Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 7 - Témoignages du 28 mai 2012
OTTAWA, le lundi 28 mai 2012
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 16 h 1, pour étudier la teneur des éléments de la Section 12 de la Partie 4 du projet de loi C-38, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 29 mars 2012 et mettant en œuvre d'autres mesures; et pour étudier, afin d'en faire rapport, l'état des opérations des Forces canadiennes en Afghanistan et les leçons retenues de ces opérations.
Le sénateur Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense en ce lundi 28 mai.
Nous poursuivons aujourd'hui l'étude d'une loi portant mise en œuvre de l'Accord-cadre sur les opérations intégrées transfrontalières maritimes d'application de la loi conclu entre le gouvernement du Canada et celui des États-Unis en 2009 dans le contexte du projet de loi C-38, Loi de mise en œuvre du budget. Ces opérations ont été mises à l'essai avec grand succès dans le cadre d'un projet pilote appelé Shiprider. Elles permettront à des agents de la paix spécialement formés et mandatés de pouvoirs délégués de travailler ensemble sur des navires patrouillant les eaux frontalières entre le Canada et les États-Unis afin d'empêcher les criminels de s'échapper de cette manière.
Je tiens à souligner que de nombreux articles ont été publiés dans les médias depuis notre dernière rencontre. J'aimerais informer les journalistes qu'ils ont accès aux transcriptions des témoignages que nous entendons. Cet accord-cadre entre le Canada et les États-Unis porte sur les opérations transfrontalières d'application de la loi qui sont maritimes, et non pas terrestres. Nous avons pu lire quelques articles en ce sens. Il ne s'agit pas de mesures que l'on essaie de passer en douce dans le cadre d'un projet de loi omnibus. Le Parlement, y compris notre comité, a déjà examiné ces mesures à deux reprises dans le contexte de projets de loi distincts qui sont morts au Feuilleton lorsque la session a été prorogée. Les gens sont au courant de la teneur de ces mesures dont on a déjà discuté.
Certains des articles publiés soutiennent à tort que les mesures proposées vont permettre aux agents de la paix de faire ce qu'ils veulent au Canada, ce qui est bien sûr absolument faux. Ils devront se conformer aux règles qui assurent la souveraineté nationale dans nos deux pays. Je tenais à le préciser, car il est extrêmement troublant de lire ce genre de choses alors même que nous travaillons si fort pour faire comparaître des témoins capables de nous expliquer ce qui se passe vraiment.
Nous sommes ravis d'accueillir aujourd'hui l'honorable Vic Toews, ministre de la Sécurité publique. Il est accompagné de deux représentants de Sécurité publique Canada : M. Richard Wex, sous-ministre adjoint, Police et application de la loi, qui est presque un membre régulier de notre comité lorsque nous discutons de ces questions; et M. Marc Taschereau, chef, Stratégies frontalières, Interopérabilité en matière de sécurité publique.
Nous sommes vraiment heureux de pouvoir vous accueillir, monsieur le ministre. Je crois que vous avez une déclaration préliminaire.
L'honorable Vic Toews, C.P., député, ministre de la Sécurité publique : Merci beaucoup, madame la présidente. Je suis heureux d'avoir l'occasion de comparaître devant vous. Vous avez très bien résumé la situation et j'aimerais ajouter que je suis à la fois surpris et abasourdi d'apprendre que des journalistes puissent ainsi rapporter de façon erronée ce qui se dit lors des séances de comité. Mais je suppose que le monde n'a pas fini de nous étonner.
Je suis extrêmement heureux d'avoir été invité à comparaître devant le comité aujourd'hui pour contribuer aux délibérations au sujet d'une composante très importante de la Loi sur l'emploi, la croissance et la prospérité durable. Le projet de loi C-38 comprend des dispositions liées à la mise en œuvre des opérations intégrées transfrontalières maritimes d'application de la loi, également connu sous le nom de projet Shiprider Canada-États-Unis. Comme c'est ma deuxième comparution devant les membres du comité relativement à ce projet de loi, je sais que vous le connaissez bien et que vous êtes conscients du fait que les modifications proposées sont logiques et qu'elles présentent une solution économique à un problème très réel. Je tiens à remercier les hauts fonctionnaires de Sécurité publique Canada qui m'accompagnent et qui sauront répondre à vos questions lorsque certains détails m'échapperont.
Comme vous le savez, notre gouvernement s'est donné pour grande priorité d'assurer la sécurité des Canadiens et des collectivités. Notre frontière commune avec les États-Unis est littéralement la ligne de front de la bataille visant à assurer notre sécurité. Le Canada et les États-Unis collaborent depuis bien longtemps en matière d'application de la loi à la frontière, et les organismes des deux pays travaillent souvent ensemble pour combattre le trafic et la contrebande de drogues, de tabac et d'armes à feu, de même que le passage de clandestins.
Cependant, ces opérations frontalières sont habituellement entravées par le fait que les agents d'application de la loi n'ont aucun statut ni pouvoir hors de leur territoire de compétence. C'est un obstacle inutile qui nuit aux activités efficaces d'application de la loi et de protection des Canadiens. Les organisations criminelles sont bien au fait de ces contraintes et en tirent profit. Ainsi, les criminels commettent leurs actes dans un pays et s'enfuient rapidement vers l'autre, sachant qu'ils peuvent souvent éviter de se faire arrêter et poursuivre s'ils traversent la frontière.
Afin de remédier à ces lacunes, notre gouvernement, en collaboration avec les États-Unis, a consenti d'importants investissements au cours des dernières années en vue de renforcer la sécurité frontalière. D'ailleurs, lorsque le premier ministre et le président américain ont annoncé la Déclaration sur une vision commune de la sécurité du périmètre et de la compétitivité économique en février 2011, l'accroissement des opérations transfrontalières intégrées d'application de la loi était l'un des quatre piliers d'une coopération bilatérale améliorée.
Le projet Shiprider est l'une des initiatives les plus novatrices en matière de lutte contre les activités criminelles transfrontalières. Je dois souligner que ce fut d'abord un projet pilote lancé par le gouvernement précédent. Je pense que la première initiative en ce sens date de 2005. Le projet permet à des agents d'application de la loi canadiens et américains spécialement entraînés et désignés de travailler ensemble en vue de faire respecter la loi des deux côtés de la frontière maritime.
J'aimerais clarifier ce point et indiquer que les opérations conjointes ne porteront pas atteinte à la souveraineté du Canada, car les lois canadiennes s'appliqueront à tous les agents d'application de la loi désignés qui se trouvent en territoire canadien. Il s'agit d'envoyer un message fort : la criminalité transfrontalière ne sera pas tolérée.
Dans le cadre du projet Shiprider, les agents désignés navigueront ensemble sur les mêmes navires pour partager ressources et renseignements en vue de mieux déceler et contrer les activités criminelles se déroulant dans les eaux communes et instituer des poursuites à cet égard. J'ajouterais qu'il s'agit de navires de petite taille dont l'équipage ne dépasse pas quatre ou cinq personnes. Ce ne sont donc pas des opérations de grande envergure; elles sont plutôt de taille maniable avec un équipage comptant généralement deux à trois membres de chaque pays.
Les opérations du projet Shiprider ont une incidence marquée et mesurable sur la criminalité transfrontalière. Des projets pilotes menés en 2005 et 2007 ont donné des résultats positifs et nous ont offert un aperçu des vastes possibilités de cette collaboration. À titre d'exemple, en 2007, des opérations pilotes se sont déroulées dans la Voie maritime du Saint- Laurent à la hauteur de Cornwall et au large des basses terres continentales de la Colombie-Britannique. Sur une période de deux mois dans la Voie maritime du Saint-Laurent, il y a eu six arrestations directes, et les opérations du projet Shiprider ont contribué à 41 autres arrestations.
Les agents de la GRC et de la Garde côtière américaine ont aussi procédé à d'importantes saisies de marijuana, de cigarettes de contrebande, de cocaïne, de véhicules et de matériel. Ils ont également contribué au sauvetage d'un enfant enlevé.
Il ne s'agit pas d'une goutte d'eau dans l'océan. Ces drogues et cet argent ne sont plus entre les mains des revendeurs, et n'ont jamais atteint nos rues et nos cours d'école. Les projets pilotes ont non seulement contribué à sévir à l'égard des crimes commis sur les voies navigables, mais ils se sont aussi révélés utiles pour aider les agents de police à enrayer les activités criminelles sur leurs territoires respectifs.
Je suis certain que vous avez entendu les histoires de passeurs qui ont utilisé des navigateurs GPS pour déterminer le moment exact où ils pourraient traverser la frontière maritime, en pensant échapper à une arrestation. Au cours du projet pilote Shiprider de 2007, lorsqu'un bateau en fuite s'est arrêté après avoir franchi la frontière canadienne, il a été approché par les agents du projet. Bien qu'aucun objet de contrebande n'ait été trouvé à bord, des traces de cocaïne ont été décelées et le bateau a été rapidement saisi.
Les opérations Shiprider ont aussi permis de déplacer grandement les activités de contrebande aux points d'entrée transfrontaliers. L'Agence des services frontaliers du Canada a noté une augmentation marquée du nombre d'arrestations aux points d'entrée terrestres en raison des activités du projet Shiprider.
En 2010, nous avons été témoins de l'exécution des opérations de sécurité Shiprider pendant les Jeux olympiques d'hiver à Vancouver, et pendant le sommet du G20 à Toronto. Ces deux opérations de sécurité ont été considérées comme de grandes réussites.
Grâce aux dispositions pertinentes de la Loi sur l'emploi, la croissance et la prospérité durable, les opérations du projet Shiprider deviendront une composante permanente des activités d'application de la loi à la frontière.
J'aimerais encore une fois insister sur le fait que le projet Shiprider sera mené dans le respect complet de la souveraineté du Canada et des États-Unis. C'est ainsi que tous les projets pilotes Shiprider ont été menés, et rien ne changerait à cet égard à l'avenir. Par exemple, lorsque les opérations se déroulent au Canada, elles sont sous le contrôle et la direction des organismes canadiens d'application de la loi et sont assujetties aux lois, aux politiques et aux procédures canadiennes. Si les opérations se déroulent aux États-Unis, les rôles sont inversés et les responsables américains prennent le commandement.
Les Canadiens peuvent être assurés que cette mesure législative ne compromettra d'aucune façon nos valeurs traditionnelles ou les droits et libertés garantis par la Constitution. La collecte et l'échange d'information au Canada sont assujettis aux lois canadiennes, dont celles concernant la protection de la vie privée.
Nous avons également pris des mesures concrètes afin d'assurer une surveillance et une responsabilité adéquates. Ainsi, toutes les opérations du projet Shiprider menées en territoire canadien seraient assujetties à un processus de plaintes du public très semblable à celui qui existe déjà à la GRC.
Permettez-moi maintenant de vous présenter certaines des principales différences entre les dispositions de la Loi d'exécution du budget et de l'ancienne loi entourant le projet Shiprider, que le comité a examinée l'an dernier.
Tout d'abord, nous avons ajouté un nouveau principe qui stipule que les opérations transfrontalières intégrées d'application de la loi doivent « s'effectuer selon les directives d'un agent désigné du pays hôte. » Cette nouvelle disposition garantit le respect de la souveraineté du Canada en s'assurant que le commandement et le contrôle de toutes les opérations incombent aux agents d'application de la loi canadiens.
Ensuite, nous avons accru la surveillance publique en ajoutant les membres de la GRC comme personnes pouvant recevoir des plaintes du public. Cet ajout va dans le même sens que l'approche voulant qu'il n'y ait pas de mauvais point d'accès pour formuler une plainte et respecte l'actuelle Loi sur la Gendarmerie royale du Canada.
D'autres légères modifications techniques ont été apportées afin de renforcer et de simplifier notre approche en matière d'application de la loi à la frontière.
Pour finir, j'aimerais insister sur le fait qu'en adoptant une approche collaborative en matière de sécurité nationale avec les États-Unis, nous indiquons aux délinquants que l'exploitation de la frontière à des fins illicites ne sera pas tolérée. Afin de veiller à la libre circulation de personnes et de biens légitimes entre les pays, nous devons absolument prendre les mesures nécessaires pour lutter efficacement contre les activités illégales le long de la frontière commune. Shiprider constitue sans contredit la voie de l'avenir et représente une nouvelle approche de collaboration avec nos partenaires américains. Il s'agit d'une méthode éprouvée qui augmentera la sécurité de la population canadienne.
J'encourage tous les honorables sénateurs à appuyer l'adoption rapide de ce projet de loi afin de continuer à assurer la prospérité, la sûreté et la sécurité des Canadiens.
Je vous remercie, madame la présidente, et je suis prêt à répondre aux questions des sénateurs.
La présidente : Merci beaucoup. Voilà un exposé très détaillé de ces questions que nous avons déjà étudiées, comme vous l'avez judicieusement souligné. Merci de comparaître à nouveau devant nous.
Le sénateur Dallaire : Si vous me permettez, monsieur le ministre, voici ce que prévoit l'article 12 proposé, à la page 276 du projet de loi :
Tout agent désigné est investi, pour le contrôle d'application des lois fédérales, des pouvoirs d'un membre de la Gendarmerie royale du Canada lorsque, selon le cas :
a) il participe à une opération transfrontalière intégrée;
J'en conclus qu'un Américain présent sur un navire canadien jouirait des mêmes pouvoirs que tous les autres membres de l'équipage.
M. Toews : Oui, c'est exact. Les Américains doivent toutefois travailler sous la supervision des Canadiens qui dirigent les opérations.
Le sénateur Dallaire : Cela m'amène à vous souligner à nouveau une différence entre les projets de loi C-38 et S-13. Je porte à votre attention le sous-alinéa 4b)(iii) que vous venez de citer. On y indique que les opérations doivent « s'effectuer selon les directives d'un agent désigné du pays hôte. » On parle bien sûr des opérations intégrées d'application de la loi.
Dans le projet de loi S-3, nous disions plutôt que les opérations devaient être axées sur les renseignements, fondées sur une évaluation des risques et menaces effectuée conjointement par le Canada et les États-Unis et coordonnées avec les programmes et activités de coopération policière transfrontalière existants.
Dans ce contexte, monsieur le ministre, j'aimerais savoir ce qui se passerait si les Américains refusaient d'agir lorsqu'un Canadien naviguant sur les eaux américaines à bord d'un bâtiment américain constate des agissements exigeant une intervention dans le cadre global du projet Shiprider.
M. Toews : Les Américains auraient le dernier mot.
Le sénateur Dallaire : Ils auraient préséance sur le Canadien?
M. Toews : Oui.
Le sénateur Dallaire : J'ai bien peur que ce soit effectivement ce que prévoit la nouvelle version, alors que les choses se seraient passées autrement avec le projet de loi S-13. Il y aurait eu des discussions, un plan d'opération conjoint ou quelque chose de cette nature.
M. Toews : Quelle que soit la version du projet de loi, je crois tout de même que le responsable américain aurait eu le pouvoir de mettre fin à l'opération, ou de la diriger de la manière qu'il jugeait approprié, de la même façon que les Canadiens auraient pu dicter leur volonté aux Américains dans les eaux canadiennes. Je ne crois pas que cela ait changé. J'estime cependant, comme vous le soulignez vous-même, qu'il est maintenant établi plus clairement que les choses vont se passer de cette manière.
Le sénateur Dallaire : Si nous avons l'impression que le responsable américain ne respecte pas les règles, quels sont nos recours?
M. Toews : C'est une excellente question dont j'ai moi-même discuté avec mon personnel.
D'abord et avant tout, il va de soi que si un agent ne se montre pas coopératif, il ne sera pas le bienvenu au Canada. En dernière analyse, nous pouvons toujours déterminer quels agents peuvent participer ou non à une opération. Je parle ici d'une situation où aucun acte répréhensible n'a été commis. C'est simplement que l'agent n'offre pas la coopération voulue. Nous pouvons alors décider qu'il ne fait plus partie de l'opération et que nous n'allons pas travailler avec lui.
Ce sont des choses qui vont peut-être de soi dans le cadre de l'entente, mais supposons que l'agent ait commis un acte criminel. Si les faits reprochés ont eu lieu au Canada, il fera l'objet de poursuite dans notre pays. Il en ira de même pour un Canadien trouvé fautif en territoire américain.
Par ailleurs, l'individu en question — disons un Américain en territoire canadien — serait assujetti aux mesures disciplinaires américaines, de la même manière qu'un agent canadien ayant enfreint les règles disciplinaires, et non commis un acte criminel, fera l'objet de sanctions conformément à la Loi sur la GRC ou à d'autres dispositions de cet ordre.
Le sénateur Dallaire : Si un Canadien travaillant sur un navire américain estime qu'une intervention aurait dû être menée, mais que les autorités américaines en ont décidé autrement, dans quelle mesure peut-il se plaindre de la décision américaine?
M. Toews : En fin de compte, sénateur, il faut reconnaître que la coopération est essentielle pour que l'on puisse travailler ensemble. Je pense que vous êtes sans doute le mieux placé pour comprendre les difficultés associées à la collaboration dans un contexte multinational.
Le sénateur Dallaire : C'est bien pourquoi je pose la question.
M. Toews : Nous devons nous en remettre en grande partie à la bonne foi de nos partenaires. On ne peut pas tout prévoir par écrit, mais je crois qu'en l'absence de coopération, il n'y a tout simplement pas de mission possible.
La présidente : Ces gens-là sont formés et se sont engagés à participer à ces opérations, ce n'est pas simplement qu'ils veulent...
M. Toews : Tout à fait, mais il y a toujours des difficultés techniques qui se posent dans ce genre de situations. Pour ce qui est de la protection de la population et de l'intérêt public, tant au Canada qu'aux États-Unis, j'estime que nous pouvons compter sur des mécanismes adéquats, qu'il s'agisse de poursuites pénales, de mesures disciplinaires ou de procédures plus courantes où nous pouvons simplement dire que nous ne souhaitons pas travailler avec telle ou telle personne et qu'un transfert s'impose. Je suis persuadé que cela s'est produit au cours de votre carrière. Pas que vous étiez directement en cause, mais d'autres personnes...
Le sénateur Dallaire : Merci beaucoup.
La présidente : C'est un tout autre sujet.
Le sénateur Lang : Je souhaite la bienvenue à nos invités de ce matin. Je tiens d'abord à féliciter le ministre et son cabinet relativement à un autre dossier qui touche de près ma région du Yukon. Par l'entremise de notre député et du gouvernement du Yukon, nous avons obtenu la prolongation des heures d'ouverture de l'un de nos postes frontaliers à compter, si je ne m'abuse, de la semaine prochaine. C'est un irritant que nous déplorons depuis de nombreuses années, et nous vous sommes assurément reconnaissants pour le temps et les efforts que votre personnel et vous-même avez consacrés à ce dossier. Le nouvel horaire va nous faciliter grandement les choses.
M. Toews : Au risque de m'engager sur une avenue inappropriée, le poste frontalier dont vous parlez est celui de Gold Creek?
Le sénateur Lang : Oui.
M. Toews : Il s'agit d'un édifice mixte qui est partagé par les douaniers américains et canadiens. Je crois qu'il y a une ligne rouge qui divise l'édifice en deux.
Le sénateur Lang : C'est possible; je n'en suis pas certain. Mais peu importe, nous voulons simplement nous assurer que le poste est ouvert.
M. Toews : Il est ouvert, et je crois que cela montre bien qu'il nous est possible, surtout dans les régions isolées, de conjuguer nos efforts afin d'offrir un service permettant d'accommoder les gens des deux pays qui souhaitent simplement traverser la frontière. C'est un bel exemple de collaboration entre le Yukon et l'Alaska pour le partage d'une installation.
Le sénateur Lang : Oui, et j'apprécie certes le travail accompli tant par les Américains que par les Canadiens.
La présidente : Encore une fois, laissons cela pour un autre jour, si vous permettez?
Le sénateur Dallaire : C'est votre première question.
Le sénateur Lang : Nous n'avons pas si souvent le plaisir d'accueillir le ministre.
Tout simplement dans le souci d'informer les Canadiens qui, pour la plupart, ignorent ce qui se passe à notre frontière commune et à quel point les règles sont bafouées, pourriez-vous, vous ou les personnes qui vous accompagnent, en dire davantage sur la nature réelle des problèmes actuels à cet endroit et sur celle des problèmes qui existaient avant le programme « Shiprider », pour qu'ils comprennent exactement leur historique et leur gravité, et la raison d'être du projet de loi.
M. Toews : Je tiens à insister sur le volet nautique, comme le fait le projet de loi. Essentiellement, après avoir commis un crime dans un pays, ses auteurs gagnaient en bateau les eaux du pays voisin, et la police était dans l'impossibilité de les y poursuivre.
Grâce au projet pilote — et je pense que l'idée était géniale —, la frontière, pour les besoins de la poursuite d'un criminel, cesse d'exister. Le projet de loi officialise la capacité de se lancer aux trousses de l'individu, non seulement sur l'eau, mais à terre aussi. C'est dans ces conditions seulement que, dans la loi, il est question de poursuite sur l'eau ou à terre.
Cependant, encore une fois, je dois insister que la poursuite se fait sous la direction de l'agent du pays dans lequel on se trouve, que ce soit sur l'eau ou à terre.
Le sénateur Lang : Je tiens à parler de souveraineté. Bien sûr, c'est un point sensible pour beaucoup de Canadiens et d'Américains. La disposition selon laquelle l'opération de police doit « s'effectuer selon les directives d'un agent désigné du pays hôte » satisfera à ce critère, en ce qui concerne la direction des opérations et les règles à appliquer de part ou d'autre de la frontière, n'est-ce pas?
M. Toews : Absolument. Les agents, en fait, seront formés à la loi canadienne, s'ils sont américains, pour comprendre les pouvoirs dont ils disposent au Canada. Bien sûr, les agents canadiens devront être formés au droit américain afin de participer à ces opérations.
Contrairement à l'opinion du grand nombre, il n'y a pas tant de différences entre les deux systèmes juridiques, mais certaines pourraient compter, pas tant en ce qui concerne la protection des droits, lors d'une arrestation, mais en ce qui concerne la protection et la préservation des éléments de preuve, pour les poursuites judiciaires et la marche à suivre à cette fin.
Le sénateur Lang : Et pour que ce soit couronné de réussite.
M. Toews : Couronné de réussite, bien sûr.
Le sénateur Plett : Monsieur le ministre, vous avez en partie satisfait notre curiosité, mais j'aimerais que vous me guidiez, si vous le pouvez, sur le bateau, qu'il appartienne à la garde côtière américaine ou à la GRC. Supposons un bateau de la garde côtière à la poursuite de quelqu'un, depuis les États-Unis, mais qu'on l'arrête au Canada. Qu'arrive- t-il après qu'on a porté les accusations? On accoste du côté canadien. Est-ce que l'opération conserve ensuite sa cohésion? Qu'arrive-t-il ensuite?
M. Toews : Je laisse à M. Taschereau le soin de répondre. Je tiens cependant à souligner — et M. Taschereau entrera dans les détails — que même si l'infraction a été commise aux États-Unis — partons de l'hypothèse que son auteur s'est rendu dans les eaux canadiennes et qu'il y a été arrêté. On ne peut pas lui faire franchir de nouveau la frontière et l'incarcérer l'autre côté.
Dès que le suspect se trouve au Canada, il faut passer par tout le processus ordinaire de l'extradition, si la personne ne consent pas volontairement à retourner dans l'autre pays.
Rien, dans le processus, ne permet de court-circuiter les droits que possède l'individu en vertu des traités d'extradition et de la loi.
Marc Taschereau, chef, Stratégies frontalières, Interopérabilité en matière de sécurité publique, Sécurité publique Canada : En réponse à votre question, si les accusations sont portées au Canada, l'accusé sera traité d'après la loi canadienne et poursuivi ici, au Canada, pour l'infraction commise au Canada. C'est ainsi, au fond, que ça se passera.
M. Toews : Si l'infraction est commise aux États-Unis, l'individu n'est pas accusé. Il est détenu au Canada, puis les procédures d'extradition sont entreprises après que les Américains ont porté contre lui des accusations aux États-Unis et qu'ils ont rempli les documents appropriés de demande d'extradition.
Le sénateur Plett : Ai-je raison de penser que, après l'accostage du bateau au Canada, l'individu serait confié à la GRC qui s'occupera, à partir de là, des formalités nécessaires?
M. Toews : Cela dépend des faits, mais, de manière générale, c'est juste.
Le sénateur Plett : Nous avons parlé beaucoup des projets pilotes, particulièrement dans les régions de Windsor et de Vancouver.
Dans le sud du Manitoba, une petite étendue d'eau seulement sépare le Canada des États-Unis. Je vis sur les bords de ce lac et je m'inquiète de la tranquillité de mes nuits. Si un bateau de la GRC patrouillait dans ces eaux peu étendues, y aurait-il des agents de la garde côtière à bord?
M. Toews : Non, il faudrait qu'ils soient désignés. Le fait d'être simplement agent de la GRC ou de la garde côtière ne donne pas le pouvoir de franchir la frontière.
Le sénateur Plett : Il y aurait des bateaux qui patrouilleraient et qui ne seraient pas désignés pour l'opération Shiprider?
M. Toews : C'est exact. La désignation « Shiprider » serait l'exception plutôt que la règle.
Le sénateur Lang : Mais pas en Colombie-Britannique ni dans les Grands Lacs?
M. Toews : Le critère important est que tous les agents doivent être désignés. Un Canadien ne peut pas assumer le pouvoir d'appliquer les lois américaines aux États-Unis et vice versa. Dans ce processus dont on a prévu tous les détails, la désignation doit être officielle.
Je ne pense pas que, si on laissait des Américains appliquer la loi au Canada et des Canadiens appliquer la loi aux États-Unis, cela donnerait de bons résultats. Il faut un processus et une désignation particuliers de même qu'une formation qui permettront de respecter les droits dans les deux pays et qui feront en sorte que les agents sauront comment réagir à l'information et ainsi de suite.
Le sénateur Mitchell : Inévitablement et malheureusement, il faudra peut-être employer des armes à feu dans ces opérations. Est-ce que les règles d'engagement sont généralement différentes pour les agents des deux pays? Est-ce qu'on en a opéré une synthèse et une coordination?
M. Toews : M. Taschereau peut vous éclairer. Les règles d'engagement avec des armes à feu sont différentes, mais je tiens à préciser que, au Canada, les règles canadiennes s'appliquent aux agents américains.
M. Taschereau : Je pense que l'usage de la force, par la GRC et la garde côtière américaine, ne diffère presque pas dans ses méthodes. Malgré tout, si des différences existent, l'entraînement et la formation, qui est un important élément de base de ce programme, feront en sorte que les agents comprennent parfaitement ce qu'ils ont à faire de part et d'autre de la frontière.
Le sénateur Mitchell : D'après l'accord, le commissaire de la GRC est l'autorité centrale et il désigne les agents canadiens qui pourront participer au programme. Il peut désigner des agents de la GRC ou des agents de police qui sont nommés ou effectivement employés par la province.
Si on emploie des agents de la police provinciale, par qui seront-ils rémunérés? Est-ce que le gouvernement fédéral se chargera de cette responsabilité budgétaire?
M. Toews : Quand un agent de la GRC est détaché au Manitoba, par exemple, il peut agir à trois différents titres : agent de police municipal, provincial ou fédéral. Par exemple, au Manitoba, environ 15 p. 100 des responsabilités et des agents de la GRC sont désignés par les autorités fédérales.
Probablement que l'un de ces agents serait précisément désigné pour veiller à l'application de la loi le long de la frontière. Il émarge déjà au budget fédéral.
Cela dit, ce n'est pas toujours aussi évident, parce que le même individu peut cumuler les trois responsabilités. D'après moi, l'argent a peu d'importance dans ce contexte.
Le sénateur Mitchell : Cela ne concerne pas la nomination d'un agent de police de l'Ontario ou du Québec pour faire partie des opérations Shiprider?
Richard Wex, sous-ministre adjoint, Secteur de l'application de la loi et de la police, Sécurité publique Canada : Les accords en ce sens seront négociés avec le service de police de la province en question. Vous avez raison de dire que les agents n'ont pas besoin d'être uniquement de la GRC; ce pourrait être un agent de la police provinciale ou d'un service municipal indépendant. Comme le ministre l'a bien fait remarquer, les agents de police de ces municipalités sont souvent des agents de la GRC qui fournissent des services en vertu d'un contrat. Selon les circonstances et le contrat, les parties se seront entendues sur les coûts.
Le projet de loi ne dit rien de ces protocoles ou de ces questions opérationnelles. Il aménage plutôt un cadre qui permet le déroulement du programme Shiprider.
Le sénateur Hubley : Merci, monsieur le ministre, de votre visite. J'aimerais en savoir davantage sur les coûts éventuels. Vous avez dit que, de chaque côté, il faudra de la formation en droit. Dans quels autres domaines y aura-t-il des besoins? Pour ces opérations, est-ce qu'on aura besoin d'équipement supplémentaire? Est-ce que cela entraînera des dépenses?
M. Toews : Nous ne prévoyons pas d'augmentation des coûts pour les services de police, mais, bien sûr, il faudra de la formation.
M. Taschereau : C'est une loi habilitante. En soi, elle n'entraîne pas de coûts. C'est un modèle. Ce qui est bien, dans ce modèle, c'est qu'il permet à la GRC et à la garde côtière américaine d'utiliser plus efficacement leurs ressources. Même en n'ajoutant pas de nouveaux agents ni de nouveaux bateaux, nous pouvons mieux utiliser nos ressources. La loi permet de les démultiplier.
Le sénateur Hubley : Les ressources du Canada sont-elles à la mesure des ressources américaines? Pourrons-nous être efficaces avec ce que nous avons?
M. Taschereau : Ici, l'autre jour, M. Oliver a dit que la GRC disposait de 400 bateaux, parmi lesquels 4 sont spécifiquement consacrés aux opérations Shiprider. Cela ne se compare pas à l'équipement de la garde côtière américaine. Elle possède beaucoup plus de ressources que nous, et on peut dire la même chose de tous les organismes frontaliers.
Malgré cela, nous pourrons utiliser plus efficacement nos modestes ressources. Même si on n'a pas fixé de ratio, un bateau de la GRC, généralement, opérera de concert avec un de la garde côtière américaine dans nos eaux communes.
Le sénateur Manning : Avez-vous dû trouver des ressources financières supplémentaires pour mettre en œuvre ce programme?
M. Toews : J'ai compris qu'aucune ressource supplémentaire n'est nécessaire.
Si on prend en considération les agents déjà affectés aux Grands Lacs, le projet de loi ne fait qu'augmenter leur capacité de traverser la frontière et de poursuivre un individu précis, au besoin, mais nous n'avons pas besoin de chercher à obtenir plus de ressources à cause du programme Shiprider.
Je suis convaincu que la GRC ou tout autre organisme, si on lui pose la question, cherchera à nous convaincre qu'il a toujours besoin de ressources supplémentaires. Grâce au programme « Shiprider », nous ne cherchons pas à obtenir, pour le moment, de ressources particulières.
Le sénateur Manning : Je sais que nous avons discuté, lors de séances antérieures, du volet terrestre du projet de loi. Monsieur le ministre, vous l'avez évoqué quand vous avez dit que la police était aux trousses d'un individu, c'est-à-dire qu'elle pouvait débarquer à terre, pour autant qu'elle était aux trousses de quelqu'un.
En ce qui concerne la surveillance aérienne, qui, j'en suis convaincu, est permanente, le projet de loi comporte-t-il des dispositions autorisant cette activité? Est-ce qu'on en a tenu compte? En ce qui concerne le survol du Canada par des appareils américains ou vice versa, y a-t-il, dans le projet de loi, des dispositions à cet égard ou est-ce que l'on s'en occupe, d'une manière ou d'une autre? Prévoyez-vous que cela se fera?
M. Toews : Le projet de loi n'autorise pas le survol du territoire canadien par des appareils américains, drones ou autres. Manifestement, un drone américain est capable de survoler le Canada. Je pense qu'il en a été question dans les journaux. Notre frontière commune est surveillée par les Américains au moyen de drones. C'est de notoriété publique.
Ce qui importe, pour moi, c'est la coordination de ce type de ressources, dans un souci d'efficacité, mais cela n'autorise aucunement l'intrusion d'équipement américain au Canada, si ce n'est pour des opérations sur l'eau.
M. Wex : Comme le ministre l'a dit, c'est juste dans la mesure où nous ne parlons pas de drones, sujet que les médias ont soulevé. Il y a peut-être des drones au sud de la frontière, mais là n'est pas la question. Le projet de loi et l'accord- cadre prévoient de la surveillance aérienne pour aider le travail des bateaux, comme le ministre l'a dit. Ils ne servent pas directement aux opérations de police, mais ils doivent servir d'yeux dans le ciel, en quelque sorte, pour fournir le soutien aérien qui assurera au bateau sur place une connaissance du domaine, c'est-à-dire de ce qui se passe sur l'eau.
Comme je pense l'avoir dit, la dernière fois que j'étais ici, un navire suspect peut se cacher derrière une île, et le bateau de l'opération Shiprider peut l'avoir perdu de vue. Grâce au contact radio et au soutien aérien, l'information transmise à ce bateau pourra l'aider à s'orienter et à effectuer l'arrestation nécessaire.
Le sénateur Manning : Ça, c'est le soutien.
M. Wex : Du soutien uniquement, et non une participation directe au travail policier.
La présidente : Merci de votre collaboration. Nous avons du temps pour une deuxième série de questions.
Le sénateur Dallaire : Monsieur Taschereau, vous avez mentionné que le projet de loi, grâce à l'aide qu'il apporte, vous donne de la flexibilité, même en ce qui concerne les ressources de votre ministère. Cela donne aussi la possibilité de circuler en camion Mack et à manœuvrer pour obtenir du financement sans nécessairement préciser pourquoi, pendant l'adoption du projet de loi.
Le ministre est d'avis qu'on n'a pas besoin de fonds supplémentaires et que ces dépenses sont déjà prises en compte dans le contexte canadien, et on présume que c'est le même scénario de l'autre côté et que les Américains se sont joints à nous dans ce projet, soit parce qu'ils ont les fonds, soit parce qu'ils ne voient pas le besoin d'avoir un plus grand effectif. Ils n'exigeront pas le partage des coûts parce qu'ils vont mettre ce programme en oeuvre, même s'ils pourraient y affecter plus de personnes que nous.
M. Toews : Il n'y a pas de budgets conjoints pour la mise en œuvre de ce programme. Je crois qu'il importe de reconnaître qu'il profite non seulement au Canada, mais aussi aux États-Unis, si on songe à la marge de manoeuvre qu'on gagnera à la frontière.
Selon nous, la mise en œuvre de cette initiative ne nécessitera pas de ressources supplémentaires, comme ce fut le cas pour le projet pilote de 2005. On a simplement utilisé les agents en place et on leur a donné la souplesse juridique nécessaire pour travailler des deux côtés de la frontière. Je crois que c'est de cette façon que les Américains voient la chose. C'était certainement l'essentiel des échanges que j'ai eus avec les autorités américaines.
M. Taschereau : C'est vrai.
Le sénateur Dallaire : L'entente ne prévoyait donc pas, d'un côté comme de l'autre, l'établissement des coûts d'opération et de maintenance que représente la mise en œuvre de ce programme et, si c'était le cas, cela ferait l'objet d'une négociation distincte. Est-ce bien cela?
M. Toews : Ce serait une négociation distincte. Je déteste faire des hypothèses. Toutefois, si on reconnaît, par exemple, qu'il nous faut plus d'agents ou un autre bateau, il faudra évidemment puiser les ressources au sein de la GRC ou de la Garde côtière, ou il faudra qu'un crédit soit adopté par le Parlement. À l'heure actuelle, nous ne croyons pas que ce soit nécessaire.
Le sénateur Dallaire : La vérification d'état-major interne est donc faite.
Les agents de nos services frontaliers, qui sont maintenant armés et...
M. Toews : La plupart d'entre eux.
Le sénateur Dallaire : Eh bien, nous pourrions débattre de cette question également.
La police autochtone — et je ne sais pas si nous pouvons parler des « eaux autochtones », mais ces cours d'eau longent le territoire autochtone — ne participe pas à cet exercice.
M. Toews : Selon moi, rien n'empêche les forces policières autochtones et celles des Premières nations à prendre part à cette initiative. À l'instar des ententes que nous pourrions conclure avec la Police provinciale de l'Ontario ou avec la Sûreté du Québec, rien n'empêcherait l'intégration des ressources de certaines collectivités des Premières nations. Comme vous le savez, ces communautés ont été mêlées à certaines activités de contrebande transfrontalière. Leurs agents pourraient être les mieux placés pour connaître le terrain, la rivière ou le lac et ils pourraient donc collaborer, mais il faudrait qu'ils se soumettent à la même formation que tous les autres agents canadiens.
Le sénateur Dallaire : Ils répondent donc aux normes.
M. Taschereau : À Akwesasne, la police a été formée. Deux ou trois de ces agents ont été formés dans le contexte de Shiprider; ils ont suivi les cours. Nous envisageons activement de faire appel non seulement à la PPO ou à d'autres forces policières municipales, mais aussi aux associations de police autochtones.
Le sénateur Dallaire : Je parlais aussi de notre équipe frontalière, la police frontalière fédérale ou les gardes frontières.
M. Toews : L'ASFC?
Le sénateur Dallaire : Oui. Maintenant que les agents sont armés, peuvent-ils être désignés comme agents de la paix et être engagés dans cet exercice? Ce n'est pas précisé ici.
M. Toews : Non.
Le sénateur Dallaire : Ils n'en feront pas partie du tout?
M. Toews : Non. Ils ont une fonction très distincte, et nous avons essayé de garder cette distinction.
Le sénateur Plett : Le sénateur Dallaire a parlé un peu des ressources. Rien ne montre que nous nous engageons à affecter à ce programme des ressources équivalentes à celles des États-Unis.
M. Taschereau a mentionné tout à l'heure que les navires de la garde côtière des États-Unis sont beaucoup plus nombreux que les bateaux de la GRC. Cela signifie, selon moi, que notre pays tire un bénéfice net du fait que les États- Unis ont beaucoup plus de navires et d'équipement que nous. Est-ce exact?
M. Taschereau : Absolument. Aucun ratio n'est établi dans cette mesure législative et dans cette entente-cadre.
Bien que l'intention générale soit d'utiliser un nombre comparable d'agents et de bateaux, on peut concevoir que nous pourrions tirer profit de ressources américaines supplémentaires, ce qui servirait nos intérêts en nous permettant de cerner et de contrer des activités criminelles transfrontalières.
M. Toews : Disons que nous n'avons que quatre bateaux de la GRC et que les Américains en ont quatre autres et que nous n'arrêtons plus à la frontière. Cela signifie qu'un bateau peut traverser la frontière et, donc, que le même nombre de bateaux, les huit bateaux, nous donne une certaine marge de manœuvre et augmente nos capacités opérationnelles. Dans ce sens, c'est un réel avantage pour le Canada, et je dirais également pour les États-Unis.
Le sénateur Mitchell : Monsieur le ministre, à la page 13 de vos notes d'allocution, vous dites : « Nous avons également pris des mesures concrètes afin d'assurer une surveillance et une responsabilité adéquates. » Vous parlez ensuite d'un processus qui serait semblable à celui qui existe déjà à la GRC.
Or, la responsabilisation et la surveillance à la GRC posent problème ces jours-ci. Pouvez-vous nous parler de la structure, nous dire pourquoi nous devrions faire confiance à ce processus et croire que la GRC pourrait être tenue responsable dans ce cas? Pouvez-vous préciser combien d'argent sera affecté à ce processus?
M. Toews : La responsabilisation fait essentiellement l'objet d'un autre projet de loi. La commission des plaintes sera mise sur pied, et les agents auront des pouvoirs disciplinaires à l'intérieur de la GRC, qui sont très limités à l'heure actuelle. Je crois que cela répond à certaines plaintes du public, qui avaient trait à ce processus extrêmement complexe.
Nous essayons d'avoir beaucoup plus de souplesse, à l'exemple des militaires, pour ce qui est de la discipline des agents. Les cas n'auront pas tous à être soumis au commissaire, mais les officiers hiérarchiques pourront prendre ces décisions disciplinaires également.
La création d'une commission chargée des plaintes du public, qui est un organisme indépendant, et l'exercice des pouvoirs disciplinaires à un niveau inférieur sont des projets que notre gouvernement mettra de l'avant par suite de l'excellent travail fait par les gens de la Sécurité publique. Ce sont là des choses que le commissaire m'a précisément demandées. Je me demande seulement pourquoi on ne l'a pas fait bien avant et pourquoi on ne s'est pas inspiré du modèle militaire, qui prévoit une délégation très sensée des pouvoirs disciplinaires.
Le sénateur Mitchell : On a parlé du rôle de l'ASFC et on a dit qu'elle ne participe pas directement à ce programme. Existe-t-il des tensions à cet égard? L'agence ne se serait-elle pas attendue à être mise à contribution? Comment va-t-on coordonner tout cela?
M. Toews : Les agents de l'ASFC sont formés pour autre chose. Ils ne constituent pas une force policière comme la GRC. Nous voulons certes qu'ils soient plus que des percepteurs de taxes, et c'est pourquoi ils sont armés. Ils ont certaines fonctions liées à l'application de la loi, des fonctions très importantes tant à la frontière et qu'à l'intérieur des terres. Comme vous le savez, ils ont eu un énorme succès avec l'initiative des personnes les plus recherchées. Sur les quelque 90 individus que nous avons inscrits sur la liste — des gens qui avaient réussi à échapper à une arrestation pendant des années et qui, tout à coup, se font attraper —, je crois qu'environ 35 ont été arrêtés et sont retournés en détention, et nous espérons qu'ils retourneront chez eux le plus tôt possible.
Rappelez-vous que l'ASFC s'occupe de tous nos aéroports et veille aussi à l'application de la loi à l'intérieur des terres. L'agence participe d'une façon ou d'une autre à quelque 15 000 déportations chaque année. Ces agents ont une fonction différente de celle de la police. Leur formation n'est pas la même, et j'hésite un peu à dire qu'ils sont des agents de police au même titre que les agents de la GRC ou de la PPO. Ils ont une fonction différente. Je crois qu'il faut faire bien attention de ne pas confondre ces rôles.
Le sénateur Mitchell : Pour revenir à la responsabilisation, à la structure et aux changements législatifs, quand prévoyez-vous que ce projet de loi sera présenté?
M. Toews : Je ne sais jamais ce que je peux dire publiquement. C'est un monde très compliqué.
Le sénateur Mitchell : Nous sommes entre amis ici.
M. Toews : Il y a le secret du cabinet, et certaines de ces questions n'ont pas encore été discutées au sein du cabinet. Je ne me rappelle pas si j'ai lu cela dans le journal ou si c'était dans mes notes de breffage. Je suis très prudent lorsqu'il s'agit de parler de ces choses.
Je crois vous avoir dit tout ce que je pouvais sur ce projet de loi, mais je peux vous dire « très bientôt ». Je connais très bien tous les aspects de cette mesure législative, et je suis très emballé. Je crois qu'elle comblera un vide qui a causé beaucoup de problèmes à la haute direction de la GRC. Elle permettra aussi de regagner la confiance du public à l'égard de notre force policière nationale, une confiance qui s'est effritée. Pour moi, il s'agit d'une priorité et c'est pourquoi je vous dis « bientôt ».
Le sénateur Mitchell : On ne peut pas agir trop tôt.
M. Toews : Je suis d'accord avec vous, sénateur.
La présidente : Si vous êtes emballé par l'information, vous devez l'avoir lue dans votre note de breffage; ce ne pourrait être dans un éditorial.
M. Toews : Je suis toujours fasciné par une bonne œuvre de fiction.
La présidente : Nous en avons lu beaucoup.
Le sénateur Hubley : J'ai une question au sujet de vos notes, si vous le voulez bien, monsieur le ministre. Vous avez mentionné — et je me suis posé la question à ce moment-là — que les projets pilotes avaient contribué à sévir contre les crimes commis sur les voies maritimes, mais qu'ils se sont aussi avérés utiles pour aider les agents de police à enrayer les activités criminelles sur leurs territoires respectifs. Pouvez-vous faire des commentaires à ce sujet?
J'aimerais ensuite savoir si, selon vous, d'autres lacunes seront ou devraient être corrigées à l'avenir, à mesure que l'activité sur les voies navigables sera renforcée. Que fait-on ensuite?
M. Toews : Je ne veux pas trop parler des détails opérationnels, mais nous remarquons que, lorsqu'on se concentre dans un certain secteur de navigation, les criminels n'y vont plus et doivent trouver des solutions de rechange. Ils vont parfois en amont ou en aval de la rivière. Ils estiment parfois que le risque est trop grand sur la rivière et ils traversent alors la frontière par voie terrestre. C'est ce que nous avons vu avec le projet Shiprider. On a poussé les criminels vers les postes frontaliers, et c'est là que les arrestations ont eu lieu. Il y a un effet de déplacement.
Le sénateur Hubley : Notre surveillance terrestre était-elle adéquate?
M. Toews : Nous avons augmenté le nombre d'agents de l'ASFC d'environ 26 p. 100, et nous avons utilisé au maximum les agents de première ligne, ce qui a fait toute une différence. Je crois qu'on discutera toujours du juste nombre qu'il convient d'avoir, mais nous avons très bien compris qu'il fallait renforcer ces postes frontaliers.
Le sénateur D. Smith : J'ai eu à traverser la frontière récemment. Je ne vais pas vous parler du voyage que j'ai fait à Philadelphie la semaine dernière.
M. Toews : Nous en avons entendu parler.
Le sénateur D. Smith : C'est un autre incident.
J'ai une simple question. J'aimerais bien parler du Mexique, mais nous n'en avons pas le temps. Au bas de la page 5 de vos notes, vous dites :
Le projet Shiprider permet à des agents d'application de la loi canadiens et américains spécialement entraînés et désignés de travailler ensemble en vue de faire respecter la loi des deux côtés de la frontière maritime.
Je présume qu'il y a une contrepartie. Autrement dit, peu importe le statut que nos agents ont de leur côté, les agents américains auront ce même statut de notre côté. Leur statut est-il différent et la portée de ce qu'ils peuvent faire sur leur territoire respectif est-elle différente? Je présume que ce serait plus ou moins la même chose.
M. Toews : Il y a un élément de réciprocité, mais n'oubliez pas que les Américains n'amènent pas leurs lois en sol canadien.
Le sénateur D. Smith : Je comprends cela.
M. Toews : Il n'y a pas de réciprocité à cet égard. Lorsqu'ils se trouvent au Canada, même si les normes sont différentes, ils doivent s'y conformer.
Le sénateur D. Smith : La même chose s'applique pour nous lorsque nous nous trouvons du côté américain.
M. Toews : Exactement. Il y a une réciprocité en ce sens que les agents de part et d'autre vont porter des armes à feu des deux côtés de la frontière. Toutefois, si un Canadien commet un acte criminel durant l'opération là-bas, il sera poursuivi en vertu des lois américaines. De même, si un Américain enfreint nos lois, il sera poursuivi en vertu des lois canadiennes. Est-ce que cela répond à votre question?
Le sénateur D. Smith : Évite-t-on ainsi les mesures d'extradition?
M. Toews : Non. Nous en avons parlé tout à l'heure. Si vous traversez la frontière et que vous avez la chance de revenir au Canada, l'extradition ne se fera qu'en suivant les procédures juridiques et officielles.
Le sénateur D. Smith : C'est ce que j'avais présumé.
M. Toews : C'est très clair. Nous ne voulons pas contourner les lois en matière d'extradition.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur le ministre. Une fois de plus, votre présence et vos explications sont appréciées. Nous remercions aussi M. Wex et M. Taschereau d'être revenus nous voir.
M. Toews : Merci beaucoup. Je remarque toujours combien les gens sont polis au Sénat et combien leurs questions sont réfléchies. Je ne sais pas comment vous faites.
Le sénateur D. Smith : Nous méditons.
La présidente : Voilà. Nous sommes ravis de donner des leçons à l'autre côté.
Notre prochain témoin, qui comparaît à titre personnel, est M. Bill Anderson, du Centre de transport frontalier de l'Université de Windsor. M. Anderson occupe la chaire de recherche de l'Ontario sur la politique de transport transfrontalier. Il s'intéresse de près au flux commercial et à la sécurité le long de la frontière entre le Canada et les États-Unis. Je crois qu'il apporte un point de vue unique du fait qu'il est Américain et qu'il vit maintenant au Canada; il a pu observer la chose des deux côtés.
Monsieur Anderson, je crois comprendre que vous avez une déclaration préliminaire. Nous vous souhaitons la bienvenue et nous vous invitons à prendre la parole.
Bill Anderson, Ph.D., chaire de recherche de l'Ontario sur la politique de transport transfrontalier, professeur, Sciences politiques, Université de Windsor, à titre personnel : Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant le comité pour faire des commentaires sur la section 12 du projet de loi C-38. Pour vous dire quelques mots sur moi, je suis spécialiste en géographie économique. Les recherches que j'ai menées au fil des années ont porté sur le transport et le commerce dans les relations Canada-États-Unis. Je dois souligner que je suis membre du corps professoral du Canada depuis près de 20 ans, quoique de façon discontinue. J'ai donc traversé la frontière très souvent.
Dans le cadre des fonctions que j'occupe présentement à l'Université de Windsor, je me concentre sur le transport transfrontalier. Je ne suis pas un expert des opérations liées à l'application de la loi, mais je m'intéresse naturellement aux questions de sécurité qui ont trait à la frontière. Comme la présidente l'a fait remarquer, je suis citoyen à la fois du Canada et des États-Unis. De toute façon, mon accent de Boston me trahit habituellement.
La présidente : Nous vous aurions repéré, il est vrai.
M. Anderson : D'un point de vue pratique, les avantages du programme Shiprider sont clairs : les individus qui commettent des activités illégales, comme le trafic de drogues, d'armes à feu ou d'immigrants clandestins, ou même des actes terroristes, ne peuvent plus se réfugier de l'autre côté de la frontière. En outre, comme il est difficile de patrouiller de vastes étendues d'eau où des centaines de milliers de petits bateaux circulent, ce programme contribue à affecter efficacement les ressources et à éliminer le dédoublement des efforts.
Toutefois, j'aimerais concentrer mes brefs commentaires non pas sur les détails opérationnels, mais bien sur la façon dont le programme Shiprider s'inscrit dans ce que je crois être un nouveau modèle de bonne gestion de la frontière canado- américaine. Permettez-moi d'abord de faire une mise en contexte. Je vous promets de revenir ensuite au programme Shiprider.
Je crois que l'expression « sécurité du périmètre » porte énormément à confusion. Le périmètre est, selon les dictionnaires, la limite extérieure, si bien que l'approche basée sur le périmètre porte parfois à croire que la sécurité, l'immigration et les douanes en Amérique du Nord doivent se transposer à la limite extérieure des territoires canadiens et américains combinés et vers les aéroports qui servent de points d'entrée dans les deux pays, ce qui rend la frontière canado- américaine sans conséquence. Cette perception est renforcée par l'exemple de l'Accord de Schengen, qui a éliminé complètement les inspections et la paperasse aux frontières entre les pays d'Europe. Toutefois, je ne crois pas que Schengen soit un modèle qui convienne au contexte canado-américain.
Ce qu'il faut comprendre, c'est que, puisque de nombreuses procédures frontalières sont nécessaires à cause des différences de politiques entre États voisins, l'élimination de la frontière n'est possible que si l'on procède à un haut niveau d'harmonisation des politiques. L'Union européenne a eu plus de 50 ans pour réaliser cette harmonisation, en commençant par la création d'une union douanière et, plus récemment, en adoptant une politique commune en matière de visa. Or, le Canada et les États-Unis n'ont pas d'union douanière et ont des politiques très différentes en ce qui a trait notamment aux visas et aux armes à feu. Même si l'objectif était d'éliminer les fonctions frontalières à la manière de l'Europe, le processus nécessaire d'harmonisation des politiques prendrait probablement des décennies. Par ailleurs, je ne suis pas convaincu qu'une harmonisation aussi complète soit même souhaitable.
Bien que les coûts imposés par la frontière aient occupé une grande partie de mon temps, j'en suis également arrivé à réaliser que la frontière comporte des avantages politiques et sociaux importants, parce qu'elle permet au Canada de définir et de renforcer ses propres lois et politiques.
Notre objectif ne doit pas être de faire disparaître la frontière ou de lui faire perdre sa pertinence, mais bien de préserver les avantages qu'elle assure tout en gérant les coûts qu'elle génère, grâce à une exécution plus efficace des fonctions frontalières. Le maintien de la frontière ne signifie pas que nous sommes condamnés à un régime inefficace où les mêmes fonctions sont exécutées de manière indépendante de part et d'autre de la frontière. Compte tenu de la longue tradition de paix et de coopération qui unit le Canada et les États-Unis, il est certainement possible de gérer notre frontière commune en collaboration, tout en préservant l'intégrité des lois de chaque pays sur son propre territoire.
Le projet Shiprider est un bon exemple de la façon dont on peut y arriver. Si j'ai bien compris, ce projet permet aux responsables canadiens d'épauler leurs homologues américains dans l'application des lois américaines aux États-Unis, et aux responsables américains d'aider leurs homologues canadiens dans l'application des lois canadiennes au Canada. C'est l'inspiration derrière, entre autres, la création des Équipes intégrées de la police frontalière, la coopération entre les deux pays pour le contrôle de conteneurs dans des ports étrangers et le principe de « dédouané une fois, accepté deux fois ».
Grâce à Shiprider, les responsables des deux pays peuvent travailler sur le territoire de l'autre. La section 12 du projet de loi en définit les modalités, tout en veillant à ce que l'application des lois canadiennes au Canada relève d'un Canadien et que l'application des lois américaines aux États-Unis relève d'un Américain.
Ceux qui prétendent que Shiprider cherche à fragiliser la frontière canado-américaine comprennent très mal le projet. Il ne sert qu'à éliminer la frontière comme lieu de refuge pour les criminels et à préserver celle-ci en tant que ligne de démarcation entre deux pays souverains. Les projets pilotes menés depuis 2005 montrent que, si la mise en œuvre du projet est réussie, il s'agira d'un pas important vers un modèle de gestion plus efficient et efficace de la frontière entre les deux pays.
La présidente : Merci beaucoup pour votre exposé et votre point de vue.
Je sais que beaucoup de gens ont participé à des activités de copatrouille et étudié le dossier. Avez-vous consulté les gens de votre région pour connaître leur opinion à l'égard de ce projet?
M. Anderson : Oui. Je participe à presque toutes les activités relatives à Shiprider et bon nombre se déroulent près de Windsor et de Detroit. Il y en a eu une d'envergure récemment à Dearborn et une autre à Windsor. Nous avons assisté à des présentations, dont quelques-unes sur le terrain.
J'ai également eu une discussion avec le directeur du port de Windsor qui participe à toutes les consultations sur le sujet. Je ne suis pas monté à bord d'une embarcation, mais j'ai beaucoup entendu parler du projet. Les gens de Windsor vous diront probablement qu'ils savent ce que veut dire « Shiprider ».
La présidente : C'est une des raisons pour lesquelles nous vous avons invité. Ce n'est pas un terme courant partout au pays. Croyez-vous que les gens sont à l'aise avec ce projet, qu'ils le considèrent efficace, peu importe leur niveau de participation à celui-ci?
M. Anderson : Je crois que les plaisanciers s'attendent à ce qu'il y ait plus de confrontations avec les autorités ou plus de contrôles de la part de ces dernières. N'oublions pas qu'il y a des dizaines de milliers d'embarcations de plaisance, même à Windsor. C'est donc un sujet très délicat dans cette région. C'est la raison pour laquelle les gens craignent que Shiprider entraîne une augmentation du nombre d'interventions.
Le PDG du port de Windsor, qui exploite aussi la plus grande marina de la région, si je ne m'abuse, est pratiquement certain que cela ne se produira pas, car l'idée n'est pas d'intervenir auprès d'un grand nombre de plaisanciers, mais bien de s'attaquer à des activités illégales ciblées. C'est pourquoi il tente de calmer les inquiétudes des citoyens à cet égard.
La présidente : C'est aussi l'information que nous avons obtenue, soit que ce projet permettra de renforcer les activités policières et de soutenir la lutte contre la criminalité. Les interventions ne se feront pas au hasard.
Le sénateur Dallaire : Monsieur Anderson, l'objectif de ce projet de loi, dans lequel on retrouve l'Accord-cadre sur les opérations intégrées transfrontalières maritimes, consiste à mettre en place des moyens supplémentaires de prévenir, de détecter et de réprimer les infractions criminelles et autres violations de la loi dans les zones non contestées de la mer ou des eaux internes longeant la frontière.
Les ressources sont insuffisantes pour garantir une surveillance visuelle ou même à l'aide de dispositifs électroniques ou de veille thermique 24 heures sur 24, sept jours sur sept pour détecter, notamment, des armes illégales sur des navires. Il faut donc s'appuyer sur le renseignement.
Selon vous, les Américains, qui ont une grande variété d'organismes spécialisés dans la collecte de renseignement, semblent-ils disposés à communiquer aux autorités canadiennes l'information dont ils disposent afin de coordonner la saisie de produits illégaux, comme des drogues et des armes et d'en empêcher le transport?
M. Anderson : Soyons clairs. Je n'ai aucune information de première main me permettant de répondre à cette question. Cependant, je discute avec des gens du milieu qui me disent qu'il y a déjà beaucoup de coopération transfrontalière eu égard à la mise en commun de renseignements, pourvu que ceux-ci concernent des navires se trouvant sur la rivière Detroit ou le lac Sainte-Claire.
Pour le reste, j'ignore quels organismes américains fourniraient des renseignements.
Le sénateur Dallaire : Prenons, par exemple, les navires qui empruntent la Voie maritime du Saint-Laurent. Selon vous, Shiprider nous permettra-t-il de renforcer notre capacité à détecter, à surveiller et à prévenir le transport de produits illégaux, d'armes ou d'engins nucléaires, entre autres, ou y aura-t-il encore des lacunes à ce chapitre? Contrairement à la contrebande de cigarettes, ce genre d'activité constitue un risque pour la sécurité du pays.
M. Anderson : Vous avez raison. Ces activités sont très importantes, et il ne fait aucun doute que notre système présente de sérieuses lacunes. Le projet Shiprider permettra d'en combler, mais le problème demeurera important.
La présidente : La frontière est longue entre nos deux pays.
Le sénateur Dallaire : Si je peux me permettre, après les attentats du 11 septembre, les États-Unis ont accusé le Canada d'être une passoire. Selon eux, on laissait passer beaucoup de choses. C'est la raison pour laquelle ils ont accru leur surveillance à la frontière. En raison de la grande capacité que se sont bâtie les Américains en matière de collecte de renseignements, processus auquel nous avons contribué, je me demande si ce projet favorise une communication accrue de renseignements classifiés. Au moins, à défaut d'avoir les ressources pour faire de la surveillance visuelle, on aurait des renseignements permettant de savoir ce qui se prépare et d'intervenir convenablement.
M. Anderson : Je n'ai aucune information concernant la communication de renseignements classifiés.
Le sénateur Lang : J'aimerais revenir sur une question posée par Mme Wallin. Selon vous, de nombreux plaisanciers au Canada s'inquiètent d'être interpellés ou arrêtés, en vertu de l'accord-cadre inclus dans ce projet de loi.
Voici la question qu'il faut se poser : Sommes-nous restreints dans nos activités en raison du nombre d'embarcations que possèdent les deux pays? Même si nous travaillons ensemble, nous avons un nombre limité d'embarcations. Nous n'aurons donc pas les ressources nécessaires pour interpeller sans raison des plaisanciers les samedis après-midi. Il faudra donc s'appuyer sur les renseignements obtenus, comme l'identité des individus recherchés et l'embarcation dont ils disposent ainsi que la façon de les appréhender, pour affecter le personnel aux bons endroits. Qu'en pensez-vous?
M. Anderson : Vous avez raison. Il faut comprendre qu'il n'y aura pas beaucoup d'embarcations, d'abord parce que la formation nécessaire à leur utilisation est dispendieuse. Selon ce que j'ai lu, environ 200 agents ont suivi cette formation. Aussi, pour être efficaces, ces embarcations doivent pouvoir poursuivre à grande vitesse celles des personnes qui se livrent aux activités criminelles. Nous en aurons donc un nombre limité. Par conséquent, les agents ne perdront pas leur temps à vérifier s'il y a suffisamment de gilets de sauvetage sur les embarcations de plaisance pour le nombre de passagers qui se trouvent à bord.
Je crois que, de façon générale, les plaisanciers sont mal à l'aise lorsque vient le temps de traiter avec les agents américains. C'est un problème que l'on remarque aux frontières. Les gens ne comprennent pas que ces agents ont un travail à faire, qu'ils doivent poser certaines questions. Inversement, ces mêmes agents ne réalisent pas que, pour la plupart des citoyens, qui se font interpeller par un agent des services frontaliers, c'est alors la première fois qu'ils ont affaire à un agent armé qui les considère comme une personne suspecte. C'est donc très inconfortable pour eux. Ceux qui franchissent la frontière régulièrement y sont habitués. Ça ne les dérange plus. Cependant, pour bon nombre de citoyens, c'est intimidant, qu'ils soient à bord d'une voiture ou d'une embarcation.
Le sénateur Lang : Tout dépend de l'approche des agents. Pour la plupart d'entre nous, franchir la frontière n'est qu'un processus auquel il faut se soumettre, mais qui parfois peut entraîner des situations particulières. J'en ai vécu une récemment. Tout dépend de la façon dont l'agent vous interpelle. Et ce problème n'existe pas uniquement du côté américain.
Mais, j'aimerais parler plus en détails des crimes. Nous avons demandé au ministre quels étaient les vrais problèmes auxquels les autorités étaient confrontées avant le dépôt de ce projet de loi, ainsi que l'ampleur de ces problèmes. Vous avez passé beaucoup de temps à analyser s'il était nécessaire de rédiger ce projet de loi. Pourriez-vous nous donner plus de détails sur ce processus, ce que vous avez vu et lu sur les crimes commis quotidiennement, que l'on veut empêcher?
M. Anderson : Il est extrêmement difficile d'évaluer l'ampleur de la contrebande, par exemple, en s'appuyant sur le nombre d'arrestations relatives à ce crime. La région de la rivière Sainte-Claire, et plus particulièrement celle du lac Sainte-Claire, est bien connue pour ce genre d'activité. D'ailleurs, le département de la Sécurité intérieure la considère un des principaux points d'entrée pour le passage de clandestins. C'est un des problèmes les plus sérieux avec la contrebande de drogues. On entend beaucoup plus parler des saisies de drogues aux postes frontaliers que sur les eaux, parce qu'elles y sont plus fréquentes. Mais, il y a aussi beaucoup plus de véhicules inspectés à ces postes que d'embarcations inspectées sur les eaux.
Le sénateur Lang : J'aimerais revenir au passage de clandestins. Auriez-vous plus de détails à nous fournir à ce sujet? Vous dites que cette région est bien connue pour ce genre d'activité.
M. Anderson : C'est ce que les autorités ont remarqué après avoir mis sur pied un nouveau centre de surveillance frontalière à la base de la Garde nationale aérienne, à Selfridge, au Michigan. Elles y ont installé des tours d'observation munies de caméras pour surveiller la rivière Sainte-Claire, car c'est un endroit facile à traverser pour ceux qui désirent se faufiler aux États-Unis. La plupart du temps, ce ne sont pas des gens ignobles, des terroristes ou des passeurs de clandestins qui empruntent ce passage. Ce sont des gens qui se retrouvent au Canada et qui, pour une raison ou une autre, désirent traverser aux États-Unis. C'est un bon endroit pour le faire.
Le sénateur Plett : Vous avez dit à plusieurs reprises que de nombreux plaisanciers de la région de Windsor et des environs craignent les conséquences de ce projet. Si je comprends bien la loi, un policier ne peut pas entrer chez moi sans raison. Il doit respecter certaines procédures. Est-ce la même chose en ce qui a trait aux embarcations de plaisance, ou est-ce que, en raison de ce projet de loi, un policier peut intercepter et arraisonner une embarcation sans aucun motif?
La présidente : Je tiens à préciser que M. Anderson n'est pas juriste. Il est ici pour parler de la frontière elle-même. Vous pouvez répondre.
M. Anderson : En fait, depuis votre invitation, j'ai consulté beaucoup de gens sur ces questions. J'ai à tout le moins appris beaucoup de choses au cours des dernières semaines.
J'ignore quelles sont les procédures exactes. Un agent peut approcher une embarcation et s'enquérir au sujet des gilets de sauvetage que l'on y trouve. C'est une raison valable. J'ignore quelles sont les procédures à suivre pour monter à bord. Je ne vois pas comment ce projet de loi pourrait modifier ces procédures. Celui-ci modifie la liste de ceux qui peuvent arraisonner une embarcation, mais pas les règles en cause.
Le sénateur Plett : C'est la raison pour laquelle je me demande pourquoi les plaisanciers s'inquiètent, puisque ce projet de loi ne modifie pas les lois qui régissent ces interventions.
M. Anderson : Je crois que c'est le message que les autorités portuaires, entre autres, tentent de véhiculer. Les informations que je vous donne sont approximatives. Pour vous donner une idée de l'ampleur de la situation, chaque fois que j'aborde le sujet avec des plaisanciers, on me raconte des histoires, comme : « L'été dernier, j'ai été interpellé huit fois sur le lac St-Claire. »
La présidente : Pour être bien clair, on ne parle pas d'interventions dans le cadre du projet Shiprider.
M. Anderson : Non. Il est question d'interventions menées par les agents ordinaires.
La présidente : Des policiers.
M. Anderson : Il pourrait s'agir d'agents canadiens ou américains.
Ces interventions ont eu des conséquences sur le nombre d'embarcations de plaisance qui traversent la frontière. Un résident de Leamington, au sud de Windsor, où l'on retrouve le parc Point Peelee ainsi qu'une grande marina, me disait qu'avant, la plupart des visiteurs étaient des Américains de l'Ohio qui venaient passer un week-end dans la région. Ces gens ne viennent plus par crainte d'être interpellés et arraisonnés, habituellement par des responsables américains.
Le sénateur Lang : Lorsqu'ils reviennent?
M. Anderson : Effectivement, lorsqu'ils reviennent. De plus, ils doivent avoir un passeport. À cause du titre de mon poste, les gens pensent que c'est à moi qu'il faut s'adresser pour se plaindre, pour raconter les incidents cauchemardesques aux frontières. En fait, ce sont les Américains qui se plaignent le plus. Ceux du Michigan, que je connais, ont des problèmes lorsqu'ils retournent au pays. Dans la plupart des cas, tout se serait bien passé s'ils avaient fait preuve d'un peu plus de patience et de tolérance en répondant aux questions. Néanmoins, tant les Canadiens que les Américains reconnaissent que c'est une source d'irritation.
Le sénateur Plett : Je suis d'accord. On leur pose des questions pour les désarçonner.
M. Anderson : Tout à fait.
Le sénateur Plett : Cela ne fait aucun doute. L'agent frontalier vous demande : « Avez-vous quelque chose à déclarer? Avez-vous acheté quelque chose? » Même si vous lui répondez non, il revient à la charge : « Rapportez-vous de l'alcool ou des cigarettes? » J'ai alors tendance à rétorquer que j'ai déjà répondu implicitement lorsqu'on m'a posé la première question.
M. Anderson : Tout à fait.
Le sénateur Plett : Les agents frontaliers sont formés pour désarçonner les gens et les mettre parfois mal à l'aise.
M. Anderson : Effectivement, ils les mettent mal à l'aise. Et ce n'est pas tout. Parfois, nous nous demandons pourquoi ils nous posent tant de questions. On m'a expliqué que, souvent, les agents frontaliers, particulièrement ceux des États-Unis, vous mitraillent de questions en apparence sans aucun fil conducteur pendant qu'ils regardent leur écran. En fait, ils attendent que les renseignements s'affichent sur leur écran. C'est pourquoi ils vous posent tant de questions, ce qui met les gens mal à l'aise.
La présidente : Je vous remercie de ces précisions, mais cela n'a rien à voir avec le projet Shiprider.
Le sénateur Dallaire : Mes questions portent sur les aspects économiques du projet Shiprider. Le fait que des Américains se trouvent à bord de nos navires ne permettrait-il pas de procéder plus rapidement à l'inspection préalable? Cela ne faciliterait-il pas le transport transfrontalier?
La présidente : J'essaie de comprendre comment cela a un rapport avec le projet Shiprider.
Le sénateur Dallaire : Si un Américain se trouve à bord d'un navire canadien qui quitte le territoire canadien, l'inspection peut-elle être effectuée avant que le navire ne pénètre dans les eaux territoriales américaines?
M. Anderson : Les biens sont inspectés habituellement à un poste frontalier. On envisage la possibilité de procéder à un dédouanement préalable. Cependant, la plupart des navires qui transportent des marchandises se déplacent sur la voie maritime entre les principaux ports. D'après ce que j'ai cru comprendre, le projet Shiprider ne concernait pas ces navires.
Pour les embarcations de plaisance, le problème s ne serait pas lié au transport de marchandises, à moins qu'elles ne soient illicites.
Le sénateur Dallaire : Dans votre région, avez-vous l'impression que la contrebande visée par le projet provient davantage du Sud que du Nord ou est-ce le contraire?
M. Anderson : Il y a de la contrebande dans les deux sens. Le passage de clandestins se fait surtout dans l'axe nord- sud, c'est-à-dire du Canada vers les États-Unis. Et c'est la même chose en ce qui concerne certaines drogues comme la marijuana, alors que c'est dans l'autre sens pour les cigarettes et la cocaïne. Il y a du commerce illégal et du commerce légal dans les deux sens.
Le sénateur Dallaire : Et la contrebande des armes?
M. Anderson : Elle se fait principalement du Sud vers le Nord. Oublions un instant Windsor, ma région, et prenons l'exemple du Grand Toronto, où la situation est des plus préoccupantes parce qu'un grand nombre d'armes utilisées dans la perpétration de crimes proviennent des États-Unis, franchissant les postes frontaliers ou étant acheminées dans le cadre d'activités maritimes illégales que le projet Shiprider permettrait d'enrayer.
La présidente : Il n'y a eu que deux ou trois projets pilotes, mais d'après les constatations qu'on en a tirées et les conclusions formulées par les autorités sur les opérations conjointes, estimez-vous que cela pourrait avoir un effet dissuasif? D'après les témoignages des représentants des forces policières, les criminels savaient qu'ils réussiraient s'ils pouvaient pénétrer dans les eaux territoriales de l'autre pays, et le faisaient à la barbe des autorités. Ce projet aurait-il un effet dissuasif? Même si le nombre d'agents affectés à ce projet et le nombre d'opérations menées étaient restreints, aurait-il un effet dissuasif?
M. Anderson : Tout à fait. Comme le ministre Toews l'a souligné il y a quelques minutes, les opérations pilotes ont exercé un effet dissuasif, et, chose curieuse, on a observé une augmentation de la contrebande aux points d'entrée transfrontaliers, où les probabilités d'être arrêtés sont beaucoup plus grandes. Actuellement, dans le meilleur des cas, on pourrait faire appel à nos homologues. Par exemple, un navire de la Garde côtière américaine pourchassant un bateau sur le point de franchir la frontière maritime pourrait contacter la GRC ou un autre service de police canadien. Cependant, il y a peu de chances que ça réussisse.
La présidente : J'ai bien aimé vos propos lorsque vous avez indiqué que ce projet sert de modèle malgré son peu d'envergure. Nous avons trouvé une façon non seulement de collaborer, mais également de mettre en commun nos ressources matérielles pour nous attaquer à ce problème.
M. Anderson : Oui. On pourrait dire que la lutte contre la contrebande entre le Canada et les États-Unis a eu des ratés de 2005 à décembre 2010, date de la déclaration du premier ministre et du président américain. Depuis, le projet Shiprider et les mesures mises en œuvre dans la foulée des recommandations du rapport intitulé Par-delà la frontière nous permettent de conclure que les services frontaliers des deux pays collaborent davantage.
Lorsque j'ai commencé à me consacrer exclusivement aux problèmes transfrontaliers, on me parlait sans cesse de l'« approche axée sur la protection du périmètre », expression dont le sens varie selon l'interlocuteur. En théorie, il faudrait mettre moins l'accent sur nos frontières respectives pour se concentrer sur notre périmètre commun. C'est ce qui s'est passé en Europe dans le cadre de l'Accord de Schengen. Ce n'est pas ce qu'on projette, je crois, pour le Canada et les États-Unis, pour les raisons que j'ai exposées dans ma déclaration, et ce n'est pas souhaitable, selon moi. Pour qu'il n'y ait aucun contrôle frontalier entre nos deux pays, il faudrait un degré supérieur d'harmonisation. À bien des égards, l'harmonisation donne de bons résultats, notamment en ce qui concerne les normes techniques. Cependant, on peut citer bien des politiques canadiennes qui nécessitent les contrôles frontaliers que nous avons à l'heure actuelle.
La solution ne consiste pas à tout harmoniser entre les États-Unis et le Canada. Il s'agit plutôt de conclure une entente de collaboration dans le cadre de laquelle les autorités canadiennes et américaines pourraient faire front commun en vue d'appliquer les lois canadiennes dans le territoire canadien et les lois américaines dans le territoire américain. C'est le chemin que j'ai parcouru dans ma réflexion sur la question.
Le projet Shiprider en est un bon exemple. Il a fait l'objet de règles très claires.
La présidente : Merci infiniment. Nous vous sommes reconnaissants de vous être déplacés pour comparaître devant nous. Nous tenions absolument à connaître votre opinion sur la question.
Avant que nous passions aux leçons retenues des opérations en Afghanistan, je voudrais formuler quelques commentaires sur le projet Shiprider.
D'après bien des témoignages que nous avons entendus, les projets pilotes ont permis de vérifier l'efficacité de cette approche. Ils ont été couronnés de succès, donnant lieu à des perquisitions, à des saisies et à des arrestations, ce qui n'aurait pas été possible si les agents d'application de la loi américains et canadiens n'avaient pu intervenir que dans leurs eaux nationales.
La section 12 de la partie 4 du projet de loi C-38 mettrait en œuvre l'accord-cadre conclu en 2009 entre le Canada et les États-Unis, ce qui permettrait la poursuite des opérations dans le cadre du projet Shiprider. L'accord-cadre porte sur les opérations intégrées transfrontalières maritimes d'application de la loi. Les criminels ne pourraient plus franchir la frontière maritime pour échapper aux autorités. Des navires à bord desquels monteraient des agents d'application de la loi canadiens et américains pourraient intervenir dans les deux territoires pour appréhender ces criminels.
Comme nous l'ont indiqué les témoins, la mesure législative et l'accord-cadre permettraient de respecter la souveraineté de chaque pays : dans les eaux canadiennes, ce serait un canadien qui commanderait l'équipage; dans les eaux américaines, ce serait un américain. Les agents recevront la formation nécessaire sur les lois de l'autre pays et sur leurs modalités d'application. Autrement dit, ces opérations transfrontalières conjointes s'appuieront sur le principe de la primauté du droit. Dans le cadre de ces opérations, les droits des personnes des deux pays seront respectés, et un mécanisme public de règlement des plaintes sera établi.
L'étude préalable à laquelle tous avaient convenu est maintenant terminée. On m'a informé — et j'en ai avisé le vice- président tout à l'heure — qu'une motion sera présentée au Sénat demain pour que tous les témoignages que notre comité et les autres comités ont entendus soient transmis au Comité des finances nationales qui sera chargé de l'étude article par article du projet de loi C-38. Je crois comprendre que les autres comités qui se penchent sur les diverses sections du projet de loi feront de même.
Je vous remercie de m'avoir permis de donner ces précisions. Nous allons suspendre brièvement la séance afin que nous puissions remercier M. Anderson de sa présence et que nos prochains témoins puissent prendre place.
Je vous remercie de votre patience, car nous avons changé très fréquemment de sujet et nous avons entendu divers témoins aujourd'hui.
Dans le cadre de notre étude des leçons tirées de nos opérations en Afghanistan — étude que nous sommes sur le point de mener à terme lentement —, nous avons entendu les témoignages des responsables militaires principalement. Nous avons également invité les représentants de l'ACDI, le Canada ayant adopté une approche pangouvernementale pour sa mission en Afghanistan.
Parmi les principaux ministères mis à contribution, nous retrouvons, outre le ministère de la Défense nationale — les Forces canadiennes —, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.
Nous savons naturellement que la participation des militaires à la formation des Forces de sécurité nationale afghanes prendra fin en 2014, même si, de concert avec nos autres partenaires de l'OTAN, nous continuerons de financer cette formation et d'autres projets de développement. C'est peut-être un sujet que nous aborderons sous peu.
Pour nous aider à comprendre les leçons retenues de cette approche pangouvernementale, nous avons invité Gordon Venner, sous-ministre adjoint, Afghanistan, Moyen-Orient et Maghreb, à Affaires étrangères et Commerce international. Je crois que vous ferez une déclaration préliminaire.
[Français]
Gordon Venner, sous-ministre adjoint, Afghanistan, Moyen-Orient et Maghreb, Affaires étrangères et Commerce international Canada : Madame la présidente, tout d'abord, j'aimerais vous dire que je suis désolé de n'avoir pas pu accepter votre invitation il y a trois semaines.
[Traduction]
Remarquez que j'aurais pu comparaître, mais j'aurais été si fatigué en raison du décalage horaire que je me serais endormi en lisant ma déclaration préliminaire. Aujourd'hui, c'est peut-être vous qui allez dormir pendant ma déclaration préliminaire, mais quant à moi, je suis éveillé, à tout le moins.
La présidente : Nous ne dormirons pas. Nous sommes impatients de vous entendre.
M. Venner : Je vous en remercie.
Comme vous le savez, pendant plus d'une décennie, l'Afghanistan a été l'une des principales priorités stratégiques internationales du Canada. Comme le ministre Baird l'a mentionné récemment :
Nous avons investi des milliards et des milliards de dollars, et sacrifié plus de 150 vies pour que ce pays ne redevienne jamais plus un repaire de terroristes.
En effet, nous avons perdu 158 soldats, un diplomate canadien, un journaliste et trois travailleurs humanitaires — deux qui relevaient d'ONG internationaux et un travailleur autonome. Pendant cette période, le Canada a consacré des ressources, de l'énergie et des efforts considérables pour atteindre ses objectifs en Afghanistan.
D'importants progrès ont été réalisés au cours des 10 dernières années, et même si les défis à relever étaient parfois énormes, la contribution du Canada en Afghanistan a été déterminante. Ces progrès ont demandé des efforts considérables de la part des professionnels tant ici à Ottawa qu'en Afghanistan. Ils sont également le résultat de bonnes relations de travail avec nos alliés et d'autres pays aux vues similaires.
Aujourd'hui, je voudrais parler brièvement de l'approche pangouvernementale adoptée par le Canada dans le cadre de son engagement, une approche qui a fondamentalement et irrévocablement changé — pour le mieux — la façon dont le gouvernement réalise ses engagements civilo-militaires complexes. L'expérience du Canada en Afghanistan pourrait au besoin inspirer d'autres missions canadiennes dans des États fragiles ou en difficulté, si de telles missions s'avéraient nécessaires.
En octobre 2007, après que le Canada eut été présent en Afghanistan pendant six ans principalement sur le théâtre des opérations, le premier ministre Stephen Harper a confié à un groupe de spécialistes indépendant le mandat d'examiner notre mission en Afghanistan et de faire des recommandations relativement à notre rôle futur dans ce pays.
Madame la présidente, comme vous le savez très bien par votre participation à ce groupe de spécialistes, cet examen a donné lieu à la production d'un rapport dans lequel on a recommandé l'établissement de priorités plus ciblées, de critères plus clairs et de plans mieux intégrés.
En février 2008, le Canada a décidé de prolonger sa mission et d'étendre considérablement son mandat. Conformément à la recommandation du rapport, 2008 a marqué une transformation de notre mission en Afghanistan, la faisant passer d'une opération axée sur les combats militaires à un partenariat conjoint civilo-militaire intégré. Ce partenariat a permis de réunir un éventail de ministères, d'organismes et d'instruments d'élaboration de programmes dans un cadre stratégique unique. Les priorités ont été fixées, et les projets de premier plan ont été sélectionnés.
Plus de 120 personnes provenant de divers ministères ont été déployées en Afghanistan à la fin de 2008 et en 2009. Elles ont collaboré avec 2 880 membres des Forces canadiennes à Kandahar avec comme mot d'ordre « une mission, une équipe ».
La mission pangouvernementale en Afghanistan a constitué, à son point culminant, la plus grande présence canadienne à l'étranger depuis la guerre de Corée. Et je peux affirmer que ces braves hommes et femmes ont fait d'énormes sacrifices personnels pour aider le peuple afghan.
Cet engagement a nécessité une nouvelle méthode de coordination des efforts afin que la contribution du Canada soit fructueuse et que son efficacité soit maximisée.
Ces efforts ont été dirigés par un sous-ministre travaillant au Bureau du Conseil privé et appuyés par des groupes de travail ministériels. Ces groupes de travail se sont penchés sur tous les aspects de l'engagement de chaque ministère en Afghanistan, et ont rapidement favorisé la cohérence générale de la mission du Canada.
Cette approche a permis d'améliorer la planification à partir du Canada et d'accroître l'efficacité des activités les plus importantes : réaliser les priorités du Canada et aider les Afghans à rebâtir un pays viable, mieux gouverné, plus stable et plus sécuritaire qui ne serait jamais plus un refuge pour les terroristes.
À Kandahar, par exemple, des civils et des militaires canadiens ont travaillé et vécu côte à côte au sein d'une équipe de reconstruction provinciale intégrée qui comprenait des cellules d'intervention et de planification communes, des conseils mixtes de gestion des projets, des protocoles communs et une structure de commandement partagée.
En raison de la nature de l'environnement dans lequel les Canadiens travaillaient, il était essentiel que les ministères fournissent des outils de survie importants aux civils qui partaient pour l'Afghanistan. Des séances de formation sur la gestion efficace des conditions difficiles dans une zone de conflit ont été offertes. Des programmes d'appui psychosocial ont été lancés, qui comprenaient entre autres des rencontres obligatoires avec un conseiller avant, pendant et après un déploiement en Afghanistan. Des politiques de congés pour décompression et des régimes de rémunération correspondant au niveau de difficulté et de risque du déploiement ont été élaborés. Des programmes de réintégration ont été approuvés et mis en œuvre à l'intention des employés du MAECI, de l'ACDI et du Service correctionnel du Canada à leur retour au pays.
Une stratégie pour les incidents graves a été mise en place. Au cours des dernières années, j'ai eu l'occasion de diriger des exercices de ce genre, dont nous nous servons pour nous préparer à intervenir lors d'incidents graves. Cela fait réfléchir énormément que de se rendre compte de la vaste gamme des menaces auxquelles on risque d'être exposés. La formation sur l'environnement hostile est devenue obligatoire. Un programme prédépart détaillé obligatoire a également été offert.
Les innovations et les leçons apprises pendant la période de 2008 à 2011 continuent à bien servir le Canada, quoique de façon différente, dans notre mission actuelle. Aujourd'hui, alors que nous arrivons à mi-chemin de notre engagement de 2011 à 2014, l'Afghanistan demeure une priorité internationale en matière de sécurité et de développement pour le Canada. Bien que la mission de combat soit maintenant terminée et que Kaboul soit devenue le point central unique de nos opérations, les militaires et les civils canadiens continuent à assurer une présence importante et à réaliser les engagements approuvés et les priorités qui guideront notre travail jusqu'en 2014, après quoi notre pays mettra officiellement fin à sa mission militaire en Afghanistan.
Les politiques, les outils et les structures élaborés par le gouvernement demeureront en place et continueront à être appliqués à notre travail en Afghanistan, et dans un contexte plus vaste, autour du monde. La présence du Canada en Afghanistan a donné lieu à la formation d'un groupe d'employés hautement qualifiés venant de l'ensemble du gouvernement et qui sont tout à fait en mesure de travailler dans des conditions austères et dangereuses.
C'est avec plaisir que je répondrai aux questions sur le sujet, mais permettez-moi d'abord de conclure par ceci : il faut se rappeler qu'au bout du compte, l'Afghanistan de 2012 ne ressemble en rien à l'Afghanistan de 2001.
Depuis les débuts de l'intervention du Canada en Afghanistan, neuf millions d'enfants fréquentent maintenant l'école, dont 39 p. 100 sont des filles. Le PIB a quintuplé, et les possibilités économiques ne cessent de s'accroître, particulièrement dans le secteur de l'exploitation minière, qui attire les investisseurs canadiens. En Afghanistan, les médias sont florissants, la société civile connaît une croissance rapide et les soins de santé s'améliorent. Deux cents policiers canadiens y ont été déployés, et 4 333 policiers afghans ont été formés à Kandahar depuis 2008. L'Afghanistan sera en mesure de former 350 000 membres des Forces de sécurité nationale afghanes d'ici octobre 2012, et a pris le contrôle de la sécurité dans 75 p. 100 du pays.
Les leçons que nous avons tirées de cette expérience nous aideront à réaliser les engagements annoncés par le premier ministre Harper à Chicago la semaine dernière. Une somme de 110 millions de dollars par année sur une période de trois ans sera versée à l'appui des FSNA. Nous insisterons sur des mesures de reddition des comptes strictes.
Comme l'a dit le premier ministre, notre engagement en matière d'aide financière continue « permettra d'assurer que les progrès durement accomplis par les Canadiens en Afghanistan produisent des résultats durables ».
[Français]
Honorables sénateurs, les leçons apprises pendant les dix années de notre engagement dans ce pays nous aideront à offrir un appui et de l'aide aux Afghans, jusqu'en 2014 et même après. Merci.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup. Je voudrais vous poser des questions sur de nombreux points que vous avez abordés. Je sais que, au tout début de notre intervention, les responsables militaires ont demandé quelle était l'utilité de tous ces diplomates dans le cadre de la mission, ajoutant que ces diplomates n'avaient pas été engagés pour intervenir dans une zone de combat, qu'ils n'avaient pas reçu la formation nécessaire et qu'une telle collaboration ne pouvait se révéler efficace. Je suis sûre que, de votre côté, vous aviez des préoccupations sur l'approche utilisée par les militaires, une approche qui aurait peut-être nécessité davantage de subtilité, selon vous.
Une telle collaboration a-t-elle été efficace? Je sais que chaque situation est distincte, mais disposez-vous d'un modèle adaptable à chaque situation — par exemple, une situation différente de celle en Afghanistan —, et ce modèle tient-il compte des obstacles que vous avez surmontés et vous permettrait-il d'être à pied d'œuvre si le besoin s'en faisait sentir demain?
M. Venner : Toutes les leçons que nous avons apprises nous seront utiles dans diverses situations.
Certains des mécanismes de coordination que nous avons établis dans le cadre de notre mission en Afghanistan sont toujours en vigueur, alors que nous en avons modifié certains autres. Ces mécanismes sont très pertinents et peuvent s'adapter à une vaste gamme de situations. Cependant, comme vous l'avez signalé, chaque situation est distincte.
Je suis tout à fait d'accord avec vous : cette expérience est primordiale. Nous nous sommes rendu compte qu'il fallait avoir des dossiers étoffés sur les mesures que nous avons prises, de manière à pouvoir nous en servir ultérieurement.
Je n'ai pas été mis à contribution au début de notre intervention en Afghanistan. Cependant, un des problèmes qui se sont alors posés, c'est qu'aucun des membres des Forces canadiennes ni aucun des fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères ou d'un autre ministère qui avaient été affectés à la mission n'avait participé à notre intervention en Corée. Notre participation à une mission de cette ampleur remonte donc à fort longtemps.
La présidente : Il y avait la mémoire institutionnelle.
M. Venner : À l'époque, il n'y avait aucune mémoire institutionnelle. En fait, nous pouvions compter sur les leçons apprises d'initiatives tout à fait différentes, notamment notre participation à la première guerre du Golfe ou à la guerre des Balkans. L'expérience qu'on y avait acquise était utile, mais l'ampleur de notre participation était tout à fait différente, tout particulièrement en ce qui concerne la nature et la durée de la mission. C'est pourquoi nous devons mettre l'accent sur notre engagement en Afghanistan.
Pendant encore quelques années, nous pourrons naturellement compter sur la vaste expérience acquise par les personnes ayant participé à la mission, ce qui est déjà utile. Lorsque Bob Johnston a comparu devant le comité il y a trois semaines, il a abordé, je crois, le cas des fonctionnaires de l'ACDI qui ont été affectés en Afghanistan, au Soudan ou en Haïti. En ce qui nous concerne, nous tablons énormément sur les fonctionnaires qui sont allés en Afghanistan et qui sont revenus au pays et travaillent maintenant en appui des personnes encore affectées dans ce pays.
Ma réponse va au-delà de votre question sur les mécanismes institutionnels, mais il n'en demeure pas moins que la tâche sera lourde lorsque nous devrons intervenir de nouveau dans une telle situation.
La présidente : Votre réponse est utile. Merci. Nous reviendrons à cette question.
Le sénateur Dallaire : Nous sommes parvenus à l'aire des conflits dont le déroulement est différent de celui auquel nous étions habitués. Les diplomates font de leur mieux. On commet des erreurs, on envoie les généraux et les troupes, on engage le combat, on remporte des victoires, puis on reconstruit. Tout est devenu si complexe et si ambigu avec tous les éléments si disparates qui doivent collaborer. L'Afghanistan a été le dernier théâtre de ce genre d'opérations depuis le début des années 1990. Il y a eu une intervention en Libye, d'autres opérations ont été menées ailleurs et l'ONU entreprend des missions partout dans le monde. Il se pourrait qu'au cours des décennies à venir, nous soyons tenus d'intervenir dans d'autres pays en voie de déliquescence et en déroute.
Par conséquent, nos gens ont de l'expérience. Nous avons toutes sortes d'employés chevronnés de divers ministères, dont les 120 membres du personnel, qui ont finalement été déployés pour s'acquitter de différentes responsabilités dans les domaines du développement, des situations d'urgence, des opérations, et cetera.
Il est bien de dire que vous avez cette expérience au sein de divers ministères, mais dans le cadre du processus formel des leçons retenues, quel engagement prenez-vous afin de garder ces gens ensemble pour la planification d'urgence et un redéploiement potentiel, sans devoir les détacher de votre structure et qu'ils se retrouvent devant rien durant un certain temps ou aient deux fonctions à assumer, puis devoir les faire revenir dans le feu de l'action?
Avez-vous créé une sorte de permanence, dans votre organisation, et une capacité de soutenir ces gens qui sont allés sur le terrain? Cela a-t-il été profitable dans leur carrière? Cela leur a-t-il nui? Sur le plan médical, comment le ministère des Anciens Combattants peut-il les aider lorsqu'ils sont blessés? Je suis désolé que ma question soit si longue.
Les Américains ont mis en oeuvre la notion d'élimination des atrocités de masse et de prévention des génocides. Ils ont créé une commission et ont déplacé des ressources d'autres départements de façon permanente pour la préparation de plans d'urgence, entre autres. Mais nous ne l'avons pas fait. Ne considérez-vous pas qu'il est essentiel de créer un tout nouveau cadre de permanence dans ces ministères pour réunir, préparer et continuer à former ces gens afin d'éviter de mettre en péril votre efficacité opérationnelle ailleurs parce que vous détachez les gens du système? C'est la façon la plus concise dont je peux poser la question.
M. Venner : J'essaie de décortiquer toutes les questions.
Le sénateur Dallaire : J'attends ce moment depuis longtemps.
M. Venner : Je vais traiter des divers éléments de la question. Si j'en oublie un, dites-le-moi, et j'y reviendrai.
Je vais d'abord parler de l'assurance que nous avons les bons mécanismes en place pour soutenir les gens. Nous avons beaucoup appris sur ce plan. Il est clair que ce que nous faisons maintenant est très différent de ce que nous faisions au début. Nous avons appris que nous devions agir de façon à soutenir les gens avant qu'ils aillent sur le terrain, pendant qu'ils sont là-bas et lorsqu'ils reviennent au pays.
Nous offrons une formation beaucoup plus complète à nos gens avant qu'ils s'en aillent sur le terrain — nous touchons à tout, de la formation sur les milieux hostiles, en collaboration avec les forces armées, à la formation améliorée en premiers soins, et ce genre de choses. Nous avons un programme beaucoup plus complet. Nous avons aussi appris que lorsque les gens travaillent dans un tel environnement difficile, nous devons veiller à ce qu'ils prennent un congé obligatoire pendant qu'ils sont en poste. Nous les forçons à partir, même s'ils ne le veulent pas. Ils deviennent parfois si absorbés par leur travail qu'ils veulent rester. Nous avons des politiques sur les congés de décompression et des régimes spéciaux de rémunération.
D'autre part, nous avons des programmes de réinsertion pour tous ceux qui reviennent au pays. Ces programmes leur permettent de se réunir en groupe avec les personnes avec qui ils ont travaillé sur le terrain et d'avoir accès à des services de consultation professionnels et à ce dont ils ont besoin pour se réadapter.
En septembre dernier, nous avons offert l'une des séances que nous organisons pour notre personnel. J'ai eu l'occasion de me rendre à un dîner et de discuter avec une foule de gens qui venaient de quitter le théâtre des opérations. Ils m'ont fait part de ce qu'ils ont vécu là-bas. Il était clair pour moi, en les écoutant se parler entre eux pendant le repas, qu'ils utilisaient tous cette occasion pour mettre leur expérience en perspective. Pour certains, c'était une question de mois et pour d'autres, c'était une période plus longue.
La semaine dernière encore, j'ai eu l'occasion de discuter avec l'un de nos employés qui venait tout juste d'arriver au pays, après trois ans sur le terrain. Nous les aidons notamment à reconnaître leur expérience en évaluant la valeur de l'expertise qu'ils ont développée. Je crois que cela les aide à se rendre compte que leur contribution a été extrêmement importante, et qu'il nous faudra pouvoir faire appel à eux dans l'avenir.
J'ai parlé d'autres aspects du soutien que nous offrons, comme la stratégie pangouvernementale sur les incidents critiques et la formation obligatoire sur les milieux hostiles.
La question de la mémoire institutionnelle est un peu plus complexe. Je dirais que ce n'est pas vraiment nouveau pour nous, mais cela diffère dans chaque ministère. Au ministère des Affaires étrangères, nous envoyons des gens partout dans le monde, d'une affectation à l'autre, depuis toujours. Nous avons appris que ce n'est pas parce qu'une personne passe d'un environnement à un autre que son expertise se tarit dès qu'elle est affectée ailleurs. Nous avons l'habitude de consulter notre personnel et de nous tourner vers les personnes qui ont déjà eu d'autres affectations. Nous faisons appel à leur savoir-faire relativement à des problèmes auxquels nous sommes actuellement confrontés.
L'une des personnes qui me donnent toujours de bons conseils en ce qui concerne l'Afghanistan, c'est notre ancien ambassadeur, William Crosbie, qui y a passé deux ans, mais qui travaille maintenant ici à titre de sous-ministre adjoint et qui assume des responsabilités tout à fait différentes. Le fait qu'il est passé à autre chose ne veut pas dire que je n'ai pas la possibilité de lui parler tous les jours, et j'en profite. C'est aussi le cas en ce qui concerne d'autres personnes qui ont déjà travaillé dans ce domaine, comme David Mulroney; il est actuellement à Beijing, mais il continue à être disponible pour nous donner des conseils. Nous ne sommes pas près d'oublier certains des changements institutionnels que nous avons effectués, surtout les plus efficaces, qui nous seront très utiles.
Le Groupe de travail sur l'Afghanistan qui a été mis sur pied au sein du ministère des Affaires étrangères a pris des initiatives très novatrices. Il a assumé des responsabilités telles que les fonctions relatives au personnel, à l'administration financière et aux communications, qui se trouvent normalement dans différentes parties du ministère. En regroupant ces personnes en une équipe intégrée, nous avons pu faire fonctionner ce groupe de travail beaucoup plus efficacement. Si nous devions être confrontés au même genre de situation en Afghanistan ou ailleurs dans l'avenir, nous voudrions probablement utiliser un modèle similaire.
Le sénateur Dallaire : Le terme « leçons retenues » sert à se préparer pour la prochaine fois. C'est une philosophie complètement différente de celle qui consiste à faire la dernière guerre. Vous l'avez vu. Vous êtes dans le présent et l'avenir. De quelle façon améliorez-vous les choses afin de vous préparer pour la prochaine fois? D'après ce que vous avez décrit, ces cinq dernières années sur le terrain, environ, principalement depuis 2008, il semble qu'il y ait une courbe d'apprentissage très prononcée au ministère des Affaires étrangères — ces gens sont peut-être plus intelligents que ceux de la Défense. Je ne suis pas convaincu, toutefois, car nous parlons de l'ensemble du gouvernement. D'autres ministères ont peut-être connu des situations ailleurs dans le monde et ont peut-être les structures nécessaires pour tirer profit des leçons retenues, des instructions permanentes d'opérations, des structures, des soins de leur personnel et de l'expertise disponible pour intervenir.
Mon expérience ne vient pas seulement des périodes que j'ai passées sur le terrain. En 1996, j'ai participé à notre opération au Congo. Toute cette opération était si spéciale que les ordres étaient donnés par le premier ministre de l'époque, seulement deux jours à l'avance.
Quel est le processus officiel qui est en place dans votre ministère? Pouvez-vous me parler de la façon dont vous vous assurez, dans une perspective pangouvernementale, que les leçons formelles ont été analysées, que des recommandations formelles ont été formulées et que des décisions formelles concernant la structure, la formation, les soins au personnel, les changements organisationnels, entre autres, ont été prises et mises en oeuvre à la suite de l'expérience en Afghanistan?
M. Venner : Cette question comporte divers aspects. D'abord, compte tenu de la manière dont le comité Manley a fait rapport et dont nous avons fait rapport sur les objectifs fixés à ce moment-là, nous avons un solide dossier public sur ce que nous avons fait et de quelle manière nous l'avons fait. Par exemple, les rapports qui ont été déposés au Parlement, y compris le très récent 14e rapport, fournissent un excellent dossier documentaire de ce que le gouvernement a entrepris et comment il l'a fait. Je pense que vous constateriez que chaque ministère a ses propres méthodes internes pour retenir ses expériences et les leçons qu'il a apprises.
Je vais simplement vous donner un exemple, car cela me permettra aussi de revenir en partie à votre première question, à laquelle je n'ai pas répondu. Pour la première fois, des gens ont perdu la vie ou ont été blessés grièvement sur le terrain. Pour la première fois, nous avons dû gérer cette situation. Il y a certaines situations dans lesquelles le ministère de la Défense nationale a acquis une expérience considérable, mais pour un ministère civil comme le nôtre, c'était une situation nouvelle.
Nous avons très bien réussi, au sein du ministère, à nous assurer que nous gardions les dossiers et nous avons effectué des études et embauché des experts externes pour comprendre ce que nous avions fait.
Toutefois, je pense que vous constateriez que la méthode varie probablement un peu dans chaque ministère, et je doute qu'il y ait un modèle d'ensemble.
Le sénateur Dallaire : Je vous remercie de votre franchise.
La présidente : Le rapport trimestriel, ces rapports ont été... J'ai participé aux travaux du comité et je suis aussi allé là-bas, et je crois que vous avez vraiment saisi la situation, et que cela va au-delà du bilan des choses que nous avons faites. On les compare aux objectifs et on essaie de voir comment tout cela correspond.
M. Verner : Il est clair que l'une des leçons retenues les plus importantes de l'expérience pangouvernementale, c'est l'utilité de donner suite à cette recommandation de la commission Manley.
Le sénateur Dallaire : J'ai lu tous ces rapports et je compare les processus utilisés au sein des ministères avec les résultats obtenus.
M. Venner : Vous aimez vous compliquer la vie, n'est-ce pas?
Le sénateur Dallaire : J'ai vu les conséquences de procéder à l'aveuglette.
M. Venner : D'accord.
La présidente : Nous entendons constamment dire qu'il n'y aura plus de situation identique; comment pourrons- nous alors réagir la prochaine fois? Qu'est-ce qui nous dit que ce ne sera plus comme l'Afghanistan? Nous avons entendu les forces armées à ce sujet, entendu les choses que les militaires ont pu faire à Haïti, grâce à leur expérience sur le terrain, même si c'était différent comme le jour et la nuit. Ce sont des situations très différentes.
Le sénateur Dallaire : C'est ce que nous souhaitons.
Le sénateur Lang : Permettez-moi d'aborder l'autre sujet dont vous avez parlé dans votre déclaration préliminaire. D'abord, je veux faire une observation à propos de l'Afghanistan. L'une des plus grandes réussites est sans doute le nombre d'enfants qui vont à l'école. Dans votre déclaration préliminaire, vous avez parlé de 9 millions d'enfants, et ce qui est probablement le plus important, c'est que près de 40 p. 100 sont des filles. Pour réussir, il leur faut une société éduquée, évidemment. Si c'est le cas et que cela porte ses fruits, alors je crois que les succès sont possibles.
Dans une perspective d'avenir, la semaine dernière, à Chicago, le premier ministre a engagé les Canadiens à verser 110 millions de dollars par année sur trois ans à l'Afghanistan. Vous avez également dit dans votre exposé, tout comme lui, que nous allons insister pour que le financement soit assorti de mesures strictes de reddition de comptes. Vous voudrez peut- être nous en dire davantage là-dessus. Quel que soit l'engagement des contribuables dans ce programme et ces projets, comment pouvons-nous nous assurer que des mesures de reddition de comptes seront mises en place?
M. Venner : J'aimerais simplement faire quelques remarques, après quoi je reviendrai, si vous le permettez, sur votre observation concernant les écoles et le nombre d'enfants qui les fréquentent.
En ce qui concerne la reddition de comptes, je pense que le premier ministre a dit s'attendre à ce que le gouvernement de l'Afghanistan manifeste son engagement à respecter les obligations internationales en matière de droits de la personne, à lutter contre la corruption, à renforcer la primauté du droit, à accroître la tolérance relativement aux libertés religieuses et à protéger les droits des femmes qui sont inscrits dans la constitution afghane. Voilà notre liste de contrôle. Voilà les choses que nous vérifierons. Quant aux mécanismes dont nous aurons besoin pour le faire, nous avons quelques années pour nous pencher sur cette question.
C'est important, car nous ne savons pas encore précisément de quelle façon nous allons dépenser ces 330 millions de dollars. Il y a divers mécanismes que nous pouvons utiliser pour le faire, dont certains que nous avons déjà utilisés, comme le Fonds d'affectation spéciale pour l'ordre public, mais il y en a d'autres qui n'ont pas encore été mis sur pied, dont nous discutons, et que nous pourrions finir par utiliser. Les Américains parlent d'un fonds fiduciaire de l'OTAN. Il y a d'autres possibilités.
Il nous faudra savoir précisément comment nous allons acheminer ces 330 millions de dollars, dans quel fonds ils seront versés et comment nous allons les affecter. Il s'agit d'une contribution pour la sécurité, mais nous devrons notamment décider quelle proportion de cette somme devrait être affectée à la police et quelle proportion devrait aller à l'Armée nationale afghane.
Ce n'est que lorsque nous aurons trouvé des réponses à ces questions, et nous y travaillerons dans les prochains mois, que nous pourrons dire précisément comment nous procéderons pour obtenir des assurances au sujet des cinq éléments mentionnés par le premier ministre.
J'aimerais maintenant revenir à votre observation au sujet de la scolarité des enfants. L'une des choses que nous tentons actuellement de faire, c'est de protéger les gains que nous avons réalisés en Afghanistan. Il est tout à fait vrai qu'advenant une soudaine dégradation de l'environnement de sécurité, par exemple, une bonne partie de ce que nous avons réalisé pourrait être menacé, mais certaines choses ne peuvent redevenir comme avant.
À titre d'exemple, bon nombre d'enfants, y compris des fillettes, ont déjà eu accès à une certaine éducation. Si, par malheur, les 52 écoles que nous avons construites en Afghanistan devaient brûler demain, personne ne pourrait enlever à ces enfants, et surtout à ces fillettes, l'éducation qu'ils ont déjà reçue.
Pensons à tous les enfants que nous avons vaccinés contre la polio. Même si nous ne donnions plus aucun vaccin, ce qui ne sera pas le cas, tous les enfants qui ont été vaccinés le sont de façon permanente. Qui peut dire quelles contributions futures les fillettes qui ont déjà reçu une éducation ou les enfants qui ne sont pas décédés de la polio pourront apporter à l'Afghanistan dans l'avenir? Certaines de nos réalisations sont irréversibles.
Le sénateur Lang : Merci.
M. Venner : Certaines de nos réalisations sont irréversibles.
La présidente : Je suis entièrement d'accord.
Le sénateur Plett : Vos derniers commentaires ont fourni, du moins en partie, la réponse à ce dont je voulais parler, mais j'aimerais pousser cela un peu plus loin.
Dans votre exposé, vous avez cité le ministre Baird :
« ... nous avons investi des milliards et des milliards de dollars, et sacrifié plus de 150 vies pour nous assurer que ce pays ne redevienne jamais plus un repaire de terroristes. »
Plus tard, vous avez répété ce passage : « jamais plus un repaire de terroristes ».
Ce que vous venez de dire sur le fait de ne pas pouvoir revenir en arrière en ce qui a trait à l'éducation et à la vaccination est formidable, et je suis certainement d'accord sur ce point. Cependant, il y a une culture là-bas, et elle n'a pas été seulement créée par les talibans. Il y a là une culture selon laquelle les femmes et les filles n'ont pas les mêmes droits.
Il y a le cas d'un pays voisin de l'Afghanistan. Oussama ben Laden n'a pas été trouvé en Afghanistan mais au Pakistan. Vous pouvez dire que je suis sceptique, je suppose, mais j'hésite quelque peu à faire preuve d'un trop grand optimisme. Ce que nous avons fait là-bas, sans doute... Et je félicite le gouvernement, le ministère de la Défense, le ministère des Affaires étrangères de leur travail formidable. Toutefois, en raison de notre retrait, qu'est-ce qui peut nous garantir que le pays ne redeviendra jamais un repaire de terroristes? Qu'est-ce qui nous garantit que le Pakistan n'abrite pas beaucoup de ces gens et que lorsque nous nous retirerons de l'Afghanistan, ils ne franchiront pas la frontière pour reprendre leurs activités là où ils les ont laissées? Je pense que si nous changeons la mentalité des gens, c'est formidable, mais pour ce faire, il faut plus de générations qu'il y en a eu pendant notre présence là-bas.
M. Venner : Je pense que la réponse comporte deux volets, sénateur. Je conviens qu'il s'agit d'un processus à long terme. Le premier est d'assurer la sécurité sur le terrain dans un avenir prévisible, parce que cela doit être maintenu si l'on veut s'assurer que l'Afghanistan ne redevienne pas une base pour les activités terroristes et aussi parce qu'il est nécessaire de préserver toutes nos autres réalisations. Si nous perdons cet environnement de sécurité, tout le reste est en péril.
Voilà pourquoi la contribution de 330 millions de dollars est essentielle au maintien de l'environnement de sécurité. Il n'y a pas seulement nous. Beaucoup d'autres pays ont fait des annonces avant le sommet de Chicago. Les Australiens, notamment, contribuent pour 300 millions de dollars sur trois ans.
De plus, ces contributions ont été annoncées deux ou trois ans d'avance, ce qui nous fournit donc à l'avenir une certitude quant à l'environnement dans lequel nous avons travaillé et aux ressources dont nous allons disposer. Manifestement, un des éléments essentiels à cet égard est de pouvoir confier l'Afghanistan aux Afghans. Notre mission de formation, qui se poursuit actuellement de façon intensive consiste à s'assurer d'offrir une formation aux Afghans pour qu'ils puissent se charger de ce travail eux-mêmes, à long terme.
Il y a là un lien à la deuxième partie de votre question sur le changement culturel. Notre mission formation est d'un effet à favoriser un certain changement culturel, mais nous faisons beaucoup d'autres choses qui favoriseront le changement culturel en Afghanistan. J'ai déjà mentionné les immenses avantages qui résultent de notre investissement en secteur de l'éducation. À plus long terme, alors que certains étudiants qui auront reçu une formation grâce à ces programmes grandiront, nous espérons en voir les retombées. Le simple fait que beaucoup de ces diplômés seront des femmes sera, en soi, un important changement culturel. Nous avons aussi pris des mesures précises pour aider à favoriser le changement culturel.
La promotion de la démocratie et notre travail sur la réforme électorale font partie du changement de culture en Afghanistan. Plus tôt aujourd'hui, j'ai vu quelque chose sur le travail que nous avons fait auprès du ministère de l'Intérieur, auquel nous avons fourni du financement pour les services d'un conseiller en matière d'égalité entre les sexes pour l'aider à l'intégration des femmes dans les programmes, en particulier dans les forces policières. Grâce, en grande partie, au travail de ce conseiller, on compte maintenant plus de policières dans les services de police. Elles s'occupent notamment des cas de violence familiale. Tout cela fait partie du changement culturel.
Je conviens qu'il s'agit d'un processus à très long terme, mais je pense que si nous combinons l'aspect à court terme qui consiste à maintenir l'environnement de sécurité — les choses comme l'annonce de 330 millions de dollars et tout le reste — avec un engagement à long terme envers certains des autres changements que nous faisons sur le plan du développement, cela donnera des résultats.
Le sénateur Plett : Je ne sais pas si vous êtes à l'aise de répondre à des questions sur le Pakistan, mais quel genre de menace représente le Pakistan pour tout ce que nous avons fait là-bas?
M. Venner : Lorsque nous avons mis un terme à la mission de combat en Afghanistan, le gouvernement a indiqué que nous aurions quatre nouvelles priorités à l'avenir. Un des éléments clés qu'il a annoncé, c'est que nous mettrions l'accent sur la diplomatie régionale. Nous avons entrepris ce que nous appelions le processus de Dubaï. Nous l'appelons maintenant le processus de coopération entre l'Afghanistan et le Pakistan, mais cette initiative reflète l'importance considérable que nous accordons à l'amélioration de la coopération dans la région. En fait, le directeur du Groupe de travail sur l'Afghanistan était à Kaboul aujourd'hui, où il se prépare pour les réunions que nous organisons entre les fonctionnaires afghans et pakistanais, et qui, sous notre présidence, portent sur la coopération à la frontière. Oui, nous croyons que c'est important et nous sommes au centre des efforts visant à essayer d'améliorer les choses, particulièrement en ce qui a trait à la coopération à la frontière, ce qui, comme vous pouvez l'imaginer, est très difficile lorsque les deux parties ne s'entendent pas nécessairement sur la frontière elle-même.
Il se fait là un travail important.
Je dirais aussi — et cela ne concerne pas seulement le Pakistan, mais il en ferait partie — que nous participons à ce qu'on appelle le processus d'Istanbul, qui a été entrepris à l'occasion d'une réunion qui, étonnamment, s'est tenue à Istanbul il y a quelques mois. M. Obhrai, le secrétaire parlementaire du ministre, a assisté à cette première réunion. La prochaine réunion aura lieu à Kaboul, en juin. Il s'agit d'un processus qui concerne principalement l'Afghanistan et ses voisins immédiats, mais elle comporte aussi un rôle pour l'ensemble plus large des pays qui ont contribué aux efforts en Afghanistan. Nous faisons partie de ce cercle externe, mais nous participons et nous sommes prêts à apporter notre aide.
Le sénateur Plett : Je veux simplement revenir sur ce que le sénateur Lang et vous avez dit. Le succès devrait être mesuré en fonction du nombre de personnes que nous avons vaccinées et du nombre de filles et surtout en fonction du nombre d'enfants qui ont accès à l'enseignement, alors je vous remercie.
La présidente : Si on change la mentalité des filles, on changera la mentalité de beaucoup d'autres personnes dans ces pays.
Le sénateur Dallaire : Encore une fois, en préparation pour l'avenir, je me penche sur les leçons apprises. Bien que nous ayons joué un rôle de premier plan en Afghanistan depuis 2006, on a indiqué que nous avons aussi joué un rôle en Haïti, en Libye et dans d'autres régions. Le Darfour, le Soudan du Sud et d'autres situations de crise se poursuivaient et nécessitaient une réponse de l'ensemble du gouvernement quant au rôle que nous entendions jouer.
Pour relever le défi posé par la situation en Afghanistan, nous reconnaissons qu'il y a eu, entre les ministères, une grande coopération et une grande coordination — et même une collaboration —, mais on n'a pas bien formulé la leçon selon laquelle il faut assurer l'intégration de toutes ces différentes disciplines ou ces divers ministères afin de mettre en place des instructions permanentes d'opération et des structures fondamentales. Aussi, c'est le plus important, nous n'avons pas offert de formation — en fonction de leur expérience et de manière structurée — aux fonctionnaires, aux militaires, à la GRC et à tous les autres intervenants en préparation pour le prochain exercice.
Avez-vous modifié la formation et le perfectionnement de vos gens de façon à pouvoir compter sur des gens dévoués et compétents pour relever les défis complexes auxquels nous serons confrontés à l'avenir et qui nécessiteront la participation de l'ensemble du gouvernement? À titre d'exemple, y a-t-il beaucoup plus de gens qui vont au collège militaire de Toronto, plus de militaires au sein du ministère des Affaires étrangères et au sein de l'ACDI, des exercices réguliers et toutes ces choses? Cette philosophie de préparation a-t-elle été mise en oeuvre officiellement de façon à ce qu'elle soit maintenue tout au long de notre préparation? Ce ne sera peut-être pas en Afghanistan, mais la situation pourrait être tout aussi grave ailleurs. Nous préparons-nous en fonction de cela?
M. Venner : Encore une fois, sénateur, vous avez abordé beaucoup de sujets.
La réponse à votre question, c'est que nous faisons beaucoup plus de choses à cet égard. Par exemple, c'est l'expérience en Afghanistan qui nous a incités à recommencer à envoyer notre personnel au Collège d'état-major de Toronto. En fait, je vais m'y rendre pour parler aux finissants du collège, comme je l'ai fait l'an dernier. Je vais y aller pour leur parler de nouveau le mois prochain.
Nous envoyons donc du personnel là-bas. Ils ne sont pas aussi nombreux que nous le voudrions, mais nous essayons de toujours maintenir une présence. Je suis heureux d'annoncer que la personne que nous enverrons au cours l'an prochain sera quelqu'un qui revient d'Afghanistan. Cela nous permet de faire un travail utile.
Je sais que lorsque je vais au Collège d'état-major, je profite de l'occasion pour discuter avec les experts et tirer des leçons de certaines des expériences et des choses qu'ils ont apprises grâce à leur propre expérience au sein de la structure militaire. J'ai hâte de le faire de nouveau dans deux ou trois semaines.
Certaines de ces choses sont en voie de devenir une seconde nature, en quelque sorte. Nous adoptons de nouvelles habitudes qui se reflètent dans beaucoup de nos programmes de formation. Par exemple, cela se reflète dans la formation des chefs de mission. Étant donné que nous avons offert cette formation à des gens chaque année, de plus en plus de gens chargés de faire le travail ont eu une certaine expérience de l'Afghanistan. Ils apportent cette expérience et en font profiter des gens qui sont déployés, dont certains dans d'autres sont de conflit. Nous faisons plus de choses de ce genre.
Il s'agit d'un processus lent, mais constant. Comme vous le savez, les changements institutionnels et culturels au sein d'un organisme doivent se faire au même rythme que dans les autres pays, et nous nous y employons.
Le sénateur Dallaire : On ne veut pas se retrouver dans la même situation qu'au début, à la situation dans laquelle nous étions en Corée. Donc, pour ce qui est des leçons apprises, la continuité et le maintien de l'intérêt des gens et de leur état de préparation en vue du prochain exercice sont-ils maintenant inscrits dans la philosophie institutionnelle du service extérieur ou du MAECI? Pensez-vous que cela commence à se faire dans d'autres ministères aussi?
M. Venner : Ceux qui ont travaillé là-dessus ont été profondément transformés par cette expérience. À l'avenir, lorsque nous aurons pris assez de recul pour examiner la situation en toute objectivité, nous considérerons qu'il s'agit d'un important chapitre de l'histoire canadienne. Je trouve difficile de croire que nous laisserions un jour ces expériences nous échapper.
La présidente : Il semblerait en effet qu'il s'agit d'une des leçons que nous avons apprises. Nous ne savons pas à quel point les gens seront en mesure de transmettre cette expérience, à quel point cela servira de guide ou de modèle, parce qu'il faudra attendre de voir ce que le prochain conflit nous réserve.
M. Venner : C'est un excellent point. Je le vois dans mes contacts avec les personnes qui ont servi en Afghanistan, qui sont revenus et qui nous offrent cette expérience et nous invitent à tirer des enseignements de leur expertise. Certains de nos anciens ambassadeurs, notamment, continuent de croire que c'est extrêmement important.
La présidente : Merci beaucoup. Nous vous remercions d'avoir témoigné aujourd'hui et de nous avoir aidés à étudier les leçons générales apprises dans l'ensemble du gouvernement du Canada, et non seulement au ministère de la Défense et dans les Forces canadiennes. À l'instar du sénateur Dallaire, je crois que vous avez fait preuve d'une grande franchise. Nous vous en sommes reconnaissants.
(La séance est levée.)