Aller au contenu
SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 6 - Témoignages du 7 mai 2012


OTTAWA, le lundi 7 mai 2012

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 16 heures pour réaliser une étude et faire rapport sur les politiques, les pratiques, les circonstances et les capacités du Canada en matière de sécurité nationale et de défense (sujet : Sommet de l'OTAN), ainsi que sur l'état des opérations des Forces canadiennes en Afghanistan et les leçons retenues de ces opérations.

Le sénateur Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Mesdames et messieurs, je déclare ouverte la séance du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Aujourd'hui, nous avons un ordre du jour chargé. Nous allons nous pencher sur les prochaines réunions de l'OTAN et sur le Concept stratégique qui y sera examiné. Nous parlerons ensuite de cybersécurité avec trois experts et nous continuerons à examiner les leçons tirées de notre expérience en Afghanistan, en plus d'entendre le point de vue de représentants de l'ACDI au sujet de l'approche pangouvernementale dans le cadre de telles missions.

Comme je viens de le dire, nous allons commencer par l'OTAN. Dans 13 jours tout juste, les chefs de gouvernement des pays de l'OTAN, dont le premier ministre Harper, se réuniront dans le cadre d'un important sommet à Chicago. L'ordre du jour de ce sommet porte sur l'orientation future de l'OTAN et sur son nouveau concept stratégique, y compris la façon dont l'Alliance va s'y prendre pour réaffirmer son engagement en Afghanistan après 2014, comment faire face à la décroissance des budgets que les nations membres consacrent à la défense et comment elle va s'associer à des pays non membres de l'OTAN au cours de prochaines missions et entreprises. Je dois préciser qu'il s'agit là uniquement de quelques-unes des questions examinées. J'espère que nous passerons également en revue les leçons à tirer des succès et des échecs en Afghanistan et en Libye.

Nous accueillons depuis Washington M. Stephen Flanagan, titulaire de la chaire Henry A. Kissinger en diplomatie et sécurité nationale du Center for Strategic and International Studies. Le CV de M. Flanagan est long et impressionnant, et j'espère que vous en ferez personnellement la lecture car si je devais faire la liste de toutes ses réalisations, j'en aurais sans doute pour une heure.

Étant donné que ces renseignements sont pertinents au sujet que nous étudions aujourd'hui, je préciserai que pendant la décennie qui a suivi la guerre froide, M. Flanagan a occupé divers postes au sein du gouvernement des États-Unis où il a contribué à élaborer la stratégie américaine de l'après-guerre froide au National Security Council du Département d'État. De 2009 à 2010, M. Flanagan a agi à titre de conseiller auprès de l'ancienne secrétaire d'État Madeleine Albright alors qu'elle présidait le groupe d'experts de l'OTAN qui a défini le nouveau Concept stratégique de l'OTAN.

Bienvenue, monsieur Flanagan. Je crois que vous souhaitez nous présenter un exposé.

Stephen Flanagan, chaire Kissinger en diplomatie et sécurité nationale, Center for Strategic and International Studies, à titre personnel : Oui, madame la présidente. Je vous remercie de votre aimable présentation. Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de vous parler du Sommet de l'OTAN à Chicago. J'ai pensé qu'il serait utile de vous présenter un bref exposé afin de planter le décor. Par la suite, je serai heureux de répondre à vos questions.

J'ai déposé un mémoire plus long dans lequel je disserte sur ces mêmes sujets, mais si vous le permettez, je propose de vous présenter une brève évaluation du contexte stratégique de ce sommet et de vous donner une idée des résultats que nous pouvons, je pense, espérer relativement aux trois éléments principaux à l'ordre du jour du Sommet, en l'occurrence l'Afghanistan, les capacités militaires et les partenariats, et étudier certaines de leurs conséquences sur la relation transatlantique.

La présidente : Allez-y, je vous en prie.

M. Flanagan : Merci. Je pense que la vision et l'énoncé de mission exposés dans le Concept stratégique — Engagement actif, défense moderne, comme on l'appelle — adopté en novembre 2010 au Sommet de Lisbonne, demeurent toujours valables. Le Sommet de Chicago doit illustrer que l'Alliance met réellement en application cette vision et procède à la mise en œuvre d'autres engagements pris à Lisbonne.

Je pense que les dirigeants des nations alliées doivent ajuster la stratégie de l'OTAN afin de tenir compte des changements profonds qui sont intervenus dans l'environnement international et des situations fiscales qu'ont connues l'Europe et l'Amérique du Nord au cours des 18 mois qui ont séparé les deux sommets.

Je crois par ailleurs que, de manière générale, le Sommet de Chicago doit réaffirmer les deux aspects de l'engagement transatlantique. Les gouvernements européens devraient démontrer qu'ils prennent des mesures sérieuses pour ralentir l'érosion des crédits qu'ils consacrent à la défense nationale. Parallèlement, les dirigeants européens craignant que les États- Unis tournent leur attention vers l'Extrême-Orient et le Pacifique, le président Obama ferait donc bien de réaffirmer que l'Europe restera le partenaire de choix de Washington dans un avenir rapproché.

Si je peux me permettre, je pense qu'une déclaration analogue de la part du premier ministre Harper permettrait de renforcer cet engagement de l'Amérique du Nord.

J'aimerais maintenant évoquer les résultats positifs qui ne sont pas encore nécessairement totalement confirmés, mais qui représentent malgré tout un certain succès dans trois secteurs différents. Le premier, comme l'a signalé la présidente, est l'intervention en Afghanistan et l'engagement crédible de l'Alliance à appuyer l'Afghanistan pendant le transfert des responsabilités en matière de sécurité à un gouvernement afghan qui sera en mesure d'assurer sa propre sécurité en 2014 et au-delà.

Vingt-trois nations se sont engagées à participer à une coalition de contributeurs déterminés pour financer les forces de sécurité afghanes après 2014. Il reste à savoir si tous les gouvernements alliés maintiendront la date de 2014 pour le transfert des responsabilités. Nous savons que François Hollande, le président français nouvellement élu, a déclaré pendant sa campagne électorale qu'il procédera au retrait d'un peu plus de 3 300 soldats français de l'Afghanistan à la fin de cette année.

Par conséquent, la portée des programmes de formation et d'aide de l'OTAN en Afghanistan après 2014 est incertaine. La plupart des alliés n'ont pas respecté leurs promesses à l'égard de la mission de formation de l'OTAN en Afghanistan au cours des quatre dernières années. C'est pourquoi, leur volonté de le faire après le retrait de la plus grande partie des troupes de la FIAS, lorsqu'il ne restera plus que la présence limitée des formateurs qui demeureront là-bas, et qu'ils dépendront davantage des forces afghanes pour assurer leur sécurité, semble suspecte.

Deuxièmement, nous avons besoin d'une stratégie à long terme en vue d'améliorer la planification et l'intégration de la défense des alliés, ainsi que quelques initiatives phares et un plan de mise en œuvre détaillé, afin d'assurer que l'OTAN dispose des capacités militaires dont elle a absolument besoin pour assurer la défense collective et faire face aux nouveaux défis en matière de sécurité.

Compte tenu de ces réalités financières contraignantes, les alliés ont convenu à Lisbonne d'utiliser plus efficacement les ressources militaires grâce à une planification améliorée de la défense, au développement des capacités multinationales et à de vastes réformes des structures de l'OTAN.

L'an dernier, le secrétaire général de l'OTAN, M. Rasmussen, a lancé une campagne en faveur d'une « défense intelligente » pour accroître la valeur et l'efficacité des ressources disponibles grâce à une meilleure définition des priorités, la coopération multinationale et la spécialisation.

En février, le secrétaire à la défense, M. Panetta a demandé à ses collègues l'élaboration d'un plan à long terme visant les forces militaires dont devrait disposer l'Alliance d'ici la fin de la décennie — les forces de l'OTAN pour 2020, selon ses propres termes.

Je pense qu'un sommet réussi permettrait d'obtenir l'aval des alliés à propos des trois éléments principaux suivants : les concepts de défense intelligente et une vision pour 2020, y compris un ensemble de projets multinationaux qui remédient aux manques à gagner en matière de capacité critique; plusieurs projets multinationaux à long terme qui englobent la défense antimissile, la surveillance terrestre de l'Alliance et la police aérienne, en particulier pour les États de la Baltique; et il devrait par ailleurs se pencher sur des projets stratégiques à plus long terme, pour 2020, afin d'améliorer le renseignement interarmées, la surveillance et la reconnaissance et peut-être certains secteurs des opérations aériennes de soutien telles que le ravitaillement en vol.

Compte tenu des contraintes politiques et financières auxquelles sont confrontés les gouvernements européens, un tel ensemble de projets m'apparaît comme étant le meilleur objectif réalisable, et j'encourage tous les alliés à travailler de façon plus intégrée afin de maintenir le niveau actuel d'ambition de l'OTAN.

Enfin, les partenariats semblent constituer la partie la moins développée de l'ordre du jour de Chicago, tout au moins d'après ce qu'on peut en juger de l'extérieur. Je crois que l'Alliance est prête à prendre des mesures concrètes pour renforcer le réseau des divers partenaires de l'OTAN dans le monde. Le Concept stratégique indique que dans l'environnement de sécurité complexe qui existe actuellement à l'échelle mondiale, les partenariats avec d'autres pays, des organisations régionales et internationales, et de nombreuses organisations non gouvernementales, sont devenus essentiels à la réussite de l'OTAN.

En avril 2011, les ministres des affaires étrangères de l'Alliance ont approuvé certaines mesures devant permettre à l'OTAN de « travailler avec plus de partenaires, sur plus de questions et de manière plus diversifiée » — ce qu'on appelle l'ensemble d'initiatives de Berlin. L'absence de progrès dans le dialogue sur la défense antimissile a nui à l'avancement des partenariats de l'OTAN avec la Russie, même si la collaboration à propos de l'Afghanistan s'est poursuivie. Il n'y aura donc pas de réunion du conseil OTAN-Russie à Chicago, mais la Russie a été encouragée à participer à la réunion avec les contributeurs à la FIAS.

Un autre concept fait l'objet d'un examen, celui de trouver des moyens de travailler plus efficacement avec les partenaires de base, c'est-à-dire ceux qui ont contribué de manière soutenue aux opérations interalliées, en particulier en Afghanistan. Je crois qu'il est question d'une réunion avec au moins 13 de ces pays qui ont été des contributeurs principaux.

Il sera également possible de miser sur la réussite de l'OTAN dans le cadre de sa collaboration avec ses partenaires arabes pour résoudre la crise libyenne et sa collaboration continue avec les États méditerranéens en matière de sécurité maritime. Il est possible de trouver des moyens d'approfondir ces partenariats et peut-être de coordonner un soutien transatlantique des réformes dans le secteur de la sécurité dans les États du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord.

Il y a plusieurs questions soulevées à Lisbonne pour lesquelles le consensus politique des alliés demeure insuffisant pour permettre d'aller de l'avant à Chicago, notamment l'examen de la posture de dissuasion et de défense et un élargissement des pays membres de l'OTAN. Je suppose que le sommet permettra d'apporter des précisions à ce sujet.

Je vous remercie, madame la présidente, ainsi que les membres du comité, de m'avoir donné l'occasion de présenter quelques observations préliminaires; je suis prêt à répondre à vos questions.

La présidente : Merci, monsieur Flanagan. Pouvez-vous nous donner votre point de vue sur une alliance où tant de membres ne paient pas leur cotisation et ne peuvent pas intervenir. Êtes-vous optimiste au sujet de ce sommet?

M. Flanagan : Certains de nos alliés européens nous préoccupent, mais d'autres pays sont parvenus à maintenir leurs capacités en matière de défense, même s'ils éprouvaient des difficultés financières. Je demeure optimiste, mais il n'y aura pas d'augmentation des budgets consacrés à la défense. Par contre, certains pays prendront peut-être des mesures pour contrer la tendance à la baisse que l'on a constatée au cours de la dernière décennie. Les alliés européens consacrent énormément d'argent à la défense, mais ils ne le font pas de manière judicieuse. Plusieurs gouvernements l'ont compris. Pour y remédier, ils devront faire des compromis en matière de souveraineté. Ils devront accepter différentes façons de procéder. Il y a eu des discussions à ce sujet au cours des derniers mois. J'ai eu l'occasion de participer à quelques-unes d'entre elles avec le Commandement allié de l'OTAN Transformation, au sujet de la défense intelligente. J'ai pu constater que certains alliés sont prêts à y réfléchir et à s'engager sérieusement à modifier leurs façons de faire. Il n'y aura pas d'augmentation ou d'amélioration des dépenses en matière de défense, mais il est possible de ralentir la tendance à la baisse.

La présidente : Vous avez soulevé des points intéressants.

Le sénateur Lang : Je souhaite la bienvenue à notre invité d'aujourd'hui. Monsieur Flanagan, vous avez une feuille de route impressionnante.

J'aimerais faire une remarque au sujet du Sommet de Lisbonne et du prochain Sommet de Chicago. Nous avons adopté un changement d'orientation appelé « Défense intelligente » qui consiste à utiliser nos ressources de manière à en faire plus avec les mêmes ressources ou des budgets inférieurs, peut-être grâce à une meilleure organisation.

La présidente vient tout juste de mentionner que certains pays membres n'ont pas nécessairement payé leur contribution ni participé aux opérations, alors qu'ils s'étaient engagés à le faire. Comment envisagez-vous d'amener à la table les membres de l'organisation et de vous assurer qu'ils respectent leurs engagements?

M. Flanagan : C'est un problème récurrent à l'OTAN. Par le passé, on les a parfois dénoncés et pointés du doigt publiquement — utilisant la persuasion politique pour encourager nos alliés à respecter leurs obligations. Il n'existe pas de solution parfaite dans une organisation qui demeure fondée sur le consensus.

Il y a une forte reconnaissance. Dans un discours présenté parfois comme son discours d'adieu prononcé à l'Alliance à Bruxelles, en juin dernier, l'ancien secrétaire américain à la Défense Robert Gates a évoqué le fait que plusieurs de nos dirigeants politiques aux États-Unis pourraient perdre leur intérêt dans l'Alliance si d'autres alliés ne se montrent pas intéressés à assumer une plus grande part du fardeau. Le partage des dépenses a changé, surtout aux États-Unis dont la contribution représentait environ 50 p. 100 des dépenses de l'Alliance en matière de défense au plus fort de la guerre froide, et s'élève à 75 p. 100 aujourd'hui. Ces chiffres sont approximatifs, mais ils illustrent bien le fait que la répartition des dépenses a changé.

Je sais que votre gouvernement s'est montré inquiet des ressources et aussi des risques que le personnel des forces armées des États-Unis et du Canada assumait au plus fort de leur engagement en Afghanistan. Nous devons continuer à exercer des pressions politiques. L'Alliance ne peut survivre si une poignée de ses membres assument une part plus grande de risque et de responsabilité. Si nous voulons survivre à long terme, nous devons être conscients de devoir partager le fardeau de manière plus équitable entre les alliés. Je ne sais pas si j'ai bien répondu à votre question, mais c'est le mieux que nous puissions faire, compte tenu de la nature de l'organisation.

Le sénateur Lang : Si tous les membres adoptent la stratégie de la défense intelligence, ne pensez-vous pas qu'elle amènera chacun des membres à respecter ses engagements puisque les diverses responsabilités seront réparties entre les différents pays. Par exemple, un pays pourrait être chargé uniquement du cyberespace. Ne pensez-vous pas que cette formule aiderait les pays à respecter leurs obligations?

M. Flanagan : Absolument. Je vois où vous voulez en venir. On espère au moins pouvoir obtenir les trois éléments de la défense intelligente : une meilleure définition des priorités, la spécialisation et la coopération multinationale. La spécialisation nous mène dans cette direction. Il faut savoir que certains petits pays alliés pourraient, à défaut de disposer de troupes pouvant intervenir dans l'ensemble du spectre, offrir un engagement spécialisé. L'Estonie, petit pays de la Baltique, a dit vouloir se spécialiser dans le cyberespace et offrir des capacités de forces spéciales. Ce serait formidable que l'Estonie s'engage à une telle participation. Son exemple pourrait se répandre parmi les nations alliées.

D'autres petits pays alliés ne peuvent se permettre d'engager leurs forces dans l'ensemble du spectre. Votre question m'amène tout naturellement à évoquer un des éléments de la défense intelligente qui n'est pas un simple slogan de ce sommet et un moyen de pallier l'érosion continue des budgets alloués à la défense. Comme l'a réclamé le secrétaire général Rasmussen, elle pourrait également engendrer une meilleure planification des capacités importantes dont l'OTAN devra disposer dans cinq et 10 ans; il nous restera ensuite à convaincre les pays. L'OTAN dispose d'un processus à cet effet, le Processus des plans de défense, révisé récemment au cours des deux dernières années, afin de tenter d'améliorer les résultats. Le processus établira les cibles de capacité auxquelles s'engageront les alliés. Il faudra que les promesses soient sérieuses : Quel pays s'engagera à offrir ces capacités? Quels sont ceux qui les maintiendront? Quels sont les pays qui modifieront leurs plans de défense et qui ne pourront plus fournir les capacités promises? Comment faire pour remédier à une telle situation et répartir le fardeau?

Voilà comment la défense intelligente et ce processus de planification amélioré peuvent se combiner pour faire en sorte que l'Alliance pourra disposer des capacités dont elle aura besoin au cours des années ultérieures.

Le sénateur Day : Normalement, c'est le sénateur Dallaire, le vice-président de notre comité, qui poserait maintenant une question, mais il est aux États-Unis pour présenter une conférence sur les blessures de stress opérationnel à l'American Psychiatric Association. Je ne peux pas poser les mêmes questions que lui, mais j'aimerais parler un peu plus de l'utilisation des slogans.

Vous avez parlé de la défense intelligente. Ce slogan semble avoir été inspiré au secrétaire général à la suite de la conférence de Lisbonne. Vous affirmez que cette formule permettrait de contenir la diminution des dépenses, mais j'ai l'impression que plusieurs pays européens pensent que la défense intelligente leur permettra de consacrer moins d'argent à la défense que par le passé. Avec les slogans, il y a toujours le risque qu'ils soient mal interprétés. Au départ, l'intervention en Afghanistan était qualifiée de guerre à trois volets, puis la formule a été reprise par l'ensemble du gouvernement avec toutes sortes de significations différentes. Ensuite il a été question de lutte contre le terrorisme et d'anti-insurrection. J'aimerais connaître votre point de vue sur l'utilisation des slogans. Sont-ils utiles pour l'avenir de l'OTAN?

M. Flanagan : Monsieur Day, votre question est pertinente. Je voulais aller dans cette direction dans ma réponse à la question du sénateur Lang. Nous devons démontrer qu'il ne s'agit pas d'un simple slogan. Il y a deux semaines environ, j'ai eu l'occasion de témoigner devant notre propre comité des affaires étrangères de la Chambre des représentants. On m'a demandé si ce n'était qu'un simple slogan ou si c'était une façon de camoufler l'érosion continue? Ce pourrait être le cas si l'on ne fait rien pour s'y opposer. Je pense que tout dépend de ce que nous faisons pour maintenir la pression politique sur nos alliés qui traînent de l'arrière. Si nous voulons que notre alliance survive, nous devons vraiment montrer que nous sommes sérieux quant au maintien de ces capacités essentielles.

Comme je l'ai mentionné, l'OTAN dispose d'un processus des plans de défense dont l'objet est de définir les capacités ou les cibles de capacités indispensables. Au temps de la guerre froide, on les appelait besoins en effectifs de l'OTAN. C'était toujours un processus qui consistait à haranguer, persuader et convaincre les gouvernements de respecter leurs engagements, car nous devions tous faire notre part. Ce n'était jamais parfait, mais cela fonctionnait assez bien. À cette époque-là, le facteur de motivation était la menace imminente. De nos jours, cet élément n'existe plus. Cette impression de menace imminente n'existe plus et certaines missions paraissent plutôt compliquées et éloignées pour certains pays.

Je pense que le message politique a été très clairement reçu. Si certains pays européens espèrent toujours profiter sans avoir à investir, je pense que beaucoup d'entre eux ont compris le message et ont conscience que l'Alliance ne pourra survivre sans une manifestation concrète de notre volonté de changer les choses. On voit déjà certains pays collaborer pour mettre en commun leurs capacités en matière de coopération régionale. Les pays baltes nous donnent un exemple de réussite dans ce domaine. Plusieurs petits pays baltes collaborent avec les plus grands États nordiques en vue d'augmenter leurs capacités collectives pour être en mesure d'effectuer différentes missions.

Les gouvernements qui prennent la défense à cœur doivent continuer à exercer cette pression sur eux.

Le sénateur Day : J'aimerais terminer en vous demandant ce qui ressortira selon vous du Sommet de Chicago qui doit se tenir dans 12 ou 13 jours. Pensez-vous que cette expression ou ce slogan, comme vous voulez, de défense intelligente continuera d'avoir cours, ou pensez-vous que l'on abordera les questions de front et que l'on parlera du partage du fardeau?

M. Flanagan : Absolument. Les discussions portent sur toute une série d'éléments. C'est pourquoi M. Panetta, le secrétaire à la Défense des États-Unis, a parlé le mois dernier de cette idée ou de ce slogan de défense intelligente, mais il réclame des mesures concrètes, comme je l'ai dit dans ma déclaration, des buts concrets pour les 10 prochaines années. Quelles sont les capacités dont nous pensons avoir besoin? Établissons des initiatives phares. Je crois que quelques-unes d'entre elles seront adoptées au Sommet de Chicago, mais il y aura également des plans à plus long terme. Le système de surveillance air-sol de l'OTAN, certains mouvements de la police aérienne et la capacité opérationnelle initiale antimissile seront au nombre des initiatives à court terme. À plus long terme, ce seront d'autres initiatives de renforcement des capacités qui permettront de remédier aux lacunes principales que nous avons notées dans nos opérations passées, en particulier dans le secteur du renseignement et de la surveillance. C'est ce que réclament les États-Unis et plusieurs autres gouvernements. Nous préconisons une vision concrète qui englobe non seulement la défense intelligente et une rentabilisation de nos contributions financières, mais également nous nous engageons à l'égard d'objectifs sérieux en matière de défense et d'un plan de mise en œuvre.

Le sénateur Nolin : Merci, monsieur Flanagan. C'est un privilège pour nous de pouvoir dialoguer avec vous. Le comité bénéficiera grandement de votre excellente connaissance de l'Alliance.

Depuis près de 65 ans, les États-Unis — je dirais l'Amérique du Nord, mais c'est essentiellement les États-Unis — et l'Europe ont bâti une sorte d'équilibre ou de contrepartie. Vous avez fait l'effort principal et les nations européennes ont laissé les Américains prendre la direction des opérations. Ne pensez-vous pas que le déplacement des intérêts de l'Amérique du Nord vers l'Asie risque de nuire à cet équilibre?

M. Flanagan : Je pense que l'Alliance a toujours reposé sur un engagement constant assurant chacun de ses membres qu'en cas d'attaque, ils pouvaient compter sur la réaction de tous les autres. De solides mécanismes étaient en place pour s'assurer que cet engagement politique pourrait s'appuyer sur une capacité militaire réelle. Nous pouvons constater une érosion. M. Gates a dit l'an passé que les dirigeants politiques des États-Unis lui paraissaient moins sentimentaux qu'avant. Les luttes héroïques de la guerre froide sont oubliées et, désormais, de nombreux dirigeants politiques sont un peu plus pragmatiques. Qu'ont-ils fait pour nous dernièrement? On a l'impression que le bilan est un peu plus réaliste et moins axé sur les valeurs communes et l'engagement politique.

Je pense que nous devons continuer à renforcer cette notion d'engagement de part et d'autre de l'Atlantique afin de maintenir une approche sérieuse. Il est vrai que nous sommes tous confrontés à des difficultés financières, mais même dans ce contexte, nous essayons d'aller de l'avant et de montrer que nous maintenons le cap. Si plusieurs de nos alliés européens ne sont pas en mesure de s'engager autant que nous le voudrions, ils démontreront néanmoins qu'ils n'ont pas la volonté de laisser leurs capacités diminuer au point où certains pourraient se demander si nos partenaires croient vraiment dans ces engagements.

Le sénateur Nolin : Comme nous n'avons droit qu'à deux questions, je reviendrai au second tour. J'aimerais revenir à l'élection de François Hollande hier. Quelle a été la réaction à Washington? Quelle est la perception face à la dynamique qui se crée en Europe maintenant que François Hollande est chef d'État?

M. Flanagan : Je pense que François Hollande est plutôt inconnu à Washington. Comme je l'ai dit, le premier sujet d'inquiétude se rapporte à la déclaration qu'il a faite pendant la campagne électorale, à savoir que les forces françaises se retireraient d'Afghanistan à la fin de cette année 2012. Il pense également que la participation de la France à la structure militaire de l'OTAN n'a pas produit tous les avantages politiques et autres que le président Sarkozy avait promis, suggérant ainsi qu'il souhaitait peut-être réviser l'engagement de la France. Je pense que le président Obama a eu un bon premier contact téléphonique avec lui aujourd'hui. Vu la nature de sa carrière politique, il n'a pas eu beaucoup de contacts avec les hauts fonctionnaires américains, sauf en sa qualité de conseiller d'autres chefs socialistes. Il a fait d'autres déclarations suggérant qu'il serait peut-être nécessaire de rééquilibrer la politique européenne commune en matière de défense et de sécurité et de lui donner plus d'importance par rapport à l'engagement vis-à-vis de l'OTAN. Il a également montré certaines réserves vis-à-vis de la défense antimissile, s'interrogeant sur l'utilité d'un tel investissement.

À mon avis, Washington réserve son jugement. On ne s'attend pas à des changements spectaculaires.

En revanche, l'engagement qu'il a pris au cours de la campagne de retirer les forces françaises n'aurait peut-être pas une grande incidence sur le plan militaire mais, politiquement, la décision d'un membre important de l'Alliance d'accélérer le retrait de ses troupes pourrait être dommageable et avoir un effet d'entraînement. C'est probablement la principale source d'inquiétude dans l'immédiat.

Le sénateur Nolin : Nous verrons dans deux semaines.

M. Flanagan : Oui.

Le sénateur Plett : Bienvenue, monsieur.

Je vais poser une question qui sera peut-être un peu plus politique. Vous avez parlé du déséquilibre entre la contribution des États-Unis à l'OTAN par rapport à celles de l'Europe, du Canada et d'autres pays. Je suppose que cela crée un certain sentiment de mécontentement aux États-Unis.

Peut-être qu'Obama ne peut pas changer grand-chose en ce moment, mais quel serait d'après vous l'engagement des États-Unis si Obama était réélu, ou encore si Romney devenait le prochain président des États-Unis?

M. Flanagan : Dans un cas comme dans l'autre, je ne m'attends pas à des changements majeurs. Je crois que l'attachement à la relation transatlantique et à l'Alliance est assez fort dans tout l'éventail politique aux États-Unis.

À titre d'exemple récent, je citerais le sénateur McCain et d'autres leaders républicains au Congrès qui ont suggéré que l'OTAN devrait peut-être envisager délibérément différents moyens de venir en aide à la Turquie pour faire face à la crise en Syrie ou d'autres mesures analogues. Malgré ses limites et les découragements qu'elle peut susciter parfois, l'Alliance bénéficie d'un appui solide et je ne nous vois pas revenir à d'autres formules antérieures proposant un retour complet à une coalition de partenaires pour une même cause ou toute autre approche relative à la sécurité.

Ainsi que le président Bush l'avait manifesté au cours de son second mandat, on est fermement convaincu que l'Alliance transatlantique est plus utile et plus fiable, malgré les limites qu'elle accuse parfois, que des coalitions de pays disposés. Je ne peux pas imaginer de grands changements à ce sujet.

S'il était président, je pense que M. Romney serait peut-être un peu plus critique et un peu plus direct vis-à-vis des alliés quant au partage du fardeau. Il me semble que le président Obama a envoyé des signaux assez clairs à ce sujet, mais on peut peut-être voir une certaine différence de ton dans sa disposition et sa volonté à poursuivre une approche légèrement différente d'encouragement. Pourtant, je ne vois pas de changement majeur dans l'approche vis-à-vis de l'Alliance.

Depuis 20 ans, l'idée de réformer l'Alliance, de l'élargir et de l'adapter aux défis nouveaux et changeants en matière de sécurité reçoit un solide appui politique de tous les principaux partis américains.

Le sénateur Plett : Dans vos commentaires préliminaires, vous avez évoqué les résultats les plus positifs qui pourraient émaner du Sommet de Chicago. Je vais renverser la proposition. Quel serait le pire scénario qui pourrait sortir du Sommet de Chicago et quelle est la possibilité que cela se produise?

M. Flanagan : C'est une bonne question. Je ne pense absolument pas que ce soit une possibilité. Le mois dernier s'est tenue une grande réunion des ministres des affaires étrangères et de la défense, la fameuse « méga » réunion au cours de laquelle les participants ont réaffirmé leur engagement à l'égard du calendrier établi pour l'Afghanistan, à un moment où, si vous vous souvenez, même le président Sarkozy et le secrétaire Panetta ont suggéré que l'on pourrait accélérer le rapatriement des troupes.

Le sommet pourrait aboutir à un engagement très vague en matière de ressources et de personnel pour l'Afghanistan après 2014. Cet engagement est vague actuellement, parce que nous n'avons pas pris de décisions claires. Nous savons qu'il a été question d'un engagement de 4 milliards de dollars par an en ressources financières, la contribution des États-Unis s'élevant à la moitié, celle des 23 autres pays de la coalition s'élevant à 1 milliard de dollars, tandis que l'Afghanistan lui-même verserait 500 millions de dollars et qu'une tranche équivalente proviendrait de donateurs internationaux. Si ce fonds n'est pas clairement établi, si les pays ne se sont pas engagés à fournir un certain nombre de formateurs ou d'autre personnel pour assister les Afghans, si cela n'est pas clair après l'été, les conséquences pourraient être graves.

Je suis plus optimiste dans le cas de la défense intelligente. Pour la deuxième partie, les capacités, je pense que nous aurons quelques initiatives phares et un engagement à l'égard de cette nouvelle approche de défense intelligente, mais s'il y avait une certaine équivoque de dernière minute au sujet de ces trois initiatives clés ou si l'engagement à l'égard de la défense antimissile n'était pas très clair et que certains pays retiraient leur appui, les conséquences pourraient être graves.

Enfin, dans le cas des partenariats, nous n'avons pas encore mentionné la question d'élargissement futur. Il y a trois pays que l'OTAN a reconnus comme candidats : la Macédoine, le Bosnie et Herzégovine et la Géorgie. Si l'OTAN faisait marche arrière et donnait l'impression qu'elle tergiversait, s'il arrivait que la politique de porte ouverte soit réaffirmée ou remise en question, non pas maintenant, mais à une date ultérieure, tout cela pourrait, à mon avis, avoir des conséquences néfastes pour l'Alliance.

Le sénateur Mitchell : Monsieur Flanagan, j'aimerais savoir quel est votre point de vue sur le rôle de la Turquie dans l'OTAN, en particulier dans le contexte de ce recul dans ses relations positives avec Israël, dans sa démarche diplomatique constante et en apparence positive, ainsi que dans le contexte de son occupation continue de Chypre.

M. Flanagan : Sénateur Mitchell, c'est une question complexe, mais je vais tenter de répondre à chacun des points.

Je pense que la Turquie s'est avérée être un allié précieux. De manière générale et depuis plusieurs années, il y a eu les interventions en Libye, l'alignement de sa politique lors du printemps arabe et d'autres événements, sa coopération dans le dossier de la Syrie, bien que l'OTAN n'en ait pas encore été saisie. Par ailleurs, la Turquie a énormément contribué à l'intervention en Afghanistan.

Il est clair cependant que la Turquie a des relations politiques parfois difficiles et problématiques avec l'Alliance : tout d'abord sa position à l'égard de la coopération entre l'OTAN et l'Union européenne. En raison de son impression d'avoir été exclue à cause de la position de la République de Chypre relativement à la coopération avec l'Union européenne, la Turquie est résolue à utiliser le seul instrument dont elle dispose dans ce contexte afin de ralentir, à titre de membre de l'OTAN, la coopération entre l'OTAN et l'Union européenne, ce qui a eu des conséquences néfastes en Afghanistan et ailleurs.

Évidemment, la Turquie a pris des positions plutôt fermes à l'égard d'Israël. Elle a affirmé qu'elle accepterait le déploiement des radars de défense antimissile sur son territoire, conformément à l'approche progressive et adaptée européenne, tout en refusant de partager des données avec Israël. Tout cela est dû à la détérioration de ses relations avec Israël à la suite de ce qu'il est convenu d'appeler « l'incident de la flottille ». Les Turcs estiment en effet qu'Israël devrait leur présenter des excuses puisque sept citoyens turcs et une autre personne possédant la double nationalité américaine ont perdu la vie au cours de cet incident. Les Turcs n'ayant pas obtenu d'excuses, ils ont utilisé, une fois encore, cet instrument — de façon regrettable, selon moi — pour s'opposer à la participation d'Israël à certaines réunions de l'OTAN et autres. La Turquie a l'intention d'utiliser ce levier tant qu'elle n'aura pas reçu d'excuses.

Il est regrettable que la Turquie ait pris une telle position, mais, de manière générale, elle a appuyé l'Alliance, parfois avec hésitation mais, au bout du compte, elle s'est avérée être un partenaire fiable dans la plupart des situations auxquelles l'Alliance a été confrontée au cours des dernières années. Par ailleurs, elle a fait une importante contribution dans les Balkans.

La question chypriote rend perplexe de nombreux diplomates depuis quatre décennies. C'est une question difficile et je pense que c'est aux habitants de l'île de trouver la solution. Je pense que la communauté internationale, et en tout cas les États-Unis et l'ONU, a fait tout ce qu'elle pouvait pour encourager les parties à s'entendre. En 2004, nous sommes passés très près d'une entente, grâce au « Plan Annan » qui a malheureusement été rejeté par les Chypriotes grecs au cours d'un référendum. Tout ce que nous pouvons faire c'est de continuer à encourager la Turquie à ne pas prendre la relation entre l'OTAN et l'Union européenne comme otage dans ce conflit et de collaborer de bonne foi avec les représentants du nord de Chypre et le gouvernement chypriote afin de trouver une solution à ce litige. À une époque où nous avons de nombreux autres défis à surmonter, il est vraiment regrettable que ce litige dans l'île de Chypre soit encore un obstacle majeur à des relations plus productives entre l'OTAN et l'UE et à une plus grande sécurité dans la zone orientale de la Méditerranée.

Le sénateur Mitchell : Alors que la stature des militaires au sein de l'OTAN évolue dans la bonne direction, cela suscite un malaise dans la population turque. Quelles mesures les partenaires de l'OTAN peuvent-ils prendre pour encourager une réduction de l'influence des militaires et de leur soif de pouvoir en Turquie, à moins que cela soit totalement exclu de la relation?

M. Flanagan : Évidemment, c'est une question délicate. On peut dire que le gouvernement turc actuel est favorable à une normalisation des relations entre les pouvoirs civil et militaire, tels qu'on les conçoit dans un contexte démocratique nord-américain ou européen; et c'est très bien. L'arrestation et la détention de certains membres du personnel général en Turquie sans dépôt d'accusations officielles sont vraiment troublantes et amènent à se demander comment les Turcs parviendront à rééquilibrer les relations civilo-militaires.

Depuis quelques années, il est arrivé trois fois que les militaires se mêlent de politique et on a compté plusieurs coups d'État dus à une intervention militaire directe ou à des pressions politiques. À long terme, il serait souhaitable que la Turquie prenne ses distances vis-à-vis de telles actions. Le gouvernement turc actuel progresse dans cette direction afin de montrer qu'il s'efforce d'adopter certaines normes européennes et réaliser ses espoirs à long terme de devenir membre de l'Union européenne; c'est tout du moins la politique qu'il met de l'avant. Cette politique a eu une influence positive. Les États-Unis, le Canada et les autres pays devraient continuer à appuyer la candidature turque à l'Union européenne, étant donné que cette évolution est positive. Certains aspects de la démarche turque ne sont pas propices à l'équilibre à long terme d'une relation civilo-militaire qui respecte les perspectives et le domaine de compétences des militaires en uniforme tout en encourageant le respect sain des principes du contrôle civil sur les militaires. Dans une démocratie en évolution, il sera toujours difficile de trouver le juste équilibre.

La présidente : J'aimerais revenir à une remarque que vous avez faite dans vos observations préliminaires concernant les déclarations faites par votre président et notre premier ministre, ainsi que les gestes qu'ils ont posés afin de renforcer les relations avec la région Asie-Pacifique. Vous avez précisé que si on leur donnait le choix, ils continueraient à préférer l'Alliance européenne, mais beaucoup d'efforts sont faits actuellement dans l'autre direction. Est-ce la politique de la carotte et du bâton qui va être mise de l'avant à Chicago ou est-ce que les deux relations peuvent se développer en parallèle?

M. Flanagan : C'est plus un mouvement en parallèle. J'ai entendu le point de vue de plusieurs hauts fonctionnaires européens. Il y a quelques mois, le ministre norvégien de la défense Espen Barth Eide a déclaré à notre centre qu'il pouvait comprendre qu'à une époque de grande incertitude en Extrême-Orient, les États-Unis cherchent à rééquilibrer leurs activités militaires et diplomatiques afin d'assurer la stabilité en Extrême-Orient — dans la mer de Chine orientale; à rassurer les Coréens du Sud qui se sentent menacés par la Corée du Nord; et à rassurer le Japon. Étant donné qu'il n'y a pas de menace immédiate à la sécurité, il n'y a aucune raison de conserver quatre brigades de combat en Europe, à une époque où règnent une paix et une stabilité relatives. C'est tout à fait acceptable, dans la mesure où les États-Unis maintiennent une présence militaire viable en Europe afin de collaborer avec nos alliés au maintien de l'interopérabilité, des normes et des pratiques.

Cette volonté devrait être réaffirmée à Chicago. Certains membres de l'administration Obama doivent regretter d'avoir utilisé le terme anglais « pivot », parce que cela signifie tourner le dos à quelqu'un. Pourtant, on ne tourne le dos à personne. En fait, nous voulons tourner avec nos partenaires européens. Ils sont de plus en plus touchés par ce qui se passe en Asie, en raison de l'importance de la Chine mais également de tous les autres pays de l'ANASE qui sont extrêmement importants pour l'avenir de l'économie mondiale, le commerce et la sécurité de l'énergie. Tous ces pays prennent de plus en plus d'importance. Il est indispensable que des pays comme le Canada et les États-Unis, qui sont également des pays riverains du Pacifique, ainsi que tous les autres pays tournent leur attention vers cette région du monde. Cependant, cela ne se traduira pas par un affaiblissement de l'engagement des membres de l'Alliance et des États partenaires dans leur ensemble. Le président Obama s'est demandé, en parlant de nos partenaires privilégiés, vers qui nous devrions nous tourner en premier, en cas de catastrophe. Ce serait tout simplement vers les gouvernements qui se sont montrés fiables. Après plusieurs décennies de collaboration, nous avons acquis une certaine confiance qui nous permet de prédire ce qui se produira et comment les choses se dérouleront quand nous lancerons un appel.

Le sénateur Nolin : Monsieur Flanagan, le cas s'est produit lorsque vous étiez au National Security Council et le conflit au Caucase méridional continue de mobiliser l'OTAN. Il en a été question au Sommet de Lisbonne. Pensez- vous que le Sommet de Chicago va se pencher sur les conflits au Caucase méridional?

M. Flanagan : L'OTAN a fait plusieurs déclarations au Sommet de Lisbonne et je suppose que ce sera le cas également à Chicago, bien que je n'aie pas eu accès au communiqué. Une sorte de déclaration politique viendra confirmer que nous poursuivons nos travaux en vue de trouver une solution aux contrats bloqués et que nous appuyons les travaux du Groupe de Minsk à l'OSCE dans ses efforts pour résoudre ces conflits. Tous les gouvernements alliés n'ont pas reconnu l'occupation et l'indépendance de ces pays à la suite de l'intervention militaire russe. En réaffirmant l'engagement pris au Sommet de Bucarest en 2008, l'Alliance s'engage à accueillir un jour la Géorgie en son sein, malgré les gestes d'intimidation de la Russie qui ne sont pas acceptables.

Mais ce sont des déclarations politiques et il n'y aura pas de changement spectaculaire. Tant que l'Alliance restera ferme à ce sujet et encouragera la Russie et la Géorgie à privilégier le dialogue pour résoudre leurs différends, cela montrera que l'Alliance n'a pas oublié ce dossier. Je ne m'attends pas à d'autres choses que des déclarations politiques sur l'ensemble de ces questions au Sommet.

Le sénateur Nolin : L'Arménie et l'Azerbaïdjan ont des frontières communes avec l'Iran et cela soulèvera des inquiétudes à Chicago.

M. Flanagan : Vous avez raison. Les Iraniens ont lancé une dangereuse et troublante campagne d'intimidation contre les Azéris. Ils ont signalé aux Israéliens qu'ils autoriseraient le survol de leur territoire si une action militaire était entreprise contre eux. Quelle que soit la situation, c'est inacceptable. L'Azerbaïdjan a été un important partenaire de l'OTAN en Afghanistan et ailleurs. Mais il est certain que l'on ne veut pas aller jusqu'à suggérer un engagement collectif de défense de substitution. J'espère que l'Alliance prendra bonne note de cette préoccupation, en particulier dans le cas de l'Azerbaïdjan. L'Arménie entretient de meilleures relations avec l'Iran. Je crois que l'Iran a accueilli de nombreux anciens patriotes arméniens influents qui contribuent à modérer la politique iranienne. Je crois comprendre que l'Arménie a une part de responsabilité, en raison de ses objections à certaines politiques azéries. Il faudra voir jusqu'où l'Alliance est prête à se rendre et pour le moment, je l'ignore.

Le sénateur Lang : J'aimerais orienter notre discussion vers la Russie. Vous avez dit dans vos commentaires que l'élaboration d'un partenariat de l'OTAN avec la Russie avait été ralentie en raison du manque de progrès dans le dialogue sur la défense antimissile, malgré la poursuite de la collaboration en Afghanistan.

Supposons que nous puissions résoudre la situation grâce à un dialogue sur la défense antimissile et la question de la Géorgie, ainsi que sur les autres questions en suspens, et que la Russie devienne partenaire de l'OTAN. Quels seraient d'après vous les changements qui interviendraient à l'OTAN si nous prenions cette direction et que les résultats se concrétisent?

M. Flanagan : Selon moi, c'est la partie la plus troublante des relations de l'OTAN que j'ai pu constater depuis quelques années, y compris dans le groupe d'experts avec lequel j'ai eu la chance de collaborer, groupe présidé par la secrétaire Albright et M. Van der Veer de Hollande, qui comprenait également votre ambassadrice Marie Gervais-Vidricaire dont la contribution s'est avérée extrêmement importante, en particulier dans le débat sur les partenariats.

La situation a été vraiment troublante, parce que les universitaires et penseurs russes à qui j'ai parlé ont été nombreux à me dire qu'il était ridicule de la part de la Russie d'entretenir des relations de confrontation avec l'OTAN et l'Ouest. En matière de sécurité et de stabilité, les préoccupations à long terme de la Russie portent sur l'empiétement de la Chine en Extrême-Orient, sur l'instabilité le long de cette frontière méridionale et peut-être sur l'augmentation des violences extrémistes le long de ces frontières méridionales et au nord du Caucase, du sud au nord. Voilà où se trouvent les défis de la Russie en matière de sécurité.

Pourquoi n'avons-nous pas été capables de tisser une relation plus coopérative comme celle que l'OTAN s'était engagée à élaborer depuis l'acte fondateur OTAN-Russie de 1995, alors que déjà en 1990, nous avions dit que l'Union soviétique n'était plus considérée comme un adversaire? Cela tient en partie à la politique. Les dirigeants russes actuels trouvent commode d'avoir un ennemi qui justifie l'utilité d'un leadership fort et le président Poutine et le parti Russie unie juge que c'est un outil pratique qui donne de bons résultats pour eux. C'est décourageant.

Cependant, nous pouvons continuer à espérer une évolution politique en Russie. Il y a en Russie beaucoup de gens sensés, des universitaires et des analystes que je respecte beaucoup, certains de ceux qui ont défilé dans les rues de Moscou au cours des derniers mois. Ces gens-là ne sont pas au gouvernement, mais supposons qu'un jour le pouvoir leur appartienne. Si la Russie changeait de direction et imitait les changements qu'a entrepris l'Allemagne entre 1949 et 1955 ou 1960 quand elle est devenue un des plus importants États membres de l'OTAN, peut-être que nous verrions l'OTAN se transformer en une organisation de sécurité collective plutôt qu'une organisation de défense collective. C'est difficile à imaginer actuellement, mais, à court terme, nous pourrions montrer à la Russie et au peuple russe, comme on avait souhaité le faire après le Sommet de Lisbonne, que la collaboration avec l'OTAN n'est pas une situation gagnant-perdant. En collaborant avec l'OTAN, la Russie n'a rien à perdre et l'Alliance n'en tire aucun avantage.

Il y a quelques semaines, nous avons pu apprécier l'ironie de la situation qui a amené le président Poutine et son ministre des Affaires étrangères Lavrov à défendre la collaboration de la Russie avec l'OTAN en Afghanistan lorsqu'ils ont annoncé que l'OTAN allait utiliser une base aérienne pour poursuivre l'acheminement des approvisionnements, affirmant que c'était dans l'intérêt de la Russie que l'OTAN soit présente en Afghanistan pour éviter que les problèmes en Asie centrale se répandent en Russie, et pour ralentir le trafic de drogue et contenir l'instabilité. Je crois que les dirigeants de l'OTAN aimeraient entendre d'autres déclarations en ce sens. Si l'on pouvait montrer que la collaboration en vue de stabiliser la situation en Afghanistan et de contenir l'instabilité en Asie centrale serait avantageuse pour la Russie, une défense antimissile coopérative pourrait alors être une façon de montrer à la Russie qu'elle pourrait disposer de son propre système en collaborant avec l'OTAN, la Russie disposant ainsi d'une défense coopérative au cas où l'Iran déciderait de doter ses missiles à grande portée de têtes nucléaires. Tous ces indices...

La présidente : Je ne sais pas si vous pouvez nous entendre. Nous essayons de rétablir la communication.

Voilà, on vous entend à nouveau. Je pense que nous avons été débranchés. Il nous reste quelques minutes. Nous allons essayer de terminer à 17 heures.

M. Flanagan : Je suis à votre disposition.

La présidente : Vous avez été coupé en plein milieu d'une phrase. Vous avez probablement perdu le fil de votre pensée.

Le sénateur Lang : Je vais aborder un autre domaine. Les notes que j'ai sous la main mentionnent la création par l'alliance de capacités modestes de gestion des crises civiles dans le but d'échanger plus efficacement avec les partenaires de l'alliance. Pouvez-vous nous en parler et nous expliquer comment cela fonctionnerait?

M. Flanagan : Monsieur le sénateur, les premiers partenaires de l'OTAN, les pays qui composaient ce qu'on appelait le partenariat pour la paix, avaient mis au point une série d'outils de coopération. Certains de ces pays comme la Roumanie et la Bulgarie, ainsi que certains États du Caucase en Asie centrale, sont devenus par la suite membres de l'OTAN. Ces outils devaient permettre une coopération limitée, des actions militaires combinées, des activités de formation, des exercices et d'autres activités de coopération, ainsi que l'échange des meilleures pratiques. Voilà quelques-uns des éléments qui ont aidé ces pays à collaborer de manière plus efficace ensemble pour trouver une solution à des enjeux communs en matière de sécurité. Les pays du partenariat pour la paix avaient l'impression d'avoir à leur disposition toute une gamme d'activités, un peu comme un menu. Pour les pays qui souhaitaient devenir membres de l'Alliance, c'était en quelque sorte comme un programme de formation.

Cependant, de nombreux pays souhaitaient maintenir des liens étroits avec l'OTAN, y compris certains États qui n'avaient pas l'intention de devenir membres. La Finlande et la Suède sont devenus des collaborateurs proches et la Suède a beaucoup contribué aux opérations en Libye. Ces pays souhaitaient avoir un plus grand accès à toutes ces activités et pratiques mises à leur disposition, mais les pays de la Méditerranée pouvaient aussi y avoir accès. Par exemple, Israël est un autre pays qui souhaitait entretenir des relations complètes avec l'OTAN, sans pour autant vouloir devenir membre. L'idée était de proposer cette approche plus souple à l'ensemble des partenaires et de mettre à leur disposition l'ensemble des outils en tablant sur la capacité de l'OTAN à tenir ses engagements, mais également sur la volonté du partenaire de participer.

Le document de Berlin avait pour objectif de démontrer qu'il était possible d'entretenir des liens plus solides avec un certain nombre de pays, y compris certains pays de l'Extrême-Orient. Comme je l'ai mentionné un peu plus tôt, il y avait une discussion, dans ce groupe de partenaires de base, au sujet d'environ 13 d'entre eux qui pourraient regrouper certains pays comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande qui sont devenus récemment d'importants contributeurs aux opérations militaires de l'Alliance. Il faudrait retenir les leçons que nous avons apprises, les pratiques communes et les habitudes de collaboration en vue de la prochaine crise, que ce soit en cas d'urgence maritime ou dans d'autres activités de maintien de la paix, afin de tirer parti des interactions que nous avons eues par le passé pour établir un ordre du jour visant à renforcer la collaboration au cours des années à venir.

Le sénateur Mitchell : On nous dit que le Canada a besoin de F-35 afin de faciliter l'intégration opérationnelle avec nos alliés de l'OTAN, les États-Unis, en particulier. Cependant, la défense intelligente, sujet que vous avez commenté oralement et par écrit, appelle une plus grande efficience des ressources de défense, entre autres grâce à la spécialisation. Peut-on y voir la possibilité que tous les partenaires de l'OTAN n'aient pas besoin d'être équipés du même type d'avion de combat et peut-être que nous ayons plus de latitude dans le choix de nos capacités techniques?

M. Flanagan : Sénateur Mitchell, non seulement j'en suis convaincu, mais en matière de spécialisation et de coopération régionale il a été question entre autres de la notion de modèle — par exemple, tous les pays d'Europe centrale n'ont pas besoin de disposer d'une force aérienne de première ligne. Plusieurs d'entre eux, comme la Pologne et quelques autres, ont décidé d'aller de l'avant et de faire l'acquisition de F-16. L'entretien de cette flotte s'est avéré très coûteux.

Certains pays, plutôt que d'essayer de se doter d'une petite escadrille, de quelques escadrons ou même d'une escadre d'avions de combat, pourraient acheter des aéronefs en commun et les réunir en un escadron ou en une escadre en bonne et due forme. Voilà, je pense, ce qu'envisage l'alliance lorsque nous parlons de spécialisation.

Il est évident que certains petits pays comme ceux de la Baltique n'ont pas constitué de forces aériennes. Ils ont dû avoir recours à ce que l'on appelle une mission commune de police aérienne à laquelle plusieurs gouvernements ont participé.

Voilà comment se présente la spécialisation, mais je pense que l'on s'attend à ce qu'un pays comme le Canada puisse se permettre d'entretenir des capacités aériennes dignes de ce nom et se doter d'un avion de combat de première ligne moderne et interopérable comme le F-35. Bien entendu, nous nous demandons nous-mêmes combien et quel type d'aéronef nous avons les moyens d'acheter. Je pense que l'on tient encore à maintenir à long terme une norme propre à l'OTAN dans certains de ces domaines clés et on estime que le F-35, comme le F-16 par le passé, est un bon choix pour garantir l'interopérabilité.

La présidente : Merci beaucoup. Vous nous avez fourni énormément d'informations en une heure. Cet arrangement a bien fonctionné. Nous vous remercions pour toutes les informations que vous nous avez données ainsi que pour les documents que vous avez rédigés sur le même sujet par le passé. Nous serons toujours intéressés à prendre connaissance des commentaires que vous voudrez bien nous faire parvenir.

Nous remercions M. Stephen Flanagan, de la chaire Kissinger en diplomatie et sécurité nationale, Center for Strategic and International Studies, qui nous parlait par vidéoconférence depuis Washington.

M. Flanagan : Merci, sénateur Wallin et tous les membres du comité, de m'avoir donné l'occasion de témoigner. J'espère que mes réponses n'ont pas été trop longues.

La présidente : Non, c'était très bien. Merci beaucoup.

M. Flanagan : Je vous en prie.

La présidente : Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense poursuit ses travaux. Comme nous l'avons mentionné plus tôt, nous allons maintenant changer de sujet et nous intéresser au monde très inquiétant de la cybersécurité.

Nous tous ici réunis et vous les téléspectateurs qui nous regardez, nous utilisons tous des ordinateurs; nous naviguons sur Internet, chez nous et au travail. De plus en plus, le monde des affaires, l'industrie, les gouvernements et les services publics sont branchés eux aussi. De nos jours, nous sommes tous des internautes et nous devenons de plus en plus dépendants de cette cyberconnexion.

Bien entendu, il y a un côté négatif à tout cela. Nous savons que les pays et les entreprises s'espionnent mutuellement et volent des secrets. Les cybercriminels exploitent Internet dans l'espoir de faire des gains financiers. Les pirates informatiques se conduisent comme des cybervandales et, par leurs attaques, ils visent la destruction et s'en prennent directement aux personnes, aux entreprises, aux infrastructures, aux gouvernements, et cetera.

Nous accueillons aujourd'hui trois experts qui viennent témoigner à titre personnel. Ils travaillent dans le secteur relativement nouveau du cyberespace et s'intéressent de près à la cybersécurité. J'espère qu'ils vont nous donner aujourd'hui des cyberconseils qui nous permettront de mieux comprendre combien nous sommes tributaires du cyberespace, quelles sont les menaces et ce que nous pouvons et devrions faire pour rendre le cyberespace un peu plus sécuritaire.

Permettez-moi maintenant de présenter nos invités. M. Jim Robbins est président d'EWA-Canada; Rafal Rohozinski est chef de la direction du groupe SecDev de consultation opérationnelle; et Dave McMahon représente aujourd'hui Bell Canada.

Merci à tous. Je suppose, messieurs, que vous souhaitez présenter des déclarations préliminaires. Monsieur McMahon, allez-y le premier.

Dave McMahon, expert en cybersécurité et défense, à titre personnel : Merci de m'avoir invité à venir témoigner aujourd'hui. Le sujet est plutôt vaste et complexe, mais je serai bref.

Le cyberespace est un système extrêmement complexe, un peu comme les systèmes météorologiques et les écosystèmes biologiques planétaires. Bientôt, la puissance de calcul d'Internet sera l'équivalent de celle du cerveau humain et acquerra la plupart des attributs des réseaux neurologiques. Pourtant, la plupart des gens et des organismes considèrent les ordinateurs comme un simple équipement de bureau, l'équivalent moderne de machines à écrire ou de téléphones et ils gèrent la cybersécurité de la même façon.

En fait, les vecteurs transformationnels du cyberespace sont ses effets stratégiques tels que les marchés, la convergence, la mondialisation, la géopolitique, la liberté d'information, la technologie perturbatrice et d'autres facteurs sociaux et technologiques. Nous avons déjà vu comment le cyberespace a pu induire le changement politique au Moyen-Orient, dans le cadre du printemps arabe, alimenter le militantisme politique, faciliter la perturbation des programmes d'armes nucléaires et s'implanter avec succès dans les campagnes militaires russes et l'espionnage chinois.

Bien entendu, les effets positifs ne sont pas négligeables. C'est le cas notamment de « l'externalisation ouverte » pour trouver une solution aux graves problèmes d'aujourd'hui, des communications omniprésentes et de la reprise des activités après une catastrophe. Le cyberespace est un système nerveux qui relie toutes les infrastructures capitales au Canada aujourd'hui. Les télécommunications, les finances et l'énergie sont tributaires du cyberespace.

Au Canada, plus de 174 milliards de dollars sont échangés chaque jour sur les réseaux. Le rendement et le volume du réseau, ainsi que la rapidité des transactions sont interdépendants, et notre économie est éminemment sensible aux perturbations ou aux cyberactivités malveillantes, et ce, de façon mesurable. Pourtant, certains secteurs du cyberespace continuent d'être hautement contestés.

Le cyberespace fait partie intégrante des réseaux hostiles de renseignement militaire et des réseaux criminels et terroristes. On estime que 5 à 12 p. 100 des Canadiens sont victimes de cyberattaques. La plupart des gens n'en ont absolument pas conscience, en raison du caractère subreptice des menaces complexes et persistantes.

Avant d'être bloqués, 95 p. 100 de tous les courriels sont des pourriels malveillants. Les attaques de services administratifs et le cyberespionnage sont pratiques courantes, et Internet facilite également l'exploitation des enfants, la radicalisation, le montage et la transformation de certaines opérations à l'échelle mondiale.

Cela étant dit, la cybersécurité et la vie privée sont en équilibre homéostatique : on ne perd pas la bataille, mais on ne la gagne pas non plus. Tout dépend de ce que les gens sont prêts à payer, compte tenu de leur perception du risque. Le système s'équilibre de lui-même. Les experts savent comment accroître la sécurité d'Internet. Ce n'est pas vraiment une question de technologie ou d'argent, mais plutôt de banalisation continue des services Internet, dans le sens que les cultures organisationnelles traditionnelles nuisent aux ressources par leur façon de traiter la technologie de l'information. Dans la plupart des organisations, l'informatique est considérée comme une contreculture.

Les problèmes complexes comme celui de la cybersécurité requièrent des solutions qui sont à la fois hautement techniques et élégantes. Nous avons besoin d'un modèle opérationnel commun solidement fondé sur des données empiriques. Nous avons besoin d'une stratégie de cyberdéfense proactive — amalgame de tous les secteurs principaux de compétence des spécialistes en sciences sociales, des ingénieurs, des criminologues, des diplomates, des militaires, des analystes et des universitaires; de l'influence des grandes entreprises et du gouvernement; et des exigences en matière de sécurité et de protection de la vie privée d'une société informée.

Rafal Rohozinski, chef de la direction, SecDev Group, à titre personnel : Je remercie les sénateurs et membres du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense de me donner l'occasion de comparaître et de présenter mes commentaires sur ce sujet de la plus grande importance. C'est la première fois que je comparais devant un comité parlementaire au Canada alors que j'ai déjà été invité trois fois aux États-Unis, ce qui donne une idée du retard que nous avons accumulé dans ce domaine particulier. L'émergence du cyberespace, véritable cinquième domaine stratégique au même titre que la terre, l'air, l'espace et la mer, a un effet transformateur sur tous les aspects de la vie au Canada et dans le monde. Votre comité a véritablement fait preuve de clairvoyance en décidant de se pencher sur cette question à un moment transformateur et peut-être constitutif de l'histoire du cyberespace.

Depuis 20 ans, Internet a plus que doublé de taille chaque année. À l'heure actuelle, il englobe plus du tiers de l'humanité. Avec la révolution parallèle du téléphone cellulaire, dans 10 ans, tous les humains vivant sur notre planète seront reliés d'une manière ou d'une autre au cyberespace. Cette révolution a précipité les effets transformateurs qui dépassent ceux des autres révolutions médiatiques précédentes, imprimerie, télégraphie, radio et télévision combinées.

En outre, cette révolution n'est pas menée par des États, mais par le secteur privé et même par des individus. Parallèlement à la montée de la technologie et à notre dépendance à son égard, on assiste à la montée en puissance de l'individualité qui s'exprime de milliers de façons différentes. Au Moyen-Orient, le printemps arabe a été propulsé par deux facteurs principaux : des individus de moins de 25 ans bercés depuis l'enfance dans l'univers impassible d'Internet et de la télévision par satellite; et les technologies des médias sociaux et de la communication en ligne qui leur permettent de penser, de communiquer et d'agir avec une rapidité qui l'emporte sur les capacités des organismes de sécurité étatiques.

L'habilitation que confère le numérique, force qui a propulsé des changements sociaux positifs que l'on attendait depuis longtemps, est également responsable des émeutes éclairs qui se sont déroulées à Londres l'été dernier, et des nombreuses autres nouvelles formes d'activisme politique en ligne illustrées par des groupes de pirates informatiques clandestins comme « anonymous » et autres. En fait, la hausse mondiale de la cybercriminalité est le côté sombre de cette même habilitation rendue possible par le cyberespace. À proprement parler, si l'on veut comprendre l'essence même de la cybercriminalité, on doit se rendre compte qu'il est beaucoup plus facile d'escroquer en ligne le compte en banque de quelqu'un à Toronto plutôt que de voler une poignée de billets dans les bas quartiers de Katharinaberg, les favelas du Brésil ou les bidonvilles de Lagos. Un peu comme les contrebandiers à l'époque de la prohibition, les cybercriminels peuvent s'adapter plus vite et tirer parti de la situation plus efficacement que les forces de police locales. C'est ainsi que le réseau planétaire se substitut à l'autorité nationale. À l'heure actuelle, tous les gouvernements nationaux, les organismes internationaux d'application de la loi et les organes de réglementation sont dépassés et incapables de se mettre à la hauteur de la tâche. À l'époque de la prohibition, le FBI avait été en mesure de créer une force policière nationale capable de s'attaquer aux problèmes de la contrebande. En revanche, il est peu probable que nous voyions de notre vivant la création d'une cyberpolice mondiale.

Ce tsunami de la cybercriminalité a des conséquences stratégiques pour la sécurité et la défense nationale du Canada et dans l'ensemble du cyberespace. Ce phénomène a été très bien exposé dans des rapports préparés dans le cadre du programme d'excellence en cyberscience et technologie de Recherche et développement pour la défense Canada, rapports qui devraient être mis à la disposition du comité et de l'ensemble des Canadiens, à titre de documents publics. Le cyberespace est devenu un domaine de concurrence stratégique. Récemment, un haut représentant militaire chinois a déclaré que la militarisation du cyberespace représentait à l'ère numérique ce qu'étaient les armes nucléaires à l'ère de la guerre industrielle. Ce constat brutal montre bien que les Chinois ont compris avec justesse que le cyberespace est un point d'articulation central, stratégique qui promet l'accès à la parité stratégique et même sans doute à l'avantage stratégique.

Il y a quelques années, notre groupe a participé avec le Département de la défense des États-Unis, à un exercice visant à évaluer l'importance stratégique du domaine cybernétique. On avait posé aux cadres du Département de la défense la question suivante : Pourrions-nous mener aujourd'hui une opération aussi complexe que le débarquement en Normandie, à l'aide du personnel et des ressources existantes? La réponse fut négative, étant donné que des groupes entiers de personnel, des pans de capacités et des ressources de formation ont été remplacés par des machines et des systèmes d'information — les mêmes cybersystèmes qui sont devenus la cible de nos pairs-concurrents.

Plus inquiétant encore, il est possible de participer à la cybercourse aux armements sans débourser les milliards de dollars nécessaires à la construction d'un F-35 et au maintien d'une force expéditionnaire déployable. De très petits groupes, composés parfois d'une poignée de personnes, peuvent provoquer des effets de masse. On peut affirmer que les capacités les plus novatrices en matière de cyberguerre ne sont pas mises au point dans des laboratoires aux États-Unis, au Royaume-Uni ou en Australie, mais sont le résultat de l'énergie créative puisée dans le marché de la cybercriminalité par les cyberpuissances les plus improbables du monde, sous la contrainte ou moyennant récompense. Les réseaux sur lesquels nous nous reposons actuellement ont été construits pour offrir une bonne résilience plutôt que pour garantir notre sécurité. La concurrence commerciale qui a donné naissance à de merveilleux produits comme Windows, Google, Apple et les autres, a également créé un environnement offrant une cible idéale aux adversaires rusés qui sont prêts à l'exploiter.

Toutefois, la sécurité ne se définit pas uniquement en termes militaires et ne peut être obtenue par un renforcement de nos lois, l'octroi de plus de pouvoirs aux forces de police ou la traque des cybercriminels. La sécurité est également la capacité du Canada et de ses alliés à protéger nos valeurs et à appliquer mondialement des normes qui soutiennent la dignité humaine, le droit de choisir et le pouvoir des individus de contraindre leurs gouvernements et leurs institutions à leur rendre des comptes. À ce titre, notre capacité à préserver l'accès libre du cyberespace est peut-être aussi importante que notre capacité à le sécuriser.

Le cyberespace tel que nous le connaissons est menacé. Des pays comme ceux qui appartiennent à l'Organisation de coopération de Shanghai ainsi que d'autres qui ont des visées moins démocratiques, ont tendance à considérer la réimposition des frontières nationales dans le cyberespace comme une chose positive. Cependant, leurs raisons ne sont pas nécessairement celles qui pourraient nous sembler valides — soit la protection du cyberespace intérieur contre les crimes malveillants, mais plutôt la volonté de priver leurs citoyens du droit à l'information et à la libre expression. Des pays comme la Chine, l'Iran et la Syrie réclament des normes mondiales qui leur permettraient d'imposer une censure permanente et de la justifier sur la base de la sécurité nationale. Ces pays ne sont pas animés par un désir de protéger leurs populations des méfaits que subissent les enfants victimes de prédateurs, mais cherchent plutôt à empêcher leurs citoyens d'exercer leurs droits démocratiques et d'exiger des comptes de la part de leurs dirigeants.

Un rideau numérique est en train de se constituer. Contrairement au rideau de fer qui était une émanation de l'idéologie des autres, ce rideau est constitué par nos propres insécurités, la peur du crime et des actes de prédation dont sont victimes les enfants, ainsi que par la protection de nos droits à la propriété privée. Par conséquent, il est capital que le Canada ne se concentre pas sur la cybersécurité avec des œillères, mais qu'il considère plutôt et de façon plus large les impératifs d'une stratégie d'engagement dans le cyberespace. Cette stratégie doit au minimum tenir compte de trois facteurs : Premièrement, reconnaître le caractère stratégique central du cyberespace et lui accorder la même importance qu'à la sécurité nationale. Le cyberespace mérite au niveau politique et budgétaire un niveau d'attention égal à son importance vis-à-vis de notre mode de vie, de nos valeurs et de notre compétitivité dans l'économie mondiale.

Deuxièmement, il faut trouver le juste équilibre entre la sécurité intérieure et les impératifs visant à garantir que le cyberespace demeure un espace commun à l'échelle mondiale et que nos valeurs et nos normes — préservation de la dignité humaine, du droit à la libre expression et du droit d'exiger des comptes de la part de détenteurs de charges publiques — demeurent accessibles en tant que normes universelles.

Troisièmement, nous devons reconnaître que nous sommes arrivés à un moment charnière de l'histoire. La politique tend vers l'enfermement du cyberespace. Le moment est venu pour le Canada de se démarquer. Le Canada est un pays qui s'est bâti, d'un océan à l'autre, grâce aux télécommunications. Nous pouvons et nous devons être le premier pays du cyberespace. Si nous négligeons cette possibilité, nous serons non seulement relégués au second plan, voire au rang d'une puissance mineure, mais nous serons également dépouillés de notre base industrielle, ce qui serait l'équivalent de perdre une fois encore un Avro Arrow.

Enfin, il est important de reconnaître que les effets transformateurs de la cyber-révolution seront aussi vastes que ceux de l'imprimerie, la révolution de Gutenberg, mais l'impact de cette transformation demeure dans la balance. Le cyberespace continuera à augmenter le pouvoir des individus à un rythme plus grand et plus rapide que n'importe quelle autre révolution technologique, ou il sera étouffé sous le poids de la réglementation et de la répression menant à un monde cloisonné par des murs, des barrières et des barrages numériques.

La présidente : Nous avons entendu la semaine dernière un témoignage du ministre de la Défense et du CEMD sur le même sujet. En fait, c'est parfait puisqu'ils disposent désormais d'un frappeur désigné dans le secteur de la cyberpatrouille. Monsieur Robbins, la parole est maintenant à vous.

Jim Robbins, président, EWA-Canada, à titre personnel : Madame la présidente et honorables sénateurs, mes commentaires seront brefs.

Je vous remercie de m'avoir invité à venir témoigner aujourd'hui. Nous travaillons dans le domaine de la cybersécurité depuis environ une quinzaine d'années. J'ai préparé une déclaration que j'aimerais vous lire.

J'aimerais vous entretenir aujourd'hui de la capacité de plus en plus réduite, au Canada, de donner aux secteurs névralgiques des conseils sur les produits et les systèmes de technologie de l'information disponibles pour protéger notre infrastructure cybernétique et les renseignements personnels. Ces secteurs névralgiques sont, notamment, la sécurité nationale, la défense et les exploitants d'infrastructures essentielles comme les entreprises de télécommunications, les fournisseurs d'électricité, les entités financières, les établissements de santé et les entreprises commerciales.

Au début des années 1990, le Canada a établi ses propres normes en matière de technologies de l'information (TI) afin d'évaluer les produits de sécurité et de veiller à ce que nos données et notre infrastructure soient protégées, comme les fournisseurs de produits le garantissent. Des normes semblables ont été établies aux États-Unis et en Europe. En 1993, on a commencé à travailler, sur le plan international, à l'élaboration d'un ensemble de normes communes appelées les critères communs, pour évaluer les produits de sécurité des TI. Sept ans plus tard, en mai 2000, un accord de reconnaissance mutuelle fondé sur les critères communs a été signé par 13 pays : le Canada, l'Australie, la Finlande, la France, l'Allemagne, la Grèce, l'Italie, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, l'Espagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et les États-Unis.

Aujourd'hui, l'Accord de reconnaissance mutuelle fondé sur les critères communs compte 26 pays signataires et les nations qui utilisent cette norme sont plus nombreuses encore. Plus de 1 700 certificats ont été fournis par les 16 schémas nationaux qui ont des autorités de certification et des laboratoires accrédités. Le degré de confiance accordé à chaque produit est caractérisé par un niveau d'assurance EAL, dont la cote varie de un (cote la plus faible) à sept (cote la plus élevée). L'Accord de reconnaissance mutuelle s'applique à tous les produits dont le niveau d'assurance est de EAL 4. Environ 700 produits ont la certification EAL 4.

L'OTAN a adopté cette norme. Plusieurs gouvernements l'imposent pour l'acquisition de produits de sécurité destinés aux réseaux gouvernementaux, tandis que certains pays ont étendu davantage la portée de cette norme, par exemple en offrant des mesures d'incitation fiscale afin d'encourager le secteur privé à utiliser des produits évalués. En résumé, les critères communs sont considérés comme la norme nationale pour évaluer la sécurité de ce type de produits.

Les critères communs sont utilisés de plus en plus et s'appliquent désormais aux compteurs intelligents installés dans les réseaux électriques, aux puces utilisées dans les passeports électroniques et aux nouvelles cartes de crédit et de débit, aux titres de compétences des professionnels de la santé et aux composantes essentielles du secteur des télécommunications.

Cependant, avec les années, la promotion des intérêts canadiens en regard des critères communs a diminué, le rôle et les mandats de différents ministères ayant été resserrés. Le changement le plus radical s'est produit au cours des 12 derniers mois. Ce changement est la conséquence d'une initiative américaine visant à limiter les évaluations selon les critères communs au niveau le plus bas possible, soit EAL 1, qui, malheureusement, n'est rien de plus qu'une évaluation que l'on pourrait lire dans un magazine.

Le Canada et trois autres pays anglophones — l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni — ont emboîté le pas aux États-Unis. La majorité des pays de l'OTAN n'ont pas suivi l'approche américaine, car les normes appliquées pour les produits destinés à l'OTAN et à d'autres infrastructures essentielles exigent un niveau beaucoup plus élevé que le niveau minimum d'assurance.

Le Centre de la sécurité des télécommunications Canada, qui dirige le programme canadien et l'organisme de certification et agit à titre de représentant du gouvernement du Canada auprès de l'organe directeur des critères communs, a également restreint ses certifications aux seuls produits utilisés par le gouvernement canadien. Malheureusement, aucun autre ministère ne s'est vu confier la responsabilité d'assurer la sécurité et de certifier les produits reliés au secteur financier, au commerce électronique, aux soins de santé, aux administrations locales, aux secteurs des infrastructures essentielles déjà mentionnés et aux citoyens canadiens. Considérant l'approche des homologues internationaux du Canada, qui appuient l'application de la norme définie dans les critères communs à tous les secteurs qui touchent le citoyen moyen, il s'agit d'une lacune grave qui prive les Canadiens de services qui leur sont dus.

Les conséquences de ces changements récents se font également sentir chez les fournisseurs canadiens de produits de sécurité qui veulent vendre leurs produits à l'OTAN et sur d'autres marchés internationaux, chez les personnes chargées des achats qui aimeraient pouvoir identifier les produits qui répondent le mieux aux besoins de leurs clients, chez les consommateurs qui veulent avoir l'assurance que les produits vendus au Canada répondent aux normes les plus élevées, et non aux normes minimales utilisées actuellement par les gouvernements américain et canadien, et chez les laboratoires canadiens qui effectuent l'évaluation de ces produits.

En résumé, le Canada dispose des capacités, de l'infrastructure et des compétences au sein du gouvernement et de l'industrie pour offrir un meilleur service qu'actuellement. Il manque seulement la volonté nationale.

La présidente : Merci pour votre déclaration préliminaire. Monsieur McMahon, je ne l'ai pas indiqué au départ, mais j'aimerais préciser que vous êtes ici pour nous faire bénéficier de vos compétences et pas vraiment pour vous prononcer au nom de Bell Canada. Je voulais que ce soit clair pour tout le monde.

Chers collègues, il serait préférable que vous posiez vos questions à un témoin particulier afin d'éviter de nous disperser dans différents sujets.

Le sénateur Lang : Je souhaite la bienvenue aux invités que nous accueillons ce soir. Pour les consommateurs et les autres personnes, il s'agit d'un domaine complètement nouveau, relativement parlant, qui touche la sécurité et les moyens pour la faire respecter dans le cyberespace.

Je vais peut-être poser cette question à M. Robbins. Pouvez-vous nous dire dans quelle mesure un consommateur qui utilise Internet pour faire toutes ses opérations bancaires est vulnérable. Quel est le degré de sécurité dont bénéficie ce consommateur pour effectuer ses opérations bancaires et bénéficie-t-il d'une protection totale de sa vie privée?

M. Robbins : Je pense que vous avez posé deux questions, l'une sur la sécurité et l'autre sur la protection de la vie privée. Au bout du compte, rien ne peut empêcher quelqu'un d'obtenir vos informations personnelles s'il le souhaite vraiment. Combien sommes-nous prêts à investir pour nous protéger de cela?

Les appareils que nous utilisons, les téléphones intelligents, Apple, BlackBerry ou autres, nous aident à déterminer le niveau de sécurité et de protection de la vie privée que nous souhaitons. J'utilise ces appareils, mais mon compte en banque n'est probablement pas aussi garni que le vôtre, aussi le tout est de savoir combien nous voulons protéger. Combien êtes-vous prêt à payer pour obtenir cette protection? Je crois que la question se limite à cela.

Pour un consommateur moyen, je pense qu'il n'y a pas de problèmes. Par contre, ce n'est plus du tout la même chose quand on parle des actifs nationaux.

Le sénateur Lang : Passons à un autre domaine. Nous avons une stratégie en matière de cybersécurité. C'est tout au moins ce qu'on nous a dit. J'aimerais connaître votre opinion sur cette stratégie en matière de cybersécurité et savoir ce que vous proposeriez pour l'améliorer ou pour modifier les façons de procéder.

M. Robbins : Je ris, parce que j'ai pris part à l'élaboration des premières ébauches de la stratégie, en 1999. Depuis, je n'ai constaté aucun progrès. Nous avons une stratégie parce qu'il faut avoir une stratégie. Je ne pense pas que nous ayons produit quoi que ce soit d'important depuis une décennie pour améliorer la position du Canada en matière de cybersécurité.

Le sénateur Day : Je vais demander à M. Rohozinski de commenter un peu plus les trois points qu'il a soulevés. Si j'ai bien compris vos observations, il est important de conserver une ouverture. Vous craignez un empiètement et peut-être l'application ici de certains règlements adoptés par différents pays. Pouvez-vous donner des précisions au sujet de ce rôle? Il y a de plus en plus de violations et de gens rusés qui essaient toutes sortes de choses et qui peuvent nous suivre à partir de nos téléphones. De nos jours, nos téléphones cellulaires permettent de savoir où nous sommes, même quand nous ne les utilisons pas. Il y a des réseaux internationaux de jeux de hasard. Ces activités ne sont pas jugées désirables d'un point de vue communautaire et c'est pourquoi on les a éliminées petit à petit. Les violations du droit d'auteur sont très nombreuses. Est-ce que la surveillance sur Internet s'applique au niveau des consommateurs? Quel ensemble de règles serait acceptable selon vous pour maintenir cette ouverture tout en permettant de répondre à ces questions de sécurité et d'éliminer les activités qui ne sont pas acceptables pour notre société?

M. Rohozinski : D'une certaine manière, vous avez répondu à la question en signalant que nous devons commencer à considérer le cyberespace comme un domaine stratégique plutôt que de nous contenter de proposer des réactions techniques à des symptômes que nous considérons comme une plaie sociale. Si toute notre énergie sert à définir le cyberespace comme un outil de criminalité, il est clair que nous concevrons des façons de réagir, sans nécessairement reconnaître comment le cyberespace s'intègre dans notre vie en tant que pays, sur le plan économique, le plan politique, et cetera.

Pour revenir à la question posée par le sénateur précédent, je dirais que les chiffres sont beaucoup plus parlants que n'importe quoi. Le Canada a consacré 95 millions de dollars en trois ans à une stratégie du cyberespace, alors que le Royaume-Uni lui a consacré 650 millions de livres. Les États-Unis dépensent entre 50 et 90 milliards de dollars. Cela donne une idée de l'importance que ces pays accordent à ce qu'ils considèrent comme un espace concurrentiel véritablement stratégique dans une perspective de sécurité nationale, chose que le Canada ne fait pas.

Le problème est en partie politique et générationnel. On ne peut pas mettre en place une cyberstratégie tant que l'on ne comprend pas au niveau politique qu'il s'agit d'une question stratégique. Si l'on tente de régler cette question au cours de réunions interministérielles et dans le cadre d'examens budgétaires, on aboutira à la fameuse balançoire construite par un comité, une balançoire équipée de trois cordes qui passerait au travers de l'arbre. C'est en partie le problème auquel nous sommes confrontés ici.

Selon moi, si nous reconnaissons que le cyberespace est un domaine stratégique, nous devons définir clairement nos priorités stratégiques. À ce propos, nous reconnaîtrons peut-être que le prix à payer pour disposer d'un cyberespace ouvert, contigu et mondial, qui nous permette de communiquer nos normes et nos valeurs et de les défendre à l'échelle mondiale, c'est d'accepter l'existence d'une criminalité en ligne. Nous devons reconnaître que les lois et les forces de police nationales dont nous disposons n'empêchent pas l'existence de la criminalité dans notre réalité quotidienne. Pourquoi serait-ce différent dans le cyberespace?

Le sénateur Day : D'où viendra l'initiative? Pensez-vous que les gouvernements vont se regrouper à l'échelle internationale pour définir ces normes ou, comme vous et vos collègues l'avez suggéré aujourd'hui, l'industrie a-t-elle un rôle à jouer pour rassembler ceux qui sont intéressés à contribuer à l'élaboration des normes?

M. Rohozinski : À l'échelle mondiale, je ne pense pas qu'il serait possible d'obtenir un consensus entre les gouvernements, parce que chaque gouvernement définit de manière différente la sécurité dans le cyberespace. Lorsque nous définissons la « cybersécurité », nous pensons à la protection des réseaux qui autorisent nos activités commerciales. Lorsque les Chinois parlent de sécurité dans le cyberespace, ils ont plutôt en tête les mesures qui leur permettent d'empêcher les groupes d'opposition de se mobiliser contre le pouvoir central. Pour cette simple raison, il sera impossible d'obtenir un consensus international.

Quand j'utilise l'expression « au niveau politique », j'entends « au niveau national ». Nous devons élever la question du cyberespace de la cybersécurité à la cyberpolitique. Le Canada doit préciser les limites de son programme d'échange avec l'étranger. Le cyberespace appartient tout autant à ce programme que le contrôle des minéraux, du commerce, de l'immigration et de tout autre aspect. Pourtant, on n'en parle jamais à ce niveau.

Cela s'explique très facilement pour des raisons générationnelles. Il y a cinq ans, si nous avions discuté du cyberespace en comité, le commis parlementaire de 23 ans qui aurait lu les romans de William Gibson aurait probablement été le seul à savoir ce qu'était le cyberespace. Or, aujourd'hui, nous en parlons dans cette auguste assemblée. C'est nouveau. C'est difficile à comprendre. Le cyberespace n'est pas une notion que l'on peut expliquer facilement à des électeurs de Corner Brook, à Terre-Neuve, ou de Lethbridge, en Alberta. Comment leur expliquer ce que représente la perte du cyberespace? C'est impossible. Pour un politicien, c'est une proposition risquée et pourtant, au niveau national, c'est probablement le domaine le plus crucial qui soit encore actuellement dans le flou.

Le sénateur Plett : Ma question s'adresse à M. McMahon. Le sénateur Lang a déjà posé en partie la question que je voulais vous soumettre, mais je vais aller un peu plus loin sur le même sujet. Je veux savoir exactement comment je peux me protéger. De nos jours, je fais tout en ligne. Je fais des achats en ligne, sur eBay et kijiji. Aujourd'hui, j'ai acheté en ligne une moto hors route pour mon petit-fils. Tout se passe en ligne. J'utilise ma carte de crédit en ligne. Comment faire pour me protéger?

Je vais poser tout de suite ma deuxième question. Combien d'activités malveillantes sont signalées et combien ne le sont pas? Cela fait deux questions, mais quelle est la proportion d'activités malveillantes qui sont signalées et comment puis-je me protéger lorsque j'utilise ma carte de crédit en ligne?

M. McMahon : Je vais d'abord répondre à votre deuxième question. Nous disposons de très bonnes statistiques à ce sujet. Pour les comptes rendus, il suffit de consulter les appels au centre de soutien technique, les courriels envoyés aux équipes de réaction aux incidents en informatique, et ensuite nous pouvons les comparer au taux d'opérations malveillantes que nous constatons, plutôt qu'aux incidents informatiques.

Moins d'une fraction de 1 p. 100 des activités sont signalées. En fait, la plupart des signalements concernent les appels au centre de soutien technique d'internautes qui se plaignent que leur connexion est lente, alors qu'en fait c'est leur ordinateur ou leur réseau qui est infecté. La grande majorité des attaques, des compromissions et des prises de contrôle d'ordinateurs passent totalement inaperçues. C'est tout à fait voulu, parce que la plupart des criminels ne veulent pas être repérés et préfèrent agir de façon clandestine. On les détecte quand l'ordinateur ralentit ou est moins performant, ce qui n'est pas une bonne façon de lutter contre la criminalité.

Comme je l'ai déjà mentionné, environ 5 à 12 p. 100 de la population canadienne fait l'objet d'activités malveillantes. C'est un chiffre généralement reconnu par l'industrie. Dans le cas du pourriel, la grande majorité de ces messages, soit 98 p. 100, sont du pourriel et sont plus ou moins bloqués. Au bout d'un certain temps, les choses finissent par se tasser et la situation est assez stable depuis quelques années.

Il faudrait ajouter à la première réponse qu'il s'agit là de Canadiens moyens. Les grandes sociétés, les banques et les institutions financières sont beaucoup mieux placées sur le plan de la sécurité, étant donné qu'elles peuvent appliquer des politiques, des règles et des systèmes de sécurité plus stricts.

À notre époque, les façons les plus efficaces de se protéger consistent probablement à appliquer les programmes de correction des logiciels et à effectuer des mises à jour automatiques des ordinateurs. L'autre moyen le plus efficace se situe sur le plan opérationnel, dans la façon dont vous migrez et selon les sites que vous consultez sur Internet. Vous pouvez avoir des coupe-feu antivirus et des dispositifs de contrôle technique, mais la plupart de ces moyens ne sont pas à la portée des citoyens moyens. En fait, ils ne sont pas tant efficaces que soucieux des sites où vous allez naviguer.

Si vous êtes vraiment paranoïaque, vous pouvez vous servir d'un ordinateur pour faire vos opérations bancaires et vos travaux importants et d'un autre ordinateur, comme un iPad, pour naviguer sur Internet. Ainsi, vous gardez ces deux activités séparées. Cela me paraît être la solution la plus efficace.

M. Robbins : Nous avons constaté qu'un grand nombre d'incidents majeurs ne sont jamais signalés. Il n'existe aucun organisme qui puisse recevoir ces comptes rendus et les colliger dans le contexte canadien. Nous sommes le seul pays du G8 qui ne dispose pas d'un bureau capable de recevoir ces comptes rendus, de les analyser et d'en faire rapport à un groupe comme votre comité. Si l'on en croit les incidents qui ont été notés ces dernières années et les appels que nous avons reçus, le nombre de compromissions majeures de grandes entreprises a augmenté considérablement. Certaines de ces attaques étaient d'une telle ampleur que nous n'avons pu mobiliser les effectifs suffisants pour rebâtir leur réseau. Ce genre d'événement a augmenté considérablement.

Le sénateur Dawson : Le sénateur Plett et moi-même avons eu le plaisir de siéger à un comité qui avait réclamé un programme numérique pour le Canada il y a quelques années. Notre comité était parvenu à la conclusion que vous avez exprimée un peu plus tôt. Après avoir été à l'avant-garde pendant de nombreuses années dans le domaine de la télégraphie et de la téléphonie, nous nous situons au mieux au milieu du peloton en termes de politique numérique. La France dispose d'un plan de passage au numérique; la Grande-Bretagne aussi. Dans certains cas, cela s'est passé il y a huit ou neuf ans. Le Canada n'a toujours pas de plan national pour le numérique.

Cela étant dit, l'Estonie est probablement un des pays les plus avancés au niveau de l'Internet. Les membres du cabinet se réunissent avec leurs ordinateurs. Le problème, c'est qu'ils sont également les plus vulnérables. Comme vous le savez, ils ont été victimes d'attaques en 2006 ou 2007, après quoi, la Corée a elle aussi été attaquée en 2009 ou 2010. On entend parler de la plupart de ces attaques seulement beaucoup plus tard. Aucun pays ne veut admettre que son secteur bancaire est attaqué, car il ne veut pas avouer sa vulnérabilité. Comment obtenir cet équilibre? Vous dites que le Canada accuse un retard. Qui en est responsable? Est-ce le ministère des Finances ou Industrie Canada? Je me demande sous quel angle on devrait aborder ce problème. On reconnaît désormais qu'il n'y a pas de culture numérique au Canada. Qui devrait s'en occuper? Les provinces ou le gouvernement fédéral? Vous avez dévoilé le problème devant nous. Quelle est la solution que vous proposez?

M. Rohozinski : Permettez-moi de vous informer que je suis le président du conseil des gouverneurs de l'Académie estonienne de cybergouvernance qui a été fondée dans le but de faciliter le processus de conversion généralisée de l'Estonie au numérique. L'auteur de l'avant-projet de la réforme du secteur public en Estonie est un Estonien qui a étudié à l'Université McGill et qui s'est inspiré des premières réflexions au sujet de l'instauration d'un gouvernement électronique au Canada. Tout cela pour vous montrer que nous étions à l'avant-garde, mais que nous nous sommes fait dépasser par d'autres pays.

Vous nous posez un problème difficile et cela nous ramène au commentaire que j'ai formulé un peu plus tôt. Tant que l'on ne comprend pas le cyberespace sous l'angle politique, qu'il se situe au centre de notre économie, tant qu'on ne sera pas en mesure de le quantifier en des termes que les politiciens puissent comprendre, en termes d'emplois et de sécurité, il est difficile d'atteindre un degré où cela devient un élément moteur.

Dans l'idéal, l'approche que nous devrions choisir serait probablement un mélange de ce qui s'est passé aux États- Unis et au Royaume-Uni où la responsabilité du numérique est confiée à un responsable au niveau du cabinet, un coordinateur central qui est habilité, tant d'un point de vue politique que budgétaire, à intervenir dans tous les secteurs du gouvernement, dans le but d'établir une stratégie cybernétique.

Remarquez que j'ai utilisé le mot « cybernétique » et non pas le terme « cybersécurité », puisqu'il ne s'agit pas uniquement de cybersécurité. Voilà comment la cybernétique est utilisée, par exemple dans les politiques du Département d'État qui prévoit désormais l'étendre à toutes ses activités. De la même manière, la cybernétique est intégrée désormais au commandement opérationnel du Département de la défense. C'est de cette façon que la cybernétique est perçue et utilisée par le secrétaire du trésor et le Département du commerce afin de définir la position concurrentielle des États-Unis et elle entre également dans les discussions avec des pays comme la Chine et autres. Tout cela est inexistant ici. C'est une responsabilité fédérale, mais elle doit véritablement être établie à un niveau politique élevé où l'on a conscience de son importance et une bonne compréhension de la question.

Le sénateur Lang : J'aimerais continuer à parler de cybernétique et poser une question en complément de celle du sénateur Dawson.

Le sénateur Dawson : C'est ce qu'on appelle du cybertourisme.

Le sénateur Lang : Je veux poursuivre dans la même direction, étant donné que j'ai trouvé vos commentaires intéressants. Vous avez dit que, tant que nous ne reconnaîtrons pas l'importance de la cybernétique d'un point de vue politique, nous maintiendrons probablement le statu quo avec une certaine diversification, étant donné que les choses évoluent.

D'un point de vue politique, si vous étiez le gouvernement aujourd'hui — pour poursuivre dans la même direction que le sénateur Dawson — quelles seraient les actions que vous prendriez, à part prévoir un budget et créer un poste de ministre? Ce ministre serait-il chargé uniquement de la cybernétique ou aurait-il d'autres responsabilités?

Quelle serait la portée de vos responsabilités dans un monde idéal, si vous étiez ministre?

M. Rohozinski : La question est intéressante pour deux raisons. Premièrement, il faut reconnaître que la gouvernance du cyberespace, ainsi que l'exploitation de l'infrastructure, existent dans le secteur privé. Dans une certaine mesure, le rôle du gouvernement doit être aussi stimulant et il doit renforcer le rôle de l'industrie afin qu'elle soit en mesure de se coordonner elle-même en offrant un leadership approprié et aussi de s'autoréglementer.

Bell Canada, Nortel, RIM, sont des champions. Ce sont des champions mondiaux que nous avons laissés essentiellement péricliter pour diverses raisons y compris pour des raisons d'espionnage comme on a pu s'en rendre compte récemment dans le cas de Nortel. Une bonne façon pour les politiciens d'expliquer le problème aux Canadiens consisterait à exposer les conséquences des infractions cybernétiques et les traduire en termes de pertes d'emplois.

Il ne faut pas oublier les conséquences que le cyberespionnage a eues, par exemple sur la vente de potasse en Saskatchewan ou sur le déclin de chefs de file mondiaux comme Nortel et RIM. Ces conséquences sont importantes et il faut les comprendre.

Si je regarde dans ma boule de cristal, vu ce qui s'est passé dans l'Union européenne et aux États-Unis, je ne serais pas surpris de voir la création d'un poste ministériel et, si vous voulez, d'un ministère qui serait chargé des affaires cybernétiques et de réunir des responsabilités qui sont actuellement réparties entre plusieurs ministères : Industrie Canada, Commerce, Sécurité publique, MDN. Il est encore trop tôt pour dire quel serait son budget et son mandat, mais c'est vers là qu'on se dirige.

Le sénateur Lang : J'aimerais poursuivre sur le même sujet et avoir plus de détails. Vous avez parlé de RIM. Qu'aurait pu faire le gouvernement pour éviter la situation dans laquelle RIM s'est retrouvé? D'après moi, c'est le marché qui est la cause de sa chute. RIM est une entreprise commerciale dont les dirigeants ont pris certaines décisions. Comment le gouvernement aurait-il pu intervenir?

M. Rohozinski : Tout simplement en reconnaissant que les télécommunications constituent une partie vitale de notre infrastructure industrielle de défense et de notre infrastructure économique, et en faisant en sorte que ces champions nationaux reçoivent l'attention qu'ils méritent.

Avant le déclin de RIM pour des raisons de gestion, souvenez-vous que l'entreprise a eu des problèmes pour le déploiement de ses services en Inde et dans d'autres pays qui exigeaient de briser le cryptage. Les ministères sont restés muets pendant longtemps, alors qu'ils auraient dû réagir sur-le-champ. Cela s'explique en grande partie par le fait qu'ils étaient incapables de reconnaître l'importance des télécommunications globales, comment elles avaient évolué et quelles étaient les compétences dont certains ministères comme le MAECI, par exemple, devaient se doter pour entamer un dialogue avec les gouvernements concernés, ainsi qu'avec les organismes internationaux appropriés.

Cela revient en partie à la question soulevée par mon collègue de droite, à savoir notre incapacité à comprendre le rôle des normes et à en promouvoir l'application. Il est fondamental d'établir ces normes afin de pouvoir continuer à préserver notre infrastructure industrielle et cela ne s'est pas encore produit dans le domaine de la cybernétique.

Le sénateur Dawson : Je ne sais pas si le sénateur Plett s'en souvient, mais je vais vous donner un exemple pratique. Nous étions au comité, avec nos BlackBerry en main et nous devions rencontrer des représentants de la Communauté européenne et d'un ministère belge. Le personnel des Affaires étrangères s'était fait reprendre leurs BlackBerry, parce qu'on considérait que c'était des appareils trop coûteux. Nous étions là à tenter de faire la promotion d'un produit canadien que le ministère des Affaires étrangères jugeait trop luxueux pour ses propres employés.

Je pense que le gouvernement serait incapable d'inventer Facebook ou RIM, mais il devrait pouvoir appuyer de telles organisations quand elles le méritent.

La culture numérique est un problème plus grave, parce que nous n'éduquons pas les jeunes : ils s'éduquent eux- mêmes et ils ne le font pas dans un cadre réfléchi.

Depuis 10 semaines, nous voyons le gouvernement au Québec tenter de suivre l'évolution du mouvement étudiant. Les étudiants, quant à eux, communiquaient les uns avec les autres dans leurs cyberuniversités et le gouvernement tentait tant bien que mal de dialoguer avec eux.

Que faisons-nous pour que le gouvernement ait le même degré d'éducation ou la même connaissance du cyberespace que ces cybercitoyens, les jeunes d'aujourd'hui? Nous devons les suivre. Nous ne leur avons pas enseigné ces nouvelles technologies, mais comment pouvons-nous les utiliser?

M. Rohozinski : Je vais commenter brièvement. Je ne pense pas que la situation soit aussi grave. La majorité des ministères et des organismes savent que leur principale interaction avec le public canadien se fera par l'intermédiaire du cyberespace et que leur personnel proviendra essentiellement des jeunes de moins de 25 ans qui sont nés avec le numérique. Ils prennent des mesures plutôt admirables pour se préparer, mais ils le font en l'absence de leadership politique, plutôt qu'en raison d'un tel encouragement.

Le sénateur Nolin : Monsieur Robbins, dans vos observations préliminaires, vous avez parlé de l'OTAN. Il y a 18 mois, un important sommet s'est déroulé à Lisbonne au cours duquel la cybersécurité a été définie comme un des éléments clés de notre défense collective.

Dix-huit mois plus tard, que pensez-vous des progrès accomplis par les 28 pays de l'OTAN? Nous avons parlé du Canada, mais qu'en est-il des autres pays?

M. Robbins : Les autres pays de l'OTAN ont essentiellement rejeté les changements proposés par le gouvernement des États-Unis. Ils maintiennent un niveau plus élevé de normes que celles qui s'appliquent actuellement. Nous rencontrons des vendeurs qui souhaitent approvisionner l'OTAN. Si nous voulons évaluer leurs produits, nous devons nous tourner vers l'étranger pour trouver un autre programme susceptible de les analyser dans l'environnement européen.

Mon point de vue est peut-être très spécialisé, mais j'ai l'impression que nous abandonnons les vendeurs canadiens qui cherchent à écouler leurs produits sur le marché international. Soit ils s'adressent directement à l'étranger, soit les laboratoires qui les soutiennent, s'adressent eux aussi à l'étranger. Cette démarche est impossible au Canada.

Le sénateur Nolin : Est-ce que cela signifie que nous avons les outils pour le faire?

M. Robbins : Oui.

Le sénateur Nolin : Nous avons les outils pour protéger l'ensemble des 28 pays de l'OTAN, mais la coordination fait défaut?

M. Robbins : Les politiques d'acquisition de l'OTAN sont claires en termes des produits qu'elle décide d'acheter. L'OTAN n'est pas la seule organisation concernée, il existe d'autres ententes avec un certain nombre de nations européennes qui visent à reconnaître mutuellement les produits évalués dans le contexte européen. Nous ne sommes partie à aucune de ces ententes.

La présidente : Le Canada n'y participe pas ou les membres ne partagent pas?

M. Robbins : Le Canada n'y participe pas. L'évaluation des puces qui entrent dans la fabrication des cartes intelligentes se fait régulièrement dans l'environnement européen, mais ne peut se faire au Canada.

Nous assistons à toutes les réunions de laboratoire dans l'environnement européen, mais uniquement en tant que spectateurs, pas à titre de participants, parce que le Canada n'a pas éprouvé de besoin de participer à ces activités.

Le sénateur Lang : J'aimerais simplement poser la question suivante : Vous savez que des négociations commerciales ont lieu actuellement avec l'Union européenne. Est-ce que ce domaine pourrait être couvert par ce type de négociations?

Le sénateur Nolin : Pour ce qui est des affaires, cela n'a rien à voir avec l'Union européenne.

M. Robbins : Je crois sincèrement que la participation des organisations accréditées par une autorité nationale est une chose. Dans le contexte du Payments Card Industry Security Standards Council, nous sommes accrédités essentiellement par Visa, MasterCard, JCB et Amex pour effectuer des évaluations. Ces sociétés de cartes de crédit sont devenues membres des organismes européens. La norme industrielle sera combinée aux critères communs appliqués en Europe pour produire un ensemble commun de normes applicables à cette nouvelle génération de produits. Dans le cas des téléphones cellulaires qui seront utilisés pour les opérations financières, ces évaluations n'ont pas été effectuées et il n'est pas question de les réaliser au Canada.

La présidente : Pouvez-vous nous parler des puces qui sont désormais courantes et qui seront intégrées aux passeports au Canada et dans d'autres pays. Il est clair qu'il s'agit là d'une norme internationale. Est-ce que vous avez des inquiétudes à ce sujet?

M. Robbins : Dans la langue des critères communs, l'énoncé des besoins s'appelle profil de protection et ces profils de protection ont été établis principalement dans l'environnement européen pour les preuves d'identité électronique et par conséquent les passeports. Je ne sais pas si les nouvelles preuves d'identité accompagnant le passeport canadien ont été évaluées ou non. Je pense qu'aucun laboratoire n'a participé à l'évaluation de ces éléments au Canada.

La présidente : Nous allons le vérifier. Avant de passer au second tour de questions, j'aimerais poser une question très précise qui m'est venue à l'esprit après certains commentaires que j'ai entendus un peu plus tôt. J'ai assisté récemment à un congrès où il était question de soldats de l'avenir équipés de matériel électronique. Après tout, nous sommes le Comité de la sécurité nationale et de la défense. Les soldats de l'avenir seront donc des collecteurs de données, tant visuelles que verbales qui transmettront celles-ci en temps réel. Est-ce réaliste, et la transmission de ces données pose-t-elle des problèmes de sécurité? Est-il possible de protéger la sécurité de tels systèmes?

M. McMahon : Je vais tenter de répondre. C'est vrai pour beaucoup de choses dans le cyberespace, par exemple l'informatique en nuage et le sans fil. On dispose d'une énorme liberté d'action, ce qui nous permet de concevoir les systèmes les plus sécuritaires, mais aussi de faire du mauvais travail. Auparavant, c'était assez simple. À mes débuts dans l'armée, il y a de nombreuses années, il suffisait de déchirer le papier qui sortait du téléimprimeur, de le mettre dans une enveloppe et de le faire parvenir au destinataire. Le niveau de sécurité était assez sommaire. On ne pouvait pas vraiment se tromper, mais on ne pouvait pas non plus faire des merveilles. Le système avait ses limites. De nos jours, il y a toute une gamme dynamique d'exigences de sécurité qui s'appliquent et qui permettent de créer des systèmes extrêmement sécuritaires, mais il est possible également de faire du mauvais travail.

La présidente : Si on peut le fabriquer, quelqu'un peut le détruire.

M. McMahon : Tout peut être détruit. Mais le but du jeu, c'est de faire en sorte que ce ne soit pas vraiment rentable de détruire. En fait, s'il en coûte plus à votre adversaire en temps et en argent pour détruire le produit, il aura toujours un temps de retard. C'est un peu ce qui se passe actuellement en matière de niveau de sécurité des opérations commerciales ou des télécommunications sur Internet. C'est la rentabilité et le rendement du capital investi qui comptent. Combien êtes-vous prêt à investir dans la sécurité, compte tenu des économies que la sécurité va vous permettre de réaliser? Voilà essentiellement le raisonnement que nous tenons en matière de gestion du risque.

La présidente : Est-ce vraiment comme cela qu'on agit? La dissuasion financière est-elle le seul moyen de contrecarrer les esprits malveillants?

M. McMahon : C'est une question intéressante. Le niveau de sécurité sur Internet et dans le cyberespace repose sur un grand nombre de facteurs qui sont tous mesurables et qui varient de la conformité réglementaire à l'altruisme, en passant par les forces du marché et les facteurs techniques, la sociologie, la géopolitique, et cetera. Internet appartient à l'industrie et c'est elle qui le gère. Un des facteurs dont il faut tenir compte, c'est qu'il s'agit d'un marché sensible au prix. C'est actuellement une variable importante. Dans d'autres pays, ce n'est peut-être pas le cas. Par exemple, lorsque les organismes de télécommunications et les organismes militaires ne forment qu'une seule entité, les forces du marché qui déterminent le niveau de sécurité ou d'insécurité sur Internet sont différentes.

Dans beaucoup de cas, une grande partie des efforts font appel à des représentants de divers domaines, des universitaires et des visionnaires du gouvernement et de l'industrie qui se rencontrent pour faire un monde meilleur. Bien entendu, il faut respecter certaines contraintes financières afin de limiter ce que les utilisateurs devront débourser. On peut faire une analogie intéressante avec un téléphone cellulaire bardé de dispositifs de sécurité, mais vendu tout de même au même prix. Avant longtemps, un consommateur se dira prêt à accepter un niveau moins élevé de sécurité à condition que le prix d'achat soit réduit. Il y a un point où les normes de conformité réglementaires et autres mesures contribuant à renforcer le niveau des normes de sécurité ne sont plus soutenues par le marché.

La présidente : C'est un commentaire très intéressant. Merci.

Le sénateur Day : Je crois que le sénateur Lang a abordé la question que je voulais poser, mais s'il me reste du temps, j'aimerais en poser une autre.

Monsieur Robbins, vous pourrez sans doute répondre rapidement à ma question. Pourquoi les États-Unis ont-ils baissé la norme, comme vous l'avez signalé dans votre présentation. Pour quelle raison l'ont-ils fait? Était-ce pour protéger leur industrie locale?

M. Robbins : Je n'en suis pas certain. Je suppose qu'ils utilisent un concept de défense par couches. Ils essaient de bâtir un système composé de divers produits et même d'une série de produits assemblés, tout en essayant de compenser et d'atténuer le fait qu'ils ignorent si la combinaison de ces produits sera réussie. Il y a fort à parier également qu'ils avaient une autre idée derrière la tête en décidant d'abaisser les évaluations de base.

Un des grands programmes actuellement en cours aux États-Unis est le Security Content Automation Protocole, ou SCAP. Il s'agit essentiellement de la réunion d'un certain nombre de vendeurs qui ont convenu d'une façon de partager des informations entre divers produits, de façon à obtenir un rapport de situation pratiquement en temps réel dans la perspective d'assurer la sécurité des réseaux constitués par la combinaison de tous ces produits. Ce protocole devrait compenser considérablement la valeur moins grande de l'assurance des différents produits. D'après mes informations, cette approche n'est pas encore utilisée au Canada.

La présidente : Tout cela suppose également que les sociétés privées sont intéressées et que les développeurs de produits sont prêts à partager gratuitement ces informations.

M. Robbins : Les vendeurs de produits ont adopté massivement ce programme. Il est intéressant de noter que la plupart des produits qui sont maintenant approuvés dans le cadre de ce programme ont été évalués au Canada.

La présidente : Messieurs, je ne sais pas si je dois vous remercier d'avoir soulevé toutes ces questions, parce que nous allons maintenant devoir les étudier. Vos témoignages ont tous été extrêmement utiles et éclairants. Vous nous avez donné de la matière au moment où nous allons nous pencher sur les prochaines mesures que devrait prendre le gouvernement, en particulier sur ces enjeux qui nous préoccupent. Merci d'être venus témoigner.

Aujourd'hui, nous gardons tout le monde sur un pied d'alerte, nous changeons de vitesse et de direction.

Le comité va poursuivre ses travaux avec une étude continue que nous avons entreprise au sujet des leçons retenues des opérations en Afghanistan. Nous avons principalement mis l'accent sur les opérations militaires et sur les interventions du MDN et des Forces canadiennes. Nous tenions vraiment à connaître votre perspective et votre point de vue sur ces opérations, car tous les Canadiens savent bien que l'engagement de nos troupes là-bas ne s'est pas limité à lutter contre les insurgés. Après avoir entendu parler des trois D et de l'approche pangouvernementale, les gens se sont posé beaucoup de questions au sujet du personnel de l'ACDI et du ministère des Affaires étrangères dont le rôle, tel que défini par leurs descriptions de tâches, ne consiste pas exactement à faire la guerre. Ce débat inclut aussi parfois les journalistes.

Nous voulons examiner le rôle de l'ACDI, le travail que vous avez fait en Afghanistan et vos objectifs courants. Nous voulons également connaître votre point de vue sur ce que vous avez appris et sur ce qu'on pourrait améliorer à l'avenir.

Nous avons le plaisir d'accueillir Bob Johnston, directeur général régional de l'ACDI pour l'Europe, le Moyen- Orient, le Maghreb, l'Afghanistan et le Pakistan. C'est un mandat énorme. Nous accueillons aussi Dave Metcalfe, directeur principal pour l'Afghanistan précisément.

Bienvenue. Je suppose que vous voulez présenter un exposé. Allez-y.

Bob Johnston, directeur général régional, Europe, Moyen-Orient, Maghreb, Afghanistan et Pakistan, Agence canadienne de développement international (ACDI) : Je remercie le sénateur Wallin et les autres sénateurs. Je vous présente mon exposé.

L'Agence canadienne de développement international, l'ACDI, est présente en Afghanistan depuis bien avant 2001, époque à laquelle les attentats aux États-Unis ont suscité d'importantes craintes à l'échelle mondiale et entraîné des investissements considérables dans le pays. De 2001 à 2011, le Canada s'est engagé à verser à l'Afghanistan une aide chiffrée à 1,9 milliard de dollars. De cette somme, 1,7 milliard de dollars ont été décaissés par l'ACDI.

Comme tous les autres engagements en matière de développement, celui que le Canada a pris envers l'Afghanistan est cohérent et démontre des résultats solides dans les secteurs prioritaires que sont l'éducation, la santé, la croissance économique durable, l'aide humanitaire et les droits de la personne.

L'ACDI n'a ménagé aucun effort pour offrir une aide en Afghanistan après 2001, dans un contexte considérablement différent, comme vous l'avez remarqué, des autres contextes qu'elle avait connus auparavant, où l'intervention militaire était musclée et permanente, le conflit comportait de multiples facettes et était fluide, le recrutement du personnel était sans précédent et les résultats étaient une priorité.

Selon nous, le programme a été très politisé, tant au niveau national qu'international, et a été scruté à la loupe. Les interventions de l'ACDI ont été réalisées par l'entremise d'un groupe de travail de l'Agence désigné et, après 2008, dans le cadre d'une approche pangouvernementale. En offrant cette aide, l'ACDI a connu des difficultés et des réussites, surtout dans des secteurs particuliers, à savoir, entre autres, la gestion des connaissances, la prestation de programmes, la gestion des ressources humaines et l'efficacité de l'aide.

En juin 2008, pour faire suite aux recommandations du groupe Manley sur l'engagement du Canada en Afghanistan, le Canada a orienté sa participation en vue d'atteindre les objectifs qu'il s'était fixés pour 2011. Notre présidente a exercé une influence importante, étant donné qu'elle faisait partie de ce groupe.

À cette époque, la présence civile du Canada en Afghanistan a triplé. Des rapports trimestriels au Parlement ont été préparés, des données de référence ont été produites et les fonds du Canada versés à l'Afghanistan sur une période de 10 ans, de 2001 à 2011, sont passés de 1,3 milliard à 1,9 milliard de dollars.

L'ACDI a travaillé en étroite collaboration avec le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, la Défense nationale et les Forces canadiennes, Sécurité publique et le Bureau du Conseil privé en utilisant une approche pangouvernementale pour offrir un programme qui comptait six priorités. Ce programme était appuyé par trois projets de premier plan et 50 p. 100 de la programmation a été déplacée à Kandahar. L'ACDI a été responsable de la réalisation des trois projets de premier plan et de trois des six priorités, deux de celles-ci étant concentrées précisément à Kandahar. C'est la réalisation des projets et des priorités dans cette province qui a permis d'établir les liens les plus importants entre différents ministères, dont les Forces canadiennes.

La prestation de l'aide au développement dans un pays touché par une guerre active a été difficile, notamment à cause de la double présence civile et militaire du Canada en Afghanistan. Néanmoins, grâce à l'appui du Canada, les Afghans ont réalisé des progrès durement acquis, à la fois dans l'accès aux services et la prestation de ces mêmes services, ce qui a contribué à renforcer la capacité du gouvernement local. En fait, le rapport trimestriel numéro 14, le dernier portant sur l'Afghanistan, a révélé que l'ACDI a dépassé la majorité des repères servant à évaluer les réalisations du Canada, y compris, entre autres, dans les secteurs de l'éducation, de la formation des enseignants et en soins de santé, des activités de déminage et de la sensibilisation.

L'ACDI a entrepris une lecture approfondie des leçons et des constatations tirées de son expérience en Afghanistan, notamment entre 2008 et 2011. La compréhension du contexte qui entoure le conflit, du terrain politique dans lequel il se déroule et de ses caractéristiques particulières est cruciale pour définir l'orientation de la programmation, élaborer des projets pertinents et modifier la programmation au besoin. De plus, le maintien des connaissances acquises à la suite de la mise en œuvre des projets et de l'expérience est une activité clé de la programmation.

Le fonctionnement dans un contexte aussi intégré et interministériel que celui de l'Afghanistan a créé de nombreuses difficultés, autant pour les responsables civils que militaires.

La programmation dans le domaine du développement est fondée sur des investissements à long terme, prévisibles et définis par des processus consultatifs, qui visent à favoriser le renforcement des capacités du gouvernement local et la durabilité des résultats obtenus. Par contre, les opérations militaires visent des engagements à plus court terme qui mènent idéalement à la stabilisation rapide et efficace d'un conflit ou d'une situation de violence. Les divergences entre les horizons de planification, les autorités et les protocoles respectifs, ainsi que le manque de compréhension entre les opérations militaires et civiles — ou une meilleure compréhension à mesure que nous progressions — ont accru les difficultés de cet engagement.

Toutes les parties ont adopté des stratégies qui ont contribué à atténuer ces difficultés. Toutefois, certaines considérations importantes, qui intéresseront particulièrement l'auditoire auquel nous nous adressons actuellement, sont le partage des locaux par les représentants du développement et les représentants militaires, la formation conjointe et les pratiques intégrées qui misent sur des activités mutuellement avantageuses.

Le regroupement des conseils de coordination de la cellule de planification conjointe et de l'équipe provinciale de reconstruction a permis de réunir non seulement des collègues de l'ensemble du gouvernement du Canada, mais aussi des représentants d'autres pays, dont les États-Unis, pour assurer une approche coordonnée afin d'atteindre les objectifs. Ce regroupement a permis à l'ACDI de défendre énergiquement l'inclusion cohérente du point de vue du développement dans l'ensemble des activités de planification conjointes, notamment, dans la province de Kandahar.

La formation conjointe obligatoire était assurée avant le départ et tout au long de l'engagement, à cause de l'intégration très étroite des activités dans le cadre des pratiques de stabilisation.

En tant qu'organisme de développement, l'ACDI n'était pas très versée dans l'exécution de projets dont les effets se font sentir rapidement, mais l'Agence s'est vite adaptée. Elle a rapidement compris que lorsque les programmes fonctionnent dans des situations de combat ou à proximité de celles-ci, la présence militaire importante, le lien entre le développement et la stabilisation et l'insécurité du personnel et des partenaires auront des effets profonds sur l'exécution des programmes.

Le mandat de l'ACDI en Afghanistan était le développement. Toutefois, le développement ne peut se réaliser lorsque l'insécurité est élevée. Par conséquent, à Kandahar, les fonds de l'ACDI visaient à combler l'écart entre le soutien au développement et le soutien aux activités militaires de stabilisation, en autant que des objectifs de développement réalistes aient été prioritaires lors du processus de prise de décision.

L'un des défis les plus pressants dans l'avenir sera d'accroître et de faire durer les progrès réalisés dans le but de combler le fossé entre les besoins militaires et les besoins de développement, tout en créant un effectif composé de personnes en provenance de chaque ministère qui ont une bonne compréhension des impératifs militaires, de la programmation dans le domaine du développement et des relations diplomatiques.

L'ACDI continue de renforcer ses connaissances sur les pratiques de stabilisation et d'assurer la souplesse de la programmation en fonction du calendrier des opérations, des risques et des résultats. Au moyen de son sous-comité sur les États fragiles et touchés par un conflit, l'ACDI continue d'appliquer ses connaissances spécialisées sur ses contextes de fonctionnement et de créer des liens plus concrets entre la programmation et les politiques en matière de développement.

Même si la programmation à Kaboul, activité à laquelle nous nous livrons actuellement, n'exige pas les mêmes niveaux de planification conjointe, l'ACDI maintient son engagement actif auprès des Forces canadiennes en maintenant un dialogue hebdomadaire avec les responsables de la planification à l'administration centrale.

Enfin, je vais vous parler de notre engagement actuel, de 2011 à 2014. En juillet 2011, la mission de combat du Canada à Kandahar a pris fin et le Canada a commencé un nouvel engagement à partir de Kaboul qui se concentre sur quatre priorités : investir dans l'avenir des enfants et des jeunes Afghans; renforcer la sécurité, la primauté du droit et le respect des droits de la personne; favoriser la démocratie à l'échelle régionale; contribuer à la prestation d'aide humanitaire.

À l'image des engagements à long terme qui caractérisent les décaissements d'aide au développement, l'engagement actuel de l'ACDI de 2011 à 2014 a été élaboré en s'appuyant sur les réussites et les leçons retenues pendant la période comprise entre 2008 et 2011. Par exemple, en prenant appui sur les principales réalisations discutées précédemment, l'ACDI a conservé le secteur de l'éducation comme priorité de programmation, en passant de la construction de 52 écoles, comme on a pu le voir, au renforcement durable de la capacité du ministère de l'Éducation de l'Afghanistan à administrer et à faire avancer l'éducation à l'échelle nationale.

Dans le même ordre d'idées, consciente de l'importance que revêt la sécurité humaine pour la durabilité des réalisations antérieures, l'ACDI continue, dans son mandat actuel, de fournir un appui important à l'aide humanitaire dans le but de faciliter le relèvement rapide à la suite de catastrophes naturelles.

L'ACDI est d'avis que tous les ministères ont un intérêt direct à entretenir de bonnes communications afin de conserver l'expérience acquise. Si l'on fait appel à ces connaissances, elles peuvent grandement faciliter le lancement et le déroulement des activités, même dans le climat d'urgence, de grande visibilité et de tension qui accompagne souvent les interventions dans des situations de fragilité et de conflit.

La présidente : Je me demande si je peux vous poser la question de cette manière. Vous avez eu la franchise de reconnaître qu'il y avait au début un manque de compréhension. L'ACDI faisait déjà du travail de développement là- bas avant et elle continuera de le faire après.

Rétrospectivement, pensez-vous que c'était une bonne façon d'aborder la situation? Était-il utile pour vous d'être présents à Kandahar lorsque l'insécurité était à son comble et tandis que l'armée menait de vastes opérations militaires, ou aurait-il été préférable que vous soyez ailleurs et que vous interveniez plus tard? Quel est votre sentiment général à ce sujet?

M. Johnston : La question est controversée. Dans ce cas, étant donné que nous étions déjà à Kandahar depuis 2005, je pense qu'on nous a beaucoup reproché de ne pas assez contribuer à l'effort de développement et à l'intégration des initiatives canadiennes à Kandahar. Le groupe Manley nous a par la suite fourni des recommandations claires sur les interventions que nous devions entreprendre. C'était pour nous un grand défi organisationnel, puisqu'il nous fallait tripler nos effectifs sur le terrain et mettre en place les systèmes de recrutement et de formation. Nous avons appris également que nous devions notamment faire un apprentissage avec les militaires. Il y a un élément d'apprentissage dans tout cela; nous n'avions auparavant jamais rien fait à cette échelle.

À l'avenir, je pense qu'il serait tout à fait possible pour nous, advenant une autre situation identique, d'intervenir sur le théâtre d'un conflit dont les paramètres sont connus.

Bien entendu, il peut arriver aussi que l'on soit confronté à des événements nouveaux et différents dans une situation dont personne ne connaît les tenants et les aboutissants. Je pense que nous avons connu de telles situations dans d'autres pays, à Haïti, par exemple, juste après le tremblement de terre. Nous avions du personnel sur le terrain. Les militaires ont déployé une importante force opérationnelle. Nous pouvions collaborer avec eux et je pense que les liens que nous avons tissés en Afghanistan avec le COMFEC, le Commandement de la Force expéditionnaire, a également été utile dans ce contexte.

Toutes les situations sont différentes, mais à Kandahar nous étions là au moment de la période d'intensification américaine. Il y avait donc beaucoup plus de troupes sur le terrain et la sécurité était renforcée. Le moment était opportun, puisque nous avons pu participer à la stabilisation, mesure que les militaires appellent COIN. Nous avons été en mesure d'accroître notre rayonnement dans les collectivités beaucoup plus que nous n'aurions pu le faire en présence de seulement 3 000 militaires canadiens. Nous savions que l'intensification lancée par les troupes américaines allait être amorcée, mais nous ignorions son ampleur et le moment où elle serait déclenchée. Au bout du compte, tout s'est très bien passé, mais ce fut une période difficile.

La présidente : C'est très intéressant. Merci d'avoir répondu à cette question.

Le sénateur Lang : J'aimerais revenir à vos observations. Vous avez déclaré : « L'ACDI a dépassé la majorité des repères servant à évaluer les réalisations du Canada, y compris, entre autres, dans les secteurs de l'éducation, de la formation des enseignants et en soins de santé ».

Un calcul rapide révèle que vous avez sans doute dépassé les 2 milliards de dollars en ressources dépensées en Afghanistan, maintenant que nous sommes en 2012. Le chiffre que vous nous avez donné était 1,9 milliard de dollars...

M. Johnston : Notre part s'élevait en effet à 1,7 milliard de dollars.

Le sénateur Lang : C'est énormément d'argent.

M. Johnston : En effet.

Le sénateur Lang : Je crois que les Canadiens sont fiers de pouvoir participer de manière aussi importante à l'échelle internationale, dans la mesure où nous accomplissons des progrès réels dans les domaines où nous investissons les deniers des contribuables, en plus des engagements sociaux que nous prenons.

Vous pourriez peut-être nous parler des repères qui avaient été établis et comment nous les avons dépassés.

M. Johnston : Certainement. Comme je l'ai mentionné un peu plus tôt, par exemple, certains repères étaient propres uniquement à l'ACDI. D'autres étaient communs. Le repère ou la cible que nous avions établi pour Kandahar visait à reconstruire ou construire 50 nouvelles écoles. À la fin, le rapport trimestriel numéro 14 a révélé que nous en avions construit 52. Il s'agissait d'écoles entièrement terminées, équipées et dotées du personnel prêt à accueillir les élèves au cours de cette période.

Comme chacun sait, le grand projet de premier plan était le barrage de Dahla. Je pense que dans ce cas, nous pouvons affirmer que nous avons achevé les principaux éléments, c'est-à-dire les canaux primaires, secondaires et tertiaires qui permettent de distribuer l'eau dans le réseau et qui fonctionnent désormais de manière satisfaisante. L'ensemble du réseau fonctionne mieux. Cette année, pour la prochaine récolte, la superficie des terres irrigables sera plus grande et entraînera probablement la création de beaucoup de nouveaux emplois.

Je répète que nous avons remis en état un barrage qui avait été construit dans les années 1950 par les Américains et qui n'avait pas vraiment été entretenu depuis. C'est une réalisation considérable.

Dans d'autres secteurs, nous avions convenu par exemple d'appuyer la formation de 2 000 travailleurs de la santé. Notre cible, fixée à 500, a été dépassée.

La présidente : L'immunisation.

M. Johnston : Je dois reconnaître que notre ministre a beaucoup fait dans ce domaine. Elle était très engagée dans toute la campagne d'éradication de la polio. Nous avons réalisé d'importants progrès sur le plan du nombre de personnes vaccinées.

Nous n'avons pas encore atteint la cible, et nous poursuivons notre action. Nous n'avons pas encore atteint notre but, car nous sommes confrontés à un poliovirus sauvage, provenant d'une contamination croisée originaire essentiellement du Pakistan. C'est un secteur dans lequel nous poursuivons notre action afin d'atteindre notre objectif, mais les obstacles sont nombreux.

Le sénateur Lang : Je vais passer à un autre domaine. De temps à autre, on entend parler aux nouvelles de situations, particulièrement aux États-Unis, où d'importantes sommes d'argent destinées à l'Afghanistan sont soupçonnées d'avoir été mal utilisées. J'aimerais vous demander ce que nous faisons pour nous assurer, par l'intermédiaire de l'ACDI et de nos autres organisations, que l'argent des contribuables ne soit pas mal utilisé lorsqu'il est investi dans des endroits comme l'Afghanistan?

M. Johnston : Voilà une question simple qui donne lieu à une réponse très compliquée. Je vais vous répondre en trois parties.

Nous avons des fonds qui proviennent d'un fonds de fiducie administré par la Banque mondiale qui s'appelle le Fonds de fiducie pour la reconstruction de l'Afghanistan. La Banque mondiale est chargée de surveiller et de vérifier ces fonds.

En temps normal, nous avons l'habitude de confier la réalisation de nos projets à d'autres organisations. Nous procédons régulièrement à l'évaluation et à la vérification de leur rendement sur le terrain. Si l'on note des anomalies, nous procédons à un examen qui permet de récupérer les fonds ou de justifier leur utilisation. De manière générale, compte tenu du contexte difficile dans lequel nous évoluons, ces cas sont demeurés relativement mineurs. Nous n'avons pas véritablement mis au jour de grands secteurs où des pertes auraient été constatées.

Je vais vous donner un exemple du niveau de surveillance que nous tentons d'imposer. On avait porté à notre attention une allégation de fraude possible dans un très petit fonds, le Fonds d'initiatives locales que nous mettons en œuvre dans tous les pays. Nous étions tenus d'agir, étant donné que c'est une sorte de dénonciateur qui avait signalé le problème. Notre responsable des vérifications a dépêché sur place une équipe afin d'examiner l'affaire. Deux vérifications réalisées au cours de l'année ne sont pas parvenues à prouver l'existence d'une fraude, mais une troisième équipe est sur place pour s'assurer qu'il n'y a vraiment rien d'anormal. Il s'agit dans ce cas de décaissements inférieurs en moyenne à 10 000 $ ou 20 000 $.

Le sénateur Lang : Merci.

La présidente : Voilà qui est excellent.

Le sénateur Day : Je me réjouis que vous soyez ici aujourd'hui. Je me demande si vous pourriez expliquer la relation entre l'ACDI et les autres ministères à vocation non militaire qui ont participé au renforcement des capacités, comme ce fut le cas du ministère du Solliciteur général et de Santé Canada, ainsi que vous l'avez mentionné. Pouvez-vous expliquer cette relation?

M. Johnston : Nous avons mentionné plus tôt et, je crois que la sénatrice Wallin l'a souligné également, que nous avons adopté l'approche pangouvernementale en 2008. Au Bureau du Conseil privé, nous avons appuyé David Mulroney et nous avons établi une structure autorisant un degré élevé de coordination entre les ministères clés. Cela a commencé ici, mais la coordination s'est répercutée sur le terrain. À l'administration centrale à Ottawa, nous avons eu beaucoup de réunions de coordination pratiquement toutes les semaines au cours de cette période de trois ans. Sur le terrain, la collaboration était la même.

De plus en plus, nous bénéficions d'un degré élevé de collaboration sur le terrain avec le personnel civil recruté dans les différents ministères. Par exemple, nos collègues du MAECI travaillaient sur les questions de gouvernance et de primauté du droit à Kandahar tandis que nous nous occupions de la croissance économique. Il y avait beaucoup de recoupements dans certains de ces secteurs. En général, nous travaillions de concert et, dans certains cas, nous financions différentes facettes de la même activité générale. Le degré de coordination était assez élevé. Sur le terrain, c'était la même chose avec nos collègues du maintien de l'ordre. En fait, nous avons commencé peu à peu à nous considérer comme une même équipe ayant des racines dans différents ministères.

Le MAECI et l'ACDI avaient leurs propres forces opérationnelles civiles, des équipes qui étaient assez robustes. Nous évoluions dans un environnement très actif et dynamique. Notre problème en tant que civils, était que les militaires sur le terrain étaient en poste pour une durée de six mois et en service 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Notre personnel était en mission pour un an et la plupart d'entre eux travaillaient également 24 heures par jour et 7 jours sur 7. Le rythme était rapide.

Monsieur le sénateur, je me souviens de vous avoir accueilli, avec d'autres membres du comité, en mars 2008, au moment où nous commencions cette étape de notre intervention. Vous savez quelle était l'atmosphère à Kandahar à l'époque. À ce moment-là, nous avions quatre ou cinq personnes dans l'équipe provinciale de reconstruction. L'ACDI en avait 15 à 18. L'équipe civile pangouvernementale ne comptait qu'environ 120 personnes. C'était un environnement très différent. Deux ans plus tard, nous avions 300 ou 400 soldats et civils américains, si bien que l'EPR est désormais méconnaissable.

Le sénateur Day : Auparavant, les organismes internationaux ne pouvaient pas quitter Kaboul, car c'était trop dangereux. Les activités étaient essentiellement militaires. La situation a évolué comme nous le souhaitions. Monsieur Johnston, votre dernier paragraphe me pose un peu problème. Si le représentant du Canada à Kandahar était un civil de haut rang, cela signifie que la direction et la coordination générales étaient forcément assurées par les Affaires étrangères, je suppose.

M. Johnston : Oui, en tant que gestionnaire d'une plateforme civile. Comme dans une ambassade, l'ambassadeur gère la plateforme des autres ministères. C'est la même idée.

Le sénateur Day : L'ACDI estime que tous les ministères ont un intérêt direct à entretenir de bonnes communications afin de conserver l'expérience acquise, si l'on en a besoin. Cela m'amène à penser que vous ne faites pas ce que l'on attendait de vous, à savoir tirer parti de toutes ces expériences et leçons apprises afin d'être en mesure de pouvoir agir plus rapidement la prochaine fois qu'une telle situation se produit.

M. Johnston : En fait, nous en avons la capacité. Il ne faut pas oublier non plus que nous évoluons en ce moment dans un contexte de restrictions budgétaires.

Par exemple, nombreux sont les membres de mon personnel qui ont fait une mission d'un an ou autre à Kandahar, qui travaillent maintenant pour nous dans d'autres pays touchés par la guerre, comme le Soudan. La plupart des membres du personnel qui travaillent dans le programme au Soudan, soit à l'administration centrale, soit sur le terrain, sont des anciens de l'Afghanistan. Il y a d'autres exemples. Je crois que la moitié du personnel qui travaille à Haïti est composé d'anciens membres de la mission en Afghanistan. Ce type de rotation existe même dans notre organisation. Il n'y a rien d'officiel, mais cette rotation repose sur l'évaluation de l'expérience et des aptitudes du personnel.

Maintenant, nous avons tendance aussi à appliquer plus souvent ce principe de rotation au personnel des différents ministères. Le ministère des Affaires étrangères a ce qu'il appelle le Groupe de travail pour la stabilisation et la reconstruction, le GTSR, ainsi que le Fonds pour la paix et la sécurité mondiales, le FPSM, et une grande partie de leur personnel est constitué également d'anciens membres de l'ACDI. Beaucoup de gens demeurent dans le système.

L'autre point que je voulais signaler, c'est qu'aucun conflit n'est semblable au précédent. C'est en partie ce qui pose problème. Certains aspects sont semblables, mais d'autres sont tout à fait différents.

La présidente : C'est justement là où je voulais en venir au début. Nous avons tiré beaucoup de leçons, mais peut-on les appliquer ailleurs?

Le sénateur Plett : Le sénateur Lang et le sénateur Day ont tous deux posé les questions que j'avais en tête, mais permettez-moi de revenir à certains commentaires que vous avez faits. Vous avez dit à plusieurs reprises que vous étiez en Afghanistan avant une certaine date. Quand l'ACDI est-elle intervenue en Afghanistan et à quel titre?

M. Johnston : Nous avions des programmes en cours là-bas dans les années 1970 et 1980. Ils ont été suspendus pendant l'intervention soviétique, puis réactivés. Nous avons toujours mis en œuvre des petits projets de portée limitée, des activités du type que réalise le Fonds canadien, et des projets d'aide humanitaire par l'intermédiaire des organismes humanitaires multilatéraux qui se trouvent sur le terrain. Jusqu'en 2001, par exemple, nous n'avions pas là-bas de programme bilatéral ou géographique, mais nous étions présents par les canaux multilatéraux apportant de l'aide alimentaire ou autre, selon les besoins. Le Canada est engagé en Afghanistan depuis longtemps, bien avant 2001.

Le sénateur Plett : Vous avez un plan pour la période 2011 à 2014.

M. Johnston : C'est exact.

Le sénateur Plett : Et après 2014?

M. Johnston : Au cours des deux prochains mois, plusieurs rencontres auront lieu; le G8, le Sommet de l'OTAN à Chicago et la Conférence des donateurs à Tokyo. Beaucoup de décisions seront prises lors de ces assemblées.

Le sénateur Plett : Pensez-vous que nous devrions être prêts à quitter le pays en 2014?

M. Johnston : Cet après-midi, le nouvel ambassadeur en Afghanistan, Glenn Davidson nous a posé la même question alors que nous le rencontrions pour lui dresser un tableau de la situation.

Je suis un professionnel du développement. Dans notre domaine, le développement est lent. Comparons ce qu'était l'Afghanistan en 2001 et ce qu'il est maintenant. La situation est-elle meilleure? Certainement. Il y a 7 millions ou 8 millions d'enfants qui vont à l'école; les normes de santé sont meilleures; l'économie se bâtit petit à petit. Le gouvernement est-il parfait? Absolument pas. Est-il meilleur qu'en 2001? Sans doute.

On a noté d'importants progrès, mais l'Afghanistan est toujours un des pays les plus pauvres du monde et les indices de développement humain sont très bas. Dans une perspective de développement, je pense qu'il faudrait probablement rester en Afghanistan pendant quelque temps afin de pouvoir consolider ces gains et poursuivre le progrès jusqu'à ce que l'Afghanistan devienne une société autonome et éventuellement un État. Voilà mon point de vue.

La présidente : Pouvons-nous entendre le point de vue de M. Metcalfe? C'est son domaine.

Dave Metcalfe, directeur principal, Afghanistan, Agence canadienne de développement international (ACDI) : Je fais écho à ce qu'a dit M. Johnston. Pour ce qui est de la durabilité et de faire fructifier les résultats que nous avons obtenus, comme l'a mentionné le sénateur, nous avons investi beaucoup d'argent dans le pays. Pour que ces fonds continuent à fructifier, je pense personnellement qu'il faudrait poursuivre nos activités afin de voir les progrès accomplis, surtout en ce qui a trait au rôle des femmes et des jeunes filles. Les gains que nous avons obtenus sont fragiles et nous avons jeté des bases qui devraient leur permettre de se développer elles-mêmes, mais il serait dommage de ne pas poursuivre l'engagement requis pour consolider cette base et poursuivre le progrès.

Le sénateur Plett : En cas de retrait, quel serait le plus grand danger? Est-ce l'inexpérience de la présence militaire? Assistera-t-on au retour d'Al-Qaïda et à la suppression des droits à l'éducation pour les enfants et les femmes? Est-ce le plus grand danger?

M. Metcalfe : Vous placez-vous d'un point de vue militaire ou dans une perspective d'investissement?

Le sénateur Plett : Dans une perspective de développement.

M. Metcalfe : Le plus grand risque serait de perdre les gains que nous avons faits en termes d'infrastructure. Je ne suis pas certain que l'infrastructure que nous avons actuellement soit suffisamment solide pour leur permettre de poursuivre sur leur lancée et de continuer à faire des progrès. Je crois que la population a encore besoin de beaucoup d'encouragements, faute d'un meilleur mot, de soutien pour consolider ces gains afin qu'ils deviennent durables et d'éviter un retour en arrière dans certains domaines comme celui de l'éducation que vous avez mentionné. Un des secteurs les plus fragiles que nous avons noté jusqu'à présent est celui des droits des femmes. Chaque fois que l'on fait deux pas en avant, on fait un demi-pas en arrière. Il est indispensable de continuer à aller de l'avant.

La présidente : Dès le moment où les filles accèdent à l'éducation, on assiste vraiment à un changement des mentalités.

M. Metcalfe : C'est exact.

Le sénateur Peterson : Vous avez déclaré que vous procédez à une analyse approfondie de vos obligations et des constats que vous avez faits au cours de vos expériences en Afghanistan. Avez-vous atteint le stade où vous pourriez recommander des changements à votre structure organisationnelle et votre méthodologie de planification?

M. Johnston : Je vais revenir à notre conversation antérieure. Sur le plan de l'organisation, nous avons appris qu'un groupe de travail permet de faire du bon travail, mais que les coûts sont élevés, alors qu'il y a peut-être des façons d'obtenir les mêmes résultats à moindre coût en sachant que l'on peut se simplifier la tâche dès que l'on a mieux défini les mesures à prendre. Si l'on sait par exemple que l'on va participer à une opération civilo-militaire conjointe, on peut alors préciser les besoins en formation et définir la mission en conséquence. On n'a pas besoin d'une structure organisationnelle aussi poussée que dans d'autres circonstances. D'autres ministères civils souligneraient probablement la même chose. À mesure que nous progressions, nous avons été en mesure de réduire l'ampleur de notre intervention et de nous concentrer plus sur la prestation des programmes. À propos des programmes, nous avons beaucoup appris sur les formules qui donnent de meilleurs résultats dans des situations de conflit, par opposition à un contexte de développement.

Dans le texte, il est question du lien entre les efforts de stabilisation que les militaires doivent réaliser pour aider à rallier la population locale. Ces efforts sont généralement des actions pragmatiques et à court terme et s'appuient sur de nombreuses hypothèses qui peuvent ou non donner de bons résultats. Nous avons été en mesure de collaborer avec les militaires pour définir ce que nous pouvions faire dans une perspective de développement afin de les aider à court terme, mais également pour jeter des bases à plus long terme. Voilà quelques-unes des leçons qui varient selon chaque contexte.

Pendant un an et demi, avant la fin de la mission à Kandahar, nous avons pu procéder de la sorte. En cela, nous avons été aidés par la période d'intensification américaine. Les opérations canadiennes se sont déroulées dans un secteur plus limité où notre capacité à agir était également plus grande.

Le sénateur Peterson : Quel genre de soutien postdéploiement offrez-vous aux employés, tant ceux qui sont sur place que ceux qui retournent au pays?

M. Johnston : Nous venons tout juste de terminer d'absorber la grande vague de personnel retournant de Kandahar. Jusqu'en juillet 2011, nous avions une quinzaine de personnes sur le terrain à Kandahar. Elles ont toutes quitté le pays à peu près au même moment que les militaires canadiens. À la fin de la mission, le personnel bénéficie d'une période de décompression. Nous avons établi des normes, les mêmes pour tous les ministères civils, qui offrent les mêmes types d'avantages à tous les membres du personnel.

En revanche, nous avons constaté un certain nombre de cas d'employés souffrant d'une forme ou d'une autre de stress ou même de stress post-traumatique. Nous avons pu nous assurer qu'ils obtiennent un traitement auprès de nos ministères. Nous avons essayé de coordonner tout cela avec les ministères civils et le MAECI.

Comme je l'ai mentionné un peu plus tôt, le fait que les missions des civils étaient d'une durée d'un an a posé quelques problèmes. Dans de telles circonstances, un an, c'est très exigeant pour le personnel. En moyenne, un soldat est en mission de combat pendant six mois. Nous avons appris à mieux gérer cet aspect et à surveiller différents signaux quand le personnel était sur le terrain. Dans certains cas, nous avons retiré plus tôt certains membres du personnel. Nous avons découvert également qu'il était assez difficile pour un petit organisme civil comme l'ACDI de recruter suffisamment de personnel pour garder autant d'intervenants sur le terrain. Nous avons dû recruter dans tous les ministères. Nous avons fait appel à des volontaires à qui nous avons donné une formation. Cela faisait partie du défi. Beaucoup d'entre eux sont maintenant de retour dans leurs ministères.

La présidente : C'est intéressant, parce que beaucoup de soldats que nous avons rencontrés sont retournés quatre, cinq ou six fois en mission. Vous n'aviez pas cette option étant donné que vous n'aviez pas suffisamment de personnel pour assurer le fonctionnement de votre base.

M. Johnston : Permettez-moi de préciser que plusieurs de nos intervenants ont accompli deux ou trois missions à Kandahar et Kaboul. Ils s'étaient vraiment investis. Il est arrivé que certains membres de notre personnel viennent d'achever leur troisième mission dans les deux endroits.

La présidente : C'est important de le savoir.

M. Johnston : Il est intéressant de noter également qu'en général nous avions plus de femmes que d'hommes sur le terrain. Voilà qui met à mal les stéréotypes. Certaines d'entre elles étaient pas mal résistantes.

La présidente : Voilà de très bonnes nouvelles.

Je sais que c'est une question difficile, mais si l'on fait abstraction de la zone de guerre et de la difficulté d'apprendre à travailler dans cette situation et si l'on oublie toutes les autres circonstances, quel est l'aspect qui vous a paru le plus difficile dans l'accomplissement de votre mission de développement dans une zone de combat par opposition au déploiement de l'aide humanitaire dans des endroits comme Haïti ou ailleurs?

M. Johnston : Je crois sincèrement que le plus difficile c'est d'apprendre à travailler dans un contexte de haute sécurité. Ce peut être des choses aussi simples que se déplacer en convoi d'un endroit à un autre, avec les risques posés par les EEI, et cetera, ou encore comment interagir avec la population locale, comment les compagnies et les organismes que nous engageons assurent eux-mêmes leur sécurité et comment ils fonctionnent dans un tel environnement, parce qu'au-delà d'un certain point, c'est à eux d'assurer leur propre sécurité; on ne peut pas le faire pour eux. Tout cela décide vraiment d'une bonne partie de ce que vous pouvez et ne pouvez pas faire.

On nous a tous reproché, à un moment ou à un autre, de faire appel à des sociétés privées, mais d'un autre côté, comment faire autrement? Il y a toujours des limites. Compte tenu des Forces canadiennes relativement modestes que nous avions là-bas, le mieux qu'elles pouvaient nous offrir, c'était ce que l'on appelait un soutien in extremis. Autrement dit, les militaires intervenaient si quelqu'un était attaqué ou touché, c'est tout. Nous avons toujours dû nous accommoder d'un tel environnement. Il faut s'y habituer.

Quand nous faisions nos séances de formation communes avec les militaires, je disais toujours aux membres de notre personnel que le type en brun ou en gris, selon l'uniforme qu'il portait, était leur meilleur ami, en particulier lorsqu'il serait sur le terrain. Sans lui, ils ne pouvaient rien faire.

La présidente : Surtout lorsqu'il portait un uniforme brun.

Le sénateur Day : Nous avons parlé essentiellement de la dernière période de notre engagement dans la province de Kandahar. C'est intéressant de voir comment les choses se passaient, mais la situation a évolué parce qu'il y a eu une période d'intensification et que les soldats étaient plus nombreux pour assurer votre sécurité afin que vous puissiez faire votre travail.

Au début de l'intervention, au cours de la première période, les militaires avaient créé une fonction civile différente de celle qui se rapportait à la paix et à la sécurité, pour traiter avec le gouverneur local, et cetera. A-t-on maintenu cette fonction? Comment ce rôle civilo-militaire exercé par un militaire, s'intégrait-il dans l'environnement entièrement civil et non militaire du gouvernement?

M. Metcalfe : Voulez-vous parler des officiers civ-mil?

Le sénateur Day : Oui.

M. Metcalfe : Ce rôle a été maintenu, même avec l'intensification et l'arrivée d'un plus grand nombre d'agents de développement civil et d'agents diplomatiques. Les militaires qui exerçaient ce rôle étaient beaucoup plus mobiles que nous et pouvaient plus facilement se rendre dans les villages. Leurs interventions portaient plutôt sur des projets à court terme et à impact rapide qui étaient plus en lien avec le mandat militaire. Cependant, nous collaborions très étroitement avec eux, comme M. Johnston l'a mentionné, dans le cadre du plan de développement pangouvernemental.

Vous avez parlé des trois D — développement, défense et diplomatie — à l'EPR à Kandahar, que vous aviez visité, je crois, lors de votre passage. Ils travaillaient de concert et ils se réunissaient dans le cadre d'une commission d'examen des projets où tous les groupes étaient représentés, y compris les États-Unis, pour examiner tous les projets auxquels participaient les officiers civ-mil, que ce soit des projets à plus long terme ou des projets à court terme et à impact rapide. Ils travaillaient en direction du même objectif qui consistait à faire le lien entre tous les projets de développement à court terme, moyen terme et long terme. C'était un rôle vraiment utile qui s'est poursuivi même après la période d'intensification civile.

Le sénateur Day : Ce sera ma question complémentaire. Dans les leçons que vous avez tirées et qui pourraient s'appliquer ailleurs, cet aspect civilo-militaire est une partie importante de l'ensemble.

M. Metcalfe : Absolument et nous continuons à travailler avec les Forces canadiennes à Kingston au centre des leçons retenues, afin d'élaborer des scénarios et d'effectuer des exercices de simulation. Nous les aidons à bâtir des scénarios et nous travaillons avec eux afin de favoriser une compréhension réciproque.

La formation conjointe est un élément important que nous avons appris à utiliser au fil du temps. Sur le terrain, nous avons monté des scénarios dans l'Ouest et nous avons également fait beaucoup de formation à Kingston, juste avant les départs en mission, afin de transmettre les connaissances au moment approprié.

La plus grande leçon que nous avons tirée de tout cela, comme on l'a déjà mentionné, c'est qu'on ne rencontre jamais deux situations identiques. Je ne sais pas si nous avons appris des leçons précises, mais nous avons certainement défini les questions auxquelles nous devions trouver une réponse avant de nous rendre sur le terrain. Comme nous n'avons pas toutes les réponses, nous savons quelles sont les questions à poser.

La présidente : C'est vrai également pour les militaires; il n'y a jamais deux missions identiques.

M. Metcalfe : C'est vrai.

Le sénateur Plett : Je vais revenir à la question que j'ai posée un peu plus tôt, car je ne suis pas certain de m'être fait comprendre correctement.

Je voulais dire que nous avions certainement fait de grands progrès, par exemple en permettant aux enfants et aux filles d'aller à l'école, sur le plan des droits des femmes et toutes sortes d'aspects d'ordre culturel. Je suis certain que les talibans étaient une des forces qui s'opposaient à de tels progrès.

J'aimerais savoir, non pas quel est notre plus grand risque, mais ce qui menace le plus les progrès accomplis? Est-ce l'absence d'un pouvoir militaire fort en Afghanistan, la menace d'un retour des talibans ou bien est-ce un problème d'ordre culturel qui menace tout simplement de provoquer un retour en arrière?

M. Johnston : À mon avis, le grand problème actuellement est la transition vers les forces de sécurité afghanes. À Chicago, les membres de l'OTAN parleront de tout le plan qui a été mis en place et qui comprend 950 formateurs canadiens, des effectifs de plus de 300 000 soldats et policiers qui pourront, nous l'espérons, prendre en charge la plus grande partie de la sécurité en Afghanistan en 2014. La grande question est de savoir qui paiera leur salaire après 2014.

Le principal jusqu'à présent, c'est qu'une grande partie de la transition vers les forces de sécurité s'est, étonnamment, déroulée de manière positive. Nos collègues militaires affirment que le transfert se fait de manière satisfaisante, mais il reste encore beaucoup à faire. On suppose également qu'ils seront en mesure, au cours des deux années après 2014, de réduire un peu les effectifs, pour que la masse salariale ne soit pas trop lourde pour nous.

À court terme, le plus grand risque portera sur notre capacité à soutenir le progrès jusqu'en 2014. Les talibans seront-ils de retour? Le pays retombera-t-il dans l'anarchie? Nous l'ignorons. Nous espérons que ce ne sera pas le cas, mais je pense que cela pèsera beaucoup dans la balance. La sécurité est un élément clé. Je vais en rester là.

Le sénateur Plett : Merci. La liberté de religion existe-t-elle en Afghanistan? Sinon, a-t-on espoir de l'instaurer?

M. Johnston : C'est une question délicate et je devrais peut-être communiquer avec le ministre Baird avant d'y répondre.

Il faut rappeler qu'il s'agit d'un État islamique. Il se nomme lui-même gouvernement de la République islamique d'Afghanistan. Je sais que le pays abrite de nombreuses sectes islamiques différentes. Une partie du défi auquel fait face le gouvernement dans l'application de la Constitution consiste à trouver un juste équilibre entre les différentes croyances et pratiques qui varient d'une secte religieuse à l'autre.

On a résumé toute la question en termes de droit de choisir. Par exemple, si vous êtes musulman, souhaitez-vous devenir chrétien? Je ne connais pas la réponse à cette question. Mes collègues des Affaires étrangères seraient sans doute mieux placés que moi pour y répondre.

Le sénateur Plett : Ils ont peut-être le droit de choisir, mais ils n'apprécieraient peut-être pas les conséquences de leur choix.

M. Johnston : C'est vrai également.

La présidente : Nous communiquerons avec vos collègues du ministère des Affaires étrangères et nous nous intéresserons également aux résultats des réunions que vous avez mentionnées.

Je tiens à vous remercier tous les deux comme nous avons remercié nos militaires, les hommes et les femmes des Forces canadiennes chaque fois que leurs chefs ont comparu devant notre comité. Nous les remercions pour le travail qu'ils font sur le terrain. Je veux vous remercier, messieurs, vous et tout le personnel qui travaille pour vous, pour tout le travail accompli. C'était et c'est toujours une mission à très haut risque pour des civils. Nous vous remercions d'avoir fait votre devoir et d'être même allés au-delà de ce qu'on attendait de vous. Merci beaucoup.

Le sénateur Day : Tout le personnel ministériel que vous avez recruté était-il composé de volontaires?

M. Johnston : Oui.

La présidente : Absolument. Voilà qui met fin à notre séance.

(La séance est levée.)


Haut de page