de 17 p. 100 des inscriptions dans un programme d'immersion au cours des dernières années, mais cette proportion aurait sans doute été plus importante n'eut été du fait que maintenant les jeunes ont accès à l'immersion plus tard au niveau du primaire. Cela vient donc nuancer un peu cette évolution.

Il est clair qu'au Nouveau-Brunswick, en termes d'augmentation du nombre d'inscriptions au sein des programmes d'immersion, c'est beaucoup moins important qu'en Nouvelle-Écosse. En Nouvelle-Écosse, au cours des 20 dernières années, le nombre de jeunes inscrits en immersion a augmenté de près de 98 p. 100, donc il a presque doublé, tandis qu'au Nouveau-Brunswick on parle d'une croissance d'à peu près 17 p. 100.

La sénatrice Poirier : Est-ce que le pourcentage a diminué à cause du retard à l'entrée?

M. Corbeil : Il faudrait que je vérifie. C'est clair qu'au cours des dernières années cette statistique a effectivement baissé. Sur le plan de l'immersion dans le secteur public, au Nouveau-Brunswick on constate qu'en 2006-2007, il y avait 21 285 jeunes inscrits dans un programme d'immersion tandis qu'en 2010-2011, il y en avait 17 500. Il s'agit donc d'une baisse de près de 4 000 élèves.

C'est pourquoi il faut faire attention à la comparabilité étant donné que le programme a été modifié, mais en termes de nombre d'inscriptions à une année donnée, il y a eu baisse d'environ 4 000 élèves.

La sénatrice Poirier : Étant donné que le Nouveau-Brunswick est une province officiellement bilingue et que beaucoup d'adultes et de jeunes ont fait des efforts pour devenir bilingues, pouvez-vous donner une comparaison du nombre de personnes au Nouveau-Brunswick qui sont bilingues ou qui ont une connaissance des deux langues officielles comparativement à il y a 15 ou 20 ans?

M. Corbeil : Cette proportion n'a pas énormément changé. Malheureusement, je n'ai pas ces statistiques avec moi, mais ce serait assez facile d'y accéder. Ce dont je me souviens, c'est que le bilinguisme qui est quand même assez élevé au Nouveau-Brunswick, chez les francophones en particulier, est demeuré relativement stable au fil des ans. Chez les anglophones, il est aussi assez stable mais la proportion est beaucoup plus faible, mais on pourra vous fournir les données sur demande.

La sénatrice Poirier : Pourriez-vous les fournir à madame la greffière du comité?

M. Corbeil : Bien sûr, on vous fournira ces statistiques.

La sénatrice Champagne : Monsieur Corbeil, il y a une phrase que vous avez répétée au moins deux fois, peut-être trois, dans votre présentation. Vous avez dit que le paroxysme du bilinguisme chez les jeunes se situait entre 15 et 19 ans. Parliez-vous de tous les jeunes canadiens ou des immigrants? Parce qu'on s'est promenés et on ne savait plus si on parlait des immigrants ou de tous les Canadiens incluant les immigrants.

M. Corbeil : On parle vraiment de tous les Canadiens.

La sénatrice Champagne : Dès qu'ils entrent sur le marché du travail, le bilinguisme diminue?

M. Corbeil : Exactement.

La sénatrice Champagne : Est-ce le français ou l'anglais qui est en perte à ce moment-là?

M. Corbeil : C'est vraiment le français parce que le maintien des acquis en anglais par les francophones est vraiment très stable. En fait, il est surtout alimenté par la dynamique sur le marché du travail. Pour ce qui est de la connaissance du français chez les anglophones ou les non francophones du Québec, elle aussi se maintient très bien dans le temps, principalement en raison de la présence importante du français.

À l'extérieur du Québec, c'est là que cela pose un défi particulier parce que justement, la présence du français chez les jeunes prévaut essentiellement en milieu scolaire. À partir du moment où on quitte le milieu scolaire, on cesse de pratiquer et de parler cette langue.

La sénatrice Champagne : Vous faisiez tout à l'heure une comparaison avec le piano. Si on ne joue plus, on joue moins bien si on est encore capable de jouer ou de lire. Je crois que c'est la même chose avec une langue, à moins d'avoir appris une langue bien profondément.

M. Nault : Si vous me permettez d'apporter une nuance. Ce qui est tout de même intéressant, c'est que les jeunes qui ont été dans les programmes d'immersion retiennent beaucoup plus longtemps le français que l'anglais. Les jeunes qui sont passés par les programmes d'immersion ont été beaucoup plus exposés au français. Leurs acquis demeurent plus longtemps que ceux des jeunes qui n'ont été exposés qu'à des cours de français dans leur formation à l'école.

La sénatrice Champagne : J'examinais les tableaux qu'on nous a fournis pour nous préparer à la rencontre d'aujourd'hui. Peut-être que le dernier recensement a été moins précis que les précédents, mais j'ai remarqué qu'on disait : « Nombre de langues parlées : les deux langues officielles et une ou plusieurs langues non officielles ou plusieurs langues non officielles seulement ».

Mais une langue officielle ou une ou plusieurs langues, est-ce que c'était quelque chose qu'on avait demandé au dernier recensement? Je me souviens avoir rempli mon formulaire bien sagement, mais était-ce vraiment une chose qu'on demandait?

Dans ma propre maison, c'était une question à laquelle c'était difficile de répondre parce qu'à deux, mon mari et moi, il y a presque cinq langues dans la maison : le français, l'anglais, l'italien, l'allemand et une bonne partie d'espagnol. Alors, comment répondre à cette question?

Lors des prochains recensements, ce serait une excellente question à y inclure, car cela apporte un éventail plus large des langues parlées au sein de notre pays.

M. Corbeil : Le recensement de 1991 était le premier qui incluait une question sur la connaissance et la capacité de parler une autre langue que le français ou l'anglais. Cette question a été posée dans chacun des recensements depuis, sauf en 2011, puisqu'il n'y avait que trois questions dans le recensement même, cette question ayant été plutôt incluse dans l'Enquête nationale auprès des ménages. Cependant, à l'échelle du Canada et des provinces, on a une information utile sur la connaissance des autres langues que le français ou l'anglais.

La sénatrice Champagne : Nous voulons tous, particulièrement autour de cette table, je crois, que la langue française ait une place importante dans notre pays, qu'elle demeure et qu'elle soit parlée partout.

En France, cette semaine, l'Assemblée nationale a rendu une décision établissant que plusieurs cours universitaires, particulièrement en économie et en affaires, seront donnés en anglais. Non seulement cela sera toléré, comme c'était déjà le cas, mais on va même encourager la chose. Également, il y a une prolifération d'anglicismes sur les chaînes de télévision comme TV5, par exemple. J'ai entendu le mot jackpot, par exemple, ou on a busé sur le buser. Jamais cela ne serait accepté ici. Où allons-nous puiser l'espoir de valoriser la langue française davantage si on ne peut plus compter sur la France?

Cette année, le Sommet de la Francophonie s'est tenu en République démocratique du Congo ou Congo- Brazzaville, que l'on qualifiait de « cœur de la langue française », avec le Sénégal, entre autres. Cette année, par exemple, la rencontre des ministres de la Francophonie aura lieu en Côte d'Ivoire ainsi que la rencontre des parlementaires. Comment pouvons-nous trouver une façon de raviver la langue française chez nous maintenant? Devrons-nous amener des Congolais ou des Ivoiriens pour nous aider à conserver notre français au Canada? Selon les chiffres que vous avez au niveau de l'immigration, croyez-vous que c'est cela la solution?

M. Corbeil : Bien sûr, j'ai le chapeau de Jean-Pierre Corbeil comme citoyen et celui de Jean-Pierre Corbeil chez Statistique Canada. J'essaierai de me situer un peu entre les deux. On sait très bien que la question de la valorisation de la langue est un élément fondamental. À l'extérieur du Québec, il faut savoir qu'il y a près de 240 000 personnes qui ont le français comme langue maternelle et qui ont déclaré, en 2006, être plus à l'aise en anglais qu'en français. Et la plupart de ces francophones demeurent dans des municipalités où leur poids démographique est inférieur à 10 p. 100 de la population.

Il faut être conscient, quand on pense à l'immigration internationale comme solution, que ces immigrants ne peuvent pas nécessairement relever les défis que les francophones peinent à relever eux-mêmes. En 2006, une enquête majeure a été menée sur la vitalité des minorités de langues officielles, et ce qu'il en est ressorti particulièrement, c'est justement le fait qu'il y a des défis à relever. Cependant, il faut être conscient que ce n'est pas seulement en amenant des nouveaux arrivants qu'on règlera le problème; les immigrants sont nécessaires, c'est indéniable, à cause justement du déclin démographique et du vieillissement de la population, mais les défis auxquels on est confronté en matière de maintien, de valorisation et de vitalité de la langue française, c'est un tout, c'est un défi global. C'est la raison pour laquelle il faut vraiment examiner les différentes dimensions, soit l'apprentissage, la transmission, la valorisation. C'est peut-être de cette façon qu'on pourra arriver à mieux comprendre et à mettre de l'avant des pistes d'action.

La sénatrice Champagne : Lorsqu'ils arriveront sur le marché du travail, ils seront atteints de la contagion et se dirigeront vers l'anglais alors que le français deviendra une langue seconde, ou même une troisième ou quatrième langue.

M. Corbeil : À partir des données du recensement, un portrait sur l'immigration de langue française à l'extérieur du Québec a été fait. Cela fait plusieurs années que les immigrants francophones eux-mêmes manifestent le besoin d'un apprentissage des deux langues officielles. Ce qui ressort de cela, c'est que les immigrants qui ne connaissent que le français, essentiellement en provenance d'Afrique, ont un taux de chômage de trois points de pourcentage supérieur à ceux qui proviennent d'autres pays où il y a vraiment un besoin d'apprentissage des langues secondes. Il ressort de cela également que ces immigrants sont très scolarisés; une forte proportion des nouveaux immigrants sont des diplômés universitaires et pourtant leur niveau de chômage est plus élevé.

La sénatrice Champagne : Ils vont choisir le Canada comme pays d'adoption parce que c'est un endroit où ils auront accès aux deux langues et où ce sera plus facile d'apprendre l'anglais. Ceci combiné à la France, qui commence à n'utiliser que l'anglais dans ses universités, où allons-nous? C'est une des choses que je rapporterai à la prochaine réunion internationale, croyez-moi.

Le sénateur Robichaud : C'est très intéressant ce que vous nous dites. J'espère que nous n'aurons pas à subir un examen sur cette leçon de statistiques. Les étudiants universitaires paniquent lorsqu'on leur parle de statistiques. Cependant, c'est très intéressant. Avez-vous des données sur la langue de travail, à savoir quels changements il peut y avoir du français vers l'anglais ou vice versa, dépendamment des différentes régions? Car cela a définitivement une incidence sur la langue de préférence ou la langue que les immigrants valoriseront pour se trouver de l'emploi et migrer vers la communauté anglophone.

M. Corbeil : Vous avez tout à fait raison. À ce titre, les dernières données sur les langues utilisées au travail seront publiées le 26 juin prochain, en même temps que les données sur la migration interprovinciale, l'éducation et le marché du travail. Bien sûr, à l'extérieur du Québec, ce qui ressort nettement, c'est qu'on a plus tendance à utiliser le français dans des secteurs où on retrouve davantage de francophones. Ce n'est pas surprenant que dans le domaine de l'éducation, par exemple, dans le domaine de la santé, les francophones utilisent davantage leur langue au travail. Bien sûr, dans la fonction publique, même s'il y a une différence entre ce côté-ci de la frontière et l'autre côté, les francophones travaillant dans la fonction publique du côté du Québec ayant davantage tendance à utiliser le français que ceux qui travaillent de ce côté-ci. Vous avez tout à fait raison, cela dépend d'une province à l'autre.

Au Nouveau-Brunswick, les francophones utilisent beaucoup plus leur langue, mais cela dépend tout de même dans quel secteur, cela dépend où exactement ils travaillent. Ceux qui travaillent à Moncton ont moins tendance à utiliser le français que ceux qui travaillent davantage dans le nord de la province. En Ontario, il y a une très grande différence entre la région d'Ottawa, le nord versus le sud-ouest de la province. C'est très clair.

Vous avez raison, il est difficile d'établir un lien de causalité. Est-ce la langue de travail qui a une influence sur la langue parlée à la maison ou l'inverse? Le code du Québec est assez exemplaire à cet égard. À partir du moment où le français est présent à la maison, même si c'est comme langue seconde, on établit une corrélation très forte entre l'utilisation de cette langue au travail et dans l'espace public.

Les données sur la langue de travail sont très utiles. C'est à peu près la seule information dont on dispose qui puisse nous éclairer sur l'utilisation des langues à l'extérieur de la sphère privée.

Le sénateur Robichaud : Disposez-vous de données, dans d'autres pays où le français est une langue seconde, à savoir quelle influence la langue française est en train de subir ou de vivre?

M. Corbeil : En fait, madame la sénatrice Champagne a mentionné tout à l'heure le cas de la France. Il faut, malgré tout, mentionner que cela représente environ 1 p. 100 des cours dans ce domaine. Il est clair que la croissance la plus importante de la francophonie, on l'a mentionné tout à l'heure, on la remarque dans le continent africain. Les hypothèses émises par les spécialistes démontrent que, de plus en plus, on fait la promotion de l'enseignement du français en Afrique étant donné une valorisation croissante du français là-bas. Bien que n'ayant pas nécessairement le français comme langue maternelle, beaucoup d'Africains dans des pays francophones passeront par ces institutions d'enseignement qui sont essentiellement de langue française. Cette hypothèse fait en sorte que cela contribuerait à l'accroissement du français au niveau international.

D'autres facteurs s'ajoutent. Plusieurs pays d'Afrique sont membres de la francophonie, certains dont le français est une langue officielle, d'autres une langue d'usage. Ce fait a une influence sur l'utilisation des langues.

On remarque que des immigrants qui proviennent de pays où le français est langue officielle ont beaucoup plus tendance à adopter ou s'orienter vers le français. Si le pays fait partie de la francophonie et que le français n'est pas d'usage fréquent, la tendance ne fait pas nécessairement partie des pratiques des immigrants qui viennent de ces pays.

Le sénateur Robichaud : Avez-vous des données concernant l'usage du français en Belgique?

M. Corbeil : Si ma mémoire est bonne, la Belgique a cessé de poser des questions linguistiques en 1947. La raison était que cela constitue un défi ou un enjeu politique majeur. De la même façon, la France, depuis très longtemps, ne pose plus de question de nature linguistique dans aucun recensement.

Des enquêtes ont toutefois été effectuées, au cours des dernières années, avec beaucoup de questions de nature linguistique. La Belgique est vraiment un cas d'espèce particulier, et on ne dispose pas d'informations sur ce sujet dans les recensements à tout le moins.

Le sénateur Robichaud : Il faudrait vous demander d'aller en Belgique pour recueillir ces données, n'est-ce pas? Je vous remercie.

Le sénateur Mockler : J'écoutais attentivement lorsque vous donniez des statistiques sur les immigrants qui se dirigent vers d'autres provinces. Je sais que des cours sont offerts dans toutes les provinces. Si on avait encore l'immersion précoce au Nouveau-Brunswick, est-ce que cela permettrait de garder plus d'immigrants chez nous?

M. Corbeil : Malheureusement, je ne peux pas répondre à cette question. Nous ne disposons pas de ce genre de données. D'autre part, c'est un phénomène assez récent au Nouveau-Brunswick. On ne dispose donc d'aucune enquête à Statistique Canada qui nous permette d'établir un lien de causalité sur la présence ou non de programmes d'immersion. Je ne dis pas que ce type d'enquête n'est pas possible, mais nous n'en avons pas à l'heure actuelle.

Le sénateur Mockler : Si une association, telle que Canadian Parents for French, vous demandait d'effectuer une telle étude, seriez-vous en mesure de la faire?

M. Corbeil : Dans la mesure où Statistique Canada peut faire ce genre de travail, nous ne faisons pas d'enquête de nature qualitative. En général, ce sont des enquêtes statistiques. On a des enquêtes, par exemple, de nature rétrospective où on est en mesure de savoir, entre autres, pourquoi vous avez quitté telle province et quelles sont les raisons. Ces questions de nature rétrospective peuvent être posées dans une enquête.

Le sénateur Mockler : On pourrait peut-être voir s'il existe une relation entre permettre aux immigrés de demeurer dans la région du Nouveau-Brunswick si on avait une telle demande?

M. Corbeil : Il serait possible de poser des questions à savoir pourquoi avez-vous migré, par exemple. S'agit-il de raisons de nature essentiellement économique ou n'y avait-il pas de services offerts? Il serait possible de poser ce genre de question.

Le sénateur Mockler : Il n'y a pas que les facteurs économiques qui motivent les immigrants à aller ailleurs. Pouvez- vous nous énumérer d'autres facteurs?

M. Corbeil : C'est sans doute un facteur clé. Il y a, bien sûr, les études. Citons l'exemple des anglophones du Québec. On a posé des questions, par le passé, à des anglophones du Québec à savoir si dans cinq ans ils comptaient résider encore au Québec. Une proportion assez importante nous disait vouloir poursuivre des études postsecondaires à l'extérieur de la province. Les facteurs sont donc le travail, les études, la réunification des familles. Certains ont de la parenté dans certaines provinces et le reste de la famille peut migrer. Il s'agit parfois de travailleurs temporaires qui sont rejoints plus tard par le reste de la famille. Ce sont les principaux facteurs.

Le sénateur Mockler : Les universités ont également un rôle à jouer. Vous avez touché un peu le domaine de l'éducation. À l'Université de Moncton, par exemple, dans les cours d'administration, d'ingénierie et les cours spécialisés, même en droit, on a un fort pourcentage per capita d'immigrants qui sont au Nouveau-Brunswick précisément pour l'éducation.

Un autre facteur existe et que vous n'avez pas mentionné. J'aimerais que vous nous en parliez, car j'ai participé à une rencontre à Moncton dernièrement concernant la culture. La culture est-elle un facteur pour attirer nos immigrants?

M. Corbeil : Sans doute. Ici, en Outaouais, par exemple, d'un recensement à l'autre on observe une mobilité. À partir du moment où les gens fondent une famille, il y a un intérêt pour que les enfants évoluent dans un milieu francophone. On va donc observer une migration. On l'a constaté aussi de la part des anglophones, mais on voit que le besoin de vivre au sein d'une communauté de langue française constitue un facteur qui peut influencer la migration. On peut aller pour des raisons liées aux études ou au travail, mais vous avez raison, cette composante culturelle, linguistique joue clairement un rôle.

Le sénateur Mockler : Est-ce que d'autres facteurs encouragent les immigrants?

M. Corbeil : Je suis convaincu qu'il y en a d'autres. Aucun ne me vient à l'esprit pour l'instant, mais il est fort possible que d'autres facteurs soient associés à l'immigration.

Le sénateur Mockler : Pourriez-vous nous envoyer un schéma des facteurs qui touchent nos petites communautés? Dans les grands centres comme Montréal et Toronto, la situation est différente. Qu'en est-il des petits centres et de la réalité sur le plan de la ruralité?

M. Corbeil : La seule source qui me vient à l'esprit, et je pourrai regarder ce qu'on a au niveau des autres enquêtes, je mentionnais plus tôt cette enquête menée en 2006.

Le sénateur Mockler : Oui.

M. Corbeil : On ne le fait pas souvent dans nos enquêtes, mais on demandait aux répondants qu'elles étaient les raisons principales pour lesquelles ils avaient ou voulaient migrer? Je vais m'informer à savoir si cette information est disponible.

La présidente : Pourrez-vous la faire parvenir au comité?

M. Corbeil : Absolument.

La sénatrice Champagne : J'ai davantage un commentaire qu'une question. Dans la ville de Saint-Hyacinthe, que j'habite, il y a 20 ou 30 ans, beaucoup de gens d'ailleurs sont venus parce que nous avions la faculté de médecine vétérinaire de l'Université de Montréal; la seule école de médecine vétérinaire francophone en Amérique, des laboratoires juste à côté, un institut de recherche et l'Institut de technologie agricole et alimentaire.

Des tas de gens venaient de partout pour étudier, dont beaucoup d'Africains, et vivre dans cette ville merveilleuse qui compte 45 000 habitants où on entend des langues différentes et où on y voit des gens qu'on n'aurait pas vus à l'époque où j'étais petite fille.

On accueille des gens qui parfois restent chez nous. On essaie de les garder, surtout s'ils nous apportent leur culture et qu'ils parlent français.

La présidente : Nous entreprenons le deuxième tour de table. Il ne nous reste que 15 minutes et trois sénateurs ont signalé leur désir de poser des questions.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Le 26 juin prochain, vous allez diffuser les statistiques concernant la mobilité interprovinciale et les données sur la langue de travail et j'aurais une question qui se rapporte à cela.

Je siège au Comité des affaires étrangères et du commerce international. Un de nos témoins de la semaine dernière, M. Woo, nous a recommandé l'enseignement du chinois aux petits Canadiens, et ce, dans toutes les écoles du Canada.

Cela se fait-il déjà en Colombie-Britannique? Quel est le nombre de Chinois en Colombie-Britannique?

Je sais que cela n'a pas tout à fait rapport avec vos affaires, mais c'est une de mes préoccupations et j'aimerais avoir une réponse.

M. Corbeil : Je pourrai vous fournir les statistiques. Il faut savoir qu'il s'agit d'une famille de langues; les gens qui parlent mandarin ne comprennent pas forcément le cantonais. Si on regroupe toutes les langues chinoises, on compte plus d'un million de personnes qui ont une langue chinoise comme langue d'usage à la maison ou comme langue maternelle.

J'ai mentionné que la langue la plus souvent déclarée comme langue parlée était le pendjabi et non pas une langue chinoise individuelle.

Lorsqu'on compare nos 10 millions de Canadiens qui peuvent soutenir une conversation en français à l'échelle nationale, on voit clairement que le français est très loin devant. Le défi, c'est quand on regarde à l'échelle locale, régionale, il est clair que les langues, par exemple, chinoises ou le pendjabi sont beaucoup plus importantes que le français. Il faut savoir qu'au fur et à mesure que se prolonge la durée de séjour au pays, la plupart des immigrants qui arrivent ne transmettent plus cette langue au-delà de la deuxième génération. Malgré le fait que les données de 2006 démontrent qu'à Vancouver près d'une personne sur deux ayant une langue chinoise comme langue maternelle déclare utiliser une langue chinoise au travail, on sait qu'au fur et à mesure que se prolonge la durée de séjour, ces immigrants ont davantage tendance à utiliser l'une ou l'autre des langues officielles.

On ne sait pas si les tendances futures sont garantes de ce qu'on a observé dans le passé, mais il ne faut pas perdre de vue qu'il y a une très grande diversité linguistique au Canada, mais que les langues officielles exercent un facteur de convergence majeur. Est-ce que dans le futur plein de gens vont utiliser surtout une langue chinoise ou une autre langue pour faire le commerce? C'est possible. Cela dit, on constate clairement que l'utilisation de ces langues au travail est beaucoup plus cantonnée dans des secteurs comme la restauration, l'hébergement, des services de proximité que dans des secteurs de haute technologie et des secteurs de pointe. Donc il y a des nuances à apporter.

L'apprentissage des langues étrangères est un phénomène essentiel, mais il faut faire attention lorsqu'on dit que dans 20 ou 30 ans, les langues chinoises domineront. On n'est absolument pas capable de se prononcer là-dessus pour le moment.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Peut-être pas dominer, mais l'intervention de M. Woo avait pour but de nous demander de nous préparer. Il y a déjà beaucoup de relations de commerce avec la Chine et il disait qu'il faudra, dans un futur immédiat, être en mesure de travailler avec eux ou d'aller en Chine et revenir. C'était dans un contexte commercial.

M. Corbeil : Les Chinois en Afrique apprennent maintenant le français pour transiger avec les Africains. On dit que ce n'est pas les langues chinoises qui connaissent la croissance la plus importante au niveau international, mais le français qui serait appelé à connaître une forte croissance au fil des décennies. Il y a plusieurs hypothèses et positions là-dessus.

La sénatrice Fortin-Duplessis : J'ai toujours pensé que l'anglais performait le plus à l'échelle mondiale et que le français était laissé de côté. J'avais une mauvaise impression.

M. Corbeil : Il y a différentes théories, différentes hypothèses. Si on se fie aux données des agences internationales et certains livres qui ont été écrits sur le sujet, le français au niveau international pourrait connaître une croissance importante.

La sénatrice Fortin-Duplessis : C'est une bonne nouvelle.

La sénatrice Tardif : J'aimerais dire à la sénatrice Fortin-Duplessis qu'il y a à Edmonton, en Alberta, un programme d'immersion en mandarin depuis déjà plusieurs années et en Colombie-Britannique bien sûr.

M. Corbeil : En Colombie-Britannique le français est une des six langues offertes.

La sénatrice Tardif : Les statistiques démontrent depuis 2006 et 2007 que l'apprentissage du français de base et régulier, pas en immersion, au primaire et au secondaire, diminue. On sait aussi que plusieurs provinces au Canada n'exigent pas l'enseignement du français à aucun moment dans le programme scolaire.

Pouvez-vous nous dire s'il y a un lien ou une corrélation qui existe entre les provinces qui ont le français obligatoire à un moment donné dans le programme scolaire et le fait que les inscriptions dans les cours de français langue seconde augmentent ou diminuent?

M. Corbeil : C'est une excellente question. On a des statistiques disponibles en ce moment sur les inscriptions dans les différents programmes, que ce soit les programmes de base, les programmes d'immersion, mais on en sait très peu en fait sur les facteurs qui modulent l'évolution des inscriptions. Différents sondages ont été faits par différentes agences.

Lorsqu'on pose la question à savoir quelle seconde langue les enfants devraient apprendre, c'est clair que plus on va vers l'Ouest, plus c'est le français qui est proposé comme langue seconde.

Le fait d'avoir fréquenté un programme d'immersion, par exemple, ou d'avoir reçu un enseignement de français langue seconde amène les parents à vouloir que leurs enfants puissent fréquenter un programme d'enseignement du français langue seconde. Il est clair que, dans l'Ouest, la proportion est moins importante. Cela dit, en Colombie- Britannique et en Alberta, il y a quand même une très forte croissance des inscriptions dans les programmes d'immersion.

En Alberta, au cours de 20 dernières années, les inscriptions ont crû de 26 p. 100, et en Colombie-Britannique de près de 60 p. 100. Pour l'instant, on en sait peu sur les facteurs qui ont pu influencer cette évolution, mais il faudrait effectivement se pencher là-dessus.

La sénatrice Tardif : C'est une étude intéressante, si je peux la suggérer; pour le moment, on ne sait pas si en Alberta l'augmentation est due au fait qu'il y a davantage d'immigrants ou est-ce le fait que, par exemple, en Colombie- Britannique le français n'est pas obligatoire, mais l'étude d'une langue seconde est obligatoire entre la cinquième et la huitième année.

M. Corbeil : Absolument

La sénatrice Tardif : En Alberta, cette exigence n'existe pas, ni en Saskatchewan. On se demande quel effet cela entraîne et je pense que ce serait important.

Le sénateur Robichaud : Il y a une machine qui parle fort; on va parler plus fort. Vous avez dit tantôt que la Loi sur les langues officielles a un effet de convergence. Qu'est-ce que vous vouliez dire par là?

M. Corbeil : Je n'ai pas dit que la Loi sur les langues officielles avait un effet de convergence; j'ai dit que les langues officielles représentaient un facteur de convergence. Je ne me suis pas prononcé sur la loi.

Le sénateur Robichaud : D'accord, alors si vous vouliez m'expliquer cet effet?

M. Corbeil : En fait, le sens de cette affirmation réside essentiellement dans le fait qu'on parle beaucoup au fil des derniers recensements, on ne cesse de mentionner la très grande diversité linguistique au pays, le fait qu'il y a plus de 200 langues, si on inclut les langues autochtones qui ont été déclarées au recensement.

Quand on examine la langue utilisée au travail, par exemple, bien qu'il y ait 20 p. 100 des Canadiens qui aient une autre langue que le français ou l'anglais comme langue maternelle, seulement 2 p. 100 des Canadiens utilisent une autre langue que le français ou l'anglais, le plus souvent au travail.

Ce que cela veut dire, c'est que dans la sphère privée — on l'a mentionné tout à l'heure —, au-delà de la deuxième génération, les langues autres que le français ou l'anglais n'ont pas tendance à être transmises aux enfants. Et quand les enfants complètent leur parcours dans le réseau institutionnel scolaire et arrivent sur le marché du travail, la force qu'exerce l'anglais, bien sûr dans une plus grande mesure à l'extérieur du Québec, et le français également, fait en sorte que les autres langues n'ont pas tendance à être parlées par une proportion importante de la population canadienne.

C'est en ce sens que je parle de convergence, de la même façon qu'au Québec on parle de l'utilisation des langues publiques ou de l'utilisation de la langue d'usage publique. Or, on voit clairement que l'utilisation d'autres langues que le français ou l'anglais est très rare et très peu fréquente au Québec et même dans la région de Montréal.

Le sénateur Robichaud : Vous avez parlé des langues officielles, et non pas de la Loi sur les langues officielles; n'y a-t- il pas convergence?

M. Corbeil : Je vous dirai en primeur que demain matin, à 8 h 30, Statistique Canada diffuse une étude intitulée : L'évolution du bilinguisme français-anglais au Canada de 1961 à 2011.

Beaucoup de gens parlent du 50e anniversaire de la Commission Laurendeau-Dunton qui, elle, a donné naissance à la première loi sur les langues officielles. Bien sûr, la Loi sur les langues officielles a joué et continue de jouer un rôle central. C'est la raison pour laquelle on parle d'un pays officiellement bilingue. La loi est complexe, que ce soit pour les services ou pour les différentes parties de la loi. Bien sûr, il est clair que le cadre législatif a joué un rôle majeur; personne aujourd'hui ne peut le nier au Canada.

La sénatrice Champagne : La Loi sur les langues officielles est complexe, c'est à nous que vous allez dire cela? Je pense qu'on ne s'apprend rien ni l'un ni l'autre. Les gens qui feront cette annonce demain, avec les 50 ans des langues officielles, il faudrait peut-être qu'il y ait un grand logo, quelque part qui dirait : « Vous connaissez deux langues, vous parlez deux langues, une troisième, une quatrième, c'est beaucoup plus facile. »

Et c'est cela qu'il faut qu'on fasse comprendre aux gens; qu'une fois que l'on connaît deux langues, en apprendre une troisième ou une quatrième est beaucoup plus facile.

Je suis absolument ravie et fière, je me pousse du col même quand je n'en porte pas, de penser que ma petite-fille, qui termine son cégep dans quelques semaines ou quelques jours, connaît quatre langues. Le Club Med est venu pour l'embaucher — elle s'en va à l'université — parce qu'elle connaissait le français, l'anglais, l'espagnol et l'allemand. C'était dans un cégep au Québec. Grand-maman est tellement fière! Mais quand on connaît deux langues, on peut en apprendre d'autres. C'est ce qu'il faut dire aux gens. Si on parle le français —

[Traduction]

Si on parle l'anglais... D'ailleurs, je suis accompagnée d'une jeune collègue dont la langue maternelle est l'espagnol. Or, en l'entendant parler, on ne saurait dire quelle est sa langue maternelle.

[Français]

Cela fait partie des choses que nous devons faire. Si les gens connaissent les deux langues officielles, il faut en apprendre une troisième ou une quatrième : le mandarin, le cantonais, l'allemand, l'espagnol ou le portugais. Cela fait partie des choses que nous pouvons semer à tout vent.

Merci, messieurs, d'avoir participé à nos travaux aujourd'hui. Merci, Madame la présidente.

Le sénateur Robichaud : J'ai une dernière petite question. Les langues autochtones au pays sont sérieusement en perte de vitesse, n'est-ce pas?

M. Corbeil : Cela dépend des langues. Plus de 60 langues ont été déclarées lors du recensement de 2011. Bien sûr, certaines langues connaissent une croissance; on pense, entre autres, aux langues inuites qui connaissent une croissance et qui ont une vitalité évidente. Il y a toutefois beaucoup de langues qui sont déclarées par un très petit nombre de personnes et il y a beaucoup de gens qui écrivent justement sur l'extinction possible d'un certain nombre de ces langues qui sont effectivement menacées parce qu'il n'y a pas un bassin de locuteurs suffisamment important. Les langues cri et innu font preuve d'une vitalité assez importante, mais il y en a plusieurs dont l'avenir n'est pas nécessairement très rose.

La présidente : Messieurs, je vous remercie très sincèrement de votre comparution devant notre comité. Je ne sais pas si vous avez remarqué que vous êtes représentants de Statistique Canada et que vous avez réussi à engager les sénateurs dans une discussion non seulement intéressante, mais quasi passionnée. Ce n'est pas souvent que cela arrive avec Statistique Canada!

Merci beaucoup et nous allons attendre avec impatience les réponses à nos questions. Si je comprends bien, un rapport sera rendu public demain et un autre à la fin du mois de juin?

M. Corbeil : Il s'agit d'un court article d'une dizaine de pages dans la revue Regards sur la société canadienne, qui sera diffusé demain à 8 h 30; et le 26 juin, ce sera la diffusion officielle des données du recensement dont j'ai parlé tout à l'heure.

La présidente : Merci, messieurs. Honorables sénateurs, j'ai deux petits points à couvrir. Premièrement, l'ébauche de l'étude des obligations linguistiques de CBC/Radio-Canada ne sera pas terminée pour la fin de juin, car nous n'avons pas encore terminé nos audiences publiques, et que par la suite, nous devrons écrire le rapport. Alors le sous-comité du programme et de la procédure recommande de reporter la date du dépôt à la fin décembre 2013. Si vous êtes d'accord, j'ai une motion que j'aimerais vous proposer et qui sera par la suite déposée au Sénat.

Vous êtes d'accord?

Des voix : D'accord.

La présidente : Très bien. La semaine prochaine, n'oubliez pas que la réunion du comité débutera à 16 heures au lieu de 16 h 30. Nous allons entendre une représentante d'une organisation sans but lucratif qui vient en aide aux femmes francophones immigrantes en milieu minoritaire. La prochaine réunion devrait se terminer vers 17 h 15. Merci beaucoup, honorables sénateurs. Je vais ajourner la séance.

(La séance est levée.)


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