Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 14 - Témoignages du 26 avril 2012
OTTAWA, le jeudi 26 avril 2012
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour faire une étude sur les produits pharmaceutiques sur ordonnance au Canada. (sujet : Essais cliniques)
Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
[Traduction]
Je m'appelle Kelvin Ogilvie et je suis un sénateur de la Nouvelle-Écosse. Je demanderais à mes collègues de bien vouloir se présenter, en commençant par ma droite.
Le sénateur Seidman : Judith Seidman, du Québec.
Le sénateur Martin : Yonah Martin, de Vancouver, Colombie-Britannique.
[Français]
Le sénateur Demers : Jacques Demers, Hudson, Québec.
Le sénateur Verner : Josée Verner, Québec, Québec.
[Traduction]
Le sénateur Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Merchant : Pana Merchant, de la Saskatchewan.
Le sénateur Callbeck : Catherine Callbeck, de l'Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, de Toronto. Je suis également le vice-président du comité.
Le président : Je remercie les témoins de leur présence. Nous allons poursuivre notre étude sur les produits pharmaceutiques vendus sur ordonnance au Canada, en nous penchant tout particulièrement sur les essais cliniques. C'est aujourd'hui notre cinquième réunion à ce sujet et nous accueillons trois témoins que je nommerai à mesure que je leur donnerai la parole. Nous commencerons par M. Corman, président, Institutional Review Board Services.
Jack Corman, président, Institutional Review Board Services : Je vous remercie de m'avoir invité, monsieur le président et honorables sénateurs. Je dois vous avouer que j'ai trouvé très exigeant le contenu de votre invitation à témoigner et à produire un mémoire. La question des essais cliniques est extrêmement vaste, variée et complexe et les choses ne vont pas en s'améliorant. Il m'a été très difficile de condenser mon propos à quelques minutes et d'en tirer la substantifique moelle.
Après avoir pris soin d'interroger diverses personnes dont les opinions sont dignes d'intérêt, j'ai conclu qu' il me fallait tout simplement dire ce que je pensais réellement. J'avais la possibilité d'exprimer un point de vue tout à fait personnel, que personne d'autre n'était à même d'exprimer. Je ne vais pas vous conter de boniments, mais il faut savoir que le Canada est un pays de moins en moins concurrentiel, et je vais vous donner un exemple de ce qui pourrait arriver.
Il y a une dizaine d'années, quand l'Union européenne a institué sa Directive européenne sur les essais cliniques, dans un article paru, il me semble, dans le Times de Londres, on affirmait que l'Allemagne avait perdu 400 000 emplois en une seule année. Aujourd'hui, ce pays a réussi à entreprendre suffisamment de réformes pour renverser la situation. Il fut un temps où le Canada occupait le deuxième rang mondial au chapitre des essais cliniques. Aujourd'hui, il n'est plus que le troisième ou quatrième. L'Allemagne et la France nous ont devancés, et pour cause. On n'a pas assez de temps pour entrer dans les détails, mais je serai heureux de faire part de mon opinion aux membres du comité.
Permettez que je vous montre ce petit comprimé : il vaut 1 milliard de dollars. J'ai nommé la rosuvastatine calcique, CRESTOR. Il a fallu un investissement de1 milliard de dollars pour mettre au point ce produit. Aujourd'hui, il faut compter 1,4 milliard pour développer un nouveau médicament, la plus grande partie de cette somme étant destinée aux essais cliniques et visant à garantir la conformité du produit à l'égard de dispositions réglementaires de plus en plus rigoureuses. Il est essentiellement question d'adopter une approche de tolérance zéro au risque à l'étape de la mise au point d'un médicament. Or, il est impossible d'éliminer entièrement le risque. Néanmoins, le public et les organismes de réglementation estiment de plus en plus qu'ils ont le devoir d'éliminer tout risque. C'est impossible.
Je ferai référence à l'étude JUPITER à titre d'exemple. Je ne sais combien d'entre vous ont entendu parler de cette étude, mais il s'agissait d'un essai clinique de très grande ampleur. Une fois le médicament approuvé, on s'est, au cours de cette étude, attaché à évaluer les bienfaits éventuels pour la santé d'une statine chez des patients présentant un taux élevé de protéine C-réactive, qui est un marqueur de l'inflammation. Cette étude s'est achevée plus tôt que prévu, car elle a rapidement permis de démontrer que les personnes à qui on avait administré ce médicament, et qui ne présentaient pas d'autres facteurs de risque cardiovasculaires, se portaient beaucoup mieux. En effet, il n'y a pas eu le moindre cas de crise cardiaque, de diabète ou d'autre affection à signaler. Un essai clinique de « phase III » veut dire que tout médecin qui décide de prescrire ce médicament sur la foi de cette étude historique menée auprès de 15 000 patients n'a pas à écrire d'ordonnances pour un usage non prévu sur l'étiquette. Aux États-Unis, cela pourrait donner lieu à toutes sortes de réclamations, voire à des poursuites judiciaires. La diffusion de l'information par le promoteur de l'étude, en l'occurrence la compagnie pharmaceutique, est évidemment interdite, car il ne s'agit pas d'une indication approuvée. Pour ce qui est de cet usage non prévu sur l'étiquette, j'estime qu'il est essentiel de veiller à ce que les médecins aient la marge de manœuvre nécessaire pour exercer leur jugement professionnel et décider ce qui convient le mieux à leurs patients.
J'aimerais également ajouter que l'étude JUPITER en question a été effectuée dans quelque 869 lieux dans le monde, 10 p. 100 de ces endroits se trouvant au Canada. Si je ne m'abuse, il y avait deux sites en Alberta, six au Nouveau- Brunswick et huit en Nouvelle-Écosse. Pourquoi ces provinces plutôt que d'autres? Eh bien, parce qu'on y pouvait faire appel à des établissements de recherche privés en mesure d'appliquer des principes déontologiques fondamentaux, ce qui n'était guère possible dans les provinces ayant opté pour un régime de cloisonnement. Je pourrais vous donner de nombreux exemples parce que c'est un domaine qui m'est on ne peut plus familier. J'ai en effet siégé 10 ans au comité des experts, et plus récemment aux comités d'éthique de la recherche des activités d'harmonisation des Instituts de recherche en santé du Canada et, enfin, au comité de normalisation de l'Office des normes générales du Canada.
Nous sommes en situation de crise, nous doutons de la capacité du secteur public à travailler dans un climat harmonieux et à tirer parti de ce qui se fait déjà dans le secteur privé. Et c'est là l'essentiel de ce que je veux transmettre. En ce qui a trait aux essais cliniques, nous possédons, dans le secteur privé, des ressources aussi puissantes qu'efficaces. Toutefois, elles ne sont pas appréciées à leur juste valeur. Ainsi, vous n'êtes peut-être pas sans savoir que le gouvernement de l'Ontario a destiné plus de 100 millions de dollars à l'initiative des essais cliniques de l'Ontario, notamment pour les besoins d'harmonisation. J'ai organisé des rencontres avec certains de mes collègues du secteur privé ainsi qu'avec des gens du ministère. Eh bien, sachez qu'ils ignoraient totalement qu'il y avait déjà des réseaux de médecins et un système centralisé d'examen de l'éthique. Il nous faut tirer parti de ce qui est acquis.
Je vous donnerai encore un autre exemple. Un hôpital universitaire aux États-Unis a effectué un essai clinique de grande envergure — financé par les National Institutes of Health — relativement à une nouvelle application d'un médicament. L'étude devait être menée dans 700 sites d'essai aux États-Unis et 50 à 70 autres au Canada, mais c'est à nous qu'on a confié la responsabilité du comité éthique central. Ce qu'on nous demandait, à vrai dire, c'était d'aider à trouver des sites d'essai dans le secteur privé, car on ne voulait pas s'adresser aux établissements universitaires. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas, mais ce sont les faits.
Il demeure difficile de tirer parti des acquis dans l'intérêt de tous. J'espère que nous trouverons un moyen de mieux nous y prendre. Je ne crois pas que les IRSC se soient nécessairement montrés à la hauteur. J'ai participé au sommet sur les essais cliniques et j'ai pris connaissance des communiqués de presse et d'autres initiatives en Colombie- Britannique. Il nous faut trouver un moyen de travailler ensemble pour notre bénéfice mutuel.
Si nous manquons de temps, je pourrais m'arrêter ici, mais j'ai beaucoup d'autres choses à dire sur les enjeux liés au cadre de réglementation. Ainsi, la fédération européenne des organismes de recherche sous contrat, ou CRO, cherche à s'implanter en Amérique du Nord. Sa direction m'a demandé de lui conseiller s'il valait mieux aller au Canada ou aux États-Unis. Compte tenu de ses affinités culturelles, elle pencherait plutôt pour le Canada, mais notre cadre de réglementation l'a fait réfléchir à deux fois, car elle a eu vent de certaines choses plutôt préoccupantes. Nous sommes toujours en discussion, mais je crois qu'il s'agit de préoccupations fondées. Il y a aussi la question touchant aux réseaux et à certains enjeux non négligeables. Je songe, par exemple, au cas du réseau qui a exigé qu'on apporte des changements au protocole d'essai, ce qui revenait à débourser 500 000 $ en plus de 25 000 $ en honoraires d'évaluation. Le CRO en question a donc décidé de renoncer au Canada en raison de la manière dont nos réseaux sont constitués, c'est-à-dire pour faire les choses comme il faut. Nous nous devons de responsabiliser davantage les acteurs du système. C'est possible, mais les gens de bonne volonté ayant une expérience de première main ont besoin d'une représentation plus fidèle et plus solide.
Comme je l'ai dit, il y a beaucoup de choses dont j'aimerais parler, mais je crois que cela suffit pour le moment. Il va de soi que vous pourrez me poser les questions que vous voulez et je me ferai un plaisir d'y répondre.
Le président : Nous n'y manquerons pas, merci.
Notre prochain témoin est Helen Stevenson, présidente et chef des opérations de Reformulary Group.
Helen Stevenson, présidente et chef des opérations, Reformulary Group : Merci beaucoup pour votre invitation à témoigner. Je me propose de vous parler en adoptant le point de vue d'un organisme « payeur ». J'ai en effet été responsable de l'important Programme de médicaments de l'Ontario, notamment lors des réformes qui y ont été apportées entre 2006 et 2010. Je vais vous présenter le point de vue de quelqu'un qui a dû prendre de nombreuses décisions difficiles à l'égard des preuves soumises au titre de l'homologation et du remboursement de médicaments, et je vous parlerai de la question encore plus vaste de la viabilité et de l'abordabilité. Comme je suis, depuis, passée dans le secteur privé, je pourrai aussi vous faire part du point de vue du payeur dans le privé.
Parmi les diverses déclarations que vous avez entendues sur les essais cliniques, vous avez sans doute eu droit à des propos sur les divers niveaux ou types d'essais effectués, sur la qualité des preuves présentées, sur les grands essais aléatoires avec un groupe de contrôle, sur les essais d'observation ou simplement les essais à effectif unique. Je vous parle non pas en qualité de clinicienne, mais à titre de représentante d'un organisme payeur et de quelqu'un qui a eu à prendre les preuves en considération. Dans ce genre d'essais cliniques, le problème auquel nous sommes souvent confrontés c'est que ces essais sont menés sur un échantillon quasi idéal — c'est-à-dire, sur des gens qui n'ont pas vraiment d'autres maladies et qui peuvent prendre le médicament sans problème dans des circonstances très contrôlées. Dans la vraie vie, et certainement dans le cas de nombreux programmes provinciaux de médicaments où que ce soit au Canada, une grande partie de la population couverte par les programmes est constituée soit de personnes âgées, comme dans le cas du programme de l'Ontario, soit de personnes ayant des problèmes multiples. D'emblée, le milieu n'est plus idéal et les difficultés surgissent, par exemple, sur le plan de la tolérance aux thérapies. L'absence de ce genre de données pose un véritable défi à ceux qui paient la note, car il leur est difficile de savoir si les résultats de tels essais peuvent être reproduits dans le monde réel.
Je voudrais évoquer deux grands défis. Dans un premier temps, il s'agit de savoir ce qu'il convient de faire — du point de vue, tant d'un organisme de réglementation, comme Santé Canada, que d'un organisme provincial — quand il faut décider, pour ne pas dire rendre un jugement de Salomon, entre financer un médicament s'adressant au plus grand nombre et en financer un autre destiné à une minorité. Le défi du point de vue réglementaire consiste à déterminer ce qui est convenable sur la foi des preuves découlant des essais, eu égard à la nature des constats effectués et à ce que les compagnies pharmaceutiques peuvent raisonnablement faire au cours de leurs essais. Une fois les dossiers présentés, ne serait-ce qu'aux gouvernements provinciaux, il est déjà pour ainsi dire impossible de faire marche arrière et d'introduire de nouveaux facteurs dans les essais cliniques.
Du point de vue des payeurs, ce sont là des questions qu'il faudra régler. Il s'agit en effet de savoir comment nous pouvons retourner à l'origine même des essais pour tenter d'influer sur le cours des choses et d'introduire certains éléments tels que des éléments de comparaison. En somme, c'est le genre de chose à laquelle songerait un payeur qui se demanderait s'il faut miser sur un nouveau médicament ou sur un médicament existant, des points de vue de l'efficacité clinique et de la rentabilité économique.
Dans un deuxième temps, l'autre défi de taille qui parle à beaucoup dans cette salle est celui de la viabilité. C'est un thème constant. Le programme de l'Ontario a été le plus ambitieux du pays, mais le financement s'est avéré insuffisant, même s'il a été extrêmement généreux. Il suffit de se pencher sur les divers programmes et le financement dans tout le Canada pour s'apercevoir que l'abordabilité constitue un enjeu. L'innocuité et l'efficacité d'un médicament ont beau être établies, encore faut-il savoir s'il sera abordable pour une province donnée. C'est là un autre facteur dont il faut tenir compte. Vous pourriez penser qu'on s'écarte un peu de la notion d'essai clinique, mais, à mesure qu'un essai progresse, il faut y intégrer beaucoup plus d'éléments de comparaison. Pour celui qui paie la facture, c'est souvent une question de compromis. Celui-ci doit alors s'interroger pour déterminer si, au nom de l'intérêt public, il faut rechercher le maximum d'effet pour le plus grand nombre ou plutôt consacrer les fonds disponibles pour venir en aide aux plus vulnérables. Il faut aussi demander si l'on dispose des données nécessaires pour répondre à cette interrogation.
Je répondrai volontiers à vos questions.
Le président : Nous accueillerons à présent le Dr Mukul Sharma, président du conseil d'administration, Canadian Stroke Consortium.
Dr Mukul Sharma, président du conseil d'administration, Canadian Stroke Consortium : Bonjour, honorables sénateurs. Je me limiterai à faire des commentaires en anglais par respect pour vos oreilles.
Je suis médecin spécialisé en accidents vasculaires cérébraux, ou AVC, enseignant à l'Université d'Ottawa, et je viens à peine d'être élu président du Canadian Stroke Consortium. Notre organisme est la principale entité du pays vouée à la recherche et à la sensibilisation en matière d'AVC. Notre fondation remonte à 1994 et nous avons participé à 72 essais parmi d'autres projets de recherche clinique. Nous comptons en ce moment quelque 160 membres dans tout le Canada.
Je vais vous parler de la manière dont nous mettons les essais sur pied et vous dire un mot sur nos activités, notre raison d'être et les éléments des essais cliniques. Notre organisme a été fondé en 1994 par une génération de médecins plus âgés que moi qui ont conclu à la nécessité de collaborer pour que les essais cliniques multicentriques se déroulent rapidement dans tout le Canada. Il est impossible qu'un ou deux centres possèdent les ressources, la main-d'œuvre, voire le nombre de participants nécessaires pour évaluer les effets bénéfiques ou nocifs d'un nouveau traitement. Voilà pourquoi notre organisme a été fondé.
La deuxième raison était de veiller à ce que le commanditaire ait son mot à dire au sujet des problèmes de conception, d'éthique et faisabilité des essais au Canada. Tout cela a fonctionné remarquablement bien, malgré certains problèmes récents dont je vous parlerai plus tard.
Les essais que nous examinons viennent de sources multiples : compagnies pharmaceutiques et commanditaires, chercheurs affiliés au consortium ou non — souvent des chercheurs étrangers — qui font appel à nous en raison de notre trajectoire éprouvée dans le domaine des recherches cliniques.
Le processus se déroule comme suit : pour commencer, l'essai est proposé au président qui détermine si le concept est assez mûr pour être soumis à un examen officiel. Nous préférons participer à la mise sur pied des essais d'entrée de jeu afin de pouvoir donner notre avis sur le plan d'étude. Une fois rédigé, le protocole d'essai se prête difficilement aux modifications et à son adaptation au contexte canadien, ce qui ne dissipe en rien nos éventuelles préoccupations sur le plan scientifique ou relativement à l'innocuité.
L'examen est mené en fonction de toutes les informations fournies par le promoteur sur l'agent et le concept proposés pour l'essai. Un comité est mis en place, on passe en revue la documentation, on se réunit habituellement une journée et le président du comité d'examen rédige ensuite un rapport. On compte toujours, parmi les examinateurs, un membre du comité d'éthique qui rédige un rapport distinct indiquant si la tenue de l'essai en question soulève des questions d'ordre éthique. Si ce rapport est accepté et approuvé par le conseil, il est ensuite transmis aux établissements ou sites d'essai. Nous apportons un soutien continu aux sites pour la tenue de l'essai et les besoins de surveillance, et nous leur apportons d'autres formes d'aide au besoin.
Notre deuxième mission a trait à la sensibilisation. Nous nous sommes attachés à augmenter la capacité et la densité des recherches et des essais cliniques au Canada dans le domaine des AVC. Nous nous intéressons de près à la formation et au mentorat de jeunes chercheurs, neurologues et autres médecins. Quand nous avons entrepris ce projet, il y avait trois ans que nous n'avions pas eu un seul nouveau neurologue spécialisé dans le domaine de la médecine vasculaire cérébrale. L'an dernier, il y en a eu 22. Notre persistance a donc porté ses fruits.
La croissance de cette population est précaire pour un certain nombre de raisons, et M. Corman en a déjà évoqué quelques-unes.
J'aimerais vous expliquer pourquoi nous procédons à des essais cliniques et vous décrire les éléments conceptuels qui sont de mise pour veiller à ce qu'un essai protège les participants et aboutisse à un résultat valable pouvant être extrapolé à une échelle aussi vaste que possible. Pourquoi faire un essai? Étant donné mes études, ma formation et mon expérience de médecin, ne sais-je donc pas automatiquement ce qui convient dans chaque cas? Eh bien, non. En tant qu'être humain, chacun de nous se laisse guider par ses propres idées et sa propre expérience, et c'est tout aussi vrai pour les médecins. Je peux vous citer d'innombrables exemples où un traitement considéré comme parfaitement approprié n'a pas passé le cap de l'essai.
Parmi les meilleurs exemples dans le domaine, j'évoquerais celui d'un essai canadien d'un traitement chirurgical pour la prévention des AVC. Le type d'accident le plus habituel se produit lorsque le sang n'irrigue plus le cerveau et que la partie affectée meurt si l'irrigation n'est pas aussitôt rétablie. Les grandes artères qui irriguent le cerveau se trouvent dans sa partie antérieure — ce sont les artères carotides. Elles sont sujettes à l'athérosclérose, c'est-à-dire le durcissement des artères, qui les rétrécit et les bloque. Dans les années 1980, une idée assez répandue voulait qu'en présence d'un rétrécissement ou d'une occlusion, il était possible de prévenir l'AVC en effectuant un pontage au niveau de la région de l'occlusion selon un procédé sophistiqué consistant à établir la liaison avec une des artères cérébrales internes. Cette méthode avait bien fonctionné pour le cœur. Eh bien, on n'a pas eu du tout les résultats escomptés. Si nous avons pu en tirer une leçon, c'est bien que la cause de l'AVC n'est pas un débit sanguin défectueux, mais plutôt la circulation de débris qui se décollent à hauteur du rétrécissement. Le temps a passé et ce n'est que cette année qu'on a fait publier les résultats d'un deuxième essai clinique. Les gens ont réagi en disant « C'est bien beau, mais vous devriez sélectionner une population chez qui l'AVC a été causé par un débit sanguin restreint. » Il y a eu un essai clinique où le vaisseau était complètement obstrué au point de retenir tous les débris et les mesures prises ont démontré que le débit sanguin dans cet hémisphère était moins élevé que la normale. Eh bien, sachez que cet essai a échoué lui aussi, et le taux de mortalité a augmenté avec le traitement. Nous effectuons des essais parce que nous ne pouvons pas et nous ne devons pas deviner quels seront les traitements sûrs et efficaces avant de les soumettre à des tests rigoureux.
On peut dire de tout traitement qu'il n'est bon ou valable que dans la mesure où il peut se comparer à quelque chose d'autre. Ce quelque chose d'autre est habituellement la norme de diligence qui, dans certains cas, peut être un placebo ou l'absence de traitement.
Comment pouvons-nous garantir que les résultats de l'essai sont valables et qu'ils peuvent être appliqués dans la pratique? La mise sur pied de l'essai tient une place prépondérante et repose sur deux éléments. La méthodologie, première composante, est commune à tous les essais. La seconde composante est le savoir-faire dans le domaine en question.
Nous tenons à éviter les erreurs et craignons de nous tromper en pensant qu'un traitement est efficace alors qu'il ne l'est pas ou tout à fait l'inverse. En règle générale, deux types d'erreur sont possibles. Le premier type est l'erreur aléatoire, qui accompagne tous les calibrages scientifiques ou toutes les mesures en général. Ainsi, dans un laboratoire de chimie, si l'on pèse quelque chose, on affecte le poids du signe plus ou moins, car la bascule a certaines limites de précision. Il en est tout autant pour toute mesure que nous pourrions faire à l'issue d'un essai clinique.
Le second type d'erreur, propre à la recherche médicale et aux essais cliniques, réside dans les idées préconçues. Je ne parle pas d'idées préconçues dans le sens ordinaire du terme, mais plutôt en tant qu'erreur systématique. Ce genre d'erreur peut se produire si le concept est erroné et, par exemple, si les participants sélectionnés ne sont pas représentatifs de la population à laquelle on a l'intention d'appliquer les résultats. Les autres sources d'idées préconçues ont trait à la mesure des résultats. Par exemple, et il en est ainsi presque invariablement, si le chercheur ou le médecin estime que le nouveau traitement est efficace — et, à bien y réfléchir, on ne se donnerait pas la peine de faire ce genre de chose si l'on estimait que le traitement était inefficace — on pourrait avoir tendance inconsciemment à estimer que les personnes suivant le nouveau traitement obtiennent de meilleurs résultats. Certains éléments conceptuels sont intégrés de manière à empêcher qu'on sache quel traitement est appliqué à chacun des sujets; c'est ce qu'on appelle l'essai à l'aveugle. Nous ne négligeons aucun effort pour veiller à ce que les choses se fassent ainsi.
Lors d'un des essais que nous avons entrepris sur des patients ayant subi un épisode d'AVC aigu, il s'est avéré que l'agent à administrer par voie intraveineuse, avait une couleur légèrement jaunâtre, contrairement au placebo. Dans ce cas-là, nous avons veillé à camoufler la couleur en enveloppant les sacs et les tubes intraveineux dans du papier d'étain. La tâche a été confiée à un employé de la pharmacie qui a remis les sacs ainsi camouflés à un soignant sans lien avec l'essai, qui les a livrés et branchés avant de quitter les lieux de l'essai. Ce n'est qu'une fois tout cela en place que le personnel chargé de l'essai est entré en action.
La seconde manière d'éviter, dans la mesure du possible, les idées préconçues survient au moment de l'évaluation des résultats. Il y a certains résultats où il est plus difficile d'avoir des idées préconçues. Ainsi, en cas de décès, il est relativement facile d'établir que ce décès s'est produit. Néanmoins, si le résultat est subjectif — comment la personne se sent, si elle a plus d'énergie, si les maux de tête ou les douleurs sont moins intenses — on évite alors que la personne chargée de l'évaluation clinique ait d'autres contacts avec le patient ou avec l'essai en plus de cette évaluation. Quand j'agis ainsi en qualité de chercheur, on appelle cela une « évaluation à l'aveugle ». J'entre dans une salle avec un participant que je n'ai jamais rencontré. Je suis un processus d'évaluation établi à l'avance. Le participant a reçu pour consigne de ne pas me parler d'autre chose que de la pluie et du beau temps ou de la manière dont les Sénateurs patinent en ce moment, et je pense ici aux autres, pas à vous. Le déroulement de l'évaluation est rigoureusement normalisé. J'ignore tout des symptômes du patient ou du genre de traitement ou d'intervention auquel il a été soumis.
L'autre facteur qui détermine la réussite de l'interprétation des résultats est la randomisation. Il peut y avoir des facteurs qui nous sont méconnus, mais qui peuvent avoir une incidence sur le résultat. La seule manière de contrôler cela est de ne pas savoir quel traitement chaque participant recevra ou quel traitement le prochain participant recevra. C'est ce qu'on appelle la « dissimulation de l'affectation des sujets au groupe d'étude ». Disons que nous sommes en train de mettre à l'essai un traitement chirurgical. J'ai le sentiment qu'il va fonctionner, mais je m'inquiète du fait que le prochain participant ne sortira pas indemne de l'opération, car il a la santé fragile ou qu'il existe d'autres problèmes préoccupants. Si je sais que les participants vont être traités suivant la formule de la randomisation, je vais peut-être inconsciemment éviter de l'inscrire à l'essai, dans le souci de le protéger. La dissimulation de l'affectation est donc un aspect essentiel. Tous ces éléments conceptuels qui font partie des rapports contemporains sur les essais cliniques sont décrits avec précision. La publication médicale rejettera les conclusions si la manière de procéder n'est pas énoncée dans tous les détails.
Les éléments finaux se rapportent à la manière dont les éléments sont organisés pour et autour de l'essai. Les effets indésirables sont systématiquement consignés et signalés à deux organes indépendants de l'essai. Le conseil d'éthique de l'Institut de recherche de l'Hôpital d'Ottawa contrôle en ce moment 1 500 essais — ce qui représente un volume de travail assez impressionnant. Tous les effets indésirables sont signalés au comité d'éthique de la recherche. Par ailleurs, tous les grands essais que nous effectuons ont un organe consultatif distinct dit comité de surveillance des données et de la sécurité, le CSDS. Il s'agit d'un organe indépendant de chercheurs chargés des essais qui a accès à toutes les données et qui peut demander n'importe quelle donnée ou analyse au cours de l'essai.
La toute première responsabilité consiste à veiller à la sécurité des participants. Des événements peuvent survenir en cours d'essai à l'insu du chercheur même le plus consciencieux. Si, dans le cadre d'un essai portant sur 15 000 participants, vous en avez 80 dans votre établissement, vous risquez de ne pas remarquer une légère augmentation des effets indésirables. Ces quelques points de pourcentage pourraient pourtant s'avérer très importants. C'est ce qui justifie l'existence du CSDS.
Tous les essais cliniques auxquels participe le consortium sont enregistrés, habituellement sur le portail américain ClinicalTrials.gov. Celui-ci a été créé en 1990, et il existe donc depuis 22 ans. En ma qualité de médecin et de chercheur, je crois que nous ne devrions jamais procéder à des essais qui ne sont pas enregistrés et où les résultats ne sont pas connus. Cela ne peut avoir que des conséquences néfastes pour nous tous. Premièrement, il s'agit de notre argent, car c'est nous qui avons versé une contribution pour cet essai, que ce soit au moyen des deniers publics obtenus par l'entremise des IRSC ou de l'argent versé pour nous procurer des produits pharmaceutiques.
Deuxièmement, c'est nous, en qualité de citoyens, de Canadiens, de patients et de médecins qui avons consacré notre temps et nos efforts à produire des résultats, résultats qui nous appartiennent donc.
Troisièmement, tout le monde sait que les constats non probants sont bien moins susceptibles d'être publiés dans les revues scientifiques, surtout s'ils ne sont pas conséquents. J'estime qu'il n'y a pas vraiment lieu de craindre que les constats négatifs d'essais cliniques de grande envergure réalisés par les laboratoires pharmaceutiques ne soient pas publiés. Ils sont beaucoup trop importants. Les compagnies pharmaceutiques savent que, pour prétendre à remporter une part du plus grand marché du monde, les États-Unis, les essais doivent être enregistrés. Nul ne procédera donc à un essai sans d'abord l'enregistrer.
Aussi, dans tous les essais auxquels nous participons — tous les grands essais —, les données n'appartiennent pas à la compagnie ou au promoteur, mais au chercheur. Ce sont les scientifiques — les chercheurs — qui sont les propriétaires des données et ceux qui publient les informations. Les essais de moindre envergure dont les résultats sont négatifs pourraient ne pas être publiés dans bien des pays pour toutes sortes de raisons. Ces essais doivent nécessairement être enregistrés.
Nous encouragerions Santé Canada à examiner les options et à prescrire l'obligation d'enregistrer les essais. En ma qualité de chercheur, il me serait extrêmement utile de savoir ce qui a été fait, ce qui a fonctionné, ce qui n'a pas fonctionné, et quels en ont été les résultats.
Je conclurai brièvement en faisant le bilan de notre trajectoire et des défis qui nous guettent. Historiquement parlant, en ce qui concerne les recherches sur les AVC, le Canada a été un véritable protagoniste. C'est le Dr Henry Barnett, de l'Université Western Ontario, qui a fait une partie du travail précurseur ayant abouti aux traitements que nous utilisons toujours aujourd'hui, des choses qui semblent évidentes comme l'efficacité de l'aspirine dans la prévention des arrêts cardiaques ou des AVC. Il fallait le prouver, et cela a été fait par des essais menés au Canada. C'est aussi le cas de l'endartérectomie carotidienne qui est le traitement normalisé pour la prévention des AVC. Dans tous les essais auxquels nous avons participé, le reste du monde nous a complimentés pour notre savoir-faire, la qualité des données et nos bonnes pratiques cliniques. Nous avons été d'importants contributeurs à tous les essais.
Nous sommes néanmoins confrontés à un certain nombre de défis. Premièrement, le nombre d'essais auxquels nous participons est en diminution depuis les dernières décennies. Pour vous citer un exemple — extrait d'une étude publiée qui est en circulation — si vous considérez les essais menés pour la prévention des AVC, qui à mon sens est de loin la manière la plus efficace de s'occuper d'une maladie de cette envergure, dans les années 1990, on a compté 24 essais. Dans les années 2000, six essais ont été effectués et publiés. Leur nombre est donc en déclin.
Deuxièmement, nous sommes en train de nous éloigner des grands essais pharmaceutiques. Compte tenu de la complexité et du coût de ce genre d'entreprise, c'est pourtant la seule façon pour nous de trouver de nouveaux traitements et médicaments d'ordonnance, et là aussi on a noté un recul. Au niveau du consortium, le nombre d'essais financés par des compagnies pharmaceutiques représente moins de la moitié de notre calendrier. D'autres essais plus modestes sont entrepris sur l'initiative de chercheurs ou sont financés par les deniers publics. Ce qui a augmenté, par contre, c'est la complexité de notre travail. Si nous menons un essai dans 30 établissements, il nous faut passer par 30 conseils distincts d'évaluation de l'éthique et 30 revues de contrat. Je tiens à souligner quelque chose. Je n'ai rien à redire à propos de la surveillance réglementaire. Je crois en fait que c'est une bonne idée. J'estime qu'il importe de savoir que les choses doivent être conformes à la norme dans ce pays afin de protéger les participants ainsi que la validité des données. Nous ne tarderions pas à nous éprouver des problèmes si nous nous avisions de faire abstraction de ces principes.
Le problème, c'est qu'il y a désormais tellement de joueurs sur l'échiquier que nous ne sommes plus concurrentiels à cause de la longueur de nos procédures. À l'Université d'Ottawa, nous passons par le comité d'éthique de la recherche avant d'être soumis à l'examen du contrat. Nous devons parfois attendre six mois ne serait-ce que pour amorcer la visite d'initiation à l'établissement, pour commencer à former notre personnel, et tout le reste. Nous avons constaté que le personnel doit consacrer de plus en plus de temps à des questions d'ordre strictement réglementaire et que cette activité représente maintenant plus de 40 p. 100 de son travail. Le temps que nous passons auprès de chaque patient qui participe aux essais clinique, là où nos compétences sont particulièrement recherchées, a diminué d'autant et le coût a augmenté. Le coût en personnel a augmenté. Nous nous trouvons actuellement dans un climat au sein du consortium où nous sommes en train de procéder à des essais toujours moins nombreux et toujours moins bien financés, alors que le coût et la complexité ne font qu'augmenter. Les essais revêtent un caractère de plus en plus multinational. Le nombre de participants est nettement plus élevé à l'extérieur du Canada, et je crains que nous risquions de ne plus être en mesure de participer.
Il existe des centres dans les universités canadiennes, parmi les affiliés à notre consortium, qui ne sont plus en mesure de participer. La raison tient à ce que leur financement est passé bien en dessous du niveau où ils pouvaient encore se permettre d'avoir des employés. On ne peut pas jouer avec l'effectif requis dans chaque cas. Je ne peux pas dire au personnel chargé de la recherche : « Nous avons seulement besoin de 70 p. 100 d'entre vous en ce moment, et nous allons donc vous payer moins, proportionnellement. » Dès que le besoin baisse en dessous d'un équivalent temps plein, on finit par mettre du personnel à pied. Ce genre d'expertise est difficile à recréer en deux ou trois ans si des occasions se présentent.
Je m'arrête là.
Le président : Je vais maintenant céder la parole à nos collègues, en commençant par le sénateur Eggleton.
Le sénateur Eggleton : Permettez-moi de préciser une ou deux choses ici. Est-ce que le fait du déclin dans nos essais cliniques — vous avez bien dit qu'il y en a moins, n'est-ce pas — veut dire en définitive que les médicaments dont les gens ont besoin ne sont pas en train d'être mis en marché dans le pays, ou est-ce que cela veut dire que nous dépendons de plus en plus de ce qui se fait dans d'autres pays, aux États-Unis, en Europe ou ailleurs?
M. Corman : Avant de vous donner ma réponse, je commencerai par m'appuyer sur les propos du Dr Sharma pour vous brosser un portrait d'ensemble. Soixante-dix pour cent de la recherche actuelle au Canada est réalisée dans le privé et non dans les universités. Dans le secteur privé, les chercheurs ne se heurtent pas autant que nous aux obstacles que dressent l'évaluation des contrats et l'évaluation de l'éthique.
Nous sommes un assez bon baromètre. D'ailleurs, je pense que nous assistons non seulement à une diminution du nombre d'essais réalisés, mais aussi à une diminution du nombre de médicaments proposés au Canada. Tout cela, encore une fois, nous ramène au régime d'autorisation des médicaments et d'approbation des études. On pourrait dire qu'on ajoute tellement d'épaississant à la soupe qu'elle en perd sa fluidité. Les obstacles sont bien réels et les choses ne s'améliorent pas, et je pense aux inspecteurs à cet égard.
Dans l'industrie, quand on parle d'accès au marché, on pose la question de la tarification des médicaments et de la position des « payeurs ». Pour les compagnies pharmaceutiques, il existe un lien direct entre la décision de commercialiser un médicament et le régime réglementaire auquel elle est soumise sur le marché.
Le président : Je vais vous demander d'en revenir au sujet qui nous intéresse. Vous soulevez un aspect important, mais ce n'est pas de cela dont nous traitons. Pourriez-vous revenir sur les essais cliniques et vous en tenir à ça?
M. Corman : Parfait. Tout ce que je dirai, c'est qu'au Canada, il y a des essais cliniques comparatifs et des analyses pharmaco-économiques que nous pouvons réaliser et d'autres que nous devons effectuer. Nous sommes perdants des deux côtés.
Le sénateur Eggleton : Que devrait-on changer au cadre réglementaire pour remettre la machine sur les rails? Monsieur Corman, vous avez dit que nous n'avons aucune tolérance au risque. Votre activité touche directement la vie des gens. Certains pensent que notre aversion au risque, au Canada, est davantage caractéristique de la fonction publique que des autres secteurs d'activités. Où placer la limite? Quel genre de changements devrait-on apporter au régime de réglementation pour remettre la machine sur les rails afin que nous puissions effectuer ces essais cliniques et obtenir les médicaments voulus sans pour autant prendre des risques indus ou commettre des erreurs?
Dr Sharma : Merci pour votre question, sénateur. En réponse à la première partie de la question, je dirais que c'est un peu des deux. Sous l'effet de l'augmentation des coûts de mise au point des médicaments, le nombre de laboratoires pharmaceutiques a diminué. De plus, à cause des risques financiers inhérents au développement d'un médicament, les laboratoires mettent de moins en moins d'agents au point. Voilà pour le premier élément.
Par ailleurs, quand on se compare à d'autres pays, on s'aperçoit que nos essais cliniques sont beaucoup plus fiables et que notre régime n'est pas qu'un frein, puisqu'il est aussi porteur d'opportunités. A priori, rien ne devrait nous empêcher d'être les premiers au monde sur le chapitre des essais cliniques. Le Canada a les compétences et les aptitudes nécessaires pour cela. Nous devons bâtir des partenariats à l'échelle internationale pour y arriver. Par exemple, les organismes subventionnaires — comme les NIH, les IRSC et les agences européennes — appliquent ce qu'on pourrait appeler des politiques de clocher. Ils veulent que les fonds soient dépensés dans les pays qu'ils représentent. Pour l'instant, ça ne va pas plus loin, mais ça pourrait entraîner notre perte dans l'avenir si nous ne parvenons pas à ouvrir la collaboration.
Quant à ce qu'il conviendrait de faire, je vous répondrai en ma qualité de médecin, de citoyen et de personne travaillant au contact de gens qui souffrent. Je ne veux pas courir le risque de causer davantage de préjudices. Je comprends tout à fait ce que M. Corman a dit. Reconnaissons honnêtement que, chaque fois que nous entreprenons quelque chose de nouveau, nous sommes confrontés à l'inconnu. Il n'est ni pratique ni possible de réduire le risque à zéro, mais il convient, en vérité, de faire tout en notre pouvoir pour prévenir ce qui est prévisible.
Nous pourrions agir sur deux ou trois fronts. Je pense qu'il va falloir déployer beaucoup d'efforts pour éviter les dédoublements. Pourquoi, un même protocole doit-il être soumis à une série de processus administrés par 30 CER et subir des évaluations consistant à répondre à des questions parfois semblables, parfois différentes? C'est notre pain quotidien au consortium. Pourquoi 30 processus contractuels différents, d'autant que la réalisation d'un seul essai clinique évalué par 30 CER différents prend des années?
Par ailleurs, je suis d'avis qu'il faut sérieusement réfléchir à la façon de promouvoir les bonnes pratiques cliniques plutôt que de recourir aux méthodes punitives actuelles. Ces méthodes, ce sont les règlements. On est contrôlé et, si l'on ne respecte pas la réglementation, on est sanctionné.
Il convient tout particulièrement de promouvoir les bonnes pratiques dans le cas des petits centres. J'ai la chance de travailler dans un établissement où je peux faire appel à tout un bassin de compétences. Je ne vois aucune raison pour laquelle nous ne pourrions pas créer des réseaux, avec les petits centres et les enquêteurs, de façon à mettre toutes ces compétences en commun.
M. Corman : Il y a deux choses auxquelles il faut réfléchir et qu'il conviendrait de mettre rapidement en œuvre dans le cadre de la réforme réglementaire. Il s'agit aussi d'une réforme législative. La vente d'un médicament est actuellement encadrée par la Loi sur les aliments et drogues. Quand on parle d'essais cliniques, on ne parle que de ça. Santé Canada ne peut intervenir qu'auprès du commanditaire et j'estime que c'est insuffisant. Pour que la fonction de surveillance soit efficace, il faut que tous les acteurs tombent sous le coup d'un même régime. Cela s'entend des enquêteurs, des comités d'éthique en recherche qui échappent actuellement au ressort de Santé Canada. Je crois qu'il faut modifier la loi afin de tenir compte de ce besoin supplémentaire.
De plus, comme partout ailleurs, je dirais que les choses se corsent quand on passe au niveau du détail, c'est-à-dire la mise en œuvre. Je vais vous relater une anecdote; c'est une histoire vraie. Deux ans après la fin d'un essai clinique dans une grande université canadienne, un inspecteur se présente et trouve un sandwich sur le réfrigérateur du laboratoire. Il décrète sur-le-champ que le commanditaire n'a pas respecté le règlement, mais sa décision se répercute jusqu'au siège, aux États-Unis. On n'a jamais assisté à une telle chose, nulle part dans le monde, et je pourrais vous donner d'autres exemples. C'est ainsi que ça fonctionne; il n'y a pas que le cadre réglementaire.
Permettez-moi d'ajouter une chose. Les centres universitaires — et je ne veux pas, par là, créer d'opposition entre les universités et nous, parce qu'il faut au contraire favoriser le rapprochement — n'ont jamais vraiment respecté les règlements. Ils ne permettent pas aux commanditaires de l'industrie d'effectuer des audits et — pour en revenir peut-être sur la question de la réforme législative — il faut savoir que Santé Canada n'est pas autorisé à communiquer les résultats de ses inspections. Aux États-Unis, la transparence est peut-être un peu trop grande, mais au moins on y voit un peu plus clair. Nous devons trouver une façon de faire la même chose.
Le sénateur Eggleton : Je vais demander à Mme Stevenson de bien vouloir préciser ce qu'elle entend par « payeur », parce que c'est la première fois que nous rencontrons ce mot dans ce contexte. C'est la première fois que j'entends le mot « payeur ».
Mme Stevenson : Par « payeur », je veux décrire l'organisme ou, dans ce cas, le gouvernement qui rembourse, qui rend une décision au sujet de ce qu'il convient de financer. Les payeurs sont ceux qui paient pour les produits pharmaceutiques, même s'il s'agit en fait d'un remboursement. Voilà pourquoi j'ai employé ce terme. Et puis, dans notre cas tout particulièrement, il sert à indiquer que nous décidons de ce que nous sommes disposés à payer et de ce que nous voulons financer ou pas.
Ma perspective au sujet des essais cliniques est plutôt étroite quand on considère l'ensemble des données qui nous sont remises à notre organisation, organisation qui décide de financer des médicaments pour les bénéficiaires que nous assurons.
Peut-être faudrait-il songer à recueillir les données servant aux essais cliniques dès le début du processus. Il arrive qu'on nous demande de financer des médicaments à titre exceptionnel, par exemple pour une population infantile donnée, quand on n'a jamais ou que rarement étudié de traitement pour la population visée. Bien que je ne sois pas médecin, j'ai pris très au sérieux notre responsabilité d'évaluer les dangers par rapport aux avantages. Même l'administration des médicaments peut occasionner des préjudices, par exemple dans le cas de certains médicaments spécialisés. Notre comité d'experts a indiqué à maintes reprises qu'on ne recueille pas suffisamment de preuves, lors des essais cliniques, pour formuler des indications particulières sur l'utilisation du médicament. En l'absence de telles données, il est difficile de prendre des décisions. Se pose ensuite la question de l'accès, du refus éventuel d'accès et ainsi de suite.
[Français]
Le sénateur Demers : D'après votre expérience, quelles sont les étapes à suivre pour attirer plus d'essais cliniques et en respectant toujours les droits des partenaires?
[Traduction]
M. Corman : Je crois que nous sommes sur la bonne voie. FATE a entrepris une campagne de marketing, ce qui, je crois, est une bonne chose. Ce n'est qu'un début. Il faudra faire davantage dans ce sens. Il est question de créer un organisme ou un bureau central qui assurerait la promotion commerciale pour tout le Canada. Je faisais partie d'un groupe qui, grâce au financement du gouvernement du Québec, s'est rendu en Belgique il y a quelques années, pour inciter certaines entreprises belges et françaises à venir s'installer au Canada. Il faut reproduire ce genre de chose. Il faut trouver des façons de communiquer notre message à l'étranger parce que, jusqu'ici, le Canada a toujours répugné à se faire valoir. À l'heure où nous sommes en train de tout réorganiser, d'abattre certains obstacles, de rationaliser certains processus et de simplifier la réglementation, nous devons dire aux autres ce qui se passe ici et nous devons le faire bien, contrairement au passé.
Dr Sharma : Merci de cette question, sénateur. J'aimerais pouvoir vous donner une réponse claire et concise. Nous pourrions faire deux ou trois choses. Premièrement, et je le répète, il faut voir dans ce régime l'occasion d'effectuer et de diriger des essais d'envergure internationale et nous devons chercher des façons d'amener nos organismes subventionnaires à collaborer avec les NIH, avec l'Agence européenne des médicaments et avec les agences australiennes, avec qui nous entretenons des contacts au niveau universitaire, afin de faciliter ce genre de projets.
Deuxièmement, nous devons très sérieusement réfléchir au modèle commercial et aux obstacles à la mise en marché. Je pense ici aux médicaments. Si l'on envisage d'adopter un processus de mise au point d'une molécule qui va coûter des milliards de dollars, autant que celui-ci soit le plus efficace possible. On pourrait agir sur plusieurs plans, par exemple en regroupant les examens pour réduire les coûts. Je dois préciser que les membres du consortium, c'est-à-dire nous tous, ne sont absolument pas rémunérés pour ce travail ni pour leur rôle d'administrateur du consortium. En ce sens, nous travaillons gratis pro Deo. C'est là une importante obligation professionnelle que nous avons.
Les autres coûts auxiliaires sont nécessaires. Il faut — comme les IRSC commencent à le faire — appuyer les réseaux de chercheurs comme le nôtre. À moins qu'on apporte des changements substantiels ou qu'on trouve une façon de nous financer, je ne pense pas que notre organisation parviendra à survivre plus de cinq ou six ans. Nous allons nous fragmenter, comme nous l'étions au début des années 1990.
Le sénateur Merchant : Je crois que c'est Mme Stevenson qui a parlé de ce sur quoi je vais revenir. S'agissant d'essais cliniques et de nouveaux médicaments, vous essayez d'en avoir pour votre argent. Dans les essais cliniques, comparez- vous les médicaments à un placebo ou arrive-t-il — comme le Dr Sharma l'a peut-être indiqué également — que vous compariez l'efficacité de deux médicaments afin de déterminer si le nouveau n'est pas meilleur que celui qui est déjà offert à la vente? Vous avez dit que vous n'étiez pas disposés à financer la mise au point d'un médicament à moins qu'il soit établi que celui-ci représentera une valeur ajoutée.
Le président : C'est ce que vous avez précisément dit dans vos remarques liminaires.
Mme Stevenson : Effectivement. Je vais brièvement vous répondre en ce qui nous concerne. Comme je vais parler d'expérience de médicaments qu'on nous a demandé d'examiner et de financer, mon point de vue risque d'être un peu plus étroit que celui, par exemple, de M. Corman. On a constaté de très importants écarts dans les essais. Dans certains cas, les médicaments ont été étudiés deux à deux, c'est-à-dire l'un par rapport à l'autre. Dans d'autres cas, les médicaments ont été testés par rapport à un placebo. Nous avons constaté d'énormes écarts dans les essais qui nous ont été soumis.
M. Corman : Je vais d'abord aborder la question du placebo dans le contexte des essais cliniques. Pour qu'un médicament soit homologué par un organisme de réglementation, il faut que les études précédant l'enregistrement du médicament produisent ce que nous appelons des preuves de niveau 1. En règle générale, l'idéal consiste à mener des essais cliniques contrôlés, aléatoires. Malheureusement, cette formule soulève de plus en plus des problèmes d'ordre éthique. Il demeure que certains organismes de réglementation, comme l'organisme européen et la FDA, réclament ce genre de procédure. De tels essais ne permettent pas de comparer l'efficacité ni la rentabilité d'un traitement par rapport à un autre; ils sont simplement conçus pour prouver que le médicament proposé donne des résultats et qu'il est suffisamment sûr pour telle ou telle indication. On se trouve en présence d'une double voire d'une triple strate — Santé Canada s'occupant de l'aspect mise en marché — et les provinces examinant de nouveau les mêmes données à leur échelon. Voilà pourquoi, selon moi, nous avons — et pour une bonne raison — mis en œuvre le Programme commun d'évaluation des médicaments qui joue un rôle important.
Il est très important de comprendre la différence entre les deux. Je dois ajouter que le Canada — en fait, Santé Canada — a la réputation d'être excessivement exigeant dans le cas des essais contrôlés et que le ministère fédéral est, sur ce plan, en rupture avec d'autres organismes de réglementation. J'aimerais, d'ailleurs, vous parler du concept d'harmonisation des démarches réglementaires. Je vais m'arrêter ici, mais je pense que nous avons également beaucoup de travail qui nous attend dans ce domaine.
Dr Sharma : Voilà une excellente question, sénateur. Dans notre domaine, le comparateur correspond, par définition, à la norme de soin. S'il n'existe pas de traitement, le comparateur est un placebo. En revanche, en pareille situation, c'est-à- dire quand il n'existe pas de traitement, nous n'entamons pas d'essai avec un placebo parce que, sinon, nous agirions de façon non éthique envers la moitié des participants. On ne les traiterait pas comme il se doit.
Le sénateur Merchant : J'aurais une autre question à poser, si vous me le permettez. Revenons-en à votre exposé, docteur Sharma. Vous avez dit qu'il arrive qu'on ne signale pas les résultats néfastes. Je pensais que cela ne se produisait que dans les études de petite envergure. Le gouvernement pourrait-il faire quelque chose pour imposer la déclaration de résultats néfastes au nom de la transparence et de l'éthique?
Dr Sharma : Je pense que votre question comporte deux éléments. Premièrement, comment savoir s'il y a eu des effets négatifs lors d'un essai? Eh bien, il se trouve que tous les participants à nos essais sont évalués en fonction d'une grille préétablie, d'un ensemble d'outils. Il peut s'agir d'examens sanguins ou de questions qui leur sont posées, et ces contrôles sont assez poussés. Ce faisant, on se prémunit contre la communication de résultats par trop optimistes. Alors, supposons qu'il y ait eu un incident. Dans ce cas de figure, toutes les données sont transmises au CER, le commanditaire, et au DSME, et les dossiers médicaux sont examinés pour déterminer ce qui s'est produit.
Je parlais de la publication et de la déclaration de résultats d'essais qui sont négatifs, y compris des conséquences néfastes. Je pense qu'il faut adopter une position semblable à celle énoncée sur le portail U.S. ClinicalTrials.gov — où, soit dit en passant, nous affichons les résultats de tous nos essais — où les conséquences néfastes sont indiquées à l'issue de chaque recherche clinique réalisée sur des sujets humains, aux États-Unis. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas emboîter le pas aux Américains. Il n'est pas nécessaire de créer un autre site web. Celui-ci est déjà reconnu à l'échelle internationale. On trouve actuellement 125 000 essais sur le site ClinicalTrials.gov. Il est accessible de partout dans le monde et vous pouvez donc aller voir ce qu'il donne. Le processus se divise en deux phases. Premièrement, on inscrit l'objet de l'essai et le plan d'étude, après quoi on transmet les résultats. Les résultats doivent faire état de toutes les conséquences néfastes constatées; ainsi, même si les résultats de l'essai ne sont pas publiés dans un journal, toutes les données sont communiquées. On sait exactement ce qui s'est produit.
M. Corman : Parlons de l'aspect réglementaire en commençant par les réactions indésirables à un médicament, qu'elles soient réelles ou soupçonnées. Les termes ne manquent pas pour décrire le phénomène : effets indésirables graves et ainsi de suite. Le règlement exige, de façon absolue et immuable, la communication de tout renseignement concernant la sécurité. Il est donc certain que tous les effets indésirables seront communiqués dans le cadre d'essais cliniques réglementés.
Je crois que la même règle s'applique aux recherches financées par les données publiques — à supposer que l'essai clinique ne soit pas réglementé par Santé Canada ni par la FDA. C'est plus ou moins la norme. Je ne pense pas qu'il soit question d'échapper à l'obligation de déclarer les résultats. Ce qui est compliqué, c'est tout ce qui concerne l'interprétation et la surinterprétation.
Le Dr Sharma vous a parlé de décès, soit d'événements absolus, mais quelles peuvent en être les causes? Il est très difficile d'établir un lien causal dans ce genre de situation. Par exemple, vous avez tous entendu parler de l'affaire concernant le Vioxx, ce médicament toxique qui a fait l'objet d'un recours collectif. Trois médicaments destinés à prévenir le cancer de l'intestin chez les personnes atteintes de polypes rectaux avaient été évalués, dont le Vioxx. Lors des essais, on n'avait constaté aucune toxicité cardiovasculaire permettant de croire que le médicament aurait dû être contre-indiqué chez les cardiaques. Il y avait pourtant eu des signes, mais ils avaient échappé aux meilleurs experts.
Je pense que ce genre de chose est inévitable et je ne sais pas comment parvenir à atténuer ce problème. Nous sommes tous faillibles. Cela nous rappelle à quel point il est nécessaire de continuellement recueillir et communiquer des données à l'organisme central, à chaque organisme de réglementation. J'espère avoir répondu à votre question.
Le sénateur Seidman : Vous vous êtes tous montrés très honnêtes et ce que vous nous avez dit a été instructif. Voici ma question. Monsieur Corman, dans votre exposé, vous avez dit que les IRSC ne sont pas parvenus à améliorer leur façon de faire. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Je vous inviterais à répondre en premier.
Par ailleurs, docteur Sharma, vous avez beaucoup parlé de transparence et d'essais enregistrés. J'ai l'impression que, hier, quand nous avions ici les gens de l'industrie, cette question a été source d'une grande confusion. Ces témoins nous ont dit que les essais sont enregistrés. La question est de savoir s'ils le sont au Canada. Sont-ils enregistrés à l'échelle internationale? Il existe des règles aux États-Unis. Pouvez-vous éclairer un peu notre lanterne au sujet de cette question de l'enregistrement des essais que vous réclamez, de même que de l'enregistrement des résultats des essais? La question des résultats présente de multiples facettes.
Il y a non seulement les conséquences néfastes, mais aussi les essais qui sont interrompus. En cours d'essai, des patients sont retirés. Il y a bien des choses qui entrent en jeu. La question de la transparence concerne également la santé et la sécurité des Canadiens et des patients qui participent aux essais, sans parler des renseignements communiqués à ceux et à celles qui veulent traiter leurs maladies.
M. Corman : Je dois préciser que j'ai également, en consultation avec Santé Canada, travaillé sur la question du registre des essais cliniques. Les renseignements que je vous ai communiqués au début étaient fondés sur l'analyse des registres d'essais cliniques et il se trouve que je connais assez bien le régime de réglementation et que je sais ce qui doit être enregistré.
Pour en revenir à la question épineuse des IRSC, il est arrivé que les Instituts — et il ne faut pas s'en étonner — se focalisent sur les établissements universitaires et sur les problèmes concernant ces établissements, sans prendre aucun recul. Permettez-moi de vous donner un exemple. Le Comité d'experts sur la protection des participants humains aux recherches au Canada, créé par la Table des commanditaires, a déposé un rapport dans lequel il recommande la création d'un organisme, qui ne serait pas forcément une agence gouvernementale, devant être en mesure d'assumer différentes fonctions, notamment d'effectuer un travail de sensibilisation au titre du renforcement des capacités, et d'intervenir en matière d'homologation auprès des comités d'éthique, des enquêteurs et des établissements de recherche.
Ce sont donc les IRSC qui ont le plus ouvertement appuyé cette approche. Je n'irai pas jusqu'à dire que c'était la seule façon de faire, mais c'est un exemple de situation où l'on fait « un pas en avant, un pas en arrière ». Dix ans plus tard, nous cherchons encore à résoudre les problèmes connus, et nous sommes loin du compte.
Je constate que le secteur privé est exclu et qu'on s'en remet exclusivement aux centres universitaires de la province, par exemple, pour ce qui est de l'évaluation centralisée de l'éthique, et je collabore d'ailleurs avec les IRSC sur ce plan également. Je constate que des établissements ne répondent pas aux exigences réglementaires, ce qui ne les empêche pas d'affirmer qu'ils se reconnaissent mutuellement et qu'il est inutile de les soumettre à un processus de vérification. Les normes de l'ONGC concernant le comité d'éthique de la recherche viennent tout juste d'être adoptées, mais on constate que, pour quatre aspects ou moins, le comité d'éthique de la recherche n'a pas à se plier aux exigences réglementaires. Il faut, je pense, que les IRSC fassent mieux.
Et puis, il y a la SRAP. Dans quelle mesure parviendra-t-on à améliorer l'efficacité relative des essais sur des populations suffisamment importantes dans quelque 42 hôpitaux universitaires qui ne sont peut-être pas intéressés à travailler dans ces domaines?
Ce n'est pas comme ce qui se passe aux NIH et aux États-Unis où les secteurs public et privé travaillent main dans la main pour répondre aux besoins de la société grâce à un financement public et où tous les acteurs sont regroupés. La deuxième étude dont je vous ai parlé est un bon exemple de ce cas de figure. Elle a été conçue et réalisée à Harvard.
Le président : Pour la seconde question, docteur Sharma, je vais vous demander de vous concentrer sur la question des essais au Canada, plus précisément des données recueillies dans le cadre d'essais menés au Canada. Avant de vous céder la parole, je vais inviter M. Corman, après nous avoir quittés, de bien vouloir réfléchir à la question que je viens de lui poser et aux aspects particuliers qu'elle soulève, et de nous répondre ultérieurement.
Docteur Sharma, parlez-nous de la consignation, soit de la publication des résultats, positifs et négatifs, des essais réalisés au Canada.
Dr Sharma : Merci, sénateur, et merci pour la précision. Au Canada, ce n'est pas le fédéral qui exige la publication et l'enregistrement des essais cliniques, mais des établissements de recherche.
Il est fréquent que les commanditaires enregistrent, sur le site américain, les essais réalisés au Canada, parce qu'ils envisagent de commercialiser leurs médicaments aux États-Unis. Je le répète, je ne vois pas ce qui nous empêche d'imposer la même chose au Canada.
La seule différence entre l'enregistrement d'un essai canadien, par exemple, et l'enregistrement d'un essai américain sur le portail américain tient à ce qu'il suffit, pour les Canadiens, d'enregistrer les premières phases, c'est-à-dire le plan d'étude et le déroulement des essais. Nous ne sommes pas tenus de publier les résultats. La publication des résultats n'est exigée, par Washington, que pour les essais américains. J'insiste, j'estime que ce serait une bonne chose à faire au Canada.
Le sénateur Seidman : Puis-je enchaîner sur ce sujet? Hier, les représentants de l'industrie nous ont demandé si nous allions leur imposer de faire ce travail en double; il semblait nous dire : « Pourquoi devrait-on enregistrer nos essais au Canada? Nous ne ferions que reproduire ce que nous faisons déjà ailleurs dans le monde, aux États-Unis et en Europe, où cela est exigé. » Que pensez-vous de ça?
Dr Sharma : Je ne recommande pas un dédoublement et je ne pense pas qu'il soit nécessaire de gaspiller des ressources à cet égard. Je vous invite à visiter le portail ClinicalTrials.gov. Les exigences énoncées sont très précises. Ça fait 12 ans que ce système existe. Allez vérifier ce qui est exigé pour l'enregistrement, les données de flux de patients, les prises en compte, les retraits de patients et le genre de résultats exigés. En revanche, nous pourrions préciser que l'enregistrement doit se faire sur ce portail ou sur un autre site éventuellement préféré par Santé Canada.
Le président : Soyons clairs. Vous venez de dire qu'il n'est pas nécessaire de reproduire ce qui se fait aux États-Unis, mais vous insistez sur la nécessité que toutes les données et tous les résultats des essais cliniques effectués au Canada soient enregistrés.
Dr Sharma : Oui.
Le président : Si toutes ces données sont publiées sur un site web universellement reconnu, il n'y aura pas de problème, mais il faut que tous ces éléments soient couverts. On ne pourrait pas se contenter d'une partie seulement. C'est cela?
Dr Sharma : Tout à fait.
Le président : Nous vous avons compris. Merci.
M. Corman : Il serait extrêmement risqué d'envisager de permettre l'enregistrement de données brutes. Je sais que c'est ce qui avait été envisagé par les IRSC, à un moment donné. On risquerait alors que ces données brutes soient mal comprises ou mal utilisées parce qu'elles pourraient ne pas être correctement analysées. Et puis, il faut disposer de la totalité des données concernant l'essai clinique, sans oublier tous les aspects qui touchent éventuellement à la propriété intellectuelle.
Il faut définir ce qu'enregistrement veut dire et je ne pense pas qu'il devrait être question de données brutes. Je ne pense pas que c'est ce qu'a voulu dire le Dr Sharma, mais il est vrai que les IRSC avaient envisagé cette formule.
L'autre question qui se pose est celle de la phase visée. En effet, il serait inutile d'imposer l'enregistrement d'essais cliniques de phase I concernant des volontaires normaux, en santé. Absolument aucune agence au monde ne l'exige. À cette seule exception près, je suis entièrement d'accord avec la position du Dr Sharma.
Le président : Bien, mais nous avons cru comprendre qu'on pouvait imposer une norme de transparence claire et reconnue par tous. Je crois que vous avez bien exprimé votre position à ce sujet, monsieur Corman, et cela fait partie du tableau d'ensemble.
Le sénateur Seidman : Merci. Voilà qui est utile.
Le sénateur Callbeck : Madame Stevenson, vous êtes présidente et chef des opérations de Reformulary Group. D'après ce que j'ai compris, votre groupe aide les employeurs et les assureurs à réduire le coût des médicaments en leur fournissant un formulaire. Vous obtenez vos renseignements en analysant les essais cliniques. C'est exact?
Mme Stevenson : Oui. À l'instar de certaines provinces, nous avons mis sur pied un comité expert qui examine des ensembles de données, un peu moins, d'ailleurs, les données d'essai que les données agrégées. Par exemple, il étudie les rapports publiés dans le cadre du Programme commun d'évaluation des médicaments, les rapports émanant de NICE, le National Institute of Clinical Excellence au Royaume-Uni, et les évaluations Cochrane, soit les organismes canadiens de portée internationale qui examinent tous les essais cliniques.
Le sénateur Callbeck : Vous dites « à l'instar de certaines provinces »; est-ce que toutes les provinces n'administrent pas ce genre de processus?
Mme Stevenson : Non, pas toutes, certaines seulement.
Le sénateur Callbeck : Les provinces utilisent-elles vos données? Les mettez-vous à leur disposition?
Mme Stevenson : Vous voulez parler des renseignements qui émanent de notre groupe privé ou des données qui émanent des provinces?
Le sénateur Callbeck : De votre groupe.
Mme Stevenson : Pas encore. Nous venons juste de terminer l'élaboration de notre formulaire et de l'examen des données. Les provinces n'ont pas encore accès à nos renseignements, mais nous espérons pouvoir leur être utiles en faisant ce que nous faisons.
Le sénateur Callbeck : Pour accéder à ces renseignements, les provinces devront-elles payer? Comment êtes-vous financés?
Mme Stevenson : Vous voulez savoir comment nous sommes financés en tant qu'entreprise privée?
Le sénateur Callbeck : Oui.
Mme Stevenson : Nous avons un partenaire stratégique qui nous a financés en partie pour faciliter notre mise en route. Et puis, nous facturons nos clients qui sont des compagnies d'assurances, au nom de ceux qui les emploient.
Le sénateur Callbeck : Si les provinces veulent utiliser vos renseignements, devront-elles payer ou allez-vous les mettre à leur disposition sans autre forme de procès?
Mme Stevenson : Elles ne peuvent pas utiliser nos renseignements tels quels. Cependant, nous offrons au secteur privé de s'abonner à notre formulaire qui est une liste de médicaments, un peu comme les formulaires des provinces. Des organismes provinciaux pourraient également s'abonner.
Le sénateur Callbeck : Vous parlez d'« offrir », mais l'abonnement est payant, n'est-ce pas?
Mme Stevenson : Effectivement, c'est payant pour les entreprises privées. Elles s'abonnent à notre formulaire moyennant certains frais. C'est exact.
Le sénateur Callbeck : Analysez-vous les médicaments après les essais cliniques?
Mme Stevenson : Nous administrons deux processus. Le premier concerne les médicaments déjà sur le marché. En général, le secteur privé est beaucoup plus ouvert. Normalement, dès qu'un médicament est autorisé par Santé Canada, il est inscrit sur les formulaires du secteur privé, comparé avec les listes des provinces qui font un examen plus approfondi et qui rendent leurs propres décisions. Nous examinons donc les médicaments existants, mais nous administrons un autre processus qui concerne les nouveaux médicaments approuvés par Santé Canada.
Le sénateur Callbeck : Vous examinez donc les anciens et les nouveaux médicaments et si les nouveaux coûtent plus que les anciens, mais que les anciens font l'affaire, vous continuez à les recommander. C'est cela?
Mme Stevenson : Effectivement. Ce concept est nouveau au Canada, mais il est très courant aux États-Unis. On parle ici de soins gérés, concept selon lequel le patient doit payer le moins possible pour des médicaments jugés efficaces et rentables. Nous avons donc introduit cette notion de rentabilité, qui échappe à la thématique des essais cliniques. Ainsi, un consommateur qui voudrait bénéficier d'un médicament présentant la même efficacité clinique, mais coûtant cinq fois plus qu'un autre devrait lui-même payer une part plus importante. On parle donc davantage, ici, de la notion de quote-part. Ce modèle vise à encourager la prise de décisions où la rentabilité joue une part.
Le président : Je propose que nous n'allions pas plus loin à cet égard, parce que vous touchez aux décisions qui interviennent après les essais cliniques. Cela étant posé, nous avons recueilli de bonnes informations.
Je vais demander aux sénateurs dont les noms apparaissent sur ma liste de m'autoriser à intercaler le nom d'une collègue qui doit aller assister à un événement spécial sur la Colline, afin qu'elle puisse poser une question avant de se retirer. Sénateur Martin, voulez-vous poser une brève question?
Le sénateur Martin : Merci à mes collègues.
Vous avez tous parlé de la nécessité de favoriser la collaboration, du fait qu'il est préoccupant de voir que le Canada est en train de perdre du terrain et qu'il faudrait attirer ici davantage d'essais cliniques. Ma question concerne la collaboration. J'estime que vous apportez un certain savoir à cette table et que votre avis est important dans ce genre de débat. Existe-t-il un mécanisme favorisant le dialogue permanent ou la collaboration, au Canada, en vue de parvenir à cet objectif?
J'estime qu'il est absolument nécessaire d'y parvenir et vous avez tous parlé de collaboration. D'autres témoins nous ont dit la même chose. Cela étant posé, sommes-nous assez efficaces en matière de collaboration? Quels sont les obstacles qui se dressent? Je sais que toutes les industries et tous les secteurs se heurtent au problème de la compartimentation. Pourriez-vous nous parler de la nécessité de travailler en collaboration et des obstacles que nous pourrions avoir à surmonter sur ce plan?
Le président : Comme vous avez tous évoqué l'importance de faire des distinctions, je ne veux pas que nous revenions là-dessus.
Dr Sharma : Personnellement, je dirais que c'est ce qui va essentiellement déterminer notre réussite dans l'avenir. Je vais vous répondre directement. Pour l'heure, il n'existe pas de structure ou de groupe supérieur ni même de lieu où les différentes parties du spectre peuvent se rencontrer et débattre de ce genre de choses. Des entités comme le Canadian Stroke Consortium ont été mises sur pied par des chercheurs qui en avaient perçu le besoin, et nous ne sommes pas les seuls, car il y a aussi des organismes qui s'occupent de cancer, d'Alzheimer et de Parkinson, pour ne parler que de ces maladies. En revanche, il n'existe pas de forum ou de vecteur qui nous permettrait de passer à la vitesse supérieure.
Il y a une chose qui faciliterait la vie des commanditaires : un guichet unique qui leur permettrait de sonder des groupes pour savoir s'ils ont les moyens voulus pour participer à un essai clinique et s'ils désirent le faire.
Le président : À la suite de ce que vous avez dit, docteur Sharma, je vais vous poser deux questions précises. Au sein de votre consortium, est-ce que vous appliquez une démarche commune pour l'évaluation de l'éthique et pour l'évaluation des contrats?
Dr Sharma : Non. D'après la réglementation actuelle, chaque établissement de recherche est responsable de son propre comité d'éthique. Nous aurions beaucoup à gagner à appliquer une approche commune, mais ce qui est important, c'est que les IRSC prennent les rênes en main pour que, dans un premier temps, nous parvenions d'abord à harmoniser les normes au niveau des établissements, des provinces et des pays, et que nous parvenions à appliquer des lois de même que des régimes d'indemnisation. Il faudra travailler sur tous ces fronts.
Le président : Vous venez de répondre à la seconde question que je vous destinais : Qui devrait diriger tout ça? Selon vous, ce sont les IRSC.
Dr Sharma : Oui, monsieur.
M. Corman : Une organisation récemment créée pourrait être en mesure de rassembler toutes les parties, du moins à l'échelon provincial; je veux parler de Clinical Trials Ontario. Cet organisme est dirigé par un excellent directeur général; même si, au départ, il ne s'intéressait qu'aux centres universitaires, il vient de se tourner vers tous les intervenants. Voilà ce qui doit être fait, je pense.
Je ne pense pas que les IRSC soient le véhicule le plus adapté à cause de leur intérêt prononcé pour les centres universitaires, ce qui s'explique. Ainsi, à moins qu'ils n'ouvrent leurs horizons, ils continueront à travailler chacun de leur côté.
Le président : Au moins, on arriverait à faire quelque chose de mieux que ces multiples compartiments. Vous avez mentionné que, du côté du secteur privé, il y a déjà une harmonisation.
M. Corman : Sur ce point précis, c'est une question de volonté. Vous connaissez peut-être le bulletin intitulé CenterWatch. C'est l'un des véhicules de communication les plus complets au monde sur les essais cliniques. Il est américain.
J'y ai lu un article concernant le Sommet sur les essais cliniques au Canada, qui s'est déroulé en 2011 et qui a été un événement très important qui s'adressait uniquement aux universitaires. Seulement deux représentants du secteur privé y ont participé, moi-même et quelqu'un d'autre. Dans cet article, on apprend qu'un responsable des IRSC avait refusé qu'on parle d'éthique dans le secteur privé et, par extension, qu'on ouvre les portes aux chercheurs du privé. Il n'y aura pas de collaboration s'il n'y a pas de désir de collaborer.
Mme Stevenson : À ce sujet, je dirais qu'il faut renforcer la collaboration dans la phase qui suit la mise en marché d'un produit.
Le président : Nous effectuerons une étude complète de cette question à part et nous vous demanderons alors de revenir sur cet aspect.
Le sénateur Cordy : Eh bien, j'ai l'impression qu'on a posé toutes mes questions. Vous avez utilisé un autre nom pour parler du Comité national d'éthique, mais c'est bien à lui que vous faisiez allusion. Je crois vous avoir entendu dire que nous devons commencer par fixer des normes nationales; ai-je bien compris?
M. Corman : Oui. Depuis 12 ans maintenant, je me désole du dysfonctionnement en la matière, le tout dernier cas en date étant celui de la norme nationale qu'on a essayé d'adopter pour les comités d'éthique de la recherche. Il faudrait quasiment faire appel à un psychologue : comment parvenir à créer la confiance mutuelle et à travailler ensemble? Le comité d'experts s'est penché sur l'idée de mettre sur pied un comité d'éthique national et d'étudier ce qui se fait ailleurs dans le monde. La réponse n'est pas là. Cette formule existe au Royaume-Uni depuis huit ou 10 ans et qu'a-t-elle donné? Une diminution du nombre d'essais cliniques. L'idée est peut-être séduisante, mais en pratique, elle ne fonctionne pas, du moins pas si l'on s'en remet exclusivement à une agence gouvernementale ayant le monopole.
Le sénateur Cordy : Comment faire mieux? Il y a 30 à 80 contrats différents et 30 à 80 demandes différentes...
M. Corman : Les choses avaient, je pense, bien débuté avec les principes de l'ACISU qui étaient de mettre les contrats en commun. Ça aussi, ça avait été annoncé. Cependant, il y a des problèmes de mise en œuvre.
Comme c'est un organisme national, il faut que les provinces participent à un véritable dialogue sur la façon de réaliser tout cela. Il faut que toutes les parties s'assoient à la table.
Le président : Monsieur Corman, on comprend bien qu'il faudrait amener tous les comités d'éthique à opter pour des contrats normalisés et à imposer des clauses normatives. Il sera toujours possible d'avoir des comités d'éthique distincts, mais il faudra que les données répondent aux critères énoncés, quitte à ce que le critère soit normalisé. La question des difficultés de mise en œuvre, c'est autre chose. Tenons-nous-en aux exigences essentielles que nous pourrions recommander.
M. Corman : Je crois qu'il y a lieu d'uniformiser le travail des inspecteurs.
Le président : C'est ce que nous visons effectivement.
M. Corman : Outre les aspects mécaniques liés à l'octroi des contrats, il faudrait trouver une façon d'amener les comités d'éthique à se faire mutuellement confiance. Je ne pense pas que des comités nationaux ou régionaux constituent forcément une solution.
Le président : Monsieur Corman, je dirais que nous avons une idée des recommandations formulées. Nous voulons entendre parler des différentes possibilités envisageables, comme la création d'un comité d'éthique national. Tout le monde ne nous dit pas la même chose. Une autre solution serait de s'entendre sur ce que recherchent les comités d'éthique et d'amener chaque comité, chargé de veiller à ce que les procédures en œuvre au sein de leurs établissements sont éthiques, respecte des normes éthiques. Le cas échéant, le commanditaire d'un essai clinique pourrait se contenter de monter un seul dossier destiné à tous les comités. Pour l'instant, chaque comité peut exiger un dossier différent.
M. Corman : Oui, je pense...
Le président : N'argumentons pas sur la valeur globale. Nous voulons simplement énoncer les possibilités.
M. Corman : Permettez-moi de vous ramener à la recommandation du comité des experts qui est de mettre sur pied un organisme de coordination chargé des aspects sensibilisation, accréditation et élaboration des politiques. À cause du conflit d'intérêts, tout cela serait retiré aux commanditaires. Il doit s'agir d'une agence indépendante. Moyennant un financement relativement minime, vous pourriez mettre sur pied un tel organisme et réaliser ce que vous dites.
Le président : Nous avons pris note de votre suggestion qui est très importante. Merci.
Le sénateur Cordy : Nous voulons pouvoir faire des recommandations réalisables.
J'aimerais revenir sur l'idée que tout cela nous ramène à l'idée de collaboration entre les organismes du privé et les établissements universitaires. Monsieur Corman, je pense vous avoir entendu dire que la réglementation est différente selon qu'il s'agit d'essais privés ou d'essais réalisés en milieu universitaire, n'est-ce pas?
M. Corman : La réglementation est la même, mais le degré d'évaluation est différent. La réglementation concernant les essais cliniques s'applique à tout le monde. Cependant, le milieu universitaire n'est pas soumis à des évaluations aussi strictes que celles imposées au secteur privé. Pour m'être entretenu avec des inspecteurs ayant évalué le travail des centres universitaires, je sais que les normes appliquées ne sont pas les mêmes.
Et puis, il y a un autre enjeu essentiel qu'on oublie souvent : le Canada est le principal bénéficiaire, après les Américains, de fonds fédéraux en provenance des États-Unis pour les essais cliniques réalisés dans le monde. Les établissements qui acceptent un financement fédéral américain sont tenus de se conformer aux règlements américains.
Encore une fois, il faut se poser la question de l'harmonisation de nos pratiques afin d'en arriver à les uniformiser. Nous pouvons, à l'échelon national, veiller à ce que tous les établissements qui reçoivent ce genre de financement appliquent des démarches semblables, des procédures communes, des normes de qualité communes et ainsi de suite. Peut-être que cela devrait revenir aux IRSC.
Le sénateur Seth : Ma question sera très brève, parce que moi aussi je dois partir.
J'ai été impressionnée par ce que nous a appris le Dr Sharma au sujet des essais cliniques sur l'AVC. Je sais que l'AVC est la principale cause de décès et d'incapacité. Quels ont été les derniers essais cliniques réalisés en la matière? À quels problèmes se heurte-t-on actuellement?
Dr Sharma : Trois types d'essais cliniques en matière d'AVC en sont à trois phases différentes. Les essais de plus grande envergure, que je qualifierais de plus rentables, portent sur la prévention. Comme je le disais, nous sommes passés de 24 essais de ce type dans les années 1990 à 6 dans les années 2000. Je dirais que notre société a le plus à gagner de ce genre d'études sur la prévention.
La deuxième phase est constituée par des études sur les traitements intensifs. Nous savons que, pour le type le plus répandu d'AVC — celui causé par l'obstruction d'un vaisseau sanguin — les organes normalement alimentés par ce vaisseau ne sont plus oxygénés et ils meurent au bout d'un certain temps. On a constaté, dans les faits, que ce processus prend quatre à six heures. Nous avons mis au point des traitements qui permettent d'ouvrir le vaisseau congestionné, à condition qu'il soit administré dans ce délai de quatre à six heures. Je dois préciser que le Canada est novateur à cet égard. À Ottawa, notre taux de réussite du traitement après un accident ischémique cérébral est de 34 p. 100, contre 2 p. 100 pour tous les États-Unis, si bien qu'il n'y a aucune comparaison.
Nous savons que la mort est fonction du délai d'intervention, mais il y a d'autres aspects beaucoup plus complexes, comme le volume de cerveau qui peut être sauvé et celui pour lequel il n'y aura aucun retour. L'imagerie est une des techniques utilisées en recherche de pointe pour déterminer la partie du cerveau pouvant être sauvée. Nous avons atteint les limites des traitements par médicaments intraveineux et nous sommes en train de tester certains dispositifs permettant de dilater les vaisseaux sanguins.
Le sénateur Seth : Je comprends. J'ai été sur le terrain. Êtes-vous en train de tester un quelconque médicament spécialisé?
Dr Sharma : Il y en a plusieurs en développement. Pensez-vous à un état pathologique particulier?
Le sénateur Seth : Je pensais à l'AVC. Êtes-vous en train de tester un médicament quelconque permettant d'élargir la lumière artérielle?
Dr Sharma : Le dernier petit essai publié concernait le TNK, un thrombolytique, et l'on devrait entreprendre un essai beaucoup plus important.
Le sénateur Seth : C'est en attente. Parfait. Merci.
Le président : Je voudrais revenir sur une question qui a été soulevée à plusieurs reprises aujourd'hui. Celle-ci faisait partie des différents enjeux auxquels nous nous sommes intéressés lors de séances précédentes, c'est-à-dire la façon dont un essai clinique est organisé. Nous savons que l'idéal a toujours été de comparer tout nouveau produit à un placebo, la fameuse étude à double insu.
Il est de plus en plus établi — et le Dr Sharma nous a fort bien entretenu des tentatives déployées en vue de lutter contre ce phénomène — que jusqu'à 50 p. 100 des participants à des essais cliniques se rendent compte s'ils prennent un placebo ou un nouveau médicament. Soit dit en passant, ils semblent, pour cela, se fonder uniquement sur les réactions de leur organisme. Les gens ont tendance à penser qu'un nouveau médicament doit occasionner des effets et que la différence ne doit pas se limiter à la couleur de l'enrobage.
Il est donc prouvé qu'un pourcentage croissant de patients inscrits à des essais cliniques se rendent compte qu'ils participent à ces essais, ce qui pourrait avoir un autre type d'incidence parce qu'il existe, par ailleurs, l'effet placebo qui est parfaitement reconnu. D'après un rapport que j'ai lu, jusqu'à 80 p. 100 des médecins responsables d'essais cliniques ont deviné quels patients étaient sous placebo et lesquels étaient sous médication, ou du moins avaient une idée que tel était le cas.
Le deuxième problème, qui a également été mentionné aujourd'hui, est celui de l'éthique. Ce problème se pose quant on est en présence de personnes atteintes d'une maladie grave, pour laquelle il existe des médicaments, mais qu'on place sous placebo pour un essai clinique. C'est à cause de la façon dont les essais sont conçus.
C'est M. Corman, je pense, qui a cité la règle de la FDA applicable aux essais avec placebo, règle qui impose que les résultats prouvent de façon non équivoque qu'un nouveau médicament présente des avantages. D'ailleurs, avec le temps, la population est de plus en plus au courant et elle est de mieux en mieux renseignée sur toutes ces choses, si bien que les essais avec placebo sont remis en question, pour la raison que j'ai expliquée, surtout quand il existe déjà un médicament sur le marché. Que pensez-vous alors de la validité de l'essai? Dans certains cas, un nouveau médicament peut déjà faire l'objet d'essais reposant sur une comparaison avec un placebo ou avec des médicaments existants. Qu'en pensez-vous, monsieur Corman? Comme je vous ai cité, vous pourriez peut-être commencer.
M. Corman : Je suis d'accord avec vous pour dire que les choses ne sont plus aussi clairement définies qu'avant. À l'heure où l'on dispose de plus en plus de traitements et où l'on étudie des maladies de plus en plus complexes, la façon dont on planifie un essai avec placebo et le lieu où on le réalise revêtent une importance déterminante. Par exemple, un essai de courte durée sur le diabète, avec placebo, soit deux à six semaines — dans la mesure où vous appliquez les mesures de sécurité appropriées — pourrait se défendre.
Une étude de l'asthme sévère chez l'enfant, selon une technique aléatoire de comparaison avec un placebo ou avec un nouveau traitement, ne serait pas acceptable. Il est très difficile pour les commanditaires et les organismes de réglementation de mettre dans le mille.
J'ai perdu le fil de mes pensées. Je crois qu'il y avait un corollaire à votre question.
Le président : J'ai énoncé un certain nombre de fondements pour déterminer s'il y a lieu d'effectuer des essais...
M. Corman : Je me rappelle. J'allais vous donner un exemple. Revenons-en au Vioxx. Il y a eu une étude comparative entre le rofécoxib ou Vioxx et le naproxène sodique ou Naprosyn pour traiter l'ostéoarthrose du genou. Pas de placebo. On a constaté une incidence plus élevée de problèmes cardiovasculaires dans le cas du rofécoxib/Vioxx. Or, on n'en a pas tenu compte, parce que le médicament ne présentait pas d'effets cardioprotecteurs, contrairement au naproxène, ce qui expliquait logiquement l'incidence plus élevée de toxicité cardiovasculaire dans ce cas de figure. J'ai lu des publications dans lesquelles on disait que, si l'on avait utilisé un placebo dans cette étude, on aurait pu démontrer la toxicité du Vioxx. Là encore, on constate que le contexte dans lequel on utilise le placebo et la façon dont on l'utilise sont déterminants.
Le président : Excellent. Docteur Sharma, voulez-vous réagir?
Dr Sharma : Je vais essayer d'être le plus concis possible. Je dirais que, en général, il est difficile de justifier le recours à un placebo quand il existe un traitement efficace. Il existe bien sûr des justifications d'ordre scientifique, comme je l'ai souligné. Il arrive souvent que, après coup, les gens se plaignent : « Si j'avais fait ceci ou cela. » Ma position à cet égard est la suivante : je ne me lancerai jamais dans un essai auquel j'hésiterais moi-même à participer ou auquel j'hésiterais à faire participer ma mère ou ma fille. Nous voulons, avant toute chose, éviter de causer un préjudice aux participants qui se portent volontaires pour un essai. S'il existe un traitement efficace, il faut le donner.
Par ailleurs, vous vouliez savoir comment éliminer ou réduire au minimum les problèmes associés à la technique dite du double aveugle. Tout d'abord, il faut reconnaître que les gens font preuve de beaucoup d'ingéniosité pour déterminer ce qui leur arrive. On a entendu parler de cas de patients, participant à des essais cliniques, qui comparaient entre eux, pendant qu'ils étaient dans la salle d'attente, les comprimés qu'on leur avait donnés et pouvaient échanger ce qui leur avait été prescrit. Tant qu'on n'est pas tombé sur ce cas de figure, on ne sait pas que ça se passe.
Nous solutionnons ce problème de trois façons. D'abord, nous limitons les différences d'un traitement à l'autre. Supposons que l'essai repose sur un placebo. Je pourrais vous donner l'exemple de la niacine servant à traiter l'hypercholestérolémie. Elle provoque des bouffées de chaleur très caractéristiques. Dans le placebo que nous avons employé, nous avions glissé un agent bénin provoquant le même genre de bouffées de chaleur, afin que les gens ne puissent pas faire la différence avec le vrai médicament.
Deuxièmement, il y a l'évaluation à la sortie. Supposons qu'il soit difficile d'appliquer la technique du double aveugle. Dans ce cas, l'évaluation doit être réalisée par une personne qui ne sait pas qu'il s'agit d'un essai clinique et qui n'a pas accès à ce genre de renseignements. Il s'agit d'une évaluation à l'aveugle.
La troisième façon de contourner cette difficulté consiste à vérifier si l'identité du médicament a été révélée. Au terme d'essais auxquels nous avions participé, on m'avait demandé de deviner qui avait pris quoi. Il est possible que je ne sois pas aussi bon que les personnes englobées dans les statistiques que vous avez citées, mais j'ai toujours été très loin des 80 p. 100 de bonnes réponses. Les patients aussi sont invités à deviner. On part des renseignements recueillis à cette occasion, et je pose la question suivante aux patients : « Comment avez-vous pu deviner, si tel est le cas, que vous suiviez un véritable traitement? Qu'est-ce qui vous a mis sur la piste? »
Le président : Je vais poser une autre question, mais je vais enchaîner sur la réponse de M. Corman qui était excellente parce qu'elle nous a donné un bon exemple de biais inhérent à l'interprétation des données, dont le Dr Sharma nous a parlé tout à l'heure. Je pense d'ailleurs que l'exemple cité par M. Corman fait ressortir comment on peut avoir tendance à examiner les données dans ce genre de circonstances. Peut-être que, dans l'avenir, cet exemple extraordinaire pourrait être utile à la communauté clinique quant à la façon dont il faut examiner les résultats et les symptômes. C'est un processus évolutif.
Docteur Sharma, je me propose de passer à un autre aspect qui représente de plus en plus de difficultés pour les entreprises cherchant à mettre au point de nouveaux médicaments afin de lutter contre des maladies complexes. À cet égard, on peut penser à l'AVC.
On m'a fait part d'anecdotes où, avoir trouvé une molécule susceptible, selon eux, d'apporter une solution à une situation complexe, des responsables de laboratoires ont fait une crise de paranoïa au moment de passer aux essais cliniques définitifs parce qu'ils se disent qu'il suffit de tester un produit à la phase I et à la phase II pour que jaillissent d'autres problèmes dus à la complexité de la biologie humaine. D'après ce que j'ai compris, les laboratoires disent alors que l'essai n'a pas été correctement conçu, qu'ils sont aux prises avec un problème qu'ils doivent régler. Cependant, s'ils décident d'arrêter l'essai entrepris pour en concevoir un qui soit mieux adapté ou qui permette d'évaluer véritablement le médicament envisagé pour régler le symptôme clinique, ils risquent que leur molécule soit plus tard rejetée pour la même pathologie.
Que pensez-vous de l'idée de moduler des essais cliniques en fonction des constats réalisés en cours de route?
Dr Sharma : C'est vrai, les établissements pharmaceutiques qui entreprennent ce genre d'essais courent un énorme risque financier. Les essais auxquels nous participons coûtent chacun des centaines de millions de dollars. Je pense qu'il serait intéressant de retenir un certain nombre de principes pour modifier le plan d'étude. Dans la plupart des cas, le commanditaire ne doit pas avoir et n'a effectivement pas voix au chapitre au sujet du protocole, une fois que celui-ci a été arrêté. Les seuls pouvant intervenir à cet égard sont le comité directeur constitué des enquêteurs et le comité de surveillance de la sécurité des données.
Les exemples abondent dans notre domaine. Ainsi, un médicament destiné à soigner l'AVC aigu, dont la recherche était financée par les NIH, a provoqué des arrêts cardiaques chez plusieurs participants. Comme il se doit, l'essai a été arrêté. Les choses auraient pu s'arrêter là et on aurait pu renoncer aux essais. Cependant, l'agence commanditaire, les NIH, a invité l'équipe d'enquêteurs à trouver une solution. C'est alors qu'ils ont isolé un sous-groupe de patients pour qui le traitement avait été dangereux; ils ont modifié le protocole en conséquence pour exclure ce sous-groupe. Ces patients-là couraient un risque et ils n'auraient pas bénéficié du traitement. Les essais ont pu reprendre.
Je crois que le commanditaire ne devrait pas avoir son mot à dire au sujet du plan d'étude parce qu'il a ses idées préconçues, ce qui est normal : c'est un laboratoire qui a engagé énormément d'argent dans l'aventure. Les changements à apporter au plan d'étude ne doivent être décidés que par les enquêteurs et par le comité de surveillance de sécurité des données, sous la supervision des NIH ou de Santé Canada.
Il est question de mettre en œuvre de nouveaux plans d'étude, novateurs, faisant appel à ce qu'on appelle la randomisation adaptative selon laquelle on peut tester trois dérivés différents. Plutôt que de tester chaque produit l'un après l'autre, on peut conduire des essais en parallèle et décider d'abandonner tel ou tel composé si, en cours de route, et selon des règles statistiques, on considère qu'il n'est pas bénéfique. Je crois que cette méthode devrait nous permettre d'être plus efficaces.
Le président : Vous avez donc confiance que, pour des groupes de maladies complexes et dans des conditions de contrôle appropriées, il sera possible de modifier les essais pour permettre d'analyser en profondeur l'efficacité possible d'un médicament?
Dr Sharma : Oui.
M. Corman : Il a été démontré que la possibilité d'adapter les plans d'étude devrait permettre de repérer les candidats prometteurs et d'éliminer, dès le début, ceux qui risquent de poser problème. C'est dans ce cas qu'un plan d'étude modulable est le plus utile. Il faut être en mesure d'analyser les données et d'ajuster le tir en cours de route, mais je ne parlerai pas d'adaptation, peu importe le contexte.
Dès qu'on a pris la décision de soumettre un composé à des essais cliniques, Santé Canada pourrait effectivement collaborer avec les autres organismes de réglementation, avec la FDA et avec l'Agence européenne des médicaments, pour déterminer quels types d'études il convient d'entreprendre afin de prouver, comme il se doit, la sécurité et l'efficacité du composé. Dans l'avenir, cette formule pourrait permettre de solutionner bien des problèmes auxquels nous nous sommes heurtés dans le passé à cause du caractère idiosyncratique de notre approche. C'est sans doute là ce que nous pouvons faire de mieux.
Le sénateur Eggleton : Monsieur Corman, vous avez mentionné en passant le cas des médicaments dont l'utilisation n'est pas indiquée sur l'étiquette, mais je n'ai pas bien saisi la nature de vos réserves à ce sujet.
M. Corman : Je voulais sans doute dire que tout le travail des chercheurs qui consiste à faire des découvertes scientifiques, à mener des études scientifiques et à éprouver des idées se heurte au régime réglementaire et juridique en place. La possibilité donnée à un médecin de tester différents traitements et éventuellement de dresser un plan d'étude échappe au cadre juridique. Par exemple, le meilleur essai clinique qui soit, comme ce fut le cas avec l'étude JUPITER, peut démontrer certains effets, mais il ne donnera jamais lieu à une approbation réglementaire. Comment faire passer le message? Même s'il existe d'excellentes publications, comme le New England Journal of Medicine, les compagnies pharmaceutiques ne peuvent pas communiquer l'information comme elles le veulent. Il serait dangereux de promouvoir des médicaments dont l'utilisation n'est pas indiquée sur l'étiquette. Je ne suis pas favorable à cela, mais quand Pfizer reçoit une amende de 2,3 milliards de dollars pour avoir commercialisé des médicaments répondant à cette définition, ça jette un froid.
Là encore, on voit toute l'utilité des essais efficaces comparatifs, d'une recherche financée par les deniers publics qui aurait pour objet, par exemple, de favoriser l'étude d'utilisations non indiquées sur les étiquettes. Cependant, tout cela doit se faire dans un contexte ne présentant pas de risques, dans un environnement libre de toute menace pour les cliniciens, et non dans des conditions qui mettent un frein à l'innovation.
Le président : Nous entreprendrons une étude à part sur la question des indications non inscrites sur les étiquettes est nous reviendrons donc sur le sujet plus tard.
Le sénateur Eggleton : Pourrais-je préciser une chose? Je trouve très intéressant que vous ayez des bureaux à Toronto, Montréal et à Boca Raton, en Floride. Suivez-vous les retraités migrateurs?
M. Corman : C'est tout à fait fortuit. Un Canadien propriétaire d'une clinique au Canada, qui voulait prendre de l'expansion aux États-Unis, nous avait invités à mettre sur pied un comité d'éthique de la recherche, un IRB chez notre voisin du Sud, ce que nous avons fait avec plaisir. De plus, comme tout ce qui se fait sur le plan réglementaire au Canada est fonction de ce qui se passe aux États-Unis, il faut vraiment être au courant de la situation là-bas.
Le sénateur Seidman : Je voudrais que vous me parliez d'un autre problème concernant les plans d'étude en ce qui concerne certaines populations, certains sous-groupes qui ne sont généralement pas inclus dans les essais cliniques, comme les enfants, les femmes enceintes et les personnes âgées. Pouvez-vous nous faire part de vos réflexions à ce sujet?
M. Corman : Aux États-Unis, il existe une règle d'équité relativement à la sélection des sujets d'une étude, ce qui veut dire qu'il faut inclure a priori les groupes vulnérables comme ceux que vous avez cités, à moins qu'il existe une raison de les exclure. Le comité d'éthique a pour mission de pousser dans ce sens et, récemment, Santé Canada a publié des lignes directrices pour favoriser l'inclusion des femmes et des enfants dès les premières phases des recherches, à l'étape où le risque est le plus élevé. Reste à savoir comment on protège ces personnes. Je crois que le gouvernement a un rôle à jouer et qu'il devrait améliorer les mesures d'incitation et accroître les moyens mis en œuvre. Il faudrait pouvoir compter sur plus de chercheurs en mesure d'entreprendre ce genre de travail.
Le président : Incluriez-vous les personnes âgées dans une catégorie?
M. Corman : Parfaitement. Au nom de la pureté de la méthode scientifique et du modèle scientifique, il faut essayer de réduire au minimum le nombre de variables confusionnelles. Si vous respectez ces principes, il n'est plus possible d'extrapoler les résultats d'un essai clinique pour faire enregistrer un traitement acceptable pour la population en général. On a, inévitablement, de très mauvaises surprises.
Le sénateur Seidman : Qu'entendez-vous au juste par mesures d'incitation?
M. Corman : La protection des brevets. Cela a déjà été fait. Pour les plans de recherche en pédiatrie, les Européens exigent la réalisation de certaines recherches en pédiatrie afin que le médicament soit approuvé. Quand tel est le cas, le brevet bénéficie de six mois de protection supplémentaire. Ce genre de mesure peut être utile.
Quant à la recherche à effectuer pour démontrer qu'un médicament donnera les résultats escomptés pour la population en général, on en revient à la question de l'après-mise en marché. J'ai été heureux d'apprendre que vous allez tenir une autre réunion sur le sujet parce que je pense qu'il est très important de l'étudier.
Mme Stevenson : Juste une brève remarque pour dire qu'il conviendrait que la décision de payer pour ceci ou cela devrait être prise à l'échelon provincial. Il serait formidablement intéressant d'inclure cela dans les essais, autant que faire se peut. Il serait question de demander à certaines autorités de rendre une décision au sujet des médicaments. Par exemple, en l'absence d'études portant sur les personnes âgées — et il se trouve qu'en Ontario et dans bien d'autres provinces, la majorité des personnes assurées sont des personnes âgées — il serait beaucoup plus difficile de prendre ce genre de décisions. Je ne veux pas soulever la question des points d'accès, mais nous serions alors la cible de critiques parce que nous ne fournirions pas l'accès. Tout cela se ramène au fait que la question n'aurait pas été étudiée pour le groupe en question.
M. Corman : Je me disais simplement que toutes sortes de gens voudraient participer à ces études. Vous pourrez toujours vous interroger si vous avez 78 ans et que vous souffrez de telle et telle maladies. J'estime que le gouvernement fédéral se doit de promouvoir la participation aux essais cliniques. Il faudrait demander à Santé Canada d'améliorer sa performance sur ce plan.
Le président : La question du désir des gens appartenant à ces catégories de participer à de tels essais est distincte de celle consistant à déterminer s'il faut mener des essais, et nous comprenons bien ces deux aspects.
Dr Sharma : Si vous me permettez de vous parler de la question des personnes âgées, sachez que l'âge moyen pour un AVC au Canada est de 70 ans. Je dois vous avouer, sénateur, que ma définition de personne âgée change d'année en année, au fur et à mesure que je vieillis. Officiellement, c'est mon âge plus 17 ans.
On inclut ces personnes âgées à cause de la nature des pathologies étudiées. Je ferai deux remarques à cet égard. Premièrement, il faut se garder de supposer que les bienfaits démontrés chez une personne de 70 ans ne se retrouveront pas chez celle de 80 ans. On a tendance à dire que si un essai clinique concerne une population jusqu'à 80 ans, on ne peut pas se prononcer sur ce que donnera le traitement chez les gens de 82 ans. Pour le moment, les épidémiologistes estiment que si l'on a une bonne raison, pour cette population, de soupçonner qu'un traitement ne fonctionnera pas — ce qui peut être le cas — il convient alors de ne pas l'appliquer.
On a commis cette erreur dans le cas des hypotenseurs. À la façon dont on envisage la biologie, on se dit qu'il faut quelques années avant que ces médicaments fassent effet. Dans chaque segment de population étudié, ils ont permis de réduire le nombre d'AVC. Nous avons aussi constaté qu'ils permettent de réduire l'incidence de la démence et de la mortalité. En revanche, comme ces hypotenseurs n'ont pas été étudiés chez les personnes âgées, les médecins se sont montrés hésitants à appliquer le résultat des essais aux aînés. Or, on a réalisé une étude auprès de personnes de plus de 85 ans et savez-vous ce qu'elle a donné? Eh bien, on s'est rendu compte qu'elles bénéficient tout autant que les plus jeunes de ce genre de traitement.
M. Corman : Revenons-en au contexte réglementaire et à cette question des utilisations non indiquées sur l'étiquette. Supposons qu'un médicament soit approuvé pour des personnes jusqu'à 70 ans, que les médecins ne tiennent pas compte de cette limite supérieure et qu'il y ait un gros problème. On comprend dès lors que se pose la question de leur responsabilité juridique. Je suggérerais que vous vous penchiez également, si vous le pouvez, sur ces aspects-là.
Le président : C'est pour cela que nous avons imaginé que cette étude se ferait par modules, c'est pour nous permettre d'examiner le tout. Vous avez fait de bonnes remarques.
Madame Stevenson et docteur Sharma, si vous souhaitez ajouter quoi que ce soit après votre départ, pour préciser quelque chose ou mieux nous renseigner — au sujet de la publication, de la diffusion publique obligatoire des résultats négatifs des essais —, nous serions très heureux de vous lire. Vous avez été très clairs dans certaines de vos réponses. Je ne suis pas en train de vous dire que nous n'avons rien compris, mais c'est que la chose est importante. Monsieur Corman, je vous invite à réfléchir sur cela...
Je me suis adressé à vous deux, parce que c'est vous qui avez précisément parlé de cet aspect. De toute façon, nous serions heureux de recevoir des compléments d'informations de tous les témoins.
En outre, s'il vous vient à l'esprit un exemple précis ou si vous pensez à un aspect particulier d'une question, n'hésitez pas à nous en faire part. Nous serons très heureux de voir ce que vous avez à nous dire de plus entre maintenant et le parachèvement de notre rapport sur ce thème. Si vous pensez à d'autres questions que vous souhaitez porter à notre attention, faites-le le plus vite possible.
Vous n'aurez pas manqué de remarquer, parce que ça vous a été dit, que nous avons beaucoup apprécié votre honnêteté et la clarté de vos propos sur ces questions importantes. Au nom du comité, je vous remercie et je déclare maintenant la séance levée.
(La séance est levée.)