Aller au contenu
SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 3 - Témoignages du 5 décembre 2011


OTTAWA, le lundi 5 décembre 2011

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 16 h 40, pour étudier et faire rapport au sujet des politiques, des pratiques, des circonstances et des capacités du Canada en matière de sécurité nationale (sujet : Protéger le Canada contre les tentatives iraniennes d'acquérir des technologies à double usage.

Le sénateur Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue au Comité permanent de la sécurité nationale et de la défense. Pour le premier volet de notre séance d'aujourd'hui, nous allons continuer à examiner la situation en Iran et ce qui s'y passe relativement à la technologie à double usage.

L'Iran devient de plus en plus un paria international, qui semble vouer au développement des armes nucléaires, et chaque jour apporte de mauvaises nouvelles. Bien sûr, récemment, nous avons vu l'occupation violente de l'ambassade du Royaume-Uni à Téhéran, et le régime iranien n'est pas intervenu. Pendant la fin de semaine, nous avons appris qu'un drone américain a été abattu; par conséquent, nous ne savons pas quel type de technologie l'Iran a pu trouver à bord de cet appareil, s'il existe toujours.

Notre comité, comme vous le savez tous, examine comment le Canada peut mieux empêcher l'Iran d'acquérir des technologies que l'on appelle à double usage qui pourraient lui permettre de développer l'arme nucléaire. Aujourd'hui nous sommes heureux de recevoir deux témoins qui, par un heureux hasard, s'adonnent à être à Ottawa un lundi et qui ont des opinions à exprimer sur cette question. Merci beaucoup de venir témoigner pour nous.

Nous recevons M. Mark Dubowitz, le directeur exécutif de la Foundation for Defence of Democracies qui est basée à Washington, ainsi que Mme Sheryl Saperia, qui est la directrice des politiques de la fondation pour le Canada et qui est basée ici à Ottawa. Je pense que vous avez des déclarations préliminaires. Je vous cède donc la parole.

Mark Dubowitz, directeur exécutif, Foundation for Defence of Democracies : Merci beaucoup, sénateur Wallin, et merci à vous tous. Merci de me permettre de témoigner devant votre comité. C'est un honneur d'être de retour à Ottawa. Je suis Canadien. J'ai grandi à Toronto et je vis à Washington depuis les huit dernières années, ainsi j'espère pouvoir vous donner un aperçu de la perspective américaine et certainement du point de vue d'un Canadien fidèle qui continue de suivre ce qui se passe au Canada.

Je vais parler particulièrement des avantages des pénalités administratives découlant de la violation des contrôles à l'exportation, et je vais également parler de l'application de sanctions extraterritoriales et vous décrire un peu ce qui se fait aux États-Unis.

J'aimerais signaler que mes recherches portent principalement sur les sanctions contre l'Iran; j'ai passé beaucoup de temps à examiner le secteur énergétique de l'Iran. Nous faisons un travail considérable sur l'incidence des diverses sanctions sur le marché du pétrole, y compris la Banque centrale de l'Iran, qui manifestement a fait l'objet d'un intérêt considérable récemment. Nous examinons la participation de sociétés internationales faisant affaire avec l'Iran, ainsi que les activités des gardiens de la révolution islamique, ou les GRI, à l'échelle de la planète, ainsi qu'au Canada, et ma collègue pourra vous en parler en détail.

Je veux parler des avantages des pénalités administratives à l'égard des violations des contrôles à l'exportation. Le gouvernement américain dispose de pouvoirs puissants pour imposer des pénalités administratives aux entreprises et aux personnes qui exportent des États-Unis vers l'Iran une technologie pouvant être utilisée pour la fabrication d'armes de destruction massive, ou ADM. Les principales lois conférant ces pouvoirs aux États-Unis sont l'Arms Export Control Act, la Export Administration Regulations et l'International Emergency Economic Powers Act qui est mieux connue sous le nom d'IEEPA.

Quels sont les avantages de ces pénalités administratives lorsqu'il y a violation des contrôles à l'exportation? Le programme d'assistance au contrôle à l'exportation du gouvernement des États-Unis recommande aux pays étrangers d'adopter des pénalités administratives dans le cas de violation des contrôles à l'exportation, largement parce que ces pénalités administratives sont beaucoup plus faciles à imposer et qu'elles sont également plus rapides. Afin de dissuader la plupart des contrevenants, qui sont intéressés par l'appât du gain, il importe de faire valoir que la faible probabilité de se faire imposer une sanction pénale est accompagnée de la plus grande probabilité de recevoir une pénalité administrative.

Les pénalités administratives sont souvent utilisées aux États-Unis dans tous les types de régime de réglementation, y compris dans les domaines de l'environnement, des biens immobiliers, des taxes d'import-export et des communications. Habituellement, elles sont plus rapides et plus faciles à imposer parce que les exigences quant à la nature intentionnelle de l'infraction sont plus faibles ou inexistantes. Plutôt que d'exiger que le procureur prouve que le défendeur a agi sciemment, il est possible d'imposer une pénalité administrative en démontrant tout simplement que l'accusé a agi avec témérité ou négligence, ou bien qu'il a commis une infraction de stricte responsabilité sans intention particulière.

Les violations administratives comportent un fardeau de la preuve moins exigeant, et elles présentent des exigences procédurales plus faibles. Contrairement aux poursuites criminelles, elles sont habituellement plus faciles à régler. Le Département d'État et le Département du commerce en arrivent presque toujours à une entente négociée dans le cas d'infractions administratives avant la tenue d'une audience administrative officielle. Elle permet également d'avoir recours à une gamme plus souple de facteurs atténuants. Par conséquent, les dispositions administratives peuvent encourager l'autodéclaration. Les ententes administratives sont souvent assorties d'un engagement de la part de la société délinquante en vue de l'établissement d'un programme de conformité rigoureux, et cela peut empêcher les infractions futures.

Il y a eu beaucoup de discussions au sein de la communauté internationale sur l'application extraterritoriale des lois américaines. Il s'agit de lois américaines visant à sanctionner des non-ressortissants américains pour des violations aux lois américaines relativement aux sanctions contre l'Iran. Il y a un certain nombre de sanctions extraterritoriales qui ont été établies par le gouvernement américain relativement aux ADM. Une loi pertinente est l'Iran-Iraq Arms Nonproliferation Act de 1992. Encore une fois, cela permet au gouvernement américain d'imposer des pénalités à des ressortissants non américains à l'extérieur des États-Unis qui font des affaires avec l'Iran relativement à des produits interdits.

Vous avez sans doute entendu des objections puissantes relativement aux politiques américaines qui portent sur ces sanctions extraterritoriales, selon lesquelles les États-Unis essaient d'imposer des lois américaines hors de leur champ de compétence, mais je dirais plutôt que l'on peut présenter un point de vue différent, et que nous estimons plus correct, pour comprendre la politique américaine et toute politique canadienne semblable, à savoir que nous voulons collaborer avec d'autres gouvernements, d'autres pays et d'autres peuples, mais nous voulons collaborer avec ceux qui partagent certaines valeurs de base et certains objectifs stratégiques avec nous. Je vais en parler de façon plus approfondie à la période de questions, si cela vous intéresse, mais les lois américaines ont été très efficaces pour ce qui est d'utiliser la menace de sanctions extraterritoriales pour encourager la conformité volontaire par des ressortissants non américains.

La présidente : Merci. Madame Saperia avez-vous une déclaration préliminaire?

Sheryl Saperia, directrice des politiques (Canada), Foundation for Defense of Democracies : Oui. Bonjour, honorables sénateurs. Je veux féliciter le comité d'avoir décidé d'entreprendre cette étude sur la meilleure façon de protéger le Canada contre les tentatives de l'Iran d'acquérir des technologies à double usage. Des témoins antérieurs ont discuté de l'efficacité de la Loi sur les mesures économiques spéciales, ou LMES, la Loi des Nations Unies et la Liste des marchandises d'exportation contrôlée. Ces outils sont utiles, mais le fait de désigner les GRI comme organisation terroriste au Canada constitue une mesure additionnelle et cruciale qu'il faut prendre en vue de diminuer davantage la capacité de l'Iran d'obtenir des technologies à double usage.

La désignation d'une entité comme étant terroriste entraîne de sérieuses conséquences, comme le fait de rendre illégal pour des entreprises et des particuliers canadiens de faire des transactions financières avec l'organisation figurant sur la liste. La désignation terroriste doit avoir lieu en combinaison avec les efforts déployés par les gouvernements occidentaux, y compris le Canada, pour exposer les liens des sociétés iraniennes avec les GRI. Il serait alors illégal d'avoir des transactions financières avec ces sociétés. Il serait interdit d'ignorer sciemment la véritable identité d'une société et il serait obligatoire de faire preuve de diligence raisonnable.

L'expert des GRI Emanuele Ottolenghi a écrit que les profits réalisés par les GRI permettent de financer les achats dans le cadre des programmes nucléaires et de missiles balistiques de l'Iran, ainsi que de parrainer des groupes de terroristes agissant au nom de l'Iran. Les recettes des GRI permettent également d'améliorer leur prestige politique et économique, ce qui augmente la « volonté des sociétés publiques d'offrir leurs services — tant au pays qu'à l'étranger — pour aider les gardiens à obtenir des technologies et des matériaux bruts interdits et à financer leurs achats au moyen d'intermédiaires sur les marchés étrangers. »

Lorsque les sociétés GRI sont démasquées et que les ententes commerciales conclues avec elles deviennent criminelles, leur tentative d'obtenir de la technologie à double usage est entravée et leurs revenus sont supprimés, ce qui affaiblit les GRI et le régime iranien.

Honorables sénateurs, si nous sommes sérieux au sujet de la menace iranienne, nous devons mettre l'accent sur les GRI. Cette entité est non seulement responsable du programme nucléaire iranien, mais elle est également responsable de la répression violente des manifestants iraniens au lendemain des élections présidentielles de 2009; cette organisation forme et finance des groupes terroristes comme le Hezbollah et le Hamas; et des preuves récentes suggèrent que les GRI ont formé des membres d'al-Qaïda également. Cette organisation a joué un rôle clé dans la crise découlant de la prise d'otages à Téhéran en 1979, et elle est probablement à la source de la récente attaque à l'égard de l'ambassade britannique. Elle a été impliquée dans la tentative d'assassinat de l'ambassadeur saoudien à Washington, et elle constitue une source de fonds importante puisqu'elle contrôle de 25 à 40 p. 100 du PIB de l'Iran.

Étant donné que les GRI ont des tentacules financières partout dans le monde, le Canada doit agir autrement que par les sanctions imposées à quelques particuliers au sein de cette organisation ou en interdisant tout simplement l'exportation de certains produits. Nous devons adopter une approche exhaustive pour empêcher les Iraniens d'acquérir la technologie à double usage, et pour faire en sorte qu'ils ne puissent pas obtenir l'arme nucléaire et financer des activités terroristes. Nous devons examiner toutes les mesures non militaires qui pourraient avoir des répercussions. Nous devons trouver une ligne de faille à exploiter et à élargir. Cela veut dire que les GRI dans leur ensemble doivent figurer sur la liste des entités terroristes du Canada.

La présidente : Merci beaucoup à vous deux pour vos déclarations préliminaires.

J'ai quelques points d'éclaircissement à rajouter, monsieur Dubowitz, pour m'assurer de vous avoir bien compris. Vous voulez que ces pénalités administratives soient imposées à des particuliers et non pas seulement à des sociétés qui font des affaires commerciales. Est-ce exact?

M. Dubowitz : C'est exact.

La présidente : Et quels en seraient les avantages?

M. Dubowitz : Les avantages découlant de toutes les pénalités, y compris les pénalités administratives, sont liés au fait que si des sociétés canadiennes font affaire avec des entités iraniennes au sujet de technologies à double usage, il faut leur envoyer un message pour les prévenir de faire attention et leur signifier qu'ils devront faire preuve d'une diligence raisonnable rigoureuse, parce qu'il est impossible pour les autorités canadiennes, le renseignement canadien et les responsables du respect des lois de couvrir l'ensemble du pays et de prendre connaissance de chaque transaction financière.

La présidente : Avez-vous découvert que dans le contexte américain, en quelque sorte, les sanctions imposées aux entreprises ne fonctionnent pas? Avez-vous conclu qu'il serait plus efficace de les imposer aux particuliers?

M. Dubowitz : Je pense que les sanctions et les pénalités tant à l'égard des sociétés que des particuliers sont nécessaires afin que nous puissions atteindre cet objectif, qui consiste, encore une fois, à forcer les PDG des sociétés à être prudents.

La présidente : Très bien. Nous avons environ 30 minutes pour en discuter. Je suis désolée que nous n'ayons pas davantage de temps à vous consacrer, mais nous travaillons également à un rapport sur les réservistes des forces armées. Nous allons essayer de faire en sorte que les gens puissent vous poser le plus grand nombre de questions possible.

Le sénateur Dallaire : Dans la mise en œuvre de vos sanctions extraterritoriales, s'agit-il toujours d'un processus bilatéral avec les pays où se trouvent les sociétés ou les particuliers devant être ciblés, ou bien s'agit-il tout simplement de communiquer avec l'entité fautive et d'informer le pays où elle se trouve que vous allez imposer des pénalités administratives?

M. Dubowitz : C'est une excellente question. Les pouvoirs d'imposition de sanctions détenus par le gouvernement des États-Unis découlant à la fois des lois et de pouvoirs exécutifs sont conçus d'abord pour permettre au gouvernement de communiquer de façon diplomatique avec le pays et, dans bien des cas, avec la société fautive elle- même, en vue de persuader cette société de cesser ses activités en douce et de mettre un terme à ses liens avec l'Iran. On encourage les sociétés à procéder ainsi sans qu'il soit nécessaire d'imposer des pénalités.

Le pouvoir qui est obtenu aux États-Unis donne au président la possibilité d'avoir recours à certaines exemptions. Il peut suspendre des sanctions contre une cible dans l'intérêt de la sécurité nationale. Il peut décider d'invoquer un règlement spécial qui donnera à la société six mois pour mettre un terme, par exemple, à ses investissements énergétiques en Iran.

L'objectif de ces sanctions consiste d'abord à donner au pays et à la société visée la possibilité de mettre un terme à leurs liens sans faire de bruit, et ce n'est que par la suite, si cela n'a pas fonctionné, que l'on impose une série de pénalités croissantes pour essayer d'inciter ces sociétés à briser les liens.

Le sénateur Dallaire : Dans la même veine, pour ce qui est de votre arrangement bilatéral avec le pays, et relativement à la société qui fait affaire dans ce pays, dans quelle mesure pouvez-vous faire en sorte ou avez-vous eu du succès à faire en sorte qu'ils respectent le règlement par rapport à ce que vous essayez d'obtenir de la compagnie? Avez- vous l'impression de porter atteinte à la souveraineté du pays visé?

M. Dubowitz : Les deux scénarios existent. Pour ce qui est du secteur financier, le Département du Trésor américain a eu beaucoup de succès pour ce qui est de persuader plus de 80 établissements financiers d'arrêter de faire affaire avec l'Iran. Bon nombre de ces établissements financiers sont situés dans des pays qui sont de proches alliés des États-Unis. Dans bien des cas, le gouvernement lui-même a été très utile pour ce qui de renchérir et de renforcer le message du gouvernement des États-Unis.

Dans certains cas, lorsque les pays ne sont pas prêts à collaborer, les États-Unis ont, dans des circonstances bien particulières, imposé les pénalités à la société elle-même, lorsque toutes les autres solutions de rechange, soit la diplomatie et la communication discrète, ont été inefficaces.

Le sénateur Lang : Je veux revenir aux sanctions. Vous dites que 85 p. 100 de ceux qui ont été approchés ont cessé d'offrir leurs services à l'Iran. Il y a donc 15 p. 100 des sociétés qui continuent d'offrir leurs services, si je comprends bien ce que vous avez dit.

Quelles sont exactement les sanctions, en général, que vous imposez aux entreprises et aux particuliers? Parlons-nous de milliers et de milliers de dollars? Ou s'agit-il d'accusations criminelles? Qu'en est-il exactement de ces sanctions?

M. Dubowitz : Merci de poser cette question. J'aimerais préciser tout d'abord que dans le cas de l'industrie financière, plus de 80 établissements financiers ont cessé leurs activités avec l'Iran. Il y en a d'innombrables autres qui continuent de faire affaire avec ce pays. Dans le secteur de l'énergie, de nombreuses sociétés ont cessé leurs activités, mais il y en a tout autant qui les poursuivent. C'est un bilan mitigé pour ce qui est de l'efficacité.

Je dirais cependant que les sanctions en tant que telles, particulièrement la nature extraterritoriale des sanctions, ont permis de persuader nombre d'entreprises, y compris des entreprises chinoises, indiennes et turques, de mettre un terme à leurs liens d'affaires, et qu'en l'absence du volet extraterritorial de ces sanctions, ces sociétés n'auraient jamais choisi de faire affaire avec les États-Unis plutôt qu'avec l'Iran. Les sanctions sont conçues pour offrir un choix aux sociétés. Si vous voulez faire affaire avec les États-Unis, vous ne pouvez pas faire affaire avec l'Iran.

Le sénateur Lang : Voilà essentiellement en quoi constitue la sanction.

M. Dubowitz : C'est la logique de base qui sous-tend les sanctions. La diplomatie discrète ou le simple fait de persuader des sociétés de mettre un terme à leurs activités en douce a réussi, mais le gouvernement des États-Unis a continué de mettre des pressions.

Pour ce qui est de votre question sur le secteur financier, des sanctions ont été imposées à quatre banques européennes et elles s'élèvent à 1,6 milliard de dollars. Il s'agissait d'une affaire conjointe entre le ministère public de New York et le Département du Trésor qui a permis d'imposer des pénalités de l'ordre de plus de 1,6 milliard de dollars à l'égard de quatre banques européennes ayant enfreint la loi américaine. Et nous pensons qu'il y aura probablement six autres banques internationales qui seront punies de cette façon au cours des prochains mois.

Il ne s'agit donc pas uniquement de diplomatie discrète, de véritables pénalités sévères ont été imposées à ceux qui enfreignent les lois. C'est important, parce qu'il s'agit d'une stratégie de sanctions qui se renforcent mutuellement. Cela permet aux sociétés de mettre un terme à leurs activités de façon discrète, mais si elles n'obtempèrent pas, elles seront assujetties à des pénalités plutôt sévères.

Le sénateur Lang : J'aimerais que l'on passe aux gardiens de la révolution islamique qui ont été mentionnés et décrits par d'autres témoins. Dans le document que nous avons reçu, je vois que les États-Unis ont désigné les GRI dans l'ensemble comme étant une entité terroriste. Par contre, l'Europe, les Nations Unies et le Canada ont désigné des entités et des personnes liées aux GRI comme étant des entités terroristes, de sorte qu'il y a une différence.

Pourriez-vous nous expliquer pourquoi ces alliés des États-Unis ont choisi de ne pas viser les GRI dans leur ensemble. Savez-vous pourquoi?

Mme Saperia : L'une des raisons pourrait être ce qu'Emanuele Ottolenghi appelle le problème des couches aux missiles. Les GRI ont des liens avec à peu près tout ce qui se fait en Iran. Certaines sociétés fabriquent des couches et il n'y a rien de mal à cela, mais d'autres fabriquent des missiles et c'est là où le bât blesse. Comment cibler les activités illégitimes par rapport aux activités légitimes? C'est une préoccupation valable.

Toutefois, ce qu'il est important de se rappeler, c'est que les entreprises commerciales légitimes et illégitimes de l'Iran ne peuvent pas être démêlées facilement. Les profits provenant par exemple des activités légitimes finissent par financer les autres qui ne le sont pas. Les chefs des GRI l'ont en fait déclaré à une occasion.

Je suppose qu'il y a eu des préoccupations semblables lorsque le Canada a dû décider de mettre le Hezbollah ou le Hamas sur cette liste en dépit du fait que ces organisations s'adonnent à des activités sociales, et je suppose que le Canada n'était pas certain s'il devait soutenir ces activités ou pas. Finalement, le Canada a déterminé qu'il était impossible de séparer ces choses. Ultimement, il faut couper les vivres à ce type d'organisation, et je pense que cet argument pourrait être soulevé pour ce qui est des GRI.

M. Dubowitz : Mme Saperia a tout à fait raison. D'abord, il y a la question des précédents — l'Union européenne n'a pas jugé bon de désigner le Hezbollah. Bien sûr, certains pays l'ont fait individuellement, mais l'Union européenne a choisi d'agir autrement. Les Nations Unies n'ont pas désigné le Hezbollah ni le Hamas ni une vaste gamme d'organisations terroristes qui figurent actuellement sur la liste du Canada et des États-Unis.

Pour ce qui est des GRI, il y a une dynamique croissante, particulièrement en Europe, qui fait en sorte que l'on comprend davantage la gamme complète des activités ignobles auxquelles les GRI s'adonnent, allant des armes nucléaires au terrorisme en passant par le non-respect des droits humains. En Europe, on reconnaît de plus en plus que les GRI sont des acteurs infâmes qui méritent d'être isolés par la communauté internationale et d'être traités comme un groupe hors-la-loi international.

À preuve, il y a eu les récentes activités entourant la Banque centrale de l'Iran. Essentiellement, les États-Unis ont désigné la Banque centrale de l'Iran et, en fait, l'ensemble du territoire iranien, comme étant un endroit de préoccupation majeure pour le blanchiment d'argent. La principale raison pour laquelle les États-Unis ont agi ainsi, c'est en raison du lien de la banque avec les GRI. La Banque centrale de l'Iran est inextricablement liée à l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement international des GRI, qu'il s'agisse des activités financières, énergétiques, et cetera.

Vous constaterez un mouvement croissant en Europe — on a pu le constater au Royaume-Uni — qui vise à s'en prendre à la Banque centrale d'Iran. Il y a, en fait, des centaines d'entités qui ont subi des sanctions imposées par les Européens et, en fait, par les Nations Unies, parce qu'elles sont liées aux GRI. Nous sommes ici pour faire valoir que le Canada devrait jouer un rôle de premier plan pour ce qui est de désigner les GRI comme entité terroriste, et qu'une désignation générale serait beaucoup plus facile pour le renseignement canadien et les responsables de l'application des lois à mettre en vigueur, comparativement à l'approche visée actuellement en vertu de la LMES. Cette approche consiste à viser chaque sous-entité et à localiser chaque organisation de façade dans un jeu qui n'en finit plus. Ainsi, chaque fois que l'on ajoute le nom d'une entité sur la liste, ils n'ont qu'à créer d'autres sociétés de façade. La collectivité du renseignement et de l'application de la loi ne dispose pas, en effet, des ressources nécessaires pour démasquer toutes les nouvelles sociétés de façade.

Mme Saperia : J'aimerais également répondre. Il est absolument vrai que d'essayer d'attraper ces organisations ou ces individus n'est pas productif. J'aimerais vous mentionner une phrase de circonstance, c'est-à-dire que les GRI peuvent être perçus comme une organisation à double usage. Certaines de leurs activités sont légitimes, mais pas la majorité. En fin de compte, tous leurs profits servent à financer leurs activités viles, y compris surtout leurs activités dans le domaine nucléaire et terroriste. Par conséquent, il faudrait mettre fin à toutes les activités de l'entreprise commerciale, ce qui se traduit par une inscription sur la liste de l'organisation en entier.

Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup. J'aimerais poursuivre dans la même veine. Quelle serait la motivation de l'approche de rechange? Pourquoi se montrerait-on réticent à adopter une approche généralisée qui consisterait à déclarer l'organisation tout entière comme étant problématique, plutôt que de suivre l'approche actuelle? Quelle est la logique derrière tout cela? Pourquoi choisir d'emprunter cette voie?

M. Dubowitz : Pour le Canada, je crois qu'il y a un certain nombre de considérations en contrepartie qui entrent en ligne de compte.

D'abord, il y a la question du renseignement. J'imagine que le milieu du renseignement canadien est probablement préoccupé par le fait que si le Canada décidait de désigner les GRI comme étant une entité terroriste, la réaction de l'Iran serait de couper les liens diplomatiques avec le Canada et de forcer la fermeture de l'ambassade canadienne. Or, cette ambassade est considérée comme étant utile pour un certain nombre de raisons.

Je ne suis pas d'accord avec la deuxième considération, mais elle existe néanmoins. Il s'agit du fait que les GRI constituent une institution étatique et qu'ils méritent l'immunité diplomatique. Nous ne pouvons inscrire les institutions étatiques sur la liste, car le Code criminel a été conçu pour s'en prendre aux organisations terroristes non étatiques. C'est un argument qui a été avancé. Je l'estime raisonnable et on doit en tenir compte. Nous serons tous deux heureux d'en discuter.

La présidente : Devrions-nous vous demander de le faire?

M. Dubowitz : Seulement s'il y a un intérêt.

Je peux revenir sur le premier argument. Je ne peux réaliser d'analyse coûts-avantages pour déterminer les avantages relatifs de tenir une ambassade canadienne en Iran pour la diplomatie et le renseignement, par rapport aux avantages considérables, à mon avis, qui sont rattachés au fait d'aider le milieu du renseignement et de l'application de la loi ici, au Canada, en procédant à une désignation générale des GRI. Il vous incombe, ainsi qu'aux autorités concernées, de peser le pour et le contre.

En ce qui a trait à l'immunité des États, cet argument perd de sa force au fur et à mesure que nous nous rendons compte que les GRI ne sont plus une institution étatique. Les GRI sont devenus la garde prétorienne du régime islamique et ils ne méritent plus l'immunité étatique, car ils sont allés au-delà de ce qu'un État peut adopter comme comportement.

Les GRI d'aujourd'hui, aux dires de bon nombre de spécialistes du terrorisme, sont l'organisation terroriste la plus dangereuse au monde, mais qui agit avec une immunité diplomatique. Les GRI utilisent les ambassades, où ils détiennent des actifs et planifient leurs opérations. Les membres de cette organisation se déplacent librement et ont eu recours à ces actifs pour faire exploser l'ambassade israélienne à Buenos Aires, en 1992, ainsi que le centre culturel juif dans la même ville en 1994. Ils ont également eu recours à ces actifs pour planifier des opérations au Liban, en Afrique, au Kenya et en Tanzanie. Ils ont recours également à ces actifs, d'après moi, aujourd'hui au Canada pour diriger des réseaux permettant l'acquisition de technologie à double usage pour le programme d'armement iranien.

On avance que les gardiens de la révolution islamique d'aujourd'hui sont une organisation internationale hors-la-loi qui a dépassé les bornes en ce qui a trait à l'immunité des États. On reconnaît de plus en plus que ces institutions au sein du régime iranien dépassent les bornes, voilà pourquoi la Banque centrale de l'Iran est maintenant traitée comme une hors-la-loi du système financier international qui ne mérite pas l'immunité étatique.

Mme Saperia : J'aimerais ajouter mon grain de sel, car j'ai beaucoup de choses à dire sur le sujet.

Tout d'abord, en ce qui a trait à l'immunité des États, la Loi sur l'immunité des États vise à empêcher des États et leurs agences d'être poursuivis au civil par un tribunal canadien. Cela n'a rien à voir avec l'inscription sur une liste d'entité terroriste en vertu du Code criminel du Canada. Si on lit bien le Code, on constate qu'aucune disposition n'empêche l'inscription sur la liste d'une organisation étatique. À ce sujet, on emploie le terme « entité », et comme vous le savez, la portée juridique de ce terme est très large. Rien n'indique dans le Code criminel qu'une organisation étatique ne peut pas être considérée comme une entité aux fins d'application de cette loi.

Pour répondre au critère, l'entité en question doit s'être sciemment livrée ou avoir tenté de se livrer à une activité terroriste ou encore, doit y avoir participé, ce qui correspond aux GRI. Sinon, l'entité doit avoir agi sciemment au nom d'une entité inscrite sur la liste ou en collaboration avec celle-ci. Nous savons que ce critère est satisfait également. Les GRI financent le Hezbollah, qui constitue en fait une filiale contrôlée par l'Iran. Aux termes du Code criminel, il est indéniable que les GRI devraient être inscrits sur la liste.

On a avancé que l'expression « activité terroriste » dans le Code criminel définit ce que constitue une activité terroriste en soi. C'est ce qui est indiqué dans un passage, mais on prévoit que si les activités sont menées dans le contexte de fonctions officielles à titre de force militaire étatique, il ne s'agit pas d'activités terroristes. Cet élément présente un argument potentiel. Par la suite, il est indiqué que ces activités doivent être conformes au droit international. Les activités des GRI ne le sont pas. Par conséquent, une fois de plus, il est clair que le Code criminel n'empêche aucunement les GRI d'être inscrits sur la liste des entités terroristes.

J'aimerais soulever deux autres points. Je suis désolée d'accaparer beaucoup de temps sur ce sujet, mais je suis fortement convaincue de ce que j'avance.

Les GRI sont une organisation totalement unique. Ils sont si puissants, si indépendants et si riches, mais toutefois dotés d'un mandat inhabituel qui consiste à protéger la révolution islamique plutôt que la population ou les frontières, qu'ils ne peuvent être considérés comme étant une force militaire au sens classique qui mérite le même traitement que n'importe quel autre organisme d'État. En d'autres termes, cette organisation peut être considérée comme hors-la-loi.

Enfin, au sujet de l'immunité des États, les dispositions portant sur la justice pour les victimes d'actes terroristes, qui font maintenant partie du projet de loi C-10, le projet de loi omnibus déposé par le gouvernement qui en est à sa troisième lecture, porte sur l'immunité des États et a pour objectif de retirer l'immunité aux États qui commanditent des actes de terrorisme. Cela sous-tend que le gouvernement pourra inscrire sur la liste certains États à titre de commanditaires d'actes terroristes.

Si vous êtes prêts à désigner un État comme étant le « commanditaire d'actes terroristes », vous êtes certainement prêts à désigner une organisation étatique comme étant une entité terroriste, c'est purement logique.

Le sénateur Lang : M. Dubowitz a parlé de l'ambassade canadienne. Si j'ai bien compris, d'après vous, si le Canada devait désigner les GRI à titre d'entités terroristes, probablement que l'Iran refuserait d'héberger notre ambassade? Est-ce ce que vous avez dit? C'est ce que j'en ai déduit.

M. Dubowitz : J'avance qu'il s'agit d'une possibilité dont il faut tenir compte dans l'évaluation. Il s'agit d'une hypothèse, je dis bien hypothèse, sur la réaction des Iraniens en pareil cas. Si le gouvernement du Canada décidait d'inscrire les GRI sur la liste des entités terroristes aux termes du Code criminel, les Iraniens pourraient réagir en refusant d'héberger une ambassade canadienne sur leur territoire.

Je crois qu'il est encore possible de procéder de façon graduelle. Le gouvernement du Canada pourrait commencer par inscrire sur la liste la force Qods-GRI, qui constitue l'unité opérationnelle outre-mer des GRI. Si l'on considère les différentes unités des GRI, l'argument le plus convaincant pour inscrire cette organisation sur la liste est que la force Qods est employée pour mener des opérations terroristes à l'étranger. Il s'agit d'une composante clé des GRI ainsi qu'une branche essentielle de cette organisation au sein du gouvernement iranien. La désignation de la force Qods serait entièrement cohérente avec les précédents canadiens et constituerait une étape dans le cadre d'une approche graduelle. Pour ceux qui se préoccupent des réactions négatives à la suite d'une désignation généralisée des GRI, ce serait un bon point de départ que de commencer par inscrire la force Qods-GRI.

J'aimerais également vous faire remarquer que les GRI ne constituent pas l'armée iranienne. L'armée iranienne classique est en fait une institution totalement différente. Nous ne réclamerions jamais la désignation sur la liste de l'armée iranienne. L'armée ne jouit pas de la confiance du régime, ce qui explique en partie pourquoi les GRI ont été créés à l'origine. Manifestement, il y a conscription et les gens doivent faire leur service militaire. Nous pouvons ne pas être d'accord avec les objectifs internationaux de l'armée iranienne, mais, à mon avis, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une armée au sens classique. Il en va tout autrement des GRI.

Le sénateur Mitchell : Dans le cadre de la Loi sur les mesures économiques spéciales, si j'ai bien compris, on établit une distinction entre les sanctions imposées à une entreprise qui décide de faire des investissements par rapport à une entreprise qui en faisait déjà. Je crois que c'est le cas avec la Syrie, où des entreprises canadiennes mènent des activités et l'une d'entre elles détient un très grand pouvoir. Si l'on empêchait leurs activités, à qui est-ce qu'on ferait du tort? Y a-t-il une différence pour vous? C'est déjà beaucoup de pénaliser les nouveaux investissements, mais est-ce que cela signifie qu'automatiquement, des sanctions seront imposées pour les entreprises qui ont déjà investi là-bas et que nous leur demanderons de plier bagage?

M. Dubowitz : C'est une excellente question qui fait l'objet de bien des débats à Washington.

D'un côté, nous devons respecter l'intégrité des contrats et comprendre que certaines pénalités se rattachent à la résiliation d'un contrat déjà signé. D'un autre côté, il s'agit d'une échappatoire qui permettrait à un pétrolier de suivre sa course, parce qu'on établit une différence entre les anciens et les nouveaux investissements. C'est souvent bien difficile à confirmer.

Par le passé, le gouvernement américain a eu recours à une règle spéciale qui est prévue par la Comprehensive Iran Sanction Accountability and Divestment Act, qui a été édictée par le président Obama l'année dernière. Cette règle spéciale donne aux entreprises une période de grâce pour qu'elles puissent mettre fin à leurs activités. Des sanctions ne s'appliquent pas automatiquement aux entreprises qui ont déjà signé des contrats, mais les dispositions reconnaissent nos objectifs stratégiques qui consistent à mettre fin à toute activité commerciale, et non pas seulement les activités futures. Dans le cadre de cette loi américaine, une période de grâce de six mois est accordée — et il est possible de prolonger ce délai —, mais il est important de ne pas permettre à cette règle de devenir une échappatoire faisant en sorte que les entreprises cachent leurs activités ou les reclassent indéfiniment.

Le sénateur Manning : Vous avez mentionné des entreprises qui ont un lien plus ou moins fort et qui pourraient sombrer dans la clandestinité en douce. C'est une approche facile. C'est ce que j'ai cru comprendre.

Ces entreprises sont-elles connues publiquement? Comment s'y prend-on?

M. Dubowitz : Les données peuvent être obtenues à partir de sources publiques. Par exemple, nous avons fait un rapport sur les Chinois à titre de partenaires énergétiques de l'Iran, dont les renseignements provenaient de sources publiques, et où nous avons énuméré en détail les entreprises chinoises qui brassent des affaires en Iran dans son centre énergétique. Par affaires, nous entendons les investissements, les transferts de technologie ainsi que l'approvisionnement en pétrole raffiné. Le gros des renseignements peut être obtenu à partir de sources publiques. On n'a qu'à consulter les publications commerciales. On peut également parler aux intervenants de l'industrie. Des organisations comme la nôtre entretiennent des bases de données détaillées comprenant des renseignements sur beaucoup de sociétés.

L'échange de renseignements entre notre organisation et le gouvernement américain est également assez fluide. Nous fournissons des propositions provenant de sources publiques ainsi que des renseignements au gouvernement américain. Le Département d'État américain ainsi que le Trésor, qui sont responsables d'exécuter les sanctions, utilisent à leur tour ces renseignements et les complètent à l'aide de données non publiques provenant du milieu du renseignement et de sources commerciales.

Il est donc absolument possible de découvrir où les sociétés mènent leurs affaires. J'aimerais soulever un corollaire, soit que j'estime qu'il est essentiel que les sanctions du Canada soient extraterritoriales. Ce qui influence la décision des entreprises, c'est le choix fondamental entre faire affaire avec l'Iran ou faire affaire avec l'Amérique du Nord.

Le Canada est une superpuissance énergétique. Il dispose d'une forte influence dans l'arène internationale, ce qui représente une occasion réelle pour le gouvernement canadien de dire à une entreprise donnée : « Ou vous faites affaire avec l'Iran, ou vous faites affaire avec nous. » En fait, le gouvernement canadien, qui représente un énorme marché tant sur le plan des consommateurs que de l'énergie, pourrait carrément dire : « Ou vous faites affaire avec l'Iran ou vous faites affaire avec l'Amérique du Nord ». C'est lorsqu'elles ont été confrontées à ce choix que de nombreuses sociétés ont décidé d'arrêter de mener des affaires avec l'Iran.

Si le Canada devait décider de confronter un grand nombre d'autres entreprises en leur présentant ce choix, je crois que cela ferait avancer de beaucoup l'exécution rigoureuse des sanctions.

Le sénateur Manning : Vous avez également parlé de sanctions extraterritoriales ciblant des ressortissants non américains. Est-ce que cela fonctionne? Quel est votre taux de réussite à cet égard? Avez-vous essayé de poursuivre dans cette voie?

M. Dubowitz : Oui. Au cours de la dernière année, le Département d'État des États-Unis a imposé des sanctions contre dix sociétés non américaines qui faisaient affaire avec l'Iran dans le secteur de l'énergie, de la vente de pétrole raffiné et de la marine marchande. Ces sanctions, outre les autres pénalités dont j'ai fait mention plus tôt, comme les 1,6 milliard de dollars perçus auprès de quatre institutions financières européennes, ont permis d'envoyer un message clair dans le domaine international de l'énergie et des finances selon lequel on s'expose à des sanctions si on continue de faire affaire avec l'Iran. Les conséquences nettes de ces pénalités se sont chiffrées à 60 milliards de dollars en investissements étrangers gelés dans le secteur énergétique iranien.

D'après le Trésor américain, les recettes de l'Iran chuteront de 14 milliards de dollars par année au cours des cinq prochaines années. Nous avons constaté que les ventes d'essence ont connu une baisse de 90 p. 100. Ces mesures ont eu des répercussions considérables sur l'économie iranienne, à savoir les taux d'inflation et de chômage. J'avancerais que toute sanction ou solution de rechange pacifique s'avérera inefficace si nous n'accroissons pas la pression. Le Canada peut jouer un rôle essentiel à cet égard, plutôt que de simplement se fier sur les États-Unis pour l'exécution des sanctions.

Le sénateur Plett : Les GRI ont-ils des sociétés qui mènent actuellement des affaires au Canada? Dans quelles mesures sont-elles actives? Dans quels secteurs brassent-elles leurs affaires?

M. Dubowitz : Je suis heureux que vous me posiez ces questions. Il y a un certain nombre de sociétés appartenant aux GRI qui mènent des affaires au Canada. Nous serons ravis de vous transmettre la liste. Je peux citer par exemple Kala Naft, qui dispose d'une filiale au Canada. Kala Naft fait partie intégrante de l'industrie énergétique iranienne et mène des activités à l'étranger à titre d'unité d'approvisionnement pour cette industrie.

J'aimerais souligner le point suivant : la Résolution 1929 du Conseil de sécurité des Nations Unies explique précisément dans son préambule le lien entre l'industrie énergétique iranienne et le programme nucléaire iranien ainsi qu'entre l'industrie pétrochimique iranienne et l'équipement à double usage destiné à cette industrie, mais détourné aux fins d'activités de prolifération en Iran.

Le régime iranien, qui utilise des entreprises comme Kala Naft financées par les GRI, est alors en mesure de se procurer de l'équipement précis au Canada qui est ensuite détourné aux fins d'activités de prolifération. Je crois qu'une désignation générale des GRI aiderait le milieu du renseignement et de l'application de la loi canadienne à sévir contre des entreprises comme Kala Naft sans avoir affaire à une hydre de Lerne, situation dans laquelle chaque entreprise iranienne écartée par les autorités canadiennes se verrait remplacée par une nouvelle société. D'ailleurs, je crois que c'est ce qui se produit en ce moment.

La présidente : Nous vous serions reconnaissants de nous fournir cette liste.

Le sénateur Day : Certaines des sociétés sur cette liste figurent-elles au nombre des organisations terroristes déclarées? En ce moment, au Canada, certaines sociétés de façade figurent au nombre des entités terroristes. Comme vous l'avez dit, les gardiens de la révolution islamique ne cessent de changer leur société de façade, alors c'est toujours le même jeu de cache-cache. Sur la liste que vous allez nous fournir, reconnaîtrons-nous certaines des entités terroristes inscrites?

M. Dubowitz : Certaines des sociétés figurant sur notre liste pourraient déjà faire l'objet de sanctions de la part des autorités canadiennes. Ce qu'il importe de retenir, c'est que les milieux du renseignement et d'application de la loi, soit ceux qui ont la responsabilité d'amasser des preuves en vue de l'inscription sur la liste de chacune de ces sous-entités, seront débordés, comme on peut l'imaginer, car ils devront enquêter sur chacune de ces sociétés individuellement. Une désignation généralisée des GRI aux États-Unis a eu l'effet d'une douche froide dans le milieu des affaires américain, car cette désignation a envoyé un message clair selon lequel toute entreprise qui vend un produit ou une composante à une entreprise de Dubaï, alors qu'il y a des soupçons que cela sera détourné pour faciliter les activités viles de l'Iran, devra se défendre. Il revient aux sociétés à titre d'entité ainsi qu'aux PDG d'exercer une diligence raisonnable, faute de quoi, de dures pénalités et sanctions pourraient être imposées.

Le sénateur Day : Si la société mère est inscrite, les filiales sont-elles par le fait même inscrites également, comme dans le cas des sociétés façades dont vous avez fait mention?

M. Dubowitz : Qu'entendez-vous par « inscrites », s'agit-il de faire l'objet de sanctions précises?

Le sénateur Day : Je parle d'une inscription sur la liste des entités terroristes.

M. Dubowitz : Pour ce type d'inscription, je présume que les autorités canadiennes, tant qu'elles peuvent établir et étayer un lien entre la société mère et ses filiales en activité, incluraient toutes les déclinaisons de l'entreprise sur la liste. Manifestement, c'est une question de preuve.

Revenons aux réflexions de haut niveau. Il est plus facile de désigner les GRI dans leur ensemble à titre d'organisation terroriste, ou du moins l'unité outre-mer que constitue la force Qods, puis de demander au milieu des affaires de vous aider en faisant attention à la vente d'équipement. C'est mieux que de dépendre d'une approche progressive qui est énormément écrasante pour le gouvernement canadien, surtout pour le milieu du renseignement et pour la GRC, car ils auront à enquêter sur chacune des entités et sur toutes leurs filiales. Mobilisons plutôt le milieu des affaires.

La présidente : J'aimerais éclaircir un point. Dans le cadre de nos discussions, nous avons abordé la question des technologies nucléaires et du double usage auquel on pourrait avoir recours dans le secteur énergétique, mais je présume que cela comprend des discussions sur des substances chimiques, biologiques ou radiologiques, n'est-ce pas?

M. Dubowitz : C'est exact.

La présidente : Je suis désolée, mais notre temps est écoulé. Vous avez été succinct et direct, ce qui est formidable. Le comité doit maintenant passer à ses autres travaux. Je vous remercie chaleureusement.

M. Dubowitz : Je vous remercie de nous avoir invités.

Le sénateur Day : Peut-on demander à un analyste de vérifier ce point? J'aimerais obtenir confirmation du fait que si une société mère est enregistrée, toutes ses filiales le sont également automatiquement?

La présidente : Il s'agit d'une inscription plutôt qu'un enregistrement. Nous allons vérifier ce point, certainement.

Merci beaucoup. Nous passons maintenant au huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)


Haut de page