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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 2 - Témoignages du 24 octobre 2011


OTTAWA, le lundi 24 octobre 2011

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 16 h 1, pour étudier et faire rapport au sujet des politiques, des pratiques, des circonstances et des capacités du Canada en matière de sécurité nationale et de défense (sujet : protéger le Canada contre les tentatives iraniennes d'acquérir des technologies à double usage).

Le sénateur Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Mesdames et messieurs, bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Aujourd'hui, nous entamons un tout nouveau chapitre et nous allons essayer de vous situer un peu en contexte.

Le premier ministre a dit que l'Iran représente sans doute, actuellement, la menace la plus importante à la paix et à la sécurité dans le monde. Le week-end dernier, la secrétaire d'État des États-Unis, Hillary Clinton, a prévenu l'Iran de ne pas sous-estimer l'engagement américain au Moyen-Orient. Il s'agissait là d'un avertissement bien senti adressé au président Ahmadinejad qui venait de répéter que, non seulement il demeurerait présent en Irak, mais qu'il intensifierait sans doute ses activités dans ce pays.

Cette inquiétude est très réelle. Il est évident que les Américains ne veulent pas que l'Iran aille s'ingérer dans les affaires iraquiennes après avoir retiré leurs soldats, d'ici la fin de l'année. Les États-Unis ont par ailleurs été alarmés par l'apparente complicité de l'Iran dans un complot visant à assassiner l'ambassadeur d'Arabie saoudite à Washington, en sol américain. Quelques jours après l'annonce de cette nouvelle, le ministre canadien des Affaires étrangères imposait des sanctions contre cinq ressortissants iraniens soupçonnés d'avoir trempé dans le complot d'assassinat. Et puis, on craint toujours que l'Iran se dote de l'arme nucléaire et on soupçonne ce pays d'avoir des réserves d'uranium enrichi. Pour autant qu'on sache, l'Iran ne disposerait cependant pas de la technologie nécessaire pour fabriquer une bombe. Mais voilà, il s'agit d'une technologie qui est souvent utilisée à d'autres fins légitimes, d'où le problème et l'intérêt que nous y portons.

L'Iran a œuvré secrètement pour mettre la main sur ce qu'on appelle des technologies à double usage à l'étranger et notre secteur florissant de l'énergie est une cible de choix. L'Iran sait fort bien que le Canada et les autres pays collaboreront afin d'éviter ce type de transfert de technologies en agissant de différentes façons, notamment en imposant des sanctions et en contrôlant les exportations. Comme toutes ces mesures de sécurité nationale sont orchestrées par notre ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, nous avons invité des représentants de ce ministère. Après, vous entendrez deux universitaires vous parler de l'Iran vu de l'intérieur.

Ainsi, du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, je vous présente David Sproule, jurisconsulte adjoint et directeur général; Roland Legault, directeur adjoint, Direction du droit onusien, des droits de la personne et du droit économique, et Paul Galveias, agent principal des contrôles à l'exportation. Je vous invite à ouvrir le ban, monsieur Sproule. Les gens se sont presque étonnés d'apprendre que des sanctions avaient été imposées et des mesures avaient été prises aussi rapidement. Pouvez-vous nous expliquer ce dont il retourne?

David Sproule, jurisconsulte adjoint et directeur général, Affaires étrangères et Commerce international Canada : Volontiers, madame la présidente. En termes généraux, il existe deux actes législatifs qui confèrent officiellement au gouverneur en conseil le pouvoir d'imposer toute une série de sanctions. Le premier est la Loi sur les Nations Unies; le second, la Loi sur les mesures économiques spéciales (LMES). La Loi sur les Nations Unies autorise le gouverneur en conseil à prendre les décrets et règlements qui s'avèrent nécessaires ou qui s'imposent pour accélérer la mise en œuvre des décisions du Conseil de sécurité des Nations Unies demandant aux États membres d'imposer de telles sanctions. Le droit international exige que le Canada mette en œuvre ces décisions du Conseil de sécurité et la Loi sur les Nations Unies fournit un mécanisme opportun lui permettant de s'acquitter de cette obligation.

Pratiquement toutes les décisions des Nations Unies comportant des sanctions sont mises en œuvre par ce moyen. Seules font exception à la règle les interdictions de voyager imposées par le Conseil de sécurité, qui sont appliquées en vertu de notre Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Le deuxième texte législatif, la LMES, autorise le gouverneur en conseil à imposer des sanctions malgré l'absence d'une telle décision de la part du Conseil de sécurité. Cette démarche se fait en deux temps. Premièrement, il faut une recommandation d'une organisation internationale ou d'une association d'États dont le Canada est membre invitant les membres à adopter des mesures économiques à l'égard d'un État étranger; ou deuxièmement, le gouverneur en conseil doit être d'avis qu'une rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationales s'est produite et qu'elle a entraîné ou est susceptible d'entraîner une grave crise internationale. La LMES autorise le gouverneur en conseil à imposer toute une série de sanctions à l'égard d'un État étranger, y compris l'interdiction d'effectuer des transactions immobilières, d'importer et d'exporter des biens et des services, ainsi que le refus d'accueillir des navires et des aéronefs en provenance de cet État.

Lorsque, pour une raison ou une autre, le Canada n'est pas prêt à imposer des sanctions en vertu de l'une ou de l'autre de ces lois, la Loi sur les licences d'exportation et d'importation prévoit les autorisations nécessaires pour imposer des contrôles à l'exportation. Il existe deux types de contrôles à l'exportation : la Liste des marchandises d'exportation contrôlée et la Liste des pays visés. La première est une liste des marchandises qui ne peuvent être exportées sans une licence délivrée par le ministre des Affaires étrangères. Les marchandises sont énumérées par catégorie, sous des rubriques telles les munitions, la non-prolifération nucléaire et les marchandises à double usage dans le secteur nucléaire. Le gouverneur en conseil peut y inscrire toute marchandise qu'il estime nécessaire de contrôler aux fins énoncées dans la Loi sur les licences d'exportation et d'importation. La Liste des pays visés est quant à elle une liste des pays vers lesquels aucune marchandise ou technologie ne peut être exportée sans l'autorisation expresse du ministre des Affaires étrangères. Elle s'applique à toutes les marchandises exportées vers ces pays, y compris aux produits alimentaires, aux médicaments et aux articles apparentés à l'aide humanitaire. Cela dit et contrairement à la LMES, elle ne s'applique pas à l'importation ou à l'exportation des services. Le gouverneur en conseil peut inscrire sur la Liste des pays visés tout pays à l'égard duquel il estime nécessaire de contrôler l'exportation de toute marchandise ou technologie. La Corée du Nord, le Myanmar et le Bélarus y figurent à l'heure actuelle.

Le Canada a pris des mesures à l'encontre de l'Iran en vertu de tous ces instruments, à l'exception de la Liste des pays visés. Les Nations Unies ont imposé des sanctions rigoureuses contre l'Iran que le Canada a intégralement mis en œuvre au moyen de règlements régissant l'application des résolutions des Nations Unies à l'encontre de ce pays. Le Canada a par ailleurs énormément élargi ces sanctions par le truchement du Règlement sur les mesures économiques spéciales visant l'Iran, en imposant notamment une interdiction additionnelle sur l'exportation de la plupart des marchandises énumérées dans la Liste des marchandises d'exportation contrôlée. Voilà qui décrit en termes généraux le cadre de travail de nos contrôles sur l'importation et des sanctions que nous imposons.

La présidente : Nous pouvons y répondre en évoquant les actions présumées qui ont eu lieu à Washington, sur la foi de l'information qui en a découlé. Il me semble que les termes employés étaient qu'il était légitime de croire à l'existence d'un lien, ce qui nous permet de prendre à partie ces cinq personnes en présumant qu'elles risquent de porter atteinte à la sécurité nationale d'une certaine manière.

M. Sproule : Oui. Monsieur Legault, voulez-vous répondre?

Roland Legault, directeur adjoint, Direction du droit onusien, droits de la personne et droit économique, Affaires étrangères et Commerce international Canada : C'est juste. La raison pour laquelle nous avons pu agir aussi rapidement dans le cas de l'Iran c'est que le gouverneur en conseil avait déjà pu établir que la situation en Iran constituait une rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationales qui a entraîné ou qui était susceptible d'entraîner une grave crise internationale. Cette décision a été prise en juillet 2010 à l'issue de la poussée continue des activités de prolifération nucléaire en Iran. Comme tout était déjà en place, nous avons pu nous contenter de modifier le règlement pour y ajouter ces cinq noms. C'était tout simple.

La présidente : Monsieur Galveias, auriez-vous d'autres remarques à faire à propos de la Liste des marchandises d'exportation contrôlée, de la célérité avec laquelle le dossier peut avancer ou des circonstances?

Paul Galveias, agent principal des contrôles à l'exportation, affaires étrangères et Commerce international Canada : La Liste des marchandises d'exportation contrôlée et la Loi sur les licences d'exportation et d'importation s'adaptent assez bien à la situation étant donné qu'elles contiennent une liste de marchandises précises à l'égard desquelles les contrôles sont exercés. Si le gouverneur en conseil désire ajouter de nouveaux articles à la liste, c'est possible; le système s'y prête assez bien. Nous œuvrons en étroite conformité au règlement découlant de la LMES, ainsi, lorsque nous recevons une demande, elle est envisagée sous toutes les coutures en même temps.

La présidente : Simultanément.

M. Galveias : Tout à fait.

Le sénateur Dallaire : Où en est le service des limitations d'armes au MAECI en ce qui a trait à ce groupe de contrôle des armes? S'occupe-t-il toujours de questions politiques? Si j'ai bien compris, il y a là une dimension juridique. Participe-t-il au processus des sanctions sur le plan politique?

M. Sproule : Oui, absolument, sénateur. En consultation avec la direction géographique pertinente, ils discutent habituellement des questions et formulent des recommandations dans la mesure où il s'agit d'appliquer divers types de mesures économiques. Bien entendu, en revenant à la Loi sur les Nations Unies, les choses se passent de manière assez systématique à l'égard des types de sanctions imposées. Une fois que le Conseil de sécurité des Nations Unies impose ces sanctions, les États membres ont l'obligation de les mettre en œuvre.

Le sénateur Dallaire : Le gouvernement de l'Iran, par l'entremise de son président, a tenu des propos assez génocidaires à l'endroit d'Israël, sans oublier qu'il en fait tout autant à l'égard des Baha'ís en Iran. Par le passé, nous avons vu Israël réagir au-delà de ses frontières face à ce qu'il percevait comme une menace à son pays en adoptant des moyens ou des systèmes pouvant faire des ravages, voire détruire le pays. D'un point de vue juridique, quelle est la position du Canada à l'égard des mesures offensives adoptées par Israël, par exemple, en vue de détruire des installations en Iran?

M. Sproule : Je ne suis pas sûr de notre position. Je n'ai pas les compétences voulues pour parler de notre position du point de vue politique. En règle générale, si des mesures doivent être prises sur le plan économique, nous devons attendre une résolution du Conseil de sécurité; ou si nous voulons agir unilatéralement, nous évoquerions probablement la LMES afin d'imposer des sanctions comme celles que j'ai décrites dans mes commentaires.

Le sénateur Dallaire : Nous avons vu ce pays prendre des actions offensives contre d'autres pays lorsqu'il a perçu une menace, particulièrement lorsqu'il s'agit de destruction massive, ce qui serait possible dans le cas qui nous occupe. Le gouvernement du Canada a-t-il une position à cet égard, ou se contentera-t-il de se tourner vers les Nations Unies face aux représailles qu'Israël pourrait éventuellement prendre contre les centrales nucléaires en Iran?

M. Sproule : Heureusement ou malheureusement pour vous, sénateur, votre rencontre aujourd'hui se limite à deux avocats et un expert technique.

La présidente : Je tiens à préciser que ces messieurs ne sont pas là pour formuler ou annoncer une politique du gouvernement, mais simplement pour nous renseigner sur les règlements existants et la nature de ces règlements suivant les diverses circonstances. Merci de vous abstenir.

Le sénateur Lang : J'aimerais commencer par faire allusion aux technologies à double usage. C'est là un domaine que la plupart des téléspectateurs canadiens ne comprendraient pas à nous voir tenter de dévoiler ce qui se passe dans le monde et la place que le Canada occupe dans la situation. Pourriez-vous nous préciser la mesure dans laquelle notre régime juridique et nos ressources sont comparables à ceux d'autres pays en ce qui a trait au contrôle de la technologie à double usage?

M. Galveias : Je vous remercie de votre question, sénateur. Nos contrôles à l'exportation sont conformes aux normes mondiales. Le Canada participe à un certain nombre d'institutions bilatérales et multilatérales. La plus importante ayant une incidence sur nos contrôles des marchandises à double usage est l'Accord Wassenaar. Il s'agit d'un accord conclu entre 40 États aux vues similaires dont le Canada est signataire. Il cherche à limiter la prolifération des armes et à veiller à ce que le mouvement de certaines marchandises, y compris des marchandises et technologies à double usage, soit uniquement destiné à des pays où ils ne causeront aucun tort aux membres de l'accord pas plus qu'ils ne compromettront la paix ni la stabilité générale.

En parlant de marchandises à double usage, nous pourrions commencer par définir ce que nous entendons par là. Une marchandise à double usage est un article ayant des applications civiles aussi bien que militaires mais qui n'est pas spécifiquement ou spécialement conçu à des fins militaires. Par exemple, nous voyons tous des gens dans les nouvelles, tels les journalistes ou les photographes, portant des gilets pare-balles. Le degré de protection que ces gilets pourraient offrir permet de le définir comme un article à double usage du moment que la police, les militaires et les civils peuvent invariablement s'en servir, sans qu'il ne soit optimisé pour les militaires, qui utiliseront sans doute des gilets plus haut de gamme. Les articles à double usage sont des articles qui nous sont familiers, dont l'équipement cryptographique et de vision nocturne et d'autres dispositifs de ce genre. Notre Liste de marchandises d'exportation contrôlée, groupe 1 : Liste de marchandises à double usage, découle de la liste de marchandises que l'on a convenu d'énumérer d'un commun accord à Wassenaar. Il s'agit d'un processus exhaustif qui produit une liste très abondante d'articles contrôlés. Le Canada est très bien placé en termes de notre capacité de contrôler les marchandises à double usage.

Le sénateur Lang : Un des domaines qui pourrait être d'intérêt pour un pays tel l'Iran, du point de vue de la technologie à double usage, serait la technologie que nous sommes en train de mettre au point pour les sables bitumineux. Certaines des pompes et les dispositifs connexes peuvent être utilisés dans un contexte militaire aussi bien que civil.

Quelle est notre situation, d'un point de vue exécutoire, si quelqu'un vient au Canada dans l'idée d'étudier notre technologie et de l'emporter quelque part comme l'Iran? Dans quelle mesure pouvons-nous appliquer les contrôles dans un tel cas? Estimez-vous que nos mesures exécutoires soient assez satisfaisantes pour empêcher que cela se produise?

M. Galveias : Mon domaine est celui de la réglementation. Je ne peux pas m'exprimer sur la manière dont il faut gérer le volet exécutoire, ni savoir si les gens qui s'en occupent estiment que leurs mesures ou outils sont oui ou non à la hauteur de la tâche. Il faudrait que vous posiez la question aux organismes d'exécution. Je puis vous affirmer que la Loi sur les licences d'exportation et d'importation prévoit des sanctions rigoureuses à l'endroit du détournement des marchandises ou de leur exportation sans autorisation. Une personne qui viendrait au Canada pour tenter d'exporter des marchandises exigeant une licence enfreindrait la loi canadienne en l'absence de cette licence.

M. Legault : Il y a quelque chose à ajouter à cela. La Liste des marchandises d'exportation contrôlée, comme l'expliquait M. Galveias, a été mise au point pour cibler des technologies concrètes. Dans le cas de l'Iran, en 2010 le Canada a étudié les marchandises que l'Iran cherchait à obtenir dans le marché mondial et a interdit un grand nombre d'articles qui échappaient aux contrôles à l'exportation parce que leur seuil d'utilité était inférieur à celui généralement accepté, qu'il s'agisse d'applications militaires ou nucléaires. Eu égard à la situation dans laquelle se trouve l'Iran, avec les sanctions qui sont déjà en train d'être appliquées au niveau des Nations Unies, nous croyons avoir compris que l'Iran cherche également ce que nous appelons des marchandises inférieures au seuil.

Pour vous donner un exemple tout simple, songez donc à une certaine qualité d'acier nécessaire pour le fonctionnement d'une centrale nucléaire. Si on a de la difficulté à obtenir l'acier de cette qualité, on pourrait être prêt à accepter le risque de travailler avec un acier de calibre légèrement inférieur. Dans le régime des contrôles à l'exportation, aucun contrôle n'est prévu pour ces articles inférieurs au seuil. Nous avons donc interdit leur exportation en vertu des règlements pris en application de la LMES. C'est là une des mesures que nous avons prises pour essayer d'élargir le régime canadien qui s'applique à ce genre de marchandises.

Le sénateur Lang : Y a-t-il des aspects de la législation qui pourraient être renforcés ou élargis, que ce soit du côté de l'organe de réglementation ou de l'organe d'exécution, afin que nous puissions élargir le filet et empêcher que toute partie de cette information ou technologie, réelle ou autre soit obtenue du Canada et utilisée dans un pays comme l'Iran?

M. Legault : En ce qui a trait à l'exportation de marchandises, la LMES est extrêmement souple. Elle nous permet d'interdire tout et n'importe quoi. En évoquant la LMES, nous pouvons interdire tout échange commercial avec l'Iran, ou nous pouvons nous contenter d'interdire le commerce des lunettes. Quant à la question toute simple d'interdire l'exportation, nous ne l'avons pas encore fait en vertu de la LMES. Comme le disait M. Galveias, je ne suis pas la personne la mieux placée pour vous aider à approfondir sur les articles que l'on pourrait encore ajouter.

La présidente : La question des normes de la preuve pour l'inculpation des fautifs, dont nous avons discutée dans d'autres contextes, est un enjeu distinct.

Le sénateur Lang : C'est-à-dire qui relève de la « Homeland Security »?

La présidente : La sécurité publique, j'en suis certaine.

[Français]

Le sénateur Nolin : Monsieur Legault, puisque l'Iran nous préoccupe, à partir des réponses que vous venez de donner, pourriez-vous nous expliquer quelle est l'ampleur et la magnitude de l'implication de l'Iran?

M. Legault : Il serait préférable de poser cette question à notre groupe géographique qui s'occupe de l'Iran. D'après les juristes, l'Iran est très actif partout au monde en cherchant certains produits qui seront utiles pour ses efforts nucléaires. Quant au niveau précis, je m'excuse, je n'ai pas cette information.

Le sénateur Nolin : Tout à l'heure, j'entendais M. Galveias parler de son impossibilité à donner une réponse sur l'application de la loi. Êtes-vous plus en mesure que lui de donner ces informations?

M. Legault : Cela dépend de la loi.

Le sénateur Nolin : Je fais référence à deux entités, deux documents de nature juridique qui influencent le Canada de façon législative. Parlons de l'application de ces lois. Est-ce que plusieurs personnes ont été poursuivies au Canada? Quelles sont les conséquences de ces poursuites?

M. Legault : C'est une très grande question, parce qu'il y a des poursuites sur le plan criminel où on cherche à mettre quelqu'un en prison, mais c'est plutôt rare. C'est arrivé une fois avec l'Iran récemment dans une cause qui s'est produite ici en Ontario. Cela s'est passé avec M. Yadegari.

Le sénateur Nolin : Quelles étaient les implications?

M. Legault : Il cherchait des capteurs de pression. Il s'agit d'une petite machine qui mesure la pression dans une réaction nucléaire et qui peut aussi envoyer cette pression à quelqu'un qui travaille séparément, évidemment, pour des raisons de sécurité. C'est plutôt rare qu'on fasse cela. Beaucoup des produits présentés à la frontière, pour être exportés vers l'Iran par exemple, doivent être accompagnés par un permis d'exportation — c'est le travail de M. Galveias — ou un permis émis sous le règlement impliquant des mesures économiques spéciales sur l'Iran. Alors, il y a deux types de permis.

Occasionnellement, un produit doit être accompagné par les deux, autrement c'est l'un ou l'autre. Ces produits, en arrivant à la frontière, sont arrêtés par l'Agence des services frontaliers canadiens et l'agence nous demande si ce produit doit être accompagné par un permis. Essentiellement, tout produit qui arrive à la frontière, qui n'est pas de la nourriture, des vêtements ou des choses comme cela, et qui est exporté vers l'Iran est arrêté par l'agence et ils nous consultent pour savoir si un permis est requis. Si la réponse est non, l'exportation se poursuit. Si la réponse est oui, la personne est informée que l'opération a besoin d'un permis, et la personne a la chance de demander ce permis auprès du ministre. Si le ministre dit non, il y a plusieurs options, mais c'est l'agence qui prend la décision. Elle pourrait prendre le produit, le saisir, et imposer des amendes ou autres pénalités régulières. Sinon, deux autres options restent : tout simplement retourner le produit à l'exportateur en n'engageant pas d'action cette fois-ci ou ils peuvent entamer une enquête qui pourrait mener à des poursuites criminelles.

Le sénateur Nolin : Vous nous parlez d'une seule poursuite criminelle récemment ou dans les dernières années, est-ce parce que l'activité — la question que je vous posais au début —, est-ce parce que la magnitude, l'ampleur des activités de l'Iran au Canada est minime ou parce que très peu de ces activités ont été portées à la connaissance des agences de mise en œuvre des droits?

M. Legault : Je m'excuse, je ne connais pas la réponse.

Le sénateur Nolin : Merci.

[Traduction]

La présidente : Dans la cause Yadegari à laquelle vous avez fait allusion en parlant de la Loi sur les Nations Unies et de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation, de quel genre de tentative a-t-il été trouvé coupable? S'agissait- il simplement d'une infraction à l'exportation? En quoi consiste le crime?

M. Legault : Il essayait d'exporter des transducteurs de pression. Il s'agit d'articles figurant dans la Liste des marchandises d'exportation contrôlée, qui exigent par conséquent une licence d'exportation et qui sont également interdits d'exportation en vertu de la LMES.

La présidente : Telle est la nature du crime. Elle se résume à exporter quelque chose que l'on n'est pas censé exporter.

M. Legault : Cela englobe diverses infractions. Il y a l'infraction de déroger aux interdictions énoncées dans le règlement de la LMES. Cela est un délit en soi, passible d'une peine maximale de cinq ans de prison. Il y a l'infraction de ne pas respecter les conditions de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation, et je crois que cela est passible d'une peine allant jusqu'à 10 ans de prison. Il y a des infractions contre la Loi sur les douanes pour avoir menti à des agents de douane, ne pas avoir présenté la documentation adéquate pour l'exportation et un certain nombre d'infractions connexes.

C'est parce qu'il y a tellement d'infractions apparentées au seul geste d'essayer d'exporter quelque chose qui nécessite une licence sans disposer de cette licence que les douanes ont tellement de latitude à l'heure de décider des mesures à prendre. Si les douanes n'y voient pas une question d'ordre pénal, ils renonceront à s'en remettre au droit pénal. Ils ont d'autres moyens de s'occuper de la même activité.

[Français]

Le sénateur Nolin : Quelle fut la sentence?

M. Legault : Je pense que c'était 20 mois additionnels. Il était en prison depuis huit mois environ. J'ai le document ici, donc je peux vérifier.

Le sénateur Nolin : Donc, il avait été privé de liberté pendant les procédures?

M. Legault : Oui.

Le sénateur Nolin : Et il a eu 20 mois additionnels?

M. Legault : Je crois que c'est cela, je suis en train de vérifier.

Le sénateur Nolin : La précision, on pourra la trouver avec nos recherchistes.

[Traduction]

Le sénateur Lang : Je tiens à reprendre la question que le sénateur vient de poser sur le nombre d'Iraniens qui participent à ce genre de manœuvres clandestines au Canada. S'agit-il d'un nombre infime ou sont-ils très nombreux? Vous avez affirmé ne pas le savoir. Il me semble que les Affaires étrangères devrait être au courant s'il s'agit d'un problème majeur. Dans la plupart des cas, je ne pense pas qu'ils présentent des demandes de licences d'exportation. J'aimerais avoir une idée du degré de préoccupation que leur participation devrait nous causer ici au Canada. La plupart des Canadiens ne sont pas au courant, mais ceux qui sont payés pour savoir ce qui se passe sont manifestement en train de surveiller la situation et espérons-le, d'appréhender les personnes impliquées.

La présidente : Nous poserons la question à nos prochains invités également, mais est-ce que quelqu'un voudrait ajouter un commentaire à cela?

M. Sproule : Je suis persuadé que mes collègues d'autres ministères et d'autres parties du ministère suivent la situation de très près et ils pourraient probablement nous donner une réponse précise. La question est au-delà de nos compétences et nous ne sommes donc pas en mesure d'y répondre. Ces choses sont suivies.

La présidente : Et nous en assurerons le suivi, soyez sans inquiétude.

Le sénateur Day : Je vous remercie de votre présence, messieurs. Si j'ai bien compris, vous jouez un rôle au départ, qui consiste à dresser des listes et à formuler des recommandations sur ce qui devrait se trouver sur les listes interdisant le commerce dans des secteurs donnés par opposition à un rôle à la fin du processus, où s'inscriraient les questions que certains d'entre nous se sont attachés à vous poser, à savoir qui commet les infractions et les mesures qui devraient être prises contre les personnes qui auraient selon vous enfreint les règlements et les listes produites au préalable. Est-ce que j'ai bien compris votre rôle?

M. Sproule : Oui. Il est juste d'affirmer que nous sommes les personnes qui mettons en œuvre nos lois et règlements pour veiller à ce qu'ils soient respectés. Il y a des conséquences pour les personnes qui dérogent aux lois. En termes d'enquête, de surveillance et de collecte d'information sur l'ampleur des problèmes, nos collègues d'autres services du ministère ou d'autres ministères s'en chargent.

Le sénateur Day : Qui se charge de faire quoi? Est-ce votre groupe au sein des Affaires étrangères qui possède le personnel technique apte à analyser ce qui se passe dans le marché et à dire « il me semble que ces gens sont en train de faire quelque chose qui va à l'encontre de notre liste de marchandises d'exportation contrôlée », par exemple?

M. Galveias : Il y a une distinction à faire entre les personnes qui donnent suite aux demandes relatives à la commercialisation ou au commerce et celles qui assument une fonction de réglementation. Au sein de la Direction des contrôles à l'exportation, nous avons un service technique composé d'ingénieurs. Chaque fois qu'une marchandise est retenue à la frontière par l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), et que l'Agence souhaite obtenir une détermination quant à savoir si la marchandise s'inscrit sur la Liste des marchandises d'exportation contrôlée ou autre instrument de contrôle, c'est à elle qu'il incombe d'évaluer si la marchandise s'inscrit sur la Liste des marchandises d'exportation contrôlée ou si elle est visée par la Loi sur les licences d'exportation et d'importation (LLEI). Quand nous trouvons qu'un bien s'inscrit dans une classification relevant de la LLEI et que nous déterminons si une licence est requise ou non, si une licence est requise pour une destination telle l'Iran, nous consultons nos homologues au ministère et au niveau intergouvernemental afin de donner à tous l'occasion de se prononcer, même si nous ne visons pas les mêmes enjeux. Ainsi, ceux qui ont des questions pouvant s'y rapporter en profiteront pour manifester leur intérêt, qu'il s'agisse du point de vue géographique ou de la sécurité. Forts des informations ainsi obtenues, ils seront en mesure de s'interroger sur le cheminement à suivre et l'optique sous laquelle il convient d'examiner le dossier. Lorsqu'il nous arrive de procéder à des consultations sur les demandes de licence d'exportation, nous nous penchons sur beaucoup plus d'aspects, sans nous contenter de nous demander si la marchandise pourra arriver à bon port sur la foi d'une liste de contrôle. Nous envisageons le dossier avec des critères très clairs afin de déterminer s'il s'agit d'une exportation désirable ou pas. Dans le cas de l'Iran, compte tenu du nombre et du degré des contrôles exercés à son encontre en vertu de la LMES et de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation et les règlements connexes, le processus est extrêmement exhaustif.

M. Legault : Je peux vous donner quelques précisions. Il y a d'autres gens au sein des Affaires étrangères et de certains autres ministères qui s'intéressent à toute la question de la contre-prolifération. Il existe une direction de la non-prolifération nucléaire au ministère des Affaires étrangères, et c'est ce groupe qui détient la première responsabilité de la politique à l'égard des moyens de prévention de la prolifération nucléaire.

Parallèlement, il y a également des gens à l'ASFC en première ligne à l'affût des marchandises, mais aussi un service de contre-prolifération qui se penche sur les caractéristiques à guetter parmi les marchandises qui quittent le pays. Je songe également aux groupes de contre-prolifération au SCRS, au CSTC, au MDN et à la GRC. En fait, nous nous rencontrons sur une base assez régulière pour parler des enjeux liés à la contre-prolifération. L'Iran occupe le plus souvent le premier plan dans nos discussions.

Le sénateur Day : C'est intéressant. La démarche est interministérielle et vous vous rencontrez et discutez entre vous. Le groupe interministériel devrait faire une recommandation à l'exécutif, le gouverneur en conseil. Si cela fait partie de votre vécu, permettez-nous de revenir sur l'exemple que vous avez donné sur l'acier dont la qualité ne correspond pas tout à fait à celle dont l'interdiction a déjà été établie de manière générale mais qui pourrait aisément être utilisé pour un dispositif nucléaire, recommanderiez-vous au gouverneur en conseil qu'il soit ajouté à la liste?

M. Legault : Tout à fait. En notre qualité d'avocats, il nous appartient de rédiger la recommandation et de préparer l'ensemble du dossier, mais le savoir-faire technique qui sous-tend le règlement s'étend aux divers ministères.

Le sénateur Day : La confirmation que cette marchandise pourrait être utilisée, même si elle ne se trouve pas sur la liste et qu'elle devrait donc sans doute s'y trouver, provient du personnel technique de ces divers ministères, c'est cela?

M. Legault : Oui. C'est exact.

Le sénateur Day : Vous avez cité les règlements et le sénateur Nolin et moi nous sommes peut-être plus intéressés au jargon juridique que certains autres membres du comité. Monsieur Sproule, vous avez parcouru la liste, énumérant les diverses lois et règlements et évoquant leurs mécanismes respectifs. Si nous pouvions avoir un exemplaire de cette liste, cela nous aiderait à mieux comprendre ces mécanismes. Vous avez fait allusion aux sanctions des Nations Unies et à notre obligation de les respecter, et ensuite à celles non décrétées par les Nations Unies en vertu de la LMES, la Loi sur les mesures économiques spéciales. Serait-il possible d'avoir cette liste en premier?

M. Sproule : Nous serons heureux de vous fournir la documentation en question.

Le sénateur Day : Juste sur les diverses lois et les mécanismes correspondants. Je n'ai pas très bien compris si la Liste des marchandises d'exportation contrôlée et la Liste des pays visés découlent de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation, ou s'il s'agit de listes distinctes?

M. Sproule : Elles s'inscrivent sous la LLEI.

Le sénateur Day : Je m'efforçais quant à moi de décider combien de tout cela appartient au privilège exécutif, c'est-à- dire où l'exécutif peut procéder sans que le Parlement n'ait son mot à dire, et combien de tout cela est délégué par l'adoption au Parlement de ces diverses lois, et où le Parlement n'aura plus l'occasion de se pencher dessus, à moins qu'il s'agisse de modifier un règlement et d'y ajouter quelque chose par l'entremise de notre comité.

M. Legault : Tous les règlements dont nous avons parlé, le règlement de la LMES contre l'Iran, le Règlement des Nations Unies sur l'Iran, la Liste des marchandises d'exportation contrôlée et la Liste des pays visés, sont autant d'instruments adoptés en fonction des pouvoirs que le Parlement confère au gouverneur en conseil.

Je ne saurais vous dire pour ce qui est de la Liste des pays visés et de la Liste des marchandises d'exportation contrôlée mais, dans le cas de lois qui confèrent le pouvoir de décréter des sanctions, soit la Loi sur les Nations Unies et la LMES, le Parlement a imposé une exigence visant le dépôt des règlements, ce qui donne l'occasion aux députés d'étudier les règlements après leur adoption. Nous devons déposer les règlements à la Chambre et au Sénat dans les cinq jours de séance dans le cas du règlement de la LMES et dans les meilleurs délais en ce qui a trait à Loi sur les Nations Unies.

Le sénateur Day : Les règlements entrent-ils en vigueur aussitôt ou après cette période réservée à l'examen, quitte à les revoir après leur publication?

M. Legault : Chacun des règlements sur lesquels j'ai travaillé est entré en vigueur au moment de l'enregistrement sans publication préalable, car il y a beaucoup trop de risques de détourner et d'éviter la question si on apprend aux gens qu'on est sur le point de bloquer leurs biens. Les règlements ne sont pas publiés à l'avance. Ils entrent en vigueur au moment de leur enregistrement. Nous les annonçons essentiellement juste après leur enregistrement, et ensuite il y a la période de dépôt. La disposition relative au dépôt dans la LMES crée spécifiquement un processus pour que le Parlement puisse passer en revue le règlement, mais il est entendu que le Parlement détient le pouvoir ultime sur toutes ces questions dans tous les cas.

La présidente : Pourriez-vous nous donner deux ou trois autres exemples? Vous avez fait allusion à l'acier et il me semble qu'il y en a d'assez évidents lorsqu'il s'agit d'une centrale nucléaire, mais y en a-t-il d'autres? Nous obtiendrons une liste plus longue, mais avez-vous des idées qui vous viendraient à l'esprit d'emblée?

Le sénateur Day : Par exemple, le dispositif à pression.

M. Legault : Oui, c'est un très bon exemple. M. Galveias devrait, lui aussi, vous en parler parce qu'il a un sens technique beaucoup plus développé que moi. La question dans cette affaire était de savoir si le transducteur de pression en question correspondait effectivement à la description du règlement, sans parler de la description de l'équipement normalement utilisé dans les centrales nucléaires. La cour ayant statué que tel était le cas, la personne a été condamnée.

M. Galveias : Je ne sais pas exactement ce que l'Iran considère comme étant des biens désirables, mais s'agissant de biens à double usage, comme il en a été question tout à l'heure, il pourrait être question de matériel de cryptographie pour les communications ou l'encodage. On pourrait également songer à certains types d'acier, à des matières qui ne correspondent pas tout à fait aux normes établies pour la Liste des marchandises d'exportation contrôlées du groupe 1, par exemple, comme les transducteurs de pression, les valves ou bien d'autres articles d'application variable. C'est toute une liste. Nous serions d'ailleurs très heureux de vous en faire remettre une copie.

La présidente : Ce serait utile et il serait bien de l'annexer au compte rendu.

Le sénateur Plett : En octobre 1983, un kamikaze appartenant à une organisation terroriste financée par l'Iran, le Hezbollah, a lancé un camion chargé de bombes contre une caserne des Marines américains à Beyrouth, tuant 241 personnes. En 1980, des étudiants islamistes ont envahi l'ambassade des États-Unis à Téhéran. En décembre 2010, un sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre a publié un rapport qui était non seulement très critique à l'endroit des pratiques de l'Iran pour sa conduite en matière de droits de la personne sur son territoire, mais qui condamnait ce pays pour la menace générale qu'il fait peser sur la paix et la sécurité dans le monde.

Je crois que tout le monde autour de cette table sait que, dès qu'il aura perfectionné son arme nucléaire, l'Iran la testera immédiatement sur Israël. Je ne pense pas que ce soit un secret. Cela étant, je sais que...

Le sénateur Dallaire : Excusez-moi, essayons d'éviter les généralisations.

Le sénateur Plett : Il n'y est peut-être pas, et je dis cela pour la transcription. Je sais que vous n'appartenez pas au ministère de Défense, mais voici ma question : D'après ce que j'ai pu comprendre, nous restreignons nos ventes pour certains articles. Par exemple, nous n'allons pas vendre aux Iraniens de transducteurs de pression et nous n'allons pas non plus leur vendre d'engrais. Pourquoi donc continuer de traiter avec ce pays quand nous savons pertinemment qu'il est l'ennemi de tout le monde libre? Cela étant, abstenez-vous, de grâce, de me dire que ce n'est pas à vous qu'il faut poser cette question.

La présidente : Ce n'est peut-être pas à eux qu'il faut poser la question.

Le sénateur Plett : C'est moi qui ai parlé d'Israël et ils n'ont pas besoin de réagir à ce sujet. Je ne fais que poser la question. Pourquoi continuons-nous de traiter avec des pays qui sont une menace pour la paix et la sécurité dans le monde?

La présidente : Quelqu'un veut-il essayer de répondre en nous donnant d'autres exemples où nous aurions radicalement interrompu toute forme de commerce ou alors imposé des sanctions totales? Je sais qu'il vous est impossible de répondre directement à cette question.

M. Galveias : La Liste des marchandises contrôlées fait état de tous les biens et de toutes les technologies dont l'exportation est restreinte. À l'heure actuelle, il faut avoir des permis d'exportation pour vendre à la Corée du Nord, au Myanmar et au Bélarus, et le ministre a le pouvoir d'octroyer des autorisations spéciales, par exemple, pour l'exportation de marchandises humanitaires, mais tout le reste est bloqué. Voilà trois pays à propos desquels nous appliquons des contrôles très stricts en plus de ceux qui découlent de la LMES.

Le sénateur Plett : La Corée fait-elle peser sur nous une menace plus importante que l'Iran?

M. Galveias : Je ne suis pas en position de vous répondre, sénateur.

Le sénateur Plett : On dirait que c'est le cas.

La présidente : C'est simplement qu'une décision a été rendue à ce sujet, c'est officiel. De toute façon, ce n'est pas de notre ressort et la question est de savoir si nous ne devrions pas inscrire l'Iran à la quatrième place de cette liste.

M. Galveias : Non, ce n'est pas de notre ressort.

La présidente : Effectivement pas.

Sénateur Plett, avez-vous quelque chose d'autre à ajouter?

Le sénateur Plett : Non.

Le sénateur Mitchell : J'aimerais avoir une idée de l'ampleur de ce que cela représente. Avez-vous une idée de ce que représentait la valeur économique totale des exportations vers l'Iran, avant l'adoption des sanctions, et de cette valeur aujourd'hui en vertu des sanctions?

M. Legault : L'information est disponible, mais je ne l'ai pas ici. C'est la division géographique qui s'en occupe. Nous pourrions bien sûr vous obtenir ce renseignement. Je sais qu'il en a été question récemment. Je pense que les chiffres ont considérablement augmenté. Récemment, nous avons vu les chiffres des Européens qui ont imposé à peu près les mêmes sanctions que nous, mais sur le plan des échanges commerciaux, les choses sont à peu près demeurées les mêmes de 2010 à 2011.

Le sénateur Mitchell : J'aimerais avoir une idée de l'importance des coûts en jeu et de la proportion de ces coûts qui représente la pénalité ressentie par ce pays.

M. Legault : Nous pourrons vous fournir cette infirmation.

Le sénateur Mitchell : Je remarque dans la liste de la LMES qu'il est notamment interdit de réaliser de nouveaux investissements dans le secteur des hydrocarbures iraniens ou de fournir ou d'acquérir des services financiers à ces fins.

Le Canada a-t-il actuellement des investissements de ce genre là-bas? Cette disposition implique que nous ne pouvons plus réaliser d'investissements. Les Canadiens ont-ils déjà réalisé des investissements sur place?

M. Legault : Je vais revérifier. A priori, je ne pense pas. Nous sommes souvent au courant, parce que nous voyons passer beaucoup de choses, mais je ne peux entièrement me fier sur ma mémoire pour vous répondre avec certitude. Je vais bien sûr vérifier et vous communiquer le renseignement.

Le sénateur Mitchell : Ma question vous paraîtra peut-être naïve, mais est-ce que les sanctions à l'exportation visent les opérations d'une entreprise canadienne déjà présente sur place? Répondez-moi de façon générale, sans plus.

M. Legault : Oui, dans la mesure où il s'agit d'une opération canadienne. Toutes les sanctions adoptées en vertu de la Loi sur les Nations Unies et de la Loi sur les mesures économiques spéciales s'appliquent à toute personne vivant au Canada et à tout ressortissant canadien à l'extérieur du pays. Pour moi, la nationalité d'une entreprise est déterminée par son lieu de constitution en personne morale. Si elle a été créée ou qu'elle existe en vertu des lois du Canada ou d'une loi provinciale, elle est canadienne, elle est sujette aux règles qui imposent ces sanctions et elle doit s'y conformer partout dans le monde.

Le sénateur Mitchell : J'aimerais savoir jusqu'à quel point il y avait des opérations d'exploration et de production d'hydrocarbures conduites par des entreprises canadiennes sur place, avant l'imposition de ces sanctions. Ce serait tout à fait pertinent de savoir ça.

Le revers de la médaille, ce sont les actifs iraniens au Canada. Qu'en faisons-nous? Y a-t-il beaucoup d'actifs iraniens au Canada, les a-t-on gelés ou envisage-t-on de les geler?

M. Legault : Les actifs qui ont été gelés en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales et de la Loi sur les Nations Unies sont limités aux actifs personnels, qu'il s'agisse de personnes morales ou physiques explicitement désignées. Quelque 340 personnes morales ou physiques ont ainsi été désignées en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales. Les désignations dans la Loi sur les Nations Unies sont faites soit par le Conseil de sécurité des Nations Unies, soit par un comité du Conseil de sécurité qui a été spécifiquement mis sur pied pour superviser l'application des sanctions contre l'Iran. Comme je ne l'ai pas consultée récemment, je ne sais pas si cette liste est longue, mais elle contient tout de même beaucoup de noms, ce qui veut dire que plusieurs centaines de personnes physiques et morales sont concernées.

Tous les actifs détenus par ces personnes physiques et morales au Canada sont normalement gelés, mais, à ce que je sache, les sommes en jeu ne sont pas considérables. Ce qui est tout aussi important, pour ne pas dire plus important encore, c'est que nous ne nous contentons pas d'appliquer une disposition en gelant simplement les actifs détenus par un Canadien. Nous interdisons en fait toute transaction concernant le bien détenu par la personne désignée, ce qui veut dire que le gel s'applique à tous les biens mis à la disposition de la personne désignée. Non seulement les actifs du particulier sont gelés, mais il est également illégal de fournir quoi que ce soit à l'intéressé ou de transiger avec lui relativement à sa propriété ou de conclure un marché dont il pourrait bénéficier. C'est une interdiction très large.

Le sénateur Mitchell : Cela dit, supposons qu'une entreprise iranienne ait investi dans des activités au Canada, qu'elle fasse des bénéfices sur lesquels elle paie des impôts en Iran, tant qu'elle n'est pas interdite, nous n'aurions pas lieu de nous en inquiéter.

M. Legault : Cela dépendrait de la personne morale ou physique concernée. Si elle apparaissait sur une liste, ce genre d'activité serait illégale, tout comme le transfert de fonds en Iran.

Le sénateur Mitchell : Et qu'adviendrait-il si des Iraniens voulaient maintenant investir dans notre secteur pétrolier?

M. Legault : C'est absurde. Je crois que les investissements dans l'industrie pétrolière font l'objet d'une interdiction, mais il va falloir que je revérifie le règlement pour en être certain.

La présidente : Je crois que c'est vrai.

Le sénateur Manning : Revenons-en à ce qui a été dit au début au sujet de la Loi sur les Nations Unies, car je crois vous avoir entendu dire que la plupart des alliés appliquent ce texte à la lettre dès que quelque chose arrive. Cette situation a-t-elle suscité des questions? Y a-t-il déjà eu des accrocs quand le Conseil de sécurité des Nations unies ou un autre organisme onusien a imposé des sanctions? Est-ce que ces sanctions sont à peu près respectées partout dans le monde?

M. Sproule : Oui, parce qu'il s'agit d'une obligation légale.

Le sénateur Manning : C'est une loi internationale?

M. Sproule : Oui.

Le sénateur Manning : Quand le Canada agit seul dans de telles situations, c'est-à-dire en dehors de la Loi sur les Nations Unies, de la Loi sur les mesures économiques spéciales ou de toute autre loi, dans quelle position se retrouve-t- il par rapport à ses alliés quand il cherche à imposer des sanctions en ayant recours à ses propres lois et règlements et à ses propres ressources? Est-ce que les pays alliés appliquent des lois bien différentes des nôtres ou font-ils la même chose que nous? Comment nous comparons-nous aux autres pays à cet égard?

M. Legault : En un mot, ça dépend du pays. Dans le cas du Myanmar, par exemple, les sanctions canadiennes ont été beaucoup plus sévères que celles imposées par d'autres pays, du moins à ma connaissance. Dans le cas de l'Iran, bien qu'elles aient été unilatérales, les sanctions du Canada ont été reprises par d'autres. Nous avions déployé un vaste effort de coordination avec d'autres pays d'optique semblable, surtout des pays d'Europe occidentale, les États-Unis, l'Australie — pas la Nouvelle-Zélande, je crois — et quelques autres pays moins probables dont certains au Moyen- Orient. Nous voulions nous entendre sur une série de sanctions moins exigeantes que celles de l'ONU, mais également plus qu'unilatérales avec lesquelles tout le monde n'était pas forcément d'accord, mais des sanctions qui, au moins, devaient permettre de parvenir au même objectif. Le Canada, les États-Unis, l'Union européenne et l'Australie ont tous appliqué des sanctions. Elles ne ressemblent pas exactement à celles fixées dans notre règlement découlant de la Loi sur les mesures économiques spéciales, mais elles sont à peu près semblables et visent le même objectif.

Nous maintenons le dialogue avec ces alliés pour, chemin faisant, essayer d'améliorer les sanctions en place.

La présidente : Vous voudrez peut-être ajouter quelque chose à cela. J'ai cru comprendre que, pour vous, le Canada est un modèle dans certains domaines.

M. Galveias : Je ne peux me prononcer sur le retentissement de nos actions en Iran, mais une chose est sûre, c'est que nous sommes en tête de peloton dans la régularité avec laquelle nous respectons la liste des marchandises contrôlées que nous appliquons à toutes les exportations.

Le sénateur Manning : À quelle fréquence révisez-vous la liste des marchandises dont l'exportation est interdite en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales? Qu'est-ce qui vous amène à revoir cette liste? Qui s'en charge? Comment la complétez-vous ou l'expurgez-vous au fil du temps?

M. Legault : Dans le cas de la Loi sur les mesures économiques spéciales, c'est essentiellement le même groupe que celui dont je parlais tout à l'heure qui formule des recommandations. Ce groupe étudie régulièrement les nouveaux produits qui pourraient intéresser un pays visé par la liste. C'est une très longue liste qui comporte des centaines d'articles, mais elle peut être modifiée à tout moment. C'est un travail laborieux parce que, pour chaque modification, il faut appliquer le même processus qu'à l'étape de la création de la liste, ce qui veut dire qu'il faut soumettre un nouveau règlement à l'approbation du gouverneur en conseil. Cela peut se faire rapidement si la pression est forte, mais, en situation normale, c'est un processus plutôt lent.

Le sénateur Dallaire : Soyons précis. Quand vous parlez de « règlement », vous voulez parler de la liste de matériel et de la liste des articles spécialisés. Toute modification à cette liste doit être faite dans le règlement et faire l'objet de l'approbation du gouverneur en conseil. C'est exact?

M. Legault : C'est exact.

Le sénateur Dallaire : C'est le moyen de contrôle qui permet de s'assurer que le personnel ne peut pas modifier cette liste sans que celle-ci ait fait l'objet d'un véritable examen. C'est cela?

M. Legault : C'est cela.

Le sénateur Dallaire : Dans le passé, nous avons cédé une certaine capacité nucléaire en vendant nos réacteurs CANDU à des pays qui ont détourné cette technologie pour fabriquer des armes. A-t-on modifié les règles de sorte que la technologie que nous vendons à tel ou tel pays ne puisse pas être utilisée par l'Iran ou la Corée du Nord, ni être vendue à ces pays, par exemple, pour les mêmes fins? On a vu, je crois, ce qui s'est produit au Pakistan, avec ces scientifiques qui ont vendu des instruments technologiques et des données scientifiques.

M. Legault : Les règles qui concernent ce genre de prolifération sont très différentes. Le Canada est signataire du Traité de non-prolifération nucléaire qui impose tout un ensemble d'obligations aux États qui ne détiennent pas l'arme nucléaire, comme le Canada, quand ils vendent ce que nous appelons, dans notre cas, du « matériel nucléaire faisant l'objet d'une obligation ». Par exemple, quand le Canada exporte de l'uranium vers un pays qui ne possède pas l'arme nucléaire, il doit le faire en vertu de certaines garanties sujettes à des ententes conclues avec l'agence internationale d'énergie atomique. Il existe toute une série d'ententes détaillées à cet égard. Une entente multilatérale chapeaute l'ensemble des opérations, il y a le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et il y a les accords bilatéraux conclus entre les signataires du TNP et l'Agence internationale de l'énergie atomique, et entre les signataires eux- mêmes. Quand le Canada vend des matières nucléaires à un pays, il doit mettre en place un accord de coopération nucléaire avec le pays acheteur, tout cela sous l'égide de l'AIEA. Il s'agit d'un sujet distinct qui est extrêmement complexe. Je vous avoue que, même si je supervise l'avocat qui s'en occupe, je ne m'en mêle pas. Je ne suis donc pas le mieux placé pour vous conseiller à cet égard.

Le sénateur Dallaire : Ces instruments sophistiqués qui concernent toutes les matières ou les équipements nucléaires pouvant être transformés en arme nucléaire fonctionnelle sont internationaux. Pourquoi ne pas nous doter du même genre de moyens pour contrer la prolifération des armes légères?

La présidente : Il ne s'agit pas là du genre de questions auxquelles ces messieurs peuvent répondre, sénateur.

M. Galveias : Je peux vous donner un exemple. Le Canada est unique en ce sens que l'article 4.1 de la Loi sur les licences d'importation et d'exportation prévoit l'établissement d'une Liste des pays désignés (armes automatiques) pour autoriser l'exportation d'armes automatiques du Canada uniquement vers les pays avec lesquels nous avons signé une entente de partage de la production de défense et, je crois également, des accords de recherche. Actuellement, on dénombre 31 ou 32 pays sur cette liste. Aucun autre pays ne peut être destinataire d'articles de ce genre. Nous sommes exceptionnels parce que nous avons, en vertu de notre régime de contrôle des exportations, une liste des destinations autorisées et de ces destinations uniquement, à l'exclusion de toute autre.

Le sénateur Dallaire : Je voulais entendre ça pour mémoire. Merci.

Le sénateur Lang : Je vais enchaîner sur la question du sénateur Dallaire au sujet de l'envoi, sous le coup de la Loi sur les mesures économiques spéciales, de produits du Canada qui ne correspondent pas tout à fait à la définition de matière nucléaire, mais qui sont strictement destinés à l'industrie pétrolière.

Voici ma question : Pourquoi les Iraniens demandent-ils un permis d'exportation sachant pertinemment qu'ils devront ensuite se soumettre à ce processus d'examen minutieux? Si j'étais Iranien, n'aurais-je pas intérêt à passer par un intermédiaire, éventuellement en Europe ou ailleurs, pour me procurer les inducteurs dont nous avons parlé ou d'autres articles et ainsi de faire transiter mes acquisitions par trois ou quatre entremetteurs? Ce faisant, je pourrais mettre la main sur ces produits sans avoir à passer sous la loupe du Canada, si la transaction était directe. Quelle mesure de contrôle nous permet actuellement de contrer ce genre de transaction et d'éviter que des produits ne transitent par trois ou quatre intermédiaires avant d'aboutir en Iran, puisque c'est finalement ce que nous cherchons à faire?

M. Legault : Pour ce qui est de votre première question, c'est sûr que c'est ce que font les Iraniens. Nous disposons de systèmes destinés à nous permettre de suivre le parcours des livraisons après leur arrivée à la destination déclarée. Nous nous fions en partie sur le renseignement de sécurité et en partie sur du renseignement diplomatique. On peut ainsi découvrir qu'un envoi censé aboutir en Allemagne a été ensuite réexporté vers l'Iran ou vers un autre pays. Ce constat déclenche l'application d'une surveillance internationale des activités de l'entreprise ayant participé à l'exportation afin de suivre de près ses exportations ultérieures et ainsi s'assurer que tous les produits aboutissent bien dans le pays de destination déclaré.

L'articulation de tout ce processus relève de l'Agence des services frontaliers du Canada qui est chargée de faire respecter les dispositions douanières dans ce genre de situation. L'ASFC pourrait vous répondre de façon plus précise sur les techniques qu'elle applique afin d'éviter ce genre de détournement.

Le sénateur Lang : L'entreprise qui a conclu la transaction d'origine a-t-elle une quelconque responsabilité si l'acheteur expédie le produit ou la technologie ailleurs? A-t-il une responsabilité juridique?

M. Legault : Toute personne ayant pris part à la transaction en sachant ce qu'elle allait donner serait effectivement tenue pour légalement responsable en vertu de la Loi sur les Nations Unies. Si la personne a agi en toute connaissance des faits, elle sera tenue pour responsable en vertu de la LMES. Il appartiendrait à un tribunal de déterminer notamment si la personne était, au départ, animée d'une intention coupable afin de la condamner pour ce genre d'infraction.

Le sénateur Lang : Y a-t-il déjà eu des poursuites de ce type?

M. Legault : Il y en a eu une récemment.

La présidente : Nous en avons parlé.

Messieurs, je sais que nous vous avons placés dans une position inconfortable, mais il fallait bien que nous commencions quelque part. Merci de nous avoir expliqué les sanctions et le régime en vigueur. Pour des raisons évidentes, nous allons poursuivre notre étude dans ce sens. Je remercie David Sproule, Roland Legault et Paul Galveias.

Nous poursuivons notre discussion sur toute la question de la technologie à double usage, des relations avec l'Iran et du genre d'instruments dont le Canada dispose pour composer avec la situation. Nous avons donc entendu deux témoins du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international qui s'occupent du cadre juridique des sanctions prévues en cas de transaction inacceptable avec l'Iran. Nous allons continuer de nous intéresser aux tentatives déployées par l'Iran pour acquérir des technologies dites de double usage en nous attardant sur le régime iranien lui-même et sur les sanctions imposées contre l'Iran par l'ONU, sanctions auxquelles le Canada a évidemment pris part, mais dans le cadre d'une structure distincte.

Peter Jones va nous parler de l'Iran et de la structure du pouvoir iranien. Il est professeur adjoint à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa. Il a un très long curriculum vitæ et je vous invite à le lire, mais je ne vous ferai lecture que de la version abrégée.

Nous accueillons également Andrea Charron, qui vient juste de publier un ouvrage sur les sanctions de l'ONU. Elle est associée de recherche au Centre d'études pour la sécurité et la défense de la Norman Paterson School of International Affairs, à l'Université Carleton.

Vous n'êtes ni l'un ni l'autre expert des questions d'articles à double usage et ce n'est d'ailleurs pas pour cela que nous vous avons invités. M. Jones est reconnu en tant qu'expert du régime iranien et le professeur Charron pourra nous parler de l'utilisation et de l'efficacité des sanctions. Elle a déjà écrit que le régime des sanctions du Canada pourrait servir de modèle, mais comme il est également temps que nous examinions nos propres mécanismes, il est plus facile d'inspecter les pneus quand la voiture est immobile. Voilà pourquoi nous essayons de faire cela aussi. Bienvenue à vous.

Je suppose que vous avez tous deux des déclarations liminaires. Madame Charron, voulez-vous commencer?

Andrea Charron, associée de recherche, Centre d'études pour la sécurité et la défense, Université Carleton, à titre personnel : Merci. Depuis de nombreuses années déjà, l'Iran évolue en marge des lois et des normes, internationalement reconnues, qui régissent la technologie et les armes nucléaires. Afin de réprimer ce genre d'atteintes à la paix et à la sécurité, le Conseil de sécurité de l'ONU et les États membres, agissant alors de leur côté, ont le plus souvent recours à des sanctions assorties de négociations multipartites.

À la fin des années 1980, le conseil a demandé d'interdire volontairement les exportations de produits chimiques entrant dans la composition d'armes chimiques à destination de l'Irak et de l'Iran, car ces deux pays les utilisaient dans le conflit qui les opposait alors.

En 2006, l'Agence internationale de l'énergie atomique a informé le conseil que l'Iran n'avait pas respecté ses obligations en matière de présentation de rapports en vertu du Traité de non-prolifération nucléaire, parce que l'AIEA n'avait pu conclure à l'absence d'activités et de matières nucléaires non déclarées en Iran. En réaction, le conseil a demandé aux États d'empêcher le transfert de matières et de technologies pouvant contribuer aux activités d'enrichissement par l'Iran. Si ce pays ne se conformait pas à cette règle, le conseil adopterait des mesures contraignantes en vertu de l'article 41 de la charte. Comme l'Iran a refusé de collaborer avec l'AIEA et qu'il n'a pas arrêté de façon permanente toutes ses activités d'enrichissement et de retraitement de l'uranium, le conseil a décidé d'imposer quatre vagues successives de sanctions obligatoires contre l'Iran à compter de la fin décembre 2006. Les sanctions obligatoires de l'ONU incluent : l'interdiction d'exporter vers l'Iran des produits de technologies intervenant dans la fabrication de missiles balistiques et nucléaires et des produits à double usage; l'interdiction d'exporter vers l'Iran des armes et des équipements accessoires, et l'interdiction d'en acheter à ce pays; l'interdiction de fournir à l'Iran les sept catégories d'armes lourdes et d'équipement connexe; le gel des actifs et l'interdiction de voyager imposés aux particuliers, de même que le gel des actifs de toute personne morale associée au programme nucléaire iranien, aux gardes de la révolution iranienne et aux compagnies maritimes de la République islamique d'Iran et à leurs associés.

Le conseil a aussi interdit à l'Iran de se porter acquéreur d'intérêts dans des activités commerciales d'un autre pays dans le domaine de l'extraction, de la production ou dans des activités consistant à utiliser des matières et des technologies nucléaires. Il a en outre recommandé que les États membres invitent leurs ressortissants à faire preuve de vigilance dans leurs transactions commerciales avec des entreprises inscrites sur les registres iraniens ou soumises à la compétence de ce pays.

Enfin, les pays sont invités à ne pas dispenser de services financiers, y compris dans les domaines de l'assurance et de la réassurance, ni d'effectuer de transferts de fonds ou d'autres formes d'actifs ou de ressources susceptibles de contribuer à la prolifération d'activités sensibles dans ce pays.

Le Canada s'est doté du cadre législatif nécessaire pour se conformer à l'ensemble des sanctions obligatoires et volontaires actuellement en vigueur contre l'Iran. De plus, le Canada a limité ses relations diplomatiques avec ce pays et désigné, de son côté, des personnes physiques ou morales devant faire l'objet d'un gel d'actifs et de l'interdiction de voyager, non seulement à cause des armes nucléaires, mais aussi à cause des infractions que ce pays a commises au chapitre des droits de la personne et de la récente tentative d'assassinat contre l'ambassadeur saoudien près les États- Unis. Ces mesures vont au-delà de celles actuellement exigées par la loi internationale.

La présidente : Merci pour cette déclaration liminaire.

Peter Jones, professeur associé, École supérieure d'affaires publiques et internationales, Université d'Ottawa, à titre personnel : Merci de votre invitation, dans le peu de temps qui m'est réservé pour cette déclaration, je tiens à faire deux grandes remarques.

Premièrement, le gouvernement iranien est extrêmement compliqué et complexe. La constitution iranienne prévoit deux structures parallèles : une laïque, républicaine, et l'autre religieuse ou théocratique. Les deux trouvent la cohabitation difficile et manœuvrent pour mettre la main sur le pouvoir.

Malgré cela, il arrive parfois qu'en Occident, nous considérions que l'Iran est gouverné par un président et par un Parlement, tandis que c'est en fait la faction religieuse du gouvernement, sous la houlette du guide suprême, qui est beaucoup plus puissante. C'est le guide suprême qui, en vertu de la constitution, est investi de la responsabilité ultime d'assurer, pourrait-on dire, la mission théocratique de la république islamique. Il s'appuie, pour cela, sur le népotisme et sur un réseau d'institutions comme les gardiens de la révolution et autres; c'est vraiment à ce niveau que se situent les luttes entre les factions qui constituent le monde politique iranien.

À la façon dont nous interprétons les choses, il y a vraiment quatre grandes factions dans l'univers politique iranien. Premièrement, les conservateurs traditionalistes principalement composés de ceux qui résistent le plus aux réformes et qui sont encore profondément attachés aux idéaux du père de la révolution, l'ayatollah Khomeiny. Ils se méfient de tout rapprochement avec l'Occident et Israël. On pense que le guide suprême est plus proche de cette mouvance, bien qu'il soit censé se placer au-dessus du débat politique au quotidien.

La deuxième faction est constituée de ceux que j'appellerais les conservateurs pragmatiques. Ils toléreraient plutôt une réforme limitée dans les domaines de l'économie et, dans une certaine mesure, de la politique étrangère, à condition que la réforme obéisse à des objectifs pragmatiques, comme un réchauffement prudent des relations avec l'Occident afin de faciliter la croissance économique de l'Iran, mais ils se montrent généralement réservés par rapport à la libéralisation du système politique iranien. L'ancien président Rafsandjani est une figure emblématique de cette mouvance, bien qu'il ait tendance à se réinventer quand le besoin s'en fait sentir.

La troisième faction est un nouveau groupe, celui des conservateurs purs et durs. Il est composé d'un grand nombre de ceux qui ont combattu contre l'Irak, de nombreux jeunes qui ont été exclus des structures du pouvoir au lendemain de la révolution. Tous prêchent pour un retour aux enseignements et aux doctrines de l'ayatollah Khomeiny. Ils se méfient énormément de la libéralisation politique et sociale. Ils enseignent qu'il faut craindre toute ouverture sur l'Occident et épousent l'idée de la redistribution des richesses accumulées par ceux qui ont fait fortune après la révolution.

Enfin, il y a les réformistes qui sont généralement considérés comme la faction la plus faible en Iran. On y trouve, côte à côte, des religieux de tendance réformiste, des fonctionnaires technocrates et ainsi de suite qui sont favorables à une politique sociale moins oppressive, à une plus grande libéralisation économique et à une approche plus libérale en matière de politique étrangère. L'ancien président Khatami est un des personnages emblématiques du mouvement.

Il faut aborder la politique iranienne comme s'il s'agissait d'une matrice à quatre quadrants. À gauche, on trouverait les républicains et les religieux qui forment le gouvernement et, à droite, les factions opposées qui dénoncent le népotisme et les institutions comme les gardiens de la révolution qui sont très importants. La politique iranienne correspond donc à cette interaction constante entre factions, idées et groupes.

L'autre grande remarque que je tenais à formuler, c'est que la politique étrangère iranienne d'aujourd'hui reprend des éléments de l'époque du shah, malgré les nouveautés apportées par le gouvernement postrévolutionnaire. On croit en général qu'il y a eu rupture, mais ce n'est pas forcément le cas. La perception, constatée chez beaucoup de pays arabes du golfe Persique, que l'Iran les intimide, prend en fait ses racines à l'époque du shah. On a tendance à oublier que c'est sous le shah qu'a été lancé le programme nucléaire de l'Iran. Après l'annonce de ce programme par le shah, beaucoup avaient estimé que, lui aussi, cherchait à se doter de l'arme nucléaire sous le couvert d'un programme civil. Cela ne revient pas à excuser ce qui se passe aujourd'hui, ni à dire que c'est tout bon. Simplement, il faut savoir que sous le shah, tout n'était pas tout rose et que, depuis, tout n'est pas aussi terrible qu'on nous le décrit.

Évidemment, l'attitude envers Israël, qui remonte aux lendemains de la révolution, est nouvelle et elle est totalement inacceptable. Je dirais cependant qu'elle n'est pas partagée par la majorité des Iraniens, du moins pas d'après ce que j'ai pu constater sur place. Ce n'est même pas un sentiment partagé par la majorité des factions. Ce que je veux dire, c'est qu'il ne faut pas forcément estimer que les déclarations outrancières d'Ahmadinejad illustrent l'attitude des Iraniens. Je ne le pense personnellement pas. J'estime que la réalité est beaucoup plus compliquée. À en juger d'après leurs actes, les Iraniens ont été beaucoup plus prudents que leurs propos grandiloquents ont pu le laisser penser. Je crois que le principal objectif du régime en place est, justement, de rester en place.

La présidente : Je me demande si vous avez regardé l'entrevue d'Ahmadinejad ce week-end, sur les ondes de CNN. Il était peut-être un peu moins outrancier que d'habitude, mais c'est vrai qu'on l'entendait par la voix d'un interprète. Tout ça m'a rappelé le débat sur les armes de destruction massive, car le journaliste cherchait à savoir si l'Iran avait l'intention de fabriquer une arme nucléaire et pourquoi ce pays a toutes ces réserves d'uranium. Ahmadinejad a répondu que les Iraniens n'ont rien à cacher, que les enquêteurs sont sur place et qu'ils ne pourraient pas en apprendre davantage si ce n'est en venant fouiller dans son propre bureau. Qu'en pensez-vous?

M. Jones : Je crois que les Iraniens ont essayé de tromper l'Agence internationale d'énergie atomique pendant bien longtemps. Il est évident qu'ils jouent à cache-cache avec les inspecteurs internationaux. Il y a, je pense, des dimensions du programme de nucléarisation qu'ils essaient de camoufler. De temps en temps, quand il leur apparaît évident qu'ils ont été découverts, ils annoncent avoir fait ceci ou cela. Ils sont en train de jouer un jeu très compliqué.

La vraie question qui se pose est de savoir s'ils tentent de se doter d'une bombe atomique. Beaucoup d'observateurs de l'Iran — et je pense pouvoir me ranger dans cette catégorie — estiment que les Iraniens cherchent à se doter de la souplesse nécessaire pour pouvoir passer à l'acte. Ils n'ont pas encore nécessairement décidé de se doter de l'arme nucléaire. Beaucoup de pays dans le monde se classent dans cette catégorie. Je ne sais pas si l'Iran fabriquerait une bombe, même s'il était en mesure de le faire. Je ne sais pas vraiment s'il l'utiliserait contre qui que ce soit. Je pense que la réalité est plus complexe que cela.

La présidente : À partir de votre position d'observatrice, qu'auriez-vous à dire au sujet du régime?

Mme Charron : C'est lui l'expert.

Le sénateur Dallaire : Les Américains sont en train de se dérider face à l'Iran et à l'idée d'entreprendre les négociations. Monsieur Jones, vous avez signé un article pour le Foreign Policy d'avril 2009 sous le titre « How to Negotiate with Iran ». Pourriez-vous nous résumer l'essentiel de votre position? Je suppose que vous venez de parler des négociations avec l'Iran sous l'égide des États-Unis.

M. Jones : Quand le président Obama est arrivé au pouvoir, il a dit qu'il était temps d'ouvrir le dialogue avec l'Iran, mais jusqu'ici, ça ne semble pas avoir été le cas. Beaucoup mettront cela sur le dos des Iraniens et il est vrai que, dans l'optique du guide suprême, ce genre de dialogue avec les Américains menacerait les fondements mêmes du régime théocratique. Et puis, il y en a d'autres qui disent que les Américains s'y sont très mal pris. Ils ont confié l'organisation de ce dialogue à un groupe de gens qui voulaient en fait instaurer des mécanismes pour punir l'Iran si ce pays ne se présentait pas à la table. Ce projet a tourné à l'obsession au point qu'ils ne sont jamais parvenus à persuader l'Iran de négocier avec eux. On ne sait pas encore ce que cela va donner.

La grande tragédie dans les relations américano-iraniennes des 30 dernières années, c'est que c'est une histoire de rendez-vous manqués. Il y en a un qui est prêt à parler quand l'autre ne l'est pas. À l'époque où le président Khatami était au pouvoir, il aurait voulu ouvrir le dialogue avec les Américains, mais le président Bush n'était pas intéressé. Ceci explique peut-être cela.

S'agissant des questions plus générales des négociations avec l'Iran, je pense qu'il faut prendre un peu de recul pour s'interroger sur la réalité culturelle de l'Iran, pays perse, et de la réalité historique de la Perse. Comme je le disais au début, quand on fait fi de toute la rhétorique théocratique, on se rend compte qu'un grand nombre d'éléments de l'actuel régime iranien ont des racines persiques, comme la xénophobie. Les Iraniens sont très ouverts à l'idée de débattre de tout à l'intérieur, mais ils soupçonnent tout étranger de vouloir piller et dominer le pays. La méfiance à l'égard des étrangers est historique et elle ne date pas de la révolution. Elle est en partie justifiée par l'histoire de la Perse.

On sent à quel point la culture persique occupe une place importante. Pourtant, j'ai l'impression que le reste du monde ne l'accepte pas et n'est pas prêt à permettre aux Iraniens de prendre la place qu'ils estiment être la leur dans le concert des nations, c'est-à-dire en tant que culture et civilisation importantes. Certains parleront d'aigreur des Iraniens, mais d'autres vous diront que c'est beaucoup plus compliqué.

Différents éléments culturels et historiques entrent en jeu dans la façon dont les Iraniens appréhendent le monde extérieur. Quand on combine tous ces éléments avec les luttes intestines vicieuses qui opposent les différentes factions entre elles, on voit bien qu'il serait très difficile pour un groupe, désireux de changer cette façon de voir iranienne, de gagner suffisamment de pouvoir et d'influence pour modifier la politique étrangère de façon fondamentale.

Le sénateur Dallaire : Le pays est en concurrence avec la Turquie dans la région. Les Iraniens soutiennent que, la Turquie étant tellement proche de Washington, leur pays doit jouer un rôle de leadership dans le monde arabe, sur le plan intellectuel si ce n'est géopolitique, surtout après le printemps arabe. Les Iraniens n'ont-ils pas pris des mesures pour prendre place dans les États arabes maintenant fragilisés, poussant du même coup la Turquie sur la touche?

M. Jones : Il est évident que l'Iran aimerait être très influent dans le monde arabe. C'est le cas aujourd'hui, mais ça l'était également sous le shah. Cela n'a rien de nouveau.

Nous ne devons pas non plus perdre de vue que le monde arabe et l'Iran souscrivent à deux aspects différents de la foi musulmane, le sunnisme et le chiisme. Il y a des différences importantes à cet égard. Il y a aussi des différences ethniques entre les Perses et les Arabes. L'idée selon laquelle un grand nombre d'Arabes voudraient suivre l'exemple iranien est infondée. Le bât pourrait blesser si les Iraniens voulaient infiltrer les mouvements islamiques dans le monde arabe pour les amener à leur façon de voir les choses. C'est ce qu'ils ont fait dans le cas de groupes extrémistes que le pays finançait dans ses actions terroristes contre Israël. Je ne pense pas qu'à plus grande échelle l'Iran parvienne à infiltrer et à dominer la politique de nombreux pays arabes, surtout si ces pays décident d'opter pour le pluralisme et la démocratie et si les gens s'intéressent au programme des partis politiques islamiques et à ceux qui les financent. Pour les partis locaux, le fait d'être ouvertement financé par l'Iran poserait un problème.

Le sénateur Dallaire : S'agissant des sanctions pour les questions de droits de la personne, je dirais que les mesures prises par l'Iran contre les Baha'is frisent le génocide; nous assistons à des violations massives des droits de la personne. Cette analyse ethnographique de l'Iran ne doit pas dominer nos négociations avec ce pays ni la question des sanctions, qui sont purement techniques, mais alimenter plutôt une philosophie fondamentale dans le cas des minorités d'un pays.

Mme Charron : Du point de vue des sanctions, le Conseil de sécurité n'est jamais parvenu à réaliser l'accord autour de sanctions devant être imposées uniquement dans le dossier des droits de la personne. S'agissant de la Corée du Nord et de l'Iran, nous avons maintenu un axe bien précis, celui de la lutte contre la prolifération des armes nucléaires. Nous n'ajoutons pas cette autre dimension. Cet aspect incombe à chaque État membre. Les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada appliquent eux-mêmes des sanctions et adoptent d'autres mesures éventuellement liées à d'autres objectifs. On en vient à un moment donné à la question des droits de la personne.

Le Conseil de sécurité, lui, a tendance à se limiter à une seule grande question. Dans le cas des conflits en Afrique, il s'agit d'apporter la stabilité et d'arrêter les combats. Face aux États parias, il faut empêcher la prolifération des armes.

Le sénateur Dallaire : Ma question demeure entière. Nous savons bien que l'Iran vise précisément les 600 000 Baha'is qu'on cherche à éliminer. Ne faudrait-il pas tenir compte de cette dimension dans notre politique étrangère face à l'Iran, une dimension qui va au-delà de l'aspect technique?

Mme Charron : Je peux vous parler de l'ONU. Le Conseil des droits de la personne de l'ONU vient, pour la première fois, de dépêcher un envoyé auprès de l'Iran. Je ne doute pas qu'il se penchera sur cette question, mais cette démarche est distincte de l'action du Conseil de sécurité et des sanctions qu'il impose.

Le sénateur Lang : Je crois que nous sommes tous très préoccupés par la question des droits de la personne en Iran et par le peu d'informations que nous avons à ce sujet. On n'entend pas grand-chose, mais ce que font les Iraniens est horrible, si cela se produit au quotidien comme d'aucuns l'ont affirmé.

Madame Charron, nous avons vu que les sanctions servent à lutter contre la prolifération des armes nucléaires, mais dans vos remarques, vous avez aussi parlé des services financiers et des conseils offerts aux entreprises qui traitent avec l'Iran.

Quelle est votre position? Estimez-vous que le Canada devrait étendre ses sanctions contre l'Iran, pour ne parler que de celles-là, au domaine financier et aux autres services afin d'assumer un rôle de premier plan à cet égard?

Mme Charron : Ce sont des façons d'envisager la possibilité d'aller plus loin. Je suis certaine que les Canadiens le souhaiteraient, mais il faut aussi songer à la faisabilité d'appliquer de telles sanctions.

Pour l'instant, les listes sont très longues. L'un des problèmes auxquels nous sommes actuellement confrontés, pas uniquement dans le cas des sanctions de l'ONU, mais aussi dans celui des sanctions en général, c'est que ces mécanismes sont très complexes et qu'ils exigent une grande compétence et beaucoup d'efforts afin de comprendre les manifestes de chargement et ainsi de décider dans quels cas ils tombent sous le coup d'une liste. Cela devient très complexe.

Il faut se demander si les sanctions sont le meilleur moyen de régler des questions comme les atteintes aux droits de la personne. Par leur nature même, les sanctions actuelles sont destinées à protéger les Iraniens. Personne n'en a encore parlé. Plus vous imposez des sanctions à un pays et plus il risque d'y avoir de conséquences involontaires en ce sens qu'elles puniront les Iraniens plutôt que d'amener les élites au pouvoir à infléchir leur comportement.

C'est ce que le P5 s'est engagé à faire dans un livre blanc adressé au président du Conseil de sécurité dans lequel il affirme son intention de tenir systématiquement compte des répercussions humanitaires indésirables de toute sanction adoptée, ce qui revient à renoncer aux sanctions tous azimuts. C'est là quelque chose dont nous devrons tenir compte.

En vertu de sa principale responsabilité, celle d'assurer la paix et la sécurité, le Conseil de sécurité a renoncé à ses instruments les plus coercitifs, c'est-à-dire aux sanctions intégrales. Il a pris cette décision à cause des répercussions sur l'Irak, sur la République fédérale de Yougoslavie et sur Haïti. Doit-il déroger à cette décision de ne plus recourir à de tels outils dans le cas de l'Iran et de la Corée du Nord? Seul le Conseil de sécurité peut répondre à cette question.

La présidente : Des pays pourraient agir de leur côté et adopter des mesures unilatérales.

Le sénateur Lang : Qu'en pensez-vous? Pensez-vous que nous faisons ce qu'il faut ou devrions-nous élargir nos sanctions? Je comprends cet argument, mais d'un autre côté nous savons que les Iraniens commettent quotidiennement des atrocités au chapitre des droits de la personne. Nous sommes en présence d'un pays — un État paria, pour reprendre l'expression employée tout à l'heure par le sénateur Plett — qui fait planer une véritable menace sur la région et, d'une certaine façon, sur le monde entier.

Allons-nous demeurer spectateurs en nous en tenant à un seul type de sanctions ou devons-nous adopter des mesures plus générales, à moins que vous ayez une autre solution? Y a-t-il des mesures que l'Occident, en particulier, pourrait adopter afin de faire davantage pression sur le gouvernement iranien?

Mme Charron : La question est de savoir si nous devons ajouter des sanctions. Ahmadinejad ne semble pas terriblement ébranlé par ce genre de mesures et s'il devait en subir d'autres — surtout de la part du Canada — il ne se lèverait sûrement pas le lendemain en se disant : « Nom d'un chien, il est temps que je comprenne le message. » Ce n'est pas ainsi que ça marche. Les Canadiens pourront toujours décider d'adopter d'autres sanctions, parce qu'ils s'en sentiront mieux, mais il faudra alors réfléchir aux conséquences indésirables.

Par exemple, parmi les articles énumérés dans la liste canadienne, il y a les autoclaves à double porte. Ces autoclaves servent également dans le domaine médical. Plus nous allongerons cette liste et plus nous pourrons avoir l'impression que nous amènerons Ahmadinejad à saisir le message, c'est-à-dire qu'il doit changer ses agissements; mais qui ressentira le véritable impact de tout cela? Ce faisant, nous risquons en fait de porter préjudice au peuple que nous essaierions de protéger encore plus.

Le sénateur Lang : Permettez-moi d'enchaîner sur la raison d'être des sanctions. On part du principe qu'une sanction n'a pas pour objet de faire réagir les dirigeants, mais plutôt le peuple afin qu'il finisse par se soulever plutôt que de ne rien faire, de laisser la vie suivre son cours et de permettre à l'élite de continuer de diriger le pays.

Mme Charron : Ce n'est pas à cela que servent les sanctions. Le Conseil de sécurité de l'ONU est très précis à ce sujet. Il n'est pas question de faire basculer le régime en place. Il est ici question de ramener l'Iran dans le concert des nations et de l'amener à respecter les lois auxquelles il a adhéré et par lesquelles il s'est engagé à respecter la clause de non-prolifération.

Les sanctions ne sont pas une fin en soi; elles ne sont pas infaillibles et elles sont toujours accompagnées de négociations. C'est ce qui explique le mouvement de va-et-vient. Les sanctions ne fonctionnent que si vous pouvez les appliquer, les adapter et les mettre en œuvre à la faveur de négociations. Si on met tout le paquet d'entrée de jeu, il n'y a plus rien sur quoi se rabattre ensuite.

Les sanctions ne sont pas une panacée. Il n'est, jusqu'ici, jamais arrivé que les sanctions amènent comme par magie un dirigeant à faire volte-face.

Cependant, beaucoup d'éléments donnent à penser qu'il est payant de se montrer patient, régulier et persistant. On constate d'importantes répercussions sur l'économie iranienne qui, à terme, vont compter pour Ahmadinejad et pourraient bien l'amener à changer.

M. Jones : J'ai deux ou trois choses à dire au sujet des sanctions et des droits de la personne. Je crois qu'il est très évident pour tous ceux qui étudient l'État iranien ou l'économie iranienne, dans la mesure où on peut parvenir à comprendre ce pays, que les principaux bénéficiaires des sanctions jusqu'ici ont été les gardiens de la révolution, leurs entreprises ainsi qu'un groupe de soi-disant œuvres de bienfaisance connues sous le nom de bonyads. Ce sont d'importantes institutions d'État ayant officiellement pour rôle de distribuer de l'argent aux pauvres, mais il s'agit en fait de fondations destinées à dominer l'économie au nom des élites. Ce sont tous ces gens-là qui ont bénéficié des sanctions parce qu'on a abandonné les autres possibilités. Ils sont parvenus à faire main basse sur l'économie iranienne. Certes, il est possible que l'application de sanctions soit la chose à faire, mais celles-ci n'ont eu qu'un seul effet.

L'autre effet, c'est que d'autres pays comme la Chine ont comblé le vide. La sanction qui pèserait le plus lourd sur l'Iran, celle qui aurait un effet énorme et immédiat, consisterait à empêcher ce pays de vendre son pétrole, mais ça n'arrivera pas à cause de l'Inde, de la Chine et d'autres pays qui dépendent du pétrole iranien. Voilà un problème.

Pour ce qui est des droits de la personne, je ne vais certainement pas défendre le dossier iranien dans ce domaine — qui est épouvantable à bien des égards — mais s'ils étaient ici, les Iraniens vous diraient que leurs femmes disposent de beaucoup de droits et de beaucoup d'occasions que leurs consœurs d'autres pays arabes n'ont pas. Elles ont droit de conduire, de voter et beaucoup de professeurs et de médecins sont des femmes. Ils nous reprocheraient d'entretenir des relations avec de nombreux pays arabes, mais de ne pas parler de ces choses-là avec eux. Le tableau est complexe.

Pour ce qui est des Baha'is, il est indéniable qu'ils sont persécutés. Je ne pense pas que j'irais jusqu'à employer le terme de génocide qui, en droit international, a un sens assez précis, si bien que je ne pense pas que nous soyons en présence d'un génocide.

Le sénateur Dallaire : Pas encore.

M. Jones : Je ne pense pas que nous en arriverons là, mais il est indéniable que cette ethnie est persécutée. Je le répète, en matière de droits de la personne, les choses ne sont pas aussi tranchées.

Le sénateur Plett : Je veux poser une question supplémentaire sur les sanctions. Il est possible que M. Jones y ait déjà répondu dans une certaine mesure, mais je vais l'adresser à Mme Charron.

Je vous concède qu'il ne servirait sans doute pas à grand-chose que le Canada menace l'Iran de lui imposer d'autres sanctions, mais il se trouve que nous sommes un acteur important à l'ONU. La Chine et l'Inde, qui ne donnent sans doute pas suite à ces sanctions de l'ONU, vont continuer d'acheter du pétrole iranien. Cependant, l'union fait la force et si l'ONU décidait d'imposer d'autres sanctions, je ne pense pas que l'Iran pourrait en faire fi et prétendre qu'il n'en subit pas les impacts. Les répercussions sur l'Iran seraient très importantes.

Comment réagissez-vous à l'idée que le Canada fasse pression sur les Nations unies pour faire appliquer des sanctions plus vastes?

Mme Charron : Le Canada ne siège pas au Conseil de sécurité et cette décision incombe au conseil. Il est évident que nous continuerions de dialoguer avec les États-Unis, la France et le Royaume-Uni qui siègent au conseil pour leur indiquer que le Canada serait favorable à l'adoption d'autres sanctions. Il appartiendrait au gouvernement de prendre cette décision.

Cependant, il faut reconnaître au Conseil de sécurité de l'ONU qu'il a adopté des dispositions très intelligentes dans ses sanctions. Par exemple, il a interdit à l'Iran de vendre des armes légères, ce qui est un secteur d'activité rapportant beaucoup. Le Canada pourrait affirmer que nous exigeons que le rapport du groupe d'experts soit rendu public, ce qui n'est actuellement pas le cas, parce qu'il comporte toute une liste de violations commises par la Chine et la Russie que ces pays ne veulent pas rendre publiques. Une fois que ce genre de choses est connu, les gens en prennent note.

Potentiellement, les sanctions onusiennes pourraient être très bonnes. Elles pourraient changer les choses, mais pas rapidement. Les sanctions n'ont pas d'effets immédiats. Il faut du temps. Songez à ce qui s'est passé en Afrique du Sud.

La présidente : Qui s'oppose à la publication de cette liste?

Mme Charron : Le comité, en premier lieu, puis le Conseil de sécurité qui décide s'il y a lieu de la rendre publique. Les différents membres qui se sont succédé au comité de production du rapport ont déclaré qu'il y aurait lieu de le rendre public, mais comme les comités du Conseil de sécurité fonctionnent au consensus, tout le monde a un droit de veto. La Chine l'a déjà exercé dans le passé, surtout dans le cas de la Corée du Nord. Elle ne veut pas que certaines informations soient rendues publiques. Le groupe d'experts, lui, est distinct. Il s'agit de véritables experts qui font beaucoup de recherches et qui formulent d'excellentes recommandations. Le Canada devrait déclarer que le rapport doit être rendu public.

Le sénateur Mitchell : Votre dernier commentaire est très intéressant. Pourquoi le Canada est-il peu disposé à demander ouvertement la publication du rapport? Est-ce parce qu'on ne veut pas vexer quelqu'un?

Mme Charron : Peut-être. Je ne suis pas au courant des conversations qui ont lieu à notre mission permanente à New York. C'est possible, mais il est également plus facile d'émettre ces commentaires lorsqu'on est membre à part entière et, en ce moment, nous ne siégeons pas au Conseil de sécurité.

Le sénateur Mitchell : Étant donné que nous avons perdu le siège au Conseil de sécurité, nos options sont limitées dans ce domaine important.

Mme Charron : Nous devons tout simplement nous y prendre différemment. Nous n'avons pas de voix directe au Conseil de sécurité.

Le sénateur Mitchell : Est-il concevable que le Canada commence à intervenir pour la publication du rapport? Ne serait-ce pas la bonne chose à faire?

Mme Charron : Il le pourrait, mais ce n'est pas ma décision.

La présidente : Vous disiez, je pense, que ce sont les cinq membres qui décident. Si la Chine décide d'exercer son véto, nous pourrons toujours demander jusqu'à ce que mort s'ensuive.

Mme Charron : Vous avez raison. Nous pouvons insister, comme l'on fait de nombreux membres du Conseil de sécurité, mais c'est une décision qui doit être prise par Conseil de sécurité et nul ne peut le supplanter. Le Conseil de sécurité fait office de trias politica à l'ONU.

Le sénateur Mitchell : Le Canada pourrait prononcer des discours et faire des exposés en Assemblée générale. Il pourrait dire que c'est condamnable, que nous devons voir le rapport, qu'il faut mettre sous l'aiguillon les nations qui aideraient l'Iran à faire ce qu'il tente de faire.

Mme Charron : C'est possible, mais nous devrions peut-être également avoir une idée de ce que contient le rapport. Il se peut que celui-ci indique que le Canada aussi doit des explications. C'est là où ça coince; nous ne savons pas.

Le sénateur Mitchell : Nous aimerions le savoir.

Est-il possible que le Canada n'exerce pas de pression en public parce qu'il existe une possibilité qu'il doive des explications?

Mme Charron : Le Canada a un programme très chargé. Si on considère la situation dans son ensemble, ce n'est peut-être pas la priorité. La publication d'un rapport change-t-elle le monde? Non. Cependant, je fais partie de ceux qui aimeraient savoir ce que le groupe d'experts a conclu au sujet de l'Iran, qui se montre très doué pour éviter les sanctions.

Le sénateur Mitchell : La LMES interdit certaines choses et son libellé est assez intéressant. Cela ne veut peut-être rien dire, mais on y stipule que le Canada a imposé des sanctions interdisant tout nouvel investissement dans le secteur des hydrocarbures en Iran.

Cela veut-il dire que beaucoup d'investissements canadiens ont déjà été réalisés dans ce secteur en Iran?

Mme Charron : Je ne peux pas me prononcer là-dessus, mais la LMES peut inclure toutes les sanctions volontaires recommandées par le Conseil de sécurité. Nous ne pouvons pas le faire avec notre Loi sur les Nations Unies. Nous avons la LMES parce qu'elle inclut les sanctions volontaires. Le Conseil de sécurité a aussi recommandé à tous les États de se montrer vigilants dans leurs tractations avec les entreprises en général et de ne pas avoir de réserve à propos de leur association avec ces entreprises. Les rédacteurs de LMES se sont probablement inspirés de la recommandation du Conseil de sécurité.

M. Jones : À ma connaissance, la participation du Canada dans ce secteur en Iran est très limitée. Il y a une ou deux petites entreprises qui ont songé à travailler en Iran, et je pense qu'une ou deux l'ont avoué publiquement. Les noms m'échappent en ce moment et il faudrait que je fasse une recherche, mais ce sont de petites entreprises.

Beaucoup d'entreprises canadiennes qui sont des filiales de grosses sociétés américaines sont aux prises avec les sanctions et les règlements américains. Si elles tentaient d'entretenir des relations commerciales avec l'Iran, elles seraient sévèrement pénalisées. En outre, de nombreuses entreprises entièrement canadiennes, qui n'appartiennent pas à des intérêts américains, craignent que leur capacité à faire affaire aux États-Unis ne soit gravement compromise si elles bafouaient les lois américaines sur les sanctions. Voilà un exemple où les lois américaines sur les sanctions ont empêché des entreprises canadiennes de pouvoir être actives en Iran.

Mme Charron : Les sanctions américaines ont une portée extraterritoriale contrairement aux sanctions canadiennes. Nous, nous pouvons nous tourner contre les entreprises canadiennes. Les sanctions américaines, elles, permettent aux États-Unis de s'en prendre aux entreprises non américaines, et c'est ce qu'on constate. De nombreuses entreprises pétrolières et gazières européennes ont dit qu'il ne vaut pas la peine de travailler en Iran puisque cela les empêcherait de travailler ailleurs en raison des sanctions américaines. La Lloyd's de Londres fait de même et refuse d'assurer toute compagnie maritime iranienne. Les sanctions commencent à fonctionner, mais ça prend du temps. On oublie parfois qu'il faut être patient et on veut des effets immédiats.

Le sénateur Mitchell : Monsieur Jones, vous avez dit que ce que veut sans doute le plus le gouvernement, c'est de rester au pouvoir. J'ai deux ou trois questions à ce sujet.

Si des sanctions ou autres éléments faisaient chuter le gouvernement, quelle serait l'option de rechange?

Vous avez également dit qu'il n'est pas clair si le gouvernement veut une arme nucléaire ou non; aucune décision n'a été prise. Ce jeu contribue-t-il d'une certaine façon à sa longévité au pouvoir et, si oui, comment?

M. Jones : Je pense qu'il vaut mieux ne pas trop parler de la longévité du gouvernement, mais plutôt de celle du système, parce que les gouvernements fluctuent. On s'inquiète plutôt de la survie du système républicain théocratique islamiste. Aux échelons supérieurs, celui du guide suprême et d'autres, c'est certainement l'objectif principal.

Il ne s'agit pas de savoir qui pourrait remplacer le gouvernement actuel d'Ahmadinejad; il ne sera plus là dans quelques années de toute façon étant donnée la limite des mandats. Il s'agit plutôt de savoir comment remplacer le système actuel. Il m'est difficile, je le crains, de voir comment ce système sera appelé à disparaître. J'aimerais bien pouvoir me l'imaginer. Certes, en 2009, il y a eu un énorme soulèvement populaire qui a témoigné de la grande impopularité du système, mais ce n'est pas comme en Libye où on s'en prenait à un seul homme. La clé en Lybie, c'était la loyauté envers Kadhafi. En Iran, il y a plusieurs institutions dans le corps politique. Elles s'intéressent toutes à la pérennisation du système actuel. Leurs opinions sur l'état du système d'ici 10 ans diffèrent; elles se disputent à ce sujet.

Si on pouvait m'indiquer le remède miracle pour se débarrasser du système, je l'appuierais, mais je ne pense pas qu'il existe. Il s'agit d'essayer de persuader un nombre considérable d'institutions qui constituent le système qu'un avenir meilleur les attend sur certaines trajectoires plutôt que d'essayer d'imaginer de supprimer le système iranien.

En ce qui a trait aux armes nucléaires, la question fait l'objet de grands débats chez ceux qui s'intéressent à l'Iran. Le pays cherche-t-il à se doter de l'arme nucléaire et l'utiliserait-il s'il l'avait?

La plupart de ceux qui étudient la question vous diraient que l'Iran tente certainement d'acquérir l'option de construire une arme et que, dans une certaine mesure cette tentative n'est pas seulement idéologique. Cela a à voir avec la nature très réaliste et terre-à-terre de la position du pays. On oublie que l'Irak a utilisé des armes chimiques contre l'Iran pendant la guerre et que personne ne lui est venu en aide, même si on en avait l'obligation en vertu des traités internationaux de l'époque.

L'Iran se perçoit comme entouré de pays hostiles dans une région hostile. Nombre de ces pays hostiles ont des armes nucléaires ou ont la capacité de production. Beaucoup vous diront que la motivation principale des Iraniens dans leur tentative d'obtenir l'arme nucléaire ou la capacité de la produire n'a rien à voir avec la religion ou l'idéologie; il s'agit tout simplement du bon vieil équilibre réaliste des pouvoirs. C'est aller un peu trop loin. Je crois que les deux — l'idéologie et les hypothèses réalistes — se rejoignent un peu.

La question est la suivante : si l'Iran construisait une arme et procédait à son essai, qu'est ce que cela donnerait du côté des sanctions et la position de l'Iran dans le monde? Si l'Iran était très près du but, assez près pour que tout le monde le sache, mais sans pousser plus loin, le but serait-il atteint? Ça dépend de ce que vous estimez être le but. Si le but est cette option plus réaliste pour gérer des menaces perçues, il pourrait être suffisant de se rapprocher, sans plus. Nous ne connaissons pas les réponses à ces questions.

Le sénateur Mitchell : Pouvez-vous me dire ce que pense Israël de la situation actuelle? Israël est un bon baromètre, puisqu'il a plus à perdre que les autres. Or, il n'a pas encore attaqué pour changer la situation. Quelque chose doit l'y en empêcher.

M. Jones : Si vous consultez les déclarations du gouvernement israélien à ce sujet, vous constaterez qu'il a régulièrement tendance depuis huit ou neuf ans à affirmer que l'Iran en est à 12 à 18 mois d'avoir une arme. Loin de moi l'idée de démentir les inquiétudes d'Israël, tout à fait légitimes par ailleurs, mais il est difficile de savoir à quel point l'Iran est près d'avoir une telle arme.

De nombreuses spécialistes du programme nucléaire iranien ont indiqué qu'il ne s'agit pas d'une course, mais plutôt d'une marche. Les choses avancent un certain temps, puis on manque d'argent ou un problème survient, et l'activité cesse; ça continue comme ça un certain temps. Il ne s'agit pas d'une ruée vers l'acquisition de la capacité. On dirait plutôt une balade sinueuse dans cette direction.

En ce qui concerne la menace pour Israël, beaucoup d'Israéliens vous avoueront discrètement, comme ils le font quand je vais là-bas, qu'ils ne s'attendent pas à ce que l'Iran les bombarde. On sait que la riposte d'Israël serait absolument dévastatrice pour le gouvernement iranien, pour le système et pour le pays en général, et pas seulement pour les Iraniens. Les Américains réagiraient aussi, j'en suis certain. Comme l'objectif principal du régime iranien est de demeurer au pouvoir et de survivre, la plupart des Israéliens vous diront en confidence — parce qu'à micro ouvert c'est différent — que le fait, pour leur pays, de vivre à côté d'un Iran doté de la capacité nucléaire constituerait pour Israël une menace systémique et durable. Il se peut que des Juifs désireux d'émigrer à Israël ne le fassent pas ou que les personnes qui y habitent pensent : « Je ne sais plus si je veux vraiment vivre ici. Je vis sous la menace. » Au fil du temps, la capacité de l'État israélien d'assurer la protection de sa population, peu importe ce qui arrive, sera perçue comme affaiblie et cela pourrait avoir des conséquences pour la société israélienne. Je pense que c'est l'essentiel de la menace réelle envers Israël.

La présidente : Je vous remercie de vos commentaires à ce sujet. Je vous en suis reconnaissante.

Le sénateur Day : J'aimerais revenir à la question des droits de la personne dont vous parliez plus tôt. Madame Charron, vous aussi pourriez répondre. Avec la Loi sur les Nations Unies, le Parlement a délégué une partie de ses pouvoirs à l'exécutif pour lui permettre d'appliquer toutes les sanctions du Conseil de sécurité, si celui-ci décide que des sanctions doivent être imposées. Je veux m'assurer que cela ne s'applique qu'aux décisions du Conseil de sécurité et non à celles des autres agences onusiennes, comme le Conseil des droits de l'homme.

Mme Charron : La Loi sur les Nations Unies est une loi permanente qui nous permet d'appliquer les sanctions obligatoires en vertu de l'article 41 de la charte, et non les sanctions volontaires. Si le Conseil de sécurité dit qu'il pense que ça serait une bonne idée d'essayer quelque chose, d'autres lois vont s'appliquer. C'est seulement pour le Conseil de sécurité et les mesures obligatoires prévues à l'article 41.

Le sénateur Day : C'est seulement pour le Conseil de sécurité, mais le Canada peut appliquer des sanctions à l'Iran, et il le fait, en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales. D'autres décisions unilatérales pourraient être prises dans le cas de sanctions dites volontaires, mais ça n'a rien à voir avec le Conseil de sécurité des Nations Unies, c'est ça?

Mme Charron : Oui.

Le sénateur Day : Monsieur Jones, quand vous avez dit que c'est notamment à cause de la Chine et de l'Inde que les sanctions ne sont pas entièrement efficaces — puisque vous avez déclaré que ces deux pays n'appliquent pas les sanctions — vous parliez des sanctions auxquelles la Chine a consenti en tant que membre du Conseil de sécurité ou bien d'autres sanctions?

M. Jones : Je ne pense pas que j'irais jusqu'à dire qu'ils enfreignent les sanctions, puisque l'achat de pétrole iranien ne constitue pas une atteinte à cet égard. Le pétrole est disponible sur le marché libre. Ce que je disais c'est que si vous voulez que le régime de sanctions soit le plus rapide et le plus efficace possible, la communauté internationale doit faire front et se mettre d'accord pour ne pas acheter le pétrole iranien. L'économie de l'Iran s'effondrerait rapidement, puisqu'il s'agit de sa principale source de revenu étranger, mais le désir n'y est pas. Je ne faisais que confirmer ce que Mme Charron a dit : il n'y a pas de remède miracle, car on ne parvient pas à se mettre d'accord du point de vue politique.

Pour ce qui est du non-respect des sanctions actuelles, je ne suis pas spécialiste de la question. Je ne voudrais certainement pas classer l'Inde dans cette catégorie. Des entreprises chinoises peuvent faire des choses qu'elles ne devraient pas en vertu du régime de sanctions, mais je ne connais pas assez cette question pour émettre une opinion à ce sujet.

Le sénateur Day : Je voudrais établir une distinction entre les sanctions auxquelles la Chine a consenti en qualité de membre du Conseil de sécurité et les autres sanctions. Est-ce que vous êtes en train de dire que des organismes chinois contreviennent à ce que le gouvernement chinois a convenu de faire au Conseil de sécurité?

M. Jones : Je ne sais pas. On entend dire que des agences chinoises, des organismes autonomes, font des affaires dans des domaines où elles ne devraient pas.

Mme Charron : Les États-Unis ont constaté qu'un Chinois avait enfreint les sanctions. Il n'y a pas de traité d'extradition entre la Chine et les États-Unis et les Américains ont demandé que la personne soit extradée ou punie. La Chine a réagi de façon mitigée à l'idée.

Nous ne savons pas au juste si la Chine ne joue pas les rebelles en disant au reste du monde : que pouvez-vous bien faire si nous n'appliquons pas les sanctions? Le problème, c'est que la Chine n'a pas le même type de fonction publique professionnelle que la nôtre qui peut fermer toutes les portes. Ce n'est pas toujours un cas de dissidence absolue. C'est plutôt qu'elle ne peut pas contrôler tous les secteurs de la société pour empêcher que le régime de sanctions ne soit enfreint. Il serait utile d'avoir accès au rapport du groupe d'experts.

Le sénateur Day : Cela rappelle beaucoup l'Irak. Quelles sanctions étaient en place il y a 10 ans? Je me souviens que le personnel de l'Agence internationale de l'énergie atomique craignait qu'on ne lui montre pas tout et qu'il voulait retourner pour jeter un autre coup d'œil. On soupçonnait alors beaucoup qu'il s'agissait d'un cas de prolifération. Pouvez-vous reculer dans le temps et faire une comparaison entre les sanctions actuelles contre l'Iran et celles d'il y a 10 ans contre l'Irak?

Mme Charron : Il faut se souvenir que l'Irak est un exemple de « changement d'orientation d'une mission » au Conseil de sécurité, étant donné que les premières sanctions exhaustives avaient été appliquées à la suite de l'invasion du Koweït par l'Irak. Nous avions frappé fort avec des sanctions exhaustives, annonciatrices du recours à la force pour expulser l'armée iraquienne. Le Conseil de sécurité avait ensuite ajouté résolution sur résolution pour peu à peu viser le programme d'armement de l'Irak. Les premières sanctions imposées n'étaient pas conçues expressément pour s'en prendre aux armes, mais dans le but précis d'expulser l'Irak du Koweït parce qu'il avait violé le droit international. Le Conseil de sécurité a continué d'ajouter des sanctions et la Commission de contrôle, de vérification et d'inspection des Nations Unies a ensuite été créée pour déterminer si l'Irak avait des armes. Les sanctions étaient globales et très différentes de toutes les sanctions adoptées par les Nations Unies à compter de 1995, sanctions qui étaient alors ciblées. Les sanctions contre l'Iran sont ciblées. Le Conseil de sécurité essaie de déterminer ce qui peut avoir un peu de mordant sans pour autant indûment porter atteinte à la société iranienne.

M. Jones : Je ne peux pas parler des sanctions en soi, mais je peux parler du régime d'inspection des armes de destruction massive, ce qui n'était pas une sanction mais plutôt une mesure imposée à l'Irak après la guerre avec le Koweït. Le régime d'inspection était très intrusif, beaucoup plus que les régimes auxquels les pays souscrivent volontairement. L'Iran a volontairement souscrit aux inspections de l'AIEA et d'autres organisations internationales qui cherchent des armes de destruction massive. Après la guerre avec le Koweït, on a imposé à l'Irak des mesures beaucoup plus intrusives que ce à quoi ce pays, ou n'importe quel autre pays d'ailleurs, aurait pu consentir. On se retrouvait devant un pays vaincu à qui on disait qu'il devait ouvrir ses livres et ainsi de suite.

En rétrospective, nous savons que le processus et le régime d'inspection de la Commission de contrôle, de vérification et d'inspection des Nations Unies fonctionnent bien, même si l'administration Bush ne le croyait pas à l'époque. Au moins pendant les dernières années avant la deuxième guerre en Irak, Saddam s'était départi de sa capacité de produire des armes de destruction massive. Il est très peu probable que l'Iran ou n'importe quel autre pays souscrive volontairement aux types d'inspections imposées à l'Irak après la première guerre du Golfe.

La présidente : Il était assez clair à ce sujet hier dans ses commentaires.

Le sénateur Plett : Vous avez répondu à ma question au sujet des inspections; merci. Vous semblez tous les deux à peu près convaincus que les sanctions ne sont pas une solution parfaite dans ce cas. En fait, monsieur Jones, vous abordez différemment des autres le fait que l'Iran puisse avoir l'arme nucléaire et que, s'il ne l'a pas encore, il n'hésiterait pas l'employer tout de suite après l'avoir acquise. Dans ces circonstances, si les sanctions ne sont pas la réponse, quelle est la réponse? Quelles autres mesures la communauté internationale pourrait-elle prendre, à part celles visant les armes de destruction massive et les atteintes aux droits de la personne? Quelles sont les bonnes réponses si les sanctions ne le sont pas?

Mme Charron : Je ne suis pas d'accord. Je crois que les sanctions sont nécessaires, mais elles ne sont pas une panacée en soi. Elles s'ajoutent aux négociations et à toutes sortes d'autres mesures qu'il faut implanter. On ne rendrait service à personne si l'on se débarrassait des sanctions. Le Conseil de sécurité a établi assez clairement que les sanctions sont en place et qu'elles sont là pour durer. Il est possible que nous puissions adopter davantage de mesures dans l'avenir si la Russie et la Chine s'engageaient à nouveau.

Les sanctions sont une bonne solution, pas le recours à la force. Après cela, les outils les plus coercitifs dont dispose le Conseil de sécurité sont les mesures en vertu de l'article 41, qui incluent des sanctions et la création de tribunaux. Les sanctions sont la meilleure option, mais il faut être patient parce qu'il faut du temps pour qu'elles donnent des résultats.

M. Jones : J'aimerais bien avoir la réponse. Je ne veux certainement pas laisser entendre que je m'oppose aux sanctions; ce n'est pas le cas. Dans la mesure où on peut les appliquer, les durcir et les rendre réalisables, je les appuie. Je soutiens tout à fait les activités de pays comme le Canada qui visent à garder la technologie hors d'atteinte de l'Iran. Cependant, je pense qu'il n'y a pas de remède miracle. Comme Mme Charron l'a dit, il faut une combinaison de mesures pour exercer une pression et pour essayer d'isoler le système et pas la population. En fin de compte, le changement en Iran viendra quand la population iranienne sera en mesure de le demander. Je ne prévois pas cela dans un proche avenir. Je pense que ça viendra plus progressivement et par étapes plutôt que ce que nous avons vu en Libye. J'aimerais pouvoir vous donner une meilleure réponse.

Le sénateur Day : Est-ce que vous proposeriez à nouveau des sanctions exhaustives, lesquelles ne sont plus utilisées, ou feriez-vous une recommandation à cet effet?

Mme Charron : Non. Le Conseil de sécurité n'en a pas envie parce que nous avons vu l'effet dévastateur pour la communauté locale. En outre, cela donnerait lieu à un effet involontaire de rassemblement autour du drapeau et la population se dirait : « Peut-être que Ahmadinejad a raison; on s'en prend à nous et on tente de nous faire du mal; adoptons l'arme nucléaire parce que nous en avons besoin. »

Le sénateur Day : Des sanctions oui, mais des sanctions tous azimuts, non.

M. Jones : Je suis d'accord.

La présidente : Cela soulève une question comme au début de cette discussion étant donné la présumée tentative d'assassinat à Washington et la réaction du Canada; les projecteurs se sont braqués sur l'Iran. Pourquoi les Iraniens ont-ils fait cela? Pourquoi voudraient-ils, maintenant, attirer l'attention sur eux avec une telle affaire? Est-ce une erreur? Est-ce un malentendu? Pourquoi ont-ils fait cela?

M. Jones : Beaucoup attendent de voir les preuves que les Américains prétendent détenir, mais qu'ils n'ont toujours pas exposées. Selon moi, cette action est atypique. Certes, dans les quelque dix années qui ont suivi la révolution, l'Iran a soutenu les activités terroristes à l'étranger, comme les assassinats, les attentats à la bombe et ainsi de suite, et il y participait directement. Les actions étaient surtout dirigées contre des dissidents iraniens à l'étranger, mais il y a aussi eu les attentats en Allemagne et ailleurs.

Vers le milieu des années 1990 — 1996-1997 —, il semblerait que l'ancien président Rafsandjani ait pu démontrer qu'on ne réussissait pas à exporter la révolution et que ça isolait l'Iran. Selon la plupart des spécialistes du renseignement, c'est à peu près à cette époque que l'Iran a cessé de pratiquer le terrorisme. Certes, l'Iran soutient toujours la terreur; c'est indéniable. Il forme des combattants et fournit des fonds et des armes à ceux qui commettent de tels actes, mais l'Iran a pris un peu de recul et a plutôt cherché à ne pas vouloir être associé à ce type d'activités. S'il est derrière cette présumée tentative d'assassinat, cela pourrait marquer un changement, ce que nous ne comprenons pas. Il pourrait s'agir d'un changement interne dans l'équilibre des pouvoirs, parce que les radicaux auraient désormais plus d'influence. On ne le sait pas encore. Il se peut aussi que ça ne soit pas ce qu'on pense. Les services du renseignement se sont déjà trompés et les gens ont sauté aux conclusions en se disant que les Iraniens ou d'autres avaient fait la même chose avant. Les Américains ont déjà commis des erreurs de ce genre. Pensons à la bombe à l'anthrax et aux armes de destruction massive en Irak. La plupart des experts de l'Iran estiment qu'il s'agit, a priori, d'un complot insensé puisque ça concerne toutes sortes de personnes avec lesquelles les Iraniens n'ont jamais traité, comme les cartels mexicains de la drogue. Cela semble exagéré, alors franchement, j'attends de voir si c'est vrai ou pas.

La présidente : Je vous remercie de ces détails. Nous n'avons plus de temps. Sénateur Dallaire, avez-vous une dernière remarque?

Le sénateur Dallaire : Non, ça va.

La présidente : Je vous remercie d'être venus nous expliquer le contexte, madame Charron et monsieur Jones, surtout à si court préavis.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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