Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 1 - Témoignages du 3 octobre 2011
OTTAWA, le lundi 3 octobre 2011
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 16 h 1 pour étudier les politiques, pratiques, circonstances et capacités du Canada en matière de sécurité nationale et de défense et en faire rapport.
Le sénateur Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Comme vous le savez, nous avons eu l'année dernière un programme très vaste. Nous poursuivrons aujourd'hui notre étude portant très particulièrement sur les questions liées à la transformation et la force de réserve.
Pendant des années, les Forces canadiennes ont été insuffisamment financées et équipées, au point où le général Hillier, alors chef d'état-major de la Défense, avait parlé d'une « décennie de noirceur ». La situation a commencé à changer après les attentats du 11 septembre 2001, surtout à cause de la guerre en Afghanistan. Aujourd'hui, notre présence dans ce pays vise essentiellement la formation, mais elle est également conditionnée par l'évolution de notre situation financière.
Tous les ministères fédéraux, y compris la Défense nationale, doivent procéder à des réaffectations de fonds dans le cadre d'un examen stratégique. Il y a également un examen stratégique et fonctionnel.
Notre premier témoin, le lieutenant-général Andrew Leslie, ancien commandant de la Force opérationnelle à Kaboul, ancien commandant adjoint de la Force internationale d'assistance à la sécurité en Afghanistan et, plus récemment, chef d'état-major de l'Armée de terre, nous parlera de la transformation et des questions financières.
Au cours de l'année dernière, le général Leslie a dirigé un groupe chargé d'un exercice de transformation qui a recommandé d'apporter quelques changements fondamentaux au fonctionnement du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes. L'exercice avait pour but de réaliser des économies et de réaffecter du personnel et des fonds du quartier général de la Défense nationale afin de répondre aux besoins opérationnels et aussi de contribuer à l'élaboration d'une nouvelle vision des forces armées modernes.
Nous entendrons plus tard l'auteur d'un autre rapport sur la réorganisation de la réserve. Toutefois, nous allons commencer par souhaiter la bienvenue au général Andrew Leslie. Avez-vous un exposé préliminaire à nous présenter, monsieur?
Lieutenant-général (à la retraite) Andrew Leslie, à titre personnel : Oui, sénateur, si vous le voulez bien.
La présidente : Je vous souhaite la bienvenue, général. Je sais que vous n'avez pas beaucoup de temps.
Lgén Leslie : Sénateurs, la transformation concerne d'abord et avant tout l'avenir. Il s'agit de réduire le superflu, d'investir dans les troupes de première ligne et de dégraisser les Forces canadiennes et le ministère de la Défense nationale pour que nos forces soient mieux en mesure de réagir et qu'elles soient plus faciles à déployer. Les Forces canadiennes ont accompli des choses extraordinaires au cours de la dernière décennie, aussi bien au Canada qu'à l'étranger, tant en combattant qu'en sauvant des vies. Toutefois, les exploits d'aujourd'hui ne garantissent pas les succès de demain. La conjoncture économique internationale n'est guère réjouissante et ce qui se produit ailleurs a une incidence chez nous. Comme l'a mentionné la présidente, le MDN et les FC doivent s'attendre à assumer une part proportionnelle de la réduction du déficit afin de mieux garantir la sécurité financière de notre pays.
Nous devons nous montrer plus agiles, plus déployables et plus aptes à intervenir. Nos ressources diminueront légèrement. L'hypothèse sur laquelle s'est fondé le travail de l'équipe, c'est que nos forces s'articulent autour de nos gens, de leur équipement et de leur entraînement.
Tous ces aspects sont de plus en plus coûteux et doivent être axés sur la production de capacités adaptées à l'endroit où le gouvernement jugera bon de nous envoyer. Nous devrons réduire le superflu et investir dans les résultats; nous devrons réduire notre taille, amenuiser les échelons supérieurs et intermédiaires tout en protégeant et en finançant les différents systèmes afin que le personnel des navires, des bataillons et des escadrons d'aéronefs — de la force régulière et de la réserve — puissent exécuter les travaux difficiles et souvent dangereux dont les Canadiens sont véritablement fiers. Bref, nous allons devoir diminuer les arrières d'aujourd'hui tout en investissant dans la frappe de demain.
Le grand principe qui nous guidait était de tenir compte de chaque dollar dépensé dans notre recherche de l'efficacité opérationnelle. Notre but était de proposer au ministre, au chef de l'état-major et au sous-ministre des moyens d'assurer davantage d'efficacité et d'efficience.
Le deuxième principe, c'est que nous devons veiller à ce que les résultats essentiels actuels et futurs des Forces canadiennes — c'est-à-dire les jeunes Canadiens bien entraînés des bataillons, des régiments et des navires ainsi que les pilotes d'aéronefs et le personnel de soutien au sol — soient, dans toute la mesure du possible, à l'abri d'éventuelles réductions découlant de déplacements internes ou de diminutions globales du financement.
Le troisième principe était d'établir les faits concernant notre croissance depuis 2004. Pour le faire, nous avons utilisé trois points de données dans le temps — 2004, 2007 et 2010, afin d'être en mesure de tracer une courbe de tendance. L'une des conséquences que nous souhaitions était de réduire le plus possible le facteur émotif qui, à notre avis, ne manquerait pas de se manifester dans le cadre de la transformation.
Comme je l'ai déjà dit, le but était de déterminer les possibilités de réduction du superflu et d'amélioration de l'efficacité, afin de permettre un réinvestissement interne des ressources pour répondre aux besoins opérationnels de l'avenir. En effet, la transformation concerne d'abord et avant tout l'avenir.
Nous avons commencé il y a 10 mois. En tout premier, nous avons recueilli des données et avons discuté avec des experts en développement et beaucoup d'autres gens du quartier général de la Défense nationale. Nous avons cerné les secteurs qui auront besoin d'investissements tout de suite ou dans un proche avenir : l'Arctique, une escadre aérienne expéditionnaire, les Rangers canadiens — qui font du si bon travail —, des investissements dans la cyberdéfense, l'espace, les opérations spéciales, les centres déployables de renseignement de toutes sources, les spécialistes du renseignement, les équipes de mesures contre les IED, la défense nucléaire, biologique et chimique, le retour des marins en mer — j'en dirai davantage à ce sujet plus tard —, le renvoi dans les manèges militaires des superviseurs de la réserve qui occupent des postes à temps plein dans les quartiers généraux pour qu'ils recommencent à assumer un rôle de leadership à temps partiel dans chaque bataillon et régiment, et bien sûr l'augmentation de l'effectif du personnel de soutien déployable.
Le total auquel nous avons abouti est un investissement futur d'environ 3 500 membres de la force régulière. Cela constitue le point de départ de notre travail consistant à trouver 3 500 membres de la force régulière, notamment dans les quartiers généraux, à renvoyer sur le terrain.
Il fallait également trouver à cette fin plusieurs milliers de réservistes et un nombre proportionnel de fonctionnaires.
Sur le plan de la méthodologie, la première priorité consistait à établir les faits. Ceux-ci occupaient quelque 1 400 pages. Il a fallu des mois pour s'en sortir. Nous avons réussi à établir la rigueur analytique nécessaire. J'ai la chance de travailler avec une équipe composée de membres jeunes et brillants allant du grade de colonel et lieutenant-colonel jusqu'à celui de caporal-chef, caporal et simple soldat. Nous avons formé des réseaux consultatifs de transformation et des équipes d'intérêts spéciaux pour aller chercher toutes sortes de détails en se servant de leur bon sens et de leur expérience en vue de parvenir à un certain degré de consensus. Ce n'étaient pas des efforts individuels. Le travail s'est fait sur une base collective.
Nous avons examiné chacune des grandes organisations des FC de façon tant verticale qu'horizontale, l'examen vertical ayant pour but de déterminer les effectifs et les budgets précis de l'armée, de la marine, de l'aviation et d'autres. Nous avons ensuite commencé à regrouper les éléments semblables. Que faisaient exactement les spécialistes en gestion de l'information, en transport et en radar partout dans les FC et le MDN? Nous avions toute une liste. Nous avons examiné et regroupé toutes les méthodes de classification des emplois.
Nous avons ensuite déterminé ce que faisaient nos alliés. Au Canada, nous avons eu beaucoup de chance par rapport à nos amis et alliés sur le plan des conséquences économiques de la crise. Presque tous nos amis et alliés, aux côtés desquels nous avons combattu en Afghanistan et ailleurs, doivent composer avec sensiblement les mêmes problèmes. En fait, la plupart des réaffectations touchant les budgets militaires ont été beaucoup plus sévères que ce que nous pourrions envisager pour l'avenir. Dans certains cas, les réductions globales s'échelonnaient entre 20 ou 30 et 50 p. 100. Et dans beaucoup de cas, ces amis et alliés n'ont eu ni le temps ni les conseils ministériels dont mon équipe a eu la chance de bénéficier, et n'ont donc pas pu procéder aux échanges de vues très animés qui nous ont permis de proposer les options difficiles pouvant mieux positionner les FC et le MDN en vue de l'avenir. Nous sommes préparés. Malheureusement, ils n'ont pas pu le faire, ce qui fait que les conséquences pour beaucoup de nos pays amis et alliés ont été très graves.
Nos principales conclusions sont fondées sur énormément de recherche. Dans l'ensemble, depuis 2004, les contribuables du Canada et le gouvernement ont en principe augmenté le financement du MDN de 51 p. 100. Nous vous en remercions. L'effectif de la force régulière s'est accru de 11 p. 100 ou 6 500 personnes, dont près de la moitié a été affectée à l'armée. J'en suis très reconnaissant parce que j'étais commandant de l'Armée de terre. La plus grande partie du reste est allée à des quartiers généraux ne faisant pas partie de l'Armée de terre. Le nombre de réservistes a augmenté de 23 p. 100, ou 6 651 personnes pour être précis. Il s'agit pour la plupart de réservistes qui occupent des postes à temps plein dans des quartiers généraux au lieu d'assumer un rôle de leadership à temps partiel dans les manèges militaires. La plupart de ces réservistes font du travail administratif dans des quartiers généraux.
Le nombre de civils a augmenté de 33 p. 100, soit 7 300 personnes dont la plupart ont été affectées à des quartiers généraux dans des rôles de soutien. Les « arrières » ont augmenté de 40 p. 100. Il s'agit du personnel de soutien des quartiers généraux, qui joue un rôle important, mais qu'il faut ranger par ordre de priorité relative. La « frappe », c'est-à- dire les unités opérationnelles de première ligne, s'est accrue de 10 p. 100. Je répète, les arrières ont augmenté de 40 p. 100 et la frappe, de 10 p. 100, c'est-à-dire quatre fois moins.
Les contrats de consultants, d'entrepreneurs et de services professionnels coûtent aux contribuables environ 2,7 milliards de dollars par an et représentent au moins 5 000 personnes qui assistent le personnel dans la région de la capitale nationale et dans d'autres quartiers généraux du pays. Tous ces gens travaillent très fort, mais où se situent-ils, dans l'ordre global de priorité, par rapport aux investissements nécessaires pour équiper un navire et s'assurer qu'il dispose des plus récentes technologies pour s'acquitter de sa mission sur des mers lointaines?
Les Forces canadiennes emploient quelque 9 000 réservistes à temps plein, dont la plupart ont été mobilisés pour participer à l'effort de guerre. En grande majorité, ils ont fini par se retrouver dans des quartiers généraux pour remplir des fonctions de soutien. C'est là une augmentation de 4 000 à 5 000 depuis 2004. Un petit nombre de réservistes ont été affectés aux unités de frappe et aux groupes de combat déployés, où ils ont tous fait de l'excellent travail.
Le MDN est une organisation comportant plusieurs couches de bureaucratie militaire et civile qui limitent l'agilité de gestion et la souplesse nécessaires à l'exécution efficace des tâches correspondant aux ressources affectées, comme en témoigne le fait que, chaque année, les fonds inutilisés s'élèvent à des centaines de millions de dollars et que ces fonds sont en hausse.
Le nombre de cadres supérieurs, selon la définition du Conseil du Trésor, a grimpé à un rythme supérieur à celui de la croissance globale du personnel de grade inférieur. Dans la force régulière, le nombre de colonels et de généraux a augmenté dans l'ensemble de 2 p. 100. Dans la réserve, l'augmentation a été de 75 p. 100. La plupart de ces cadres travaillaient à plein temps dans différents quartiers généraux. Dans le cas des civils du groupe EX et des groupes techniques équivalents, l'augmentation a été d'environ 25 p. 100.
En ce qui concerne les recommandations, après avoir beaucoup discuté et brassé de nombreuses idées vraiment brillantes venant d'officiers aussi bien très subalternes que supérieurs, diverses propositions ont été élaborées.
Premièrement, après beaucoup de travail ardu et d'analyse des conséquences de deuxième et de troisième ordres, l'équipe croit qu'il est possible, en améliorant l'efficacité administrative, de réaliser des économies d'environ un milliard de dollars pouvant servir soit à compenser une partie des compressions budgétaires que le gouvernement du Canada pourrait bien nous imposer dans les deux prochains mois, soit à payer la « taxe » qu'on pourrait exiger de nous afin de réduire le déficit. Cet exercice ne sera ni facile ni banal.
Deuxièmement, nous croyons qu'il faudrait réduire assez sensiblement le nombre de quartiers généraux pour libérer du personnel extrêmement précieux — membres de la force régulière et fonctionnaires — et l'affecter aux fonctions de l'avenir que j'ai mentionnées au début de mon exposé.
Nous avons déjà parlé des 3 500 membres de la force régulière à affecter ailleurs. Nous avons déjà parlé de la démobilisation d'un certain nombre de réservistes à plein temps. Nous recommandons que ce nombre représente la moitié de ce groupe, soit 4 500 personnes. Nous proposons non de les congédier, mais de les renvoyer dans les manèges militaires pour y faire du travail à temps partiel, comme nous le leur avions demandé il y a plusieurs années.
Troisièmement, nous recommanderons de réduire d'environ 30 p. 100 sur trois ans la somme de 2,7 milliards de dollars consacrée aux services professionnels et aux entrepreneurs et consultants et de réaffecter quelque 3 500 fonctionnaires à des fonctions de l'avenir ou d'investir les fonds ailleurs.
Enfin, nous recommandons de créer un commandement de soutien interarmées pour augmenter l'efficacité globale d'environ 12 p. 100 dans les trois ou quatre prochaines années, de recibler les quartiers généraux stratégiques sur les fonctions stratégiques plutôt que sur la gestion des activités sur le terrain, de regrouper différents facilitateurs au sein du commandement de soutien interarmées et d'étudier les conséquences de deuxième et de troisième ordres afin de s'assurer de réaliser des économies à investir dans l'équipement de demain.
Pour nous, l'exercice de transformation a été essentiellement une occasion. Nous avons bénéficié de beaucoup d'appui, surtout de la part des intervenants et des membres de l'équipe. Toutefois, dans une entreprise de ce genre, on ne parvient jamais à un consensus à 100 p. 100. Je suis sûr que le rapport est assez détaillé pour que chacun y trouve des éléments qui lui déplaisent.
C'est une occasion. Nous avons là une situation qui nous permet de faire tout notre possible pour dégraisser l'organisation du MDN et des FC, la rendre plus souple et l'axer davantage sur les résultats que sur les processus, pour investir dans notre avenir et pour aider à bâtir une organisation qui deviendra un modèle d'excellence en gestion.
C'est probablement le meilleur moment pour agir. Il faudra sans doute prendre les décisions nécessaires dans quelque temps, sans trop attendre. Il s'agit de décisions dont certains d'entre nous parlent depuis des années, des décisions que nous avons réussi à reporter parce qu'il nous était possible de le faire.
La présidente : Je vous prie de conclure dans les prochaines minutes.
Lgén Leslie : Je vais m'arrêter tout de suite. Je vous remercie de votre attention.
La présidente : Merci beaucoup. Vous nous avez donné un excellent aperçu de la situation. Par souci de clarté — je sais que les choses peuvent paraître un peu confuses parce que beaucoup de rapports ont été produits jusqu'ici —, je voudrais dire que lorsque vous avez entrepris ce processus de transformation, il était censé se limiter à un exercice interne. Avez-vous aussi tenu compte de l'examen stratégique et des compressions envisagées ainsi que de l'examen stratégique et fonctionnel, ou bien vous êtes-vous borné à étudier la transformation en considérant ces examens comme des questions distinctes?
Lgén Leslie : Je dirais, pour répondre à votre question, que c'est le ministre de la Défense nationale qui a animé le processus de transformation. Le mandat de l'étude portait la signature du chef de l'état-major et du sous-ministre. Le processus comprenait le travail déjà fait dans le cadre de l'examen stratégique. En fait, l'un des membres les plus importants de l'équipe — mon partenaire civil ou mon second patron — était lui-même haut fonctionnaire. Ses conseils ont donc été très précieux. Nous avons réfléchi aux conséquences probables de l'ESF, mais, au moment de la signature, nous n'avions pas encore reçu du gouvernement des directives concernant les pourcentages attribués.
La présidente : Vous avez dit que votre rapport susciterait inévitablement des réactions chargées d'émotion. Nous savons tous ce que l'ancien chef d'état-major, Rick Hillier, a dit à ce sujet : Si vous mettez en ouvre ce rapport, vous détruirez les forces armées.
Lgén Leslie : Le général Hillier est un ami. Les amis ont à l'occasion des désaccords, mais cela ne les empêche pas de rester amis. Chacun a droit à son opinion, et c'est certainement le cas du général Hillier.
La bonne nouvelle, c'est que peu après ces commentaires — mais je ne crois pas que ce soit directement à cause d'eux —, le ministre de la Défense nationale — je lui en serai toujours reconnaissant — a rendu le rapport public pour que les Canadiens puissent en prendre connaissance et se faire eux-mêmes une idée. Il a sûrement fallu du courage pour le faire car, inévitablement, si le ministre, le chef d'état-major et le sous-ministre demandent à l'équipe et à moi-même de faire ce genre de travail, c'est-à-dire d'aller chercher des économies, il est évident que les résultats ne seront pas bien accueillis par tout le monde. Dans une organisation aussi vaste et complexe que le MDN, il est inévitable qu'il y ait des éléments manquant d'efficacité et des améliorations à apporter.
J'ai été soldat pendant près de 35 ans. J'ai porté un fusil et j'ai combattu pour mon pays et mes troupes. Je ne recommanderais jamais quelque chose qui puisse détruire les Forces canadiennes.
[Français]
Le sénateur Dallaire : Je profite de l'occasion pour souligner la présence d'un nouveau membre permanent à notre comité, le sénateur Dawson.
Cela dit, lieutenant général Leslie, vous étiez responsable de la transformation, alors que maintenant c'est quelqu'un d'autre qui prend la relève. Quelle sera la méthodologie de mise en marche de toutes vos recommandations? Vous attendez-vous à récolter ce que vous anticipiez de la part du ministre, et particulièrement du sous-ministre et du chef de la Défense, dans l'application de cette transformation, tout en sachant que votre contribution dépendait d'un seul document de politiques, Le Canada d'abord? Autrement dit, comment le gouvernement désire-t-il utiliser les forces à l'avenir en dehors de ce document de référence? Il fallait avoir un peu d'imagination pour deviner la suite des choses. Comment entrevoyez-vous l'étape suivante?
[Traduction]
Vous avez commencé il y a un an. L'année dernière, il y a eu une réduction de 5 p. 100 dont nous ne connaissons pas les détails. Un autre exercice est en cours depuis l'été, à un moment où, à ma connaissance, votre étude était presque terminée. Vous en étiez probablement à la dernière ébauche quand des gens se sont réunis pour déterminer comment les réductions de 5 ou 10 p. 100, ou quel que soit le chiffre, seraient mises en ouvre l'année prochaine.
Ces deux exercices sont-ils vraiment intégrés ou bien ont-ils été réalisés séparément? Vous attendez-vous à faire des choix dans votre transformation pour faire la mise en ouvre, ou bien est-il déjà trop tard pour intervenir?
Lgén Leslie : Je crois que votre question se subdivise en cinq parties. Si je ne réponds pas à toutes, je vous prie de me le rappeler.
En ce qui concerne la mise en ouvre, l'équipe était chargée de remettre le rapport à ceux qui ont signé son mandat, c'est-à-dire le chef d'état-major de la Défense et le sous-ministre.
Le rapport contenait 43 grandes recommandations présentant des degrés variés de complexité et, partant, plus ou moins faciles à appliquer. En même temps, l'examen stratégique — les réductions de 5 p. 100 — était en train de se concrétiser. Nous le savions tous, mais le travail le plus difficile pour atteindre les 5 p. 100 avait déjà été fait. Notre exercice de transformation se fondait sur le travail de réduction stratégique.
Quant à la mise en ouvre, il appartient au gouvernement du Canada d'accepter ou de rejeter les recommandations et d'entreprendre la mise en ouvre. Bien sûr, c'est probablement la tâche la plus difficile. Cette activité doit être menée par le gouvernement du Canada. Elle doit nécessairement être exécutée par le ministre, le chef d'état-major de la Défense, le sous- ministre et tous les agents de soutien du quartier général de la Défense nationale et de l'ensemble des Forces canadiennes. Je ne sais pas où en sont les discussions à ce sujet parce que je suis à la retraite depuis trois semaines et que les choses évoluent très vite au QGDN.
La troisième partie de votre question portait sur la prochaine étape, c'est-à-dire l'examen stratégique et fonctionnel, qui nécessitera des réaffectations budgétaires de 5 ou 10 p. 100. Je ne connais pas encore les chiffres. Je le saurai en même temps que vous lorsqu'on en parlera à la télévision nationale.
Nous avons mentionné dans le rapport sur la transformation qu'il y avait un certain nombre de domaines dans lesquels on pourrait, en faisant l'effort nécessaire, trouver 1 milliard de dollars pour assumer notre part du fardeau. Nos propositions consistent à examiner ce que nous faisons maintenant et à renforcer ce que nous voulons garder, c'est-à-dire essentiellement les résultats opérationnels : les frégates, les groupes de combats, les avions qui livrent le ravitaillement ou qui bombardent des cibles, les hélicoptères, et cetera. Il faut ensuite réduire le superflu pour libérer les ressources tant humaines que financières dont nous avons besoin pour investir dans l'équipement et les activités de demain ou même d'aujourd'hui. Nous ne pouvons pas raisonnablement demander au gouvernement de nous en donner davantage lorsque nous avons de tels effectifs dans les quartiers généraux, comme en témoigne la croissance depuis 2004.
Je vais vous donner quelques exemples. Près de 20 000 personnes sont rémunérées par le MDN dans la région de la capitale nationale. L'effectif de la Marine royale canadienne n'atteint pas ce chiffre. Nous avons à Ottawa plus de gens faisant du travail de quartier général ou l'équivalent que nous n'en avons dans toute la marine royale canadienne. Or il manque à la marine près d'un millier de matelots. Nous savons où les trouver. Ils sont ici à Ottawa faisant du travail administratif. Ce travail est-il important? Oui, mais comment cette importance se compare-t-elle à la navigation d'une frégate? Voilà en quoi consiste la transformation : prendre ce que nous avons aujourd'hui, faire des choix d'une certaine difficulté et investir dans l'avenir.
[Français]
Et la cinquième question, je l'ai oubliée.
[Traduction]
Le sénateur Dallaire : Pour être précis — vous en avez parlé vous-même —, l'examen en cours visant des économies de 5 et de 10 p. 100 a été réalisé en juillet, en août, et cetera. Vous en étiez aux derniers stades de votre rapport. Y a-t-il eu des interactions du côté du sous-ministre? Y a-t-il eu des interactions du côté du chef d'état-major lorsque vous avez présenté vos propositions? Quand vous avez recommandé cette importante restructuration, vous deviez avoir déjà envisagé un plan de mise en ouvre ou des points de repère. Vous ont-ils donné certaines indications? Vous les avez tenus au courant. Vous ne leur avez certainement pas présenté cette restructuration de but en blanc. Ils savaient ce que vous étiez en train de faire. Avez-vous eu l'impression qu'ils étaient disposés à prendre cette orientation, ou bien y avait-il des réticences à cause des compressions budgétaires qu'ils envisageaient parallèlement à votre travail?
Lgén Leslie : C'est une période très occupée pour ceux qui travaillent au quartier général de la Défense nationale. Comme vous l'avez mentionné, sénateur, diverses pressions se sont exercées, et nous en voyons les résultats aujourd'hui.
[Français]
Dès que j'ai soumis le rapport, je suis parti en vacances. Pendant que j'étais en vacances, j'ai compris que le ministre adjoint et le chef de la défense avaient établi un groupe, sous le leadership du...
[Traduction]
... vice-chef d'état-major de la Défense et du sous-ministre délégué, pour commencer à examiner les détails des modalités d'intégration des idées liées à l'examen stratégique et fonctionnel et des grandes lignes de la transformation, ce qui constitue du bon travail. Quant aux détails, je dois dire que je ne les connais pas.
[Français]
Le sénateur Nolin : Bonjour, il me fait plaisir de vous revoir. Lors de vos travaux, je présume que vous êtes entré en contact avec certains de nos alliés pour voir ce qu'ils faisaient. Je n'ai pas lu complètement votre rapport, mais avec ce que j'en ai lu, je ne peux pas me sortir de la tête l'exemple du Danemark. Je comprends que le Danemark est un plus petit pays et que sa stratégie militaire est différente de la nôtre. Cependant, c'est un allié que nous connaissons bien. Il y a moins de 150 personnes, incluant les militaires, qui travaillent au quartier général de la force militaire au Danemark. Je présume que vous deviez avoir en tête un exemple comme celui-là lorsque vous avez commencé votre travail?
Ce n'est pas ma question principale, mais j'espère qu'un tel exemple vous a guidé dans votre travail. Donc, que pouvez-vous dire sur la comparaison avec nos alliés? Vous en avez parlé un peu dans vos remarques liminaires.
Lgén Leslie : Oui. Nous avons étudié une trentaine de nos alliés. Bien sûr, le plus grand a été les États-Unis.
[Traduction]
Quant aux difficultés qu'ils affrontent par suite de la crise financière et de leur longue contribution à la lutte contre le terrorisme, vous les connaissez bien mieux que moi ou que la plupart des Canadiens. Pour ce qui est des incidences financières, je dirai simplement que leurs forces armées passent par une période très sombre à cause des compressions budgétaires.
Cette situation prévaut en Pologne, en République tchèque, en Allemagne, au Danemark, en France. Le pays qui est le plus proche de nous par son approche et sa culture est probablement le Royaume-Uni.
[Français]
J'ai eu quelques discussions avec lord Levine.
[Traduction]
Recruté à l'extérieur des milieux de la défense, il a dirigé un groupe d'experts chargé d'élaborer une vision future des forces armées britanniques. Les réductions globales qui s'appliqueront au Royaume-Uni sont de l'ordre de 18 à 25 p. 100, selon la définition qu'on leur attribue. Certaines des recommandations mises en ouvre sont particulièrement énergiques et audacieuses. Leurs effets sont assez spectaculaires.
Le Danemark est un très bon exemple. Comme vous l'avez mentionné, les Danois ont choisi de démanteler sans pitié leurs quartiers généraux sans pour autant ne rien céder au chapitre des capacités déployables. Je dois cependant faire une mise en garde : chaque pays est évidemment unique en son genre. Les caractéristiques géographiques de notre pays sont telles que nous devons procéder à un grand déploiement chaque fois que nous quittons nos bases. De bien des façons, il est plus facile pour nous d'aller dans l'Arctique que dans le Nord-Ouest de l'Europe. Certains des exemples ne reflètent pas nécessairement nos réalités.
Oui, nous avons consacré beaucoup de temps et d'efforts pour tirer des enseignements de l'expérience de nos amis et alliés. L'OTAN a établi un commandement Transformation.
Le sénateur Nolin : C'était l'objet de ma question suivante.
Lgén Leslie : Dans ce cas, je vous cède la parole, monsieur.
Le sénateur Nolin : Dans quelle mesure avez-vous consulté vos collègues de Norfolk? À quel point participent-ils à ce que vous proposez? Pouvez-vous nous dire, si vous en avez la possibilité, s'ils ont bien accueilli toutes vos recommandations?
Lgén Leslie : Sénateur, je crois être le seul qui ait bien accueilli toutes mes recommandations.
C'est un sujet difficile et complexe qui suscite de fortes émotions. C'est tout à fait compréhensible. Le fait de parler à des amis et alliés à Norfolk, où les 60 pays représentés — soit bien plus que les membres de l'OTAN — doivent tous affronter les mêmes difficultés dues à la réduction des budgets dans un contexte de plus en plus complexe et dangereux, nous a permis d'échanger nos expériences. Toutefois, en dernière analyse, chaque pays doit prendre ses propres décisions.
Le principe primordial est de réduire le superflu pour investir dans les résultats.
Nous avons en outre consulté discrètement plusieurs dizaines de gens d'affaires canadiens. Nous avons étudié des exemples d'industries canadiennes qui se sont beaucoup développées dans les cinq ou six dernières années après avoir concentré leurs efforts sur leurs activités de base et avoir repensé leur rôle avec un grand succès. Nous avons également examiné plusieurs entreprises qui ont disparu parce qu'elles n'ont pas réussi à évoluer assez rapidement pour répondre aux besoins de demain. Cela a été très utile.
Le sénateur Lang : Je voudrais commencer par vous demander de nous renseigner sur notre engagement en Afghanistan, sur la période où nous avons été là et sur l'argent que nous avons investi à cette fin. Nous sommes en train de nous retirer. Je crois que nous aurons encore un millier de membres des FC en mission de formation et d'encadrement pendant deux ans, après quoi nous quitterons complètement l'Afghanistan.
A-t-on calculé ce que ce théâtre particulier coûte aux Canadiens dans le cadre du budget global de la Défense nationale par rapport à ce que serait ce budget si nous n'avions pas à nous acquitter de cette mission?
Lgén Leslie : Toutes les missions en déploiement font l'objet d'un calcul très exact des coûts. Les coûts de la mission afghane, qui a été la plus importante et la plus coûteuse pendant des années, sont suivis de très près par un grand nombre de personnes.
Je n'ai pas ces chiffres sous la main parce que le gouvernement fournit une partie du financement en supplément. Lorsque nous avons établi les critères de base du rapport, en envisageant l'avenir, nous avons supposé que nos troupes ne participeraient plus à des opérations de combat en Afghanistan, ce qui s'est confirmé dans les faits. Le coût des opérations de combat est de loin plus élevé, en pertes humaines et en argent, que celui de la mission actuelle de formation et d'encadrement.
Le sénateur Lang : Vous parlez dans votre rapport d'achats que vous répartissez entre deux catégories : l'entretien et les immobilisations. À moins que cela ne m'ait échappé, j'ai remarqué que vous n'avez pas mentionné dans votre rapport la nécessité pour le ministère de la Défense nationale d'acheter des équipements en cours de conception ou de production ou de prendre des engagements à long terme en vue de l'achat d'un char ou d'autres équipements qui ne seraient payés que quelques années plus tard. Par la suite, comme les sommes nécessaires n'ont pas été réservées, vous devez vous adresser au gouvernement pour payer ces achats anticipés.
A-t-on envisagé de créer un fonds d'immobilisations pour éviter les surprises dans cinq ans si vous décidez aujourd'hui de faire un investissement important, mais que les montants nécessaires ne sont pas affectés? Y a-t-on pensé?
Lgén Leslie : Je crois que c'est une excellente idée, mais nous n'en avons pas discuté d'une façon particulière dans le cadre de notre étude. Le ministre Fantino, qui est maintenant à la Défense nationale, est un homme très énergique. Il est absolument déterminé à améliorer, à accélérer et à rationaliser le processus d'achat.
Je vais mentionner un fait qui appuie votre argument. Comme nous le mentionnons dans une annexe du rapport, le ministère a perdu de l'argent qui avait été réservé pour l'achat d'avions ou d'équipement du même genre. Je pense en particulier à des aéronefs qui, pour toutes sortes de raisons, n'ont pas fait l'objet de toute la série d'approbations nécessaires, ce qui a occasionné la péremption des fonds prévus. Ces fonds ont été simplement soustraits de l'enveloppe de financement en fin d'exercice. Ils auraient dû servir à l'acquisition des avions. Tout le monde pensait que ce serait le cas, mais l'argent est maintenant perdu sans que nous ayons acquis les capacités qu'il devait nous procurer.
Le sénateur Lang : Vous parlez de la réserve, par opposition à la force régulière, dans plusieurs parties de votre rapport. Je crois que nous disposons actuellement d'environ 35 000 réservistes. Est-ce bien le cas?
Lgén Leslie : Oui, monsieur.
Le sénateur Lang : L'effectif de la force régulière étant d'un peu moins de 70 000, nous avons actuellement un rapport de deux à un. Parmi les réservistes, quelque 10 000 travaillent à temps plein, ce qui signifie en pratique que, d'une manière ou d'une autre, ils font partie des forces armées en permanence.
Avec la transformation et les changements d'orientation que vous souhaitez, pouvez-vous nous dire à combien exactement s'élèverait l'effectif de la réserve? Envisagez-vous de maintenir d'une façon générale un certain rapport entre la réserve et la force régulière? Sinon, que prévoyez-vous à cet égard?
Je pose cette question parce que je crains — je pense que c'est aussi le cas de plusieurs membres du comité — qu'on adopte la solution facile consistant à éliminer la réserve pour réaliser d'importantes économies. Pourtant, quand on pense à une situation comme celle de l'Afghanistan, on s'attend à ce que les réservistes soient là et à ce qu'il soit possible de les mobiliser dès demain.
Vous voudrez peut-être nous en dire davantage sur la réserve et sur ce que vous envisagez à son égard partout dans le pays. Pouvez-vous aussi nous donner une idée de ce que vous envisagez pour améliorer les ressources mises à la disposition des réservistes?
Lgén Leslie : Vous avez vu le rapport. Nous y avons dit, probablement 30 ou 40 fois, qu'il ne faut pas toucher aux bataillons de la force régulière et de la réserve, qu'il ne faut pas toucher aux navires, qu'il ne faut pas toucher aux escadrons de vol. Quand il sera temps d'investir dans l'avenir, il faudra trouver les ressources ailleurs parce que tout cela constitue la base sur laquelle comptent les Canadiens ainsi que nos amis et alliés. Ce sont les gens qui font le travail concret. Ce n'est pas un argument simpliste. En effet, quels que soient le niveau d'avancement et le degré d'efficacité d'un mécanisme de mise sur pied de forces, nous avons quand même besoin d'une certaine masse critique.
Nous avons actuellement quelque 35 000 réservistes. Vous avez parfaitement raison, 9 000 ou 10 000 d'entre eux travaillent à plein temps. Autrement dit, nous avons environ 25 000 membres dans ce que vous et moi considérons comme une réserve traditionnelle, composée de soldats à temps partiel, qui sont tellement efficaces. Dans les dernières années, quelque 10 000 réservistes ont été invités à servir à plein temps.
La plupart d'entre eux travaillent dans des quartiers généraux. On pensait que ceux-ci étaient nécessaires à cause du rythme effréné de l'activité des Forces canadiennes dans la dernière décennie. Nous croyons pouvoir ramener le nombre de ces réservistes à plein temps à environ 4 500, ce qui représenterait une réduction de moitié.
Toutefois, nous ne recommandons pas du tout de se débarrasser des autres. Il faudrait plutôt leur demander de rentrer dans les manèges militaires d'où ils venaient pour faire du travail à temps partiel tout en poursuivant une carrière civile. Ces réservistes peuvent assurer le leadership nécessaire pour faire le travail voulu dans les manèges militaires, les navires de la réserve et les détachements aériens de la réserve navale.
Dans une situation idéale, nous aurions en gros 70 000 réguliers et 30 000 réservistes, aussi bien à temps plein qu'à temps partiel, et environ 25 000 ou 26 000 fonctionnaires. Soit dit en passant, ces chiffres faisaient partie des hypothèses de base de la Stratégie de défense Le Canada d'abord, dont le sénateur Dallaire a parlé plus tôt. La stratégie établit, d'une façon que je crois très sensée, un mécanisme futur de financement devant nous permettre d'obtenir ce dont nous aurons besoin dans les 20 à 30 prochaines années, qu'il s'agisse de navires, de chasseurs ou de chars.
C'est là l'aspect le plus intéressant de la Stratégie de défense Le Canada d'abord. Elle comporte une vision à long terme ainsi que des calendriers permettant de faire une certaine planification. Bien sûr, il y a toujours des éléments perturbateurs puisque personne ne peut prédire la nature des menaces qui existeront dans 10 ans.
En réfléchissant à la vision de l'avenir, nous avons retenu différents éléments, comme la cyberdéfense, l'espace, le retour des marins en mer et ainsi de suite. Cela comprend les choses dont nous croyons que nous aurons besoin dans les prochaines années. Si nous ne pouvons pas trouver les ressources nécessaires dans nos rangs, nous allons probablement devoir nous présenter à nouveau devant le gouvernement et tendre la main en disant : « Puis-je en avoir un peu plus, s'il vous plaît? ». Le gouvernement nous dira alors : « Combien de personnes avez-vous actuellement à Ottawa? Que font tous ces gens? » Je crois qu'il y aura des choix difficiles à faire à différents niveaux et dans différents secteurs pour mieux nous positionner en vue de l'avenir.
La présidente : Je suis certaine que nous reviendrons sur cette question. Si j'ai bien compris, vous dites que vous allez demander aux réservistes à temps plein ou à ceux qui souhaitent rester dans cette catégorie de faire un choix : redevenir des combattants de fin de semaine, des citoyens-soldats ou rejoindre la force régulière, parce que nous ne voulons plus avoir ce grand groupe intermédiaire. Est-ce exact?
Lgén Leslie : Oui. Il y aura encore un assez grand nombre de réservistes à temps plein.
Le sénateur Manning : Je voudrais parler de la partie de votre rapport qui traite des contrats de services. Dans d'autres secteurs du gouvernement, ces contrats ainsi que le travail des consultants, et cetera, constituent des moyens d'épargner des millions de dollars. Dans votre rapport, vous proposez de faire un examen sérieux des contrats de services et peut-être de les réduire pour faire des économies. Ai-je bien compris? Est-ce bien là ce que vous voulez dire? Vous voudrez peut-être nous en dire davantage à ce sujet. Je remarque qu'il y a eu une importante augmentation ces dernières années. Vous voudrez peut-être nous expliquer la situation sur la base de vos conclusions.
Lgén Leslie : Sénateur, les FC et le MDN consacrent actuellement quelque 2,7 milliards de dollars par an aux consultants, aux entrepreneurs et aux services professionnels. Ce chiffre a augmenté d'environ 1 milliard de dollars dans les trois ou quatre dernières années. Cela constitue une partie non négligeable des crédits accordés au MDN et aux FC. Bien sûr, ces consultants et entrepreneurs font des choses qu'on leur a demandé de faire. Ils ont obtenu leurs contrats dans le cadre de processus concurrentiels. On ne peut pas vraiment parler de gaspillage. Ils ont fait du travail dont nous avions besoin. La question qui se pose cependant est la suivante : Où se situe ce travail dans la liste de priorité par comparaison au recrutement d'équipages pour les frégates? On pourrait soutenir qu'une frégate ne peut pas naviguer sans les consultants, entrepreneurs et services professionnels utilisés dans les unités de maintenance de la flotte de nos deux grandes bases navales. Les consultants, les entrepreneurs et les services professionnels se classent dans différentes catégories et différentes priorités. Il faut déterminer ce qu'il convient de garder et ce qu'il serait possible d'éliminer afin de mieux positionner les FC pour l'avenir.
Il y a aussi le cas des personnes engagées individuellement en renfort, non seulement dans la région de la capitale nationale, mais dans beaucoup d'autres grandes agglomérations urbaines abritant d'importants quartiers généraux, pour contribuer au traitement de l'information et des documents nécessaires à la coordination et à la synchronisation des activités des multiples quartiers généraux. Par exemple, si un quartier général s'occupe de 8 ou 10 bataillons, une chaîne de commandement est établie, mais le quartier général peut rester relativement petit en fonction de ce qu'on lui demande de faire. Toutefois, dès qu'on a deux ou trois quartiers généraux s'occupant de deux ou trois bataillons chacun et qu'il faut coordonner leurs activités, l'effectif du personnel nécessaire augmente parce qu'il faut synchroniser, éliminer les conflits et déterminer la priorité des ressources.
Si on finit par avoir 40 ou 50 de ces quartiers généraux et beaucoup de niveaux au-dessus de ceux qui sont responsables des bataillons, on consomme inévitablement de plus en plus de ressources. On a besoin de plus de personnel pour coordonner l'information, les documents et les priorités. Bref, on se retrouve avec 20 000 personnes à Ottawa. Voilà où nous en sommes.
Soit dit en passant, ce nombre ne comprend pas les quelque 5 000 consultants, entrepreneurs et fournisseurs de services professionnels qui donnent du renfort aux différents quartiers généraux d'Ottawa.
La présidente : Vous dites donc qu'il faut examiner le cas des gens qui desservent le système surchargé au sommet, mais qu'il y a aussi des entrepreneurs qui font la maintenance de nos chars Leopard et des médecins à contrat qui soignent les soldats souffrant du trouble de stress post-traumatique.
Lgén Leslie : C'est absolument exact, madame la présidente. Je m'excuse de ne pas avoir précisé ce point. Je vous remercie de l'avoir signalé.
Nous ne pouvons pas nous passer d'un certain nombre de ces consultants et entrepreneurs. Ils nous sont indispensables. La question à se poser est la suivante : que font-ils? S'ils font de l'entraînement au vol, s'ils entretiennent les chars de combat Leopard ou les navires, ils appartiennent évidemment à la bonne catégorie mentionnée dans le rapport. Nous devons quand même revoir sérieusement ces activités, mais il n'est pas question de les éliminer. Toutefois, certaines des autres activités énumérées dans une annexe détaillée du rapport devraient faire l'objet d'un examen critique.
Le sénateur Manning : Général, suggérez-vous dans votre rapport qu'il serait possible de réduire globalement de 30 p. 100 les sommes affectées aux contrats de consultants? Je déteste parler de réductions générales, mais ne dites-vous pas dans le rapport qu'en examinant ce que nous voulons vraiment faire et en établissant un ordre de priorité, nous pourrions envisager une diminution de 30 p. 100 des coûts nets?
Lgén Leslie : Oui, monsieur, nous pourrions le faire progressivement, sur trois ou quatre ans, au rythme d'environ 10 p. 100 par an.
Le sénateur Manning : Pour revenir aux commentaires du général Hillier, je me rends bien compte que nous avons tous des points de vue différents. Comme vous l'avez dit, sur une liste de plus de 40 recommandations, il y aura des gens qui ne seront pas d'accord sur toutes. Toutefois, lorsque quelqu'un parle de détruire les forces armées, cela va sensiblement plus loin que de dire : « Je ne suis pas d'accord sur la recommandation 26. » Avez-vous une idée des motifs d'une telle divergence d'opinions au sujet du fonctionnement des quartiers généraux? Vous souhaitez envoyer plus d'hommes et de femmes sur le terrain. J'essaie de comprendre. Vous avez tous les deux occupé d'importants postes de commandement dans les Forces canadiennes et je suis sûr que vous avez acquis tous les deux une très grande expérience. Il me semble que cette divergence d'opinions s'explique mal de la part de deux hommes qui ont une telle expérience du commandement. Vous ne pouvez peut-être pas répondre à cette question, mais je la pose quand même.
Lgén Leslie : Sénateur, à la demande du ministre, du chef d'état-major et du sous-ministre, qui ont tous participé à l'élaboration du mandat dont mon équipe et moi nous sommes acquittés, nous avons passé 10 mois devant des écrans d'ordinateur à éplucher des grilles de tableur afin, pour ainsi dire, de fouiner dans la cave. Nous avons formé des réseaux souvent composés de jeunes combattants aguerris extrêmement compétents, de fonctionnaires et d'officiers de la force régulière et de la réserve pour réfléchir aux questions qui se posaient.
Pas une semaine ne s'est passée sans que je m'écrie « Oh, mon Dieu » en découvrant des choses concernant les FC que je n'aurais jamais imaginées. Ces choses n'étaient pas nécessairement désastreuses ou mauvaises; elles étaient simplement surprenantes. J'ai souvent appris des choses au sujet de l'Armée de terre — que j'ai eu le privilège de commander pendant quatre ans au plus fort de la guerre en Afghanistan — que j'aurais dû connaître, mais il n'y avait pas moyen de réunir toute information ou de cerner les tendances.
Le général Hillier a dit certaines choses. Je ne peux pas me prononcer sur ses motifs. Il faudrait que vous l'interrogiez vous-même. Je peux vous dire cependant que j'en ai énormément appris au sujet des forces armées et du ministère de la Défense nationale pendant les 10 derniers mois. J'ai découvert des faits que je n'avais pas perçus dans les 33 années précédentes. Je crois que c'est le cas de tous les membres de l'équipe. Cela a été une révélation pour nous tous.
Le sénateur Finley : Bonjour, général. Je crains de ne pas avoir lu votre rapport. Je suis juste de passage au comité aujourd'hui. Toutefois, votre observation selon laquelle la transformation concerne d'abord et avant tout l'avenir m'a un peu intrigué. La transformation implique une transition d'une étape à une autre. L'étape à laquelle nous nous trouvons aujourd'hui est probablement la conséquence de transformations antérieures. Est-ce que vous-même et votre groupe avez étudié les antécédents qui nous ont menés où nous sommes aujourd'hui?
Deuxièmement, votre groupe a-t-il consulté des organisations scientifiques, techniques ou géopolitiques pour déterminer où cette transformation nous conduira? Vous avez énuméré ici quelques objectifs particulièrement intéressants et coûteux, dont l'espace, la cyberdéfense, l'Arctique, et cetera.
À cet égard, vous avez évoqué la possibilité de redéployer jusqu'à 3 500 membres de la force régulière affectés aux quartiers généraux pour les charger à l'avenir d'initiatives telles que la cyberdéfense. Ces gens ont-ils les compétences nécessaires pour s'occuper d'initiatives de ce genre? Avez-vous inclus dans vos calculs les coûts de recyclage, de perfectionnement, et cetera?
La dernière partie de cette très longue question concerne les domaines dans lesquels une plus grande efficacité administrative pourrait nous permettre, d'après vous, d'économiser 1 milliard de dollars.
Lgén Leslie : Une fonctionnaire supérieure membre de l'équipe a réalisé une étude complète de la question. Elle a fait un excellent travail remontant jusqu'en 1964. Avec un petit groupe de différentes disciplines, elle a examiné tous les rapports antérieurs de transformation, a fait un relevé des recommandations, les a réparties en groupes de même nature, puis a fait un suivi de celles qui ont été mises en ouvre, de celles qui n'ont pas été appliquées et de celles qui semblaient revenir d'une année à l'autre.
Indépendamment de toute coïncidence, diverses recommandations, surtout dans la catégorie intermédiaire concernant le soutien interarmées et d'autres structures, reflètent les recommandations antérieures parce qu'il s'agit presque de vérités universelles. Oui, nous avons examiné l'historique des transformations et avons discuté avec des gens qui avaient vécu des expériences antérieures.
Pour ce qui est l'analyse et du soutien scientifiques internes du MDN, je dois dire que nous avons un département de sciences et technologie extrêmement solide et compétent, qui dispose d'un effectif d'environ 3 000 personnes. Nous avons pu compter sur les services d'une équipe de la Direction d'analyse et de recherche opérationnelle dont les membres nous ont énormément aidés grâce à leur rigueur analytique et à leur esprit critique. Les membres de l'équipe nous ont aussi permis de mieux positionner certains de nos documents de réflexion portant sur les capacités de demain. Ce sont des gens d'une grande intelligence qui détiennent une multitude de doctorats et savent aussi travailler très rapidement. Nous avons été très heureux de pouvoir compter sur leur aide. Nous avons en outre eu recours à l'organisation du chef, Développement des Forces, ou CDF. Le CDF a été l'un de mes principaux partenaires dans le travail que nous avons fait. Nous avons donc pu profiter d'une très bonne synchronisation.
Pour ce qui est des compétences et du recyclage, nous en avons parlé dans le rapport. Nous n'avons cependant pas eu le temps de procéder à une analyse détaillée des conséquences. Par exemple, si nous voulons prendre un membre de l'infanterie qui a passé 20 ans à Ottawa pour l'affecter à un bataillon d'Edmonton et qu'il ne peut pas y aller pour diverses raisons, comment pouvons-nous le verser dans une unité de cyberdéfense?
C'est une chose à laquelle l'équipe actuelle doit réfléchir, surtout si on tient compte du nombre de personnes envisagé. Vous avez parfaitement raison. Tous nos gens méritent d'être traités avec respect. Ils doivent être recyclés et acquérir les compétences voulues pour faire à l'avenir un travail qu'ils puissent comprendre.
Je regrette. J'ai oublié la quatrième question.
Le sénateur Finley : Il s'agit du milliard d'économies à réaliser au niveau administratif.
Lgén Leslie : Un milliard, cela semble représenter beaucoup d'argent pour quiconque. Ce ne sera pas facile, mais ne perdons pas de vue que nous consacrons actuellement environ un milliard aux technologies de gestion de l'information, de sorte que même un petit pourcentage de réduction peut engendrer des économies substantielles.
Le rapport comporte une annexe détaillée comptant, je crois, 30 à 40 éléments. Aucun d'entre eux ne permettra, à lui seul, de réaliser des économies très importantes, mais la mise en ouvre des 30 ou 40 initiatives proposées — qui ne représentent collectivement qu'une seule des 43 recommandations du rapport, mais qui occupent quelques centaines de pages — peut nous permettre, avec beaucoup de travail et d'efforts énergiques, d'atteindre ce chiffre.
La présidente : Pouvez-vous nous parler brièvement de la grande question qui semble constamment revenir : s'il nous manque de l'argent, pourquoi devons-nous en redistribuer?
Lgén Leslie : C'est parce que nous avons de multiples couches de bureaucratie militaire et civile. Nous avons de multiples niveaux et centres de défi. Nous avons un si grand nombre d'organismes chargés de faire de la surveillance qu'ils ont eux-mêmes besoin d'être soumis à une certaine surveillance à cause de leur taille.
Malheureusement pour les intéressés, nous avons déterminé les chiffres de croissance. Nous savons où ils sont, quels sont leurs grades et combien ils coûtent. Nous avons fait un relevé des dizaines et des dizaines de centres administratifs de la région de la capitale nationale, où nous n'avions que quelques-uns auparavant.
À mon avis, les gens en cause sont tous de bons travailleurs qui font ce qu'on leur demande de faire. Toutefois, lorsque nous avons reçu beaucoup d'argent — nous vous en remercions parce que nous en avions grandement besoin, surtout pour combattre en Afghanistan et ailleurs —, les mécanismes de réglementation et de surveillance se sont multipliés plus rapidement que les unités opérationnelles. Voilà où nous en sommes. Qu'allons-nous faire maintenant? Vous avez vraiment mis le doigt sur le problème.
Le sénateur Day : C'était une question intéressante parce que j'essayais justement d'en arriver là. Permettez-moi tout d'abord de vous remercier, général Leslie, pour vos nombreuses années au service des Forces canadiennes et vos nombreuses comparutions devant le comité. Nous avons toujours apprécié vos conseils et votre leadership. Nous vous présentons nos meilleurs voux de succès dans les nouveaux projets que vous entreprendrez après 35 ans de service.
Au cours de l'une de vos dernières comparutions, vous avez été très persuasif lorsque vous avez demandé plus d'argent pour équiper l'Armée de terre de matériel roulant, de camions et de tracteurs. Je me demande si, dans cette étude, vous avez pu vous empêcher de penser à obtenir plus d'argent afin de mieux équiper ceux qui font le travail que nous attendons des forces armées.
Lgén Leslie : Je voudrais revenir à la question du sénateur Finley qui voulait savoir si nous avions tiré des enseignements des transformations antérieures. La réponse, c'est évidemment oui. Dans le passé, la façon la plus facile, pour diverses organisations, de réaliser des compressions budgétaires ou d'exécuter des plans de réduction du déficit consistait à se passer des pièces de rechange nécessaires pour maintenir en état de marche les chars et les blindés ou les navires et les avions. On peut ainsi faire très rapidement des économies sans occasionner une dégradation très sensible des opérations pendant un an ou deux.
Ensuite, les compétences s'atténuent et les capacités des équipes formées d'individus ne peuvent plus vraiment être adéquatement synchronisées. Il arrive parfois qu'on s'en rende compte à ses dépens, sur le champ de bataille, lorsqu'on se fait tirer dessus. On comprend alors qu'on a laissé les troupes s'affaiblir en rognant sur les budgets d'entraînement et de maintenance.
Si j'étais vous, je suivrais désormais de très près les fonds consacrés aux achats nationaux. S'ils baissent d'un cent par rapport à l'année dernière, j'interrogerais très sévèrement les responsables sur les raisons pour lesquelles on fait des économies sur les pièces de rechange au lieu de couper dans les quartiers généraux et dans le superflu.
Le sénateur Day : Vous craignez peut-être que certains interprètent mal votre rapport.
Cela fait cinq ou six ans que le général Hillier a travaillé sur le plan de transformation. Il a ensuite été lentement mis en ouvre et a donné lieu à la création de quatre commandements différents. Nous avons entendu certaines rumeurs d'après lesquelles la bureaucratie militaire et civile du quartier général de la Défense relevant du sous-chef d'état-major, qui devait disparaître lors de la création des différents commandements opérationnels, a été maintenue. Je me demande si votre examen n'avait pas pour but, du moins au départ, d'étudier ce qui a été fait. Il est très courant de planifier, de mettre en ouvre, puis de faire un suivi pour déterminer si les choses ont été bien faites.
Cela faisait-il partie de votre mandat, ou bien votre mandat a-t-il évolué vers quelque chose d'autre? J'ai entendu ce que vous avez dit. J'ai lu le texte du mandat que vous avez joint au rapport, mais j'ai l'impression qu'il a évolué vers quelque chose d'autre que l'examen des décisions de base qui avaient été prises. Était-ce la bonne façon de procéder?
Lgén Leslie : Je le crois, sénateur. La transformation réalisée en 2006 par le général Hillier était certainement fondée à l'époque. Basés sur une vision, les quatre quartiers généraux ont été créés essentiellement pour concentrer les efforts sur les opérations ou le soutien opérationnel.
Bien des choses ont a changé dans les huit ou 10 années qui se sont écoulées depuis l'élaboration de la vision initiale. À mesure que les budgets augmentent, il est souvent facile de laisser les choses croître sans prendre les décisions difficiles nécessaires sur la question de savoir où on ira chercher les effectifs voulus quand il faut les trouver dans ses propres rangs.
Dix ans ont passé. Le monde a beaucoup évolué, de même que notre profession et les leçons que nous avons apprises, souvent au prix du sang versé à des endroits dangereux et complexes.
On voit aussi poindre non une philosophie, mais une idée d'après laquelle, dans le passé, les quartiers généraux devaient être puissants et avoir un personnel nombreux pour coordonner à un niveau poussé de détail les activités sur le terrain. Aujourd'hui, nos soldats sont plus astucieux, mieux équipés, plus aguerris et ont plus d'expérience du combat que jamais auparavant, après la Seconde Guerre mondiale. Leur équipement comprend des choses dont nous ne pouvions que rêver il y a seulement cinq ou six ans. Ils ont davantage de liens avec nos alliés. Ils ont une compréhension élargie et plus complète du théâtre, qu'ils s'occupent d'aide ou de combat. Ils n'ont pas besoin d'un niveau poussé de supervision et de synchronisation. Ils n'ont pas besoin qu'Ottawa se serve d'une perche longue de 10 000 km pour les pousser dans le...
La présidente : ... dans le coude.
Lgén Leslie : Oui, dans le coude. Nos troupes sont meilleures qu'elles ne l'ont jamais été et ont besoin de disposer des moyens nécessaires pour prendre leur essor et voler de leurs propres ailes un peu plus que ne leur permet la surveillance actuelle des quartiers généraux centralisés.
Le sénateur Day : C'est peut-être moi qui confonds parce que je fais le lien entre la « transformation » qu'on nous a présentée si efficacement il y a cinq à 10 ans sous forme d'une restructuration de nos forces armées et cet examen que vous venez de mettre en ouvre au cours de l'année dernière. Il s'agit en fait d'un examen fondé sur l'efficacité, qui a pour but non de déterminer si la structure des forces armées est adéquate, mais plutôt de définir les moyens de la rendre plus efficace.
La présidente : Pour éviter toute confusion, je dois préciser que cet examen n'a pas été mis en ouvre. Il s'agit d'une étude qui a été réalisée et dont le rapport a été remis aux responsables.
Lgén Leslie : Le rapport qui a été remis ne critique pas le passé. Nous n'avons fait qu'énoncer des faits. Critiquer le passé n'est ni utile ni justifié parce que les changements apportés étaient certainement fondés à l'époque. En 2006, j'étais lieutenant-général et je dirigeais l'Armée de terre. J'ai eu le privilège de le faire jusqu'en 2010. Par conséquent, j'ai largement participé aux décisions prises. Toutefois, les choses ont changé. Les modèles présentés dans le rapport sur la transformation sont sensiblement différents de ceux qui s'appliquent actuellement. Ils prévoient beaucoup moins de quartiers généraux, ce qui a contribué à l'intensité du débat suscité.
Le sénateur Day : J'aurais différents autres points à aborder, mais celui-ci me semble intéressant. Dans votre rapport, vous dites qu'on vous a demandé de ne plus vous occuper de l'aspect civil des Forces canadiennes et du MDN parce que cet aspect serait couvert plus tard dans le cadre des options d'harmonisation institutionnelle. Compte tenu du fait que vous recommandez de réaffecter 3 500 postes civils, dans quelle mesure cette recommandation sera-t-elle crédible à moins que vous n'ayez fait une étude — ce qu'on vous a demandé de ne pas faire — ou que ce chiffre vous ait été suggéré par le BCP, le CPM ou des représentants du Conseil du Trésor faisant partie de votre équipe?
Lgén Leslie : Notre équipe comprenait effectivement des représentants du Conseil du Trésor ainsi que des experts qui avaient travaillé pour le conseil et des fonctionnaires. Il y en avait aussi d'autres parmi les membres du grand réseau consultatif.
On nous a invités à cesser de nous occuper de l'aspect civil aux alentours du 1er décembre. Nous avons donc disposé de trois mois et demi à quatre mois avant cette date pour examiner la question d'une façon assez détaillée. Vous avez parfaitement raison. On nous a demandé de ne plus nous occuper de cet aspect en prévision d'un processus d'harmonisation institutionnelle qui devait commencer sous peu pour aborder la question du nombre de fonctionnaires et de leur lieu d'affectation.
Si vous examinez l'annexe correspondante du rapport, vous y trouverez beaucoup de détails sur l'aspect militaire et un peu moins sur l'aspect civil parce que nous avons dû nous arrêter à un certain niveau en fonction des conséquences de deuxième et de troisième ordre. Les 3 500 fonctionnaires en cause sont répartis entre des structures d'assez haut niveau. Nous croyons que cela est réalisable. Que le nombre reste ou non à 3 500 après quelques mois d'étude, c'est l'équipe du QGDN qui s'en occupera. Il se peut que ce soit 2 500 et qu'un millier d'autres soient réaffectés à la cyberdéfense ou à l'espace. Je ne le sais pas encore.
Le sénateur Dawson : À titre de nouveau membre du comité, je vais essayer pour le moment d'écouter davantage et de parler moins. Je vais relire ce que mon collègue a dit, à savoir que la question sera réglée à l'avenir dans le cadre des options d'harmonisation institutionnelle.
Pour moi, la situation n'est pas très claire. Nous n'avons probablement pas attendu suffisamment pour nous prononcer sur le bien-fondé de la dernière transformation. J'ai entendu parler de cinq à 10 ans. S'agit-il de cinq ou de 10 ans? Je crois que la période qui s'est écoulée est plus proche de cinq ans et demi, mais avons-nous suffisamment attendu avant de dire que la dernière transformation n'a pas donné de bons résultats? Je sais que les conditions qui ont entouré la guerre en Afghanistan ont créé des distorsions au chapitre de l'utilisation des fonds, mais beaucoup de choses se sont produites depuis.
Il y a toute la tendance liée aux fonds inutilisés de la Défense nationale. Nous constatons chaque année que des millions, presque des milliards de dollars sont affectés, mais ne sont pas dépensés. Toutefois, dans le passé, ces fonds inutilisés étaient réaffectés au sein du ministère. Aujourd'hui, ils sont frappés de péremption. Le ministère les perd d'une façon permanente puisqu'ils ne sont pas reportés ou réaffectés sur les années suivantes.
Vous dites que nous pensons que la dernière transformation a été un échec. Je ne défendrai pas M. Hillier et ce qu'il a dit de votre rapport, mais avons-nous suffisamment attendu pour nous prononcer sur la réussite ou l'échec de ses initiatives? Des circonstances extérieures, dont la guerre en Afghanistan, ont créé tant de distorsions au ministère qu'il conviendrait peut-être de laisser passer un peu plus de temps avant de décider du bien-fondé de ces initiatives.
Ma seconde question, qui n'a rien à voir avec la première, porte sur le fait que, dans le passé, les activités de ce genre ont eu certaines incidences régionales. Il arrive par exemple qu'on se dise qu'au lieu de réduire toutes les opérations de 10 p. 100, il vaut mieux prendre des décisions telles que de fermer la base de Saint-Jean. Par conséquent, les mesures prises ont parfois des effets régionaux très prononcés. C'est mon premier jour au comité, mais je n'ai pas vu beaucoup d'analyses relatives aux incidences régionales de certaines de vos recommandations. De toute évidence, si vous réduisez sensiblement les effectifs d'Ottawa, il y aura des conséquences ici. Quels seront donc les autres effets régionaux de vos recommandations?
Lgén Leslie : Je vous engage à interroger à ce sujet le général Hillier, qui est un expert en la matière. Pour ce qui est de ses efforts de transformation, on s'est surtout intéressé à ses commentaires relatifs au succès des quatre quartiers généraux opérationnels qui, soit dit en passant, ont bien réussi et ont produit des résultats. Toutefois, trois d'entre eux s'occupent de soutien opérationnel. Le Canada et les États-Unis sont les seuls pays qui aient plus d'un quartier général pour gérer leurs forces déployées à l'intérieur ou à l'étranger. Bien sûr, les Américains ont des effectifs nettement plus importants que les nôtres.
La transformation du général Hillier n'a pas été un échec. Elle a en fait très bien réussi. Elle a beaucoup contribué au succès de nos troupes, de nos marins et de nos équipages déployés. C'est simplement qu'en considérant l'avenir, nous essayons de déterminer où nous allons prendre les effectifs nécessaires. En matière de défense, nos gens constituent notre ressource la plus précieuse. C'est aussi la ressource la plus coûteuse. Près de 60 p. 100 du budget du MDN sont consacrés aux ressources humaines. Il y a quelques années, on prenait pour hypothèse que la part des ressources humaines était de 51 p. 100. Si on consacre plus d'argent aux gens, il en reste moins pour les navires, les chasseurs, les chars et l'entraînement. Dix ans ont passé. Comment souhaitons-nous nous positionner et comment allons-nous faire les choix relativement difficiles qui sont nécessaires pour trouver des gens à réaffecter à des activités plus prioritaires?
Pour ce qui est du facteur temps, les structures militaires du passé étaient maintenues telles quelles pendant 50 à 100 ans. C'est évidemment un passé assez éloigné. Depuis, la technologie militaire, l'environnement opérationnel et les exigences de nos citoyens par rapport à leurs soldats ont beaucoup évolué. Nos amis et alliés ne réinventent pas leurs organisations militaires tous les 20 ans, mais ils y apportent d'importants changements.
Nous nous apprêtons nous-mêmes à faire des changements parce que des réductions de 1 ou 2 milliards de dollars ont des incidences très sensibles. Cela représente 5, 10 ou 15 p. 100 sur trois ans. Il faut soit réduire l'effectif des troupes déployables et le nombre de navires, de groupes de combat ou d'escadrons, soit trouver des gens ailleurs. Il faut faire un choix entre la première ligne et le soutien.
En ce qui concerne la fermeture de bases militaires, nous n'en avons pas recommandé dans notre rapport. C'est parce qu'il y a actuellement beaucoup de secteurs à considérer avant d'envisager de fermer des bases.
Pour revenir à l'exemple du Danemark, je mentionnerai que je me suis entretenu avec un officier supérieur danois qui avait étudié toutes les bases du pays. Le Danemark a des forces armées très compétentes et dispose de garnisons régimentaires distantes de 80 à 100 km les unes des autres. Bien sûr, les Danois peuvent parcourir leur pays d'un bout à l'autre en autant de temps qu'il en faut à la plupart des Torontois pour aller d'un bout à l'autre de la ville aux heures de pointe. Je m'excuse... C'est aussi faux qu'inexact. L'ambassadeur du Danemark me reprendra certainement à ce sujet. Je m'excuse donc et je corrige : autant de temps que pour aller de Montréal à Ottawa.
Je soutiens en outre que le maintien du statu quo est toujours possible. Ne changeons rien et poursuivons sur notre lancée. À mesure que les gens, l'équipement, l'entraînement et le carburant coûtent plus cher et que nos ressources commencent à diminuer, qui va souffrir? Il y a inévitablement des conséquences. Notre examen historique nous a montré que les réductions touchent invariablement les manèges militaires de la réserve, les bataillons, la maintenance des véhicules, des navires et des avions ainsi que les immobilisations futures, car il est plus facile de payer les factures d'aujourd'hui sans trop se soucier de ce qui arrivera dans 5 ou 10 ans.
Je soutiens aussi que la Stratégie de défense Le Canada d'abord est un document très sérieux qui énonce ce que les Canadiens veulent que leurs forces armées fassent pendant un assez grand nombre d'années à venir. La marge de manouvre est très limitée. Les chiffres concernant les programmes d'immobilisations sont établis. Les choses peuvent changer avec le temps, mais, pour tenir le cap, rester cohérents et respecter cette vision, il faudra faire quelques choix difficiles.
Le sénateur Dawson : Qu'en est-il des fonds inutilisés qui étaient auparavant réaffectés dans le ministère et qui sont tout simplement perdus aujourd'hui?
Lgén Leslie : Chaque année, le ministère peut reporter un certain montant qu'il n'a pas dépensé. Beaucoup d'autres fonds inutilisés — s'élevant à des centaines et des centaines de millions de dollars — sont perdus. Certaines sommes, parfois assez importantes, sont réaffectées à des années futures pour payer de l'équipement parce que nous n'avons pas pu les dépenser cette année ou l'année dernière.
Vous avez bien raison, monsieur. Par le passé, il était possible de transférer de l'argent entre différents budgets. Dans tous les cas, c'est l'argent des contribuables, mais on pouvait faire des transferts entre le fonctionnement, l'entretien, les immobilisations et les crédits législatifs. Cette marge de manouvre a été supprimée il y a deux ans. Des discussions sont actuellement en cours en vue de la rétablir, mais cela dépasse mes compétences puisque je ne suis maintenant qu'un civil.
Le sénateur Segal : Général, j'ai des questions à poser au sujet de deux parties de votre impressionnant rapport. La première concerne la réserve et l'autre, votre point de vue sur l'effectif du personnel civil et le fardeau qu'il représente pour l'ensemble du MDN, même si ce point de vue a une portée moindre depuis décembre dernier à cause de la décision de mettre l'aspect civil de côté. Pour moi, c'était une décision imprudente, dont vous n'êtes évidemment pas responsable. On m'a dit que 3 500 agents de ressources humaines sont affectés un peu partout au ministère de la Défense nationale, et que ce nombre est plutôt élevé. Ce service a procédé à une décentralisation telle que, dans presque chaque quartier général opérationnel, collège militaire, et cetera, il y a des officiers réservistes qui dictent aux commandants ce qu'ils peuvent ou ne peuvent pas faire, ralentissant indéfiniment le processus. Tout en respectant la distinction que vous avez établie au sujet du côté civil, j'aimerais connaître votre point de vue global, pas nécessairement en fonction de votre rapport, sur cette dynamique. Croyez-vous qu'il y a des aspects de cette dynamique — comme les civils qui interviennent dans la chaîne de commandement et influent sur les décisions que les commandants et les autres dirigeants doivent prendre lorsqu'ils envoient nos hommes et nos femmes en uniforme sur des théâtres dangereux — qui font que le système fonctionne moins bien que dans le passé? Où le système devrait-il se situer indépendamment des contraintes financières? Vous croyez peut-être qu'au contraire, le système s'est amélioré. Ensuite, j'aimerais bien poser une question sur la réserve, si notre présidente le permet.
Lgén Leslie : Le ministère de la Défense nationale emploie actuellement un petit peu plus de 29 000 fonctionnaires. Sur ce nombre, quelque 65 p. 100 travaillent pour des officiers. Par conséquent, ce ne sont pas les civils, ce ne sont pas les fonctionnaires qui font croître la fonction publique au sein du MDN. Ce sont les généraux. À titre de commandant de l'Armée de terre, j'ai demandé une plus grande croissance des fonctionnaires, en chiffres absolus, que n'importe qui d'autre. Compte tenu de l'intensité de la guerre et du fait que des soldats étaient envoyés outre-mer combattre pour la juste cause et parce que nous n'avions pas le temps de repenser la structure organisationnelle de base de l'Armée, même si nous avons apporté beaucoup de changements, les fonctionnaires comblaient un vide.
Maintenant que l'intensité est beaucoup moins élevée et que nous avons plus d'expérience dans la pleine intégration des réservistes dans les différentes structures, vous pouvez poser les questions difficiles : Cette structure est-elle aussi efficace qu'elle devrait l'être?
Dans beaucoup de cas, la croissance de l'effectif des fonctionnaires au MDN était directement attribuable au fait qu'un officier, un général disait : « Je veux davantage de ceci. » De plus, nous avions de l'argent. Les budgets augmentaient très sensiblement chaque année. Aujourd'hui, bien sûr, c'est l'inverse qui est vrai.
Les procédures de surveillance et de réglementation mises en place en application de la Loi sur la gestion des finances publiques ont été assez lourdes. Il y a maintenant un niveau sans précédent de surveillance, de vérification et de contre-vérification. Ce sont simplement des gens qui font ce qu'on leur a demandé de faire. Je crois, en toute honnêteté, que personne au MDN — du moins je l'espère — ne s'installe devant son bureau en disant : « Je vais freiner ce programme simplement parce que je peux le faire et que je suis de mauvaise humeur aujourd'hui. » Les choses ne se passent pas ainsi.
Occuper un poste de haut fonctionnaire ou remplir les fonctions d'un général au MDN n'est vraiment pas une sinécure. Pourtant, aucun d'entre eux ne devient timide ni ne part à la retraite. Vous pouvez me croire.
Le sénateur Segal : Certains sont quand même partis à la retraite.
Lgén Leslie : Pour ce qui est des civils qui interviennent dans la chaîne de commandement, non; la chaîne de commandement appartient au chef d'état-major de la Défense, professionnel accompli qui connaît son métier sur le bout des doigts et qui remplit les fonctions de conseiller militaire principal du premier ministre et du gouvernement du Canada. Rien ne peut l'amener à tolérer ou à accepter qu'une personne non qualifiée ou que tout autre qu'un officier ou un sous-officier supérieur détenant un certificat de commandement donne des ordres à des soldats dans des conditions de vie ou de mort.
Par contre, les mécanismes, procédures et réseaux de responsabilité financière relèvent de plus en plus de civils. Tout d'abord, les pouvoirs sont délégués par le sous-ministre. Il y a la chaîne de commandement, mais il y a aussi la hiérarchie dirigée par le sous-ministre. C'est lui et non le chef d'état-major qui est responsable en vertu de la loi. Dans le temps, le chef d'état-major avait cette responsabilité, mais aujourd'hui, c'est le sous-ministre qui est personnellement responsable de l'argent dépensé.
Cela donne lieu à une série de comportements qui définissent la façon dont nos gouvernements et notre fonction publique fonctionnent.
Cette situation est-elle frustrante? Absolument. Peut-elle à l'occasion être exaspérante et entraîner des retards incroyables pendant que les gens examinent, révisent, traitent, vérifient et ainsi de suite? Oui. Le bon côté des choses, c'est qu'en période de crise, le MDN et les FC réagissent mieux et plus rapidement que n'importe quelle autre organisation du Canada et obtiennent toujours les résultats attendus. Malheureusement, nous ne pouvons pas constamment vivre en situation de crise.
La présidente : Nous souhaitions parler de la réserve. Il ne nous reste que cinq minutes. Je sais que le sénateur Lang avait une question supplémentaire. S'il y a d'autres questions concernant la réserve, nous pourrions les poser toutes, puis laisser le général Leslie y répondre.
Le sénateur Segal : Ma seule question concernant la réserve est la suivante. Si j'ai bien compris, votre recommandation vise non à réduire l'effectif total des éléments de la réserve appartenant à l'aviation, à la marine et à l'Armée de terre, mais plutôt à réduire le nombre des réservistes qui ont accepté des contrats à temps plein parce qu'on leur a demandé de le faire afin d'aider nos forces sur le terrain et ailleurs, maintenant que la guerre est finie.
La présidente : Nous avons déjà abordé cette question plus tôt.
Le sénateur Nolin : J'aimerais savoir si vous avez étudié en détail le cas des 4 500 réservistes qui travaillent à temps plein. Souhaitez-vous qu'ils reprennent leurs fonctions à temps partiel? Est-ce faisable? En êtes-vous sûr? Comptez-vous prendre quelqu'un qui touche un plein salaire pour le renvoyer dans un régiment faire du travail à temps partiel et se chercher un autre emploi?
Lgén Leslie : Nous n'avons pas du tout recommandé dans notre rapport de réduire un bataillon ou un régiment de réserve ou un équipage de réserve ou encore de désaffecter un navire de réserve. Notre intention est de les traiter exactement de la même façon que nous recommandons de traiter les membres de la force régulière. Nous avons cerné les secteurs de croissance future et les secteurs où il y a du superflu. Dans le cas des 9 000 à 10 000 réservistes qui travaillent actuellement à temps plein, nous recommandons de réduire leur nombre de moitié et de donner aux 4 500 réservistes touchés le choix entre le retour au service à temps partiel, le transfert dans la force régulière ou la recherche d'un autre emploi.
Autrement, nous serions obligés de trouver des fonds supplémentaires équivalant à la rémunération de 4 500 réservistes travaillant à temps plein. Si nous ne prélevons pas l'argent sur les ressources humaines, qu'il s'agisse de fonctionnaires, de réguliers ou de réservistes, nous devrons inévitablement le prélever sur les fonds de maintenance de l'équipement, sur les immobilisations ou sur l'infrastructure.
[Français]
Le sénateur Dallaire : Je vous félicite de l'étude que vous avez faite et de la position courageuse que vous avez prise de revoir la structure de commandement et de contrôle.
[Traduction]
Il est à espérer que votre proposition hybride visant à concentrer les opérations et le soutien sera réalisable. Elle est complexe, comme l'ensemble de la structure militaire, mais il devrait être possible de la mettre en ouvre.
Je vois cependant un problème très sérieux. Je sais que vous n'avez pas pu vous occuper en détail de la situation des cadres civils. Plus ces cadres sont nombreux, plus le nombre de fonctionnaires nécessaires est élevé et, bien sûr, plus il faudra de quartiers généraux ou d'effectifs dans les arrières.
On a limité le nombre d'officiers généraux et on en a éliminé arbitrairement dans les années 1990. À part quelques officiers déployés, il n'y a eu que très peu d'augmentation de ce côté. Toutefois, du côté des cadres civils — SMA, DG, EX-3, EX-4 et EX-5 —, l'effectif s'est très sensiblement accru. Y a-t-il des cadres parmi les 3 500 fonctionnaires que vous avez mentionnés? Prévoit-on des réductions assez considérables à cet égard, ou bien se limitera-t-on à des changements marginaux du côté civil?
Lgén Leslie : Il est recommandé de supprimer un petit nombre de postes de généraux, surtout grâce au regroupement de plusieurs quartiers généraux de niveau secondaire, ainsi qu'un nombre correspondant de postes de hauts fonctionnaires. Même si les chiffres montrent que le nombre d'officiers supérieurs, c'est-à-dire de colonels et de généraux, a augmenté de 3 p. 100, si on soustrait les colonels, on s'aperçoit qu'il y a eu une augmentation assez sensible du nombre de généraux depuis 2004. Je m'excuse si je me montre tellement raisonnable à cet égard, mais je dois reconnaître que les chiffres ne mentent pas. La croissance de 25 p. 100 du nombre de hauts fonctionnaires est calculée en incluant différents spécialistes du domaine des sciences et de la technologie qui, gagnant le même salaire que les SMA, sont assimilées au groupe EX par le Conseil du Trésor. Si on ne considère que les SMA proprement dits, la croissance n'a pas été supérieure à celle des généraux et des colonels. C'est seulement en comptant les scientifiques et les autres spécialistes qui ont une structure de rémunération équivalente que les nombres augmentent considérablement.
Le sénateur Lang : Il est probablement approprié que cette question soit la dernière. Vous avez parlé plus tôt de l'historique de la transformation et du fait qu'il y a eu certaines constantes qui ne sont pas nécessairement attribuables aux transformations faites depuis les années 1960.
Vous évoquez dans votre rapport la possibilité d'accorder des récompenses pour inciter la bureaucratie à apporter les changements nécessaires. Si le rapport est mis en ouvre, il touchera beaucoup de gens et influencera leur façon de travailler et peut-être même leur volonté de travailler.
Pouvez-vous nous parler de la nature des récompenses à accorder pour favoriser l'évolution? Quelque 144 000 personnes travaillent pour cet énorme ministère. Comment les inciteriez-vous à prendre cette orientation?
Lgén Leslie : Au cours de ses deux derniers mois comme secrétaire américain à la Défense, Robert Gates a adressé un message aux commandants des unités de combat pour leur exposer une vision devant contribuer à la réduction de la dette des États-Unis. Les nombres en cause sont stupéfiants. Il demandait à ses commandants de trouver des économies totalisant plus d'une centaine de milliards de dollars. Ils sont en train de le faire.
Un pourcentage des économies, qui variait selon le service, pouvait être conservé, par exemple par le chef d'état- major de l'armée américaine. Les bénéficiaires devaient informer le secrétaire des économies à réaliser, mais ils pouvaient conserver l'argent et le réinvestir dans leur propre organisation comme ils le jugeaient bon. C'est une idée simple, mais probablement brillante. Certains autres de nos pays amis et alliés font la même chose.
Qu'a fait le rapport sur la transformation? Nous y avons examiné les réductions auxquelles on nous a dit de nous attendre — environ un milliard de dollars — et avons cerné les secteurs qui avaient besoin d'être améliorés et les choses que nous devons faire pour être en mesure d'affronter l'avenir. L'équipe a ensuite cherché à déterminer où aller chercher les gens nécessaires en concentrant son attention sur la réduction du superflu et le renforcement de nos moyens de frappe. Elle s'est également efforcée d'aller au-delà des compressions budgétaires pour trouver des économies supplémentaires pouvant nous permettre de mieux nous positionner en vue des cinq à 10 prochaines années. Le moment était bien choisi pour le faire parce que nous venons de terminer une mission de combat aussi intense que sanglante. Nous avons encore des troupes sur des théâtres dangereux, mais nous disposons d'un peu plus d'espace. Notre aviation fait du bon travail en Libye et ailleurs dans le monde. Notre marine s'apprête à lancer un important programme d'immobilisations lié aux frégates. Nous avons besoin de trouver des fonds, de constituer des réserves si l'on veut, parce que les grands programmes complexes de la marine, de l'aviation et de l'armée ne marchent jamais comme on l'a prévu au départ et qu'il est nécessaire de disposer d'une certaine marge de manouvre.
La présidente : Merci beaucoup. Nous vous avons gardé au-delà de l'heure que vous aviez fixée. Nous savons que vous devez partir. Cet entretien nous a été très utile. Nous avions tous lu le document, mais nous vous sommes reconnaissants de nous avoir présenté votre point de vue personnel. De plus, le fait d'entendre un général dire qu'il lui arrive parfois de ne pas comprendre lui-même ce qui se passe ou de ne pas être au courant d'événements survenus au ministère nous rappelle qu'à l'occasion, nous avons tous la même impression. Merci, général Leslie, pour vos années de service. Nous vous souhaitons tout le succès possible dans votre nouvelle vie civile.
Nous allons maintenant poursuivre l'étude du sujet qui nous a occupés pendant différentes périodes de l'année dernière, à savoir la situation actuelle et l'avenir de la réserve des Forces canadiennes. Nous accueillons aujourd'hui l'honorable David Pratt, ancien ministre de la Défense, qui a publié en mars une étude sur cette question sous les auspices de l'Institut canadien de la défense et des affaires étrangères. L'étude présente des réflexions récentes, des commentaires éditoriaux ainsi que des références sur le sujet. Elle porte essentiellement sur la milice de l'armée canadienne, et non sur la réserve de l'aviation et de la marine. Il est important de garder cela à l'esprit. Nous sommes heureux de souhaiter la bienvenue à David Pratt. Son étude, intitulée Canada's Citizen Soldiers : A Discussion Paper, a été publiée en mars 2011.
Monsieur Pratt, nous vous remercions de votre présence ici et de votre travail. Je suppose que vous avez un exposé préliminaire à présenter.
David Pratt, membre du conseil consultatif, Institut canadien de la défense et des affaires étrangères : C'est bien le cas, sénateur. C'est un honneur pour moi de me présenter devant le comité pour vous parler de la réserve de l'armée canadienne. Je souhaite au comité beaucoup de succès dans ses délibérations, et j'espère que mes propos vous aideront dans votre étude de cet important sujet.
Je voudrais noter, avant de commencer, que je remplis actuellement les fonctions de premier vice-président du groupe GCI, société d'affaires publiques et de communications. Je tiens cependant à dire que les vues et les opinions que je m'apprête à exprimer sont les miennes et ne reflètent pas celles de l'entreprise pour laquelle je travaille.
Au début de l'année dernière, l'Institut canadien de la défense et des affaires étrangères m'a demandé de rédiger un rapport que j'ai intitulé Canada's Citizen Soldiers : A Discussion Paper. Lorsque j'ai entrepris ce travail, je n'avais pas de connaissances particulières sur la réserve, à part ce que j'avais appris en siégeant au Comité de la défense nationale de la Chambre des communes et en remplissant brièvement les fonctions de ministre de la Défense. L'objet du rapport était d'aborder ce sujet sous un jour nouveau. Je ne prétends donc pas avoir produit un document faisant autorité sur la question.
Je voudrais commencer par dire que beaucoup de gouvernements occidentaux, y compris celui du Canada, connaissent une période de restrictions tandis qu'ils tentent de se sortir de la récession dans un contexte caractérisé par d'importants déficits et une lourde dette. Les dépenses consacrées à la défense diminuent et les exercices de transformation militaire semblent viser autant la restructuration que l'adaptation à des mesures d'austérité. Nos plus proches alliés — Américains, Britanniques et Australiens — sont confrontés à des défis du même ordre. Le budget fédéral de 2010-2011 prévoit une réduction des dépenses consacrées à la défense prévues dans la stratégie Le Canada d'abord. Il est regrettable de constater que le Canada continue à traîner loin derrière ses alliés de l'OTAN au chapitre des dépenses de défense exprimées en pourcentage du PIB. À 1,3 p. 100, nous aurions besoin de faire d'importants nouveaux investissements pour atteindre le niveau de 2 p. 100 recommandé par l'OTAN. Il faut cependant reconnaître, à mon avis, que les gouvernements Martin et Harper ont fait des efforts pour accroître ces dépenses.
Les Forces canadiennes ont affronté de nombreux défis au cours de la dernière décennie. Les troupes canadiennes n'avaient pas été autant au combat depuis la guerre de Corée. D'après l'opinion générale, nos hommes et nos femmes en uniforme de la force régulière et de la réserve se sont acquittés extrêmement bien des missions qu'on leur a confiées. Nous en avons tiré beaucoup d'enseignements, qui se traduiront probablement par d'importants rajustements dans tous les domaines, depuis la doctrine de la tactique sur le champ de bataille jusqu'aux programmes d'équipement et de soutien du personnel. Comme le gouvernement du Canada a rapatrié nos troupes de combats en Afghanistan et les a remplacées par des formateurs, le moment est bien choisi pour réfléchir à ce que nous souhaitons que nos militaires puissent faire à l'avenir.
Si nous sommes sérieux au sujet de notre force de réserve, si nous lui sommes vraiment reconnaissants de ses contributions, nous devons veiller à ne pas négliger ses besoins et ses problèmes en période de restrictions financières. L'un des principaux points que j'ai abordés dans mon rapport concerne la mobilisation et les rôles établis de la force de réserve. Un examen de l'historique de la réserve de l'armée, c'est-à-dire la milice — qu'on trouvera dans le rapport —, permet d'illustrer tant sa culture organisationnelle que le rôle joué par la mobilisation dans le passé.
Le livre blanc de 1994 présentait un schéma de mobilisation nationale comportant quatre seuils, d'après lequel « même si une guerre mondiale est fort peu probable pour l'instant, il est prudent de disposer de plans « qui ne coûtent rien » en vue d'une mobilisation nationale totale ». D'après le livre blanc, « l'effet de ce quatrième seuil pourrait se faire sentir dans toute la société canadienne; on n'y passerait que sur proclamation d'un « état de guerre » par le gouverneur en conseil, en vertu de la Loi sur les mesures d'urgence ». Dans mon document, j'appuie le point de vue selon lequel si on juge bon d'établir ces plans « qui ne coûtent rien », c'est le gouvernement du Canada plutôt que les Forces canadiennes qui devrait s'en charger. De plus, compte tenu de l'environnement stratégique et de la nature des guerres modernes, je crois que le fait de prévoir une importante armée de réserve dans le cadre d'un programme de mobilisation nationale constituerait un exercice chimérique qui créerait des attentes irréalistes quant au rôle de la réserve.
Un examen de l'environnement stratégique permet d'imaginer les types de menaces que le Canada pourrait avoir à affronter à l'avenir. Même s'il est extrêmement difficile de prédire ce qui nous attend demain, la perspective d'un conflit comportant une guerre conventionnelle de grande portée est pour le moins invraisemblable. On retrouve ce point de vue dans les documents stratégiques récents du Canada, dans l'examen quadriennal de la défense des États-Unis, dans l'examen stratégique de la défense et de la sécurité du Royaume-Uni ainsi que dans le Concept stratégique de l'OTAN. Compte tenu de ce que nous avons connu et de ce que nous connaîtrons vraisemblablement dans les prochaines années, il semble évident qu'une réévaluation du rôle de la force de réserve est nécessaire. Je propose dans mon rapport d'adopter, comme rôle désigné remplaçant la mobilisation, une série de tâches liées aux opérations intérieures. Il conviendrait en outre de penser à faire participer la réserve à des secteurs relativement nouveaux, tels que la cyberdéfense, comme élément de la stratégie globale de cybersécurité du gouvernement.
Comme la force régulière, la force de réserve a connu certaines améliorations au cours des 10 dernières années. Toutefois, il reste encore des problèmes à résoudre. Il faudrait immédiatement prendre des mesures pour remédier aux lacunes du régime de rémunération et, même si le recrutement semble s'être amélioré, beaucoup le trouvent encore lent et inefficace.
Il faudrait également porter une plus grande attention aux soins médicaux offerts aux réservistes et s'occuper des questions d'entraînement et d'équipement qui constituent encore une source d'irritation. Un meilleur soutien administratif des unités de la réserve permettrait de remédier à beaucoup de problèmes qui suscitent constamment de la frustration. De plus, le MDN devrait, à titre prioritaire, faire en sorte que la réserve reflète les changements survenus dans la population canadienne et que les FC établissent une plus grande présence sur les campus des universités et des collèges communautaires. Enfin, le gouvernement serait bien avisé de s'occuper de la protection des emplois civils des réservistes et du soutien de leurs employeurs. Les hommes et les femmes qui servent leur pays à titre de soldats à temps partiel, de même que ceux qui les emploient, ne devraient pas avoir à subir des pertes financières quand ils jouent un rôle qui profite à tous les Canadiens.
L'objet de mon document est de présenter aux intéressés un état de la situation de la force de réserve et d'aborder quelques-uns des grands problèmes de cette institution. Comme je l'ai déjà dit, ce n'est pas du tout une étude exhaustive. De ce fait, la force de réserve du Canada devrait faire l'objet d'études et d'analyses complémentaires. L'idéal serait d'inclure ces études et analyses dans un livre blanc plus vaste sur la défense, qui pourrait peut-être s'étendre à un examen global de la diplomatie, de la défense et de l'aide au développement. Maintenant que la mission en Afghanistan tire lentement à sa fin, il conviendrait de rajuster notre politique étrangère et de défense pour tenir compte des changements survenus dans l'environnement stratégique une décennie après les attentats du 11 septembre.
Conscients de la valeur de tels examens, nos principaux alliés en font régulièrement. Les États-Unis procèdent à un examen de la défense tous les quatre ans et le Royaume-Uni, tous les cinq ans. Au Canada, les gouvernements aussi bien conservateurs que libéraux tendent à adopter une approche plus nonchalante de la politique étrangère et de défense. Toutefois, de tels examens sont importants dans une optique de politique publique. Ils suscitent des débats parmi les citoyens, permettent d'expliquer et de définir les objectifs de notre politique étrangère et nous aident à déterminer le genre de forces armées dont nous aurons besoin à l'avenir.
À défaut d'un examen général de la politique étrangère et de défense, on devrait envisager une étude distincte de la force de réserve. On pourrait en charger un groupe spécial tel que la Commission spéciale sur la restructuration des réserves, le Comité de la défense de la Chambre des communes ou un comité mixte de la Chambre et du Sénat. On pourrait également envisager un rapport faisant autorité du Sénat lui-même.
Dans les deux derniers cas, l'intervention de parlementaires conférerait au processus une légitimité particulière que ne possède pas un document stratégique comme celui que j'ai rédigé. Le rapport d'octobre 1998 du Comité de la défense de la Chambre des communes, Pour aller de l'avant : plan stratégique pour l'amélioration de la qualité de la vie dans les Forces canadiennes, peut servir de modèle à une étude de la force de réserve. Les audiences que le comité a tenues dans des bases des FC, un peu partout au Canada, ont permis à des militaires actifs de faire connaître leurs griefs hors de la chaîne de commandement. Ces audiences ont abouti à 89 recommandations portant sur la rémunération, le soutien des familles, le logement et les soins aux blessés. Presque toutes les recommandations ont été mises en ouvre par le MDN et les Forces canadiennes. Une commission spéciale ou un comité parlementaire constituerait un bon point de départ pour lancer un processus de réforme.
Permettez-moi de dire, en conclusion, que la réserve de l'armée s'est développée sur une longue période et qu'elle continuera à évoluer. Comme institution, elle a atteint un niveau de maturité tel qu'elle constitue manifestement une partie essentielle de l'armée canadienne. Il peut sembler banal de dire que la force régulière a besoin de la force de réserve, tout comme la force de réserve a besoin de la force régulière. Je le dis quand même parce que c'est la vérité. Les deux composantes des FC sont indispensables à la défense des intérêts nationaux et stratégiques du Canada. Il faut également considérer que la réserve est un élément fondamental des FC, qui joue un rôle essentiel à la sécurité des Canadiens. Dans des conditions parfois défavorables et rigoureuses, la force de réserve a constamment renforcé sa réputation et s'est acquis le respect de beaucoup de membres de la force régulière et de l'ensemble du public. Dans son livre, Canada's Army : Waging War and Keeping the Peace, Jack Granatstein présente ce qu'il appelle « un argument élargi en faveur du professionnalisme militaire ». Dans mon rapport, j'appuie à fond ce point de vue. La force de réserve doit relever un triple défi. D'abord, il faut définir à son intention un rôle actualisé et pertinent. Le rêve illusoire d'une mobilisation de masse doit être écarté. Ensuite, la réserve a besoin de plus d'entraînement et de professionnalisme pour être mieux en mesure d'agir de concert avec la force régulière. Enfin, elle doit disposer des ressources nécessaires pour exécuter les missions qui lui sont confiées. Il est temps de se débarrasser de l'idée que le Canada dispose de deux armées, une « force existante » et une « force en herbe ». Nos dirigeants militaires doivent en outre s'efforcer d'apaiser les tensions découlant du choc de deux cultures organisationnelles très différentes.
Le Canada doit avoir une armée composée d'une force régulière et d'une force de réserve. Leurs membres doivent bien connaître leurs rôles, être bien entraînés et bien équipés et respecter mutuellement la contribution de chaque force à la profession des armes. Voilà, à mon avis, l'armée dont nous avons besoin pour défendre les intérêts actuels et futurs du Canada.
La présidente : Merci beaucoup. Pour la gouverne de ceux qui nous écoutent, je préciserai que nous avons trois catégories de réservistes : ceux de la classe A travaillent à temps partiel au Canada et sont rémunérés à 85 p. 100 du taux de la force régulière; ceux de la classe B travaillent à temps plein au Canada et touchent 85 p. 100 de la rémunération de la force régulière; ceux de la classe C sont déployés à temps plein — par exemple, les réservistes envoyés en Afghanistan — et sont payés au taux de rémunération de la force régulière.
J'ajouterai, pour préparer le terrain, que le général Leslie a avancé l'idée — comme vous aussi, je crois, monsieur Pratt — d'une armée composée de deux divisions : une division chargée des déploiements expéditionnaires — la force régulière — et une division de réserve, quoiqu'il puisse y avoir chevauchement entre les deux. Pouvons-nous dire que c'est aussi votre point de vue?
M. Pratt : Je crois qu'il faudrait y réfléchir davantage, mais, à première vue, l'idée a du mérite. Sous certains aspects, c'est l'organisation que nous avons déjà, même si nous ne parlons pas d'un système à deux divisions. Pour beaucoup de soldats, toute la notion de la division est désuète. Aux États-Unis, la brigade est depuis un certain temps l'unité fondamentale de combat. Le Canada fonctionne aussi sur cette base. L'important, pour moi, c'est l'idée d'attribuer à la réserve un important rôle intérieur à l'avenir pour que les réservistes sachent précisément en quoi consiste leur mandat plutôt que d'envisager la mobilisation de masse comme une possibilité future.
La présidente : Voilà qui prépare bien le terrain.
Le sénateur Dallaire : Je vous remercie d'avoir réalisé cette étude et de la mettre de l'avant. Vous avez produit un excellent document, qui est très complet.
Comme vous l'avez mentionné, il est intéressant de noter que le programme du COTC a attiré beaucoup de gens sur les campus.
[Français]
Même Jean Lesage l'a fait, dans l'artillerie, tout comme Jean-Paul L'Allier, mais il était dans les blindés.
[Traduction]
Aujourd'hui, une nouvelle mission de formation est en cours en Afghanistan. Nous avons pu voir que la force régulière ne pouvait pas fonctionner sans au moins 20 p. 100 de réservistes, ce qui a sérieusement éprouvé les structures de leadership de la réserve. Si on considère qu'à un moment donné, il n'y a probablement qu'un réserviste sur six qui soit disposé à se porter volontaire, il serait extrêmement difficile de maintenir cette proportion.
Cette mission de formation nécessitera encore plus de réservistes parce qu'il semble que la force régulière préfère charger de ce travail des réservistes plutôt que des réguliers. Je m'inquiète au sujet des réservistes qui rentrent, beaucoup comme anciens combattants. Il y a aussi les 4 500 de la classe B qui doivent réintégrer la classe A. Nous assistons déjà à des réductions sensibles dans les domaines du fonctionnement et de l'entretien, des munitions — pas tellement dans celui de la rémunération — et de l'entraînement, avant même qu'on n'ait annoncé les autres réductions massives qui sont attendues.
Comment croyez-vous qu'on occupera ces vétérans dans les manèges militaires s'ils n'ont aucun objectif concret en vue duquel ils peuvent s'entraîner avec le soutien de leurs supérieurs?
M. Pratt : C'est une excellente question, sénateur. Au cours de mon étude, le major-général à la retraite Clive Addy m'a dit certaines choses qui se rapportent directement à ce sujet. Il était d'avis que nous perdrions beaucoup de gens. En effet, comment pourrions-nous les garder dans des rôles subalternes après qu'ils ont combattu à Kandahar? Ce serait pour le moins difficile. Ils ont vécu les moments les plus intenses de l'intervention militaire du Canada, ils ont connu des situations extrêmement tendues et ont subi un énorme stress. Le défi ne sera plus là quand ils seront rentrés chez eux. Il pourrait être difficile de maintenir l'esprit de corps dans ces conditions.
Il incomberait aux FC de veiller à ne pas perdre ces gens parce qu'ils font partie en ce moment de l'expérience globale de nos forces armées.
Comme vous le savez, j'en suis sûr, nous avons maintenant des réservistes plus expérimentés que nous n'en avons eu depuis la guerre de Corée. Il faut noter en passant que beaucoup des réservistes qui sont allés en Corée étaient des vétérans de la Seconde Guerre mondiale. Nous disposons avec eux de ressources de combat que nous ne devrions pas perdre. Je crois que les FC devraient faire un effort spécial pour maintenir leur intérêt d'une façon ou d'une autre, de préférence dans la classe A, puisqu'il est probable que le nombre de réservistes de la classe B diminuera l'avenir.
Le sénateur Dallaire : À défaut d'une politique-cadre établissant le niveau auquel il faudrait maintenir les réservistes en prévision des rôles qui pourraient leur être confiés plus tard, il serait difficile de consacrer davantage de ressources au maintien de la réserve à un niveau élevé d'efficacité en vue d'un déploiement possible aux côtés de la force régulière. Par exemple, la mission au Sierra Leone est entièrement assumée par des réservistes.
En l'absence d'une telle politique-cadre, ne croyez-vous pas que les réservistes finiront très probablement par être la cible d'importantes réductions puisque tout, y compris leur salaire, relève en réalité des budgets de fonctionnement et d'entretien?
M. Pratt : L'une des choses que j'ai notées au cours de cette étude est que les réservistes qui servaient aux côtés de la force régulière et bénéficiaient de son régime de rémunération se sont habitués à être payés sur une base régulière. S'ils doivent réintégrer la classe A, dont le régime de rémunération laisse encore beaucoup à désirer, leur frustration augmentera très sensiblement. Il serait nécessaire de procéder à une restructuration des budgets et de l'entraînement pour assurer une certaine protection aux unités de réserve et aux réservistes eux-mêmes, qui doivent pouvoir compter sur des conditions de service prévisibles.
Le sénateur Dallaire : Même la transformation proposée par le général Leslie, qui a repris votre concept des deux divisions...
M. Pratt : Ce n'est pas mon concept. C'est en fait le sien. Il est important de le mentionner parce qu'au cours de mes recherches, j'ai eu quelques bonnes et longues conversations avec le général Leslie.
Le sénateur Dallaire : C'est du pareil au même. De toute façon, vous êtes au courant. Vous avez parlé d'une structure homogène. C'est dans une large mesure le cas dans l'aviation, même si beaucoup des réservistes sont d'anciens réguliers, des techniciens, et cetera. C'est à peu près la même chose dans la marine, mais pas dans l'armée. Si on subdivise les divisions, on a trois brigades. En réalité, ce sont non pas des divisions, mais des forces opérationnelles ou des forces organisées comme telles en fonction des besoins. Il y a des brigades régulières et des brigades de réserve qui relèvent actuellement d'un même quartier général de secteur. Au Québec, nous avons une brigade régulière, deux brigades de réserve et ainsi de suite.
Si vous les séparez, allez-vous créer des quartiers généraux distincts de commandement et de contrôle? Autrement dit, la réserve relèvera-t-elle du seul commandement de la réserve plutôt que d'un quartier général de secteur?
M. Pratt : Pour qu'un tel modèle puisse fonctionner, il serait essentiel d'établir ce que j'appellerai de l'enrichissement mutuel, c'est-à-dire des échanges réciproques de réservistes et de réguliers, de façon à créer ce qu'on appelait dans le temps le concept de la force totale. Il faudrait donc veiller à maintenir un degré suffisant d'intégration.
La dernière chose à faire, à mon avis, est d'essayer de créer deux chaînes de commandement distinctes dotées chacune d'une culture organisationnelle différente. Le Canada n'est pas assez grand pour avoir deux armées comme les États-Unis, qui ont le corps des Marines en plus de leur armée. Il faut faire attention à ces questions. De toute évidence, il y aurait la chaîne de commandement. Nous n'aurions quand même qu'une seule armée comprenant deux composantes.
Le sénateur Lang : Je voudrais revenir aux catégories de réservistes. Nous avons ceux de la classe A, qui travaillent à temps partiel, ceux de la classe B, qui travaillent à temps plein, et bien sûr ceux de la classe C, qui sont déployés à l'étranger quand nous avons un théâtre d'opérations en dehors du pays.
Lors de la comparution du témoin précédent, on a dit, au sujet de cette catégorisation des réservistes, qu'il serait souhaitable d'avoir soit des réguliers soit des réservistes, c'est-à-dire des soldats à temps partiel.
J'aimerais connaître votre avis à cet égard parce que j'ai l'impression que nous nous leurrons au sujet de l'effectif de la force régulière dans l'armée, la marine et l'aviation. Nous avons un effectif régulier d'environ 68 000 soldats auquel s'ajoutent 10 000 réservistes à temps plein. Cela nous amène à près de 80 000. De plus, nous avons 25 000 réservistes faisant autre chose un peu partout dans le pays.
Je voudrais savoir ce que vous pensez de cette catégorisation pour que les choses soient claires et bien définies et qu'on soit ou bien membre de la force régulière ou bien réserviste, réservistes s'entendant de ceux qui travaillent à l'extérieur ou à la campagne.
M. Pratt : La question des effectifs a certainement été un objet de controverse dans les 10 dernières années tandis que les gens s'interrogeaient sur les nombres et les classifications et sur ce qui constitue un membre à temps plein de la force régulière par opposition à un réserviste à temps partiel. Il y a même un rapport datant de 2002 qui signale avec regret qu'il est difficile de connaître les nombres et de savoir qui se trouve à chaque endroit. C'était l'une des raisons de la création des classes A, B et C. Il y avait une certaine logique dans cette catégorisation mais, cela étant dit, si un réserviste de la classe B a longtemps servi dans un poste à temps plein, il est raisonnable, comme l'a mentionné le général Leslie, de lui permettre soit d'accepter un poste à temps plein dans la force régulière, soit de réintégrer la classe A, soit encore de s'en aller pour faire autre chose.
Je ne peux pas dire que j'ai une opinion bien arrêtée sur la façon dont ce système de classification devrait fonctionner. Le système permet cependant de savoir assez précisément ce que font les réservistes à un moment donné. S'ils appartiennent à la classe C, ils sont évidemment en déploiement à l'étranger, situation qui n'est d'ailleurs pas sans problèmes. La classe B est une tout autre affaire pour ce qui est des conditions de service.
Je n'ai pas vraiment de règles rigoureuses à proposer, mais je crois que le MDN devrait essayer dans les prochaines années de s'assurer que ses nombres sont exacts parce que j'ai bien l'impression qu'il y a des problèmes à cet égard. Jack English signale aussi dans son rapport la question des effectifs. Si on veut formuler de bonnes politiques publiques, il faut pouvoir se baser sur des nombres exacts. Ainsi, lorsque j'ai demandé certains chiffres par l'entremise de la Bibliothèque du Parlement, celle-ci a transmis ma demande au MDN, qui avait alors admis que beaucoup de chiffres étaient inexacts et devaient être retravaillés parce que certaines bases de données n'étaient pas trop bien gérées.
Beaucoup d'aspects de la question de la réserve — par exemple, l'administration — devraient faire l'objet d'une plus grande attention. Je pense notamment aux compilations statistiques permettant de savoir où se trouve chacun.
Le sénateur Dallaire : Les réservistes travaillent soit à temps partiel soit à temps plein. Certains réservistes à temps partiel de la classe A font plus de 100 jours de travail par an. À ce rythme, même si c'est officiellement du temps partiel, ils sont assez proches du temps plein.
Le sénateur Lang : Je voudrais revenir au rapport du témoin précédent. De toute évidence, il a fait l'objet de discussions non seulement ici, mais aussi à beaucoup d'autres endroits. Compte tenu de votre expérience antérieure et du fait que vous avez été ministre de la Défense, j'aimerais connaître votre avis sur ce rapport puisqu'il concerne la réserve — qui vous intéresse évidemment — ainsi que l'ensemble de la structure du ministère de la Défense nationale. Êtes-vous d'accord sur ce que dit le général Leslie dans son rapport?
M. Pratt : D'une façon générale et sur la base de ce que j'ai lu dans les journaux au sujet du rapport, oui, je suis d'accord sur les grandes lignes. Je suis également d'accord avec le général Leslie en ce qui concerne l'établissement des différents commandements. Ceux-ci ont été créés pour une raison précise, qui était d'assurer aux troupes canadiennes servant à l'étranger un bon soutien au niveau des commandements opérationnels. Je crois que ces objectifs étaient vraiment importants à ce moment-là.
Je suis aussi d'accord avec le général Leslie quand il dit qu'il est temps d'examiner soigneusement les structures de commandement, les quartiers généraux, et de les rationaliser parce que nous sommes actuellement dans une situation stratégique complètement différente, du fait que la mission en Afghanistan tire à sa fin. Ce qui convenait pendant que nous étions en Afghanistan pourrait ne plus convenir dans les prochaines années.
Les circonstances particulières nécessitent des structures organisationnelles particulières. Je crois que les changements apportés par le général Hillier étaient importants et efficaces, mais la situation n'est plus la même.
Le sénateur Segal : Monsieur Pratt, j'aimerais si possible vous exposer deux propositions et connaître votre avis à leur sujet. Avant de le faire cependant, je voudrais, à titre de citoyen, vous remercier du courage que vous avez manifesté lorsque vous étiez président du Comité de la défense nationale de la Chambre des communes, sous le gouvernement libéral qui a précédé Paul Martin. Ce gouvernement avait un point de vue assez particulier sur la taille, la croissance et la portée des forces armées. Vous avez adopté un point de vue contraire, ce qui était courageux de votre part. J'aimerais vous remercier pour l'attitude que vous avez adoptée alors.
Voici ce qu'on peut entendre aujourd'hui dans beaucoup d'unités de la réserve de l'armée, un peu partout dans le pays. Je suis sûr que vous avez entendu la même chose pendant que vous vous occupiez de votre rapport. Les soldats sont revenus de l'Afghanistan. Ce sont les meilleurs qui avaient été pris. L'officier local de la réserve devait approuver la demande de ceux qui se portaient volontaires pour aller en Afghanistan. Or le nombre des volontaires était supérieur au nombre de ceux qui sont partis. Plusieurs voulaient y aller, ce qui est tout à leur honneur. Ceux qui étaient choisis recevaient un entraînement spécial allant au-delà de l'entraînement normal. Ils avaient aussi d'autres compétences. Ils sont allés servir et ont fait une, deux ou trois rotations. Ensuite, ils sont rentrés. Nous disons maintenant que nous ne pouvons plus nous permettre de les rémunérer à temps plein. Ils sont pourtant les mieux placés pour entraîner d'autres réservistes partout dans le pays, afin qu'ils soient prêts, qu'ils se préparent et qu'ils tirent parti de ce qu'on leur a enseigné. On peut autrement craindre de perdre ces réservistes, qui ne voudront pas recommencer à travailler à temps partiel. Ils s'en iront, peut-être dans le secteur privé ou ailleurs, et ne voudront pas rester dans la réserve. Entre-temps, le gouvernement, comme cela a été le cas avant la fin du dernier exercice, a réduit le nombre de journées d'exercice militaire et d'entraînement. Le commandant de l'unité locale de la réserve se dit alors : « C'est la façon que j'ai de faire venir les gens pour les entraîner. Si le nombre de ces journées est réduit parce que nous sommes en fin d'exercice, je vais avoir beaucoup de difficultés à faire mon travail et à maintenir le niveau de préparation voulu. » Voilà l'une des réalités qui existent sur le terrain.
L'autre réalité, comme chacun ici le sait — vous y avez vous-même fait allusion dans votre rapport —, c'est qu'il est plus efficace et moins coûteux de préparer un réserviste, de lui inculquer les compétences de base, de lui donner la capacité physique et les autres aptitudes nécessaires et même de lui donner la formation spécialisée de plusieurs semaines nécessaire avant le déploiement sur un théâtre d'opérations que de faire la même chose pour un membre de la force régulière. Un pays dont la politique étrangère et les engagements humanitaires revêtent de multiples aspects doit être en mesure de déployer rapidement des troupes à des endroits comme Haïti en cas de catastrophes naturelles. Toutefois, s'il ne dispose pas des compétences et des capacités de réserve nécessaires, ce pays ne pourra pas procéder à un déploiement rapide. La responsabilité de protéger est dénuée de sens sans capacité de déploiement. Tout cela milite en faveur d'une force de réserve de 50 000 personnes qui serait prête à seconder une force régulière de 100 000 soldats, afin que nous puissions nous acquitter des responsabilités que nous imposent les engagements de politique étrangère pris par les gouvernements passés, présents et futurs.
J'aimerais connaître votre avis sur ces deux propositions.
M. Pratt : Permettez-moi tout d'abord de vous remercier de vos aimables propos concernant mon activité au sein du comité de la défense. Je vous en suis très reconnaissant.
Je n'ai mentionné aucun chiffre dans mon rapport pour une très bonne raison. Je suis sûr que vous avez tous entendu dire que la politique est l'art du possible. Compte tenu de la situation financière actuelle, il est probable que nous connaîtrons des réductions plutôt que des augmentations du budget de la défense. Personnellement, je le regrette. Je crois que les Forces canadiennes constituent un instrument absolument essentiel de notre politique étrangère, comme elles l'ont été dans le passé et le seront à l'avenir. Est-ce que j'aimerais que nos forces disposent de plus d'argent? Absolument. Est-ce probable à court terme, c'est-à-dire dans les quelques prochaines années? Sans doute pas. Les Forces canadiennes devront se suffire des ressources qu'elles ont.
Le chiffre qui revenait souvent et qui me semblait assez raisonnable — il a été mentionné dans les documents sur la réserve parus dans le passé et remonte à 1996 — était de 30 000 réservistes. Personnellement, j'ai trouvé la Stratégie de défense Le Canada d'abord un peu décevante parce qu'elle repousse jusqu'en 2028 la date cible à laquelle nous atteindrions le chiffre de 30 000 réservistes. Ainsi, les progrès au chapitre de la réserve seraient d'une lenteur désespérante. Je souhaiterais en outre voir augmenter l'effectif de notre force régulière. J'ai déjà mentionné que nous consacrons actuellement 1,3 p. 100 de notre PIB à la défense. Le budget du MDN s'était accru sous le gouvernement Martin. Le gouvernement Harper — et c'est tout à son honneur — a également attribué plus d'argent au ministère. Je crois que c'est essentiel parce qu'on ne sait jamais ce que demain nous réserve.
Cela étant dit, comme je l'ai déjà mentionné, nous devons concentrer nos efforts sur ce qui est réalisable et ce qui est probable dans les quelques prochaines années. Pour conclure, je dirais que le plus important, dans un contexte global, c'est l'examen de la politique étrangère et de défense que j'aimerais voir entreprendre. Je crois en effet qu'il est important que les Canadiens en discutent, comme ils l'avaient fait en 1994. Dans son énoncé de politique internationale, le gouvernement Martin avait défini un certain nombre de scénarios stratégiques et avait réalisé un examen de la défense, de la diplomatie et de l'aide au développement, mais sans profiter des avantages d'audiences parlementaires. Je crois que des audiences parlementaires auraient été extrêmement importantes pour conférer de la légitimité à ce processus. En leur absence, nous n'avons en quelque sorte qu'une image ponctuelle non seulement de notre politique étrangère, mais aussi de notre politique de défense. Je crois que nous avons désespérément besoin d'une vision nationale plus claire dans ce domaine.
La présidente : Je ne prendrai pas le temps de les énumérer, mais je crois que nous avons eu récemment un assez grand nombre de déclarations définissant notre politique étrangère d'une manière très claire. Il y a notamment la déclaration de M. Baird aux Nations Unies.
Le sénateur Lang : Vous avez dit que nous avons 20 000 ou 25 000 réservistes. J'ai cru comprendre qu'en 2010 — ce sont les statistiques les plus récentes que j'aie pu obtenir —, leur effectif était proche de 36 000.
La présidente : C'est bien le chiffre qui circule actuellement.
Le sénateur Lang : Il est sensiblement plus élevé.
La présidente : La question est de savoir comment les réservistes se répartissent entre les trois catégories.
M. Pratt : Il faut également se demander si cet effectif comprend la réserve navale, la réserve aérienne et le reste.
Le sénateur Lang : Je suppose que c'est compris.
Le sénateur Dallaire : Ce sont peut-être les chiffres, mais ils ne sont pas rémunérés. Les fonds nécessaires pour amener tous ces gens au niveau de préparation voulu...
La présidente : C'est un autre aspect de la question. Nous ne parlons maintenant que de l'effectif.
Le sénateur Nolin : Monsieur Pratt, j'aimerais examiner avec vous le programme de protection des emplois et de soutien des employeurs fondé sur la récente proposition de l'Institut C.D. Howe.
Pouvez-vous en dire davantage au comité pour nous permettre de mieux comprendre cette proposition? Nous sommes confrontés à ce problème depuis des années. Nous avons présenté des rapports et formulé des recommandations à ce sujet. Quelle est donc la solution magique qui est proposée?
M. Pratt : Le mieux que je puisse faire, sénateur, est de vous citer un extrait de la page 73 de mon rapport concernant le plan de l'Institut C.D. Howe :
Dans le cadre du plan de l'Institut, les pouvoirs publics aideraient davantage les petites entreprises qui n'ont pas les moyens d'absorber facilement la perte d'un employé. L'indemnisation se fonderait sur la déclaration de revenus de l'employé et sur la taille de l'entreprise. Ainsi, une société ayant plus de 100 salariés aurait droit à 40 p. 100 du traitement annuel de l'employé. Les entreprises ayant entre 20 et 99 employés pourraient réclamer 50 p. 100 du traitement et celles qui en comptent entre 10 et 19 auraient droit à 60 p. 100. Les petites sociétés ayant entre 5 et 9 employés obtiendraient 70 p. 100, et les entreprises encore plus petites employant entre 1 et 5 personnes pourraient réclamer 80 p. 100, avec un plafond annuel égal au maximum des gains ouvrant droit à pension, soit 47 200 $. Une exemption pour difficultés exceptionnelles pourrait également être prévue.
Je crois que cela donne un aperçu assez clair du plan. Bien sûr, plusieurs pays accordent une aide plus généreuse aux employés.
Le sénateur Nolin : La protection de l'emploi est également essentielle. À part tous ces encouragements, il faut garantir à ceux qui veulent s'enrôler qu'ils garderont leur emploi.
M. Pratt : Absolument. S'il s'agit de réservistes de la classe A, c'est important.
Le sénateur Nolin : Avez-vous réfléchi aux possibilités relativement à la protection de l'emploi? Vous avez surtout parlé des encouragements à accorder aux employeurs, mais qu'en est-il de la protection des employés? Les réservistes veulent être sûrs que leur emploi les attendra.
M. Pratt : Absolument. Je crois qu'il est essentiel de bien faire comprendre aux réservistes et aux employeurs que les services rendus au pays sont d'une grande importance et qu'il faut donc protéger l'emploi des réservistes.
Le sénateur Nolin : Avez-vous pensé à l'aspect législatif? Nous avons bien sûr des domaines qui relèvent de la compétence provinciale et d'autres, de la compétence fédérale. Y avez-vous réfléchi, ou bien laissez-vous cela aux avocats?
M. Pratt : Il est probable que les avocats du ministère de la Justice auraient des choses intéressantes à dire à ce sujet. Les circonstances que nous avons connues ces dernières années sont telles que les employeurs accueilleraient vraisemblablement mieux aujourd'hui que jamais des mesures législatives de protection de l'emploi. Si le Sénat le jugeait bon, il pourrait par exemple prendre contact avec la Chambre de commerce du Canada et avec d'autres organisations patronales.
La présidente : Nous avons entendu des témoignages à ce sujet et avons parlé à des employeurs. Je crois qu'il serait raisonnable de dire qu'en fin de compte, l'opinion majoritaire était qu'il valait mieux ne pas intervenir. Vous voulez inciter les gens à en faire davantage et à prendre telle ou telle mesure, mais plus on impose de règles, plus les choses deviennent compliquées et difficiles. Les employeurs finissent par penser que c'est un inconvénient d'engager des réservistes.
M. Pratt : C'est effectivement un problème, mais je ne pense pas qu'on puisse séparer les deux aspects si on veut appuyer les employeurs et les indemniser. Je crois que c'est un élément important de l'équation.
Le sénateur Day : Au chapitre du soutien des employeurs, vous et ceux qui nous écoutent, je crois, connaissez sans doute le Conseil de liaison des Forces canadiennes et le bon travail qu'il fait non seulement en préconisant l'adoption de mesures législatives, mais en essayant aussi entre-temps de mieux sensibiliser les employeurs. Plusieurs d'entre eux ont accepté de s'engager sur une base volontaire à veiller à ce que les réservistes ne subissent pas de pertes de revenus pendant qu'ils servent. Le conseil fait du bon travail. Nous espérons qu'il continuera.
Monsieur Pratt, je voudrais vous demander de préciser certaines de vos conclusions. Vous dites d'une part que nous devons définir un rôle précis pour les réservistes. Je suis à la page 7 de votre résumé qui traite d'un rôle défini. D'autre part, vous dites qu'ils doivent être en mesure de s'intégrer dans la force régulière.
Je m'interroge sur la compatibilité de ces deux aspects. La réserve pourrait avoir un rôle à jouer comme garde nationale. On en a parlé dans le passé. Les réservistes ne recevront pas un entraînement aussi intensif que celui de la force régulière pour ce qui est du déploiement ou de la mobilisation, mais ils ont un rôle très important à jouer dans le domaine de la sécurité nationale.
Avez-vous pensé au fait que les rôles peuvent être quelque peu différents?
M. Pratt : Un certain nombre de mes interlocuteurs m'ont dit d'éviter les comparaisons entre la garde nationale et la réserve de l'Armée, qui ont des rôles très différents aux États-Unis. Je ne peux pas dire que je connais très bien le mode de fonctionnement de la Garde nationale américaine.
Je crois cependant que l'intégration des réservistes dans la force régulière est importante quand celle-ci a besoin de renfort. Nos effectifs de réguliers ne sont tout simplement pas assez élevés pour faire tout ce que nous demandons à la force régulière. Toutes les armées du monde ont le même problème.
La notion d'intégration se fonde sur la question de savoir s'il vaut mieux envoyer en renfort des groupes complets de réservistes ou des individus. Nous avons constaté en Afghanistan qu'en envoyant de petites sous-unités de l'ordre du peloton, par exemple, elles finissent par être cantonnées à ce qu'on appelle des « tâches de sécurité » dans les postes de commandement et à des rôles de combat secondaires. Sous certains aspects, les réservistes préfèrent être affectés à titre individuel à des unités qui sont régulièrement envoyées au combat. Dans le type de scénario que nous avions en Afghanistan, c'était le meilleur moyen d'intégrer les réservistes.
Le modèle à deux divisions dans lequel la réserve s'occupe essentiellement de sécurité intérieure, de catastrophes naturelles, et cetera, peut être avantageux pourvu, comme je l'ai déjà mentionné, qu'il y ait un bon degré d'enrichissement mutuel. Dans ce cas, on peut tout d'abord atténuer les conflits culturels — « eux et nous » — entre réservistes et réguliers. De plus, les réservistes sont en mesure, si nécessaire, d'accéder à un régime d'entraînement pouvant les préparer à des missions comme celle de l'Afghanistan. Comme je l'ai dit, nous ne savons pas ce que demain nous réserve. L'avenir est très imprévisible. Je crois que c'est un moyen de garantir un tel niveau d'intégration.
Le sénateur Day : Je suis heureux que vous ayez mentionné l'aspect culturel et l'importance qu'il y a à s'y intéresser. Je crois cependant que le stage de six mois que nous offrons maintenant avant le déploiement semble atténuer considérablement ce problème.
Au cours de l'une de mes visites en Afghanistan, j'ai pu constater que des réservistes étaient chargés de tâches qui étaient loin d'être secondaires. Il y avait par exemple une route en construction et beaucoup d'activités de développement communautaire. Dans ce contexte, les réservistes avaient souvent des compétences que les réguliers ne possédaient pas. Dans ce cas particulier, la contribution des réservistes était reconnue.
M. Pratt : Absolument. Les réservistes ont participé ces dernières années à des choses telles que les OPSPSY, ou opérations psychologiques, et la COCIM, ou coopération civilo-militaire, qui revêtaient une grande importance. Par ailleurs, les réactions dépendent souvent des réservistes à qui on parle car, comme vous le savez, j'en suis sûr, il n'existe pas de point de vue monolithique parmi les réservistes à ce sujet. Chacun rentre avec une expérience différente qui conditionne ses opinions. Au sujet des questions culturelles, quelques-uns de mes interlocuteurs m'ont dit : « C'est mon béret qui m'a trahi. Dès que les gens se rendaient compte que je venais d'un régiment de réserve, ils ne me traitaient plus comme un vrai soldat. »
Le sénateur Day : C'est un problème culturel.
M. Pratt : Oui. Il y en avait cependant d'autres qui me disaient : « Lorsqu'on m'a affecté en renfort, à titre individuel, dans une unité régulière, il a fallu quelque temps, mais les soldats ont fini par m'accepter comme un des leurs. En fin de compte, je n'ai eu aucun problème. » On trouve donc les deux points de vue.
La présidente : Il ne nous reste plus beaucoup de temps. Je sais que vous en avez brièvement parlé plus tôt, mais vous avez fait une petite enquête pour déterminer ce que nos alliés font dans ce domaine. Ont-ils pris des mesures ou examiné des problèmes particuliers qui pourraient nous être utiles dans cette discussion?
M. Pratt : Je pense, madame la présidente, que l'un de nos plus grands problèmes, du point de vue de la politique relative à la réserve, réside dans toute cette question du rôle de mobilisation. Je l'ai mentionné plus tôt, mais je crois qu'une mobilisation totale comme celle qui s'est produite lors de la Seconde Guerre mondiale est tellement improbable à l'avenir que, sur le plan de la politique, nous devrions l'écarter complètement. Oui, nous pourrions avoir besoin d'une importante expansion, mais, dans les milieux de la réserve, certains parlent d'une réserve de l'armée composée de deux corps, ce qui n'est qu'une chimère. Nos politiques doivent être ancrées dans la réalité.
Dans le cadre de l'examen britannique, de la revue quadriennale américaine et du Concept stratégique de l'OTAN, personne ne parle de mobilisation de masse. Au chapitre des réactions, on évoque des choses telles que le terrorisme, les États défaillants et les catastrophes de grande envergure d'origine naturelle ou humaine. Personne n'envisage une guerre conventionnelle à grande échelle pouvant toucher le Canada ou l'OTAN.
La présidente : Cela les a-t-il amenés ou vous a-t-il amené à changer d'avis quant aux effectifs et au besoin d'avoir des forces régulières et de réserve plus importantes?
M. Pratt : Ce facteur ne joue pas contre la réserve. Ce n'est pas mon point de vue. Le Canada a besoin de réservistes. Toute force régulière doit pouvoir compter sur une réserve. La question est de savoir ce que nous avons les moyens de payer et ce qui correspond à notre contexte stratégique particulier.
Le sénateur Dallaire : Les Australiens, les Britanniques et les Américains s'apprêtent à publier des études fondamentales que nous aurions peut-être intérêt à examiner, mais personne ne recommande de réduire la réserve. Au contraire, nos alliés préconisent de lui confier davantage de tâches et d'y recourir plus souvent.
Bien sûr, si on veut faire appel à des individus plutôt qu'à des sous-unités quand on a besoin de renfort, il faut garder à l'esprit qu'il est beaucoup moins coûteux de former des individus que d'amener une sous-unité à un certain niveau opérationnel. Ce débat ne s'est pas encore étendu au MDN parce que le ministère a déjà de la difficulté à financer les renforts individuels.
La question que je voudrais vous poser a trait à une chose que vous avez lue et que nous avons vue dans un certain nombre d'autres documents, à savoir que la réserve a été et demeure une institution de base non seulement des forces armées, mais de l'ensemble de la société canadienne. Sa présence dans nos collectivités est importante.
Cela est mentionné partout, mais je ne l'ai pas vu dans un document officiel. Un peu partout dans le pays, nous avons des manèges militaires qui ont besoin de réparations majeures. Est-ce là une tâche que nous avons attribuée à la réserve dans nos collectivités? Cette tâche est-elle définie dans la politique, ou bien s'agit-il simplement d'une tradition?
M. Pratt : C'est en partie une tradition, mais elle est aussi partiellement enracinée dans la politique. Je pense que c'est en 2002, lorsque M. McCallum était ministre de la Défense, qu'on a défini les trois rôles officiels de la réserve : mobilisation, renfort et présence dans la collectivité.
Je crois que la présence dans la collectivité revêt une importance critique du point de vue de la diversité. Nous avons pu constater ces dernières années que la force régulière ne reflète pas aussi bien la société canadienne que la réserve. À cet égard, la réserve nous aide vraiment à rendre l'armée plus représentative de l'ensemble de la population. C'est un élément très positif dans la mesure où nous pouvons l'encourager.
Je voudrais préciser un point lié à la question des effectifs...
La présidente : Oui, c'est 26 000 sans compter les Rangers canadiens, la réserve aérienne et la réserve navale. C'est la raison pour laquelle on atteint l'autre nombre.
M. Pratt : On trouve le chiffre de 35 000 à la page 10 du rapport. Je crois savoir que le chiffre de 30 000 représente la réserve de l'armée.
La présidente : Avez-vous une question supplémentaire à poser à ce sujet, sénateur Lang?
Le sénateur Lang : Je voudrais aborder un point lié à la question posée par le sénateur Dallaire. Je lis ici, dans le rapport présenté par le témoin, que l'effectif de la force de réserve australienne a diminué de 25 p. 100 au cours des 10 dernières années.
Le sénateur Dallaire : C'est ce que les Australiens avaient les moyens de se payer.
Le sénateur Lang : Je tenais à préciser ce point.
La présidente : Il ne nous reste plus de temps. Monsieur Pratt, nous vous remercions du temps que vous nous avez accordé aujourd'hui, du travail que vous avez fait dans ce domaine et de l'aide que vous avez donnée au comité pour lui permettre de mieux cerner les recommandations qu'il formulera. Merci beaucoup.
M. Pratt : Merci à vous, madame la présidente.
La présidente : Nous ferons une courte pause avant de siéger à huis clos pour discuter des travaux du comité. Nous allons donc prendre une minute ou deux. Je vous remercie.
(La séance se poursuit à huis clos.)