Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 10 - Témoignages du 5 juin 2012
OTTAWA, le mardi 5 juin 2012
Le Comité permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 31, pour étudier la teneur des éléments de la Section 41 de la Partie 4 du projet de loi C-38, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 29 mars 2012 et mettant en œuvre d'autres mesures.
Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, je déclare cette séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications ouverte.
[Traduction]
Nous poursuivons ce matin notre étude préalable du projet de loi C-38 en nous penchant sur les éléments de la section 41 de la partie 4, qui modifie la Loi sur les télécommunications en vue de modifier les restrictions concernant la propriété et le contrôle de certaines entreprises. Nous accueillons au comité Michael Geist, professeur de droit de l'Université d'Ottawa, où il est titulaire de la chaire de recherche du Canada en droit d'Internet et du commerce électronique. M. Geist a déjà témoigné devant notre comité en 2009 lors de notre étude sur le secteur des communications sans fil.
[Français]
Soyez la bienvenue. Je vous remercie d'avoir pris le temps de venir discuter avec nous. La parole est à vous, monsieur Geist.
[Traduction]
Michael Geist, professeur de droit, Université d'Ottawa, à titre personnel : Merci beaucoup. Je m'appelle Michael Geist et je suis professeur de droit à l'Université d'Ottawa, où je suis titulaire de la chaire de recherche du Canada en droit d'Internet et du commerce électronique. Je suis également chroniqueur affilié; j'écris chaque semaine sur les enjeux relatifs au droit et aux technologies dans le Toronto Star et l'Ottawa Citizen. Toutefois, je témoigne devant votre comité à titre personnel, et mes opinions personnelles n'engagent que ma personne.
Le projet de loi C-38 aborde une vaste gamme d'enjeux, mais je vais seulement parler des changements aux restrictions imposées à l'investissement étranger dans la Loi sur les télécommunications, qui met en œuvre, comme vous le savez, l'annonce faite en février 2012 à ce chapitre. Les présentes restrictions imposées à l'investissement étranger seront levées pour les entreprises de télécommunications qui occupent moins de 10 p. 100 du marché, soit toutes les entreprises sauf les trois géants : Bell, Rogers et TELUS.
Les restrictions demeurent en place pour les diffuseurs et les entreprises de distribution. Il y a aussi des changements relativement au financement de la Liste nationale des numéros de télécommunication exclus. Le cas échéant, je serai heureux de les aborder dans les discussions qui suivront.
J'appuie les modifications contenues dans le projet de loi C-38, même si je crois que de tels changements législatifs auraient dû faire l'objet d'un projet de loi distinct, au lieu de se retrouver dans un projet de loi omnibus. J'aurais même été prêt à soutenir des mesures plus sévères. Le gouvernement aurait pu changer le visage du marché canadien en éliminant toutes les restrictions imposées à l'investissement étranger pour les entreprises de télécommunications et aurait pu envisager de laisser tomber les restrictions imposées à l'investissement étranger pour les diffuseurs.
Mon appui concernant l'assouplissement des restrictions imposées à l'investissement étranger se fonde sur quatre facteurs clés dont je vais discuter dans mon exposé.
Premièrement, le marché canadien des télécommunications est non concurrentiel comparativement aux autres pays, en raison des coûts plus élevés, d'une innovation moins importante et d'un choix limité. Deuxièmement, les règlements canadiens sur l'investissement étranger dans le secteur des télécommunications sont les plus restrictifs des pays développés. Troisièmement, à la suite d'études réalisées au fil des ans, il y a un solide soutien en vue de procéder à des changements. Quatrièmement, les inquiétudes au sujet des effets négatifs sur les entreprises de télécommunications et les diffuseurs sont grandement exagérées. Je vais passer en revue ces quatre points, en commençant par le manque de concurrence.
Les marchés canadiens des télécommunications ont déjà suscité l'envie des autres pays, mais ce n'est plus le cas. Même si les gens ne s'entendent pas sur la méthodologie utilisée ou la validité des nombreuses études qui ont comparé les réseaux sans fil et à haut débit dans le monde, il faut noter qu'aucune étude ne conclut que le Canada est un chef de file dans l'une ou l'autre de ces deux catégories. À une certaine époque, les réseaux canadiens à haut débit étaient vus comme des exemples à suivre dans le monde; le Canada se classait en fait au deuxième rang il y a à peine une décennie dans certaines catégories. Or, dans le meilleur des cas, le Canada se trouve maintenant en milieu de peloton. De plus, la grogne s'installe chez les consommateurs et les entreprises qui dépendent d'une infrastructure numérique de calibre mondial.
Par exemple, les classements de l'OCDE en matière de haut débit ont confirmé que les Canadiens payent plus pour leurs services de haut débit que les consommateurs de la majorité des autres pays développés. Les résultats sont incontestables. Le Canada traîne de la patte en matière de services à haut débit; il se classe en milieu de peloton pour le nombre global d'abonnements à de tels services et obtient l'un des pires résultats en ce qui a trait au prix pour pratiquement toutes les gammes de vitesses normales.
Les données de l'OCDE portent sur les données des plus importants FSI canadiens, dont Rogers, Bell et Shaw, ce qui veut dire que ces données représentent une part considérable des abonnés du marché. L'année dernière, l'UIT a publié son rapport intitulé Mesurer la société de l'information 2011, qui arrive également à la conclusion que le Canada traîne de la patte. Le Canada n'a même pas réussi à se classer parmi les 10 premiers pays pour les divers indicateurs; il occupe un médiocre 111e rang pour les abonnements sans fil et le 57e rang pour les services mobiles à haut débit.
Or, l'an dernier, une autre étude de l'OCE a conclu que les Canadiens payaient les frais d'itinérance les plus élevés parmi tous les pays membres de l'OCDE, ce qui dénote un manque direct de concurrence dans le marché.
Les nouveaux joueurs qui ont fait leur entrée dans le marché canadien au cours des deux ou trois dernières années ont eu un effet positif, mais ce n'est qu'un début, et je pense qu'il faut en faire plus pour ramener le Canada aux normes mondiales en matière de concurrence, de choix et de coûts.
Deuxièmement, le Canada est le pays développé le plus restrictif dans le monde pour ce qui est des télécommunications. À mon avis, c'est important de mettre en perspective le marché restrictif des télécommunications au Canada. Cette année, l'OCDE a publié une étude sur les investissements étrangers directs provenant de l'examen des politiques de 55 grandes économies, à savoir tous les pays développés et une dizaine de pays émergents ou en développement.
Je crois que les résultats devraient être un signal d'alarme pour les Canadiens. Dans le sondage, le Canada était le deuxième pays le plus restrictif en matière de communications et de télécommunications mobiles; seule la Chine a un marché plus restrictif. De ce point de vue, le Canada est complètement déphasé du reste du monde, ce qui nous désavantage considérablement par rapport aux autres pays. Dans un secteur qui exige beaucoup d'investissements initiaux, comme les télécommunications, les règlements canadiens ont créé un marché un peu moins concurrentiel qu'ailleurs dans le monde. On en ressent l'effet dans l'ensemble de l'économie; les consommateurs ont moins de choix et payent des coûts plus élevés, et nos règlements nuisent aux entreprises qui dépendent de la technologie et des services de communications, soit virtuellement toutes les entreprises. Les modifications contenues dans le projet de loi C-38 aident à aborder les enjeux, mais elles n'ouvrent pas complètement le marché comme c'est le cas dans les autres pays développés.
Troisièmement, les Canadiens appuient fortement l'ouverture du marché des télécommunications. Cet enjeu a fait l'objet de nombreuses études. Le Groupe d'étude sur le cadre réglementaire des télécommunications de 2006 et le Groupe d'étude sur les politiques en matière de concurrence de 2008 ont recommandé de modifier le présent régime restrictif. De plus, Industrie Canada a consulté la population sur la question de l'assouplissement des restrictions à l'investissement étranger dans le secteur des télécommunications. Les résultats ont démontré un appui massif pour l'assouplissement des restrictions. La majorité des entreprises de télécommunications canadiennes, y compris TELUS, Rogers, MTS, SaskTel, de même que les nouveaux joueurs comme Globalive, Mobilicity et Public Mobile, ont toutes donné leur appui à la modification des présents règlements. Les principales entreprises de télécommunications étrangères, notamment AT&T et Verizon, ont également accordé leur soutien à ce sujet, ce qui laisse sous-entendre que des investisseurs étrangers seraient peut-être intéressés par le marché canadien.
Les entreprises qui appuient les changements ont vanté les avantages d'avoir un meilleur accès aux capitaux, des investissements plus importants et une innovation accrue dans le marché canadien, sans oublier la possibilité d'une plus grande concurrence. Il importe de dire que les groupes de consommateurs comme le Centre pour la défense de l'intérêt public ont aussi signifié leur appui aux modifications des présents règlements.
Quatrièmement, je crois que les inquiétudes sont exagérées. Je veux les aborder du point de vue des télécommunications, parce que c'est en lien avec certaines critiques à l'endroit de diffuseurs. En ce qui concerne les télécommunications, ceux qui expriment des inquiétudes concernant l'assouplissement des règlements se divisent principalement en deux groupes : les entreprises de télécommunications et les diffuseurs.
Le premier est principalement composé d'une seule entreprise, à savoir Bell. Bell a fait valoir que l'ouverture du marché était une solution à la recherche d'un problème. Ce n'est pas un point de vue surprenant de la part d'une entreprise qui a constamment exprimé son désaccord avec le flot continu d'études que je viens de mentionner et qui concluent que le Canada accuse un retard sur le plan de la concurrence dans le secteur des télécommunications.
J'avais fait valoir que l'on exagérait les risques de sécurité que présentent la propriété étrangère et les conséquences de l'investissement étranger sur l'emploi. Le temps de garder le contrôle canadien sur les infrastructures de télécommunications auxquelles sont branchés des millions de foyers est largement révolu. Les réseaux sans fil supposent d'importants investissements dans les stations cellulaires et non dans des branchements directs dans les foyers.
Je crois en outre que l'idée selon laquelle un contrôle canadien garantit des emplois canadiens est d'un autre âge. Les transporteurs canadiens sous-traitent régulièrement à l'étranger le service à la clientèle. En revanche, d'autres éléments de l'organisation — les magasins de vente au détail que nous voyons dans nos centres commerciaux, de même que la construction de réseaux — supposent des emplois qui resteront au Canada, quel que soit le pays d'origine de l'entreprise. Des emplois au siège social pourraient certes être en péril, mais les nouvelles entreprises implantées dans un marché sont plus susceptibles de créer des emplois que d'en supprimer.
Deuxièmement, je pense que les autres soucis exprimés par rapport à la diffusion sont eux aussi exagérés. La seconde catégorie d'opposants dans ce dossier comprend essentiellement des groupes culturels tels que l'ACTRA, la SOCAN et la Conférence canadienne des arts. Selon eux, les liens étroits qui unissent les entreprises de télécommunications et de radiodiffusion, et les investissements étrangers dans les télécommunications sont inquiétants pour la radiodiffusion. Si le lien qui unit les services de radiodiffusion et la culture canadienne est évident, celui qui unit la propriété de la radiodiffusion canadienne et la culture canadienne est pour le moins ténu.
La loi canadienne prévoit actuellement à la fois des restrictions sur la participation étrangère et des exigences de contenu. La participation étrangère est généralement limitée à 20 p. 100 et s'applique à tous les types de diffusion, dont la télévision, la radio et les distributeurs. Les exigences de contenu s'appliquent par ailleurs à la télévision, à la radio et aux stations spécialisées.
Si le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications du Canada prend une part active dans l'établissement des contenus canadiens, cela découle directement de l'attitude des diffuseurs canadiens qui demandent régulièrement de limiter les émissions à contenu canadien qu'ils sont tenus de diffuser. La production de contenu d'origine canadienne coûte tout simplement plus cher que les autorisations de diffusion accordées à des émissions étrangères, essentiellement américaines.
Les réalités budgétaires et la réglementation qui en découle existent quelle que soit la nationalité du diffuseur. Les entreprises étrangères doivent en permanence composer avec la réglementation canadienne, la réglementation provinciale, les lois fiscales, les règlements environnementaux et les rapports financiers.
Rien ne prouve que les entreprises canadiennes respectent plus la loi que les opérateurs étrangers. Les vulnérabilités que font valoir les entreprises culturelles sont certes réelles, mais les diffuseurs qui dépendent d'un permis accordé par une instance de réglementation nationale ne peuvent vraiment pas se permettre de mettre ce permis en péril en en violant les conditions d'octroi ou en contrevenant à la réglementation. Si l'on examine la situation dans d'autres pays développés, on constate que beaucoup ont éliminé les restrictions de participation étrangère dans le secteur de la radiodiffusion en conservant simplement les exigences de contenu local. Même si pour l'instant peu de gens prônent l'ouverture totale de la radiodiffusion canadienne à la participation étrangère, force est de constater que les craintes associées à l'augmentation d'une telle participation et aux répercussions que cela entraînerait sur les télécommunications sont exagérées.
Pour résumer, même si la façon dont ces changements sont légiférés me gêne, je pense que l'allégement des restrictions à la participation étrangère dans le marché des télécommunications aurait dû se faire depuis longtemps. En fait, le gouvernement aurait pu — et aurait dû —, je crois, jouer un rôle beaucoup plus décisif dans l'ouverture à la concurrence du secteur canadien des communications.
Cela me fera plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Merci, votre position a le mérite d'être très claire.
Le sénateur Doyle : Je pense que beaucoup seraient très surpris de l'étude de l'OCDE. Vous dites que le Canada se classe deuxième parmi les pays qui imposent le plus de restrictions au marché des communications et des télécommunications mobiles.
Que s'est-il passé? Pourquoi le Canada a-t-il manqué de vigilance? Qu'a-t-il fait pour que son industrie des télécommunications se retrouve dans une telle situation?
M. Geist : Voilà des questions pertinentes.
Une voix : Oui, voilà des questions pertinentes.
Le sénateur Doyle : C'est au gouvernement qu'il faudrait les poser.
M. Geist : Il y a beaucoup d'enjeux. De façon générale, la réforme des télécommunications et des communications est une entreprise difficile. J'ai consacré beaucoup de temps à l'examen du droit d'auteur, qui fait toujours intervenir beaucoup de gens et suscite du lobbying. Et franchement, je crois que le secteur des communications mobilise encore plus d'intervenants.
Comme vous le savez, on a à maintes reprises demandé une réforme fondamentale de la législation. Pour l'instant, le secteur est régi par deux lois, la Loi sur les télécommunications et la Loi sur la radiodiffusion, et beaucoup estiment qu'il nous faut une seule loi sur les communications qui refléterait davantage les réalités actuelles. J'aimerais moi-même voir le gouvernement s'engager dans cette voie, mais je reconnais que c'est un domaine délicat au plan politique. Or, elle est désormais essentielle à bien des égards. Nous dépendons tellement des communications d'un point de vue économique, et d'un point de vue culturel pour l'éducation — nous en avons déjà parlé — et d'autres points de vue semblables, qu'il faudrait se fixer comme priorité absolue des réseaux numériques et de communications de calibre mondial, ainsi qu'un cadre réglementaire qui favoriserait le fonctionnement de cette industrie.
Le sénateur Doyle : Comme vous le savez, le CRTC a demandé à quelques reprises ces dernières années de fusionner en une seule loi la Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur les télécommunications. Si cela devait arriver, pensez-vous que le CRTC aurait plus de difficultés à faire appliquer certaines normes, comme celles qui concernent le contenu canadien?
M. Geist : Comme tout le monde le sait, ce ne sont pas les critiques du CRTC qui manquent. Toutefois, si l'on devait se débarrasser du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, il faudrait réinventer une instance de réglementation.
Je crois que le CRTC fait en ce moment face à de réels défis par rapport au cadre réglementaire qui lui est imposé par la loi. Il suffit pour s'en convaincre d'examiner certaines des questions fondamentales dont il a saisi les tribunaux, par exemple : « Sommes-nous en mesure d'agir? Est-ce que les activités que mènent les fournisseurs de services Internet sont considérées comme de la radiodiffusion au sens de la loi? ». Cette problématique s'est présentée sous diverses formes et le CRTC s'est finalement décidé à consulter les tribunaux, qui ont répondu non. Et je ne dis pas par là qu'ils se sont trompés; en fait, ils ont raison.
Toutefois, il serait logique qu'il y ait une certaine uniformité dans les cadres stratégiques.
Lorsque l'on examine les statuts actuels du CRTC, celui-ci a pour mandat d'atteindre littéralement des dizaines d'objectifs stratégiques différents. Il faudrait au moins que ces objectifs stratégiques soient plus clairs. On peut certes débattre de leur nature. Mais l'instance de réglementation doit pouvoir disposer d'une série d'objectifs stratégiques clairement énoncés et raisonnables, qui reflètent la situation actuelle du marché, et celle que l'on prévoit au cours de la ou des prochaines décennies. Or, le CRTC semble aujourd'hui se perdre dans une multitude d'objectifs que l'on pourrait mettre en concurrence les uns par rapport aux autres.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup pour votre mémoire que je qualifierais de coup de massue. Il y a quelque chose de très intéressant que je décode selon vos propos.
Selon vous, la loi sur l'ouverture du marché ne va pas assez loin. Je décode également une ouverture relativement timide de la part des actionnaires en télécommunications pour vraiment positionner le Canada comme chef de file et donc, que malgré ce projet de loi, on va encore tirer de la patte. Je vous dirais que comparer le Canada à la Chine n'est pas très brillant.
[Traduction]
M. Geist : Oui, c'est vrai, mes remarques sont dures, mais je n'ai pas la réputation de mâcher mes mots.
C'est certainement un pas dans la bonne direction, car le statu quo serait franchement problématique. En pratique, cette mesure ouvre le marché à presque tous les intervenants, sauf les trois grands. À mon avis, je ne vois pas de raison de ne pas ouvrir le marché à tous, y compris eux. Étant donné les restrictions imposées pour l'instant par rapport à la radiodiffusion, nous ouvririons réellement le marché à un seul autre intervenant. Compte tenu de notre position en matière de radiodiffusion, Rogers et Bell sont pour l'instant hors-jeu. Il faudrait donc réexaminer la question.
Cela pourrait ouvrir le marché à TELUS, qui avait déjà été menacé de vente au Canada. À un moment donné, il avait été question que Bell prenne le contrôle de TELUS, ce qui aurait réduit encore davantage la concurrence entre les grands acteurs du secteur. Je ne veux pas nécessairement voir TELUS vendue à une grande multinationale, mais il n'y a aucune raison pratique pour laquelle cela ne pourrait pas arriver.
On craint que de grandes entreprises internationales comme Verizon, Deutsche Telekom ou autres qui investissent dans le monde entier en avalant sur leur passage des entreprises modestes ou en investissant à grande échelle dans l'achat de spectre aux enchères, s'intéressent au marché canadien.
Compte tenu de la domination des trois grands sur notre marché, ces entreprises internationales pourraient aussi décider de ne pas s'y frotter. Mais si elles veulent vraiment pénétrer le marché, elles pourraient s'installer et concurrencer plus directement les grandes entreprises. En fait, j'aurais aimé que cela arrive.
Pour le moment, ceux qui souhaitent davantage de concurrence espèrent que certaines des grandes entreprises étrangères entreront sur le marché canadien. Mais il faut admettre qu'elles pourraient y renoncer en voyant les avantages qui sont accordés aux trois grands qui dominent sur notre marché.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Est-ce que vous considérez que la télécommunication en général au Canada est un monopole?
[Traduction]
M. Geist : Ce n'est certainement pas un monopole, puisqu'il y a au moins trois protagonistes. En fonction du marché, il peut y avoir divers intervenants, par exemple MTS Allstream au Manitoba, SaskTel en Saskatchewan et Québécor au Québec.
Ces dernières années, cela a été vraiment instructif de voir le type de domination que ces trois grands ont exercée sur notre marché. Je ne dirais donc pas qu'il y a un monopole, mais une domination de la part de trois grands protagonistes.
Nous avons vu des changements de prix et nous avons vu certains choix offerts aux consommateurs au moment de l'entrée sur le marché de Globalive, de Public Mobile et de Mobilicity. Cela a eu des conséquences nettes et des conséquences sur les grands protagonistes qui ont été obligés d'exercer une concurrence plus agressive par rapport au prix qu'ils offraient. Je pense par ailleurs que certaines de ces études ont eu aussi des conséquences.
J'ai parlé de l'étude sur l'itinérance qui, je crois, est un grand sujet de contrariété pour les Canadiens qui vont en vacances aux États-Unis, au Mexique, en Europe ou n'importe où ailleurs, et qui paient des frais exorbitants s'ils utilisent leur téléphone cellulaire. Il est décourageant de constater — et je ne pense pas que cela soit particulièrement surprenant — que le Canada a l'un des taux d'itinérance les plus élevés parmi tous les pays de l'OCDE.
Certains fournisseurs y ont vu une possibilité d'affaires et ont commencé à modifier leur tarification en faisant valoir au public qu'ils allaient lui offrir de meilleurs prix pour les appels en itinérance.
Mais vu sous l'angle de la discipline du marché, il faut beaucoup plus qu'une étude de l'OCDE, des pressions de la part des consommateurs et une poignée de petits protagonistes qui pour le moment ont très peu d'abonnés. Ce qu'il faut, c'est l'entrée sur le marché d'au moins un intervenant important, sinon plus, en mesure d'offrir des services d'itinérance à des taux beaucoup plus concurrentiels grâce aux dizaines de réseaux qu'ils exploitent dans le monde entier et qui leur permettent de faire des économies d'échelle qui sont hors de portée de nos acteurs locaux.
Il est en outre intéressant de constater les effets de la consolidation du marché. Ainsi, une entreprise comme Bell a fait un tel virage vers la télédiffusion que ses services de télécommunications font de moins en moins partie de son plan d'affaires. La priorité accordée à la concurrence et à l'innovation pourrait s'estomper au profit du contenu, ce qui n'est pas une bonne chose pour le volet communications. C'est l'une des raisons pour lesquelles il faut davantage d'intervenants.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Dans votre mémoire, vous traitez de convergence, qui est un sujet très délicat : télécommunication, télédiffusion, même radiodiffusion. Dans le monde artistique du Québec, depuis une dizaine d'années, le mot « convergence », qui signifie « constitution de grands monopoles », est presque diabolisé. De votre côté, vous voyez la convergence de façon différente, même positive en termes de communication. Où vous situez-vous? Est-ce que selon vous la convergence est inévitable sur le plan des télécommunications?
[Traduction]
M. Geist : La convergence dont je parle porte sur les fusions qui pourraient amener de nouveaux intervenants dans le secteur des télécommunications. Quant à la convergence que nous avons constatée entre la radiodiffusion et les télécommunications, je la trouve beaucoup plus inquiétante et j'ai d'ailleurs comparu devant au moins un des comités de la Chambre des communes pour témoigner à ce sujet.
J'y vois des dangers très réels. Là encore, je prendrai l'exemple de Bell qui est l'intervenant ayant opéré le plus de convergence sur le marché. Au fur et à mesure que ses priorités privilégient le contenu au détriment du véhicule, il y a un danger réel qu'il le fasse aux dépens d'autres intervenants. Ce faisant, il pourrait mettre en péril ce que l'on a appelé la neutralité des réseaux, qui consiste à traiter également tous les contenus des communications qui transitent sur votre réseau. Ce sont des enjeux majeurs pour les consommateurs, en regard des choix qui leur sont offerts. Ce sont des enjeux majeurs pour les créateurs qui pourraient de plus en plus délaisser les radiodiffuseurs établis — on le voit déjà d'ailleurs —, qu'il s'agisse des producteurs de services vidéo OTT comme Netflix ou autres, pour diffuser eux-mêmes leur contenu. Internet leur donne la possibilité de trouver un auditoire mondial sans nécessairement passer par ces diffuseurs. Lorsque les services de radiodiffusion et de télécommunications, le FSI, sont regroupés en un seul service qui offre la large bande dans les foyers, les services sans fil — qui vous y donnent de plus en plus accès dans un monde mobile — et la radiodiffusion, il est clair que ce service unique aura intérêt à donner la priorité à ses propres produits.
Le CRTC régit la question dans une certaine mesure, mais je pense qu'il y a de grands risques. En fait, si on compare le Canada aux États-Unis, l'organisme de réglementation américain a pris des mesures beaucoup plus radicales pour imposer des limites à ce que peuvent faire les acteurs de la convergence.
Si on compare Shaw et CanWest Global, Bell et CTV, puis Astral au Canada avec la grande fusion comparable de NBC, on impose des conditions bien plus strictes aux États-Unis pour soutenir l'offre Internet. Je ne pense pas que nous sommes allés assez loin. Nous devrons peut-être le faire plus tard, parce que les intervenants indépendants, les entreprises innovatrices et les créateurs sont grosso modo obligés de travailler avec très peu de grandes entités convergentes.
Le sénateur Unger : Merci, monsieur Geist. Vos commentaires sont très instructifs. C'est un sujet compliqué lorsqu'on ne le connaît pas.
Le ministre a dit espérer l'arrivée d'un quatrième acteur, grâce à la réglementation proposée. Croyez-vous que cela va arriver?
Aussi, dans votre témoignage devant notre comité en 2009, vous avez indiqué que l'approche progressive et lente empêchait d'adopter une vision plus audacieuse et constituait une occasion manquée. Venez-vous de souligner cette possibilité que les grands acteurs étrangers ne veuillent pas faire des affaires au Canada?
M. Geist : Vous avez soulevé deux questions. Je pense qu'en effet, la réglementation proposée ouvre la voie à un quatrième acteur. En fait, on dirait que la combinaison des règles relatives à la mise aux enchères du spectre et des changements apportés aux dispositions sur la propriété étrangère vise à permettre l'arrivée d'un quatrième grand acteur étranger viable, qui va assimiler un certain nombre de petits intervenants actuels et peut-être investir massivement dans le spectre pour détenir plus que les 10 p. 100 qui font l'objet d'une restriction. Bien sûr, les nouvelles dispositions n'imposent pas de restriction sur l'expansion au-delà de ce seuil.
C'est la vision qui est adoptée. Bon nombre diraient qu'un quatrième grand acteur est préférable à une dizaine de petits acteurs qui occupent de petites parts de marché, mais qui ne peuvent pas concurrencer les grandes entreprises, surtout compte tenu des investissements nécessaires.
Concernant votre deuxième question sur une vision plus audacieuse et ce genre de choses, je pense que, lors de mon témoignage en 2009, nous disions que le Canada devait adopter une stratégie sur l'économie numérique, dont ces mesures font partie. C'est étonnant, mais nous en parlons toujours. C'est comme dans l'épisode de Seinfeld diffusé il y a des années, une personne travaille sans cesse au dossier Penske, même s'il n'existe pas. Je dois admettre que ça ressemble à la stratégie sur l'économie numérique. Surtout dernièrement, les gouvernements successifs ont tenu toutes sortes de consultations à ce sujet. Ils nous ont promis d'élaborer une stratégie complète sur l'économie numérique et d'adopter une vision audacieuse qui tient compte du marché des télécommunications. La stratégie doit assurément prendre en compte ce marché, sans porter uniquement là-dessus.
C'est incroyable, l'étude de l'OCDE indique que bien des pays sont en avance par rapport à nous en ce qui concerne les restrictions sur l'investissement étranger. Si on réalisait une étude semblable sur le nombre de pays qui nous devancent pour l'établissement d'une stratégie sur l'économie numérique, nous serions probablement parmi les derniers aussi.
Même si le gouvernement va de l'avant avec le projet de loi C-11, nous sommes un des seuls pays développés qui n'a pas réussi à définir une vision audacieuse sur les télécommunications, mais aussi sur les compétences et la propriété intellectuelle.
Cette vision concerne bien des aspects de la question et doit appliquer des règles adéquates en matière de protection des renseignements. Dans mon témoignage devant le Comité de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique la semaine dernière, j'ai dit qu'il fallait mettre à jour les règles sur la confidentialité, qui sont tellement dépassées par rapport aux défis que présente Internet. Nous avons beaucoup de pain sur la planche. Par exemple, une vision qui prévoit des objectifs clairs nous fait défaut depuis nombre d'années.
Le sénateur Unger : J'aimerais entendre vos commentaires sur le financement de la Liste nationale des numéros de télécommunication exclus.
M. Geist : J'ai passé beaucoup de temps à créer le site Internet complémentaire et distinct iOptOut. J'essaie de cibler les nombreuses entreprises et organisations exclues de cette liste.
Lorsque la liste des numéros de télécommunication exclus a été établie, je disais que c'était la liste des numéros à composer sans hésiter, entre autres parce qu'il reste bien peu d'organisations si on exclut les organisations caritatives, les partis politiques, les journaux et toutes les entreprises avec lesquelles on a communiqué dans les derniers mois. Je pense que, si on examine cette liste encouragée par divers partis, on constate qu'elle est vouée à l'échec à bien des égards, tout d'abord à cause des nombreuses exceptions qu'elle contient. En réalité, bien des organisations qui font du télémarketing sont exclues. La liste ne fournit pas à l'organisme de réglementation les outils nécessaires pour appliquer la loi de façon adéquate. De plus, les fonds investis ne permettent pas d'imposer des sanctions sévères en cas de violations.
J'ai l'impression de recevoir tous les jours des appels d'entreprises de nettoyage du système de ventilation. Des millions de Canadiens reçoivent ces appels, même si leurs numéros sont inscrits sur la liste d'exclusion. À mon avis, le gouvernement doit établir un cadre qui permet aux Canadiens de ne pas recevoir d'appels de télémarketing si c'est leur choix. La liste doit donc limiter les exceptions et bénéficier des fonds nécessaires. Je ne suis pas sûr que la bonne solution, c'est de demander aux entreprises de télémarketing de financer la liste. Compte tenu de la popularité de la liste, je pense bien que de nombreux Canadiens sont prêts à payer des impôts pour ce service et pour que la liste soit appliquée de manière efficace.
[Français]
Le sénateur Verner : Toujours concernant la liste nationale des numéros de téléphone exclus, le gestionnaire de la liste, Bell Canada, s'est vu confier le contrat en 2007 pour une période de cinq ans. On lui a imposé une amende de 1,3 million de dollars pour avoir enfreint les dispositions de la liste. Lorsqu'on voudra renouveler le contrat ou aller en appel d'offre pour choisir le prochain gestionnaire de la liste, est-ce qu'on tiendra compte d'une telle tache dans le dossier de Bell Canada? J'aimerais vos commentaires là-dessus.
Il y a la liste nationale des numéros de téléphone exclus, mais ce qui s'en vient aussi, c'est une loi pour contrer les courriels indésirables, une loi anti-pourriels. Quand on examine les deux mesures, on constate que le processus pour être exclu de toute sollicitation est très différent. Pour la liste des numéros de téléphone, on doit nous-mêmes s'inscrire alors que pour les pourriels, les compagnies vont devoir obtenir notre autorisation avant de nous écrire. Ne croyez-vous pas qu'il faudra une seule loi pour chapeauter tout cela, sinon cela risque de devenir compliqué?
[Traduction]
M. Geist : C'est une bonne question. Je vais y répondre en premier.
C'est plutôt ironique que Bell ait reçu une amende alors qu'elle gérait la liste, mais d'autres entreprises auraient aussi reçu des amendes.
On veut bien sûr que les grandes compagnies comme Bell ou TELUS respectent la loi. C'est bien que le CRTC les ait ciblées. Mais ça met en lumière les lacunes sur le plan de l'application de la loi. C'est facile de constater qu'une compagnie comme Bell viole la loi, car elle gère la liste. C'est embarrassant pour une grande entreprise comme elle. Même si Bell pense qu'elle n'a pas commis d'infraction, elle va tenter de régler la question le plus tôt possible.
Toutefois, d'autres entreprises violent la loi de façon bien plus grave que Bell, sans recevoir de sanctions. Le CRTC s'est montré incapable jusqu'ici d'appliquer la loi contre elles.
Selon ce que je comprends, peu d'entreprises ont participé à l'appel d'offres remporté par Bell. Le gouvernement a fait son choix dans ce contexte. Je répète que, dans les faits, il aurait été de loin préférable que le gouvernement investisse les fonds appropriés et qu'il applique la loi lui-même pour refléter les valeurs des Canadiens. Il faut faire les investissements adéquats pour que le système fonctionne bien et que la loi soit respectée. Le gouvernement a essayé d'économiser de l'argent. En externalisant la gestion à Bell, en appliquant la loi de façon limitée et en exigeant qu'un certain nombre d'entreprises de télémarketing paient pour la liste, le gouvernement pouvait se targuer d'avoir pris des mesures, même si presque tous les acteurs étaient exemptés et qu'il essayait de refiler la facture à d'autres. Pour bien faire les choses, il fallait investir massivement dès le début. La question ne se poserait pas, parce que Bell ne gérerait pas la liste.
Concernant votre deuxième question, c'est important d'avoir un système pour éviter de recevoir des appels. Si je veux que les entreprises de télémarketing ne m'appellent plus, j'ajoute mes numéros à la liste d'exclusion. Par contre, la loi antipourriel ne nous oblige pas à demander aux entreprises de marketing d'exclure nos adresses de courriel de leurs envois. Au contraire, ces entreprises doivent obtenir notre permission d'avance. Au fond, il faut accepter de recevoir des courriels.
Je dois faire deux commentaires. D'abord, la loi a été adoptée et a reçu la sanction royale en 2010. Nous attendons toujours qu'elle entre en vigueur, parce que la réglementation est retardée, à Industrie Canada. À mon avis, c'est inexcusable, comme le CRTC l'a conclu après avoir suivi le processus réglementaire. L'été dernier, Industrie Canada a présenté la réglementation, mais elle a été décriée par les compagnies qui avaient négocié ce qu'elle croyait être un compromis raisonnable sur la loi antipourriel. Ces compagnies ont indiqué que l'entente conclue il y a quelques mois ne leur convenait plus et ont contesté la réglementation. Industrie Canada n'a pas présenté de nouvelle réglementation. Certains affirment que, si le Conseil du Trésor n'examine pas la réglementation d'ici une semaine environ, la nouvelle réglementation ne sera présentée qu'à l'automne en vue de consulter la population. La réglementation pourrait donc n'entrer en vigueur qu'à la fin de 2013. En effet, le cadre est différent, mais on se demande pourquoi il faut tout ce temps, étant donné que le Parlement a adopté la loi et qu'à peu près tous les intervenants étaient tout à fait d'accord.
Vous avez bien raison d'évoquer une seule liste ou une seule approche, car la loi contient une disposition pour éliminer la Liste de numéros de télécommunication exclus. En gros, tous les numéros feraient partie de la liste, parce que les entreprises seraient tenues d'obtenir notre permission à l'avance. Je pense que c'est la bonne solution. Le gouvernement a ajouté une disposition pour procéder ainsi, tôt ou tard. Je suis d'accord pour dire que ce n'est pas très sensé d'avoir une approche pour le télémarketing et une autre pour bien d'autres genres de marketing, notamment le marketing sur Internet. L'exigence plus stricte pour les pourriels doit s'appliquer aux autres formes de marketing.
Le sénateur Martin : Le Canada est unique pour ce qui est de la superficie que doivent couvrir les fournisseurs, qui éprouvent eux-mêmes des difficultés internes. Je comprends tout ce que vous dites, mais nos études et d'autres indiquent que le Canada présente toujours des défis uniques.
En ce qui a trait à l'ouverture du marché pour donner plus de choix aux consommateurs, un meilleur service, et cetera. — et je crois que la concurrence permet d'atteindre l'excellence et est profitable —, les avantages vont-ils bel et bien se faire sentir autant à la campagne qu'en ville? Le contraste entre la campagne et la ville constitue une autre réalité importante. On nous l'a indiqué durant notre étude précédente sur l'industrie des télécommunications, et cetera. À votre avis, les avantages vont-ils profiter aux gens de la campagne, et l'ouverture du marché va-t-elle améliorer en région rurale?
M. Geist : C'est une bonne remarque et c'est juste de dire que les avantages liés à la concurrence accrue vont d'abord profiter aux gens de la ville, qui représente un plus grand marché. Les investisseurs privés cherchent à obtenir le meilleur rendement. Les villes englobent davantage de gens dans un rayon plus restreint et permettent aux entreprises de bien s'établir pour se concurrencer adéquatement.
Le gouvernement a présenté des mesures incitatives dans la mise aux enchères du spectre pour favoriser le secteur rural.
Le gouvernement doit en faire une grande priorité. Il faut que l'objectif fondamental de la politique soit d'offrir des services à large bande pour tous les Canadiens, qu'ils habitent dans de petites ou de grandes collectivités. On doit bénéficier des mêmes capacités de télécommunication sans fil, un système souvent plus efficace dans les collectivités rurales.
Si le marché n'offre pas ce genre de services, le gouvernement peut s'impliquer. Dans certains cas, les pouvoirs publics ont fait des efforts pour offrir les services essentiels à large bande lorsque le marché ne pouvait pas le faire. D'ailleurs, je pense encore que trop de collectivités n'ont pas accès aux services. C'est un investissement profitable, étant donné que les gouvernements rehaussent les services électroniques aux Canadiens pour améliorer l'efficience.
La norme à satisfaire pour pouvoir fournir ces services est l'universalité pour tous les Canadiens. Il y a problème si des communautés n'y ont pas accès ou si on coupe l'accès de certaines communautés aux services dont elles dépendent. C'est vraiment ce que vient de faire le gouvernement, en supprimant le Programme d'accès communautaire, le PAC. Cela n'aide en rien les communautés qui dépendent de ce genre de programme pour accéder à ces services. L'abstention de nos grands joueurs, qui n'ont pas essayé, avec l'organisme de réglementation et le gouvernement, de trouver ou de proposer, pour ces problèmes, des solutions fondées sur un partenariat public-privé, n'aide pas non plus.
Par exemple, aux États-Unis, on reconnaît que l'un des principaux problèmes n'est pas seulement l'accès, mais l'abordabilité. Les Canadiens qui ont accès aux services à large bande, mais qui ne peuvent pas se le permettre, sont encore trop nombreux; ils n'ont pas d'ordinateur ou les prix sont excessifs pour eux.
Aux États-Unis, la Commission fédérale des communications et les principaux fournisseurs de services à large bande, Microsoft et Dell, ont lancé conjointement une initiative, l'année dernière, pour fournir aux citoyens à bas revenus, ceux qui reçoivent des bons de nourriture, un service à large bande, pour 10 $ par mois, ce qui est modique, et un ordinateur extrêmement bon marché. Au Canada, aujourd'hui, quelle est la position des grands joueurs sur cette question? Je suis ravi de m'engager dans la convergence dont nous avons parlé, mais quelle est la position qui leur permet de dire qu'ils essaieront de fournir aux ruraux et aux citadins canadiens à bas revenus l'accès dont ils ont besoin? Ils ont déjà la connectivité; ils ne peuvent pas se permettre l'accès, tout simplement. Rien de cela ne se produit.
Dans le cas de la fusion Bell-Astral, nous dépenserons des centaines de millions en avantages corporels. Pourquoi, avec cet argent, ne pas nous assurer que tous les Canadiens auront cet accès, que beaucoup d'entre eux ne peuvent pas se permettre? Nous n'avons pas vu d'exemples de vision à long terme, de prise en charge; ce n'est pas seulement le rôle de l'État. Il faut que le secteur privé participe, lui aussi. Lui aussi, il dort.
Le sénateur Martin : Je suis d'accord. Comment mobiliser le secteur privé? Une loi ouvre le marché. Des joueurs peuvent ne pas être d'accord. Ils semblent préférer le monopole. Encore une fois, je pense que la concurrence profite à tous. Elle a un puissant effet catalyseur. Mais comment obtenir le concours du secteur privé? Est-ce que ça ne devrait pas être l'une des prochaines mesures à prendre?
M. Geist : Si j'étais en mesure de le faire — si j'étais ministre de l'Industrie pendant une journée — je convoquerais les joueurs, l'organisme de réglementation et des groupes de consommateurs et je signalerais les avantages incroyables dont ces sociétés ont profité pendant des années, grâce au cadre réglementaire, qui leur a permis d'engranger des profits énormes, eux et leurs actionnaires. Je ne dis pas que c'est mauvais. C'est le capitalisme. Cependant, soyons lucides. Ces entreprises ont profité d'un succès énorme : Bell, en situation de monopole pendant des années, les gros câblodistributeurs comme Rogers et Shaw, qui ont profité de la réglementation, pour les droits d'auteur et la distribution de radiodiffusion, ce qui les a conduits là où ils sont aujourd'hui.
C'est maintenant le temps du retour d'ascenseur, alors que les règles changent. En retour de règles que nous allons élaborer et que vous estimez nécessaires au maintien de votre réussite, vous devez aider aux investissements dans ce domaine. Il ne s'agit pas de charité, car leurs réseaux sont déjà en place. Le coût marginal de l'ajout de nouveaux clients est faible, mais en outre, on espère donner aux gens les moyens nécessaires pour se hisser à un niveau socioéconomique supérieur. Qu'ainsi, ils deviendront pleinement fonctionnels et paieront les tarifs ordinaires. C'est une occasion d'affaires, comme celle qui s'est présentée ailleurs. Pourquoi n'avons-nous pas un service à bande large bon marché pour les Canadiens pauvres, tout en assurant à chaque Canadien l'accès à un ordinateur?
À la fin des années 1990, un programme assurait l'accès à Internet de toutes les écoles du Canada. Nous avons été le premier pays à le faire. Pourquoi pas un programme pour assurer l'accès à son propre ordinateur à tous les écoliers? Comment pouvons-nous nous attendre à ce que, aujourd'hui, chaque enfants puisse s'investir efficacement dans son éducation, qu'il accède à la culture, qu'il se taille une place et qu'il se développe s'il n'a pas accès à un ordinateur? Trop de Canadiens n'ont pas encore cet accès.
Le sénateur Martin : Vous parlez à des convertis. À titre d'ancien enseignant, je sais à quel point c'est essentiel. J'espère que l'industrie écoute, parce que je sais que nous l'avons écoutée. Merci de vos observations et de vos idées.
Le sénateur Eggleton : Dans le même ordre d'idées, le gouvernement doit également écouter, parce qu'il omet de faire un certain nombre de choses. Je suis d'accord avec vos propos, monsieur Geist. Ce dont nous discutons devrait faire l'objet d'un projet de loi particulier. Ça ne devrait pas faire partie de ce projet de loi omnibus sur le budget, parce que beaucoup de problèmes que vous avez soulevés bénéficieraient d'une oreille plus attentive et pourraient trouver une solution si un projet de loi distinct visait à les résoudre. Comme vous l'avez fait remarquer, nous avons beaucoup reculé. À une certaine époque, le monde nous enviait, mais plus maintenant.
Permettez-moi de vous demander, les articles sur la propriété étrangère vont-ils très loin? Sont-ils futiles? Apporteront-ils de gros changements? Qu'en est-il dans chacun des domaines que vous avez signalés, la concurrence, les choix et les coûts. Quels changements apportera-t-il dans ces trois domaines?
M. Geist : Je pense que c'est certainement mieux que ce que nous avons maintenant. C'est un véritable pas en avant. Nous avons vu de nombreuses études. La plupart des joueurs, les groupes de consommateurs et autres, tous disent être prêts à un certain changement; cela représente un changement. J'ai prétendu que nous pouvions faire davantage. Comment cela concerne-t-il les coûts, les choix et la compétitivité? Franchement, rien n'arrivera du jour au lendemain. Si le projet de loi C-38 était adopté — on pense qu'il le sera — et qu'il changeait ces règles, il ne s'ouvrira pas, le lendemain, de magasins locaux de produits sans fil. Le marché sera touché à plus long terme, pas du jour au lendemain.
Je pense que de nouveaux arrivés ont eu des répercussions sur le marché, particulièrement dans le segment de bas de gamme. En conséquence, les joueurs établis doivent se montrer plus inventifs dans l'établissement de certains de leurs prix. Comme j'ai mentionné, des changements ont répondu, par exemple, aux problèmes d'itinérance des abonnés, en partie à cause de cela. Certains changements des dernières années sont dus, d'après moi, à certains choix faits au cours des dernières enchères sur le spectre de fréquences, qui ont facilité l'arrivée de certains nouveaux venus.
Cependant, je pense que certains gros joueurs ne cherchent encore qu'à gagner du temps, d'une certaine manière. La faible croissance du marché et le peu de succès commercial de ces entreprises leur font croire que ces concurrents ne tiendront pas longtemps, qu'il y aura des fusions, qu'un autre joueur viendra ou qu'ils seront en mesure, à un moment donné, de s'en occuper eux-mêmes et de supprimer une partie des menaces que représente leur concurrence.
Une façon de déjouer ce calcul serait, pour le gouvernement, d'appeler un quatrième joueur important, qui pourrait rassembler les petits joueurs, investir dans le spectre de fréquence, pour ensuite faire dire au gouvernement que ce joueur est en position de concurrencer les trois grands. Il semble que cela soit le plan, et je pense qu'il est raisonnable d'espérer qu'il aboutira à ce résultat. Dans ce cas, on en verra les conséquences positives à long terme, sur les coûts, les choix et la compétitivité. On peut soutenir que le choix est un peu plus limité, parce qu'il y a moins de petits joueurs, mais je pense que le choix entre tous les joueurs s'améliore parce que le besoin d'une concurrence plus efficace se fait vraiment sentir.
Le sénateur Eggleton : Vous parlez d'un quatrième joueur, qui viendrait s'ajouter aux trois grands, c'est-à-dire Bell, Rogers et TELUS. Je pensais que les dispositions dont nous parlons ne concernaient que les joueurs dont la part du marché se situe immédiatement sous les 10 p. 100. Si, soudainement, leur part du marché dépassait 10 p. 100, à quelle règle seraient-ils assujettis?
M. Geist : Essentiellement aucune. Si, au début, la part du marché du joueur est inférieure à 10 p. 100 et qu'elle grimpe au-dessus, il peut continuer de l'augmenter.
Le sénateur Eggleton : Est-ce que cela ne défavorise pas les trois grands, assujettis à des conditions plus rigoureuses? Comment, d'après vous, cela fonctionnerait-il?
M. Geist : Actuellement, la partie est tellement inégale, à cause de la force et de l'espèce de dominance qu'exercent les trois grands, que la possibilité qu'un nouveau joueur soit en position de s'emparer de plus de 10 p. 100 des parts du marché ne représente pas une menace importante, du moins, certainement pas à court terme. À long terme, quelqu'un qui a les reins très solides constituerait-il une menace plus importante et commencerait-il à s'emparer de certaines parts de ce marché? Je pense que c'est possible.
Je dois préciser que j'aimerais qu'aucune limite ne soit imposée à aucun joueur. Nous n'aurions alors pas à nous soucier de l'inégalité des chances. Si un joueur devait acquérir de 15 à 20 p. 100 des parts du marché, je pense que, de plus en plus, tous les joueurs s'accorderaient pour réclamer l'égalité des chances.
Comme je l'ai mentionné, je serais alors tout à fait à l'aise.
Le sénateur Eggleton : Je n'en doute pas, mais je pense qu'une partie de la réaction à cet égard découle de la convergence entre les télécommunications et la diffusion et de l'inquiétude au sujet des règles de diffusion et des règlements sur la culture et tous les sujets qui importent à la plupart des Canadiens.
Dans vos remarques, vous dites que c'est exagéré, qu'on pourra toujours se rabattre sur le règlement sur le contenu canadien. Cependant, à l'un de mes collègues, vous avez répondu que la convergence de ces domaines vous inquiétait au sujet de l'établissement des priorités. Vous avez mentionné les États-Unis qui, d'après vous, étaient un peu en avance sur nous à cet égard.
Ne faudrait-il pas résoudre d'abord ce problème pour essayer de dissiper les craintes au sujet de la diffusion? Vous me semblez un peu vous contredire sur ce point. D'une part, vous dites que c'est exagéré, mais, d'autre part, vous craignez un problème dans la méthode de fixation des priorités. Comment surmontez-vous cette contradiction?
M. Geist : Les craintes au sujet de la convergence touchent l'infrastructure des télécommunications et d'Internet et la transmission du contenu. Le point sensible est la transmission du contenu, c'est-à-dire la possibilité de le façonner, de l'étrangler, de violer la neutralité de la Toile et toutes les sortes de problèmes qui se posent souvent à de nombreux joueurs par exemple que quelqu'un, sur leurs réseaux de distribution, privilégie une partie de son contenu. Il faut des règles pour remédier à cela. Certaines de nos règles le font effectivement.
Un nouveau joueur n'est pas nécessairement un utilisateur de la convergence. Verizon et Deutsche Telekom n'appartiennent pas à cette catégorie, certainement pas sur le marché canadien. Il est donc erroné de penser qu'ils sont capables de privilégier leur propre contenu. Tout d'abord, ils n'ont même pas ce contenu sur le marché canadien.
Ici, il s'agit d'utilisation abusive potentielle ou de l'emploi de la fonction distribution — les télécommunications — à des fins vraiment inquiétantes.
En ce qui concerne la diffusion, pour maintenant et dans un avenir prévisible, les permis restent de mise. Malgré le nombre élevé de possibilités de distribuer son contenu et de pouvoir s'exprimer, dans un Internet où un permis n'est pas nécessaire, on continue d'accorder une certaine valeur aux permis de diffusion. Leur nombre est limité, et la capacité de rejoindre les gens par la télévision ou par un autre média reste importante et le restera dans un avenir prévisible. La télévision ne disparaîtra pas complètement.
Tant que nous vivrons dans un monde où la diffusion fait l'objet d'un permis, tout diffuseur, qu'il soit Canadien ou étranger, sera assujetti aux règles dont son permis est assorti.
Je ne vois vraiment pas pourquoi on penserait qu'un diffuseur étranger serait moins susceptible de respecter les règles de son permis, y compris les exigences de contenu canadien qui peuvent faire partie des conditions dont le permis est assorti. En réalité, ce que nous observons depuis de nombreuses années et ce que nous venons tout juste d'observer encore, c'est la sortie de la programmation automnale pour la télévision, par les diffuseurs canadiens qui vont à Hollywood soumissionner pour du contenu américain, puis faire le strict minimum pour satisfaire aux exigences du CRTC en matière de contenu canadien.
Ce sont des Canadiens. Pourquoi un diffuseur américain ferait-il pis? Je ne vois pas en quoi.
Le sénateur Eggleton : Permettez-moi de conclure en disant que je suis d'accord avec une autre de vos observations. Je pense qu'il est malheureux que le gouvernement n'ait pas encore produit de règlement sous le régime de ce projet de loi adopté en 2010. Cela fait deux ans. Nous pourrions vérifier, monsieur le président, pour voir où c'en est.
Je pense que le sénateur Martin a posé une bonne question sur les modalités d'une distribution plus égale dans les régions rurales. Cependant, l'abolition du Programme d'accès communautaire par le gouvernement n'a pas aidé les choses, qui sont allées dans une très mauvaise direction. Je suis d'accord, nous devrions avoir un service à large bande disponible partout au pays, dans les régions rurales et urbaines. Il faudra que le gouvernement intervienne, pas seulement le secteur privé. Le projet de loi n'y pourvoit certainement pas.
Merci.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je comprends de vos propos que votre position est d'aller plus loin, plus vite.
TELUS annonçait cette semaine un investissement de près de 800 millions de dollars dans le développement des télécommunications. Avez-vous été surpris de cette annonce, dans le contexte actuel de « monopole »?
[Traduction]
M. Geist : Non, je ne suis pas surpris des investissements de ces compagnies. Elles y sont obligées. Nous assistons à un important engouement pour le mobile, non seulement pour les services vocaux traditionnels ou même ce qui pourrait passer pour des services traditionnels de transmission de données, mais, de plus en plus, il est question d'abonnés du câble qui résilient leur abonnement et qui comptent sur Internet. Ils se désabonnent de leur service à large bande pour adopter uniquement le sans-fil comme service de base. Comme, particulièrement, le service mobile à large bande s'accélère, cela devient davantage une possibilité réaliste.
Incontestablement, la demande est énorme. Aucun des joueurs n'a le choix, si ce n'est d'investir gros dans ces marchés. Sinon, ils ne pourront pas répondre à la demande de leur clientèle. Je suppose qu'ils fixeront leur prix de manière à obtenir un rendement approprié de cet investissement.
Cependant, si vous êtes un fournisseur de réseau et que vous n'investissez pas dans le réseau, vos jours sont comptés.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Vous semblez optimiste que le Canada se repositionne comme chef de file sur le plan des télécommunications. Avez-vous un exemple de pays qui étaient dans une situation similaire à celle du Canada aujourd'hui et qui auraient pris les moyens propices pour se repositionner et devenir chefs de file?
[Traduction]
M. Geist : J'ignore si je me range parmi les optimistes. Je suis optimiste pour un certain nombre de choses. J'ai bon espoir que ces changements particuliers seront en quelque sorte utiles. Cependant, comme je l'ai dit, je pense que nous avons besoin d'une vision à plus long terme, de repères bien visibles et d'autres moyens de ce genre. Mais, à vrai dire, il est difficile d'être optimiste, vu le genre de retards que nous avons subis.
En ce qui concerne les pays exemplaires, on me demande souvent s'il y en a un que nous pourrions imiter? Je pense que nous pourrions en choisir beaucoup et trouver chez eux différents types de leadership possibles. La Corée du Sud, par exemple, est souvent citée en exemple d'une intervention rapide et très dynamique de l'État, notamment dans les réseaux à haute vitesse, pour s'être impliquée, avoir encouragé et avoir favorisé ses réseaux. Ce pays possède maintenant les réseaux de loin les plus rapides du monde, et les prix sont bien mieux que ceux d'ici.
Un certain nombre de pays d'Europe ont également fait beaucoup mieux que nous. Dans certaines parties de la France, notamment à Paris, la situation est belle, mais, là-bas, on disposait d'un avantage naturel, un réseau d'égouts ouvert qui permettait à tous les intéressés d'y faire passer le câble. La concurrence est beaucoup plus intense que ce qui serait possible dans une ville d'ici, Ottawa par exemple. S'il fallait que nous enlevions la chaussée, puis la remettre en état chaque fois que quelqu'un veut faire passer le câble dans le centre-ville d'Ottawa, la ville serait un chantier permanent. C'est une difficulté et un problème constants.
Nous avons vu que l'Australie a annoncé un investissement de plusieurs milliards de dollars dans le service à large bande de la prochaine génération, pour la résolution des problèmes dont vous avez parlé, c'est-à-dire les communautés rurales qui n'ont pas l'accès dont elles ont besoin. Malgré l'existence d'un seul joueur dominant, Telstra, les Australiens ont annoncé qu'ils allaient de l'avant avec cet investissement. Bien sûr, cela a soulevé la controverse, mais cela prouve que certains de nos principaux partenaires commerciaux et certaines des économies les plus importantes du monde ne s'en remettent pas aux investissements du secteur privé pour tout faire.
D'autres pays pourraient nous inspirer. Je dirais que, au point où nous sommes, nous devons, au bout du compte, trouver une solution imaginée au Canada, en partie parce que nous sommes bien plus avancés que là où se trouvait la Corée du Sud, il y a 10 ou 15 ans, où presque tout était à construire, où l'objectif était nommé et où on était prêt à y consacrer les investissements pour y parvenir.
Franchement, nous sommes probablement bien plus avancés que l'Australie, parce que nos joueurs établis pourraient dire au gouvernement qui se prépare à consacrer des milliards de dollars aux réseaux alors que beaucoup de ces types de réseaux, ils les ont déjà construits.
Au Canada, nous devons chercher les lacunes dans le réseau, les défauts et les causes de nos retards. Nous devons nous interroger sur les mesures pour y remédier. Une solution consiste à admettre une concurrence plus forte, dans le sans-fil, ce qui explique les raisons pour lesquelles nous avons parlé de cet enjeu. Une autre solution, dont j'ai parlé plus tôt, consiste à assurer l'accès à l'ordinateur et un accès abordable à tous les Canadiens, peu importe où ils habitent.
On pourrait également faire appel à certains de nos grands réseaux nationaux de recherche à haute vitesse. Je fais partie du conseil d'administration du réseau CANARIE, qui exploite, dans tout le pays, les réseaux nationaux à haute vitesse de recherche et d'éducation. Beaucoup de pays en possèdent, et les laboratoires de l'État les utilisent.
Dans le dernier budget, ce réseau n'a pas reçu le même mandat qu'au cours des années antérieures. Par le passé, c'était toujours des reconductions quinquennales. Cette fois, la reconduction n'a pas été quinquennale. En fait, le réseau n'a pas reçu autant d'argent que la dernière fois. Cependant, on pourrait songer à lui pour des accords d'appairage et pour connecter des communautés rurales qui, sinon, ne sont pas connectées. Plutôt que d'investir dans ce réseau actuellement sous-utilisé, on envisage de lui consacrer moins d'argent.
Pour vous donner un exemple, un certain nombre de réseaux et de communautés n'ont intéressé aucun des grands joueurs. Parfois, une communauté décide de monter son propre réseau, puis Rogers, TELUS ou Bell, peu importe, lui dit qu'il ne lui fournira pas la voie d'accès nécessaire pour sa connexion avec Internet, à moins qu'elle ne lui vende le réseau. Ils sont heureux de leur monopole de fournisseur ou de joueur, mais ils ne sont pas prêts à fournir une connexion.
Une organisation comme le réseau CANARIE, qui est financé par des fonds publics et privés, pourrait être le fournisseur idéal de cette connexion. Il pourrait volontiers fournir à la communauté locale qui a construit un réseau la connexion qui lui procurera de meilleures possibilités de concurrence.
Voilà quelques-unes des solutions que nous pourrions appliquer. Cependant, faute de stratégie pour une économie du numérique qui fait l'inventaire de ces solutions, j'ai l'impression que nous sommes un peu bloqués à la ligne de départ.
Le sénateur Unger : Vous dites que les trois grands sont Bell, Rogers et TELUS. Je me demande où Shaw se situe par rapport à eux. Je m'interroge également sur le gouvernement de l'Alberta — je suis de cette province. Il travaillait à un projet de service Internet haute vitesse pour tous les Albertains, et j'ignore où il en est actuellement. Je me demande si vous pouvez faire des observations à ce sujet.
M. Geist : Shaw est manifestement un gros joueur des services de fourniture à bande large et dans les services de câblodistribution. Ce n'est pas un joueur en ce qui concerne les services sans fil. Le Canada, en fait, diffère quelque peu des États-Unis. Ici la convergence est si poussée que les gros joueurs ne fournissent pas seulement un service téléphonique conventionnel, le service de télévision et les services de câble à large bande, mais, aussi, les télécommunications mobiles.
Rien de tel, nécessairement, aux États-Unis, où beaucoup de d'entreprises de télécommunications mobiles, AT&T, Verizon et leurs semblables, s'orientent de plus en plus dans cette direction, mais sans le degré de convergence et d'intégration que nous constatons au Canada. Shaw est visiblement un gros joueur dans la fourniture de services Internet haut débit, de même que, de plus en plus, de services de télévision par câble. Il ne fournit pas, pas encore du moins, le service sans fil.
Votre commentaire sur ce qu'a fait l'Alberta met en relief une question très importante, c'est-à-dire le rôle des provinces dans tout cela. Je pense qu'elles ont un rôle, qui comporte deux volets.
Premièrement, certaines provinces ont commencé à essayer de prendre les choses en main, en partie parce qu'elles ont le sentiment qu'il y a une plus grande négligence à l'échelle fédérale. S'il n'y a pas, au fédéral, le genre d'actions qui sont nécessaires, les provinces diront alors, pour leur propre bien-être économique, qu'elles ne sont pas prêtes à ne rien faire et à s'en remettre à ce « dossier Penske » qui ne semble jamais aboutir; elles prendront les choses en main et essaieront de faire quelque chose.
Vous avez parlé de l'Alberta. D'autres provinces ont mis en oeuvre des initiatives sur la technologie sans fil et sur les services à large bande. Ce sont toutes de bonnes initiatives, même si je pense que le gouvernement fédéral a toujours un rôle important à jouer pour faire en sorte que tous les Canadiens ont l'accès dont ils ont besoin.
L'autre élément important de la stratégie de l'économie numérique, c'est que la validité constitutionnelle de certaines mesures législatives adoptées par le gouvernement fédéral est quelque peu contestée, je pense. En fait, j'ai soulevé ce point la semaine dernière lors de ma comparution devant le comité de la Chambre des communes.
En ce qui a trait à la LPRPDE, la mesure législative sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, la commissaire à la protection des renseignements personnels de l'Alberta a annoncé hier qu'elle interjettera appel d'une décision de la Cour d'appel de l'Alberta qui a déclaré qu'une bonne partie de la loi albertaine en matière de protection des renseignements personnels était inconstitutionnelle. Cette question est préoccupante.
Il y a une préoccupation selon laquelle la LPRPDE, la loi fédérale, pourrait être inconstitutionnelle parce qu'elle empiéterait sur les compétences provinciales, particulièrement dans la foulée de la décision de la Cour suprême concernant un organisme de réglementation des valeurs mobilières, en décembre dernier. Dans cette décision, la tentative de créer un organisme national de réglementation des valeurs mobilières a été déclarée inconstitutionnelle. Si vous lisez certains des arguments de la Cour suprême, on pourrait presque croire qu'il est question de la LPRPDE, en ce qui a trait à ce qui pourrait constituer un empiétement sur les compétences provinciales.
Il faut aussi souligner, puisque cela a été soulevé plus tôt lorsqu'il était question d'une loi antipourriel, qu'il y a des préoccupations selon lesquelles une telle loi pourrait aussi empiéter sur les compétences provinciales.
Tout cela signifie qu'il est aussi important d'entreprendre dès maintenant des discussions avec les provinces, car ce que nous verrons, je pense — en particulier en ce qui a trait à la protection des renseignements personnels —, c'est que lorsque les entreprises auront l'impression qu'un commissaire fait preuve de zèle dans l'application de la loi, la réponse pourrait être la suivante : « Poursuivez-nous. Nous ne nous confondrons pas à votre ordonnance, à votre décision; nous allons la contester devant la Cour fédérale. Nous ferons valoir que la loi était inconstitutionnelle et que nous ne sommes, par conséquent, pas tenus de nous y conformer ».
Nous devons inciter les provinces à se préparer en vue de l'adoption de normes nationales en matière de protection des renseignements personnels, de sorte que si cela arrive, nous pourrons nous assurer d'avoir un cadre législatif en matière de protection des renseignements personnels efficace et applicable à l'échelle nationale.
Le sénateur Martin : Ma question est plutôt un commentaire sur quelque chose dont vous avez parlé plus tôt. Je suis heureux d'entendre que la Corée du Sud est un excellent exemple, mais je crois vraiment qu'il faut que ce soit une solution canadienne. Vous avez souligné certaines de ces idées.
En Corée, il n'y a qu'un seul fuseau horaire et il n'y a pas de régions éloignées. C'est une situation très particulière. Il y a une étude intitulée le Canada numérique, je crois, dans laquelle on présente une vision et où l'on souligne bon nombre des problèmes auxquels nous sommes confrontés au Canada. Je tenais à le mentionner. À une autre occasion, j'aimerais savoir ce que vous penseriez des recommandations de l'étude si vous étiez le ministre de l'Industrie. Avez- vous eu l'occasion de lire cette étude?
M. Geist : Oui. Je pense que cela a été très utile. On a maintes fois tenté de préciser ce que pourrait être une vision de l'avenir dans ce domaine. En fait, même dans le document de consultation du gouvernement sur la stratégie de l'économie numérique, on tentait à tout le moins d'établir des paramètres généraux. En fin de compte, ces divers commentaires ont un effet limité. Ce qu'il faut, c'est une stratégie claire, préférablement sous la direction du gouvernement. On y indiquerait les mesures qui seront adoptées, ce que l'on a l'intention de faire et la provenance des fonds nécessaires pour le financement de certaines de ces choses. Voilà ce que nous n'avons pas vu.
Encore une fois, la vente aux enchères du spectre constitue un bon exemple de la façon dont on pourrait payer certaines de ces choses, ce qui sera une question pertinente. La dernière vente aux enchères du spectre en générait des recettes de plus de quatre milliards de dollars, dont la majeure partie est allée au secteur de l'automobile, car il était en difficulté à l'époque. Beaucoup d'argent a été versé pour soutenir l'industrie de l'automobile. Cette fois, je crois que cela générera encore des milliards de dollars, une bonne partie de ce montant sera simplement consacrée à la réduction du déficit.
Dans le contexte actuel, je comprends l'importance de la réduction du déficit. En même temps, si nous nous penchons sur l'importance de ce secteur pour notre bien-être économique à long terme, l'éducation, la culture et l'ensemble de ces questions diverses, dire que nous allons prendre l'argent que ces entreprises investissent dans l'achat de spectre et le réinvestir me semble être la chose à faire. On pourrait fournir le service à large bande dans les régions rurales, s'assurer que les communautés culturelles disposent des outils nécessaires pour tirer profit des possibilités qu'offre Internet. Cela pourrait servir à améliorer les compétences et la littératie numérique dans l'ensemble du pays de façon à offrir aux gens des compétences dont ils ont besoin dans le monde actuel pour utiliser ces outils. Il apparaît évident que c'est de là que provient l'argent. Il ne vient pas du tout des contribuables. Les entreprises qui exploitent le réseau investissent leur argent, le produit de la vente aux enchères du spectre, pour aider à bâtir cette infrastructure, dont ils tireront aussi profit, en fin de compte. À ce jour, on ne nous a pas clairement indiqué à quoi servirait l'argent, mais tout le monde prévoit qu'il servira à la réduction du déficit. La dernière fois, il a été transféré à l'industrie de l'automobile.
Nous pourrions en faire beaucoup plus. Il s'agit d'un secteur qui, au fil du temps, générera des ressources financières qui pourraient être utilisées pour ces initiatives précises.
Le vice-président : Monsieur Geist, merci beaucoup d'avoir comparu au comité. Vous nous avez certainement éclairés. J'espère que beaucoup de Canadiens vous ont aussi écouté. Vous avez été en mesure d'apporter des précisions sur beaucoup de préoccupations liées à un domaine qui peut parfois être très complexe. Merci.
Je rappelle simplement qu'il n'y aura pas de réunion demain soir. Merci beaucoup.
(La séance est levée.)