Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans
Fascicule 7 - Témoignages du 29 mars 2012
HALIFAX, le jeudi 29 mars 2012
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui, à 9 heures, pour examiner, en vue d'en faire rapport, la gestion de la population de phoques gris au large de la côte est du Canada.
Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Soyez tous les bienvenus à cette séance du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans. Depuis quelques mois, nous menons une étude sur la population de phoques gris au Canada atlantique et au large des côtes du Québec. Nous avons tenu plusieurs réunions et entendu beaucoup de témoins à Ottawa. Nous avons maintenant décidé de nous déplacer et nous sommes ravis d'être à Halifax aujourd'hui.
Nous avons une longue journée devant nous. Beaucoup de groupes et de personnes témoigneront devant nous aujourd'hui, et nous nous en réjouissons. Demain, si le temps le permet, nous effectuerons une mission d'information à l'île de Sable. Nous avons hâte de nous y rendre.
Avant que nous entendions les représentants du ministère des Pêches et des Océans, j'aimerais d'abord me présenter. Je m'appelle Fabian Manning, je viens de Terre-Neuve-et-Labrador et j'ai le privilège de présider ce comité.
Avant de demander aux autres sénateurs de se présenter, j'aimerais souligner tout particulièrement la présence parmi nous du professeur Jeffrey Hutchings et des étudiants en biologie marine de l'Université Dalhousie. Nous sommes ravis qu'ils participent à la séance de ce matin. Nous souhaitons également la plus cordiale des bienvenues à tous nos autres invités.
Nous sommes heureux que tous nos sénateurs du Canada atlantique soient avec nous, ainsi que le sénateur Harb, de Toronto. Je vais vous laisser vous présenter; commençons par le sénateur MacDonald, s'il vous plaît.
Le sénateur MacDonald : Je suis le sénateur Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse, et je viens du Cap-Breton.
Le sénateur Harb : Mac Harb, de l'Ontario.
Le sénateur Hubley : Elizabeth Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur Cochrane : Je suis Ethel Cochrane, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le président : Il y a d'autres sénateurs qui siègent au comité, mais leur emploi du temps les empêche d'être avec nous aujourd'hui. Toutefois, ils examineront certainement le rapport que nous présenterons à notre retour à Ottawa.
Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, nos premiers témoins sont des représentants du ministère des Pêches et des Océans. Je leur demanderais de bien vouloir se présenter et de nous dire quelques mots avant que nous passions aux questions des sénateurs.
Morley Knight, directeur général, Gestion des ressources, Pêches et Océans Canada : Bonjour. Je suis Morley Knight, directeur général de la Gestion des ressources à l'administration centrale de Pêches et Océans Canada, à Ottawa.
Doug P. Swain, scientifique, Écosystèmes des poissons de mer, Section des poissons marins, Pêches et Océans Canada : Bonjour. Je suis Doug Swain, scientifique du ministère des Pêches et des Océans au Centre des pêches du Golfe, à Moncton. Depuis une vingtaine d'années, j'effectue des travaux sur les poissons de mer dans le golfe du Saint-Laurent, principalement les poissons de fond dans la partie sud du golfe. Ces travaux comprennent une évaluation des stocks et de la recherche sur la dynamique et l'écologie des populations relativement à ces poissons. Une bonne partie de ces travaux consiste à décrire les changements relatifs à la productivité qui se sont produits au sein de ces stocks et à tenter de comprendre les causes de ces changements. Ces dernières années, nous nous sommes surtout concentrés sur la hausse de la mortalité naturelle constatée chez les gros poissons commerciaux et nous avons encore une fois tenté de comprendre pourquoi cette mortalité naturelle a augmenté.
Mike Hammill, chef de section, Biologie et conservation des mammifères marins, Pêches et Océans Canada : Bonjour. Je m'appelle Mike Hammill et je suis chercheur scientifique au ministère des Pêches et des Océans. Je travaille à l'Institut Maurice-Lamontagne, à Mont-Joli. Il y a maintenant 25 ans que je travaille pour le ministère. Je m'occupe de fournir des conseils sur la dynamique des populations et les niveaux de population de phoques du Groenland et de phoques gris, ainsi que des bélugas du Nord du Québec. J'examine également la composition de leur diète et les interactions entre les pêches et les phoques, en particulier les phoques gris du golfe du Saint-Laurent.
Nell den Heyer, biologiste, Division de l'écologie des populations, Direction des sciences (Maritimes), Pêches et Océans Canada : Bonjour. J'aimerais souligner que mon nom complet est Cornelia den Heyer, mais vous pouvez m'appeler Nell. J'ai fait mon doctorat ici, à l'Université Dalhousie, sur le déplacement et la dispersion des homards dans le détroit de Northumberland. Par la suite, j'ai travaillé pour la Fishermen and Scientists Research Society, à un projet de collaboration avec le MPO. Depuis 2008, j'effectue des travaux avec le MPO sur les phoques gris à l'île de Sable. J'ai coordonné l'estimation de la productivité de la population pour l'île de Sable en 2010, et je suis en train de m'occuper des données pour estimer les indices vitaux relatifs aux phoques gris, y compris la survie des jeunes et des adultes et la probabilité de reproduction.
M. Knight : Je voudrais vous parler de mon rôle dans le cadre du processus de consultation sur les phoques et les plans de gestion des phoques.
À titre de directeur général de la gestion des ressources, mon rôle est de procéder à des consultations auprès des pêcheurs du Canada atlantique, puis d'élaborer des plans à partir de ces consultations et des avis scientifiques que nous recevons. Les plans de gestion de la chasse au phoque sont mis en place chaque année ou pour trois ou cinq ans, selon le cas. Je suis prêt à vous en parler aujourd'hui et je crois que c'est pour cela qu'on m'a demandé d'être ici, afin de parler du processus de consultation et de ce que nous ont dit les chasseurs de phoques cette année.
Je suis déménagé récemment à Ottawa. J'ai passé la plus grande partie de ma carrière dans la région de Terre-Neuve- et-Labrador; j'y ai travaillé au cours des 30 dernières années. J'ai consacré la majeure partie de cette période aux questions liées à la chasse au phoque, principalement le phoque du Groenland, mais aussi aux nombreuses interactions entre les phoques et les chasseurs de phoque à capuchon, de phoque gris, de phoque commun, bref, tous les types de chasse au phoque qui se pratiquent au Canada atlantique.
Durant ces trois décennies, de nombreux changements se sont produits dans l'écosystème. L'industrie et les chasseurs ont exprimé beaucoup d'inquiétudes au sujet des interactions entre les phoques et les stocks de poissons.
Sur ce, je vais m'arrêter et vous laisser décider si vous voulez poser des questions à propos du processus de consultation. Je peux aussi vous en donner un aperçu maintenant.
Le sénateur Hubley : Je vous souhaite la bienvenue. C'est un plaisir d'être ici à Halifax, et nous nous sentons très proches de la situation.
Comme vous le savez, nous avons entrepris notre étude il y a quelque temps déjà et nous avons recueilli beaucoup d'informations. C'est une situation unique, en ce sens qu'il s'agit d'une espèce — le phoque gris, dans ce cas-ci — qui n'est pas en voie de disparition. Il semble s'y rattacher un aspect lié aux droits des animaux, ce qui nous empêche, je crois, de prendre une décision dans l'intérêt de notre secteur des pêches et de notre population de phoques.
J'irai même un peu plus loin en disant que personnellement, je suis aussi très conscient du fait qu'il s'agit d'une industrie qui a contribué à soutenir cette région du pays pendant des générations. Si je portais un autre chapeau, je crois que c'est ainsi que je concevrais cette question également.
Ma première question porte sur le rapport du CCRH. L'une des recommandations proposait que des efforts soient déployés immédiatement en vue de la réduction expérimentale des phoques gris dans le sud du golfe du Saint-Laurent, de façon à maintenir le nombre de phoques qui se nourrissent dans cette zone à moins de 31 000 bêtes. J'utiliserai cela comme introduction.
Ma question s'adresse à vous tous. Si une réduction ciblée doit avoir lieu, comment cela pourrait-il se faire et comment devrons-nous procéder à l'avenir? Je pense qu'il nous faut nous servir des paramètres de nos travaux pour aller de l'avant et trouver une solution à cette question dans l'avenir.
M. Knight : Nous avons donné suite aux recommandations du CCRH de différentes façons. Essentiellement, jusqu'à maintenant, nous avons eu des discussions avec l'industrie, les membres des conseils consultatifs de l'industrie, tant dans les comités locaux qui travaillent dans les provinces que dans le Comité consultatif sur le phoque de l'Atlantique. Nous nous sommes réunis ici, à Halifax, les 13 et 14 février derniers, avec quelques personnes qui nous ont fourni de l'information. Nous avons longuement discuté de ces questions. Avant et durant la rencontre, nous avons discuté de la façon de mettre en œuvre cette recommandation.
À la lumière des discussions qui ont précédé les réunions des 13 et 14 février à Halifax, nous avons présenté trois idées, ou trois concepts, aux fins de la discussion.
Les gens qui nous ont conseillés ont dit qu'il y a deux façons essentielles d'arriver à réduire la population. D'abord, lorsque les pêcheurs et les chasseurs de phoques sont sur l'eau et vaquent à leurs occupations normales, ils rencontrent souvent des phoques gris, parfois quelques-uns, parfois beaucoup plus. On nous a suggéré de proposer un incitatif ou un genre de rétribution financière pour ceux qui rapporteraient la mâchoire d'un phoque. Il ne s'agit pas nécessairement d'une nouvelle idée, car elle existait dans les années 1980. Je ne sais pas combien de temps cela a duré, mais je sais qu'on utilisait cette méthode au milieu des années 1980, entre 1984 et 1986, quand je travaillais dans l'ouest et le nord de Terre-Neuve.
L'un des points dont il faudra beaucoup discuter — et jusqu'ici, il y a beaucoup d'opinions sur cette question, mais il n'est pas facile d'y répondre —, c'est la question de savoir à partir de quel prix il serait avantageux pour un chasseur de phoque ou un pêcheur qui est aussi chasseur professionnel d'abattre un phoque, de prélever la mâchoire et de la présenter afin d'obtenir une prime? C'était le premier concept.
Le second a été proposé en raison de la difficulté — je vais peut-être revenir au premier concept pour parler de la difficulté, pour un chasseur, de faire cela.
Les chasseurs nous ont dit que, lorsque les phoques gris sont abattus dans des zones d'eau libre, dans bien des cas, ils coulent sur-le-champ. Lorsqu'on abat l'animal, il coule. Ils nous ont dit qu'il est très difficile de prélever la mâchoire. L'animal ne fait plus partie de la population, mais les chasseurs doivent en rapporter une preuve pour recevoir la récompense financière, et c'est ce qui leur pose problème. Ils indiquent que cette stratégie peut fonctionner, mais qu'elle aura probablement un effet limité.
L'autre concept dont nous avons discuté avec eux et que nous avons proposé de discuter ici porte sur le prélèvement ciblé dans les zones de grande concentration, où les phoques s'attroupent. Les chasseurs se rendraient dans la zone à bord d'un bateau, accompagnés d'un observateur du MPO, afin de procéder à une réduction ciblée dans cette zone. Certains phoques seraient abattus sur la terre ferme, où il est facile de constater que la population a été réduite d'un certain nombre, alors que d'autres seraient pris en eau libre, auquel cas il serait impossible de présenter la preuve que le phoque a été éliminé.
Cela fait partie de la tâche que l'observateur aurait à accomplir. Il vérifierait le nombre réel d'animaux abattus. On continue de discuter, et on le fera notamment avec les scientifiques, du travail que l'observateur pourrait effectuer en ce qui a trait aux animaux pouvant être examinés ainsi qu'aux informations à recueillir et aux échantillons à prélever pour les scientifiques et qui seraient utiles pour la science dans l'avenir.
Le troisième concept est un programme qui combinerait les deux éléments précédents, car il pourrait très bien y avoir une façon, dans une perspective opportuniste, de réduire le nombre d'animaux, de prélever les mâchoires, de fournir la preuve et d'obtenir la rémunération. Peut-être que cette méthode ne sera pas efficace, mais lors de la réunion du comité consultatif, à Halifax, les gens s'entendaient pour dire qu'une approche axée sur la combinaison des deux types de programmes constituerait la manière la plus efficace de mettre en œuvre les recommandations du rapport du CCRH. Pour l'heure, nous poursuivons les discussions avec les parties, l'industrie, les représentants des provinces, et nous faisons également appel à un consultant externe afin d'obtenir davantage d'informations et une meilleure analyse de ce que cela nécessiterait, et pour savoir dans quelle mesure ce serait rentable pour les entreprises de pêche.
Le sénateur Hubley : Vous avez parlé d'un consultant externe. Pourriez-vous nous parler de ses qualifications et du rôle qu'il ou elle devra jouer?
M. Knight : Nous avons fait appel au cabinet d'experts-conseils Gardner Pinfold, une entreprise de Nouvelle-Écosse ayant effectué beaucoup d'analyses économiques des activités de pêche et des activités axées sur la pêche. Cette entreprise est reconnue pour ses services d'experts dans ce domaine. Elle a préparé divers rapports pour l'industrie de la pêche, et le ministère des Pêches et des Océans a déjà eu recours à ses services.
Nous lui avons demandé de vérifier les aspects économiques de l'activité qui serait menée. Par exemple, la plupart des représentants de l'industrie nous ont dit qu'il faudrait au moins 100 dollars pour qu'un chasseur de phoques puisse prélever une mâchoire et la rapporter. Et c'est lorsque l'occasion se présenterait. Les chasseurs ont aussi indiqué qu'en raison des coûts liés à une réduction ciblée directe, au fait d'être accompagnés d'un observateur et de se rendre à un endroit précis pour sortir les phoques, il faudrait également au moins 100 dollars, car cela entraîne des coûts directs.
Nous avons demandé à Gardner Pinfold d'effectuer une analyse économique à ce sujet, de déterminer quels seraient les coûts réels et le rendement de l'investissement initial en temps, énergie et dépenses pour les chasseurs de phoques ou les entreprises de pêche.
Le sénateur Hubley : Nous avons entendu beaucoup de témoignages sur la ressource même et la valeur de cette ressource. Étant donné que vous avez travaillé avec les chasseurs de phoques, pouvez-vous nous dire s'ils sont favorables à cette solution, soit que le phoque devienne un produit de base et qu'il soit transformé? D'abord, il faut le chasser, puis le transformer. Les produits que l'on peut en retirer sont prisés dans certaines régions. On estime que cela permettrait d'utiliser la ressource d'une façon raisonnable et que c'est la chose à faire. Quand cela se ferait-il?
M. Knight : Cela fait certes l'objet de discussions avec les représentants de l'industrie. De nombreuses discussions publiques ont été menées à ce sujet au comité consultatif. Quelques entreprises nous ont dit explorer la possibilité d'activités commerciales.
Le véritable défi consiste à trouver un marché pour le produit et à introduire le produit dans ce marché. Certains éléments échappent au contrôle du Canada, mais des fonctionnaires canadiens collaborent avec tous les pays afin d'obtenir les autorisations requises pour permettre à nos produits de pénétrer ces marchés.
De toute évidence, il s'agit de la méthode privilégiée par l'industrie également. Il est très possible que cela puisse contribuer de manière très efficace à mettre en œuvre cette recommandation, car nous avons établi le total des prises admissibles pour les phoques gris. Manifestement, la façon la plus efficace d'implanter cette méthode serait de créer un marché viable pour les produits dérivés de la chasse. En même temps, s'il n'y a pas de marché, je crois que le message clair que l'industrie nous envoie, c'est qu'elle demande aux gouvernements de faire quelque chose.
Le sénateur Harb : J'ai quelques questions à vous poser au sujet de votre processus de consultation scientifique zonal. Vous avez regroupé environ 57 scientifiques et experts pour examiner quelque 30 documents. L'un de ces documents analysés par ces conseillers et experts laissait-il entendre que les phoques gris pouvaient en fait contribuer à protéger la morue?
M. Hammill : Je faisais partie du comité organisateur pour cette rencontre, et on nous a demandé de traiter de deux ou trois questions. La première était de savoir combien de phoques devraient être abattus pour permettre un rétablissement. La seconde, sur laquelle nous nous sommes penchés, consistait à déterminer si les phoques avaient ou non un impact négatif sur les pêches.
Les personnes qui ont présenté les documents avaient divers points de vue sur ces questions. La plupart considéraient qu'il s'agissait de prédation, se demandaient si c'était nuisible et si les effets indirects pouvaient avoir des répercussions néfastes. Ce sont les seuls documents qui ont été examinés.
Le sénateur Harb : Donc, il n'a pas été question que le groupe consultatif examine les effets positifs possibles des phoques sur les stocks de morue.
M. Hammill : Il est difficile de déterminer s'il y a des effets positifs. D'autres personnes à cette rencontre auraient pu présenter des documents montrant les aspects positifs, mais personne n'a décidé de le faire.
Le sénateur Harb : Les conseillers ou les experts auraient-ils exprimé un désaccord quant aux travaux du groupe?
M. Hammill : Si on avait montré les aspects positifs?
Le sénateur Harb : Oui.
M. Hammill : Nous aurions examiné l'information présentée en nous fondant sur la qualité du travail présenté.
Le sénateur Harb : C'était donc unanime. Tous ces experts ont tous convenu que les phoques gris sont les seuls responsables de la réduction du stock de morue?
M. Hammill : Non. On a tenté de déterminer si les phoques gris ont un impact négatif ou limitent le rétablissement des stocks de morue dans deux zones. Pour le stock de la zone VsW du plateau néo-écossais, on a conclu que la mortalité par prédation causée par les phoques était importante, mais qu'il ne s'agissait pas du facteur principal. Plusieurs hypothèses ont été examinées en ce qui concerne la partie sud du golfe du Saint-Laurent. On a retenu l'hypothèse selon laquelle les phoques gris seraient probablement le facteur limitatif le plus important en ce qui a trait au rétablissement de la morue de la zone 4T.
Le sénateur Harb : Je suis sûr que vous conviendrez qu'en tant que scientifique, vous examineriez normalement les deux côtés de l'équation pour obtenir la solution. On doit déterminer la valeur de chaque variable pour connaître le résultat de l'équation. Ainsi, on en arrive à une conclusion.
Le MPO lui-même a indiqué que la morue représente de 1 à 24 p. 100 de la diète du phoque gris, et que cet animal se nourrit de harengs et d'autres espèces. Il se nourrit de myes, de raies et d'autres petites espèces aquatiques. Est-il possible, par exemple, que le hareng soit plus nuisible que la morue? Avez-vous examiné les autres éléments?
M. Hammill : Dans la première partie, où nous avons fait la surveillance de l'écosystème, il y avait un avantage net au prélèvement de phoques gris. Il n'était pas avantageux de les garder, car ils se nourrissent de harengs. L'abattage des phoques gris n'a pas d'effets positifs réels sur l'écosystème, mais il a des effets négatifs minimes. Comme Doug s'y connaît davantage que moi dans ce domaine, il va vous aider à ce chapitre.
M. Swain : C'est une question intéressante et importante. Dans la partie sud du golfe du Saint-Laurent, il y a des indices qui montrent que le hareng et le maquereau, les principaux poissons pélagiques là-bas, se nourrissent d'œufs et de larves de morue. Ces indices proviennent en fait d'une période où la biomasse des poissons pélagiques était très faible. La biomasse de ces poissons s'est effondrée à la fin des années 1960 et au début des années 1970 à cause de la surpêche et est descendue à des niveaux très bas. À l'époque, le taux de recrutement ou la survie de la morue aux stades précoces a grimpé à des niveaux anormalement élevés.
Par la suite, le taux de recrutement et de rétablissement de la biomasse des poissons pélagiques est redescendu à un niveau plus normal pour la morue. Actuellement, le taux de recrutement de la morue est à peu près le même que dans les années 1950 et 1960. Je dirais que l'indice de biomasse du hareng est probablement à un niveau normal. Il se trouve que dans le passé, la morue était probablement le principal prédateur du hareng et que dans une certaine mesure, le phoque l'a maintenant remplacée.
Si la réduction du nombre de phoques diminue la prédation du hareng, par exemple, cela aura-t-il un effet négatif sur la morue? Il ne faut pas oublier que si la morue se rétablit, elle remplacera le phoque comme principal prédateur du hareng, ce qui ne favorisera pas la croissance de la biomasse du hareng. N'oublions pas non plus que le hareng est une espèce commerciale importante dans le sud du golfe. À l'heure actuelle, le stock complet se situe à un bon niveau, mais les prélèvements de la pêche sont limités par un quota. Si le nombre de harengs augmentait, le quota augmenterait aussi, selon toute vraisemblance; il est donc peu probable que le hareng atteigne des niveaux inhabituellement élevés dans le golfe.
Pour ce qui est des autres effets indirects, on doit penser aux compétiteurs et aux prédateurs de la morue qui constituent une importante proie des phoques gris. Autrefois, la morue était le principal piscivore dans le sud du golfe. Le seul autre grand piscivore est la merluche blanche, mais cet oiseau se nourrit de poissons durant la saison d'alimentation de l'été dans un habitat différent. J'ai du mal à trouver un exemple d'une importante proie des phoques gris qui est aussi un prédateur ou un compétiteur de la morue adulte. Je ne suis pas convaincu qu'il y aurait un effet négatif qui ne serait pas contrebalancé par une prédation accrue par la morue ou par d'autres poissons.
Le sénateur Harb : En ce qui concerne les pratiques exemplaires, y a-t-il d'autres pays dans le monde qui ont en fait réussi à gérer les abattages sélectifs afin d'équilibrer l'écosystème? A-t-on observé des pratiques exemplaires dans d'autres pays qui ont, par exemple, cherché à accroître les stocks de poissons grâce à une méthode quelconque? Ce qui me frappe, c'est qu'on suppose ici qu'il n'y a que deux choses dans l'océan : les poissons et les phoques. Nous tenons le phoque gris responsable de la réduction du nombre de poissons, alors qu'en réalité, comme nous l'ont expliqué de nombreux spécialistes, on n'a pas affaire à seulement deux animaux ou espèces : si on réduit l'un, l'autre augmentera. De multiples facteurs entrent en jeu; il s'agit d'un système extrêmement complexe. Un des scientifiques nous a dit qu'à ce stade-ci, peu importe ce que nous ferons, la situation ne changera pas. Le nombre de morues est si faible que, peu importe s'il y a des phoques ou non, nous n'avons peut-être plus la capacité de rétablir le stock. Il faut donc prendre d'autres mesures avant de se mettre à abattre tous ces pauvres phoques gris.
M. Swain : Le nombre de morues est toujours très faible, mais cette espèce est un élément important de l'écosystème du sud du golfe.
Quant à savoir pourquoi leur nombre continue d'être faible, la pêche a été suspendue une fois de plus en 2009. Ces dernières années, les débarquements ont représenté environ 100 tonnes. Environ 20 000 tonnes de morues dans le sud du golfe ont disparu à cause de la mortalité naturelle. La seule façon dont le stock pourra se rétablir, c'est vraiment si le taux de mortalité naturelle diminue.
Nous avons effectué beaucoup de travaux de recherche pour essayer de comprendre les causes du taux élevé de mortalité naturelle. Je peux énumérer toutes les hypothèses si vous voulez. Il y en a environ huit ou dix. Certaines de ces causes semblent avoir joué un rôle important par le passé dans la mortalité naturelle de la morue, mais au cours des 10 ou 15 dernières années, la seule hypothèse crédible est celle de la prédation.
M. Hammill : Dans cet écosystème, il n'y avait pas de phoques gris. Ils ne représentaient pas un facteur important de l'écosystème depuis au moins le milieu ou la fin des années 1800. Il y a eu une baisse considérable de la morue durant les années 1970, mais celle-ci s'est vite rétablie une fois qu'on a diminué la pêche.
Cette fois, on constate que malgré la réduction de la pression exercée par la pêche, il n'y a plus de rétablissement. C'est parce que le taux de mortalité chez la grande morue est très élevé, et il n'y a pas d'autres prédateurs, à l'exception de quelques cétacés et ce, dans une très faible mesure. La morue semble donc constituer un élément important du régime alimentaire des phoques gris dans certaines régions, jusqu'à concurrence de 60 p. 100 du régime dans les zones d'hivernage. Comme Doug l'a dit, il faut trouver un moyen de réduire la mortalité chez la grande morue.
Dans les années 1960, il y avait environ 12 000 phoques gris. On en compte maintenant près de 350 000 au Canada atlantique. Il s'agit d'un facteur qui n'existait pas dans le système il y a entre 150 et 200 ans.
Le sénateur Cochrane : Nous avons beaucoup entendu parler des phoques. Vous élaborez maintenant un nouveau plan de gestion, n'est-ce pas? Quand sera-t-il déployé?
M. Knight : Nous avons annoncé le total autorisé des captures pour cette année. Au cours des prochains mois, nous mettrons la dernière main à un plan de gestion complet, mais le total autorisé des captures est déjà établi pour cette année.
Le sénateur Cochrane : C'est combien?
M. Knight : Pour le phoque gris, c'est 60 000 et, pour les phoques du Groenland, 400 000.
Le sénateur Cochrane : Avez-vous d'autres informations à partager?
M. Knight : Non. Ce sont là les principaux éléments pour ce qui est des quotas concernant les principales espèces à l'étude aujourd'hui.
Comme je l'ai dit, les autres éléments du plan de gestion seront, en grande partie, les mêmes que ceux par le passé, d'après les conseils que nous avons reçus des conseillers de l'industrie. Nous formulerons le tout dans un document et nous solliciterons d'autres renseignements auprès de l'industrie au cours des prochains mois. Il s'agira d'un plan de gestion qui contiendra des éléments semblables à ceux du plan de gestion précédent, notamment les saisons et le total autorisé des prises.
Le sénateur Cochrane : Selon les médias cette semaine, aucune date n'a été fixée pour l'ouverture de la chasse au phoque de 2012. Avez-vous une idée de la date? A-t-on annoncé une date dont on n'a pas entendu parler?
M. Knight : On a déjà entamé une chasse de petite envergure en ce qui concerne les phoques du Groenland à proximité des Îles-de-la-Madeleine. Des discussions sont en cours avec les conseillers de l'industrie à Terre-Neuve-et-Labrador. À ma connaissance, ils sont arrivés à la conclusion que la date d'ouverture sera semblable à celle des années précédentes, c'est-à- dire aux alentours du 12 avril. La décision finale sera prise à l'approche de cette date, compte tenu de l'état des glaces, des conditions météorologiques et de l'emplacement des troupeaux. On prendra la décision finale selon les dernières observations de l'industrie à ce moment-là.
Le sénateur Cochrane : Les pêcheurs participent-ils à ce processus?
M. Knight : Absolument. Ils ont un processus assez bien organisé. Toutefois, ils ne s'entendent pas tous parce que, dans ce contexte, il y a beaucoup d'intervenants qui ont souvent des opinions divergentes, selon l'emplacement géographique et les autres activités auxquelles ils participent. Ils ont un processus très bien structuré pour ce qui est des comités consultatifs et de l'association des chasseurs de phoques. Les chasseurs sont bien représentés. Bien qu'ils ne soient pas tous d'accord, ils s'entendent sur le processus.
Le sénateur Cochrane : Quelle est la durée de la chasse au phoque?
M. Knight : Cela dépendra du niveau d'activité. Par exemple, nous parlons maintenant du phoque du Groenland.
Le sénateur Cochrane : Oui, bien entendu.
M. Knight : S'il y a beaucoup de navires, nous avons observé cela dans certains secteurs de flottes — bien entendu, si le quota est élevé, on le répartit entre plusieurs sous-catégories. Par exemple, il y a une portion pour le golfe du Saint- Laurent et une autre pour la zone à l'est de Terre-Neuve-et-Labrador. Pour l'est de Terre-Neuve-et-Labrador, par exemple, il y a un quota pour la zone au large de la côte du Labrador. Ensuite, il y a un quota pour la zone adjacente à la péninsule nord et un autre pour la zone entre la péninsule nord et la baie de Bonavista, puis au sud de la baie de Bonavista. Ces zones sont réparties entre des bateaux de plus de 40 pieds et ceux de moins de 40 pieds. Dans certains cas dans le passé, les quotas avaient été atteints au bout de deux jours seulement. L'année dernière, par contre, aucun de ces quotas n'a été atteint. La chasse s'est déroulée, en grande partie, sur une période de huit ou dix jours, je crois, parce que c'est à ce moment que les phoques sont en meilleure condition. À partir d'une certaine période, ils se prêtent mieux à la prise.
Cette année, compte tenu de ce que nous savons au sujet de l'état des glaces et des marchés, nous ne nous attendons pas à une saison très courte. La chasse se déroulera probablement sur une période d'une semaine ou de 10 jours. Les prises accidentelles à des fins alimentaires ou locales pourraient se poursuivre pendant quelques semaines par la suite, selon le nombre de phoques dans les régions.
Le sénateur Cochrane : C'est la seule période où les phoques sont là. Sait-on à quel moment précis les phoques gris sont là? Je suis désolée si je m'attarde trop là-dessus.
M. Knight : Pas de problème. Toutes ces questions sont pertinentes pour votre travail.
En général, l'habitat du phoque gris se trouve surtout dans le golfe du Saint-Laurent et dans l'est de la Nouvelle- Écosse. Le phoque gris voyage aussi loin que la péninsule nord et parfois certaines régions de la côte est de Terre- Neuve. Mes collègues scientifiques sont beaucoup mieux placés que moi pour vous parler de la répartition des phoques dans le golfe.
Au moment de mettre bas, les phoques du Groenland sont concentrés en général dans deux régions : le golfe du Saint-Laurent et au large des côtes du Labrador. Par exemple, les phoques du Groenland, dont vous parlez, mettent bas à deux endroits dans le golfe du Saint-Laurent : au nord des Îles-de-la-Madeleine et au sud de ce qu'on appelle la passe de Macatina, au sud de Harrington au large de la Basse-Côte-Nord, au Québec.
Le troupeau plus grand de phoques du Groenland mettent bas au large des côtes du Labrador. Chaque année, si toutes les conditions sont égales et si l'état des glaces est bon, ces phoques s'attroupent et mettent bas à une distance de 50 à 75 miles à l'est de Spotted Islands, près de la collectivité de Black Tickle, au Labrador.
La chasse vise surtout ce troupeau, du moins, au cours des dernières années. À mesure que la banquise se déplace vers le sud le long de la côte du Labrador et descend jusqu'à la côte de Terre-Neuve et que les phoques atteignent l'âge autorisé pour être capturés, la banquise sur laquelle ils se tiennent se retrouve généralement quelque part entre l'est de St. Anthony et l'est de Twillingate. Bien entendu, c'est très variable parce que cela dépend de l'état des glaces et du vent. Voilà donc un aperçu général de ce qui se passe.
Le sénateur Cochrane : Lors de la dernière réunion tenue ici à Halifax pour concevoir un plan de gestion, on a trouvé deux nouvelles idées : la question de l'os de la mâchoire et l'abattage du phoque en eau libre. Ces techniques n'ont jamais été mises en pratique. A-t-on déjà essayé l'abattage du phoque en eau libre?
M. Knight : Je pense qu'il est juste de dire que ces deux idées n'ont jamais été mises en pratique. Ce sont là des propositions faites au gouvernement pour réduire la population de phoques gris.
En ce qui concerne le retrait de l'os de la mâchoire, dans les années 1980, on accordait une prime aux chasseurs qui remettaient les os de mâchoire des phoques gris. Je crois que c'était probablement 15 $ vers le milieu des années 1980. Évidemment, comme l'ont expliqué mes collègues scientifiques, les niveaux de population et les objectifs étaient entièrement différents à cette époque.
Ces concepts ne sont pas nécessairement nouveaux. Le comité en est venu à ces conclusions et a demandé au gouvernement de mettre en place un programme qui inciterait les chasseurs de phoques à utiliser ces deux stratégies pour aider à réduire le nombre de phoques gris.
Le sénateur Cochrane : Parce qu'on ne l'a pas fait auparavant? Ces stratégies n'ont pas fonctionné dans le passé?
M. Knight : Le problème pour l'instant, c'est que les chasseurs n'ont pas d'incitatifs. À défaut d'un financement quelconque, l'industrie aurait beaucoup de mal à mettre en place ces stratégies. Par exemple, demain, nous pourrons approuver une stratégie demandant aux chasseurs de phoques de réduire le nombre de phoques gris dans une région donnée, et nous pourrons probablement envoyer un observateur qualifié en matière de pêche pour les aider à déterminer combien ils en ont réduit. Le hic, c'est qu'ils n'ont aucun incitatif à utiliser le produit et à le mettre en marché. Il n'existe pas de débouché viable, et aucun financement n'est disponible pour le moment. Les discussions sont toujours en cours pour déterminer le niveau de rémunération afin de faciliter cela et pour trouver des fonds auprès des divers paliers de gouvernement et de l'industrie afin de mettre en œuvre un tel programme.
Le sénateur Cochrane : Le 1er novembre 2011, M. Gerald Chidley, l'ancien président du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques, a dit au comité que les pêcheurs avaient rapporté que le phoque gris avait des effets importants sur le rétablissement du poisson de fond. Ils voient ce que le phoque gris a fait à l'industrie de la pêche. La morue n'est pas revenue. Nous savons que c'est le cas à Terre-Neuve. C'est ce que les pêcheurs nous disent. C'est ce que tout le monde nous dit. Il n'y a plus de pêche dans ces régions. Il faut absolument contrôler la population de phoques gris. Toutefois, on continue d'appliquer des idées qui ont été mises en pratique dans le passé. Voici donc ma question : allons-nous finir par y arriver?
M. Knight : Une des choses que j'ai oublié de mentionner dans mes observations tout à l'heure, c'est qu'il y a un niveau important de frustration parmi les conseillers qui participent à nos réunions. Ils sont préoccupés de voir que nous n'avons pas pu mettre en œuvre un plan d'action pour faciliter une certaine réduction de la population de phoques gris. Je suppose que la réponse à la question dépend de notre capacité de trouver un moyen, à l'intérieur des différentes instances de gouvernement et au sein de l'industrie, pour soit assurer un marché financièrement viable pour les pêcheurs, soit leur fournir un niveau de financement pour les aider à participer au marché grâce à des contributions qui pourraient être disponibles auprès des divers paliers de gouvernement et de l'industrie elle-même. C'est ce qu'il faudra déterminer.
Comme je l'ai dit, nous avons embauché un consultant pour nous assurer d'avoir une analyse économique fondée à cet égard. Nous poursuivons les discussions avec l'industrie et avec les divers ordres de gouvernement pour voir si nous pouvons mettre en place un plan d'action qui facilitera la mise en œuvre des recommandations, comme il a été proposé.
Le sénateur Cochrane : Mais pas pour cette année.
M. Knight : C'est exact. Étant donné la façon dont les phoques gris s'attroupent et le temps qu'il faut pour mettre ces choses en place, il est fort peu probable que nous puissions prendre une mesure qui aura un effet important en 2012.
Le président : Si je vous ai bien compris, monsieur Knight, les quotas étaient de 60 000 pour le phoque gris et de 400 000 pour le phoque du Groenland. En ce qui concerne le plan de gestion, ces chiffres sont considérablement plus élevés que ceux de l'année dernière. Comment avez-vous établi ces chiffres? Je comprends que cela fait partie du plan de gestion et des conseils que vous sollicitez et que vous recevez, mais j'essaie de déterminer comment vous avez fait pour arriver à ces chiffres.
M. Knight : Je vais commencer par les phoques du Groenland dont le quota pour cette année a été établi à 400 000. C'est le même quota que l'année dernière et, comme vous l'avez dit, les prises de l'année dernière étaient nettement moins élevées. L'année dernière, les prises étaient d'ordre de 40 000 et, l'année d'avant, si je ne me trompe pas, c'était environ 60 000. En somme, le total autorisé des captures est beaucoup plus élevé que les niveaux de prises réels au cours des dernières années.
Pour déterminer les niveaux de prises annuels de phoques du Groenland, par exemple, nous tenons compte des estimations de la population fournies par les scientifiques et de leurs conseils sur la durabilité à long terme. Nous prenons également en considération les observations des conseillers de l'industrie qui sont venus nous rencontrer ici à Halifax. Leurs opinions étaient basées sur un certain nombre de facteurs, notamment le marché disponible, le nombre de phoques et la perspective à long terme. Ils aimeraient voir un quota stable à long terme. C'est ce qu'ils préconisent. Les conseillers de l'industrie sont également d'avis qu'en général, on devrait chasser plus de phoques. Bien entendu, il y a un grand écart entre les prises réelles des dernières années et le total autorisé des captures. C'est attribuable, en grande partie, aux mauvaises conditions du marché pour le phoque du Groenland.
En ce qui concerne le phoque gris, il n'y a pas eu de marché viable au cours des dernières années. En règle générale, on établit le total autorisé des captures de phoques gris selon les mêmes facteurs — le nombre d'animaux, leur degré d'abondance, la question de savoir s'ils se trouvent dans la zone de sécurité prévue dans notre cadre de l'approche de précaution —, puis on tient compte des observations des conseillers de l'industrie; il arrive bien souvent que ces derniers parlent des impacts sur l'écosystème, comme le sénateur Cochrane l'a fait tout à l'heure en évoquant l'impact sur les autres espèces. C'est, je crois, l'aspect principal des conseils que nous recevons de la part des conseillers de l'industrie. Tous ces éléments sont pris en considération lorsque nous déterminons le total autorisé des captures pour une année donnée.
Le sénateur MacDonald : Monsieur le président, avant de passer aux questions, j'aimerais faire une déclaration aux fins du compte rendu. Chaque pays a ses mythes, et un des grands mythes du Canada est que son édification repose sur la traite des fourrures. Il ne fait aucun doute que la traite des fourrures est très importante dans l'évaluation du Canada. Toutefois, même en 1800, à l'apogée de la traite des fourrures, la valeur de ce secteur ne dépassait pas celle de la pêche de l'Atlantique Nord. On a toujours sous-estimé l'importance de la pêche de l'Atlantique Nord dans l'évolution et la vigueur de notre pays. Je viens de cette région, et je me souviens de l'époque où on trouvait là-bas une industrie de la pêche à la morue qui était viable et solide.
Je ne suis pas un pêcheur. Mes amis se moqueraient de moi si je me décrivais ainsi, mais quand j'étais adolescent, j'allais pêcher la morue ou la limande à queue jaune sur les Grands Bancs. Les gens de ma famille, surtout du côté de ma mère, ont pêché pendant des années. Louisbourg était une collectivité de pêcheurs pendant 500 ans. Je viens donc d'une longue lignée de pêcheurs.
Je vois ici des étudiants de Dalhousie, dont la plupart sont peut-être au début de la vingtaine, et ils ne se souviennent pas de l'époque dont je parle. C'était un mode de vie. N'oublions pas qu'il s'agit d'une ressource renouvelable.
Ma question ne s'adresse pas à quelqu'un de précis, mais vous êtes tous les bienvenus à y répondre. J'aimerais savoir ce que vous tous en pensez.
Vous avez parlé de la situation dans le golfe, mais j'aimerais m'attarder sur ce qui se passe au large de la Nouvelle- Écosse, notamment sur le plan de la prédation et des stocks. Je ne fais pas seulement allusion au stock de morue. Je pense qu'il y a deux grandes espèces de poisson sur la côte Est du Canada : la morue et le saumon.
J'ai lu la semaine dernière qu'en 2011, entre 85 000 et 100 000 saumons sont retournés vers les rivières sur la côte Est du Canada. C'est donc 100 000 poissons par rapport à 400 000 phoques gris. Je suis curieux de connaître la situation au large de la Nouvelle-Écosse comparativement à celle dans le golfe en ce qui concerne la morue et le saumon et l'effet que le phoque gris a, selon vous, sur ces deux espèces.
M. Swain : Ce n'est pas vraiment mon domaine de compétence parce que je n'étudie pas le saumon. Pour autant que je sache, la mortalité en mer pose problème, mais je ne pense pas qu'on comprenne vraiment en quoi consiste le problème là-bas.
Tout comme dans le sud du golfe, les stocks de morue au large de la Nouvelle-Écosse — plus précisément dans l'est du plateau néo-écossais —, ont chuté à un niveau très faible au début des années 1990. La mortalité naturelle de la morue adulte a beaucoup augmenté : chaque année, environ 60 p. 100 des morues adultes meurent de causes naturelles. Depuis, leur nombre est demeuré très bas, mais au cours des dernières années, on a observé quelques améliorations dans la biomasse de la morue de l'est du plateau néo-écossais. C'est principalement attribuable à deux facteurs : la production d'une forte classe d'âge en 2004, et une certaine baisse de la mortalité naturelle de la morue adulte, passant de 60 à 35 p. 100 par année, ce qui est quand même le double du niveau normal pour la morue adulte.
Je dirais que la cause du taux élevé de mortalité naturelle de la morue adulte dans les stocks de l'est du plateau néo- écossais suscite plus de débats. Je ne sais pas si je devrais donner mon avis ou seulement dire que...
M. Knight : C'est indiqué dans l'AS.
M. Swain : Il a été conclu dans l'AS que la prédation des phoques gris était un facteur important de mortalité naturelle de la morue dans l'est du plateau néo-écossais mais pas la cause principale de ce taux de mortalité naturelle élevé; cette cause était inconnue.
M. Hammill : J'ai acquis la plus grande partie de mon expérience dans le golfe. Nous avons beaucoup travaillé aux alentours de l'île Anticosti et dans la baie Miramichi; deux zones très bien connues pour leur forte population de saumon atlantique. Nous n'avons pas retrouvé beaucoup de traces de saumon dans l'intestin des phoques que nous avons recueillis. Mais ce que nous avons découvert, c'est qu'il y a de fortes chances de retrouver du saumon dans un phoque qui a été capturé à l'embouchure d'une rivière. Finalement, c'est plus une question d'emplacement. En fait, si on estime que très peu de poissons remontaient la rivière et qu'un grand nombre de phoques se trouvaient à l'embouchure, alors pour régler en partie le problème dans cette zone il suffirait d'éliminer ces phoques soit au moyen de la translocation soit de l'abattage.
Un prélèvement général des phoques n'aurait pas beaucoup d'effet sur les saumons.
Mme den Heyer : Doug a très bien décrit la situation de la morue dans la zone 4VSW. Il a beaucoup plus d'expérience que moi dans ce domaine.
Le sénateur MacDonald : Au cours de ces derniers mois, il semble que nous ayons passé beaucoup de temps à discuter de l'ouverture de nouveaux marchés pour les phoques, mais je crois que la réduction, par tous les moyens possibles, du nombre pour pouvoir gérer le stock est le véritable défi qu'il faut relever maintenant.
Pour ce qui est de la recherche de marchés pour les phoques, le ministère des Pêches œuvre dans ce sens depuis plusieurs années. Pensez-vous qu'en continuant dans cette voie — puisque je pense que la réduction du nombre est le véritable défi — la lumière apparaîtra au bout du tunnel?
M. Knight : C'est une très bonne question à laquelle il n'y a pas de réponse évidente.
La lumière apparaîtra-t-elle au bout du tunnel? Dans les années 1980, les marchés des produits dérivés du phoque du Groenland n'avaient pas disparu mais étaient devenus pratiquement inexistants. Par conséquent, la récolte annuelle du phoque du Groenland a chuté à des chiffres très bas, de l'ordre de 40 000 à 60 000 par an. Une grande partie de la récolte était utilisée localement et à des fins de subsistance. À cette époque, on croyait fermement que les marchés avaient disparu pour de bon.
La situation a changé dans les années 1990 et les marchés sont redevenus très viables. Le prix des produits dérivés du phoque a augmenté à un niveau record et le phoque est devenu à nouveau un facteur de croissance économique très important pour les collectivités et les pêcheurs.
Un certain nombre d'éléments entrent en jeu aujourd'hui, notamment la situation internationale qui existe par rapport à l'UE et à la Russie. D'après ce que j'ai entendu dire dans l'industrie, tous les espoirs sont placés sur une éventuelle commercialisation de leurs produits en Chine. Si cela devait arriver, les perspectives économiques pourraient très bien être de nouveau celles que l'on a connues au cours des dix dernières années et elles redeviendraient une source de revenu importante pour l'industrie et les collectivités.
Pour le moment, la situation est pour le moins précaire mais il y a 25 ou 20 ans, elle était aussi mauvaise ou même pire. La situation s'est améliorée. Les gens doivent donc garder espoir et continuer à chercher des possibilités.
Le président : Je profite de l'occasion pour vous remercier, au nom du comité, de votre présence et pour vos réponses franches aux questions que l'on vous a posées. Les sénateurs ont peut-être d'autres questions. Dans ce cas, je suis sûr que vous y répondrez ultérieurement. Comme toujours, nous nous réservons le droit de vous convoquer à nouveau dans le cadre de la poursuite de notre étude.
Je me réjouis de l'interaction entre les membres du comité et les personnes présentes dans la salle, en particulier les étudiants de Dalhousie.
À propos de Dalhousie, les prochains témoins travaillent dans cet établissement d'enseignement prestigieux. Nous sommes heureux de vous avoir ici. Nous vous demanderons de vous présenter et de nous dire quelles sont vos fonctions. Nous serons ravis d'entendre vos déclarations préliminaires, si vous en avez.
Heike K Lotze, professeure agrégée et titulaire d'une chaire de recherche en ressources marines renouvelables au Canada, Département de biologie, Université Dalhousie : Je m'appelle Heike Lotze et je suis professeure agrégée au Département de biologie de l'Université Dalhousie. Je suis titulaire d'une chaire de recherche en ressources marines renouvelables au Canada.
Boris Worm, professeur agrégé, Département de biologie, Université Dalhousie : Je m'appelle Boris Worm. Je suis aussi professeur agrégé au Département de biologie de l'Université Dalhousie, ma spécialité est l'étude des écosystèmes marins.
Sara Iverson, professeure, Département de biologie, Université Dalhousie : Je m'appelle Sara Iverson et je suis professeure à l'Université Dalhousie. J'étudie depuis 1989 les phoques gris et les phoques communs de l'île de Sable. J'ai travaillé à de nombreux projets sur d'autres populations de phoques de la côte Ouest et de l'Alaska et, actuellement, je suis aussi la directrice scientifique d'Ocean Tracking Network Canada.
Mme Lotze : Ma spécialité porte sur les changements à long terme des écosystèmes marins et sur les modifications apportées à ces écosystèmes par l'activité humaine. Je commencerai par une déclaration préliminaire.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je tiens à vous remercier de nous avoir invités à comparaître devant vous aujourd'hui. Durant les 20 dernières années, nous avons, tous les trois, étudié des populations d'animaux marins et des écosystèmes océaniques au large des côtes de l'Est du Canada et ailleurs dans le monde. Nous voudrions rassembler nos connaissances scientifiques pour décrire — du point de vue de la science — ce que seront les effets de l'élimination d'un très grand nombre de phoques sur la côte Est du Canada.
Nous voudrions soulever trois points majeurs. Le premier point porte sur le fait qu'il y a de nombreux exemples à travers le monde d'éliminations à grande échelle de phoques et d'autres mammifères marins dans des écosystèmes océaniques. Dans la plupart de ces cas, les éliminations ont eu soit des effets méconnus soit aucun effet sur les stocks de poisson. Il est donc peu probable qu'une élimination sélective de phoques dans l'Est du Canada ait un effet positif important sur les populations de morue.
Le deuxième point est que nous avons une meilleure idée de la part qu'occupe actuellement la morue dans le régime alimentaire du phoque gris dans l'Est du Canada. Récemment, des méthodes d'évaluation très améliorées du régime alimentaire montrent que la morue ne représente qu'une petite part du régime alimentaire du phoque gris et que les évaluations précédentes avaient fortement surestimé la quantité de morue consommée. Le régime alimentaire du phoque gris est principalement constitué de poissons proies gras tels que le hareng, le lançon et d'autres petits poissons gras. Par conséquent, nous ne pouvons pas nous attendre à ce que l'abattage de phoques ait beaucoup d'effet positif, si tant est qu'il y en ait un, sur les morues.
Le troisième point est que le principal prédateur du poisson est un autre poisson. Des recherches menées récemment indiquent que l'épuisement des stocks de morue dans les années 1990 ainsi que le récent commencement du rétablissement des stocks de morue sur le plateau néo-écossais s'expliquent non pas par l'abondance de phoques mais par l'abondance de poissons proies, tels que le hareng, qui peuvent considérablement réduire la capacité de reconstitution des stocks de morue. Étant donné que les phoques se nourrissent principalement de poissons proies, notamment le hareng, un abattage sélectif de phoques pourrait même avoir un effet négatif sur le commencement du rétablissement des stocks de morue.
Voilà nos trois points majeurs. Je voudrais maintenant, en me fondant sur mon expertise, donner un peu plus de détails sur le premier point.
Au cours du XXe siècle, il y a eu à travers le monde de nombreux cas de réductions et de prélèvements à grande échelle de pinnipèdes, y compris de phoques gris, de phoques annelés, de phoques communs ainsi que d'otaries et d'otaries à fourrure. L'objectif visé était généralement l'augmentation des stocks de poisson. Ces cas sont énumérés dans le tableau 1 que vous devriez tous avoir dans vos notes. Ils sont tirés d'un document de recherche récent publié en 2011 par le Secrétariat canadien de consultation scientifique du MPO. Dans presque tous les cas, ces prélèvements ont eu soit des effets méconnus soit aucun effet sur les stocks de poisson, même lorsqu'il y a eu des réductions importantes des populations de mammifères marins allant de l'ordre de 50 à 80 p. 100 de la population.
Plusieurs de ces prélèvements massifs visaient le phoque gris, le but étant le rétablissement des stocks de poisson, de la morue en particulier, comme ce fut le cas au Royaume-Uni, en Norvège, en Islande et dans la mer Baltique, avec soit des effets méconnus soit aucun effet sur la morue ou d'autres stocks de poisson. Dans la mer du Nord et dans la mer Baltique, il y a eu aussi des taux massifs de mortalité naturelle des populations de phoques, surtout des phoques communs et des phoques gris d'abord en 1998, puis en 2002. La première fois, 40 p. 100 de la population a été décimée par la maladie et 60 p. 100 de plus la deuxième fois. Il n'existe aucune preuve indiquant que ces prélèvements importants de phoques aient eu des effets positifs sur les stocks de poissons dans la région.
L'absence d'effets positifs sur les stocks de poisson peut s'expliquer, premièrement, par le fait que les espèces proies ont généralement plus d'un prédateur et, donc, si un prédateur est retiré de la zone, il est habituellement remplacé par un autre prédateur.
Deuxièmement, les poissons sont généralement les principaux prédateurs d'autres poissons dans les écosystèmes aquatiques, par conséquent, la réduction du nombre de mammifères marins n'augmenterait que très légèrement les stocks de poisson.
Troisièmement, l'abondance de la population de poissons dépend beaucoup du nouveau recrutement qui varie considérablement et qui est fonction de facteurs différents comme les conditions du milieu, la disponibilité alimentaire et la prédation. Il est très difficile de faire des prévisions.
Un autre point que j'aimerais soulever est que les populations de phoques et d'autres mammifères marins étaient beaucoup plus abondantes par le passé qu'elles ne le sont aujourd'hui. Selon des évaluations, il y avait au large de la côte Est de l'Amérique du Nord entre 750 000 et 1 million de phoques gris et plus de 200 aires de reproduction et, à cette époque, ils coexistaient avec un très grand nombre de poissons. Aujourd'hui, il y en a 300 000 ou 400 000.
Finalement, suite à une longue histoire de surexploitation et de programmes de chasse à primes, la plupart des populations de mammifères marins, y compris les phoques, sont encore en cours de rétablissement grâce à une gestion solide et à des efforts de conservations menés durant le XXe siècle. Dans de nombreux endroits au monde, notamment au Canada, le niveau de conservation des mammifères marins est élevé et ces animaux sont considérés comme une mégafaune charismatique. Par conséquent, l'abattage sélectif des mammifères marins continuera à soulever de vives controverses et il peut beaucoup nuire à la réputation du Canada, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays, en matière de gestion de l'environnement et des océans.
Sur ce, je passe le relais à Sara.
Mme Iverson : Le régime alimentaire est l'élément fondamental d'évaluation et de modélisation de la prédation du phoque gris et de ses effets sur les populations de poissons proies. La détermination du régime alimentaire des mammifères marins est fondée sur les parties dures des proies retrouvées dans l'estomac et les fèces ou sur les acides gras présents dans le lard du phoque et dont les proportions correspondent à celles des proies consommées.
Toutes les méthodes, lorsqu'elles ont été utilisées correctement, ont indiqué généralement une importance faible à très faible de la morue dans le régime alimentaire de l'ensemble de la population des phoques gris. Toutefois, les estimations de régime alimentaire utilisées pour les phoques gris dans les récents travaux de modélisation ont été sélectionnées à partir de sources faussées et ne sont pas représentatives de l'ensemble de la population du phoque gris de l'Atlantique.
Je commencerai par les parties dures. Les parties dures telles que les vertèbres, les otolites ou os pétrotympaniques, retrouvées dans les contenus stomacaux ou dans les fèces des phoques servent à faire une estimation du dernier repas ou de plusieurs repas au site d'échantillonnage, ce qui n'est habituellement possible qu'à proximité du littoral et pas dans la zone où les phoques gris passent le plus clair de leur temps à la recherche de proies. Le postulat de base est que les chances de retrouver les parties dures sont les mêmes pour toutes les parties, mais des expériences faites sur plusieurs espèces de phoques démontrent aujourd'hui que cela est faux. Je vous ai remis une étude publiée à ce sujet. Afin d'obtenir des données fiables, il faut apporter des corrections aux digestions partielle et totale. Pour faire ces estimations, la préférence est accordée aux espèces proies dotées de parties très dures comme la morue, car les poissons proies dont les parties dures sont plus fragiles, par exemple le hareng, le capelan et le lançon, s'érodent rapidement et même disparaissent entièrement, ce qui se traduit par une estimation exagérée de la proportion de la morue dans le régime alimentaire du phoque et une sous-estimation de celle du poisson proie. Ces biais n'avaient pas été corrigés dans les premières études, ce qui a eu pour conséquence une estimation exagérée de l'importance de la morue dans le régime alimentaire du phoque.
Quand des facteurs de correction fiables et confirmés expérimentalement étaient appliqués, la proportion de morue dans le régime alimentaire du phoque gris du plateau néo-écossais qui représente 84 p. 100 de l'ensemble de la population de phoques gris dans les habitats de la plate-forme et du golfe s'élevait en moyenne à 7 p. 100 dans les années 1990, et non pas à 12 p. 100 comme il avait été publié initialement, et cette proportion était de 3 p. 100 plus récemment, en 2010. Même chez les phoques gris individuels prélevés récemment dans les agrégations de morues au sud du golfe du Saint-Laurent, à proximité du littoral en hiver, et qui ont servi à évaluer l'effet du phoque gris sur la morue dans le golfe, la proportion de la morue dans le régime alimentaire des phoques femelles, après l'apport de corrections, ne s'élevait qu'à 2 p. 100 et à 16 p. 100, et non pas 50 p. 100, dans le régime alimentaire des phoques mâles.
Il ne convient pas d'attribuer le comportement — qui peut être particulier aux agrégations temporaires — de ces phoques individuels à l'ensemble de la population de l'Est du Canada. Il est clair que la majorité des régimes alimentaires des phoques gris déterminés par des parties dures corrigées comportent une proportion de poissons proies plus gras abondants.
L'analyse des acides gras est la deuxième méthode primaire. Cette analyse permet l'évaluation quantitative des régimes alimentaires des phoques sur plusieurs semaines ou plusieurs mois et donne une meilleure idée de ce que le phoque consomme sur une plus longue période plutôt que se limiter à savoir quel a été son dernier repas près du lieu de hissage.
En résumé, les acides gras sont essentiellement les éléments constitutifs de toute la graisse. Les acides gras à profils caractéristiques des espèces marines se déposent dans la graisse ou le lard des phoques qui se nourrissent de ces espèces. En collaboration avec les scientifiques de Dalhousie et du MPO, nous avons été les premiers à développer l'analyse quantitative de la signature des acides gras, la QFASA, utilisée pour évaluer quantitativement le régime alimentaire des prédateurs. Cela a été vérifié dans de nombreuses espèces, notamment le phoque gris, dans le cadre d'études en captivité contrôlée.
Il est important de noter que dans une étude récente, O'Boyle et Sinclair — s'appuyant sur une seule référence d'une petite étude mal faite et réfutée catégoriquement par le milieu des publications scientifiques, et ce, malgré l'utilisation de biais bien connus dans les autres méthodes — rejettent de façon sélective la détermination du régime alimentaire au moyen des acides.
Bien que la QFASA évalue le régime alimentaire du phoque à plus long terme, cette analyse et celles du contenu stomacal et des fèces mesurent la proportion de la même principale proie dans le régime alimentaire du phoque. En général, selon la QFASA, la proportion de la morue dans le régime alimentaire du phoque gris se situe en moyenne entre 1 et 3 p. 100 et le régime alimentaire se compose principalement de poissons proies plus gras tels que le lançon, le hareng, le capelan et le sébaste.
Les phoques gris, femelles et mâles, emmagasinent de la graisse pour pouvoir jeûner plusieurs semaines. D'abord, durant la période de reproduction et quand il y a des nouveau-nés, puis lors du cycle de mue printemps/été. Pendant ces périodes, la graisse doit être conservée pour des besoins énergétiques. À cette fin, il serait illogique que le phoque chasse des proies peu abondantes et à faible teneur en gras, par exemple la morue qui a seulement 1 à 2 p. 100 de gras, au lieu de consommer des poissons proies abondants et très gras qui contiennent de 5 à 15 p. 100 de gras tels que le lançon, le hareng, le capelan et le sébaste.
Je termine en proposant simplement des façons d'examiner l'interaction entre le phoque gris et la morue, des études que nous venons d'entamer et qui fourniront de toute évidence des informations critiques. En 2010, des scientifiques de Dalhousie et du MPO ont commencé de concert un programme septennal soutenu par Ocean Tracking Network Canada. Ce programme vise à examiner directement l'interaction entre le phoque gris et la morue. Des centaines de morues ont été marquées et relâchées une fois équipées d'émetteurs acoustiques. Des transmetteurs satellites ont été fixés sur des phoques gris afin de définir en temps réel leur positionnement en mer. Un émetteur-récepteur mobile Vemco enregistre toutes les interactions et les rencontres avec d'autres phoques et tout poisson marqué. Par exemple, et je vous montre une figure de 2011, comme il a été déjà documenté, les phoques passent huit mois sur le plateau néo-écossais et dans le golfe. Cependant, aucun de ces phoques n'est allé dans les lieux d'agrégation de morues connus. Néanmoins, plusieurs phoques ont croisé des morues marquées au large du Cap-Breton, mais ne les ont pas consommées. Par exemple, un phoque a croisé plusieurs morues différentes et plusieurs fois la même morue. Les détections ont été de très courte durée ou à des moments différents, ce qui aurait été impossible si les phoques s'étaient nourris de ces morues.
Je tiens à souligner que ces données sont les toutes premières provenant d'une nouvelle étude portant sur le plus long terme et qui n'a pas encore donné de résultats concluants. Toutefois, avec un nombre croissant de phoques et de morues marqués chaque année, cette étude est un moyen de mieux détecter et d'évaluer les interactions directes conjointement avec les analyses des régimes alimentaires.
Je vous remercie de votre attention et je passe le relais à Boris.
M. Worm : Merci beaucoup de nous avoir donné l'occasion de partager notre savoir collectif. J'adore travailler dans le domaine de la science parce que c'est un domaine en constante évolution. On ne cesse jamais d'apprendre des choses. Nous sommes ici, tous les trois, pour vous tenir au courant de quelques développements très récents de nos connaissances sur les écosystèmes situés au large des côtes de l'Est du Canada et qui nous préoccupent.
Il y a les trois points majeurs portant sur le prélèvement de phoques dans d'autres régions sans qu'il n'y ait d'effet et portant aussi sur des études récentes qui nous permettent de mieux comprendre la proportion de la morue dans le régime alimentaire du phoque; une proportion qui se trouve être très faible.
J'aimerais parler en particulier des complexités de l'écosystème, qui est le Saint-Graal de la gestion des océans. Ces écosystèmes n'abritent pas deux espèces. Ils en abritent des centaines qui interagissent entre elles de façon dynamique. Comment en tirer des enseignements? Tout d'abord, nous étudions le phénomène. Un phénomène intéressant — qui ne concerne pas seulement les scientifiques d'ici mais ceux du monde entier — est le non-rétablissement des stocks de morue décimés que nous constatons dans nos régions et qui nous préoccupe tant. Il y a longtemps que cette situation est une énigme pour les scientifiques, une question avec laquelle je suis aux prises depuis à peu près une quinzaine d'années. Il a été dit que la prédation des phoques pouvait être l'une des nombreuses causes du non-rétablissement.
Une recherche récente — des articles ont été publiés l'an dernier et cette année — nous a offert une compréhension beaucoup plus approfondie de la dynamique des écosystèmes. Cette recherche montre qu'il existe une corrélation entre le rétablissement difficile des stocks de morues dans notre région et la très vaste abondance des poissons proies susmentionnés, le hareng et ainsi de suite, ou le maquereau dont le nombre a augmenté de 900 p. 100 tandis que les stocks de morue ont diminué. Nous venons de l'entendre, tout comme les phoques, les morues adultes se nourrissent des poissons proies qui sont essentiellement, si l'on peut dire, le maïs soufflé de l'écosystème. Tous les poissons les consomment, mais avec la forte diminution du nombre de morues, les poissons proies se sont multipliés pour atteindre une abondance maximale de 10 millions de tonnes seulement sur le plateau néo-écossais. Pour mettre les choses en perspective, c'est 50 fois plus que l'ensemble de la biomasse de tous les prédateurs tels que la morue, le flétan ou l'églefin.
Ensuite — et il s'agit de changements considérables dans l'écosystème que nous comprenons maintenant puisque nous surveillons cet écosystème —, cette biomasse inhabituelle de poissons proies a dépassé sa capacité limite, a épuisé son approvisionnement alimentaire de zooplanctons et est retombée à une population plus normale et aussitôt les stocks décimés de morues, de sébastes et d'églefins ont commencé à se reconstituer. Cette biomasse de poissons proies peut expliquer le non-rétablissement des stocks de morues ainsi que leur rétablissement subséquent sur le plateau néo-écossais, un phénomène que ne peut expliquer la prédation des phoques. Il semble donc que ce complexe écologique des poissons proies joue un rôle important dans la dynamique de l'écosystème. C'est ce que dit une communication de Ken Frank, de l'IOB, publiée l'an dernier dans la revue Nature.
Cette situation peut-elle se produire partout ou seulement sur le plateau néo-écossais? J'ai fait une étude avec Coilin Minto, un étudiant de troisième cycle, pour vérifier l'hypothèse selon laquelle le poisson proie empêche la reconstitution des stocks de morues dans 16 écosystèmes de l'Atlantique Nord, des deux côtés de l'Atlantique. Cette étude a confirmé qu'effectivement le poisson proie peut empêcher le rétablissement des stocks de morues. Comment y arrive-t-il? En se nourrissant d'œufs et de larves de morue empêchant ainsi le rétablissement de ces stocks.
Heureusement, nous constatons qu'il y a un rétablissement. Nous voyons le début du rétablissement, indiqué à la figure 2 de vos notes, en dépit de l'abondance record de 400 000 phoques gris sur le plateau néo-écossais. Ce rétablissement va à l'encontre de l'hypothèse voulant que la prédation des phoques soit un élément moteur de la dynamique des stocks de morues. Étant donné que les phoques se nourrissent principalement de poissons proies, il est même concevable qu'une réduction du nombre de phoques résulterait encore une fois en une augmentation de la population des poissons proies, ce qui pourrait avoir un effet négatif sur le rétablissement des stocks de morues.
Comme on constate de plus en plus que les interactions dans l'écosystème ne se limitent pas à celles assez simples entre le phoque et la morue, et que les espèces fourragères jouent un rôle prépondérant dans la dynamique de l'écosystème, j'aimerais vous préciser que les recherches en cours sont axées davantage sur ces interactions que sur celles avec le phoque, qui sont considérées comme étant très faibles.
J'aimerais clore par une expérience de la pensée. C'est ce genre d'expérience qu'a menée Albert Einstein lorsqu'il a découvert la théorie de la relativité. Tout cela découle d'expériences de la pensée. Regardez la figure 2 et faisons une expérience de la pensée. Que se serait-il passé si nous avions procédé au prélèvement expérimental de phoques sur le plateau néo-écossais comme on se proposait de le faire lorsque les stocks de morue de l'Atlantique étaient à leur plus bas aux environs ou au début de l'an 2000? Si on avait procédé à un prélèvement expérimental de phoques à ce moment, nous conclurions certainement aujourd'hui que l'expérience a été un franc succès et que le prélèvement de phoques a bel et bien permis aux stocks de morue et autres poissons de fond de se renouveler. Cette conclusion serait, bien sûr, tout à fait erronée, parce que nous n'avons pas procédé au prélèvement de phoques et que les stocks de morue et de poissons de fond se sont quand même renouvelés. Il s'agit, à mon avis, d'un enseignement important. Il est impossible de mener des expériences de cette envergure et d'en tirer les bonnes conclusions. Ce genre d'expérience ne donne pas des résultats concluants, comme l'ont démontré les prélèvements expérimentaux de phoques ou les mortalités naturelles massives qui se sont produits ailleurs. Il existe des dizaines d'exemples de ce genre. Il serait donc tout à fait illogique de mener, à grands frais, une autre expérience de ce genre.
Ainsi, j'aimerais conclure à partir de nos trois points que d'après les recherches scientifiques et les changements constatés récemment dans l'écosystème de l'Est du Canada, il semble très peu probable qu'un abattage sélectif de phoques permettrait d'avoir un effet mesurable sur le renouvellement des stocks de morue ou autre poisson de fond. Je dirais même que compte tenu de la complexité des écosystèmes dont je viens de vous parler, cet abattage pourrait même avoir un effet négatif. Par ailleurs, un abattage à grande échelle serait assurément très coûteux, car les phoques compensent les mortalités en donnant naissance à plus de petits, ce qui veut dire qu'un abattage sélectif devrait avoir lieu tous les ans.
Ces abattages n'auraient pas seulement un coût financier, mais aussi politique, car ils risquent d'entacher la réputation du Canada en tant que bon gestionnaire de nos océans et chef de file en science marine. Lorsque je participe à des conférences internationales et que je parle de ce projet, je vois de nombreux hochements de tête négatifs, parce que ces gens ont vu ce que cela a donné dans d'autres régions. Ils connaissent cette méthode et savent qu'elle n'a jamais aidé concrètement la dynamique ou le renouvellement des stocks de poissons dans ces régions.
Sur ce, j'aimerais vous remercier sincèrement de votre attention. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup. Vous nous avez fourni des renseignements très intéressants ce matin. J'ai quelques questions à vous poser, mais je vais devoir attendre. Je vais céder la parole à notre vice-présidente, le sénateur Hubley.
Le sénateur Hubley : Je tiens à mentionner moi aussi que c'était très intéressant et très informatif. Comme nous entendons le point de vue des scientifiques, je veux souhaiter la bienvenue aux étudiants du Département de biologie de l'Université Dalhousie. Je crois que nous avons tous été agréablement surpris d'apprendre que vous vous intéressiez aux travaux de notre comité et à sa façon de prendre des décisions. Les décisions ne sont jamais facilement à prendre. Les questions sont toujours complexes et il y a de nombreux éléments à prendre en considération au moment de présenter des recommandations. Cela étant dit, je vous suis très reconnaissante à chacun de vos commentaires.
Vous avez parlé principalement de la morue et du phoque, ce qui est bien, mais nous voulons pousser le tout un peu plus loin. Nous prenons en considération le fait que nous avons une population de phoques importante dans un secteur environnemental donné. Je présume qu'ils se nourrissent et fort probablement de poissons. S'il n'y a plus de morue, ils modifieront sans doute leur régime alimentaire et mangeront d'autres espèces de poisson. Étant originaire de l'Île-du- Prince-Édouard, je crains qu'ils ne se tournent vers le homard ou d'autres crustacés, et c'est pourquoi nous voulons voir au-delà de la disparition de la morue et du fait de savoir si le phoque en est responsable ou non. C'est probablement une décision qui nous dépasse tous. Toutefois, il faut chercher maintenant un équilibre dans la nature.
Il faut également tenir compte d'un autre élément, soit les industries qui dépendent de la pêche. Comme nous pourrions avoir à prendre des décisions difficiles au moment de rédiger nos recommandations, j'aimerais savoir si le phoque gris joue un rôle dans la diminution de nos stocks de poissons?
Mme Iverson : Je vais commencer par vous parler du régime alimentaire et du fait que le phoque gris, comme bien d'autres mammifères marins, préfère les espèces qui leur procurent beaucoup d'énergie. Comme l'a expliqué Boris, on croit qu'après que les morues de grande taille ont été complètement décimées par la surpêche, il y a eu un transfert de prédation de la morue aux espèces fourragères. C'est à ce moment très exactement que la population de phoques gris a pu augmenter, car elle se nourrissait de ces espèces fourragères qui sont très riches en graisse. Les phoques ne se tourneront pas, par exemple, vers le homard qui ne présente aucun avantage, est difficile à attraper et est très faible en graisse. Comme Boris l'a expliqué, tant que les espèces fourragères, qui n'ont pas d'attrait commercial, seront abondantes, ils ont pleinement de quoi se nourrir.
M. Worm : C'est exact, et j'aimerais insister sur ce point. Vous avez parlé de l'équilibre de l'écosystème. Malheureusement, c'est un concept qui est lui aussi dépassé. Un écosystème n'atteint jamais l'équilibre. Il subit des changements constants, et notre capacité de gérer ces changements de manière intelligente est à peu près nulle. Nous devons, dans une certaine mesure, suivre le courant et adapter nos stratégies de pêche en fonction des changements que subit l'écosystème.
Le gros changement que nous avons pu constater, c'est l'effondrement des stocks de morue et l'augmentation de 900 p. 100 des stocks d'espèces fourragères qui a suivi. Je ne qualifierais pas ce phénomène de déséquilibre. Je dirais plutôt qu'il s'agit d'un changement dans l'écosystème qui a des conséquences et que c'est un changement dont nous sommes en partie responsables.
Peut-on renverser la vapeur? Non, nous ne le pouvons pas, mais cela s'est produit naturellement par l'élimination de sa source de nourriture, ce qui a ramené les niveaux près de la normale, et c'est ce qui a entraîné une augmentation des stocks de morue sur le plateau néo-écossais.
Il faut comprendre que nous étions très préoccupés par les stocks de morue sur le plateau néo-écossais comme nous le sommes par ceux dans le golfe du Saint-Laurent, parce que même si la pêche était interdite, les stocks continuaient à diminuer. Ils n'étaient même pas stables. Ils continuaient à diminuer. C'est exactement le même phénomène que nous observons actuellement dans le golfe du Saint-Laurent. Même si on vient d'interdire la pêche, les stocks continuent de diminuer. Quelque chose d'autre se passe. C'est ce qui s'est également produit sur le plateau néo-écossais. Eh bien, nous pouvons maintenant expliquer ce phénomène et la récente remontée des stocks par la dynamique des espèces fourragères.
Je ne prétends pas que ce soit le seul élément qui entre en jeu. Il y en a d'autres, mais nous avons là une piste. C'est une hypothèse qui peut expliquer ces deux phénomènes, soit l'absence de remontée et la remontée récente observée.
Vos préoccupations à l'égard de la quantité de poissons qu'ingurgitent les phoques sont, de façon générale, un argument valable, car il l'est dans d'autres pays qui ont entrepris de procéder à un abattage sélectif de phoques pour accroître la biomasse halieutique. Toutefois, les données historiques nous révèlent, et il s'agit d'un document de recherche du MPO, que cela n'a jamais fonctionné. Pourquoi cela fonctionnerait-il dans ce cas? Cela entraînera des coûts importants et pourrait même causer des dommages, en raison de la nature des écosystèmes que je viens de vous décrire, et de la présence en particulier des espèces fourragères qui constituent la principale source de nourriture des phoques gris. Voilà ma réponse.
Le sénateur Hubley : Si le phoque était considéré comme une ressource et traité comme tel, et qu'on le chassait de manière durable, comme on le fait grâce aux permis de pêche, est-ce que ce serait bon dans la situation actuelle ou est- ce que ce serait néfaste d'avoir une chasse au phoque et de développer des marchés pour des produits déterminés. Pensez-vous que ce serait possible? Comme je le disais, nous le faisons pour nombre d'autres espèces.
M. Worm : Oui, très certainement. D'un point de vue biologique, c'est certainement possible, étant donné que la population est très abondante. Ils peuvent être pêchés sans problème et cela nous le savons.
Vous vouliez savoir si la pêche serait bonne ou néfaste pour l'écosystème. Je dois vous dire honnêtement que nous ne le savons pas, et que nous ne le saurons pas parce que nous n'avons pas de contrôle sur cette expérience, comme dans les autres soi-disant expériences. Il s'agirait d'une autre manipulation de l'écosystème, et à ce titre, je crois qu'il serait mal avisé de penser que nous le faisons pour aider la nature.
Le sénateur Hubley : Je pense qu'on y verrait une industrie à développer. Je ne pense pas qu'on y verrait quelque chose de bon ou de mauvais pour l'environnement. Je crois qu'on y verrait une industrie du phoque durable, et c'est assurément ce qui découle des témoignages que nous avons entendus.
Mme Lotze : D'un point de vue biologique, la population de phoques gris est assez abondante pour potentiellement tolérer une chasse au phoque. Toutefois, selon les preuves que nous a fournies Boris, si on réduit le nombre de phoques, cela pourrait provoquer une hausse de la population des espèces fourragères et avoir des répercussions négatives sur les stocks de morue et les autres poissons de fond parce qu'ils mangent les larves et les jeunes poissons. On pourrait, par ailleurs, développer une pêche commerciale solide aux espèces fourragères. Il s'agirait d'une expérience similaire, à mon avis.
Le sénateur Hubley : Les pêcheurs nous fournissent des renseignements non scientifiques. Comment la communauté scientifique trouve-t-elle un équilibre entre ces renseignements non scientifiques et vos travaux?
Mme Lotze : Pour vous donner un exemple, je mène souvent des recherches dans la partie sud de la mer du Nord sur les changements à long terme dans les populations animales. Un des changements importants qui s'est produit dans cette région, c'est le solide rétablissement du phoque commun et du phoque gris. Dans les années 1950 et 1960, leurs stocks étaient bas, tout comme ici. La chasse a été interdite et leur nombre a crû de manière exponentielle, tout comme ici et dans bien d'autres régions du monde. Les pêcheurs de la région étaient très préoccupés par cette situation, comme ils le sont ici. Ces phoques étaient de plus en plus perçus comme une nuisance et auraient dû faire l'objet d'un abattage sélectif pour cette raison.
On a assisté à une croissance exponentielle, puis des épisodes de maladie ont fait leur œuvre. Bien des gens et des scientifiques croyaient que la surpopulation était ce qui les avait fragilisés. Il y a eu deux épisodes de maladie. On s'est rendu compte par la suite que la maladie avait été transmise aux phoques par les chiens, et c'est pourquoi ils n'étaient pas immunisés contre elle.
À long terme, cela n'a pas empêché leur rétablissement. Ils ont connu une croissance exponentielle, puis un creux, suivi d'une nouvelle croissance et d'un nouveau creux, mais la population est encore en croissance.
Les scientifiques ont ensuite tenté de dresser un historique de la population de phoques dans la région, afin de savoir quel nombre maximal pouvait y vivre et quel était l'équilibre normal dans cet écosystème. Les recherches ont révélé que le nombre actuel équivaut à environ la moitié du nombre présent dans la région aux environs des années 1900, soit avant le début de la grande chasse commerciale. La population connaît une croissance exponentielle, mais elle n'atteint toujours pas le nombre qu'elle avait il y a 100 ans. Cela remet en perspective notre notion d'équilibre ou de niveau de base naturel. Cela a finalement mis un terme à l'argument voulant que les phoques soient une nuisance et qu'il faille les abattre parce que leur abondance n'est pas naturelle. C'est un argument qu'on n'entend donc presque plus dans la région.
M. Worm : J'aurais un bref commentaire à faire au sujet des renseignements non scientifiques. Certains de mes étudiants ont interrogé des pêcheurs et je collabore moi aussi avec l'industrie, car je pense que leur contribution est très importante.
En ce qui a trait au phoque et à la morue, les pêcheurs sont souvent témoins d'une interaction particulière entre les deux, soit le fait que les phoques ont appris à suivre les bateaux de pêche pour manger les morues ou les autres poissons qui dansent, immobiles, au bout des lignes. Ce sont des proies faciles, des proies qu'ils ont normalement de la difficulté à attraper parce qu'ils doivent les chasser, mais dans ce cas, elles sont immobilisées. C'est ce que constatent les pêcheurs et ils ont le droit de tuer les phoques qui les dérangent. Toutefois, comme on le sait, ce n'est pas de cette façon que les phoques chassent habituellement. Les pêcheurs constatent un fait particulier, qui ne correspond pas au comportement de la majorité des phoques. Il s'agit d'un petit nombre de phoques et ils sont intelligents, tout comme nous. Ils suivent les bateaux de pêche pour se nourrir de cette façon.
Mme Iverson : J'aimerais dire quelques mots au sujet des renseignements secondaires.
Les phoques gris sont une espèce très facile à observer. Toutefois, les interactions qui ont lieu sous l'eau avec les autres poissons qui mangent des poissons et avec les mammifères marins comme les dauphins, les marsouins et les baleines qui mangent des poissons ne sont pas visibles.
Il ne fait aucun doute que les phoques gris ont une faculté d'adaptation et que certains d'entre eux peuvent faire ce dont a parlé Boris. Il ne fait aucun doute également que les phoques que l'on trouve près des rassemblements de morue d'hiver à court terme ont une bonne quantité de morue dans l'estomac. Toutefois, c'est comme placer un certain nombre de mangeoires d'oiseaux que l'on remplit de graines de tournesol dans un lieu et constater que les oiseaux qui viennent se nourrir mangent des graines de tournesol et ensuite extrapoler ces conclusions à l'ensemble des populations d'oiseaux qui vivent dans l'Est du Canada en disant que tous ces oiseaux mangent des graines de tournesol. Nous savons que ce n'est pas le cas. Nous savons très bien pourquoi certains oiseaux vont s'alimenter à la mangeoire.
Ce qui est très important, c'est de bien utiliser les renseignements sur le régime alimentaire. Les méthodes sont toutes utiles et se complètent les unes les autres. Il faut simplement utiliser les plus pertinentes, c'est-à-dire celles qui s'appliquent à la population dans son ensemble et non pas seulement à un petit segment particulier.
Le sénateur Cochrane : Monsieur Worm, vous dites que lorsque les phoques sont implantés quelque part, ils continuent de se multiplier et se nourrissent de morue, si bien qu'un jour la morue aura complètement disparu. Lorsqu'il n'y en aura plus, les phoques mangeront tout ce qui reste. Autrement dit, le secteur des pêches disparaîtra.
M. Worm : Je me suis probablement mal exprimé. Tout d'abord, les phoques se nourrissent très peu de morue, parce que cela équivaut pour nous à nous nourrir de choux de Bruxelles. Ils préfèrent une nourriture plus riche, et c'est pourquoi ils mangent des espèces fourragères, ce qui équivaut pour nous à des hamburgers. C'est ce qui constitue et a presque toujours constitué leur alimentation de base. C'est la raison pour laquelle ils viennent dans la région. C'est la raison pour laquelle les baleines viennent dans la région. Si les phoques et les baleines sont si nombreux dans les régions à remontée d'eau froide, c'est parce qu'on y trouve des espèces fourragères, et non pas des morues, en abondance.
En fait, c'est l'inverse. Les poissons les plus prisés par les phoques, les baleines et les marsouins ne sont pas, fort heureusement, les mêmes que ceux que nous aimons et que nous mangeons. Ils ont des choix différents des nôtres.
Je me base sur des évaluations du régime alimentaire. L'experte dans le régime alimentaire des phoques, c'est Sara, et elle travaille dans ce domaine depuis 15 ans.
Le sénateur Harb : Je vous remercie beaucoup des exposés et de vos témoignages qui reposent sur des données scientifiques. Ces renseignements sont très utiles pour le comité.
J'ai posé les deux mêmes questions aux représentants du ministère. J'aurais aimé qu'ils répondent à au moins une autre question portant sur les pratiques exemplaires des pays ayant procédé à un abattage sélectif de phoques. Quels en ont été les résultats? Vous avez répondu à cette question et je vous en remercie beaucoup.
Cela revient à dire que si on tente une expérience et que cela échoue, il ne sert à rien de la répéter en espérant des résultats différents. Vous avez parlé de la théorie de la relativité d'Einstein. Eh bien, la théorie d'Einstein sur la stupidité serait donc de répéter la même expérience en espérant des résultats différents. C'est bien ce que vous dites?
Ma question porte sur le processus de consultation de zone. On entend parler constamment de ce groupe qui a examiné des études et on parle des résultats. Connaissez-vous leurs travaux? Dans l'affirmative, pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?
M. Worm : Le tableau que nous vous avons remis est tiré d'un document qui a été soumis dans le cadre du processus de consultation de zone, et il s'inscrit donc dans cette réflexion. Je n'ai pas participé à la réunion parce que je me trouvais en Europe à ce moment, mais je pense que vous y étiez.
Mme Iverson : Boris a raison. Le document qu'Heike a présenté en faisait partie. De plus, certaines corrections que j'ai présentées, certains facteurs de correction concernant les évaluations du régime alimentaire pour les parties dures en font également partie.
Le sénateur Harb : Qu'en est-il de la recommandation du CCRH demandant au gouvernement de permettre sur-le- champ, je présume, l'abattage de 31 000 têtes à titre de simple précaution? Qu'en pensez-vous?
Mme Iverson : Je pense que de deux points de vue, à titre de scientifique, et pour réitérer ce que notre groupe a dit, il n'y a aucune façon d'évaluer les résultats de cette expérience. On ne peut exercer de contrôle. Ce n'est pas une expérience. On tue des animaux dans le seul but de s'en débarrasser. En tant que scientifique, j'ai besoin de preuves solides, concrètes, qu'on les tue pour une raison donnée, et ce n'est pas le cas.
En tant que citoyenne canadienne et en tant que scientifique, j'aimerais éprouver du respect et de la fierté pour mon pays. Je crains sincèrement que les répercussions sur la scène internationale l'emportent sur tout, et qu'il soit difficile pour le Canada d'être considéré comme un gardien responsable de ses océans.
M. Worm : Comme je l'ai mentionné, je travaille avec les pêcheurs également, car je pense que nous nous aidons mutuellement. Ils ont souvent des connaissances considérables, mais ce sont aussi souvent des connaissances très locales, qui s'appliquent à ce qu'ils ont observé à l'égard d'un type de pêche donné, dans un lieu donné.
Notre rôle en tant que scientifiques, ce pour quoi la société nous paie, c'est d'avoir un portrait global de la situation. C'est ce pour quoi on nous paie. C'est ainsi que je perçois mon travail. Pour avoir un portrait global, il faut examiner les données disponibles dans d'autres pays. Il faut examiner les données dans d'autres régions. Il faut examiner les autres composantes de l'écosystème que des groupes ayant un intérêt plus ciblé n'ont peut-être pas perçu ou saisi. C'est la seule raison de notre présence ici. Nous voulons vous donner un portrait global de la situation afin que vous puissiez prendre une décision avisée qui ne sera pas basée sur des connaissances très précises et très locales, mais bien sur un vaste éventail de données scientifiques valables.
Le sénateur Harb : Affirmeriez-vous donc que, à la lumière des nombreuses preuves scientifiques dont nous disposons à l'heure actuelle, le gouvernement poserait un geste irresponsable en autorisant l'abattage sélectif de phoques?
M. Worm : À mon avis, il s'agirait d'un gaspillage de fonds publics et donc d'un geste irresponsable.
Mme Lotze : Pour l'heure, compte tenu des renseignements dont nous disposons, je suis fermement convaincue qu'il s'agirait d'un geste très irresponsable.
Mme Iverson : Je me demande même, au bout du compte, si un tel geste n'entraînerait pas pour le Canada des répercussions économiques et politiques comme le boycottage international de divers autres produits, en plus des produits de la pêche. Je me demande si les gens songent sérieusement aux répercussions internationales que ce geste pourrait avoir.
Le sénateur MacDonald : Je vous remercie tous de votre présence. J'ai beaucoup de respect pour les scientifiques. J'ai étudié à l'Université Dalhousie, et nous avons ici des gens de mon alma mater.
J'ai quelques questions pour vous. J'examine vos trois principaux points. Vous dites qu'il est peu probable qu'un abattage sélectif de phoques dans l'Est du Canada ait des effets positifs importants. Vous dites que cela aurait, à votre avis, peu d'effets positifs, si ce n'est aucun, et que cela pourrait même avoir des effets négatifs sur le renouvellement des stocks de morue.
Tout cela semble reposer sur une hypothèse. Il ne semble pas y avoir beaucoup de données quantitatives, mais je sais que vous avez beaucoup étudié la question et que vous êtes des experts dans le domaine.
J'aimerais que vous nous parliez des autres éléments, comme la transmission des parasites qui provoque une augmentation des taux de mortalité chez les poissons, de la destruction des œufs qui nuit à la reproduction. Avez-vous beaucoup étudié ces facteurs? J'aimerais que vous nous en parliez.
M. Worm : Les parasites sont présents dans tous les écosystèmes. Ils en font partie intégrante. Ils jouent un rôle dans le contrôle de la densité des populations. Les phoques ont des parasites, les morues ont des parasites. Presque tous les animaux sauvages ont des parasites, et il existe donc un lien prétendu avec un grand nombre de phoques.
En particulier, j'imagine que vous faites allusion aux vers de phoque. D'autres espèces de poissons sont aussi touchées. Le problème est qu'il y a un transfert de ce parasite entre les animaux.
Je ne dispose personnellement pas d'une étude scientifique qui quantifie ce lien. Je sais que c'est un élément dont les pêcheurs s'inquiètent. Ce n'est pas la survie de la morue qui les inquiète, mais bien sa commercialisation, parce que c'est difficile de le faire. Je ne connais pas d'étude scientifique à ce chapitre. Je n'en ai jamais vu une qui quantifie le lien entre les phoques, les vers de phoque et la morue.
Le sénateur MacDonald : J'aimerais répliquer à votre commentaire. Premièrement, pour ce qui est de la commercialisation de la morue, il n'y a pas de morue à commercialiser. Ce n'est donc pas vraiment un enjeu. Il n'y a plus vraiment de marché pour la morue, parce que les pêcheurs n'arrivent plus à en attraper.
En ce qui a trait aux parasites qui infectent les êtres vivants, nous en transportons bien entendu tous. C'est le cas de tous les animaux. Ma mère a travaillé des années dans la division d'emballage de l'usine de la National Sea Products à Louisbourg. L'usine préparait beaucoup de morue, et très peu de poissons avaient des vers.
Une histoire a été publiée dans les journaux il y a à peine deux ou trois mois au sujet d'une petite pêcherie locale sur la côte sud. À une certaine époque, il y avait une personne qui s'occupait de retirer les vers pour cinq personnes qui s'occupaient de l'emballage. Il y a maintenant cinq personnes qui s'occupent de retirer les vers pour deux personnes qui s'occupent de l'emballage. Il y a évidemment une augmentation de l'infestation de vers en ce qui concerne cette espèce. Il doit y avoir un certain lien. Cette augmentation doit bien avoir une source.
Nous savons que tous les êtres vivants transportent des parasites, mais je suis certain que si nous étions tous infectés massivement par des parasites que nous n'avions pas il y a 10 ans, notre état de santé relatif se détériorerait.
Comme vous le dites, c'est une question complexe, mais il ne faut pas seulement se concentrer sur la quantité qui est mangée et ce qui l'est.
J'aimerais faire valoir deux ou trois autres points. J'ai entendu Mme Iverson dire que les espèces de poisson proie n'ont aucune valeur commerciale. J'ai visité une poissonnerie à Tokyo en janvier et des supermarchés à Tokyo et à Séoul. Si elle avait vu le prix du sébaste, de la goberge ou du hareng, je crois qu'elle changerait peut-être d'opinion sur le sujet. Je crois que ces espèces ont une grande valeur potentielle. Vous ne pouvez pas tout bonnement les écarter en disant qu'elles n'ont aucune valeur commerciale, parce qu'elles en ont une. En fait, à mesure que la plus grande espèce, la morue, continue d'essayer de se rétablir, la valeur des espèces de poisson proie augmente.
J'aimerais dire quelque chose. Je ne m'adonne pas à la chasse. J'aime les animaux. Je n'aime pas voir des animaux tués dans presque n'importe quelles circonstances. Lorsqu'il y avait 12 000 phoques gris il y a 50 ans, je comprends que c'était vraiment en deçà de la masse critique. C'est véritablement un seuil dangereux; cela ne fait aucun doute.
Je l'ai déjà dit et je vais le dire encore une fois. J'adore les morses; c'était une espèce indigène à notre région. Il s'agit bien entendu d'une créature très gênée qui aime se tenir à l'égard. Les morses n'aiment pas les gens. Il n'en reste plus que 22 000 dans la région de l'archipel Arctique. Je ne vois pas cette espèce se rétablir dans notre région.
Je crois que vous avez mentionné qu'à une certaine époque il y avait entre 750 000 et 1 million de phoques gris sur la côte Est. De quelle période ces données datent-elles? Quel était le volume approximatif des stocks de poissons à cette époque?
Mme Lotze : Les estimations nous proviennent en gros des premiers Européens qui sont venus explorer le territoire et des historiens en sciences naturelles qui répertoriaient l'emplacement des rookeries de phoques. Le phoque gris n'aime pas être dérangé par les humains. Les gens ont donc répertorié l'emplacement de ces rookeries et le nombre de phoques.
Il y a des éléments probants dans la mer du Nord qui nous indiquent que les phoques gris étaient l'espèce de phoques la plus importante dans le sud de la mer du Nord. Le phoque gris a quitté la région lorsque les humains l'ont colonisée au Moyen-Âge. Le phoque gris a pratiquement disparu de la région durant 500 ans et est seulement revenu coloniser la région à la fin du XXe siècle, lorsque des mesures de protection ont été adoptées et que des plages ont été protégées pour permettre à l'espèce de les utiliser comme échoueries. Il est fort probable qu'il y avait beaucoup plus de colonies de phoques gris très près du littoral. Les colonies se limitent maintenant aux îles situées au large des côtes, où les gens ne vont pas et ne les dérangent pas durant la saison de reproduction. L'écosystème a changé depuis la venue des premiers Européens.
Le sénateur MacDonald : À une certaine époque, il y avait beaucoup de pêche qui se faisait au large de l'île de Sable, mais les pêcheurs ont évidemment abandonné cet endroit. Ils prétendent que l'île a été donnée aux phoques. On ne peut pas dire que les phoques n'ont pas eu de répits, parce que c'est le cas.
Mme Lotze : Pour répondre à votre question sur les stocks de poissons, il y a de bonnes estimations de l'abondance de la biomasse de morue au milieu du XIXe siècle dans la région du plateau néo-écossais. Il y en avait environ 1,2 million de tonnes, alors qu'il n'en reste actuellement que 40 000 tonnes tout au plus. C'est toute une différence.
Le sénateur MacDonald : Nous savons tous ce qui a tué la pêche à la morue. On ne peut rien y changer. Je me préoccupe davantage des façons de rétablir la population, et voilà pourquoi nous examinons ces éléments.
Je crois que c'est une question complexe. Il y a bien des éléments que nous ne comprenons pas, mais on ne m'a pas encore convaincu qu'un abattage sélectif et raisonnable de ces animaux n'aurait pas un effet positif. Je ne dis pas que c'est la solution miracle, mais j'ai de la difficulté à convenir que cette solution n'aurait aucun effet, étant donné que les nombres semblent très disproportionnés.
J'aimerais vous poser une autre question. Elle concerne la chasse en général. Certains sont d'avis que la chasse commerciale d'un pinnipède est une mauvaise chose. Encore une fois, je ne suis pas un chasseur. Nous chassons le cerf de Virginie, le caribou et l'orignal au Canada. En Europe, c'est le sanglier. J'aimerais faire valoir mon point, parce que je crois que c'est un point important. Il s'agit dans tous les cas de chasse légale, mais je suis certain que le pourcentage d'animaux blessés qui s'enfuient dans les bois et meurent dans les 24 ou 36 heures qui suivent est considérablement plus élevé que le nombre d'animaux abattus avec succès dans le cadre d'un abattage sélectif. C'est pratiquement 100 p. 100 des animaux faisant l'objet d'un tel abattage qui sont tués avec succès. J'aimerais en apprendre concernant l'abattage sélectif de phoques. Quelle est votre opinion sur l'abattage sélectif d'animaux pour des motifs commerciaux?
Mme Lotze : En ce qui concerne la faune terrestre que nous chassons en Amérique du Nord, selon ce que j'en sais, ces animaux ne font pas l'objet de chasse commerciale. C'est une chasse sportive dans la majorité des cas. Nous ne faisons plus d'abattage sélectif d'animaux terrestres. Nous l'avons fait au cours du XXe siècle. Nous avons procédé à d'importants abattages sélectifs de coyotes dans les États de l'Est américain. Dans les années 1950 et 1960, 80 000 coyotes ont été abattus chaque année pendant 10 ou 15 ans. Les autorités ont examiné les effets de cet abattage sélectif. L'objectif était d'augmenter la population de cerfs et de réduire le taux de mortalité des moutons. Il y a eu une augmentation à court terme de la population de cerfs, qui a par la suite chuté en raison de maladie. Nous voilà de retour à la case départ. Il n'y a aucun prédateur qui régularise la population de cerfs. Il s'agit d'une conséquence non désirée, sans effet véritable et sans avantage à long terme sur la population de cerfs.
Le sénateur MacDonald : Sauf votre respect, ce n'est pas ma question.
Mme Lotze : De plus, la mesure n'a pas amélioré le taux de mortalité des moutons, parce qu'ils sont aussi morts d'autres causes.
Bref, la faune terrestre ne fait plus l'objet de chasse commerciale, et les mammifères ne font plus l'objet d'abattage sélectif. Pourquoi serait-ce différent en milieu marin?
Le sénateur MacDonald : Eh bien, cela ne répond toujours pas à ma question.
Mme Lotze : Par contre, c'est un jugement de valeur.
Le sénateur MacDonald : Non, mais je vous pose la question. D'après vous, est-ce fondamentalement une mauvaise chose de chasser des animaux dans l'océan, comme des pinnipèdes, et de vendre leur peau ou d'en faire de l'huile enrichie en oméga-3? Croyez-vous que c'est fondamentalement une mauvaise pratique?
Mme Lotze : Fondamentalement, si la population est en santé et peut absorber la chasse, du point de vue de la biologie, il n'y a aucun problème.
Le sénateur MacDonald : Croyez-vous que la population est en santé?
Mme Lotze : Oui.
Le sénateur MacDonald : Merci.
Mme Lotze : Cependant, aucune donnée scientifique ne nous prouve que l'abattage sélectif de phoques aide au rétablissement des stocks de morue.
Le sénateur MacDonald : Je vous remercie de votre commentaire, mais vous croyez que la population est en santé.
Mme Lotze : Oui.
Le sénateur MacDonald : D'accord. Merci.
M. Worm : Je suis d'accord avec Mme Lotze pour dire que la population est en santé et qu'aucun motif biologique ne nous empêche de les chasser. En fait, nous chassons abondamment d'autres espèces de phoques; nous en abattons des centaines de milliers par année.
La question est de savoir s'il y a un marché pour ces produits. Les marchés semblent disparaître, mais il y a peut-être d'autres marchés. À mon avis, ce serait un gâchis de le faire, si nous n'avons pas de marchés dans lesquels commercialiser nos produits.
Bref, si la population est en santé et que la chasse est durable et responsable — nous savons qu'une telle chasse commerciale peut facilement exterminer des populations entières —, mais si nous le faisons de manière responsable en nous fondant sur des motifs fondamentaux, nous n'avons aucune raison de nous y opposer.
Le sénateur MacDonald : D'accord.
M. Worm : Nous nous opposons par contre à la chasse à la baleine sur la scène internationale.
Le sénateur MacDonald : Moi aussi.
M. Worm : Oui. Il y a un jugement de valeur à cet égard. Les Japonais justifient cette pratique en prétextant qu'ils tentent de protéger leur industrie de la pêche. Il y a donc un certain jugement de valeur à ce chapitre. Nous essayons tout simplement de faire valoir des arguments scientifiques.
Le sénateur MacDonald : Nous faisons tous des jugements de valeur. Merci.
Mme Iverson : Je crois qu'il importe vraiment que les gens comprennent ce qui différencie un abattage sélectif et une chasse. Une chasse est une pratique très différente, où les animaux sont utilisés délibérément, et c'est une pratique durable. Ce n'est vraiment pas d'exterminer des animaux que pour les exterminer. Je crois que c'est très important de distinguer ces deux pratiques.
Le sénateur MacDonald : Oui. Je crois que nous le savons.
Le sénateur Cochrane : Vous avez parlé de la pêche dans la mer du Nord. Comment les gens sont-ils parvenus à maintenir l'équilibre et qu'ont-ils fait pour maintenir à flot leur industrie de la pêche? Vous avez mentionné les phoques et les problèmes qu'ils ont eus. Eh bien, que s'est-il passé après ou durant cette période?
Mme Lotze : Eh bien, encore une fois, je ne crois pas que les gens ont essayé de maintenir un équilibre, mais l'écosystème change depuis 500 ans, ce qui entraîne d'importantes fluctuations dans les populations animales.
Les colonies de phoques dont j'ai parlé se situent en grande partie dans les régions protégées du sud de la mer du Nord. Dans ces secteurs, il n'y a actuellement pas de pêche commerciale de grande envergure. La région ressemble plutôt à une mer littorale peu profonde. Les pêches à grande échelle se déroulent au large des côtes dans la partie plus profonde de la mer du Nord.
Le sénateur Cochrane : Parlez-vous de pêche près de la zone côtière et au large des côtes, de pêche en eaux profondes?
Mme Lotze : Pourriez-vous répéter?
Le sénateur Cochrane : Vous dites qu'il n'y a pratiquement que de la pêche en zone côtière.
Mme Lotze : Dans la mer du Nord, les principales pêches commerciales se déroulent au large des côtes.
Le sénateur Cochrane : Cela se déroule au large des côtes, mais il n'y a pas de pêche en zone côtière.
Mme Lotze : On y pêche de la crevette et du poisson plat. Les phoques mangent beaucoup de poissons plats, mais d'une certaine manière les deux espèces arrivent à coexister dans cette région. Je ne sais pas si elles vivent le parfait bonheur.
Le sénateur Cochrane : La population de phoques gris dans l'Atlantique est 34 fois plus importante comparativement à celle d'il y a un demi-siècle. Il y avait 13 000 phoques en 1960, alors qu'il y en avait de 330 000 à 410 000 en 2010. C'est toute une augmentation. Pourquoi la population de phoques gris a-t-elle connu une telle augmentation depuis 1960?
Mme Lotze : Il faut se rappeler qu'en 1960 la population avait atteint un creux sans précédent. La population de phoques a probablement encore déjà été plus basse, parce que ces animaux ont fait l'objet de chasse excessive pendant des siècles. Comme je l'ai dit plus tôt, lorsque les premiers Européens sont arrivés, le nombre de phoques était probablement deux fois plus élevé que le nombre actuel. La population était très décimée et se trouvait à son plus bas point, lorsque nous avons commencé à surveiller l'espèce et sa population. Voilà pourquoi nous avions au début des données plus faibles. Comme c'était le cas de la majorité des mammifères dans le monde au début du XXe siècle, le nombre d'animaux était très faible. Bon nombre d'espèces ont été extirpées, et d'autres commencent à se rétablir. Si les ressources sont abondantes — les phoques gris mangent, notamment, du hareng et du lançon —, la population augmentera.
Le sénateur Cochrane : Et de la morue.
Mme Lotze : Cela représente 3 p. 100 de leur alimentation. Les phoques ont besoin d'un habitat. Si tous les éléments sont présents, la population augmentera. C'est de la biologie élémentaire; les animaux ne doivent pas être restreints sur le plan de l'habitat ou de leur principale source de poisson proie. De plus, les prédateurs naturels qu'ils avaient ne sont plus aussi nombreux aujourd'hui.
Le sénateur Cochrane : Comment le MPO estime-t-il la taille de la population de phoque gris?
Mme Iverson : Le MPO y arrive en se servant du nombre de naissance, ce qui permet d'estimer le nombre de femelles. Je ne suis pas spécialiste, mais le MPO le fait en utilisant le nombre annuel de naissances sur l'île de Sable et dans le golfe.
Le sénateur Cochrane : Des dénombrements aériens sont-ils utilisés?
Mme Iverson : Oui, c'est le cas. Il y a des relevés aériens pour compter le nombre de petits, parce que c'est difficile de dénombrer autrement l'ensemble de la population, mais les modèles sont assez perfectionnés. En ce qui concerne le plateau néo-écossais, nous croyons que les estimations sont très fiables.
Pour répondre à votre question, il est important de ne pas oublier qu'avec la réduction de la population de morue en raison de la pêche, cet important rejet de poisson proie a fourni une abondance de nourriture pour le phoque gris. À mon avis, voilà ce qui explique cette croissance.
Le sénateur Cochrane : Croyez-vous que le phoque gris est le principal prédateur de la morue?
Mme Iverson : Non. Je ne le pense pas. Comme la plupart d'entre nous le savent, les grosses morues sont largement les principaux prédateurs des petites morues. Les poissons sont largement les principaux prédateurs des autres poissons.
Le président : Nous aimerions certainement remercier les témoins. Vous nous avez donné d'excellents renseignements qui stimuleront les discussions au sein du comité. Merci d'avoir pris le temps de venir témoigner ce matin devant le comité.
Honorables sénateurs, j'aimerais profiter de l'occasion pour encore une fois souhaiter la bienvenue aux représentants de la Fédération des pêcheurs de l'Est. Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation.
Nous vous donnerons l'occasion de vous présenter, de nous dire brièvement ce que vous faites et de faire votre exposé. Ensuite, les sénateurs vous poseront des questions pour recueillir vos réactions. Cela étant dit, que celui qui veut se jeter à l'eau en premier le fasse.
John Levy, secrétaire, Fédération des pêcheurs de l'Est : Je m'appelle John Levy et je représente la Fédération des pêcheurs de l'Est. Je suis aussi président de la Fishermen and Scientists' Research Society. J'accomplis beaucoup de travaux coopératifs dans le domaine de la science de la mer. Je passe aussi du temps en mer. J'ai une entreprise en lien avec le poisson, et je pêche aussi du poisson. Je suis donc aux premières loges pour voir ce qui se passe en mer.
Ronnie Heighton, membre du conseil, Fédération des pêcheurs de l'Est : Bonjour. Je m'appelle Ronnie Heighton. Je suis aussi membre de la Fédération des pêcheurs de l'Est. Je suis président de la Northumberland Fishermen's Association, du Gulf Fleet Planning Board, et je suis également vice-président du Conseil canadien des pêcheurs professionnels. Je pêche dans le détroit de Northumberland qui se trouve tout juste à l'ouest de Pictou, où le traversier relie la province à l'Île-du-Prince-Édouard.
Wilford D. Smith, membre du conseil, Fédération des pêcheurs de l'Est : Je m'appelle Wilford Smith. Je suis membre de la Fédération des pêcheurs de l'Est. Je suis pêcheur depuis 49 ans. J'ai constaté un important déclin dans les stocks de morue, lorsque les phoques gris sont arrivés il y a 20 ans.
Le sénateur Cochrane : D'où venez-vous, Wilford?
M. Smith : Sou'western, en Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Cochrane : Southwestern, en Nouvelle-Écosse.
M. Smith : Oui, le comté de Shelburne.
Le président : Allez-y.
M. Levy : Je viens de la côte sud de la Nouvelle-Écosse, de la région de Chester, si vous ne le saviez pas. Je ferai l'exposé, puis nous poursuivrons la séance.
Au nom de la Fédération des pêcheurs de l'Est, nous tenons à vous remercier de nous donner l'occasion de vous faire part de nos préoccupations concernant les phoques gris et leurs effets sur notre secteur. Plusieurs d'entre nous dans l'industrie de la pêche participent depuis longtemps à des discussions sur la population croissante de phoques gris. C'est un sujet qui refait surface souvent dans notre secteur et le milieu gouvernemental. Or, pendant que nous discutons des mesures à prendre, la population de phoques gris augmente et s'étend. Cet aspect a un important effet négatif sur nos stocks de poisson sauvage. En vue de freiner la croissance de la population, il faut prendre des mesures; nous n'avons pas le temps de faire de longue réflexion pour trouver des solutions, si nous souhaitons réduire le nombre de phoques gris et reprendre le terrain perdu.
À la fin des années 1990, des inquiétudes ont été soulevées concernant le nombre de phoques gris dans le golfe du Saint- Laurent devant le Comité consultatif sur le phoque de l'Atlantique. À cette époque, bon nombre de membres n'étaient pas touchés par le problème, et nous avions du mal à faire inclure ce point à l'ordre du jour. Si nous le demandions aujourd'hui aux membres du comité, ils seraient tous ravis de le faire, parce que les effets des colonies se sont fait sentir sur pratiquement l'ensemble du Canada atlantique.
La Fédération des pêcheurs de l'Est a fait de nombreuses représentations au fil des ans au sujet des phoques. La dernière représentation formelle a eu lieu en septembre 2001 devant le groupe d'experts sur la gestion des phoques. L'objectif avoué du groupe, d'après son mandat, était :
D'évaluer l'état actuel des connaissances scientifiques et de formuler des avis sur une stratégie à long terme en matière de gestion des populations de phoque dans le Canada atlantique
À la suite du rapport du groupe d'experts, on constate qu'en dépit du travail réalisé et des conclusions, aucune action n'a été prise pour recueillir les renseignements que le groupe croyait nécessaires pour mettre des projets de gestion à l'avant-plan. Nous avons eu une décennie pour mettre en œuvre les recommandations. Encore une fois, rien n'a été fait.
En février 2004, le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques a affirmé qu'il « a donné son appui aux propositions visant à entreprendre une chasse limitée des phoques gris. » Encore une fois, en 2011, le CCRH a soulevé le problème continu de la prédation par les phoques des stocks de poisson de fond. Dans les deux cas, on n'a largement pas tenu compte du conseil.
Il y a eu un groupe de travail sur les phoques gris et les interactions entre les phoques et les pêches. Ce groupe était composé du MPO, de l'industrie et du gouvernement provincial. Nous savons aussi que les conclusions clés du groupe de travail concernent des lacunes dans les connaissances scientifiques concernant les interactions entre les phoques gris et les espèces de poisson ayant une valeur économique importante. Même si cette lacune a été déterminée, le manque de financement a fait en sorte que les travaux en sont restés là.
Nous savons que la population de phoque gris est robuste et croissante. Cette constante augmentation des populations a un effet négatif non seulement sur les stocks de poissons de fond, particulièrement la morue, mais aussi sur le secteur des produits de la mer dans l'ensemble de la région de l'Atlantique. Tous les intervenants ont conclu qu'il est maintenant nécessaire de protéger et de rétablir les stocks de poissons de fond et peut-être d'autres espèces. Or, les décideurs sont réticents à passer à l'autre étape, à agir.
Le MPO a brièvement examiné les effets sur le rétablissement des stocks de morue, mais ce n'est qu'un petit aspect de la discussion. Les statistiques actuelles du MPO indiquent une augmentation. Il y avait environ 10 000 phoques gris à la fin des années 1960, alors qu'on en comptait plus de 400 000 en 2010. Ce fait devrait être suffisant pour convaincre les décideurs que la situation a longtemps été laissée à elle-même et qu'elle requiert une action immédiate. Si rien n'est fait dans les 10 prochaines années, dans quelle situation nous retrouverons-nous?
Dans le rapport du groupe d'experts sur la gestion du phoque, David Vardy a donné certaines statistiques sur la prédation par les phoques dans une lettre adressée à la présidence :
Au Canada atlantique, on estime à plus de quatre millions de tonnes le total des proies prises par les phoques en 1996 (Hammill et Stenson, 2000), dont plus de trois millions de tonnes de poissons et un peu moins d'un million de tonnes d'invertébrés. On considère que le capelan est la proie principale, suivi du lançon, des Pleuronectidae — diverses espèces de poissons plats —, du flétan noir, de la morue de l'Atlantique, de la morue de l'Arctique et du sébaste. Pour le capelan, on évalue la prise à plus d'un million de tonnes. Les estimations de Hammill et Stenson contenues dans leur document de 2000 ont depuis fait l'objet de révisions, dont beaucoup sont décrites dans notre rapport, surtout celles qui concernent la morue de l'Atlantique.
Ces statistiques brossent un tableau très précis du problème de la prédation par la population de phoques et sont un très fort indicateur de la contribution des phoques au déclin des poissons de fond.
Une étude intitulée Impacts des phoques gris sur les populations de poissons dans l'Est du Canada est de nouveau avancée par le secteur des sciences du MPO, qui comprend la région de la capitale nationale, Terre-Neuve-et-Labrador, le golfe, le Québec et les Maritimes. L'étude a été terminée à la fin de 2010. Encore une fois, les scientifiques se penchent sur la nécessité de mener une étude sur les quotas adéquats pour permettre un abattage sélectif efficace, de même que sur d'autres facteurs clés liés à la prédation des espèces de poissons de fond dans la région du golfe, surtout la morue.
En tant que pêcheurs, nous nous attendons à ce qu'il y ait toujours des espèces de poissons de fond. Au fil du temps, les phoques continuent d'amoindrir notre espoir de rétablir ces stocks fragiles. Nous savons aussi qu'ils ont commencé à consommer d'autres espèces. Les pêcheurs de hareng ont signalé une augmentation de la population de phoques gris qui entravent aussi les activités quotidiennes des pêcheurs de homard.
Maintenant que le MPO utilise activement une approche préventive en matière de gestion des pêches, il devrait appliquer le principe fondamental qui, selon ses propres documents, indique :
En vertu de l'approche de précaution, en cas de risques de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l'environnement.
Si cette approche était vraiment appliquée et utilisée pour le phoque gris, des mesures auraient été prises il y a plus d'une décennie pour protéger les autres espèces vulnérables.
L'expérience a démontré que cela ne s'était pas avéré assez viable pour permettre la chasse légitime. Selon les statistiques du MPO, 1 472 phoques gris ont été prélevés en 2008; 254 en 2009; et seulement sept en 2010. À la fin des années 1990, l'industrie a constaté que le phoque gris devenait un très grave problème, et ce, à une vitesse très alarmante. Un groupe de travail composé de pêcheurs et de scientifiques a été créé et beaucoup d'énergie a été consacrée à la recherche de marchés pour les peaux, la mise en œuvre d'une chasse responsable et l'étude d'autres options. Le groupe s'est aussi penché sur d'autres méthodes de réduction du cheptel.
Malheureusement, malgré tous les efforts du groupe, il n'y avait pas assez de débouchés pour aller de l'avant. Il était difficile d'organiser le tout et les pressions continues visant à pénaliser le Canada pour toute forme de chasse ont eu raison de nos meilleures intentions. Pendant ce temps, la population a continué à croître.
La chasse commerciale ne peut être un succès en raison des ramifications internationales et de l'explosion de la population du phoque gris. En conséquence, pour s'assurer de contrôler la population avant qu'elle ne cause une plus grande dégradation de l'environnement, on devrait envisager un abattage sélectif généralisé mené dans le cadre d'un régime de gestion rigoureux et bien organisé.
L'industrie est consciente qu'il existe beaucoup de facteurs qui rendent plus complexe toute discussion sur l'abattage sélectif. Les attentes sociales par rapport aux phoques, le débat scientifique continu et le fait que les pêcheurs comme nous sont de plus en plus conscients de l'existence d'un problème qui n'est toujours pas maîtrisé et qui entraîne de graves répercussions sur notre environnement sont des facteurs qui ont mené à de nombreuses discussions et, encore une fois, à l'inaction.
Ceux parmi nous qui sont favorables à un abattage sélectif bien géré continuent d'être ciblés par les défenseurs des droits des animaux. L'industrie de la pêche ne jouit pas de l'appui financier et de la richesse dont disposent ces groupes. Leur message fait en sorte qu'il est souvent difficile, voire impossible, de se faire entendre des décideurs qui craignent la réaction du public qui pourrait découler de tout écart par rapport à la position des groupes de défense des droits des animaux. Dans la plupart des cas, les groupes de défense des droits des animaux ont gêné les efforts des organismes du secteur de la pêche visant à mettre en place une gestion ordonnée de la réduction de la population de phoques.
Ce même problème d'interaction a hanté les discussions sur le phoque gris relativement à la façon de contrôler l'explosion de sa population. Encore une fois, pendant qu'en étudiait un plan, le cheptel du phoque du Groenland a augmenté à plus de 10 millions de bêtes et maintenant, il est probable que nous ne verrons jamais assez de mesures pour régler les problèmes que cela a entraînés dans l'écosystème marin.
Denny Morrow, qui a représenté le Groupe de travail sur le phoque gris, a été cité ainsi lors d'une réunion du CCRH, en 2010 :
Ces 30 dernières années, tandis que le cheptel décuplait, nous avons vu la morue et d'autres espèces de poissons plats disparaître complètement de régions où on les trouvait autrefois en abondance. Nous avons vu cette désolation s'étendre vers l'est, à partir des eaux entourant l'île de Sable, jusqu'au Cap-Breton et maintenant vers l'ouest, dans la partie est de la zone 4X et le golfe du Maine.
Il a ajouté :
Je ne m'avancerai pas sur une estimation du tonnage, mais je dirai que les pêcheurs de la région de Scotia Fundy savent ce qu'ils voient et le sentiment général, c'est qu'en raison du niveau actuel de la population des phoques gris, nous ne rétablirons jamais les stocks de morue et d'autres espèces de poissons plats dans cette région.
Nous avons participé à des études, des forums, des projets scientifiques — et la liste se poursuit — pour nous assurer de prendre des décisions et des mesures responsables. Nous sommes conscients que toute décision doit être justifiable tant sur le plan de la gestion que du public. Cependant, nous ne pouvons pas continuer à nous complaire dans l'indécision. Nous devons essayer de réduire la population à des niveaux plus faciles à gérer si nous voulons avoir le moindre espoir de rétablir les stocks de poissons les plus touchés par le phoque gris. Comme vous pouvez le constater, cela n'a pas mené à des mesures concrètes utiles pour nos eaux côtières maintenant infestées de phoques gris.
Pendant la période des questions, nous espérons pouvoir vous parler ouvertement de certaines de nos observations et de nos constantes préoccupations; nous voulons aider le comité à comprendre la gravité de la situation. Nous maintenons que l'action est la clé. Nous ne pouvons pas étudier la question perpétuellement pour chercher des solutions.
Je parle en mon nom personnel, John Levy, et au nom de Ronnie Heighton, Wilford Smith et de l'ensemble de la Fédération des pêcheurs de l'Est.
Le président : Merci beaucoup de votre exposé. Le sénateur Hubley sera le premier intervenant.
Le sénateur Hubley : Soyez tous les bienvenus. Je vous remercie de vous être déplacés de vos collectivités pour venir nous donner des renseignements sur la pêche. Comme vous le savez, nous avons obtenu des données scientifiques de Pêches et Océans Canada et de l'Université Dalhousie, et nous accueillons maintenant les pêcheurs.
Monsieur Levy, une des choses que vous avez mises en lumière dans votre exposé d'aujourd'hui est l'inaction. Vous avez aussi fait remarquer que dans une certaine mesure, les groupes de défense des animaux ont joué un rôle à cet égard, ce qui remonte, évidemment, au moment où on a brossé sur la scène internationale un tableau inexact de la chasse au phoque. Cela a sans doute causé un grand tort à une industrie qui peut et devrait être viable, mais qui doit aussi être bien gérée et exploitée. Quelles recommandations le comité devrait-il étudier tandis que nous essayons de présenter un point de vue sur la réduction de la population de phoques qui conviendra peut-être à la communauté internationale? Je crois que c'est à tort qu'on a accolé cette réputation au Canada. Je suppose que les Canadiens comprennent la relation qui existe entre gagner sa vie, avoir des industries durables et avoir des gens responsables qui œuvrent au sein d'une industrie précise. Je pense que l'Europe est probablement légèrement différente. Pendant une réunion précédente, on a fait remarquer que notre principal problème se situera à l'échelle internationale et, manifestement, c'est le cas. Pour que cela change, il faudra considérer le phoque comme une ressource et une industrie qui peut apporter la prospérité à nos collectivités locales et aux pêcheurs de la région. Je me demande simplement si vous pourriez faire des commentaires à ce sujet ou nous dire quelle recommandation nous devrions faire pour contribuer à atténuer les réactions négatives de la communauté internationale par rapport à ce qui est, en somme, un problème canadien.
M. Levy : Eh bien, par rapport au phoque gris, le problème avec lequel nous sommes aux prises actuellement est un problème canadien. C'est un problème du Canada atlantique.
Premièrement, j'aimerais dire que souvent, les pêcheurs sont essentiellement décrits comme des rednecks des mers. Si on peut abattre un phoque ou en attraper un, soit. Cependant, ce n'est pas vrai du tout. Je fais partie de l'équipe de rétablissements de la baleine noire de l'Atlantique Nord. J'ai travaillé avec beaucoup de défenseurs des droits des animaux pour tenter de sauver les baleines et si je croyais que le phoque gris était menacé, je serais un des premiers à prendre position et à essayer de le protéger. Je suis ainsi fait, comme beaucoup d'autres personnes, d'ailleurs.
La première chose qu'il faut démontrer, c'est que les pêcheurs n'essaient pas de réduire quelque chose qui n'a pas besoin de l'être. Ce n'est absolument pas le cas. Dans les années 1970, par exemple, il y avait seulement des dizaines de milliers de phoques gris, et il y a tout de même eu un abattage sélectif, des années 1960 aux années 1980. À cette époque — lorsque le nombre de phoques était peu élevé —, le MPO organisait un abattage sélectif pour réduire la population de phoques parce qu'on croyait qu'ils nuisaient aux stocks de poissons. Or, nous sommes en 2012 et on trouve près de 400 000 phoques dans des secteurs où ils n'avaient jamais été présents auparavant.
De toute évidence, en guise d'explication, des gens ont utilisé des renseignements anecdotiques selon lesquels le phoque gris, il y a des centaines, des centaines d'années, était présent dans l'ouest de la Nouvelle-Écosse. Eh bien, je ne connais pas la situation qui prévalait il y a des centaines d'années. Je n'y étais pas. Nous sommes ici, maintenant. S'ils ont déjà été ici, l'écosystème s'est adapté à ce qu'on y trouve actuellement. Les phoques sont présents dans des secteurs où ils ne l'étaient pas habituellement, du moins au cours des cent dernières années. Il s'agit d'une espèce envahissante. Ils perturbent l'écosystème. Comment l'expliquer à un Européen — ou à qui que ce soit — dont l'idée est déjà toute faite? Les arguments ou les preuves que vous avancez n'ont aucune importance. Cela pourrait être les meilleures données du monde, mais si quelqu'un a déjà toutes sortes d'idées en tête, tout renseignement que vous lui donnerez ne fera que passer tout droit. Les choses sont ainsi faites. Ce n'est pas comme si les Européens ne réduisaient pas la population de certaines espèces lorsqu'elle explose. Prenez l'exemple du rat musqué et des digues. Dans toute l'Europe, on cible beaucoup d'espèces et on en réduit la population; donc, je ne comprends pas. Il n'y a pas de mal à ce que les Européens réduisent la population de certaines espèces pour rétablir l'équilibre et ainsi protéger leur écosystème et leur environnement, tandis qu'au Canada, il est mal de réduire les populations lorsqu'il y a un déséquilibre. Je ne comprends pas cela. C'est tout simplement illogique. Lorsque les gens reviennent et disent que le Canada ne devrait pas le faire parce que... c'est de l'hypocrisie. Voilà ce que j'en pense.
Le sénateur Harb : Merci beaucoup. Je vous remercie de votre exposé.
Vous semblez partir de l'hypothèse selon laquelle la morue connaîtra un rétablissement si le gouvernement décide d'aller de l'avant avec l'idée d'abattre les phoques. Un peu avant votre arrivée, nous avons entendu les témoignages d'éminents scientifiques qui nous ont des contraires. En fait, ils nous ont dit que la recherche démontrait que les phoques mangent d'autres espèces de poissons et que ce sont ces autres espèces qui mangent la morue. Autrement dit, ils nous disent qu'on pourrait avoir un effet contre-productif. Si vous abattez les phoques, vous ne contribuerez pas à protéger la morue. En réalité, la population de hareng pourrait augmenter, de sorte que vous pourriez réduire encore davantage les stocks. Qu'avez-vous à dire à ce sujet?
M. Levy : Je suis heureux que vous l'ayez mentionné, car voici un exemple parfait : la morue se nourrit de hareng, les phoques se nourrissent de hareng. Les stocks de hareng sont décimés. Les quotas continuent d'être réduits. Actuellement, il y a des zones de frai du hareng ou la pêche est interdite parce qu'il ne reste plus de hareng. Si quelqu'un affirme que la morue et le phoque se nourrissent de... et c'est ce qu'on tente... j'accomplis aussi beaucoup de travaux coopératifs dans le domaine de la science de la mer. J'ai étudié la question en profondeur. Essentiellement, ces gens disent que la morue de petite taille ou à l'état larvaire est la proie du hareng. Quand elle grossit, les rôles sont inversés. Eh bien, comme la morue et d'autres espèces, les phoques gris se nourrissent aussi de hareng. Bien entendu, lorsqu'elle atteint une certaine taille, la morue n'a d'autres prédateurs que le phoque gris et les pêcheurs. Or, la nourriture de la morue est décimée par la pêche de même que par le phoque gris. Les pêcheurs ont été retirés de certaines zones. Il n'y a plus de poisson. Les larves ou les morues de plus petite taille ne sont plus la proie du hareng parce que les stocks de hareng sont en péril. Ils sont décimés. La personne qui a dit cela ne présente pas bien les faits.
M. Heighton : J'aimerais aussi faire un commentaire à ce sujet. Je viens de la région du golfe. Les scientifiques du secteur des sciences du MPO pour la région du golfe ont affirmé que le phoque gris nuit au rétablissement des stocks de morue dans le sud du golfe du Saint-Laurent. Je dirais que certains de vos scientifiques venaient probablement de la région de Scotia Fundy, mais la situation dans le golfe est toute autre.
Le sénateur Harb : Aucun scientifique qui a témoigné devant le comité ne nous a dit que le régime alimentaire du phoque gris... cela ne dépasse pas 25 p. 100 du régime alimentaire. C'est un pourcentage maximal. En fait, les scientifiques qui ont témoigné plus tôt nous ont dit que la morue ne représente que 3 p. 100 du régime alimentaire du phoque gris. Ils en ont la preuve.
C'est vraiment important. Les politiciens ne vous disent pas la vérité, la vérité toute nue, qui est le fait que l'épuisement des stocks de morue est attribuable à notre rôle de prédateur, à la surpêche. Nous avons surexploité le stock à un point tel qu'un scientifique d'un institut très connu — la Société royale du Canada, je crois — nous a dit que lorsqu'un stock atteint un certain seuil d'épuisement, il est fort probable que le stock ne se rétablira pas, peu importe ce que vous ferez. En tant que politiciens, nous devons réexaminer la politique pour savoir de quelle façon aborder cette question plutôt que de vous donner l'impression que si nous abattons 73 000 phoques gris, vous serez entre bonnes mains. La vérité, c'est que vous avez un problème et que nous devons le régler. Nous ne le réglons pas vraiment pour vous et c'est pourquoi vous êtes frustrés. Je peux le comprendre.
M. Smith : Combien de jours ce scientifique a-t-il passés en mer? Comme je l'ai dit, j'ai été en mer pendant 49 ans. Il y a 20 ans, la pêche se portait bien. Si nous avions jeté l'ancre près d'un banc de poissons et que nous pratiquions la pêche à la ligne à main — c'est-à-dire en utilisant un hameçon — et que le poisson disparaissait soudainement, voilà que faisait surface un phoque, une grosse morue dans la gueule.
La raison pour laquelle les phoques ont un certain pourcentage de morue dans leur régime alimentaire, c'est principalement parce que la seule partie de la morue ou de n'importe quel poisson de fond qu'ils mangent est l'estomac. La seule chose qu'ils veulent, c'est le foie et ce genre de choses. Le phoque mangeait lestement, replongeait et revenait avec un autre poisson.
Comme je l'ai dit, cela s'est produit il y a environ 20 ans. À compter de ce moment-là, nos stocks de morue et de poissons de fond ont commencé à diminuer et la population du phoque gris a commencé à augmenter.
Donc, oui, en ma qualité de pêcheur qui connaît les faits pour avoir été en mer et avoir constaté ces choses, si la population du phoque gris est réduite à son niveau antérieur, nos stocks de morue et de hareng se rétabliront. Les phoques ne se nourrissent pas seulement de morue, mais de toutes les espèces de poissons de fond : la goberge, l'aiglefin, la morue, le hareng et le maquereau. Ces 15 dernières années, je n'ai pas réussi à pêcher un maquereau ou un hareng dans mon port d'attache à cause du phoque gris. Ils éloignent des côtes ce qu'ils ne mangent pas.
Un autre facteur qui explique pourquoi nous avons ce problème par rapport aux phoques gris, c'est que les entreprises et les navires de l'étranger ont plus ou moins réduit les populations de tous les prédateurs naturels du phoque, c'est-à-dire de l'épaulard, du requin blanc et du requin mako. Les prédateurs naturels du phoque ne sont plus là, ce qui contribue aussi à l'augmentation de la population du cheptel.
En tant que pêcheur qui connaît le fait, je dirais que le stock de morue et tous les stocks de poissons se rétabliraient si la population du phoque gris est réduite.
M. Levy : J'ai aussi un esprit scientifique. Par conséquent; je n'écoute pas une personne en particulier. La moitié du temps, je n'écoute certainement pas les politiciens, mais je m'assure de connaître les faits. Lorsque je me penche sur une question, j'examine les faits, et les voici.
En 1992, la zone 4VsW a été entièrement fermée en raison de la faible biomasse de morue. Il n'y a eu absolument aucun effort de pêche à la morue dans toute cette zone immense. Lorsque la pêche a été interdite, la biomasse de morue était encore appréciable. Nous voici en 2012. Il y a moins de morue dans cette zone — et je parle de centaines et de centaines de milles carrés — qu'il y en avait lorsque la pêche a été interdite en 1992. La seule chose qui a changé, c'est qu'on n'y pratique pas la pêche parce que les pêcheurs n'ont pas le droit de capturer une seule morue. Toutefois, le cheptel de phoques gris a plus que quadruplé. Voilà les faits. Il n'y a aucune activité de pêche. Les pêcheurs ne sont pas autorisés à aller dans cette zone. Encore une fois, j'examine les faits. Je n'écoute pas les gens; je ne tiens compte que des faits.
Le sénateur Cochrane : Je vous remercie de votre exposé; je vous en suis vraiment reconnaissante. Vous êtes si franc.
Aujourd'hui, les premiers témoins étaient les représentants du MPO. Ils nous ont dit qu'une date avait été fixée pour la chasse au phoque de cette année. Il semble que des groupes de gens se sont récemment rencontrés pour discuter de la façon dont ils vont régler le problème des phoques qui, apparemment, se nourrissent de morue. D'après ce que j'ai compris, aux fins de l'analyse du problème de la population du phoque gris, on prélèvera notamment les crânes de phoques.
Il y aura aussi autre chose. On va abattre des phoques sur la terre ferme ou en eau libre. Je crois que c'est ce que j'ai écrit. Quoi qu'il en soit, il y a un autre problème.
Y en a-t-il parmi vous qui ont assisté à cette réunion pour essayer de résoudre le problème de la population de phoques qui élimine la morue?
M. Levy : Je suppose qu'il s'agit de la réunion du Comité consultatif des phoques de l'Atlantique; est-ce bien ce dont vous parlez?
Le sénateur Cochrane : Probablement. Je ne suis pas certaine du nom qu'on lui donne.
M. Levy : Pardon?
Le sénateur Cochrane : C'est ce que le ministère a décidé pour cette année, en effet.
Y a-t-il d'autres aspects que vous pourriez présenter qui nous aiderait à régler le problème ou, à tout le moins, à cerner le problème et à intervenir?
M. Heighton : Il y a 15, 16 ou 17 ans, j'ai assisté à une réunion du Comité consultatif du phoque de l'Atlantique, et il n'était même pas question du phoque gris à l'époque. Puisque cette espèce accapare aujourd'hui environ le tiers de l'attention du comité, on constate à quel point elle a gagné en importance.
J'ai discuté avec de nombreux représentants de l'industrie de la pêche en Islande, et ils semblent tous me raconter la même histoire. Quand les stocks de morue du pays ont commencé à diminuer, on a procédé à l'abattage de phoques, après quoi la population de l'espèce s'est reconstituée. Le Canada aurait peut-être intérêt à s'inspirer des mesures prises ailleurs et des effets positifs de l'abattage sur le renouvellement des stocks de poissons. Il est peut-être temps que le Canada suive les traces d'autres pays.
Le sénateur Cochrane : L'a-t-on fait?
M. Heighton : Pas à ma connaissance.
Le sénateur Cochrane : Est-il trop tard?
M. Heighton : Je ne crois pas. Il n'est jamais trop tard.
Le sénateur Cochrane : En tout cas, votre problème m'inquiète beaucoup. Je me fais du souci pour les pêcheurs en particulier puisqu'il s'agit de leur gagne-pain.
John, je suis tout à fait d'accord sur ce que vous avez dit dans votre exposé. Merci.
M. Smith : Puis-je ajouter quelque chose?
Vous avez demandé s'il était trop tard. Je ne crois pas que ce soit le cas au sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, car l'industrie de la pêche à la morue y est toujours active. Mais si le problème persiste... Chaque année, nos quotas diminuent encore et encore. Il n'est donc pas trop tard. Si des mesures sont prises dès maintenant, je pense que nos stocks pourraient se reconstituer après trois à cinq ans. Je ne crois pas qu'il soit trop tard.
M. Levy : Certains affirment que l'analyse d'échantillons a révélé que la morue ne compte que pour 3 p. 100 de l'alimentation du phoque gris. À vrai dire, j'ai participé à ces recherches pendant un certain nombre d'années, et les échantillons en question ont été prélevés dans les environs de l'île de Sable. Puisqu'il ne reste plus de morue dans ce secteur, il est naturel que ce poisson représente un pourcentage vraiment minime de l'alimentation du phoque gris. Si je me nourris exclusivement de porc, mais que vous cherchez soudainement du poulet dans mon système digestif, vous n'en trouverez pas si je n'en ai pas sous la main. Il en va de même pour les phoques gris à proximité de l'île de Sable.
Les pêcheurs ont demandé aux chercheurs de répéter l'exercice au large de l'île du Cap-Breton, là où il y a encore de la morue. Après avoir prélevé des échantillons sur des phoques gris de cette région, les chercheurs ont découvert que la morue représente bien plus de 50 p. 100 de leur alimentation. On ne peut naturellement pas retrouver de la morue dans l'alimentation des phoques en prélevant des échantillons dans une zone où les stocks de poisson sont épuisés. C'est simplement une question de bon sens. Mais l'information est présentée sans que personne n'explique la provenance des échantillons. On ne dit pas de quelles espèces le phoque se nourrit. On rapporte tout simplement des faits qui peuvent ensuite être manipulés très facilement.
Le sénateur MacDonald : Messieurs, je vous remercie de votre témoignage.
Quelques habitants de Louisbourg, ma ville natale, portent le nom Levy. Au début du siècle, bien des gens de la rive sud sont venus s'établir dans le nord de l'île. À l'époque, je crois toutefois que la pêche n'était qu'un secteur secondaire et que la contrebande d'alcool était la principale industrie. Nombreux sont ceux qui ont fait fortune grâce à cette activité.
Messieurs, je suis ravi que vous soyez ici. Grâce à leur expérience concrète, ceux qui ont passé leur vie en mer, comme bien des membres de ma famille, savent ce qui ne pourra jamais être remplacé. Vous avez avancé un argument percutant. J'aurais dû soulever la question plus tôt. J'étais au courant, mais je n'ai pas saisi l'occasion.
Les pêcheurs, et surtout ceux de l'île du Cap-Breton, racontent notamment que les phoques ne mangent que la partie inférieure de la morue. Ils tuent le poisson même s'ils n'en consomment que 10 p. 100. Or, je pense que les études scientifiques n'en tiennent pas compte.
Vous avez également parlé des échantillons prélevés là où il n'y avait pas de morue. Un animal mange naturellement ce qui est à sa portée; cela ne fait aucun doute. J'ai du mal à croire qu'un pinnipède puisse laisser passer toutes les morues en attendant de tomber sur un hareng. Je suis certain qu'il se mettra tout ce qu'il attrape sous la dent.
Puisque vous avez passé beaucoup de temps en mer, j'aimerais que vous me parliez de votre expérience directe non seulement des morues dévorées partiellement, mais aussi de la présence accrue de parasites et de vers dans la morue. J'aimerais savoir comment se porte aujourd'hui la morue du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse comparativement à celle que vous pêchiez il y a 40 ans.
M. Smith : Je suis ravi que vous posiez la question. Comme je l'ai dit, j'ai passé 49 ans en mer. À mes débuts, on ne retrouvait jamais un vers dans un poisson, peu importe l'espèce. Je n'avais même jamais rien entendu de tel. Mais depuis 15 ou 20 ans, les morues... à vrai dire, je n'en rapporterais même pas chez moi tellement elles fourmillent de vers.
Le sénateur MacDonald : En effet.
M. Smith : Nous attrapons beaucoup de chabots pour appâter le homard, et lorsque nous les dépeçons, nous constatons qu'ils sont complètement rongés par les vers.
Le sénateur MacDonald : Des chabots?
M. Smith : Des chabots qui fourmillent de vers. Eh bien, de quoi d'autre pourraient-ils se nourrir? Tous nos poissons de fond sont infestés de vers semblables. Ceux-ci ont commencé à s'attaquer à la morue il y a 15 ou 20 ans; on pouvait alors en trouver un ou deux en dépeçant un poisson, alors qu'aujourd'hui, un seul poisson peut en contenir 50 ou 60. Toutefois, je n'en avais encore jamais vu dans l'aiglefin, mais il faut désormais être très attentif, car les vers ont commencé à s'y attaquer.
Le sénateur MacDonald : À l'aiglefin?
M. Smith : Puisque tous les poissons de fond fourmillent de vers, on craint fort que les quelques poissons qui restent ne puissent être commercialisés.
Le sénateur MacDonald : Tous ces poissons se nourrissent du fond marin, n'est-ce pas?
M. Smith : Oui.
J'aimerais ajouter une chose. Nous pêchons aussi le flétan. Or, il est désormais pratiquement impossible de le faire, car dès que le poisson mord à l'hameçon et qu'il remonte la ligne-mère, les phoques l'attaquent, lui dévorent l'estomac et lui arrachent la peau. Les flétans ne sont alors plus commercialisables. Les phoques détruisent un produit de grande valeur qui pourrait être vendu. L'autre jour, un homme m'a avoué avoir réussi à sortir de l'eau un seul flétan intact sur 14. Les phoques sont nuisibles à ce point.
Le sénateur MacDonald : Je me demande dans quelle mesure les vers s'attaquent aux stocks de poisson. J'ai toujours beaucoup aimé tous les poissons plats, comme la limande à queue jaune, la plie et la plie grise. Par curiosité, ces poissons sont-ils détruits par les parasites ou infectés de vers, d'après vos observations?
M. Levy : À vrai dire, je peux vous répondre à titre personnel. Il y a deux ou trois ans, je présidais la Grey Seal Research and Development Society, et je suis aujourd'hui le président de la Fishermen and Scientists Research Society, comme je l'ai dit. Nous travaillons à partir de données scientifiques. La société n'a rien d'un groupe de pression. L'ensemble de nos travaux repose sur des faits et des données scientifiques.
Il y a 20 ans, nous avons fait appel à un expert du ver marin pour étudier la présence du parasite du phoque gris chez la plie canadienne. Il s'agit d'une variété de poisson plat, auquel nous nous intéressions, et il en existe beaucoup d'autres, comme vous le savez. Quoi qu'il en soit, c'est le seul poisson qui a fait l'objet d'une étude à l'époque. Nous avons récemment eu recours au même spécialiste. Nous avons même investi pour effectuer nos propres recherches. Or, l'expert n'arrivait pas à croire la quantité de vers du phoque gris qui se trouvaient dans les plies canadiennes que nous venions de capturer comparativement à celles attrapées dans le même secteur environ 20 ans plus tôt. Nous avons essayé de reproduire le plus fidèlement possible l'étude que nous avions réalisée à l'époque. Il n'arrivait pas à croire cette croissance fulgurante; c'était tout simplement phénoménal. Même un expert du vers n'en croyait pas ses yeux. Alors oui, les vers s'en sont bel et bien pris au poisson plat.
M. Heighton : J'ai passé près de 30 ans à sillonner le détroit de Northumberland à bord d'un chalutier en traînant un filet sur le fond marin pour attraper des plies. Il y a environ 10 ans, le troupeau de phoques s'est mis à grossir, et toutes les espèces de plies — la limande à queue jaune, la plie rouge, la plie canadienne et la plie grise — ont commencé à disparaître. Les poissons de fond disparaissaient au rythme de la croissance de la population de phoques. Il y a environ 10 ans, nous avons donc fini par ne plus attraper suffisamment de poissons pour payer l'essence.
Dans le secteur, nous ne pêchons plus le poisson de fond ou la plie depuis une décennie. Personne ne les embête. Les rares pêcheurs qui ont tenté leur chance depuis sont revenus bredouilles. Il ne reste plus rien. La dévastation de notre secteur a commencé avec la morue, puis la merluche blanche a disparu. Il n'en reste plus du tout. La plie rouge a elle aussi disparu, de même que la limande à queue jaune, la plie grise et la plie canadienne. Les phoques de notre secteur s'attaquent désormais au crabe commun.
Derrière moi se trouve le scientifique Mike Hammill. Il peut vous confirmer qu'une grande proportion de crabes à carapace molle a été retrouvée à l'automne dans l'estomac des phoques de mon secteur. Notre pêcherie est menacée sur plusieurs fronts. Si aucune mesure considérable n'est prise d'ici quelques années, je ne vivrai pas assez longtemps pour assister au retour de la pêche du poisson de fond dans le détroit de Northumberland
Le sénateur MacDonald : Vous connaissez tous le corégone de la rivière Tusket et de l'Atlantique, une espèce en danger de disparition — je sais qu'il s'agit d'une petite espèce. J'aimerais simplement savoir ce que vous savez de sa population et de son infestation de parasites. Avez-vous des commentaires à ce sujet? Connaissez-vous ce poisson?
M. Levy : Je connais bien l'espèce, mais pas vraiment par rapport au phoque. Comme je l'ai dit, je m'intéresse aux faits, et je peux vous donner des explications d'après mon expérience en mer, mais je n'ai aucune donnée à ce sujet.
Le sénateur MacDonald : Très bien. Je voulais simplement poser la question.
Le président : Je vous remercie de votre témoignage.
M. Smith : Puis-je ajouter un dernier commentaire?
Nos collectivités disparaissent au même rythme que la pêche. Le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse dépend entièrement de cette industrie.
Le président : Merci beaucoup.
Avant que nous passions au prochain groupe d'experts, j'aimerais aviser les sénateurs que des représentants des médias assistent à la séance. Afin de bien faire les choses, l'un d'entre vous pourrait-il proposer une motion leur permettant de filmer ou de prendre des photos discrètement pendant les audiences? Si tout le monde est d'accord, je vous invite à en faire la proposition.
Le sénateur MacDonald en fait la proposition, de même que le sénateur Hubley. Est-ce d'accord?
Si les représentants des médias troublent le déroulement de la séance, je devrai intervenir, mais ils m'ont l'air sages.
Nous allons poursuivre notre étude de la population du phoque gris au large de la côte Est du Canada. Nous avons entendu ce matin le témoignage de divers intervenants ayant des points de vue différents. Nous accueillons maintenant le ministre et le sous-ministre du ministère des Pêches et de l'Aquaculture de Terre-Neuve-et-Labrador.
Comme à l'habitude, nous allons vous laisser présenter votre exposé, après quoi les sénateurs vous poseront des questions. Je vous souhaite la bienvenue, et je vous remercie d'être venus de Terre-Neuve-et-Labrador pour nous rencontrer.
L'honorable Darin King, député, ministre des Pêches et de l'Aquaculture de Terre-Neuve-et-Labrador : Merci, monsieur le président. Bonjour à tous. C'est effectivement un honneur d'être ici et d'avoir l'occasion de nous adresser à vous. Je vais commencer par vous présenter l'exposé que j'ai préparé, puis vous pourrez nous adresser vos questions, à M. O'Rielly, mon sous-ministre, ou à moi-même. Nous serons ravis d'y répondre.
Je m'appelle Darin King, et je suis le ministre des Pêches et de l'Aquaculture de Terre-Neuve-et-Labrador.
Alastair O'Rielly, sous-ministre, ministère des Pêches et de l'Aquaculture de Terre-Neuve-et-Labrador : Je suis le sous- ministre du ministère des Pêches et de l'Aquaculture de Terre-Neuve-et-Labrador.
M. King : Vingt années ont passé depuis l'annonce du moratoire sur la pêche à la morue du Nord et il n'y a toujours pas de résultat clair et de changement important dans l'écosystème; un écosystème autrefois dominé par la morue et qui est maintenant dominé par les phoques.
Au fil des ans, l'interaction entre les phoques et la morue a fait l'objet de nombreux débats. Je vous remercie de prendre le temps de vous pencher sur la question du phoque gris et d'adopter une approche holistique pour étudier la gestion de la population de phoques gris au large de la côte Est du Canada, y compris son impact sur les stocks de poissons de fond de l'Atlantique.
Au cours des 60 dernières années, l'équilibre de l'écosystème a été perturbé par les activités de pêche, la pêche en haute mer et des régimes de gestion des ressources qui ont échoué. Il nous faut maintenant adopter une approche équilibrée, documentée et soigneusement gérée de l'utilisation des ressources marines.
De toute évidence, l'explosion de la population de phoques gris dans l'Est du Canada, qui est passée d'environ 10 000 phoques dans les années 1960 à plus de 400 000 de nos jours, a des répercussions sur les écosystèmes du sud du golfe du Saint-Laurent et du plateau néo-écossais. En fait, la taille de la population actuelle est la plus importante jamais observée depuis plusieurs centaines d'années. De nouvelles colonies de reproduction de phoques gris s'établissent dans le nord-est des États-Unis.
Une réduction du nombre de prédateurs naturels, des programmes de primes et la limitation de la chasse commerciale ont favorisé le rétablissement des phoques gris, dont le nombre n'a jamais été aussi élevé et continue d'augmenter.
S'il est vrai que la surpêche a aussi entraîné la réduction des stocks de morue dans les eaux du Cap-Breton et du plateau néo-écossais dans les années 1990, ces pêches ont été considérablement réduites ou fermées au cours des 20 dernières années; les stocks de morue ont tout de même continué à diminuer dans ces secteurs.
Au cours des 30 dernières années, les populations de morues des eaux côtières et extracôtières du Labrador, de l'est de Terre-Neuve et des Grands Bancs ont diminué de 90 p. 100. Elles sont tellement peu nombreuses que le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada considère que c'est une espèce en péril.
Les conclusions suivantes ont été présentées dans un avis scientifique examiné par des pairs intitulé Impacts des phoques gris sur les populations de poissons de l'Est du Canada :
Un rapport basé sur les données disponibles pour chacune de ces causes a mené à la conclusion que la prédation par les phoques gris était vraisemblablement la cause principale expliquant l'augmentation de la mortalité des morues de grande taille du sud du golfe.
C'est important, car on conclut également ce qui suit :
Si les niveaux actuels de productivité et de mortalité naturelle persistent, le stock risque de baisser jusqu'à des niveaux frôlant l'éradication en 40 à 50 ans.
On y mentionne également que la prédation par les phoques gris contribue à la mortalité naturelle élevée de la raie tachetée et de la merluche blanche, deux espèces qui sont fortement en danger d'éradication dans le sud du golfe.
Les phoques sont des prédateurs efficaces qui s'adaptent facilement, et les effets négatifs qu'ils ont sur l'industrie de la pêche continuent d'augmenter. Les phoques gris peuvent faire des centaines de kilomètres pour se rendre dans les aires de reproduction et en revenir, et ils établissent de nouvelles roqueries en moins de 10 ans. De plus, ces phoques transmettent un parasite qui s'accumule dans la chair des morues et d'autres poissons de fond, ce qui fait augmenter les coûts de traitement et diminuer les possibilités de commercialisation. Entre 2006 et 2008, on a remarqué une augmentation importante de la présence de ce parasite, surtout chez les morues de la zone 4T — c'est-à-dire les eaux du Cap-Breton —, et le phénomène se serait étendu le long de la côte sud de Terre-Neuve-et-Labrador.
Des recherches préliminaires portant sur les effets de la prédation par le phoque gris sur le rétablissement de la morue indiquent que dans certaines circonstances, réduire le nombre de phoques pourrait contribuer au rétablissement des stocks de morue. Selon la recherche de Sinclair et de Boyle sur les interactions entre le phoque et la morue qui a été publiée dans l'édition de mars 2012 de Fisheries Research, la prédation par les phoques fait augmenter le taux de mortalité naturelle depuis la fin des années 1980 et nuit au rétablissement des stocks depuis 1993.
Le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques, le CCRH, est un groupe très respecté de conseillers qui réunit des scientifiques et des spécialistes du milieu universitaire. Il est formé de membres qui ont été choisis en fonction du mérite et de l'influence qu'ils ont dans la collectivité.
En septembre 2011, le CCRH a publié un rapport intitulé Vers le rétablissement des poissons de fond et d'une pêche durable dans l'Est du Canada, dans lequel il recommande que des efforts soient déployés immédiatement en vue de la réduction expérimentale des phoques gris dans le sud du golfe du Saint-Laurent. Il recommande également que des réunions scientifiques soient organisées pour discuter de la possibilité que la réduction des phoques, y compris du phoque du Groenland, permette ou améliore le rétablissement des stocks de poisson de fond dans d'autres secteurs, comme sur le plateau du Labrador et de l'Est de Terre-Neuve.
Nous croyons que le temps est venu de prendre des mesures en tenant compte de ces recommandations. L'avis scientifique a donné des indications quant au nombre de phoques gris qui doivent être retirés pour réduire la mortalité des morues de façon à rendre le rétablissement des stocks possible.
Selon les conclusions présentées dans l'avis, des captures de phoques gris de cette ampleur ne risqueraient pas de causer de dommage irréversible pour la population de phoques.
Dans le sud du golfe du Saint-Laurent, l'industrie du poisson de fond a failli cesser ses activités complètement. La population de phoques gris s'étend maintenant dans le nord du golfe et la côte sud de Terre-Neuve-et-Labrador. On craint que sans une intervention rapide et efficace, les stocks de morue dans ces secteurs continuent à diminuer et que d'autres pêches doivent être fermées.
De plus, les rapports auxquels j'ai fait référence portent sur les phoques gris du golfe du Saint-Laurent, mais depuis bon nombre d'années, les pêcheurs expriment les mêmes grandes préoccupations au sujet de l'impact des phoques du Groenland et des phoques à capuchon sur le rétablissement des stocks de morues au large du sud et de l'est de Terre- Neuve ainsi que dans le nord du golfe Saint-Laurent.
Comme bien des gens le savent, Terre-Neuve-et-Labrador est aux prises avec une population de phoques du Groenland qui ne cesse d'augmenter. Selon les estimations, il y en a environ 9 millions dans l'Est du Canada. Nous plaidons depuis assez longtemps en faveur d'une réduction de cette population. Nous savons qu'il est difficile de déterminer la quantité de morues consommées par les phoques du Groenland, mais de toute évidence, la mortalité des morues est en partie associée directement à la prédation de ces phoques sur la morue et certainement sur les espèces-proies dont a besoin la morue pour survivre.
On estime que la quantité de morues consommées par les phoques du Groenland a augmenté depuis la fin des années 1980, principalement à cause de la présence accrue de morues dans les échantillons de régimes alimentaires provenant des eaux côtières. Le nombre moins élevé de capelans est également un facteur important du rétablissement lent de la morue. En faisant du capelan leur proie, les phoques du Groenland influencent donc aussi indirectement le rétablissement de la morue.
D'après les conclusions de l'Évaluation du potentiel de rétablissement de la morue franche de l'unité désignable de Terre- Neuve-et-Labrador, les mammifères marins pourraient avoir indirectement un impact sur la dynamique de la morue en raison de la compétition pour des proies comme le capelan, dont je viens de parler. Elle montre également que les phoques du Groenland qui consomment de grandes quantités de proies pourraient constituer une menace pour le rétablissement de la morue.
Depuis plusieurs années, on avance que ces populations cesseront de croître et qu'elles commenceront à diminuer. Cependant, les troupeaux grossissent toujours. À notre avis, l'idée d'attendre simplement que la population de phoques diminue de façon naturelle n'est pas acceptable, ni raisonnable, en fait, étant donné qu'il pourrait falloir des décennies ou même encore plus de temps pour que l'écosystème retrouve son équilibre.
Un phoque du Groenland mange en moyenne 1,4 tonne de poissons par année. Si l'on fait le calcul, et en tenant compte des chiffres du dernier recensement que nous devons utiliser, plus de 12 millions de tonnes de poissons par année sont consommées par des phoques. Puisqu'il s'agit d'un prédateur efficace et compte tenu des niveaux de population jamais atteints auparavant, il est clair que la prédation par les phoques a beaucoup d'influence sur l'écosystème. Tout en tentant d'améliorer nos connaissances, il nous faut prendre des mesures sensées pour régler le problème et favoriser le rétablissement des stocks de morue.
En ce qui a trait à un enjeu distinct mais connexe, l'industrie de la chasse au phoque de Terre-Neuve-et-Labrador est toujours préoccupée par le cadre de l'approche préventive adoptée pour gérer les phoques du Groenland. La Stratégie de gestion du phoque de l'Atlantique offre un cadre qui indique les niveaux de référence considérés comme nécessitant des mesures préventives et les niveaux de référence critiques, qui définissent les zones d'abondance saines, celles qui requièrent des mesures préventives et les zones critiques, ainsi que les mesures de gestion qui sont déclenchées lorsque les seuils sont dépassés, et ce, afin de diminuer le risque de dommages pour les ressources halieutiques.
L'industrie a exprimé des réserves par rapport à l'adoption de cette approche pour gérer les phoques du Groenland. À l'heure actuelle, les niveaux de référence considérés comme nécessitant des mesures préventives et les niveaux critiques sont définis comme étant N70 et N30, ce qui, en pratique, correspond à 70 et 30 p. 100 de la taille maximale de la population observée. Avec l'approche de gestion actuelle, définie en 2002, on utilise des estimations de la population totale fondées sur un modèle, afin d'évaluer l'état de la population. Toutefois, selon les estimations, la population des phoques du Groenland s'est considérablement accrue au cours des dernières années, ce qui a entraîné une hausse des points de référence.
Nous croyons qu'une approche qui maintient une ressource à un niveau 3 à 4 fois plus élevé que son niveau antérieur — un niveau beaucoup plus élevé que celui exigé par la conservation de l'espèce ou par une approche équilibrée en matière de gestion des écosystèmes — laisse à désirer.
Le CCRH reconnaît qu'une des nouvelles stratégies de gestion des pêches axées sur l'écosystème consiste à structurer un ensemble complet de mortalités par pêche afin d'assurer une exploitation équilibrée, une exploitation qui tente de maintenir les rapports relatifs entre les biomasses. Bien qu'on reconnaisse qu'il soit difficile d'établir un point de référence pour une telle stratégie lorsque les réseaux trophiques et les écosystèmes ont subi d'importants changements, on considère que la pêche visant à maintenir les rapports clés entre les prédateurs et les proies est un objectif valide de la gestion axée sur l'écosystème, surtout lorsque notre priorité est de rétablir nos stocks de poisson de fond.
Le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador appuie les recommandations du CCRH qui préconise le prélèvement stratégique des phoques gris dans des zones précises, la conduite d'autres recherches ciblées sur l'incidence des phoques sur le rétablissement des stocks de poisson de fond et l'étude des répercussions que la réduction des populations de phoques aurait dans d'autres régions, dont le plateau continental de Terre-Neuve-et-Labrador.
Comme bon nombre d'entre vous le savent, le mandat du CCRH a pris fin en octobre 2011. Toutefois, le rapport intitulé Vers le rétablissement des poissons de fond et d'une pêche durable dans l'Est du Canada qu'il a produit, lorsque le ministère des Pêches et des Océans lui a demandé de développer une approche stratégique à long terme pour la durabilité des pêches du poisson de fond de l'Atlantique et pour la conservation des ressources, valide nos convictions. Dans le rapport, ils recommandent que des efforts soient déployés immédiatement en vue de la réduction expérimentale des phoques gris dans le sud du golfe du Saint-Laurent. Nous soutenons également qu'une initiative dans le genre de celle entreprise pour réduire le nombre de phoques gris aiderait grandement à déterminer l'effet qu'ont les phoques du Groenland sur les stocks de morue de Terre-Neuve-et-Labrador et à définir les mesures d'atténuation nécessaires. Bien que certaines recherches sur les interactions des phoques du Groenland et des morues aient été menées, nous croyons que la question nécessite une approche ciblée et systématique comme celle décrite dans le rapport sur les phoques gris. Nous avons demandé à Pêches et Océans Canada d'entreprendre un projet semblable relativement à la population de phoques du Groenland de l'Est du Canada.
Les faits observés par les pêcheurs et les conditionneurs locaux apportent des preuves traditionnelles et écologiques de l'abondance des phoques et, il y a de cela quelques minutes, les témoins précédents vous en ont présenté quelques- uns. La nature des interactions des phoques et des morues s'intensifie. Les pêcheurs observent depuis longtemps la prédation des poissons de fond par les phoques et, entre autres, le fait que de gros poissons sont éventrés, que les cas d'infestation par les parasites augmentent et que des phoques sont retirés des filets de pêche à des endroits où leur présence n'avait jamais été documentée auparavant. Le rétablissement des stocks de poisson de fond continuera d'être compromis tant et aussi longtemps que l'abondance et la répartition des phoques s'accroîtront. Le CCRH parvient à la conclusion que les phoques constituent un facteur externe qui influe directement et indirectement sur l'écosystème dans lequel la morue abondait autrefois.
Au cours des réunions du Comité consultatif sur le phoque de l'Atlantique tenues à Halifax, l'industrie a appuyé elle aussi l'adoption d'une approche axée sur l'écosystème afin non seulement de contribuer au rétablissement des stocks de morue, mais aussi de protéger d'autres stocks que l'industrie sait que les phoques gris consomment lorsque la morue n'est pas disponible. L'industrie s'est dite préoccupée par le fait que les prélèvements de phoques gris se limitaient à la zone 4T, et elle a signalé que leur population migrait dans des régions à l'extérieur de cette zone. L'industrie a également indiqué qu'à son avis, la zone où les prélèvements de ce genre ont lieu devrait être élargie afin de permettre aux phoquiers de Terre- Neuve-et-Labrador de participer aux prélèvements de phoques gris sans avoir à se déplacer.
Selon la taille des prélèvements de phoques gris prévus, nous recommandons d'abattre annuellement 70 000 bêtes pendant une période de cinq ans. Les coûts totaux occasionnés par cette entreprise pourraient atteindre des millions de dollars.
La population de phoque gris s'élève à environ 400 000 bêtes, alors que celle des phoques du Groenland se chiffre à approximativement neuf millions. Pouvez-vous imaginer les coûts qu'entraînerait la réduction de la population de phoques du Groenland en raison de son incidence négative sur l'écosystème? Si nous ne faisons rien, le problème aura un effet dévastateur sur l'industrie internationale des produits de la mer dans les années à venir.
Comme je l'ai dit auparavant, on estime que les phoques du Groenland consomment 12 fois plus de poissons que les pêcheurs commerciaux canadiens en récoltent. Les phoques gris représentent 5 p. 100 de la population totale des phoques du Groenland. Compte tenu des dommages causés à l'écosystème et des coûts liés à la gestion de neuf millions de phoques du Groenland, le MPO doit prendre des mesures positives pour contrer les phoques gris et les phoques du Groenland et appuyer fermement la chasse au phoque commerciale. Sans une telle chasse pour contrebalancer l'intervention humaine dans l'écosystème marin, il faudra peut-être envisager de mettre en œuvre des initiatives de gestion des ressources dans les années à venir afin d'aider les stocks de poisson à se rétablir.
Le prélèvement des phoques à des fins de développement commercial durable est de loin préférable à l'image d'un abattage. Un abattage des phoques entraînerait une utilisation minimale, voire nulle, de l'animal et entrerait en conflit avec les accords internationaux que nous avons conclus concernant l'utilisation durable et judicieuse des ressources naturelles de notre planète.
Compte tenu du nombre élevé de phoques du Groenland, si la chasse au phoque commerciale cesse, il faudra les abattre afin de protéger les stocks de poissons commerciaux, et cela coûtera très cher. À notre avis, les populations de phoques doivent faire partie d'une stratégie de gestion plus globale. Pour mieux équilibrer les rapports entre les prédateurs et les proies, lorsque les prédateurs sont des phoques et les proies sont diverses espèces de poisson, et pour assurer l'avenir de notre industrie de la pêche et des collectivités qui en dépendent, il est important de poursuivre la chasse au phoque. À cet égard, il ne faut pas oublier que, même si les poissons sont pêchés par une poignée de gens, ils sont en fait consommés par de nombreuses personnes.
Les organisations internationales de conservation de la faune, notamment l'Union internationale pour la conservation de la nature, considèrent que la chasse d'une espèce animale, comme la chasse au phoque canadienne, est un moyen valable d'assurer la gestion et la conservation des ressources fauniques.
La position officielle de cet organisme affilié aux Nations Unies est présentée dans un énoncé de politique sur l'utilisation durable des ressources vivantes sauvages qui a été élaboré au cours du deuxième congrès mondial tenu à Amman, en Jordanie, en 2000. Dans celui-ci, ses membres reconnaissent que l'utilisation, destructive et non destructive, de la diversité biologique joue un rôle essentiel pour l'économie, la culture et le bien-être de toutes les nations et de tous les peuples, et que l'utilisation des ressources naturelles, à condition qu'elle soit durable, peut satisfaire de manière permanente aux besoins de l'homme tout en contribuant à la conservation de la diversité biologique.
De plus, l'utilisation durable de la biodiversité est l'un des trois piliers sur lesquels repose la Convention sur la diversité biologique, qui a été proposée en 1992 durant le Sommet de la Terre de Rio de Janeiro. Le Canada est l'un des pays signataires de ce traité international qui oriente la conservation de la flore et de la faune sauvage. En général, cet accord international vise à favoriser l'élaboration de stratégies nationales de conservation et d'utilisation durable de la diversité biologique. C'est sûrement un document sur lequel on peut raisonnablement fonder la gestion de toutes les espèces, y compris les phoques.
Le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador est d'avis que nous devrions assurer la gestion des stocks de poisson et des phoques dans le contexte de leur écosystème respectif, et que nous devrions assumer nos responsabilités à l'égard de la biodiversité de la planète, de la culture et des traditions économiques de nos sociétés, à condition que ces dernières ne risquent pas d'appauvrir ou de mettre en péril la biodiversité mondiale. Par conséquent, nous appuyons la réduction limitée des phoques gris qui a été proposée, et nous recommandons que cette politique soit appliquée aussi aux phoques du Groenland, en autorisant la chasse au phoque commerciale et en déployant des efforts plus directs pour gérer leur population.
Je tiens à vous remercier tous de la patience dont vous avez fait preuve en écoutant les observations que j'avais préparées, et nous ferons certainement de notre mieux pour répondre à vos questions, si vous en avez.
Le président : Comme je l'ai dit plus tôt, c'est formidable d'avoir l'occasion d'entendre le témoignage du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador à propos de cet enjeu très important. Comme vous l'avez mentionné durant votre exposé, les phoques gris sont concentrés dans la région, plus que partout ailleurs. Nous planifions de visiter l'île de Sable demain afin d'observer ce qui s'y passe, de nos propres yeux. Ces derniers temps, nous avons entendu de nombreux rapports concernant la côte méridionale de Terre-Neuve, une région que nous connaissons bien tous les deux.
Cela dit, je cède la parole au sénateur Hubley, qui amorcera notre série de questions.
Le sénateur Hubley : Soyez tous les deux les bienvenus. C'est encourageant de voir que le ministre et le sous-ministre de Terre-Neuve-et-Labrador sont venus nous rencontrer aujourd'hui. Je pense que cela fait ressortir l'importance que cet enjeu revêt pour nous tous et à quel point il est essentiel que nous trouvions une solution au problème. Votre province a peut-être, plus que toute autre, souffert du déclin de l'industrie de la pêche. Vous savez d'expérience ce que cela signifie pour vos collectivités et les gens qui vivent dans la province de Terre-Neuve-et-Labrador.
J'aimerais vous poser une question qui s'est présentée ce matin. Le ministère des Pêches et des Océans nous a communiqué des renseignements ce matin. Il s'agissait du total autorisé des captures pour la chasse au phoque, et le nombre est plutôt important. Il est même énorme dans certains cas. Je pense que le total s'élève à 60 000, pour les phoques gris, et à 400 000, pour les phoques du Groenland, si je ne m'abuse. Seulement une partie de ces phoques sont récoltés, et je me demande si vous pourriez formuler des observations à ce sujet.
J'aimerais également que vous commentiez les divers moyens auxquels il va nous falloir avoir recours. Il n'y aura pas une façon unique de régler cette question. Je ne crois pas qu'il existe une solution miracle. En plus du total autorisé des captures, le document parlait d'un financement pour les primes accordées sur présentation de la mâchoire, d'un prélèvement ciblé sur la terre ferme et de projets pilotes en eaux libres visant l'utilisation et la commercialisation des produits du phoque. Je vais m'en remettre à vous pour cette question.
M. King : Nous ferons certainement de notre mieux pour répondre à vos questions. Monsieur le président, si le comité n'y voit pas d'objection, l'un ou l'autre d'entre nous répondra, selon la question posée. Sur le plan politique, je suis le dirigeant gouvernmental mais, en ce qui concerne certains enjeux, je ne suis pas nécessairement l'expert en la matière. Si cela vous convient, nous allons en quelque sorte nous remplacer l'un l'autre, mais je vais faire une brève observation avant que le sous-ministre intervienne.
Pour ce qui est des 400 000 phoques, nous avons rencontré d'importantes difficultés dans le cadre de la commercialisation de nos produits du phoque. Nous avons collaboré récemment avec le MPO et la Russie, et nous nous sommes employés à régler certains problèmes en Chine afin de trouver des marchés pour les produits du phoque. Nous avons coutume de récolter seulement ce que nous sommes en mesure d'utiliser ou de vendre, et cette habitude a grandement contribué à réduire la récolte. Alastair vous fournira des précisions sur quelques-uns des autres enjeux, mais je suppose qu'en deux mots, la réponse à votre question est que nous chassons seulement les phoques que nous sommes en mesure d'utiliser personnellement ou de mettre en marché.
M. O'Rielly : Sénateur, je vous remercie de la question. En ce qui concerne le nombre de captures autorisées, les chiffres que vous avez cités sont exacts.
Dans le cas des phoques gris, cette ressource n'a pas vraiment été commercialisée dans le passé. Par conséquent, les efforts requis pour développer les marchés sont considérables. Il semble que les produits du phoque qui sont normalement vendus, tels que les peaux, ne sont pas aussi faciles à utiliser et à commercialiser lorsqu'il s'agit de phoques gris. Il va falloir déployer de nombreux efforts pour développer des tribunes pour les produits qui sont acceptables et qui répondent aux besoins des marchés mondiaux.
Le travail que nous avons accompli au cours des dernières années pour commercialiser les phoques gris nous porte à croire que de tels marchés existent, en particulier dans les pays asiatiques et surtout en Chine. De nombreux signes indiquent qu'ils sont disposés à acheter des produits du phoque gris. Toutefois, la question de découvrir comment exploiter commercialement les phoques gris, de développer des tribunes pour les produits et de localiser des marchés va exiger beaucoup de temps et d'efforts.
Le ministre a également fait allusion au problème lié aux phoques du Groenland et aux difficultés que les marchés nous ont causées au cours des dernières années. Il y a cinq ou six ans, les marchés pour les produits du phoque du Groenland semblaient très prometteurs. En fait, les prix avaient grimpé à des niveaux très élevés, les activités de chasse avaient repris de plus belle et de nombreux signes indiquaient un potentiel à la hausse. Maintenant, l'UE interdit les produits du phoque, et certaines activités ont entraîné, pour le moment, une interdiction par la Russie. Le développement d'autres marchés qui, je le répète, sont très réceptifs nous pose des problèmes. Encore une fois, la Chine est l'un des marchés qui manifestent un grand intérêt à l'égard de ces produits.
Selon notre expérience de l'industrie, nous croyons qu'il y aurait d'énormes possibilités de commercialiser ces produits si nous étions en mesure d'accéder librement à ces marchés, mais il est nécessaire de réaliser d'abord des travaux de développement. Tout cela pour dire que c'est une façon beaucoup plus convenable d'aborder la question de la gestion et de l'utilisation de la ressource, comparativement à un abattage.
Le sénateur Hubley : Certains des renseignements qui nous ont été communiqués concernent les propriétés médicinales de l'huile de phoque dont nous pouvons bénéficier. Dans un pays où les gens sont très soucieux de leur santé et constamment à la recherche de remèdes, il semble y avoir une demande ou, du moins, il pourrait y en voir une. Nous avons entendu un témoin qui a effectivement découvert qu'on pouvait produire des acides gras oméga-3 à partir de l'huile de phoque. Cette dernière est très riche en oméga-3. Il existe de nombreuses assertions quant aux bienfaits qu'elle pourrait nous apporter. Nous allons tous retourner à l'époque où nous faisions la file pour obtenir nos gélules d'huile de foie de morue. Notre famille le faisait assurément. Il me semble que promouvoir dans le monde entier les avantages des produits du phoque — que ce soit la viande destinée à la consommation humaine ou à l'alimentation des animaux, ou les découvertes médicales concernant les propriétés des produits du phoque dont nous pouvons bénéficier — pourrait ne pas être tellement difficile dans les années à venir. Nous avons entendu le témoignage d'une entreprise de Terre-Neuve appelée Terra Nova. Elle semble être bien gérée et avoir confiance dans l'avenir, mais sa capacité ne lui permettrait pas de traiter les 73 000 phoques gris que nous pourrions être forcés d'éliminer du troupeau. Je me demande si vous pourriez nous faire connaître tout nouveau produit que nous pourrions commercialiser et discuter de la possibilité de mettre sur pied, à l'échelle provinciale, une usine qui pourrait traiter les phoques et tirer parti de leurs propriétés.
M. O'Rielly : Vous avez raison. Je pense que les nouveaux développements en matière de produits pharmaceutiques et nutraceutiques dérivés de l'huile de phoque ont beaucoup de potentiel et offrent beaucoup de travail. Bon nombre d'études ont été menées afin de documenter les avantages en matière de santé des produits à base d'huile.
Nous avons la conviction que la politique nous permettra d'utiliser toutes les parties de l'animal, y compris les peaux pour les vêtements et d'autres articles. Les produits de viande sont très prisés dans les marchés asiatiques. En fait, bon nombre des organes sont également offerts soit pour fabriquer des produits alimentaires, soit pour des applications nutraceutiques. Il y a de nombreuses occasions de développer ces marchés. Toutefois, l'accès aux marchés représente un problème non négligeable et les efforts requis pour développer ceux-ci sont considérables.
Vous avez fait allusion aux ressources physiques, aux usines, et cetera. Nous ne pensons pas que la technologie requise pour extraire les produits, traiter les produits alimentaires ou distribuer les produits représente un obstacle. Les vrais défis à relever se trouvent aux deux extrémités de l'axe. À un bout, il y a la nécessité d'établir une stratégie de récolte prévisible, cohérente, gérable et durable.
À l'autre extrémité, nous devons trouver des débouchés, c'est-à-dire des marchés sans entrave et des marchés en développement, en particulier en Chine, et aussi dans les marchés traditionnels pour les peaux, comme la Russie. Au cours de la dernière année, cela a représenté un véritable défi pour l'industrie. Le problème s'est manifesté juste avant Noël. Les difficultés sont liées à l'accès aux marchés, et on comprend qu'elles sont imposées par les gouvernements pour diverses raisons. Toutefois, celles-ci ne sont pas imputables à une faible demande de la part des consommateurs. Tout semble indiquer que, si nous étions en mesure d'accéder aux marchés et d'élaborer les produits, la demande pour ceux-ci serait énorme.
M. King : Le défi, c'est le blocage politique et bureaucratique. Pas plus tard qu'hier, nous avons discuté avec une personne de Terre-Neuve-et-Labrador qui s'occupe des produits dérivés du phoque; ces produits sont vendus en Chine. La demande actuelle permet même d'écouler les stocks. Le problème, c'est de naviguer les formalités administratives et politiques, si je peux m'exprimer sans détour. Comme l'a dit Alastair, cela n'a rien à voir avec la capacité de vendre le produit; il s'agit seulement de franchir les obstacles politiques.
Le sénateur Harb : Je ne comprends pas pourquoi nous entendons constamment parler des vers dans le poisson et du fait qu'ils viennent des phoques. J'ai effectué une petite recherche à ce sujet, et j'ai découvert que la plupart des poissons, que ce soit de ce côté de l'Atlantique ou du côté européen, contiennent des vers. La seule différence, c'est l'espèce de ver ou de parasite présente. Par exemple, le poisson peut contenir le ver appelé anisakis, qu'on trouve surtout du côté européen, et le phocanema. Apparemment, ces deux parasites abonderaient dans l'océan. Habituellement, en Europe ou ailleurs, les gens retirent directement les vers du poisson. Je ne comprends pas pourquoi nous continuons de soulever cette préoccupation; au lieu de dire que nous avons un problème, nous devrions nous contenter de nettoyer les poissons comme tout le monde, car ce ver est très commun. Il s'agit, essentiellement, d'une protéine. Si vous le faites cuire, il ne vous tuera pas. En fait, ces vers n'ont jamais tué personne, car ils meurent aussitôt qu'on cuit le poisson pendant une ou deux minutes.
M. O'Rielly : Je ne suis pas parasitologue; je ne peux donc pas vraiment aborder le volet technique de la question.
À Terre-Neuve, de mémoire d'homme, nous n'avons jamais vraiment eu de problème de parasites dans la morue au large de la côte du nord-est ou même sur la plus grande partie de la côte sud. Il est extrêmement rare d'être aux prises avec une infestation importante de parasites.
Toutefois, les choses ont changé, ces dernières années, avec l'augmentation de la population de phoques. Le long de la côte sud, on n'avait pratiquement jamais entendu parler de vers dans le poisson, mais c'est maintenant un problème fréquent. Nous constatons qu'il y a une corrélation très claire entre la présence accrue des parasites et l'augmentation de la population de phoques.
Dans vos commentaires, vous vous demandiez aussi pourquoi on s'inquiétait à ce sujet. Vous avez dit que le nombre de vers, sur les marchés mondiaux des produits à chair blanche, était normal; ce n'est pourtant pas le cas en ce qui nous concerne. Comme vous l'avez dit, je suis sûr qu'il y a des parasites dans tous les poissons, partout, mais ce n'est pas un gros problème. Et je le répète, cela n'a jamais posé problème au large de la côte nord-est de Terre-Neuve, mais c'est le cas maintenant. Sur les marchés mondiaux, on est très réticent à accepter la présence de parasites dans un produit, et il s'agit d'une question de préférence des consommateurs.
Je pense que vous avez raison. Je ne sais pas si le produit peut être nocif s'il est cuit, mais c'est quand même désagréable sur le plan esthétique, et les gens ne trouvent pas cela acceptable, alors les vers doivent être éliminés.
L'élimination des vers entraîne des coûts énormes. On a essayé de mettre au point des technologies très complexes à l'aide de caméras et de rayons X, afin de trouver les parasites dans la chair du poisson et de les éliminer. Toutefois, le meilleur moyen reste toujours un œil entraîné et l'élimination à la main, mais procéder de cette façon entraîne des pertes, au niveau du rendement et du coût de la main-d'œuvre, qui rendent cette activité non praticable sur le plan commercial.
Le sénateur Harb : On retrouve ces vers en Europe et partout ailleurs. On les retrouve aussi en Angleterre, et même s'il n'y a pas de phoques gris là-bas, on trouve le même type de ver dans la morue. Je n'arrive pas à faire le lien entre la présence du phoque gris et l'infestation de la morue. Cela me pose problème.
M. O'Rielly : Je comprends, mais je ne pense pas que vos renseignements sur leur prédominance soient exacts. Ils peuvent être présents dans certaines régions, et je ne peux pas dire le contraire. Toutefois, actuellement, c'est dans la mer de Béring qu'on exploite le plus grand banc de morues de la planète, le quota dépassant 700 000 tonnes. Pourtant, on n'a pratiquement aucun problème de parasites dans la chair de la morue. Du côté de l'Alaska, où se situe la deuxième plus grande ressource en morue du Pacifique, on n'a pas de problème non plus. Dans les deux cas, il n'y a pas de troupeaux importants de phoques gris ou d'autres phoques qui pourraient être la cause de ce phénomène. C'est le cas au Royaume- Uni, je crois. Je pense que vous avez raison à ce sujet.
Le sénateur Harb : Un grand nombre de gens ont comparu pour nous dire, en toute honnêteté, que la politique gouvernementale — pas celle de votre gouvernement, mais celle du gouvernement fédéral, ou celle des divers gouvernements — est en grande partie responsable de la diminution des stocks de morue. Certaines personnes ont parlé de la surpêche pratiquée par les bateaux étrangers au large de vos côtes, au-delà de la zone de 200 miles. Pouvez- vous nous en parler un peu? Le gouvernement peut-il ou devrait-il faire quelque chose, sur le plan international, pour régler ce problème? Certaines personnes croient que la surpêche effectuée par les bateaux étrangers au large de vos côtes — en plus, peut-être, de la surpêche pratiquée par les humains — a aussi joué un rôle important dans l'effondrement des stocks de morue.
M. King : Je pense que votre commentaire reflète probablement la situation qui prévalait avant l'imposition du moratoire; je ne pense pas que ce soit le cas aujourd'hui. En effet, nous n'avons aucun renseignement qui nous permet de croire qu'une surpêche étrangère est pratiquée de nos jours. Selon les renseignements que nous avons, il n'y a pas de surpêche; pourtant, les stocks de morue continuent de diminuer en même temps que le nombre de phoques augmente, si je peux me permettre de résumer les choses aussi simplement. Il n'y a aucune preuve fondée sur nos recherches ou sur nos observations qui nous permet de penser qu'on pratique, en ce moment, une surpêche au large des côtes de Terre-Neuve-et- Labrador.
Je vais demander à Alastair de vous fournir des détails, mais je pense qu'au cours des 12 dernières années, le MPO a exercé une surveillance constante et précise au large de vos côtes. Nous entendons sans cesse nos adversaires politiques provinciaux — qui critiquent notre gouvernement et le ministère des Pêches et des Océans — dire qu'aussi longtemps que dureront les activités de surpêche, les stocks ne pourront jamais se rétablir. Toutefois, nous n'avons aucune preuve à ce sujet, à part la rhétorique politique que vous pouvez entendre dans les émissions de variétés et de la part de nos opposants. À notre connaissance, il n'existe aucune preuve qui prouve que des activités de surpêche sont en cours. Le MPO peut vous fournir tous les rapports concernant la surveillance exercée. Il surveille tout le périmètre de l'île, ainsi que la zone au large de vos côtes, à l'aide d'avions et d'autres moyens. Ces rapports sont accessibles. Si on a détecté une surpêche au cours des dernières années, je ne suis pas au courant.
J'aimerais demander à mon sous-ministre de continuer.
M. O'Rielly : Comme le ministre l'a indiqué, je pense qu'on peut en déduire que la question de savoir ce qui est arrivé aux stocks de morue fait l'objet d'un débat acharné. Il y a trois thèmes principaux : la surpêche, les changements environnementaux et les phoques. La question a été débattue, mais je ne sais pas si on a tiré des conclusions. Je pense que la plupart des gens s'entendent pour dire que les trois facteurs sont probablement en jeu. Je ne pense pas que l'on sait avec certitude lequel a eu le plus grand effet.
Comme le ministre l'a souligné, la pêche étrangère a diminué de façon spectaculaire au-delà de la zone de 200 miles. Cette activité est étroitement surveillée. La surveillance n'est pas parfaite, mais nous vérifions, de temps en temps, si les pêcheurs étrangers respectent les limites de prises permises. L'activité halieutique est très réduite. Il y a probablement, à n'importe quel moment, pas plus d'une douzaine de bateaux — ou peut-être 15 à 20 — qui pêchent. Le niveau de surveillance est élevé, ce qui nous permet de dire qu'il n'y a pas de surpêche intensive. En ce moment, il ne s'agit pas d'un facteur de causalité.
Ce qui est intéressant en ce qui concerne notre débat au sujet des phoques, c'est que dans le golfe, il n'y a manifestement aucun bateau étranger et très peu d'activités halieutiques; pourtant, les stocks de morue ne se rétablissent pas, et je pense qu'il s'agit de l'essence du rapport rédigé par les scientifiques du MPO. Ce rapport indique qu'en l'absence d'autres facteurs de causalité, il faut conclure que c'est la consommation de morues par les phoques qui a empêché le rétablissement des stocks. Dans une large mesure, nous croyons aussi que c'est le cas avec le phoque du Groenland, au large des côtes de Terre-Neuve-et-Labrador.
M. King : J'aimerais formuler un commentaire. Vous vouliez savoir ce que le gouvernement pouvait faire à ce sujet. L'une des choses avec lesquelles j'ai été très direct avec le ministre fédéral à de nombreuses reprises, c'est que peu importe le nombre de processus de prise de décisions qui seront entrepris par le gouvernement dans les jours, les semaines ou les mois suivants, à notre avis, il ne faut pas diminuer la surveillance qui est actuellement exercée, car nous croyons qu'elle fonctionne. En effet, si vous diminuez la surveillance exercée à l'égard de la pêche étrangère, vous ouvrez la voie à la destruction de l'espèce.
Deuxièmement, nous vous conseillons vivement de continuer à investir dans la recherche scientifique, car elle permet de prendre de meilleures décisions au sujet des choses dont nous parlons aujourd'hui. Si vous diminuez l'apport de la recherche scientifique, les décisions seront prises en fonction de la politique et de l'humeur du moment, au lieu d'être fondées sur des données probantes.
Ce sont les deux domaines dans lesquels je vous conseille vivement, comme je l'ai fait avec le ministre fédéral, de demeurer actifs.
Le sénateur MacDonald : Messieurs, merci d'avoir fait le voyage depuis votre île. Nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui.
Nous pourrions parler éternellement de ce qui est arrivé aux stocks de morue. Toutefois, ce qui est fait, est fait et la question, maintenant, c'est de savoir comment nous allons rétablir les stocks de morue, et non pas de découvrir à qui la faute.
J'aimerais parler de la commercialisation des phoques. Je pense que l'un des domaines dans lesquels nous remarquons un relâchement des activités est la commercialisation des phoques. C'est pourquoi je trouve génial d'avoir le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador avec nous; cette question le concerne plus que n'importe quel autre gouvernement. Lorsqu'il s'agit de la commercialisation du phoque, il faut faire la distinction entre la chasse et l'abattage. Je pense qu'instinctivement, les gens n'aiment pas l'idée d'un abattage effectué dans le seul but d'éliminer des animaux. C'est pourquoi nous tentons de développer des marchés à l'échelle mondiale.
Quels efforts ont été entrepris, dans l'industrie, pour développer un marché national? Est-il plus facile de convaincre les gens ailleurs dans le monde d'acheter le produit que de convaincre notre propre population? Je ne suis pas un spécialiste des phoques gris ou des phoques du Groenland, mais les peaux apprêtées et l'huile à haute teneur en oméga- 3 sont des produits dérivés. Je parle des peaux apprêtées, de l'huile à haute teneur en oméga-3, et peut-être aussi des engrais et des aliments pour animaux de compagnie. Quels efforts ont été entrepris pour au moins évaluer le potentiel d'un marché national pour ces phoques et leurs produits dérivés?
M. King : J'aimerais vous féliciter de votre approche — et j'espère que vos collègues ont la même — qui consiste à ne pas chercher à savoir pourquoi les choses se sont produites de cette façon ou à qui la faute, mais plutôt comment nous allons arranger les choses.
Dans notre province, un débat fait rage entre d'autres parties politiques et des groupes d'intérêts, qui préfèrent se concentrer sur le passé et chercher à savoir si on devrait jeter le blâme, au niveau fédéral, sur les conservateurs ou sur les libéraux. À mon avis, ce n'est pas la meilleure façon d'utiliser le temps ou les ressources. Nous devons plutôt nous pencher sur la situation actuelle et sur la façon dont nous pouvons l'améliorer. Je tenais vraiment à faire ce commentaire, et j'espère que je parle au nom du comité. Nous pouvons tourner en rond pendant cinq autres années et chercher à savoir si c'est la faute à Trudeau, à Mulroney ou à quelqu'un d'autre, mais au bout du compte, qu'allons- nous accomplir?
Le sénateur MacDonald : Rien.
M. King : Ça ne nous avance à rien.
Compte tenu de l'importance du secteur des pêches dans notre province, nous aurions beaucoup à perdre en restant les bras croisés. Merci de votre commentaire. Je vais demander au sous-ministre de répondre à la question sur le marketing.
M. O'Rielly : Pour être honnête, je ne sais pas si nous nous sommes employés à développer le marché intérieur des produits du phoque. C'est sans doute parce que, jusqu'à il y a deux ou trois ans, les gens n'avaient pas de mal à vendre leurs produits. Les débouchés étaient abondants et faciles à trouver, même en 2011. C'est seulement le 5 décembre dernier que l'interdiction en Russie a été annoncée. Le problème ne se pose que depuis quelques mois. Nous pouvons sans doute en faire davantage, mais je pense qu'à certains égards, il sera plutôt ardu de développer le marché canadien.
Les peaux vendues sont assez exclusives, car elles sont de très grande qualité. Mais les vêtements qui coûtent plusieurs milliers dollars constituent bien sûr un marché limité.
Compte tenu des volumes modestes, c'est aussi quelque peu difficile de trouver des débouchés pour la viande de phoque.
C'est peut-être secondaire, mais j'ai déjà dit que nous ne serions pas préoccupés si les Canadiens arrêtaient de manger du poisson. Je veux bien sûr qu'ils en consomment beaucoup, mais nous exportons 90 p. 100 de nos produits de la mer. Le marché extérieur est tellement important que, si on arrêtait de manger du poisson à l'étranger, nous ne pourrions même pas écouler tous nos stocks au Canada. Il en va de même pour les phoques.
Concernant les autres ressources et les volumes, nous pouvons sans doute développer de petits marchés à créneaux au Canada, mais le principal débouché se trouve dans les marchés en expansion plus exclusifs. L'Asie représente un débouché très prometteur pour nous.
Le sénateur MacDonald : J'en parle, parce que les politiciens ne s'opposent pas à l'exportation et à la vente des produits de la mer, sauf ceux du phoque. Le gouvernement de Terre-Neuve a-t-il effectué une étude de marché approfondie sur la pertinence de développer le marché intérieur et de promouvoir les produits qui pourraient s'y vendre?
M. O'Rielly : Nous n'avons pas réalisé une telle étude, parce qu'elle n'était pas nécessaire jusqu'ici. Je pense que notre principal débouché demeure le marché mondial. Il faut selon nous se concentrer sur la réouverture et la libéralisation du marché.
Nous devons aussi examiner ce qui explique l'opposition. Il semble y avoir deux causes. Tout d'abord, on a bien sûr tout à fait tort de penser que les stocks ne sont pas renouvelables. Bien des preuves le montrent.
De plus, les gens se préoccupent des méthodes d'abattage. Bien des groupes s'opposent tout simplement à l'utilisation des animaux. Ce sont les causes de l'opposition. Nous devons en effet nous y intéresser davantage et veiller à rectifier les faits. En outre, il faut répondre aux préoccupations des gens en ce qui a trait à la durabilité.
Le sénateur Cochrane : En général, les Canadiens soutiennent-ils les politiques sur la chasse au phoque?
M. King : Je pense que oui. Je vais demander à Alastair, qui travaille au ministère depuis plus longtemps que moi, de donner des précisions, mais je pense que oui.
Je répète que nous sommes opposés à bien des groupes qui disposent peut-être de plus d'argent et de ressources pour défendre leur position. Le problème, c'est que le message transmis sur la scène internationale n'est pas toujours exact. Voilà ce à quoi nous sommes confrontés.
Voulez-vous d'autres précisions?
M. O'Rielly : Madame le sénateur, je pense que la vérité est connue dans une certaine mesure. Bien des sondages montrent que les Canadiens appuient la chasse au phoque, même si d'autres indiquent le contraire. Les informations que nous avons, la correspondance que nous recevons, et cetera, laissent entendre que la grande majorité des Canadiens soutiennent la chasse au phoque. Ils savent qu'il s'agit d'une source de revenus nécessaire et importante. Je pense que les Canadiens appuient la chasse au phoque, mais je suis conscient que certains ont des opinions tout à fait différentes.
Le sénateur Cochrane : À ce sujet et pour tout le reste.
Combien de phoques du Groenland une personne peut-elle chasser en un an à des fins personnelles? Le quota est-il le même en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve, ou partout au Canada atlantique?
M. O'Rielly : Pour être honnête, je ne suis pas sûr qu'il y a un quota. En temps normal, les gens capturent plusieurs phoques. Je ne pense que le nombre de prises porte à conséquence. La plupart des gens à Terre-Neuve-et-Labrador chassent à des fins commerciales. Le nombre de captures à des fins personnelles est relativement modeste.
Le sénateur Cochrane : La chasse se limite-t-elle à une période de l'année?
M. O'Rielly : En général, la chasse a lieu lorsqu'on peut approcher les phoques par les glaces.
Le sénateur Cochrane : Y a-t-il plus de chasseurs qu'avant, ou est-ce l'inverse?
M. O'Rielly : Le nombre de chasseurs a pas mal changé. Je pense que Pêches et Océans Canada a délivré environ 5 000 ou 6 000 permis, mais le nombre de chasseurs varie passablement.
Lorsque les marchés se portaient bien il y a quelques années, l'activité a beaucoup augmenté dans l'industrie. Il y a eu sans doute plus de 2 000 chasseurs, mais seulement durant une courte période. Puisque les prix ont baissé de nouveau ces dernières années, on peut comprendre que la participation a diminué. C'est ce qui se produirait dans n'importe quelle industrie. Mais le nombre de pêcheurs a baissé aussi, surtout pour ce qui est de l'activité commerciale. Divers facteurs, comme le marché et le nombre de pêcheurs commerciaux, concourent bien sûr à cette baisse.
Le sénateur Cochrane : Je m'intéresse beaucoup au commerce. Un témoin de Vancouver nous a parlé récemment des bienfaits des produits du phoque pour la santé. Je dois dire que j'ai été très impressionnée. Ce témoin a dit que les gélules d'huile de phoque aidaient à lutter contre l'arthrite, l'hypertension et le Parkinson. On consomme ces gélules durant peu de temps et on en ressent les effets dès le début. Je vous recommande, par exemple, de vous réunir avec des responsables du ministère de la Santé pour élaborer une campagne de sensibilisation et faire valoir les avantages des gélules d'huile de phoque, selon les diverses maladies. Je pense que c'est très important pour la santé des gens. Il faut lancer une campagne.
Je suggère aussi de trouver un bon porte-parole, comme Gordon Pinsent ou quelqu'un de sa trempe, afin de promouvoir ces gélules. Nous devons promouvoir l'huile de phoque, parce que c'est très important pour la santé des Canadiens. Nous savons que les médicaments actuels pour combattre les trois maladies que j'ai mentionnées coûtent extrêmement cher. Bien des aînés souffrent de ces maladies, surtout ceux qui n'ont pas les moyens de se payer les médicaments nécessaires. Faisons la promotion de l'huile de phoque.
Le président : Avant de mettre fin à la séance, monsieur le ministre, nous avons parlé des phoques gris sur la côte sud de Terre-Neuve. Pouvez-vous nous donner une idée du nombre de phoques gris aperçus dans la région? Je me demande même s'il y en a déjà eu là auparavant.
Monsieur O'Rielly, vous êtes peut-être au courant aussi, mais j'aimerais simplement savoir quels sont les constats dans votre province.
M. O'Rielly : Par le passé, il y avait très peu de phoques gris sur la côte sud de Terre-Neuve-et-Labrador, mais bien des gens ont signalé dernièrement qu'il y en avait beaucoup. On nous a aussi indiqué que les phoques gris commençaient à établir des roqueries sur la côte sud-ouest de la province. Les pêcheurs dans la région sont très préoccupés par les conséquences que ça entraîne au fil du temps.
Pour revenir à la discussion avec le sénateur Harb, la présence accrue de parasites dans la chair de la morue capturée dans la région montre aussi que les phoques gris y sont plus nombreux. Une population qui a plus que décuplé occupe évidemment une zone plus vaste. La présence des phoques gris s'explique aussi par la recherche de nourriture.
Le président : Je pense que tous les sénateurs ont posé leurs questions. Avant de clore la séance, je vous remercie encore d'avoir pris le temps de venir ici aujourd'hui pour témoigner. Si vous avez d'autres informations, n'hésitez pas à nous les communiquer.
Monsieur le ministre, je vous cède la parole si vous avez un dernier commentaire à formuler avant la fin.
M. King : Merci, monsieur le sénateur Manning.
Nous vous ferons parvenir un peu plus d'information à notre retour. Je tiens simplement à vous remercier de nouveau. Notre Chambre d'assemblée siège présentement, mais on m'a permis de venir ici aujourd'hui, parce que la question est très importante pour notre province. Nous sommes très heureux et honorés que vous ayez tous pris le temps de nous écouter aujourd'hui, merci beaucoup.
Le président : Merci, monsieur le ministre.
(La séance est levée.)