Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans
Fascicule 14 - Témoignages du 12 février 2013
OTTAWA, le mardi 12 février 2013
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui, à 17 h 6, pour étudier la pêche au homard au Canada atlantique et au Québec.
Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des pêches et des océans. Je me présente, Fabian Manning, sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador et président du comité. Avant de céder la parole à nos témoins, je demanderais aux membres du comité de se présenter.
Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Unger : Betty Unger, de l'Alberta.
La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur McInnis : Tom McInnis, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Hubley : Elizabeth Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur Watt : Charlie Watt, du Nunavik.
Le sénateur Harb : Mac Harb, de l'Ontario.
Le président : Le comité poursuit son étude de la pêche au homard au Canada atlantique et au Québec. Nous avons l'honneur d'entendre aujourd'hui le ministre des Pêches et de l'Aquaculture de la Nouvelle-Écosse. Dans le cadre de cette étude, le comité a déjà entendu des représentants des ministères de pêches du Nouveau-Brunswick, de l'Île-du- Prince-Édouard et de Terre-Neuve-et-Labrador et nous sommes ravis que le gouvernement de la Nouvelle-Écosse ait également accepté notre invitation. Au nom de tous les membres du comité, je remercie le ministre Belliveau de sa présence. Si je ne m'abuse, le ministre a préparé une déclaration préliminaire. Je vous prierais de présenter la personne qui vous accompagne. La parole est à vous.
L'honorable Sterling Belliveau, MAL, ministre des Pêches et de l'Aquaculture, gouvernement de la Nouvelle-Écosse : Je vous remercie de m'avoir offert l'occasion d'exposer aujourd'hui au comité sénatorial permanent quelques-uns des problèmes auxquels est confrontée notre industrie de la pêche au homard. Faisons d'abord nos devoirs. Monsieur le président, j'ai apporté des cartes de nos districts de pêche pour que les membres puissent les consulter, s'ils le désirent. J'aimerais également présenter un membre de mon personnel, Leo Muise, directeur exécutif du ministère des Pêches et de l'Aquaculture.
Monsieur le président, mesdames et messieurs, la pêche au homard est certainement le secteur de pêche le plus important au Canada atlantique. Elle se situe à la base même de l'économie de nos communautés rurales et côtières. Ce secteur représente des exportations d'une valeur de plus de 1 milliard de dollars et emploie des milliers de personnes au Canada atlantique. C'est la Nouvelle-Écosse qui produit les plus grandes prises de homards, avec un total qui représente environ 70 p. 100 des prises de homards au Canada. Nous sommes la capitale incontestée du homard au Canada.
Vous vous demandez peut-être pourquoi c'est important. C'est important pour les familles. Des milliers et des milliers de familles. En Nouvelle-Écosse seulement, il y a environ 3 000 titulaires de permis de pêche côtière au homard en activité, dont les navires ont en moyenne un équipage de trois personnes. Ceci signifie qu'il y a environ 9 000 personnes directement employées dans le secteur de la pêche au homard. Cette industrie est donc l'un des plus importants employeurs dans la province de la Nouvelle-Écosse.
Il nous faut une orientation claire du gouvernement fédéral pour répondre aux besoins de notre industrie de la pêche au homard.
Notre gouvernement a un plan pour la création de bons emplois et la croissance d'une économie plus forte et plus stable à l'échelle de la province. Dans le plan « des emplois ICI », la pêche commerciale est un domaine prioritaire. Quand nous nous tournons vers l'avenir, il est indispensable que nous prenions des décisions et que nous offrions à l'industrie de la pêche au homard un soutien qui permette de garantir sa durabilité.
La durabilité est un enjeu crucial pour l'avenir de cette industrie. Et il en va de même pour la stabilité. La durabilité de l'industrie de la pêche s'appuie sur des plans de gestion, des exigences pour les navires et la formation, des activités de marketing, une bonne traçabilité, des zones protégées, des initiatives de modernisation de Pêches et Océans Canada, la sécurité, la recherche scientifique et bien d'autres choses encore.
L'industrie se trouve dans une période difficile. Il y a tant d'incertitudes. Il est important que nous ne fassions rien qui contribue à déstabiliser encore davantage cette industrie.
Les annonces récentes du gouvernement fédéral ont suscité de vives inquiétudes en Nouvelle-Écosse, en raison de leur impact potentiel sur nos communautés; des communautés où la principale source de l'économie est la pêche; des communautés où la pêche soutient les familles depuis des générations.
Ces annonces inquiétantes par le gouvernement fédéral concernent : les politiques sur la séparation des flottilles et sur les propriétaires exploitants; la réforme de l'assurance-emploi; l'idée d'un système de quota pour la pêche côtière au homard introduit sans aucune consultation de l'industrie; des changements au programme des étiquettes pour les casiers à homards; et des changements concernant les études d'impact sur l'environnement dans la Loi sur les pêches du gouvernement fédéral.
La décision qu'a prise le gouvernement fédéral de ne pas supprimer les politiques sur la séparation des flottilles et sur les propriétaires exploitants dans l'industrie de la pêche au Canada est une bonne nouvelle pour les pêcheurs du Canada atlantique. Je félicite le gouvernement fédéral d'avoir pris une telle décision. La Nouvelle-Écosse a été la première province à demander au gouvernement fédéral de clarifier sa position sur ces politiques et je remercie celui-ci d'avoir été à l'écoute.
Le Canada est un pays caractérisé par une grande diversité où les situations en matière d'emploi et les moyens de subsistance sont forts variés. La pêche au homard est un secteur qui emploie des milliers de Néo-Écossais, dont bon nombre sont des employés saisonniers qui comptent sur les prestations d'assurance-emploi.
Il faut que le gouvernement fédéral comprenne bien les réalités de la vie dans les communautés rurales du Canada, comme celles qui se situent près de chez moi, dans les régions de Shelburne, Barrington, Queens, Argyle, Yarmouth, Digby, Chéticamp, Pictou et Canso. Dans toutes les régions côtières de la Nouvelle-Écosse, l'industrie du homard dépend de ces travailleurs expérimentés. Si ces travailleurs ne peuvent plus compter sur les prestations d'assurance- emploi, nos communautés vont perdre leur main-d'œuvre expérimentée. Ce n'est pas le moment de modifier le régime d'assurance-emploi, alors même que l'industrie connaît de telles difficultés économiques et est tout particulièrement vulnérable.
L'industrie de la pêche au homard est un des secteurs où le travail est le plus dangereux. Il est essentiel, pour assurer une bonne sécurité au travail, d'avoir des travailleurs expérimentés. En novembre dernier, je me trouvais, comme chaque année, sur un quai dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, à l'approche du lancement de la saison de la pêche au homard, pour observer les navires se préparant au départ. Les casiers formaient de grosses piles reliées par des cordes. Les ponts étaient couverts de balises, de flotteurs et de lourdes ancres. Il faut vraiment savoir ce qu'on fait dans ce métier et le fait d'avoir des travailleurs inexpérimentés à bord met tout le monde en danger.
C'est pourquoi il est important que nous disposions d'équipages expérimentés dans nos communautés de pêcheurs. Sans eux, l'industrie de la pêche au homard n'est pas sécuritaire. Et si elle n'est pas sécuritaire, elle n'est pas durable.
Notre gouvernement a fait part de ses inquiétudes au gouvernement fédéral à de multiples occasions en ce qui concerne les changements au régime d'assurance-emploi et leur impact sur ceux dont la subsistance dépend de la pêche. Il faut examiner de façon approfondie l'impact de tels changements sur les moyens de subsistance des gens avant de les mettre en œuvre.
Comme nous le savons tous, de bons politiciens ne font pas toujours de bonnes politiques. La mauvaise décision, même si elle est populaire dans certaines régions du Canada, est tout de même une mauvaise décision.
Ma réaction aux commentaires récents sur l'éventualité d'introduire des quotas pour la pêche côtière au homard est à peu près la même. Ces commentaires ont suscité de vives inquiétudes en cette période où le prix du homard est si imprévisible. Les politiciens qui font ce genre de commentaires démontrent un grand manque de compréhension. C'est un peu comme si on disait qu'une récession présente une bonne occasion d'achat.
Si l'on veut apporter le moindre changement à la gestion de l'industrie de la pêche au homard, il est indispensable que cela émane de l'industrie elle-même. J'ai discuté avec de nombreux pêcheurs et dirigeants communautaires, que les commentaires récents du gouvernement fédéral inquiètent, parce qu'un système de quotas pour la pêche côtière au homard mettrait en péril l'indépendance du secteur, aurait un impact négatif supplémentaire sur les petites entreprises et réduirait encore le nombre de pêcheurs indépendants. Il faut que nous prenions des décisions qui assurent la durabilité de l'industrie de la pêche et que nous apportions notre soutien à cette industrie.
La pêche au homard est confrontée à une autre perturbation, soit la décision prise par Pêches et Océans Canada de déléguer la responsabilité du programme des étiquettes pour les casiers à homards à des intervenants du secteur privé et à des groupes de gestion des pêches. Ceci aura une incidence sur les activités de pêche à compter du 31 mars 2013.
Pour les zones de pêche au homard no 25 à 32, les changements apportés au programme des étiquettes surviendront en plein milieu de la saison du printemps et auront un impact négatif, parce que les pêcheurs n'auront pas suffisamment de temps pour s'organiser. Partout en Nouvelle-Écosse, les parties intéressées dans l'industrie ont interpellé Pêches et Océans Canada et ont demandé qu'on revienne sur cette décision ou du moins qu'on remette le processus à une date ultérieure, afin que les gens disposent du temps nécessaire pour s'organiser et adopter la meilleure approche.
Bien qu'il soit nécessaire que les choses changent et évoluent, je recommande vivement qu'on adopte une approche modérée et prudente, après consultation de l'industrie, en tenant compte des implications potentielles pour l'industrie de la pêche. Il est important que Pêches et Océans Canada remette les changements proposés à une date ultérieure, permette à nos pêcheurs de terminer leur saison de pêche, puis consulte l'industrie. On ne peut pas simplement imposer ces changements aux pêcheurs. Il faut prendre le temps de s'assurer que les changements règlent réellement un problème et qu'on n'apporte pas des modifications simplement pour le plaisir de la chose.
Je suis conscient du fait que les choses changent et évoluent. Mais je recommande vivement qu'on adopte une approche modérée et prudente en tenant compte des implications potentielles pour l'industrie de la pêche. Il est important de remettre les changements proposés à une date ultérieure, en particulier parce qu'ils tombent au beau milieu de la saison.
Mon ministère est en train d'explorer de multiples manières d'apporter du soutien et de l'aide à l'industrie de la pêche au homard aux différents échelons de la chaîne de valeur. Il est indispensable que nous examinions toutes les étapes de la croissance et du développement dans le domaine du homard. Nous avons apporté notre appui aux recherches scientifiques et aux initiatives de gérance par l'entremise de la Fishermen & Scientists Research Society et du programme de Mesures de durabilité pour l'industrie du homard de l'Atlantique. Nous sommes conscients de la contribution importante qu'ils apportent à notre industrie en vue de garantir sa durabilité à long terme. Au cours des années précédentes, nous avons fait de bons investissements dans des domaines comme la recherche scientifique, les études de qualité, le renouvellement des infrastructures, le marketing des produits de la mer et le développement des produits.
Notre province tient fortement à aider l'industrie à explorer de nouveaux marchés, de façon à ce que la pêche au homard puisse continuer de prospérer. Notre gouvernement explore le marché international en collaboration avec l'industrie et avec le Conseil canadien du homard afin de développer les débouchés.
La Chine est un excellent exemple. Les exportations de homard de la Nouvelle-Écosse vers la Chine ont augmenté de plus de 200 p. 100 en 2011. Le Conseil du homard travaille sur plusieurs initiatives portant sur la qualité des produits et l'image de marque du homard. Le gouvernement et l'industrie devront tous deux faire de gros efforts et faire preuve d'originalité s'ils veulent élargir les marchés et renforcer la valeur des homards. Mais le gouvernement provincial et l'industrie ne peuvent pas y arriver seuls, et on ne doit pas s'attendre à ce qu'ils y arrivent seuls.
Le soutien à cette industrie de la pêche qui est si importante pour le Canada atlantique en cette période cruciale est une responsabilité d'ordre moral pour le gouvernement fédéral. Il faut que le gouvernement fédéral contribue à découvrir de nouveaux débouchés sur la scène internationale pour le homard.
Nous avons été confrontés à plusieurs difficultés ayant un impact sur l'industrie, mais la ressource continue d'être très productive. Les prises de homards se situent à des niveaux historiques dans bon nombre de districts. La Nouvelle- Écosse a la chance d'avoir des avantages, avec un large éventail d'espèces de mollusques et de crustacés (crabe, homard, crevette, et cetera) et d'espèces de poissons, et une base de produits variée. Le crabe des neiges de l'Atlantique, par exemple, continuera de jouer un rôle important dans la pêche dans l'Est de la province.
Il y a des possibilités de développement de la pêche de nouvelles espèces, comme le crabe cailloux, le crabe vert, le bulot, la mousse d'Irlande, la myxine et la palourde. Nous avons là l'occasion d'aider les gens dans l'industrie du homard à diversifier leurs activités et à compléter leur revenu, ce qui rendrait l'industrie plus durable. Plusieurs pêcheurs de la Nouvelle-Écosse ont demandé à Pêches et Océans Canada l'autorisation de pêcher le crabe caillou et d'autres espèces sous-exploitées et se sont vu refuser cette autorisation en raison du manque de renseignements scientifiques sur la question ou du fait que les données disponibles étaient périmées. Alors faisons de nouvelles études!
Nous voulons qu'on passe à l'action dans les recherches sur l'exploitation d'espèces nouvelles comme le crabe caillou et d'autres espèces sous-exploitées. Notre gouvernement est prêt à s'associer en partenariat avec Pêches et Océans Canada pour apporter un appui aux activités de recherche scientifique nécessaires pour explorer la pêche de deux espèces sous-exploitées, et à payer sa part. Notre gouvernement s'engage à trouver des pêcheurs qui sont disposés à participer aux efforts visant à rassembler les données scientifiques nécessaires. L'octroi de permis expérimentaux a été un succès par le passé et a joué un rôle essentiel dans le développement de la pêche au homard en haute mer, par exemple. Il est important de s'assurer que les réserves sont de bonne taille, en gérant bien les aspects scientifiques de la question.
On a fait de gros efforts pour acquérir une compréhension scientifique plus approfondie de cette ressource si importante et il faut que nous réfléchissions à la façon dont nous allons aborder le travail scientifique à l'avenir. En raison de l'augmentation de la température des océans, par exemple, les pêcheurs ont observé une explosion de certaines espèces de mollusques et crustacés. L'industrie a besoin d'un investissement dans la recherche scientifique afin de relever des défis comme le changement climatique, l'évolution de la saison de la mue chez les homards, l'augmentation du nombre de homards à carapace molle dans les prises et les possibilités d'exploiter de nouvelles espèces.
C'est pour cela qu'il est décevant de voir le gouvernement fédéral réduire son appui à la recherche scientifique sur les pêches, alors qu'elle est si cruciale aujourd'hui. Je recommande vivement au gouvernement fédéral de revenir sur sa décision de réduire son appui aux recherches scientifiques.
Nous faisons la promotion des produits de la mer de l'Atlantique partout dans le monde, alors il faut que nous soyons prêts à répondre à la demande de traçabilité et d'écoétiquetage. La certification de pêche durable décernée par des organismes indépendants et par le Marine Stewardship Council en particulier est en train de devenir obligatoire pour certains marchés à l'exportation.
L'industrie du homard joue depuis longtemps un rôle important dans la vie des habitants du Canada atlantique et nous voulons que cela continue d'être le cas pour les générations à venir. C'est le gouvernement fédéral qui régit l'industrie de la pêche au homard. Nos pêcheurs subissent d'énormes pressions. Il est indispensable de prendre des décisions qui contribueront à stabiliser l'industrie.
Il faut examiner avec grand soin les politiques gouvernementales visant à définir les orientations pour la prochaine génération dans l'industrie. Il faut que le gouvernement fédéral continue d'investir dans l'industrie de la pêche au homard, en mettant fortement l'accent sur la science, le marketing et la diversification des espèces. Avant d'aller de l'avant, il faut que le gouvernement collabore avec l'industrie pour bien comprendre l'impact des changements de politique, en particulier en cette période où l'industrie est confrontée à des difficultés économiques et est si vulnérable.
Merci beaucoup. Je suis disposé à répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur le ministre. Vous avez soulevé divers enjeux et inquiétudes, et nous sommes heureux que vous soyez ici ce soir pour nous les faire connaître.
Je souhaite la bienvenue au sénateur Don Oliver, qui vient de la Nouvelle-Écosse.
La première question sera posée par la vice-présidente du comité, la sénatrice Hubley.
La sénatrice Hubley : C'est un plaisir de vous avoir parmi nous ce soir. Votre témoignage se fait l'écho de la plupart des renseignements que nous avons obtenus sur les autres régions atlantiques. Vous avez fait état de nombreux problèmes qui touchent également le Nouveau-Brunswick et l'Île-du-Prince-Édouard.
Le comité a entendu de bons commentaires concernant des initiatives que le gouvernement a prises récemment, notamment le Programme des mesures transitoires à court terme, le Programme de mesure de durabilité pour l'industrie du homard de l'Atlantique et l'initiative pour l'industrie du homard du Fonds d'adaptation des collectivités. Cependant, de nombreux témoins ont souligné qu'il ne fallait pas mettre un terme aux mesures de soutien du gouvernement fédéral.
Pourriez-vous dire au comité ce que vous pensez des forces et des faiblesses, ou des avantages et des désavantages, de ces programmes?
M. Belliveau : Il faut faire davantage de recherche scientifique, voilà la faiblesse. Comme je l'ai dit dans mon exposé, je tiens à souligner qu'il y a des choses que nous devons savoir. Les pêcheurs ont constaté que la température de l'eau avait grandement changé au cours de la dernière décennie. La température de l'eau augmente. J'ai mentionné qu'il faut comprendre ce phénomène.
Voilà la faiblesse : l'absence de volonté politique; or, il faut se pencher sur ce qui se passe dans nos eaux. J'ai parlé des diverses espèces de mollusques et de crustacés dont la population connaît une croissance importante. Je peux vous en nommer quelques-uns, notamment un certain nombre d'espèces de crabe. Je remonte loin en arrière pour vous expliquer quelque chose. Au début des années 1990, la morue et d'autres poissons à nageoire sont disparus de notre territoire de pêche. D'autres espèces ont donc pris leur place. Voilà ce qui est en train de se passer. Le gouvernement fédéral ne fait preuve d'aucune volonté politique à cet égard : il ne veut pas mener les recherches scientifiques nécessaires pour aider les pêcheurs. On souhaite que ces emplois restent dans cette région, il faut donc mettre davantage l'accent sur la recherche scientifique.
Vous avez parlé de l'argent et des programmes, mais, à mon avis, l'argent doit servir directement à la commercialisation. Il a été question de la Chine et d'autres régions du monde. Lorsque j'entends qu'une ville de niveau intermédiaire de 6 à 8 millions d'habitants n'a pas accès à du homard, c'est comme une révélation pour moi. Les occasions d'affaires existent, mais nous sommes tellement dépendants de nos bons amis aux États-Unis qu'entre 75 et 80 p. 100 de nos homards y sont exportés. Nous devons diversifier nos marchés et en trouver de nouveaux. Il existe des débouchés partout dans le monde, et nous pouvons créer de la valeur ajoutée en trouvant de nouvelles façons d'emballer les homards. Voilà le type de transition qui se fait dans d'autres secteurs et que nous devons faire dans notre industrie.
J'ai mentionné que les prises de homard avaient atteint un niveau record. Elles ont triplé au cours des 25 dernières années, et ce, dans tous les secteurs.
Il faut mettre l'accent sur la recherche scientifique et sur la commercialisation.
Le sénateur Harb : Vous avez très bien fait valoir votre point, monsieur le ministre.
Souhaiteriez-vous que le comité recommande dans son rapport que le gouvernement investisse davantage dans la recherche-développement? Aimeriez-vous que le comité formule cette recommandation?
M. Belliveau : Vous n'auriez plus besoin de m'acheter de cadeau de Noël si vous formuliez cette recommandation. Plus sérieusement, je crois que cet investissement est nécessaire. J'ai hâte que le comité produise son rapport, parce qu'il s'agit d'un enjeu important : le Canada atlantique a la chance de disposer de cette précieuse ressource, il faut savoir en tirer parti et ouvrir de nouveaux marchés partout dans le monde. Les débouchés existent. J'ai vraiment hâte que le rapport soit produit.
Le sénateur Harb : Vous faites valoir un excellent point lorsque vous dites que vous souhaitez collaborer avec le gouvernement pour assurer la viabilité de l'industrie.
M. Belliveau : Oui.
Le sénateur Harb : Merci beaucoup.
La sénatrice Poirier : Merci pour votre présence ici parmi nous et pour votre exposé, nous vous en sommes très reconnaissants. Pouvez-vous nous dire quelles ont été, pour l'industrie et les pêcheurs, les conséquences immédiates de la décision de la Nouvelle-Écosse d'augmenter la taille des homards pouvant être pêchés?
M. Belliveau : Je ne sais pas si vous le saviez, mais j'ai été pêcheur pendant 38 ans. Je me souviens de l'époque où la Nouvelle-Écosse souhaitait imposer cinq augmentations de la taille des prises; c'était il y a environ 15 ans, je crois. L'industrie avait opposé une certaine résistance à l'époque. L'industrie du homard se porte très bien. Voici ce que j'essaie de vous faire comprendre : les pêcheurs ont pris beaucoup de mesures pour assurer la préservation de l'espèce. Ils ont notamment installé des évents d'échappements, des panneaux, dans les pièges à homard. C'était important à mon avis, parce que ça permet aux jeunes homards de sortir; ainsi, ces derniers n'ont pas à se battre dans les pièges à homard. Grâce aux politiques adoptées il y a 25 ans, aux conditions favorables et à l'extermination de poissons de fond prédateurs, sans compter les changements climatiques, le nombre de homards entre le Rhode Island et Terre-Neuve a explosé. Les homards ainsi que les mollusques et les crustacés profitent tous de ces conditions.
Pour en revenir à la taille des homards, il était question d'imposer cinq augmentations. La première faisait passer le homard de 3-1/16'' à un point de plus, et les gens s'y sont opposés. En résumé, les trois dernières augmentations n'ont jamais été imposées, et la taille des prises est restée à 3-1/4'', je crois.
L'industrie est très prospère. Il y a beaucoup de femelles qui parcourent les fonds. Il convient de répéter que les prises de homards n'ont jamais été aussi élevées, et ce, dans l'ensemble de la région entre le Rhode Island et Terre- Neuve. J'espère avoir répondu à votre question.
La sénatrice Poirier : J'ai posé cette question parce que nous savons que le Québec, Terre-Neuve et la Nouvelle- Écosse ont augmenté la taille des prises. Nous savons aujourd'hui que le Nouveau-Brunswick souhaite faire de même, et nous avons entendu dire que l'Île-du-Prince-Édouard entend aussi faire pareil, et ce, même si les habitants de cette province semblent préférer les homards de petite taille. C'est devenu un problème, et on se renvoie la balle parce que les pêcheurs de ces provinces pêchent dans les mêmes zones. À votre avis, la taille des carapaces des homards devrait-elle varier d'une zone de pêche à l'autre, ou bien devrait-elle être la même dans toutes les zones?
M. Belliveau : Les zones se chevauchent, il y aura donc toujours des divergences d'opinions. J'estime que les différents dirigeants et les responsables du gouvernement prennent les meilleures décisions possible pour l'industrie. Je l'ai déjà dit. Il faut absolument tenir compte des commentaires de l'industrie parce que les pêcheurs dans une zone donnée connaissent bien leur région. La solution est dans l'adoption de telles politiques. Il faut que chaque région ait son mot à dire dans les politiques envisagées, et ces dernières doivent tenir compte des intérêts des régions. Un Terre- Neuvien pourrait difficilement faire une recommandation sur le Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse, et vice-versa. Voilà ce que j'essaie de vous faire comprendre. Toutefois, si vous réunissez les gens les plus touchés et que vous trouvez un bon facilitateur, vous serez alors en mesure d'élaborer une politique qui tiendra vraiment compte des intérêts de la région visée.
La sénatrice Poirier : Je crois que c'est exactement ce à quoi on assiste. Des réunions ont été tenues avec deux provinces, l'industrie et des pêcheurs, mais je ne pense pas qu'un consensus ait été obtenu sur cette question. Mais le dossier va de l'avant.
L'été dernier a été extrêmement difficile pour les pêcheurs du Nouveau-Brunswick, surtout dans mon coin de province. La Nouvelle-Écosse a-t-elle connu une situation semblable? Les pêcheurs néo-écossais ont-ils été confrontés aux mêmes difficultés que ceux du Nouveau-Brunswick?
M. Belliveau : Je suis parfaitement au courant de la situation. Le Maine, aux États-Unis, a d'abord été touché, et la vague s'est propagée au Nouveau-Brunswick puis à la Nouvelle-Écosse l'automne et l'hiver derniers. Les prises ont atteint un niveau record, et les prix étaient très bas. J'ai demandé ici même que des recherches scientifiques soient menées, parce que la température de l'eau est de deux à trois degrés plus élevée que ce que la plupart des pêcheurs ont pu constater au cours des 50 dernières années. Il faut que nous comprenions ce qui est en train de se produire. Nous savons que les homards mus probablement deux fois par année, et il y a plus en plus de homards qui parcourent les fonds. Les pêcheurs font des prises historiques. Nous devons en comprendre le fondement scientifique. À mon avis, je le répète, il faut mener des recherches scientifiques afin de comprendre ce qui se passe. Les chiffres aux États-Unis sont astronomiques.
La sénatrice Poirier : Pendant cette crise qui a touché les pêcheurs de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, votre gouvernement a-t-il pris des mesures pour les aider et, si c'est le cas, lesquelles?
M. Belliveau : Voilà une excellente question. Nous avons demandé aux ministres de l'Atlantique de se réunir. Nous pouvions prévoir la baisse des prix vu ce qui était arrivé en août dernier dans la région qui s'étend du Maine jusqu'au Nouveau-Brunswick. Les ministres provinciaux de l'Atlantique se sont concertés pour s'attaquer au problème; nous comprenions fort bien ce que les pêcheurs vivaient.
Je tiens à répéter que nous appuyons le Conseil canadien pour le homard dans ses démarches pour trouver d'autres marchés. Nous suivons ce dossier de près. La balle est dans le camp du conseil, qui se penche sur la question de la traçabilité et de la création d'une marque de commerce pour nos homards. Beaucoup de progrès ont été accomplis, mais tout ça prend du temps. Au cours de la dernière décennie, on a pris énormément de homards, et il faut écouler trois fois plus de homards qu'il y a environ 10 ans.
La sénatrice Poirier : À votre avis, à l'heure actuelle, quel est le plus grand défi que l'industrie du homard en Nouvelle-Écosse doit surmonter? Quel est votre plus grand défi?
M. Belliveau : Ce qui compte le plus, c'est de savoir que le gouvernement fédéral a un plan pour l'avenir afin que nos jeunes pêcheurs, ceux qui sont âgés de 25 à 30 ans, puissent dire qu'ils sont convaincus que le gouvernement fédéral se penche activement sur la question des propriétaires-exploitants, qu'il souhaite protéger les pêcheurs indépendants et qu'il fera en sorte que des recherches scientifiques soient menées. Il faut que nous comprenions ce qui se passe dans cette colonne d'eau lorsque la température de l'eau augmente et que le nombre de homards croît sur le fond marin. Les pêcheurs seraient ainsi rassurés à mon avis. Ils savent qu'il existe d'autres espèces, et ils veulent recevoir l'appui du gouvernement pour pouvoir les pêcher. Il ne suffit pas de simplement répondre « non » à un pêcheur donné, alors que ce dernier sait pertinemment que les régions du golfe, de Cape Breton, du plateau néo-écossais et même de la baie de Fundy sont riches en biomasse dont a besoin le crabe caillou. Les pêcheurs savent que ces espèces et la biomasse sont là. Il faut que le gouvernement montre qu'il croit dans ces régions. Nous voulons que ces régions prospèrent, et nous adopterons donc des politiques qui les protégeront. Voilà ce dont ces régions ont besoin.
La sénatrice Poirier : Merci.
Le sénateur McInnis : Merci d'être parmi nous, monsieur le ministre. Vous nous avez dit — et d'autres personnes nous ont dit la même chose —qu'une énorme quantité de homards avaient été pris. Nous disons toujours que nous sommes disposés à changer. Vous avez parlé, dans votre exposé, de trois ou quatre annonces troublantes que le gouvernement fédéral a faites.
Le comité vient tout juste de recevoir une lettre datée du 28 janvier 2013 qui a été rédigée par Clearwater Seafoods Limited. Si vous me le permettez, j'aimerais en lire un extrait. La lettre est signée par Christine Penney, vice-présidente à la Viabilité et aux Affaires publiques. Il ne fait aucun doute que John Risley et Colin MacDonald et d'autres personnes appuieraient cette lettre. Je ne lirai que quelques phrases, un ou deux paragraphes. Voici :
Cependant, les ressources halieutiques fluctuent naturellement, et l'industrie à l'heure actuelle n'a pas la capacité pour s'adapter efficacement aux changements que les ressources connaîtront inévitablement. S'il n'y a aucune mesure incitative adéquate pour limiter les efforts lorsque les stocks diminueront, ce qui est inévitable, les ressources pourraient en souffrir.
Voici un autre extrait :
Le gouvernement devra prendre son courage à deux mains et veiller à ce que l'industrie ait la volonté, le leadership et la détermination nécessaires pour prendre les mesures qui s'imposent à long terme afin de protéger cette précieuse et emblématique industrie des pêches ainsi que l'économie du Canada atlantique. L'industrie du homard s'oppose énergiquement au changement. Cependant, le gouvernement a l'occasion d'instaurer des politiques qui facilitera l'auto-rationalisation dont on a tellement besoin. L'industrie du homard n'est pas monolithique, et un bon nombre de ses secteurs ont besoin d'être rationalisés. Il est peu probable que l'on trouve une solution universelle. On doit analyser les options selon leur chance de réussir dans une région donnée, et il faudrait examiner les pratiques exemplaires utilisées partout dans le monde.
L'industrie est composée de milliers et de milliers d'intéressés; il semble souvent difficile de concilier les intérêts des différents secteurs. Or, les preuves s'accumulent : l'astucieux marché mondial a su profiter à fond de la désorganisation de l'industrie, et il continuera à le faire. Tous les membres de la chaîne de l'industrie du homard — tant les secteurs de la pêche, de la transformation, de la distribution de homards vivants que de la vente — doivent s'entendre pour régler les problèmes qui l'affligent.
Vous avez mentionné que les prises ont atteint un niveau historique, et c'est un fait. Le gouvernement fédéral essaie d'apporter des changements. Nous ne sommes pas ici pour débattre de l'opportunité de ces changements. Le comité veut plutôt formuler des recommandations pour les années à venir, et non seulement pour l'année prochaine. Voilà pourquoi nous sommes ici réunis.
Le Conseil du homard a témoigné, et on mentionne dans la lettre qu'il est le principal agent de changement dans cette industrie. Qu'en pensez-vous? J'ai beaucoup de respect pour Clearwater, et je suis certain que vous partagez mon opinion.
Le changement n'est jamais facile. Vous avez dit que ces modifications étaient troublantes, mais que proposez-vous? N'êtes-vous pas d'accord pour dire que des changements s'imposent? Ce n'est pas une critique; nous sommes ici pour recueillir des renseignements. Si vous convenez que des changements s'imposent, que feriez-vous et comment?
M. Belliveau : Merci beaucoup pour cette question. Il est question de plusieurs enjeux dans cette lettre. Tout d'abord, j'ai souligné à quelques reprises qu'il était question de l'industrie de la pêche côtière du homard. Or, Clearwater parle au nom de l'industrie de la pêche extracôtière du homard. Je pense que c'est vrai pour l'ensemble des provinces de l'Atlantique, surtout pour la ville d'où je viens en Nouvelle-Écosse. Répétons que les mesures de toute politique qui aura un effet sur l'industrie du homard doivent tenir compte des commentaires de l'industrie. Ce doit être l'œuvre de l'industrie.
Vous faites probablement allusion à l'annonce du gouvernement sur les quotas de homard. Si vous voulez détruire les régions dans le Canada atlantique, voilà ce qu'il faut faire. Le moratoire sur la pêche à la morue imposé en 1992 sera considéré comme une simple partie de plaisir si vous instaurez des quotas sur la pêche côtière au homard. Vous aurez été avertis.
Ce que j'essaie de vous faire comprendre, c'est que l'industrie du homard est dans une période charnière. L'industrie a formulé un certain nombre de recommandations. L'automne dernier, dans le Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse, on a voté une réduction de la limite du nombre de pièges. L'industrie sait qu'elle vit des moments difficiles et qu'il faut trouver des solutions. Ce ne devrait pas être l'inverse : ce n'est pas à Pêches et Océans Canada d'imposer des mesures à l'industrie. Les régions côtières seront anéanties. Si vous instaurez un régime de quotas dans l'industrie de la pêche au homard sur les côtes, les communautés se détérioreront davantage, la chasse aux quotas sera ouverte et les pêcheurs indépendants seront chose du passé. Je suis ici pour défendre les intérêts des pêcheurs indépendants de la Nouvelle- Écosse.
Vous m'avez demandé comment nous pourrions stabiliser la situation, et la réponse se trouve dans ce que je viens de vous dire. Les pêcheurs savent qu'il existe d'autres espèces et qu'ils pourraient donc diversifier leurs prises et assurer ainsi une certaine stabilité dans nos régions. Ils savent aussi qu'il est important de comprendre ce qui se passe dans un écosystème où l'on connaît des pêches historiques et où l'eau n'a jamais été aussi chaude de mémoire d'homme. Vous devez le comprendre, car les pêcheurs, eux, le comprennent. L'industrie a adopté il y a 30 ans des politiques qui ont des effets positifs sur la pêche au homard aujourd'hui. J'ai parlé des évents d'échappement, et des panneaux biodégradables afin d'éviter la pêche fantôme; ce sont des mesures positives.
Je sais que vous faites probablement beaucoup de recherche avant la rédaction de vos rapports, et j'ai bien hâte de lire votre rapport, mais je vous incite à lire le rapport que le Lobster Fishery Task Force a produit en 1975. Je pourrais vous en citer quelques extraits de mémoire.
Je remonte loin dans le temps pour faire valoir mon point, mais je crois que l'industrie du homard et les régions que je représente n'ont changé ni le mode de reproduction des homards ni la façon qu'ils sont amenés sur terre. En 1975, le groupe de travail a affirmé qu'il y avait deux populations distinctes de homards, une extracôtière et une côtière, et qu'il n'y avait jamais d'échange entre les deux. Mon grand-père m'a enseigné la pêche côtière. Les grosses femelles pondent leurs œufs, qui flottent sur l'eau. Les petites larves coulent au fond 8 à 10 jours plus tard, et elles assurent ainsi le peuplement des régions côtières près de la Nouvelle-Écosse. Ce processus n'arrête jamais. Les changements dans les politiques apportés il y a 30 ans, notamment l'utilisation des casiers en broche et des dispositifs d'évasion, ont fonctionné. En effet, nous voyons de plus en plus de jeunes homards, et les grosses femelles pondent leurs œufs. Nous constatons que, en raison des changements climatiques, le nombre de mollusques et de crustacés a explosé, et pas seulement les homards, tous les autres aussi.
Nous avons vu l'effet que le moratoire sur la pêche à la morue a eu, et nos pêcheurs disent qu'il pourrait pêcher d'autres espèces. Donnez-leur l'occasion de travailler et d'assurer la stabilité de nos régions. Je pense qu'ils ont les connaissances et l'expertise nécessaires, et la classe politique devrait encourager l'acquisition de données scientifiques afin que nous sachions quoi faire pour assurer la survie de nos communautés.
Le sénateur McInnis : Je ne voudrais pas que vous pensiez, monsieur le ministre, que nous défendons l'instauration d'un régime de quotas. Nous sommes ici pour recueillir des renseignements, je tiens à ce que ce soit clair.
Quels changements proposeriez-vous? Aucun? Le marché est-il saturé? Nous avons parlé des marchés et de l'image de marque. Avez-vous d'autres idées?
M. Belliveau : Il faut être compréhensif et faire preuve de patience envers ces comités consultatifs. Les comités se penchent sur ces questions, ils ont formulé des recommandations au gouvernement fédéral et ils ont tenu un vote sur la réduction des efforts au début de la saison. Certaines initiatives visent à pallier le problème des grandes quantités de prises. Je suis convaincu que l'industrie saura prendre les bonnes décisions, et je répète encore une fois qu'il faut que ce soit les régions et l'industrie qui prennent les initiatives, parce qu'elles sauront prendre les décisions qui s'imposent. J'ai aussi parlé de la recherche scientifique. Nous avons besoin d'argent pour comprendre les phénomènes que l'on constate et pour assurer la prise de décisions éclairées. Les pêcheurs et les régions en tireraient profit.
L'autre enjeu est la commercialisation. Nous continuons de nous fier aux États-Unis, et je m'en réjouis, mais au lieu de continuer d'exporter 80 p. 100 de nos produits dans un marché qui, lui aussi, vit une crise économique, nous devrions nous tourner vers les autres régions du monde. Je pense qu'il y aura 2 milliards de personnes de plus sur terre d'ici 2030, si mes chiffres sont justes. J'estime qu'il s'agit d'une équation toute simple. Le monde a besoin de protéine. Les ressources sont carrément à nos portes, il ne reste donc qu'à mener les recherches scientifiques, qu'à faire les études de marché pour ces nouveaux produits et qu'à profiter des débouchés.
Le sénateur McInnis : Vous avez mentionné l'assurance-emploi, pourriez-vous préciser votre pensée? Quel aspect de la réforme de ce régime pose problème pour les travailleurs saisonniers?
M. Belliveau : Le régime est plus restrictif, voilà le problème, à mon avis. L'industrie des pêches a besoin de travailleurs saisonniers. En résumé, un grand nombre de régions comptent sur une ou deux espèces de homard. Les travailleurs des usines de transformation du hareng sont des plus importants. J'ai aussi parlé de l'importance d'avoir des gens d'expérience sur les bateaux. Je vous incite à venir dans nos régions. Prenez votre appareil photo, allez sur un bateau de pêche et voyez si vous souhaiteriez avoir un membre d'équipage inexpérimenté sur un bateau. Ça n'a tout simplement aucun sens, à mon avis. Il faut protéger cet acquis. Nous voulons que les travailleurs saisonniers aient la chance de rester dans leur région. Si nous acceptons cette réforme et incitons les gens à se rendre ailleurs pour trouver du travail, ils quitteront cette industrie.
Le sénateur McInnis : Je suppose que je comprends mal la politique. Lorsque les travailleurs saisonniers sont licenciés et qu'ils trouvent un autre emploi, ils peuvent ensuite retourner à leur ancien emploi lorsqu'ils sont rappelés au travail. Quel est le problème, s'il y en a un?
Leo Muise, directeur général, ministère des Pêches et de l'Aquaculture, gouvernement de la Nouvelle-Écosse : Permettez-moi de répondre. Le gros du problème, c'est la peur de l'inconnu.
Le sénateur McInnis : Est-ce la peur de l'inconnu ou la méconnaissance de la politique?
M. Muise : Peut-être les deux. Bon nombre de ces travailleurs ont déjà le regard tourné vers l'Ouest et quittent nos régions. L'industrie de la pêche craint surtout que ces travailleurs ne reviennent jamais. C'est de plus en plus difficile de trouver des membres d'équipage dans des régions où d'ordinaire les gens faisaient la file au printemps pour avoir un emploi sur un bateau. De nombreux capitaines m'ont téléphoné pour me dire qu'ils ne savaient plus où chercher pour trouver des travailleurs. Comme le ministre l'a dit, les gens comme moi n'ont pas du tout leur place sur un bateau, vous pouvez me faire confiance. Vous avez besoin d'un équipage entraîné et au fait des règles de sécurité. On a de la difficulté à trouver des travailleurs dans les usines sur les côtes. Comme dans les autres secteurs, il y a bien des gens qui font venir des travailleurs étrangers pour travailler en haute mer.
Le sénateur McInnis : Voilà qui n'a absolument rien à voir avec les modifications apportées à l'assurance-emploi, rien. Il s'agit d'un mythe que plusieurs gouvernements provinciaux s'entêtent à propager. Bien franchement, cette désinformation me révolte parce que c'est faux. Il existe un certain nombre de mythes à ce sujet. Toutes sortes de critiques ont été formulées, mais il faudrait cesser de propager ce mythe.
Le président : Voulez-vous ajouter quelque chose, monsieur Muise?
M. Muise : Peut-être qu'il s'agit d'un mythe, peut-être que non, mais je peux vous dire que, parfois, les apparences sont la réalité. Toutes les communautés en parlent. Les gens ont peur et sont nerveux.
Le sénateur McInnis : C'est un mythe, et vous savez quoi? Je n'ai pu m'empêcher de communiquer avec des fonctionnaires du ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences afin de leur en parler. Six mythes sont colportés à ce sujet, et ils sont faux, tout simplement faux. Je peux vous les obtenir, et je le ferai.
M. Muise : Merci.
Le sénateur McInnis : Je me dois de parler de l'aquaculture, que le Conseil canadien du homard a qualifié d'activité la plus préjudiciable à l'industrie de la pêche au homard lorsqu'il a comparu devant nous il y a un certain temps.
Monsieur le ministre, je ne m'attarderai pas sur les détails de la récente annonce selon laquelle Sobeys envisage cesser la vente de saumon de mer et des autres différends entre diverses parties dont vous êtes sans doute au courant. Je trouve intéressant que vous ayez réclamé plus de recherche scientifique, alors qu'un certain nombre d'associations néo- écossaises, dont une que j'ai présidée par le passé, ont réclamé, en vain, plus de recherche scientifique du gouvernement provincial. Il y a eu très peu d'engagement public, voire aucun. On s'attend maintenant à apprendre que de nouveaux enclos seront installés sur la côte est, ce qui s'avérera fort problématique. Lorsqu'un gouvernement en partenariat avec une organisation qui s'occupe d'installer les enclos fait une annonce juste avant la veille de Noël comme quoi ces cages seront posées, cela suscite toutes sortes d'opinions divergentes.
Vous êtes pour, je comprends; vous l'avez affirmé. Cependant, quand un si grand nombre de particuliers et de groupes, plus de 100, sont contre, ne pensez-vous pas que des personnes raisonnables voudraient se réunir, prendre le temps de discuter et envisager attendre un an ou deux pour pouvoir analyser et vérifier les données scientifiques disponibles? Où est le feu? Il ne fait aucun doute, comme vous l'avez mentionné, que le besoin en protéines dans le monde ne cesse de croître. Cependant, ne pourrions-nous pas procéder comme il se doit en consultation avec le public? C'est ce qu'a dit le Conseil canadien du homard dans sa présentation chargée d'émotions.
Il y a quelque chose qui m'échappe. Vous avez parlé de consultation avec le gouvernement fédéral. Vous voulez que le fédéral parle à l'industrie, ce que nous comptons bien faire, mais pourquoi est-ce la situation contraire, en l'occurrence?
M. Belliveau : C'est une question intéressante. Aucune décision n'a été prise concernant la côte est. Un processus a été enclenché, et nous l'évaluons.
Je suis heureux que vous ayez posé cette question. J'aimerais revenir au 6 novembre 2012. M. Stewart Lamont, le représentant du Conseil canadien du homard dont le sénateur a parlé, a dit ceci :
On utilise couramment des pesticides pour lutter contre le pou du poisson qui parasite le saumon d'élevage, et ces produits peuvent s'avérer mortels pour les jeunes homards.
Je tiens à vous dire qu'on vous a induit en erreur ce soir-là. L'information soumise était trompeuse. Cela fait 10 ans qu'on a cessé tout traitement contre le pou du poisson en Nouvelle-Écosse. Je tiens à l'affirmer aux fins du compte rendu. Merci de m'avoir posé la question; je tâcherai, dans ma réponse, d'aborder plusieurs points.
On n'est pas pressé de s'attaquer à cette question en Nouvelle-Écosse. D'ailleurs, depuis mon entrée en fonctions il y a quatre ans, deux sites ont été approuvés. J'aimerais parler un peu de l'empreinte. J'aimerais démontrer comment la stratégie sur l'aquaculture tient compte des préoccupations du secteur des pêches. Nous avons vraiment pris la peine de prévoir les mesures de protection nécessaires. Quiconque menace l'environnement de quelque façon que ce soit se verra retirer son permis par le ministre. Nous prenons la chose au sérieux. L'environnement est protégé. En réponse à la question de l'empreinte soulevée par le sénateur, je tiens à faire remarquer qu'on compte prendre le temps qu'il faut pour bien comprendre l'aquaculture et ses applications en Nouvelle-Écosse. En moyenne, les demandes prennent 36 mois à traiter. L'empreinte en Nouvelle-Écosse est telle que tous les élevages de saumon rempliraient seulement un dixième du bassin de Bedford. Comme j'ai été pêcheur, je comprends les proportions de la province et connaît ses 13 000 kilomètres de côte. À l'époque où je me réveillais à quatre heures du matin, je naviguais 50 miles au large de la côte ouest. C'est la distance que les pêcheurs de homard côtiers doivent naviguer — comparé à l'immensité de l'océan, il faut comprendre combien l'empreinte de l'aquaculture est petite.
J'aimerais dire une dernière chose au sujet de l'aquaculture, monsieur le président; j'ai eu le privilège de parler à un pêcheur lorsque je m'étais rendu à la baie Ste-Marie, pas loin de Digby, il y a deux ans pour rendre une décision. Il a assisté à ma conférence sur les pêches il y a quelques jours. Je lui ai demandé s'il m'accorderait le privilège de mieux comprendre ses préoccupations concernant l'aquaculture. Il m'a répondu : « Monsieur Belliveau, je peux vous prouver et vous montrer que mes prises sont passées de 30 000 livres de homard il y a trois ans à 50 000, puis à 80 000, là où des cages à saumon ont été posées. »
Nous pourrions soumettre au comité, aux fins d'examen, des chiffres illustrant que la salmoniculture n'a eu aucun impact sur la valeur des prises de homard dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, dans la baie de Fundy. J'espère avoir répondu à certaines de vos questions.
Le sénateur McInnis : J'aimerais illustrer à quel point cet argument à propos de la côte est fallacieux. Vous l'avez déjà exprimé par le passé. J'ai quelque chose à vous dire. Pope Harbour, où l'on prévoit installer un enclos de 18 hectares, fait moins d'un kilomètre de long. On ne parle pas de 13 000 kilomètres, mais bien de moins d'un kilomètre. C'est la même chose à Spry Harbour. On ne parle pas d'une étendue de 13 000 kilomètres, ou encore de 1 000 kilomètres, mais de moins d'un kilomètre, directement en face d'où les gens habitent. Vous n'avez pas été capable de fournir des preuves scientifiques, et vous ne semblez pas disposé à le faire.
Il est important pour le comité, quel que soit le sujet à l'étude, de bien comprendre ce qui explique l'absence d'un dialogue ouvert. C'est tout ce que nous demandons, que vous ayez raison ou non, mais cessez d'affirmer qu'il y a 13 000 kilomètres de côte. On pourrait faire cet argument si les enclos étaient installés en mer, mais en l'occurrence, ils sont installés dans des baies sans qu'on n'ait encore démontré si la pratique est polluante ou non.
Le président : C'est une discussion intéressante, et il est fort probable que notre prochaine étude porte sur l'aquaculture; nous nous réjouissons à l'idée de tenir des audiences en Nouvelle-Écosse.
Le sénateur MacDonald : Merci d'avoir comparu devant nous aujourd'hui, monsieur le ministre.
J'ai quelques questions à poser à propos du homard. Le nombre de prises a beaucoup augmenté dans la province. Mes amis qui pêchent le homard dans ma localité me disent que c'est une activité qui rapporte; je ne veux pas nécessairement dire qu'elle est lucrative, mais plutôt que les prises sont nombreuses.
Il y a lieu de supposer que c'est l'offre et la demande qui déterminent le prix de ces homards. Il y a également lieu de supposer que la loi des rendements décroissants se fera un jour sentir et que le nombre de prises diminuera.
Vous avez parlé du changement de la température de l'eau et des autres phénomènes du genre qui ont contribué au nombre de homards, mais les scientifiques nous disent que l'absence de prédateurs de jeunes homards, comme la morue, contribue également à la tendance. Si nous réussissons à rétablir les stocks de morue comme nous le souhaitons, il va peut-être falloir accepter que les prises de homard diminueront.
Tout cela me ramène à certain des points que vous avez faits à propos des quotas. Je n'ai pas vraiment d'opinion à ce sujet. Je m'intéresse plutôt à ce que pensent les gens. Vous avez dit que l'imposition d'un système de quotas pour le homard anéantirait les collectivités touchées. Personne ne souhaite que cela arrive, mais j'aimerais que vous éclairiez ma lanterne. Les quotas de crabe sont très courants. Les pêcheurs de crabe peuvent atteindre leur quota en 10 jours. Pourquoi les quotas de crabe n'ont-ils pas le même effet dévastateur que les quotas de homard? J'aimerais connaître la différence.
M. Belliveau : Avant tout, je pense qu'il faut bien comprendre l'industrie de la pêche au homard et savoir qu'un grand nombre d'habitants en dépendent. Par souci de conservation, le nombre de casiers qu'ils peuvent poser est limité. Cette limite est déterminée en fonction de certains facteurs, notamment l'effort de pêche qu'ils peuvent déployer. Le régime est rigoureusement contrôlé, et ce, depuis 30 ou 40 ans. À mon sens, la politique de conservation des stocks de homard est essentielle, et comme nous l'avons constaté, elle a donné lieu à une hausse des prises.
Notamment, dans mon discours, j'ai parlé de l'ouverture à d'autres marchés dans le monde. J'estime que le potentiel est là. Il faudra du temps au stock de morue pour se reconstituer.
Le sénateur MacDonald : Je cherche à comprendre. Ce n'est pas que je ne suis pas d'accord avec vous, mais j'aimerais comprendre exactement pourquoi un système de quotas affecterait davantage le secteur du homard que celui du crabe. Il doit bien y avoir une raison.
M. Belliveau : J'ai mentionné que beaucoup de pêcheurs pratiquent la pêche au homard. Si on devait leur imposer un quota, leur nombre diminuerait considérablement. D'après ce qu'on a constaté ailleurs dans le monde, l'établissement d'un système de quotas rend les pêcheurs très compétitifs. Le nombre de pêcheurs indépendants diminuera.
Je vous conseille d'aller dans les provinces atlantiques avant de rédiger votre rapport et de parler aux habitants de ma province, aux acheteurs, aux transformateurs. Ce sont les pêcheurs indépendants qui leur fournissent tous leurs produits. S'ils disparaissent, le système commencera à s'effondrer, le nombre d'acteurs continuera de diminuer et les entreprises prendront le contrôle du marché.
Le sénateur MacDonald : Je ne parle pas des entreprises. Dans votre rapport, vous parlez de séparation des flottilles, de propriétaires-exploitants. Tout le monde que je connais, notamment les membres du comité que je connais, semble s'opposer catégoriquement à cela et dire qu'on est loin d'un consensus. Je ne parle pas de propriétaires-exploitants.
Les prises de crabe ne devraient-elles pas être soumises à un quota? Devrait-on changer le système? J'aimerais que vous éclairiez ma lanterne.
M. Muise : La différence, c'est que pas tout le monde détient un permis de pêche au crabe. Ces permis sont limités. Dans les années 1980 et 1990, c'était une pêche sous-exploitée. Si tous les pêcheurs au homard avaient un permis de pêche au crabe, la dynamique changerait complètement.
Les pêcheurs au homard à qui j'ai parlé craignent notamment que les quotas seront transférés — c'est d'ailleurs le but du système — et qu'il y aurait des gagnants et des perdants. Certaines localités seraient gagnantes parce que leurs habitants iront chercher d'autres quotas, et puisque le homard est une ressource limitée, dès qu'un quota fixé est atteint, les gens iront pêcher autre chose.
Une des belles choses à propos de la pêche au homard en Nouvelle-Écosse, c'est qu'elle se pratique à Bay St. Lawrence, à Pubnico, et partout ailleurs. Exception faite de la zone de pêche 34, où la concentration de pêcheurs est plus élevée, les pêcheurs sont assez également répartis dans le reste de la province. Ce qu'ils craignent plus que toute autre chose, c'est qu'un plus petit nombre de pêcheurs accumulent plus de quotas; est-ce une bonne ou une mauvaise chose? Tout dépend de votre philosophie.
Le sénateur MacDonald : L'industrie de la pêche au homard est l'épine dorsale du secteur des pêches en Nouvelle- Écosse. Il est essentiel qu'elle soit bien gérée. Nous le savons. Nous savons combien elle est importante.
J'aimerais parler des exportations de homard. Vous avez affirmé que les exportations vers la Chine ont augmenté de 200 p. 100 en 2011. Si on exporté une livre de homard l'année d'avant, on en a exporté 200 cette année. Ça ne me dit pas grand-chose, cependant. Quelle quantité de homard avons-nous vendu à la Chine?
M. Muise : Le pourcentage de prises exportées en Chine est toujours plutôt bas. Je m'avance un peu.
Le sénateur MacDonald : Ce n'est pas le pourcentage qui m'intéresse, mais plutôt la quantité.
M. Muise : Elles représentent peut-être 5 à 6 p. 100 des débarquements. La Chine est un marché émergent. Son ouverture a beaucoup à voir avec les voies de transport. Le Conseil du homard et d'autres parties intéressées à qui j'ai parlé m'ont dit qu'on ne peut pas se permettre de négliger ce marché. Il faut l'explorer.
Le homard est un produit que l'on trouve seulement du Massachusetts jusqu'à Terre-Neuve, disons. C'est un produit le luxe. C'est un luxe de pouvoir se permettre de manger du homard; nous en avons presque fait une denrée rare. Ça n'a pas été facile, et j'ignore exactement comment nous en sommes arrivés là, mais nous avons certainement des avantages naturels. Nous avons un produit de luxe à notre disposition. Il existe seulement dans certaines régions de la Nouvelle-Angleterre et du Canada, et nous devons trouver une façon d'encourager le reste du monde à l'acheter, parce que vous avez raison. Toute diminution des prises aura une incidence sur les prix. L'idéal serait de maintenir un prix fort tout en maintenant un nombre élevé de prises, comme ça tout le monde est gagnant.
Le sénateur MacDonald : J'aimerais continuer avec le ministre. Vous avez encouragé le gouvernement fédéral à s'intéresser davantage à la commercialisation du homard à l'étranger, disons en Chine ou en Asie du Sud-Est. Ces produits sont achetés par des entrepreneurs privés et revendus. Selon vous, comment le gouvernement pourrait-il intervenir dans leur commercialisation? Quand on parle d'oeufs, ou encore de blé, qui sont vendus par l'entremise d'un office de commercialisation qui fixe le prix d'achat et revend le produit à l'étranger, on peut comprendre comment le gouvernement est naturellement en position d'intervenir, mais j'aimerais savoir quel rôle, selon vous, le gouvernement pourrait jouer dans des transactions privées.
M. Belliveau : J'estime, en l'occurrence, qu'on devrait joindre le geste à la parole. Je m'excuse, mais c'est mon interprétation. Je trouve que le gouvernement devrait prendre un engagement financier. Nous avons la possibilité de diversifier nos exportations et d'explorer de nouveaux marchés. Notre gouvernement a contribué à l'expansion de l'aéroport international de Halifax pour que de gros porteurs commerciaux puissent y atterrir. J'estime qu'il y a de nouveaux marchés à exploiter; nous continuons de dépendre des mêmes marchés, et je pense vraiment que le gouvernement devrait prendre un engagement financier, notamment en vue d'aider notre province à lancer certains projets ou à collaborer avec le Conseil canadien du homard.
Le sénateur MacDonald : Pensez-vous que le gouvernement provincial devrait lui aussi participer à cet effort?
M. Belliveau : Il y participe. Nous avons établi le Conseil du homard, et nous sommes dévoués au dossier. J'en reviens à pourquoi nous sommes ici. Nous savons que la recherche joue un rôle important dans la diversification, notamment pour contribuer à la stabilité de nos collectivités en ces temps difficiles. Nous effectuons des investissements afin de trouver de nouvelles espèces pour aider ces collectivités.
Il faut faire preuve de volonté politique à cet égard. Il faut que nous ayons la volonté politique d'assurer la stabilité de ces collectivités à l'avenir. Ce qu'il faut retenir en arrivant à une décision, c'est que les pêcheurs veulent encore pouvoir pêcher dans 15 ou 20 ans.
Le sénateur MacDonald : Y aura-t-il des élections en Nouvelle-Écosse cette année?
M. Belliveau : Je pense que je vais laisser le premier ministre répondre à cette question pour moi.
Le président : Ce sera une des recommandations du comité.
Le sénateur Oliver : Ma question porte sur la recherche. Au début de votre discours vous avez parlé des annonces inquiétantes du gouvernement fédéral, et ensuite vous avez dit que l'augmentation de la température des océans a entraîné une explosion de mollusques et crustacés. Vous avez également dit que selon le Conseil du homard, dont vous avez contribué au financement, il faudra notamment se concentrer sur la traçabilité et la mise en valeur de la marque du homard, ce qui est très important.
À mon avis, la recherche et le développement continus sont essentiels au succès d'une entreprise ou d'une industrie. Il faut rester à l'avant-garde pour continuer à faire de l'argent. L'industrie ne peut y parvenir à elle seule. Les provinces doivent elles aussi contribuer, notamment au financement.
Vous avez dit, par exemple, qu'il y a des possibilités de développement de la pêche de nouvelles espèces, comme le crabe caillou, le crabe vert, le bulot, la mousse d'Irlande, la myxine et la palourde. À cet égard, j'aimerais savoir ce que fait le gouvernement de la Nouvelle-Écosse pour contribuer à la recherche et au développement et aider les pêcheurs côtiers à diversifier leurs activités afin de pouvoir pêcher autre chose que le homard.
Si j'étais ministre, j'aurais avant tout envisagé une collaboration avec le milieu universitaire. J'aurais demandé de l'aide aux associations industrielles et j'aurais mis de l'argent de côté dans le budget pour mettre les chercheurs dans le domaine à contribution.
J'aimerais savoir ce que vous avez fait pour aider les pêcheurs de homard néo-écossais à diversifier leurs activités et à tirer profit de cette explosion de mollusques et de crustacés que nous ne pêchons pas.
M. Belliveau : Très bonne question. Nous avons commencé par écouter les pêcheurs. J'ai parlé de crabes caillou, dont j'ai une photo ici. Les pêcheurs en ont constaté une biomasse considérable; ils ont présenté une demande mais se sont heurtés à un mur. Le ministère fédéral des Pêches les refuse, affirmant que la recherche scientifique date de 15 ou 20 ans.
Le sénateur Oliver : Parlons du crabe caillou. Quelle est sa biomasse? En tonnes?
M. Belliveau : Je n'ai pas cette information avec moi, mais je peux vous dire que c'est ce qu'ont constaté les pêcheurs tout le long du Plateau néo-écossais, du cap Breton à la baie de Fundy. Tous les jours, ils en trouvent 200 ou 300 livres dans leurs casiers à homard. Il ne fait aucun doute quant à l'existence de la biomasse. On ne retrouvait jamais de telles espèces par le passé. Là où je veux en venir, c'est qu'il faut mettre la recherche scientifique à jour.
Le sénateur Oliver : Voilà qui touche au coeur de ma question. La science est importante. La science est essentielle au succès, et la recherche coûte de l'argent; je pense que la Nouvelle-Écosse a la responsabilité d'affecter des fonds et d'encourager la collaboration avec des chercheurs universitaires. Quelles démarches faites-vous?
M. Belliveau : Nous avons pris un engagement financier à l'égard de la recherche sur deux espèces. Je pourrais vous en nommer 10 autres, voire plus, mais nous en avons cerné deux. Puisque le gouvernement fédéral a compétence sur ces espèces en développement, j'estime qu'il devrait s'asseoir avec les autres parties et affirmer qu'il est disposé, dans un esprit de collaboration, à s'engager à verser une contribution identique afin de pouvoir élargir la recherche à quatre ou encore six espèces. C'est ainsi qu'on pourra établir de nouvelles pêches qui viendront s'ajouter à la pêche au homard.
Le sénateur Oliver : Vous allez donc vous intéresser à deux espèces.
M. Belliveau : C'est cela.
Le sénateur Oliver : Quelles sont-elles et combien d'argent avez-vous investi?
M. Belliveau : Nous cherchons à comprendre. Nous avons décidé de nous intéresser d'abord au crabe caillou.
Le sénateur Oliver : Avez-vous mis de l'argent de côté dans le budget?
M. Belliveau : Aucune somme n'a encore été affectée; nous voulons tout d'abord attirer l'attention du gouvernement fédéral. Il est intéressant que votre rapport soit presque fini. De notre côté, nous avons pris un engagement financier à l'égard de deux espèces, et nous nous attendons à ce que vous reconnaissiez, dans votre rapport final, qu'il serait raisonnable pour le gouvernement fédéral d'affecter une somme égale, dans l'intérêt des collectivités de pêcheurs.
Nous aimerions être en mesure de prendre un engagement ferme à l'égard du crabe caillou. Voici une liste des autres espèces, pour vous donner une idée. Si vous le permettez, monsieur le sénateur, nous avons la possibilité de développer cinq ou six espèces, ce qui créera des emplois dans les collectivités côtières; une telle initiative serait un franc succès.
Le sénateur Oliver : Dans votre ministère, avez-vous mis de côté une somme d'argent, disons pour le crabe caillou, votre premier choix? Êtes-vous disposé à investir une somme de 5 millions de dollars dans la recherche et le développement du crabe caillou sur une période de trois ans? Pouvez-vous nous aider en nous donnant un montant?
M. Belliveau : Nous n'avons pas encore fixé le montant. Je voulais avant tout attirer votre attention, l'attention du comité sénatorial permanent, et voir si vous preniez la question au sérieux. Nous avons pris un engagement à l'égard de deux espèces; à mon avis, il suffit de conclure un type d'entente, comme un protocole d'entente, pour passer à l'étape suivante. Je peux vous dire que les collectivités en questions seraient très reconnaissantes, et je pense que nous avons une bonne occasion d'assurer leur stabilité.
M. Muise : Si je puis citer un exemple concret, il y a une entreprise dans la ville natale du sénateur MacDonald, Louisbourg, qui cherche à se lancer dans la pêche aux palourdes extracôtière, plus précisément la pêche à la mactre d'Amérique; elle travaille étroitement avec nous et avec l'université du Cap-Breton. À nous tous, je peux vous dire qu'on est loin d'avoir dépensé 5 millions de dollars.
Le sénateur Oliver : Plusieurs groupes s'intéressent à la pêche à la mactre d'Amérique, cependant.
M. Muise : Nous avons un budget d'environ 250 000 $ pour la recherche scientifique liée au homard. Nous travaillons à Cheticamp et dans de plus petites localités. Il s'agit souvent de petits projets avec de simples chercheurs universitaires. Nous travaillons principalement avec l'Université de Moncton, Dalhousie et l'Université du Cap- Breton. Comme leur financement est limité, elles n'entreprennent aucun projet de plusieurs millions de dollars, mais c'est un début. Avec un peu d'argent, on peut parfois en obtenir un peu plus et se rapprocher de ses objectifs. Nous aimerions pouvoir accomplir davantage, cependant.
Le sénateur Oliver : La recherche que vous avez effectuée sur la mactre d'Amérique vous laisse-t-elle penser que la biomasse est suffisante pour intéresser les pêcheurs côtiers?
M. Muise : Il semble que oui.
Le sénateur Raine : Je ne comprends pas tout à fait comment les saisons sont établies. Il me semble qu'il faudrait les ajuster à la lumière de l'augmentation de la température des océans. Comment avez-vous progressé à cet égard?
M. Belliveau : Très bien. Il reste certains points à éclaircir concernant le mois d'août, la mue. J'en reviens aux températures élevées. Le phénomène est propre à la région. J'ai une carte qui pourrait intéresser le sénateur. Les saisons ont été fixées par nos ancêtres il y a plus de 150 ans; ils ont visé juste. Compte tenu des changements climatiques, il faudra probablement les réviser. Celles dont je parle sont celles où la pêche se poursuit jusqu'en août. Dans ces cas, c'est au district ou à la région d'examiner la question au cas par cas. Les homards sont très vulnérables durant la mue.
En conclusion, j'aimerais dire que nos ancêtres ont établi ces politiques dans des sous-sols d'églises et des centres de loisir. Ils ont parfaitement établi les saisons. Il y a 30 ans, les pêcheurs ont encore une fois visé juste lorsqu'ils ont commencé à utiliser les panneaux de sortie et panneaux biodégradables. Ils ont visé juste, et il faut à nouveau écouter les pêcheurs pour prendre les bonnes politiques pour les générations à venir.
Le sénateur Raine : Il y a un moyen établi d'entendre ce que les pêcheurs ont à dire à propos des saisons, mais qu'en est-il de l'impact de l'aquaculture sur la pêche au homard?
M. Belliveau : Les pêcheurs de homard sont nombreux dans toutes les régions et tous les districts; ils nous parlent. Nous consultons l'industrie à propos de l'aquaculture. Toute demande fait l'objet d'un processus de consultation et d'une évaluation. Nous prenons le temps de consulter les habitants. Croyez-moi, en tant que pêcheur, je suis très fier de notre stratégie sur l'aquaculture. Je vous demande de l'étudier; nous l'avons rendue publique en mai dernier. Elle tient compte de l'environnement et des pêches traditionnelles. Je peux vous assurer, monsieur le président, que nous avons pris bien soin de veiller à la protection des pêches traditionnelles et de l'environnement. Nous sommes convaincus que l'aquaculture est une bonne chose pour nos collectivités, tout comme l'industrie de la pêche au homard.
Nous devons prendre les bonnes décisions et dresser les bonnes politiques pour assurer la protection de nos pêches traditionnelles et de nos collectivités.
Le président : Merci, ministre Belliveau et monsieur Muise. Ce fut une des conversations les plus intéressantes que nous avons eues. Dommage que nous n'ayons pas pu aborder un plus grand nombre de questions. Merci d'avoir pris le temps de comparaître devant nous. Nous avons hâte de terminer notre étude et de formuler certaines recommandations pour appuyer cette importante industrie pour les provinces.
Nous reprendrons à huis clos après une pause de cinq minutes.
(La séance se poursuit à huis clos.)