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POFO - Comité permanent

Pêches et océans

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans

Fascicule 11 - Témoignages du 20 novembre 2012


OTTAWA, le mardi 20 novembre 2012

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui, à 17 h 40, pour étudier la pêche au homard au Canada atlantique et au Québec.

Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je suis heureux encore une fois de vous souhaiter la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans. Je m'appelle Fabian Manning et je suis un sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador. Je préside le comité.

Avant de demander au témoin de se présenter et de faire sa déclaration, j'inviterais les membres du comité à se présenter, en commençant par le sénateur Greene.

Le sénateur Greene : Steve Greene, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

Le sénateur McInnis : Tom McInnis, sénateur de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

[Français]

Le sénateur Chaput : Maria Chaput, du Manitoba.

[Traduction]

Le sénateur Watt : Charlie Watt, du Nunavik.

Le président : Le comité poursuit son étude de la pêche au homard au Québec et dans la région atlantique du Canada. Nous entendrons aujourd'hui le président de la firme Gardner Pinfold Consultants Inc. En 2009, le Conseil du homard du Canada a chargé cette firme d'examiner la structure et l'environnement concurrentiel de la pêche au homard au Canada, pour permettre d'en évaluer les forces et les faiblesses et de tracer une stratégie à long terme axée sur la valeur pour ce secteur.

Un rapport intitulé Du casier à la table est paru en octobre 2010. M. Gardner nous présentera une mise à jour de ce rapport. Au nom des membres du comité, je le remercie d'être des nôtres aujourd'hui. Je le prierais maintenant de bien vouloir faire sa déclaration et je suis persuadé que nos sénateurs auront des questions à lui poser.

Vous avez la parole, monsieur Gardner.

Michael Gardner, président, Gardner Pinfold Consultants Inc. : Merci beaucoup, monsieur le sénateur Manning. Je suis ravi d'être ici et d'être en présence d'un aussi grand nombre de Néo-Écossais. J'offre également mes meilleures salutations aux autres sénateurs. J'espère que vous connaissez le sujet de mon exposé, le modeste homard.

Voilà près de trois ans que nous avons amorcé cette étude qui s'est déroulée sur environ un an. Pendant cette année, nous avons eu de nombreux échanges avec des pêcheurs, des transformateurs, des expéditeurs, des acheteurs, des gouvernements et d'autres parties prenantes dans la région de l'Atlantique. Notre étude a fait une large place aux observations de l'industrie. Je crois que ce qu'il en ressort, c'est que la pêche au homard a considérablement souffert des effets de plusieurs facteurs — pas seulement la conjoncture économique ou l'économie mondiale, mais aussi de facteurs liés à la structure du secteur et à son fonctionnement.

Je vais aujourd'hui passer en revue les faits saillants de ce rapport, car je sais que nous disposons de peu de temps. On m'a dit que j'aurais tout au plus 10 ou 15 minutes pour mon exposé. Je crois en avoir déjà pris 45 secondes, ce qui fait que je suis déjà en retard. Je vais mettre l'accent sur les statistiques relatives à la pêche au homard et les facteurs, contraintes et débouchés qui peuvent l'influencer.

Le président : Avant que vous commenciez, monsieur Gardner, permettez-moi de souhaiter la bienvenue au sénateur Don Oliver, qui lui aussi vient de la Nouvelle-Écosse.

M. Gardner : Merci, je ne lirai pas tout le document que vous avez sous les yeux. Vous avez l'information, mais cette première diapositive indique simplement l'importance de la pêche au homard en donnant quelques statistiques de ce secteur tant au Canada qu'aux États-Unis. Car il ne faut pas oublier que près de la moitié du homard vendu sur le marché mondial vient des États-Unis. La plus grande partie provient du Canada, mais les États-Unis sont également un gros producteur de homard.

Dans l'ensemble, le secteur de la pêche au homard représente de 1,5 à 2 milliards de dollars, en combinant les deux pays. Vous avez devant les yeux certains chiffres et certains faits sur le secteur.

L'offre mondiale de homard a augmenté d'environ 30 p. 100. Au moment même où l'économie connaît depuis 2007-2008 une récession mondiale, l'offre a continué à augmenter. Autrement dit, nous mettons de plus en plus de homard sur un marché qui est de moins en moins capable de l'absorber.

Dans le cas du homard d'Amérique, l'espèce qui est pêchée le long des côtes atlantiques du Canada et des États-Unis, l'offre a grimpé de 50 p. 100 depuis 2003. On n'impose aucune limite à la quantité de homard que les pêcheurs peuvent prendre. Il n'y a ni quotas, ni limites. Si le homard est de la taille réglementaire, s'il peut être pris et s'il entre dans un casier, on peut le pêcher et le débarquer au port. Les seules contraintes sont liées aux saisons, au nombre de casiers, aux conditions météo, et cetera. Autrement, il n'y a aucune limite. Comme c'est une pêche où il y a de la concurrence, tout le monde veut en prendre autant qu'il peut et le plus vite possible. L'offre a ainsi augmenté de 50 p. 100 au Canada et aux États-Unis.

Sur le graphique que voici, la courbe verte représente les États-Unis et la rouge, le Canada. En 2011, les quantités étaient à peu près équivalentes, soit de l'ordre de 55 000 à 60 000 tonnes dans chaque pays.

C'est là un des effets de l'augmentation de l'offre. On voit qu'il y a un point culminant vers 2005, où la valeur combinée des prises s'élevait à 1,2 milliard de dollars canadiens. Après 2005, la valeur n'a cessé de diminuer. Il y a bien eu une remontée en 2011, mais dans l'ensemble la valeur du homard a décliné, entre autres à cause de la conjoncture économique, comme je l'ai signalé, mais surtout, et nous le verrons en détail, à cause des taux de change.

Voici le tableau qui illustre les taux de change. En 2002, quand le dollar canadien était à son plus bas, et qu'un dollar américain valait 1,6 dollar canadien, l'industrie avait le vent dans les voiles parce qu'en environ 80 p. 100 des prises étaient exportées vers les États-Unis. Chaque dollar de recettes américaines valait 1,60 $ au Canada. Entre 2002 et 2008, quand on atteint la parité, le déclin a été assez rapide. Il y a bien eu une légère amélioration en 2009, mais pour des questions techniques, sans plus; mais depuis et jusqu'en 2012, le dollar américain et le dollar canadien sont à peu près au pair. Cela a réduit de 40 p. 100 les recettes du secteur canadien de la pêche au homard, simplement à cause de l'effet du taux de change.

Ce graphique-ci illustre l'effet de cette situation sur les prix. La courbe jaune en haut correspond à la valeur d'un homard vendu sur le marché américain, en dollars canadiens. La courbe verte montre le dollar américain. En 2002, les États-Unis payaient un peu plus de 5 $ la livre, ce qui représentait un peu plus de 8 $ la livre à l'expéditeur canadien. Au fur et à mesure que le taux de change baissait, les deux courbes se rapprochaient; elles convergent jusqu'en 2010, date à laquelle elles se recoupent. On voit que les prix payés aux pêcheurs canadiens exportant vers les États-Unis n'ont cessé de baisser depuis 2002.

Par ailleurs, si on regarde les autres taux de change, les autres pays vers lesquels nous exportons, c'est-à-dire l'Union européenne, le Royaume-Uni, le Japon et la Corée du Sud, la tendance nous a été défavorable dans presque tous les cas, presque systématiquement depuis les débuts du millénaire, parce que le dollar canadien s'est apprécié.

Cette diapositive représente les exportations, la courbe jaune correspondant aux prises américaines et la courbe bleue, aux exportations au Canada. On peut voir qu'en 2011, plus de 20 000 des quelque 55 000 tonnes de homards pêchés aux États-Unis ont été exportées vers le Canada, essentiellement vers les usines de transformation du golfe Saint-Laurent. Nous ne consommons pas le homard vivant; nous le transformons ici pour le renvoyer pratiquement dans sa totalité aux États-Unis. L'industrie de la transformation du homard dépend beaucoup de ces importations en provenance des États-Unis, entre autres parce qu'elles surviennent au moment où la saison de pêche au Canada est à peu près terminée. Au moment où la saison s'achève au Canada, la saison de pêche s'intensifie aux États-Unis, ce qui explique les exportations considérables des États-Unis vers le Canada. Notez que ces exportations qui étaient presque nulles en 1990 ont augmenté au cours des 20 années suivantes pour dépasser les 20 000 tonnes en 2010.

Ce graphique illustre la relation entre les quantités débarquées aux États-Unis et les quantités exportées au Canada. On peut voir que les captures aux États-Unis culminent très nettement de juillet à octobre. C'est pendant ces mois que les plus grandes quantités sont exportées vers le Canada. Le reste du homard capturé est consommé aux États-Unis. Comme on peut le voir, la quantité exportée au Canada a grimpé en flèche en juillet 2009, entre autres parce que les captures aux États-Unis avaient énormément augmenté.

Je vais signaler rapidement cet aspect. Cette diapositive illustre les rapports entre les quantités débarquées, le cycle des captures et les prix aux États-Unis, qui sont notre principal acheteur. En effet, 80 p. 100 de nos exportations de homards vivants et transformés sont à destination des États-Unis. Il faut prendre soin de ce marché.

La courbe en jaune qu'on voit ici, comme les deux bosses d'un chameau, représente les prises aux États-Unis. Elles atteignent leur maximum pendant cette période allant de juillet à octobre environ. La courbe rouge représente les prises au Canada, et il y a deux sommets par saison : le premier survient près du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, ou la saison s'amorcera dans sept à 10 jours; le deuxième sommet se produit pendant la saison du printemps dans le golfe Saint-Laurent et dans d'autres zones de l'Atlantique du Canada.

Les deux pêches se complètent. La courbe verte en haut du graphique représente les prix. On peut voir que les prix fluctuent sur un cycle de deux ans en réaction aux fluctuations de l'offre mais également bien sûr, de la demande. Toutefois, ils sont les plus faibles au moment où la pêche aux États-Unis atteint son sommet, soit plus ou moins de juillet à août; les prix culminent grosso modo en janvier quand les captures faites au sud-ouest de la Nouvelle-Écosse arrivent sur le marché. C'est tout simplement l'effet du rapport entre l'offre, la demande et les prix.

Ici, on voit les prix payés aux pêcheurs dans différentes parties de l'Atlantique au Canada et au Maine. On voit que les prix ont culminé en 2002. Depuis, au cours des huit ou neuf années suivantes, ils sont en baisse constante. Si vous regardez vers la gauche, vous verrez qu'en 2010-2011, ils étaient aussi faibles qu'il y a 20 ans. Nous avons fait beaucoup de progrès au cours des 20 dernières années, et l'offre a connu une énorme augmentation, mais le prix du homard en dollar canadien est à peu près le même qu'il y a 20 ans.

Voici une autre diapositive importante. Je sais que les pêcheurs prétendent toujours se faire avoir dans ce secteur en raison de conspirations ou de cartels, ils pensent que tout le monde leur en veut, et cetera. Ceci illustre le lien entre les prix au débarquement en Nouvelle-Écosse et les prix de gros aux États-Unis. Il s'agit de homards vivants. Vous pouvez constater que lorsque le prix de gros augmente, les prix augmentent aussi en Nouvelle-Écosse. Lorsqu'il descend, l'autre descend. En d'autres termes, il y a là un lien très étroit entre ces prix. Le deuxième élément qu'il convient de remarquer c'est la faible différence qui existe entre le prix au débarquement et le prix de gros. Cette différence représente ce que l'acheteur et l'expéditeur de homards retirent de cette vente sur le marché américain. Ce n'est pas beaucoup. Il s'agit de 20 à 25 p. 100; de 75 à 80 p. 100 du prix des exportations revient aux pêcheurs.

Ce prix est très sensible aux fluctuations du marché, et vous pouvez voir qu'un certain nombre de changements se produisent car il s'agit d'un produit vivant, offre et demande; et deuxièmement il y a une différence relativement faible entre ces deux prix. Le prix au débarquement dépend énormément du prix de gros aux États-Unis.

Je n'examinerai pas cette diapositive en détail, mais ce que nous avons examiné dans notre rapport il y a deux ans, c'était les conséquences sur le revenu des pêcheurs des quelques dernières années des fluctuations du taux de change et de la récession. La barre jaune représente les revenus moyens, le revenu net, par LFA, par zone de pêche au homard, dans l'ensemble du Canada atlantique. Il s'agit de 2004. En 2004, avant que les fluctuations du taux de change n'aient de véritables répercussions, les choses allaient bien au débarquement. Les revenus étaient solides, et les prises étaient bonnes. Vers 2009, la barre rouge montre le changement qui s'est produit, et dans la plupart des cas les revenus nets sont passés de positifs, en jaune, à négatifs, en rouge, et cela dépend de l'emplacement. Dans la zone 34, qui est la plus grande zone de pêche du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, les revenus ont chuté substantiellement en raison des fluctuations de prix et de revenus.

La zone située entre les zones 28 et 32 constitue une anomalie en raison d'une forte augmentation du nombre de débarquements après 2004. Il s'agit de la zone entourant Canso, la baie de Chedabucto. Je ne sais pas exactement pourquoi cela s'est produit, mais c'est une anomalie. Il s'agit d'une augmentation énorme, et c'est une zone qui connaît normalement un nombre très faible de débarquements, qui a une économie faible, quelques milliers de livres par navire, et qui s'en est donc plutôt bien sortie au cours des dernières années, malgré la chute des prix et la chute du taux de change.

Cette diapositive-ci montre les prix de la production et ce qui s'est passé. Les produits transformés, la ligne jaune, représentent des queues de cinq à six onces; la ligne rouge représente les paquets de deux livres, un paquet de viande, un paquet de pinces comprenant l'articulation. Comme vous pouvez le voir, une fois encore, depuis 2002, le taux de change a chuté. Ces prix ont chuté. Ils ont fait une chute vertigineuse après 2008 lorsque la récession s'est installée. Parallèlement, il y a eu une chute continue du prix des exportations de homards vivants.

Cette diapositive nous montre dans quelle direction s'en va notre homard — 80 p. 100 part vers les États-Unis, environ 9 p. 100 vers l'Union européenne, 10 p 100 vers l'Asie, et moins de 1 p. 100 vers d'autres pays. S'il y a une bonne nouvelle dans tout cela, c'est que la Chine a augmenté ses importations de homards canadiens. Ces importations ont pratiquement doublé au cours de la dernière année, mais cela ne représente toujours qu'une fraction de ce marché de plusieurs milliards de dollars. Cela représente environ 20 millions de dollars mais il y a un potentiel de croissance énorme. Il y en a beaucoup dans l'industrie, vous avez mentionné Stewart Lamont un peu plus tôt, qui est un exportateur majeur vers la Chine. Il s'agit de petites compagnies. Il y a un grand nombre de petites entreprises dans ce secteur, ce qui est en soit un problème, et nous allons le voir dans un instant.

C'est très simple, les exportations, en 2002, à une époque où la production était d'environ 50-50, produits vivants et produits transformés, cela représente désormais 60-40, c'est-à-dire 60 p. 100 pour le produit transformé et seulement 40 p. 100 pour le homard vivant.

Si vous voulez regarder ces détails, n'hésitez surtout pas. Cela montre tout simplement la façon dont le dollar à l'exportation est ventilé et dans la poche de qui s'en va cet argent — les détaillants, les distributeurs, les expéditeurs, les acheteurs et les pêcheurs —, mais je ne vais pas entrer dans les détails, car ce n'est pas vraiment nécessaire ici et, pour le homard transformé, c'est la même chose.

Si vous avez des questions précises là-dessus, je me ferai un plaisir d'y répondre, mais il y a peut-être plus de détails que nous n'en avons besoin.

Ce graphique vous montre la même information, à savoir le prix à l'exportation et la part de ce prix qui revient au pêcheur et qui, comme je l'ai indiqué, tourne autour de 70 à 80 p. 100 du prix à l'exportation, part qui est restée plus ou moins constante au fil des 20 dernières années.Dans le rapport sur le homard, j'ai dit que l'industrie est structurée de manière à contre-performer. Par là, je veux dire qu'elle ne tire pas la valeur maximale de sa ressource. Il reste de l'argent sur la table, à cause de gaspillage, à cause de mauvaise qualité, à cause de la fragmentation de l'industrie, de sa difficulté à traiter avec de gros distributeurs. L'industrie est confrontée à un certain nombre de problèmes, tant dans le secteur de la pêche que dans ceux de l'expédition et de la transformation. Certains problèmes sont dus à la façon dont la marchandise arrive au quai, la difficulté à maintenir la qualité, les mains entre lesquelles se retrouve le homard, et cetera, et donc il s'agit d'une industrie qui pourrait extraire davantage, mais qui souffre de problèmes structurels qui l'en empêchent.

Cette diapositive ne porte pas sur le homard; il s'agit du saumon. J'ai inclus ce graphique pour vous montrer que, comme vous le voyez, dans la décennie de 1992 à environ 2002, il y a eu une chute constante du prix global du saumon d'élevage et cela est attribuable au fait que l'industrie s'employait à ne produire que du volume. Elle produisait et il s'agissait d'une industrie axée sur la production. Elle n'avait pas développé de véritable capacité de commercialisation pour s'assurer que sa production serait absorbée efficacement par les marchés et, par voie de conséquence, les prix ont simplement continué à dégringoler.

On est passé de 8 $ le kilo au prix plancher de 3 $ le kilo. Au cours de cette période, on a assisté à toutes sortes de faillites et de fusions au sein de l'industrie. À la fin des années 1980, on comptait environ 100 entreprises indépendantes qui produisaient du saumon en Colombie-Britannique et environ 40, au Nouveau-Brunswick. Aujourd'hui, il en existe quatre dans chacune de ces provinces.

En Colombie-Britannique, ces quatre entreprises sont norvégiennes tandis qu'au Nouveau-Brunswick, elles sont néo-brunswickoises. Toutefois, cela illustre le degré de fusion qui s'est produit. Elles se coupaient mutuellement l'herbe sous le pied en essayant d'acheter des parts de marché. Après ces fusions et avec une meilleure stratégie de marketing, vous pouvez voir ce qui est arrivé aux prix. Ils ont commencé à augmenter avec, en toile de fond, une production totale qui a doublé pendant cette période, pour passer de un million à environ deux millions de tonnes.

Par conséquent, il est possible de prendre en main une industrie et d'en faire quelque chose si elle a la bonne structure. Je ne pense pas que nous allons assister au même type de changement structurel dans l'industrie du homard; elle ne s'y prête pas. Toutefois, il s'agit d'un exemple de ce qui peut arriver dans les bonnes circonstances.

Quels sont les défis? Il s'agit d'obtenir la bonne structure pour l'industrie — et en voici les détails ici — ce que cela signifie, et d'asseoir la marque. Nous ne disposerions d'aucune norme sur la qualité du homard dans notre pays, aucune. Ainsi, il est très difficile de promouvoir une image de marque sans ces normes pour indiquer ce que représente cette marque et ce sur quoi elle repose.

Acheminer le bon produit vers le bon marché. Le problème avec les taux de change, c'est que lorsqu'ils s'écroulent, tout le monde panique et s'efforce de trouver le prochain marché, là où on peut réaliser cette marge de profit. C'est un véritable défi.

Améliorer les termes de l'échange. Par là, je veux dire que nous avons une industrie fragmentée, des centaines d'expéditeurs en lice pour les meilleurs marchés et qui se livrent une concurrence déloyale. C'est la même chose avec les transformateurs — ils se livrent régulièrement une concurrence déloyale pour essayer de s'approprier des parts de marché. Je crois qu'une démarche plus consolidée et une démarche mieux coordonnée pourraient changer ces termes de l'échange.

Dans la plupart des pays, les distributeurs deviennent de plus en plus gros. Les chaînes d'épicerie et les détaillants deviennent plus gros. C'est difficile. Il est facile pour eux de faire jouer la concurrence entre les expéditeurs ou entre les transformateurs.

Quelles sont les choses sur lesquelles nous pouvons influer et sur lesquelles nous devrions nous concentrer? Nous pouvons influer sur l'offre et nous pouvons également influer sur la demande par le biais du marketing, de la publicité, et du développement de la marque. La qualité et le facteur temps sont tous les deux entre les mains de l'industrie. La qualité signifie qu'il faut s'assurer que le poisson est attrapé au moment où il est au mieux de sa qualité et à le préserver pour que cette qualité ne se détériore pas.

Avec le marketing et la vente, un grand nombre d'entreprises vendent simplement leurs produits. Elles le mettent simplement sur le marché et elles l'écoulent. Elles n'essaient aucunement d'identifier les meilleurs marchés. Il s'agit simplement d'essayer de faire de l'argent et c'est une contrainte de liquidité. C'est un véritable problème, mais la structure de l'industrie y contribue.

Nous ne pouvons pas influer sur les taux de change. Nous ne pouvons pas influer sur les produits substituts du homard, les crevettes entre autres, que les restaurants mettent à leur menu lorsque les prix du homard augmentent, et nous ne pouvons pas non plus influer sur la structure du marché. Nous devons nous rendre à l'évidence que ce sont là des problèmes et nous devons essayer de les résoudre avec les moyens que nous contrôlons.

Ceci est une photo de mon fils lors d'un voyage de pêche au homard, il y a quelques années de cela. Il aime le homard et il aime le pêcher, ce qui le place tant du côté de l'offre que de la demande.

Il me fera plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup. Cela a été très intéressant et très instructif. C'est certainement très utile pour nous.

Pourriez-vous nous parler quelques instants de la structure? Vers la fin de votre présentation, vous avez expliqué pourquoi nous ne devrions pas assister au même type de changement dans l'industrie du homard que dans l'industrie du saumon, mais vous n'avez pas donné beaucoup de détails. Pourriez-vous nous en dire un peu plus?

M. Gardner : Bien sûr. À l'échelle internationale, l'industrie du saumon se retrouve entre les mains d'une poignée d'entreprises qui traitent avec une poignée de gros distributeurs et de détaillants, à l'échelle mondiale. Il y a une certaine égalité entre les forces qui transigent et la manière dont les prix sont établis. Il y a toujours une concurrence au niveau des prix, mais il y a également une concurrence qui n'a rien à voir avec les prix, et qui a davantage à voir avec la façon dont on livre le produit et dont on sert les clients.

Dans l'industrie du homard, dans la région de l'Atlantique et au Québec, on compte environ 10 000 pêcheurs indépendants. Il ne s'agit pas de quatre ou huit entreprises de production, mais plutôt de 10 000 entreprises indépendantes de pêche, à différents moments de l'année. Vous avez des centaines d'acheteurs et d'expéditeurs de produits vivants et environ une trentaine de gros transformateurs de produits.

L'industrie est fragmentée. Elle ressemble beaucoup à l'industrie du saumon, qui était même encore plus fragmentée, il y a 20 ans. Le défi est de faire en sorte que ces groupes — les pêcheurs, les expéditeurs et les transformateurs — travaillent de manière plus coordonnée. À l'heure actuelle, ils sont davantage à couteaux tirés; la confiance ne règne pas au sein de l'industrie et il n'existe aucun mécanisme pour récupérer la valeur de ce qui a été perdu, soit à cause d'une perte de qualité ou à cause de la force de négociation sur les marchés internationaux.

Nous sommes nos propres ennemis lorsqu'il s'agit de commercialiser ce produit. Il s'agit d'une extraordinaire ressource, mais nous faisons un piètre travail pour la commercialiser. Cela est en partie à cause de la structure de l'industrie.

Le président : Une autre avant de passer au sénateur Greene. Vous avez parlé de l'augmentation de l'offre et vous avez dit que certains chiffres sont assez impressionnants lorsque vous regardez les 10 dernières années environ.

M. Gardner : Oui.

Le président : Avez-vous décelé des inquiétudes en ce qui concerne une surpêche?

M. Gardner : Le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques, lequel a depuis été dissous, a produit un excellent rapport, il y a je crois quatre ans de cela maintenant, sur l'industrie du homard. À l'instar de certains chercheurs, il a exprimé ses inquiétudes quant aux taux d'exploitation dans certaines régions. Par « taux d'exploitation », je crois qu'on voulait tout simplement dire la proportion de biomasse de taille légale qui est capturée en une année donnée. Dans certaines régions, les chiffres atteignent 70 à 80 p. 100, ce qui est toujours une source d'inquiétude.

Il y a quelques années, le ministre Anderson a pris un certain nombre de mesures pour essayer d'améliorer les perspectives d'une industrie viable, en cas de conditions environnementales défavorables. Un des gros problèmes à notre époque est que les chercheurs sont incapables d'expliquer pourquoi l'abondance a tellement augmenté. Les changements environnementaux à grande échelle en sont vraisemblablement à l'origine. L'absence de prédateurs, morues et autres poissons de fond a également contribué au phénomène. Nous n'arrivons pas vraiment à expliquer pourquoi les prises de homards ont tellement augmenté.

Un troisième facteur serait l'intensification des efforts de pêche, car alors que les prix ont baissé, les pêcheurs s'efforcent d'en attraper davantage pour maintenir leurs revenus. Cela pourrait contribuer à tous les problèmes d'abondance des ressources qui pourraient se poser à l'avenir.

Pour répondre à votre question, je dirais que je ne pense pas que les recherches soient suffisamment claires pour savoir où en sont les taux d'exploitation et s'il s'agit essentiellement d'une pêche de recrutement; en d'autres mots, dès que les animaux sont suffisamment gros, ils sont attrapés, ce qui pourrait certainement poser des problèmes de viabilité s'il devait y avoir des changements dans les conditions environnementales.

Le président : Je veux vous faire nos excuses pour les bruits de marteau-piqueur que vous entendez à l'extérieur. Nous sommes censés être prévenus des travaux qui ont lieu, mais nous n'avons pas été prévenus ce soir. Je désire présenter mes excuses aux membres du comité ainsi qu'à notre témoin, mais il n'y a rien que nous puissions faire à ce moment-ci.

Le sénateur Greene : Merci. J'ai quelques questions. Pour ce qui est de la pêche, en ce qui a trait à la structure de l'industrie et au tableau que vous nous avez présenté avant, pourriez-vous identifier quelques points très précis qui à votre avis devraient être examinés du côté de la pêche, qui permettraient de régler des problèmes de structure de l'industrie, qui la rendraient plus rationnelle et qui relèvent de la compétence du gouvernement fédéral?

M. Gardner : Une chose a été suggérée au cours des derniers mois — il s'agit d'éliminer la politique de séparation des flottilles, la politique des propriétaires exploitants. Pour ceux qui ne savent pas ce que cela signifie, seuls les détenteurs d'un permis de pêche peuvent être propriétaires d'un bateau inexploité; l'usine de transformation du poisson ne peut pas détenir de permis et exploiter le bateau.

Une des conséquences de cela serait que quiconque a fait des investissements conséquents dans une usine de transformation ou des locaux d'entreposage — pas seulement pour le homard mais pour toute une série d'autres espèces — n'a aucune garantie de pouvoir obtenir un approvisionnement en matière brute. La seule chose qu'ils peuvent faire, c'est d'essayer d'acquérir cette matière première en se servant de tous les mécanismes possibles.

Bien entendu, cela coûte cher mais on fournit des appâts, la glace nécessaire aux installations de chargement et on s'occupe de l'assurance-emploi, de la fiscalité, de la paperasse, et cetera. Pour s'assurer de pouvoir compter sur cet approvisionnement, ce sont des services qu'ils fournissent. Parfois les choses vont rondement mais dès qu'on s'écarte du prix courant, on ne peut plus compter sur un bateau donné. L'insécurité en matière d'approvisionnement est un problème et c'est essentiellement en raison de l'indépendance du secteur qui achète le produit et du secteur qui en fait la cueillette.

Cela dit, il faut savoir que toute tentative de modifier cela n'est pas très prisée dans l'industrie de la pêche, du moins du point de vue des pêcheurs eux-mêmes. Au fil des ans, il y a eu des rumeurs à cet effet mais rien n'a été fait car ce serait tout à fait impopulaire d'intervenir.

Le sénateur Greene : Le fait que vous ayez parlé de cela en premier lieu me fait dire que si c'était possible, ce serait quelque chose de capital et qu'il est très difficile de modifier la structure d'une industrie comme celle du homard pour qu'elle soit viable, pour qu'on n'ait pas besoin de la renflouer de deux ans en deux ans.

M. Gardner : Je ne suis pas convaincu que ce soit essentiel pour maintenir une industrie viable et dynamique. En fait, tout porte à croire que même si des permis étaient détenus par les sociétés de transformation ou les expéditeurs, on constaterait le même comportement que chez les pêcheurs, à savoir le souci de maximiser les prises et les parts, car après tout, il s'agit d'une pêche concurrentielle.

La concurrence a un effet incitatif qui pousse à capturer le maximum de prises, le plus rapidement possible. Comment donc aborder cet aspect? Au Canada, dans le cas de plusieurs espèces, nous avons introduit des quotas. On pourrait fixer un quota par bateau, autrement dit une quantité fixe par bateau, ou bien on pourrait avoir recours à des quotas négociables, comme cela existe sur la côte Ouest et dans le cas de la pêche de certaines espèces sur la côte Est. Je le répète, les pêcheurs de homard, pour la plupart, s'opposent à l'imposition de quotas. Le ministère ne voit pas l'intérêt d'emprunter cette voie. Il est vrai qu'il existe des problèmes techniques s'agissant d'établir un quota, mais je ne pense pas que ce soit l'empêchement.

Le sénateur Greene : Qu'on les appelle quotas négociables, CIT ou contingentements par entreprise, il y a toujours, au départ, une résistance initiale dans l'industrie partout où on les a mis en place, mais aucune pêche n'a fait l'objet d'un abandon une fois un quota établi. Il me semble qu'il y aurait beaucoup de travail à faire sur cet aspect. Comment concevoir un quota négociable quand il n'en existe pas? On pourrait peut-être commencer par le nombre de casiers, n'est-ce pas?

M. Gardner : Divers moyens techniques permettent d'établir ce genre de mécanisme de rationalisation. À mon avis, il existe un problème important dans certaines zones de pêche car on y trouve trop de bateaux et les pêcheurs ont du mal à gagner un revenu convenable.

Certains mécanismes existent mais en l'absence de telles solutions, un meilleur rapport entre les pêcheurs et les expéditeurs signifierait une amélioration appréciable. Le problème persiste car on constate des comportements soupçonneux et un manque de confiance. Même pouvoir compter sur un prix correct, pour ainsi dire, c'est-à-dire savoir offrir un prix équitable et l'accepter, entreposer le produit dans des installations mieux aménagées, par exemple, ferait une énorme différence.

Le sénateur Cordy : Merci de votre présentation. Vous avez parlé des facteurs que nous pouvons infléchir et ceux sur lesquels nous n'avons pas de prise, laissons cela de côté. Toutefois, voyons là où nous pouvons agir. Le sénateur Greene en a évoqué plusieurs comme l'offre et la demande et d'éventuels quotas ou le raccourcissement de la saison de pêche.

La nature humaine étant ce qu'elle est, quand on ne peut pas obtenir le rendement obtenu cinq ans auparavant pour un produit, pour chaque livre de homard en l'occurrence, alors on essaie d'augmenter l'offre. C'est tout à fait humain.

En Nouvelle-Écosse, les camions affluent en décembre, autour de Noël, alors que le homard est à 5 $ la livre. Il y a 10 ans, c'était du jamais vu en Nouvelle-Écosse. On attribue cela à la commercialisation ou à la qualité du homard.

Comment intervenir? Comment faire en sorte que cette pêche soit viable? Le revenu des pêcheurs dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse a chuté. Essentiellement, cette pêche n'est plus rentable. Les pêcheurs travaillent à perte. Comment intervenir? Vous comprenez pourquoi les pêcheurs pêchent davantage car ils n'obtiennent pas autant par livre de homard pêché. Comment imposer aux pêcheurs de ne pêcher que la quantité qu'ils pêchaient il y a 10 ou cinq ans? Comment faire oeuvre commune à cet égard? Les provinces de l'Atlantique, le Québec et le gouvernement fédéral se réunissent-ils pour tenter de régler le problème, avec les intervenants du secteur?

M. Gardner : Vous me posez de nombreuses questions. Vous me demandez comment on peut intervenir. Je pense que ce qu'il y a de commun dans toutes les zones de pêche de la région atlantique, c'est le rythme auquel la ressource est mise à quai une fois la saison ouverte. Dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, au cours des 10 prochains jours, quand la saison ouvrira, les bateaux pêcheront 24 heures sur 24, avec double cale et double équipage. Nombre d'entre eux, mais pas tous, les plus gros toutefois, ne débarqueront pas leurs produits tant que leurs cales ne seront pas remplies. Certains bateaux comportent maintenant des appareils de lessivage et de séchage à leur bord et ce sont des bateaux de 45 ou 50 pieds. Ils ne sont pas énormes mais ils sont très larges.

Une solution serait de ralentir l'offre même si ce n'était qu'en début de saison. Les prises représentent le double de ce que le marché peut accueillir à ce moment-là de la saison. Que se passe-t-il alors? La meilleure solution serait de laisser les homards au fond de l'océan. Cependant, on les débarque. Les pêcheurs les gardent dans leur voiture ou encore le long des quais. Ce ne sont pas là des installations de stockage adéquates.

L'année dernière en particulier, des millions de livres ont été détruites en raison d'un excédent de volume, d'une piètre qualité. Même si on a essayé de les stocker, cela s'est révélé impossible. Une grande partie est allée vers les usines de transformation du Nouveau-Brunswick. En tant que Canadiens, nous devrions rougir face à ce gaspillage de la ressource. C'est en partie une question de synchronisation au moment de la saison de pêche. C'est aussi une question de transaction, c'est-à-dire comment débarquer le homard et le remettre à des gens qui savent le stocker. Et ce n'est pas ce qui se produit. Jusqu'à un certain point, cela se fait mais un fort pourcentage de la prise dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse est retenu par les pêcheurs car ils comptent sur un prix qui va grimper s'ils le font. Cela se produit parfois. Parfois cela a l'effet contraire. Ils manquent le bateau pour ainsi dire, et le produit n'est pas commercialisé.

Ralentir l'offre, l'endiguer jusqu'à un certain point, et remettre le produit entre les mains des expéditeurs et des transformateurs qui peuvent le rentabiliser — tous ces facteurs pourraient faire partie de la solution.

On limite l'offre pour la pêche à d'autres espèces. Cela a été fait à l'Île-du-Prince-Édouard dans le secteur de la transformation quand les transformateurs ont refusé d'accepter plus de 500 livres par bateau par jour. Il y a moyen d'insuffler ce genre de discipline, mais du point de vue du marché ou d'un point de vue économique, il est intéressant de constater que le prix ne joue aucun rôle dans l'élasticité de l'offre. Aucun rôle. Dès que la saison ouvre, tous les pêcheurs vont pêcher. On ne connaît pas le prix avant sept ou 10 jours. C'est le désordre total, mais c'est comme ça chaque année. Certaines personnes s'arrangent de ce désordre, voire prospèrent grâce à lui.

Il y a perte par gaspillage, baisse de la valeur, et c'est cela qu'il faut garder à l'esprit.

Le sénateur Cordy : Sur le plan de la commercialisation et de la qualité, quels sont les autres éléments de la qualité à part la taille du homard? Y a-t-il d'autres critères qu'il faut respecter quand on retire un homard de l'océan?

M. Gardner : La seule autre contrainte est le fait que les pêcheurs ne sont pas autorisés à prendre des homards femelles qui portent des oeufs.

Le sénateur Cordy : J'avais oublié cela.

M. Gardner : Quant au reste, la pêche est ouverte et malheureusement je dois dire que dans le Canada atlantique, la qualité du produit sera piètre pour une grande partie de la saison. La synchronisation n'est pas ce qu'elle devrait être mais cela est historique. La saison est fixe. Si on se débarrassait de cette contrainte, s'il y avait des rajustements à la saison, cela ferait une énorme différence mais on hésite à faire cela à cause des antécédents.

On pourrait modifier le nombre de casiers pour rajuster la synchronisation de l'offre. Il y a bien des mesures qu'on pourrait prendre mais face à la chute des prix, et à la baisse des revenus, personne ne veut entendre parler des mesures qui pourraient compromettre ce gagne-pain.

Le sénateur Cordy : Vous nous avez montré une diapositive sur laquelle on constate que Canso est une anomalie. Les gens là-bas gagnaient un revenu considérablement plus élevé qu'il y a quelques années et considérablement plus élevé que les pêcheurs dans d'autres régions de l'Atlantique ou de la côte Est. A-t-on procédé autrement à Canso? Est-ce juste une anomalie?

M. Gardner : C'est une anomalie. C'est tout simplement un changement environnemental. Je ne pense pas que quiconque puisse vous dire pourquoi il en est ainsi, sauf que les conditions étaient idéales pour la production d'oeufs, la survie et la pêche. Il s'agit d'une série de circonstances qui se sont produites au fil des ans. La pêche est abondante là-bas.

Le sénateur Raine : Merci des renseignements que vous nous avez fournis. Je ne connais pas bien le secteur du homard mais je ne peux pas m'imaginer qu'un bateau, rempli de homards, se mette en quête d'un acheteur. N'a-t-il pas d'accord au préalable? Je trouve cela bizarre mais j'ai du mal à me l'imaginer.

M. Gardner : Ce n'est pas tout à fait comme ça que les choses se passent. Les pêcheurs font affaire avec des acheteurs mais ils sont prêts à changer quand il y a plus offrants. C'est là le problème. Les acheteurs se présentent sur le quai pour acheter du homard mais ils tissent des rapports avec divers bateaux. Toutefois, c'est un environnement très concurrentiel comme en témoigne la façon dont le prix fluctue. Dès qu'il y a une augmentation du prix à l'exportation, les prix grimpent.

Certains des grands expéditeurs et acheteurs ont essayé d'infléchir les prix — et certains sénateurs le savent bien — en disant qu'ils ne paieraient pas plus de 4 ou 5 $ la livre. C'était en vain. La concurrence est trop intense malgré ce genre d'effort. Ce genre d'effort a amené les pêcheurs à se méfier, à se demander si on leur disait la vérité. Quand on regarde l'écart entre le prix de gros et le prix à quai, on sait qui à l'évidence fait la meilleure affaire.

Le sénateur Raine : Disons que les acheteurs achètent un certain nombre de livres de homard à quai. Il faut ensuite qu'ils vendent ce homard mais ils ne savent pas d'avance ce qu'ils tireront de cette vente, n'est-ce pas?

M. Gardner : C'est un des mystères qui persistent dans le secteur. Voilà pourquoi tant d'acheteurs vendent à qui veut bien acheter, surtout aux États-Unis. C'est une voie double. Très peu d'expéditeurs — et je parle ici de ceux qui achètent le homard vivant — savent à l'avance quelle quantité de homards ils obtiendront un jour ou une semaine donnée. Leurs clients passent des commandes à un prix fixe. L'expéditeur peut répondre qu'il essaiera de leur donner satisfaction mais rien n'est sûr. Autrement dit, de par sa nature, le secteur n'est pas propice à l'établissement de rapports à long terme avec les clients en aval.

Le sénateur Raine : A-t-on songé à établir un prix de base et à partager avec le pêcheur l'excédent éventuel sur le prix à l'exportation?

M. Gardner : Vous avez sans doute lu le rapport qui propose ce genre de mécanisme. C'est une excellente suggestion. Certains expéditeurs en font l'expérience.

Le sénateur Raine : Si on procédait ainsi, il se tisserait des rapports.

M. Gardner : Le défi est de garantir que le pêcheur, ou la personne qui vend le homard, accepte le prix. Le pêcheur se dira qu'il obtient le prix de base et dans la mesure où l'excédent sur le prix de vente est partagé honnêtement, il sera satisfait.

Le sénateur Raine : Si on établit ce genre de partenariat, tous devront travailler à la commercialisation du homard et à créer un homard canadien, supérieur au homard du Sud qui ne bénéficie pas de nos eaux fraîches et cristallines ou de tout autre avantage que nous avons. Si nous voulons que le prix à la consommation de nos homards augmente, il faut créer une demande, n'est-ce pas?

M. Gardner : Vous avez tout à fait raison. Votre diagnostic est tout à fait juste. C'est une des choses que l'on veut explorer, ou du moins que certaines personnes veulent explorer. Toutefois, bien des éléments sont en cause et étant donné la méfiance qui règne, il y a un véritable défi à relever si l'on veut atteindre l'objectif que vous décrivez.

Le sénateur Raine : Évidemment, quand notre taux de change était favorable et que l'économie tournait rondement, nous pouvions nous permettre d'avoir un système inefficace, n'est-ce pas?

M. Gardner : Oui.

Le sénateur Raine : Maintenant que les choses se corsent, il est grand temps de prendre des mesures. Je ferai une mise en garde : si le gouvernement songe à tirer les pêcheurs de homard d'affaire ou à intervenir quelque part dans la chaîne, à mon avis, cela ne serait pas propice à un changement d'attitude.

M. Gardner : Vous avez entièrement raison. Même si le secteur est en crise depuis plusieurs années déjà, sachant ce qu'on sait, on a peur de se lancer en changeant sa façon de faire, aussi bizarrement que cela puisse paraître. En effet, il y a beaucoup d'inertie au sein du secteur. Comme je l'ai déjà précisé, il y a tout de même certains expéditeurs qui tentent de tisser le genre de rapports auxquels vous avez fait allusion, c'est-à-dire de véritables partenariats. C'est l'approche que je préconise.

Le problème, même si ce n'en est pas vraiment un, c'est que s'il y a un expéditeur qui accepte de payer le prix fort dans le cadre d'une entente contractuelle, les autres pêcheurs vont vouloir faire affaire avec lui. Les pêcheurs se passeront le mot et tous les intermédiaires seront alors obligés de payer le prix fort. Dans la région, un homard d'un poids X, par exemple une livre et demie, se vend au même prix, grosso modo. Rien n'incite les pêcheurs à améliorer la qualité du produit ou à se démarquer parce qu'ils trouvent acheteurs, peu importe la qualité du homard, au prix du marché.

Il est tout à fait envisageable d'établir des normes de qualité, ce qui ferait bouger les prix. D'ailleurs, le Conseil canadien pour le homard travaille à l'élaboration de telles normes dans le but de les faire accepter par le secteur. Espérons que cela se reflétera dans l'augmentation du prix de vente parce que c'est la seule façon d'améliorer la qualité du produit.

Le sénateur Raine : Dans le contexte du rapport, vous avez parlé de projets pilotes. S'agit-il de projets qui permettent de mettre en contact les pêcheurs et les vendeurs ou les expéditeurs?

M. Gardner : Oui. L'expéditeur idéal est propriétaire de ses propres installations d'entreposage, à savoir des parcs à homard d'une capacité de deux à trois millions de livres. Il est ainsi possible de conserver le homard pêché pendant deux à trois mois dans d'excellentes conditions. Par contre, quand les pêcheurs entreposent eux-mêmes les homards, les conditions ne sont pas idéales, notamment parce que la température de l'eau fluctue. Ça ne marche pas. Et c'est ainsi que les choses se font à l'heure actuelle, plus particulièrement dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Raine : Dans un cas comme celui-là, le prix de gros est-il toujours partagé? J'en ai été surprise. Vous avez dit, je pense, que le pêcheur touchait de 75 à 80 p. 100 du prix de gros aux États-Unis.

M. Gardner : C'est exact.

Le sénateur Raine : Donc, le grossiste touche 20 p. 100. Doit-il également payer pour l'entreposage?

M. Gardner : Oui, ces 20 p. 100 doivent servir à payer l'entreposage. L'acheteur, c'est-à-dire l'intermédiaire, touche de 60 à 70 cents la livre. Il faut comprendre que c'est dans l'intérêt de bien des gens de conserver ce qu'ils ont. Ainsi, on s'arrache les homards déchargés au port.

Le sénateur Raine : Si les prix augmentent de 1 $, tout le monde en profite.

M. Gardner : Tout le monde en profite, c'est exact. Mais ce n'est pas évident d'en convaincre le secteur. Par contre, comme l'illustre le graphique, les pêcheurs savent qu'une petite augmentation des prix c'est une excellente nouvelle pour nous, mais il faut comprendre que quand les prix chutent, c'est nous qui en pâtissons. En fait, les augmentations et les chutes de prix sont comparables; c'est la concurrence qui caractérise le secteur qui explique cet équilibre.

Le sénateur Enverga : En fait, le meilleur modèle pour le homard c'est l'élevage de saumon. Les homards d'élevage, cela existe-t-il?

M. Gardner : Non, ce n'est pas une espèce qui se prête à élevage.

Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'il y a suffisamment de homards sauvages. En effet, on en trouve en abondance dans leur environnement naturel, donc il serait très difficile de démontrer que les homards d'élevage présenteraient un quelconque avantage économique.

Le sénateur Enverga : Le prix fluctue en fonction de l'offre et de la demande, n'est-ce pas?

M. Gardner : Oui.

Le sénateur Enverga : Si l'offre ne fluctuait pas du tout, le prix resterait-il stable? Y aurait-il toujours des fluctuations? La structure du marché changerait-elle?

M. Gardner : Quand on suit l'évolution du prix, on constate qu'il y a corrélation entre le prix et l'offre et la demande. Il est clair que si l'offre chutait soudainement, les prix augmenteraient.

Le sénateur Enverga : Si l'offre était stable, est-ce que ce serait bon pour le secteur? Est-ce que cela stabiliserait les prix?

M. Gardner : Étant donné qu'il y a des saisons de pêche, il est impossible d'assurer la stabilité de l'offre tout au long de l'année. Par contre, il est vrai qu'en ayant de bonnes installations d'entreposage, il est possible de stabiliser les choses. C'est ce mécanisme qui permet d'éviter les fluctuations trop grandes et de répondre à la demande en temps voulu.

Le sénateur Enverga : Tous les pêcheurs auraient donc besoin d'avoir accès à de bonnes installations d'entreposage.

M. Gardner : À l'heure actuelle, je dirais qu'il est possible d'entreposer de 10 à 15 millions de livres de homards dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse. C'est énorme. Ce qui est moins évident, c'est inciter les pêcheurs à transférer le plus rapidement possible les homards de leurs casiers aux installations d'entreposage. Les pêcheurs de la région ont plutôt tendance à garder le homard pour faire augmenter les prix.

Le sénateur Enverga : Serait-il bon que les installations d'entreposage soient réparties entre les diverses régions des Provinces maritimes?

M. Gardner : Ça dépend. Le secteur de la transformation est bien implanté dans le golfe du Saint-Laurent, par exemple. C'est dans cette région qu'on transforme les petits homards, mais de plus en plus, on y voit transiter les homards qui se vendent vivants. La température de l'eau est trop élevée dans cette partie de la province, surtout à ce moment-là de l'année. Il serait donc difficile d'y faire construire des installations d'entreposage, en raison de la température de l'eau, mais également parce que les homards sont transformés aussitôt arrivés. Les choses y sont donc quelque peu différentes que dans les autres régions.

Le sénateur Enverga : Les investissements que devraient faire les petits pêcheurs étant très élevés, est-ce que des installations d'entreposage financées par le gouvernement permettraient de véritablement donner la chance au coureur?

M. Gardner : Pendant longtemps, le gouvernement a injecté trop d'argent dans le secteur. Je ne parle pas vraiment du gouvernement fédéral mais plutôt des provinces qui veulent absolument assurer la survie des sociétés de transformation. L'Île-du-Prince-Édouard est un exemple classique. En effet, le gouvernement de cette province a perdu des dizaines de millions de dollars en raison des subventions accordées aux usines de transformation. Le problème, c'est que quand une de ces usines fait faillite, la société qui la rachète ne paye que 10 ou 20 p. 100 de la valeur réelle, ce qui se traduit par l'augmentation des coûts des autres parce que le repreneur a une marge de manoeuvre financière importante. Je ne suis pas convaincu du bien-fondé de l'injection de fonds gouvernementaux.

Le sénateur Enverga : Peut-être que le gouvernement dépense mal l'argent et devrait plutôt investir dans des installations d'entreposage. Est-ce que cela pourrait fonctionner?

M. Gardner : Comme je l'ai déjà dit, nous avons déjà assez de capacité d'entreposage. Cette capacité ne se retrouve pas partout dans la région, mais elle se trouve du moins là où l'on en a le plus besoin. Le problème, c'est de faire parvenir le homard à ces bonnes installations d'entreposage. C'est là où le bât blesse.

Le sénateur Enverga : Le défi se pose au niveau des installations d'entreposage, n'est-ce pas?

M. Gardner : Le problème, c'est de faire parvenir le homard aux installations d'entreposage. Il ne nous faut pas davantage d'installations.

Le sénateur Enverga : Mais si nous avions davantage d'installations d'entreposage, cela ne faciliterait-il pas les choses?

Le sénateur Raine : Il faut convaincre les pêcheurs de homard d'entreposer leurs produits dans ces installations. Ils préféreraient plutôt les entreposer dans leur propre congélateur.

M. Gardner : Cela introduit du homard de piètre qualité — si j'ose dire — lorsque les pêcheurs conservent leurs prises. Il faut qu'ils les envoient à des expéditeurs qui peuvent les entreposer dans des installations dignes de ce nom. Ceci a été très problématique dans le Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse. Ailleurs dans la région, le problème ne se pose pas grâce à l'équilibre de l'offre et de la demande. Le vrai problème, c'est de faire parvenir le homard sur le marché dans le meilleur état possible.

Le sénateur Enverga : Merci.

Le président : Je souhaite vous parler d'une de ces diapos. Les pêcheurs s'inquiètent tout le temps. Je viens de Terre-Neuve-et-Labrador. Vous avez parlé de l'aspect confiance à plusieurs reprises ce soir. Il y a toujours eu un manque de confiance entre le pêcheur et les transformateurs à tous les niveaux de l'industrie. Par rapport à la consolidation, vous avez parlé du nombre de transformateurs il y a plusieurs années et du nombre de transformateurs aujourd'hui, à savoir, quatre transformateurs sur la côte Ouest et quatre au Nouveau-Brunswick. Les pêcheurs s'inquiètent toujours de la consolidation craignant que celle-ci n'exerce des pressions à la baisse sur les prix.

Votre diapo indique une augmentation de prix entre 1992 et 2012, puis un plafonnement. Je me rends compte que le taux de change et d'autres facteurs ont exercé des pressions sur le prix. Pourriez-vous nous parler de la consolidation et des craintes des pêcheurs que cette consolidation ne fasse baisser les prix? Et cette crainte s'applique dans tous les domaines, pas seulement celui du homard.

M. Gardner : Il existe actuellement 25 ou 30 transformateurs dans la région de l'Atlantique et au Québec. Ce sont des transformateurs autonomes. Il y a un petit groupe au Nouveau-Brunswick qui est affilié à une organisation de marketing qui a comme clients des gros acheteurs comme Darden Restaurants Inc. aux États-Unis et Red Lobster. L'on craint toujours que si l'on consolide, cette organisation essaiera de faire baisser les prix.

Il n'y a aucune indication qu'il y ait eu une cartellisation du marché. Si cartellisation il y a eu, celle-ci n'a pas réussi. Il y a tout simplement trop d'entreprises différentes qui veulent acheter la matière brute, et les mêmes phénomènes que l'on constate du côté du homard vivant s'appliquent également du côté du homard transformé.

Là encore, il faut se souvenir de la structure de l'industrie, car il se passe dans le homard les mêmes choses que l'on voit dans la crevette à Terre-Neuve, le crabe à Terre-Neuve ou le crabe ailleurs, c'est-à-dire que le secteur a assez de capacité pour traiter tout le homard qui est attrapé pendant la semaine la plus occupée de la saison, mais ensuite, le reste de l'année, ces installations sont à peu près vides, fermées à 90, 80, ou 50 p. 100. Donc, l'utilisation moyenne de ces installations est bien inférieure à ce qu'elles peuvent traiter. Si j'étais une entreprise qui voulait garder les portes ouvertes, conserver mes employés, je ne cesserais d'augmenter le prix du homard afin de m'assurer d'en être approvisionnée. Ensuite, j'essaierais de voler les bateaux de mes concurrents, si possible. Ceci d'ailleurs se passe tout le temps.

Ce phénomène est fonction de la structuration des saisons. Aux mois de mai et de juin, la pêche bat son plein dans le golfe et alimente ces installations. Ensuite, il y a une autre saison de pêche, en septembre, mais ce homard-là vient du Maine et donc c'est le Maine qui alimente les installations, qui peuvent rester ouvertes un peu plus longtemps.

Toutefois, il reste que ce secteur est fondé sur les volumes, et dès lors qu'on a des frais fixes, il faut continuer à acheter du homard pendant la saison morte afin de couvrir ces frais fixes, ce qui a pour effet de faire augmenter les prix et de rendre la consolidation difficile. Comme je le disais, toutes ces installations sont autonomes. Certaines d'entre elles passent par une entreprise de commercialisation, mais dans l'essentiel, la concurrence est si féroce que les prix ne cessent d'augmenter.

Le sénateur Chaput : J'ai trouvé votre exposé des plus intéressants. Je n'en sais pas long au sujet de la pêche au homard. Tout ce que je sais, c'est que j'adore le homard.

Vous avez dit que les leçons tirées de la pêche au saumon ne s'appliquent pas à celle au homard. D'après ce que vous nous avez dit ce soir, la pêche au homard n'a guère évolué au fil du temps. Il s'agit en fait d'un mode de vie historique, voire, d'une tradition, n'est-ce pas?

M. Gardner : Oui.

Le sénateur Chaput : C'est ce qui nous intéresse. La pêche au homard est un aspect important de notre économie. Nous pouvons avoir du homard de qualité au Canada s'il est pêché correctement, n'est-ce pas?

M. Gardner : Oui.

Le sénateur Chaput : La diapo ici dit : accent sur ce que nous pouvons influencer. C'est qui, le nous?

M. Gardner : Nous, c'est l'industrie.

Le sénateur Chaput : L'industrie?

M. Gardner : Oui, l'ensemble des intervenants.

Le sénateur Chaput : Le plus gros défi serait-il d'amener les pêcheurs à accepter une nouvelle façon de pêcher? Une nouvelle façon de faire? De nouvelles méthodes? Sinon, quel est le plus gros défi qu'affronte l'industrie?

M. Gardner : Je pense que le plus gros défi, c'est d'amener les deux grands joueurs de l'industrie, à savoir les pêcheurs et les expéditeurs ou transformateurs, à collaborer de façon coordonnée. Actuellement, il y a une grande concurrence interne. Nous connaissons tous le principe de ne pas tuer la poule aux oeufs d'or, pourtant, c'est exactement ce qu'est en train de faire l'industrie. Chaque partie essaie d'extraire un maximum d'argent de l'autre. Lorsqu'on refuse du produit au marché, on interdit au marché d'entrer dans des accords à long terme qu'il pourrait alors être possible de nouer, ce qui est du sabordage. Ce genre de concurrence est très nuisible, car elle réduit la valeur du produit.

Le sénateur Chaput : Est-ce qu'ils comprennent le phénomène?

M. Gardner : Je pense qu'ils le comprennent, mais ils ne savent pas comment modifier leurs habitudes, culture, manque de confiance, bref c'est un de ces problèmes insolubles qui touchent l'industrie pour le moment.

Le sénateur Chaput : Une solution pourrait-elle être de leur imposer des mesures, par exemple l'offre et la demande, ou des quotas?

M. Gardner : Vous voulez parler de gestion de l'offre?

Le sénateur Chaput : Oui.

M. Gardner : Il y a des quotas sur un grand nombre de produits au Canada. Même le secteur de la pêche a eu des quotas. Je pense que la pêche au homard est l'un des derniers secteurs où il n'y a pas de quotas. Qu'il s'agisse de contingents globaux ou individuels et échangeables, enfin il y a différentes façons d'imposer ce genre de quotas, quoi qu'il en soit, la pêche au homard est parmi les dernières à se faire de façon concurrentielle.

Le sénateur Chaput : J'imagine que l'industrie s'est entretenue avec les pêcheurs?

M. Gardner : Oui, ils se sont entretenus avec eux, et les pêcheurs ont eu des discussions de leur côté. Il faut savoir que le conseil de gestion de la zone 34, c'est-à-dire la plus importante zone de pêche, a essayé maintes choses. J'ai d'ailleurs eu des discussions avec eux également. Ils ont proposé toutes sortes de nouveautés, mais encore faut-il qu'elles soient approuvées par un vote, et qu'il faut que les membres de la zone s'entendent à essayer quelque chose de nouveau. Ils ont essayé, par exemple, de réduire le nombre de pièges, d'ajuster la période de pêche, tout ceci afin d'optimiser la valeur de la pêche, mais jusqu'ici, toutes ces propositions ont été rejetées. Dans certaines régions, les pêcheurs ont consenti à pêcher un peu moins ou à augmenter la taille de la carapace, et ce genre de mesure a bien fonctionné.

Le sénateur Chaput : Merci.

Le sénateur Raine : C'est un système très complexe, et il y a beaucoup d'autonomie des deux côtés. Mais je comprends comment un pêcheur souhaite tout simplement aller pêcher une certaine quantité afin d'obtenir un certain montant d'argent, qu'il s'agisse de pêcher deux fois plus ou deux fois moins. Quoi qu'il en soit, il doit payer son hypothèque, son bateau, et cetera.

M. Gardner : Oui.

Le sénateur Raine : Du côté expédition, il doit y avoir des économies d'échelle où si l'on évite un surcroît de homard et on réduit les variations, les résultats seraient meilleurs pour eux. N'y a-t-il pas moyen d'essayer d'atteindre tel système en partenariat entre les deux partenaires? Qui décide de la période de pêche?

M. Gardner : C'est le ministère des Pêches. Ces saisons de pêche n'ont pas changé depuis des décennies.

Le sénateur Raine : Pourquoi les saisons sont-elles établies comme elles le sont? S'agit-il du cycle de vie du homard?

M. Gardner : Essentiellement, oui. Il faut éviter de pêcher les homards pendant leur période de mue ou d'accouplement, mais surtout juste après la période de mue car leurs carapaces sont très molles et donc de piètre qualité.

Le sénateur Raine : Il faut les pêcher avant la mue, ou sinon, après?

M. Gardner : Effectivement. Dès que l'on entre dans la période de mue, la qualité se détériore. Dans le golfe du Saint-Laurent, on ne fait rien pendant le mois de juillet. Il y a quelques régions au cap Breton où l'on peut encore pêcher en juillet, mais pas en août. La pêche cesse à la fin de mai tout autour de la Nouvelle-Écosse. Donc, il reste essentiellement les mois de mai, de juin, et quelques semaines à l'automne dans une région seulement du golfe du Saint-Laurent, ensuite, pour la pêche de l'automne, c'est dans la baie de Fundy, mais dans deux périodes distinctes. On essaye donc d'éviter de pêcher pendant cette période, dans l'intérêt de la qualité.

Le sénateur Raine : Donc, la saison de pêche est tributaire de l'emplacement géographique et de la qualité du produit?

M. Gardner : C'est cela. Notre pêche tient compte du cycle de vie de l'animal, mais également de la saison de pêche américaine. Nous essayons de compléter leur saison. Les États-Unis pêchent le homard au pire moment du point de vue qualité, c'est-à-dire aux mois de juillet et d'août, mais c'est parce que leur industrie est fondée essentiellement sur la demande du tourisme. Les touristes se sont habitués au homard à carapace molle, donc, c'est à ce moment-là qu'ils pêchent. Leur problème, c'est qu'ils attrapent tellement de homards qu'il y a bien plus d'offres que de demandes, donc ils exportent au Canada, à la plus grande joie de nos transformateurs.

Le sénateur Raine : Nous avons beaucoup plus de transformateurs au Canada qu'ils en ont aux États-Unis. Est-ce que les nôtres sont plus petits? Je vois que nous en avons 25 à 30 et qu'ils en ont quatre à cinq.

M. Gardner : C'est exact, et ils sont relativement petits aux États-Unis.

Le sénateur Raine : Est-ce qu'ils aiment envoyer leur homard ici pour qu'on fasse la transformation?

M. Gardner : Auparavant, il y avait une grande industrie de la conserve aux États-Unis, comme au Canada atlantique, mais une fois que la réfrigération est arrivée et que les marchés frais se sont développés, cette industrie est disparue. Un des défis maintenant est que étant donné la courte saison en Nouvelle-Angleterre, ce serait difficile avec l'économie et appelons-le le filet de sécurité, le filet de sécurité sociale qui existe aux États-Unis, où vous auriez du mal à faire fonctionner une entreprise pendant deux ou peut-être trois mois et quand même avoir des travailleurs, et beaucoup de ces petites communautés sont vraiment très, très petites.

Notre environnement nous permet de soutenir une industrie qui, dans des circonstances différentes, avec un filet de sécurité plus poreux ou large, aurait de la difficulté à avoir des travailleurs dans ces usines.

Le sénateur Raine : Est-ce que notre assurance-emploi joue un rôle dans cela?

M. Gardner : Bien sûr, certainement.

Le sénateur Raine : Est-ce que c'est positif?

M. Gardner : Eh bien, ça permet aux communautés de rester ensemble. Il y a tellement d'experts de cette question. Est-ce qu'il y a un comité sénatorial sur l'assurance-emploi?

Le sénateur Raine : Je pense que nos pêcheurs ont tendance à pêcher beaucoup plus que juste une espèce.

M. Gardner : Oui, mais à présent il est difficile de trouver assez de pêcheries pour tous les pêcheurs qui veulent pêcher parce que les stocks de poissons de fond sont pratiquement disparus de la côte Est.

Le sénateur Raine : Nous connaissons bien la question des phoques.

M. Gardner : Ce n'est pas la faute des phoques en ce qui concerne le poisson. Ils ne sont certainement pas la solution. C'est une autre histoire, mais au mieux ces jours-ci un pêcheur aurait peut-être deux permis et donc il peut pêcher le homard et peut-être le hareng, possiblement le homard et le crabe, peut-être du pétoncle si vous êtes dans une région différente. Disons qu'il n'y a pas beaucoup d'options.

Le sénateur Raine : Merci.

Le président : Merci, sénateur Raine.

La soirée a été intéressante. Une bonne quantité d'information a été présentée ici que nous allons certainement absorber au cours des prochains jours. Nous planifions un voyage à Moncton à la fin de la semaine prochaine afin d'entendre des gens partout au Canada atlantique et au Québec, et je suis certain que certaines des choses que vous nous avez présentées aujourd'hui mèneront à des questions pour les gens que nous aurons comme témoins là-bas. Vous avez soulevé diverses préoccupations. Il y a de grandes occasions ici, mais aussi beaucoup de défis.

M. Gardner : Oui.

Le président : Nous vous remercions certainement beaucoup de votre présentation et des réponses aux nombreuses questions qui ont été posées ici ce soir.

Comme toujours, nous nous réservons le droit de vous demander d'autres informations si nous en avons besoin pour poursuivre notre étude.

M. Gardner : Certainement.

Le président : L'information que vous avez présentée a été un grand outil ici ce soir, donc merci d'avoir fait votre présentation.

M. Gardner : Cela a été un plaisir, merci.

Le président : Honorables sénateurs, la semaine prochaine nous allons entendre des représentants de l'Agence de promotion économique du Canada atlantique. Des représentants de l'APECA fourniront de l'information sur d'autres initiatives fédérales reliées à la durabilité de la pêche au homard, donc j'ai hâte de vous revoir. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)


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