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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 7 - Témoignages du 6 mars 2012


OTTAWA, le mardi 6 mars 2012

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 33, dans le cadre de son étude sur les nouveaux enjeux que sont ceux du secteur canadien du transport aérien.

Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je déclare la séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications ouverte.

[Traduction]

Ce matin, nous poursuivons notre étude du transport aérien au Canada. Nous sommes heureux d'accueillir M. Ambarish Chandra, qui est professeur adjoint d'économie d'entreprise à la Rotman School of Management, à l'Université de Toronto. M. Chandra a étudié le phénomène des Canadiens qui vont prendre l'avion aux États-Unis.

Je vous remercie d'être venu discuter avec nous ce matin, monsieur Chandra.

Ambarish Chandra, Rotman School of Management, Université de Toronto, à titre personnel : Mon nom est Ambarish Chandra et je suis professeur adjoint d'économie d'entreprise à l'Université de Toronto. Pour vous situer un peu, je dirai que j'ai obtenu mon doctorat en économie à l'Université Northwestern en 2006. De 2006 à l'an dernier, j'ai enseigné à l'Université de la Colombie-Britannique à Vancouver. Dans ma recherche, je me suis penché sur la concurrence entre les entreprises et les habitudes des consommateurs dans des industries comme les médias, l'essence, l'automobile et le transport aérien ainsi que, récemment, le taux de change entre le Canada et les États-Unis, et les questions transfrontalières.

Je suis heureux d'être ici aujourd'hui pour discuter de la question de l'industrie du transport aérien au Canada. Je diviserai mes commentaires en trois parties. Je décrirai d'abord le phénomène des Canadiens qui choisissent des vols en partance des États-Unis plutôt que du Canada. Ensuite, je parlerai des raisons qui motivent ce comportement et de l'augmentation récente du phénomène. Finalement, je présenterai mon opinion sur ce qu'on pourrait faire pour remédier à la situation.

D'abord, des preuves considérables démontrent maintenant qu'un nombre grandissant de Canadiens choisissent les aéroports américains pour s'envoler vers une destination aux États-Unis ou ailleurs dans le monde. Malgré l'étendue des reportages des médias au sujet de cette pratique, il est difficile d'obtenir des chiffres précis sur l'ampleur du phénomène. Dans le cadre de mes recherches, menées en partie avec mon ex-collègue Keith Head à l'Université de la Colombie-Britannique, nous avons tenté d'estimer la portée de cette pratique. En nous fondant sur des données de l'Agence des services frontaliers du Canada et de Statistique Canada, nous avons tenté d'estimer le nombre de Canadiens qui choisissent des vols en partance des États-Unis. Le graphique de l'annexe 1 — et j'espère que vous l'avez — illustre la croissance de la fraction des résidants canadiens qui choisissent des vols en partance des États-Unis. Il s'agit de la série de chiffres en bleu dans ce graphique qui couvre une période de 20 ans. Chaque chiffre correspond simplement au pourcentage des Canadiens qui sont allés aux États-Unis en voiture pendant au moins une journée et qui ont affirmé avoir pris l'avion pendant ce séjour. Ces chiffres sont fondés sur les déclarations des intéressés et ne sont pas tout à fait fiables, mais il est utile d'examiner leur croissance au fil des ans. En règle générale, Statistique Canada constitue avec soin ses échantillons et pondère ses résultats. Nous avons donc bonne confiance dans la valeur de ces chiffres, en particulier les taux de croissance.

Regardez la ligne bleue. Elle montre que la fraction des Canadiens qui choisissent des vols en partance des États- Unis est passée d'environ 1 p. 100 en 1990 à environ 7 p. 100 aujourd'hui. Concrètement, cela signifie que plus de 600 000 résidants canadiens ont pris des vols en partance des États-Unis plutôt que du Canada. C'est pour l'an dernier.

Les transporteurs aériens des États-Unis augmentent leurs offres à tarifs réduits aux aéroports situés près des villes canadiennes. L'augmentation des options de vol en partance de Burlington, au Vermont, de Bellingham, dans l'État de Washington, et de Buffalo, non loin de Toronto, vise sans aucun doute à attirer les résidants canadiens. Stratégiquement, U.S Airlines offre également des vols qui sont destinés presque entièrement aux Canadiens, et non aux Américains. Alaska Airlines a récemment ajouté un service sans escale vers Hawaii en partance de l'aéroport de Bellingham. Ces aéroports américains à tarifs réduits offrent des renseignements à jour sur les moyens de transport en partance et à destination de villes canadiennes. Sur leurs sites Web, ils affichent des données en temps réel sur les délais à la frontière, les trajets qui mènent à l'aéroport, les services d'autobus et de train, et cetera. Cela montre clairement qu'ils sont bien au fait du marché canadien et qu'ils tentent de lui plaire. Ces pratiques n'ont pas échappé à l'attention des aéroports canadiens et d'autres organisations qui dépendent des passagers aériens au Canada. Il y a environ un an, mon collègue Keith Head et moi avons été consultés par la haute direction de l'aéroport international de Vancouver, qui s'inquiétait du nombre croissant de résidants du Lower Mainland de la Colombie-Britannique qui utilisaient les aéroports de l'État de Washington. Elle a commandé une enquête sur les résidants de la Colombie-Britannique qui avaient pris des vols en partance des États-Unis et étudié les raisons qui les motivaient à le faire. Tous ces voyageurs ont dit le faire en raison des tarifs plus élevés au Canada qu'aux États-Unis. Je suis certain que d'autres aéroports canadiens sont également préoccupés par la perte de passagers au profit de rivaux américains situés à proximité.

Il est important de reconnaître que l'augmentation du nombre de passagers d'outre frontière a des répercussions non seulement sur les transporteurs canadiens, mais également sur les autres entreprises canadiennes qui offrent des services de soutien à ces voyageurs, par exemple les stationnements et les commerces aux aéroports canadiens, les hôtels à proximité des aéroports, les services de taxis dans les grandes villes et, bien sûr, les administrations municipales, les gouvernements provinciaux et, évidemment, le gouvernement fédéral, qui perçoivent des droits sur les voyages aériens.

J'aimerais maintenant commenter les raisons qui, selon moi, expliquent ce phénomène. La première raison, la plus évidente, est le taux de change Canada-États-Unis. Le dollar canadien est actuellement très fort par rapport au dollar américain, sur le plan historique. Le dollar canadien se maintient plus ou moins au-dessus de la parité par rapport au dollar américain depuis plus de deux ans. Si vous consultez l'annexe l, j'ai tracé en rouge l'évolution du taux de change Canada-États-Unis. C'est de l'information que l'on connaît bien. Après avoir été passablement sous-évaluée au début de la décennie, la devise canadienne s'est beaucoup appréciée à partir de 2002. Sa valeur a chuté à nouveau en 2009, mais elle est revenue au-dessus de la parité depuis. Vous voyez que ces deux séries se correspondent à peu de choses près au cours de la dernière décennie : le nombre de Canadiens qui prennent des vols aux aéroports américains a augmenté à mesure que la valeur de notre devise augmentait, mais il n'est pas entièrement assujetti au taux de change. La baisse du dollar canadien en 2009 ne s'est pas accompagnée d'une diminution du nombre de voyageurs qui ont pris des vols en partance des États-Unis. Il semble donc que d'autres facteurs que le taux de change interviennent à cet égard.

La deuxième raison est que le coût des billets d'avion vers des destinations américaines ou internationales est souvent plus élevé aux aéroports canadiens que celui de vols comparables en partance des aéroports américains. Deux raisons expliquent cette situation. D'abord, on croit généralement que les transporteurs aériens doivent payer des taxes, des frais d'améliorations aéroportuaires et des redevances d'atterrissage plus élevés au Canada. Comme je le soulignerai dans une minute, cette opinion n'est pas nécessairement appuyée par les données. Deuxièmement, il y a beaucoup moins de concurrence sur la majorité des itinéraires en partance d'aéroports canadiens, que ce soit pour les vols intérieurs, transfrontaliers ou internationaux. La différence tarifaire entre les vols en partance des États-Unis et ceux en partance du Canada peut donc être énorme.

Regardons un instant l'annexe 2, qui présente des données sur ce qu'il en coûte de plus pour prendre un vol à un aéroport canadien. L'annexe 2 illustre les données sur le coût relatif des vols vers les cinq principales destinations américaines. J'ai utilisé pour ce faire des données concrètes et très détaillées sur le coût du billet à partir des trois grands aéroports canadiens ainsi que de leurs plus proches concurrents aux États-Unis et j'ai tracé une ligne correspondant au supplément que l'on paie aux aéroports canadiens ou, plus exactement, au prix demandé par les transporteurs aériens canadiens.

La ligne rouge, par exemple, montre la différence de coût d'un vol en partance de Toronto plutôt que de Buffalo à destination des cinq principales destinations où les Canadiens de Toronto tendent à se rendre par avion. Vous constatez que le supplément était d'environ 60 p. 100 en 2002. Il a dépassé les 100 p. 100 en 2007, ce qui signifie qu'il en coûtait plus de deux fois plus cher pour partir de Toronto vers les cinq principales destinations des Canadiens que pour partir de Buffalo. Cette proportion est en recul depuis quelques années, mais elle est encore de près de 75 p. 100, et c'est énorme. Il est certain que les voyageurs réagissent à cette différence des tarifs.

Le supplément n'est pas aussi élevé à Vancouver et à Montréal, mais il est tout de même considérable. Il est supérieur à 25 p. 100 et plus près de 30 p. 100 dans ces deux aéroports.

En passant, j'ai tracé le graphe des tarifs pour les cinq principales destinations à partir de chacun de ces aéroports. En principe, les Canadiens qui partent de Toronto ne vont évidemment pas aux mêmes endroits que ceux qui s'envolent de Vancouver. Les habitants de Vancouver ont tendance à aller en Californie ou à Hawaï. Les personnes qui vivent dans l'est du Canada vont plutôt en Floride ou à New York. Néanmoins, nous avons tenu compte de tout cela, et c'est ce qu'il nous en coûte de plus pour prendre l'avion aux aéroports canadiens.

L'annexe 3 fournit certains détails quant à la cause de la différence tarifaire entre les aéroports américains et les aéroports canadiens et, de fait, entre ces transporteurs aériens. Le premier graphique de l'annexe 3 compare les tarifs à destination de l'aéroport O'Hare, à Chicago, à partir de Vancouver et de ses deux compétiteurs américains ainsi que de Toronto et de son concurrent, Buffalo. Premièrement, nous constatons que la différence des tarifs est énorme, comme le montre la figure précédente. L'essentiel de cette différence, toutefois, est attribuable aux frais des transporteurs aériens et non pas aux droits perçus par les gouvernements ou aux frais d'amélioration aéroportuaire. Comme vous le voyez, la différence entre les frais perçus aux aéroports américains et canadiens est minime.

Ces aéroports perçoivent uniquement les frais d'amélioration aéroportuaire. Nous ne tenons pas compte des redevances d'atterrissage, parce que nous n'avons pas de données sur ces redevances. Je crois que les aéroports canadiens perçoivent des redevances d'atterrissage plus élevées parce qu'ils paient des loyers supérieurs. C'est sans doute une question dont vous avez entendu parler ces dernières semaines. Je ne peux pas me prononcer sur cette question. Nous n'avons pas de données publiées sur lesquelles nous pourrions fonder nos commentaires. Quoi qu'il en soit, il semble évident que les transporteurs aux aéroports canadiens exigent, pour la même destination, des tarifs de base nettement plus élevés. Cela est vrai si vous comparez Vancouver aux deux aéroports de l'État de Washington. Si vous prenez Toronto et Buffalo, cette différence est également évidente. L'essentiel de la différence du coût final du billet est attribuable à la différence entre les prix exigés par les transporteurs aériens, et non pas aux taxes. Je ne vais pas commenter les autres frais, mais il y a également des données qui révèlent que cela vaut aussi pour les vols en partance de Montréal et de Vancouver.

J'aimerais maintenant présenter mon opinion sur ce qu'on pourrait faire pour remédier à la situation. J'aimerais d'abord souligner qu'il est à l'avantage des Canadiens que les aéroports et les transporteurs américains offrent plus de services aux voyageurs canadiens, c'est un aspect dont nous profitons incontestablement. Il est également positif qu'un dollar plus fort soit à l'origine de ce développement.

Malgré le débat national qui a eu lieu ces dernières semaines au sujet de la force du dollar, il est important de noter qu'un dollar plus fort représente presque toujours un avantage net pour le Canada, bien que je reconnaisse que cela puisse nuire à certaines régions et à certaines entreprises. Toutefois, si l'on tient compte de l'ensemble de l'économie canadienne, les avantages qu'un dollar fort offre aux consommateurs et son effet régulateur de l'inflation l'emportent sur les pertes de certaines entreprises exportatrices.

Mon deuxième point concerne les raisons structurelles fondamentales qui expliquent pourquoi la concurrence aérienne est plus faible au Canada, tant pour les vols intérieurs que pour les vols internationaux. Il est utile de comparer l'industrie du transport aérien au Canada à celle des États-Unis et d'autres pays. Le Canada possède un grand transporteur, Air Canada, et un transporteur intérieur intermédiaire, WestJet. Ensemble, ils occupent plus de 90 p. 100 du marché. Les autres transporteurs ont très peu de poids sur le plan de la concurrence.

Exploiter avec succès un grand transporteur exige une envergure considérable des opérations, et la population du Canada n'est pas assez importante pour soutenir deux grands transporteurs. Cette réalité a été clairement illustrée pendant la période où Canadien International et Air Canada existaient concurremment. Les deux transporteurs avaient énormément de difficulté à se maintenir. À titre de comparaison, les États-Unis, avec une population dix fois supérieure à la nôtre, peuvent supporter de six à huit grands transporteurs, et ce, malgré une fusion récente dans ce pays.

La situation est différente dans les pays européens qui, habituellement, n'ont pas non plus la population voulue pour appuyer plus d'un transporteur. Cependant, la petite superficie des pays européens ainsi que leurs réseaux ferroviaires plus développés font en sorte qu'il ne s'agit pas d'un problème très important. Les vols de plus d'une heure traverseront presque toujours des frontières, ce qui permet à plusieurs transporteurs de se livrer concurrence sur ces itinéraires, alors que les réseaux ferroviaires rapides d'Europe représentent une concurrence appropriée pour les vols plus courts. Les transporteurs aériens d'Europe doivent donc soutenir une concurrence considérable.

La situation unique du Canada ne favorise pas la concurrence aérienne. La population ne suffit pas pour justifier l'existence de plus d'un grand transporteur, quoique notre superficie soit la même que celle des États-Unis. De plus, la dispersion est-ouest de la population ainsi que notre isolement géographique par rapport aux autres pays aggravent le problème.

Par conséquent, il n'y a tout simplement pas assez de concurrence dans le secteur des transporteurs intérieurs pour aligner les prix sur ceux des États-Unis ou d'ailleurs dans le monde. Ce problème ne se limite pas aux vols intérieurs, il touche aussi les vols internationaux. Les Canadiens qui vivent en dehors des grandes villes doivent presque toujours faire escale dans les aéroports des grands centres. Il s'agit là d'un immense avantage pour les transporteurs canadiens, et essentiellement pour Air Canada, qui peuvent alors exiger des frais considérablement plus élevés pour les vols internationaux. Pour cette raison, je crois que le Canada doit être vraiment disposé à prendre des mesures audacieuses pour favoriser la concurrence dans le secteur du transport aérien.

Je proposerais de commencer par assouplir la réglementation en matière de cabotage, c'est-à-dire la pratique pour les entreprises de transport étrangères d'offrir des services intérieurs. Le Canada devrait en particulier permettre aux transporteurs étrangers d'exploiter des vols point à point entre les villes canadiennes, s'ils le désirent. Cette proposition permettrait aux transporteurs américains et européens d'offrir des services entre Montréal, Toronto et Vancouver, des villes canadiennes qu'ils desservent déjà. Les médias indiquent que les transporteurs européens souhaiteraient fournir de tels services, si la réglementation le leur permettait. Il n'est pas évident que les transporteurs américains suivraient le mouvement, en raison de l'importance de leur réseau en étoile, mais il s'agit d'une option qu'il vaut certainement la peine d'envisager.

Bien sûr, la majorité des pays interdisent le cabotage, mais comme je l'ai mentionné, la situation du Canada est unique et le pays se doit d'envisager des mesures non conventionnelles qui ne sont peut-être pas nécessaires dans d'autres pays. Les États-Unis et la majorité des pays européens ne profiteraient pas vraiment d'un assouplissement de la réglementation en matière de cabotage, mais le Canada a tout à y gagner. Pour cette raison, je crois que le Canada devrait envisager d'assouplir de façon unilatérale la réglementation en matière de cabotage, même si les autres pays ne suivent pas le mouvement. Cette solution profiterait grandement aux voyageurs canadiens.

Je reconnais que cette proposition se heurterait à de sérieux obstacles politiques ainsi qu'à une forte opposition de la part des transporteurs canadiens. Ma deuxième proposition est donc moins audacieuse mais, avec un peu de chance, plus réaliste.

Actuellement, la réglementation en matière de cabotage interdit également aux Canadiens de prendre des vols avec correspondance à bord de transporteurs américains pour voyager entre deux villes canadiennes. Autrement dit, un passager ne peut pas aller de Vancouver à Montréal en passant par Chicago à bord d'un vol de United ou d'American, même si ces transporteurs offrent ces deux trajets. La logique derrière cette idée est que si les transporteurs américains offrent ces itinéraires, c'est comme s'ils offraient des vols intérieurs au Canada. Cela démontre bien la perversité de la politique du transport aérien. S'il est effectivement moins coûteux pour les transporteurs américains d'offrir un service avec correspondance aux États-Unis, c'est-à-dire de faire traverser la frontière deux fois aux passagers et de payer les coûts relatifs au changement d'avion et au transfert des bagages, que ce qu'il en coûte aux transporteurs canadiens pour offrir un vol point à point au Canada, on devrait encourager les consommateurs à choisir ces options, et les transporteurs américains devraient pouvoir commercialiser ces itinéraires auprès des passagers.

En définitive, la politique publique au Canada devrait être conçue au profit des citoyens canadiens et des contribuables, et non pas servir les intérêts des grandes sociétés privées. J'encourage fortement le comité à envisager l'assouplissement de la réglementation interdisant les vols avec arrêt dans des aéroports américains, qui empêche actuellement les transporteurs américains de faire concurrence aux transporteurs canadiens. Conformément à la proposition qui précède, je crois que le Canada devrait envisager d'assouplir la réglementation de façon unilatérale, même si rien n'indique que les États-Unis emboîteront le pas.

Pour terminer, j'aimerais parler des vraies conséquences des tarifs aériens élevés au Canada et de ce que cela signifie pour nos citoyens. L'annexe 4, un simple tableau, illustre le nombre de passager-milles parcourus par habitant sur des vols intérieurs au Canada, comparativement à ce nombre aux États-Unis. Ce sont des chiffres par habitant, ce qui neutralise les effets de la population beaucoup plus importante des États-Unis.

Le graphique montre que le nombre de milles parcourus par habitant par les Canadiens est plus de deux fois moindre qu'aux États-Unis. Ce résultat ne dépend pas de la distribution géographique de la population des deux pays. Si tel était le cas, il devrait y avoir plus de Canadiens qui prennent l'avion, et non pas moins. Il se peut que ce phénomène soit attribuable à une faible intégration entre les provinces ou, peut-être, aux barrières linguistiques, mais un facteur très important qui explique probablement cette énorme différence est simplement le coût des voyages aériens qui est beaucoup plus élevé au Canada. Je crois que ces tarifs plus élevés incitent les Canadiens à moins prendre l'avion que nos voisins américains, et lorsque nous le faisons, nous payons beaucoup plus cher.

Nous devrions être clairs au sujet de ces tarifs élevés et du petit nombre de déplacements. Non seulement les Canadiens prennent moins l'avion pour aller voir leurs amis et leurs familles, mais en outre ils prennent moins l'avion pour les affaires et le travail. La politique gouvernementale qui protège une industrie finit par nuire à toutes les autres industries et entreprises qui sont tributaires des voyages aériens. On ne parle pas simplement d'industries comme les hôtels et les aéroports, qui fournissent des services de soutien aux transporteurs, mais également des clients des transporteurs — les personnes qui voyagent par agrément et celles qui voyagent pour raisons d'affaires. Je suis certain que nos transporteurs intérieurs s'opposeront à toutes les mesures qui pourraient être prises pour stimuler la compétition dans le transport aérien au Canada, mais par contre je crois que le monde des affaires en général ainsi que les Canadiens ordinaires appuieront ces mesures.

Pour dire les choses comme elles sont, les gouvernements canadiens ont manifesté une tendance regrettable à prendre le parti de l'industrie du transport aérien plutôt qu'à favoriser les intérêts des consommateurs canadiens. Le choix est très clair, si nous continuons d'élaborer la politique publique en fonction des intérêts de cette industrie, nous ne devrions pas nous étonner des tarifs aériens plus élevés au Canada, des faibles taux de déplacement des Canadiens et du flux croissant de voyageurs qui vont prendre l'avion au sud de la frontière.

Le président : Merci, monsieur Chandra.

Le sénateur Eggleton : Il me semble que vous êtes prêt à sacrifier Air Canada et une industrie nationale pour permettre à des entreprises étrangères de venir embarquer des passagers au Canada. Avez-vous étudié l'impact de cette mesure sur l'emploi et sur l'industrie aérospatiale? Vous avez dit que l'accroissement de la concurrence aurait des effets positifs pour les voyageurs d'agrément et les personnes qui voyagent par affaire, mais qu'en est-il des conséquences nocives? Vous êtes- vous penché sur cet aspect?

M. Chandra : Il y aurait certainement des conséquences négatives, mais je crois qu'elles seraient minimes. Au pire, les transporteurs aériens étrangers envisageraient d'assurer la liaison uniquement entre les grandes villes canadiennes. Ils n'auraient ni les ressources ni la structure nécessaires pour offrir un service entre les petites villes canadiennes. Nous parlons essentiellement de vols entre Vancouver, Montréal et Toronto.

Même s'il y a des conséquences pour Air Canada, la politique gouvernementale devrait viser à protéger les intérêts du Canada dans son ensemble, plutôt que ceux d'une entreprise privée et, essentiellement, Air Canada est une société privée. Nous devrions déterminer la politique en fonction des intérêts de tous les Canadiens, que ce soit les voyageurs ou les industries de soutien qui comptent sur eux. Toutes les industries qui sont tributaires du transport aérien subissent le contrecoup des faibles taux d'utilisation et des tarifs élevés de cette industrie.

Par ailleurs, vous avez mentionné l'emploi. Si les transporteurs américains ou européens devaient offrir des services entre certaines villes canadiennes, cela ne réduirait pas l'emploi parce qu'ils devraient embaucher des travailleurs canadiens pour exploiter les vols et gérer les activités aux portes d'embarquement dans ces villes. Cette situation n'accroîtrait pas l'emploi à l'étranger, elle l'accroîtrait ici même, au Canada. Les voyageurs utiliseraient les aéroports canadiens, ils paieraient des taxes et des redevances d'atterrissage au gouvernement canadien, et des travailleurs canadiens seraient embauchés. Pour ces raisons, je ne m'inquiéterais pas du tout de l'emploi.

Je conviens certainement qu'Air Canada et d'autres transporteurs aériens s'opposeraient à cette mesure. Essentiellement, si nous voulons élaborer une politique qui profite à l'ensemble du pays, nous ne devrions pas accorder trop d'importance aux intérêts d'une seule entreprise privée.

Le sénateur Eggleton : Oui, mais une grande partie des activités de gestion et d'administration seraient menées au siège social, à l'extérieur du pays, alors cela aurait quand même des effets sur l'emploi, pas seulement pour les gens qui assurent les services au sol. J'aimerais savoir ce que vous pensez de cela.

J'aimerais également vous demander autre chose. Nous avons un grand pays et nous avons toujours tenu compte des besoins des habitants des régions éloignées en matière de déplacements. Est-ce que la situation ne deviendrait pas terriblement plus difficile pour eux parce que les transporteurs étrangers ne voudront pas desservir le nord ou assurer la liaison entre des collectivités éloignées? Effectivement, nous les isolerions du reste du Canada.

M. Chandra : Cela nous ramène à la structure actuelle des services aux points éloignés. Si je comprends bien, même si cela ne ressort pas clairement des données publiées, Air Canada et les transporteurs nationaux exigent un supplément sur les trajets très fréquentés pour subventionner le service sur les autres trajets. Il vaudrait mieux élaborer la politique de façon à ce que le gouvernement subventionne explicitement ces trajets qui risquent d'être mal desservis par la concurrence dans le transport aérien et à permettre une concurrence féroce sur les trajets importants entre les grandes villes canadiennes, plutôt que de laisser les transporteurs aériens actuels imposer un supplément sur ces trajets.

Je reconnais que les transporteurs étrangers ne verraient pas d'avantages à offrir des services aux collectivités éloignées, et c'est normal. Toutefois, si cela est important sur le plan de la politique, le gouvernement devrait subventionner les transporteurs aériens nationaux du Canada pour assurer ces services, plutôt que de les laisser implicitement prélever un supplément sur les trajets très fréquentés pour financer le service sur les trajets moins fréquentés.

Le sénateur Eggleton : Je ne sais pas si ces transporteurs canadiens peuvent survivre au cabotage. Il n'y en aura peut- être pas autant pour assurer les services que selon vous le gouvernement devrait subventionner.

M. Chandra : Je ne pense pas que les effets soient aussi graves que ce que vous envisagez. Nous parlons d'autoriser quelques concurrents étrangers à assurer la liaison entre les grandes villes du Canada. Les transporteurs aériens nationaux du Canada ont encore un énorme avantage : ce sont des entreprises canadiennes. Air Canada a le nom, le logo et une relation établie depuis des lustres avec la clientèle des voyageurs. Tout cela ne disparaîtra pas et ne souffrira même pas de la situation. Cette proposition fournirait simplement un certain niveau de concurrence sur certains trajets.

Le sénateur Eggleton : Ce sont les routes où ils font des profits.

M. Chandra : Nous devons limiter la participation sur ces trajets. Je suis certains qu'ils s'y opposeraient, mais je ne crois pas qu'ils en souffriront beaucoup.

Le sénateur Eggleton : Vos graphiques montrent les frais des transporteurs aériens aux aéroports frontaliers, par exemple Buffalo et Seattle. À quoi correspond le loyer du fond de terre? Je ne vois pas cet élément sur le graphique. Est- ce qu'il est inclus dans les coûts des transporteurs aériens? Autrement dit, est-ce que les aéroports répercutent ces coûts et d'autres frais sur les transporteurs aériens? Il se pourrait que bien des interventions gouvernementales y soient reflétées.

M. Chandra : Parfaitement. Je n'ai pas ces chiffres dans le graphique parce que nous n'avons pas de données sur les niveaux du loyer du fond de terre et les coûts de location que les aéroports exigent des transporteurs aériens. Cette information n'est pas publiée. Ils perçoivent certainement des loyers élevés, notre recherche indépendante le montre. Je suis certain qu'on vous en a également parlé.

Le sénateur Eggleton : Les Américains n'ont rien de tel.

M. Chandra : C'est vrai, mais une petite partie de la différence est également exagérée, et les aéroports canadiens protestent avec trop de véhémence.

C'est vrai que c'est un important facteur, et il est difficile de l'isoler.

Le sénateur Eaton : J'ai plusieurs points à aborder. Est-ce qu'une meilleure infrastructure pour le service ferroviaire à grande vitesse entre des villes comme Montréal, Toronto, Ottawa, Calgary et Edmonton serait considérée comme une concurrence pour Air Canada?

M. Chandra : Plus il est efficace et faisable pour les voyageurs de prendre ces trains et plus il y aura de concurrence, c'est parfaitement exact.

Le sénateur Eaton : Est-ce que cela serait bon?

M. Chandra : Certainement.

Le sénateur Eaton : Quels sont les coûts de main-d'œuvre d'Air Canada et de WestJet relativement à ceux des transporteurs aériens américains? Sont-ils comparables?

M. Chandra : Nous n'avons pas obtenu ces chiffres séparément pour pouvoir les analyser, mais d'après ce que j'ai pu voir, ils sont maintenant supérieurs à ceux des transporteurs américains, mais plus ou moins du même ordre.

Le sénateur Eaton : Le cabotage serait commode pour aller en France, par exemple, parce que vous n'auriez pas besoin de prendre un vol d'Air Canada vers Montréal puis un vol d'Air France jusqu'à Paris. Air Canada aurait plus de chance d'accroître sa compétitivité financière s'il devait le faire.

M. Chandra : Je crois que c'est vrai. Vous avez sans doute entendu les témoignages de cadres d'Air Canada et d'autres transporteurs aériens. Il est certain qu'ils se plaindraient des loyers du fond de terre dans les aéroports et des coûts plus élevés de la main-d'œuvre. Je suis convaincu que ces facteurs sont importants et poussent les coûts à la hausse au Canada. Toutefois, tant qu'il n'y aura pas suffisamment de concurrence, ils pourront toujours invoquer quelque chose pour expliquer la différence. Plus la concurrence est intense, et plus toutes ces entreprises devront trouver des façons de régler le problème et d'exercer des pressions sur leurs fournisseurs et leurs partenaires pour accroître leur compétitivité. Tant que nous serons en situation de duopole, ils seront peu portés à chercher des moyens de réduire ces coûts. On pourrait peut-être envisager de réduire les loyers du fond de terre aux aéroports.

Le sénateur Eaton : Ils nous ont tous dit que même si les loyers du fond de terre étaient réduits, ils n'abaisseraient pas nécessairement leurs tarifs.

M. Chandra : Évidemment. Disons que nous abolissons les loyers du fond de terre aujourd'hui. Les tarifs diminueraient sans doute quelque peu, mais pas autant que si l'industrie était véritablement compétitive.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vous félicite pour votre mémoire qui est vraiment intéressant. Je suis d'accord avec vous pour dire que le Canada ne peut concurrencer avec les États-Unis sur la même base. Nous avons des paramètres démographiques et géographiques complètement différents.

Je pense que votre mémoire nous montre des éléments de solutions très créatifs, et je vous en félicite. Il va falloir sortir des sentiers battus. On ne peut pas faire compétition avec les mêmes outils.

Les graphiques dans votre document me font penser à l'impression que j'avais lorsque les compagnies aériennes venaient nous voir et nous laissaient entendre que la différence de coûts entre les tarifs canadiens et américains était la faute du gouvernement.

Selon votre graphique, les coûts gouvernementaux semblent à peu près les mêmes entre le Canada et les États-Unis de même que la charge aéroportuaire, mais cela n'explique pas la grande différence de coûts entre Vancouver et Seattle. Quand on regarde les frais des compagnies aériennes, il y a un écart énorme.

Les frais d'administration d'un aéroport canadien sont-ils différents de ceux d'un aéroport américain?

Prenons l'exemple des conseils d'administration. Pour les aéroports canadiens, les administrateurs n'ont-ils pas des jobs en or, trop payées peut-être? Les conventions collectives n'offrent-elles pas non plus des conditions trop en or dans ce secteur, ce qui ferait en sorte que la différence entre les coûts canadiens et américains viendrait strictement des frais d'administration d'un aéroport? L'administration des aéroports relevait de compétence gouvernementale par le passé, ensuite on l'a cédée à des organismes à buts non lucratif. Ces personnes en charge ne se sont-elles pas donné des conditions de travail supérieures à celles qu'on retrouve chez les Américains? La différence entre les coûts se situe peut- être là et la faute ne revient peut-être pas au gouvernement.

[Traduction]

M. Chandra : Il est fort possible que les différences viennent de là. Je ne peux pas vraiment le dire, parce que nous avons ventilé uniquement les données du domaine public. Comme je l'ai dit en réponse à deux ou trois autres questions, il y a les frais aéroportuaires, et je suis convaincu qu'au fond, certains des frais imposés par le gouvernement sont à l'origine d'une partie de cette différence dans ce que je catégorise comme les tarifs exigés par les transporteurs aériens. C'est difficile à dire.

Quant à la question plus générale que vous soulevez concernant la possibilité de paiements trop élevés ou d'un manque d'efficacité fondamental à ces aéroports ou chez ces transporteurs, je crois que cela est bien possible, mais je ne saurais l'affirmer sans un examen plus approfondi des données, et nous n'avons pas ces données.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : C'est un terrain glissant. Préconisez-vous alors un ciel ouvert?

[Traduction]

M. Chandra : Pas tout à fait. Dans le cadre d'un véritable accord « Ciel ouvert », il semble y avoir neuf libertés de l'espace aérien que les organisations internationales ont décrites et envisagées. La liberté ultime serait de permettre aux transporteurs étrangers d'exploiter un nombre illimité de vols à l'intérieur des frontières d'un pays, d'embarquer et de débarquer des passagers à tous les aéroports, sans aucune restriction.

La première proposition, et je reconnais qu'elle est audacieuse, permet aux transporteurs étrangers, disons aux transporteurs américains, de combiner les opérations qu'ils mènent actuellement aux aéroports canadiens. Ils peuvent se rendre à Montréal et à Vancouver, mais ils ne sont pas autorisés à relier ces deux villes. Ce n'est donc pas vraiment une situation de ciel ouvert, mais c'est certainement un grand pas en avant. À l'heure actuelle, ces transporteurs ne sont même pas autorisés à commercialiser un billet qui vous mènerait de Montréal à Chicago puis à Vancouver. Ils ne peuvent pas offrir ce service, même si vous et moi, comme consommateurs, nous pouvons acheter ces étapes séparément auprès du transporteur. Toutefois, parce que ce n'est pas un billet combiné, vous n'avez pas un seul DP, vos bagages ne peuvent pas vous suivre automatiquement, et les tarifs de base sont plus élevés.

Je dis simplement qu'il faut autoriser les transporteurs aériens étrangers à offrir ce service. Si les transporteurs canadiens ne peuvent pas soutenir la concurrence d'un transporteur étranger, cela se traduit implicitement par des coûts très supérieurs pour faire passer les passagers par un tiers pays, transférer leurs bagages et passer deux fois la frontière. C'est quelque chose que nous devons autoriser. Il faut bien comprendre que les transporteurs aériens canadiens ont encore un énorme avantage puisqu'ils sont autorisés à offrir des vols directs. S'ils ne peuvent pas soutenir la concurrence de la solution de rechange qui demeure essentiellement plus coûteuse, alors ils ont vraiment des problèmes.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Des témoins ont mis le problème sur la table et ont presque demandé que le gouvernement essaie de le solutionner. Toutefois, vous dites qu'une partie des solutions viendrait aussi des compagnies aériennes?

[Traduction]

M. Chandra : Les transporteurs aériens ne vont pas unilatéralement offrir de solution. Ils y seront encouragés et forcés s'ils font face à une concurrence plus vive. À l'heure actuelle, la concurrence n'est pas assez forte pour qu'ils sentent la nécessité de réagir à un quelconque changement.

Le sénateur Doyle : Lors de notre dernière séance, j'ai mentionné que le ministre fédéral des Transports et ses collaborateurs étaient venus rencontrer le comité et que le ministre avait dit que le comité devrait peut-être songer à étudier divers aéroports internationaux ici, au Canada, peut-être en vue de réduire leur nombre pour créer une série de plaques tournantes au Canada. Pensez-vous que cela pourrait avoir des conséquences économiques négatives? Est-ce que cela pourrait influer, à terme, sur le prix d'un billet d'avion?

M. Chandra : Franchement, c'est difficile à dire. Trop de variables entrent en jeu pour qu'il soit possible d'affirmer quoi que ce soit sans une étude très détaillée. Le réseau de plaques tournantes donne de bons résultats aux États-Unis en comparaison de l'autre possibilité, mais c'est principalement dû à la géographie de ce pays, à la distribution de la population et à des raisons historiques liées aux pratiques des transporteurs aériens. Cela est moins marqué et moins important dans d'autres pays, selon moi. J'ai l'impression que le Canada a moins besoin d'un solide réseau en étoile que les États-Unis, mais c'est une question très complexe qui nécessiterait une analyse beaucoup plus approfondie. Je n'en dirai pas plus à ce sujet.

Le sénateur Doyle : Les transporteurs américains offrent des tarifs plus avantageux simplement, selon vous, parce que les redevances d'atterrissage sont peu importantes, de même que les coûts de sécurité, les frais d'améliorations, et cetera. Nous savons tous qu'il en est ainsi. Est-ce que cela se rapporte également au fait que le gouvernement américain a de meilleures politiques publiques que nous pour régir l'administration des aéroports? Est-ce que le gouvernement américain, par exemple, participe sensiblement au financement de l'infrastructure et à d'autres activités de ce genre, ce qui expliquerait que les frais aux États-Unis sont moindres qu'au Canada?

M. Chandra : Cela ne saute certainement pas aux yeux. Une raison plus concrète, et elle n'a rien de pernicieux, est que les transporteurs aériens doivent exploiter leurs services à grande échelle. Comme je l'ai dit, l'ampleur des activités ne permet pas à plus d'un grand transporteur aérien de survivre au Canada. Même WestJet n'est vraiment qu'un transporteur de taille intermédiaire. Il occupe 35 p. 100 du marché. Les États-Unis ont une taille suffisante pour assurer une vive concurrence entre de nombreux grands transporteurs, et cela, à mon avis, est la principale raison qui explique les tarifs plus bas aux États-Unis.

En passant, cela vaut aussi dans de nombreux secteurs. La concurrence dans de nombreuses industries canadiennes est plus faible parce que nous n'avons pas d'activités à très grande échelle. C'est vrai aussi des réseaux de téléphones mobiles ou cellulaires. Je ne veux pas laisser entendre qu'il y a un complot ou que ces entreprises ne sont pas très efficaces. C'est le résultat naturel du fait que si leurs activités ne sont pas assez vastes elles ne seront pas en mesure de réduire leurs coûts autant que le fera un marché plus important. Un des avantages d'un grand marché, et vous le voyez actuellement aux États-Unis, c'est que plus le marché est important et plus les entreprises peuvent étaler les coûts sur un grand nombre de consommateurs et, concrètement, réduire leurs prix. Cela est difficile à faire au Canada.

Le sénateur Mercer : Merci de votre exposé. Dans un monde véritablement capitaliste, je pense que vos recommandations seraient très appropriées. Certains de mes collègues ne demanderaient pas mieux.

Notre responsabilité de législateurs est de légiférer et, au moyen de ce rapport, de formuler des recommandations qui auront des effets dans tout le pays, du nord au sud et d'est en ouest. La formule que vous nous proposez et qui permettrait aux transporteurs étrangers d'exploiter des vols intérieurs serait probablement avantageuse pour ceux d'entre nous qui utilisent certains des trajets les plus rentables ou des routes existantes. Toutefois, ce n'est pas notre travail. Notre travail consiste à veiller à ce que tous les Canadiens puissent profiter de tarifs aériens et d'installations aériennes à coût aussi raisonnable que possible, ce qui signifie que nous devons aussi assurer des liaisons qui ne sont pas rentables.

Vous ne nous avez pas présenté d'option intermédiaire ici. La concurrence à l'état pur est merveilleuse en théorie, et je le reconnais, mais vous ne pouvez pas accepter une telle concurrence quand vous obligez des transporteurs à desservir Resolute Bay ou Gander, ou encore Sydney, en Nouvelle-Écosse, ou Rouyn-Noranda. Si vous obligez les transporteurs à considérer ces trajets comme une nécessité nationale, tant personnellement que sur le plan économique, je ne pense pas que ce principe puisse s'appliquer. Est-ce qu'il existe une solution mitoyenne que je ne vous ai pas entendu exposer?

M. Chandra : Il pourrait y en avoir une. Je veux faire valoir deux points. Premièrement, vous avez dit que ma proposition profiterait essentiellement aux voyageurs qui se déplacent entre les grands centres, mais c'est faux. Il y a d'énormes avantages qui ne sont pas visibles.

Le premier effet serait une réduction des tarifs et la possibilité pour plus de passagers de se déplacer entre les grands centres. Toutefois, songez à toutes les entreprises qui sont tributaires de ces voyageurs — les hôtels, les compagnies de taxis, les services de soutien — et qui pourraient prospérer dans ces grandes villes. Ce n'est pas uniquement une question de tarifs plus abordables pour les passagers. Il y aurait également tous ces emplois supplémentaires qui seraient créés parce que les gens prennent l'avion et consomment des services. Il est difficile d'estimer ces retombées, mais je pense que la multiplication des activités commerciales et de loisir créera de nombreux emplois et ouvrira de nouvelles perspectives. Il ne faut pas oublier cela. Il ne s'agit pas uniquement des voyageurs.

Mon deuxième point est important. Vous avez raison, si nous exigeons des transporteurs canadiens qu'ils desservent des destinations qui ne sont pas intrinsèquement rentables, il serait injuste de leur imposer la concurrence d'autres transporteurs qui ne sont pas tenus de se rendre eux aussi à ces endroits. C'est pourquoi je soutiens, comme je l'ai mentionné en répondant à une question précédente, que si nous avons vraiment un modèle qui exige des transporteurs canadiens qu'ils assurent la liaison vers des destinations non rentables, nous devrions modifier notre modèle et subventionner les déplacements vers ces destinations. Nous devrions offrir une subvention par passager sur ces trajets, de façon à compenser la différence de coût entre la prestation du service et le prix du billet que les passagers sont prêts à payer. C'est le modèle qu'appliquent les États-Unis. Un certain nombre de vols desservent des destinations relativement éloignées aux États-Unis — le nord de l'État de New York, l'Alaska et d'autres régions du pays —, et dans ces cas le gouvernement offre explicitement une subvention par passager. C'est un coût pour le gouvernement, mais il est récupéré grâce à la hausse des recettes fiscales attribuable à l'augmentation du nombre de passagers qui utilisent les routes plus importantes.

Le sénateur Mercer : Pour ce qui est des loyers que doivent payer les transporteurs et les aéroports, cet argent se retrouve dans les recettes générales du gouvernement. C'est vrai, et c'est une réalité dont le ministre des Finances doit tenir compte quand il examine nos recommandations ou celles d'autres intervenants qui proposent d'éliminer ces coûts.

Est-ce que vous nous dites que, peut-être, nous devrions proposer d'affecter les frais perçus sur les trajets rentables à la subvention des services sur les trajets moins rentables? Toronto, Montréal, Vancouver, Calgary, Halifax et Winnipeg vont subventionner les liaisons vers d'autres villes?

M. Chandra : Il n'est pas facile de décider d'où devraient venir les fonds, et je ne suis pas en mesure de me prononcer à ce sujet. Ils pourraient venir de ces sources, des fonds généraux ou des sommes plus importantes qui proviendraient des taxes et des recettes que nous pourrions recevoir des transporteurs étrangers qui desservent ces routes, comme je le propose. Toutefois, je crois que c'est une méthode beaucoup plus efficace. Si nous croyons que les transporteurs aériens ne vont pas automatiquement offrir des services aux endroits que nous, Canadiens, considérons qu'il faut desservir, nous devrions subventionner ces routes, d'où que proviennent les fonds pour le faire, plutôt que d'exiger des compagnies aériennes qu'elles assurent le service et de les inciter ainsi à imposer des prix plus élevés sur les trajets plus importants.

[Français]

Le sénateur Verner : Merci beaucoup d'être ici ce matin. C'est une présentation très intéressante.

Compte tenu des données économiques actuelles, si vous deviez vous prononcer sur un horizon de 10 ans, quel est le risque ou la menace qui guette ces grands aéroports situés près des frontières?

Je notais dans votre dernier paragraphe une tendance à penser à l'industrie plutôt qu'aux consommateurs. Aujourd'hui, les consommateurs sont informés. Ils ont la parité du dollar avec les États-Unis. Bien entendu, ils sont très nombreux à se rendre aux États-Unis. Sur un horizon de 10 ans, si on souhaitait aux consommateurs de bénéficier de la parité, comment évalueriez-vous la menace pour ces grands aéroports?

[Traduction]

M. Chandra : Je crois que la menace demeurera. Comme vous le voyez à l'annexe 1, la croissance du nombre de voyageurs canadiens qui se rendent aux aéroports américains s'est poursuivie, malgré un bref recul de la devise canadienne en 2009. Le dollar canadien est maintenant, depuis deux ans, plus ou moins au même niveau qu'en 2008. Malgré tout, la croissance s'est poursuivie. C'est maintenant 7 p. 100 des Canadiens qui se rendent aux États-Unis en voiture pour prendre un vol dans un aéroport américain. Selon mes estimations, cela correspond à 600 000 Canadiens. Je viens de recevoir les données pour 2011, et la proportion semble considérablement plus élevée.

Le phénomène prend de l'ampleur.

Nous avons franchi un seuil, et la vigueur du dollar n'a peut-être plus tellement d'importance. Les Canadiens sont conscients de ces options aux États-Unis. Les aéroports américains savent que les Canadiens sont — ne mâchons pas les mots — mal servis par leurs aéroports nationaux, et nous assistons donc à une augmentation des services d'autocar en provenance et à destination des aéroports américains. Nous voyons, je le répète, des aéroports qui affichent des données sur les délais d'attente à la frontière et qui ciblent explicitement les Canadiens. [Note de la rédaction : inaudible] et Alaska Airlines offrent un service depuis Bellingham, un aéroport que les Américains n'utilisent pas. Il n'y a pas suffisamment d'habitants dans cette partie de l'État de Washington. C'est ouvertement pour cibler les Canadiens. C'est très bien. Nous sommes mal servis par notre industrie du transport aérien et nous, les consommateurs, nous devrions nous occuper de nos intérêts. Si cela signifie prendre un avion aux États-Unis, c'est ce que nous devrions faire.

Je crois que cette tendance se maintiendra. Plus le huard s'appréciera, et plus le phénomène s'accentuera, mais même si le dollar devait se stabiliser à ce niveau ou fléchir légèrement, le phénomène continuera de prendre de l'ampleur.

Je crois que c'est quelque chose de positif. Les voyageurs — les consommateurs — doivent veiller à leurs intérêts, et c'est ce qu'ils vont faire.

[Français]

Le sénateur Verner : Si, comme il y a longtemps, le dollar devait chuter et se trouver en nette différence avec la devise américaine, croyez-vous que la question de la parité des deux devises pourrait freiner l'attrait des voyageurs canadiens?

[Traduction]

M. Chandra : Je ne le pense pas. Si vous regardez l'annexe 1, en 2009, immédiatement après la crise financière, le huard est passé de la quasi parité à moins de 80 ¢ pour un dollar américain. C'est une chute de 20 p. 100 en quatre ou cinq mois. C'est une chute remarquable, mais nous savons maintenant pourquoi cela s'est produit.

Un moins grand nombre de Canadiens voulaient faire des achats aux États-Unis, parce que les prix n'étaient plus aussi alléchants.

Toutefois, si vous regardez mes chiffres, la fraction de Canadiens qui ont choisi de prendre un vol en partance des aéroports américains n'a pas cessé d'augmenter. C'est parce que nous avons, dans une certaine mesure, franchi un seuil où le taux de change n'a plus autant d'importance. Même s'il perdait de la valeur pendant de brèves périodes, les sociétés de transport privées, par exemple les compagnies d'autobus ou de transport ferroviaire, ont suffisamment d'infrastructure et de ressources en place pour offrir des services de transport pour amener les Canadiens à ces aéroports américains. Ils continueront de le faire.

Le sénateur Merchant : Je pense que vous avez dit qu'il y avait une différence entre les prix à Vancouver, à Toronto et à Montréal. Nous avez-vous expliqué pourquoi?

M. Chandra : Disons d'abord que les prix sont tous très élevés. Je ne pense certainement pas qu'il est avantageux de prendre l'avion à Vancouver ou à Montréal plutôt qu'à Toronto. C'est toujours une mauvaise idée pour les Canadiens de prendre l'avion à l'un ou l'autre de ces aéroports s'ils peuvent se rendre à un aéroport américain.

Toronto a été très dispendieux pendant une brève période, les prix étaient presque le double de ceux de Buffalo.

C'est une différence relative, une comparaison avec l'aéroport américain correspondant. Il se pourrait que les prix à Buffalo aient été particulièrement bas.

Il est très coûteux de prendre l'avion à l'aéroport de Toronto. On vient d'y terminer des rénovations. Les prix sont calculés pour absorber le coût de ces rénovations. C'est l'aéroport le plus achalandé au Canada, et les redevances d'atterrissage y sont donc particulièrement élevées.

Regardez les dernières données, celles de 2010. Les prix sont encore très élevés à Toronto, mais ils se rapprochent de ceux des deux autres aéroports. Ils sont entre 30 et 50 p. 100 plus élevés, et c'est encore considérable.

Je ne tirerais pas trop de conclusion de cette différence à Toronto. C'est peut-être parce que l'aéroport américain correspondant est bien meilleur marché.

Le sénateur Merchant : On a fait beaucoup de rénovations à Toronto, mais les aéroports sont constamment en rénovation. Je ne suis pas certain que cela soit toujours nécessaire.

Je vais parler pour mon clocher pendant un instant. Je vis en Saskatchewan et vous avez parlé de compétition. Nous avons deux transporteurs qui desservent la Saskatchewan, WestJet et Air Canada. Est-ce qu'il y a une grande différence entre les prix qu'ils exigent? Est-ce qu'il y a une différence entre les prix de WestJet et ceux d'Air Canada?

M. Chandra : Je ne saurais le dire pour la simple raison qu'il est difficile d'étudier les prix des transporteurs aériens au Canada. Statistique Canada ne publie pas de données sur ces prix. J'en ignore la raison. Je ne sais pas qui en a décidé ainsi, le ministère ou le gouvernement, il y a peut-être un règlement qui lui interdit de le faire.

Par contre, aux États-Unis, il existe d'excellentes données sur le prix de tous les billets d'avion achetés par tous les passagers. Ces données sont publiques et les chercheurs peuvent les utiliser et les ont utilisées pour étudier cette industrie et commenter ou critiquer ses pratiques. Selon moi, cela accroît l'efficience et la compétitivité dans le secteur du transport aérien.

Nous n'avons rien de tel au Canada. Il n'existe pas de base de données publique que les chercheurs peuvent utiliser pour étudier les prix des billets d'avion. À moins d'utiliser des moteurs de recherche comme Expedia sur Internet ou de rentrer des chiffres, nous n'avons pas de base de données historiques et je ne suis donc pas en mesure de dire quoi que ce soit à ce sujet.

Le sénateur Merchant : Nous avons également remarqué que les horaires des deux transporteurs aériens sont parallèles. C'est très frustrant, parce que vous ne pouvez pas trouver de vol en partance de Regina. Il n'y a que trois arrivées et trois départs par jour, alors que les habitants de Toronto ont des avions toutes les heures pour aller quelque part, et aucun de ces transporteurs ne semble même essayer d'offrir un meilleur service à la population. Il n'y a vraiment pas beaucoup de choix pour les déplacements. Si les prix ne changent pas, je ne sais vraiment pas en quoi la concurrence améliorerait notre situation, là-bas.

M. Chandra : Je suis parfaitement d'accord avec vous. Je n'ai pas de solution miracle. Même les suggestions que je fais ne changeraient rien à la situation des aéroports en Saskatchewan et, malheureusement, les États-Unis n'y offrent guère de concurrence qui aurait pour effet, au moins, de faire baisser les prix. Il n'y a pas de grands aéroports américains à proximité des villes de la Saskatchewan. Il n'y a vraiment pas de solution évidente dans ce cas particulier.

Comme première mesure, j'ai voulu proposer au moins une réduction des tarifs sur les principales routes qui traversent le pays et où il est légèrement plus faisable d'adopter quelque chose, mais il est difficile d'imaginer quelle solution réaliste pourrait s'appliquer à la situation que vous décrivez.

Le sénateur Merchant : Vous m'en voyez vraiment désolée. Est-ce en raison de la population ou de l'emplacement?

M. Chandra : C'est une question de démographie. Compte tenu de l'éloignement, il n'y a pas suffisamment d'habitants pour attirer un troisième transporteur. Un transporteur comme Porter n'y trouverait pas son profit.

Le sénateur Merchant : Le train haute vitesse, voilà ce qu'il nous faut.

Le sénateur MacDonald : Monsieur Chandra, merci d'être venu ce matin. J'ai beaucoup aimé votre exposé. Il était limpide. Dans la mesure où vous avez accès aux données, je crois que vous pouvez arriver à certaines conclusions solides.

Vous avez mentionné quelques problèmes liés à la disponibilité de l'information qui vous permettrait de tirer quelques conclusions. Vous avez parlé des prix des billets d'avion, d'une base de données fiables, et je pense que vous avez aussi mentionné les redevances d'atterrissage.

Pouvez-vous nous dresser une liste des secteurs, outre les deux que je viens d'indiquer, où l'absence de données fiables vous empêche de procéder aux analyses que vous souhaitez réaliser et que, selon moi, nous aimerions voir?

M. Chandra : Ces deux secteurs sont vraiment les plus importants. Si nous avions plus de données, moi-même et d'autres chercheurs pourrions faire beaucoup plus pour vraiment dégager les raisons fondamentales des différences de prix entre les États-Unis et le Canada, ou d'autres pays, et en outre formuler plus de recommandations. Si quelqu'un pouvait nous fournir une ventilation des redevances d'atterrissage et des loyers du fond de terre pour les cinq ou dix principaux aéroports au Canada, cela serait extrêmement utile.

Quant au second point que j'ai fait valoir en réponse à la question précédente concernant le prix des billets d'avion, je ne sais pas si cette politique a été adoptée pour protéger les transporteurs aériens nationaux. Statistique Canada n'a pas publié de données sur les industries où il y a un petit nombre d'intervenants, et dans l'industrie du transport aérien, il n'y a qu'une poignée d'intervenants. C'est peut-être la raison pour laquelle le ministère ne publie pas ces données. Nous ne pouvons pas déterminer quel montant les Canadiens doivent payer pour prendre l'avion, même entre les grands centres, alors il est très difficile de comparer les prix des billets d'avion au Canada et aux États-Unis.

C'est pour cette raison que les graphiques que je vous ai montrés portent sur la différence pour des destinations américaines et non pas canadiennes. Les Américains recueillent des données sur les prix payés au Canada pour aller vers des destinations américaines et ils les publient et nous pouvons donc les analyser, mais ils ne recueillent pas — et ils ne devraient d'ailleurs pas — recueillir de données sur les transporteurs aériens canadiens. J'ignore si quelqu'un le fait, mais ces chiffres ne sont certainement pas disponibles. Je serais absolument ravi que l'on recueille et diffuse plus de données. Cela aiderait les chercheurs à définir plus de solutions.

Le sénateur MacDonald : Nous sommes maintenant presque certains que les redevances d'atterrissage dissuadent fortement les transporteurs étrangers de venir au Canada. D'après ce que nous savons, l'aéroport Pearson a les redevances d'atterrissages les plus élevées au monde et c'est un des aéroports du monde où il est le plus dispendieux d'atterrir. Nous voyageons tous beaucoup à l'étranger, et j'ai remarqué entre autres que lorsque vous allez dans un des grands aéroports du monde, vous y voyez de nombreux transporteurs de partout. Si vous allez à un aéroport canadien, notamment Toronto, Montréal ou Vancouver, vous verrez très peu d'aéronefs de transporteurs étrangers. La majorité des appareils, mais pas la totalité, sont des appareils d'Air Canada.

M. Chandra : Vous avez parfaitement raison. Les redevances d'atterrissage sont très élevées à l'aéroport Pearson et dans certains autres aéroports canadiens. Malgré tout, d'autres transporteurs voudraient offrir des services aux aéroports canadiens, et la décision prise l'an dernier d'interdire à Emirates de le faire a été pour le moins malheureuse. Les voyageurs canadiens et l'économie canadienne n'auraient pu que profiter de cet ajout à leurs choix de services de transport aérien vers le Moyen-Orient et, de là, vers d'autres destinations. Malgré les redevances d'atterrissage élevées, des transporteurs étrangers seraient sans doute intéressés, et nous les empêchons de venir. Cela me paraît bien étrange.

Le sénateur MacDonald : À bon nombre d'entre nous également, je crois.

Le sénateur Eggleton : J'espère que vous pourrez trouver plus de données pour ventiler les coûts des transporteurs aériens, parce qu'il semble y avoir des coûts que les transporteurs aériens des États-Unis n'ont pas à assumer. Elles pourraient être pertinentes pour le gouvernement, outre ce que les autres droits gouvernementaux pourraient être, et elles pourraient concerner les frais, les loyers, et cetera. Pour faire des comparaisons valables, nous avons besoin de ces données.

J'aimerais parler des gens qui utilisent les aéroports américains. Je ne sais pas si vous pouvez déterminer qui voyage par agrément et qui voyage par affaires, et quels sont les bassins desservis. Quelle distance est-on prêt à parcourir pour se rendre à l'un de ces aéroports frontaliers, par exemple Buffalo? Ce sont peut-être des citoyens d'Hamilton, de Niagara ou même de Toronto, mais viendraient-ils également d'aussi loin que Sudbury? Je me demande quel est le bassin desservi, compte tenu de l'importance de la population canadienne qui a la possibilité de se rendre en voiture à la frontière. Que pensez-vous de cela?

M. Chandra : J'ai des chiffres, mais pas précisément pour ces aéroports. Je pourrais sans doute effectuer cette ventilation et vous communiquer les résultats.

Vous vous en souvenez peut-être, la dernière fois que nous nous sommes rencontrés lors de la réunion sur les tarifs transfrontaliers et les exceptions consenties aux Canadiens, j'ai mentionné que nous avions effectivement des données détaillées sur la distance que les Canadiens sont prêts à parcourir pour aller faire des achats aux États-Unis, pas nécessairement pour prendre un avion aux États-Unis. D'après ces données, et même si le phénomène s'accentue constamment. Il s'agit surtout de personnes qui vivent près de la frontière. Les coûts d'un trajet de trois ou quatre heures à l'aller et au retour sont considérables. Pour l'aéroport de Buffalo, même sans regarder les données, je serais prêt à parier que ces passagers viennent principalement d'Hamilton et de Niagara, comme vous l'avez dit, ainsi que de la région métropolitaine de Toronto, essentiellement, pas de beaucoup plus loin. C'est assez coûteux.

Le sénateur Eggleton : Diriez-vous que le seuil est de deux heures?

M. Chandra : Deux heures à l'aller et deux heures au retour. Ce qu'il y a d'intéressant au sujet des aéroports, c'est que si vous êtes une famille de quatre personnes, le coût de ce trajet de deux heures est le même, mais vous multipliez l'économie par quatre.

Votre première question portait sur les voyages d'agrément et les voyages d'affaires. D'après ce que j'ai vu, il s'agit principalement de personnes qui voyagent par agrément. Ce sont des Canadiens qui se déplacent pour leur plaisir plutôt que par affaires. S'il s'agit de voyages d'affaires, c'est souvent l'employeur qui paie le vol, alors vous n'assumez pas les coûts de base. Toutefois, le phénomène s'accentue. Je l'ai fait moi-même quand j'habitais à Vancouver. La différence de prix est énorme, et rien ne justifie de payer plus du double si vous pouvez l'éviter.

Le sénateur Eggleton : Vous avez parlé de la personne qui veut aller à Vancouver à partir, par exemple, de Toronto, mais en passant par Chicago, et des difficultés que cela présente. Je peux comprendre l'intérêt de modifier cette règle. Toutefois, diriez-vous aussi que les transporteurs étrangers, que ce soit American Airlines ou British Airways, peuvent assurer la liaison Toronto-Montréal ou Toronto-Vancouver?

M. Chandra : C'était ma première suggestion. Je reconnais que dans le climat actuel il serait difficile de la mettre en œuvre, mais il me semble tout de même important de la proposer.

La deuxième suggestion consiste à ne pas offrir le service de point à point, celui que vous décriviez et qui permettrait aux transporteurs américains d'assurer la liaison avec escale dans une ville américaine. Ils le font déjà, mais ils ne sont pas autorisés à commercialiser ce service au Canada.

Vous et moi, nous pouvons acheter des billets pour aller d'une ville canadienne à une autre en passant par une ville américaine, mais nous devrions acheter deux billets distincts, ce qui rend la proposition trop coûteuse. Si vous permettiez aux transporteurs aériens américains de commercialiser officiellement ce service, les coûts diminueraient, et ces transporteurs pourraient probablement offrir des tarifs équivalents ou inférieurs à ceux des lignes aériennes canadiennes.

Le sénateur Eggleton : Ce n'est pas tant cela qui m'inquiète que la possibilité que des transporteurs étrangers assurent la liaison entre des villes canadiennes.

M. Chandra : Je reconnais qu'il est beaucoup plus difficile de faire accepter cela. C'est pourquoi je pense que ma deuxième suggestion serait plus facile à mettre en œuvre.

Le sénateur Zimmer : J'ai une petite question qui se rapporte à un commentaire que vous avez fait au sujet des Émirats arabes unis.

Votre exposé était excellent — honnête, précis et direct. Je suis d'accord avec vous, les Émirats arabes unis auraient dû être autorisés à venir, mais ils ne l'ont pas été. Pourriez-vous nous expliquer un peu mieux les raisons de ce refus? Est-ce qu'il s'agissait de protéger les entreprises canadiennes de la concurrence? Avez-vous une idée des motifs de cette décision?

M. Chandra : D'après ce que je sais, je pense que le lobbying dans les coulisses est considérable. C'est essentiellement le fait d'Air Canada, parce que la compagnie craint la concurrence étrangère. C'est la seule raison imaginable. Honnêtement, cette décision ne nous a pas servis. Elle ne nous a pas donné la concurrence dont nous avons tant besoin, elle a réduit notre accès aux aéroports du Moyen-Orient, et les Émirats exigent maintenant des visas des voyageurs canadiens qui se rendent là-bas. Je ne crois pas que nous ayons tiré quelque avantage que ce soit de cette décision. Je ne lui vois que des conséquences négatives. Le seul avantage possible serait pour les préposés, qui n'ont pas eu à faire face à plus de concurrence. J'imagine que cela entrait en jeu, mais c'est vraiment par la bande.

Le sénateur Zimmer : Merci de vos commentaires. Je voulais que cela figure dans le Hansard.

Le sénateur Unger : J'ai deux questions distinctes. La première concerne la tendance qui se confirme chez les Canadiens qui franchissent la frontière. Lorsqu'une tendance est bien établie, est-elle difficile à renverser?

M. Chandra : Je crois que oui. Comme je l'ai dit en réponse à une question précédente, même la chute du dollar canadien, en 2009, n'a pas entraîné une diminution correspondante du nombre de Canadiens qui prenaient des vols en partance des aéroports américains. De fait, elle a accéléré le phénomène. Comme je l'ai dit, nous avons franchi un seuil et les voyageurs songent maintenant tout naturellement à cette option parmi d'autres. Des services de soutien se sont développés pour faciliter cette option, et je pense que cela continuera. Évidemment, il y aura tôt ou tard saturation, comme vous l'avez dit, et les gens ne seront plus disposés à faire cinq ou six heures de route pour se rendre aux États- Unis. À court terme, rien ne porte à penser que cette croissance ralentira.

Le sénateur Unger : S'il a fallu cinq ans pour que la tendance s'établisse, il pourrait falloir deux fois plus de temps pour qu'elle s'inverse.

M. Chandra : C'est fort possible, en effet.

Le sénateur Unger : Ma seconde question porte sur les réservations en ligne, une pratique que les Canadiens considèrent comme très acceptable. Je suppose que c'était une mesure d'économie de coûts pour les transporteurs aériens, parce qu'ils ont encouragé le recours à cette méthode. Pourtant, leurs coûts continuent d'augmenter, et ce n'est pas un avantage. C'est un avantage, en soi, parce que certains jugent plus commode de faire des réservations en ligne. Vraisemblablement, les transporteurs pourraient réduire le nombre de préposés aux réservations, mais leurs coûts continuent d'augmenter.

M. Chandra : C'est vrai, mais il faudrait savoir ce qui se serait passé si cette pratique n'avait pas été adoptée. Autrement dit, les coûts des transporteurs aériens ont continué d'augmenter, mais cela ne signifie pas nécessairement qu'ils n'auraient pas augmenté encore plus en l'absence des services de réservation en ligne. Cela est difficile à déterminer.

La réservation en ligne est un avantage pour les consommateurs qui peuvent ainsi comparer les tarifs, et c'est bon pour la compagnie parce qu'elle recueille plus de données sur l'identité des consommateurs et ce qu'ils font. En outre, cela leur permet de tirer plus d'argent des voyageurs. C'est une pratique courante que nous constatons dans d'autres marchés; cela n'est pas inhabituel. Toutefois, cela ne signifie pas nécessairement que les réservations en ligne vont pousser les tarifs à la baisse.

Le sénateur Unger : Votre exposé était excellent.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma première question est celle-ci : quelle serait la principale raison de la lente croissance de l'industrie aéroportuaire au Canada? J'aimerais que vous me donniez une raison.

Ma deuxième question : vous dites que le cabotage serait la solution principale. Si on l'appliquait, quel serait l'effet sur la croissance des compagnies canadiennes au plan international? Y aurait-il un risque aux plans de la compétitivité et de la rentabilité des compagnies aériennes au Canada?

[Traduction]

M. Chandra : Pour ce qui est de la première question, au sujet de la croissance, vous me demandez une seule raison. Il est difficile de trouver une seule raison pour expliquer que la croissance ne soit pas plus marquée. C'est peut-être simplement parce que les transporteurs aériens n'ont pas besoin de prendre de l'expansion quand ils n'ont pas de concurrence plus vive. Ils ne sont pas toujours forcés de trouver de nouvelles routes, de nouveaux passagers et de nouveaux services à offrir aux voyageurs.

Quant au deuxième point, les transporteurs nationaux s'opposeraient à toute mesure similaire à celle que j'ai suggérée parce qu'une concurrence plus vive n'est pas dans leur intérêt, qu'elle pourrait réduire leurs profits et nuire à leur rentabilité. Selon moi, il ne faut pas se soucier uniquement de leurs profits, mais plutôt des avantages pour le Canada dans son ensemble.

J'ajouterais que nous avons fini par considérer la concurrence étrangère comme une bonne chose dans de nombreux secteurs. Même si elle nuit à quelques entreprises nationales, les avantages qu'elle offre aux consommateurs canadiens peuvent surpasser les pertes des entreprises canadiennes. Nous avons assisté à ce phénomène dans le secteur manufacturier, dans le domaine des produits électroniques et dans celui des aliments importés. Les choses changent. Nous reconnaissons maintenant que la concurrence étrangère a du bon. En comparaison de la majorité des industries au Canada, qui doivent quotidiennement faire face à la concurrence étrangère, l'industrie du transport aérien est remarquablement protégée. Elle n'a pas du tout à craindre les concurrents étrangers à l'intérieur du pays et elle ne s'inquiète d'eux que dans une certaine mesure sur la scène internationale. Seuls les transporteurs membres de Star Alliance peuvent faire concurrence à Air Canada parce que la compagnie s'est associée uniquement à Star Alliance. Par conséquent Delta, British Airways et Air France n'offrent pas le niveau de concurrence auquel on pourrait s'attendre au Canada. Nous reconnaissons que la concurrence internationale est une bonne chose pour le Canada, alors pourquoi refusons-nous de même l'envisager dans le secteur du transport aérien?

Le président : Monsieur Chandra, merci beaucoup de votre exposé; vous avez beaucoup impressionné les sénateurs aujourd'hui.

Je rappelle à notre auditoire et aux honorables sénateurs que notre prochaine séance aura lieu mardi, 13 mars, dans la matinée. Nous n'avons aucun témoin demain soir. Mardi prochain, nous entendrons M. David Goldstein, président et chef de la direction de l'Association de l'industrie touristique du Canada, et M. Russell Payson, président de Sky Regional Airlines Inc.

Je veux également rappeler aux membres que le comité directeur se réunit dans cinq minutes, à l'étage.

(La séance est levée.)


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