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OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule 20 - Témoignages du 3 juin 2013


OTTAWA, le lundi 3 juin 2013

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui à 16 heures pour poursuivre son étude des impacts des changements récents au système d'immigration sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire.

La sénatrice Maria Chaput (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des langues officielles. Je me présente, Maria Chaput, sénatrice du Manitoba, présidente du comité.

Avant de présenter le témoin qui comparaît aujourd'hui, j'inviterais les membres du comité à se présenter en commençant par la vice-présidente qui est à ma gauche.

La sénatrice Champagne : Bonjour, je m'appelle Andrée Champagne, sénatrice, de la province de Québec.

Le sénateur Mockler : Bonjour, je m'appelle Percy Mockler, sénateur, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Bonjour, je m'appelle Suzanne Fortin-Duplessis, sénatrice, de la province de Québec.

Le sénateur McIntyre : Bonjour, je m'appelle Paul McIntyre, sénateur, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Tardif : Bonjour, je m'appelle Claudette Tardif, sénatrice, de la province de l'Alberta.

La présidente : Nous accueillons aujourd'hui Mme Émilie-Françoise Crakondji, directrice générale du Carrefour des Femmes du sud-ouest de l'Ontario, un organisme sans but lucratif qui vient en aide aux femmes francophones à London en Ontario. Madame Crakondji est originaire de la République centrafricaine et réside au Canada depuis 17 ans, dont neuf à London. Elle est directrice générale du carrefour depuis octobre 2006. Une bonne partie de la clientèle du Carrefour des Femmes du sud-ouest de l'Ontario est constituée de femmes immigrantes. Ainsi, Madame Crakondji a demandé de comparaître devant le comité afin de pouvoir présenter ses expériences et le point de vue de son organisme dans le cadre de l'étude du comité portant sur les impacts des changements récents au système d'immigration sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Au nom des membres, je vous souhaite la bienvenue devant notre comité. Le comité vous a demandé de faire une présentation d'au plus sept minutes, et les sénateurs suivront avec des questions. Je vous invite maintenant à prendre la parole.

Émilie-Françoise Crakondji, directrice générale, Carrefour des Femmes du Sud-Ouest de l'Ontario : Honorables sénateurs, je voudrais tout d'abord vous remercier de m'avoir donné l'occasion de m'adresser aujourd'hui devant le Comité sénatorial des langues officielles au sujet des impacts des changements récents au système d'immigration au Canada sur les communautés de langues officielles en situation minoritaire.

Le Carrefour des femmes offre, entre autres, un soutien direct aux femmes tels que le counselling, l'accompagnement, l'assistance pratique, la sensibilisation du public, la représentation, la défense des droits et intérêts, l'information, l'orientation, l'aiguillage aux femmes francophones victimes de toutes formes de violence incluant les agressions à caractère sexuel.

Pour pallier le manque des services en français pour les femmes dans la région, nous avons à ce jour conclu des ententes de collaboration avec 43 organismes communautaires anglophones dans le but d'aider les femmes vivant dans les petites municipalités. Ainsi, pour assurer la viabilité de ces services importants, nous avons mené les démarches nécessaires et avons obtenu la désignation du centre, le Carrefour des Femmes, en vertu de la Loi sur les services en français, dont le certificat a été remis en main propre par la ministre Madeleine Meilleur qui, à l'époque s'était déplacée jusqu'à London pour assister à la cérémonie.

Lorsqu'on parle de violence faite aux femmes et d'agression sexuelle, généralement, les gens préfèrent se tenir loin de tout cela, car ce sont des sujets encore tabous dans notre société. Dans la communauté, surtout chez les immigrants, beaucoup de femmes font le choix, contre leur gré — ou elles n'ont pas de choix du tout —, de rester dans ce genre de situation. C'est souvent très difficile de briser le silence et d'oser parler, de dénoncer, parce que cela entraîne de nombreuses conséquences. Bien qu'une bonne partie de notre clientèle soit composée d'immigrantes, les services du centre s'adressent à toutes les femmes francophones sans distinction de race, de culture, de religion et d'orientation sexuelle.

En fonction des besoins identifiés au fils des années, nous avons aussi développé plusieurs programmes complémentaires dans le but d'offrir un continuum de services aux femmes. Ainsi, en 2008, nous avons créé le programme Café-Causette. Dans mon discours, dont vous avez copie, vous pouvez lire en quoi consiste ce programme.

Dans le cas qui nous intéresse ici, l'essentiel de mon intervention portera sur les aspects de ces réformes qui ont une incidence directe sur les femmes immigrantes francophones qui résident dans la région du sud-ouest ontarien et qui vivent dans un contexte minoritaire.

Selon mon expérience professionnelle sur le terrain auprès des femmes au cours des sept dernières années, je suis très préoccupée par certains aspects du système actuel qui ont pour conséquences de les revictimiser et d'augmenter les risques de violence chez elles. Certes, ces impacts négatifs sont difficiles à vivre pour toutes les personnes visées par ces changements, mais ils sont pires sur les immigrantes francophones dans la région où la barrière de la langue constitue déjà en soi un obstacle majeur en matière d'accessibilité aux services dont elles ont droit.

Le temps imparti pour ma présentation étant limité, la période des questions me permettra certainement d'élaborer un peu plus sur le sujet. Je vais donc vous présenter des amendements qu'il serait souhaitable de prendre en considération.

Je demanderais de : rétablir la couverture des services de santé aux réfugié; supprimer toutes les exclusions imposées aux demandeurs d'asile; supprimer l'article 72 du projet de loi C-31 ainsi que tous les paragraphes afférents; supprimer le paragraphe 13(3) du projet de loi C-31; revoir les affectations des fonds ainsi que les volets du programme d'accueil et d'établissement en les adaptant plus aux réalités des bénéficiaires francophones; revoir certains critères de leur application en termes de livraison de services spécifiquement pour les femmes en prenant en compte, par exemple, la notion de « par » et « pour » les femmes francophones, et mettre des fonds dans plus de services directs offerts par les organismes de première ligne; développer et implanter dans les agences des programmes de sensibilisation autour de la notion de « compétence culturelle ».

Voici en résumé les changements que notre organisme souhaiterait voir apporter à ces mesures prises au plan de l'immigration. Nous ne devrions pas perdre de vue le fait qu'une personne immigrante ou réfugiée a eu une vie avant son arrivée au Canada. Cela veut dire qu'elle arrive ici avec un certain bagage intellectuel, culturel, matériel et autres.

Si l'immigration est l'une des solutions privilégiées pour assurer la survie des communautés francophones en situation minoritaire, il est tout à fait logique de penser que la réussite de l'intégration de la femme immigrante francophone dans ce contexte dépend aussi de comment et à quelle étape du processus notre système d'immigration prend en compte ce bagage qu'elle porte en elle, aussi petit soit-il.

Je suis consciente de la volonté du gouvernement du Canada d'améliorer le système d'immigration en vue de le rendre juste et équitable pour tous, et c'est un plaisir pour moi de prendre part à ce devoir collectif de réflexion qui, j'en suis persuadée, permettra réellement d'apporter les ajustements nécessaires sans lesquels l'atteinte des objectifs visés sera compromise.

Honorables sénatrices et sénateurs, permettez-moi de dire avec beaucoup d'humilité que je porte aujourd'hui la voix de celles qui n'en ont pas, la voix de celles qui sont souvent oubliées ou marginalisées. Cette voix est celle des femmes immigrantes d'expression française de la région du sud-ouest ontarien, qui subissent déjà au quotidien, et risqueront de subir davantage, les contrecoups des modifications récentes au système d'immigration.

Enfin, j'espère que mon témoignage saura apporter quelques éléments de réponse au travail du comité. À présent, je suis à votre disposition pour la période de questions. Encore une fois, je vous remercie.

La présidente : Merci beaucoup, madame Crakondji. La première question sera posée par la sénatrice Fortin- Duplessis.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Merci, madame la présidente. Madame, soyez la bienvenue devant notre comité. D'après ce que je peux voir, vous avez fait un travail extraordinaire auprès des femmes qui ont connu la violence. Le gouvernement fédéral a mis sur pied le Plan stratégique pour favoriser l'immigration au sein des communautés francophones en situation minoritaire. Un des piliers de cette stratégie est d'assurer l'intégration, la rétention et l'enracinement des nouveaux immigrants d'expression française dans des communautés en situation minoritaire.

Savez-vous quelles sont les principaux défis qui sont associés à l'intégration des femmes immigrantes de langue française en situation minoritaire?

Mme Crakondji : D'après mon expérience sur le terrain, le principal défi reste la barrière de la langue. Je sais qu'il y a beaucoup de programmes de cours de langues — anglais langue seconde — qui existent, mais pour la plupart des immigrantes qui viennent nous voir, elles n'ont pas un niveau d'éducation assez convaincant pour pouvoir suivre ces cours. Beaucoup d'entre elles ne sont pas allées à l'école longtemps dans leur pays d'origine, et, lorsqu'elles arrivent ici, elles sont obligées d'aller prendre ces cours, pour pouvoir communiquer. Souvent elles font face à un défi du fait, par exemple, que dans ces cours elles se retrouvent parfois dans la même classe que leur enfant, leur fils. Quand le professeur remet les devoirs, il donne ses commentaires devant tout le monde; cela a des impacts sur ces femmes.

Il y a donc la question du niveau d'éducation à la base. Je parle plus particulièrement pour les femmes qui viennent nous voir, car il est vrai qu'il y a des femmes immigrantes francophones qui arrivent avec beaucoup de compétences, on le sait. Mais celles qui viennent nous voir sont celles qui n'arrivent pas à s'intégrer, que ce soit au plan de l'éducation ou du marché du travail. Le grand défi est celui de la langue, de l'accessibilité à l'emploi.

Cela peut être également à cause de l'accent. Pour un poste donné, une femme peut avoir les compétences mais, au moment de postuler entre en jeu la question de la distinction au niveau de la langue, de la communication. Si elle ne parle pas un anglais fluide, cela peut être un obstacle pour accéder à un emploi. Ces femmes vont finir souvent par rester sur l'aide sociale ou dépendante de leur mari.

Les études de Statistique Canada montrent que, dans la région particulièrement, la plupart des femmes immigrantes viennent par parrainage; c'est leur mari qui les fait venir. Si elles ne travaillent pas ou n'arrivent pas à trouver un bon emploi, cela les met dans une situation difficile.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Quelle est la proportion de femmes scolarisées?

Mme Crakondji : Les femmes qui viennent nous voir sont le plus souvent des femmes non scolarisées ou carrément illettrées.

La sénatrice Fortin-Duplessis : C'est un grand problème. Ma dernière question : sentez-vous que les programmes actuels tiennent suffisamment compte de ces défis? Quelles serait les recommandations que vous voudriez formuler au comité? Est-ce que ce seraient celles que l'on trouve à la dernière page de votre mémoire?

Mme Crakondji : Oui. Je pense que le programme que le gouvernement a mis en place en matière d'intégration et d'accueil des immigrants se situe dans ce qu'on appelle l'approche modernisée; c'est ce qui se fait sur le terrain. Les organismes qui sont les fournisseurs de services d'Immigration Canada — nous en étions un il y a de cela quelques mois — offrent des services à ces femmes, mais les besoins de ces femmes généralement ne sont pas pris en considération spécifiquement. En effet, ces programmes n'ont pas été implantés ou développés, à mon avis, en tenant compte du genre. Tout le monde en parle maintenant, on essaie d'offrir le même service pour l'homme et pour la femme. Mais nous savons que les immigrantes ont des défis différents de ceux des immigrants.

Les statistiques montrent aussi que, dans la population immigrante, 97 p. 100 des hommes trouvent un emploi comparativement à 57 p. 100 des femmes. Il y a cette différence-là qui se fait.

Je pense qu'il y a moyen de revoir les programmes qui existent en ce moment concernant l'établissement. Je prends un exemple spécifique : nous avons un programme qui s'appelle Café-Causette, qui était financé il y a de cela quatre ans par Immigration Canada. Un des critères pour participer à ce programme, étant donné que c'est financé par Immigration Canada, est celui-ci : pour une femme qui veut participer à une des activités que nous offrons, si par exemple elle n'a pas de voiture et qu'elle doit venir en autobus, elle doit nous remettre le coupon de transfert qui prouve qu'elle a pris l'autobus, pour qu'on puisse lui remettre un ticket. Parfois, des femmes viennent à des activités; le transfert dure en général une heure, une heure et quart, elles viennent pour deux heures de temps, et elles ne pensent pas à prendre ce transfert. Elles arrivent à l'activité et ne donnent pas ce transfert, alors nous ne leur donnons pas de ticket. Souvent c'est un peu insultant pour ces femmes qui, dans leur pays, avaient peut-être une voiture, un travail et ont tout abandonné pour venir ici, car elles pensent qu'on les traite de voleuses. On leur dit : tu ne nous donnes pas de preuve que tu as pris un autobus, on ne te rembourse pas ton ticket d'autobus. Mais nous sommes tenus, en vertu de ce programme, de justifier toute dépense, même d'un sou, pour avoir ces fonds. C'est quelque chose de très contraignant pour ces femmes, et il y en a qui ne reviennent pas, tout simplement parce que c'est insultant pour elles.

Nous savons combien ce programme d'établissement est très important pour elles, parce qu'elles apprennent la culture canadienne, comment se débrouiller dans la vie au quotidien. Mais les critères qu'on nous impose, dans ce programme, reviennent à les obliger à faire certaines choses qu'elles ne devraient pas pour pouvoir y accéder.

C'est un des exemples; il y en a beaucoup qui font que le programme, qui est initialement fait pour les aider, peut aussi avoir des impacts, parce qu'il y a des critères à respecter pour y participer. Et à chaque fois qu'on vient, on doit signer un papier pour prendre les présences. Quand on vous donne un coupon d'autobus, il faut signer. À chaque étape, il faut donner son papier de résidence permanente pour faire une copie, et il faut justifier chaque mois. Si vous venez dix fois à une activité, il faut amener votre papier dix fois. Ce sont des critères qu'il faut respecter pour pouvoir avoir le financement. C'est un exemple de situations où ces programmes existent, c'est vrai, et le but est d'aider; mais au final, beaucoup de femmes choisissent de ne pas venir parce qu'elles se sentent mal traitées. Ce sont des effets pervers qui peuvent venir compliquer la situation.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Merci beaucoup d'avoir répondu à mes questions avec franchise, madame Crakondji.

La sénatrice Tardif : Bonjour, madame Crakondji. Je vous remercie de votre présentation. Si je comprends bien, votre mandat consiste à soutenir les femmes d'expression française qui ont été victimes d'agression sexuelle ou de violence.

Mme Crakondji : Exactement.

La sénatrice Tardif : Vous nous avez fait part de suggestions d'amendement quant à l'immigration. Vous avez indiqué qu'il serait souhaitable de supprimer l'article 72 du projet de loi C-31 et le paragraphe 13(13) du projet de loi C- 31.

Si je me souviens bien, le projet de loi C-31 était le projet de loi omnibus portant sur l'immigration et que nous avons adopté il y a un an, au printemps 2012. Qu'y a-t-il dans ces deux paragraphes que vous souhaiteriez changer?

Mme Crakondji : L'article 72 concerne spécifiquement la résidence permanente conditionnelle. Une femme qui arrive ici avec son mari ou dont le mari est répondant ou demandeur, est résidente permanente sous couvert de son mari. Quand le couple arrive au Canada, la femme est donc tenue de rester dans cette relation de couple pour un minimum de deux ans et selon cette loi, elle ne peut pas quitter le domicile conjugal. Une personne qui vit la violence peut être exclue de cette partie de la loi. Toutefois, comme vous le savez, quand on dit conjugal, c'est que cela se passe entre deux personnes, qu'il s'agisse d'un couple de même sexe ou hétéosexuel. Dans un couple, par exemple hétérosexuel, parce que c'est le cas de la majorité des femmes qui viennent nous voir, lorsqu'une situation de violence conjugale éclate au grand jour, cela signifie que cela fait longtemps qu'elle a commencé. Ce n'est que l'aspect visible de l'iceberg que nous voyons, car ces situations sont très difficiles à démontrer. Il est bien écrit dans la loi que le résident permanent est assujetti à la condition de cohabiter pendant une période continue de deux ans avec son conjoint à moins que cette personne puisse prouver qu'elle est victime de violence. C'est extrêmement difficile pour une femme victime de violence de le prouver.

Également, pour les immigrants, c'est extrêmement difficile parce qu'ils doivent tenir compte du volet culturel. Il ne s'agit pas juste du couple. Quand on prend époux, on épouse également la famille et l'entourage. La femme mariée qui arrive au Canada fait la fierté de toute une famille dans son pays d'origine. Ce n'est pas permis, par exemple, qu'une femme quitte ou dénonce son mari qui abuse d'elle. Il est arrivé, dans le cadre de notre travail, de voir des femmes qui pleurent parce qu'elles vivent des situations difficiles, mais qui n'arrivent pas à quitter à cause de la pression de cette culture qui les entoure. Quand les femmes arrivent au Canada, elles viennent généralement vivre dans leur communauté. C'est là où elles sont intégrées au début le plus souvent.

Elles ont peur de dénoncer. On parle souvent de la violence physique, mais il y a également la violence psychologique et la violence économique. C'est le mari, dans les couples que nous voyons, qui gère la carte bancaire et les bénéfices offerts aux enfants. Comment voulez-vous que la femme dévoile cela au voisin sans faire honte à la famille? Cela devient extrêmement difficile pour elle de se justifier. Pire encore, un agent d'immigration doit conclure sur la base de preuves fournies. Quelles preuves a-t-elle? C'est sa parole contre celle de son mari. L'agent pourra, selon son propre jugement, prendre une décision discrétionnaire, car ces situations vécues par ces femmes sont difficiles à prouver. Nous croyons que le fait d'exiger de rester dans cette situation, malheureusement, permet à beaucoup d'hommes d'utiliser, de s'en servir pour terroriser les femmes. Nous avons quatre femmes actuellement qui vivent dans ce contexte et qui n'osent même pas aller à la police pour dénoncer, parce que leur mari les menace de les tuer si elles le font.

Elles viennent pleurer dans nos bureaux, mais lorsqu'on leur demande de les dénoncer à la police, elles refusent. Nous respectons leur choix. Quand nous appelons la police, et c'est déjà arrivé, s'il n'y a pas de preuves physiques tels des bleus ou autres, la parole de la femme n'est parfois pas prise en considération. Il y a énormément de souffrance derrière les portes closes. On ne sait pas vraiment ce qui se passe.

C'est une loi qui va causer beaucoup de torts. Si déjà, en temps normal, cela se passe ainsi, alors cela viendra renforcer ces situations et mettre les femmes plus à risque au lieu de les aider. C'est en ce sens que nous aimerions que ces deux articles soient supprimés, parce que prouver une situation de violence est extrêmement difficile.

La sénatrice Tardif : Il s'agit des deux articles, l'article 72 et le paragraphe 13(3)? Je n'ai pas une copie du projet de loi devant moi.

Mme Crakondji : J'ai une copie ici. Oui, ce sont les deux points. L'article en tant que tel établit ces conditions, oui, et cela inclus des exceptions pour les femmes, et que dans le couple, la personne qui vit de la violence doit le prouver. On sait qu'en général ce sont les femmes qui vivent les situations de violence. Comment peuvent-elles prouver une situation de violence dans une relation conjugale? Comment voulez-vous qu'une femme africaine vienne dire que son mari l'a violée? Cela n'existe pas dans leur culture, mais c'est ce qu'elles vivent.

C'est difficile même de leur demander d'affirmer cela, parce qu'elles n'ont pas été éduquées de cette façon. C'est le genre de choses que nous voyons au quotidien. Cette loi ne pourra que donner carte blanche aux hommes. Ce n'est pas tous les hommes qui sont violents, heureusement, mais pour ceux qui le sont, cette loi nuira davantage aux femmes. C'est ce que nous pensons quand on essaie de voir ce que vivent ces femmes.

La sénatrice Champagne : Ces femmes qui se joignent à votre groupe, qui font partie des nouveaux arrivants au Canada, sont en majorité de quelles origines?

Mme Crakondji : La grande majorité des femmes viennent des pays de l'Afrique francophone. Une partie vient de l'Amérique du Sud, la Colombie, le Brésil, de l'Amérique latine et de l'Amérique centrale. Il y a des francophones dans cette catégorie. Une petite partie vient de l'Europe de l'Est.

La sénatrice Champagne : Le financement vient d'Immigration Canada ou de la Feuille de route sur la dualité linguistique?

Mme Crakondji : Notre principal bailleur de fonds est le ministère du Procureur Général de l'Ontario. Le programme que nous avions avec Immigration Canada finançait uniquement le programme de Café-Causette, parce que nous avons six différents programmes. L'un des programmes qui nous permet d'aider les femmes victimes d'abus est financé par le procureur général.

Dans le programme Café-Causette, on fait des activités de groupe ou de réseautage où l'on discute de façon informelle. Cela convient aux besoins de ces femmes qui y viennent aussi pour apprendre. C'est cela qui était financé par Immigration Canada pour ces femmes immigrantes. Nous avons fait le choix d'arrêter ce financement parce que, bien que cela les aidait des fois, les conséquences étaient plus nuisibles pour les femmes. Nous utilisons donc les fonds du procureur général pour ces programmes.

La sénatrice Champagne : Je vois très bien ces femmes qui arrivent d'Afrique, d'Amérique centrale ou de l'Europe de l'Est et qui font face à cette grosse barrière de la langue. Il faut quand même leur faciliter les choses.

Toutefois, que l'on vive à London, Ontario, à Windsor ou dans un coin où les francophones sont dans une situation extrêmement minoritaire, il y a des femmes, si j'ai bien compris ce que vous avez dit, qui arrivent et qui ne sont pas scolarisées, qui lisent à peine dans la langue qui était la leur avant leur arrivée ici. Comment peuvent-elles vous trouver lorsqu'elles arrivent? Qui va les diriger vers votre organisme afin qu'elles puissent recevoir un peu d'aide?

Mme Crakondji : Comme je le disais tantôt, nous avons établi beaucoup de partenariats dans la communauté, que ce soit avec les organismes francophones ou anglophones. Par exemple, au niveau de l'entrée à Windsor, nous avons nos dépliants là-bas. Nous travaillons aussi avec tous les organismes qui offrent des services aux immigrants, y compris les anglophones, ou les centres communautaires, les écoles. On fait donc un travail communautaire de sensibilisation et puis le Carrefour des Femmes est très bien connu dans toute la région. Ce sont les écoles ou les autres centres qui nous appellent, nous réfèrent les femmes.

Au niveau de la ville de London, de la ville de Windsor, nous faisons partie des sous-comités du partenariat local pour l'immigration, c'est un des volets. Nous faisons partie de ce comité. On a notre adresse sur le site web de ces villes. Nous travaillons aussi avec la Société d'aide à l'enfance parce qu'il y a aussi ce volet avec les enfants. Nous avons donc beaucoup de partenariats à travers la région pour offrir le programme aux femmes.

La sénatrice Champagne : Finalement, c'est le gouvernement provincial de l'Ontario qui vous aide le plus financièrement?

Mme Crakondji : Exactement. C'est pour cette raison qu'une des recommandations que j'aurais souhaité faire serait de reconsidérer l'approche modernisée mise en œuvre il y a trois ou quatre ans de faire une évaluation globale afin de voir où on peut réaffecter les fonds — je pense que les services directs sont plus efficaces — puis de mettre l'accent beaucoup plus sur les femmes, la personne, l'individu plutôt que sur le processus ou l'aspect bureaucratie.

Nous avons finalement réalisé que nous ne faisons pas ces activités avec le financement des CIC. Nous ne faisons pas ça pour aider les femmes mais plutôt pour respecter les critères des CIC. C'était dans ce contexte qu'on se retrouvait.

Prenons l'exemple d'une femme qui arrive et qui ne parle pas la langue. Vous savez, le sud-ouest est peut-être la région je dirais orpheline en matière de services en français en Ontario; on est un cas particulier. Dans les ministères, à Immigration Canada par exemple, ou dans les autres ministères des deux ordres de gouvernement, on justifie l'existence d'un service par le nombre d'usagers. On entend dire que le nombre le justifie ou ne le justifie pas. Plus il y a d'usagers, plus il y a des chances qu'un programme soit financé.

Parfois on met sur pied un projet pilote et après un an de fonctionnement, alors que le service commence à offrir de l'aide, on le coupe parce qu'il n'a pas suffisamment de clients. C'est la réalité quotidienne avec laquelle on vit. C'est dommage parce qu'on est dans un pays bilingue; on paie extrêmement cher pour déneiger les routes mais on n'est pas prêt à investir suffisamment d'argent pour des individus qui seront de futurs payeurs de taxes. Vous comprenez cet enjeu? On reconnaît que beaucoup d'efforts ont été faits au niveau du gouvernement fédéral ou d'Immigration Canada. Mais il y a encore des efforts à faire.

J'ai parlé plus tôt de la notion de « par » et « pour ». Vous le savez peut-être mieux que moi, la plupart des organismes qui existent dans le sud-ouest sont des organismes anglophones. On donne des fonds pour qu'ils offrent également des services en français. Mais quand une personne francophone appelle, la réponse se fait d'abord en anglais et, ensuite, en français, qui se limite à un bonjour. Une fois que cette partie du bonjour est passée, si la personne désire avoir un service en français, elle doit attendre afin de faire venir une interprète, qui peut arriver dans une ou deux heures. Juste parce que tu parles français, tu dois attendre.

Nous avons vécu des situations dramatiques où ce sont des femmes francophones qui ont besoin de ces services en français. Comme c'est offert par les organismes anglophones de la place, on fait appel à des interprètes masculins qui parfois doivent interpréter des choses en français par rapport au vécu d'une femme. Et ces hommes, qui sont des interprètes, connaissent éventuellement le mari de cette femme. Vous comprenez dans quelle situation cette femme se retrouve? On l'amène chez l'avocat ou à l'hôpital, elle doit étaler ses problèmes de santé devant un homme. C'est extrêmement difficile. Il y a donc un suivi à faire à ce niveau par rapport à la livraison des services. Ce sont des situations qu'on voit beaucoup. Cela fait qu'il y a parfois des femmes qui sont malades qui ne vont pas à l'hôpital parce qu'il n'y a pas d'hôpital francophone dans le sud-ouest. Il y a quelques médecins qui sont francophones, mais s'ils parlent français, ils ne s'identifient pas comme francophones. C'est parfois plus simple de ne parler qu'en anglais. On fait donc venir les interprètes et on prend la première personne disponible pour interpréter, que ce soit un homme ou une femme, ce n'est pas leur problème. Vous comprenez que c'est une situation très difficile.

Lorsque je dis que la barrière de la langue est l'obstacle majeur, il demeure l'obstacle majeur. Il y a un manque de services en français parce que dans le sud-ouest, il n'y a pas beaucoup d'immigrants. Les francophones en général représentent 2,6 p. 100 de la population. Et parmi ce nombre, on tient à considérer les immigrants. On se dit : comme il n'y a pas beaucoup de francophones, pourquoi offrir des services particuliers? Peut-être qu'un service offert par et pour les francophones, particulièrement pour les femmes, financé par CIC éventuellement, pourrait compenser ce manque.

La sénatrice Champagne : Cela faciliterait la vie à bien des gens —

Mme Crakondji : Je crois que oui.

La sénatrice Champagne : — incluant des gens comme vous qui travaillez à aider les autres.

Le sénateur De Bané : J'ai une question complémentaire. Savez-vous combien de gens dans la province de l'Ontario parlent français? Pas uniquement ceux qui sont de langue maternelle française — ça, il y en a 600 000 en Ontario. Combien y en a-t-il en Ontario qui parlent français, qui peuvent échanger en français?

Mme Crakondji : Statistique Canada parle d'environ 1 700 000 personnes.

Le sénateur De Bané : Un million sept cent mille, c'est trois fois le nombre de francophones de langue maternelle française, un million huit cent mille. Un million huit cent mille sur treize millions, c'est environ 20 p. 100 qui parlent français. Et dans la région dont nous parlons, il y a quand même un réservoir de 20 p. 100 de gens qui peuvent parler le français, qui peuvent échanger en français selon Statistique Canada.

Pensez-vous qu'il serait réaliste d'essayer d'en identifier pour avoir un bon réservoir de gens, particulièrement de femmes, qui peuvent échanger en français?

Je vois très bien le problème. C'est difficile pour une femme de se confier à un homme qu'elle ne connaît pas; ce serait tellement plus simple de le faire avec une autre femme. Dans cette province en particulier, il y a un nombre très important de gens qui peuvent parler français. Je voudrais qu'on réfléchisse à un moyen de les amener à vous aider.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie, madame Crakondji, pour votre présentation. Je comprends que votre association offre beaucoup d'aide à la femme immigrante; de l'aide dans leur vie quotidienne, pour une recherche d'emploi ainsi que des services aux nouveaux arrivants francophones. À la page 2 de votre rapport, vous dressez une liste d'amendements qui, selon votre association, seraient souhaitables. Nous comprenons tous que Citoyenneté et Immigration Canada a des obligations en matière de langues officielles. Quelle relation votre association entretient-elle avec Citoyenneté et Immigration Canada et sont-ils ouverts à l'idée d'apporter des changements au système actuel?

Mme Crakondji : Votre question est très pertinente. Tout d'abord, concernant notre relation avec Citoyenneté et Immigration Canada, elle est excellente. Pour preuve, en 2011, à l'occasion d'une remise de certificats aux femmes immigrantes à l'intérieur d'un programme pour aider les femmes dans le domaine de l'entrepreneuriat, Citoyenneté et Immigration Canada a assisté à la cérémonie. Nous avons donc une très bonne entente ou collaboration avec le bureau régional.

Ceci étant dit, nous avons essayé de les aborder pour expliquer nos contraintes à un certain moment. Vous savez, les bureaux régionaux, d'après ce que j'ai compris, fonctionnent selon les directives d'Ottawa, du gouvernement. Si des directives leur ont été données, ils sont tenus de les respecter. Nous avons eu plusieurs réunions avec les responsables du bureau régional. Malheureusement, il y a certaines choses qu'ils ne peuvent pas changer parce que cela vient du Conseil du Trésor du Canada ou d'Ottawa. Par conséquent, on n'a pas eu de succès à ce niveau et c'est ce qui nous a amenés à arrêter ce programme.

Du point de vue de l'ouverture, je pense que oui, tout être humain peut changer d'avis à un moment donné. Je pense que c'est possible si plusieurs demandes de ce genre arrivent. Je connais beaucoup d'autres organismes qui offrent des services, peut-être pas uniquement aux femmes, mais à toutes personnes qui vivent ce genre de contrainte et qui n'osent pas le dire sous peine, par exemple, de se voir couper le financement. Ce sont des choses qui arrivent.

Malheureusement, je ne pourrais pas répondre à la question de savoir si Citoyenneté et Immigration Canada ou le bureau régional seraient prêts à faire des modifications pour adapter le programme. Je crois que ce changement systémique devrait avoir lieu à un plus haut niveau. Il n'y a pas que le cas du sud-ouest, c'est un programme national, et probablement que toutes les personnes qui ont accès à ces programmes de CIC font face à ces mêmes défis. Je crois qu'il serait souhaitable que le changement ait lieu à un niveau beaucoup plus élevé du gouvernement que le bureau régional.

Le sénateur McIntyre : Beaucoup de femmes sont victimes de violence et d'abus. Par contre, elles ne portent pas plainte à la police. Est-ce assez commun?

Mme Crakondji : C'est assez commun, malheureusement oui, monsieur le sénateur.

Le sénateur McIntyre : Du moins, si elles portent plainte, il n'y a pas de suivi par après?

Mme Crakondji : C'est très délicat comme situation, monsieur le sénateur. Par exemple, des fois, les femmes sont influencées par ce qu'on observe. Si je prends le cas d'une femme qui a été agressée sexuellement; c'est un acte criminel, vous le savez, et le fardeau de la preuve revient à la victime. Ce n'est même pas la victime qui porte plainte, c'est la Couronne. Elle est juste témoin de sa propre situation. Souvent, à la fin du processus, les femmes regrettent d'avoir porté plainte, parce qu'elles n'ont pas le contrôle de la situation. C'est tout le système, la machine qui est en marche. Tu n'as plus le contrôle de la situation parce que c'est la Couronne qui entre en ligne de compte, les avocats et tout cela, on te dit quoi faire et puis, bon, c'est ce que tu dis par opposition à la version de l'accusé, et cetera, puis, au final, mettons, l'accusé en sort avec des sentences assez légères quand même et même, parfois, l'accusé est acquitté. Cela a pour effet de victimiser la femme de nouveau.

Cependant, nous les encourageons fortement à déposer une plainte parce que, sinon, cela ne peut qu'empirer. En même temps, on ne peut pas les forcer à le faire parce que, selon notre mandat, nous ne pouvons pas obliger une femme. Nous dénonçons par contre, nous rapportons à la police si on a l'évidence de violence physique avec des blessures; nous sommes tenus de dénoncer. Si la femme menace de se suicider également. Il y a des limites à notre confidentialité.

La plupart du temps, ce sont les violences d'ordre psychologique qui détruisent carrément. La femme perd ses repères. Ce sont des violences difficiles à prouver. C'est beaucoup plus cela qui cause des dommages. Quand c'est physique, généralement, la femme n'attend pas, elle appelle la police. Après, la police donne le mandat pour empêcher le mari d'avoir accès à la femme. Lorsqu'il s'agit de femmes immigrantes, le problème est plus complexe, car le poids social et culturel entre en ligne de compte. La femme doit être forte. C'est son devoir de protéger le mari. C'est valable pour tous les pays; pas seulement l'Afrique, mais également l'Amérique latine ou l'Europe de l'Est. C'est mal vu de dénoncer.

Avant de réaliser qu'il s'agit de violence, parfois cela prend du temps, parce que souvent la violence est accompagnée de tendresse. C'est tout un cycle. Cela prend du temps à la femme pour réaliser cela. Si elles ne portent pas plainte, elles ont une certaine raison.

Pour votre information, la situation de crise que nous vivons est également causée par les coupures au niveau des programmes sociaux. Avant, la femme, qui quittait son mari, allait dans une maison d'hébergement et on s'occupait de l'aider à trouver un logement. Avant de s'installer dans le logement, on lui donnait un petit montant d'argent pour s'équiper, mais ces fonds ont été coupés. Évidemment, la plupart des femmes qui vivent ce genre de situation ont un revenu très faible. Nous connaissons des femmes qui, même quatre ans après qu'elles ont quitté la situation de violence, n'ont pas encore de table dans leur appartement, ni de lit en bonne et due forme, peut-être un matelas par terre pour coucher les enfants, parce qu'elles n'ont pas de budget ou d'argent pour se payer cela. Parfois, la personne doit choisir entre assurer un minimum ou partir. C'est un peu délicat pour ces femmes.

Le sénateur Mockler : Je me joins à mes collègues pour vous féliciter pour le rôle très important et louable que vous jouez.

Votre centre existe depuis 2006. Depuis ce temps, combien de personnes le centre a-t-il aidées? Si vous n'avez pas les chiffres, vous pourrez les transmettre au comité par écrit. De quelle nature sont les cas que vous traitez?

Mme Crakondji : Jusqu'à aujourd'hui, nous avons servi en moyenne 600 femmes francophones. Ceci étant dit, il n'y a pas de limite à nos services. Une femme qui est venue nous voir il y a sept ans peut revenir. Si elle revient, on ne la compte pas comme une femme supplémentaire, mais c'est une femme qui a été comptabilisée dans nos chiffres.

Au total, nous avons aidé environ 600 femmes dans les cas d'accompagnement et de counselling. Cela ne comprend pas les autres groupes de femmes qui viennent du programme Café Causette car ce programme a été ouvert à toutes les femmes, qu'elles travaillent ou qu'elles restent à la maison, peu importe. On veut donner un sens à la vie des femmes victimes de violence pour leur enlever l'étiquette et être mélangées aux autres femmes qui ne sont pas victimes de violence. Toutes les femmes ne sont pas victimes de violence, heureusement.

D'autres femmes de toutes sortes d'origines viennent s'associer aux autres pour parler de toutes sortes de choses. Cela les valorise et les aides. On ne garde pas de chiffres pour ces personnes, mais c'est beaucoup plus les femmes victimes d'abus qui viennent pour ces services.

J'ai fait un schéma qui est un casse-tête en forme de tête de femme. Ce casse-tête représente une femme immigrante. Lorsqu'elle vient nous voir, elle a toutes sortes de problèmes.

La présidente : À cause du temps qu'il nous reste, pourriez-vous nous en remettre une copie et on pourrait le faire circuler aux membres?

Mme Crakondji : Il n'y a pas de problèmes. Nous avons plusieurs programmes. On fait du counselling. On accompagne la personne pour la recherche d'emploi, la recherche de logement, à la cour, à l'hôpital. On l'accompagne partout là où elle a besoin de services.

Le sénateur Mockler : Quel pourcentage de votre clientèle a subi un abus conjugal?

Mme Crakondji : Parmi les 600 personnes, je dirais 100 p. 100.

Le sénateur Mockler : Recevez-vous des fonds du gouvernement provincial?

Mme Crakondji : Oui.

Le sénateur Mockler : Recevez-vous des fonds du gouvernement fédéral?

Mme Crakondji : Pour ce programme, non.

La présidente : Pour d'autres programmes?

Le sénateur De Bané : Pour l'accueil d'immigrants, Ottawa fait beaucoup.

Mme Crakondji : Mais nous n'avons pas de financement.

Le sénateur De Bané : Nous en donnons au gouvernement provincial.

La présidente : Sénateur De Bané, c'est le temps de parole du sénateur Mockler.

Le sénateur Mockler : Sénateur De Bané, on travaille en équipe.

Il y a d'autres carrefours dans d'autres provinces. Il y en a un à l'Île-du-Prince-Edouard, en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick, au Manitoba et en Ontario. À l'intérieur de la Feuille de route — qui représente plus d'un milliard de dollars — on retrouve : Immigration - 149,5 millions de dollars, Citoyenneté et Immigration Canada, Formation linguistique pour les immigrants économiques, 120 millions de dollars.

Donc, 120 millions de dollars et je crois que vous pourriez avoir accès à ces fonds. Et on y retrouve également : l'immigration vers les communautés de langue officielle en situation minoritaire — incluant l'Appui à l'immigration francophone au Nouveau-Brunswick 4 millions de dollars — 29,5 millions de dollars.

Ces fonds sont des ententes fédérales-provinciales. Le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux se sont entendus pour offrir différents programmes. Madame Crakondji, vous devriez poser la question au gouvernement de l'Ontario pour vous assurer que les fonds distribués pour des programmes comme les vôtres soient remis. Il ne s'agit pas de fonds exclusivement provinciaux, mais en partenariat avec le gouvernement fédéral.

Avez-vous suivi de près les fonds attitrés aux différents programmes de la Feuille de route? Vous devriez les suivre de façon à accéder à des fonds qui vous permettraient, selon vos recommandations, de développer et d'implanter des programmes de sensibilisation autour de la notion de compétence culturelle. C'est important, car si on ne connaît pas la culture de nos immigrants, comment leur donner un meilleur service ou comment les accompagner dans leur intégration à la culture canadienne.

Le sénateur De Bané : Le sénateur Mockler a exprimé de façon beaucoup plus claire ce que je voulais vous dire. Il faut garder à l'esprit que l'immigration, en vertu de la Constitution canadienne, est du ressort des deux niveaux de gouvernement. Le Québec s'est prévalu de cette disposition, à savoir que les deux gouvernements ont compétence en la matière. Toutefois, au final, le gouvernement canadien est celui qui se sent responsable de ce programme en premier, soit directement à travers des établissements comme le vôtre, soit à travers le gouvernement provincial. La source des fonds provient beaucoup du gouvernement canadien. Les provinces participent également, mais cela provient essentiellement du gouvernement fédéral. C'est la raison pour laquelle nous sommes très intéressés par vos recommandations.

Mme Crakondji : Merci.

La sénatrice Tardif : Je suis très touchée par votre témoignage concernant le vécu de certaines femmes immigrantes francophones. Vous avez décrit certains défis auxquels ces femmes doivent faire face et certains de vos besoins. Que pourrait davantage faire le gouvernement fédéral pour vous appuyer dans votre travail afin d'aider ces femmes immigrantes francophones?

Mme Crakondji : Premièrement, réaffecter les fonds dans les services directs; identifier des organismes comme le nôtre qui ont accès à ces fonds directement et revoir ces critères d'accessibilité aux services.

Je prends l'exemple du ticket d'autobus, qui n'a pas de sens. Sommes-nous là pour aider les femmes à s'intégrer ou sommes-nous là pour respecter les critères du Conseil du Trésor du Canada? C'est ça la question. Il faudrait revoir ces critères et rendre plus souple l'accessibilité à ces services. Pour notre organisme, cela nous enlèverait de la pression qui se trouve sur nos épaules. Avec CIC et le financement du gouvernement fédéral, chaque mois il nous faut envoyer un rapport avec des chiffres et statistiques. Pire encore, le mécanisme en place est appelé « entente de contribution ». C'est parfait, histoire d'établir des fonds publics plus clairs. L'organisme Carrefour des femmes en est un très connu qui a bâti sa crédibilité auprès de tous les bailleurs de fonds à tous les paliers de gouvernement, mais il fallait que notre organisme dépense de l'argent et se fasse rembourser après.

Heureusement, nous avons réussi à le faire parce que nous avons quand même un capital; nous avons plusieurs projets d'environ 600 000 $ et cela nous permet de payer les salaires des personnes qui offrent les services, les frais de transport et les frais d'aide, et cetera. À la fin du mois seulement, on fait une réclamation et on attend un mois avant d'être remboursés. Il faut donc avoir des fonds pour soutenir deux mois d'activités pour aider ces femmes. Vous signez une entente de contribution, mais on ne vous donne pas un dollar. Comment peut-on offrir les services?

Si nous n'avons pas d'autres projets, on ne peut même pas offrir ces services; on ne peut même pas, parce qu'on n'a pas d'argent. C'est ce dont je veux parler lorsque je parle de critères; c'est de limiter ces barrières administratives et rendre le service souple et essentiel pour qu'on puisse le fournir comme il faut. S'il y a quatre employés qui travaillent pour le programme, le salaire des quatre employés, les déplacements et tout le reste, cela fait beaucoup d'argent. Si on réclame 20 000 $ par mois, il faut attendre le mois suivant pour obtenir les fonds; ça prend donc un fonds de roulement. Nous avons cela, mais si on n'a pas d'autres projets on ne peut pas le soutenir.

La sénatrice Tardif : Je comprends. Merci. Vous avez soulevé des points très importants qui seront valables pour le comité.

Avez-vous des ressources humaines suffisantes afin de faire face aux défis administratifs qui se posent pour obtenir des fonds du gouvernement fédéral?

Mme Crakondji : Merci d'avoir posé cette question. C'est cela qui duplique le travail de la personne-ressource; c'est la même personne qui aide la femme, qui l'accompagne et qui lui apprend comment naviguer sur Internet, comment trouver l'épicerie la plus proche et qui coûte le moins cher, et comment trouver les coupons étant donné qu'elle n'a pas beaucoup de revenus. Cette même personne doit donc récolter les statistiques. Le financement est restreint; si on demande un certain montant, on nous donne une partie seulement et on doit se débrouiller avec.

Nous sommes habitués à gérer des crises au quotidien. Le budget qu'on nous donne est à peine suffisant et cela ajoute donc une charge de travail en ce qui touche à la paperasserie. Si on avait plus d'argent, on pourrait recruter une autre personne, mais malheureusement le système fait en sorte que c'est la personne qui livre le service qui doit le comptabiliser.

Par exemple, dans les hôpitaux, les infirmières doivent faire leur rapport quotidien et il y a donc une paperasse administrative qui se fait; et quand on se plaint, c'est l'exemple qu'on nous donne. Le médecin doit, après la chirurgie, prendre deux heures de son temps pour terminer son rapport. Parce que c'est lui qui a fait la chirurgie, c'est lui qui doit faire le rapport. Il s'agit de deux heures durant lesquelles il pourrait peut-être opérer un autre patient. C'est la situation.

Je pense qu'avec une consultation ou une rencontre ou un forum, cela pourrait nous amener à des propositions concrètes pour alléger la tâche des employés qui font le travail. Nous devons donc faire face à cet énorme défi.

La sénatrice Tardif : Il est évident que plusieurs agences anglophones comme la vôtre doivent faire face à certains défis dans ce domaine de travail auprès des femmes et dont la langue est l'anglais et non pas le français. Qu'y a-t-il de spécifique relié au fait que vous travaillez en français et qui rend cela plus difficile ou plus facile que pour vos homologues anglophones?

Mme Crakondji : Le cas du sud-ouest est spécifique dans la mesure où les services en français représentent un îlot de services dans un océan de services en anglais. Pour une femme qui a, par exemple, besoin de se loger, les ressources de logement sont en anglais; le ministère Ontario Works, c'est en anglais; pour les écoles, il y a des écoles francophones qui existent; l'hôpital, c'est en anglais. Nous devons de notre côté représenter ce point de chute et établir une connexion avec tous les services qui sont en anglais.

La ville de London est une ville désignée, mais à Ontario Works, les formulaires d'application ne sont même pas en français. J'ai accompagné une femme qui allait à la ville de London pour remplir une demande de passeport; on a imprimé son formulaire en français, mais lorsqu'on se rend dans les bureaux de la ville de London pour assermenter ce formulaire, la personne a refusé parce que le formulaire était en français et qu'elle ne comprenait pas. On nous a demandé de le refaire en anglais. C'est un cas vécu. Tous les services existants des agences sont en anglais; je parle des services au quotidien, à part les bureaux du gouvernement comme Services Ontario qui eux sont bilingues.

Toutefois, pour la plupart, les services municipaux sont en anglais. Ce sont pourtant eux qui offrent le plus souvent les services directs aux immigrants. Nous devons faire face à cette situation, d'où la double difficulté. Nous nous sommes plaints au commissaire aux services en français, mais cela ne bouge pas assez.

Dans le travail que nous faisons, surtout par rapport aux femmes, l'un de nos services est la défense des droits et des intérêts. Par exemple, une femme qui touche l'aide sociale reçoit une lettre du gouvernement. La lettre est en anglais et elle ne la comprend pas. On lui demande d'apporter un document avant telle date. Elle ne comprend pas la lettre et n'a peut-être pas le temps de venir nous voir; la date passe et on lui coupe son aide sociale. Elle vient nous voir et nous montons au créneau, nous défendons ses droits et nous les rétablissons. C'est une des choses que nous faisons régulièrement, presque tous les jours maintenant. C'est juste parce qu'elles parlent français, c'est cela la particularité. Tous les autres services essentiels sont en anglais. Nous essayons juste de faire la connexion entre ces services, car ce sont les besoins auxquels ces femmes font face — en plus de les aider à se reconstruire.

La sénatrice Champagne : Madame Crakondji, je veux vous féliciter, vous remercier pour tout le travail que vous faites. Il y a une question que je ne peux pas m'empêcher de me poser : est-ce que ces problèmes sont ceux auxquels vous avez dû faire face vous-même lorsque vous êtes arrivée au Canada? Est-ce qu'il y avait un Carrefour lorsque vous êtes arrivée, ou est-ce que cela vous a amené à le créer? Je voudrais essayer de voir de quelle façon vous avez approché la situation et de quelle façon vous avez créé le Carrefour des femmes du sud-ouest de l'Ontario que vous dirigez maintenant?

Mme Crakondji : Merci beaucoup, madame la sénatrice. Mon cas est différent, je pense, des autres femmes que nous aidons. Moi, je suis arrivée au Canada en 1996 avec la bourse canadienne de la francophonie. J'ai étudié à l'Université de Chicoutimi, ensuite à l'Université Laval et j'ai terminé mes études avec la Télé-université. Je suis restée au Québec pendant huit ans au total. J'ai décidé de quitter le Québec pour me rendre en Ontario, parce qu'après avoir terminé mes études je n'avais pas trouvé de travail. C'était très difficile pour moi et je me suis dit que j'allais aller dans un endroit où j'allais donner une chance à mes enfants. J'ai quatre enfants. J'ai choisi d'aller dans une province anglophone pour que mes enfants deviennent bilingues.

Cela m'amène à ouvrir une petite parenthèse. C'est le risque auquel les francophones immigrants en contexte minoritaire font face. Quand on arrive, la tendance est de parler la langue de la majorité; et les enfants des immigrants dans le sud-ouest, croyez-le ou non, la plupart vont dans des écoles anglophones parce que les parents veulent que leurs enfants apprennent l'anglais. Et beaucoup d'enfant perdent leur français et sont assimilés par la suite. Cela existe. C'était juste une parenthèse.

J'ai donc déménagé à London pour que mes enfants deviennent bilingues. Je suis arrivée à un moment où il n'y avait aucun service et il fallait en créer. Mais les négociations ont été faites par Action ontarienne contre la violence faite aux femmes. Ils ont mené les consultations, évalué les besoins et négocié avec le gouvernement provincial, qui a accepté de donner une enveloppe budgétaire pour ouvrir un centre dans le sud-ouest. J'ai postulé à cet emploi, je l'ai eu et j'ai mis cela sur pied. Le travail que j'ai fait a plu à mes employeurs et je suis restée.

La sénatrice Champagne : On ne peut dire que bravo.

Mme Crakondji : Merci beaucoup.

La sénatrice Champagne : Merci au nom de toutes celles, particulièrement, que vous avez aidées et que vous allez continuer à aider. Nous essayerons de faire notre petite part.

Mme Crakondji : Merci beaucoup.

La présidente : Madame, je vous remercie très sincèrement au nom des membres de notre comité d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer, et aussi d'avoir répondu à nos questions avec tellement de clarté et d'honnêteté. Merci, madame, je vous souhaite bon succès.

Honorables sénateurs, la séance est levée.

(La séance est levée.)


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