Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 2 - Témoignages du 31 octobre 2011
OTTAWA, le lundi 31 octobre 2011
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 15 h 57, afin d'étudier et faire rapport au sujet des politiques, des pratiques, des circonstances et des capacités du Canada en matière de sécurité nationale et de défense (sujet : protéger le Canada contre les tentatives iraniennes d'acquérir des technologies à double usage).
Le sénateur Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Mesdames et messieurs, bienvenue aux travaux du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Nous allons continuer à nous intéresser aujourd'hui aux moyens de protéger le Canada contre les tentatives iraniennes d'acquérir des technologies à double usage pour poursuivre son programme de développement d'armes nucléaires.
Pour ce faire, nous accueillons une brochette impressionnante de témoins de Sécurité publique Canada, l'organisme principal, et des différentes agences qui relèvent de lui. Merci d'être venus nous rencontrer aujourd'hui.
Permettez-moi de vous présenter John Davies, directeur général, Politiques sur la sécurité nationale, Sécurité publique Canada; Geoff Leckey, directeur général, Opérations du renseignement et du ciblage, Agence des services frontaliers du Canada — que les gens appellent l'ASFC; Mike Cabana, commissaire adjoint, Opérations fédérales et internationales, et Guy Poudrier, surintendant, directeur, Sous-direction des douanes et de l'accise, de la Gendarmerie royale du Canada; et Jeff Yaworski, directeur adjoint des opérations au Service canadien du renseignement de sécurité.
Messieurs, bonjour. La semaine dernière, nous avons entendu le témoignage de deux universitaires qui se sont exprimés sur les politiques relatives à cette question, et celui de fonctionnaires relativement aux aspects techniques du contrôle des exportations et de certaines formes d'intervention. Je rappelle à tous que vous n'êtes pas des ministres et que, par conséquent, vous n'êtes pas responsables des prises de décisions, mais que vous pouvez expliquer la politique et comment et pourquoi certaines décisions sont prises.
Je suppose que vous allez présenter des déclarations préliminaires. Nous allons commencer par M. Davies.
John Davies, directeur général, Politiques sur la sécurité nationale, Sécurité publique Canada : Bonjour. Je suis heureux de pouvoir aujourd'hui vous parler du rôle de Sécurité publique Canada en matière de lutte contre la prolifération.
Notre mandat est de coordonner et d'appuyer les efforts des organisations fédérales pour assurer la sécurité nationale et la sécurité des Canadiens et des Canadiennes. Pour atteindre ce but de façon efficace, notre ministère s'appuie en grande partie sur l'expertise opérationnelle des organismes du portefeuille qui sont représentés aujourd'hui avec moi, ainsi que des autres ministères, pour formuler des conseils et élaborer des positions stratégiques.
Notre rôle en matière de prolifération, comme à l'égard de toute autre menace à la sécurité nationale, est de tirer parti des connaissances des experts pour examiner la menace et déterminer les risques encourus par le Canada, en vue de fournir au ministre les meilleurs conseils stratégiques possibles.
Les activités de prolifération constituent une menace à la sécurité mondiale et continuent d'évoluer, puisque le transport, les télécommunications et les systèmes financiers du monde entier sont de plus en plus interreliés. Les réseaux de prolifération s'adaptent également et ont recours à des techniques clandestines et trompeuses pour échapper à nos contrôles. Je vais vous présenter un bref aperçu des différentes approches et des outils à notre disposition pour faire face à ce défi.
Tout d'abord, le Canada dispose de plusieurs lois et règlements destinés à gérer l'exportation des marchandises contrôlées et à empêcher les proliférateurs d'exporter illégalement du matériel susceptible de servir à la prolifération. Vous avez entendu nos collègues du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international Canada la semaine dernière à ce sujet et je laisserai à M. Leckey de l'ASFC le soin de vous donner plus de détails sur cette question.
Deuxièmement, le gouvernement procède à des enquêtes et à des poursuites à l'égard des individus et des groupes impliqués dans les activités de prolifération en sol canadien. L'Agence des services frontaliers du Canada, la GRC et le SCRS recueillent, analysent et partagent de l'information sur les activités suspectes des individus et des groupes, ainsi que sur leurs méthodes et leurs transactions. Le Canada reçoit également de ses alliés des données du renseignement sur les menaces relatives à la prolifération, notamment des États-Unis. Cette information est essentielle pour ouvrir de nouvelles avenues nécessaires dans les enquêtes.
Troisièmement, le gouvernement contrôle l'accès à certaines installations d'importance pour empêcher que les proliférateurs n'obtiennent et ne distribuent les biens, les technologies ou l'expertise du Canada dans les domaines de pointe. Il est essentiel de sécuriser l'accès aux installations d'importance comme les usines de produits chimiques, les centrales nucléaires et les laboratoires protégés pour empêcher la distribution d'information ou de biens à des fins illégales.
Enfin, nous pouvons imposer des sanctions, notamment limiter les transactions financières relativement aux activités de prolifération, comme c'est maintenant le cas avec l'Iran et la Corée du Nord. Vous avez d'ailleurs entendu mes collègues des Affaires étrangères à ce sujet la semaine dernière.
En résumé, Sécurité publique Canada continue de collaborer avec ses partenaires, notamment les organismes du portefeuille, pour élaborer des options stratégiques et législatives visant à renforcer la capacité du Canada à lutter contre les menaces relatives à la prolifération. En général, nos efforts doivent être adaptés au milieu de la menace, en constante évolution, et être harmonisés avec les pratiques exemplaires de nos alliés. L'examen des nouvelles propositions pour améliorer les mesures du Canada en matière de lutte contre la prolifération doit toutefois tenir compte du cadre financier actuel.
J'espère que cet aperçu vous a été utile. Je serai heureux de répondre à vos questions.
La présidente : Monsieur Leckey à votre tour, si vous le voulez bien.
[Français]
Geoff Leckey, directeur général, Opérations relatives aux renseignements et au ciblage, Agence des services frontaliers du Canada : Madame la présidente, honorables membres du Sénat, j'aimerais prendre quelques instants pour vous remercier de l'occasion qui nous est offerte de venir vous entretenir du rôle de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) dans la prévention des exportations de produits de technologie contrôlée, restreinte et à double usage.
Le comité connaît peut-être davantage le rôle et les processus liés aux marchandises et à leur entrée au pays. Toutefois, j'aimerais centrer mes propos sur les efforts qui s'appliquent aux marchandises qui sortent du pays et sur la façon dont ces efforts s'intègrent dans la foulée des opérations en matière de sécurité nationale.
[Traduction]
Les efforts de l'ASFC dans la lutte contre la prolifération sont basés sur une démarche à plusieurs niveaux. Dans un premier temps, il existe des exigences législatives particulières qui se rapportent aux exportateurs et à la nécessité de déclarer les marchandises au gouvernement du Canada en vertu de dispositions de la Loi sur les douanes. L'ASFC vérifie et s'assure que ces exportations sont conformes à la législation canadienne.
[Français]
Dans un deuxième temps, il est question de collaboration nationale et internationale ainsi que d'échange de renseignements. Le renseignement permet d'identifier ces entités qui posent un risque élevé, avant l'exportation des marchandises, de manière à permettre la diffusion d'avis de surveillance frontalière.
[Traduction]
L'ASFC est l'organisme principal d'exécution de la loi en matière de lutte contre la prolifération en raison de ses équipes d'inspection à l'exportation qui sont assignées à tous les grands aéroports internationaux et les ports maritimes du Canada. Le programme d'exportation de l'ASFC comporte un volet d'exécution de la loi à la ligne primaire mis au point pour veiller sur ces marchandises stratégiques et dangereuses qui sortent du pays, mais aussi celles qui sont en transit au Canada.
L'ASFC interdit particulièrement l'exportation vers les pays qui représentent une menace pour notre pays et nos alliés; les pays impliqués dans ou sous la menace d'hostilités imminentes; les pays faisant l'objet de sanctions imposées par le Conseil de sécurité des Nations Unies et/ou du Canada; les pays dont les gouvernements commettent constamment de graves violations des droits de la personne contre leurs citoyens.
[Français]
Si les marchandises ne sont pas conformes en vertu de ces lois, des mesures d'exécution peuvent alors être prises. Celles-ci vont de l'imposition de sanctions pécuniaires à la saisie des marchandises et même au dépôt d'accusations.
[Traduction]
En matière de sécurité nationale, l'ASFC joue un rôle aussi important en coulisse qu'à nos frontières elles-mêmes. Toutes ces couches illustrent bien l'engagement de l'agence à mettre un frein à l'exportation des différentes marchandises, qu'elles soient contrôlées, restreintes ou à double usage, et d'empêcher qu'elles aboutissent entre de mauvaises mains.
La présidente : Monsieur Cabana, la parole est à vous.
Mike Cabana, commissaire adjoint, Opérations fédérales et internationales, Gendarmerie royale du Canada : Je voudrais commencer par vous remercier de nous donner l'occasion de parler des problèmes de prolifération qui touchent le Canada.
Si vous le souhaitez, puisque vous avez, je crois, un exemplaire de mes notes qui font état de notre mandat, de quelques-unes de nos initiatives de prévention et de nos efforts de sensibilisation de l'industrie, je ne vais pas vous présenter mon allocution, afin de laisser plus de temps aux membres du comité pour nous poser des questions.
La présidente : C'est formidable. Je vous remercie de vous soucier de nous laisser suffisamment de temps pour vous poser des questions.
Monsieur Yaworski.
Jeff Yaworski, directeur adjoint des opérations, Service canadien du renseignement de sécurité : Bonjour. Je suis heureux d'être ici aujourd'hui pour vous présenter le point de vue du SCRS sur des questions reliées à la prolifération.
Comme le prévoit la loi sur le SCRS, le service a pour mandat de recueillir des informations et des renseignements au Canada et à l'étranger sur les menaces à la sécurité nationale et de les analyser pour ensuite en faire rapport au gouvernement et le conseiller à cet égard.
Le SCRS s'intéresse aux tentatives d'acquisition de technologies à double usage dans la mesure où elles sont faites de façon clandestine et où elles impliquent des sociétés canadiennes ou des Canadiens. La prolifération d'armes chimiques, biologiques, radiologiques ou nucléaires et de leurs vecteurs menace réellement le Canada et la communauté internationale. Les programmes que poursuivent certains États pour se doter de telles armes intensifient les tensions générales et pourraient même précipiter des conflits armés. L'utilisation de ces armes dans une guerre ferait beaucoup augmenter l'ampleur des souffrances et de la dévastation.
Le renseignement joue un rôle fondamental dans la détection d'activités reliées à la prolifération et dans la perturbation de leur processus d'approvisionnement. Il peut déceler des signes avant-coureurs que des terroristes sont en train de développer ou de déployer des capacités chimiques, biologiques, radiologiques ou nucléaires; que du matériel ou des plans connexes sont en voie d'être échangés ou vendus; ou que la sécurité d'un programme national a été compromise.
Le renseignement peut également offrir des informations sur l'état de programmes opaques d'armes de destruction massive de certains pays hostiles au Canada, sur leurs réseaux d'approvisionnement ou sur des possibles connexions avec le Canada. Les activités de l'Iran à cet égard sont largement documentées, mais d'autres pays tentent également d'avancer des programmes d'armes de destruction massive. Inutile de préciser que la collecte de renseignements sur des activités de ce genre implique des efforts multidimensionnels et pangéographiques.
Cela dit, il demeure difficile d'enquêter sur la menace que représente l'acquisition de technologies à double usage, justement parce que certaines des technologies utilisées dans la fabrication d'armes de destruction massive peuvent aussi être utilisées à des fins parfaitement pacifiques et légitimes.
Je vais terminer ici ma présentation.
La présidente : Merci beaucoup pour la façon dont vous avez exposé la situation.
Je vais commencer par M. Davies. Est-ce que vous vous intéressez uniquement à l'Iran ou est-ce qu'il y a d'autres pays qui agissent de la même manière? Est-ce que vous ciblez une zone géographique en particulier ou est-ce que vous vous concentrez plutôt sur la nature du problème?
M. Davies : En ce moment, notre ministère ne se penche pas vraiment sur des zones géographiques; notre travail est plus thématique et porte sur les différents aspects de la capacité du Canada à lutter contre les menaces relatives à la prolifération à l'intérieur du pays et ses efforts de lutte contre le terrorisme en général — il peut s'agir de contrôle des exportations, des pouvoirs accordés aux enquêteurs, du partage d'information et de ce genre de choses. Nous n'avons pas de capacité géographique au ministère; pour cela nous nous appuyons sur les agences exploitantes.
La présidente : Dans ce sens, vos activités ne sont pas exclusivement axées sur l'Iran.
M. Davies : C'est exact.
La présidente : Est-ce que c'est la même chose pour tous? Est-ce que vous recherchez le produit, la pièce d'équipement susceptible de poser problème plutôt que de chercher à savoir d'où il vient et où il s'en va?
M. Yaworski : Dans notre perspective, nous considérons que la menace est multidimensionnelle. L'Iran n'est qu'un des nombreux pays qui posent des problèmes sur le plan de la prolifération.
La présidente : Quel serait le point de vue de l'ASFC à ce sujet?
M. Leckey : Je partage le point de vue de M. Yaworski. Les efforts de l'ASFC sont très concentrés sur l'Iran, mais pas exclusivement.
La présidente : Nous avons beaucoup de questions à vous poser aujourd'hui. C'est le sénateur Dallaire qui va commencer.
Le sénateur Dallaire : Messieurs, vous nous avez présenté un tableau qui serait assez semblable à celui que vous auriez brossé devant un comité ne bénéficiant pas d'une autorisation de sécurité, c'est-à-dire que vous nous avez présenté des données plutôt superficielles, c'est le moins qu'on puisse dire. Vous nous dites essentiellement que vous faites beaucoup de coordination et que vous faites votre travail, ainsi qu'on peut l'espérer. Nous vous en remercions. C'est ce que l'on est en droit d'attendre de vos services. Cela soulève un obstacle extraordinaire pour notre comité dans ses efforts pour obtenir les données concrètes qui me paraissent essentielles pour pouvoir conseiller le gouvernement. Cependant, c'est un autre combat que nous garderons pour plus tard. Cela vous fera sans doute plaisir, parce que c'est ce que j'espérais moi-même lorsque j'étais assis à votre place. Mais la situation a changé et je ne suis plus dans cette position.
Venons-en aux détails. J'aimerais poser une question à M. Davies et à M. Yaworski. La collecte et la diffusion de l'information sont deux choses différentes. Les services de renseignement rassemblent l'information, mais en général, ils n'excellent pas à la diffuser. En fait, ils n'aiment pas partager.
J'aimerais que vous nous parliez, non pas de la menace directe ou des cibles directes, par exemple l'Iran dans le cas qui nous préoccupe, mais plutôt des intermédiaires. Expliquez-nous quelle est la structure dont vous disposez pour le rassemblement et la diffusion de l'information. Comment coordonnez-vous de façon tangible les différents efforts de vos divers organismes pour traiter avec vos intermédiaires, que ce soit un pays ou un agent?
M. Davies : Au niveau opérationnel, nous avons toutes les deux semaines une rencontre avec les experts de la contre- prolifération pour comparer nos recherches et collaborer au besoin sur certains dossiers. Une grande partie du travail se fait au niveau des analystes-préposés au renseignement et ensuite l'information remonte jusqu'au DG, au SMA, au SM et jusqu'au cabinet. Il y a des réunions aux différents paliers sur les mêmes dossiers. De ce point de vue, nous pensons que le personnel qui détient l'information prend part régulièrement à des réunions pour définir les meilleures façons de procéder et les mesures nécessaires à prendre.
Le sénateur Dallaire : Nos collègues du sud ont découvert que la collaboration à laquelle étaient censés se livrer les 39, 40 ou 60 différents services du renseignement n'existe pas nécessairement dans la pratique.
Que faites-vous au niveau du DG ou du SMA pour vous assurer régulièrement que le rassemblement et la diffusion de l'information existent réellement et que vos deux organismes coordonnent leurs efforts? J'aimerais que votre réponse porte sur les pays non ciblés. Quels sont les moyens dont vous disposez relativement aux intermédiaires qui acquièrent cette capacité en vue de la revendre?
M. Yaworski : C'est très difficile. Ce sont des enquêtes complexes qui impliquent une multitude d'individus et de groupes; une multitude de pays, le cas échéant; des sociétés de façade et des plaques tournantes de trafic commercial. Il n'est pas facile d'enquêter sur ces intermédiaires et encore plus difficile de les poursuivre.
Quant au partage de l'information, nous n'avons pas les mêmes restrictions que celles qui s'appliquent à votre comité.
La présidente : Merci de nous le signaler.
M. Yaworski : Nous avons tous fait l'objet d'une enquête de sécurité. Comme l'a signalé M. Davies, nous nous rencontrons régulièrement au niveau opérationnel. Nous avons aussi des rencontres aux niveaux supérieurs. Je suis un représentant du groupe des opérations de sécurité nationale de notre SMA et nous nous réunissons pour discuter de toute une gamme de questions de sécurité nationale auxquelles nous sommes confrontés, la prolifération étant une d'entre elles. C'est un type d'enquête que nous prenons très au sérieux. Il est certain que l'Iran constitue une priorité parmi tous les autres pays que nous examinons.
Le sénateur Dallaire : Il y a ici des mouvements comme Pugwash qui s'inquiètent de la prolifération et qui prônent même le désarmement. Je vais poser cette question à notre collègue de la GRC.
[Français]
D'ailleurs, je suis content de vous voir ici en uniforme. J'aurais une question quant aux mouvements à l'intérieur du pays qui auraient une influence pour encourager l'achat de ce matériel et son envoi par rapport à ceux qui sont contre la prolifération; avez-vous une méthodologie, à part de la liste qui est là, qui vous permet de discerner ces sources d'informations et les entités qui existent dans le pays même, particulièrement dans des diasporas qui deviennent de plus en plus dynamiques dans le pays?
M. Cabana : Je vous remercie de votre question. Ce n'est pas simple de répondre à cette question.
[Traduction]
Le rôle de la GRC est dans ce cas d'intenter des poursuites au criminel c'est le volet enquête criminelle de la réalité de la prolifération.
Dans le cadre de nos activités quotidiennes, nous prenons contact avec différentes communautés au Canada. Nous avons des sources d'information dans différentes communautés et des partenariats avec divers organismes d'application de la loi, la police en première ligne, ainsi qu'avec des agences non gouvernementales et l'industrie. Grâce à tous ces contacts, nous recueillons de l'information. Nous sommes un organisme d'application de la loi, mais une grande partie de nos activités consiste à recueillir de l'information sur les infractions criminelles, afin d'assembler suffisamment de preuves pour entamer des poursuites. Au cours de ce processus, nous recueillons des renseignements dans tous les secteurs. Nous ne nous limitons pas nécessairement à une seule communauté. Nous sommes aiguillés par différents services et, comme vous l'avez indiqué, nous recueillons des renseignements qui nous informent sur la direction que nous devons prendre.
Le sénateur Lang : Nous avons appris, au cours de nos diverses réunions, que les technologies à double usage n'inquiètent pas seulement le Canada, mais beaucoup d'autres pays qui craignent leur utilisation à des fins que nous ne souhaitons évidemment pas.
Je me place ici du point de vue du comité sénatorial. Demande-t-on au gouvernement d'adopter d'autres lois ou politiques afin de permettre à vos divers organismes de faire leur travail de manière plus efficace?
Ma première question s'adresse à M. Davies. Elle porte sur la possibilité d'intenter des poursuites en vertu du Code criminel dans une affaire de terrorisme et du cheminement que nous devons suivre pour porter l'affaire devant les tribunaux. Allons-nous à l'avenir envisager de modifier les règles de poursuite dans les cas où, le plus souvent, la preuve est circonstancielle? Devrons-nous envisager de modifier le cheminement des poursuites judiciaires afin de pouvoir poursuivre ces individus qui sont décidés à nuire à notre société à long terme?
M. Davies : Faites-vous allusion en particulier aux modifications qu'il faudra apporter à la Loi antiterroriste ou à d'autres lois connexes?
Le sénateur Lang : Oui, et à tous les autres cadres législatifs qui permettent aux divers organismes de se livrer à leurs activités de sécurité en général.
La présidente : Au cours de la dernière session, le Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme a cherché à savoir si l'on devait considérer le terrorisme et les activités connexes comme un comportement criminel et s'il fallait disposer de règles spéciales pour lutter contre le terrorisme. Je crois que c'est en partie à cela que fait allusion la question du sénateur.
M. Davies : Nous entreprenons en ce moment un important effort en vue de mettre en œuvre le Plan d'action de la Commission d'enquête sur l'affaire Air India rendu public en décembre dernier. Un des engagements vise à améliorer la communication de renseignements d'importance pour la sécurité nationale, afin de renforcer les moyens de mettre au jour les complots de terrorisme.
Nous nous penchons actuellement sur cette proposition et nous sommes prêts à rencontrer le ministre et à lui présenter diverses options pour l'avenir immédiat.
La présidente : Monsieur Cabana, avez-vous également un commentaire à ce sujet?
M. Cabana : Je pense, monsieur le sénateur, que mon commentaire répondra exactement à votre question.
Comme vous l'avez signalé, la GRC s'intéresse à certaines activités considérées comme purement criminelles et à d'autres activités qui relèvent clairement du contexte des activités terrorismes menaçant notre sécurité nationale.
À la GRC, nous avons un mécanisme de désescalade des conflits qui nous permet de déterminer comment traiter toutes les pistes que nous recevons ou les informations qui nous proviennent d'un de nos bureaux extérieurs. Une grande partie de nos activités consiste à neutraliser l'utilisateur final et à réunir les preuves utiles à cet effet. S'il apparaît clairement que nous pouvons identifier l'utilisateur final et l'objet de la prolifération ou de la transaction — soit l'exportation des produits — notre programme chargé de la sécurité nationale se saisit du dossier. L'affaire sera traitée en conformité des règles applicables aux enquêtes de sécurité nationale. Si la preuve n'est pas claire, le dossier continue d'être traité comme une affaire criminelle, conformément aux règles qui s'appliquent aux enquêtes criminelles, enquêtes que nous menons régulièrement.
Je ne veux pas me prononcer au nom de mes collègues, mais le renseignement est un des éléments importants de la preuve. Même dans le cas d'enquêtes criminelles, une grande partie des informations proviennent des activités de renseignement. Dans le cadre d'une enquête criminelle, la capacité à gérer cette information demeure difficile. Les mécanismes ne sont pas encore nécessairement disponibles.
M. Davies : Le ministère de la Justice se penche actuellement sur cette question. Vous souhaiterez peut-être parler aux fonctionnaires du ministère si vous voulez particulièrement vous renseigner à ce sujet.
Le sénateur Lang : J'aimerais poursuivre dans la même ligne. Ma question s'adresse à tous les témoins et n'importe qui peut répondre.
Il est clair que le gouvernement se penchera sur les autres mesures législatives qu'il faudra prendre — afin de faire face aux menaces dirigées contre le monde libre auxquelles nous sommes confrontés — pour permettre à vos divers ministères de bien faire leur travail. Est-ce que ma perception est juste?
M. Davies : Oui.
Le sénateur Lang : Je vais poursuivre sur la question de l'immigration. Je ne sais pas quels sont vos liens avec Citoyenneté et Immigration Canada, CIC. Nous parlons de l'Iran et je pense que l'on peut établir un lien du point de vue de la sécurité. Prenons le cas du scandale bancaire qui a secoué l'Iran et dont il a été question dans les médias au cours des deux derniers mois. Un individu qui a la double nationalité canadienne et iranienne s'est installé à Toronto. Un autre qui a été impliqué dans ce scandale réside maintenant à Montréal. D'après ce que j'ai lu dans différents journaux, on peut se poser des questions quant à notre politique d'immigration qui permet à de tels individus d'obtenir si facilement la citoyenneté canadienne. On dit qu'un de ces individus était responsable de la banque Melli. On pense qu'ils étaient liés au terrorisme et à d'autres activités qui devraient nous préoccuper. Comment vos ministères collaborent-ils avec CIC pour faire en sorte que l'on n'accorde plus la nationalité canadienne à des individus de l'extérieur qui pourraient s'en servir à leur profit pour causer des difficultés à l'avenir?
La présidente : La semaine dernière, nous avons parlé de l'imposition de sanctions à des ressortissants iraniens, mais pas des personnes qui possèdent la double nationalité.
M. Davies : Le texte législatif principal est la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. CIC procède actuellement à une révision de l'admissibilité, en particulier les articles reliés à la sécurité. Notre ministère s'intéresse aux certificats de sécurité et au processus connexe. D'après moi, tout ce secteur fait l'objet d'un examen actif.
M. Yaworski : Je pourrais peut-être vous faire part de la perspective du SCRS. La banque Melli dont vous avez parlé, est une banque nationale iranienne. L'ancien président de la banque est une des deux personnes auxquelles vous avez fait allusion et il réside à Toronto.
Je crois savoir que ce sont essentiellement des accusations de détournement de fonds qui pèsent contre lui. Nous n'avons pas de traité d'extradition avec l'Iran et M. Cabana pourrait nous parler de cet aspect. Il ne s'agit pas véritablement d'une question de lutte contre la prolifération. Le rôle du SCRS est d'enquêter sur des menaces à la sécurité du Canada et de résidents du Canada, quelle que soit leur citoyenneté. Nous fournissons à CIC des conseils sur les personnes qui représentent une menace sur le plan de la sécurité. Dans le cas de cet individu en particulier, aucun risque de ce type n'a été, à ma connaissance, rapporté.
M. Cabana : Je partage tout à fait le point de vue de mon collègue. Comme l'a dit M. Yaworski, il y a un processus en place. Nos organismes appuient CIC dans son processus décisionnel.
Le sénateur Lang : Je vais poursuivre dans cette ligne pour continuer la réflexion.
Au début du mois d'octobre, mon attention a été attirée par un article de journal dans lequel on affirmait que la communauté internationale se préoccupait depuis longtemps des autres activités de la banque, notamment le financement des programmes de missile nucléaire iranien.
Il me semble donc que cette affaire va bien plus loin que le simple détournement de fonds et que nous devrions nous en préoccuper. Je ne suis pas ici pour juger cet individu. Je veux simplement souligner que cette affaire est liée à notre politique d'immigration. Peut-être que certaines personnes demandent la citoyenneté canadienne parce qu'elles appartiennent à une certaine élite de la société et qu'il leur paraît plus facile de faire une demande d'immigration ici que dans un autre pays. Je dis tout simplement que c'est un aspect que nous devrions examiner.
La présidente : Je sais qu'il vous est difficile d'entrer dans les détails au sujet de cette affaire.
Monsieur Leckey, avez-vous un commentaire à faire?
M. Leckey : Il serait peut-être utile de mentionner que le gouvernement du Canada dispose d'un programme d'enquête de sécurité. Tous nos partenaires assis autour de cette table collaborent afin de fournir des renseignements à CIC et à l'aider dans la prise de décisions concernant des résidents temporaires arrivant au Canada ou de résidents permanents sollicitant la citoyenneté.
Le programme d'enquête de sécurité donne lieu à des efforts de collaboration qui ne sont pas sans rappeler la stratégie de lutte contre la prolifération du gouvernement du Canada. Par exemple, un Iranien qui demanderait à venir travailler au Canada dans un des laboratoires de recherche d'importance dont parlait M. Davies dans son introduction, ferait l'objet d'une enquête particulièrement attentive.
[Français]
Le sénateur Dawson : Monsieur Cabana, vous avez parlé tout à l'heure d'une étude de cas. On peut remarquer une tradition de fonctionnement en silo — c'était d'ailleurs indiqué dans le rapport sur Air India et ajoutons à ça ce que M. Lang vient de dire concernant l'immigration — à savoir que les organismes devant nous aujourd'hui ont tendance à travailler en silo et que le partage de l'information a historiquement été difficile.
J'aimerais que vous profitiez de cette étude de cas pour nous dire de quelle façon l'information a été partagée afin que vous en arriviez à ce cas en particulier.
M. Cabana : J'imagine que vous faites référence au cas de M. Yadegari, un cas de Toronto datant de 2009.
L'information nous est parvenue à la GRC par l'entremise de l'ASFC, qui est l'Agence des services frontaliers du Canada. Cette agence avait reçu le renseignement des autorités américaines ICE. Suite à la réception de cette information, une enquête a débutée, en partenariat avec plusieurs agences, dont le FBI, certains des corps policiers locaux, DHS/ICE, l'ASFC et la GRC. L'enquête s'est développée sur une assez longue période de temps vu la complexité du dossier, mais le renseignement a transigé entre ces agences au soutien de cette enquête.
Le sénateur Dawson : Le processus était-il celui d'une table centrale ou bien l'information provenait-elle de documents? Y avait-il un mécanisme particulier de transaction d'informations?
M. Cabana : Je ne crois pas qu'il y ait un mécanisme en particulier. Lorsqu'on parle d'un mécanisme particulier, on parle d'un groupe responsable de s'assurer que cette information transige entre les agences.
Il n'y a pas de groupe comme tel qui a été créé pour transiger sur cette information. Cela fait partie des processus en place au sein des agences. On échange des renseignements avec nos collègues américains de façon journalière tout comme avec nos collègues canadiens.
Le sénateur Dawson : Je me réfère, encore une fois, aux propos de M. Yaworski.
[Traduction]
Vous avez parlé d'Air India. Une des sections du rapport soulignait justement que le fonctionnement en silo de beaucoup d'organismes au Canada en particulier, mais également à l'échelle internationale, était à l'origine du manque d'informations utiles fournies aux personnes intéressées. Dans cette étude de cas, quelles sont les améliorations qui ont été apportées et qu'est-ce que vous envisagez pour qu'un plus grand nombre d'informations soient mises en commun — de façon confidentielle, bien entendu?
[Français]
Je respecte beaucoup l'aspect confidentiel de cette information. Toutefois, le processus est important.
[Traduction]
M. Yaworski : Je suis d'accord avec vous. Je pense que par le passé le fonctionnement en silo que vous avez signalé, était encore plus marqué dans le partage de l'information. Je peux vous dire que c'est maintenant chose du passé. La collaboration entre le SCRS et les partenaires que vous voyez assis autour de cette table est meilleure que jamais.
Pour les questions de sécurité nationale, en particulier lorsque la vie est menacée dans l'immédiat, il n'y a pas de fonctionnement en silo. L'échange d'information se fait promptement et totalement.
Pour le cas des partenariats internationaux, vous avez soulevé une question très importante qui rend le travail de M. Cabana plus difficile lorsque vient le temps de poursuivre certains individus. Une grande partie des informations que nous recevons proviennent de services de renseignement alliés. Le Canada est un consommateur net de renseignements. Nous recevons beaucoup plus de renseignements que nous n'en produisons et souvent ces informations sont utilisées avec réserve et ne se traduisent pas facilement en preuves utilisables devant un tribunal.
Nous collaborons étroitement avec la GRC pour le partage d'informations et la constitution de preuves à partir de ces renseignements, comme l'a mentionné M. Cabana. Cependant, dans une perspective internationale, cela rend le travail plus difficile en cas de poursuites.
Le sénateur Dawson : Je comprends cela, mais mon collègue, le sénateur Plett, qui a siégé au Comité des transports, peut vous dire que les silos existent au Canada, à Transports Canada. Par conséquent, j'imagine qu'il y en a ailleurs aussi, dans votre secteur. J'ose simplement espérer qu'il y en a moins.
Les ambitions régionales de l'Iran ont-elles été modifiées à la suite du printemps arabe?
M. Davies : Je ne suis pas certain de pouvoir commenter ce sujet. Il serait préférable de poser la question à nos collègues des Affaires étrangères.
Le sénateur Plett : Je ne sais pas quelle serait la meilleure personne pour répondre à ma question, M. Leckey ou M. Davies. Il y a bien des choses que l'on peut exporter vers un pays étranger, mais pas nécessairement vers l'Iran. Que faites-vous pour empêcher qu'un produit exporté vers un pays étranger soit acheminé par la suite en Iran? Quels sont les contrôles dont nous disposons pour éviter que l'Iran n'obtienne ce produit en deuxième ou troisième main?
M. Leckey : Vous soulevez la question de l'acheminement suspect de biens exportés du Canada. L'ASFC et ses partenaires savent pertinemment que certains pays servent plus que d'autres de plaques tournantes de transbordement — permettant ainsi l'acheminement de produits vers l'Iran ou d'autres pays qui sont des sources de préoccupation. Nous savons également — et nous en apprenons chaque jour dans le cadre de nos activités — que certaines entreprises telles que des courtiers et des transitaires n'hésitent absolument pas à changer la destination finale et le certificat de l'utilisateur sur un produit de la technologie qui aboutira en Iran ou dans un autre pays source de préoccupation.
Le sénateur Plett : Qu'est-ce qui déclenche le signal d'alarme? Vous dites qu'il y a des entreprises douteuses, mais qu'est-ce qui déclencherait le signal d'alarme dans une telle situation ou sur le manifeste des produits exportés?
M. Leckey : Nous avons dit que tout notre système est fondé sur le renseignement. Nous examinons un certain nombre d'indicateurs tels que la nature des marchandises, le pays de destination, l'itinéraire utilisé, l'utilisateur déclaré ou l'usage final, la compagnie exportatrice et certains autres intermédiaires tels que les compagnies de courtage. Chaque jour, nous examinons ce type de détail sur de nombreux manifestes et c'est à partir de là que notre section du renseignement pour la lutte contre la prolifération peut déclencher la sonnette d'alarme.
M. Cabana : Permettez-moi d'ajouter un commentaire à ce que vient de dire M. Leckey. Tous ces indicateurs — il y en a beaucoup d'autres — révèlent clairement l'importance de sensibiliser l'industrie. Dans le cas de certains indicateurs, l'industrie elle-même est parfois mieux placée pour signaler une anomalie dans certaines transactions. C'est pourquoi, collectivement, nous avons mis en place des programmes destinés à sensibiliser les entreprises du pays afin qu'elles sachent reconnaître les indicateurs et agir en conséquence lorsqu'une transaction leur paraît douteuse.
La présidente : Vous avez des règles et vous venez de les exposer, mais nous aimerions savoir dans quelle mesure la détection ne dépend pas de l'intuition d'un garde-frontière de l'ASFC ou de la formation spéciale qu'il aurait reçue. Est-ce que vous êtes avertis et que vous recherchez le produit douteux dans le système, ou est-ce que le garde se dit, lorsque quelqu'un se présente au poste : « Tiens, ça me paraît louche »?
M. Leckey : Tout le système repose sur le renseignement à partir du quartier général. Nous avons des équipes de contrôle des exportations dans les grands aéroports et les principaux ports; 99 p. 100 de leur travail est dirigé par le quartier général en fonction de comportements douteux reconnus.
Le sénateur Plett : J'ai une autre question à l'intention de M. Yaworski sur la menace de la double utilisation. Quel est le degré d'activité de l'Iran au Canada et peut-on noter certaines tendances? Est-ce que ces activités ont augmenté ou diminué? En quoi consistent-elles? Par ailleurs, la menace concerne-t-elle essentiellement les armes nucléaires ou englobe-elle également les armes chimiques et biologiques?
M. Yaworski : Je dois être prudent dans mes commentaires, étant donné le caractère non classifié de notre rencontre, mais je peux vous dire que nous examinons toutes les menaces et qu'elles sont multidimensionnelles lorsqu'elles viennent d'Iran.
Notre loi définit les menaces à la sécurité du Canada à l'article 2 et mentionne essentiellement l'espionnage, l'influence et les activités étrangères et l'usage ou la menace d'usage de la violence. La contre-prolifération relève de ces activités.
L'Iran est un des pays que nous surveillons. Je peux vous dire que l'Iran est un facteur important en matière de contre-prolifération. C'est un pays qui cherche à acheter tout et n'importe quoi. Je suppose que des représentants des Affaires étrangères vous ont déjà présenté la liste des produits à double utilisation. C'est une longue liste qui comprend à peu près tout ce qui pourrait servir à l'Iran pour faire avancer son programme, que ce soit du matériel industriel ou bien des connaissances permettant de faire avancer un programme nucléaire.
Les Iraniens sont intéressés à acheter n'importe quoi pour faire avancer leur programme. Ils se tournent vers le Canada parce que nous sommes un pays avancé et que nous avons des régimes de libre-échange qui peuvent être exploités.
Cependant, il est important également de souligner que la multitude de personnes qui entrent en contact avec un objet qui finira par servir au programme nucléaire iranien ne sont pas nécessairement au courant de leur participation. En raison de la libre-circulation commerciale, des plaques tournantes commerciales au Moyen-Orient et surtout en Asie du Sud-Est dont a parlé M. Leckey, par exemple — les différents maillons de cette chaîne — il peut arriver que certaines personnes ne soient pas au courant que certains produits finiront entre les mains des Iraniens.
Ils sont très bons pour éluder les sanctions et trouver des moyens d'acquérir les composantes dont ils ont besoin. Par ailleurs, ils multiplient partout les tentatives. S'ils ne peuvent obtenir un article ici, ils essaieront de l'acquérir ailleurs.
Le sénateur Plett : Je vous rappelle que nous en avons parlé la semaine dernière. Il en a déjà été question et les opinions étaient variées au sujet des sanctions. Peut-être qu'ici personne ne peut partager son opinion à ce sujet, mais ma question est la suivante : Les sanctions ont-elles été utiles? Certains problèmes ont-ils diminué ou continuent-ils à prendre de l'ampleur? Les opinions étaient partagées quant à l'utilité des sanctions.
M. Yaworski : J'ai lu le témoignage de Mme Charron et de M. Jones, deux universitaires qui ont parlé de cette question avec beaucoup de bon sens. Je partage leurs points de vue. Je pense qu'ils ont utilisé le terme « silver bullet ». Il n'y a pas de balle d'argent, il n'y a rien de magique. Les sanctions ont donné de bons résultats jusqu'à présent, mais ce n'est qu'un élément. Le renseignement est un élément important; les pressions diplomatiques aussi. Tous ces éléments contribuent à réduire la capacité des Iraniens à acquérir les produits qu'ils recherchent.
Le sénateur Day : Tout d'abord, la greffière pourrait-elle confirmer que les commentaires écrits des témoins ont été envoyés à nos bureaux au préalable.
La présidente : Non, nous venons juste de les recevoir.
Le sénateur Day : C'est bien ce que je pensais. J'aimerais faire remarquer à M. Cabana qu'il aurait été utile de nous présenter oralement ses remarques préliminaires, étant donné que nous n'avons pas eu la possibilité de lire son document au préalable et qu'en le lisant, j'ai manqué certains commentaires de ses collègues.
La présidente : Je vous prie de m'excuser, j'avais demandé aux témoins de tenir compte du fait que nous n'avions pas beaucoup de temps.
Le sénateur Day : En voulant aider, on fait parfois le contraire, surtout en présence d'un groupe d'experts aussi importants que celui-ci. Nous pourrions passer toute la séance avec un seul de nos témoins tant le sujet est important. Je voulais le souligner.
Mon collègue le sénateur Dawson vous a demandé d'expliquer plus en détail l'étude de cas. Ma question est plus terre à terre. Si vous aviez lu votre allocution, vous nous auriez dit ce que signifiaient les initiales CP dans la version anglaise. Je suppose qu'il s'agit des poursuites criminelles.
M. Cabana : En fait, il s'agit de la « contre-prolifération ».
Le sénateur Day : Voilà un éclaircissement qui n'aurait sans doute pas été nécessaire si vous nous aviez lu votre document.
Monsieur Davies, avez-vous à votre disposition une équipe d'analystes différente de celle qui collecte les informations et aide à développer le renseignement dans chacun des organismes composant ce que vous appelez le portefeuille?
M. Davies : Nous avons deux équipes. J'ai une équipe d'analystes stratégiques qui se penche sur la politique de contre-terrorisme de manière générale — la politique d'immigration, les politiques de contre-prolifération. Une grande partie de leur travail porte sur la politique de contre-radicalisation. L'autre équipe travaille sur le renseignement; elle est plus opérationnelle, dans le sens qu'elle gère des cas précis et les réunions du comité, et cetera. Je dispose d'un spécialiste de la contre-prolifération.
Le sénateur Day : La plupart des analyses de contre-prolifération sont-elles effectuées par les divers autres ministères ou organismes du groupe général de Sécurité publique Canada?
M. Davies : C'est exact.
Le sénateur Day : Monsieur Poudrier, vous faites partie de la GRC, mais vous vous occupez de la Sous-direction des douanes et de l'accise. Est-ce que vous vous occupez uniquement des poursuites criminelles ou est-ce que vos activités vous amènent à traiter d'autres aspects qui seraient autrement confiés à l'Agence du revenu du Canada ou à l'Agence des services frontaliers du Canada? Pouvez-vous définir plus exactement votre rôle?
Guy Poudrier, surintendant, directeur, Sous-direction des douanes et de l'accise, Gendarmerie royale du Canada : La Sous- direction des douanes et de l'accise a pour mandat d'étudier les infractions à la contre-prolifération, c'est-à-dire tout ce qui concerne les activités criminelles, les transbordements et autres. Nous avons pour responsabilité de faire appliquer la loi au point d'entrée et nous partageons cette responsabilité avec l'ASFC aux différents points d'entrée.
M. Cabana : Si vous le permettez, il faut préciser que c'est là un des nombreux mandats du programme des douanes et accise. Ils sont également chargés de faire appliquer les règlements concernant la contrebande d'armes et de tabac au Canada. La contre-prolifération est seulement une des priorités qui relèvent de leur mandat.
Le sénateur Day : Du point de vue de la GRC, c'est toujours dans le but d'intenter des poursuites?
M. Cabana : Oui, bien sûr.
Le sénateur Day : Vous appliquez une norme différente de certaines autres agences qui s'intéressent plutôt à la collecte d'informations susceptibles de mener à autre chose qu'à des poursuites judiciaires.
M. Cabana : Absolument. Notre objectif vise les poursuites judiciaires.
Le sénateur Day : Merci. Je voulais clarifier cela.
Il a beaucoup été question des armes nucléaires de destruction massive, mais le sénateur Plett a fait remarquer que les armes chimiques et biologiques sont aussi des armes de destruction massive. Est-ce que ces armes relèvent de votre mandat ou de celui d'un autre organisme? Est-ce que différents organismes surveillent les composantes qui pourraient servir à la fabrication de ce type d'armes?
M. Yaworski : Puisque vous regardez vers moi, monsieur le sénateur, je vais tenter de vous répondre. Dans mes remarques préliminaires, j'ai bien mentionné les armes CBRN — chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires — qui sont toutes des armes de destruction massive. Il est certain que nous scrutons de près toutes ces armes mises en œuvre par des programmes nationaux de pays hostiles au Canada, mais également dans une perspective de contre-terrorisme, étant donné que des terroristes ou des groupes non étatiques cherchent à acquérir de telles composantes dans des desseins abominables. Il est tout aussi important, et peut-être même plus, pour la sécurité du Canada, que nous exercions une surveillance sur ces groupes contre-terroristes afin de contrôler leur capacité à acquérir ces composantes.
Le sénateur Day : Pouvez-vous nous parler de façon générale du type de stratégies utilisées, le type de flux de produits dont un pays comme l'Iran pourrait se servir pour faire l'acquisition de produits que nous souhaiterions ne pas voir en leur possession?
Comment procèdent-ils? Passent-ils par un autre pays? Est-ce que la majorité des produits que vous repérez sont destinés à l'Iran par l'intermédiaire d'un pays ami ou est-ce qu'ils sont expédiés directement, vous permettant ainsi de dire : « Cet envoi est destiné à l'Iran; il vaut mieux le vérifier »?
M. Yaworski : M. Leckey pourra vous en parler plus en détail, mais je peux vous dire en partant que leur approche est multidimensionnelle. Ils ont recours à des compagnies de façade. Ils ont recours à des individus qui sont au courant et d'autres qui ne le sont pas. Ils font transiter les envois par plusieurs pays et font exprès de multiplier les étapes, car ils savent que l'expédition est ainsi plus difficile à retracer.
M. Leckey pourrait peut-être ajouter d'autres détails.
M. Leckey : Parmi les stratégies que nous avons observées, comme l'a mentionné M. Yaworski, il y a le recours aux compagnies de façade, des compagnies qui peuvent changer de nom littéralement parfois du matin au soir, alors que le personnel demeure le même. Les contrevenants peuvent ouvrir de multiples entreprises. Ils ferment une entreprise dès la réception des marchandises et la rouvre le jour suivant. Ils falsifient les certificats de destination finale.
Il existe une technique que l'on appelle le magasinage des ports ou des modes de transport. Si les contrôles sont sévères dans un port, ils auront tendance à l'éviter, ou s'ils constatent que les taux de détection ont augmenté dans les transports maritimes, ils opteront pour les transports aériens.
Une autre technique consiste à faire l'acquisition de biens qui se situent juste en dessous le seuil de contrôle, mais qui peuvent être de qualité suffisante pour servir à un programme de fabrication d'armes de destruction massive. Comme je l'ai mentionné, ils ont recours à des plaques tournantes de transbordement dans des pays tiers, à des transitaires complices qui inscrivent les marchandises sur un autre manifeste. Ils tirent parti des lacunes des exigences de compte rendu, en attribuant par exemple une valeur inférieure à 2 000 $ à une composante technique qui en vaut peut-être beaucoup plus.
Le sénateur Day : Lors de notre dernière réunion, les représentants des Affaires étrangères nous ont parlé de deux textes législatifs : la Loi sur les Nations Unies et la Loi sur les mesures économiques spéciales qui permet au gouvernement canadien d'établir la liste des produits que nous ne voulons pas livrer à certains pays.
Je suppose que vous connaissez tous très bien cette liste. Cependant, je me demande comment il est possible de faire savoir aux Affaires étrangères que d'autres articles devraient également figurer sur cette liste? Il y en a beaucoup qui sont inférieurs au seuil mais qui pourraient servir à la fabrication d'une bombe sale.
La présidente : Je vais vous interrompre un moment et vous demander de garder vos commentaires pour plus tard. Le sénateur Wallace doit nous quitter et j'aimerais que sa question figure au compte rendu.
Le sénateur Wallace : Ma question est apparentée au point soulevé par le sénateur Day. Vous avez expliqué que le risque que pose l'Iran a évolué et qu'il a augmenté en complexité et en subtilité. Est-ce que l'ampleur du risque que présente l'Iran pour la sécurité nationale de notre pays a augmenté depuis trois ans? L'augmentation a-t-elle été considérable? M. Yaworski pourrait peut-être répondre?
M. Yaworski : Oui, le risque a augmenté. Le régime actuel a fait des déclarations et pris des initiatives qui révèlent clairement qu'il progresse dans son projet d'acquérir les capacités nécessaires pour construire une arme nucléaire. Le régime n'a pas déclaré qu'il allait en fabriquer, mais il a manifesté son désir d'acquérir cette capacité. Comme je l'ai dit un peu plus tôt, la menace est multidimensionnelle et ne doit pas être considérée uniquement sous l'angle de la contre- prolifération. Le printemps arabe a également eu une incidence, ainsi que le signalait le sénateur Dawson un peu plus tôt. L'instabilité dans cette région du monde est un problème pour tous les pays voisins. L'incertitude est un problème. Avec un pays comme l'Iran — qui cherche à accroître son influence au Moyen-Orient et à faire des affaires à Bahreïn — il y a une multitude de choses dans la région qui contribuent à augmenter le risque global pour le Canada et nos intérêts au pays et dans cette partie du monde. Sans entrer dans les détails, je confirme que c'est vrai.
Le sénateur Wallace : Devant l'accroissement du risque, nous nous demandons quelles contre-mesures nous pouvons prendre. En bout de ligne, le problème est de définir les mesures appropriées à prendre face à l'augmentation du risque. Je comprends que vous ne puissiez entrer dans les détails, mais, pouvez-vous nous dire de façon générale comment nos organismes gouvernementaux abordent cette question et traitent cette escalade du risque?
M. Yaworski : Au SCRS, notre travail consiste à atténuer le risque. C'est ce que vous voulez savoir. Nous classons nos dossiers par ordre de priorité. Je peux vous dire que l'Iran est pour nous un dossier important. J'en ai probablement déjà trop dit, mais c'est un dossier que nous continuons d'étudier. Nous consacrons les ressources appropriées à l'examen de cette menace.
Le sénateur Wallace : Vous n'êtes peut-être pas en mesure d'en dire plus si le sujet touche aux questions de sécurité nationale. Cependant, pourriez-vous préciser les mesures qui sont prises pour réagir à cette augmentation du risque? Cela nous intéresserait.
La présidente : Pendant que vous y réfléchissez un moment, nous pouvons revenir à la question du sénateur Day. Elle portait sur le contrôle des exportations et sur l'évolution de la réglementation.
M. Davies : Comment combler les lacunes lorsque certains articles ne figurent pas sur la liste ou que des seuils ne sont pas respectés? Les préposés au renseignement se rencontrent toutes les deux semaines au niveau opérationnel. Ils ont ainsi l'occasion de comparer leurs observations, de parler des tendances émergentes et des mesures à prendre.
En dehors des organismes représentés ici qui collaborent très bien, il y a d'autres ministères qui ne sont pas normalement exposés à des questions de sécurité nationale. Au Canada, le régime de partage de l'information est plutôt craintif. Les gens ne sont pas certains d'avoir le pouvoir d'échanger des informations, ou alors ils repoussent la décision vers les échelons supérieurs. On peut constater que la culture est légèrement réticente au partage. Dans le sillage du Plan d'action de l'Enquête sur le vol d'Air India, on peut se demander s'il est possible d'améliorer le pouvoir légal de partager. D'autres bribes d'information entrent dans le circuit à mesure que les agences de sécurité agissent de manière plus proactive.
Le sénateur Day : Lorsque votre groupe se réunit pour partager des renseignements, il n'y a pas que Sécurité publique Canada. Est-ce que d'autres organismes gouvernementaux, y compris les Affaires étrangères, sont présents?
M. Davies : Oui, la question est de savoir si les renseignements provenant d'autres ministères peuvent être portés à l'attention des agences qui participent à ce groupe de travail sur la contre-prolifération. Nous étudions cette question.
Le sénateur Day : Lorsque le groupe de travail sur la contre-prolifération obtient des renseignements qui devraient être transmis aux Affaires étrangères pour qu'elles puissent compléter la liste de produits interdits, est-ce que l'information est également dirigée dans ce sens?
M. Davies : Oui.
M. Cabana : Le Canada participe aussi à plusieurs initiatives internationales qui cherchent à définir les tendances émergentes dans le domaine de la contre-prolifération. Ces travaux permettent de compléter la liste. En tant que signataire des conventions de l'ONU, le Canada a la responsabilité d'appliquer les contrôles établis et les restrictions à l'exportation de certaines technologies. Ces données proviennent des groupes de fournisseurs de produits nucléaires et des régimes de contrôle de la technologie balistique. Nous collaborons avec le Groupe d'Australie et il y a également l'Initiative de sécurité contre la prolifération. À l'échelle internationale, il existe un important regroupement d'organismes qui se réunissent pour s'assurer de l'existence d'un mécanisme permettant d'identifier les produits qui devraient être contrôlés.
Le sénateur Mitchell : Mes questions concernent la Loi sur les mesures économiques spéciales, la LMES en vertu de laquelle le Canada a imposé des sanctions. Une d'entre elles concerne les nouveaux investissements dans le secteur du pétrole et du gaz iranien. Cela soulève plusieurs questions. Premièrement, quels sont les investissements existants actuellement là-bas? Deuxièmement, si les nouveaux investissements sont interdits, pourquoi les investissements existants ne le sont-ils pas? Troisièmement, comment contrôler tout cela?
M. Cabana : Je ne suis pas certain de pouvoir répondre complètement à votre question. Je peux vous parler du rôle de la GRC. Si des investissements sont repérés, nous devons prendre les mesures appropriées pour les bloquer jusqu'à ce qu'une décision soit prise. Je pense que votre question était beaucoup plus vaste et qu'elle ne relève pas du mandat de la GRC.
M. Davies : Elle relève plutôt des Affaires étrangères.
La présidente : Nous avons rencontré leurs représentants la semaine dernière.
Le sénateur Mitchell : Ma prochaine question relève peut-être aussi du MAECI. Il semble que certains voisins de l'Arabie saoudite — Bahreïn, la Jordanie et d'autres pays — s'inquiètent des mesures américaines. Quelles sont les mesures prises par nos voisins? Nos efforts sont-ils coordonnés avec ceux de nos voisins? Ils ont également un énorme intérêt dans cette affaire. Puisque vous avez parlé de fonctionnement en silo et de partage de l'information, est-ce qu'il existe des liens qui vous semblent productifs ou est-ce que cela pose problème?
M. Davies : Là encore, c'est une question qui relève des Affaires étrangères.
M. Yaworski : Dans le secteur du renseignement, nous avons environ 280 contacts différents avec des services du renseignement des différentes régions du monde. Nous collaborons avec eux pour contrer la prolifération. Nous avons besoin de leur assistance dans de nombreux cas.
Nous avons besoin de leur aide, étant donné que les marchandises transitent souvent par leurs pays. Nous avons besoin de savoir ce qu'ils font pour faire face à la menace et, comme vous l'avez évoqué, le climat n'est pas toujours amical dans cette partie du monde. Certains pays s'intéressent plus activement que d'autres à cette menace.
Sans entrer dans les détails, je peux confirmer que nous recevons des renseignements de ces partenaires sur une base assez régulière.
Le sénateur Mitchell : Finalement, cela fait longtemps que nous entendons parler de cette menace. On en a peut-être parlé, mais de manière plus précise, sont-ils prêts du but? Est-ce qu'ils ont suffisamment de composantes? Parviennent- ils à obtenir des composantes? Est-ce que nos efforts portent fruit?
Comme je l'ai dit, il y a un moment que cela dure. Vous avez dit qu'ils ont l'intention de fabriquer une bombe, mais vous n'êtes pas certain qu'ils puissent y parvenir.
M. Yaworski : Je ne peux pas répondre de manière concluante à cette question; on ne sait pas exactement où ils en sont rendus. Si j'ai bien compris, vous voulez savoir exactement s'ils seront en mesure prochainement de créer une bombe.
Le sénateur Mitchell : Oui.
M. Yaworski : Les pronostics varient. Ils vont progresser, mais ils vont aussi connaître des revers importants. Les sanctions dont on a parlé un peu plus tôt, les pressions diplomatiques et politiques les ralentissent dans leur capacité à atteindre leur objectif ultime.
Il est important que le comité comprenne qu'ils ne vont pas baisser les bras. Ils progressent constamment dans cette direction. Malgré les revers, ils vont continuer à viser cet objectif.
Le sénateur Plett : Vous dites qu'ils sont proches de leur objectif, mais dans quelle mesure acceptent-ils de collaborer avec les inspecteurs?
M. Yaworski : C'est encore une question que vous devriez poser au MAECI. Nous savons qu'ils continuent à œuvrer dans cette direction, justement parce qu'ils ne peuvent autoriser les inspecteurs à faire leur travail comme ils devraient le faire. Pour répondre brièvement à votre question, je dirais qu'ils n'acceptent pas vraiment de collaborer.
La présidente : Permettez-moi d'aborder la question sous un angle différent. Sans préciser exactement quels sont les produits qui sont passés du Canada à l'Iran, car nous savons que vous ne pouvez pas nous le dire, savez-vous si certaines marchandises sont parvenues à destination et comment les Iraniens les ont obtenues? Pouvez-vous, après coup, au moins remonter le système et colmater les brèches?
M. Yaworski : Nous ne savons pas tout. Je pense qu'il serait illusoire de notre part de prétendre que certains produits n'ont pas pu passer entre les mailles du filet. Il arrive à l'occasion que nous soyons avertis après coup, mais si nous sommes prévenus suffisamment longtemps à l'avance, c'est notre devoir collectif de bloquer la livraison de ces marchandises.
La présidente : Je suis d'accord.
Le sénateur Stewart Olsen : Je vous prie d'excuser mon retard. Je ne vais pas vous poser de questions sur les sujets qui ont déjà été abordés, car je sais que vous avez des contraintes.
Dans le merveilleux monde qui est le nôtre, je me demande parfois si nos ministères chargés de la sécurité disposent des ressources dont ils ont besoin. Pouvez-vous me donner une idée des ressources qui faciliteraient la réalisation des activités dans ce domaine? Je ne vous demande pas de faire un inventaire total, mais j'aimerais savoir ce que nous pouvons faire, en tant que gouvernement, pour faciliter la tâche de vos organismes.
M. Davies : En matière de sécurité nationale?
Le sénateur Stewart Olsen : Oui, de manière générale.
M. Davies : Si je prends plutôt le point de vue d'un décideur, je peux dire que dans les prochaines années, nous aurons de la difficulté à obtenir de nouvelles ressources. Chacun de mes collègues ici présents a probablement sa liste de préférences. Si nous avions des ressources accessoires, à quoi les utiliserions-nous?
J'invite le comité à ne pas se limiter à cela, mais à demeurer réaliste. Il y a différentes façons d'organiser les choses et les dépenses. On peut faire preuve d'innovation. Il est possible de prendre des mesures extrêmement efficaces qui n'entraînent pas de coûts. C'est le genre d'options que nous envisageons, en particulier dans le secteur de la contre- prolifération.
Les nouveautés en matière de développement et d'infrastructure coûtent beaucoup d'argent. En faisant preuve d'ingéniosité et d'originalité, il y a peut-être des choses importantes qui sont à notre portée à court terme. Il serait utile que le comité nous donne des conseils en matière d'organisation, sur la façon de piloter les dossiers et sur les meilleures pratiques appliquées dans le monde entier.
M. Yaworski : Tout d'abord, je vous remercie pour cette question perspicace. Comme l'a suggéré M. Davies, nous nous contentons de l'enveloppe qui nous est attribuée. Nous distribuons par ordre de priorité les ressources qui sont attribuées à nos différents organismes.
Je crois franchement qu'en période de restrictions financières, notre devoir est de travailler avec plus d'efficience et d'efficacité. Au cours de nos discussions, avec mes partenaires et en particulier nos alliés les plus proches, on aborde souvent le sujet du partage de la tâche et de notre capacité à mieux travailler en collaboration et à répartir les activités visant à définir la nature des menaces. Je pense que la balle est dans notre camp.
Nous avons bien conscience que nous n'allons pas recevoir d'autres ressources. Nous nous efforçons de maximiser nos activités et de fixer nos priorités afin de traiter le plus grand nombre possible de menaces.
M. Cabana : Je partage le point de vue de M. Davies et de M. Yaworski, mais je ne vais pas reprendre leurs commentaires. Je pense qu'une partie de notre tâche doit consister à nous assurer que nos mécanismes de fixation des priorités sont appropriés et qu'ils permettent de mettre l'accent sur les bonnes priorités.
Je vais revenir aux enquêtes. Comme l'a signalé M. Davies, nous multiplions déjà les efforts pour définir les diverses options permettant de rendre ce type d'information disponible dans le contexte de poursuites judiciaires. Par ailleurs, nous devons accroître la sensibilisation afin de faire savoir à l'industrie qu'elle doit jouer un rôle important et que cet enjeu est aussi le sien — et intervenir également à l'échelle internationale afin de s'assurer de tirer le meilleur parti des capacités et du renseignement dont disposent nos partenaires à l'étranger.
M. Leckey : Avant d'ajouter mon propre point de vue, j'aimerais souligner que j'appuie tout ce que mes collègues ont déclaré. Il est clair que nous travaillons tous à l'intérieur d'un paradigme de gestion du risque. Nous sommes loin d'avoir les ressources nécessaires pour vérifier tous les manifestes d'exportation. Nous faisons ce que nous pouvons avec les ressources dont nous disposons.
De manière générale, tout ce qui serait susceptible d'améliorer nos pratiques de gestion du risque serait extrêmement utile; c'est par exemple le cas de la capacité à partager l'information qui peut avoir été recueillie par un autre ministère qui n'est pas nécessairement présent ici, information qui peut avoir été recueillie dans un but différent, et qui pourrait être partagée avec nous à des fins de protection de la sécurité nationale. Toute initiative qui nous permettrait de relier nos systèmes TI de façon plus pratique que cela semble possible aujourd'hui, afin de procéder à des études cas par cas, permettrait également de faire avancer la cause.
La présidente : Une telle initiative a probablement un prix, mais quoi de plus simple que de laisser les ordinateurs communiquer entre eux?
Le sénateur Dallaire : Messieurs, je vais poser mes questions en rafale. Prenez-les en note si vous le voulez.
Le Canada était un chef de file dans l'inspection des installations nucléaires. Comme vous l'avez dit, vous tirez parti de vos collègues. Quelle niche le Canada s'est-il taillée dans la lutte contre la prolifération?
Cela m'amène à ma deuxième question. L'Iran est le pays que nous ciblons, mais est-ce qu'il y en a un autre qui cherche à obtenir la capacité et qui retient votre attention? Est-ce que l'Iran dispose d'un système de vecteurs ou est-ce qu'il a l'intention de transporter cet engin dans un camion?
Du côté TI, en particulier à la GRC, puisque j'ai été membre du conseil consultatif des services nationaux de police et des services de maintien de l'ordre fondé sur le renseignement, quelles sont les dispositions législatives qui sont soumises par la GRC à la Justice afin de vous conférer la capacité d'utiliser ce renseignement d'une manière plus appropriée?
La présidente : Nous avons quatre questions. Est-ce que l'un d'entre vous veut répondre à une seule question?
Le sénateur Dallaire : Nous pouvons les passer une à la fois.
La présidente : Prenez la parole si vous voulez répondre.
M. Davies : Pour répondre à votre première question, la niche du Canada dans le secteur de la non-prolifération est une bonne question pour les Affaires étrangères. C'est mon avis, mais mes collègues ont peut-être d'autres points de vue à ce sujet.
La présidente : Avons-nous des commentaires sur les autres points?
M. Cabana : Pour ce qui est du partage de l'information, il est probablement un peu prématuré de se prononcer sur les dispositions législatives formulées actuellement. C'est une question très complexe qui n'est pas strictement une réalité au Canada.
Au cours des entretiens que j'ai eus avec certains de mes homologues internationaux j'ai noté qu'il s'agissait d'une question avec laquelle de nombreux pays étaient aux prises. Pour autant que je sache, il n'y a pas de dispositions législatives qui soient formulées à l'heure actuelle, mais la communauté juridique s'efforce d'élaborer des options qui nous permettront, espérons-le, d'aboutir à l'avenir à une solution législative.
[Français]
Le sénateur Dallaire : Mais où en êtes-vous? On en a pour trois ans ou cinq ans?
[Traduction]
La présidente : Les questions ont été posées. Je pense que ce n'est pas à lui de décider quand cela sera fait.
[Français]
M. Cabana : Les discussions sont encore en cours, pour ce qui est de l'échéancier des discussions.
[Traduction]
La présidente : Est-ce qu'il y a d'autres questions?
M. Yaworski : Je vais répondre à la question du sénateur Dallaire concernant les vecteurs. C'est effectivement un sujet qui préoccupe le SCRS. Ils prétendent qu'ils veulent acquérir la technologie nécessaire pour lancer un satellite. C'est le prétexte qu'ils invoquent pour pouvoir développer la technologie qu'ils adapteraient bien entendu à des fins beaucoup plus abominables en faisant porter par le lanceur une charge autre qu'un satellite. C'est un de nos grands sujets de préoccupation.
Le sénateur Lang : J'aimerais revenir à l'affaire transmise par l'ASFC à la GRC en 2009, à savoir l'affaire Mahmoud Yadegari. Les poursuites ont été fructueuses. Le bref débat que nous avons aujourd'hui me donne l'impression que nous faisons face à une menace très grave dans le monde. Je pense que cette menace ne peut être minimisée. Parallèlement, vous nous avez clairement assuré que vous faites votre travail. Vous savez parfaitement comment cette technologie à double utilisation peut ou pourrait être exportée du Canada, si ce n'est déjà fait; pourtant, à ma connaissance, les poursuites dans le cas que je viens de mentionner ont été menées à bien.
J'aimerais poser une question pour faire suite à celles du sénateur Stewart Olsen. Quels sont les autres outils législatifs dont vous devez pouvoir disposer pour que nous puissions appréhender ces individus — venus ouvertement de l'extérieur dans notre pays ou nés ici — qui appuient et entretiennent dans d'autres parties du monde des activités terroristes qui pourraient avoir pour nous des conséquences dramatiques?
La présidente : Nous savons que les ressources sont rares. Cela dit, s'il y a d'autres moyens d'agir, tant mieux.
Monsieur Davies, voulez-vous répondre?
M. Davies : Il est difficile de répondre à cette question, étant donné que nous avons plusieurs discussions avec le ministre à ce sujet. Vous voulez vous concentrer sur le régime auquel sont soumises les exportations et sur les pouvoirs accordés à l'ASFC, les pénalités, et cetera. Ce serait certainement un bon point de départ. Je me demande si M. Leckey a quelque chose à ajouter.
M. Leckey : Bien entendu, les poursuites et les condamnations sont de bons moyens de dissuasion, mais ce ne sont pas les seuls. Il y a eu toute une série d'actions qui ont été couronnées de succès. Le Canada a obtenu plusieurs succès. Si vous le permettez, je vais vous citer quelques statistiques.
Depuis le début de l'exercice en cours, l'ASFC a fait 24 saisies de marchandises évaluées à 2,1 millions de dollars. Six d'entre elles concernaient des marchandises jugées interdites en vertu de la LMES. Quatre autres portaient sur du matériel contrôlé à double utilisation nucléaire dont l'évaluation n'est pas encore terminée.
Depuis l'entrée en vigueur de la LMES en juillet 2010, l'ASFC a saisi 14 cargaisons évaluées à environ 4 millions de dollars au total. La plupart de ces marchandises étaient destinées à des pays figurant sur la liste ou contenaient des éléments interdits ou d'utilisation interdite.
L'ASFC a aussi bloqué l'exportation de 16 autres cargaisons jugées interdites aux termes de la LMES. Ces marchandises ont pu être retirées sans conséquence administrative pour les expéditeurs.
Au cours de la même période, nous avons aussi signalé deux saisies à la GRC en vue de porter des accusations criminelles.
J'ai parlé d'une série de succès, mais il faut préciser aussi que nous avons obtenu une condamnation. Le succès peut se mesurer aussi par la simple interception de marchandises en s'assurant que l'exportateur perde le contrat et ne soit plus sollicité. Le simple fait de perturber ou de retarder la livraison de marchandises est aussi une intervention efficace. Nos efforts de sensibilisation du secteur privé et des fabricants ont également porté fruit puisque après une séance de sensibilisation, une entreprise nous a contactés au sujet d'une commande qui tout à coup lui paraissait suspecte.
Le sénateur Lang : Je vous remercie pour ces informations.
Est-ce que vous prenez collectivement, vous ou les divers ministères, des mesures pour informer le public au sujet de vos interventions et de vos opérations réussies? D'autre part, une fois que ce type de système est en place, il sert d'avertissement aux personnes qui seraient intéressées à faire ce genre de trafic qu'elles ne seraient pas les bienvenues au Canada, parce que nous appliquons vraiment les mesures que nous avons annoncées. Si personne n'en parle, les gens ne seront pas au courant et chaque jour de la semaine sera comme un roman de cape et d'épée. Avez-vous une sorte de programme de relations publiques?
M. Davies : Pour le moment, nous n'avons pas de programme de relations publiques, mais je pense que c'est une bonne idée qui mérite d'être étudiée.
Le sénateur Lang : Merci.
La présidente : Nous avons commencé ici aujourd'hui. Nous avons terminé.
Le sénateur Day : Oui, nous avons terminé.
Sur une question de privilège, le sénateur Lang a posé une question qui me paraissait importante et que vous avez mise de côté en disant : « Nous savons que les ressources sont rares. »
La présidente : Oui, nous en avions déjà parlé.
Le sénateur Day : Il serait utile pour notre comité de savoir si ces messieurs se trouvent dans l'impossibilité de mener à bien une tâche parce qu'ils n'ont pas suffisamment de ressources.
La présidente : Est-ce que quelqu'un aimerait répondre à cette question?
Le sénateur Day : Nous savons que les ressources sont rares. Il faut déterminer les priorités dans l'utilisation des ressources rares qui sont disponibles.
La présidente : C'est tout simplement parce qu'ils en avaient tous parlé, sénateur Day. C'est la raison pour laquelle j'ai fait ce commentaire. Les cinq témoins étaient tous d'accord et ils ont tous présenté leurs commentaires. Je pensais que c'était clair pour le compte rendu.
Avons-nous d'autres commentaires sur le sujet? Non.
Messieurs, je vous remercie pour les témoignages que vous avez présentés aujourd'hui. Ils nous ont été très utiles.
Mesdames et messieurs, nous allons mettre fin à notre séance, mais je vais demander aux sénateurs de rester quelques minutes de plus pour leur donner des informations sur nos prochaines rencontres.
(La séance est levée.)