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POFO - Comité permanent

Pêches et océans

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans

Fascicule 3 - Témoignages du 15 novembre 2011


OTTAWA, le mardi 15 novembre 2011

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui, à 17 h 12, pour étudier la gestion de la population de phoques gris au large de la côte Est du Canada.

Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.

[Translation]

Le président : Laissez-moi vous souhaiter la bienvenue devant le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans. Je m'appelle Fabian Manning, je suis un sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador et je préside ce comité. Avant de présenter les témoins, j'aimerais que les membres du comité se présentent.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de l'île du Cap-Breton, Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

Le sénateur Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Hubley : Elisabeth Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Harb : Mac Harb, de l'Ontario.

[English]

Le sénateur Losier-Cool : Sénateur Losier-Cool, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Poirier : Sénateur Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

[Translation]

Le président : Notre comité poursuit son étude de la gestion de la population de phoques gris au large de la côte Est du Canada et va entendre maintenant les représentants de l'Association canadienne des chasseurs de phoques.

L'Association canadienne des chasseurs de phoques s'est constituée en 1982 pour s'opposer à la publicité négative faite à l'encontre de la chasse aux phoques. Elle a son siège à St. John's, Terre-Neuve-et-Labrador, et elle représente plus de 6 000 chasseurs de phoques. Ses représentants sont venus aujourd'hui nous parler du rôle de l'association ainsi que de ses objectifs et priorités. Je souhaite la bienvenue à Eldred Woodford, son président, et à Frank Pinhorn, son directeur général.

Au nom de tous les membres du comité, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation et de comparaître devant nous aujourd'hui. Vous avez la parole et, à la suite de votre exposé, les sénateurs vous poseront quelques questions.

Frank Pinhorn, directeur général, Association canadienne des chasseurs de phoques : Merci, monsieur le président.

Au nom des chasseurs de phoques de Terre-Neuve-et-Labrador, nous tenons à remercier le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans de nous donner la possibilité de comparaître et de répondre aux questions que vous voudrez nous poser au sujet de l'industrie de la chasse aux phoques. Nous sommes bien conscients du fait que vous étudiez les populations de phoques gris sur la côte Est du Canada, mais nous sommes prêts à vous faire part de notre expérience en ce qui concerne en particulier les phoques du Groenland et les phoques à capuchon.

L'ACCP s'est constituée en 1981 pour défendre la cause des chasseurs de phoques à Terre-Neuve-et-Labrador. La chasse aux phoques a commencé avec les premiers établissements il y a des centaines d'années, elle fait partie intégrante de notre histoire et de notre culture, et elle a fourni un moyen de subsistance aux familles des régions rurales de la province. À la fin des années 1960 et au début des années 1970, les marchés des phoques se sont effondrés en raison des fortes pressions exercées par des spécialistes en relations publiques s'appuyant sur des vidéos bien orchestrées et disposant de crédits illimités, dont le souci principal n'était pas le bien-être des animaux, mais le confort et la richesse.

L'Association canadienne des chasseurs de phoques et son homologue, la Coopérative des chasseurs de phoques du Nord, ont fortement contribué à maintenir en vie l'industrie de la chasse aux phoques en faisant de l'éducation, en formant les chasseurs de phoques, en assurant la diversification et l'amélioration de produits et en menant une campagne de relations publiques et de sensibilisation des médias pour écarter les malentendus concernant cette industrie.

L'ACCP est une organisation bénévole qui est tributaire de la fidélité et de l'aide de ses membres. Dernièrement, l'image de l'industrie de la chasse aux phoques a évolué, notamment dans le cadre international. Nous estimons que l'ACCP doit s'adapter à ces changements. Ces 10 derniers mois, nous avons donc procédé à une révision de l'organisation et mis en place un plan de travail et une stratégie sur cinq ans qui, nous en sommes convaincus, nous permettrons de partir sur de bonnes bases financières et de nous concentrer sur les grandes questions afin d'assurer la diversification et la croissance de notre industrie. Cette réorganisation a été entreprise par l'ACCP en collaboration avec le Fish, Food and Allied Workers' Union de Terre-Neuve, le Professional Fish Harvesters Certification Board et le gouvernement de Terre-Neuve-et- Labrador. Ce fut un effort conjoint de la part de ces quatre organisations.

Dans l'Est du Canada, il y a principalement trois espèces de phoques — les phoques du Groenland, les phoques à capuchon et les phoques gris. On estime qu'il y a environ 10 millions de phoques du Groenland et quelque 400 000 à 500 000 phoques à capuchon et phoques gris. Les chiffres augmentent chaque année. Leur habitat est très étendu, ils consomment de grandes quantités d'espèces commerciales, dont nous cherchons à rétablir la population dans certains cas, et ils créent un grand déséquilibre dans un écosystème fragile. Le gouvernement fédéral, qui est gardien des ressources maritimes, doit tenir compte de ce fait lorsqu'il formule ses politiques et décide de la gestion des ressources.

Ces trois dernières années, les chasseurs de phoques de Terre-Neuve-et-Labrador n'ont récolté que 40 000 phoques par an, sur un quota de 335 000 — soit environ 10 p. 100 du total. Les prix n'ont jamais été aussi bas. L'industrie est injustement affectée par d'autres gouvernements et par des groupes d'intérêts particuliers. Il faut que le gouvernement fédéral réagisse avec plus de force pour régler cette question sur un plan commercial. C'est le critère essentiel aujourd'hui si l'on veut relancer l'intérêt et l'enthousiasme de l'industrie de la chasse aux phoques dans notre province.

L'outil de gestion actuel pour garantir une ressource durable tirée de la chasse aux phoques s'appuie sur le modèle N-70, qui maintient un certain seuil. Toutefois, à mesure que la population augmente, le seuil est lui aussi relevé, et vous savez bien où ça nous mène. Lorsque la population était de 5 millions, le seuil était fixé à 3,5 millions; aujourd'hui, avec une population de 10 millions, le seuil est de 7 millions. À mesure que les chiffres augmentent, le seuil est relevé.

L'ACCP préconise à la base que l'on tire parti judicieusement et durablement de toutes les ressources naturelles. Pour commencer, nous sommes favorables à la chasse commerciale des phoques. C'est ce qui justifie notre action.

La côte Est du Canada est l'une des plus riches en phoques du monde, et compte tenu de l'intérêt renouvelé pour la viande et l'huile de phoque ainsi que pour les produits dérivés dans l'industrie alimentaire, pour les applications biomédicales et pour les peaux de phoque, nous sommes convaincus que notre industrie est appelée à croître et à se développer. La Chine s'intéresse énormément à tous les produits de la chasse aux phoques et nous considérons qu'il faut viser délibérément ce marché.

Je vous signale en passant qu'au moins 10 délégations sont venues me voir ces six dernières semaines à mon bureau, toutes à la recherche de viande de phoque. Plusieurs expéditions sont déjà prêtes à Terre-Neuve-et-Labrador, mais elles sont mises inutilement en attente en raison des retards apportés à la signature de l'accord commercial entre le Canada et la Chine. Les hommes d'affaires chinois nous ont assuré qu'ils avaient besoin de grandes quantités de phoques. Ils parlent de 5 000 à 10 000 tonnes.

Il y a actuellement 11 000 chasseurs de phoques disposant d'un permis dans notre province. On estime qu'entre 15 et 55 p. 100 de leur revenu annuel provient de la chasse aux phoques. Les usines de transformation, lorsqu'elles sont en activité, de même que les autres industries annexes, emploient des centaines d'ouvriers. Je vous signale que les zones rurales de Terre-Neuve-et-Labrador ont été peuplées au départ par des gens qui vivaient des produits de l'océan. C'est plus vrai aujourd'hui que jamais. La vie des zones rurales de Terre-Neuve dépend de l'exploitation des ressources maritimes.

L'un des principaux atouts qui ressort de l'examen de notre organisation est le fait que tout le monde s'accorde, dans tous les secteurs, pour dire que l'ACCP est la mieux placée pour représenter les intérêts de tous les chasseurs de phoques dans notre province.

Nous avons eu l'accord du ministère provincial des Pêches, du Fish, Food and Allied Workers et du Professional Fish Harvesters Certification Board. Nous sommes le principal groupe de contact pour les phoques à Terre-Neuve-et- Labrador.

Nous considérons qu'il est indispensable que tous les chasseurs de phoques reçoivent une formation et un permis dans tous les domaines de la chasse au phoque. Nous devons non seulement garantir que tout est fait dans les règles, il nous faut aussi satisfaire la communauté internationale. L'ACCP soutient par ailleurs qu'il faut que la formation soit obligatoire si l'on veut qu'elle soit efficace de manière à avoir une industrie professionnelle. L'ACCP, de concert avec les autres participants de l'industrie, est d'accord avec la procédure en trois étapes pour la chasse de tous les phoques, mais convient que des ajustements s'imposent pour chacune des espèces et en fonction des quantités exploitées.

Nos nouveaux bureaux devraient être le centre de toutes les activités liées à la chasse aux phoques dans notre province. Nous allons nous occuper de l'éducation, de l'information et de la défense des chasseurs de phoques, de même que de la sensibilisation des médias et des relations publiques. Nous avons d'ores et déjà rénové notre site Internet, www.sealharvest.ca. Nous voulons faire connaître les côtés positifs de notre industrie.

J'aimerais ajouter une chose au sujet des groupes de défense des droits des animaux et des permis d'observateur que leur délivre le MPO au moment de la chasse aux phoques. Voilà des années que nous disons au MPO qu'il est trop laxiste et qu'il devrait imposer des conditions et des limitations à ces permis. On devrait exiger que des observateurs indépendants les accompagnent pour les obliger à agir utilement et à bien se comporter.

Je vous remercie de votre attention. M. Woodford et moi-même sommes prêts à entendre vos commentaires et à répondre à vos questions.

Le président : Pour ceux qui ne seraient pas au courant, pouvez-vous nous rappeler en quoi consiste cette procédure en trois étapes qui a été adoptée il y a un ou deux ans?

Eldred Woodford, président, Association canadienne des chasseurs de phoques : Je suis un pêcheur et un chasseur de phoques commercial de la côte située au Nord-Est de Terre-Neuve. Je pêche et je fais la chasse aux phoques depuis 23 ans. Je possède et exploite un bateau de pêche de 50 pieds.

La procédure en trois étapes est un règlement mis en place l'année dernière ou l'année auparavant. L'Association canadienne des chasseurs de phoques a pris part à l'élaboration et à l'application de ce règlement. Nous avons eu plusieurs réunions avec le MPO concernant la conception de cette procédure en trois étapes et ses modalités d'application pour que les chasseurs de phoques puissent s'y conformer. Lorsqu'elle nous a été présentée pour la première fois, c'était impossible.

Lorsqu'on va à la chasse au phoque, il faut assommer l'animal. Soit on le frappe avec un hakapik, ou avec un bâton, soit on lui tire un coup de feu dans la tête. Il faut alors vérifier le crâne de l'animal pour s'assurer que les deux côtés du crâne sont enfoncés afin qu'il perde conscience de manière irréversible. Il y a ensuite une troisième étape, qui consiste à saigner l'animal. Il faut couper les deux artères axillaires sous les ailerons du phoque, ce qui constitue en fait l'une des premières étapes de l'écorchage. Avant de pouvoir enlever la peau, il faut le faire saigner. Il faut attendre une minute et s'assurer qu'il est complètement saigné avant de poursuivre l'opération et d'enlever la peau.

Le président : Je voulais qu'il en soit pris acte dans notre procès-verbal.

Le sénateur Hubley : Merci d'être venus pour nous communiquer les renseignements dont dispose le groupe des chasseurs de phoques.

Pouvez-vous nous confirmer le nombre de phoques du Groenland, de phoques à capuchon et de phoques gris? Je pense que vous nous avez donné les chiffres au début de votre exposé.

M. Pinhorn : La population de phoques du Groenland est estimée à 10 millions d'individus. Chaque année, il y a 1,6 million de naissances.

Lorsque je suis entré à l'ACCP en 2005, la population de phoques était de 5,6 millions d'individus. Voilà à peu près six ans que je travaille à l'association et cette population est passée de 5,6 millions à 10 millions d'individus.

On estime à environ 400 000 le nombre de phoques gris. La population de phoques à capuchon et d'environ 500 000 individus. Il naît chaque année quelque 90 000 phoques à capuchon.

Le sénateur Hubley : Nous parlons aujourd'hui des phoques gris et des problèmes que pose leur nombre.

Nous avons entendu les fonctionnaires du MPO ainsi que ceux du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques. Ils ont indiqué dans leur rapport du 11 septembre que le problème fondamental qui se pose à l'heure actuelle était de savoir comment écarter dans la pratique des dizaines de milliers de phoques à l'intérieur d'un grand écosystème maritime subboréal à un rythme et dans des proportions nous permettant d'adapter nos méthodes de gestion. Êtes-vous d'accord avec cette constatation? Je me demande si vous avez d'autres propositions à faire à notre comité. Y a-t-il d'autres moyens efficaces de limiter la taille de la population de phoques gris?

M. Pinhorn : Je me souviens qu'il y a des années la population de phoques gris était maintenue dans certaines limites sur la côte sud de Terre-Neuve-et-Labrador. Nous avons effectivement de petites quantités de phoques gris dans le golfe de Terre-Neuve-et-Labrador ainsi que sur la côte Sud.

Il y a des années, on prévoyait le versement de primes. Celui qui tuait un phoque gris touchait cinq dollars, 10 $, 15 $, 20 $ ou quelque chose comme ça. Pendant des années on a ainsi limité leur nombre.

J'assistais toujours aux réunions du Comité consultatif du poisson de fond de l'Atlantique lorsque je travaillais au ministère des Pêches et de l'Aquaculture. On a toujours craint que les populations se mettent à augmenter à partir du moment où l'on supprime les primes. On a ensuite assisté à une augmentation du nombre de morues infestées par les vers dans le golfe. Les gens se plaignaient que les populations augmentaient et qu'il fallait imposer une limite.

Aujourd'hui, à Terre-Neuve-et-Labrador, les phoques gris sont bien présents dans le golfe.

Ils se retrouvent dans la partie nord du golfe, en direction de Belle Isle. Les populations augmentent, c'est pourquoi j'ai évoqué le cas des phoques du Groenland. Nous partons du principe qu'il faut faire quelque chose au sujet des phoques du Groenland, parce qu'ils seront bientôt 10 millions. Lorsque nous arriverons à 11, 12 ou 13 millions d'individus, il faudra imposer une limite. On n'en prélève que de petites quantités. Ils consomment de grandes quantités d'espèces commerciales. Je pense que nous devrions essayer d'implanter une chasse commerciale. Sinon, vous savez ce qu'il nous reste à faire.

Le sénateur Hubley : On devrait alors éliminer un certain nombre d'individus en appliquant un quota sans tenir compte éventuellement des ressources susceptibles d'être tirées de cette population.

M. Pinhorn : J'ai eu de nombreuses discussions avec les Chinois ces six ou sept dernières semaines. Ils font état d'énormes quantités, non seulement de viande, mais aussi de cœurs, de reins, de foies et d'autres organes internes. Ils parlent d'implanter des usines de transformation à Terre-Neuve pour traiter l'ensemble du contingent de phoques du Groenland. J'imagine que les propriétés des phoques gris et des phoques à capuchon sont très semblables. Je vous le répète, notre premier choix est celui de la chasse commerciale. Nous sommes convaincus de la réalité du marché chinois.

Nous avons rencontré à la fin septembre le ministre Fast et le ministre Peter Penashue. Nous avons insisté auprès d'eux sur la solution commerciale. Il y a des produits qui viennent de Terre-Neuve. Les conteneurs sont remplis et prêts à partir. Il suffit que les responsables canadiens et chinois annoncent de concert la signature de l'accord pour qu'on puisse se mettre au travail. C'est notre premier choix.

Le sénateur Hubley : Je vous remercie.

Le sénateur Patterson : J'aimerais vous remercier tous deux de votre exposé. Je suis impressionné par le fait qu'il y a 11 000 chasseurs de phoques détenteurs de permis à Terre-Neuve et au Labrador. Vous avez évoqué la formation et la procédure en trois étapes. Est-ce que ces chasseurs de phoques ont reçu une formation et sont en mesure de chasser les phoques gris?

M. Pinhorn : Nous avons 11 000 chasseurs de phoques détenteurs de permis. Des programmes de formation sont en place et environ 3 000 d'entre eux les ont suivis. Ils ne peuvent manquer de très bien connaître la procédure en trois étapes et je suis convaincu que les chasseurs de phoques de Terre-Neuve-et-Labrador sont en mesure de faire cette chasse.

Êtes-vous d'accord, monsieur Woodford? Ils sont en mesure de chasser n'importe quelle espèce de phoques. Ils chassent une certaine quantité de phoques gris, ainsi que des phoques du Groenland et des phoques à capuchon. À mon avis, ils peuvent tout chasser.

Le sénateur Patterson : Vous avez évoqué l'énorme augmentation des populations de phoques du Groenland et de phoques gris. Je crois savoir qu'en 1960 on évaluait leur nombre à environ 13 000 individus. Comment expliquez-vous l'augmentation du nombre de phoques gris? Pourquoi est-ce que cela a pris une telle ampleur depuis 1960 et que l'on est passé de 13 000 individus à quelque chose comme 400 000 ou 500 000?

M. Pinhorn : C'est bien simple. J'ai déjà évoqué le fait que des primes étaient versées dans les années 1960 et 1970. Leur nombre restait dans certaines limites pour cette raison. Par ailleurs, les parasites causent d'énormes dégâts dans les populations de poissons de fond du golfe.

Lorsque les primes ont cessé d'être versées, leur nombre est passé de quelque 25 000 à 30 000 individus. Lorsqu'une population de 30 000 phoques reste sans contrôle pendant 20 ans, c'est ce qui va se passer. Même lorsqu'on a ouvert la chasse aux phoques gris en Nouvelle-Écosse, l'île de Sable est restée intouchable, alors que c'est là que se trouve le plus gros de la population. On ne pouvait pratiquer la chasse que dans les zones périphériques et prélever au maximum quelques centaines d'individus, quels que soient les besoins du marché. Le plus gros de la population a toujours été sur l'île de Sable.

J'ai grandi dans le petit village de Trinity Bay et c'est dans cette région qu'il restait encore quelques morues du Nord lorsque le moratoire a été annoncé. Les phoques du Groenland y sont maintenant. Lorsque j'étais enfant, on pouvait voir quelques phoques à la fin avril et en mai, et c'est tout. De nos jours, on peut y voir des phoques 12 mois par an. On les trouve là-bas parce que Random Sound est le territoire privilégié de la morue du Nord. Les stocks de Random Sound ont sauvé la morue du Nord. Aujourd'hui, les phoques y sont installés et ils se nourrissent 12 mois par an de morues, de crabes, de crevettes, de turbots et d'autres espèces océaniques.

Le sénateur Patterson : Vous nous avez dit, monsieur Pinhorn que vous souhaiteriez avant tout qu'on pratique la chasse commerciale. J'imagine qu'il s'agirait alors de trouver des débouchés, notamment sur les marchés prometteurs de la Chine.

Y a-t-il d'autres façons de réduire la population de phoques du Groenland? Vous avez évoqué le versement de primes. Avez-vous des observations à faire sur d'autres méthodes de réduction de cette population?

M. Pinhorn : J'ai travaillé pendant 27 ans pour le gouvernement provincial de Terre-Neuve-et-Labrador. L'un de nos objectifs à l'époque était de tirer parti des phoques du Groenland. Nous avons subventionné leur chasse pendant des années. Nous avons acheté des broyeurs et ils ont servi d'aliments aux renards et aux visons. Nous avons utilisé toutes sortes de moyens.

Ils peuvent très bien servir d'aliments pour les animaux. On a obtenu certains résultats pour l'alimentation des chiens et des chats. D'autres solutions sont possibles, à mon avis.

Lorsque je travaillais au niveau provincial, nous avons procédé à de nombreuses recherches par l'entremise de l'université Memorial et du Marine Institute. On a fait beaucoup de travaux à l'époque. Nous avons même produit du concentré protéinique de phoques, qui s'apparente à du sucre. On peut s'en servir de supplément alimentaire dans les pays sous-développés. On peut faire toutes sortes de choses avec ça.

En dernier recours, on peut toujours éliminer un certain contingent. Je suis géographe de profession, et nous n'aimons pas détruire notre environnement.

Le sénateur MacDonald : J'aimerais revenir aux phoques gris. Lors de la dernière séance de notre comité, on nous a communiqué des chiffres concernant la biomasse des morues au large des côtes de la Nouvelle-Écosse. Vous venez tous deux de Terre-Neuve et vous savez à quel point la pêche est essentielle pour ces collectivités. Il en va de même pour la Nouvelle-Écosse. Les côtes de la Nouvelle-Écosse sont parsemées de petites localités de pêcheurs, et les petites villes disparaissent une à une parce qu'il n'y a plus de poisson.

Vous nous dites que l'on versait de petites primes pour la chasse des phoques gris à Terre-Neuve. Ce sont de gros animaux, bien plus gros que les phoques du Groenland.

Comment faisait-on pour les chasser et les ramener à terre? Fallait-il présenter l'animal? Comment contrôlait-on le versement de ces primes?

M. Pinhorn : Vous voulez dire, lorsqu'on versait des primes à leur sujet?

Le sénateur MacDonald : Oui, lorsqu'on versait des primes.

M. Pinhorn : Il fallait présenter une partie de l'animal, la tête. Une prime était versée, 10 ou 15 $, je crois. Ce n'était pas une grosse somme.

Ce régime était en place dans les années 1960 et 1970.

Le sénateur MacDonald : Y a-t-il en principe une différence selon que l'on crée un marché pour les produits des phoques gris, par opposition à ceux des phoques du Groenland?

M. Pinhorn : Non.

M. Woodford : Pour en revenir à votre question, le problème ce n'est pas le marché. Le marché existe; l'industrie de la chasse aux phoques n'a jamais pu y accéder. Les marchés sont limités en raison de certains facteurs.

La population de phoques gris n'est pas vraiment notre domaine de compétence. Toutefois, depuis 12 ans, dans le cadre de nos discussions avec le MPO et avec les autres chasseurs de phoques de Cap Breton, de l'Î.-P.-É., de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, il s'est avéré qu'il n'y avait jamais suffisamment de phoques gris provenant de la chasse pour promouvoir les produits correspondants. Les chasseurs de phoques nous disaient qu'on leur avait accordé un contingent de phoques gris qu'ils pouvaient aller chasser mais qu'on ne leur permettait jamais de chasser dans les zones où c'était commercialement rentable, notamment à l'île de Sable et dans d'autres îles voisines le long de la côte. On ne leur donnait pas accès aux îles sur lesquelles se trouvaient les phoques. Contrairement aux phoques du Groenland, qui vivent et qui donnent naissance sur les plaques de glace, les phoques gris habitent sur terre. Les chasseurs de phoques étaient ainsi limités et ne pouvaient pas aller en fait pratiquer la chasse commerciale qui s'offrait à eux. Cela a beaucoup joué pour limiter la promotion et la commercialisation des phoques gris. Les grosses quantités nécessitées par la promotion des produits n'étaient tout simplement pas à la disposition des transformateurs parce qu'on ne permettait pas aux chasseurs de phoques d'aller sur place et de rentabiliser la chasse commerciale.

Voilà ce qu'on nous dit depuis 10 ou 12 ans. C'est ce qui ressort de toutes les séances de consultation sur les phoques de l'Atlantique. Il y en a une autre qui se prépare dans les îles de la Madeleine en janvier, et nous allons encore entendre la même chose. Je suis un chasseur de phoques de Terre-Neuve et lorsque la saison de la chasse commerciale ouvre, j'ai la permission d'aller chasser les phoques. À condition de ne pas dépasser la limite de 10 prises ou quelque chose comme ça, je peux aller chasser les phoques et les tuer là où je les trouve. Dans le golfe, dans la partie sud du golfe et le long des côtes de Cap Breton et de la Nouvelle-Écosse, les chasseurs de phoques n'étaient pas autorisés à faire la chasse. C'était un gros obstacle qui les empêchait d'atteindre leur TAC et donc d'avoir des quantités suffisantes pour approvisionner les transformateurs et faire la promotion de leurs produits.

Le sénateur McDonald : Comme je vous l'ai dit, ce sont des animaux assez imposants. Ce sont de gros animaux. Si l'on devait en éliminer un certain nombre, quelle solution proposeriez-vous? Faudrait-il éliminer les nouveau-nés ou prendre aussi des phoques adultes?

M. Woodford : Là encore, ce sont de gros animaux. Je n'ai jamais tué moi-même de phoque gris, mais j'ai déjà tué plusieurs phoques à capuchon. Le phoque à capuchon est le plus gros de tous. Nous n'avons jamais eu de difficultés à capturer les phoques à capuchon, de sorte que je ne vois pas de problème pour les phoques gris. J'ai oublié la première partie de votre question.

Le sénateur MacDonald : Je vous demandais quelle était la meilleure solution pour réduire cette population.

M. Woodford : Si vous cherchez à rétablir les stocks de poissons de fond, j'imagine que le meilleur moyen d'y parvenir serait de capturer les phoques les plus âgés. Je ne suis pas sûr qu'on le sache bien, mais le phoque est un animal assez joueur. Il va tuer une morue mais ne va pas la manger tout entière. Il va faire ce que l'on appelle une « morsure au ventre », c'est-à-dire qu'il va manger le foie à l'intérieur. C'est pourquoi on ne retrouve pas beaucoup de restes de poissons de fond dans l'estomac des phoques; en l'occurrence, ils n'en mangent qu'une partie, mais le poisson meurt. Si l'on veut remédier au problème des poissons de fond, il faut capturer les phoques adultes.

Le sénateur MacDonald : J'aimerais aborder ici un autre sujet en faisant éventuellement une petite introduction. En matière de capacité de survie des espèces animales, on a établi cinq catégories : il y a les espèces disparues, en voie d'extinction, en danger, menacées et vulnérables. Aucun de ces animaux n'appartient à l'une ou l'autre de ces catégories. Ils prolifèrent. J'ai toujours été fermement persuadé que les gouvernements qui se sont succédé au Canada se sont bien mal débrouillés sur cette question à partir du moment où l'on peut faire du piégeage sur terre. Il n'y a pas de comparaison entre le fait de tuer un phoque du Groenland avec un pic en quelques secondes et celui de laisser souffrir un animal pendant des jours et des semaines dans un piège. Quoi qu'il en soit, il semble que la chasse aux phoques soit la victime d'une controverse politique internationale et de notre mauvaise administration. Nous voulons que ces poissons reviennent et que l'on rétablisse la pêche à la morue en Nouvelle-Écosse. Il n'y a plus de pêche dans la zone côtière. Depuis 20 ans maintenant, la pêche est carrément morte. Il n'y a presque plus de biomasse. Il y a cependant d'autres facteurs en jeu que je tiens à évoquer. Il y a ce que l'on appelle le corégone atlantique ou le corégone canadien, qui est une espèce rare que l'on trouve aux environs de la rivière Tusket. Elle s'apparente au saumon, je crois. C'est une espèce en danger, menacée, et les phoques gris s'alimentent dans cette zone. Vous êtes un chasseur de phoques et vous connaissez certainement le marsouin commun. Il y en a trois quarts de millions dans le monde. On les voyait très couramment le long de la côte de l'Atlantique. On en voit encore, mais moins souvent. D'après ce que j'ai pu lire, les pressions qui s'exercent sur le marsouin commun sur la côte Est du Canada sont plus fortes que partout ailleurs dans le monde où on le trouve normalement. Ces animaux ne sont pas particulièrement gros, mais ils ont un très fort métabolisme. Ils peuvent consommer 10 ou 15 livres de poissons par jour. Ils consomment les mêmes espèces que ces phoques qui pèsent 400 ou 500 livres. Nous savons d'avance qui va sortir vainqueur; cela ne fait aucun doute.

Il semble qu'on n'insiste pas assez — et je pense que nous en sommes tous responsables — sur la prolifération des phoques gris et des phoques du Groenland, et sur la pression qu'ils exercent, non seulement sur les stocks de morue, mais aussi sur les autres espèces marines. Est-ce que votre groupe s'est penché sur la pression exercée par les phoques gris sur les autres espèces marines? Je pense que cette pression est réelle.

M. Pinhorn : À Terre-Neuve-et-Labrador, nous avons beaucoup étudié les restes trouvés dans les estomacs des phoques à capuchon et des phoques du Groenland. On a fait aussi ce genre de travail dans certaines régions du golfe. Je vous l'ai déjà dit, les phoques gris remontent plus haut dans la partie nord du golfe. J'en ai parlé au FFAW et ses responsables restent très préoccupés par les régions du golfe de Terre-Neuve-et-Labrador. Ils considèrent que le problème va bientôt se poser. Lorsque je travaillais au ministère, nous avons prélevé des échantillons. Nous avons retiré jusqu'à 56 turbots de l'estomac d'un phoque. Chacun d'entre eux avait environ un pied et 10 pouces de largeur. Vous savez ce que c'est qu'un turbot. C'est un poisson plat. Nous avons retiré un seau de cinq gallons de crevettes de l'estomac d'un phoque ainsi qu'un crabe tout entier. Ce sont des animaux voraces; c'est bien connu. Ils remontent les rivières du Labrador, à la recherche des truites et du saumon. Le chef Roy Jones, des îles de la Reine-Charlotte, Haida Gwaii, m'a dit qu'il y avait là-bas des centaines de rivières totalement ravagées. On n'y trouve plus de poissons. Il est membre de notre association et il est d'accord pour dire que nous avons besoin de la pêche commerciale des phoques. Il faut en limiter l'augmentation.

M. Woodford : Par ailleurs, un ami m'a fait parvenir deux photos l'année dernière. Nous sommes en train de parler des poissons de fond. Croyez-moi, la ressource que constituent les poissons de fond est importante, mais ce n'est rien par rapport à l'industrie des crustacés, tant à Terre-Neuve que dans les autres provinces du Canada.

J'ai reçu l'année dernière deux photos de phoques adultes qui venaient d'être tués. Le premier avait dans son estomac 85 crabes femelles et l'autre 136 crabes femelles plus un mâle. À l'heure actuelle, sur la côte du Nord-Est de Terre-Neuve, on enregistre une diminution considérable du total autorisé de nos captures de crabes des neiges alors que nous avons une population de 9 à 10 millions de phoques du Groenland, en nette augmentation chaque année, qui s'alimente de tout ce qu'elle peut trouver. Il ne s'agit pas uniquement des phoques gris — je sais que c'est de cela dont nous parlons aujourd'hui — mais de manière générale, nous avons des populations de phoques en nette augmentation. Toutes les pêches et tous les stocks de poissons sont en baisse. Il m'apparaît que personne ne veut se préoccuper de la question.

Depuis 1992, on a imposé un moratoire à Terre-Neuve sur la pêche à la morue du Nord. Nous disposons d'un faible contingent de 3 000 livres par pêcheur sur la côte Nord-Est de Terre-Neuve alors que nous avons 10 millions de phoques qui nous mangent nos entreprises et nous expulsent de chez nous. C'est un énorme problème, aussi bien dans le golfe que dans les autres régions de l'Atlantique au Canada.

Le sénateur MacDonald : Je tiens à vous assurer qu'il y a des gens autour de cette table qui veulent faire quelque chose. Je vous remercie.

M. Pinhorn : Ce printemps, les Chinois étaient à Terre-Neuve. Ils avaient conditionné le produit et l'avaient commandé. Ils ont dû arrêter la production parce que le contrat avec les Chinois n'avait pas encore été signé. Il y a des produits là-bas qui ne peuvent pas passer la douane chinoise. On peut les faire sortir du pays, mais on ne peut pas les faire entrer en Chine. La documentation nécessaire n'est pas disponible tant que le contrat n'est pas signé.

Je vous le répète, la déclaration de la ministre Shea à la télévision la semaine dernière était prématurée; elle aurait dû faire une déclaration conjointe avec les Chinois. C'était une erreur au départ. Je ne sais pas si elle l'a fait exprès ou non.

Je travaille sur le dossier des phoques depuis 1980, soit depuis 31 ans, au sein du gouvernement provincial puis de l'Association canadienne des chasseurs de phoques. Je sais que c'est une question difficile à régler, mais ce n'est pas impossible. Il y a des groupes intéressés dans le monde. J'ai reçu hier des courriels qui montrent que les Vietnamiens s'intéressent à la viande de phoque. C'est un enjeu international. C'est un enjeu international avec les Européens. Ils sont venus ici négocier un accord de libre-échange mais, pour une raison quelconque, les phoques n'ont pas été considérés comme une ressource naturelle normale. Ils ont dû être mis à part, mis de côté, mis en réserve pour être traités après coup. Le problème, c'est après coup on ne fait plus rien.

Le sénateur Harb : Merci, monsieur Pinhorn et monsieur Woodford. J'ai beaucoup apprécié vos commentaires, notamment la dernière partie. Je peux comprendre vos frustrations et votre déception. Vous avez toutes les raisons du monde d'être frustrés et déçus parce que vous et votre industrie avez servi de punching-ball dans une bataille politique où chacun voulait marquer des points, ni plus ni moins, c'est la triste vérité.

Je vais vous dire une chose que peu de gens vont vous dire, mais je vais vous exposer les faits tels qu'ils sont. Les États- Unis vous ont fermé leur marché en 1972. Les Européens l'ont fait l'année dernière. Le marché chinois ne va pas s'ouvrir en dépit des déclarations de la ministre en janvier 2011. Les populations chinoises sont sur la défensive et prennent aussi l'offensive. Elles n'aiment pas qu'on les oblige à consommer du phoque. Comme l'ont déclaré la ministre et d'autres intervenants, les Chinois mangent n'importe quoi et ils ne font pas de différence entre les différentes viandes. Ce genre de commentaire n'a pas aidé votre cause.

Je dois vous dire que vos transformateurs ont fait le nécessaire pour conditionner et se préparer à expédier vos produits en se fondant sur les déclarations de la ministre alors que, vous l'avez dit vous-même, ces commentaires étaient très prématurés. En somme, la ministre vous a largement porté préjudice parce qu'elle n'a pas bien fait son travail.

Il n'y avait pas d'accord. C'est un point important, et je suis sûr que les témoins veulent le savoir. Il n'y a jamais eu d'accord. Nous avons demandé à maintes et maintes reprises quelle était la nature de cet accord. Il n'y a jamais eu d'accord. Il y a eu une certaine forme de communication, des discussions et des déclarations, mais il n'y a jamais eu d'accord. Si vous demandez à voir l'accord, il n'y en a pas.

Sachant ce que nous savons tous, que le gouvernement vous a laissé tomber, est-ce que vous-même ou vos membres, dans le cadre de votre plan stratégique sur cinq ans, de même qu'une société prévoit toujours une stratégie de repli dans son plan stratégique, avez envisagé d'aller demander une indemnisation au gouvernement du Canada, au nom des 11 000 chasseurs de phoques que vous représentez, étant donné qu'il n'a pris aucune mesure véritable? Votre industrie a le droit de réclamer une indemnisation et des mesures de transition comme d'autres l'ont fait lorsque nous avons signé des accords de libre-échange avec les États-Unis et que nous avons obtenu certaines compensations dans certains secteurs. Il y a eu aussi la déclaration de la ministre, qui était prématurée, et je vous cite : « Rétrospectivement, il semble que la déclaration de Gail Shea ait été quelque peu prématurée. » J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Pinhorn : En fin de compte, nous avons toujours prétendu que la position du gouvernement fédéral sur la chasse aux phoques était faible. Nous avons toujours soutenu cette thèse, même lorsque je travaillais au ministère des Pêches et de l'Aquaculture. Nous n'avons pas demandé d'indemnisation au gouvernement fédéral. Nous sommes financés par la province de Terre-Neuve-et-Labrador, nous n'avons jamais demandé de crédits au gouvernement fédéral, que ce soit pour le compte de l'ACCP ou de notre industrie. Nous n'avons rien demandé.

Ce qui nous inquiète entre autres en ce qui concerne le gouvernement fédéral, et j'en ai parlé aux ministres Fast et Penashue en septembre, c'est qu'il ne semble pas que celui-ci prenne la chose au sérieux. C'est un enjeu lié au commerce international. Ce n'est pas un problème de pêche parce que nous avons eu la possibilité d'accéder à la ressource cette année; nous aurions pu capturer 500 000 phoques cette année, ce qui aurait limité quelque peu les populations. Toutefois, nous ne pouvons pas les chasser parce que nous ne savons pas où les vendre. Les prix sont tellement bas avec des munitions qui n'ont jamais été aussi chères et un carburant à 1,20 $ le litre. Il arrive fréquemment qu'un bateau qui va à la chasse aux phoques doive payer 3 000 $, 4 000 $ ou 10 000 $ de carburant. Il faut capturer une grande quantité de phoques à 20 $ par tête pour s'en sortir, surtout lorsqu'on ajoute le coût des 100, des 200 ou des 2 000 boîtes de munitions. C'est une activité onéreuse.

Je vous le répète, les phoques font partie de notre histoire. Les gens sont venus s'établir à Terre-Neuve-et-Labrador il y a 500 ans pour pêcher la morue et chasser le phoque. Les Autochtones et les membres des Premières nations chassaient le phoque bien avant cela. Le problème ne va pas disparaître.

Lorsque la greffière du comité m'a appelé pour me demander de comparaître, je me suis empressé d'accepter parce que je tenais simplement à vous dire que ce problème ne disparaîtra pas et qu'il faudra le régler d'une façon ou d'une autre. Comme l'a dit ici notre ami, le sénateur de la Nouvelle-Écosse, les parasites dans le golfe posent un gros problème, mais nos difficultés sont encore plus grandes, ainsi que l'a indiqué M. Woodford. Les phoques se déplacent de plus en plus vers le sud et occupent de plus grandes zones géographiques. Il en naît 1,6 million chaque année, et les populations sont de plus en plus nombreuses.

Lorsque nous avons rencontré les deux ministres en septembre, nous leur avons fait comprendre qu'il fallait que le gouvernement fédéral se montre plus agressif et s'efforce de considérer qu'il s'agit d'un enjeu commercial. Nous ne pouvons rien faire s'il n'y a pas de marché, absolument rien. Nous pouvons toujours former nos chasseurs de phoques, les sensibiliser et leur délivrer toutes sortes de certificats de bonne conduite, mais cela ne servira à rien s'ils ne peuvent pas exploiter la ressource.

Les régions rurales de Terre-Neuve-et-Labrador sont tributaires des morues, des crabes, des crevettes, des turbots, des homards et de toutes les espèces qui vivent dans l'océan, y compris les phoques. Il y a 11 000 chasseurs de phoques depuis le Maine jusqu'au cap Ste-Marie. Cela couvre toute la province à l'exception de quelques petits secteurs de la côte Sud, et cela est essentiel pour que les familles des régions rurales de Terre-Neuve-et-Labrador puissent vivre.

Le sénateur Harb : Vous devez être très déçus de voir que le gouvernement veut tuer 70 000 phoques gris et en inonder le marché. Il étudie en ce moment les moyens de tirer parti des phoques. Non seulement vous avez des difficultés à vendre les phoques du Groenland, mais vous avez maintenant le gouvernement qui veut tuer 70 000 phoques et en inonder le marché. Qu'en pensez-vous?

M. Pinhorn : Je vous ai dit tout à l'heure que je n'étais pas d'accord avec cette mesure et que notre principal objectif était le développement de la chasse commerciale.

Le sénateur Harb : Je vous remercie.

M. Woodford : Vous avez évoqué la Marine Mammal Protection Act, qui a été signée en 1974 aux États-Unis. Lorsque cette loi a été adoptée, on a inclus les phoques parce qu'il y avait à ce moment-là 2,1 ou 2,2 millions de phoques et qu'on considérait qu'il s'agissait d'un problème de conservation. Depuis 15 ou 20 ans, nous en sommes à 10 millions de phoques, et il n'y a donc évidemment plus de problème de conservation. Le gouvernement fédéral devrait s'efforcer de faire de la promotion aux États-Unis pour nous ouvrir ce grand marché.

Vous avez fait mention de l'embargo européen qui est entré en vigueur l'année dernière. L'Europe et les États-Unis gèrent les phoques comme nous envisageons de le faire au sujet des phoques gris; en supprimer une partie — les tuer, les détruire et n'en plus parler.

Ce serait un crime envers l'humanité de gérer ainsi nos ressources. C'est une chose dont notre association ne veut pas entendre parler. Cela dit, toutefois, en ma qualité de chasseur commercial ayant constaté les dégâts que font les populations de phoques, je me dis qu'il viendra un temps où nous allons tous demander que l'on se débarrasse de ces animaux. Il est actuellement possible d'en limiter le nombre grâce à une activité commerciale qui fournira des ressources dont ont bien besoin les familles des régions rurales de l'Atlantique au Canada. Ce serait une grande injustice si notre gouvernement finissait par détruire une ressource naturelle qui se trouve à notre porte, qui peut représenter une grande valeur économique et qui peut aider à nourrir les 7 milliards d'habitants de notre terre.

Ce serait un crime de ne même pas envisager des débouchés pour cette ressource. Si l'on en assurait la promotion et la commercialisation comme il convient, pas une once de viande de phoque tué ne devrait se perdre. Nous sommes convaincus qu'une chasse commerciale durable est bien plus utile que l'abattage sélectif. Il n'en reste pas moins qu'il n'y a pas de marché à l'heure actuelle. Il faut faire quelque chose pour régler la question des phoques gris dans le sud du golfe. Beaucoup de gens préconisent que l'on fasse quelque chose dès maintenant, sans attendre.

[Français]

Le sénateur Losier-Cool : Merci, messieurs. Je suis un nouveau membre de ce comité. Grâce aux statistiques que vous nous donnez, j'apprends la fragilité de notre écosystème.

J'aimerais revenir sur votre association canadienne. Vous avez dit que votre association compte 6 000 membres, mais vous avez 11 000 chasseurs de phoques. Est-ce que j'ai bien compris les chiffres?

Est-ce que ces 6 000 membres proviennent plutôt de l'Est du Canada ou est-ce qu'il y a, puisque c'est une association canadienne, des membres de partout au pays?

[Traduction]

M. Pinhorn : Tout d'abord, l'affiliation de nos membres est facultative. Nous n'avons pas 6 000 membres, mais 6 000 chasseurs de phoques nous versent une cotisation au titre des fourrures. Tous les chasseurs de phoques nous font parvenir chaque année une cotisation de 25 $ en plus de verser 0,25 $ à l'Association canadienne des chasseurs de phoques pour chaque animal tué. Si l'on rapporte 100 000 phoques, cela nous fait 25 000 $. C'est une organisation bénévole. Le chiffre de 6 000 découle du versement des droits sur les fourrures. Nous n'avons en fait que 600 membres qui versent directement une cotisation de 25 $ par an.

Nous avons des membres dans tout le Canada. Il y a des membres à Ottawa et le député de Grand Falls, Scott Simms, est membre de notre association. Il nous verse 25 $ et nous lui faisons parvenir notre bulletin pour le tenir au courant de nos activités. Nous envoyons une ou deux fois par an un bulletin à tous nos membres pour qu'ils sachent ce que fait notre industrie en matière de développement des produits, de commercialisation, et cetera.

Le chiffre de 11 000 chasseurs de phoques que j'ai évoqué correspond au nombre de chasseurs commerciaux détenant un permis de chasse au phoque à Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Losier-Cool : Vous avez devancé ma deuxième question. J'allais vous demander comment était financée votre association.

M. Pinhorn : C'est pourquoi je vous ai dit tout à l'heure que l'affiliation à notre association était facultative.

[Français]

Le sénateur Losier-Cool : Pour revenir aux chasseurs de phoques, ai-je bien compris qu'ils doivent suivre une formation obligatoire afin d'apprendre les méthodes de prélèvement sans cruauté?

[Traduction]

M. Pinhorn : Nous avons demandé au gouvernement fédéral de rendre obligatoires l'information et la sensibilisation des chasseurs de phoques. Voilà trois ans que nous administrons un programme par l'entremise de l'Office d'accréditation des pêcheurs professionnels, et nous avons assuré la formation de quelque 3 000 chasseurs de phoques dans tous les domaines de la capture des phoques. Nous maintiendrons l'application de ce programme tous les hivers jusqu'à ce que tous les chasseurs de phoques aient reçu une formation. En attendant, nous avons demandé au ministre canadien des Pêches et des Océans de fixer une date, éventuellement en 2012 ou en 2013, pour rendre obligatoires la formation et l'agrément de tous les chasseurs de phoques.

Le sénateur Losier-Cool : Qui supervise la formation?

M. Woodford : C'est l'Office d'accréditation des pêcheurs professionnels qui s'en charge. Il assure la formation de tous les pêcheurs commerciaux de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Losier-Cool : À votre avis, que pense la population canadienne de l'administration ou des enjeux politiques de la chasse aux phoques? Vous avez fait état du gouvernement.

[Français]

À votre avis, comment les Canadiens voient ces politiques fédérales? Sont-ils conscients, comme je le mentionnais plus tôt, de la fragilité de l'écosystème? Est-ce que les Canadiens sont conscients de ce que vous venez de nous dire?

[Traduction]

M. Pinhorn : Lorsqu'on me pose cette question, j'établis toujours un parallèle entre l'élevage de vaches et de moutons, la chasse à l'orignal, au chevreuil et au wapiti, et la chasse aux phoques. C'est pure hypocrisie que de me dire qu'on peut chasser un cochon sauvage, une chèvre, un orignal, un wapiti, un sanglier en Allemagne — on en chasse là- bas des centaines de milliers, tout en interdisant à M. Woodford de tuer un phoque. C'est pure hypocrisie. C'est ainsi que je le vois.

Je suis allé deux fois en voiture de Terre-Neuve à Grande Prairie. Je vous ai dit tout à l'heure que j'étais géographe de profession. Je suis allé à deux reprises jusqu'à Grande Prairie en voiture pour visiter les fermes du Wisconsin, du Dakota du Nord, du Dakota du Sud, du Manitoba, de l'Alberta et de la Saskatchewan, et j'ai vu que là-bas les agriculteurs étaient comme les chasseurs de phoques de Terre-Neuve-et-Labrador. Ils sont pauvres. Ils cherchent à gagner leur vie comme ils peuvent en travaillant la terre. Depuis 500 ans, à Terre-Neuve-et-Labrador, on ne vit pas de la terre, mais de l'océan. Les habitants pêchent la crevette, le crabe, la morue et le turbot, et il leur faut chasser les phoques pour faire vivre leur famille. Qu'en pense la population canadienne? Le violoneux Ashley MacIsaac est passé la semaine dernière aux actualités, avec ses bottes en peau de phoque. Lorsque j'ai passé une entrevue à Ottawa, il m'a demandé ce que j'en pensais. Je lui ai répondu qu'on devait le considérer comme un grand Canadien parce qu'au contraire du gouvernement canadien, il défendait notre culture et notre patrimoine.

Lorsqu'elle s'est rendue dans le Nord du Canada, Michaëlle Jean a mangé de la viande de phoque crue. Elle ne voulait pas nous insulter. Elle reconnaissait que c'est ce que faisait notre population. Les habitants de l'Alberta font de l'agriculture. Ils font pousser et du blé et s'arrangent pour pouvoir vivre. Il y a 5 000 personnes à Terre-Neuve-et- Labrador qui font la même chose. Jacques Cousteau a déclaré : « Ne me dites pas que l'on peut chasser un cochon sauvage et rien d'autre. » Le problème de la chasse aux phoques, c'est que les associations de défense des animaux ont mis les phoques sur un piédestal, au-dessus de tous les autres animaux et des êtres humains. Les phoques sont tout au sommet, ils sont intouchables. D'où les difficultés pour cet homme en Nouvelle-Écosse, parce que nous avons à l'heure actuelle 11 millions de phoques gris, de phoques du Groenland et de phoques à capuchon, et que si nous continuons dans cette voie, nous allons nous retrouver dans deux ou trois ans avec 12 ou 15 millions de phoques. Je vais encore me retrouver devant vous dans trois ou quatre ans si je suis en vie et vous allez encore me poser les mêmes questions.

Qu'en pense la population canadienne? Le Canada s'est constitué avec la traite des fourrures. Nous connaissons tous la Compagnie de la Baie d'Hudson. Nous n'allons pas y revenir. C'est la traite des fourrures qui a fait notre pays.

J'ai rendu visite aujourd'hui à l'Institut de la fourrure du Canada. Il y avait là-bas des peaux de castors et de rats musqués et toutes les fourrures que l'on peut récolter au Canada. Les responsables n'en avaient pas honte.

J'ai été invité jeudi dernier à la résidence du gouverneur général et j'ai dîné avec notre lieutenant-gouverneur. Il m'a fait cadeau d'un nœud papillon en peau de phoque. J'ai dit à M. Woodford, en venant ici, que mon seul regret était de ne pas avoir mis ce nœud papillon ce soir. Voilà ce que je pense de l'industrie de la chasse aux phoques et ce que la population canadienne devrait en penser.

Le sénateur Harb : Ce n'est pas le cas.

M. Woodford : On devrait peut-être faire une distinction entre les habitants des villes et ceux de la campagne. C'est là qu'est la grande différence. Comme l'a dit M. Pinhorn tout à l'heure, si vous allez au centre-ville de Toronto ou d'Ottawa, vous allez voir nombre de restaurants, de supermarchés et de magasins qui vendent de la viande de bœuf, du porc et du poulet. Les animaux doivent mourir et croyez-moi, les chasseurs de phoques ne sont pas fiers d'avoir à tuer des phoques. J'ai déjà fait la chasse et passé des jours à la recherche des phoques avant l'ouverture. J'admire ces animaux. Lorsque six heures sonnent ce matin-là, le jour de l'ouverture, on change de mentalité. On adopte un autre comportement et on va chasser les phoques, comme un agriculteur qui a élevé 10 000 bovins, 1 000 porcs ou 1 000 moutons. Je ne vous dis pas qu'il va se sentir très fier d'avoir à les envoyer à l'abattoir, mais dans ce genre d'établissement on ne voit rien et on ne montre rien. Les chasseurs de phoques comme nous doivent s'accommoder des hélicoptères qui les survolent à 100 mètres ou 100 pieds de hauteur et prennent des photos de cette plaque de glace pleine de sang. Le spectacle n'est pas très beau et nous n'en sommes pas particulièrement fiers.

Nous sommes fiers de notre travail, ne vous méprenez pas, mais nous ne sommes pas heureux d'avoir à tuer. C'est une nécessité, c'est ce que la population canadienne doit comprendre, et c'est le cas de la plupart des gens, à mon avis.

Le sénateur Poirier : Merci d'être venus nous faire votre exposé. Nous avons beaucoup apprécié.

Nous évoquons le problème des phoques gris et de la côte Est de l'Atlantique au Canada. Je sais que vous venez tous deux de Terre-Neuve et qu'il est question du nombre de chasseurs de phoques à Terre-Neuve, même si nous avons dit quelques mots de la situation en Nouvelle-Écosse. Vous allez éclairer ma lanterne. Y a-t-il des phoques gris au Nouveau-Brunswick ou à l'Île-du-Prince-Édouard? Nous avons effectivement des phoques. Est-ce que ce sont des phoques gris?

M. Woodford : Oui, il y a des phoques gris dans la baie de Fundy le long de la frontière du Nouveau-Brunswick et aussi dans la partie sud du golfe sur la côte nord-est du Nouveau-Brunswick. Ils se retrouvent pratiquement partout. Les phoques gris se répandent aujourd'hui le long de la côte Est des États-Unis. La semaine dernière encore, j'ai reçu des courriels me disant que les phoques avaient atteint les côtes de la Nouvelle-Angleterre.

Le sénateur Poirier : Y a-t-il des chasseurs de phoques détenteurs de permis en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick ou à l'Île-du-Prince-Édouard, ou se trouvent-ils avant tout à Terre-Neuve-et-Labrador?

M. Pinhorn : La majorité des chasseurs de phoques sont à Terre-Neuve. Il y a 14 000 détenteurs de permis dans l'Atlantique, la majorité à Terre-Neuve.

Le Québec en a 1 000 ou un peu plus. Il y en a environ 140 en Nouvelle-Écosse, peut-être 20 à l'Î.-P.-É. et 3 ou 4 au Nouveau-Brunswick.

Ils viennent toujours à nos réunions et le Nouveau-Brunswick s'intéresse à la formation des chasseurs de phoques commerciaux. Étant donné le nombre restreint de phoques, notamment de phoques du Groenland offrant une rentabilité commerciale en ce moment, l'intérêt est très limité. Les chasseurs de phoques dans le golfe sont finalement en trop grand nombre. Si l'on enregistrait une recrudescence des activités commerciales liées à la chasse des phoques gris, le Nouveau-Brunswick voudrait beaucoup y participer.

M. Pinhorn : Selon la répartition prévue, 90 p. 100 des quotas sont attribués à Terre-Neuve et 10 p. 100 aux autres, ce qui englobe les îles de la Madeleine, la côte Nord du Québec, la Nouvelle-Écosse, l'Î.-P.-É. et le Nouveau- Brunswick.

La plupart des phoques descendent du Labrador et habitent toute la région que l'on qualifie de frontale. Une petite partie d'entre eux va dans le golfe, et c'est pourquoi la majorité, soit 90 p. 100 de la population, fait l'objet de quotas attribués à Terre-Neuve, le reste étant réparti entre les autres provinces.

M. Woodford : C'est le critère pris en compte concernant les phoques du Groenland. Les phoques gris sont tous exploités par les provinces de l'Atlantique — la Nouvelle-Écosse, l'Î.-P.-É. et le Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Poirier : Vous avez évoqué dans vos commentaires la possibilité d'un accord avec la Chine. C'était au sujet des phoques du Groenland, si j'ai bien compris.

M. Pinhorn : Ça concernait tous les phoques.

Le sénateur Poirier : Vous avez aussi indiqué qu'il y avait un marché mais que vous n'y aviez pas accès. Je sais que vous faisiez référence à la situation chinoise.

Y a-t-il d'autres marchés? Quels sont les autres marchés qui font l'objet de tractations à l'heure actuelle? Je sais que les prix sont faibles et qu'il n'y a pas beaucoup de débouchés, mais est-ce que vous vendez à l'heure actuelle sur d'autres marchés?

M. Pinhorn : Il y en a une partie qui va à Taïwan et une autre à Hong Kong. La Russie prend les fourrures parce qu'on y fabrique encore des casquettes en fourrure. Il y en a une partie qui va en Corée.

Le sénateur Poirier : S'agit-il des phoques du Groenland?

M. Woodford : Il y a des phoques du Groenland, des phoques à capuchon, des phoques annelés...

M. Pinhorn : Ils prennent toutes les espèces de phoques.

Le sénateur Losier-Cool : Y a-t-il une demande?

M. Pinhorn : Oui, il y a une demande.

Le sénateur Poirier : On compte parmi les sous-produits du phoque du Groenland le cuir, les produits de l'artisanat, la viande destinée à la consommation humaine et animale, l'huile, les acides gras oméga 3, qui sont généralement reconnus comme étant bénéfiques pour la santé, et de nouveaux produits tirés des recherches en cours, telles que les valvules cardiaques des phoques, qui sont utilisées en chirurgie humaine.

En ce qui concerne les phoques gris, a-t-on fait des recherches pour savoir quels produits on peut utiliser? Je sais qu'on a parlé des aliments pour le bétail et d'autres choses de ce genre, mais y a-t-il une demande, ou doit-on procéder à d'autres recherches au sujet du phoque gris?

M. Woodford : Au printemps dernier, une société de Terre-Neuve est allée en Nouvelle-Écosse pour demander à des chasseurs de phoques d'en rapporter une quantité limitée afin de pouvoir vérifier quelle était la teneur en métaux lourds de la viande et si elle était propre à la consommation humaine. On m'a dit que les résultats étaient satisfaisants de sorte qu'on ne voit pas pourquoi les sous-produits des phoques gris ne pourraient pas concurrencer ceux des phoques du Groenland.

En ce qui a trait au domaine biomédical, je crois que les recherches qui ont été faites au Québec portaient sur l'ensemble des espèces, mais je puis me tromper. Je vous répète que si les chasseurs de phoques des régions du golfe sur la côte atlantique du Canada pouvaient accéder aux secteurs dans lesquels se trouvent les phoques, il n'y a aucune raison pour qu'on ne puisse pas pratiquer une chasse commerciale rentable des phoques gris.

Le sénateur Poirier : Lorsque vous nous dites que 90 p. 100 des quotas sont attribués à Terre-Neuve et les 10 p. 100 restants aux autres provinces, est-ce que cela concerne uniquement les phoques du Groenland?

M. Pinhorn : Oui, en effet.

Le sénateur Poirier : À l'heure actuelle, on ne chasse pas du tout les phoques gris.

M. Woodford : Pas à Terre-Neuve.

Le sénateur Poirier : Et dans l'ensemble de la région de l'Atlantique au Canada?

M. Woodford : L'année dernière, on a attribué à titre d'expérience un permis à une société de Terre-Neuve pour qu'elle puisse acheter 200 phoques gris. En dehors de cela, si j'ai bien compris, et si l'on fait abstraction des prises accidentelles et des phoques gris qui viennent à mourir, ce sont là les seuls phoques gris que l'on a capturés l'année dernière.

Des années auparavant, on en prenait 1 200 ou 1 400, et c'est là que les transformateurs ont éprouvé de grosses difficultés pour promouvoir les produits des phoques gris. Les quantités étaient tellement limitées qu'on ne pouvait pas aller en faire la promotion. À l'heure actuelle, ces chasseurs de phoques doivent capturer 60 000 individus. S'ils pouvaient avoir accès aux phoques, je ne pense pas qu'ils auraient des difficultés à les capturer. Je ne pense pas que les usines auraient des difficultés à les transformer, et je ne pense pas que vous auriez des difficultés à les vendre, à condition que l'on ouvre les marchés.

Le président : La société qui a obtenu un permis à titre expérimental, j'imagine qu'elle sait probablement...

M. Woodford : C'est ce que je pense. Il s'agissait de la Northeast Coast Sealers Cooperative, opérant en collaboration avec Seawaters Products à partir de Fleur de Lys, Terre-Neuve.

Le président : Il serait peut-être bon de faire comparaître plus tard un responsable qui pourrait nous informer.

Le sénateur Poirier : Comme nous le savons tous, il y a des mouvements et des groupes qui s'opposent carrément à tout cela. Notre comité sénatorial se penche précisément sur la question en ce moment, et nous recevons de nombreux courriels. Nous en recevons beaucoup du même genre, mais il y en a des quantités.

L'un des arguments qui revient dans les courriels, c'est que la diminution des stocks de morue et d'autres poissons de fond n'a rien à voir avec la consommation des phoques. On en attribue plutôt la cause à la pêche excessive de ces espèces, qui a entraîné cette diminution.

En vous écoutant il y a quelques minutes détailler la quantité de crevettes, de crabes et d'autres poissons que l'on retrouve dans l'estomac des phoques, il me semble que cela contredise quelque peu les affirmations de ces gens. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Pinhorn : Il y a des endroits, à Robert's Arm, au centre de Terre-Neuve, où l'on peut voir les phoques sortir littéralement les morues de l'eau. J'ai chez moi des vidéos que l'on m'a fait parvenir l'hiver dernier. On peut y voir un homme remettre les poissons à l'eau. C'était l'hiver dernier.

Lorsqu'il était ministre des Pêches et de l'Aquaculture, John Efford a demandé à des plongeurs d'aller prendre des vidéos dans certaines zones de Trinity Bay et dans d'autres secteurs de la province. On y voit une grosse morue, de trois ou quatre pieds de long, dont l'intérieur est enlevé, c'est-à-dire le foie et les tissus internes, et qui gît sans vie sur le fond.

Il y a toutes sortes de vidéo sur lesquelles on peut voir des harengs, des maquereaux et des morues entourées de phoques, qui sont particulièrement voraces. Un groupe se charge d'encercler les poissons et nombre d'entre eux s'alimentent au centre du cercle, chacun à leur tour. Tout a été enregistré sur vidéo.

Lorsqu'on sait qu'il y a 10 millions de phoques dans l'océan — ce ne sont pas des poulets ou des dindes qu'ils mangent, et ils ne sont pas végétariens.

Le sénateur Poirier : Merci de nous le préciser.

M. Woodford : Vous avez aussi évoqué la pêche excessive pratiquée par les flottes étrangères et le fait que la pêche en général est en partie la cause de la diminution des stocks de morue. Personne ne peut le nier.

Au cours des années 1970, lorsque la population de phoques sur la côte Nord-Est était de 2,2 ou de 2,5 millions d'individus, et que la pêche aux poissons de fond était très développée, il est bien possible que l'on ait pratiqué une pêche excessive et que cela se soit poursuivi tout au long des années 1980. Personne ne peut en disconvenir, mais nous avons vu par ailleurs la population de phoques passer de 2,2 millions d'individus à 3 millions, puis à 4 et 5 millions entre le milieu des années 1990 et l'an 2000, et nous en sommes maintenant à 10 millions en 2011. Toute personne raisonnable comprend bien qu'à partir du moment où les poissons de fond ont été décimés, ces prédateurs sont l'un des principaux facteurs qui nous empêchent de reconstituer ces stocks. Un moratoire est appliqué à Terre-Neuve depuis 1992 sur la pêche à la morue, si l'on fait exception d'une petite pêche non commerciale.

Avec une telle population de phoques, il est évident qu'il est bien difficile de reconstituer ces stocks de poissons. Pour moi, qui suis un pêcheur, cela tombe sous le sens.

M. Pinhorn : Pour vous donner une idée de l'importance de la chasse aux phoques au cours de notre histoire, en 1834, on a vu 15 000 hommes partir dans 600 bateaux en bois, et une autre année 765 000 phoques ont été rapportés. Voilà quelle était l'importance de cette chasse au cours des années 1830.

Écoutez notre lieutenant-gouverneur évoquer l'importance de la chasse au phoque dans notre province. Notre population est restée pendant des années de 20 000, de 30 000 ou de 35 000 habitants, et si nous avons atteint les 100 000 et les 200 000 habitants, c'est parce que les lampes que l'on allumait à Londres, à Paris et dans le monde entier fonctionnaient à l'huile de phoque. L'huile de phoque avait son importance à l'époque, et les phoques sont importants de nos jours, mais il est temps aujourd'hui que le gouvernement fédéral considère carrément cette question comme un enjeu commercial. Il me semble en avoir peur ou en avoir honte. Je l'ai dit aux ministres Fast et Peter Penashue, et je leur ai affirmé que nous avions fait le maximum dans ce dossier.

Nos chasseurs de phoques ont reçu une formation et ont un permis. D'après Winston Churchill, ce sont les meilleurs nautoniers du monde. Nous les rendrons encore meilleurs. Ce seront les meilleurs canonniers et les meilleurs bouchers lorsqu'il s'agira de nettoyer et de préparer la viande, et ils auront tous un permis, mais nous ne pourrons pas faire le travail tant que le produit ne pourra pas être commercialisé.

Le sénateur poirier : Vous nous avez dit que le Canada avait la plus forte population de phoques au monde. Quels sont les autres pays qui chassent le phoque à l'heure actuelle et quels sont les moyens dont ils disposent?

M. Pinhorn : On chasse les phoques dans certaines régions de la Namibie.

M. Woodford : La Namibie capture entre 70 000 et 80 000 phoques pour leur fourrure. Les pays scandinaves pratiquent une chasse restreinte de différentes espèces de phoques. Partout où il y a des populations de phoques, on en tue une partie, soit dans le cadre d'une chasse commerciale, soit pour en limiter le nombre. La plupart de ces pays limitent leurs populations de phoques dans le cadre de leur politique de gestion des pêches, ce que nous n'avons jamais fait au Canada. Nous ne faisons que commencer à considérer la chose sous l'angle de la pêche. Nous sommes en retard sur ce point.

En tant que chasseur de phoques, je considère que la solution commerciale est préférable à un abattage sélectif, mais il est temps pour vous, qui êtes réunis ce soir, d'envisager cette question dans le cadre de la gestion des pêches. Tôt ou tard, soyons-en persuadés, il faudra tuer un grand nombre de phoques. Si l'on détruit nos marchés, si l'on n'en fait pas la promotion et si l'on ne trouve pas de débouchés, cette ressource sera complètement gaspillée.

Le sénateur Raine : Merci d'être venus.

Je suis originaire de la côte Ouest. Je ne sais pas jusqu'à quel point vous êtes informés, mais vous avez indiqué que les rivières de Haida Gwaii avaient été ravagées par les phoques. J'ai constaté moi-même le long de la côte qu'il y avait bien plus de phoques qu'avant. Faut-il voir là un résultat de la forte croissance ou de la surpopulation des phoques sur la côte Ouest?

M. Pinhorn : En effet. Lorsque nous avons manifesté il y a trois ans sur la Colline du Parlement, le chef Roy Jones était là en habit de cérémonie. Il était tout à fait d'accord avec nous, il s'est joint à l'Association des chasseurs de phoques et nous restons en contact avec lui. Il nous affirme que c'est un gros problème et qu'il faudra le régler. Les saumons et les truites des rivières sont décimés. Vous connaissez l'importance de la pêche en rivière et de la chasse aux phoques dans l'histoire et la culture de son peuple. À partir du moment où l'on s'en désintéresse, cette population se multiplie très rapidement. Soudainement, cela devient un gros problème qu'il faut régler tôt ou tard.

Le sénateur Raine : Il y a une question que j'ai bien envie de vous poser. Quelqu'un peut-il m'expliquer pourquoi la chasse aux phoques est interdite sur l'île de Sable?

M. Pinhorn : C'est une réserve.

Le sénateur Raine : Pour quelle raison est-ce une réserve? Qui en est le responsable?

M. Pinhorn : Parcs Canada, j'imagine.

Le sénateur Raine : J'aurais pensé que les responsables de Parcs Canada tiendraient compte de l'ensemble des questions écologiques dans leur gestion, et il ne semble pas que ce soit le cas. Il nous faudrait peut-être nous pencher sur la chose.

M. Pinhorn : Je vous le répète, la règle N-70 s'applique à toutes les activités de pêche et de chasse commerciale. Une fois que l'on applique le régime N-70, il n'y a plus de limites et plus de plafonds. Les seuils sont constamment relevés. À mesure qu'ils sont relevés, on ne peut plus les rabaisser car il faut maintenir un certain niveau. Il faut que l'essentiel de la biomasse reste intacte pour les générations futures. Lorsque le seuil est relevé, on ne peut plus le rabaisser.

Le sénateur Raine : Il n'y a pas de rééquilibrage?

M. Pinhorn : Non, absolument pas.

Le sénateur Raine : Qui se charge de fixer les seuils dans le cadre de la règle N-70?

M. Woodford : En 2001, notre industrie a signé l'accord sur les mesures de précaution à prendre, qui a été élaboré par le ministère des Pêches et des Océans. Les captures d'une espèce ou d'une ressource donnée se font au-dessus du seuil prévu par la règle N-70. Lorsqu'on retombe au niveau de ce seuil, il faut limiter la chasse ou la pêche. Comme vous l'a dit M. Pinhorn, lorsque nous avons signé précisément cet accord sur les phoques du Groenland, cette population était de 5,2 millions de phoques et, avec un seuil situé à 70 p. 100, s'il ne fallait pas qu'elle puisse tomber au-dessous de 3,5 millions. Aujourd'hui, avec une population qui ne fait qu'augmenter, on en est arrivé selon les derniers chiffres à 9 ou 10 millions de phoques. Le seuil est maintenant fixé à 7 millions de phoques. En raison de ces anciennes mesures de précaution prises dans le cadre de la règle N-70, nous avons tout simplement doublé ce seuil en 10 ans.

Le sénateur Raine : Êtes-vous en train de me dire que c'est le Canada qui fixe ces limites?

M. Woodford : Oui.

Le sénateur Raine : C'est le MPO qui fixe ces limites; même si les populations concernées détruisent tous les poissons? Je suis outrée.

M. Woodford : J'ai oublié le nom du système de gestion que les responsables appliquent à l'heure actuelle, mais il est censé conserver durablement les ressources.

Le sénateur Raine : C'est le système Silos.

M. Woodford : Il est totalement inadapté.

Le sénateur Raine : Pour chasser efficacement les phoques gris, de manière à pouvoir vendre la viande et commercialiser les sous-produits, il faut avoir accès aux zones où ils mettent bas, c'est-à-dire à des îles bien précises. Si l'on refuse cet accès, cette population ne va faire qu'augmenter et dévorer tout ce qui se trouve dans l'océan.

M. Woodford : Les phoques gris relèvent du même régime dans le cadre de la règle N-70, tous les phoques, de sorte que lorsque la population augmente, le ministère des Pêches et des Océans ne permettra jamais que ces chiffres repassent au- dessous du seuil N-70. Ainsi, chaque année, à mesure que la population augmente, le problème devient de plus en plus grave.

Le sénateur Raine : Il me semble qu'il faudrait changer cette réglementation.

M. Woodford : Ces deux dernières années, notre association a bien fait savoir lors de nos réunions de l'Office de l'Atlantique que nous voulions régler le problème et ramener les chiffres au niveau de ceux qui étaient prévus lors de la signature de l'accord en 2000, qui étaient finalement raisonnables. En tant que chasseur de phoques, je n'ai aucunement l'intention de surexploiter une ressource qui doit assurer mon avenir et celui des générations futures. Je veux, par contre, qu'elle soit gérée convenablement. Il est possible, si l'on n'avait jamais entravé nos chasses commerciales et si nous avions tué le nombre de phoques requis chaque année, que les phoques n'aient pas proliféré en si grand nombre, mais la population est là, les chiffres sont là, et il faut que quelqu'un fasse quelque chose pour les faire baisser et les ramener à un niveau raisonnable.

Le sénateur Raine : Pourquoi délivre-t-on des permis d'observation?

M. Woodford : Nous posons cette question depuis des décennies. Apparemment, en vertu de la législation canadienne, toutes les personnes qui souhaitent aller assister à la chasse aux phoques peuvent demander un permis au MPO. Après une petite enquête, on leur délivre ce permis et elles peuvent aller harceler les chasseurs de phoques.

Le sénateur Raine : Je ne connais pas d'autres chasses pour lesquelles des permis d'observation soient autorisés.

M. Woodford : Chaque année, nous portons ce fait à l'attention du MPO, mais sans succès. On nous a harcelés. Pendant des années, sur la côte nord-est de Terre-Neuve, les chasseurs de phoques ont pris l'habitude d'aller chasser à jusqu'à 100 milles au large des côtes, parce que de grands radeaux de glaces s'y déplaçaient au printemps. Ceux qui connaissent bien la géographie de la côte nord-est de Terre-Neuve savent que la glace descend du nord, s'abat sur la côte nord-est et s'accumule, de sorte que le chasseur de phoques qui se trouve dans le détroit de Davis, plus au nord le long de la côte du Labrador, voit ce traîneau de glaces poursuivre sa course vers le sud le long des glaces bloquées par la terre. En règle générale, nos plus grands bateaux ont dû aller loin au large des côtes pour chasser les phoques, certaines années à 150 ou à 200 milles. Ces deux dernières années, en raison du manque de glaces et du fait que les phoques étaient plus près de la côte, nous avons été harcelés à Terre-Neuve et sur la côte nord-est par l'IFAW et par la HSUS, qui se font délivrer ces permis d'observation par le MPO et qui se rendent sur place. Pendant des années nous avons vu ce qu'ont dû endurer ces pauvres chasseurs de phoques dans le golfe et jusqu'en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick en étant harcelés par tous ces défenseurs des droits des animaux, alors que nous n'avions jamais été embêtés avant ces deux ou trois dernières années.

On commence à s'en prendre à nous sur la côte nord-est et nous comprenons mal les objectifs de ces gens. Nous avons filmé des vidéos sur cette procédure en trois étapes il y a quelques années. Nous avons collaboré avec le MPO. Nous étions une vingtaine ou une trentaine. Nous avons collaboré avec les vétérinaires, qui ont rédigé en 2005 un rapport faisant la promotion de cette méthode d'abattage en trois étapes. On a fait le nécessaire pour être en mesure d'aller chasser les phoques. Cela ne nous a pas posé de problème, et pourtant tous ces défenseurs des droits des animaux peuvent aller louer un hélicoptère, survoler les lieux, filmer des vidéos de l'abattage, montrer des phoques qu'on tue, expliquer la situation à leur manière, et pour quelqu'un qui ne fait pas la différence, la scène paraît atroce.

Nous avons fait voir certaines de ces vidéos par nos spécialistes, et je pense que l'on peut dire qu'il n'y a rien là d'exceptionnel pour quelqu'un qui comprend la situation, tout particulièrement lorsqu'il s'agit d'un phoque. Lorsqu'on tue un phoque, il a un réflexe natatoire. Il donne l'impression d'être en vie, mais il est mort. Avec la tête complètement enlevée, il peut continuer à bouger. C'est la même chose pour les poulets. Ces permis d'observation permettent à ces gens d'aller sur place, de saisir ces images et de les manipuler de manière à jouer sur les émotions de ceux qui ne font pas la différence. Voilà ce qu'il en est. C'est l'objectif recherché.

Il y a une autre chose que l'on montre — et je ne vois pas ce qu'il faudrait faire pour l'éviter et comment on pourrait y parvenir — à Terre-Neuve, chaque fois que l'on voit un phoque à la télévision, c'est un blanchon. Nous n'avons pas capturé de blanchons depuis l'interdiction prononcée en 1987. Les faux reportages et autres formes de propagande qui jouent sur les émotions des gens nous ont mis dans cette situation et nous ont fait perdre notre marché. Nous avons besoin de toute l'aide possible pour retrouver nos marchés afin de pouvoir chasser les phoques de manière durable et ne plus avoir à nous réunir autour de tables comme celle-ci pour envisager les différents moyens d'abattage sélectif alors que cette ressource pourrait être commercialement viable.

Le sénateur Raine : Il serait tellement préférable qu'on puisse tirer parti de cette viande, surtout lorsqu'on pense à toutes les régions du monde en proie à la famine. Il y a là une source de protéines de grande qualité qui pourrait être transformée et expédiée vers ces régions. Il y a là quelque chose qui cloche.

Je vous remercie des exposés que vous nous avez présentés aujourd'hui.

Le sénateur Patterson : Nous avons la chance d'avoir parmi nous ce soir un chasseur de phoques commercial et j'aimerais lui poser encore quelques questions sur la procédure en trois étapes.

Vous avez fait allusion, monsieur Woodford, à la désinformation dont font preuve les défenseurs des droits des animaux, ce qui est une méthode très efficace pour lever des fonds. Pouvez-vous nous décrire les outils dont se servent les chasseurs de phoques commerciaux? Vous pourriez peut-être me dire tout d'abord quels sont les outils utilisés.

M. Woodford : À l'heure actuelle, il y a trois méthodes autorisées d'abattage des phoques au Canada. La première se fait à l'aide du hakapik, qui possède un manche en bois muni d'un embout métallique. Je ne me souviens plus des dimensions exactes, mais pour que l'outil soit agréé, il doit avoir un poids et des dimensions précises. Il y a aussi le gourdin, qui doit être fait en bois dur et qui doit avoir plus de 24 pouces de long, jusqu'à 30 ou 32 pouces. J'aurais pu en apporter un, mais j'ai oublié. Il y a aussi la carabine. On ne peut pas utiliser n'importe quelle arme à feu. Elle doit avoir une énergie à la sortie du canon de 1 200 pieds-livres et la balle une vitesse de 1 800 pieds par seconde.

Les chasseurs de phoques peuvent abattre les phoques à l'aide de trois outils agréés, ce sont l'hakapik, le gourdin et la carabine, à condition qu'ils répondent aux normes. À Terre-Neuve, 95 p. 100 des phoques sont tués à la carabine.

Le sénateur Patterson : Je crois que vous avez déjà répondu à cette question en répondant au sénateur Raine, mais moi aussi j'ai été débordé de courriels envoyés par des personnes qui, à mon avis, sont mal informées au sujet de la chasse aux phoques. Elles nous disent que les phoques sont décapités. Elles nous parlent de phoques qui sont écorchés vivants. Avez-vous déjà vu ces pratiques en tant que chasseur de phoques commercial?

M. Woodford : À maintes reprises, j'ai vu des phoques être abbattus à la carabine et leur tête se détacher totalement du corps si la balle les frappe d'une certaine manière. Il y a des règles imposées concernant les carabines, mais non pour ce qui est du calibre. On peut utiliser un très gros calibre si on le souhaite. Plus le calibre est gros, plus la tête est endommagée. J'ai vu bien souvent des têtes complètement coupées.

Je dois vous dire bien franchement que je n'ai jamais vu de phoques être écorchés vivants. Je dois bien vous avouer que je ne l'ai jamais fait, lorsqu'on sait qu'à un moment donné le phoque perd conscience sans rémission, sans aucun mouvement des yeux. Il y a des années, nous avions recours au mouvement réflexe de la paupière, lorsqu'on touchait la cornée du phoque. Même les vétérinaires nous disaient que seul un vétérinaire très qualifié était en mesure d'apercevoir un mouvement des yeux dénotant encore une certaine forme de vie.

Il est possible que l'on ait déjà écorché un phoque que l'on peut voir encore bouger, toujours en vie. Je ne l'ai jamais fait et je ne l'ai jamais vu faire, pour la simple raison que lorsqu'on vend les sous-produits du phoque, plus spécialement la fourrure, le prix qui nous est payé dépend de la qualité de cette fourrure. L'une des principales opérations de l'écorchage, c'est le premier coup de couteau qu'on donne. Plus il est droit, plus il s'aligne avec chacun des côtés des ailerons. C'est fondamental. Si un phoque vivant est en train de gigoter — et croyez-moi, les couteaux aiguisés que nous utilisons ne sont pas comme ce stylo; on peut traverser quatre pouces de lard. On a toujours exagéré l'image des chasseurs de phoques qui vont écorcher des phoques vivants. Il est possible que ce soit arrivé.

Quoi que l'on fasse, tout ne peut pas être parfait lorsqu'on va capturer 300 000 ou 400 000 animaux. Lorsqu'à un moment donné quelqu'un rapporte l'image d'un phoque qui bouge effectivement, il se peut que ce soit un réflexe natatoire. Celui qui ne fait pas la différence dira : « Il est en train d'écorcher un phoque vivant », ce dont nous avons été témoins en regardant certaines vidéos.

La procédure en trois étapes a pour but d'éviter cela. On frappe d'abord le phoque, on l'étourdit à l'aide du hakapik, du gourdin ou de la carabine. On vérifie alors si le phoque bouge, s'il fait des mouvements conscients de la tête, en levant la tête, par exemple, ou s'il bouge les ailerons avant pour s'échapper. Si l'on aperçoit un mouvement conscient, il faut le frapper à nouveau, jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus. Une fois qu'il n'y a plus de mouvement conscient, on vérifie le crâne. Si les deux côtés du crâne ne sont pas écrasés, il faut frapper à nouveau le phoque avec le hakapik ou le gourdin pour le faire. Lorsque le crâne est écrasé, l'animal est inconscient sans rémission et ne peut plus sentir aucune douleur. Il faut alors le saigner. On saigne le phoque. Une fois qu'il est saigné, on doit attendre une minute avant de continuer à l'écorcher. Une fois qu'il est complètement saigné, le phoque est tout à fait mort. Nous poursuivons en faisant comme nous le faisions jadis. Comme je vous l'ai dit, peut-être il fut un temps où, dans la précipitation, tout n'était peut-être pas fait dans les règles. Croyez-moi, aujourd'hui, tous les phoques sont tués de la façon la plus humaine possible selon cette procédure en trois étapes.

J'ai fait partie du comité qui n'a jamais réussi à bien concevoir la procédure en trois étapes, mais nous avons collaboré avec lui pour adapter cette procédure aux impératifs de la chasse aux phoques. Je dois reconnaître qu'il y a des années nous chassions les phoques dans la précipitation. Nous étions limités par le nombre de bateaux et les courtes saisons. Nous tenions à rapporter des phoques. Il m'arrivait d'envoyer deux de mes petits bateaux auxiliaires à la chasse aux phoques. Ils me revenaient avec 25 ou 50 phoques. C'était avant que la procédure en trois étapes soit généralement appliquée. Tous ceux qui connaissent cette chasse savent qu'il peut arriver que l'on tire sur un animal, qu'on l'assomme et qu'il ne bouge plus. On peut penser qu'il est tout à fait mort et on le jette dans le bateau en empilant par dessus 25 ou 30 autres phoques. Une fois de retour au bateau principal, on les monte à bord à l'aide d'un treuil. Il m'est arrivé de regarder depuis la cage de la roue et de voir un phoque faire des bulles par les narines. Je reconnais que je l'ai vu à une ou deux reprises en 25 ans de métier. J'ai déclaré à Montréal lorsque nous avons signé pour la dernière fois que c'est une chose dont je ne serais plus jamais le témoin. Croyez-moi, les marins qui travaillaient sur le pont ont tué immédiatement ce phoque. S'il s'en trouvait un dans cet état sans que ce soit délibéré, on y remédiait immédiatement. Avec la procédure en trois étapes, on ne reverra jamais cela.

Sur toute cette question des relations internationales liées à la chasse aux phoques, et notamment avec l'Europe, j'ai fait partie d'une délégation qui est allée là-bas il y a quelques années. J'étais réaliste, mais je croyais que ces gens se préoccupaient du bien-être des animaux. Je voulais travailler avec eux et tirer parti de leur expérience en matière d'abattoirs pour que nous puissions pratiquer la meilleure chasse possible. Pourtant, pour une raison inconnue, il y a eu l'embargo. C'était simplement une question d'émotion. Ils ne s'intéressaient absolument pas au bien-être des animaux. Ici au Canada, nous respectons bien plus que partout ailleurs des principes humanitaires lorsque nous pratiquons la chasse aux phoques.

Il y a trois ans, j'ai pris un vétérinaire à mon bord. Il m'a dit qu'il voulait faire des recherches. Je l'ai invité à monter à bord en lui précisant que j'allais chasser le phoque exactement comme d'habitude et qu'il pouvait rendre compte de son expérience comme il l'entendait. Lorsque nous avons terminé, il m'a dit qu'il n'avait aucune objection à faire à la chasse aux phoques. Selon lui, c'était comparable à ce qu'il avait déjà vu.

M. Pinhorn : Il a rapproché cette expérience de celle des abattoirs.

M. Woodford : Aucun abattoir n'est efficace à 100 pour cent. Beaucoup de travail est nécessaire pour promouvoir cette industrie, un travail en partie scientifique sur le modèle de ce qui a été fait sur mon bateau il y a quelques années. C'était sur ma propre initiative, sans que le gouvernement ne s'en mêle.

Avant que j'oublie, quelqu'un a demandé tout à l'heure si l'on pouvait faire quelque chose sur la question des phoques gris. Il y a deux ans, le MPO a présenté un plan d'abattage sélectif ou encore le contrôle des naissances des phoques. Une troisième solution a été proposée au MPO par l'Institut de la fourrure du Canada — dont je siège au conseil d'administration. Certains d'entre vous sont peut-être au courant de cette proposition. L'Institut de la fourrure du Canada associe tous les participants de l'industrie — spécialistes de la protection des animaux, fonctionnaires de l'environnement au sein du gouvernement, directeurs de la faune, transformateurs, chasseurs de phoques, chasseurs et trappeurs. Nous avons fait en 2010 une proposition au MPO qui n'a jamais été suivi d'effet. Il s'agissait de réunir toutes les parties prenantes au sein de l'industrie et de tirer parti de l'expérience de tous les participants pour élaborer un plan visant à régler la question des phoques gris. Nous n'avons pas reçu de réponse.

Votre comité pourrait éventuellement rencontrer l'Institut de la fourrure du Canada, dont le siège est à Ottawa.

Le président : Il figure sur notre liste.

M. Woodford : Il vous dira mieux que moi ce qui figurait exactement dans cette proposition.

Le président : Vous pourriez peut-être transmettre cette proposition au comité.

M. Pinhorn : Je l'ai ici.

M. Woodford : Nous ne sommes pas en mesure de vous la remettre. C'est l'IFC qui la divulguera. Vous pourrez voir cette proposition.

Le président : Ce serait bien de l'avoir.

M. Woodford : Selon cette proposition, les participants de l'industrie, les chasseurs de phoques, les transformateurs, les scientifiques et les spécialistes de la protection des animaux devaient se réunir pour élaborer un plan. Ce groupe au sein de l'Institut de la fourrure du Canada a les compétences pour mettre en application ce plan. S'il ne pouvait être appliqué, cela signifiait qu'il y avait les obstacles ne relevant pas des compétences de ce groupe, comme celui des secteurs d'autorisation et d'interdiction de la chasse. Cette proposition nous aurait permis de savoir pour quelles raisons nous avons eu autant de difficultés à régler le problème des phoques gris dans la région atlantique du Canada. Je vous le répète, le MPO n'a donné aucune réponse. Cette proposition lui a été soumise à deux reprises en 2010.

Le président : Les deux fois, on ne vous a pas répondu.

M. Woodford : Aucune réponse. Je n'en dirai pas plus. Je laisserai ce soin à l'Institut de la fourrure du Canada.

Le président : Deux sénateurs se sont inscrits sur la liste pour poser d'autres questions, et il nous reste deux minutes avant de clore la séance. Si j'en crois mon expérience, aucun des deux n'est capable de poser une question en une minute. Nous remettrons la chose à une autre fois parce que nous n'avons plus de temps. Vous m'excuserez, mais je ne fais confiance à aucun des deux pour en finir en une minute. Nous avions dit sept heures. La discussion a été intéressante et tout le monde a pu poser une question. Je m'attends à recevoir des informations complémentaires de votre part. Notre étude va se poursuivre pendant plusieurs mois. Nous envisageons de nous déplacer dans la région de l'Atlantique et au Québec en espérant recueillir d'autres données intéressantes. Nous nous réservons la possibilité de vous rappeler s'il en est besoin. À mesure que nous avançons dans nos travaux, si jamais vous avez quelque chose d'intéressant à nous communiquer, n'hésitez pas à le faire par l'intermédiaire de la greffière de notre comité. Nous vous remercions d'être venus nous voir ce soir.

M. Pinhorn : Au nom des chasseurs de phoques de Terre-Neuve-et-Labrador, nous vous remercions de nous avoir invités. C'est la première fois que nous avons la possibilité de vous indiquer quels sont nos activités et nos objectifs. Notre assemblée annuelle se tiendra à Deer Lake en décembre. Nous dirons à notre conseil d'administration et aux chasseurs de phoques que nous vous avons exposé notre cause et que nous en avons discuté avec vous. Nous vous en sommes très reconnaissants.

M. Woodford : Merci à tous et excusez-moi d'avoir surtout parlé des phoques du Groenland pendant ces deux heures. Je suis surtout spécialisé dans la chasse aux phoques du Groenland. Cela dit, rien n'empêche que nous tirions parti de cette expérience pour l'adapter à l'étude des phoques gris.

Le président : Nous en étions conscients, et c'est pourquoi nous vous avons invités. Merci d'être venus.

(La séance est levée.)


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