Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 15 - Témoignages du 27 mai 2013
OTTAWA, le lundi 27 mai 2013
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 16 heures, en public, afin de poursuivre son étude sur le harcèlement au sein de la Gendarmerie royale du Canada; il se réunit ensuite à huis clos pour étudier un projet d'ordre du jour.
Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, qui se réunit en ce lundi 27 mai. Avant d'accueillir nos témoins, je vais présenter tous ceux qui sont assis autour de la table. Je m'appelle Dan Lang et je suis sénateur du Yukon. À ma gauche immédiate se trouve la greffière du comité, Josée Thérien, et à ma droite, l'attachée de recherche de la Bibliothèque du Parlement qui est affectée à notre comité, Holly Porteous. Dominique Valiquet se joindra à nous tout à l'heure, je suppose.
Je vais demander à chaque sénateur de se présenter et d'indiquer la région qu'il représente, à commencer par le vice- président.
Le sénateur Dallaire : Merci, monsieur le président. Je suis le sénateur Romeo Dallaire, du golfe du Saint-Laurent.
Nous avons également avec nous le sénateur Moore, qui vient de Terre-Neuve, et le sénateur Campbell, qui vient de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Day : Je suis le sénateur Joseph Day, et je viens du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Manning : Je suis le sénateur Fabian Manning, et je viens de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Plett : Je m'appelle Don Plett, et je viens du Manitoba.
[Français]
Le sénateur Nolin : Mon nom est Pierre Claude Nolin et je représente la province de Québec, plus spécifiquement la région de Salaberry.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, je vous remercie. Aujourd'hui, nous allons poursuivre notre étude sur le harcèlement au sein de la Gendarmerie royale du Canada. Pendant la première partie de notre réunion, nous accueillons le chef Rick Hanson, du service de police de Calgary, et M. Peter Merrifield, président de l'Association de la police montée de l'Ontario.
Avant de commencer, j'aimerais vous informer, chers collègues, que M. Merrifield a envoyé à la greffière deux lettres en anglais seulement. Nous avons pu en faire traduire une à temps pour la réunion d'aujourd'hui, et elle vous a été distribuée, mais pour ce qui est de la deuxième, acceptez-vous qu'elle vous soit distribuée en anglais seulement et que la traduction vous parvienne demain? D'accord?
Des voix : D'accord.
Le président : Messieurs, nous avons une heure à vous consacrer, et je crois savoir que chacun de vous a une déclaration liminaire. Monsieur Hanson, voulez-vous commencer?
Rick Hanson, chef, Service de police de Calgary : C'est un honneur pour moi de comparaître devant votre comité, et je vous en remercie. Merci aussi de donner à mon service l'occasion de témoigner sur une question aussi importante pour la police aujourd'hui, une question qui, je le dis clairement, est un défi constant pour nos organisations. Cela dit, je vais vous parler essentiellement aujourd'hui du service de police de Calgary.
La nature du milieu de travail évolue, et cela nous oblige non seulement à continuer de trouver des solutions aux problèmes traditionnels, mais aussi à faire face à de nouveaux enjeux.
Je suis souvent choqué et surpris de constater comment un vieux problème qu'on croyait réglé une fois pour toutes peut ressurgir tout d'un coup. Et quand ça se produit, on ne peut jamais fermer les yeux sur l'environnement interne et on doit rester vigilant face à ces problèmes.
Je pourrai vous en donner quelques exemples à la fin de mes remarques, si cela vous intéresse. Cela vous montrera comment le service de police de Calgary a réagi dans ces cas-là. Mais il est bien évident que, dans un milieu de travail donné, on ne peut jamais présumer que l'adoption d'une politique sera, en soi, la solution aux nombreux défis qui se présentent.
Le service de police de Calgary possède, et je m'en félicite, des caractéristiques uniques qui facilitent la communication et la discussion sur les situations qui se présentent, notamment en ce qui concerne le harcèlement et la discrimination. Parmi ces caractéristiques, il y a un syndicat, qui n'hésite pas à soulever ces questions de façon respectueuse mais ferme, dans le but de favoriser un règlement rapide des problèmes. Notre relation est exceptionnelle et contribue grandement au dépistage et au règlement rapide des problèmes.
Nous avons également un département de services psychologiques qui a été cité, dans un rapport récent de l'Ontario, comme un modèle du genre, en milieu policier.
Nous avons également accès, depuis maintenant cinq ans, à un médiateur indépendant qui relève directement du chef de la police et qui a le pouvoir de protéger, à tout prix, l'anonymat des plaignants qui s'adressent à lui. Étant un ancien président du syndicat, le médiateur jouit bien sûr de toute la confiance des employés, et il s'est avéré une source d'information cruciale qui m'a permis, le cas échéant, d'intervenir rapidement, tout en protégeant le plaignant.
Je peux vous dire qu'en l'espace de cinq ans, le médiateur a réussi à dépister de nombreux problèmes graves, dès leur apparition. Cela a permis à la direction d'intervenir rapidement et de les régler avant qu'ils ne dégénèrent.
Nous avons également la chance que la commission de police municipale de Calgary, notre organisme de tutelle, fasse faire chaque année, par des professionnels de l'extérieur, un sondage sur la satisfaction des employés, ce qui permet de faire ressortir les problèmes et les préoccupations des membres, aussi bien des policiers que des civils. Les résultats de ce sondage sont compilés, et je suis responsable, devant la commission, du règlement des problèmes qui sont identifiés.
Outre toutes ces mesures, nous avons mis en œuvre un certain nombre de politiques et de formations à tous les niveaux de l'organisation. L'instauration d'un milieu de travail respectueux est une de mes priorités depuis mon retour dans le service de police de Calgary, à la fin de 2007. Malgré tous ces efforts, cependant, nous avons connu pas mal d'échecs décevants, et je suis plus que jamais convaincu que la haute direction doit se montrer extraordinairement vigilante dès les premiers signes d'une situation problématique. L'instauration d'un milieu de travail respectueux est un objectif qu'on ne peut jamais réaliser complètement, je m'en rends compte aujourd'hui, mais il y a tant de facteurs complexes en jeu, dans notre société actuelle, qu'il faut absolument que chaque organisation en fasse sa première priorité dans son plan d'entreprise. Je pourrais vous en dire bien davantage, mais je sais que votre temps est limité, alors je me contenterai de répondre aux questions que vous voudrez bien me poser. J'aimerais encore une fois vous remercier de me donner l'occasion de m'adresser à vous sur cette question d'une importance cruciale, surtout en compagnie de M. Merrifield.
Le président : Merci, monsieur Hanson. Monsieur Merrifield, avez-vous quelque chose à ajouter?
Peter Merrifield, président, Association de la police montée de l'Ontario : Oui, monsieur le président. J'ai préparé une déclaration de quelques minutes, qui servira, je l'espère, de contexte à vos questions. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je vais la lire. J'aimerais également me faire l'écho du chef Hanson en vous remerciant de m'avoir invité aujourd'hui pour parler d'une question très importante et tout à fait d'actualité en ce qui concerne la police nationale.
Comme vous le savez, je m'appelle Peter Merrifield et je suis le président de l'Association de la police montée de l'Ontario. Je suis membre de la GRC depuis 16 ans, et j'ai le rang de caporal. J'ai aussi travaillé à contrat et pour le fédéral, dans des fonctions très variées, par exemple pour des causeries dans des écoles élémentaires, des opérations de lutte contre le terrorisme ou des enquêtes sur la prolifération nucléaire. Dans ma carrière, j'ai reçu des coups de fusil, des coups de couteau, et j'ai été laissé pour mort après un accident de voiture. Je suis très fier de mes années de service à la GRC et tout aussi fier des 19 000 hommes et femmes qui sont actuellement membres de la GRC. J'ai été témoin d'incroyables actes de courage, de dévouement et de sacrifice de la part de ces membres. Mais je tiens à affirmer publiquement qu'il y a de graves problèmes de harcèlement et d'intimidation au sein de l'organisation. Je ne veux pas, en disant cela, discréditer les membres de la GRC qui se comportent chaque jour avec respect et intégrité. Il ne faut surtout pas que les inconduites d'un petit nombre oblitèrent les mérites de la majorité.
L'Association de la police montée de l'Ontario a été créée en 1990, dans le but d'obtenir le droit à la négociation collective pour les membres de la GRC. Nous sommes censés être entendus à ce sujet par la Cour suprême du Canada, en novembre de cette année. Ne vous y trompez pas, nous ne cherchons pas à nous syndiquer en tant que tels. Ce n'est pas une question de rémunération, de retraites ou d'avantages sociaux, c'est surtout pour pouvoir améliorer radicalement les conditions de travail au sein de la police montée. L'APMO est une association professionnelle et ne cherche pas à obtenir le droit de faire la grève ou d'exercer des pressions au travail. En revanche, nous voulons pouvoir négocier des conventions collectives et mettre en place des mécanismes efficaces pour le règlement équitable, ponctuel et indépendant des problèmes qui se posent dans les services de la GRC. Le harcèlement représente un coût énorme, à la fois au niveau humain et au niveau financier. Il a un impact négatif sur le moral des employés et de l'organisation tout entière, et c'est un impact qui peut persister très longtemps si l'on ne change pas radicalement la culture de l'organisation. On prend rarement en compte les effets de ce phénomène sur la vie des gens, sur leurs familles et sur leur santé quand on calcule les coûts pourtant considérables que représentent le harcèlement et l'intimidation en milieu de travail. Bien souvent, la première réaction de la GRC, face à une plainte de harcèlement d'un de ses membres, est ce que j'appelle la réaction en 3D : dénier, durer et différer — on nie le bien-fondé de la plainte, on fait durer son règlement et on diffère la décision.
Ça a été la réaction de la GRC pratiquement dans tous les cas, et ça lui a attiré une couverture négative dans les médias, des poursuites juridiques et le discrédit sur l'organisation et ses membres. La GRC et le ministère de la Justice ont littéralement gaspillé des millions de dollars de deniers publics pour empêcher des membres de la GRC d'avoir un procès équitable. D'un côté, le gouvernement autorise publiquement le commissaire à prendre des mesures pour sanctionner le harcèlement, et de l'autre, par l'entremise du ministère de la Justice, il bâillonne les victimes qui osent demander justice.
Par ce gaspillage des deniers publics et la non-résolution des problèmes, on semble chercher à intimider les membres de la GRC afin de les dissuader de révéler les problèmes de harcèlement ou autres dont ils sont victimes. La majorité des membres de la GRC ne font pas confiance à leur propre système. Ça en dit long sur le sentiment d'impunité qui règne à l'interne. Quand les membres constatent que les récidivistes ne sont pas punis et que les plaintes traînent parfois pendant huit ans dans les divers paliers de griefs, ils perdent tout simplement confiance. Je suis sûr que la plupart d'entre eux seraient capables d'accomplir toutes les procédures d'enquête, de poursuite et de condamnation d'un meurtrier en moins de temps qu'il n'en faut à la GRC pour régler une plainte de harcèlement. C'est tout à fait inacceptable.
Lorsqu'un membre dépose une plainte de harcèlement, c'est toute la machine à nier, à intimider et à sanctionner qui se met en branle. Les autres tactiques consistent, par exemple, à attaquer l'intégrité professionnelle du plaignant, ou à l'accuser faussement de rendement insatisfaisant ou d'inconduite, sans parler des campagnes de médisance qui visent à détruire sa crédibilité et à semer le doute.
Dans un cas qui m'est arrivé personnellement, les représailles exercées contre moi sont allées tellement loin qu'elles ont été jugées comme de l'obstruction à la justice. Un officier breveté a essayé de persuader un informateur secret, dont je me servais pour une importante opération d'infiltration, de cesser de travailler pour moi parce que « je n'avais pas l'esprit d'équipe, j'avais intenté des poursuites contre la GRC et je n'étais pas digne de confiance ». En exerçant des représailles contre moi, cet officier savait pourtant qu'il courait le risque de faire l'objet d'une enquête pénale, mais ça ne l'a pas empêché.
Au cours des huit dernières années, cinq de mes superviseurs ou supérieurs hiérarchiques ont été à l'origine de plusieurs cas de harcèlement, notamment d'agressions sexuelles, de harcèlement sexuel, de représailles et d'infractions au code de déontologie pour conduite déshonorante et manquement au devoir, entre autres. Dans un cas mémorable, j'ai été informé que mon supérieur hiérarchique avait été vu en train de faire du racolage par la fenêtre de sa voiture. Quand j'ai essayé de poser des questions à son sujet à la GRC, on ne m'a jamais donné de réponse. Par contre, des semaines plus tard, j'ai été interviewé par un autre service de police qui voulait savoir comment j'avais appris qu'un agent de la GRC avait été vu par leur brigade des mœurs en train de parler à une policière qui se faisait passer pour une prostituée dans le cadre d'une opération de dépistage de clients de la prostitution.
Pour que les choses changent, j'en ai parlé à un grand nombre de dirigeants politiques, de ministres du Cabinet et de députés, et j'ai même demandé des informations du bureau du premier ministre au sujet de cas de harcèlement et d'ingérence politique potentielle par la GRC. J'ai même divulgué des affaires sordides dans l'espoir de rallier des appuis pour que la loi soit modifiée, mais jusqu'à présent, aucune mesure législative n'a été proposée.
Lorsque j'ai poursuivi la GRC pour harcèlement, j'ai été, à un moment donné, obligé de vendre ma maison pour payer mon avocat. Il fallait donc, littéralement, que ma femme et mes trois enfants soient chassés de notre foyer familial pour que ces rois du mensonge et de l'intimidation soient amenés à rendre des comptes. Je ne suis plus la même personne depuis 2005, j'ai changé, et ma famille et moi avons payé un lourd tribut pour avoir été victimes de harcèlement et d'intimidation au sein de la GRC. Au cours de ces huit dernières années, j'ai traversé des périodes de dépression, de stress et d'anxiété qui m'ont obligé à prendre congé à plusieurs reprises. Chaque fois que j'ai repris mon poste, j'ai fait mon devoir et j'ai réussi à élucider plusieurs affaires, notamment des menaces de mort qui avaient été proférées contre un premier ministre canadien et un président américain, et la première condamnation jamais rendue en vertu de la Loi sur les Nations Unies et des Règlements sur la prolifération nucléaire en Iran. Le pire dans cette histoire de harcèlement et d'intimidation, c'est que j'étais le premier policier en exercice à avoir brigué un poste de député.
En conclusion, je dirai qu'il est manifeste que les valeurs fondamentales de la GRC ne sont plus respectées. Je veux parler d'honnêteté, d'intégrité, de professionnalisme, de compassion, de responsabilité et de respect. Je ne peux pas croire que ce sont simplement de belles devises qu'on affiche dans les services de la GRC. C'est en fonction de ces valeurs que les membres doivent être évalués et qu'ils doivent rendre des comptes. Comme pour les statistiques sur la criminalité en général, la majorité des infractions sont souvent commises par une minorité de la population, et ça vaut aussi pour la GRC. Sans aller jusqu'à dire que le harcèlement est systémique, je dirai qu'il fait partie des mœurs et qu'il est terriblement dangereux. Il n'est plus acceptable d'étouffer les comportements sociopathes de certains membres de la GRC. Il faut que, dans ces cas-là, on soit moins réticent à rétrograder ces récidivistes. Les membres de la GRC qui font leur devoir en toute intégrité méritent mieux, et les Canadiens aussi.
Le président : Merci. Je vais donner la parole au sénateur Dallaire, vice-président du comité, qui posera la première question.
Le sénateur Dallaire : Monsieur Merrifield, combien de personnes vous ont élu au poste de président de l'Association de la police montée de l'Ontario?
M. Merrifield : Dans la province de l'Ontario, j'ai été élu par 350 membres. Il y a aussi des associations au Québec et en Colombie-Britannique. Nous ne sommes pas reconnus officiellement par l'employeur.
Le sénateur Dallaire : Si je comprends bien, les événements traumatisants que vous avez connus, vous et votre famille, n'ont pas dissuadé vos collègues de voter pour vous, pour que vous soyez leur président et leur porte-parole?
M. Merrifield : C'est exact, monsieur.
Le sénateur Dallaire : Monsieur Hanson, le service de police auquel vous appartenez est souvent considéré comme une organisation très progressiste. Pourriez-vous nous donner quelques exemples illustrant les circonstances qui se sont produites et les mesures qu'a prises votre organisation? Ce que je veux savoir, c'est combien de temps vous passez, vous et vos supérieurs hiérarchiques, à vous assurer à tous les paliers que les politiques sont bien appliquées.
M. Hanson : J'aimerais dire à M. Merrifield que je suis très honoré de comparaître en même temps que lui.
La réalité est telle que la culture l'emporte toujours sur les politiques, la formation et les procédures. Dans beaucoup de cas, comme l'a dit M. Merrifield, il s'agit de régler le problème que posent certains membres d'une organisation, et la responsabilité en incombe à tous les membres de l'organisation et à la direction.
Je vais vous raconter quelque chose. Je vous ai dit combien j'avais été déçu. Il y a près de six ans, quand je suis revenu travailler au service de police de Calgary, il y a eu une sorte de purge; plusieurs individus ont quitté la GRC parce qu'ils s'imaginaient qu'en vertu de leur rang, ils avaient le droit de faire des choses qui n'étaient pas acceptables. Depuis, j'ai acquis de l'expérience, et voici ce que je vais vous raconter. Il s'est trouvé qu'une de nos collègues a eu une relation avec un collègue, ce qui arrive dans un milieu de travail. Ce qui m'a beaucoup déçu, par contre, c'est l'attitude différente qu'on a affichée à l'égard du policier, qui était assermenté, et à l'égard de la femme, qui n'était pas assermentée. Quand des collègues de la femme en question ont commencé à m'en parler, j'ai appris qu'un très haut gradé de mon organisation avait eu l'outrecuidance de donner à la loi l'interprétation qui lui convenait, et je vais vous expliquer.
S'agissant du couple en question, il a autorisé les techniciens à pénétrer, à distance, dans l'ordinateur de la femme à son domicile, ce qui était parfaitement illégal, inapproprié, et en ce qui me concerne, immoral. Pour cela, il n'a consulté personne. Quand il est finalement venu me voir pour me dire qu'il avait fait ça sur le conseil d'un avocat, c'était trop tard, le mal avait été fait. C'était clairement répréhensible, immoral et illégal, et ça constituait à mon avis, et de l'avis de bien d'autres personnes, une forme de harcèlement de la femme et non pas de l'homme.
Donc, le mal avait été fait. J'ai soumis le dossier à l'instance disciplinaire étant donné que l'enquête avait été mal faite, j'ai réintégré la femme dans nos rangs et j'ai fait tout ce que je pouvais, y compris présenter des excuses. Je suis plus que jamais convaincu qu'on a beau avoir les meilleures politiques, les meilleurs programmes de formation et les meilleures procédures en place, ce qui compte avant tout, c'est que le chef de l'organisation soit vigilant et qu'il se montre à l'écoute de ceux qui s'estiment victimes de harcèlement. J'ai été profondément déçu que ce haut gradé décide de faire une chose aussi inappropriée, même s'il pensait que c'était dans l'intérêt du service, mais ce qui m'a réconforté par contre, c'est que les membres en bas de l'échelle ont vu qu'ils pouvaient se faire entendre des niveaux supérieurs et m'alerter d'une situation qu'ils jugeaient tout à fait inappropriée.
Je suis plus que jamais convaincu que nous avons eu raison de nommer un médiateur, quelqu'un qui est connu et accessible et qui est capable en même temps de respecter la confidentialité. De cette façon, les membres peuvent lui soumettre des situations sans avoir à craindre des représailles. Trop souvent, dans une organisation paramilitaire, les gens ont peur de parler par crainte de représailles.
Le sénateur Plett : Je vous remercie, messieurs, de comparaître devant notre comité.
J'ai devant moi le Rapport d'enquête d'intérêt public concernant des incidents de harcèlement en milieu de travail au sein de la GRC. Je suis sûr que vous l'avez lu. Dans l'un des tableaux, on énumère 10 services de police, le nombre de cas de harcèlement signalés et le taux pour 100 employés. La GRC se classe au septième rang sur 10, avec 0,11 victime de harcèlement pour 100 employés.
Je vais adresser ma question aux deux témoins, même si une partie intéresse davantage M. Hanson que M. Merrifield. Vous avez dit tous les deux que les syndicats jouent un rôle positif dans la lutte contre le harcèlement. Avez- vous fait une comparaison de la fréquence du harcèlement dans les services policiers syndiqués et dans les services policiers non syndiqués? Dans l'affirmative, pourriez-vous nous en communiquer les résultats? Monsieur Hanson, pourriez-vous également nous dire où se classe le service de police de Calgary dans cette liste du nombre de cas de harcèlement pour 100 employés?
M. Hanson : J'ignore si nous avons fait une étude ou une analyse officielle pour comparer le nombre de cas de harcèlement en milieu de travail syndiqué et non syndiqué, mais très franchement, je ne pense pas que les chiffres puissent être très fiables, car dans un milieu de travail non syndiqué, les gens ont peur de dénoncer des cas de harcèlement.
Ce que je peux vous dire, par contre, c'est que j'ai du mal à imaginer, surtout de nos jours, qu'une organisation n'ait pas un syndicat ou une association pour permettre aux employés de soulever des problèmes, car c'est une protection dont les employés ont besoin. Sans avoir fait ce genre d'enquête, je peux vous dire que je ne voudrais pas diriger une organisation dont les employés n'ont pas accès à un syndicat ou à une association, car il est absolument crucial de maintenir la communication.
Le sénateur Plett : Avant d'écouter la réponse de M. Merrifield, j'aimerais vous demander si vous savez où se classe le service de police de Calgary dans cette liste.
M. Hanson : La liste des 100? Non, je n'en sais rien.
Le sénateur Plett : Vous serait-il possible de nous faire parvenir cette information?
M. Hanson : Savez-vous qui a fait cette étude? Je vais essayer de trouver cette information.
Le sénateur Plett : Il s'agit du rapport McPhail. Monsieur Merrifield, vous alliez répondre.
M. Merrifield : Pour ce qui est de la première partie de votre question, je dirai, en guise de comparaison, que la Gendarmerie royale du Canada est la seule organisation policière du Canada à compter plus de 50 membres assermentés et à ne pas avoir d'association. Tous les autres services de police municipaux et provinciaux du Canada ont une association d'employés. Sans vouloir couper les cheveux en quatre, il faut bien reconnaître que le mot « syndicat » évoque souvent des grèves et des mesures de pression au travail. En tout cas, à une époque, c'était souvent le cas dans l'industrie.
Dans un service de police professionnel, je pense que ce qu'une association apporte est avant tout un sentiment d'indépendance. Le Programme des représentants des relations fonctionnelles qui existe actuellement à la GRC est un programme où des policiers sont élus par les membres pour les représenter. Cependant, c'est le commandant de la division qui juge leur rapport, leur évaluation de leur rendement et leurs chances d'avancement. Ce n'est donc pas un programme indépendant, ça ressemble davantage aux syndicats anglais du XIXe siècle qui, en pleine période d'industrialisation, étaient dirigés par l'employeur. Il existe de nombreux modèles d'« association policière professionnelle ». Le modèle nord-américain, qui existe actuellement dans la plupart des associations regroupées dans l'Association canadienne des policiers et dans la plupart des organisations policières américaines, n'est pas le seul modèle. Au Royaume-Uni, la fédération de la police d'Angleterre et du pays de Galles fonctionne selon un système hybride, où l'exécutif est indépendant et financé par les cotisations des membres, mais ces cotisations sont beaucoup plus faibles que dans une association policière en raison du petit nombre de gens qui s'occupent de la négociation d'une convention collective au nom des membres. Ensuite, au niveau des organisations, ils ont leurs représentants d'employés non associés, qui s'occupent des dossiers secondaires.
Le problème avec les statistiques c'est que, comme vous le savez, on peut les interpréter de toutes sortes de façon. Le rapport de la Commission des plaintes du public contre la GRC était excellent, mais il y a aussi des sondages internes qui sont faits tous les deux ans auprès des employés de la GRC. Vous pourriez les demander à la GRC, je pense qu'elle vous les fournirait. Vous verriez alors qu'en ce qui concerne la confiance dans la direction et le leadership de l'organisation, les scores sont généralement inférieurs à 30 p. 100. Je ne me souviens pas qu'ils n'aient jamais dépassé ça. Ce n'est pas une critique à l'égard du leadership — et j'emploie ce mot dans un sens très général —, mais la GRC a un très grand nombre de cadres. Je ne sais même pas combien il y en a exactement. Un leader, c'est quelqu'un qui agit. Il ne suffit pas d'avoir un insigne ou un rang pour être consacré leader. Le leadership, c'est avant tout de l'action. Et c'est ce que la GRC va devoir faire, je le pense vraiment, si elle veut continuer d'être une organisation policière efficace et si elle veut s'acquitter de la mission très diverse qui lui a été confiée. Nos tâches sont variées, comme je l'ai dit dans ma déclaration liminaire. Nous pouvons être amenés à nous occuper de la sécurité à bicyclette, dans le cadre de contrats, à participer à des enquêtes de sécurité nationale et internationale, et à prêter main-forte à des organismes comme les Nations Unies, dont le Canada est signataire.
Pour vous donner un ordre d'idée, je vous dirai que les 19 000 membres de la GRC représentent environ 28 à 29 p. 100 de tous les policiers assermentés du pays, et malgré tout, nous sommes la seule organisation policière à ne pas avoir d'association. En l'absence d'un mécanisme indépendant de la direction, qui permette d'examiner les dossiers dans un climat respectueux et équitable, la situation ne s'améliorera pas. Les commissaires auront beau se succéder, ça ne changera rien. Vous avez beau être le meilleur leader au monde, si l'équipe ne vous suit pas, rien ne changera. C'est une question de culture et de mentalité qu'il faut changer.
Le président : Messieurs les témoins, je vous invite à nous donner des réponses plus courtes.
Le sénateur Plett : Malgré tout le respect que je dois au chef Hanson, je reste d'avis que la GRC est la meilleure organisation policière au monde.
Chef Hanson, vous avez dit qu'un sondage sur la satisfaction des employés était fait chaque année par une organisation externe. Pourriez-vous nous faire parvenir un exemplaire de ce sondage et nous dire combien il en coûte pour le réaliser?
M. Hanson : Par « exemplaire », voulez-vous dire un échantillon?
Le sénateur Plett : Oui, si vous voulez bien le faire parvenir à la greffière.
M. Hanson : Volontiers. Pour ce qui est du coût, je crois que c'est moins de 3 000 $ par an pour le sondage et la compilation des résultats. C'est la commission de police municipale de Calgary qui fait ce sondage auprès des membres du service de police de Calgary.
Le sénateur Day : Messieurs, je vous remercie beaucoup de votre témoignage.
Chef, je ne me souviens plus exactement des mots que vous avez employés, mais vous avez dit, et ça mérite qu'on revienne là-dessus, que la culture l'emporte toujours sur les politiques, la formation, et cetera.
On a beau dispenser de la formation aux membres de l'organisation et leur expliquer combien il est important de respecter son prochain, si la culture est différente, tous ces efforts ne servent à rien. C'est bien ce que vous nous avez dit?
M. Hanson : Les politiques et la formation ne signifient rien, en soi. Je pense que M. Merrifield l'a dit très clairement. Les gens attendent des actes précis, surtout les agents de police. Certes, ils vont lire les politiques établies et écouter ce qu'on leur dit dans les séances de formation, mais dès qu'un premier incident se produit, ils observent comment le chef va réagir. Et ensuite, la réaction du chef devient la politique à suivre.
C'est pour ça que c'est une responsabilité qui incombe à chacun des supérieurs hiérarchiques. Qu'il soit inspecteur, chef de police ou chef adjoint, c'est sa responsabilité à part entière. Ce n'est pas seulement la responsabilité du commissaire, dans le cas de la GRC, ou seulement ma responsabilité à moi.
Vous pouvez avoir les meilleures politiques au monde, ce ne sont que des mots sur le papier; ce sont les actes qui comptent.
Le sénateur Day : Nous voyons bien qu'il faut qu'il y ait un changement de culture, et nous en avons beaucoup parlé en comité. J'aimerais en parler aussi avec vous, et ma question sera un peu plus longue, car il a justement été question du leadership des responsables hiérarchiques.
Vous avez également parlé du rôle du médiateur, qui permet de protéger le plaignant ou le policier qui veut parler d'un problème, contre des mesures de représailles.
Comme M. Merrifield, vous dites qu'il est important d'avoir une association reconnue dans l'organisation, car cela permet aussi de protéger le plaignant. Mais vous voulez aller plus loin, vous voulez avoir accès à un syndicat et à la négociation collective, pour pouvoir impulser un changement de culture.
Est-il nécessaire d'avoir tout cela — un médiateur, un processus de négociation collective et des associations — pour impulser ce changement de culture?
M. Hanson : Il n'y a jamais de solution unique à un problème, mais ma réponse est oui.
M. Merrifield : Dans une certaine mesure, la vie c'est comme une recette. Si vous voulez faire un gâteau, vous aurez un résultat différent selon la quantité de sucre, de farine et d'arômes que vous aurez utilisée.
Les mécanismes que nous avons à l'heure actuelle ne sont pas indépendants, et je pense que les statistiques ne reflètent pas la réalité car les membres ont peur de parler.
Avant d'entrer à la GRC, j'ai fait partie des Forces canadiennes. On sait qu'au sein de notre mission en Afghanistan, un très haut gradé a été relevé de ses fonctions dès qu'on s'est rendu compte qu'il avait enfreint le règlement parce qu'il avait une relation avec une employée. Lorsqu'une organisation est capable de prendre une décision rapide, indépendante et ferme, quel que soit le rang de l'accusé, ça inspire confiance à tous les membres de l'organisation. Que vous soyez simple soldat sous la tente ou commandant dans la caravane, les normes d'intégrité et d'éthique sont les mêmes. Il n'y a pas cette culture du « tout m'est dû ». Il n'y a pas ce sentiment d'élitisme dans les rangs militaires par opposition au personnel civil. Dans l'organisation, il est important que la justice soit la même pour tous.
Le sénateur Nolin : Je vous remercie beaucoup tous les deux des réponses que vous venez de donner, surtout au sujet du syndicat. C'est une discussion intéressante, et nous n'avons certainement pas fini de parler de ce sujet.
Chef Hanson, il y a deux choses qui me préoccupent : d'abord, je voudrais avoir des chiffres, que vous avez certainement, au sujet du service de police de Calgary. Je regroupe tout dans la même question, mais j'aimerais avoir des données différentes, car cela peut intéresser le comité. Je vais les énumérer, et ensuite, vous pourrez me répondre, si vous avez ces chiffres; si vous ne les avez pas avec vous, j'aimerais que vous me fassiez parvenir, par la poste ou par courriel, la réponse exacte à ma question.
Combien de plaintes votre service a-t-il reçues au cours des cinq dernières années, en provenance du public ou d'un de vos membres, contre un autre membre du service? Quel a été le nombre de plaintes pour harcèlement, y compris le harcèlement sexuel? Cette question est peut-être un peu difficile, car ce genre de plainte/infraction constitue une infraction en vertu d'une loi du Parlement, le Code criminel, et elles sont donc renvoyées au ministre de la Justice et au procureur général de l'Alberta.
Je n'ai pas besoin d'avoir ces chiffres immédiatement, mais j'aimerais beaucoup que vous me les fassiez parvenir d'ici quelques jours.
Je vous ai posé cette question parce que vous avez reconnu, dans votre déclaration liminaire, que, malgré tous vos efforts — et vous en avez énuméré pas mal —, vous aviez connu « pas mal d'échecs décevants ». C'est la raison pour laquelle je vous demande ces chiffres.
M. Hanson : Je vous les ferai parvenir.
Permettez-moi d'ajouter que c'est toujours très décevant de recevoir un plaignant, comme dans l'exemple que j'ai donné tout à l'heure, d'apprendre que des femmes de votre organisation estiment qu'elles ne sont pas traitées avec respect dans le cadre de leurs fonctions. Je vais vous faire parvenir ces chiffres.
Le sénateur Nolin : Je ne vais pas aborder la question des griefs, car vous avez un syndicat, et je ne pense pas que ça nous serait utile. C'est surtout la question du harcèlement qui m'intéresse. Vous avez certainement compris que nous essayons de comparer un service de police important comme le vôtre avec la GRC. C'est pour ça que nous avons besoin de vos chiffres.
M. Hanson : Je vous les ferai parvenir.
Le sénateur Nolin : Je vais maintenant poser une deuxième question au chef Hanson, si vous me le permettez, monsieur le président. Est-ce que vous avez un code de déontologie?
M. Hanson : Oui.
Le sénateur Nolin : J'ai beaucoup de questions, mais ça porte sur un point précis.
Si vous avez un code de déontologie, ça signifie que ceux qui l'enfreignent commettent des infractions. Est-ce que votre code prévoit des sanctions?
M. Hanson : Oui.
Le sénateur Nolin : Est-ce qu'elles sont toutes rendues publiques? Je veux dire par là, est-ce que la population de Calgary peut les consulter?
M. Hanson : Absolument. Elles sont sur le site web.
Le sénateur Nolin : Le principe étant que vous pratiquez l'ouverture et la transparence, et que vous mettez vos données à la disposition du public.
M. Hanson : En effet, sénateur.
Le président : Permettez-moi de poser une question, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, chers collègues. Est-ce que votre code de déontologie ressemble à celui de la GRC? Pourriez-vous nous le décrire rapidement? Avez-vous déjà comparé les deux?
M. Hanson : Lorsque nous avons élaboré notre code de déontologie, nous nous sommes inspirés d'autres modèles semblables dans d'autres services de police, et quand nous voulons le réviser, nous le comparons au code d'autres organisations, y compris au code de la GRC. Ils doivent être très semblables.
Le sénateur Nolin : Donc, vous avez un code de déontologie, qui est assorti de sanctions en cas d'infractions. Est-ce que vous constituez une jurisprudence sur tous ces cas, pour que les infracteurs sachent comment la décision a été prise? Est-ce que cette jurisprudence est accessible au public? Même si les noms ne sont pas indiqués, est-ce que le public peut la consulter?
M. Hanson : Sur le site web, nous indiquons la procédure à suivre pour déposer une plainte, mais nous n'indiquons pas qui a fait l'objet de mesures disciplinaires, pas ce genre de renseignements.
Le sénateur Manning : Merci, monsieur le président. Je remercie les témoins de comparaître aujourd'hui et de nous faire participer à une discussion très intéressante.
J'aimerais revenir sur ce que vous avez dit dans votre déclaration liminaire, monsieur Merrifield, à propos du délai de traitement des griefs. Vous avez dit que ça peut prendre jusqu'à huit ans, ce qui est une éternité.
Quelle est la norme, d'après vous, et comment pourrait-on améliorer la procédure? Si vous aviez une association, cela permettrait-il de raccourcir le délai de traitement des griefs? J'ai l'impression qu'il y a un problème structurel, et j'aimerais bien que vous en parliez.
M. Merrifield : En effet, il y a un problème structurel. Bien souvent, lorsque les griefs s'éternisent, c'est à cause de la complexité de l'affaire et de l'absence de volonté pour la régler.
Malheureusement, les délais prescrits, dans les règles internes de la GRC, pour le règlement des griefs ne sont pas nécessairement respectés. On accorde des prolongations. Du fait que l'organisation est nationale, les membres peuvent être mutés, et ça a un impact sur le règlement du grief. Il y a eu plusieurs décisions judiciaires, dont celle de Smith c. Le procureur général du Canada et la GRC, qui a été rendue par un tribunal du Nouveau-Brunswick. Il y a eu aussi la décision Merrifield c. Le procureur général du Canada et la GRC, qui a été rendue par la Cour supérieure de l'Ontario.
Dans les deux cas, et dans le mien en particulier, ces décisions ont été confirmées par la Cour suprême du Canada. Le juge Macdonald a confirmé la décision des tribunaux qui estimaient que la procédure de grief n'était pas rigoureuse, qu'elle n'avait pas l'obligation d'accepter des preuves, ce qui relevait donc de l'arbitre, et qu'il n'y avait aucune indépendance dans l'examen des documents fournis ou dans la procédure d'appel secondaire d'une décision. Il y a des cas particuliers auxquels vous pouvez vous reporter, par exemple celui du caporal Robert Reid de la GRC, que je vous conseille d'étudier. Le comité de révision externe n'a jamais fait de recommandation aussi ferme que lorsqu'il a appuyé le caporal Reid en demandant son maintien à la GRC. Et pourtant, le commissaire de l'époque n'en a tout simplement pas tenu compte, et le caporal Reid a perdu son emploi.
Si vous envisagez de nommer un médiateur pour accélérer le traitement des griefs, je vous conseille d'aller plus loin et de nommer un inspecteur général, quelqu'un qui aura un pouvoir aussi contraignant que le commissaire de la GRC, afin d'éviter toute pression indue de la part du bureau du commissaire de la GRC. À ce moment-là, les membres pourront, après un échec au premier palier, renvoyer leur grief à un deuxième palier tout à fait indépendant et doté des mêmes pouvoirs. À mon avis, un inspecteur général serait plus efficace pour régler les problèmes qui existent au sein de la GRC.
Le sénateur Manning : Toujours sur le même sujet, pouvez-vous me dire quelle est la durée moyenne de traitement d'un grief à la GRC, ou bien si c'est tous azimuts?
M. Merrifield : C'est vraiment tous azimuts. Un grief concernant une note de frais pour un repas peut être réglé par un simple froncement de sourcils et une signature au bas de la note de frais. Mais en revanche, quand il s'agit d'un grief de harcèlement, ils semblent avoir une aversion à le régler. Ce genre de grief n'est pas traité de façon rapide et efficace. Généralement, on fait traîner les choses. Je sais que plus de 40 affidavits ont été soumis pour des contestations judiciaires, et en moyenne, les membres attendaient un règlement depuis plus de quatre ans. C'est tout à fait inacceptable.
Le sénateur Moore : Je remercie les témoins de comparaître devant notre comité. J'ai une question à poser à chacun d'entre eux.
Monsieur Merrifield, je suis en train de regarder les lettres que vous avez adressées à l'honorable Stockwell Day, quand il était ministre de la Sécurité publique, dans lesquelles vous demandiez une enquête. Vous n'avez pas eu de réponse à votre première lettre, et vos avocats non plus, qui représentaient l'Association de la police montée de l'Ontario. Donc, pas de réponse à votre lettre de 2006. Vous en avez envoyé une autre, ou ils l'ont fait en votre nom, en 2007. Avez-vous reçu une réponse pour celle-là?
M. Merrifield : Je crois que le bureau du ministre a répondu à certaines questions qui avaient été examinées par le groupe de travail Brown. Même s'il a fait de l'excellent travail et qu'il a réussi à identifier un certain nombre de problèmes, le groupe de travail Brown n'a donné avec son rapport, qui était précipité, qu'une image instantanée de certains des problèmes qui existent à la GRC, au lieu d'en faire une radiographie complète, voire une IRM. Il aurait fallu creuser davantage pour identifier les causes de la maladie, et pas seulement les symptômes.
Le sénateur Moore : Monsieur Hanson, vous avez dit dans votre déclaration liminaire que vous étiez revenu dans le service de Calgary à la fin de 2007. Où étiez-vous avant?
M. Hanson : J'ai travaillé à la GRC pendant deux ans.
Le sénateur Moore : Quand vous dites, dans votre déclaration liminaire, que vous avez un département de services psychologiques qui a été cité, dans un rapport récent de l'Ontario, comme un modèle du genre en milieu policier, j'aimerais savoir qui, en Ontario, a dit que c'était un modèle du genre.
M. Hanson : Je crois que c'était le médiateur qui a examiné des cas de suicide dans la police provinciale de l'Ontario.
Le sénateur Moore : C'était un médiateur de l'OPP?
M. Merrifield : Je ne suis pas sûr si c'était le médiateur de l'OPP ou le médiateur de la province de l'Ontario.
M. Hanson : M. André Marin, le médiateur de l'Ontario, a fait un rapport sur les traumatismes de stress opérationnel, le stress psychologique et le taux élevé de suicides.
Le sénateur Moore : Vous avez dit que vous aviez la chance que la commission de police de Calgary fasse chaque année un sondage sur la satisfaction des employés, dont les résultats sont compilés, et que vous avez la responsabilité, devant cette même commission, de régler les problèmes qui y sont identifiés en adoptant des politiques appropriées.
Êtes-vous tenu de prendre des mesures dans les 12 mois ou dans un certain délai? Devez-vous soumettre un rapport? Ce rapport et les activités que vous avez entreprises sont-ils publics?
M. Hanson : Oui, ça fait partie de mon évaluation de rendement; oui, des stratégies sont mises en œuvre; et oui, je soumets chaque année un rapport à la commission qui, elle, le rend public. Donc, ceux qui veulent le consulter peuvent le faire.
Le président : J'aimerais revenir sur le poste de médiateur. Monsieur Hanson, pouvez-vous nous donner des précisions sur ce poste, car je constate que vous en parlez de façon positive? Vous avez travaillé à la GRC, comme vous l'avez dit, avant d'accepter le poste que vous occupez aujourd'hui.
Pourriez-vous également nous dire si tous les autres services de police du pays ont un médiateur, mis à part la GRC?
M. Hanson : J'ignore si tous les services de police en ont un. Quand je suis revenu à Calgary en 2007, c'était la guerre ouverte entre le syndicat et la direction de l'époque.
Il faut avoir plusieurs mécanismes de règlement des conflits. Ce dont M. Merrifield a parlé, c'est la réalité dans n'importe quelle organisation, qu'elle soit commerciale, policière ou autre — la crainte des représailles, surtout dans la police. Quand on débute sa carrière dans un service de police et qu'on y reste pendant 30 ans, ce n'est pas comme lorsque vous entrez dans une société pétrolière et que, un an plus tard, vous la quittez pour aller travailler dans une autre société pétrolière. Les loyautés et les animosités perdurent pendant des années, et il faut avoir des mécanismes pour régler ça. Le médiateur en est un, car les gens se sentent à l'aise pour aller lui parler. Comme l'a dit M. Merrifield, les gens observent la façon dont vous vous y prenez. La pire chose à faire est de révéler l'identité du plaignant, par conséquent il faut utiliser les outils qui sont à votre disposition, que ce soit l'intervention personnelle, le recours à un spécialiste externe des ressources humaines pour faire une enquête dans le milieu de travail, car l'objectivité est essentielle, et notre propre vérification opérationnelle. De cette façon, les gens ne savent pas qui est le plaignant ou ce qui est arrivé, mais ils voient que quelque chose se passe. De cette façon, vous protégez le plaignant et vous pouvez utiliser les nombreux outils qui vous permettent d'étudier en profondeur le problème identifié par le médiateur.
Le président : Combien d'employés compte le service de police de Calgary?
M. Hanson : Il y a 2 000 membres assermentés et 800 membres non assermentés, soit un total de 2 800.
Le sénateur Dallaire : Monsieur Merrifield, vous avez soulevé une question importante au sujet du leadership et de la direction. J'ai déjà dit au commissaire que je ne comprenais vraiment pas pourquoi le corps des officiers de la GRC formait « la direction » et que vous étiez appelés « les employés » alors qu'il s'agit d'une structure paramilitaire.
Est-ce que les policiers font tous leurs classes, c'est-à-dire qu'ils gravissent les rangs de sous-officiers pour ensuite devenir officiers, jusqu'au sommet? C'est ainsi que ça se passe?
M. Merrifield : Oui, vous avez raison.
Le sénateur Dallaire : Monsieur Merrifield, c'est comme ça que ça se passe dans votre organisation?
M. Hanson : Oui, sénateur.
Le sénateur Dallaire : Quels types de formations utilisez-vous pour développer la rigueur intellectuelle et les qualités de leadership, au fur et à mesure que les gens gravissent les échelons de la GRC et de votre organisation?
M. Merrifield : Il y a eu quelques améliorations à ce niveau-là. Ils ont mis sur pied un programme de formation en leadership et en gestion pour les sous-officiers, car ils ont estimé qu'il fallait distinguer les deux choses. C'est important à différents niveaux.
Dans n'importe quelle organisation — policière, commerciale ou gouvernementale — il y a la supervision, puis le niveau de la direction, et ensuite il y a la fonction de leadership. L'une des faiblesses fondamentales du système d'avancement de la GRC est que chaque individu fait sa propre promotion, chaque individu se désigne lui-même.
Nous n'avons pas un système d'évaluation par les pairs. On ne peut pas avoir un groupe de personnes qui puissent dire : « Oui, je serais prêt à travailler pour cette personne. » Il faudrait un système fondé sur des examens, sur une évaluation des compétences... De nombreux changements ont été apportés au système d'avancement de la GRC au cours des 10 ou 12 dernières années, et je crois savoir que d'autres sont envisagés, dans le but de l'améliorer. C'est une des causes du problème et c'est un obstacle au perfectionnement et à l'avancement.
En ce qui concerne la formation des cadres supérieurs, les niveaux de l'inspecteur et du surintendant ne font pas partie de la haute direction. À partir du surintendant de police en chef et au-dessus, c'est l'équivalent du niveau des cadres supérieurs au gouvernement, ce qui les rend admissibles à une prime pour cadres supérieurs au gouvernement du Canada. L'inspecteur et le surintendant sont du niveau des cadres intermédiaires. Quant aux rangs des sous-officiers, ils vont du policier jusqu'au sergent-chef.
En ce qui concerne le programme de formation des officiers, j'estime, ayant servi dans les Forces canadiennes et à la GRC, qu'il n'est pas suffisamment structuré ou axé sur le leadership, et qu'il faudrait l'améliorer à ce niveau-là.
Le sénateur Dallaire : Monsieur Hanson, de quelle façon proposeriez-vous d'améliorer votre structure de leadership?
M. Hanson : C'est la même chose. Nous avons envoyé nos cadres supérieurs à Bramshill, en Angleterre, au collège des cadres supérieurs. Nous utilisons aussi les programmes de formation pour les cadres supérieurs et la police, à Harvard. Et nous utilisons aussi les services de formation du FBI et du NEI, le National Executive Institute. Leurs programmes sont inspirés des programmes de formation établis dans le monde entier.
Le sénateur Plett : Monsieur Hanson, j'aimerais simplement ajouter une question à celles du sénateur Nolin au sujet de votre code de déontologie. Est-ce que je peux le consulter sur le site web?
M. Hanson : Très franchement, je ne sais pas s'il est sur le site web.
Le sénateur Plett : Vous n'êtes pas sûr que je puisse le consulter?
M. Hanson : Si, vous pouvez le consulter, il suffit de le demander. Je vous le ferai parvenir.
Les manuels de procédures sont tellement épais de nos jours que si vous les mettez sur le site web, personne ne va aller les consulter. Si les gens en font la demande, nous leur envoyons. C'est sans doute la solution la plus simple.
Le sénateur Plett : En tant que chef, est-ce que vous êtes syndiqué?
M. Hanson : Non.
Le sénateur Plett : Ça me paraît normal.
Si quelqu'un a une plainte de harcèlement, la GRC a un mécanisme pour la traiter. M. Merrifield et d'autres ne sont peut-être pas d'accord, mais c'est une procédure assez bien structurée.
Quelle est la procédure à suivre pour quelqu'un qui veut déposer une plainte de harcèlement contre un cadre supérieur, ou contre n'importe quel membre de la GRC, en fait? À qui cette personne doit-elle s'adresser?
M. Hanson : Elle a le choix entre deux procédures. Elle peut s'adresser à notre service des ressources humaines, qui a une politique sur le milieu de travail positif et une procédure bien établie pour examiner ce genre de plainte. Elle peut aussi utiliser une procédure parallèle, prévue par la convention collective, selon laquelle elle peut se plaindre au syndicat et celui-ci peut y donner suite sous la forme d'un grief.
Le sénateur Plett : Elle ne s'adresse pas à un cadre supérieur?
M. Hanson : Le directeur des ressources humaines est un cadre supérieur.
Le sénateur Nolin : Monsieur Hanson, j'aimerais avoir une précision. Est-ce que votre code de déontologie inclut le harcèlement et la discrimination, ou seulement l'un des deux?
M. Hanson : Je ne suis pas sûr à 100 p. 100 si le harcèlement et la discrimination figurent dans notre code ou dans la politique sur le milieu de travail positif, mais je sais qu'ils figurent tous les deux dans l'un ou dans l'autre.
Le sénateur Nolin : Si vous nous en envoyez un exemplaire, nous pourrons le vérifier.
Ma deuxième question nous ramène à la jurisprudence. Si ces décisions sont publiques, ce n'est pas vraiment le nom mais plutôt les faits qu'il est important de consigner, pour voir les tendances. Par exemple, si je veux savoir quelle est la sanction prévue si j'enfreins telle règle, je sais que c'est dans la jurisprudence établie à Calgary. Mais est-ce que le public peut consulter votre jurisprudence?
M. Hanson : À Calgary, toutes nos audiences se déroulent en public, à quelques rares exceptions près.
J'essaie de me souvenir de la dernière plainte de harcèlement ou de discrimination que nous avons reçue, à part celle dont j'ai parlé. Je vais vous faire parvenir ces chiffres.
Le sénateur Nolin : Je ne parlais pas seulement de harcèlement, je parlais de n'importe quelle infraction au code. Pourriez-vous vérifier ça et nous faire parvenir une réponse?
M. Hanson : Toutes nos audiences sont publiques.
Le sénateur Nolin : C'est un principe de justice. Ceux qui sont assujettis à une loi doivent savoir à quelles sanctions ils s'exposent s'ils la transgressent. C'est ce que je voulais dire.
Le président : Ce qu'on veut savoir, c'est si la décision qui a été rendue fait partie du domaine public, pour que les gens sachent à quoi s'expose un policier qui a enfreint le code de déontologie. Voilà ce que nous voulons savoir.
Le sénateur Day : J'aimerais avoir quelques précisions.
Monsieur Merrifield, tout d'abord, êtes-vous tenu de faire votre travail de policier en plus de ce que vous faites à l'association?
M. Merrifield : Oui. Ce que je fais pour l'association, c'est pendant mes heures de loisir; je le fais librement, sans être rémunéré.
Le sénateur Day : L'association peut-elle représenter un de vos membres devant la direction, pour la défense d'un grief?
M. Merrifield : À l'heure actuelle, non. La Loi sur la GRC permet à un membre de représenter un autre membre pour la défense d'un grief, mais nous élisons des représentants à plein temps pour le faire, dans le cadre du Programme des représentants des relations fonctionnelles. Ces représentants, comme je l'ai déjà dit, ne sont pas indépendants de la direction mais ils sont là pour aider et représenter les membres.
L'association, elle, n'est pas reconnue, et nous ne pouvons pas représenter les membres parce que nous assumons des fonctions régulières de police et d'enquête.
Le sénateur Day : Elle n'est pas interdite, elle est simplement tolérée.
M. Merrifield : C'est exact.
Le sénateur Day : Chef Hanson, le médiateur en uniforme est-il un membre du service de police de Calgary ou d'un autre service?
M. Hanson : Non, il ne porte pas l'uniforme. C'est un membre à contrat, qui relève directement du chef.
Le sénateur Day : Est-ce que c'est toujours la même mentalité, c'est-à-dire que les garçons seront toujours des garçons et qu'il faut leur pardonner certaines inconduites mineures qui pourraient choquer certaines personnes?
M. Hanson : Pas du tout. Permettez-moi d'ajouter, car M. Merrifield vient de me murmurer quelque chose, que la procédure que nous appliquons est régie par la loi. Toute plainte, qu'elle vienne du public ou d'un membre, doit être consignée et documentée par notre service des normes professionnelles.
À la commission de police municipale, une préposée aux plaintes examine chaque dossier en toute indépendance. Elle en fait un rapport mensuel à la commission, laquelle a son propre comité d'examen des plaintes du public, qui, de son côté, revoit chaque dossier une fois par mois et nous demande des comptes. Si quelqu'un désapprouve la sanction que nous avons décidée, il a le droit d'en appeler auprès de la Commission d'enquête sur les services policiers, qui organise des audiences publiques rapportées dans les médias.
Si un policier ou un citoyen dépose une plainte auprès du service de police, il peut interjeter appel auprès de la commission de police municipale. La plainte est examinée par la préposée aux plaintes et vous pouvez en appeler de la décision auprès de la Commission d'enquête sur les services policiers, laquelle organise alors une audience publique présidée par un agent désigné par la province de l'Alberta.
Le sénateur Day : Avec l'aide d'un avocat?
M. Hanson : Oui, aujourd'hui, la plupart se font représenter par un avocat. Je ne voudrais surtout pas que vous pensiez que tout cela se fait dans le plus grand secret.
Le sénateur Nolin : Je savais que ça se passait à peu près comme ça.
M. Hanson : Et en réponse à votre question...
Le président : Ce sera la dernière.
Le sénateur Day : Si on fait appel, il s'écoule à peu près combien de temps entre le moment où la plainte est déposée et le moment où elle est réglée?
M. Hanson : Ça peut prendre beaucoup de temps. Une des dernières plaintes que nous avons réglées a pris huit ans, mais elle portait sur des questions très importantes et il a fallu aller au-dessus de la Commission d'enquête sur les services policiers, jusqu'à la Cour d'appel de l'Alberta. C'est vraiment un maximum car, généralement, elles ne vont pas jusqu'à la Cour d'appel de l'Alberta et elles sont réglées en deux ou trois ans.
Le sénateur Day : Cela doit coûter très cher à celui qui essaie...
M. Hanson : Le plaignant n'a rien à payer. Si c'est le syndicat qui le représente, c'est le syndicat qui paie les frais juridiques. Si le service de police est reconnu coupable ou si un membre qui est accusé est reconnu non coupable dans ses fonctions de policier, le service de police doit, aux termes de la convention collective, payer les dépens. Dans le cas d'un individu, comme dans le cas mentionné par M. Merrifield, une fois que l'individu est innocenté, le service de police de Calgary doit payer les frais juridiques du membre.
Le sénateur Day : Et s'il n'est pas innocenté?
M. Hanson : Généralement, s'il fait appel et qu'il a des frais juridiques, le syndicat paie la facture. Je ne sais pas s'il y a des cas où le syndicat ne paie pas.
Le président : Chef Hanson et monsieur Merrifield, vous nous avez communiqué des informations très importantes, et nous vous en remercions. Merci aussi d'avoir pris la peine de venir nous rencontrer.
Comme il est 17 heures, nous allons siéger à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)