Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans
Fascicule 7 - Témoignages du 29 mars 2012
HALIFAX, le jeudi 29 mars 2012
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui, à 14 h 10, pour étudier la gestion de la population de phoques gris sur la côte est du Canada en vue d'en faire rapport.
Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, la séance est ouverte.
Bienvenue aux nouvelles personnes dans l'auditoire au Comité sénatorial des pêches et des océans. Nous menons une étude sur la population de phoques gris sur la côte Est du Canada. Les discussions en matinée étaient très intéressantes, et nous espérons qu'il en sera de même en après-midi et en soirée.
Nous accueillons cet après-midi Mme Debbie MacKenzie, de la Grey Seal Conservation Society. Nous avons hâte d'entendre son témoignage.
Madame MacKenzie, veuillez présenter votre exposé, puis nous passerons aux questions et réponses. Si ce programme vous convient, je vous cède la parole.
Debbie MacKenzie, directrice, Grey Seal Conservation Society : Merci de me donner l'occasion de témoigner devant vous. Je m'appelle Debbie MacKenzie et je représente la Grey Seal Conservation Society.
Je tiens surtout à porter à votre attention le nombre croissant d'études scientifiques qui montrent les processus physiques auxquels les phoques participent de manière positive et qui améliorent la santé des écosystèmes océaniques. Les phoques influencent le portrait global. Dernièrement, diverses revues scientifiques publiant des études examinées par les pairs ont présenté des analyses et indiqué que les mammifères marins, comme le phoque, amélioraient la fertilisation. Mon exposé contient cinq références sur les études qui soutiennent cette conclusion.
Les mammifères marins transportent beaucoup de fertilisant pour plantes à la surface en remontant des eaux profondes, en se nourrissant et rejetant des matières organiques. Cette activité favorise le plancton, l'absorption du CO2 atmosphérique par l'océan et la production de nourriture et d'oxygène pour bien des espèces, comme leurs propres proies. En outre, les mammifères marins et les poissons aident au mélange par turbulence de l'eau de mer, qui accroît la productivité biologique.
Ces deux influences positives indirectes des phoques sur le poisson étaient considérées comme marginales. Les modélistes océaniques présumaient que seuls les régimes climatiques et les courants marins, les forces physiques non vivantes, permettaient de fertiliser les plantes à la surface et de mélanger les eaux. Toutefois, ces processus physiques sont aussi gérés de manière séparée par les animaux. Le principal apport vient des grands animaux qui descendent en eaux profondes, comme les baleines et les phoques, dont la présence aide beaucoup à la fertilité et à la santé des océans. De plus, les mammifères marins peuvent sans doute prévenir la stagnation, la stratification et l'appauvrissement de l'eau de surface qui tendent à favoriser la prolifération d'algues nocives, une autre préoccupation croissante.
Les scientifiques estiment que la capture massive de baleines et de phoques dans l'océan Austral a réduit la capacité de la région de soutenir la vie des plantes et des animaux comme le krill et d'absorber le CO2 atmosphérique. Le grand cachalot, qui descend en eaux profondes, favorise beaucoup la productivité en haute mer et l'absorption du CO2. Ces conclusions sont tirées des études dont je vous ai fourni les références.
Les chercheurs ont constaté que le nitrogène transporté par les baleines et les phoques dans le golfe du Maine surpassait le volume fourni par toutes les rivières de la région. C'est surtout utile durant l'été, lorsque la croissance du phytoplancton est souvent limitée par le manque de nitrogène à la surface des eaux. Même si on dit que le phénomène est dû aux baleines, les scientifiques ont constaté que les phoques avaient le même effet. Ils ont mesuré la contribution des 1 731 phoques qui seraient présents dans le golfe du Maine au cycle des substances nutritives. Si on applique cette analyse aux 400 000 phoques gris dans l'est du Canada, on s'aperçoit qu'ils y améliorent beaucoup l'écosystème à l'heure actuelle.
Ces informations sont importantes pour les gestionnaires des ressources océaniques. Les auteurs des études concluent que les mammifères marins aident beaucoup l'écosystème en soutenant la productivité dans les régions où ils se trouvent en grand nombre et que les programmes de primes et la chasse pourraient entraîner des effets inattendus, comme la réduction du nitrogène disponible dans la zone euphotique et une baisse de productivité en général.
Les conditions environnementales stressantes nuisent ou vont nuire à la survie de bien des poissons marins. C'est donc très important que les gestionnaires océaniques s'intéressent avant tout à la préservation des écoservices positifs fournis par les mammifères marins. Ces nouvelles preuves de l'influence positive des phoques sur les populations de poissons aident à expliquer l'importance de bon nombre de populations de poissons de fond sur le plateau néo- écossais, qui a surpris les modélistes et l'industrie de la pêche. Ces populations reprennent de la vigueur et partagent leur habitat avec un nombre sans précédent de phoques gris dits voraces. C'est raisonnable de conclure que les nombreux phoques gris sur le plateau néo-écossais ont en fait favorisé la présence des poissons de fond.
Les chercheurs de Pêches et Océans Canada et d'autres sont insatisfaits des modèles actuels d'analyse des populations de poissons et des écosystèmes, qui n'arrivent pas à prévoir l'influence des interventions de gestion des pêches sur les populations de poissons et les processus océaniques naturels. Ces modèles sont tout simplement trop rudimentaires. La dynamique positive qui existe naturellement entre les grands animaux marins et le plancton constitue un facteur de contrôle essentiel, qui est absent des modèles actuels. Les modélistes du réseau alimentaire devront apporter des changements majeurs à leur façon de penser et de concevoir ces modèles. Les scientifiques des pêches doivent le faire s'ils espèrent améliorer la précision de leurs prévisions sur la vie marine.
Les populations de morues dans le sud du golfe du Saint-Laurent continuent de baisser, tandis que celles sur le plateau néo-écossais augmentent. Pourtant, elles cohabitent toutes deux avec un nombre croissant et important de phoques gris. Cet apparent paradoxe me donne à penser que les éléments de stress environnemental nuisent davantage à la morue dans le golfe qu'ailleurs. Les différences entre les deux zones comprennent d'importants facteurs de qualité de l'eau. Le principal facteur est la zone en expansion depuis des années où il manque d'oxygène dans les eaux profondes du golfe, qui a chassé la morue d'une partie de la région.
Les phoques sont vulnérables à d'autres facteurs de stress lorsqu'ils mangent. La chasse au phoque n'est pas appropriée et ne prévient pas la mortalité naturelle. Cette chasse injustifiée viserait les phoques gris, parce qu'ils consomment apparemment toujours plus de grosse morue en hiver dans le détroit de Cabot. On a avancé que la chasse aux phoques gris dans le sud du golfe du Saint-Laurent ne menaçait pas leur survie, parce qu'ils sont nombreux sur le plateau néo-écossais. Le même argument s'applique à la morue. La chasse encouragée des phoques entraîne des dommages environnementaux inacceptables. Elle va fort probablement réduire encore davantage les populations de morues.
Je vous demande d'insister auprès du ministre pour qu'il respecte son mandat en vertu de la Loi sur les océans d'encourager la compréhension des océans, de leurs processus ainsi que des ressources et des écosystèmes marins. Le ministre doit établir les critères d'une nouvelle recherche et exiger que les scientifiques de Pêches et Océans : mesurent la valeur actuelle des écoservices fournis par les phoques gris et en fassent rapport, surtout en ce qui a trait à l'amélioration de la productivité primaire, en se fondant sur le modèle employé dans le golfe du Maine; mesurent la réaction anticipée du plancton à la chasse au phoque gris et les répercussions sur les espèces qui en dépendent; conçoivent de nouveaux modèles d'analyse des populations et des écosystèmes tenant compte des effets positifs des mammifères marins sur la productivité primaire des écosystèmes; évaluent le risque actuel de la prolifération d'algues nocives associées aux eaux de surface stagnantes, surtout dans le golfe du Saint-Laurent, en fassent rapport et indiquent quels seraient les avantages de la présence des phoques gris pour atténuer ce risque; évaluent la capacité des prédateurs marins à respiration aérienne de réduire les zones mortes des cours d'eau partiellement enfermés comme le golfe du Saint-Laurent et en fassent rapport.
Ces cinq suggestions de recherche montrent comment les chercheurs pourraient poser les questions pour obtenir des informations sur les effets positifs. Les questions soulevées durant le Processus d'évaluation zonale étaient clairement biaisées pour mettre l'accent sur les hypothèses négatives.
Je vous prie également d'indiquer au ministre que le « plan de rétablissement bien articulé » du Canada dans le secteur des pêches doit comprendre des mesures visant à réfréner tout recours à des interventions susceptibles d'entraver les processus reconnus pour contribuer à la productivité primaire, comme la présence active des phoques.
Enfin, outre les dommages environnementaux possibles, d'autres risques inhérents à une élimination sélective du phoque gris ou aux propositions de mise en marché le concernant confirment la pertinence de ma recommandation en faveur de l'abandon d'initiatives semblables. Il sera difficile de surmonter les difficultés actuellement associées à la mise en marché du phoque, d'autant plus qu'elles pourraient s'accentuer à la faveur d'un examen plus approfondi des faits. Les risques pour l'innocuité des aliments et l'éventualité d'un massacre éhonté des phoques gris sont deux éléments problématiques à considérer.
Le Canada doit sérieusement repenser son utilisation du phoque comme ressource commerciale. Dans la documentation scientifique comme dans les médias grand public, on reconnaît de plus en plus que les mammifères marins rendent de précieux services à notre écosystème au bénéfice de tous.
Dans le Canada atlantique, les phoques offrent un large potentiel écotouristique encore inexploité. En plus de contribuer concrètement à améliorer la qualité de leur propre environnement et de celui de leurs proies, les phoques gris sont des êtres intelligents et fascinants. Dans notre région du monde, ils figurent parmi les rares grands animaux sauvages que les citadins peuvent espérer observer. Leur valeur écotouristique est donc très élevée.
Voilà qui termine ma déclaration préliminaire.
Le président : Merci beaucoup, madame MacKenzie.
Je tiens à aviser mes collègues que nous avons un horaire très chargé cet après-midi. Je vous demande donc de poser une seule question suivie d'une question supplémentaire de telle sorte que chacun ait le temps d'intervenir. Si nous avons la possibilité de faire un second tour, tant mieux, mais notre horaire est très serré.
Sénateur Hubley.
Le sénateur Hubley : Merci beaucoup, monsieur le président.
Bienvenue, madame MacKenzie, et merci pour votre exposé. Vous situez le débat dans une autre perspective et nous vous en sommes certes reconnaissants.
Est-ce que votre organisation, la Grey Seal Conservation Society, a été formée en réaction à la situation à l'île de Sable? Le cas échéant, pourquoi vous intéressez-vous uniquement au phoque gris?
Mme MacKenzie : Elle a été mise sur pied en réaction à la proposition d'élimination sélective du phoque gris sur le plateau néo-écossais. Nous avons choisi le phoque parce que c'est un prédateur marin bien connu du public. Mais si vous lisez notre documentation, vous verrez que nous préconisons en fait la protection de tous les prédateurs océaniques. Le phoque est un gros animal utile du point de vue écologique qui est directement ciblé. C'est la raison pour laquelle nous nous y intéressons tout particulièrement.
Le sénateur Hubley : Je voudrais aussi obtenir un éclaircissement. Vous avez parlé d'une large zone sans vie, pauvre en oxygène, qui s'étend depuis de nombreuses années dans les eaux profondes du golfe. Comme c'est la première fois que j'entends une telle chose, j'aimerais que vous me donniez de plus amples détails à ce sujet. Cette zone a-t-elle toujours existé? S'agit-il d'un nouveau phénomène? Quelles sont les conséquences d'une zone morte semblable?
Mme MacKenzie : Comme il est partiellement enfermé, le golfe du Saint-Laurent est davantage à risque, comme c'est le cas pour d'autres étendues d'eau semblables, dont la baie de Chesapeake. Partout sur la planète, ces zones sans vie prennent de l'ampleur lorsque les courants océaniques ne sont plus suffisamment puissants pour les débarrasser de leurs déchets. Des chenaux se forment en profondeur à partir de l'embouchure du fleuve Saint-Laurent jusqu'au détroit de Cabot; il y en a également un qui part du détroit de Belle-Isle. Dans les eaux plus profondes qui font l'objet d'un suivi depuis plus de 70 ans, on note un déclin du contenu en oxygène. On peut le lire dans les rapports sur la situation de l'écosystème de la région produit par le MPO qui a formulé des hypothèses pour expliquer le phénomène. Peu importe les raisons, le fait demeure que le contenu en oxygène des eaux profondes du golfe diminue progressivement depuis plusieurs décennies, et que certaines zones où l'on retrouvait de la morue en sont maintenant privées en raison de cette perte d'oxygène. C'est ce qu'on peut lire dans les documents du ministère.
Le sénateur Harb : J'aimerais que vous nous en disiez plus long au sujet de l'une de vos observations. Vous avez indiqué que les prédateurs naturels jouent un rôle clé dans l'ensemble de l'écosystème. De plus, les espèces proies se tirent mieux d'affaire lorsque les prédateurs survivent. L'élimination des grands prédateurs dégrade l'écosystème, qu'il s'agisse de forêts, de pâturages ou d'océans. Je vous entends nous dire de ne pas nous prendre pour Dieu le Père et de laisser l'écosystème régler lui-même ses problèmes. Est-ce bien votre message?
Mme MacKenzie : En partie. Je crois que vous avez vu ça sur le site Web.
Des études écologiques, dont une grande partie ont été menées en milieu terrestre, ont démontré que l'élimination des grands prédateurs mine les éléments fondamentaux des écosystèmes, même dans le cas des pâturages et des forêts. On ne s'en rendait pas compte à l'époque, mais les effets peuvent se manifester de façon subtile pour déstabiliser l'écosystème et contribuer à sa détérioration.
Le sénateur Harb : Les scientifiques qui ont comparu devant nous ce matin nous ont fourni différentes statistiques. Ils nous ont notamment indiqué que l'on recensait quelque 900 000 phoques gris au début des années 1900. En raison des interventions humaines qui ont touché différentes espèces, ce nombre a fluctué pour se chiffrer maintenant à environ 350 000. Contestez-vous ces statistiques?
Mme MacKenzie : Je n'ai aucune raison d'en douter. Je ne fais pas personnellement le décompte des phoques. Je suis persuadée que ces chiffres sont corrects. Il faut toutefois prendre en considération les avantages que procure la présence de mammifères marins actifs au sein d'une étendue d'eau relativement calme. L'activité des mammifères marins contribue à la salubrité de l'environnement. Lorsqu'on consulte les données historiques sur les espèces ayant vécu dans le golfe du Saint-Laurent, on constate que celui-ci débordait vraiment de mammifères marins. Il y avait des morses, de grandes quantités de baleines et des phoques à profusion. On y trouvait sans doute aussi des baleines grises. Il y avait énormément d'oiseaux, dont le faucon gris. Le golfe regorgeait de ces grands prédateurs à respiration aérienne qui se nourrissaient de poissons.
Je considère collectivement les mammifères marins comme un actif, sans vraiment m'arrêter aux différentes espèces. Si les phoques gris sont prédominants, il est d'autant plus important de les protéger pour préserver notre écosystème.
Le sénateur MacDonald : J'aimerais en apprendre davantage au sujet de la Grey Seal Conservation Society. Combien de membres compte votre groupe?
Mme MacKenzie : Huit.
Le sénateur MacDonald : Huit personnes.
Mme MacKenzie : C'est tout petit; un groupuscule.
Le sénateur MacDonald : Il y a 31 espèces en voie de disparition en Nouvelle-Écosse. Il y a des mammifères comme la martre et le lynx. Il y a le pluvier siffleur, un oiseau dont on recense quelque 6 500 individus. Il y a aussi la tortue de Blanding, un reptile. Vous vous intéressez au phoque gris, qui n'est pas du tout en danger d'extinction. Tous ces autres animaux le sont. Pourquoi déployer autant d'efforts pour un animal qui n'est pas menacé d'extinction, alors que d'autres auraient besoin de votre aide bien davantage?
Mme MacKenzie : C'est une bonne question, mais il faut se rendre compte qu'il s'agit simplement pour nous d'une façon de parler de la santé de l'océan. C'est l'aspect qui intéresse d'abord et avant tout notre groupe : comment l'océan fonctionne, qu'est-ce qu'on y retrouve et quels sont les mécanismes contribuant à en préserver la salubrité? Parmi ces mécanismes, on note la présence de gros animaux qui s'y déplacent, s'y alimentent et y laissent leurs déjections. Plus ils sont nombreux, plus leur efficacité augmente. Nous cherchons essentiellement à sensibiliser les gens à ce phénomène. Il est question de la santé de l'océan, plutôt que d'une espèce ou d'une autre.
Le sénateur MacDonald : Les plantes produisent de l'oxygène et les animaux du dioxyde de carbone. Ce sont des faits reconnus qui se manifestent également dans les océans. Je fais partie de ceux qui croient aussi que cet écosystème est viable.
Qu'il s'agisse de morue ou de saumon atlantique, la population de poissons dans l'océan est très importante. Lorsqu'interviennent des facteurs qui mettent en péril la viabilité de ces espèces, nous devons prendre des mesures raisonnables pour régler le problème. Je vous soumets très respectueusement que la situation du saumon et de la morue dans l'Atlantique Nord est extrêmement problématique. La survie à long terme du phoque gris n'est quant à elle pas vraiment remise en question.
Mme MacKenzie : Je n'essaie pas de faire valoir que le phoque gris est menacé d'extinction. Je soutiens que sa présence est utile et ne met aucunement en péril l'avenir de la morue, du saumon ou de tout autre poisson. C'est en fait un atout.
Vous dites que les plantes produisent de l'oxygène et que les animaux produisent du dioxyde de carbone. Eh bien, la situation est un peu bouleversée dans les océans où les animaux accélèrent la croissance des plantes et contribuent ainsi indirectement à la production d'oxygène. C'est dans le premier des cinq documents que je vous ai remis.
Le sénateur Cochrane : J'aimerais en apprendre davantage au sujet des recherches que vous avez effectuées pour pouvoir déclarer que le Canada doit sérieusement repenser son exploitation du phoque comme ressource commerciale. Comment vos recherches vous ont-elles menée à cette conclusion?
Mme MacKenzie : Je n'ai pas fait de recherches; je ne suis pas une scientifique. Je consulte toute l'information disponible et je réfléchis beaucoup. Je suis une simple citoyenne qui a vraiment ce dossier à coeur.
La Grey Seal Conservation Society tente d'interpréter les données scientifiques et de les formuler de façon à ce que les gens puissent les comprendre. J'ai commencé en tentant d'aider les pêcheurs à comprendre les renseignements que les stocks de poisson nous permettent d'avoir puisque j'étais leur voisine et leur infirmière.
Pour répondre à votre question, qui portait sur mes recherches? Veuillez m'excuser.
Le sénateur Cochrane : Vos propres recherches.
Mme MacKenzie : Il s'agit d'examiner les recherches de tous les autres. J'ai observé beaucoup de changements écologiques à long terme sur le trait de côte qui montrent une réduction de la croissance des plantes sur la côte de l'Atlantique rocheuse, ce qui a en fait suscité beaucoup d'intérêt. Radio-Canada a fait un documentaire sur le sujet que l'on peut écouter sur son site web. Les scientifiques qui font partie du documentaire disent qu'il semble qu'il vaille la peine de poursuivre, et on met de l'avant l'idée que l'activité animale améliore l'activité des plantes, un phénomène marin important. Le documentaire a été télédiffusé en 2004, et des données scientifiques viennent l'appuyer. On a présumé que ces phénomènes étaient sans importance, que les mammifères marins avaient un bilan neutre en carbone, mais on réalise maintenant qu'un océan rempli d'animaux absorbe plus de dioxyde de carbone.
Il y a un paradoxe dans l'océan austral : si le prédateur est décimé, ce n'est pas du tout bon pour la proie. Par exemple, lorsque les baleines ont été retirées de l'océan austral, on pensait que cela ferait augmenter le nombre de krills. La population de krills a diminué. Il y a des conséquences imprévues comme celle-là.
Le sénateur Cochrane : Vos recherches sont en grande partie composées d'observations, n'est-ce pas?
Mme MacKenzie : Mes recherches?
Le sénateur Cochrane : Oui.
Mme MacKenzie : J'ai décrit les changements que j'ai observés au fil du temps sur le trait de côte, oui.
Le sénateur Cochrane : Vos travaux sont faits à partir d'extraits de travaux d'autres scientifiques, n'est-ce pas?
Mme MacKenzie : Des observations sur des travaux publiés.
Le sénateur Hubley : Vous avez parlé des niveaux d'azote. Dans certaines petites voies navigables de l'Île-du-Prince- Édouard, par exemple, il y a trop d'azote en raison du lessivage des terres cultivées. Le plancton et d'autres organismes obstruent les cours d'eau de sorte qu'ils ne sont plus viables pour les poissons. Pourriez-vous s'il vous plaît expliquer ce qui se passe dans l'océan?
Mme MacKenzie : C'est un phénomène bien connu selon lequel les cours d'eau pollués par des nutriants provoquent une prolifération et de l'eutrophisation. S'il y a trop de plancton, c'est dommageable pour le cours d'eau. Le cours d'eau peut mourir et l'on peut se retrouver avec de l'eau hypoxique. Cependant, cela tend à être le cas pour des zones très limitées. Ce qui a tendance à se produire dans les eaux libres, c'est qu'elles deviennent trop pauvres en azote. L'azote, c'est comme n'importe quoi d'autre. Avez-vous déjà entendu l'expression « seule la dose fait le poison »? Il faut que ce soit la bonne quantité. On peut exagérer la dose localement. Il y a des processus basés là-dessus, c'est-à-dire, qu'il y a une prolifération de planctons et les bactéries causent des dommages.
De grandes zones de l'océan manquent d'engrais azoté à la surface. Les cellules végétales cessent de produire des aliments, car elles manquent d'azote; c'est ce qui les limite. Dans ce cas, les animaux de surface agissent comme une pompe à engrais. La dose est bonne lorsque c'est fourni de façon naturelle et de façon intermittente par les animaux. Ce n'est pas dommageable pour le cours d'eau, au contraire.
Le président : Madame MacKenzie, je vous remercie de votre exposé. Si jamais vous avez d'autres renseignements à fournir au comité, n'hésitez pas à le faire.
Mme MacKenzie : Merci, et si vous avez d'autres questions à me poser, vous n'avez qu'à me les faire parvenir.
Le président : Merci beaucoup.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à notre prochain groupe de témoins et les remercier de prendre le temps de comparaître devant nous aujourd'hui.
Je crois que vous connaissez bien le fonctionnement. Nous vous donnons la possibilité de faire une déclaration préliminaire, de vous présenter et de nous dire qui vous êtes. Les membres du comité auront ensuite des questions à vous poser.
Veuillez s'il vous plaît vous présenter. La parole est à vous.
Susanna Fuller, coordonnatrice de la conservation marine, Ecology Action Centre : Je m'appelle Susanna Fuller, et je suis coordonnatrice de la conservation marine à l'Ecology Action Centre, un organisme voué à la protection environnementale situé à Halifax.
Robert K. Mohn, scientifique indépendant, Ecology Action Centre : Je m'appelle Robert K. Mohn, et je suis un scientifique du MPO à la retraite. Pendant plus de 20 ans, j'ai surveillé les stocks de morue du plateau néo-écossais et au cours de la même période, j'ai modélisé les interactions entre le phoque et la morue.
Mme Fuller : Je pense que vous avez ma déclaration préliminaire, mais je vais la lire afin d'être concise.
Le programme maritime de l'Ecology Action Centre a été créé en 1990, après l'effondrement des stocks de poisson de fond dans l'Est du Canada. Nous sommes donc très inquiets de l'état de ces stocks depuis bon nombre d'années.
Nous agissons à l'échelle locale, provinciale, régionale, nationale et internationale par l'élaboration de politiques, la recherche, la sensibilisation du public, des initiatives pour stimuler le marché et des projets pilotes afin d'encourager des pêches durables et favoriser le dynamisme des collectivités côtières. Nous axons nos efforts sur les initiatives de conservation marine liées au rétablissement de l'écosystème marin de l'Atlantique et au maintien des pêches durables.
C'est ma façon de dire que nous ne nous sommes jamais prononcés contre la chasse aux phoques. Nous soutenons les pêches qui sont durables sur le plan écologique.
En ce qui concerne la population de phoques gris de l'Est du Canada, nous pensons que plusieurs aspects doivent être pris en considération avant que des décisions en matière de gestion soient prises.
Premièrement, il y a la gestion de l'activité humaine. Comme vous le savez peut-être, le Canada a signé des initiatives pour la gestion écosystémique, dont l'Accord des Nations Unies sur les stocks de poisson de 1995, la Déclaration de Reykjavik de 2001, le Plan d'application du Sommet mondial pour le développement durable de 2002, et l'objectif d'Aichi pour la diversité biologique de la Convention sur la diversité biologique. Ils exigent tous la gestion de l'activité humaine, car ils sont liés à la biodiversité dans l'écosystème marin. La question clé pour ces engagements, c'est la gestion de l'activité humaine et non celle de l'écosystème. Lorsque nous pensons aux phoques gris, c'est l'influence des humains que nous tentons de gérer et que nous sommes en mesure de gérer.
Ainsi, du point de vue scientifique, nous comprenons les préoccupations qui ont été soulevées concernant l'impact des phoques gris sur la morue, et nous connaissons les recherches scientifiques qui ont été faites, en particulier dans le sud du golfe du Saint-Laurent. Ce qui en ressort, c'est que la mortalité des morues adultes augmente, ce qui peut être en partie attribuable à la prédation par les phoques. Nous comprenons bien tous les enjeux. Nous comprenons également les problèmes auxquels l'industrie de la pêche fait face, surtout en raison de la présence de parasites, qui ont atteint les espèces à nageoires.
L'un de nos projets, « Off the Hook », est une coopérative de pêcheurs soutenue par la collectivité. Pendant huit semaines au cours de l'été, j'ai des poissons en filet et d'autres poissons. Je sais à quoi ressemblent les vers du phoque, et je comprends donc cette question sur le plan de la pêche commerciale.
Nous comprenons également que les dynamiques des écosystèmes dans les populations de phoques du golfe et de l'est du plateau néo-écossais sont complètement différentes et qu'il faut les considérer comme des questions de gestion des écosystèmes distinctes. La situation du golfe diffère de celle du plateau néo-écossais.
Le réseau trophique marin est très complexe. Il ne s'agit pas simplement de l'écosystème du phoque et de la morue. Nous savons qu'il n'y a pas qu'une interaction. Il est insensé de dire que le phoque est à l'origine de tous les cas de mortalité des morues. Il est très important de comprendre les données scientifiques.
Deuxièmement, les prédateurs des phoques, surtout les requins, dont le nombre a baissé de 90 p. 100 dans l'Atlantique Nord selon une étude, n'ont été inclus dans aucune analyse du réseau trophique. Ils n'ont peut-être pas d'impact sur la mortalité des jeunes phoques ici, mais nous ne le savons pas, car nous n'avons jamais fait ce travail. Dans d'autres parties du monde, des recherches ont été faites sur la présence des requins dans les aires de reproduction des phoques, et elles révèlent que la prédation sur les jeunes phoques est importante. Dans bien des recherches, nous avons tendance à examiner seulement une partie de la chaîne alimentaire.
La complexité est un élément vraiment important pour comprendre la question. S'il devait y avoir un abattage sélectif, quelles en seraient les répercussions pour le reste du réseau trophique et qu'est-ce que nous n'examinons pas au sujet des autres prédateurs importants qui ont un impact sur la mortalité, en particulier des phoques?
En ce qui concerne les politiques et les pratiques de gestion des activités humaines dans les océans au Canada, notre pays est l'un des seuls qui n'a pas de cibles de rétablissement applicables. Nous savons qu'aux États-Unis, la loi Magnuson-Stevens interdit la surexploitation; elle est illégale. Les États-Unis ont des cibles de rétablissement fondées sur des échéanciers qu'il faut absolument respecter, ce qui n'existe pas ici. Nous n'avons ni échéancier, ni cibles, ni de règles de rétablissement pour les produits de la pêche commerciale. Je sais que la stratégie de rétablissement va en ce sens, mais elle n'inclut toujours pas d'échéancier et de cibles de rétablissement.
Deux décennies après l'effondrement des stocks de morue, aucune reconstitution importante de la ressource n'a été observée et le Comité sur les situations des espèces en péril au Canada estime que les stocks de morue du Nord sont en danger. Le Canada est en train d'adopter une politique sur les prises accidentelles, mais cette politique ne s'applique pas aux espèces commerciales qui peuvent être conservées. Le Canada n'a pas inclus non plus de mesures de protection pour les espèces visées par la pêche commerciale dans le cadre qu'il a mis en place pour la création d'un réseau d'aires marines protégées.
Ce que j'essaie de dire, c'est qu'il y a des choses pour lesquelles nous gérons l'incidence des activités humaines sur l'écosystème qui n'ont pas été prises en considération et nous n'avons donc pas de très bons résultats à cet égard. Je crois que l'effondrement des stocks dans le Canada atlantique est attribuable principalement à une mauvaise gestion des pêcheries et non pas à la présence des phoques. Il faudrait donc s'employer à améliorer la productivité des pêcheries en tenant compte tout d'abord des répercussions de l'activité humaine au lieu de chercher d'autres explications qui nous éviteraient de modifier les pratiques de pêche.
Quant à la perception de cette chasse dans la population, un problème auquel nous sommes confrontés régulièrement, je vous dirai en toute franchise que nous avons essuyé un feu nourri de critiques provenant d'autres organisations environnementales et d'organisations de défense des animaux. Nous sommes tout à fait conscients de la perception que la population a non seulement de l'organisation, mais de toute la question en général.
Je crois qu'une chasse sélective serait coûteuse pour les contribuables, surtout si elle devait être pratiquée au cours d'une longue période, ce qui serait probablement le cas parce que nous n'avons aucun moyen de prévoir l'issue d'une telle chasse à un moment donné. Étant donné les coupes imposées au volet scientifique du ministère des Pêches et Océans pour la gestion et la surveillance de l'environnement, il n'est pas certain qu'il serait dans l'intérêt public de financer une chasse sélective pour remplacer les services ainsi éliminés.
Encore une fois, la chasse sélective reçoit peu d'appui de la population, tout particulièrement à l'île de Sable, qui vient tout juste de devenir notre plus récent parc national. Elle mettrait encore davantage sur la sellette la réputation du Canada à l'étranger concernant les questions de conservation et donnerait des munitions aux organisations qui s'opposent à la chasse aux phoques commerciale. Or, ce n'est pas du tout ce dont cette industrie a besoin à ce moment- ci.
Enfin, je désire rappeler que nous nous étions engagés à gérer les activités humaines, mais que nous n'avons pas très bien travaillé sur ce plan. Il serait extrêmement risqué de commencer à examiner la façon dont nous gérons l'écosystème alors que nous ne nous sommes pas bien gérés nous-mêmes, et ce, tout particulièrement lorsque la science ne permet pas de prévoir l'incidence des mesures que nous prendrions sur la productivité des stocks de poisson.
Le sénateur Hubley : Monsieur Mohn?
Le président : Avez-vous des remarques préliminaires à présenter?
M. Mohn : Je crois comprendre que vous avez mon mémoire. Je ne le lirai pas, mais pour gagner du temps, je vais essayer de présenter les points saillants.
L'expérience que j'ai de la situation concernant ce stock de morue est résumée à la première figure, qui donne l'historique de la biomasse du stock de morue de l'est du plateau néo-écossais. Nous pouvons voir que le stock a commencé à baisser très rapidement dans les années 1970. À l'époque, les spécialistes de la science halieutique estimaient que la mortalité naturelle comptait pour peu dans cette situation, soit environ 20 p. 100 par année, et que la pêche constituait le facteur principal de réduction de la ressource. La solution était simple : il fallait pêcher moins. Le total des prises admissibles est donc passé de 60 000 tonnes à 7 000 tonnes en deux ans. Le stock a immédiatement commencé à se reconstituer. On s'est donc dit qu'on avait trouvé la bonne solution et qu'on comprenait bien la situation. L'orgueil est toujours un problème.
Le stock a donc augmenté pendant environ 10 ans et ensuite il a commencé à chuter très rapidement. Nous nous sommes alors dit que nous avions déjà eu cette expérience et que nous savions quoi faire : tenir les pêcheurs à distance. On a donc mis fin à la pêche en 1993.
Vingt ans plus tard, nous avons répété exactement la même expérience, pour ce qui semblait être exactement la même situation, mais, à la surprise de la plupart des gens, c'est le contraire qui s'est produit : il n'y a pas eu de rétablissement des stocks, qui ont continué de chuter.
Il est très dangereux d'appliquer des modèles simples pour comprendre et essayer de prévoir l'issue des mesures qu'on prend. En fait, à cette époque-là, j'ai publié, peut-être un peu bêtement, un document sur les phoques et la morue dans lequel j'ai dit qu'il serait très difficile pour la morue de revenir à cause de la présence des phoques. Nous comprenons mieux les choses maintenant, mais le système nous a réservé une autre surprise. La morue a commencé à revenir même s'il y avait plus de phoques que jamais. Voilà ce qui arrive lorsque la nature vous joue un tour alors que vous croyez savoir ce que vous faites.
La science essaie toujours de savoir « pourquoi ». La deuxième figure montre qu'avec une certaine amélioration de la technologie au fil des ans, nous avons commencé à comprendre le phénomène. Naturellement, le premier problème tenait à ce que la mortalité naturelle ne constituait pas un facteur de peu d'importance; elle est en fait un facteur très dynamique. La mortalité naturelle à la fin des années 1980 et au début des années 1990 a connu une hausse marquée, et c'est à cette même époque que la population de phoques a commencé à devenir dangereusement importante. Là encore, je crois que nous avons été suffisants en pensant que nous avions compris le problème.
La figure la plus importante, c'est probablement la deuxième, soit la mortalité naturelle de la morue plus âgée. Les morues de cinq ans ou plus sont sexuellement matures. Le stock de morue mature est demeuré très élevé pendant environ 10 ans et, sans que l'on sache vraiment pourquoi, il a commencé à chuter de façon tout à fait imprévue.
Je dois ouvrir une parenthèse. Ce matin, nous avons entendu dire que la situation était attribuable au poisson proie, ce qui selon moi, n'est pas vrai. Je suis certain que nous reviendrons sur cette question plus tard.
Là encore, le système s'est joué de nous, mais nous examinons et étudions ce qui s'est produit et nous croyons maintenant mieux comprendre la situation.
Je vais terminer en vous faisant part de deux réflexions. La première est que les systèmes complexes font des choses surprenantes, sans nous avertir. La deuxième, qui découle de la première, c'est que si on mène une expérience ou si on prend une mesure quelconque, il faut procéder avec une extrême prudence parce que les choses peuvent changer rapidement.
Mon dernier conseil serait de ne pas vous étonner si quelque chose d'étonnant survient.
Le sénateur Hubley : Je vous remercie tous les deux de vos exposés. Vous nous donnez des informations précieuses pour cette étude qui nous occupe depuis un certain temps. Nous aimerions savoir s'il y a des réponses, mais jusqu'à maintenant, nous n'en avons pas trouvé beaucoup. Un grand nombre de problèmes se posent. Le système est complexe et nous en sommes bien conscients. Vous avez formulé quelques suggestions concernant la gestion de l'activité humaine, la contribution de la science, et cetera, alors, estimez-vous qu'il y a quelque chose à faire concernant le phoque gris?
Mme Fuller : Je pense que le problème, ce serait de porter notre attention sur le phoque gris au lieu de nous concentrer sur une bonne gestion de l'écosystème. Comme Bob l'a dit, attendez-vous à des surprises.
Une grande partie de l'expérience que j'ai acquise dans des domaines comme l'approche préventive et la gestion axée sur l'écosystème a été transmise aux scientifiques qui doivent produire des points de référence, des façons de prévoir l'issue des mesures prises ou encore d'autres choses concernant l'écosystème. Ces tâches sont très difficiles à réaliser dans une approche scientifique, mais je crois que nous y arrivons mieux maintenant. Les cascades trophiques font l'objet de plus en plus de travaux. Le réseau trophique marin est bien différent du réseau trophique terrestre. Il faut établir un nouvel ensemble de caractéristiques écologiques.
Je ne peux répondre à la question sur les phoques gris tant que nous ne connaîtrons pas mieux le contexte général. Nous ne pourrons pas gérer la population de phoques gris et les problèmes de perception tant que nous ne comprendrons pas entièrement l'écosystème et les conséquences possibles qu'il pourrait y avoir à en retirer les phoques gris. Aidera-t-on ainsi au retour de la morue? Nous ne le savons pas. Réduirons-nous la mortalité chez la morue adulte? Nous ne le savons pas. Réduirons-nous le problème des parasites dans le poisson de fond? Nous ne le savons pas. Il nous sera probablement impossible de réellement le savoir tant qu'un cycle de vie des parasites ne se sera pas déroulé au complet, ce qui peut prendre cinq, six ou sept ans.
La population de requins a-t-elle diminué dans le Canada atlantique, comme cela s'est produit dans le Nord-Est des États-Unis? Quel a été le niveau de prédation des requins blancs ou des requins du Groenland sur les jeunes phoques? Nous ne le savons pas. J'ai l'impression qu'il y a tant de choses que nous ne savons pas que cela serait un pari risqué de nous débarrasser de tous les phoques gris. La mesure serait un pari risqué sur le plan scientifique et sur le plan financier, et elle pourrait également être mal perçue dans la population. Les enjeux sont considérables. Je crois qu'il faut intégrer le traitement de cette question aux mesures que nous prenons pour l'écosystème marin du Canada atlantique et à notre stratégie de gestion axée sur l'écosystème, qui n'est pas entièrement tributaire des prévisions scientifiques, mais qui repose plutôt sur la prise de décisions et la prévention. Nous n'avons pas encore intégré cela dans le Canada atlantique, à ce que je sache.
Le sénateur Hubley : Je veux apporter une correction; nous n'avons aucunement l'intention d'éliminer le phoque gris. En ce moment, nous cherchons des méthodes raisonnables pour régler un problème qui a de plus en plus de répercussions sur le mode de vie des habitants de la région et pour mieux surveiller le phoque gris.
M. Mohn : Vous nous avez demandé — et c'est une question fondamentale — ce qu'il faut faire, surtout dans les cas où on ne sait pas vraiment ce qui va arriver si on fait quelque chose. Je crois que si vous entendez un si grand nombre d'avis divergents, c'est parce que nous ne le savons pas, et personne d'autre ne le sait. Si vous avez le temps, et je suis sûr que vous en avez assez de l'entendre, vous n'avez qu'à poursuivre vos études.
Le sénateur Harb : Merci de votre exposé. C'est très important, étant donné que vous avez passé un si grand nombre d'années au ministère. Cela donne beaucoup plus de poids à ce que vous dites.
D'après ce que je comprends, vous nous dites que nous n'avons pas vraiment de politique. Des pays d'Europe ou les États-Unis, par exemple, ont déjà une politique à l'égard de considérations comme les stocks de poisson. Quand décidez-vous de mettre fin à une pêche? Quand autorisez-vous la pratique d'une pêche?
Il me semble qu'au Canada nous avons un système politique dans lequel un ministre, de sa propre initiative, décide s'il ouvre un certain marché et s'il autorise la pratique d'une certaine pêche. Vous dites que nous devrions probablement cesser de confier ce dossier aux politiciens et adopter une politique fondée sur la durabilité. Est-ce bien ce que vous dites?
M. Mohn : C'était mon intention, mais je pense qu'il y a beaucoup de mérite dans ce que vous suggérez, car s'il s'agit d'un rôle plus législatif et scientifique, on élimine cette dimension. J'aime travailler avec les chiffres, et c'est ce que vous proposez.
Mme Fuller : Je pense que le pouvoir discrétionnaire du ministre représente, depuis longtemps, un problème dans le domaine des pêches. Je pense que la recherche scientifique commence à s'imposer de plus en plus, mais les compressions budgétaires dans ce domaine ne nous aident pas à rattraper le temps perdu. Nous tentons présentement d'obtenir quelques éléments de référence par mesure de précaution en ce qui concerne les stocks de poisson au Canada. La démarche scientifique est aussi sans doute très politique, alors à mon avis, il nous faut intégrer davantage de freins et de contrepoids au système.
Je travaille beaucoup dans le domaine des pêches internationales par l'intermédiaire de l'OPANO. Je surveille ce processus de près. On a mené un grand nombre d'activités liées à la conservation spatiale ces dernières années, et elles ont eu des répercussions importantes en haute mer. Par contre, il est plus difficile de gérer les pêcheurs et leurs prises.
Le Canada n'a toujours pas de politique par prise ou de stratégie de rétablissement des stocks; dans les deux cas, il n'existe qu'une ébauche. Nous avons pris énormément de retard, comparativement aux pays développés qui pratiquent la pêche, dans la mise en oeuvre de politiques et de pratiques exemplaires de bonne gestion de cette activité.
Le sénateur Harb : Il me semble que l'objectif de la communauté scientifique devrait être d'informer les politiciens, afin que nous ne laissions pas intentionnellement ces questions dans l'ombre. Les scientifiques ne nous disent pas assez souvent de nous réveiller et de laisser les politiques de côté pour mettre en oeuvre une stratégie appropriée qui s'occupe des problèmes en se fondant sur la recherche scientifique et les preuves. C'est notre boulot ou le vôtre?
Mme Fuller : Je pense qu'il serait bien que les scientifiques nous parlent. Les scientifiques universitaires sont en mesure de dire ces choses et de parler de leurs publications. Par contre, les chercheurs du gouvernement n'ont pas souvent l'occasion de faire cela ou même de communiquer avec les politiciens. La direction leur pose des questions et ils répondent, et ensuite la direction prend des décisions en se fondant sur les données scientifiques. Il y a donc des décisions fondées sur la recherche scientifique, mais elles ne tiennent pas toujours compte de la science.
Nous avons probablement besoin d'une culture dans laquelle on a davantage recours à la science. La recherche scientifique produit parfois des erreurs et elle ne peut pas tout prédire, mais elle peut nous faire savoir ce qu'elle ne peut pas prédire. C'est à ce moment-là qu'interviennent les décisions des gestionnaires, car il y a de l'incertitude et il faut prendre des précautions. Toutefois, en ce moment, je dirais que nous sommes en train de perdre cette capacité scientifique. Nous n'avons certainement pas les avis scientifiques indépendants dont nous avons besoin pour convaincre les élus.
M. Mohn : Plus court. Bravo!
Le sénateur MacDonald : Je tiens à faire une observation sur ce que vous avez dit. À quelques reprises, j'ai entendu parler de polarisation de la situation internationale, comme si nous devions être paralysés et avoir peur d'agir, de crainte de froisser l'opinion ailleurs dans le monde. Je tiens à ce qu'on sache que je trouve très étrange que l'Europe, ce continent où on peut gaver les oies, en France, jusqu'à ce que leurs foies éclatent, c'est de la torture, et transformer, au milieu d'une arène, un taureau en pelote à épingles pendant une heure avant de l'immoler... je suis loin de croire qu'elle soit en position de faire la morale au Canada.
Deux ou trois choses ont piqué ma curiosité. Vous avez parlé d'échéanciers et de stratégies de rétablissement. D'instinct, je vous appuie. Je pense que cela a fait défaut au Canada. Pouvez-vous nous en dire davantage au sujet de ces stratégies. Et si vous aviez à rédiger une stratégie nationale pour le rétablissement du secteur des pêches, quelle structure fondamentale mettriez-vous en place? Quels en seraient les éléments?
M. Mohn : Le premier exemple qui me vient à l'esprit, à la faveur de l'expérience que j'ai acquise à l'étranger, c'est la Loi Magnuson, des États-Unis, et la loi qui lui a été consécutive. Ces lois s'appuient fermement sur la science. Si les stocks diminuent et se retrouvent à tel niveau, on est tenu, en 10 ans, de les rétablir à tel autre niveau. Je pense que c'est un bon point de départ.
Je n'ai pas eu le temps de parler de mon troisième chiffre, sur une stratégie de rétablissement. Il provenait de notre étude sur les possibilités de rétablissement des populations de morues. C'est dans cette direction que la science se dirige, mais je pense que notre politique est très loin derrière ses réalisations.
Le sénateur MacDonald : Vos remarques au sujet des captures accessoires étaient très judicieuses. Pouvez-vous nous en dire un peu plus?
Mme Fuller : J'ignore à quel point vous connaissez le cadre qu'est en train d'élaborer le ministère des Pêches et des Océans pour des pêches durables. Lentement, on rédige et on adopte diverses politiques touchant des aspects de la gestion axée sur l'écosystème. Le Canada ne s'est jamais doté d'une politique concernant les captures accessoires. Nous leur avons imposé des limites pour certaines espèces commerciales. C'est ainsi, en grande partie, que nous gérons actuellement la pêche de la morue. Par exemple, dans la pêche de l'aiglefin, il n'y a pas de limite aux captures. Nous ne sommes pas brillants.
J'ignore si vous êtes bien au courant de la pêche du poisson de fond en Colombie-Britannique, mais, là-bas, il faut enregistrer les prises accessoires de chaque espèce. Je pense qu'environ 130 espèces sont contingentées, et les quotas sont échangeables. Le système pose certains problèmes, mais, au moins, on limite les captures accessoires. Notre situation actuelle est un peu une conséquence énorme des captures accessoires.
Autre chose : nous n'avons pas géré nos méthodes de pêche. Quand les limites de la mer territoriale ont été repoussées à 200 milles de distance, nous n'avons pas fait mieux que les pêcheurs étrangers. Nous nous sommes comportés exactement comme eux et nous ne gérons toujours pas si bien que cela nos méthodes de pêche. Je dirais que nos décisions se prennent en fonction de ceux qui, dans l'industrie, gueulent le plus pour leurs intérêts, ce qui ne favorise pas toujours l'adoption d'engins de pêche compatibles avec la durabilité de cette activité. Je m'éloigne de la question des captures accessoires, mais certaines de nos stratégies concernant les zones protégées finissent par diviser l'industrie de la pêche, alors qu'il faudrait évoquer l'efficacité possible des mesures de conservation spatiale et préconiser une démarche réfléchie et adaptative.
Nous pouvons également nous mettre à l'école des États-Unis. Ce pays a fermé depuis longtemps des zones à la pêche et, dans certaines, on n'a pas observé de rétablissement de la morue, mais, plutôt, de l'aiglefin, du pétoncle et d'autres espèces importantes.
Dans le plan de gestion intégrée, que l'on propose désormais de rendre perpétuel, ce qui interdit la gestion adaptative, rien n'était prévu, jusqu'à tout récemment, pour les captures accessoires ainsi que pour le rétablissement des stocks et la gestion axées sur l'écosystème. Nous n'avons pas géré nos pêcheries de façon holistique. Si la loi nous obligeait à adopter des objectifs pour le rétablissement, ce serait excellent, parce que nous aurions une obligation de résultat. Ce serait la fin du pouvoir discrétionnaire des ministres et des pressions de l'industrie, parce qu'on n'aurait plus la liberté de choisir. La loi déciderait.
Le sénateur MacDonald : Chaque fois que je suis allé sur les Bancs, j'ai toujours été étonné par l'importance des captures accessoires, des poissons que nous devions rejeter morts à la mer. Je pensais que c'était un terrible gaspillage, mais nous y étions tenus par la loi.
Je pense dans certaines localités de Terre-Neuve, on autorise l'existence de petites pêcheries de la morue. Est-ce qu'on devrait les autoriser totalement tant que les stocks ne se seront pas reconstitués à un niveau jugé acceptable?
Mme Fuller : Je suis déchirée. Étant donné la situation des stocks, nous ne devrions probablement pas les autoriser, mais nous devons également connaître la situation des stocks qui vivent dans les baies. Pendant longtemps, nous avons géré la morue comme si c'était un stock unique et nombreux, ce qui n'est effectivement pas le cas. Il existe de petites populations locales. Je pense que nous devons mieux les connaître.
Mon organisme appuie entièrement la pratique d'une pêche durable à petite échelle dans les collectivités côtières. C'est pourquoi nous essayons de comprendre et de savoir, de manière scientifique, au mieux de nos capacités. Nous estimons également que, pour le maintien des pêches durables, il faut des engins qui s'y prêtent, les autoriser et les favoriser. Le problème est épineux.
Le sénateur Cochrane : Quelle sorte de rapports entretenez-vous avec P et O?
Mme Fuller : Moi, personnellement?
Le sénateur Cochrane : En ce qui concerne votre position.
Mme Fuller : J'effectue du travail intermittent pour le ministère. Des contrats, ce genre de choses. J'assiste à beaucoup de réunions. Je participe à des processus consultatifs scientifiques nationaux et j'ai participé assez activement à l'élaboration de la politique touchant le cadre pour la pêche durable.
Autant que j'en suis capable, j'assiste à toutes les réunions des comités consultatifs sur l'évaluation des stocks, ce qui est difficile, parce qu'il s'en tient une toutes les semaines.
Nous avons une réunion trimestrielle régulière avec le directeur général de la région, ici, le chef des sciences, le chef des océans et le chef de la direction, maintenant, que nous avons organisée ces deux dernières années. Je peux dire que, ces cinq dernières années, les rapports de Pêches et Océans avec les organismes écologistes, particulièrement la nôtre, se sont considérablement améliorés.
J'ai siégé à un comité national de coordination de l'habitat halieutique, avec des représentants de Pêches et Océans, à Ottawa, pendant six ans.
Je pense que j'entretiens d'assez bons rapports avec le ministère. Je suis une scientifique. Je comprends donc les enjeux scientifiques et je suis capable de m'exprimer à ce sujet.
Le sénateur Cochrane : Vous dites que tous les instruments que vous avez mentionnés, par exemple l'accord sur les stocks de poisson et le sommet mondial du plan de développement durable, exigent la gestion de l'activité humaine. Qu'entendez-vous par là?
Mme Fuller : La plupart des accords internationaux et même les lignes directrices de la FAO, dans lesquels il est question de gestion axée sur l'écosystème, reconnaissent l'impossibilité de gérer l'écosystème, particulièrement en ce qui concerne la pêche, en grande partie en raison de la complexité du problème et parce que l'écosystème échappe totalement à notre volonté. Mais nous pouvons exercer une maîtrise sur nos actions.
La solution la plus pratique et la plus réaliste consiste à gérer les comportements. Nous gérons les pêches, les permis et les quotas. Cela fait partie de la gestion du comportement humain. Nous pensons pouvoir gérer les populations, mais, en fait, c'est impossible, parce que, comme le dit Bob, tant de facteurs sont imprévisibles. Nous faisons donc du mieux que nous pouvons et nous prétendons que le Canada pourrait faire beaucoup mieux en gérant les activités humaines qui influent sur l'écosystème. Dans le milieu marin, il s'agit en grande partie de la pêche, mais il y a aussi l'exploitation du pétrole et du gaz et le changement climatique, un nouveau facteur qui gagne en importance et dont l'imprévisibilité est vraiment croissante. Nous gérons les gens; nous ne gérons pas les stocks de poisson.
Le sénateur MacDonald : Vous avez parlé des méthodes et engins de pêche que vous utilisez. J'aimerais connaître votre opinion sur le retour à des méthodes de pêche plus traditionnelles, comme la pêche à la ligne.
Mme Fuller : Nous préconisons depuis longtemps la pêche à la ligne. Nous comprenons que maintenant, particulièrement grâce au chalut séparateur à aiglefin, il se prend accessoirement moins de morues dans la pêche de l'aiglefin sur le banc Georges, notamment. Nous pensons que, dans certains secteurs, on devrait interdire certains engins de pêche, particulièrement aux endroits où le fond est complexe.
J'ignore si vous êtes au courant des nouvelles d'hier sur l'usine de gestion intégrée des pêches pour le chalutage du poisson de fond de la Colombie-Britannique. Depuis un an, le ministère collabore avec quelques organisations écologistes pour mettre en oeuvre la résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies sur les pêches durables concernant le chalutage ou la pêche du poisson de fond. Elle a limité la superficie où la pratique est autorisée et institué des limites aux prises accessoires de coraux et d'éponges. C'est vraiment un précédent, un précédent mondial. Cela n'a jamais été fait ailleurs, dans aucune mer territoriale.
Nous plaidons vivement en faveur de la pêche qui a le moins de répercussions sur l'écosystème et qui maximise le potentiel du marché ainsi que les revenus des pêcheurs.
Par exemple, notre secteur de la pêche soutenu par la collectivité a pu faire en sorte que les pêcheurs, qui pêchaient principalement l'aiglefin, mais aussi un peu la merluche et la morue, obtiennent 3 $ la livre plutôt que 75 cents, simplement en leur trouvant un créneau. C'est une petite chose, mais elle a une grande importance dans une municipalité d'une centaine d'habitants où travaillent cinq pêcheurs qui tout d'un coup peuvent obtenir trois fois plus pour leurs produits.
Ces dernières années, nous avons effectué beaucoup de travail positif relativement aux pêches durables. Au début, nous avons beaucoup parlé de l'incidence sur les planchers océaniques du chalutage par le fond. Vous constaterez qu'il s'agit maintenant d'un enjeu mondial, qu'il y a des zones en haute mer fermées à la pêche et que certains pays ont éliminé le chalutage par le fond. Nous ne défendons pas une position radicale, mais nous croyons que nous devons gérer les méthodes de pêche, prendre réellement conscience des raisons pour lesquelles nous adoptons ces méthodes et réfléchir véritablement aux répercussions socioéconomiques, d'autant plus qu'on parle de nos jours de l'exploitation durable des produits de la mer.
Le président : Monsieur Mohn, vous avez fait tout à l'heure un commentaire concernant un témoignage que nous avons entendu au sujet des poissons fourrages et de la responsabilité. Avez-vous bien dit que vous ne croyez pas cela?
M. Mohn : Oui, c'est exact.
Le président : Pouvez-vous en dire un peu plus long, s'il vous plaît?
M. Mohn : Je faisais référence au deuxième graphique, qui illustre la mortalité naturelle chez la morue plus âgée. Il s'agit de la morue âgée de cinq ans et plus. Elle est plus grosse dans l'est du plateau néo-écossais. Le mécanisme qui fait en sorte que le poisson fourrage nuit, si on peut dire, à la morue est la reproduction. Le hareng, le maquereau et le lançon se nourrissent des oeufs et des larves. Une fois que la morue a atteint cette taille, le hareng n'est plus que de la nourriture pour ce poisson.
Nous avons été en mesure de déterminer que le principal élément qui a contribué au rétablissement de ces stocks de poisson est ce changement sur le plan de la mortalité des poissons plus âgés. Les poissons fourrages — le hareng, le maquereau et le lançon — sont des aliments.
Je ne peux m'empêcher de sourire parce que la personne a parlé avec tellement d'assurance, mais j'ai appris au fil des décennies qu'il faut éviter d'être trop certain.
Doug Swain a pris la parole ce matin. Lui et moi sommes en train de rédiger un rapport de recherche sur le sujet, qui a en fait été approuvé.
Le président : Vous avez tous les deux grandement contribué à notre étude. Nous vous remercions d'avoir pris le temps de venir comparaître devant nous.
Nous accueillons maintenant un grand groupe de témoins. Je reconnais quelques visages. Nous sommes ravis que vous puissiez vous joindre à nous cet après-midi.
Je crois que quelques-uns d'entre vous sont dans la salle depuis un certain temps. Nous vous demandons de vous présenter et de faire un bref exposé. Ensuite, les sénateurs vous poseront des questions.
Monsieur Morrow, la parole est à vous.
Denny Morrow, ancien directeur exécutif, Nova Scotia Fish Packers Association : Je tiens à remercier le comité de donner l'occasion à des représentants de l'industrie de s'adresser à lui au sujet de la question des phoques gris. J'ai été directeur exécutif de la Nova Scotia Fish Packers Association de 1996 à 2011. J'ai pris ma retraite en décembre. Durant ces 15 années, un des dossiers ou probablement le dossier le plus difficile et le plus frustrant a été celui de l'impact des phoques.
Pour commencer, je vais parler du graphique que Bob Mohn a montré je crois, tout à l'heure, et qui illustre l'abondance de la morue, selon les données recueillies par le bâtiment hydrographique du MPO qui navigue tous les étés depuis 1970. Si on examine la zone VSW ou l'est du plateau néo-écossais, on constate que vers 2007, il semble y avoir eu un pic dans l'abondance de la morue. Toutefois, ce qui est particulièrement frustrant du point de vue de l'industrie, c'est que ces petits pics, comme on l'a déjà mentionné, disparaissent à partir du moment où le poisson atteint l'âge de cinq ans. Il se fait manger.
Si vous examinez le graphique, vous pouvez constater qu'il y a eu un autre pic vers 2009 ou 2010. En 2010, les stocks ont décliné encore une fois, d'après le relevé du poisson de fond dans l'est du plateau néo-écossais. En 2011, on a observé une nouvelle baisse. Les résultats du relevé de 2012 nous intéressent grandement parce qu'il semble y avoir une tendance.
Lors du premier colloque sur l'impact des phoques gris, qui s'est tenu en 2007, un scientifique norvégien a fait valoir que nous sommes en présence d'un piège à prédateurs. Dès que nos stocks de morue, en fait ce qu'il en reste, recommencent à croître, ils se font dévorer.
L'année prochaine, cela fera 20 ans qu'on a imposé un moratoire sur la pêche à la morue au large de la côte Est de la Nouvelle-Écosse. L'industrie de la pêche en Nouvelle-Écosse a été privée de millions de dollars en recettes d'exportation pendant cette période. Ce que nous avons largement exporté, ce sont nos pêcheurs et les travailleurs de nos usines.
J'aimerais mentionner qu'au début des années 2000, j'ai dirigé un groupe formé de représentants de l'industrie chargé d'amasser des fonds pour effectuer des recherches sur l'infestation croissante de parasites, à savoir des vers de phoque, chez les espèces commerciales de poisson de fond, non seulement la morue, mais aussi l'aiglefin, le brosme, la merluche blanche et toutes les autres espèces de poisson de fond. J'ai décidé d'assumer cette fonction parce que les propriétaires et les exploitants d'usines de transformation du poisson m'appelaient pour m'informer qu'il y avait auparavant des zones où le poisson n'était pas infesté et que les coûts d'élimination des parasites étaient très bas, mais que ce n'était plus le cas. Au cours des deux ou trois dernières années où j'ai travaillé, des propriétaires d'usines de transformation m'ont même appelé pour me dire que les poissons qu'ils avaient reçus ne pouvaient même pas être transformés. Ce n'était pas de la morue; je me souviens que c'était de l'aiglefin.
En 2003, je me suis rendu en Islande pour m'entretenir avec des scientifiques et des représentants de l'industrie. Ce pays pratique l'abattage sélectif des phoques. Sa population de phoques gris s'élève probablement à moins de 10 000. Il surveille l'évolution des parasites chez une espèce de poisson sédentaire, le chabot, et lorsque le nombre de parasites augmente au- delà d'un certain niveau, on procède à l'abattage d'un certain nombre de phoques dans la région. Je pense que le quota que l'Islande avait fixé l'an dernier pour la pêche à la morue s'établissait à environ 160 000 tonnes. Au cours d'une des dernières soirées que j'ai passées là-bas, je me souviens d'avoir soupé avec un représentant du ministère des Finances qui m'a dit ceci : « Si nous gérions nos stocks de la même façon que vous le faites au Canada, nous habiterions dans des huttes de terre. »
Un matin d'hiver, en 2007, j'ai rencontré à Ottawa le ministre Loyola Hearn pour discuter de la question du phoque gris et des solutions possibles. Je crois que le sous-ministre adjoint était à l'époque Kevin Stringer. Le ministre Hearn et M. Stringer ont tous les deux convenu que nous n'en savions pas beaucoup au sujet des phoques gris. Ils ont admis que nous avions beaucoup de connaissances sur le phoque du Groenland, mais très peu à propos du phoque gris. Ils ne savaient pas très bien à quelle vitesse le phoque gris se reproduisait dans l'ouest du plateau néo-écossais et dans la baie de Fundy ainsi que dans la région 4X. Il existe toujours une industrie de la pêche au poisson de fond dans cette région et nous craignons beaucoup qu'elle disparaisse. Jusque-là, les discussions avaient porté sur la chasse au phoque du Groenland.
On proteste contre la chasse au phoque et on se demande si elle est pratiquée sans cruauté. Pendant ce temps, il y a des phoques gris qui se nourrissent dans nos eaux à longueur d'année. Mis à part un très petit nombre de phoques gris au large de la côte du Cap Breton, pratiquement aucun phoque gris n'a été chassé. En effet, les pêcheurs de la Nouvelle- Écosse n'ont pas vraiment manifesté le désir de les chasser. Ce qui nous préoccupe, c'est l'incidence sur le rétablissement des stocks de poisson de fond.
J'ai participé au premier colloque scientifique que le MPO a organisé à la demande du ministre Hearn. C'était en octobre 2007. En octobre 2008, un deuxième colloque a eu lieu pour continuer la discussion sur les problèmes soulevés au cours du premier colloque. Les deux colloques ont eu lieu à Halifax et ils ont réuni des scientifiques de partout dans le monde, notamment du Royaume-Uni.
Soit dit en passant, il existe une population d'environ 160 000 phoques gris au large des côtes du Royaume-Uni. Un scientifique du Royaume-Uni a d'ailleurs prononcé une allocution lors de ces colloques. Des scientifiques de la Norvège, des États-Unis et des côtes Est et Ouest du Canada étaient également présents.
J'ai aussi participé à un groupe de travail sur le phoque gris mis sur pied en 2009 par le bureau du MPO de la région des Maritimes. Nous avons élaboré des projets de recherche visant l'ouest du plateau néo-écossais. Nous avons aussi participé à la planification du processus d'évaluation zonale qui s'est déroulé en octobre 2010. Ces trois rassemblements de scientifiques ont permis de clarifier de nombreuses questions et de mettre en lumière des enjeux cruciaux, notamment le rôle des phoques gris et le rétablissement des stocks de morue dans la zone 4T. La conclusion qui a été formulée à propos de l'état des stocks de morue dans la zone 4VsW était différente de celle concernant les stocks dans le golfe. Aucune conclusion n'a été faite au sujet de l'impact dans la zone 4X et aucune recherche n'a été prévue, ce qui est très décevant pour l'industrie.
Voici quelques réflexions au sujet de la conclusion voulant que les phoques gris aient probablement peu d'impact sur le rétablissement de la morue dans la zone 4VsW. L'échantillonnage des contenus stomacaux de phoques s'est fait suivant des modèles qui reposent sur l'analyse quantitative de la signature des acides gras. Cette méthode consiste à prélever des échantillons du petit lard et de lire la signature des espèces proies dans l'huile de ces échantillons. On a beaucoup misé sur cette analyse.
Par ailleurs, en octobre 2010, lorsqu'il y a eu le processus d'évaluation zonale du phoque gris, quelques scientifiques de l'IOB étaient convaincus que la mortalité naturelle avait diminué et que le stock de morue dans la zone 4VsW était en voie de rétablissement. Les échantillons prélevés sur des phoques gris autour de l'île de Sable semblaient indiquer qu'ils préfèrent les morues de petite taille, alors que la mortalité naturelle était problématique chez les morues de grande taille. Pour ces trois raisons, ils ont conclu que, même si la situation du stock de morue de la zone 4T semble problématique dans le golfe du Saint-Laurent, ce problème n'existe pas dans la zone 4VsW. Une étude sur le rétablissement de la morue dans la zone 4VsW a même été publiée dans le Journal of Nature. L'hypothèse est émise que l'abondance du hareng dans le plateau néo-écossais joue un rôle clé dans l'absence de rétablissement de la morue. Mais il n'y est fait aucune mention des phoques gris. Bob Mohn vous a parlé de cette question un peu plus tôt.
J'aimerais souligner également qu'il n'existe aucun indice d'abondance du hareng dans le plateau néo-écossais. Nous n'avons aucune idée de ce que faisait la population de hareng à cet endroit, alors il est impossible d'établir un lien entre la morue et l'abondance du hareng. Mon ami Dick Stewart, qui est ici, a travaillé toute sa vie dans l'industrie du hareng, et il pourrait peut-être vous en parler.
Je conteste la conclusion du processus d'évaluation zonale au sujet du rôle minimal des phoques gris dans le déclin et la reconstitution du stock de morue de la zone 4VsW. Premièrement, le rapport d'une étude norvégienne publié en 2011, que j'ai envoyé au comité, se termine en disant qu'il est injustifié de faire des estimations quantitatives du pourcentage des proies du phoque gris d'après une analyse du petit lard. La méthode sur laquelle nous nous appuyons principalement pour déterminer ce que mangent les phoques gris dans le plateau néo-écossais a vraiment été remise en question.
Deuxièmement, les résultats de l'étude menée sur une période de 40 ans dans la zone 4VsW semblent indiquer que la nouvelle classe d'âge abondante qui pourrait déclencher le rétablissement du stock est en voie de disparaître à cause d'une mortalité naturelle inexpliquée, selon les résultats des relevés du poisson de fond de 2010 et 2011. Les preuves s'accumulent pour démontrer que les phoques gris consomment des morues de grande taille lorsqu'elles sont disponibles.
Au large du Cap Breton, on a procédé à un échantillonnage des phoques gris dans la zone où hiverne la morue et on a constaté qu'une importante quantité du contenu stomacal, soit de 20 à 30 p. 100, était constituée de morue. On a trouvé des otolithes de morues de grande taille. Des preuves abondantes montrent donc que les phoques gris consommeront des morues de grande taille lorsqu'ils en ont la possibilité.
Il n'est pas acceptable de faire une croix sur d'importants stocks de poisson de fond, et sur les gens qui en dépendent pour gagner leur vie, sans déployer nos meilleurs efforts scientifiques pour trouver les causes du problème. Dans la zone 4X, une industrie du poisson de fond tient bon dans le Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse, où des espèces comme l'aiglefin, la goberge et le flétan sont pêchés et de petites prises accessoires de morues sont capturées.
Depuis 10 ans, les pêcheurs de l'Ouest de la Nouvelle-Écosse observent un nombre croissant de phoques gris dans la zone 4X. Ils ont aussi remarqué que l'aire de répartition de ce prédateur s'agrandit. De nouvelles colonies de reproduction ont été établies sur des îles près de l'embouchure de la baie de Fundy et sur le banc German, qui constitue la frayère du hareng la plus productive. Le taux de migration de phoques gris vers la zone 4X augmente à un rythme alarmant. Les scientifiques ne savent pas ce qui se passe ni quel sera l'impact de ce nombre accru de phoques gris, mais les pêcheurs le constatent d'eux-mêmes. Une nouvelle colonie de reproduction du phoque gris établie près de Cape Cod à la fin des années 1990 est passée de moins de 10 bêtes à plus de 10 000 aujourd'hui. Un taux de croissance moins élevé sur l'île de Sable ne signifie pas que la population de l'ouest du plateau néo-écossais ne continuera pas à augmenter.
Je vais terminer en reprenant quelques-unes des recommandations formulées dans le rapport de 2011 du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques portant sur les stratégies de gestion du poisson de fond. Nous aimerions, à titre de groupe sectoriel, que les effectifs du troupeau de phoques gris du plateau néo-écossais, principalement la colonie de reproduction de l'île de Sable, soient réduits de 50 p. 100. Le CCRH recommande que des efforts soient déployés immédiatement en vue de la réduction expérimentale des phoques gris dans le sud du golfe du Saint-Laurent, de façon à maintenir le nombre de phoques qui se nourrissent dans cette zone à moins de 31 000 bêtes, et qu'une surveillance exhaustive de l'effet sur les poissons de fond et les paramètres de l'écosystème soit assurée pendant une période suffisante pour évaluer de façon définitive les répercussions sur les processus et les paramètres des populations de poissons de fond dans cette région.
Une deuxième recommandation formulée dans le rapport veut qu'une série de réunions scientifiques, soit des ateliers et des PEZ, soient organisées afin d'élargir et d'examiner les hypothèses à propos des possibilités qu'une réduction des phoques permette ou améliore le rétablissement des stocks de poisson de fond dans l'ouest du plateau néo-écossais, dans le nord du golfe et à l'est de Terre-Neuve.
Le CCRH recommande aussi le financement d'un effort de recherche ciblé conçu pour apporter l'information clé manquante sur l'alimentation des phoques, leurs réponses fonctionnelles à la disponibilité des proies, leurs aires d'alimentation, leurs comportements ainsi que les méthodes de réduction des populations.
Le CCRH recommande d'entreprendre le prélèvement stratégique des phoques gris dans des zones précises afin de limiter l'expansion des activités de recherche de nourriture, le parasitisme et la colonisation de nouvelles régions. Nous inclurions certainement les colonies établies à l'embouchure de la baie de Fundy.
Enfin, il faut entreprendre la réduction de la population de l'île de Sable au moyen d'un programme de contraception par inoculation des femelles du phoque gris présentes dans l'île durant la saison de reproduction.
Toute mesure que prendrait le ministère des Pêches et des Océans pour faire suite à une partie ou à l'ensemble de ces recommandations serait un signe encourageant pour l'industrie de la pêche.
Cela dit, je vais demander à mes collègues de se présenter et de vous faire part de leurs commentaires.
Adlai Cunningham, directeur, Sea Star Seafoods Limited, Nova Scotia Fish Packers Association : J'ai commencé à pêcher à l'âge de 18 ans. J'ai été pêcheur pendant 10 ans et je travaille dans le secteur de la transformation du poisson depuis presque 29 ans maintenant. Toute ma vie, j'ai étudié la pêche, les phoques, tout ce qui touche aux poissons et aux écosystèmes. Je ne suis certes pas un scientifique. Excusez-moi si je parais un peu condescendant ou frustré, mais voilà où j'en suis aujourd'hui, à 58 ans, à parler de ce problème comme nous l'avons fait pendant tout ce temps. Je vous prie de le prendre en considération.
Avant d'en arriver à ce que j'ai écrit, j'aimerais faire un commentaire au sujet des trois scientifiques qui étaient ici. Je ne suis pas certain de bien prononcer leur nom, mais Heike Lotze, Mme Iverson et Boris Worm ont indiqué qu'un abattage massif de phoques gris avait eu lieu dans d'autres pays sans donner de résultats positifs. Je leur ai demandé par la suite — parce que je sais ou je crois que cela ne peut être vrai — à quel endroit cet abattage avait eu lieu. Aucun n'a pu me dire dans quel pays cet abattage avait été mené. L'un d'eux a mentionné l'Islande. C'est tout simplement faux; c'est comme si on comparait des pommes et des oranges. L'Islande n'a jamais eu le problème que nous avons avec la quantité de phoques. Il y a bien quelques phoques gris à cet endroit. Les Islandais s'en occupent, mais ils ne sont pas pris à partie par les défenseurs des droits des animaux. Ils pêchent encore des baleines et les vendent aux Japonais. Voilà la première chose.
Deuxièmement, ils disent que, peu importe ce que nous faisons, il n'y aura peut-être pas de résultats positifs. Nous aurons beau tuer des phoques, les chasser, nous en débarrasser, rien n'arrivera. Dans ce cas, les êtres humains font également partie de l'écosystème. Nous avons évolué. Nous ne nageons pas dans l'eau. Le poisson apparaît chez Sobeys. Dans ce cas, si l'on prend la chose au énième degré, pourquoi nous impose-t-on des contingents? Pourquoi ne pouvons-nous pas pêcher encore et encore si les choses s'arrangent toutes seules? Nous faisons partie de l'écosystème. Voilà la deuxième chose.
Il y a aussi les États-Unis et ce que les Américains font pour rétablir leurs pêches. Je ne me rappelle pas l'expression qu'ils utilisent. Cela fait partie de la loi Magnuson-Stevens. Aujourd'hui, la situation des pêches sur la côte Est américaine est désastreuse, en particulier la pêche à la morue. Quiconque a suivi ce dossier constatera que la situation est désastreuse. Alors, excusez-moi, mais il est tout simplement faux de dire que les États-Unis font partie des pays qui « font bien les choses ».
Je ne sais pas quelle est la limite de temps qu'on nous a donnée, mais je peux passer à ce que j'ai écrit dans mon texte. Vous l'avez tous reçu.
Il me paraît inconcevable que nous nous demandions encore aujourd'hui si les phoques gris ont un impact négatif sur les stocks de morue. La population de phoques a grimpé à environ 350 000 sujets dans le plateau néo-écossais et sur la côte Est, et de nouvelles colonies de reproduction se sont établies sur les îles au sud-ouest de Terre-Neuve où, permettez-moi d'ajouter, notre pêche est encore limitée. Personne ne conteste le fait qu'ils consomment environ 550 000 tonnes métriques de ressources halieutiques. Peu importe ce dont il s'agit, ce sont des produits, dont 50 p. 100 pourraient servir à nourrir des personnes. La quantité de morue qu'ils mangent semble être un point de discorde au sein de la communauté scientifique, mais selon toutes les estimations que j'ai vues, leur consommation est bien au-delà de ce qu'on nous permet de pêcher depuis des années dans tout le plateau néo-écossais. Vous êtes certainement bien au fait des contingents imposés aux pêcheurs depuis 1993 dans la zone 4VsW, ou l'île de Sable; c'est zéro. Il est possible que vous ayez de la difficulté à vous représenter 550 000 tonnes métriques, soit leur régime alimentaire, peu importe qu'il soit constitué de 1 p. 100 de morue, de 25 p. 100 de morue ou encore de 50 p. 100 de merluche. Cette consommation est bien reconnue parmi la plupart des scientifiques, mais pas tous. Imaginez seulement combien de personnes on pourrait nourrir avec cette quantité. Pour vous donner une idée, cette nourriture tiendrait dans un bloc d'un kilomètre carré par un mètre de hauteur, ce qui est beaucoup.
Je ne veux pas trop m'attarder aux aspects scientifiques de la question, car je suis certain que vous avez entendu le témoignage de scientifiques qui font preuve de discernement lorsqu'ils formulent des hypothèses. Il ne s'agit certainement pas de ceux qui écrivent des articles laissant entendre qu'une population importante de phoques gris peut contribuer à la reconstitution des stocks de morue.
Le véritable enjeu, c'est le clivage entre ceux qui vivent dans l'environnement le plus artificiel au monde, c'est-à-dire les villes, et ceux qui gagnent leur vie en mer et qui s'intéressent personnellement aux poissons qu'ils essaient d'attraper et aux forces de la nature — et l'écart se creuse.
Après trois longs processus d'évaluation zonale de grande envergure sur l'interaction entre le phoque gris et la morue dont Dennis a parlé tout à l'heure — le dernier a eu lieu en octobre 2010 —, et les recommandations répétées du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques, la relation entre la mortalité naturelle de la morue et le phoque gris semble faire l'unanimité dans le golfe, mais pas nécessairement sur le plateau néo-écossais.
Ma prochaine question s'adresse à tous les témoins. Nous savons comment un mammifère se nourrit, car nous en sommes un au même titre que le phoque. Croyez-vous que le phoque du golfe a une alimentation différente de son voisin du plateau néo-écossais? Ces animaux consomment les ressources disponibles. Ce n'est pas comme si le phoque du golfe pouvait délibérément décider de manger de la merluche au souper, tandis que celui du plateau néo-écossais opterait pour le calmar. Les phoques mangent ce qui se trouve à leur disposition. Cela dit, ils essaient d'en avoir pour leur argent et de choisir la nourriture qui leur apporte le plus d'énergie.
Le président : J'aimerais simplement vous aviser que votre groupe dispose uniquement d'une heure. Une demi-heure s'est déjà écoulée, et il reste trois exposés avant les questions. Je ne veux pas vous bousculer, mais nous devons poursuivre puisque d'autres groupes d'experts comparaîtront ensuite.
M. Cunningham : Je comprends. Je vais abréger mon exposé. Certains éléments seront repris par les prochains intervenants.
Le vers du phoque est un autre problème qui persiste au sud-ouest de la Nouvelle-Écosse. Je pense que la plupart d'entre vous en ont déjà vu. Ce poisson s'est rendu loin... Un employé de l'usine a cru qu'il serait logique d'enlever les vers du poisson à 14,50 $ l'heure, mais à l'étape suivante, un autre employé a trouvé que c'était absurde. Autrement dit, le coût nécessaire pour enlever ces vers dépasse la valeur marchande du poisson, qui est vendu à prix fort. C'est pourquoi le poisson a été jeté à la poubelle.
À vrai dire, ce poisson ne contient pas beaucoup de vers comparativement à ce dont nous sommes parfois témoins. Comme je l'ai dit, il s'agit d'une infestation modérée. Je voulais ainsi souligner les répercussions du vers du phoque sur notre industrie. Ce n'est pas un simple détail. Nous ne pouvons nous contenter d'enlever quelques vers en croyant que personne ne verra la différence. Vous savez que nos produits rivalisent avec des poissons des quatre coins du monde. Nous achetons des poissons non transformés dans les moindres coins et recoins du monde. De toutes les morues de la planète, ce sont celles du plateau néo-écossais qui sont les plus infestées par le vers du phoque. Surtout aujourd'hui, les poissons de la zone 4X ne migrent pas vers la zone 4VsW. C'est épouvantable.
Je pourrais continuer à en parler 15 minutes, et même 15 heures, croyez-moi, mais étant donné qu'il reste trois exposés, je vais m'arrêter ici. Merci.
Le président : Merci, monsieur Cunningham.
Monsieur d'Entremont, je crois que vous êtes le prochain.
Claude d'Entremont, directeur, Inshore Fisheries Limited, Nova Scotia Fish Packers Association : Je m'appelle Claude d'Entremont. J'ai commencé à travailler dans l'entreprise familiale à l'âge de 12 ans, et j'en suis gestionnaire depuis 1980. Nous sommes la troisième génération à y travailler, et une quatrième génération se joindra bientôt à nous. Nous souhaitons assurément que notre entreprise familiale continue à exercer ses activités.
Nous entendons bien des commentaires, mais il ne faut pas oublier que les gens sont très sélectifs. Par exemple, Jean Cabot a traversé l'Atlantique en 1497, et il a dit qu'il lui suffisait de mettre un panier à l'eau pour attraper de la morue. Nombreux sont ceux qui l'ont cru, même si son affirmation signifiait uniquement qu'un peu de morue se trouvait à cet endroit et à ce moment précis, et pas que l'océan en était rempli. Il se peut que nous attrapions un jour une quantité impressionnante de morue à un endroit donné, et rien le lendemain, mais puisque c'est passé à l'histoire, bien des gens croient que c'est vrai. Toutefois, lorsque 400 000 phoques consomment un demi-million de tonnes de poissons, la logique nous permet de déduire qu'ils nuisent à la pêche. Or, bon nombre refusent d'y croire, et certains insinuent même qu'autant de phoques sont utiles. Je n'arrive vraiment pas à comprendre leur raisonnement.
Les phoques se nourrissent dans l'eau; ils ne vont pas chez Sobeys. Par conséquent, tout ce qu'ils consomment nous fait concurrence, que ce soient les poissons que nous pêchons ou ce dont se nourrissent ces derniers. Dans un cas comme dans l'autre, c'est un problème.
Nos pêches sont réglementées. Nous sommes un maillon de l'écosystème et du monde. Nous avons évolué, et nous devons effectivement nous fixer des quotas de pêche. Or, nous ne pouvons pas gérer les autres espèces.
On croyait que tout entrerait dans l'ordre si la zone 4VsW devenait une aire marine protégée, mais la situation ne s'est pas améliorée malgré le moratoire complet imposé en 1993. Nous pouvons disposer d'un système de gestion prévoyant un plan de restauration d'un certain nombre d'années, mais la zone 4VsW a démontré qu'une telle mesure ne fonctionne pas et se solde par un véritable fiasco.
Nous avons la plus importante biomasse qui soit. Elle est viable à l'heure actuelle — pas pour nous, à vrai dire, mais la population de phoques est parfaitement viable. Il s'agit d'une ressource naturelle renouvelable, et biodégradable de surcroît si sa peau est utilisée pour fabriquer des vêtements. On peut en consommer la chair et en utiliser l'huile. Tout le monde parle de respect de l'environnement; en voilà justement un bon exemple. Nous ferions mieux d'exploiter cette ressource durable plutôt que de fabriquer des produits dérivés de l'huile qui ne sont pas biodégradables, comme le nylon qui finit au dépotoir.
Adlai a mentionné le vers du phoque. Ce matin, j'ai dû quitter mon bureau et conduire trois heures pour venir comparaître, mais avant, un homme s'était présenté pour payer le poisson acheté hier. Il a dit avoir reçu des plaintes au sujet de la présence de parasites et de vers du phoque dans l'aiglefin. Il s'agit d'un problème continu et grandissant. Le vers est notre concurrent le plus redoutable.
Je ne veux pas m'éterniser, mais le plus important, c'est qu'il faut faire quelque chose pour sauver soit la pêche, soit la population de phoques. Le gouvernement doit décider ce qui compte le plus entre les deux. Ce sera eux ou nous, car la compétition est très féroce.
Dick Stewart, Atlantic Herring Co-op, Nova Scotia Fish Packers Association : Je m'appelle Dick Stewart, et je suis le gérant d'Atlantic Herring Co-op, une coopérative de bateaux senneurs. J'y travaille depuis 37 ans.
Nous n'avons pas à nous demander ce que mangent les phoques gris de l'Ouest de la Nouvelle-Écosse — nous le savons, car lorsque nous installons une senne coulissante, nous pouvons y retrouver 10 ou 12 phoques en train de se gaver de harengs. Ce n'est pas ce qui préoccupe l'industrie. C'est plutôt le fait que les phoques chassent le hareng des frayères lorsque celui-ci se prépare à pondre ses oeufs. Certains ont dit que les troupeaux de phoques gris des secteurs près de l'île sont passés de quelques individus à 5 000 ou à 10 000 phoques. Le hareng vient frayer dans ces secteurs, mais les phoques le chassent. Il en va de même sur la côte d'Halifax et sur le reste de la côte Est.
Les parasites et les vers du phoque ne nous avaient jamais préoccupés, mais nous commençons maintenant à en trouver dans le hareng. Compte tenu de sa petite taille, il serait épouvantable qu'il devienne rempli de parasites comme le poisson de fond. Il serait absolument impossible d'enlever les parasites de plusieurs tonnes de hareng.
Les phoques sont prolifiques. Le MPO a installé des caméras sur le banc German — sans doute l'une des plus importantes frayères du hareng en Amérique du Nord —, et ils en trouvent, là-bas, dans les sennes coulissantes. Il y a vingt ans, je ne voyais jamais de phoques dans une senne coulissante, et je n'en voyais jamais près de la rive. Maintenant, peu importe sur quelle île vous vous trouvez au sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, ça grouille de phoques.
Ils n'ont pas de prédateurs. Ils se multiplient et prolifèrent. Tôt ou tard, ils vont annihiler toute pêche à moins que nous trouvions une solution. Je ne connais pas la solution, mais il y a assez de cerveaux au Canada pour que nous trouvions un bon moyen de résoudre ce problème.
Richard « Bee » d'Entremont, membre, Acadian Fish Processors Limited, Nova Scotia Fish Packers Association : Mes collègues ont plutôt bien résumé les choses. J'ai plus de questions que de n'importe quoi d'autre. Nous savons qu'en certains endroits où il y a moratoire, le poisson n'est pas revenu et la population de phoques a doublé, et même triplé, au cours des six à sept dernières années. Comment donc des gens peuvent-ils rejeter sur les pêches la responsabilité de la baisse des stocks de poisson dans ces secteurs? Ce sont des faits, et nous le savons. Nous savons que les phoques mangent du poisson. Leur régime alimentaire est constitué de poisson dans une proportion de 90 p. 100. Nous le savons tous, mais nous nous interrogeons encore. Je ne peux pas croire que nous sommes encore à débattre de la question de savoir s'ils mangent du poisson. Nous devrions plutôt discuter du degré d'abattage à adopter — il faut un juste équilibre, comme pour le cerf, comme pour l'orignal, comme pour tout. Il faut un nombre qui fonctionne. Il ne faut pas non plus tuer tous les phoques. Il faut un juste équilibre, pour que l'industrie de la pêche puisse survivre, et pour que les communautés puissent survivre, mais avec un troupeau qui a du sens. Le troupeau a doublé, même triplé au cours des six à sept dernières années. Va-t-il doubler, ou tripler encore au cours des six à sept prochaines années? Si c'est ce qui se produit, nous ne serons plus là à discuter de la question de savoir si nous devrions avoir une industrie des pêches, car elle aura disparu.
Ce sont là mes préoccupations. J'écoute tout le monde parler; une personne qui n'a aucun intérêt dans les pêches et qui peut venir ici pour dire ce qu'elle veut n'a rien à perdre. Les membres de l'industrie des pêches ont tout à perdre à l'issue de la décision qui se prendra sur l'avenir.
J'aimerais qu'on me dise un nombre, pour le troupeau de phoques. Établissez un nombre de phoques à abattre, de sorte qu'il y ait un juste équilibre, et visons ce nombre. C'est ce que j'aimerais voir, pour l'avenir des pêches.
Le sénateur Hubley : Je vous souhaite à tous la bienvenue. Pendant que vous êtes ici à travailler pour nous, vous n'êtes pas chez vous à gagner votre pain, et nous apprécions cela énormément, car nous comprenons la situation.
Je pense que le plus important de votre contribution au sujet de la situation — dont nous étions bien sûr au courant —, c'est le facteur humain. Vous êtes les seuls groupes qui puissent le faire. Nous en apprenons sur les difficultés de votre mode de vie, sur votre gagne-pain, sur ce que vous avez investi dans vos carrières, mais aussi, sur la question de savoir si tout cela est durable. Comme M. d'Entremont l'a dit, y aura-t-il une quatrième génération, à l'usine, et pouvons-nous tous nous attendre à utiliser cette ressource dans nos communautés rurales et côtières, à l'avenir? Je tiens tout d'abord à dire que je trouve cela très important.
M. Morrow a énuméré divers forums et colloques auxquels il a participé. En est-il ressorti une solution? A-t-on pris une décision claire sur ce qu'il faut faire des phoques gris de ce secteur?
M. Morrow : Je ne crois pas qu'il y ait de solution. Je pense que ces trois colloques scientifiques internationaux ont mené à des progrès importants pour ce qui est des aspects critiques et de ce que nous savons, en particulier, sur le régime alimentaire des phoques. Par exemple, quelqu'un pourrait dire : « Nous avons réalisé une analyse et avons conclu que le régime alimentaire du phoque est constitué de morue dans une proportion de 1 p. 100. » À leur tour, des gens de l'industrie demanderaient : « Où avez-vous mené votre analyse? Est-ce qu'il y a de la morue, dans ce secteur? » Par exemple, autour de l'île de Sable — pensez-y —, il y en a 300 000. Est-ce qu'il y a de la morue, dans ce secteur? Il n'est pas étonnant qu'une analyse du régime alimentaire des phoques de cette île ait conclu à une très faible consommation de morue. Cependant, quand nous avons mené l'analyse du régime alimentaire des phoques au large du Cap-Breton, là où la morue de 4T passe l'hiver — et là où on en trouve de bien dodues —, nous avons conclu qu'ils mangent beaucoup de morue. Dans le cadre de ces discussions, les scientifiques se sont eux-mêmes mis à repenser leur façon de faire la recherche.
Ce que je souhaite que vous reteniez, c'est que, quand nous allons réaliser le relevé sur le poisson de fond du plateau néo-écossais et que nous constaterons, comme nous nous y attendons, que le rétablissement dont nous avons parlé plus tôt a disparu — et ce ne sera pas la première fois —, il faudra déterminer ce qu'il faut faire? Devons-nous simplement abandonner, ou chercher à comprendre ce qui s'est passé?
Compte tenu des trois discussions de portée internationale que nous avons eues, nous savons davantage quelles questions poser. Par exemple, je crois qu'il reste de la morue, là-bas, qui a appris à coexister avec le phoque, probablement en eau profonde. Cependant, si la classe d'âge est abondante et qu'il y a croissance, il faut que le poisson occupe plus d'espace car il n'y a pas assez de nourriture là où la population relique se trouve. Quand le poisson se met à se répandre dans les secteurs de faible profondeur, là où la morue se tient généralement, il se fait manger. Ce que nous observerons peut-être sur le plateau néo-écossais, c'est un nouvel équilibre où la morue ne meurt pas, mais où elle ne peut jamais être pêchée.
Le sénateur Harb : Permettez-moi de souligner, tout d'abord, que nous sommes tous d'accord pour dire que le phoque gris ne mange pas de chou-fleur, mais bien du poisson, entre autres choses.
M. Cunningham a demandé ce qu'il en était de l'abattage dans d'autres pays et voulait savoir où cela se fait, car des témoins en ont parlé précédemment. Je vais seulement énumérer les derniers pays à l'avoir fait : la Norvège, l'Islande, la Namibie, l'Afrique du Sud et bien d'autres. Cela s'est fait en quelque 15 endroits différents. Ils ont ensuite examiné les résultats et n'ont constaté aucun rétablissement du stock.
M. Cunningham : Monsieur, sauf le respect que je vous dois, c'est totalement faux. Je parle à des gens en Islande tous les jours. Nous importons du poisson de l'Islande tous les jours. J'en ai parlé avec quelqu'un là-bas hier matin, je le précise. Il n'y a jamais eu en Islande un troupeau aussi gros qu'ici. Les phoques sont pris en petits nombres, et ce, régulièrement. Cela se fait discrètement et on n'en parle pas. Les militants des droits des animaux en Europe n'ont réclamé aucune sanction contre l'Islande. Ils continuent d'expédier de la morue fraîche ou surgelée aux grandes chaînes de l'Angleterre et des États- Unis, et ils continuent de prendre des baleines sans en subir de conséquences. Donc, sauf le respect que je vous dois, aux présentateurs et à vous, ce n'est tout simplement pas vrai.
Le sénateur Harb : Certains messieurs ont dit qu'on est contre ou pour les phoques. Cela me rappelle George Bush, qui disait qu'on était avec lui, ou avec l'ennemi. Il doit bien y avoir un juste milieu.
Monsieur Morrow, dans la présentation de M. Mohn, un graphique montrait, contrairement à ce que vous dites, que malgré une augmentation du nombre de phoques gris à l'île de Sable, le taux de mortalité de la morue de cinq ans ou plus n'avait pas augmenté, mais diminué. Cela fait tomber votre théorie selon laquelle les phoques sont responsables parce qu'ils mangent la morue.
M. Morrow : Non, je conteste cela. Si vous regardez les résultats du relevé sur le poisson de fond — et je pense que mon ami Bob Mohn le confirmera —, le relevé de 2010 a révélé une baisse de la population qui s'est poursuivie en 2011. C'est la biomasse du stock reproducteur : ce sont de plus grosses morues.
Cet après-midi, vous allez entendre deux scientifiques : Michael Sinclair et Bob O'Boyle. C'est une bonne question à leur poser. Il est évident, cependant, que quelque chose mange ces grosses morues et que la mortalité naturelle est de nouveau en hausse.
En effet, on dirait qu'il y a croissance depuis plusieurs années. Ce qui se produit est intéressant. Comme je l'ai dit plus tôt, je ne crois pas que la morue va disparaître, mais je ne crois pas non plus qu'il y aura rétablissement au point où nous pourrons de nouveau la pêcher.
Le sénateur MacDonald : Messieurs, les questions sur le sujet ont essentiellement été toutes posées. Nous examinons tout cela depuis des mois.
Je suis absolument convaincu de la nécessité d'un programme qui servira à réduire le nombre de phoques sur la côte Est du Canada. Tout ce que vous avez dit le confirme.
Il y a quelques îles fréquentées par les phoques, en Nouvelle-Écosse. Quelle est cette île, dans quel secteur?
M. Stewart : Celle-ci se trouve à six ou sept milles à l'ouest de la Nouvelle-Écosse. Il y a des centaines d'îles à l'ouest de la Nouvelle-Écosse. Il y a des phoques partout, mais surtout sur les plus grandes îles, vers l'extérieur.
Le sénateur MacDonald : Vos propos sur les stocks reproducteurs de hareng m'ont beaucoup intéressé. Une étude scientifique a-t-elle été menée sur la question?
M. Stewart : Tous les ans, nous consacrons un demi-million de dollars au relevé du stock reproducteur dans l'ouest de la Nouvelle-Écosse à l'aide d'un senneur. Lors du premier relevé, le stock était faible. Les relevés ultérieurs l'ont confirmé. Les phoques se sont multipliés. Il n'y a pas eu de pêche au hareng depuis 10 ans. Le stock de hareng aurait dû augmenter lentement alors qu'il diminue progressivement. Les phoques se trouvent à un demi-mille du stock reproducteur de hareng. Ils sont beaucoup trop nombreux.
Le fait que les phoques se nourrissent de hareng n'a probablement aucune importance. Le hareng ne se reproduira pas si de 5 000 à 6 000 phoques sont à leurs trousses. Le stock reproducteur ne se rétablira pas si les phoques sont aussi nombreux. Il n'y en avait pas auparavant alors qu'ils y sont des milliers à l'heure actuelle.
Le sénateur MacDonald : Lorsque j'entends de tels propos, je réagis comme vous tous. Certains affirment qu'une telle situation est salutaire au stock de morue. J'en demeure bouche bée. Je vous dirai que vos arguments ne sont absolument pas pertinents.
Le sénateur Cochrane : Monsieur Stewart, votre mémoire indique sans l'ombre d'un doute que le nombre de phoques gris dans la zone ouest a chamboulé l'écosystème. À un moment donné, 99 p. 100 des phoques gris de la Nouvelle-Écosse se trouvaient sur l'île de Sable, d'où ils ont disparu aujourd'hui. Que s'est-il passé?
M. Stewart : Les phoques gris ont effectivement quitté l'île de Sable. Il y a 20 ans, on n'en recensait que très peu sinon pas du tout dans l'Ouest de la Nouvelle-Écosse, mais ils s'y sont répandus. L'île de Sable ne peut pas nourrir tous ces phoques. Il n'y a aucun poisson près de cette île. Les phoques gris ont donc migré vers l'ouest de la Nouvelle- Écosse, où le hareng et le poisson de fond sont en abondance. C'est la raison de leur migration. Leur nombre augmente tous les ans.
M. Morrow : La zone de l'île de Sable a fait l'objet d'études par marqueur. Les ateliers scientifiques que nous avons tenus nous ont permis de conclure notamment que les mâles se sont déplacés vers l'ouest pour s'établir dans la zone 4X alors que les femelles ont pris la direction de l'est. Personne ne peut, je pense, expliquer ce phénomène. Les pêcheurs, particulièrement les pêcheurs de homard de la côte Atlantique, ont pu le constater. Les stocks de phoque dans la zone 4X et leur migration dans cette zone augmentent considérablement.
M. Stewart : Puisque vous parlez de migration, je vous dirai qu'un phoque marqué sur l'île de Sable a été retrouvé 13 jours plus tard à Pubnico, là s'est terminé son voyage, au propre comme au figuré.
M. Cunningham : Dans mon exposé, j'ai fait valoir notamment que les phoques gris quittent massivement l'île de Sable parce qu'ils manquent de nourriture. C'est ce qui les amène vers l'ouest.
On a retrouvé deux phoques gris à Cape Cod. Les scientifiques du MPO, entre autres, nous ont précisé que ces phoques provenaient de l'île de Sable.
En 1986, il y en avait deux à Cape Cod. Aujourd'hui, Dennis nous indique qu'il y en a 10 000. D'autres sources m'ont appris que c'était plutôt 18 000. Ils y font des dégâts.
Au fur et à mesure qu'ils se multiplient, ils partiront ailleurs à la recherche de nourriture. Leur nombre diminuant dans une zone pour augmenter dans une autre.
Le sénateur Cochrane : Comment les États-Unis réagissent-ils?
M. Cunningham : À cause de leur loi sur la protection des mammifères marins, les États-Unis ont les mains liées. Il est impossible de tirer sur un phoque sans avoir un permis nous y autorisant au Canada lorsqu'une espèce met en péril nos pêches.
Le président : Merci messieurs de vos exposés et de vos renseignements pertinents.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à Shannon Lewis, de la Northeast Coast Sealers Cooperative of Newfoundland.
Je suis convaincu que vous êtes au courant de nos modalités. Vous pourrez lire votre déclaration, puis les sénateurs vous poseront des questions. Vous avez la parole.
Shannon Lewis, directeur exécutif, Northeast Coast Sealers Cooperative of Newfoundland : Merci, monsieur le président.
Mesdames et messieurs les membres du comité sénatorial, je me présente : je m'appelle Shannon Lewis et je suis le directeur exécutif de la Northeast Coast Sealers Cooperative, usine de transformation du phoque appartenant à des pêcheurs et exploitée par eux à Fleur de Lys, à Terre-Neuve.
Je tiens à vous remercier de m'avoir invité à participer à votre étude portant sur le phoque gris et de me donner l'occasion de vous faire part de mes observations sur ce secteur d'activité, la situation du phoque gris et la gestion future de ce stock. Mes commentaires ne porteront nullement un jugement sur le passé ou le présent. Je vous transmettrai simplement mon point de vue de professionnel sur ce que j'ai pu constater à la tête de notre coopérative.
Notre coopérative a été créée en 1986. Elle compte 620 membres de Terre-Neuve-et-Labrador, de la Côte-Nord du Québec, des Îles-de-la-Madeleine et de la Nouvelle-Écosse. Elle a été fondée par des chasseurs de phoques après la fermeture du marché dans les années 1980, son objectif consistant à assurer la survie de la chasse aux phoques, à offrir des débouchés facilitant le rétablissement de ce marché, à garantir une utilisation optimale de cette ressource au profit de ses membres, des employés et de la collectivité d'une façon responsable et durable.
J'occupe le poste de directeur exécutif de la coopérative depuis huit ans, et je suis responsable de toutes les activités commerciales. J'ai fait mes premiers pas dans le secteur de la chasse aux phoques lors de la création de la coopérative dans ma ville, une petite localité rurale de pêcheurs sur les rives escarpées de la côte au nord-est de Terre-Neuve. La manière dont j'ai été élevé et mon travail au sein de la coopérative me permettent de bien saisir les répercussions socioéconomiques de la chasse aux phoques et son influence sur notre collectivité rurale et notre province.
J'espère que nos échanges vous apporteront un éclairage nouveau sur notre situation et vous permettront de trouver des solutions à la gestion du phoque gris et de toutes les espèces de phoques vivant dans les eaux côtières du Canada.
La gestion du phoque gris est dans une situation délicate. Elle se répercute non seulement sur les intervenants locaux dans notre domaine, mais également sur ceux de l'ensemble du secteur canadien de la chasse aux phoques et ceux de l'industrie de la pêche et des fruits de mer. Les décisions à venir seront vitales. Il est important de s'attaquer à la tâche sans tarder, de comprendre la situation dans son ensemble et de saisir l'interaction de notre secteur avec les autres industries avant de déterminer la stratégie à adopter.
Je comprends les préoccupations actuelles sur l'accroissement phénoménal du nombre de phoques. Je m'inquiète également à propos de leurs populations dans les eaux de la côte Est et de leurs répercussions néfastes sur nos stocks de poisson. Cependant, tous les intervenants doivent s'interroger collectivement sur la meilleure solution à adopter.
Je voudrais vous signaler d'emblée que je n'adhère pas à la solution préconisant l'octroi de primes ou l'abattage sélectif comme méthodes de gestion. Je crois plutôt en une collaboration de tous les intervenants pour déterminer les solutions viables à long terme susceptibles d'entraîner une utilisation des ressources responsable et durable débouchant sur des avantages socioéconomiques.
D'après mes connaissances et mon expérience, il existe de meilleures solutions de rechange que simplement procéder à un prélèvement stratégique qui privera les Canadiens d'occasions importantes.
Je connais les phoques gris depuis que j'ai entrepris d'acheter des phoques du Groenland aux chasseurs des Maritimes. J'ai commencé à discuter avec eux lors des réunions consultatives annuelles sur la chasse aux phoques. J'ai pu noter la constante frustration des chasseurs et des demandes qu'ils adressaient aux transformateurs et au MPO pour s'attaquer à la question du phoque gris et aux débouchés. Cette question a toujours été négligée, la priorité étant accordée à des enjeux plus vastes en la matière. Les réunions consultatives étaient toujours axées sur le phoque du Groenland. Les transformateurs qui participaient à ces réunions ne souhaitaient pas aborder la question du phoque gris en raison des positions qu'ils adoptaient.
Le commerce du phoque gris n'est pas sans problème. Il n'y a aucune usine de transformation en Nouvelle-Écosse pour cette espèce. Aucun TAC n'a jamais été établi. De plus, des restrictions sont imposées à l'égard des ressources exploitables, c'est-à-dire celles de l'île de Sable. C'est un problème. Depuis toujours, les transformateurs terre-neuviens hésitent à se lancer dans le marché du phoque gris parce que le TAC s'établit à seulement 1 900 ou 2 000 phoques, ce qui n'est pas suffisant pour assurer leur viabilité économique. Sur le plan économique, nous devons aujourd'hui nous attaquer au problème d'accès à l'île de Sable. Compte tenu du parc qu'on envisage d'y créer et de l'accès restreint que cela entraînerait, il faut résoudre ces problèmes si l'on veut permettre la chasse aux phoques à l'île de Sable.
Les connaissances et l'expérience manquent concernant le potentiel de commercialisation et la logistique de la chasse. De plus, les gouvernements et les acteurs du secteur privé ne sont que peu disposés à s'investir dans des initiatives globales de développement, qui couvriraient les étapes de la chasse à la mise en marché, la collecte adéquate de données et le renforcement de la capacité tant intellectuelle que physique. Les ressources financières et humaines font aussi défaut dans le domaine de la chasse au phoque.
Tout importants que soient ces défis, ils peuvent tous être surmontés. Les parties concernées peuvent trouver des solutions si elles désirent développer un débouché économique viable au lieu de se débarrasser des bêtes abattues.
En ce qui concerne le phoque gris, s'il faut adopter un modèle économique de gestion, c'est tout d'abord parce qu'une abondante ressource adjacente s'offre aux pêcheurs et aux chasseurs des Maritimes, et ce, tout près de chez eux. Il leur en coûte moins de chasser ces phoques que de se rendre à 200 milles en mer, au large de Terre-Neuve. Il s'agit d'une ressource renouvelable et durable, dont la pleine exploitation peut offrir d'importantes occasions économiques directes aux collectivités dépendantes des ressources naturelles. Car il faut le reconnaître : l'industrie de la pêche est constituée de communautés rurales qui dépendent de l'exploitation des ressources naturelles. La région est constellée de petites collectivités dotées d'usines de transformation. Nous devons utiliser le mieux possible nos ressources naturelles, y compris les phoques.
En plus de nuire à nos activités de marketing actuelles, la chasse à prime constitue un gaspillage de ressource naturelle si nous n'en profitons pas pour créer des débouchés économiques. À titre de transformateur terre-neuvien, nous considérons que le fait de se débarrasser des phoques abattus contrecarrerait les efforts que nous déployons pour développer des débouchés pour la viande, l'huile et les peaux. Quand nous nous engageons dans un marché et proposons un prix à un acheteur potentiel, si celui-ci veut que nous réduisions notre prix de plus de la moitié parce que le fait que nous jetions quantité de carcasses de phoques en Nouvelle-Écosse indique qu'il s'agit d'une ressource de peu de valeur, nos démarches en pâtissent. C'est quelque chose que nous ne pouvons nous permettre.
Nous aborderons d'autres aspects de la chasse aux phoques dans un instant; sachez toutefois que nous devons veiller à obtenir un rendement optimal de cette ressource. Nous ne pouvons nous permettre d'ébranler nos marchés.
Il y a un instant, nous avons indiqué qu'il faut assurer un certain équilibre. Vaut-il mieux alors recourir à la participation économique ou privilégier la chasse sélective à primes, imposant ainsi au gouvernement une dépense directe qu'il ne rentabilisera pas?
Comme je l'ai souligné, en recourant à la chasse sélective, on envoie le mauvais message et déprécie nos marchés actuels. Le fait est que l'industrie de la chasse aux phoques d'aujourd'hui a été durement touchée par l'incertitude économique qui plane sur les marchés traditionnels dans le sillage de la récession. Nous avons connu des temps durs il y a quelques années et éprouvons actuellement de la difficulté à accéder aux marchés. L'industrie est constamment prise à partie par les groupes de défense des droits des animaux, qui font de la propagande, diffusent de l'information trompeuse et se lancent sans supervision dans ce que l'industrie considère comme étant des activités inadéquates qui mettent en péril la vie des chasseurs de phoques. À plusieurs reprises, des confrontations ont eu lieu sur la glace entre les chasseurs et les activistes prenant la défense des droits des animaux, sans que des observateurs représentant le gouvernement ne puissent intervenir à titre de médiateurs. Ces affaires préoccupent sérieusement nos chasseurs.
L'industrie élabore continuellement des protocoles et des mesures de contrôle opérationnels afin d'accroître la supervision assurée par les organismes de réglementation, le perfectionnement professionnel et le contrôle de la qualité.
L'industrie de la chasse aux phoques évolue et a devant elle un brillant avenir. Par le passé, nous avons commis bien des erreurs et avons parfois mal géré nos activités, mais nous avons là une occasion à saisir. Nous devons regarder vers l'avenir et comprendre que la diversification et l'utilisation pleine et entière des ressources constituent la voie à suivre. Lors de nos réunions, nous avons discuté de la possibilité d'utiliser les produits du phoque afin d'en tirer des avantages sur le plan de la santé. Nous ne faisons que commencer à examiner ces types d'initiatives. Les applications relatives aux produits pharmaceutiques et nutraceutiques sont importantes pour la santé de la population.
L'industrie doit évoluer pour aller de l'avant. Nous ne pouvons continuer d'appliquer nos modèles d'affaires actuels. Nous devons nous tourner vers la santé humaine en offrant des produits bénéfiques pour la santé humaine. Si nous étions perçus autrefois comme une simple industrie de la fourrure, ce n'est plus le cas aujourd'hui et ne le sera pas demain.
Pour ce qui est des effets concrets des importants troupeaux non contrôlés, il y a d'abord la pression accrue qui s'exerce sur les autres espèces que les phoques consomment. À la page suivante, vous verrez deux ou trois photographies d'estomac de phoque. On a beaucoup dit que les phoques mangent du poisson, ce que je ne nie pas, au demeurant. Sachez toutefois, mesdames et messieurs, que ce que vous avez devant vous n'est pas un hareng ou un maquereau, mais bien un crabe femelle, reproductrice provenant de notre élevage de 3K. Le phoque en question a été abattu à Middle Arm, sur la baie Blanche, il y a deux ans. Essayez maintenant de compter combien de phoques femelles il y a sur cette photo. J'ai entrepris de le faire hier soir et j'ai arrêté de compter après 150. Chaque petite forme ronde figurant sur la photo jointe au document est un dos de crabe femelle. Sans être scientifique, je peux présumer qu'en l'absence de maquereau, de hareng ou de morue, ces phoques se contenteront d'autre chose. Comme tout autre mammifère sur la planète, s'ils ont faim, ils mangeront n'importe quoi.
Sachez que si nous ne contrôlons pas la population actuelle de phoques, les ressources alimentaires élémentaires nécessaires au maintien des activités de pêche commerciale iront en s'amenuisant. Je ne suggère pas d'abattre ou de prélever un nombre si élevé de bêtes que la population de phoques s'en trouverait menacée; nous devons cependant trouver une approche qui garantira la stabilité des autres espèces et stocks de poisson et, par voie de conséquence, la survie des petites communautés rurales du Canada atlantique. C'est grâce à l'industrie de la pêche que nous survivons dans cette région.
La dégénérescence des économies rurales ne rendra les programmes sociaux que plus cruciaux. Il faut reconnaître que ces communautés ne se déplaceront pas. Les résidants resteront sur place, là où ils vivent depuis des centaines d'années. Si nous ne pouvons leur offrir d'occasions économiques, c'est au gouvernement qu'il reviendra de le faire.
On assiste en outre à l'amenuisement d'une importante source d'alimentation humaine. Or, nous offrons au monde un aliment à haute teneur en protéines. L'industrie canadienne des poissons et fruits de mer approvisionne la planète en nourriture. Des pénuries d'aliments sévissent un peu partout dans le monde, mais le phoque peut contribuer grandement à les atténuer.
Je vous dirigerais maintenant à l'annexe numéro deux, où figure l'analyse nutritionnelle du phoque. En a-t-il été question lors de vos séances? Comme je fais partie de l'industrie, je considère qu'il s'agit d'un aspect important, car nous ne vantons pas suffisamment les propriétés bénéfiques du phoque. Nous devons mieux faire connaître les raisons pour lesquelles il importe d'en consommer.
Il y a également une annexe, que je vous laisserai le soin de lire, sur les avantages stratégiques de l'huile de phoque. Si vous prenez le temps de lire le bref document qui suit, vous apprendrez que cette huile aurait de multiples avantages sur le plan de la santé. En fait, il est reconnu que l'AEP et l'ADH présents dans le phoque favorisent la santé humaine et contribuent à combattre 35 maladies touchant l'humain. Ce produit peut avoir des effets bénéfiques considérables, mais nous devons le faire savoir.
La façon idéale de contrôler et d'utiliser la population de phoques au Canada consiste à exploiter pleinement cette ressource renouvelable en la gérant adéquatement et de manière durable en fournissant des produits importants pour l'amélioration de la santé humaine. J'espère qu'en agissant ainsi dans le cadre d'un effort concerté de tous les acteurs, on pourra redorer l'image de notre industrie en montrant qu'elle favorise la santé au lieu de se contenter de vendre de la fourrure, comme on le croit à tort. Je ne souhaite pas me cantonner à la production de fourrure : je veux offrir au monde un produit de grande valeur à haute teneur en protéines et me prévaloir des débouchés à valeur ajoutée qui se font jour sur le marché, lesquels permettront à l'industrie du phoque de réaliser son plein potentiel économique, qui se chiffre en centaines de millions de dollars.
Je vous donnerai un exemple. Je suis revenu depuis peu de Chine, où j'ai déniché une bouteille de gélules d'huile de phoque. Cette bouteille de 120 gélules se vendait 45 $ canadiens. Avec une tonne d'huile de phoque, on peut produire 2 millions de gélules, et 35 000 phoques gris donneront 450 000 tonnes d'huile. Maintenant, multipliez ce chiffre par 2 millions divisé par 100, et multipliez le résultat par 45 $.
Nous avons de la difficulté à trouver des solutions. Tout ce que je peux dire, c'est qu'il y a des divergences entre les chasseurs de phoques, l'industrie et le gouvernement. Personne ne collabore. J'espère que cette étude permettra d'amorcer les discussions. Soulevons les problèmes et travaillons ensemble pour les résoudre. Il ne faut pas penser que la solution facile, c'est d'investir dans des primes à la chasse, car il n'y a pas de solution facile à ce problème. Cette solution serait de courte durée et détruirait le reste de l'industrie canadienne de la chasse aux phoques.
Le sénateur Hubley : Bienvenue, monsieur Lewis. C'est un point de vue intéressant de la part d'un chasseur de phoques et propriétaire d'entreprise. Où celle-ci est-elle située?
M. Lewis : Nous sommes situés sur la côte nord-est de Terre-Neuve, juste sur la pointe.
Le sénateur Hubley : Votre entreprise a pour nom Northeast Coast Sealers Cooperative, c'est bien cela?
M. Lewis : C'est exact.
Le sénateur Hubley : Combien de phoques transformez-vous par année et d'où viennent-ils?
M. Lewis : La coopérative a commencé à chasser les phoques en 1986. Personne ne le faisait, alors nous nous sommes proposés. Les premiers membres de la coop retiraient manuellement la graisse des phoques, puis faisaient sécher la viande avant de la vendre. Ils ont commencé avec rien. Graduellement, ils ont investi dans la commercialisation de ces produits.
Le nombre de phoques chassés varie d'une année à l'autre. Comme l'ont souligné plus tôt le ministre et Alastair O'Rielly, nous chassons en fonction de notre capacité de vente. Nous ne constituons aucun stock. Au cours des dernières années, nous avons connu de très bonnes et de très mauvaises périodes. Les activités ont considérablement ralenti au cours des trois dernières années.
Le sénateur Hubley : Pourriez-vous nous donner des chiffres pour que l'on ait une idée de ce que constitue une bonne et une mauvaise période?
M. Lewis : Quelques centaines de milliers au cours des quatre dernières années.
Le sénateur Hubley : Selon vous, quelle est la cause de cette instabilité?
M. Lewis : Je crois que l'industrie n'était pas suffisamment diversifiée. Nous étions très vulnérables lorsque la récession a frappé, car nos principaux produits à l'époque se vendaient dans des pays où l'économie a été sévèrement affectée par cette récession, notamment la Russie. Nos marchés n'étaient pas suffisamment diversifiés pour traverser la tempête.
Aujourd'hui, nos marchés... Nous avons des clients pour nos produits, que ce soit la peau, la fourrure, les produits de l'huile ou la viande.
Cependant, comme d'autres l'ont souligné, le problème maintenant, c'est l'accès limité à certains de ces marchés. Le Canada n'est pas le seul marché pour nos produits. Nous avons fait une erreur en commercialisant nos produits sur le marché canadien, car notre pays n'est pas le marché le plus rentable. Il aurait fallu se concentrer plutôt sur la Russie et les autres pays qui recherchent nos produits. Nous étions vulnérables, et c'est un peu de notre faute.
Le sénateur Hubley : Combien y a-t-il de coopératives ou d'usines de transformation des phoques à Terre-Neuve?
M. Lewis : Il n'y a qu'une seule coopérative et deux usines de transformation.
Le sénateur Hubley : Et combien de gens y travaillent?
M. Lewis : Habituellement, 45 personnes. J'aimerais poursuivre un peu sur le sujet, car vous soulevez un point important.
En 1986, lorsque je suis arrivé à Fleur de Lys, jeune garçon, l'usine de transformation commençait ses activités. La localité comptait 800 habitants, 45 yoles à pièges et environ 20 palangriers. Tout le monde pêchait. L'industrie de la chasse aux phoques s'est développée et les gens se sont mis à travailler à l'usine. Celle-ci les aidait à assurer leur subsistance, tout comme les usines de transformation du poisson et du crabe que l'on retrouvait dans la région. Depuis 10 ans, l'usine de transformation du phoque est la seule encore en exploitation. Les habitants se sont dispersés un peu partout au pays, comme en Alberta, pour trouver du travail. Il y a eu beaucoup de départs. Les enfants ont grandi, ont poursuivi des études, puis sont partis, mais le noyau de la collectivité travaille encore à l'usine de transformation du phoque. Que les gens travaillent 23 semaines à l'usine et quelques semaines sur le quai à décharger les bateaux, peu importe, c'est ainsi qu'ils gagnent leur vie. Sans l'usine de transformation, cette localité ne survivra pas.
Le sénateur Harb : Je suis d'accord avec vous que l'abattage sélectif ou les primes à la chasse seraient un gaspillage de ressources et d'argent, et que ces solutions nuiraient à la réputation de l'industrie et du Canada.
Je vais vous poser une question délicate. Plusieurs pays ont boycotté les produits du phoque. Chaque mois, un nouveau pays s'ajoute à la liste. Vous n'êtes pas obligé de me répondre immédiatement, mais étant donné le nombre de travailleurs de l'industrie dans les provinces atlantiques et les régions rurales, le moment serait-il venu pour le gouvernement de mettre en place un programme pour aider ces gens à se recycler ou de dédommager ceux qui n'arrivent plus à joindre les deux bouts? Serait-il temps pour nous d'étudier ces options?
M. Lewis : Absolument pas. Ce que vous proposez est irréaliste. Le représentant du gouvernement terre-neuvien est venu nous parler plus tôt du nombre de titulaires de permis de chasse au phoque. Il y en a 11 000, dont de 4 000 à 6 000 pratiquent activement la chasse au phoque, selon le prix courant. N'oubliez pas que la plupart de ces chasseurs sont des pêcheurs. Pour les pêcheurs de crabe, de crevettes, de maquereau et de hareng — en fait, il reste bien peu de harengs au large de nos côtes —, les recettes de la chasse au phoque représentent une partie très importante de leur revenu. Le boycott des produits de l'industrie a sérieusement limité les activités de leurs bateaux de pêche et leur capacité économique. Ça, c'est une chose.
De plus, on retrouve de 7 à 10 millions de phoques au large de la côte Est. Peu importe, ils sont très nombreux. Si l'on élimine la chasse au phoque, comment allons-nous faire pour gérer la population de cet animal?
Le sénateur Harb : Permettez-moi de préciser ce que je veux dire. On ne parle pas ici de petites boutiques familiales. On parle de chasseurs de phoques professionnels et d'industries commerciales, ceux qui font la chasse commerciale au phoque.
M. Lewis : La chasse commerciale au phoque?
Le sénateur Harb : Oui.
M. Lewis : La chasse commerciale au phoque emploie environ 12 000 personnes chaque année à Terre-Neuve. On ne parle pas de petites boutiques commerciales. J'ai déjà remis des chèques de plus de 150 000 $ à des propriétaires de bateaux de pêche. Ce n'est pas rien. Si je veux acheter des phoques, il faudrait qu'il y ait eu une chasse au phoque l'année précédente. L'an dernier, nous n'avons pas acheté beaucoup de phoques. Mais, je peux vous assurer que nous avons acheté toutes les parties de l'animal, que ce soit la viande, les huiles ou la peau. Tous ces produits ont été déchargés au quai de l'usine où je travaille. J'ai remis un chèque de plus de 70 000 $ au propriétaire de ce bateau.
Le sénateur Harb : D'accord.
M. Lewis : Il y avait six personnes qui travaillaient sur ce bateau.
Le sénateur Harb : Selon les données de l'an dernier, l'industrie aurait généré moins d'un million de dollars. Si l'on divise ce montant par 6 000 chasseurs, ça ne fait pas beaucoup d'argent, n'est-ce pas?
M. Lewis : Je me demande bien d'où viennent ces chiffres. Je suis sérieux. Nous devons tous, d'une manière ou d'une autre, déclarer au gouvernement ce que l'on paie aux chasseurs de phoques. Mais, le chiffre que vous avancez tient compte de quoi, au juste? De toute évidence, il ne tient pas compte de la valeur au détail. L'an dernier, 700 tonnes d'huile de phoque ont été déchargées. À 6 $ le kilo, il est clair que c'est plus de 700 000 $. Alors, je me demande d'où viennent ces chiffres. Je ne m'y fie pas trop.
L'an dernier et depuis trois ans, l'industrie de la chasse au phoque a connu des ratées, j'en conviens. Mais je crois que, si elle peut diversifier ses activités, elle se portera beaucoup mieux financièrement et sera plus acceptable aux yeux du public.
Le sénateur MacDonald : J'aimerais parler de la coopérative et de la transformation du phoque. Vous dites qu'il y a deux usines de transformation, c'est exact?
M. Lewis : Eh bien, il a été annoncé hier que l'une des usines ne serait pas en activité cette année. Il ne reste donc que deux usines de transformation de phoques en activité à Terre-Neuve.
Le sénateur MacDonald : Ai-je raison de présumer que la majorité des phoques transformés sont des phoques du Groenland?
M. Lewis : Oui. Vous avez raison.
Le sénateur MacDonald : Pourriez-vous nous donner une idée des produits tirés de cette espèce de phoques?
M. Lewis : La gamme de produits actuels ou futurs?
Le sénateur MacDonald : Oui, et les produits possibles.
M. Lewis : Les produits potentiels sont importants. Je ne vais pas vous dire que nous faisons tous les produits que nous devrions faire, parce que ce n'est pas le cas. En grande partie, l'industrie du phoque a mis l'accent au cours des 15 dernières années sur les marchés principaux qui engendraient des marges élevées. Ces marchés potentiels sont toujours présents. La demande est toujours présente, parce que nous avons constaté une augmentation depuis la récession. Nous commencions à remonter la pente, mais nous sommes maintenant aux prises avec la limitation des marchés. On pourrait développer des produits tels que de la viande destinée à la consommation humaine et de la viande entrant dans la fabrication de poudre protéinée, de produits nutraceutiques, de nourriture pour animaux ou de farine d'os. Toutefois, l'industrie en général a beaucoup investi dans ces produits par le passé, parce que je vous rappelle que le développement d'un produit et d'un marché exige beaucoup d'argent. D'importants investissements sont requis dès le début; cela prend beaucoup d'énergie.
L'industrie du phoque était déjà rentable. Les entreprises réalisaient déjà un excellent rendement du capital investi sur les produits qu'ils utilisaient par le passé. Si nous voulons survivre, nous devons nous diversifier. Il faut le faire de toute façon. Selon moi, la pratique la plus responsable serait de transformer l'ensemble de l'animal. Les meilleurs rendements du capital investi proviendront des secteurs pharmaceutiques et nutraceutiques grâce aux produits de phoque ayant des bienfaits sur la santé.
Vous devez aussi comprendre que l'huile de phoque et les bienfaits sur la santé qui en découlent sont encore des concepts relativement nouveaux. Selon moi, 15 ans, ce n'est pas une longue période. En tant que société, si nous avons commencé à nous pencher sur les bienfaits sur la santé de l'huile de phoque ou des oméga-3, nous n'avons fait qu'effleurer la surface. Des recherches médicales se déroulent en Asie, parce que c'est plus économique de le faire ainsi. Elles se concentrent sur l'utilisation de l'huile de phoque pour traiter la stéatose hépatique. Elles tentent de mettre au point un traitement à partir de viande ou d'organes de phoque pour rétablir les fonctions du foie. Les pays asiatiques connaissent très bien le phoque, mais cet animal est moins familier des pays occidentaux. Ils examinent les produits naturels depuis des milliers d'années. Leurs connaissances sont donc actuellement plus avancées que les nôtres concernant l'utilisation de cette ressource naturelle. Ces recherches se déroulent en ce moment.
Le sénateur MacDonald : J'aimerais revenir sur un élément dont vous avez parlé. Le phoque gris est bien entendu extrêmement riche en oméga-3. À mon avis, ce serait assez difficile de créer un marché durable au Canada ou en Amérique du Nord pour la viande de phoque destinée à la consommation humaine, mais je n'ai aucune difficulté à concevoir que ce produit pourrait, par exemple, entrer dans la fabrication de nourriture pour animaux domestiques ou servir d'engrais. Je crois aussi qu'il devrait y avoir un bon marché intérieur pour l'huile d'oméga-3. Votre coopérative a-t-elle songé à l'option de créer un marché intérieur pour ce produit au cours des prochaines années?
M. Lewis : Oui. Un marché intérieur serait une possibilité. Je ne dis pas que ce serait le plus grand marché, mais nous croyons évidemment qu'un marché intérieur serait possible.
J'aimerais dire quelque chose en ce qui a trait au phoque gris. Cela concerne un élément malheureux que j'ai constaté relativement à l'utilisation du phoque gris — et je ne suis dans le domaine que depuis huit ans. Je sais que des témoins derrière moi ont déjà expliqué le processus avant que je le fasse, mais ce sont les circonstances qui expliquent pourquoi les possibilités économiques concernant le phoque gris n'ont pas été mises en marché au cours des cinq ou six dernières années. Auparavant, nous ne pouvions abattre que 1 900 phoques, et ce n'était pas rentable, mais si on permet l'abattage de 20 000 bêtes, cela devient une pratique rentable à l'échelle. Il n'y a aucune raison pour laquelle nous devrions quitter la pièce en disant que nous ne pouvons pas chasser 20 000 phoques. Nous pouvions abattre 15 000 ou 20 000 phoques par le passé, mais nous devions nous rendre sur l'île de Sable. Je voulais tout simplement mentionner cet élément.
Pour revenir à votre commentaire sur un marché canadien, c'est en fait une priorité. Nous considérons comme très sérieuse toute occasion de faire valoir les bienfaits des produits ou de percer un marché qui acceptera les oméga-3. Ce sera l'avenir, et la viande jouera également un rôle dans ce produit à finalité nutritionnelle.
Le sénateur Cochrane : Terre-Neuve a un grand nombre de phoques. On parle de 400 000 têtes. Entre-temps, il y a une industrie qui utilise des peaux de phoque. Voici ce que je n'arrive pas à comprendre. D'un côté, vous avez une entreprise, et de l'autre les pêcheurs sont aux prises avec un problème. Nous devons trouver un terrain d'entente, et le plus tôt sera le mieux. Les pêcheurs nous disent une chose, et vous nous dites que l'industrie du phoque est dynamique. Quelle est la réalité?
M. Lewis : C'est un bon point. L'industrie du phoque a de plus en plus le potentiel de s'avérer plus rentable dans l'avenir, mais les deux ou trois dernières années ont été difficiles. Selon moi, nous devons mettre sur pied un forum sérieux qui regroupera les chasseurs de phoques, le gouvernement et l'industrie en vue de choisir et de créer des possibilités économiques au sein de l'industrie du phoque. En raison des quatre dernières années de pression et de la viabilité économique précaire, l'industrie du phoque perd actuellement de l'argent. Au cours des dernières années, toutes les entreprises ont perdu de l'argent. Nous essayons de survivre. Le manque de ressources financières nous empêche d'utiliser pleinement le phoque gris et d'offrir les autres produits dont nous avons parlé. Je ne suis pas ici pour vous demander des subventions, parce que je ne crois pas que nous en voulions dans l'industrie du phoque. De plus, selon moi, personne ne serait d'accord. Par contre, je crois que le phoque est une ressource renouvelable, naturelle et durable. C'est une ressource au même titre que la forêt en Colombie-Britannique ou les céréales dans les Prairies. C'est une ressource, et nous devons de temps à autre investir dans nos ressources pour développer une possibilité économique. S'il n'y a pas d'investissement dans le secteur du phoque gris, l'industrie ne se développera pas, parce que les présentes usines de traitement de phoque n'ont actuellement pas les moyens d'investir dans l'innovation. En collaborant, nous devrions être en mesure de trouver une meilleure solution que celle proposée, soit de procéder à un abattage sélectif des phoques et de nous débarrasser des carcasses sans en utiliser la matière première.
Le sénateur Cochrane : On y pêche depuis des années. Pendant que nous développons votre industrie, les pêcheurs que feront-ils?
M. Lewis : Au fil des ans, divers intervenants à Terre-Neuve ou même en Nouvelle-Écosse ont déjà réalisé beaucoup de recherches sur le développement de produits. En ce qui concerne le choix des produits, des marchés et les coûts préliminaires, une grande partie des bases sont jetées et attendent d'être utilisées. Il reste à mettre à profit ces recherches fondamentales et les mettre en pratique dans le cadre d'une production pilote, où il se ferait de la transformation, de l'identification des marchés et des travaux de mise en marché à l'échelle, avant de passer à la commercialisation du produit.
Je peux vous dire que la commercialisation de ces produits est pratiquement une réalité. Si nous avions accès à certains des marchés auxquels nous faisons allusion, nous aurions les fonds requis pour prendre le rapport sur la façon de produire de la protéine de phoque et commercialiser le produit d'ici la prochaine saison. Cependant, l'accessibilité aux marchés est un problème. Il y a des lacunes sur le plan de l'investissement pour assurer une transition entre la recherche, la production pilote et la commercialisation du produit final. Bien souvent avec les programmes de financement gouvernementaux, c'est difficile d'effectuer la transition entre la recherche et la commercialisation. Il y a des problèmes avec les programmes; il n'y a pas de transition.
Le sénateur Cochrane : Monsieur le président, j'aimerais poursuivre encore un moment. C'est très important.
Votre usine est-elle en activité toute l'année? Je suis tout à fait d'accord avec vous en ce qui concerne les possibilités thérapeutiques et le potentiel de l'huile de phoque. Le chef Roy Jones a témoigné devant notre comité la semaine dernière à Ottawa pour nous vanter les avantages des capsules d'huile de phoque et de leurs bienfaits sur la santé. C'est un homme incroyable. Je suis inquiète, parce que bon nombre de nos aînés n'ont pas les moyens de s'acheter de médicaments, mais je présume qu'ils peuvent se procurer de telles capsules à moindres coûts, et elles ont des bienfaits.
J'en ai parlé au ministre de Terre-Neuve ce matin. Le ministère de la Santé devrait peut-être collaborer avec d'autres ministères pour lancer une campagne destinée à promouvoir l'huile de phoque comme une percée médicale, parce que ce produit existe déjà.
M. Lewis : Notre usine est une exploitation saisonnière. À Fleur-de-Lys, où nous sommes situés, nous nous occupons de la transformation primaire; nous offrons donc le maximum d'occasions possible. Nous menons d'autres activités liées à la pêche qui permettent à ces employés de garder leur poste durant les mois d'été ou d'avoir suffisamment de travail. Toutefois, la diversification de l'industrie du phoque contribuera grandement à la création de perspectives d'emplois à temps plein.
Je connais bien le chef Roy Jones. Chose certaine, il est un très bon défenseur des vertus de l'huile de phoque. Le commun des mortels ne sait pas que l'huile de phoque est la source la plus riche en acides gras oméga-3. Soit que les gens n'en sont pas conscients, soit qu'on ne leur a pas communiqué cette information. Nous devons déployer des efforts sur le plan du marketing.
Par ailleurs, il faut mener des recherches médicales supplémentaires pour faire passer l'huile de phoque au statut de produit pharmaceutique approuvé. À l'heure actuelle, l'acide gras oméga-3 est un produit nutraceutique, mais s'il fait l'objet d'études médicales et d'essais cliniques, qui coûtent très cher — de l'ordre de quelques centaines de millions de dollars au Canada —, ce qui prouve que ce produit a une application médicale.
Bon, nous savons tous à quel point les médicaments coûtent cher au Canada. Je ne dis pas qu'il faut hausser le prix de l'huile de phoque et en faire un produit très coûteux, mais il y en a en quantité suffisante pour l'offrir à un prix plus économique. Le fait d'indiquer sur l'étiquette qu'il s'agit d'un produit pour application pharmaceutique donnera à l'industrie beaucoup de crédibilité.
Le président : Merci, monsieur Lewis, de votre exposé. Nous sommes heureux d'entendre l'avis des gens qui participent à l'industrie.
Nous accueillons maintenant M. O'Boyle. À vous la parole, monsieur.
Robert O'Boyle, scientifique, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Je vais vous parler cet après-midi d'un article que mon collègue et moi avons rédigé. Je suis un scientifique. Je travaillais auparavant à Pêches et Océans Canada, plus précisément à l'Institut océanographique de Bedford, mais j'ai pris ma retraite il y a cinq ans. Mon collègue, Mike Sinclair, n'est pas ici. En fait, il est actuellement dans les airs, probablement quelque part sur le chenal Laurentien, pour essayer de revenir ici. Son vol a été retardé de trois heures. Je ne crois pas qu'il pourra se joindre à nous aujourd'hui.
Quoi qu'il en soit, cet après-midi, je vais vous résumer l'article que M. Sinclair et moi avons rédigé sur les répercussions de la population de phoques ou des troupeaux de phoques sur les stocks de morue du plateau néo- écossais. Je crois qu'on vous a distribué des copies de l'article. Je vais faire allusion à quelques chiffres mentionnés dans l'article, sans toutefois entrer dans les détails scientifiques. Je me contenterai de vous donner une vue d'ensemble de la situation.
Les causes qui empêchent le rétablissement des stocks de morue de l'Atlantique sur la côte Est du Canada soulèvent la controverse. Il y a un réseau complexe de facteurs géographiques et temporels qui entrent en jeu et qui entraînent, à différents moments, la baisse des divers stocks de morue. Toutefois, notre article porte sur l'incidence des phoques gris sur un stock bien précis : celui de l'est du plateau néo-écossais, dans une zone appelée 4VsW.
Il faut savoir que la population de morue dans la zone 4VsW s'est effondrée au début des années 1990, tout comme les stocks de Terre-Neuve, et que la pêche y est interdite depuis. En fait, en septembre 1993, on a imposé un moratoire à la pêche sur le plateau néo-écossais. Si vous examinez la figure 2 de l'article, vous verrez que d'après nos enquêtes, surtout celle de juillet, cette population a connu un taux élevé de mortalité qui s'est poursuivi jusqu'au dernier relevé. Cela laisse entendre qu'il y a un taux élevé de mortalité naturelle dans toutes les catégories d'âge, et non seulement chez la jeune morue.
Parallèlement, le nombre de phoques gris, plus précisément le troupeau de l'île de Sable, est passé d'environ 3 000 individus en 1960 à près de 300 000 en 2010; c'est donc dire que, sur une période de quatre décennies, cette population a doublé presque tous les sept ans.
Dans notre étude, nous avons examiné cinq aspects. D'abord, nous avons tenu compte des courbes évolutives des troupeaux de phoques gris de l'île de Sable, de la côte Est et du golfe. Nous avons également examiné la consommation totale de chaque troupeau, en tonnes. Nous avons pris en considération les processus liés à la densité entre la morue et le phoque. Nous avons ensuite observé la sélectivité de l'âge de la morue, c'est-à-dire les habitudes de consommation des phoques selon les différentes catégories d'âge de la morue. Enfin, nous avons rassemblé tous ces éléments et dégagé des tendances dans les populations de morue entre 1970 et 2010. Bien entendu, nous avons inclus dans notre analyse la mortalité naturelle attribuable au phoque.
J'insiste sur le fait que l'article ne porte pas sur des scénarios d'abattage sélectif. Nous ne nous sommes pas penchés sur cette question. Nous avons cherché à mettre l'accent sur les incertitudes concernant l'interaction entre la morue et le phoque. Compte tenu de ces incertitudes, que peut-on dire sur l'incidence du phoque sur la population de morue? Voilà à quoi se résume notre étude.
Je vais passer en revue chacun des divers éléments de notre article, en soulignant certaines des principales incertitudes et les conclusions que nous avons tirées.
Le premier aspect concerne les tendances démographiques du phoque gris, qui sont résumées à la figure 4 de notre article. On y trouve une foule de renseignements sur la dynamique de la population. Si vous y tenez, je pourrai vous laisser ma carte d'affaires, et nous pourrons en discuter plus tard. Les données sur la dynamique reposent sur un consensus obtenu dans le cadre d'un atelier national organisé par le MPO en octobre 2010. Il n'y a généralement pas de désaccord à ce sujet. Les autres scientifiques qui ont participé à l'atelier ont produit des modèles comparables. Je me suis assuré que mon article était conforme à ces tendances. Alors, nous sommes bien d'accord sur ce point.
En gros, il y a trois troupeaux qui se nourrissent sur le plateau néo-écossais. Il y en a un à l'île de Sable, un dans le golfe du Saint-Laurent et un autre au large de la Nouvelle-Écosse, qu'on appelle le troupeau de la côte Est de la Nouvelle-Écosse. Ensemble, ces populations vivent essentiellement dans l'est du plateau néo-écossais.
Nous avons modélisé la dynamique de chacun de ces troupeaux. Résultat : les estimations concernant le troupeau de l'île de Sable sont relativement précises, alors que celles liées aux deux autres troupeaux le sont moins. La population de l'île de Sable semble être sur le point d'atteindre une sorte de plateau, mais les deux autres continuent d'augmenter. Il n'est pas certain si le troupeau de l'île de Sable finira par plafonner. Tout laisse croire que oui, mais d'un autre côté, quand on ajoute le facteur des nouveau-nés, il semble que la population augmente toujours.
En 2010, c'est-à-dire il y a deux ans, le troupeau de l'île de Sable comptait environ 317 000 individus. Le troupeau de la côte Est, pour sa part, en comptait environ 22 000 et celui du golfe, environ 75 000, si je ne me trompe pas. Quand nous avons examiné l'incidence de ces trois troupeaux sur la population de l'est du plateau néo-écossais, nous nous sommes rendu compte que c'est principalement attribuable au troupeau de l'île de Sable. Certains éléments sont liés aux autres populations, mais c'est surtout le troupeau de l'île de Sable qui exerce une influence.
Dans notre article, nous mentionnons la question de savoir si la population augmente ou non. Selon nous, la réponse est oui, mais comme je l'ai dit, si on ajoute d'autres données, la réponse pourrait être non. En tout cas, la population n'est certainement pas à la baisse. Dans notre étude, nous soulignons qu'en raison des incertitudes, il serait très imprudent de faire des projections au-delà de 2009. Autrement dit, nous ne sommes pas sûrs de ce qui va se passer dans l'avenir, mais nous essayons de montrer ce qui s'est produit par le passé.
Le prochain élément concerne la quantité de nourriture que consomment ces populations de phoques. Nous avons calculé les estimations en nous appuyant sur des documents examinés par les pairs. Nous avons d'abord évalué les besoins énergétiques de chaque phoque. Voici comment nous avons procédé. Chaque phoque a besoin d'une quantité d'énergie par jour pour survivre. C'est ce qu'on entend par les besoins énergétiques du phoque. Il faut également tenir compte de la densité énergétique de l'aliment dont il se nourrit. Il y a, d'une part, la quantité d'énergie par gramme et, d'autre part, la quantité de kilojoules d'énergie requis. Quand on examine le profil des aliments, on peut déterminer le nombre de kilojoules par gramme d'aliment dont le phoque se nourrit habituellement. Si on prend ces deux chiffres et qu'on les divise l'un par l'autre, on obtient le nombre de grammes qu'un phoque doit consommer par jour. On multiplie ensuite ce chiffre par le nombre de phoques qui se trouvent dans une zone particulière, selon notre modèle de population, et on obtient ainsi la consommation totale de nourriture par un phoque. Voilà comment nous nous y sommes pris. Il va sans dire qu'il y a une foule de détails à prendre en considération. Ce sont les détails qui posent problème, mais c'est en gros ainsi nous avons procédé.
Justement, sur le plan des détails, une grande partie du travail consiste à répartir les populations de phoques un peu partout sur la côte Atlantique. Les données recueillies par des scientifiques dans le golfe du Saint-Laurent et par l'Institut océanographique de Bedford nous ont donné un aperçu des trois troupeaux selon la zone et le trimestre de l'année. Cette information est présentée dans le tableau 1. À la lumière des populations de phoques et des tendances que je vous ai décrites tout à l'heure, nous avons tenu compte du profil et de la distribution, puis nous avons réparti ces trois troupeaux à travers le Canada atlantique. En fonction de ce résultat, nous avons ensuite voulu savoir quelle proportion de la nourriture totale consommée par les trois troupeaux provenait de l'est du plateau néo-écossais.
En général, il est intéressant de constater qu'en 2010, la consommation totale du troupeau de l'île de Sable, dans l'est du plateau néo-écossais, a été de 350 000 tonnes de nourriture. Le troupeau du golfe, quant à lui, a consommé seulement environ 17 000 tonnes dans l'est du plateau néo-écossais. Dans l'ensemble, en 2010, environ 360 000 tonnes de nourriture ont été consommées par les trois troupeaux dans l'est du plateau néo-écossais. Vous trouverez la série chronologique à ce sujet dans le document.
En général, pour vous fournir le contexte et pour donner un coup de pouce à votre mémoire, un phoque mange entre une tonne et demie et deux tonnes de poisson par année, et pas seulement de la morue.
Le tableau 5 indique la consommation annuelle totale de poisson; elle est passée de 20 000 tonnes dans les années 1970 à plus de 350 000 tonnes aujourd'hui. Cela vous donne une idée générale de la consommation de nourriture.
Lorsque nous avons comparé ces données à celles obtenues par d'autres chercheurs scientifiques du Canada atlantique, elles correspondaient assez bien; elles ne semblent donc pas soulever vraiment de débat.
La prochaine étape est un peu controversée. Il s'agit de la dépendance à la densité de consommation de la morue par les phoques. Nous avons entrepris une analyse documentaire des études sur les habitudes alimentaires des phoques gris de l'Atlantique Nord-Est et Nord-Ouest en ce qui concerne la population de morues. Vous trouverez ces données dans le tableau 2 de notre rapport. On détermine généralement la présence de la morue dans le régime alimentaire des phoques à l'aide de trois méthodes. Deux d'entre elles sont l'analyse des excréments et l'analyse de l'estomac. En ce qui concerne la première méthode, il faut évidemment examiner les excréments du phoque sur une plage ou peu importe où on peut les trouver, plus précisément les éléments solides qu'ils contiennent. Par exemple, la plupart du temps, les éléments solides sont des osselets d'oreille de poisson. Vous savez probablement que les poissons ont des osselets d'oreille. On a publié des schémas pour nous aider à identifier les os de la morue, du hareng et du capelan. La taille des osselets d'oreille nous donne une idée de la taille du poisson. Si nous pouvons trouver ces osselets d'oreilles dans l'échantillon d'excréments, nous pouvons généralement caractériser la composition et la taille.
L'analyse de l'estomac est évidemment invasive. Il faut recueillir l'échantillon dans l'estomac d'un phoque. On doit donc tuer le phoque; en général, on cherche les éléments solides dans son estomac.
L'analyse des acides gras a été mise au point par Sarah Iverson, à l'Université Dalhousie. Il s'agit d'examiner la composition des acides gras dans un échantillon de petit lard. On a cherché, en laboratoire, à nourrir des phoques avec certains aliments et ensuite à établir le lien entre les acides gras d'un phoque et sa consommation de certains poissons.
Ce sont les trois méthodes utilisées. Elles ont toutes leurs imprécisions. Par exemple, les analyses des excréments et de l'estomac sont fondées sur les éléments solides, mais un pêcheur pourrait dire, au cours d'une audience, que si le phoque ne mange pas les os de la tête du poisson, qui contiennent l'otolithe de l'oreille, on ne trouvera pas cet os dans l'estomac. C'est la première chose.
L'autre chose au sujet des analyses des excréments et de l'estomac, c'est qu'il s'agit de nourriture qui a 24 heures. Si vous examinez l'estomac de quelqu'un, vous allez généralement déduire son alimentation à court terme. Dans le cas des échantillons provenant de l'île de Sable, cela serait probablement à proximité de l'île de Sable elle-même.
De plus, l'analyse des acides gras soulève aussi la controverse. Dans notre document, nous mentionnons certains éléments de cette controverse. Tout dépend des processus métaboliques complexes qui sont à l'oeuvre dans le corps du phoque. Au bout du compte, les analyses des excréments et de l'estomac du phoque laissent croire que la morue constitue typiquement environ 10 à 15 p. 100 du poids du régime alimentaire d'un phoque, alors que l'analyse des acides gras indique un pourcentage beaucoup moins élevé, de l'ordre de 1 à 2 p. 100.
Dans notre document, nous citons quelques travaux qui laissent croire que les analyses d'excréments et de l'estomac sont assez précises pour caractériser le régime alimentaire du phoque, et c'est aussi notre avis. Nous avons des réserves au sujet de l'analyse des acides gras. Je vous encourage à lire les observations que nous avons faites dans le document au sujet de la controverse concernant l'analyse des acides gras.
Si la morue est un élément important du régime alimentaire du phoque, ce dernier pourrait s'en désintéresser, à la suite du déclin attendu de ses stocks. On trouvera à la figure 6 du document le modèle proie-prédateur que nous avons élaboré pour décrire la dynamique de ces populations. C'est pour la période allant de 1991 à 1998 que nous avons l'information la plus utile sur le pourcentage de la morue dans l'alimentation du phoque. Nous avions procédé alors à une analyse du contenu stomacal et des acides gras. Pour calibrer notre modèle, nous nous sommes basés sur diverses hypothèses concernant le pourcentage de morue dans l'alimentation des phoques. Je tiens à revenir sur les détails de cette étude qui figurent dans le document.
Le point suivant porte sur la taille ou l'âge des poissons consommés par les phoques. Comme l'indique le tableau 3, de nombreux travaux laissaient entendre qu'il s'agissait essentiellement de petits poissons. Cette conclusion laisse des questions en suspens. Consomment-ils ce qu'ils trouvent dans la région? La figure 7 donne des informations à ce sujet. Autrement dit, s'ils se nourrissent exclusivement dans les parages de l'île de Sable, où se trouve la morue de petite taille, il n'est pas étonnant qu'on la retrouve dans leur alimentation. S'ils ne consomment pas les têtes où se trouvent les otolithes, ce que nient les pêcheurs, on ne verra pas non plus ces petits animaux.
Dans d'autres régions de la côte atlantique et de l'Atlantique Nord-Est, on a effectivement constaté que les phoques consommaient de la morue de plus grande taille, ce qui n'est pas forcément surprenant puisque les phoques consomment ce qu'ils trouvent, et pas seulement du petit poisson. S'ils croisent du gros poisson, ils ne vont certainement pas l'éviter. Ils vont manger ce qu'ils trouvent, que ce soit du gros ou du petit poisson.
Nous avons fondé notre modèle sur deux hypothèses; premièrement qu'ils consommeraient ce qu'ils trouvent et deuxièmement, qu'ils choisiraient plutôt le petit poisson, qui était l'hypothèse privilégiée à ce jour.
Nous avons rassemblé les données sur les troupeaux de phoques et la consommation totale en tonnes. Nous avons utilisé un modèle proie-prédateur en prenant des hypothèses fondées sur l'âge. L'analyse que nous avons menée a été présentée dans le document pour la période allant de 1970 à 2010. Nous avons envisagé six scénarios, dont trois liés au régime alimentaire, à savoir 3,5, 7 et 12 p. 100 de consommation de morue. Nous avons par ailleurs utilisé de critères de consommation, l'une proportionnelle, l'autre sélective.
Nous en concluons généralement que bien des questions restent en suspens, ce qu'ont d'ailleurs confirmé d'autres recherches. Si nous avons pas mal de renseignements sur les interactions, en tout cas celles qui touchent la population de phoques gris, il y a beaucoup d'incertitude sur celle de la morue. La pêche étant interrompue depuis 1993, nous n'avons pas d'informations à son sujet, autres que celles qui proviennent d'enquêtes.
Notre étude appuie généralement l'hypothèse de consommation proportionnelle, modèle qui donne les données les plus concordantes. Autrement dit, les phoques consomment du petit ou du gros poisson en fonction de sa présence. Par ailleurs, lorsque nous choisissons l'hypothèse de consommation proportionnelle, le taux plus élevé de morue que nous constatons dans l'alimentation est plus conforme aux données.
Tous les scénarios, quels qu'ils soient, font état d'un accroissement du pourcentage de la mortalité naturelle générale causée par les phoques depuis 2002 — voir la figure 14 —, pourcentage qui serait fonction de celui de la consommation de morue envisagé dans le régime. Selon tous ces scénarios, la mortalité actuelle était presque totalement due au phoque.
Je dois ajouter que nous avons aussi cherché à savoir si le taux élevé de mortalité naturelle n'était pas causé par l'élimination. D'aucuns pourraient faire valoir en effet qu'il y a beaucoup de poissons dans la région et que peut-être c'est simplement la morue qui est éliminée. Dans notre modèle, nous avons pu évaluer le tonnage perdu en raison de la mortalité naturelle de 1993 à 2004. Si vous prenez simplement la quantité de tonnage liée à la mortalité naturelle, elle est passée de 63 000 tonnes en 1993 à environ 6 000 tonnes en 2004.
Selon une récente étude, le nombre annuel moyen de rejets de morue dans la région orientale de la Nouvelle-Écosse était de l'ordre de moins de cinq tonnes pour la période de 2002 à 2005. Il y a assurément très peu d'entreprises qui pêchent les poissons de fond, et la pêcherie de crabe des neiges et quelques-unes des autres pêcheries de la région ne capturent pas beaucoup de morues. Par conséquent, elles ne sont pas rejetées.
Pour conclure, je vais formuler quelques observations générales. Ensuite, nous pourrons aborder certains des détails. Je vais simplement passer en revue les incertitudes de notre étude.
En ce qui concerne la dynamique des troupeaux de phoques, j'ai mentionné à quelques reprises que, dans notre document, nous avions montré que le troupeau de l'île de Sable avait atteint un plateau, mais ce n'est pas certain. En fait, mon collègue, Mike Sinclair, a effectué une recherche historique afin de déterminer la taille que le troupeau de l'île de Sable pouvait atteindre. Si vous posez des questions à ce sujet, je m'en remettrai immédiatement à lui. Malgré cela, certaines observations datent du XVIIe siècle au XIXe siècle. Compte tenu de son analyse, nous soutenons que le troupeau actuel est probablement plus important que tout troupeau observé depuis le XIXe siècle. Notre conviction à cet égard repose surtout sur le fait que, si, dans le passé, le troupeau avait atteint sa grosseur actuelle, certains des premiers colons ou certaines des expéditions qui ont visité l'île de Sable auraient mentionné sa taille et le fait que les animaux couvraient toute la surface. Certains des rapports mentionnaient quelque chose de ce genre, mais les premiers ne comportaient aucune mention de cette nature. Quoi qu'il en soit, ce point est toujours litigieux.
En ce qui concerne la consommation totale, je pense que l'élément clé à mentionner à cet égard est que notre illustration de la répartition saisonnière et spatiale des troupeaux est une donnée statique fondée sur les études menées plus récemment lorsque l'effectif des troupeaux était plus élevé, et que cette analyse n'était pas effectuée lorsque les troupeaux étaient plus petits dans les années 1970. Nous soutenons que, lorsque les troupeaux étaient plus petits, ils ne se déplaçaient peut-être pas aussi souvent. Par conséquent, nous avons peut-être sous-estimé la consommation dans l'est du plateau néo-écossais.
En ce qui a trait à la proportion de morue qu'un phoque consomme, la question est de savoir si on examine les excréments ou le contenu de l'estomac des phoques, ou si on analyse les acides gras. La documentation donne à penser que les valeurs de l'ordre de 10 à 15 p. 100 sont plus courantes que les pourcentages inférieurs obtenus lors de l'analyse des acides gras. Cette question est toujours discutable
En ce qui concerne l'âge et la taille des proies qui composent la diète du phoque, nos résultats semblent indiquer que son alimentation est proportionnelle et qu'elle ne met pas l'accent sur la jeune morue.
Enfin, nous soutenons que les taux élevés de mortalité naturelle observés depuis la fin des années 1990 sont principalement imputables aux phoques.
Toutefois, notre document comporte une importante mise en garde. Lorsque nous l'avons mis à jour avant l'atelier de 2010, nous avons indiqué que le relevé au chalut de fond pour l'été avait révélé une augmentation du nombre de morues sur le plateau néo-écossais. Cela est illustré dans le tableau 9 du document. Voyez-vous la légère remontée à la fin de la courbe? Notre modèle a eu beaucoup de mal à intégrer cette tendance. Dans le document, nous mentionnons ouvertement que nous avons eu beaucoup de mal à intégrer cette tendance. Plusieurs choses pourraient être en train de se produire ici. Premièrement, il pourrait être trop tôt pour déterminer si cette hausse est réelle. Dernièrement, un article a été publié dans la revue Nature Magazine concernant le rétablissement des stocks de morue sur le plateau néo- écossais. À mon avis, cette conclusion est un peu prématurée. Il faut que nous obtenions d'autres renseignements. Il se peut que les relevés varient légèrement; nous n'en sommes pas sûrs. Mike et moi en avons parlé. Si cette hausse est réelle, notre modèle est incorrect, et il doit être rajusté. Toutefois, cela ne signifie pas nécessairement que les phoques n'ont pas une incidence sur les morues. Il se peut qu'il y ait encore certaines interactions à l'oeuvre. En fait, il est possible que la population de phoques intervienne à retardement; nous ne le savons pas. Je tenais simplement à signaler que, peu de temps avant la publication du document, cette tendance se manifestait vraiment, et nous sommes très francs à ce sujet.
Vous devriez peut-être nous demander ce qui nous a poussés à publier le document. Nous voulions vraiment passer en revue l'ensemble des diverses incertitudes connues qui ont été étudiées auparavant par rapport à la population de morue, à savoir les troupeaux de phoques, la consommation totale, le modèle prédateur-proie et les renseignements concernant la composition par âge et par taille. Nous voulions examiner chacun de ces éléments. Nous avions le sentiment que les modèles existants interprétaient ceux-ci de manière trop étroite. Nous nous demandions ce qui se produirait si nous élargissions un peu la perspective. Les phoques peuvent-ils contribuer à l'absence de rétablissement des stocks de morue. Compte tenu de l'analyse dont nous disposons, nous soutenons que cela pourrait bien être le cas. Toutefois, il s'agit là d'une étude scientifique, et nous voulions qu'elle soit publiée, afin qu'elle puisse être débattue dans les publications scientifiques.
Le président : Chers collègues, comme nous n'avons pas beaucoup de temps, vous devrez vous en tenir à une question chacun. Comme notre témoin nous a fourni beaucoup d'information, je voulais lui permettre de nous l'expliquer le mieux possible.
Si nous n'avons pas le temps de poser certaines questions, nous pourrions vous les faire parvenir et vous pourriez nous répondre par écrit, si cela intéresse les membres. Je demande aux membres de s'en tenir à une question et vous pourrez, espérons-le, nous répondre le plus brièvement possible.
Le sénateur Hubley : Je vous remercie beaucoup de votre exposé. J'aimerais revenir à la figure 9, si vous le permettez. On voit une pointe entre 2005 et 2010, ce qui veut dire qu'il y a eu une augmentation, mais aussi une diminution. Comment interprète-t-on cela?
M. O'Boyle : Dans la période la plus récente?
Le sénateur Hubley : Oui.
M. O'Boyle : Je crois qu'après le dernier point, il y a eu encore une baisse. Ces études ont ce qu'on appelle un effet annuel en raison des variations dans l'échantillonnage. Il y a une tendance centrale, mais des variations autour, et c'est le conflit que l'on voit ici. Il peut y avoir beaucoup de variations dans cette étude en particulier.
On voit une pointe importante en 1972-1973. Ce n'est pas réel. Autrement dit, la population de morue n'a pas augmenté soudainement avant de redescendre. C'est l'effet étude. Ce qui nous préoccupe, c'est de savoir si c'est réel ou non.
Le sénateur Harb : En 4.2, vous avez utilisé la formule Mohn et Bowen de 1996. M. Mohn a témoigné un peu plus tôt ce matin et nous a montré un tableau des données de 2000 quelque chose et de 2010 qui montrait une mortalité en baisse malgré l'augmentation du troupeau de phoques.
Vous connaissez la formule parabolique y=x-h2+k. Vous l'avez sans doute déjà vue.
M. Boyle : Je ne vois pas très bien. S'agit-il d'une courbe de production?
Le sénateur Harb : Non, je vous fais ce dessin pour vous montrer que ce qui arrive aujourd'hui est semblable à ce qui s'est passé au cours des 50 dernières années. Si l'on s'en tient à une logique scientifique, ce que vous avez fait tout au long de votre exposé — et je vous en sais gré —, M. Mohn fait état d'une tendance au cours de laquelle, sur plus de cinq ans, il y a eu une baisse de la mortalité de la morue en dépit de l'augmentation du nombre de phoques. Si c'est le cas, j'affirme que votre formule est parfaitement logique. On voit ici un sommet correspondant au nombre le plus élevé de phoques que nous aurons. Et à partir de là, nous avons en fait le reflet exact de ce qui s'est passé ces 50 dernières années, à savoir un déclin. Si j'étais un scientifique — et je ne le suis pas, je suis ingénieur —, je dirais que le gouvernement aurait avantage à attendre de trois à cinq ans pour voir si cette courbe reflète la tendance dont nous a parlé M. Mohn, à savoir que nous aurions atteint une étape de stabilisation avant le déclin.
M. O'Boyle : Lorsque vous parlez de déclin, faites-vous allusion au troupeau de phoques?
Le sénateur Harb : Oui.
M. O'Boyle : Je ne sais pas de quoi vous parlez.
Le sénateur Harb : Selon les chiffres de M. Mohn, la mortalité de la morue a décliné ces dernières années en dépit de l'augmentation du nombre de phoques.
M. O'Boyle : C'est justement de cela dont je veux parler, la baisse de la mortalité de la morue a beaucoup à voir avec la question de savoir si le récent accroissement de sa population est réel ou non. Si cette population n'avait pas augmenté comme elle l'a fait, le taux de mortalité naturelle se serait maintenu au même niveau. C'est là la question.
Le sénateur Harb : Les scientifiques qui ont témoigné ce matin nous ont dit que dans les années 1900, le troupeau comptait en fait 900 000 têtes.
M. O'Boyle : J'estime qu'il est très important pour le comité d'obtenir l'historique de ces chiffres. Nous l'avons cherché, mais en vain. On nous a dit que Farley Mowat avait avancé des chiffres semblables. Nous les avons cherchés sans pouvoir les trouver. C'est important.
Le président : Ce sont des informations très importantes. Merci, monsieur, de votre exposé. Si les sénateurs ont d'autres questions à ce sujet, je suis sûr qu'ils vous les poseront.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à notre prochain témoin. Notre façon de procéder consiste habituellement à vous accorder du temps pour vous présenter et faire une déclaration préliminaire, puis à permettre aux sénateurs de poser des questions. La parole est à vous.
John Paul, directeur exécutif, Atlantic Policy Congress of First Nations Chiefs Secretariat : Soyez les bienvenus à Jipugtug, ou Halifax, sur le territoire micmac aujourd'hui. Je m'appelle John Paul et je suis de la Première nation de Membertou, au Cap-Breton. Je suis ici aujourd'hui à titre de représentant de notre organisation, qui représente 38 Premières nations de l'ensemble du Canada atlantique, de la péninsule gaspésienne et de l'État du Maine. Je suis ici pour vous parler de la prédation exercée par les phoques gris. Nous voulions simplement avoir la possibilité de vous faire connaître notre point de vue à la suite de nos discussions avec quelques-unes de nos collectivités sur cette question.
Nous sommes une organisation de recherche stratégique et de défense des intérêts qui aide les Premières nations micmaques, malécites, passamaquoddy et innues qui en sont membres. Ces collectivités comptent ensemble quelque 36 000 membres. Lorsque la Première nation Qalipu achèvera son processus d'enregistrement et qu'elle se joindra à notre organisation, nous serons près de 70 000 membres, répartis dans les quatre provinces atlantiques et au Québec, ainsi que dans la communauté de Passamaquoddy, qui chevauche la frontière entre St. Andrews et l'État du Maine. Elle fait aussi partie de notre organisation. Notre mandat consiste à élaborer des politiques de rechange sur les enjeux qui touchent nos collectivités des Premières nations dans cette région.
Dans chaque province, nous avons aussi des groupes qui s'occupent des négociations avec les gouvernements concernant les droits ancestraux, les titres, les traités et les revendications territoriales, qui relèvent de nos organisations provinciales : en Nouvelle-Écosse, la Kwilmu'kw Maw-Klusuaqn, qui signifie, en bref, « atteindre un consensus »; au Nouveau-Brunswick, un groupe appelé l'Assemblée des chefs des Premières nations du Nouveau-Brunswick; à l'Île-du- Prince-Édouard, la Confédération des Mi'kmaq; et en Gaspésie, trois bandes se sont regroupées pour former le Secrétariat Mi'gmawei Mawiomi, qui travaille pour les collectivités de la péninsule gaspésienne. Ces organisations ont le pouvoir de parler au nom de leurs membres sur les questions liées principalement aux négociations sur l'autonomie gouvernementale et à la mise en oeuvre des traités dans chacune des provinces.
J'aimerais d'entrée de jeu vous parler des enseignements d'un aîné micmac très respecté de l'une de nos collectivités du Cap-Breton, Albert Marshall, de la Première nation Eskasoni. Il joue depuis longtemps le rôle de porte-parole en ce qui concerne la pratique du savoir traditionnel autochtone. Il nous rappelle souvent qu'il faut voir les questions relatives à l'environnement et à la gestion des ressources « avec les deux yeux », c'est-à-dire selon l'approche scientifique pratique dont on parle aujourd'hui, ainsi que d'un point de vue autochtone, dans une perspective très différente et en utilisant les formules et les méthodes qui existent. Je tiens à souligner que l'on doit voir les choses en fonction de ces deux perspectives pour comprendre vraiment notre rôle dans le monde.
Nous savons que le comité sénatorial examine le dossier du phoque depuis de nombreuses années, et nous connaissons aussi très bien les faits. Nous nous abstiendrons donc de les répéter. Toutefois, s'il est une question qu'il faut examiner « avec les deux yeux », c'est bien celle de la controverse entourant les questions relatives à la population de phoques gris.
Dans le cadre de vos audiences, vous avez notamment entendu le point de vue de l'Association canadienne des chasseurs de phoques et celui du Fonds international pour la protection des animaux. Leurs points de vue polarisés sont très rigides et bien connus. Par ailleurs, l'aîné Marshall nous enseigne que l'espèce humaine a des responsabilités et que les autres espèces ont des droits. Notre communauté voit de près la croissance des colonies de phoques gris et la dévastation de nos stocks de poisson. C'est la raison qui pousse les Premières nations à se battre pour rétablir l'équilibre écologique et assurer la pérennité du milieu aquatique marin, qui appartient à tout le monde.
En 1999, après de nombreuses années, le gouvernement a été forcé, dans la décision Marshall rendue par la Cour suprême du Canada, de finalement reconnaître les droits issus des traités anciens de toutes les Premières nations du Canada atlantique de pêcher pour s'assurer une subsistance « convenable ». Depuis, les Premières nations ont conclu des accords provisoires avec la Couronne et ont entrepris d'importantes activités de pêche.
Il y a environ trois ans, notre organisation a effectué une étude et s'est penchée sur la décennie qui s'est écoulée depuis la décision Marshall. Nous avons examiné ce qui s'est passé en ce qui concerne les Premières nations et leur participation à l'ensemble des activités de pêche. Notre rapport a révélé que ces accords ont donné lieu au transfert de plus de 640 permis attribués à des pêcheurs non autochtones. Ces permis ont généré plus de 35 millions de dollars de recettes et ont créé plus de 1 000 nouveaux emplois. Par conséquent, de nombreuses collectivités ont instauré des activités de pêche commerciale uniques, dotées de programmes indépendants de cogestion, d'entretien des bateaux et de l'équipement, de formation et de mentorat, d'administration et de gouvernance. Dans une aussi courte période, il s'agit là d'une réalisation remarquable de nos communautés, et ce, à tous points de vue.
Toutefois, depuis l'arrêt Marshall, les défis n'ont pas manqué et ils sont encore nombreux. La décision du gouvernement, notamment, de retarder le renouvellement de ses programmes de soutien et peut-être même de les suspendre ou de les abolir nous préoccupe beaucoup. Nous attendons avec impatience, comme tout le monde, de savoir ce que nous réserve le budget aujourd'hui. Nous savons toutefois pertinemment que sans un soutien permanent au développement de notre communauté, le système ordonné des pêches que ciblaient toutes les parties pour le Canada atlantique sera sérieusement compromis. La question du phoque gris soulève des préoccupations semblables.
Monsieur le président, le comité est bien au fait de l'avis scientifique du MPO intitulé Impacts des phoques gris sur les populations de poissons dans l'Est du Canada. Ses auteurs rapportent que le phoque gris, qui avait presque disparu dans l'Est du Canada dans les années 1950, compte aujourd'hui quelque 400 000 têtes et que des taux de mortalité très élevés parmi les poissons adultes ont été recensés chez plusieurs espèces, notamment la morue, dans le sud du golfe. Ils recommandent ainsi que soit élaboré et instauré un programme rigoureux de gestion de la population de phoques.
Il ne fait aucun doute que la surpêche a constitué un problème dans le passé, mais la prédation par les phoques est aujourd'hui le principal problème qui nuit à la reconstitution des stocks. Pour les Premières nations, il s'agit d'une question particulièrement urgente. Les possibilités offertes par l'arrêt Marshall sont maintenant menacées. Nombre des activités de pêche pour lesquelles des permis ont été accordés ne sont tout simplement plus assez viables pour assurer une subsistance raisonnable. On parle notamment des poissons de fond, de la morue et des petites espèces pélagiques, comme le thon rouge de l'Atlantique, et il semble également que les stocks de homard et de crabe des neiges soient menacés à certains endroits. Nous croyons en outre que cela nuit au rétablissement de bien d'autres espèces, surtout à de nombreux stocks de saumon atlantique.
Nous avons pris connaissance des observations que vous a présentées M. David Lavigne, le très respecté biologiste de la vie marine, qui soutient que « le corpus des données scientifiques ne permet tout simplement pas d'appuyer ou de justifier une décision qui consisterait à abattre des dizaines de milliers de phoques gris sur la côte Est du Canada. » Toutefois, le rapport du CCRH, intitulé Vers le rétablissement des poissons de fond et d'une pêche durable dans l'Est du Canada, a confirmé l'avis scientifique du MPO, et ses auteurs ont recommandé de tester l'hypothèse selon laquelle la prédation par les phoques gris constitue le principal facteur qui empêche le rétablissement des stocks de poisson de fond dans la partie sud du golfe du Saint-Laurent.
Les collectivités des Premières nations du Canada atlantique appuient donc fermement les recommandations du MPO et du CCHR. Nous utilisons fièrement et depuis très longtemps des méthodes de chasse sans cruauté. Diverses communautés seraient majoritairement prêtes à participer à un abattage sélectif des phoques. De nombreux défis se présentent toutefois à nous.
Comme l'ont déjà mentionné certains témoins — l'Association canadienne des chasseurs de phoque, en novembre 2011 —, les chances qu'un marché soutienne une chasse contrôlée sont contrecarrées par les formalités administratives de l'Agence canadienne d'inspection des aliments, c'est-à-dire par les exigences ante mortem. Ce problème, en apparence mineure, prend un temps fou à régler et nécessite une action politique immédiate.
Les acheteurs doivent collaborer avec nos collectivités dès aujourd'hui pour mettre en place des plans d'affaires solides. Si on attend que toutes les questions administratives soient réglées, on retardera inutilement une chasse contrôlée dont la réussite sera menacée.
Des programmes de formation et de mentorat doivent être préparés et offerts rapidement dans nos collectivités. Nous avons quelques chasseurs expérimentés, mais il faudra en former de nombreux autres. Je pense que compte tenu de la forte population de nos collectivités, tout débouché sera très utile et avantageux pour nous.
Nos Premières nations tiennent également à ce qu'une stratégie de communication ciblée soit mise en place afin que des messages clés soient diffusés avant que des groupes d'opposants très bien organisés et grassement financés ne mettent en péril ce dossier et d'autres initiatives, comme cela s'est souvent produit dans le passé.
En attendant, un programme de primes doit être instauré afin d'encourager un abattage sélectif et de recueillir des données non scientifiques pour commencer à évaluer l'hypothèse sur l'incidence de la prédation exercée par les phoques.
L'aîné Marshall nous enseigne qu'il faut placer le savoir traditionnel autochtone au coeur de nos vies pour donner un sens à ces dernières. En regardant avec les deux yeux, comme il le dit si bien, nous éviterons de rester prisonniers du passé.
En conclusion, monsieur le président, honorables membres du comité, l'APC est convaincu que les Premières nations de l'Est du Canada apporteront un point de vue nouveau au débat sur les phoques gris.
Le sénateur Hubley : Bienvenue, monsieur Paul et merci beaucoup pour votre exposé. C'est un plaisir de recevoir ici le porte-parole des Premières nations.
Ma question est brève. Avez-vous, lors de vos discussions ou dans le cadre de vos plans de développement économique, abordé la question du phoque gris sous l'angle du développement économique? Il me semble que vous avez mentionné un abattage sélectif. Considérer les phoques comme une ressource pourrait être économiquement avantageux pour vos communautés.
M. Paul : Je suis d'accord. Il faut effectivement aborder la question d'un point de vue scientifique et trouver le moyen de rétablir un équilibre avec les écosystèmes pour les prochaines 10, 20, 30, 40 ou 50 années. Je pense que toute initiative mise en oeuvre devra en tenir compte.
Pour ce qui est du développement économique, un certain nombre de nos communautés se sont penchées sur la question et considèrent que c'est une sérieuse possibilité que nous devrions étudier pour faire en sorte que le développement soit viable durant les 100 prochaines années. C'est sous cet angle que nous voulons l'examiner pour veiller à ce que toute mesure que vous appliqueriez n'aille pas à l'encontre de nos pratiques de récolte traditionnelles d'animaux, quelles qu'elles soient, et déterminer comment nous allons nous y prendre pour que le développement soit parfaitement durable sur le long terme. Ces dernières 10 années, nous avons renforcé nos capacités et les phoques ne sont que l'une des activités des pêcheurs de nos communautés. Beaucoup de choses sont de nature cyclique dans nos communautés. Dans l'une de nos communautés, un pêcheur se livre à des activités différentes selon la saison, année après année. Il passe de la chasse à l'orignal à la pêche au thon et au homard. Il fait cela tout au long de l'année. Il était à Terre-Neuve ces deux dernières années. Quand je lui ai parlé de la récolte des phoques, il savait que c'était une activité à ajouter à toutes les autres qu'il a exercées au cours des ans. Ce n'est qu'une activité de plus pour lui permettre de subvenir aux besoins de sa famille et de sa communauté.
Le sénateur Harb : Vous pratiquez la chasse pour assurer la subsistance de votre peuple et vous utilisez toutes les parties du phoque. On nous a demandé directement ou indirectement de donner notre assentiment à l'abattage de 350 000 phoques gris au cours des cinq prochaines années. Ils ne sont pas abattus à des fins de nourriture, mais seulement pour être décimés, pour les jeter dans l'océan ou les utiliser pour faire des engrais ou de la nourriture pour chiens. Je suppose que cela vous pose un problème moral, en tant que chef. S'il s'agit d'abattage sélectif de phoques à seule fin de les tuer, j'imagine que vous vous y opposerez, en revanche, vous accepterez un abattage sélectif qui permettrait à vos communautés d'utiliser toutes les parties du phoque.
M. Paul : Cela présenterait sous un angle différent ce que les gens essaient de faire pour utiliser au maximum le phoque, pour en augmenter la valeur et tirer à l'avenir tous les bénéfices qu'il procure en tant que ressource. Que devons-nous faire pour que le monde et les gens le considèrent comme une ressource précieuse? Voilà ce qui compte. Comment s'assurer que les mesures prises iront dans ce sens et sur le long terme, pendant 10 ou 20 ans ou même 100 ans? Dans une centaine d'années, quelqu'un posera la question : pourquoi ont-ils décidé cette année de prendre une mesure précise? Quelqu'un portera un jugement et dira : pour quelle raison avez-vous fait cela?
Pour ce qui est de ce que nous faisons et de l'exemple que j'ai donné, le pêcheur joue un rôle dans le cadre des possibilités économiques, il peut travailler. Nos communautés, nos chasseurs et nos pêcheurs ont une grande préoccupation : la conservation. C'est toujours une grande question pour nos communautés et notre peuple. L'autre question concerne la viabilité à long terme et les efforts visant à maximiser, pas seulement la valeur, mais aussi l'utilisation de la ressource, aussi longtemps que possible. Ce qui nous intéresse dans beaucoup de ces questions, c'est le long terme. L'essentiel lorsqu'on examine de ce point de vue une ressource, quelle qu'elle soit, est de déterminer la place qu'elle occupe dans l'ensemble, si elle cadre avec l'économie, les valeurs morales et tout le reste.
Nous avons eu plusieurs discussions à ce sujet. Le secteur de la pêche a donné aux gens de nos communautés le sentiment qu'il y a de meilleures possibilités. S'il s'agit là d'un autre élément qui peut nous aider à renforcer et multiplier ces possibilités, alors je suis certain que nous considérerons que ce secteur offre de véritables perspectives d'avenir. Nous voulons voir ce que sont les prévisions de ce plan de viabilité à long terme pour les 10, 20 ou 30 années à venir et y incorporer tous les aspects de votre science. Nous voulons aussi prendre en considération ce que nous apportons d'autre, à savoir nos connaissances écologiques traditionnelles et déterminer la façon dont elles peuvent contribuer aux mesures que vous envisagez de prendre à l'avenir concernant cette ressource.
Le sénateur Cochrane : Est que le chef Joe, de Conne River, est membre de votre organisation?
M. Paul : Oui, il en est membre.
Le sénateur Cochrane : Il l'est?
M. Paul : Oui.
Le sénateur Cochrane : Vous êtes entre bonnes mains.
M. Paul : Je suis d'accord.
Le président : Merci, monsieur Paul, pour l'exposé que vous avez fait ici aujourd'hui. C'est un autre point de vue dans les discussions que nous poursuivons. Merci d'avoir pris le temps d'être avec nous aujourd'hui.
Je profite de l'occasion maintenant pour accueillir les témoins de l'autre île au Canada. Étant moi-même originaire de Terre-Neuve-et-Labrador, je suis toujours content de voir d'autres habitants de l'île. Je dis à mon bon ami, Mike Duffy, que même si un pont nous relie maintenant, nous sommes encore entourés d'eau. Quoi qu'il en soit, je suis ravi que vous ayez pu venir. Nous savons que cette journée a été longue et nous apprécions énormément le fait que vous avez voyagé pour venir ici.
Nous poursuivons une étude sur la population de phoques gris au Canada atlantique et son effet non seulement sur le rétablissement des stocks de morue, mais aussi sur d'autres espèces. Nous avons entendu aujourd'hui beaucoup de témoins différents ayant une grande variété d'opinions et il nous tarde d'entendre ce que vous avez à dire. La façon dont nous procédons est la suivante, vous avez l'occasion de vous présenter, de dire quelques mots dans le cadre d'une déclaration préliminaire, puis si les sénateurs ont des questions, ils vous les poseront. La parole est à vous.
Ian MacPherson, directeur exécutif, Prince Edward Island Fishermen's Association Ltd. : Merci, monsieur le président. Je m'appelle Ian MacPherson et je représente la Prince Edward Island Fishermen's Association. Je suis le directeur général. Je suis accompagné par l'un des directeurs du conseil d'administration, M. Danny Arsenault, qui soulèvera quelques points quand j'aurai fini mon exposé.
Nous vous remercions de nous donner l'occasion de présenter le point de vue de notre île. Cette question a suscité beaucoup de discussions et j'aimerais vous parler des différences qui existent au niveau de la situation dans l'Île-du- Prince-Édouard. J'ai distribué trois documents. Je ne vais pas en parler. Je vais vous donner un bon aperçu général et faire quelques observations préliminaires.
Nous représentons 1 300 pêcheurs désignés de l'Î.-P.-É. Nous pêchons principalement du homard, du hareng, du maquereau et du thon. Nous reconnaissons que la question du phoque gris est délicate et qu'elle prête à controverse, en tant qu'habitants de l'Î-P.-É, nous aimerions pouvoir contribuer positivement au débat et proposer des solutions.
Nous estimons que le système que nous avons est déphasé, qu'on l'appelle biomasse ou système global. Nous voulons parler de la façon dont nous pourrons le remettre sur les rails.
Je dirais qu'il faut parfois reculer pour mieux sauter. En 1999, nous avons fait une étude sur les conflits entre les phoques et les engins de pêche à l'Île-du-Prince-Édouard. À l'époque, les pêcheurs de l'île se préoccupaient de l'augmentation des populations, je parlerai plus en détail de ce document.
L'autre document que je vous ai remis est un terme de référence de ce qui s'appelait Traditional Fisheries Mapping Update. J'y reviendrai un peu plus en détail. Une approche très intéressante a été adoptée pour produire ce document et je pense que nous pourrions peut-être envisager de l'utiliser à l'avenir.
Le dernier document contient des photos que nous possédions. Les fonctionnaires du MPO connaissent ces photos et nous ont suggéré de les apporter au comité. M. Arsenault en parlera dans le contexte de ce qui se passe là-bas dans le milieu de la pêche.
Si vous me permettez de revenir un instant sur la question des conflits entre les phoques et les engins de pêche en octobre 1999, ce document a été élaboré par le Collège vétérinaire de l'Atlantique de l'Î.-P.-É avec la participation du ministère des Pêches de l'Î.-P.-É et du ministère des Pêches et des Océans. Le nom de Mark Hammill a été mentionné. Il est le spécialiste des phoques au MPO. La participation de M. Hammill à cette étude a été totale.
Tout près de 300 pêcheurs y ont participé. L'étude a porté sur un vaste éventail d'éléments, mais je n'entrerai pas dans les détails. On a tenté essentiellement de mesurer les dommages causés par les phoques à l'époque. En 1999, les pertes causées par ce qu'on appelle les conflits d'engins ont été évaluées à 6,3 millions de dollars. Il s'agit en fait de situations où le phoque s'empare de l'appât ou endommage le casier. Cela équivaut à 6,2 p. 100 de la valeur des prises au débarquement et près de la moitié concernait la pêche au homard. Nous avons peu entendu parler du phoque et du homard aujourd'hui, mais à mon avis, il y avait beaucoup plus de problèmes qu'on pense dans d'autres régions.
Selon l'étude, plus de 790 phoques sont morts à la suite de problèmes ou de conflits d'engins. Même si à l'époque leur nombre était beaucoup moindre, les interactions étaient nombreuses en mer.
Toujours selon l'étude, les pertes par pêcheur se situaient aux environs de 700 kilogrammes de homard, soit des quantités importantes à l'époque. La population de phoques consommait, selon les estimations, deux fois ce qui était récolté autour de l'Île-du-Prince-Édouard. Ce sont donc des quantités très importantes. L'étude contenait beaucoup de données scientifiques détaillées, mais je ne m'attarderai pas sur ces éléments.
Une des solutions proposées pour réduire la prédation des appâts était d'utiliser des sacs à appât, et je vais parler dans un instant de cette solution et des autres qui ont été étudiées.
Comme je suis le dernier, j'en profite pour faire un résumé de ce que vous avez entendu aujourd'hui. Nous avions beaucoup de points similaires et M. Arsenault vous parlera de certains d'entre eux.
Nous constatons que les phoques se nourrissent de plus en plus de flétan, ce qui ne semblait pas être le cas il y a quelques années. Comme je l'ai mentionné, les phoques ne mangent pas le poisson en entier, mais seulement des parties de celui-ci. Nous voyons de plus en plus souvent des phoques manger des homards ou d'autres espèces qui ne faisaient pas partie autrefois de leur régime alimentaire. Les pêcheurs nous rapportent être franchement préoccupés par le fait que les phoques, en raison de la surpopulation, s'en prennent maintenant à de nouvelles espèces, ce qui signifie habituellement qu'ils meurent de faim. Nous n'aimons pas voir un animal vivre ce genre de situation.
Les pêcheurs de thon ont eux aussi beaucoup plus de problèmes. On voit ici justement la photo d'un phoque sur une ligne de pêche.
Un des poissons qui nous préoccupe beaucoup, et on y a fait allusion un peu plus tôt, c'est le hareng. On parle du hareng comme du roi des mers, parce qu'il se trouve, en fait, au sommet même de la chaîne bioalimentaire pour de nombreuses espèces que nous pêchons dans le golfe. Nous constatons des changements dans les habitudes de fraie. Les harengs se déplacent habituellement en bloc lorsqu'ils se préparent à frayer. Comme Danny l'a mentionné, on peut voir le bloc très clairement sur un sondeur. Ils s'installent au fond et bougent très peu. Ils restent là quelques jours, fraient, puis se dispersent. Nous n'observons plus ces blocs. Nous les voyons se former, mais ils ne restent plus au même endroit. Ils ne se fixent pas. Nous les voyons se déplacer et se disperser. Bon nombre de pêcheurs croient que c'est en raison du harcèlement des phoques lorsqu'ils s'apprêtent à frayer.
Nous voyons aussi de plus en plus souvent les harengs fréquenter des sites de reproduction non traditionnels. Nous ne prétendons pas que les phoques sont les seuls responsables de la diminution des stocks de hareng, mais c'est une source de préoccupation importante pour tout le monde.
Dans le rapport de 1999, on recommandait notamment d'utiliser des sacs à appât. Les casiers de homard que nous utilisons à l'Île-du-Prince-Édouard sont souvent munis d'une pointe ou de quelque chose du genre sur laquelle on fixe le hareng. Bien sûr, si le phoque est assez agile pour s'y rendre, c'est assez facile d'accès. On a fait beaucoup de recherches. Selon certains pêcheurs, le remplissage de ces sacs à appât au lieu de la méthode traditionnelle exigerait jusqu'à trois heures de plus quotidiennement. Les pêcheurs étaient prêts à examiner toutes ces solutions.
On a aussi parlé aujourd'hui des études qui ont été menées sur les dispositifs de dissuasion acoustique. Certains d'entre eux ont des sons que nous aimerions avoir en permanence dans l'habitat marin. Ils ont même essayé notamment les cris de l'épaulard pour tenter d'éloigner les phoques de certaines zones de pêche. Toutefois, le phoque est un animal qui s'adapte très facilement à ces sons, un peu comme un épouvantail.
Nous avons également essayé les pièges à appât en acier. En 1999, leur prix unitaire était d'environ 3,50 $. Le coût pour 300 pièges était donc assez élevé.
Certains pêcheurs ont également essayé de modifier leurs pièges, mais cela n'a rien donné. Si on ajoutait une latte ou qu'on réduisait l'ouverture, cela empêchait les gros homards d'entrer.
Il est important de souligner que les pêcheurs de l'Île-du-Prince-Édouard ont exploré de nombreuses avenues pour tenter de cohabiter avec les phoques, car jusqu'à il y a quelques années, la coexistence était possible. Traditionnellement, si les phoques devenaient trop abondants dans une zone, les pêcheurs se déplaçaient vers une autre zone, mais comme les phoques sont de plus en plus nombreux, les options diminuent.
Par ailleurs, le coût des appâts a beaucoup augmenté en raison de la baisse des stocks de hareng. Un des problèmes qui n'est pas encore très présent au Canada, mais qui est très concret dans les États de la Nouvelle-Angleterre, c'est celui de l'utilisation d'appâts offshore dans les casiers à homard et à crabe. J'ai participé à un séminaire il y a un an, et on y a entendu des choses assez effrayantes. On importe des espèces de poisson et des têtes de poisson du Vietnam et d'autres régions et zones climatiques tout à fait différentes des nôtres. Nous ne voulons pas assister, bien sûr, à l'introduction de nouveaux agents pathogènes dans nos écosystèmes. Dans ces États, les pêcheurs ont utilisé pendant quelques années du cuir et du cuir cru. Lorsque les pêcheurs ne peuvent plus utiliser le hareng et les autres espèces de poissons qu'ils utilisaient traditionnellement, ils se tournent vers d'autres options. Il faut être très conscient des risques.
Un des États de la Nouvelle-Angleterre veut faire adopter un projet de loi, car les appâts ne sont pas considérés comme des aliments et ne sont pas réglementés. C'est un problème dont il faut être très conscient.
On a parlé de l'abattage sélectif. Si je me souviens bien, on a mentionné que l'abattage sélectif s'est imposé parfois pour d'autres espèces, comme les loups, les orignaux ou les cerfs, dans certaines provinces canadiennes. Il s'agit toujours, bien sûr, d'une décision controversée. En tant qu'espèce, nous devons être conscients que c'est nous, bien souvent, qui sommes responsables de ces déséquilibres. C'est le cas actuellement à mon avis.
On compare souvent le phoque gris au phoque du Groenland. Quand on parle du phoque au sein de la communauté internationale, il semble que ce soit toujours par rapport aux problèmes qu'il cause.
Au MPO, l'approche de précaution entre en ligne de compte pour bien des espèces. Il s'agit d'un système de gestion qui repose sur des paramètres. La biomasse peut, par exemple, descendre en dessous d'un certain point. Cela s'apparente à des feux de circulation : vert, jaune et rouge. Il existe un certain nombre de paramètres, mais ils ne concernent que les pêcheurs. Comme on l'a mentionné précédemment, il faut faire des recherches sur les répercussions de cette augmentation de la population sur les océans, et les océans seulement. Il faut faire abstraction de l'élément humain et se concentrer uniquement sur cet aspect.
Il y a un élément dont je n'ai pas entendu parler aujourd'hui, et c'est un rapport intéressant qui a été publié il y a quelques années et qui portait sur la contraception. Je ne sais pas si, d'un point de vue de relations publiques, c'est une option qu'on peut explorer pour réduire la population. Si je me souviens bien, le coût variait entre 1 et 3 millions de dollars. Ce n'est pas une somme facile à trouver à l'heure actuelle. Toutefois, si on compare ce montant à celui des pertes, ça pourrait être un investissement très rentable.
J'ai mentionné un peu plus tôt que je reviendrais sur la cartographie du savoir. L'aspect le plus fascinant de cette initiative, c'est qu'il s'agissait d'une étude triennale entreprise conjointement par le MPO et les organisations de pêche. Ce que j'ai trouvé fascinant, c'est le fait qu'on dressait une cartographie des zones de fraie traditionnelles et des populations de phoque en s'appuyant à la fois sur les données scientifiques et sur les observations des pêcheurs. Il s'agit d'une cause personnelle, bien sûr, mais je n'insisterai jamais assez sur le fait qu'on n'utilise pas suffisamment les connaissances et l'expertise des pêcheurs. On a tendance à parler soit de l'opinion des pêcheurs, soit de l'opinion des scientifiques. Plusieurs ont soulevé des doutes aujourd'hui dans la salle sur la façon de mesurer les résultats d'un abattage sélectif. Eh bien, la présence de 1 000 pêcheurs sur l'eau est une façon très scientifique de recueillir des données, et j'invite le comité à envisager sérieusement cette option.
Avant de céder la parole à Danny, je voulais soulever un dernier point. Nous devons vraiment étudier la situation du roi de la mer, le hareng, et la façon dont tout cela fonctionne. Si nous ne pouvons pas protéger nos stocks de hareng, l'industrie du homard et les autres industries deviendront sans importance.
Je vais maintenant céder la parole aux véritables pêcheurs.
Danny Arsenault, directeur, Prince Edward Island Fishermen's Association Ltd. : Aujourd'hui, je veux vous parler en adoptant le point de vue d'un pêcheur. Je suis dans le domaine depuis que je suis assez grand pour passer par-dessus le côté du bateau. À l'âge de 18 ans, j'ai acheté ma flotte de navires, que j'exploite depuis maintenant près de 40 ans. J'ai été en mer pendant longtemps et j'ai vu beaucoup de choses changer au fil des ans.
En ce moment, je suis président du P.E.I. Groundfish Committee. Nous avons beaucoup de discussions de ce genre au fil du temps. Chaque année, nous allons à Moncton pour assister aux réunions du PCR. Nous parlons des problèmes et les phoques représentent un important problème pour les pêcheurs depuis des années, d'après ce que nous avons constaté. Comme vous l'avez mentionné, nous sommes parfois en désaccord avec ce que disent les scientifiques; l'inverse est aussi vrai. Toutefois, en fin de compte, je pense que ces quelques dernières années, les chercheurs ont beaucoup écouté ce que les pêcheurs avaient à dire et ont commencé à travailler en fonction de ces hypothèses. Je pense qu'une bonne partie de ce travail tend à démontrer que nous avions peut-être raison à bien des égards.
Quand on y pense, dans le cadre de toutes ces évaluations, si la recherche se fait dans un laboratoire situé sur la terre ferme, tout est apporté et c'est formidable; on peut le faire. Cependant, il faut se rappeler que lorsqu'on fait de la recherche, c'est différent. Il y a beaucoup de choses pour lesquelles il faut simplement s'en remettre à des hypothèses. Souvent, c'est ce que font les chercheurs. Cela peut certainement avoir des effets très négatifs sur certains de ses modèles. Aujourd'hui, par exemple, nous avons entendu un témoignage selon lequel la morue était en voie de se rétablir dans une région, puis les pêcheurs ont indiqué que dans cette région, les stocks de poisson sont en baisse. Si on fait un trait de chalut un certain jour et qu'on obtient une prise, cela semble indiquer qu'il y a beaucoup de poisson. Or, le lendemain, il pourrait ne pas y en avoir. Nous ne tenons pas vraiment compte de certaines de ces choses. Ce dont nous tenons compte, c'est de ce que nous observons en mer.
Comme vous le savez, nous n'avons pas pêché dans le golfe du Saint-Laurent depuis maintenant 20 ans. Il nous a été interdit de pêcher. J'oublie le chiffre de la biomasse du stock de reproducteurs de la morue pour l'époque, mais aujourd'hui, il est réduit d'au moins 90 p. 100. Nous n'avons pas été en mer. Donc, quelque chose réduit le stock. Beaucoup de gens jettent tout le blâme sur le phoque gris. Je ne suis pas d'accord. À cet égard, je pense qu'il joue un rôle important, mais d'autres facteurs entrent en jeu. L'un d'entre eux est le phoque du Groenland, par exemple. Il arrive en hiver et s'installe sur la glace. Je ne crois pas que quiconque en ait déjà vu un franchir le détroit de Belle-Isle avec une boîte à lunch; il se nourrit habituellement sous l'eau. En hiver, les stocks de hareng et de morue, notamment, se déplacent au large; en été, ils reviennent dans les zones peu profondes. Où sont les aires de mise bas? Elles sont en plein centre du golfe, là où sont les poissons. Voilà pourquoi on observe autant de vers.
Les problèmes ont commencé lorsqu'on a trouvé des vers dans le poisson, avant que le phoque gris ne cause des ravages. Il est en partie la cause du problème — mais pas entièrement — parce que le phoque du Groenland joue aussi un rôle à cet égard. C'est ce que nous disons depuis des années. Quelqu'un a mentionné qu'actuellement, il y a 9 millions de phoques du Groenland. Ils sont aussi une partie du problème.
Il semble que tous ceux qui sont ici aujourd'hui se concentrent sur la question de savoir si un abattage sélectif devrait avoir lieu. Un homme a mentionné que cela devrait être une pêcherie. Ce serait formidable. Si c'était possible, ce serait la chose. Toutefois, nous savons tous ce qui s'est passé. Les marchés sont fermés. On n'y a plus accès. Il est peut-être irréaliste de penser qu'on peut le faire. Cela nous ramène au fait que nous devons prendre des décisions très difficiles. Pour les pêcheurs, il n'y a qu'un seul important problème, qui est surtout lié au phoque gris et au phoque du Groenland, aux deux espèces.
Lorsque j'ai commencé à pêcher, je ne savais pas ce qu'était le phoque gris. De toute ma vie, je n'en avais jamais vu dans notre région.
J'entends les gens dire que nous devons faire plus d'études à ce sujet et que nous devons faire ceci et cela. Eh bien, pendant qu'on mène des études, nous sommes graduellement écartés du secteur de la pêche parce qu'il n'y a plus rien à pêcher. Si nous continuons à aller là, il ne restera rien pour personne. Nous avons fait valoir cet argument auprès du MPO. À mon avis, la raison pour laquelle il nous faut maintenant un abattage sélectif, c'est que nous avons attendu trop longtemps pour agir. Aujourd'hui, c'est probablement la seule solution viable.
Au printemps, je commençais à pêcher dès la fonte des glaces. Nous pêchions le poisson de fond, la morue et la merluche. Il y en avait beaucoup et nous pêchions. Nous nous arrêtions seulement lors de la migration de fraie du hareng. Nous pensions faire plus d'argent en pêchant le hareng; nous passions donc à cette pêche. Ensuite, on pouvait pêcher le maquereau lorsqu'il arrivait. Quand c'était terminé, on recommençait à pêcher le poisson de fond.
À l'automne, je pêche le homard. Nous passions à la saison du homard. Tout était formidable. On pouvait toujours pêcher.
De nos jours, au printemps, mon bateau reste à quai. Parce que je n'ai pas de travail, mon beau-frère m'embauche comme équipier sur son bateau. À l'été, il n'y a toujours rien. À l'automne, je pêche le homard. Ensuite, nous allons habituellement en Nouvelle-Écosse pour trouver un emploi et pêcher pendant un certain temps. Maintenant, nous sommes passés à autre chose. J'ai travaillé dans l'Ouest pendant tout l'hiver pour augmenter mon revenu parce qu'on ne peut plus pêcher; la situation devient très grave. On arrive au point où il faut choisir entre le phoque, le poisson ou les pêcheurs. Il faut faire quelque chose, sinon il ne restera plus personne pour pêcher.
Il y a le phoque gris. Nous en avons parlé plus tôt. Beaucoup de gens disaient qu'il semble que vous vous concentrez sur un débat où l'on cherche à savoir si le phoque est une des causes de la disparition de la morue ou si la morue connaîtra un rétablissement si nous éliminons les phoques. Si on va au-delà de ces questions et qu'on réfléchit à la situation, on constate que dans les autres pêches, on ne peut pratiquer la pêche au poisson de fond qu'une journée par année. Il en va de même pour le flétan de l'Atlantique. Voyez-vous le tableau? C'est ce qui se passe dans le cas du flétan. Si vous pêchez un poisson de 60 à 70 livres qui vaut 6 $ la livre, on parle de 400 $ par poisson, et vous voyez les phoques les arracher des hameçons, devant vous. Ils ont, pour ainsi dire, détruit les poissons de fond. Il n'y en a plus et les phoques se nourrissent d'autre chose.
Plus tôt, Ian a parlé de la pêche au hareng. C'est ce que l'on voit aujourd'hui. Dans ma région, il y a une grande bordure de récifs où les harengs venaient toujours frayer. À l'automne, on pouvait aller y pêcher le hareng en même temps que les navires de pêche commerciale. C'est là que les pêcheurs de homard allaient aussi pêcher leurs appâts. Ian a parlé d'un banc de harengs. Je l'ai vu. Nous allions dans une région précise et le banc de harengs arrivait. Les harengs pouvaient rester sur place pendant au moins une semaine. Ils se rassemblaient au fond et ne bougeaient pas. Ils restaient là. On pouvait y aller et pêcher tous les appâts dont on avait besoin. Nous y allions chaque jour. Maintenant, lorsque le banc de harengs arrive, il ne reste pas aussi immobile au fond. Il est là, et soudain, il est reparti. Le lendemain ou deux jours plus tard, il est possible qu'il revienne, ou non. Il reviendra peut-être quelques jours plus tard. Il se déplace et il revient soudainement pour frayer; ensuite, il disparaît. La seule chose qui a changé, c'est que ce sont les phoques qui sont ainsi rassemblés; l'eau en est remplie. Lorsque le banc s'immobilise, le moment venu, les phoques les pourchassent et le banc ne peut pas s'immobiliser. Cela détruit cette pêche.
Nous avons une pêche au thon dans cette région et c'est la même chose. Les pêcheurs appâtent leurs hameçons pour capturer le thon et, tout à coup, un phoque saute sur ces dernières. Ils doivent combattre cette prise pendant une heure sans savoir de quoi il s'agit jusqu'à ce qu'ils puissent le confirmer. Ils doivent alors couper la ligne pour libérer le phoque, perdant du coup leur ligne, leur hameçon, leurs gréements, tout. C'est coûteux et ils doivent tout remplacer. C'est un problème dans cette pêche.
Les pêcheurs de maquereau pratiquent la pêche à la traîne. Eh bien, cette pratique a presque complètement disparu elle aussi. Ils mouillent leurs filets en soirée. Dès qu'ils ont capturé quelques poissons dans leurs filets, les phoques apparaissent et commencent à se nourrir, vidant complètement les filets. Il est impossible de les éviter. Sur les récifs, sur la côte, on ne peut plus les dénombrer, surtout lorsque la saison du hareng bat son plein.
Plus tôt, quelqu'un a parlé de leur régime alimentaire. Oui, si vous vérifiez dans certaines régions, la morue peut ne représenter qu'un faible pourcentage de leur régime. Comme l'a dit quelqu'un ce matin, lorsque vous allez là où se trouve la morue et qu'elle sert de proie aux phoques à ce moment-là, vous allez les trouver en beaucoup plus grand nombre. Lorsque le temps du hareng arrive, j'aimerais que l'on fasse des tests à ce moment-là. Ils ont l'estomac entièrement plein de hareng, parce que c'est la raison pour laquelle ils sont là. Nous les avons observés. Lorsque le hareng quitte la région, certains phoques vont ailleurs. Ce sont très probablement les meilleurs pêcheurs dans l'eau, et ils n'hésitent pas à en faire la démonstration. Ils sont en train de s'approprier la pêche.
Nous savons que les pêcheurs sont probablement en partie responsables du problème et qu'ils ont créé la situation actuelle, mais les phoques le sont également. Personne ne l'a remarqué à l'époque parce que le poisson était si abondant, mais il y avait un autre coupable. Toutefois, lorsqu'on nous a interdit de pêcher, tout le monde a supposé que les stocks se rétabliraient en un rien de temps, mais cela n'a certainement pas été le cas.
Ian a parlé de la pêche au homard et du fait que nous avons dû commencer à utiliser des sacs d'appât plutôt que de recourir à la méthode traditionnelle. Eh bien, j'ai constaté au cours des dernières années que, certains jours, nous pêchons avec sept casiers fixés à une ligne et c'est un jeu d'enfant que de tirer cinq ou six de ces casiers, dont les sacs d'appât ont disparu; les phoques s'attaquent maintenant à ces sacs, également. Combien cela nous coûte-t-il?
C'est ce que nous constatons et ils endommagent les casiers en le faisant. Ces casiers n'auraient pas été dérangés et nous aurions pu voir combien de homards ils contenaient, plutôt que de les trouver vides. Cette situation a eu un effet négatif sur tout le monde. Peu importe où nous allons, c'est partout la même chose. Tout pêcheur peut vous dire que c'est la même chose dans toutes les régions. Aucune région n'est à l'abri des phoques maintenant. Il s'agit d'un problème très, très sérieux et il faut faire quelque chose.
Comme je l'ai dit plus tôt, oui, si nous avions des marchés, une chasse serait certainement une façon de contrôler la population de phoques et de l'amener à un niveau que l'on peut contrôler. Je pense que cette possibilité a disparu. Nous n'avons pas beaucoup de choix, mais il faut faire quelque chose.
Le président : Merci beaucoup. Il s'agit certainement d'une perspective différente et très intéressante.
Le sénateur Hubley : C'est un véritable plaisir que de vous avoir parmi nous ici aujourd'hui et d'obtenir un point de vue de l'Île-du-Prince-Édouard. Que les gens et les pêcheurs soient prêts à franchir une certaine distance pour venir partager leurs connaissances avec nous est une indication de la gravité de cette situation.
Je crois que vous avez fait un excellent exposé. Vous avez décrit entièrement la situation dans votre déclaration.
Pour mon information, est-ce que les phoques de l'Île-du-Prince-Édouard appartiennent à un autre troupeau, colonie ou roquerie? Est-ce qu'ils restent à l'Île-du-Prince-Édouard ou viennent-ils d'ailleurs?
M. Arsenault : Je n'en suis pas vraiment certain moi-même.
Le sénateur Hubley : Je me posais simplement la question.
M. Arsenault : Je ne peux y répondre. Je n'en suis pas certain.
Le sénateur Hubley : C'est presque un problème invisible parce que je ne me souviens pas d'avoir vu des phoques lorsque j'ai grandi à l'Île-du-Prince-Édouard et je ne me souviens pas d'en avoir beaucoup entendu parler. Peut-être qu'ils ne le savent pas vraiment.
Aujourd'hui, nous avons entendu un témoignage selon lequel le phoque ne consommera qu'un poisson qui possède une certaine quantité d'acides aminés. Cela fait partie de son régime alimentaire; il en a besoin. Ils n'étaient pas d'accord lorsque nous avons laissé entendre que les homards en ont subi les effets. Vous nous avez montré des espèces dont il n'a même pas été question plus tôt aujourd'hui, mais nous avons également ici la preuve que des torts très sérieux ont été causés au stock de poisson.
M. Arsenault : Comme je l'ai dit, jusqu'à il y a probablement sept ou huit ans, nous avons toujours pratiqué la pêche au poisson de fond. Nous n'avons jamais vu avant cela un poisson à qui on a fait cela.
Le sénateur Hubley : Non.
M. Arsenault : Jamais, seulement au cours des dernières années avec l'arrivée du phoque gris.
Le sénateur Harb : Merci beaucoup de votre exposé. Je suis certainement d'accord avec vous sur presque tout ce que vous avez dit concernant le fait qu'il y a beaucoup moins de poissons maintenant que jamais auparavant. À mon avis, il est assez normal, lorsqu'une telle situation se produit où il y a moins de poissons et où vous avez beaucoup d'espèces dans l'océan, qu'un animal se tourne vers une autre proie. Il est assez naturel de voir, de temps à autre, un phoque manger un hareng, ou un hareng manger un poisson, ou un poisson manger un autre poisson. La question que nous devons tenter de régler n'est pas seulement d'essayer de trouver une approche pour régler le problème à court terme, mais de trouver une solution à long terme, si vous voyez ce que je veux dire. Il ne s'agit pas d'une solution de fortune; nous devons trouver une solution à long terme.
Deux témoins qui ont comparu aujourd'hui ont parlé de la nécessité d'une approche de précaution, d'un système de gestion des pêches fondé sur une approche écologique que le gouvernement doit mettre en oeuvre. Ils se plaignaient de cette situation et ce n'est pas la première fois que nous en entendons parler. Nous l'avons entendu dans des audiences à Ottawa. Je suis frappé du fait que vous êtes pris au piège; vous êtes les victimes de la situation.
À titre de politiciens, je suppose que nous avons la responsabilité de faire notre devoir et, d'après ce que nous pouvons voir, nous ne l'avons pas fait. Des gouvernements successifs, conservateurs et libéraux, à maintes et maintes reprises, ne l'ont pas fait, et nous nous retrouvons maintenant avec un problème sur les bras.
M. MacPherson : Sénateur Harb, j'aimerais faire une brève observation, et je m'en voudrais de ne pas en parler. Une partie du problème, c'est que les pêcheurs participent à des réunions où il est censé y avoir un dialogue, mais il s'agit d'un processus où tout vient d'en haut. Ces réunions sont toutes présidées par les gens de Pêches et Océans — les rapports. Si c'est une question controversée, boom, la réunion se termine à 16 h 30 quoi qu'il advienne. Franchement, il y a certaines personnes assez arrogantes qui parlent avec condescendance à ces pêcheurs et, à mes yeux, c'est inacceptable. Voilà la réalité et cela engendre beaucoup de méfiance.
Nous avons des experts des deux côtés : des experts de la mer et des experts scientifiques. C'est pourquoi j'ai distribué le mandat. La cartographie des connaissances qui a été réalisée en 1999 ou en 1997 est un excellent modèle qui peut être remis en application, et ce serait un cas parfait pour l'évaluer à l'avenir. Pêches et Océans écope durement et, à titre d'organismes des pêches et de pêcheurs, cela nous préoccupe.
Le sénateur Harb : La conclusion, et nous sommes tous d'accord là-dessus, c'est que s'il y avait du poisson en abondance, nous n'aurions pas à nous inquiéter de cette situation. Il y aurait du poisson en abondance pour tout le monde.
Le sénateur MacDonald : Messieurs, la journée a été longue. Je pense qu'il n'y a plus de poisson en abondance pour tout le monde. Nous devons faire des choix.
Monsieur MacPherson, vous avez parlé du fait que l'on parle aux gens de manière condescendante et je suis d'accord avec vous. Je pense que les gens qui ont accumulé des années d'expérience dans la pêcherie se font parler de manière condescendante par les élites de la tour d'ivoire. J'ai tout le respect au monde pour la recherche scientifique, mais j'ai également beaucoup de respect pour ceux qui ont passé 35 ou 40 ans en mer. Ils peuvent voir ce qui se passe et cela doit faire partie de notre évaluation.
Monsieur Arsenault, vous avez soulevé un excellent point. Nous nous retrouvons dans une situation très triste. Il y a des gens et certains groupes au pays qui se promènent partout en dénigrant notre pays, en dénigrant les pêcheurs et en dénigrant l'industrie. Ils croient qu'en niant la nécessité de réduire le nombre de certains de ces animaux, cela éliminera la nécessité de le faire. Toutefois, même s'ils font disparaître le marché des fourrures ou d'autres sous-produits du phoque, nous en sommes maintenant rendus au point où nous devons faire quelque chose. Je pense que c'est une tragédie de tuer un animal et de ne pas l'utiliser, mais certaines de ces personnes sont tellement égoïstes qu'il semble qu'elles supposeraient que c'est ce que nous avons fait. Si nous sommes rendus au point de devoir le faire, nous ferons ce qu'il faut pour rétablir cette pêcherie.
Ayant été élevé dans une collectivité de pêcheurs, j'ai vu l'évolution de la pêche à la morue sur la côte Est du Canada et je constate qu'après plus de deux décennies, on est incapable d'en rétablir les stocks. C'est une honte que nous ne puissions pas faire le nécessaire pour rétablir les stocks de cette ressource renouvelable. Je crois que c'est notre devoir de le faire.
Je ne crois pas du tout que le phoque gris soit le seul problème. Je crois qu'ils sont suffisamment nombreux pour que nous puissions en éliminer quelques-uns pour voir si cela fait une différence dans certaines régions où l'on essaie de rétablir la morue.
Je vous remercie beaucoup tous les deux d'être venus témoigner et je peux vous assurer que nous prenons bonne note de vos commentaires.
M. Arsenault : J'aimerais tout simplement ajouter que je me suis entretenu avec l'ancienne ministre des Pêches, l'honorable Gail Shea. Certains se disent probablement : « Vous tuez ces pauvres animaux par cupidité, appât du gain et cela, inutilement, puisque vous vivez de la pêche. » Alors pourquoi ne pas parler de l'autre côté de la médaille? Nous ne le faisons jamais. Je n'ai jamais entendu dire qu'on devrait contrôler ces troupeaux, faute de quoi nous allons déséquilibrer l'écosystème, ce qui coûtera cher à tout le monde. On ne parlera jamais assez de cet aspect du problème. Je pense que bien plus de gens seraient sympathiques à notre cause s'ils voyaient cet autre aspect de la question du phoque. Chaque fois que l'on parle des phoques, c'est à propos de la chasse et non pas de l'autre aspect de la question, qui est très important pour le Canada.
Le sénateur Cochrane : Nous n'avons pas de Brigitte Bardot pour nous dire : « Voilà ce qui arrive à notre poisson et nous devons faire quelque chose. » C'est là le problème. Les gens comme elle attirent toute l'attention et personne ne leur dit : « Allez-vous-en, nous n'avons pas besoin de vous. »
Merci beaucoup en tout cas. Croyez-moi, vous avez toute notre sympathie. En attendant, quel que soit votre interlocuteur, le ministère des Pêches et des Océans ou autre, vous vous exprimez parce que c'est votre droit, comme celui de n'importe qui.
Le président : Merci, madame le sénateur, vous avez le dernier mot.
Je tiens à remercier nos témoins. La journée a été très riche en événements et en information. Nous avons hâte de poursuivre notre étude et de présenter notre rapport au ministre, nous l'espérons en juin, pour voir ce qu'il advient du dossier.
Je tiens à remercier les sénateurs, les invités, le public et tous ceux qui ont permis l'excellent déroulement de cette journée. Je tiens aussi à remercier notre greffière et notre analyste qui nous a fourni toute l'information dont nous avions besoin; cela a été un plaisir de travailler avec vous.
(La séance est levée.)