Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans
Fascicule 2 - Témoignages du 1er novembre 2011
OTTAWA, le mardi 1er novembre 2011
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui, à 18 h 5 pour étudier la gestion de la population de phoque gris au large de la côte est du Canada.
Le sénateur Elizabeth Hubley (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente : Chers collègues, je suis heureuse de vous accueillir à la réunion du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans. Je suis Elizabeth Hubley, sénateur de l'Île-du-Prince-Édouard et vice-présidente du comité.
Avant de présenter les témoins, j'aimerais inviter les membres du comité à se présenter. Nous commencerons à ma droite.
Le sénateur Patterson : Sénateur Patterson, du Nunavut.
Le sénateur Cochrane : Sénateur Cochrane, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Harb : Sénateur Mac Harb.
Le sénateur Martin : Yonah Martin, de Vancouver, en Colombie-Britannique.
Le sénateur Raine : Sénateur Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Poirier : Sénateur Poirier, du Nouveau-Brunswick.
La vice-présidente : Le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques a publié en septembre un rapport intitulé Vers le rétablissement des poissons de fond et d'une pêche durable dans l'Est du Canada. Des représentants du conseil ont accepté de venir discuter avec nous ce soir de ce rapport et de leurs constatations relativement à l'étude du comité sur la gestion de la population de phoque gris au large de la côte Est du Canada.
Je suis heureuse de vous accueillir ce soir et je vous remercie de votre patience. J'aimerais souhaiter la bienvenue à Gerard Chidley, ancien président du conseil, à Donald Walker, ancien vice-président, et à Mike Calcutt, directeur exécutif intérimaire.
Au nom des membres du comité, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation à comparaître aujourd'hui. Je vous cède maintenant la parole. Les sénateurs pourront vous poser des questions plus tard.
Gerard Chidley, ancien président, Conseil pour la conservation des ressources halieutiques : Merci, madame la présidente. Avant de commencer, j'aimerais me présenter brièvement. Comme vous l'avez dit, je suis l'ancien président du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques ou CCRH. Je suis propriétaire-exploitant d'un bateau de pêche en haute mer à Terre-Neuve-et-Labrador.
[Français]
Donald Walker, ancien vice-président, Conseil pour la conservation des ressources halieutiques : Mon nom est Donald Walker. Je suis un pêcheur côtier de la région de la Gaspésie, à Québec, et je suis ancien vice-président du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques, le CCRH.
[Traduction]
Mike Calcutt, directeur exécutif intérimaire, Conseil pour la conservation des ressources halieutiques : Je suis fonctionnaire au ministère des Pêches et des Océans ou MPO, et j'étais directeur exécutif intérimaire pour la durée du mandat.
M. Chidley : Je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner ce soir. Nous croyons comprendre que le comité étudie actuellement la gestion de la population de phoque gris sur la côte Est du Canada. C'est pourquoi on nous a invités à comparaître pour répondre aux questions concernant notre rapport intitulé Vers le rétablissement des poissons de fond et d'une pêche durable dans l'Est du Canada.
Ce rapport a été rendu public le 15 septembre 2011. Je crois qu'il a été distribué à l'avance aux membres du comité. Avant de répondre à vos questions sur ce rapport, j'aimerais vous donner un aperçu du contexte.
Le CCRH était un comité consultatif indépendant formé de 12 membres créé par le ministre des Pêches et des Océans en 1993 en réponse aux demandes des groupes d'intérêt qui souhaitaient participer plus activement à la prise de décision concernant les stocks de poisson de fond dans le Canada atlantique. Le mandat du conseil a pris fin le 13 octobre 2011.
En dernier, le conseil devait se pencher sur les conditions nécessaires au succès à long terme de la pêche au poisson de fond, en particulier la morue, et les mesures à prendre pour remplir ces conditions, puis formuler des conseils pour l'avenir.
Dans l'exercice de son mandat, le CCRH a consulté de différentes façons les parties intéressées. Il a tenu 27 consultations dans des collectivités du Canada atlantique, du Québec et du Nunavut, il a organisé un atelier sur l'approche de précaution, il a étudié 26 mémoires soumis au conseil et il a eu des discussions avec des biologistes et des gestionnaires du ministère. L'incidence des phoques sur le rétablissement des poissons de fond a dominé les consultations. En fait, deux grandes entreprises de pêche ont décidé, durant la rencontre sur le poisson de fond dans le golfe, de boycotter les consultations du CCRH pour exprimer leur mécontentement envers l'absence de mesures visant à contrer les effets néfastes du phoque gris.
Le rapport du conseil contient des chapitres sur le mandat, le cadre de référence, 1'historique et l'état actuel des stocks de poisson de fond, ainsi qu'un résumé des consultations. Suivent des chapitres sur les considérations écosystémiques, les phoques, l'approche de précaution, la gouvernance, la situation socioéconomique et les marchés.
Dans le chapitre sur les phoques, le conseil a fait quatre recommandations. Elles figurent aux pages 40 et 41 de la version française du rapport et à la page 35 de la version anglaise.
Ces recommandations sont les suivantes : Le CCRH recommande que des efforts soient déployés immédiatement en vue de la réduction expérimentale des phoques gris dans le sud du golfe du Saint-Laurent, de façon à maintenir le nombre de phoques qui se nourrissent dans cette zone à moins de 31 000 bêtes, et qu'une surveillance exhaustive de l'effet sur les poissons de fond et les paramètres de l'écosystème soit assurée pendant une période suffisante pour évaluer de façon définitive les répercussions sur les processus et les paramètres des populations de poisson de fond dans cette région. Cette recommandation découle du processus consultatif de zone de l'année dernière, dont l'objectif était d'étudier « les impacts des phoques gris sur les populations de poissons dans l'Est du Canada ». Cet avis scientifique est publié sur le site Web du MPO sous le numéro 2010/071.
Le CCRH recommande qu'une série de réunions scientifiques soient organisées, afin d'élargir et examiner les hypothèses à propos des possibilités qu'une réduction des phoques (phoque gris, du Groenland et à capuchon) permette ou améliore le rétablissement des stocks de poisson de fond dans l'ouest de la plate-forme néo-écossaise, dans le nord du golfe du Saint-Laurent et sur le plateau du Labrador et de l'est de Terre-Neuve.
Le CCRH recommande le financement d'un effort de recherche ciblé conçu pour apporter l'information clé manquante sur l'alimentation des phoques, leurs réponses fonctionnelles à la disponibilité des proies, leurs aires d'alimentation, leurs comportements et leur efficacité, ainsi que les méthodes de réduction des populations.
Le CCRH recommande d'entreprendre le prélèvement stratégique des phoques gris dans des zones précises afin de limiter l'expansion des activités de recherche de nourriture, le parasitisme et la colonisation de nouvelles régions.
Les première et quatrième recommandations visent spécifiquement les phoques gris, tandis que la deuxième et la troisième s'appliquent de façon générale aux phoques gris, aux phoques du Groenland et aux phoques à capuchon de l'Est du Canada. Nous estimons qu'il est important de lire chaque recommandation dans le contexte dans lequel elle apparaît dans le rapport. Le texte qui précède et qui suit sert à souligner et à éclairer l'importance de chacune.
Madame la présidente, ma déclaration est terminée. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.
La vice-présidente : Merci beaucoup pour votre présentation.
Le sénateur Harb : Messieurs, j'apprécie le fait que vous ayez dit franchement dès le départ que vous travailliez pour l'industrie de la pêche, et que, par conséquent, cette question vous intéressait tout particulièrement. Voilà qui est louable.
Cela me pose cependant un petit problème. Vous dites que le conseil consultatif était un organisme indépendant, mais certains des membres travaillaient dans l'industrie. Disons, en toute honnêteté, que la plupart des membres du conseil travaillaient dans l'industrie.
Cela étant dit, j'ai lu votre rapport et j'ai été troublé par certains éléments qu'on y trouve. Premièrement, à la page 25, si vous voulez bien vous y rendre, on dit qu'en mars 2010, le Comité consultatif du poisson de fond du golfe a demandé le boycottage de votre réunion. D'entrée de jeu, vous avez été honnêtes et avez souligné que ça a eu des répercussions sur votre étude. Ils ont tenté sans relâche de détourner l'attention du groupe consultatif, afin qu'il mette l'accent sur la population de phoque plutôt que sur le poisson de fond. Ils voulaient que vous vous attaquiez aux phoques. Que des preuves scientifiques existent ou non, c'est ce qu'ils souhaitaient, et c'est la raison pour laquelle ils étaient en colère contre vous.
À la page 36, vous présentez joliment le contexte actuel :
Pendant des millions d'années, les phoques ont occupé une place importante en tant que prédateurs dans l'évolution et l'écologie des écosystèmes marins et côtiers de l'Est du Canada. Leur importance est sans équivoque, mais nous ne comprenons pas encore l'ampleur de leur contribution à la stabilité et à la résilience de ces écosystèmes.
C'est une déclaration lourde de sens. Tout au long du rapport, vous dites qu'il s'agit d'une expérience. Nous ne connaissons toujours pas les faits.
À la page 41, votre groupe souligne clairement qu'il est important qu'une :
[...] série de réunions scientifiques (ateliers et processus consultatif zonal) soient organisées, afin d'élargir et examiner les hypothèses à propos des possibilités qu'une réduction des phoques (phoque gris, du Groenland et à capuchon) permette ou améliore le rétablissement des stocks de poisson de fond dans l'ouest de la plate-forme néo-écossaise, dans le nord du golfe du Saint-Laurent et sur le plateau du Labrador et de l'est de Terre-Neuve.
Une autre de vos recommandations propose de réaliser plus de recherches afin de déterminer si c'est bien le phoque gris qui mange le poisson de fond.
Cependant, dans le même rapport, vous recommandez l'élimination de 70 000 phoques gris. Vous dites clairement qu'une fois que ce sera fait, on pourra déterminer si cette espèce était bien la coupable.
Vous vous engagez à les tuer pour établir les faits, plutôt qu'à faire le contraire.
On ne mentionne nulle part dans le rapport la surpêche au-delà de la limite de 200 milles. Pourtant, plus de 24 pays font de la surpêche. Vous n'abordez pas cette question dans le rapport, mais vous décidez quand même de vous attaquer aux phoques. Qu'avez-vous à dire là-dessus?
M. Chidley : Monsieur le sénateur, il est difficile de tirer des questions de ce que vous venez de dire, mais je tenterai d'y répondre brièvement.
Le boycottage par l'UPM et le FFAW entourant le poisson de fond était directement lié à l'incidence du phoque gris observée par les pêcheurs et au rétablissement du poisson de fond. C'était le but du boycottage. Ils ont dit que si on ne s'attaquait pas au phoque gris, ça ne servirait à rien. L'industrie a abandonné la côte Est en 1992 et la région du golfe depuis quelques années. L'industrie a fait ce qu'elle a pu.
Notre stratégie de chasse au phoque touche la partie sud du golfe du Saint-Laurent. Pendant qu'on procéderait au prélèvement, l'autre recommandation, dont nous avons parlé plus tôt, serait mise en œuvre, soit des initiatives visant à recueillir des données, l'élément manquant, dans l'autre région. Le sud du golfe du Saint-Laurent est la région ciblée pour réduire le nombre d'animaux qui cherchent de la nourriture.
J'ai noté certaines choses que vous avez dites. Tout est basé sur l'écosystème. Le conseil reconnaît aussi que lorsqu'on réduit la population d'un animal, on doit le faire en suivant une méthode d'exploitation durable. C'est un des aspects : bien que nous proposions quatre recommandations, une seule — la réduction ciblée — porte sur le sud du golfe du Saint-Laurent.
C'est la méthode de contrôle établie par des preuves scientifiques depuis près de 10 ans. Des données ont été recueillies au fil du temps, et le symposium qui a eu lieu en 2010 dont j'ai parlé plus tôt, l'avis scientifique qui a été publié, et toutes les autres données selon lesquelles il est impossible de remettre les données scientifiques en question. Le nombre de phoques gris à prélever pour accélérer le rétablissement de la morue provient de ces données. Nous avons basé nos recommandations sur les mesures à prendre.
Je crois que votre autre question portait sur l'indépendance du CCRH. Je ne sais pas s'il existe un organisme de 12 membres plus indépendant, ni s'il est possible de réunir 12 personnes sans qu'aucune d'elle ne soit liée à un groupe ayant ou non des intérêts particuliers. Je crois que j'ai répondu à la plupart de vos questions.
Le sénateur Harb : Je crois savoir que des scientifiques ayant assisté à certaines réunions ont dénoncé le rapport. Ils ont rédigé une lettre ouverte à l'intention du ministère. Vous savez qui sont ces cinq scientifiques réputés. Votre rapport ne fait aucunement état de leur point de vue. Pourquoi? Pourquoi ne pas avoir mentionné que vous n'étiez pas parvenu à un consensus dans votre rapport?
M. Chidley : Nous avons en fait pris la conclusion du rapport scientifique, et nous l'avons examinée. Je ne sais pas si ces scientifiques se sont ouvertement opposés au rapport pendant la réunion. Nous avons tenu des consultations ouvertes, où chaque partie intéressée de l'industrie a eu la chance de s'adresser à nous. Il n'y a pas eu d'opposition.
Le sénateur Patterson : Le processus d'évaluation zonale organisé par le MPO en octobre 2010, dont il est question dans le rapport, a réuni 57 experts canadiens et étrangers en mammifères marins et en relations entre les prédateurs et leurs proies. Les membres du CCRH ont-ils participé à ce processus? Dans l'affirmative, que pensez-vous de ce processus?
M. Chidley : Certains membres de différents secteurs ont participé à ce processus, mais à titre personnel. Il y avait des universitaires, des membres des industries de la transformation et de la pêche, et des scientifiques. Ils ont participé à cette réunion, mais pas en tant que membres du conseil.
M. Calcutt : Pour être plus précis, quatre membres du CCRH ont participé d'une façon ou d'une autre à l'atelier. Deux d'entre eux ont été invités à titre de scientifiques. J'ai moi-même été vérificateur ou observateur, tout comme un autre de nos membres, aussi membre de l'industrie de la pêche du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Patterson : Certains ont suggéré que les scientifiques qui y ont participé ont seulement abordé les effets négatifs liés au phoque gris, sans se pencher sur les effets positifs. Je me demande quels seraient les effets positifs.
Avez-vous des commentaires concernant l'allégation des défenseurs du bien-être des animaux selon laquelle les scientifiques avaient des intentions cachées en participant au processus d'évaluation zonale, et selon laquelle la méthode qu'ils ont utilisée n'était pas équilibrée?
M. Chidley : À ma connaissance, il n'y a rien eu de la sorte. Les scientifiques sont des professionnels.
M. Calcutt : Je ne peux pas vraiment parler des allégations, mais je vous parlerai de l'introduction de l'avis scientifique 2010/071, qui résume l'objectif de cet atelier. Je ne veux pas paraphraser, mais vous pourrez tirer vos propres conclusions en examinant l'objectif, déterminer s'il y avait un parti pris dans un sens ou dans l'autre.
Le sénateur Patterson : Laissons les scientifiques de côté. Vous, monsieur Chidley, travaillez sur l'eau; vous êtes pêcheur depuis longtemps, je crois.
M. Chidley : Depuis 39 ans.
Le sénateur Patterson : Votre organisme a tenu de vastes consultations auprès de pêcheurs qui, comme vous, travaillent sur l'eau. Je crois qu'ils possèdent des connaissances qui pourraient nous être utiles, et j'aimerais que vous les résumiez.
Si on laisse la preuve scientifique de côté, que pensent les pêcheurs du rôle joué par le phoque gris dans la disparition des stocks de morue? Que disent-ils et que pensent-ils?
M. Chidley : Les organismes n'ont pas exprimé leur opinion, mais leurs membres ont participé aux réunions. Ils étaient plus ou moins nombreux selon la saison, si la pêche était ouverte ou non, mais l'information qu'ils ont donnée était de bonne qualité.
Les pêcheurs ont dit que le phoque gris avait des effets importants sur le rétablissement du poisson de fond. Ils voient ce que le phoque gris a fait à l'industrie de la pêche. La morue n'est pas revenue. Il n'y a plus de pêche dans ces régions. Selon eux, il faut absolument contrôler la population de phoque gris.
Dans un écosystème en santé, l'équilibre est bon. Dans les années 1960, il y avait environ 10 000 phoques gris dans la région du golfe; dans les années 1970 et 1980, il y en avait environ 30 000. À l'époque, il y avait une prime pour la chasse au phoque gris. Une prime peut fonctionner si la population est peu élevée. Cependant, les pêcheurs estiment que la population de poisson ne pourra pas se rétablir à cause de l'augmentation importante du nombre de phoques gris. Ils craignent maintenant que la diminution ne touche pas seulement les poissons à nageoires. En effet, ils pensent que les mollusques et les crustacés sont aussi menacés. C'est leur plus grande crainte.
Les scientifiques ont étudié ces répercussions ainsi que l'alimentation et les aires de recherche de nourriture à un point tel que l'occasion de rétablir le poisson de fond est là, si on le veut vraiment. J'ai toujours dit que les membres de l'industrie étaient des scientifiques naturels, car ils travaillent sur l'eau et peuvent déterminer, juste en observant les nuages le matin, s'ils iront à la pêche. Ils n'ont pas besoin des scientifiques pour le savoir. Ce sont eux qui observent ce qui se passe dans l'eau, et ce sont eux qui disent que l'incidence du phoque gris est importante. Nous avons l'occasion de vérifier cette hypothèse dans le sud du golfe.
Le sénateur Patterson : Je crois que vous avez dit qu'il n'y avait aucune pêche dans le sud du golfe, mais selon un de nos collègues, 24 pays pêchent le poisson en très grande quantité. Y a-t-il des activités de pêche dans le golfe qui ont des répercussions sur la population de morue?
M. Chidley : Absolument pas. Des étrangers pêchent en dehors de la zone de 200 milles, et nous avons conclu des ententes avec d'autres pays, notamment l'entente Saint-Pierre-Canada. Saint-Pierre (France) a des quotas dans la zone 3Ps. Cette zone ne se trouve pas dans le sud du golfe. Sur la côte du Labrador, le Canada et l'OPANO gèrent conjointement le turbot dans la zone 2 et les divisions 3KLNO, mais les étrangers ne pêchent pas à l'intérieur de la limite de 200 milles. Aucune de ces ententes multilatérales n'a de répercussions sur le sud du golfe. Les phoques ne suivent pas de méthode de précaution, je peux vous l'assurer.
La vice-présidente : Pourquoi la prime sur le phoque gris a-t-elle été abolie?
M. Chidley : Je ne pourrais pas vous le dire, peut-être que le gouvernement avait décidé de réduire les dépenses. Nous avons cherché à savoir si c'était ça. On constate des réductions semblables dans les services aujourd'hui. Je ne suis pas certain que quelqu'un s'y soit attardé.
M. Calcutt : Je ne connais pas le contexte, mais je crois qu'on y a mis fin au début des années 1980. Ses effets sont donc inexistants depuis un certain temps.
Le sénateur Raine : Il est évident que le problème ne fait qu'empirer, et que si nous n'agissons pas, la morue ne s'en remettra pas.
Je vous pose cette question parce que je ne suis pas pêcheuse et que je ne sais pas comment on s'y prend. Quelle serait la façon la plus efficace d'abattre ce troupeau de phoques gris sans cruauté?
M. Chidley : Il faudrait le déterminer avec des scientifiques et la direction du MPO. Le CCRH s'est maintenu à 25 000 pieds et ne s'est pas mêlé de l'aspect opérationnel. Il y a beaucoup de chasseurs de phoque expérimentés dans le Canada atlantique, et je suis certain que si on lançait une initiative, ils pourraient participer au volet éducatif et nous aider à trouver une façon non cruelle de les abattre. Nous n'avons pas étudié l'aspect opérationnel.
Le sénateur Raine : Il me suffit de consulter les tableaux, et je suis certaine que vous l'avez fait vous aussi. Il est évident qu'il ne s'agit pas d'une croissance normale; la situation échappe à tout contrôle, pour une raison ou pour une autre. Nous devrons travailler fort pour la redresser. Si on ne le fait pas, que pensez-vous qu'il arrivera à la morue et aux autres poissons de fond?
M. Chidley : On risque de voir la plupart des espèces de poisson de fond, surtout celles du sud du golfe, sur la liste des espèces menacées selon la Loi sur les espèces en péril. Le cas échéant, toute pêche effectuée dans le golfe sera touchée. En fonction du niveau de menace, il y aura des restrictions visant la capture accessoire. Actuellement, on a établi un niveau de dommage admissible pour certaines espèces menacées. La pêche de mollusques et de crustacés est au cœur de l'économie du Canada atlantique et de la côte Est de notre province. L'économie sera freinée, car les entreprises ne pourront pas fonctionner comme avant, et c'est là la vraie menace.
Le sénateur Raine : Si on éliminait 73 000 phoques gris dans le sud du golfe, mettrait-on en péril la population de phoque gris?
M. Chidley : D'aucune façon. Selon ce que nous avons appris des données scientifiques, le troupeau est durable. Les animaux que nous souhaitons éliminer sont ceux qui cherchent de la nourriture; ils ne font pas partie du troupeau principal. Celui-ci, composé de plus de 300 000 phoques, se trouve sur l'île de Sable. Les animaux en quête de nourriture se trouvent dans le sud du golfe. Quelque 10 p. 100 seulement des phoques nomades de l'île de Sable se rendent dans le sud du golfe. Il n'est pas question ici d'intervenir sur l'île de Sable; il est question d'empêcher le troupeau de se propager. C'est notre principal objectif, de contenir le troupeau.
À vrai dire, la plupart des pêcheurs ont cédé l'île de Sable aux phoques gris. S'ils souhaitent s'y établir, parfait, mais les pêcheurs ne veulent pas voir leur gagne-pain disparaître dans le reste du Canada atlantique. C'est ce qui explique ce qui arrive. En fait, on commence à voir des phoques gris dans le nord-est des États-Unis. Ils aiment aussi le homard.
Le sénateur Raine : Je viens de la Colombie-Britannique. Il y a environ 10 ans, nous avons été touchés par une épidémie de dendroctone dans un de nos parcs. Les responsables du parc ont décidé de laisser la nature agir. L'épidémie s'est propagée en dehors du parc, et les forêts de pin de l'Ouest du Canada ont été décimées.
Nous devons absolument tenir compte du fait que les humains font aussi partie de l'écosystème, et du fait que ce que nous faisons pour gérer les animaux sauvages et les stocks de poisson est très important. J'ai bien compris le message. J'imagine qu'on attend tous maintenant que des mesures soient prises.
M. Chidley : Je suis d'accord avec vous. L'industrie s'est retirée de l'eau. Les conditions environnementales changent, et les humains font partie de l'écosystème. Le rôle de chacun doit être examiné. On ne peut pas prélever une telle quantité de phoques sans tenir compte des effets éventuels en aval. D'où votre recommandation. Les preuves scientifiques montrent aussi que ça ne fera aucun tort. Le troupeau sera durable bien après. Le poisson de fond, par contre, ne le sera pas si on ne fait rien.
Le sénateur Cochrane : Je dois vous dire qu'il y a environ 10 ou 15 ans, lorsque le sénateur Jack Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador, était encore ici, il voulait que quelque chose soit fait à propos des phoques. C'était il y a longtemps, et le problème persiste toujours, ce qui est très malheureux.
Nous savons que les phoques transmettent des parasites aux poissons, autant à la morue qu'aux autres espèces de poissons et fruits de mer. Ces parasites compromettent la qualité et la valeur des produits de la mer une fois sur le marché. Quelqu'un s'est-il attardé aux parasites provenant des phoques qui s'attaquent aux produits de la mer? Quelqu'un a-t-il déterminé combien il en coûte à l'industrie des poissons et fruits de mer?
M. Chidley : Nous avons eu le privilège d'avoir deux membres de l'industrie de la transformation au sein du conseil. Un était spécialisé dans la production de poisson salé comme celui qu'on trouve dans la région de la Nouvelle-Écosse, et l'autre, dans la pêche au poisson de fond dans la zone 3Ps. Ils produisent des longes de morue, en tranches de trois ou quatre onces, destinées au marché français. Le coût de l'enlèvement en usine des vers rend ces produits non concurrentiels. Si la situation empire, ce sera un jeu à somme nulle. C'est ce qui est en train de se passer.
Nous ne pouvons pas mettre sur le marché du poisson qui contient des parasites. Les parasites doivent être retirés à l'usine. Avec le poisson salé, on ne peut enlever que ce qu'on voit, car la peau n'est pas retirée. Les poissons frais découpés en filets doivent être mirés pour qu'on puisse retirer les parasites.
Le marché ne s'en rend pas compte, mais le coût de production est très élevé. Il y a des données là-dessus, et je suis certain que nous pourrions vous les fournir si vous le souhaitez.
Le sénateur Cochrane : C'est une bonne idée.
M. Chidley : Nous en prenons note et vous les fournirons.
Le sénateur Cochrane : Croyez-vous que l'industrie de la chasse au phoque peut ou doit être revitalisée? Dans l'affirmative, comment doit-on procéder? Que peut faire le gouvernement pour soutenir cette vision au nom de l'industrie?
M. Chidley : Madame le sénateur, à ce jour, plusieurs missions à l'étranger ont été organisées pour tenter d'élargir les marchés, mais nous devons regarder les choses en face. Les organismes de protection des animaux de ce monde ont certainement fait leur marque et ont beaucoup nui au marché du phoque du Groenland, et on doit mettre fin à cette situation. On estime qu'un troupeau de phoques comptant environ 3 millions de bêtes est durable, et, aujourd'hui, il en compte de 9 à 10 millions. Si on envisage la gestion de ce troupeau, ou si on applique la règle FO.1, on chasserait 900 000 phoques, mais il n'y a aucun marché pour ce produit.
Je crois fermement que le ministère doit poursuivre son travail, et qu'on doit reconnaître que les accords fédéraux-provinciaux sont le seul moyen de progresser. Préparez vos stratégies, et vous verrez si cette question ressort. Le seul moyen pour que cette industrie survive, ce sont ces stratégies. Il faut un programme commun pour aller de l'avant.
Le sénateur Cochrane : Selon vos recommandations, il faut 31 000 phoques gris pour que la population de phoque se maintienne dans cette région. Expliquez-nous comment vous en êtes arrivés à ce chiffre. En vue de la réduction expérimentale des phoques gris, comment en êtes-vous arrivés à 31 000 bêtes?
M. Chidley : C'est le nombre de phoques en quête de nourriture qu'il resterait dans le sud du golfe après le prélèvement stratégique de 70 000 phoques, que ça prenne un an ou deux. Cependant, il faudrait procéder à cette réduction en un an ou deux pour qu'il n'y ait pas d'équivoque quant au nombre. Des recrues se joignent au troupeau chaque année. Plus vous attendez, plus le nombre de bêtes augmente, et les choses n'iront pas en s'améliorant. C'est là le problème.
C'est le chiffre auquel nous sommes parvenus compte tenu du nombre de phoques dans cette zone. Nous avons procédé au marquage et nous avons observé le nombre de phoques qui se rendent dans certaines zones pour se nourrir. C'est le nombre que nous avons observé dans le sud du golf.
Le sénateur Cochrane : Est-ce que des scientifiques ont aidé à déterminer ce chiffre?
M. Chidley : Tout à fait. Des scientifiques participent à ce processus, et depuis longtemps, mais c'est probablement la première fois que nous obtenons des données pondérées. On dit souvent qu'il faut faire quelque chose à propos des phoques, mais c'est la première fois qu'on nous fournit des preuves pondérées de leur incidence manifeste sur les stocks de poisson de fond dans le sud du golfe du Saint-Laurent.
Le sénateur Cochrane : C'est un fait connu depuis longtemps, mais rien n'a jamais été fait.
Le sénateur Poirier : J'ai quelques questions, ou plutôt j'aimerais connaître vos impressions sur certains points.
J'ai lu des rapports scientifiques où il était dit qu'il n'existait aucune corrélation entre la croissance de la population de phoque gris et l'effondrement de la morue ni avec son faible rétablissement. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Aussi, si l'effondrement de la morue n'est pas attribuable à l'accroissement rapide de la population de phoque, d'après vous, qu'est-ce qui le serait?
M. Chidley : Je vais commencer par votre première question, et je tenterai d'y répondre. Vous faites probablement référence au document sur les stocks à l'est de la plateforme néo-écossaise dans lequel on pouvait lire que les phoques gris n'avaient pas d'incidence puisqu'on constatait une croissance des stocks de morue dans cette région. En fait, si on y regarde de plus près, on constate une baisse de 30 p. 100. On n'a utilisé qu'un seul indice, et c'était pour vérifier une hypothèse selon laquelle la diminution des stocks de morue avait entraîné une augmentation de la population de poissons pélagiques, qui mangent maintenant les œufs de morue. C'est un peu poussé, mais le fait est qu'on avait constaté une diminution de ce stock. C'est tout ce que je peux dire sur ce point, car il s'agit d'un document scientifique visant à vérifier cette hypothèse. C'est tout ce que je peux dire.
Le sénateur Poirier : D'après vous, est-ce qu'autre chose pourrait avoir un effet sur les populations de morue, mis à part le phoque gris?
M. Chidley : L'environnement, car l'industrie s'est retirée des eaux et a diminué ses activités de pêche à tel point qu'elle n'enregistre même plus de gain pour le poisson de fond. Si dame nature le juge bon, la pêche à la morue reprendra un jour, mais je ne sais pas combien d'entre nous serons encore là pour le voir.
Le sénateur Poirier : Selon vous, si on ne fait rien pour réduire la population de phoque gris, combien d'années faudra-t-il avant de constater un changement? De combien de temps dispose-t-on?
M. Chidley : C'est une question plutôt scientifique, mais je crois que certains stocks font actuellement l'objet d'une étude dans le cadre de la LEP. Donc, je pense que les choses vont bouger sous peu. Le problème, si on ne fait rien, c'est que vous serez très bientôt confrontés au même problème avec les mollusques et les crustacés.
Le sénateur MacDonald : Messieurs, j'aimerais dire, premièrement, que je suis profondément désolé par les données sur la biomasse. Je viens d'une communauté de pêcheurs de Louisbourg, où, d'ailleurs, il y a beaucoup de Terre-Neuviens, y compris mon beau-frère, un capitaine de pêche accompli. À la fin des années 1980, il était capitaine de pêche sur le Gadus Atlantica, qui faisait tout le travail scientifique pour le gouvernement du Canada. Je me souviens lui avoir demandé à l'époque ce qu'il adviendrait de la morue. Il a ça dans le sang. Ses frères, et son père avant lui, ont tous été pêcheurs. Il connaît l'océan par cœur, et il suit les stocks de poisson partout. Selon lui, si on laissait le poisson tranquille, la pêche pourrait peut-être reprendre 25 ans plus tard.
Eh bien, c'était en 1988, il y a près de 25 ans, et on peut constater par la biomasse que les stocks de morue ont été ravagés. Les gouvernements se sont succédé, et ils ont perdu un temps précieux à discuter pour tenter de justifier ou d'établir un marché pour le phoque. Nous ne mangeons pas de phoque, nous mangeons de la morue. Il n'y a pas vraiment de marché pour ces phoques. Je crois que nous nous heurtons à un problème de taille, et que si c'est nécessaire, nous devons agir unilatéralement et commencer à réduire le nombre de phoques, surtout le phoque gris qui ravage les stocks de morue dans le sud du golfe et au large de la côte Est du Canada.
J'aimerais avoir quelques précisions sur le phoque gris. Est-ce qu'on en trouve là où la morue du Nord se reproduit?
M. Chidley : Leurs aires de répartition, monsieur le sénateur, les ont menés hors du détroit de Belle Isle, qui se trouve sur la côte Nord. Les pêcheurs les surnomment « coyotes de la mer ». Ils rasent tout, comme au temps des coupes à blanc en foresterie, avant l'ère de la reforestation. Ils vont tout raser et poursuivre leur chemin.
Le sénateur MacDonald : Ils s'en prendront à la morue du Nord.
M. Chidley : Ils s'en prennent à n'importe quoi. Ils ne sont pas difficiles. Ils mangent tout ce qui leur tombe sous la dent. Ils rasent tout et poursuivent leur chemin. Il y a des zones de fond, au pied de certaines îles, où il ne reste plus rien, ni même des oursins. Ils ont disparu, et ils ne sont pourtant pas faciles à manger.
Le sénateur MacDonald : Ils ont besoin de manger. S'ils épuisent une espèce, ils passent à la suivante.
M. Chidley : Ils se déplacent tout le temps. C'est là le problème avec les phoques gris, et ils vivent près des côtes. Ils se reproduisent sur la terre, contrairement au phoque du Groenland et au phoque à capuchon, qui vivent sur la glace et qui remontent vers le Nord. Au moins, ils nous donnent parfois un peu de répit. Loin des yeux, loin du cœur. Toutefois, on ne peut pas dire la même chose du phoque gris.
Le sénateur MacDonald : Le principal troupeau de phoques gris se trouve encore sur l'île de Sable, et vous dites que les pêcheurs ont cédé l'île aux phoques, que les phoques peuvent y rester pour se reproduire et se nourrir. De toute évidence, s'ils deviennent trop nombreux, ils deviendront un problème pour le reste du golfe aussi. Si nous sommes pour abattre les phoques en quête de nourriture, il faudra un jour s'attaquer aux phoques de l'île de Sable. Est-ce que le fait qu'une partie de l'île soit maintenant un parc national viendra compliquer les choses?
M. Chidley : C'est compliqué, mais je crois que si ça se fait dans le cadre d'un programme scientifique, ça sera permis là-bas. L'idée, c'est que si on lance cette stratégie d'exploitation ou de prélèvement dans le sud du golfe, elle se poursuivra. Elle n'aura pas nécessairement la même ampleur, mais elle se poursuivra. Quand je dis 31 000 bêtes, c'est la taille que devrait avoir le troupeau de phoques en quête de nourriture pour permettre le rétablissement des populations de poisson dans le sud du golfe. Il faudrait continuer à prélever des phoques chaque année pour contenir la population.
Le sénateur MacDonald : Je pense qu'il est juste de dire que le temps presse. Il aurait fallu commencer hier.
M. Chidley : Le temps presse.
Le sénateur MacDonald : Quand je dis « hier », je veux dire il y a des mois, des années même.
M. Chidley : Il n'y a plus un moment à perdre.
Le sénateur MacDonald : Je crois que nous savons ce qu'il faut faire. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de se poser plein de questions. Je crois qu'il faut passer à l'action.
Le sénateur Oliver : J'aimerais connaître les utilisations possibles des produits du phoque si on en faisait l'abattage. Selon moi, il y a un usage à tout ce qu'on peut faire pousser ou qui pousse et qui est vivant. Je sais que certaines espèces de poisson qui ne sont pas propres à la consommation humaine peuvent servir d'appât pour le homard, de nourriture pour les chats ou les chiens. Ou encore, on peut en élever pour nourrir le vison dans les visonnières. Une multitude de choses peuvent être faites avec certaines espèces de poisson.
D'après vous, si on devait procéder à l'abattage, que devrait envisager le comité quant à l'utilisation des produits du phoque? Par exemple, l'administration fédérale devrait-elle faire des recherches sur les débouchés des produits de viande de phoque gris? Est-ce que des organismes gouvernementaux font actuellement des recherches sur ce qui peut être fait exactement? Où en est-on? Ce comité devrait-il faire des recommandations à ce sujet?
Est-ce qu'on utilise déjà cette viande dans les visonnières, dans la nourriture pour chats ou pour chiens, ou comme appât pour la pêche?
M. Chidley : Sénateur, à ce jour, je crois que seulement 200 ou 300 phoques gris ont été prélevés l'an dernier pour examiner quels produits on pourrait en tirer. Auparavant, je dirais qu'environ 1 200 phoques ont été prélevés sur Hay Island pour étudier ces possibilités, et le développement de ce marché prendra du temps. Je crois sincèrement que ce que vous dites, c'est que l'utilisation de tout animal ou de toute espèce doit passer avant tout. Le comité sénatorial pourrait rencontrer des gens de l'industrie et réunir quelques cerveaux pour réfléchir aux débouchés. Nous avions un problème avec le poisson de fond. Nous sommes tombés par hasard sur le phoque gris pendant notre étude. Notre stratégie porte sur le poisson de fond, et le phoque gris a un rôle à jouer là-dedans. Vous avez du pain sur la planche si vous envisagez de faire la gestion du phoque gris.
Le sénateur Oliver : Nous savons que la population mondiale dépasse maintenant 7 milliards d'humains. Nous savons que d'ici 2050, nous serons un milliard de plus, et qu'il faudra nourrir tout ce beau monde. Le phoque est une excellente source de protéines. Il y a des millions de personnes qui meurent de faim, et pas seulement en Afrique. Il doit certainement y avoir une solution scientifique qui permettrait de tirer profit de ces protéines.
Vous avez dit que des recherches avaient été faites sur des phoques, puis sur 1 200 autres. Qui a mené ces recherches? Quand ont-elles été faites, et quels ont été les résultats?
M. Calcutt : Je crois que l'an dernier, 200 bêtes ont été capturées pour faire des tests et pour étudier différents débouchés à l'initiative d'un ou deux membres de l'industrie. Je ne sais pas trop s'ils ont reçu de l'aide.
Le sénateur Oliver : Dans quelle province était-ce?
M. Calcutt : Terre-Neuve, notamment.
Le sénateur Oliver : Savez-vous si on utilise actuellement le phoque comme appât?
M. Chidley : Je n'en suis pas certain.
Monsieur le sénateur, vous devez savoir que nous devons, en tant qu'industrie, faire très attention à ce que nous utilisons comme appât, particulièrement pour la pêche aux mollusques et aux crustacés. Sur le plan de la technologie, pour transporter ces espèces et les ramener à terre, nous utilisons des réservoirs d'eau de mer réfrigérée. Si l'odeur du phoque devait imprégner le crabe ou le homard, il faudrait s'inquiéter de l'effet sur les marchés. L'option de l'utiliser dans la nourriture pour le vison et les animaux de compagnie devrait très certainement être explorée. L'industrie alimentaire devrait se pencher là-dessus.
De notre côté, nous exploitons le poisson, mais l'industrie du phoque est une industrie relativement importante. Mais elle connaît un ralentissement depuis 10 ou 15 ans à cause de problèmes associés au marché. Il serait certainement utile d'avoir des gens de la Northeast Coast Sealer's Cooperative Society et de la Newfoundland Sealers Association. Je pense que Robert Courtney pourrait nous éclairer sur ce qu'on doit faire avec les phoques. Bref, il y a vraiment matière à réflexion.
Le sénateur Oliver : Vous dites que vous travaillez en mer depuis maintenant 39 ans. Avez-vous déjà mangé du phoque gris?
M. Chidley : Non, monsieur, mais j'ai déjà mangé du phoque du Groenland, du phoque commun et du phoque à capuchon, mais pas du phoque gris.
Le sénateur Oliver : Pourquoi?
M. Chidley : Il n'y en avait pas en abondance dans notre région de Terre-Neuve. Nous avions du phoque du Groenland, quand les glaces montaient, et du phoque commun, et ainsi de suite. Je prends encore des capsules d'huile de phoque, deux par jour. C'est un produit merveilleux, et ce n'est pas pour la couleur de mes cheveux, en passant.
Le sénateur Oliver : Mis à part les visonnières ou les grands producteurs de nourriture pour chiens et chats, avez-vous des idées sur ce qu'on pourrait faire avec la viande de phoque gris?
M. Chidley : Dans le cas de la viande, on parle d'un produit alimentaire. S'il existait une façon de l'intégrer au régime alimentaire des Africains, comme vous l'avez dit, elle contient beaucoup de protéines. Il faudrait du temps pour qu'ils s'habituent à ce genre de nourriture. C'est une possibilité qu'il faudrait étudier. Nous y arriverions peut-être dans une certaine mesure, mais il faudrait beaucoup de recherche.
L'huile de phoque pourrait servir en pharmaceutique, mais c'est un gros animal. Il peut peser jusqu'à 300 kilogrammes. Si on décidait de le chasser, il faudrait être très stratégique, car il faut être capable de l'attraper, de le récupérer. Il y a seulement certains moments dans l'année où c'est possible de récupérer l'animal après l'avoir tué dans l'eau, par rapport à la teneur en petit lard. Le reste du temps, il coule comme une roche. C'est la même chose pour le phoque à capuchon mâle sur la côte du Labrador. Si vous n'attendez pas le moment où il flotte grâce au petit lard, vous ne pourrez pas le récupérer.
Le sénateur Oliver : Durant quels mois le lard est-il le plus épais?
M. Chidley : Je ne suis pas certain. Je connais des personnes qui chassaient le phoque à capuchon au début du printemps, notamment sur Hay Island. Ils tiennent les mêmes propos. C'est un gros animal. Ce n'est pas comme un phoque du Groenland. Un gros phoque du Groenland peut peser environ 100 livres, mais les phoques gris sont monstrueux.
Le sénateur Oliver : Quelle quantité de poisson, en kilos ou en livres, ces monstres peuvent-ils consommer en une journée?
M. Chidley : Patrice Simon nous a déjà fourni des données là-dessus. C'est environ 10 livres par jour, c'est-à-dire près de deux tonnes par année, ou un peu plus d'une tonne par année. Quand on pense à la population actuelle, il n'est pas étonnant que les stocks de morue ou de poisson de fond soient touchés, à cause du nombre. C'est ce qu'on sait. Les chiffres pourraient être plus élevés dans le sud du golfe, et c'est pourquoi il est capital de faire des essais dans cette région.
Le sénateur Oliver : Pouvez-vous me dire de quoi se nourrit le phoque gris près de l'île de Sable? Qu'est-ce qu'il mange?
M. Chidley : Je ne pourrais pas vous dire comme ça, mais je sais qu'il y a à l'île de Sable des courants extraordinaires, et que les nutriments qu'on trouve dans l'eau attirent toutes sortes d'espèces de poisson. C'est pourquoi les phoques restent là. C'est comme un buffet qui s'offre à eux chaque année.
M. Calcutt : J'aimerais donner des précisions sur ce point. Je pense que l'avis scientifique, pour lequel on a étudié le contenu de l'estomac d'animaux de différentes régions, pourrait nous dire plus exactement de quoi se compose leur régime.
Pour revenir à votre question sur les débouchés éventuels, des échantillons de viande de phoque gris ont été envoyés pour qu'on détermine la teneur en protéines, et ils en sont à l'étape de l'évaluation. Je crois que l'ACIA y participe. C'est une partie intégrante de l'entente signée avec la Chine concernant l'ouverture de ce marché à différents produits.
Le sénateur Martin : Je me sens un peu comme un intrus, et pourtant, c'est un sujet si passionnant, qui pourrait avoir des répercussions économiques importantes ou qui pourraient être dévastatrices pour une région du Canada. En tant que Canadien de la côte Ouest, cette situation touche une région très éloignée de la mienne, mais vous avez vraiment retenu toute mon attention durant votre déclaration et avec ce rapport.
Ma question porte sur ce rapport majeur et exhaustif. Je sais qu'il visait à informer le ministre, mais qu'en est-il d'informer et de sensibiliser la population, et quel intérêt a-t-il suscité? C'est important pour faire avancer les choses, au sein du gouvernement ou de la société. Pouvez-vous nous en dire plus sur l'intérêt qu'il a suscité?
M. Chidley : Sénateur, le ministre a pris connaissance du rapport le jour où il a été rendu public. En fait, c'est un processus très transparent. Ensuite, le ministère peut étudier le document pendant six semaines, ou deux ou trois mois, pour déterminer si certains points devraient faire l'objet de recommandations. Le cas échéant, le ministère consulte des scientifiques et l'industrie pour établir les mesures à prendre.
À cette étape, je pense qu'il y aurait d'autres consultations avec les principaux groupes de personnes intéressées pour décider de la marche à suivre. Du point de vue du CCRH, une fois le rapport rendu public, sauf s'il faut clarifier certains points, le travail est terminé. On peut toujours, après deux mois, appeler le ministère pour savoir où en sont les choses. Nous ne serons plus là dans deux mois. Notre mandat se terminait en octobre. Notre travail est terminé, mais nous sommes ravis d'être ici pour vous informer.
Le sénateur Martin : Je comprends pourquoi c'est important pour l'étude que nous entreprenons.
Le chapitre 9 traite de la situation socioéconomique et des marchés. Le sénateur Oliver a effleuré ma question en parlant de marchés ou de débouchés éventuels. J'aimerais aussi savoir s'il existe des prévisions sur les retombées économiques ou les ravages possibles, même si je sais que ce n'était pas nécessairement l'objectif de votre étude.
M. Chidley : Non.
Le sénateur Martin : Je suis certain que ces données existent. Ce qui m'intéresse, c'est l'urgence de la situation, car le sénateur Cochrane a dit que c'était déjà un problème il y a 10 ou 15 ans. Je n'ose pas imaginer la gravité du désastre économique qui s'est produit au cours de ces 10 à 15 années, ni à quel point la situation est pressante. Je me demandais s'il y avait des chiffres ou des tableaux.
M. Chidley : Ce n'était pas dans notre mandat, mis à part trouver ce qui empêchait le rétablissement des stocks de poisson de fond. C'était une chose. Nous n'avons pas fait une analyse complète des pertes économiques. Nous avons seulement cherché à établir les pertes potentielles. Nous sommes d'avis que si on ne s'attaque pas au problème des phoques gris, on sera aux prises avec un grave problème.
Le sénateur Cochrane : Monsieur Chidley, j'ai ici un extrait de CBC News. Je cite :
Un nouveau député démocrate a déclaré lundi que le gouvernement fédéral venait d'abolir un organisme consultatif chargé de recueillir l'avis des pêcheurs pour éclairer la prise de décisions ayant des répercussions scientifiques.
Qu'en pensez-vous?
M. Chidley : C'est de nous dont il est question. Nous avons été un peu surpris, car selon nous, le travail du CCRH n'était pas terminé. Cependant, quand un ministère subit des compressions budgétaires et qu'il doit prendre des décisions stratégiques, les organismes indépendants sont souvent les premiers à disparaître. Nous avons toujours eu l'impression que le CCRH creusait sa propre tombe, parce que si toutes nos recommandations sur ce que l'industrie devrait faire étaient mises en œuvre, tout irait bien.
Le ministère se sent prêt à lancer certaines de ses nouvelles initiatives, comme le cadre stratégique pour la pêche durable et le processus de consultation. J'espère seulement qu'un vide ne s'est pas créé. Nous avons hâte de voir ce qui va arriver maintenant. Notre travail est terminé, et nous avons hâte de voir ce qui va se passer dans l'immédiat.
Le sénateur Cochrane : Êtes-vous satisfaits?
M. Chidley : Nous avons produit un bon rapport, et les autres rapports du CCRH étaient bons aussi. Ces rapports expriment le point de vue du Canada atlantique et de la côte Est du Canada. Ils ne portent pas seulement sur le Québec ou sur la région de Terre-Neuve, par exemple. Nous avons consulté des gens dans tout le Canada atlantique. Ils ont pu dire librement à quoi ils aimeraient que l'industrie ressemble et parler des problèmes qu'ils ont avec l'industrie. C'était la force du CCRH. C'était un moyen de connaître l'avis des biologistes et des pêcheurs du Canada atlantique.
Le sénateur Poirier : Le sénateur Oliver a demandé s'il y avait des débouchés pour les produits du phoque. D'après ce que j'ai compris, nous ne le savons pas encore, car peu d'études ont été faites sur la question. J'en déduis qu'il faudra des années avant de trouver des réponses à ces questions. Toutefois, je ne pense pas qu'on puisse se permettre d'attendre des années avant de s'attaquer au problème des phoques gris.
S'il faut réduire la population de phoque gris, mais qu'on ne peut pas attendre les résultats de ces études, que fera-t-on de ces animaux?
M. Chidley : C'est à la direction du MPO, aux scientifiques et à l'industrie de décider. Il faut étudier les répercussions du marché sur d'autres espèces, tout comme ce qu'on va faire des bêtes et quelles parties de l'animal peuvent être utilisées. Plusieurs questions doivent être réglées. C'est facile de faire des recommandations à 20 000 ou 30 000 pieds. Nous avons beaucoup réfléchi à ce qui doit se passer. Si on a la volonté d'agir, de rétablir les poissons de fond, je pense qu'on trouvera le moyen de s'adapter.
La vice-présidente : Vers le rétablissement des poissons de fond et d'une pêche durable dans l'Est du Canada est un rapport qui a été soumis au ministre des Pêches et des Océans. Avez-vous reçu une réponse du ministre à vos recommandations?
M. Chidley : Pas encore.
La vice-présidente : Vous attendez-vous à une réponse du ministre?
M. Chidley : Si nous étions toujours en poste, nous ferions un suivi. J'espère que le ministre fera une déclaration prochainement. Pour nous, ce qui compte, ce n'est pas de recevoir une réponse, c'est de voir comment le rapport sera utilisé et si les recommandations seront mises en œuvres. Je préférerais qu'on donne suite à certaines recommandations plutôt que de voir des grands titres dans les journaux disant que le ministre des Pêches et des Océans les a toutes acceptées.
La vice-présidente : Je vous remercie sincèrement de votre présence ici ce soir. Vous avez répondu à toutes nos questions. La soirée a été enrichissante.
(La séance est levée.)