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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 3 - Témoignages du 5 février 2014


OTTAWA, le mercredi 5 février 2014

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, pour examiner, en vue d'en faire rapport, les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières Nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada.

Le sénateur Dennis Glen Patterson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir. Je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs et à tous les membres du public présents dans la salle ou qui regardent cette séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur CPAC ou sur Internet.

Je m'appelle Dennis Patterson, je viens du Nunavut et je préside le comité. Notre mandat consiste à examiner les projets de loi et les questions qui concernent les peuples autochtones au Canada en général. Pour comprendre les préoccupations des gens que nous représentons, nous invitons régulièrement des témoins qui peuvent nous renseigner sur les questions d'actualité qui comptent pour eux. Ces réunions sont très utiles parce qu'elles nous aident à choisir les prochaines études à entreprendre dans l'intérêt de la communauté autochtone.

Au cours des dernières semaines, nous avons tenu des audiences au cours desquelles des témoins nous ont présenté des renseignements sur l'ensemble de la question du financement, dans les réserves, d'infrastructures telles que les immobilisations, les écoles et les logements. Ces derniers temps, nous avons concentré notre attention sur le logement.

Nous accueillons ce soir des témoins représentant un organisme qui comparaît souvent devant notre comité, le Bureau du vérificateur général du Canada. Le bureau s'occupe de nombreux problèmes touchant les peuples autochtones, dont le logement dans les réserves. Dans son rapport de juin 2011, il a malheureusement signalé que les conditions de logement dans les réserves avaient continué à se détériorer. C'est là un grand sujet de préoccupation pour notre comité. Nous avons donc hâte de recevoir d'autres renseignements à cet égard des témoins qui comparaissent ce soir.

Avant d'entendre les témoignages, je voudrais demander aux membres du comité de bien vouloir se présenter.

Le sénateur Moore : Wilfred Moore, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Watt : Charlie Watt, du Québec.

La sénatrice Raine : Nancy Raine, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l'Alberta.

Le sénateur Ngo : Thanh Hai Ngo, de l'Ontario.

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, de Dryden, dans le nord-ouest de l'Ontario.

Le sénateur Wallace : John Wallace, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Je suis heureux de souhaiter la bienvenue à nos témoins du Bureau du vérificateur général du Canada : M. Michael Ferguson, vérificateur général du Canada; M. Jerome Berthelette, vérificateur général adjoint; et M. Frank Barrett, directeur principal.

Monsieur Ferguson, veuillez présenter votre exposé. Les membres du comité auront ensuite des questions à vous poser.

Michael Ferguson, vérificateur général du Canada, Bureau du vérificateur général du Canada : Monsieur le président, je vous remercie de nous avoir donné l'occasion de vous parler de la question du logement dans les réserves, et notamment de ce que nous avons noté dans le chapitre 4 de notre rapport Le Point de 2011, intitulé Les programmes pour les Premières Nations dans les réserves. Je suis accompagné aujourd'hui de Jerome Berthelette, vérificateur général adjoint responsable des dossiers concernant les affaires autochtones, et de Frank Barrett, directeur principal de l'audit.

Je tiens à souligner que les travaux de cet audit ont été pour l'essentiel terminés le 1er novembre 2010. Nous n'avons examiné aucune mesure prise depuis.

[Français]

Dans le cadre de notre audit de 2011, nous avons fait le suivi d'une série d'audits qui touchaient les Premières Nations. Nous avons alors noté des progrès dans la mise en œuvre de certaines de nos recommandations. Dans l'ensemble, toutefois, nous avons conclu qu'Affaires indiennes et du Nord Canada — aujourd'hui Affaires autochtones et Développement du Nord Canada —, la Société canadienne d'hypothèque et de logement, et Santé Canada n'avaient pas accompli de progrès satisfaisants en vue de donner suite à nos recommandations.

En général, les conditions de vie des Premières Nations ne s'étaient pas améliorées dans les domaines que nous avions abordés dans nos audits. Elles avaient même empiré dans certains cas. Par exemple, nous avons observé que l'écart de scolarisation s'était creusé, la pénurie de logements convenables dans les réserves s'était aggravée, le problème de la moisissure dans les logements des réserves persistait, le fardeau des rapports exigés des Premières Nations restait lourd.

[Traduction]

En ce qui concerne le logement, nous avons examiné les mesures prises par le gouvernement pour remédier au manque d'habitations dans les réserves et réhabiliter les logements ayant besoin d'importantes réparations. En 2003, dans notre audit sur la situation du logement dans les réserves, nous avions indiqué qu'Affaires indiennes et du Nord Canada estimait à 8 500 le nombre de logements manquants et à 44 p. 100 le nombre d'habitations existantes devant être rénovées. Dans le cadre de notre audit de 2011, nous avons réexaminé l'ampleur de la pénurie et le nombre de logements ayant besoin d'importantes rénovations pour protéger la santé et la sécurité de leurs occupants.

Nous avions alors noté que les investissements dans le domaine du logement n'ont suivi ni le rythme de la demande de nouvelles habitations ni les besoins des logements existants en matière de rénovations importantes. D'après les données non auditées fournies par le ministère, la pénurie de logements dans les réserves s'était aggravée depuis notre audit de 2003 en raison d'une augmentation de la demande de logements, du nombre d'habitations devant être remplacées et du nombre d'habitations nécessitant d'importantes rénovations pour des raisons de salubrité et de sécurité.

[Français]

Parallèlement, le coût moyen de la construction ou de la rénovation d'une maison avait beaucoup augmenté depuis 2003. Au cours de l'exercice 2008-2009, les nouveaux logements construits dans les réserves représentaient seulement 30 p. 100 des logements qui devaient être remplacés.

Nous nous sommes aussi penchés sur les mesures prises par le gouvernement en vue de régler le problème de la moisissure dans les maisons des réserves. Selon le ministère, les principaux facteurs contribuant au problème étaient l'entretien inapproprié, un manque de circulation d'air et de ventilation, des sites de construction inadéquats et un drainage insuffisant, le surpeuplement et de mauvaises techniques de construction. Depuis plusieurs années, la contamination par la moisissure constitue un grave problème pour la santé et la sécurité des collectivités des Premières Nations.

[Traduction]

Lors de notre audit de 2003, nous avions observé qu'Affaires indiennes et du Nord Canada, la Société canadienne d'hypothèques et de logement et Santé Canada avaient mis sur pied un comité en vue de régler le problème de la moisissure, comité auquel les trois entités participaient. En 2008, après avoir consulté les Premières Nations, les trois entités ont élaboré la Stratégie nationale de lutte contre les moisissures au sein des collectivités des Premières Nations. Après l'adoption de cette stratégie, les entités s'étaient employées à faire connaître les causes du problème de la moisissure dans les réserves et à offrir des cours de formation pour lutter contre le problème.

Dans le cadre de notre audit de 2011, nous avons constaté que les progrès n'étaient toujours pas satisfaisants. Nous avons alors observé que, malgré la stratégie, les trois entités n'avaient pas réservé plus de fonds à la lutte contre la moisissure, n'avaient pas déterminé l'ampleur du problème, n'avaient pas estimé ce qu'il en coûterait pour éliminer la moisissure des logements déjà contaminés, n'avaient pas mis en œuvre la plupart des mesures prévues dans la stratégie et n'en avaient pas respecté les échéances. Comme pour d'autres secteurs visés par nos audits, nous avons constaté que les progrès accomplis en vue d'améliorer les conditions de logement dans les réserves n'étaient pas satisfaisants.

[Français]

Monsieur le président, nous avons mentionné dans la préface de notre rapport d'audit de 2011 les obstacles structurels qui, selon nous, nuisent grandement à l'amélioration des conditions de vie des Premières Nations dans les réserves. Quatre obstacles ont été recensés, à savoir :

Le niveau des services à assurer est mal défini; il n'y a pas de fondement législatif; les mécanismes de financement sont inappropriés; il manque d'organisations capables de veiller à la prestation de services à l'échelle locale.

[Traduction]

Nous croyons que ces problèmes structurels nuisent gravement à la prestation des services publics aux collectivités des Premières Nations ainsi qu'à l'amélioration des conditions de vie dans les réserves. En octobre 2011, le sous- ministre d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada a dit de cette préface qu'il s'agissait de « la meilleure analyse des problèmes touchant les Premières nations qui ait été produite depuis des décennies ».

Le comité souhaitera peut-être demander aux représentants d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada si leur position à l'égard des obstacles structurels mentionnés ci-dessus a changé et si le gouvernement a des changements à apporter à ses orientations, à ses politiques et aux lois en vigueur pour remédier à ces problèmes.

[Français]

Le comité voudra peut-être aussi demander aux trois entités qui s'occupent du logement dans les réserves de faire état des progrès qui ont été réalisés depuis notre audit de 2011, pour ce qui est d'améliorer les conditions d'habitation, de régler la pénurie de logements et d'éliminer la moisissure dans les réserves.

Monsieur le président, je termine ainsi ma déclaration d'ouverture. Nous serons heureux de répondre aux questions du comité. Merci.

[Traduction]

Le président : Je vous remercie.

C'est un domaine difficile. Vous avez présenté un rapport très franc, ce que nous apprécions. Vous avez noté que les progrès réalisés par le gouvernement fédéral dans la mise en œuvre des recommandations de votre bureau étaient insatisfaisants. Vos rapports de 2006 et 2011 signalaient que la réponse du gouvernement était insatisfaisante ou généralement insatisfaisante.

Pendant les années où votre bureau a examiné la mise en œuvre des programmes fédéraux destinés aux Premières Nations, avez-vous pu vous faire une idée des raisons pour lesquelles les progrès étaient insuffisants? Si oui, pouvez- vous nous parler de ces raisons?

M. Ferguson : Je ferai moi-même quelques observations, après quoi je céderai la parole à M. Berthelette qui vous donnera plus de détails.

Nous sommes évidemment conscients du fait que c'est un domaine très complexe. Comme je l'ai dit dans mon exposé préliminaire et comme on peut le voir dans la préface du rapport de 2011, nous avons essayé de prendre du recul pour examiner les différents audits faits au fil des ans et pour cerner les problèmes qui se posent. Cela nous a permis de définir les quatre obstacles que nous avons mentionnés dans cette préface.

Je vais maintenant demander à M. Berthelette de donner une réponse plus détaillée à votre question.

Jerome Berthelette, vérificateur général adjoint, Bureau du vérificateur général du Canada : Monsieur le président, comme l'a mentionné le vérificateur général, c'est un domaine très complexe. S'il y avait eu des solutions faciles, elles auraient probablement été déjà découvertes. Les problèmes qui se posent existent depuis longtemps, et ne seront donc pas faciles à résoudre.

Lorsque le bureau a rédigé ce chapitre de 2011, il a passé en revue les audits précédents que nous avions présentés au Parlement. Nous les avons analysés pour essayer d'y déceler des thèmes ou des fils conducteurs et pour trouver des moyens d'aider le Parlement à comprendre la nature des problèmes. En abordant cet audit particulier, mes collègues, MM. Campbell et Barrett, ont cherché à déterminer les différences entre la situation dans les réserves et la situation hors réserve. Pourquoi la situation dans les réserves est-elle tellement différente de ce qu'on trouve à l'extérieur des réserves? Pourquoi les conditions de logement sont-elles aussi mauvaises? Pourquoi les collectivités des Premières Nations ont-elles des difficultés au chapitre de l'eau potable? Pourquoi les choses sont-elles tellement différentes? Pourquoi l'éducation des Premières Nations est-elle aussi déficiente? Nous y avons réfléchi en nous disant que la situation actuelle n'est pas normale.

Le bureau a examiné la situation à l'échelle provinciale et, grâce à cette analyse, a défini les quatre problèmes que nous avons mentionnés. À l'extérieur des réserves, c'est-à-dire là où la province est responsable de la prestation des services, les niveaux de service sont clairement définis. Au chapitre de l'éducation, les provinces ont établi assez clairement ce qu'elles attendent du système d'éducation et ont cerné les besoins des enfants.

De plus, au niveau provincial, un régime législatif et réglementaire bien défini est en place. Quiconque veut savoir ce qu'on attend de lui peut trouver la réponse dans les lois et les règlements ou auprès des responsables qui veillent à leur application. Ce qu'on attend des gens est habituellement assez clair.

Nous avons également noté que lorsqu'une province met en œuvre un programme particulier, qu'il s'agisse d'éducation, de services à l'enfance et à la famille ou d'aide sociale, elle prévoit des moyens de financement. Chaque programme dispose de fonds qui lui sont réservés.

Pour revenir au logement, vous noterez que le financement qui lui est attribué chez Affaires autochtones et Développement du Nord Canada n'est pas à proprement parler un financement réservé. De temps en temps, l'argent peut servir à d'autres fins. Comme nous l'avons signalé dans notre chapitre de 2013 sur la gestion des urgences, il arrive qu'on aille puiser dans les fonds d'immobilisations l'argent supplémentaire requis pour affronter une urgence. Même si cela peut se faire à l'échelle provinciale, nous pouvons être certains que, si nos enfants vont à l'école, il y aura des enseignants pour s'occuper d'eux parce que des fonds ont été prévus à cette fin.

Enfin, quand on examine le système provincial, on constate que certaines organisations appuient la mise en œuvre des programmes en milieu urbain. Il y a par exemple des ONG, des conseils scolaires, un système de santé, un système scolaire. Toutes ces organisations soutiennent les programmes en place. Prenons, par contre, le cas de l'éducation dans les réserves. Les Affaires autochtones ont constaté qu'il y a là un certain nombre d'écoles, mais que, dans la plupart des cas, il n'y a pas un vrai système d'éducation capable d'appuyer les enseignants et les étudiants dans ces écoles.

C'est en comparant la situation dans les réserves à celle qui existe ailleurs que mes collègues ont défini ces quatre problèmes. En se posant la question « Qu'y a-t-il de différent? », ils ont analysé la situation des provinces et ont abouti à la conclusion suivante : Si on veut mettre en œuvre d'une façon efficace les mêmes genres de programmes dans les réserves, il faudrait songer à adopter des approches de même nature.

J'espère avoir plus ou moins répondu à votre question, monsieur le président.

Le président : J'ai trouvé vos explications très utiles. J'ai cependant une question complémentaire à poser avant de céder la parole à mes collègues.

Le comité a examiné la question du logement et, en particulier, les codes du bâtiment mentionnés dans votre rapport ainsi que les préoccupations causées par l'absence de tels codes. Nous avons abordé la question de la moisissure et celle de la qualité des inspections effectuées pendant la construction. Nous avons trouvé un système complexe auquel participent la SCHL et AADNC.

L'un des aspects qui semblent constituer un problème ou un obstacle pour les ministères fédéraux qui exigent une certaine reddition de comptes — cela a d'ailleurs été confirmé par un certain nombre de fonctionnaires —, c'est l'impression d'avoir affaire à des gouvernements souverains. Nous respectons les gouvernements des Premières Nations. Ainsi, s'ils n'ont pas adopté un code du bâtiment, nous n'avons pas à exiger le genre de soutien qui, d'après ce que vous venez de dire, existe dans les provinces.

Je voudrais savoir si, dans l'exercice de vos fonctions, vous avez eu à affronter ce problème. Qu'avez-vous à dire du fait que, par respect pour les gouvernements des Premières Nations, les ministères fédéraux qui distribuent les fonds publics ont tendance à ne pas insister? Avez-vous des observations à formuler à ce sujet?

M. Berthelette : Monsieur le président, j'ai trois observations à faire à ce sujet.

Pour ce qui est des exigences du gouvernement, nous avons fait une étude sur le fardeau que représente pour les Premières Nations l'obligation de présenter des rapports. Les résultats obtenus montrent clairement que les différents ministères exigent des rapports et de la responsabilité de la part des Premières Nations dans le cadre des exigences liées aux ententes de subventions et contributions et que, pour leur part, les Premières Nations font de leur mieux pour satisfaire à ces exigences. Je ne crois pas que les administrations gouvernementales hésitent à demander des comptes.

Ma deuxième observation, c'est que dans nos contacts avec les Premières Nations et particulièrement avec les chefs, les conseils et les collectivités, nous n'avons jamais entendu un dirigeant nous dire qu'il n'est pas en faveur de la responsabilité. Ce n'est jamais arrivé. Dans notre étude du développement économique des collectivités des Premières Nations et des arrangements institutionnels, c'était un aspect essentiel de l'audit effectué. Nous avons noté que les collectivités des Premières Nations mettent en place des régimes de reddition de comptes. Certaines collectivités établissent une nette distinction entre les décisions politiques et les décisions économiques. Elles sont très conscientes des exigences de responsabilité et sont tout à fait disposées à mettre en place les régimes nécessaires. Beaucoup de Premières Nations l'ont déjà fait.

Lorsque nous parlons de responsabilité dans ce cas particulier, tant le gouvernement que les Premières Nations ont besoin de revenir aux principes de base pour essayer de comprendre ce que chaque partie s'est engagée à accomplir. Les deux parties sont déterminées à veiller à ce que les Premières Nations disposent des logements dont elles ont besoin pour vivre décemment puisque le logement constitue le fondement d'une vie décente dans la collectivité. Un bon logement permet de bien vivre. Les deux parties sont très attachées à ce principe.

Ce qu'elles doivent faire pour le concrétiser, c'est examiner ensemble ce qui les empêche d'agir à l'unisson. Je ne crois pas qu'il existe à proprement parler un problème de responsabilité. Dans certains cas, il s'agit d'essayer de comprendre les raisons qui amènent les Premières Nations à adopter une certaine approche. Il arrive qu'une Première Nation se fonde sur les droits issus de traités, ce qui influe sur sa façon d'aborder les choses. Toutefois, dans la plupart des cas, même les collectivités qui parlent des droits issus de traités en matière de santé ne refusent pas d'utiliser leurs propres ressources pour financer des logements. Cela ne les empêche pas non plus d'utiliser les ressources gouvernementales à cette fin ou de s'adresser au secteur privé pour financer des infrastructures.

Je crois qu'il y a un objectif commun. Si nous pouvons trouver un moyen d'amener les deux parties à discuter de cet objectif, nous réussirons peut-être à éviter cette discussion concernant l'imposition de cadres de responsabilisation. Bien sûr, personne ne veut imposer des choses. S'il était possible de s'entendre sur ce qu'il y a lieu de faire, il serait plus facile d'avancer.

Je m'excuse d'avoir donné une réponse aussi longue, monsieur le président.

Le président : Non, c'était très utile. Merci.

La sénatrice Raine : Je vous remercie de votre présence au comité. Je suis persuadée que nous aurons une discussion très intéressante ce soir.

Il y a une question que je me pose constamment, et je suis sûre que je ne suis pas la seule à le faire. Je ne comprends pas ce qu'on entend par les droits issus de traités en matière de logement. Pouvez-vous me l'expliquer en termes accessibles aux profanes? Le droit au logement est-il inscrit dans tous les traités? Le logement en question correspond-il à ce qui existait lors de la signature des traités? Qu'est-ce que cela signifie aujourd'hui?

De toute évidence, quand on regarde les chiffres, on se rend compte que le gouvernement est loin de fournir un nombre suffisant de logements et que, s'il faut se rattraper et que nous ayons l'obligation de le faire, nous devrons trouver de nouveaux moyens d'agir.

J'aimerais tout d'abord comprendre en quoi consistent nos obligations du fait que le Canada a signé ces traités.

Frank Barrett, directeur principal, Bureau du vérificateur général du Canada : Je pense pouvoir répondre à cette question. Je vous en remercie car elle est très intéressante.

Nous signalons au tout début du paragraphe 4.35, où nous abordons la question du logement, que « le gouvernement fédéral est d'avis qu'il n'est pas tenu, aux termes de la loi et des traités, d'appuyer le logement dans les réserves », ce qui répond directement à votre question. À notre avis, cela est à la source d'une grande part de la confusion qui règne à cet égard. La question n'est donc pas de savoir s'il existe un droit issu de traité dans ce domaine. Il s'agit d'un programme qui s'est développé petit à petit et qui s'est transformé plus ou moins en politique. Toutefois — et c'est pour cette raison que nous parlons de problèmes structurels —, cette situation fait que nous sommes dans l'incertitude quant à ce que la loi prévoit. On peut donc se demander ce qui suit : Quel niveau de service le gouvernement devrait-il financer?

Les Premières Nations expriment des préoccupations en disant qu'elles n'ont pas un financement suffisant pour mettre en œuvre des programmes efficaces, et cela est très évident quand on considère ce qui est construit. La question revient à ceci : qu'est-ce que le gouvernement fédéral s'est engagé à réaliser? Qu'a-t-il l'obligation de faire? Il n'y a pas de réponse à ces questions. On est donc fondé à dire que c'est là que réside la source de la confusion.

La sénatrice Raine : C'est ainsi que je voyais les choses, moi aussi. Cela étant, je me demande : Est-ce qu'un Autochtone vivant hors réserve a le même droit au logement qu'un Autochtone vivant dans une réserve, même si cela n'est pas prévu dans la loi? Risquons-nous d'encourager des gens à vivre dans une collectivité très isolée, loin de toutes les occasions, parce qu'ils peuvent obtenir un logement gratuit?

Je trouve qu'il y a là un dilemme. Un de mes bons amis m'a dit une fois que les réserves constituent à la fois des forteresses qui mettent leurs habitants à l'abri des difficultés et des prisons parce qu'une fois qu'on s'y est établi, il peut être très difficile de s'en échapper.

Sur le plan du logement, cela est très troublant pour moi. En effet, d'après mes lectures, il n'existe aucun système de chauffage, ventilation et climatisation pouvant permettre de vivre confortablement dans une maison exposée à des températures comprises entre -40 ºC et 50 ºC. Est-il surprenant dans ces conditions qu'il y ait de la moisissure?

La question est peut-être un peu compliquée, mais pouvez-vous essayer d'y répondre?

M. Ferguson : Je commencerai par un commentaire général, puis je demanderai à M. Berthelette s'il a quelque chose à ajouter.

Dans le travail que nous avons fait et, en particulier, dans le chapitre de 2011 que nous avons mentionné aujourd'hui, nous n'avons pas comparé la situation dans les réserves et hors réserve.

Je crois cependant que tout ce travail ainsi que la préface définissant les quatre problèmes structurels établissent clairement que tout cadre mis en place aura des répercussions sur les gens.

Vous avez dit que certains voudront peut-être rester dans les réserves plutôt que d'aller ailleurs ou feront d'autres choix. Je ne saurais pas dire quelle décision chacun prendra, mais, compte tenu des obstacles et du fait que les gens doivent se conformer à un cadre législatif ou réglementaire, on peut supposer que leur décision dépendra de ce cadre. Cela ne se limite pas aux Premières Nations. Les gens, quels qu'ils soient, examinent le type de cadre auquel il faut se conformer et prennent leurs décisions en conséquence.

Je vais maintenant demander à M. Berthelette s'il a quelque chose à ajouter.

M. Berthelette : Le vérificateur général a bien expliqué les facteurs qui amènent les gens à décider de rester ou non dans leur réserve. Je ne suis pas sûr que le logement constitue le premier facteur à cet égard. Il y a beaucoup d'autres éléments qui jouent, dont les facteurs culturels, linguistiques et familiaux ainsi que l'attachement à un territoire particulier.

Hors réserve, les Autochtones ont accès, comme dans les réserves, à du logement sans but lucratif. Ils peuvent obtenir de l'aide pour louer un logement ou acheter une maison. Hors réserve, il y a des programmes qui sont offerts aussi bien aux membres des Premières Nations qu'à tous les habitants de la province. Ces programmes ne sont pas offerts aux Autochtones des réserves. Ceux-ci ne peuvent pas se prévaloir des services d'ONG qui contribuent au soutien de la communauté et au développement du logement. Même s'il est possible de louer des logements sans but lucratif par l'entremise de la SCHL, les montants que peuvent obtenir les collectivités sont relativement petits. Il leur est donc difficile d'obtenir un nombre suffisant de logements pour influer sensiblement sur la situation dans la réserve. Hors réserve, il y a plusieurs autres possibilités, y compris l'ensemble des logements à louer.

En comparant la situation dans les réserves et hors réserve, nous devrions analyser les conditions hors réserve pour essayer d'en tirer des enseignements pouvant aider les gens des réserves à obtenir un logement.

Le sénateur Tannas : Je suis curieux de connaître le nombre de logements manquants. Nous avons entendu deux chiffres. AADNC estime ce nombre à 40 000 tandis que l'Assemblée des Premières Nations parle plutôt de 80 000 logements. Je note que vous avez mentionné en 2003 un nombre que vous avez vérifié et qu'il y avait aussi un nombre non vérifié transmis par le ministère pour 2010, je crois. Nous devrions peut-être essayer de déterminer le nombre de ces logements, aussi déprimant que le chiffre puisse être.

J'aimerais bien avoir le plus de renseignements possibles sur la méthodologie que vous avez appliquée pour déterminer le nombre que vous aviez alors mentionné. De plus, que devrions-nous envisager pour essayer d'en arriver à un chiffre et que pouvons-nous faire pour déterminer laquelle des deux parties avait l'estimation la plus proche de la réalité?

M. Barrett : Je vais essayer de répondre à la question du sénateur.

Il y a deux points à considérer. Premièrement, vous avez raison. En 2003, nous avions déterminé que la demande de logements dans les réserves s'élevait à 8 500. Pour l'exercice 2008-2009, ce chiffre avait dépassé les 20 000. Pour ce qui est des logements ayant besoin de réparations majeures, il y en avait un peu moins de 17 000 en 2003-2004, et ce chiffre était passé à près de 24 000 en 2008-2009.

Nous n'avons pas vérifié minutieusement les chiffres d'AINC, mais nous les avons examinés et en avons évalué la méthodologie. Si je m'en souviens bien, il y avait une difficulté touchant l'ensemble des réserves des Premières Nations. En effet, pour chacune, le chef et le conseil gardaient des dossiers sur les familles en attente ainsi que sur les logements surpeuplés. Les listes étaient transmises à AINC, qui avait son propre système de vérification. Ce sont les chiffres dont nous nous sommes servis.

Le sénateur Wallace : Messieurs, dans les deux mois qui se sont écoulés depuis que nous avons commencé à tenir ces audiences, j'ai pu me rendre compte — comme M. Berthelette l'a mentionné dans ses observations — que beaucoup de gens s'intéressent de près à ce problème. Au niveau fédéral, il y a Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, Santé Canada et la SCHL. De toute évidence, il y a aussi les chefs et les conseils autochtones qui y consacrent énormément d'énergie. Malgré cela, malgré tout le potentiel intellectuel mis en œuvre et en dépit des connaissances que tous ces gens possèdent, le problème reste entier.

La question posée par le sénateur Tannas au sujet du nombre de logements manquants m'a rappelé une chose. Tandis que j'écoutais les témoins, j'avais l'impression qu'on ne savait pas exactement comment aborder la question.

Plus tôt cette semaine, nous avons entendu des témoins représentant Santé Canada et leur avons parlé des problèmes de moisissure. Nous leur avons demandé si des progrès avaient été réalisés. Eh bien, nous ont-ils dit, cela dépend de la façon de définir les progrès. Je suppose qu'il existe des paramètres de base pouvant servir de point de départ. On ne peut pas dire s'il y a progrès à moins de savoir à quelle situation de départ il faut comparer la situation actuelle.

Dans le même ordre d'idées, je trouve que, d'une façon plus générale, on devrait déterminer les besoins en logements réserve par réserve, puis établir un plan prévoyant, pour chaque réserve, la construction de tel ou tel nombre de logements de telle qualité, telle taille et tels autres paramètres ainsi que le financement correspondant. Il pourrait s'agir d'un plan quinquennal ou décennal.

Cela me paraît logique, mais je n'ai pas eu l'impression en écoutant les témoins que ce genre de planification, peut- être simpliste, était en cours. Les besoins ne font donc que grandir avec le temps.

Avez-vous pu constater, au cours de votre audit, qu'il y a des plans et des préparatifs détaillés de ce genre pour s'attaquer sérieusement au problème? Y en a-t-il pour chaque réserve?

M. Ferguson : Je vais commencer, et M. Barrett prendra la suite.

Compte tenu du problème et de la question précédente, la première chose à faire pour essayer de déterminer le nombre de logements manquants, c'est de trouver de bonnes données. Nous parlons d'un grand nombre de réserves, dont beaucoup sont isolées. La première question à poser au ministère est de savoir quelle est la qualité de ses données dans leur ensemble et dans la répartition par réserve.

Comme l'a dit M. Berthelette tout à l'heure, s'il y avait eu des solutions faciles, on les aurait déjà trouvées. D'une façon générale, le problème réside dans les quatre obstacles que nous avons énumérés et qu'il n'est pas du tout facile de surmonter.

Nous avons donc besoin de ces approches et de ces plans que vous avez qualifiés de simplistes pour aborder certains aspects particuliers. Commençons par réunir des connaissances et des données pour comprendre ces aspects. Ensuite, nous pourrons essayer de trouver un moyen d'améliorer la situation. Les améliorations ne peuvent être que très graduelles tant que ces grands obstacles restent là.

Je vais m'en tenir à cela et demander à M. Barrett s'il a quelque chose à ajouter en ce qui concerne l'audit proprement dit.

M. Barrett : Je vais aborder la question de la moisissure dans l'optique de ce que nous avons dit dans le rapport de 2011. Dans ce cas, une stratégie était en place et des renseignements étaient diffusés, mais la stratégie n'était assortie d'aucun financement concret.

Nous avons également noté que le gouvernement avait d'autres programmes dans le cadre desquels il finançait des rénovations. Même s'il y avait une stratégie traitant précisément de la moisissure qui ne bénéficiait d'aucun financement particulier, le gouvernement offrait des subventions de rénovation sans pour autant suivre les effets des travaux réalisés sur la moisissure. Il ne sait donc pas dans quelle mesure les fonds de rénovation ont pu remédier à ce problème. L'argument selon lequel nous devons mesurer et suivre ce qui se fait est absolument fondé.

Je vais peut-être me contredire un peu, mais il faut noter qu'il n'y a aucun nombre fixe. Supposons, par exemple, que telle réserve a 650 habitants et qu'il lui manque 122 logements. Si on en construit 10, ce nombre devrait en principe diminuer d'autant.

Toutefois, ce n'est pas toujours le cas car, le plus souvent, il y a beaucoup de résidents qui vivent tantôt dans la réserve tantôt hors réserve. Si de nouveaux logements sont construits, ceux qui vivent hors réserve se diront peut-être qu'il est temps pour eux de rentrer. Bref, les nombres ne restent pas constants.

Il est donc effectivement très important de mesurer les progrès et d'analyser objectivement ce qui se fait.

Le sénateur Wallace : Monsieur Ferguson — je crois que vous l'avez dit vous-même —, il n'y a pas de financement exclusivement réservé au logement. Les fonds sont prélevés sur le budget général, et je suppose que ce sont les chefs et les conseils qui décident de leur répartition.

Que penseriez-vous d'un fonds qui servirait uniquement à remédier à la pénurie de logements et qu'on ne pourrait utiliser à aucune autre fin? Les chefs et les conseils auraient à rendre compte de l'utilisation de l'argent au ministère d'origine, de façon à s'assurer qu'il a bien servi à construire tel ou tel nombre de logements, conformément au plan établi. Ainsi, les progrès réalisés seraient suivis au fur et à mesure que l'argent est avancé.

M. Ferguson : Je trouve difficile de me prononcer en faveur ou contre un fonds réservé.

L'un des obstacles que nous avons cernés était lié au manque de certitude des mécanismes de financement et au fait qu'il y avait davantage de certitude au niveau provincial. Je vais demander à M. Berthelette de nous en dire davantage à ce sujet, mais je ne suis pas sûr qu'un fonds réservé puisse garantir une plus grande certitude.

Il y a un autre facteur auquel il faut toujours faire attention dans le cas de choses telles que les fonds réservés. J'ai pu constater à plusieurs reprises qu'après un certain temps — qui pourrait être assez long dans le cas du logement —, on n'arrive plus à dépenser tout l'argent attribué au domaine particulier en cause sans pouvoir pour autant s'en servir dans un autre domaine. Cela finit par être plus coûteux. Un mécanisme tel qu'un fonds réservé ou un autre moyen assurant davantage de certitude constituerait un bon premier pas, mais il faut toujours veiller à prévoir une certaine souplesse pour que, dans l'ensemble, l'argent soit toujours utilisé à bon escient.

Le sénateur Wallace : Oui, il faut garder une optique globale.

M. Berthelette : Monsieur le président, j'appuie fortement les arguments avancés dans le cadre de cette discussion entre l'honorable sénateur et le vérificateur général. Nous avons essentiellement besoin d'un moyen simple et direct d'aborder le problème.

Que le nombre de logements manquants s'élève à 40 000, 80 000 ou 100 000, nous devons commencer par choisir un objectif réalisable, sur lequel les deux parties peuvent s'entendre, établir un plan, puis déterminer le financement qu'il convient de lui attribuer. Il n'y a pas de doute que cela contribuerait sensiblement à la solution du problème. Si nous procédions ainsi, nous réussirions peut-être à mettre de côté — du moins pour un temps — les discussions opposant les droits issus de traité aux simples questions de politique. Je crois que la solution préconisée par l'honorable sénateur convient bien dans ce cas.

Le sénateur Moore : Je vous remercie, messieurs, de votre présence au comité. Compte tenu du degré de complexité de la question à l'étude, je ne sais pas vraiment par où commencer.

Je trouve le point 11 intéressant, monsieur le vérificateur général. En octobre 2011, le sous-ministre d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada a dit de cette préface qu'il s'agissait de « la meilleure analyse des problèmes touchant les Premières Nations qui ait été produite depuis des décennies ». C'est flatteur, venant d'un ministère, mais c'est seulement en 2011 que le sous-ministre a pris conscience de cette situation? J'ai peine à le croire. Vous aviez déjà produit des rapports à ce sujet dans le passé. C'est un peu comme si, tout à coup, il s'est dit : « Oh, c'est là et c'est bien bon. » Je ne comprends pas pourquoi ces choses — le manque de logements, la moisissure, l'absence d'un code du bâtiment, la mise en œuvre d'un tel code, le fait que la SCHL dise que la vérification de la conformité au code ne fait pas partie de son mandat — n'avaient pas retenu l'attention du ministère depuis longtemps déjà. Nous avons déjà entendu différents témoins. Un inspecteur en bâtiment chevronné, Keith Maracle, nous avait parlé de ces problèmes.

Qui est responsable? Quelqu'un devrait assumer la responsabilité. Lorsque vous faites vos audits, essayez-vous de déterminer qui est responsable de ces différents domaines qui sont financés? Est-ce Santé Canada, la SCHL, le ministère? Quelqu'un doit être responsable de ces choses. Il faut qu'on cesse de se renvoyer la balle. On peut alors concevoir des systèmes adéquats de façon à tirer le meilleur parti possible de l'argent des contribuables. Comment se fait-il que personne n'est responsable?

Dans les notes parlementaires que nous avons ici, nous pouvons voir qu'en 2006, vous aviez noté dans votre rapport que, dans les régions que vous aviez examinées, AINC et la SCHL indiquaient que les codes du bâtiment nationaux étaient respectés. Vous souvenez-vous des régions que vous aviez alors examinées? C'était en 2006, monsieur le vérificateur général. L'un de vos assistants pourrait peut-être nous donner ce renseignement. Vos conclusions concernaient-elles l'ensemble du Canada ou bien une seule région?

M. Ferguson : Je n'ai pas ces renseignements sous la main, mais nous pouvons vous les faire parvenir.

Vous exprimez une frustration que nous ressentons tout aussi fort à notre bureau. Nous avons fait un certain nombre d'audits sur différentes questions liées à ce dossier. Dans la préface en question, nous avons essayé de prendre du recul et de faire une synthèse de la situation. Je voudrais cependant préciser que cette préface a été faite avant que je ne prenne possession de mes fonctions.

Le sénateur Moore : Nous le savons.

M. Ferguson : Pour ce qui est des observations du sous-ministre, je crois qu'il voulait simplement dire que la préface présentait en peu de pages une analyse des problèmes qui aboutissait à ces quatre grands obstacles et permettait ainsi aux gens de mieux comprendre la nature du défi.

Je crois que nous ressentons tous la même frustration. À notre bureau, nous en avons discuté avec M. Berthelette et tous les autres : si nous devons faire un audit dans ce domaine, que pouvons-nous vérifier pour aboutir à des conclusions utiles et à quelles recommandations peut-on envisager de donner suite afin d'améliorer la situation, ne serait-ce que d'une façon marginale? Nous avons cerné dans la préface quatre grands obstacles systémiques auxquels il est indispensable de s'attaquer. Entre-temps, il s'agit de considérer la situation dans une optique ascendante et de nous demander ce qu'on peut faire pour progresser un tant soit peu s'il est impossible de progresser globalement.

Le sénateur Moore : Voilà en fait où je veux en venir : pourquoi le sous-ministre et le ministère ont-ils besoin que le vérificateur général leur dise ces choses? Ils devraient déjà le savoir s'ils font leur travail. Depuis combien de temps la Loi sur les Indiens et tous les autres accords existent-ils? Faut-il vraiment le leur dire? Ce n'est qu'en 2011 qu'ils ont vu la lumière et ont compris que cette préface était la meilleure analyse jamais faite? Allons donc. C'est bien difficile à admettre.

J'aimerais revenir à la question de la moisissure, qui relève de la qualité de la construction et de l'inspection des bâtiments. En examinant cette question à l'égard des logements des réserves, avez-vous envisagé les choses sous cet angle? Qui est-ce qui définit les normes? La sénatrice Raine en a parlé. On ne peut pas construire la même maison en Nouvelle-Écosse et à un endroit où la température descend à -40 ºC. Examinez-vous les détails de ce genre, déterminez- vous qui en est responsable et qui doit chercher à maximiser la durée utile de ces logements? Qui en est chargé? Il est évident pour moi que tous ces ministères fonctionnent en vase clos.

M. Barrett : J'aimerais formuler quelques observations en réponse aux questions de l'honorable sénateur. Tout d'abord, nous examinons les activités fédérales financées dans le cadre d'ententes de contribution. Ces ententes peuvent prévoir certaines exigences quant à ce qui doit être réalisé et aux rapports à présenter. Nous abordons la question du fardeau administratif ailleurs dans notre rapport. En l'absence de fondement législatif et compte tenu du fait que le gouvernement fédéral ne s'estime pas responsable de la prestation des services, il appartient essentiellement à chaque Première Nation de décider de ce qu'elle compte faire, souvent sans bénéficier du soutien qu'on peut obtenir ailleurs.

Permettez-moi également de faire un commentaire au sujet de ce que le sous-ministre a dit de notre rapport. Je me souviens des audiences en cause, qui avaient eu lieu au Comité des comptes publics. Le fait est qu'en 2006, nous avions déterminé que plusieurs recommandations avaient fait l'objet d'un suivi tandis que beaucoup d'autres recommandations importantes n'avaient pas été mises en œuvre. Nous avions ensuite défini les obstacles qui ont empêché l'application des recommandations.

Le sénateur Moore : Voulez-vous parler des quatre obstacles?

M. Barrett : Oui. Les recommandations étaient similaires, quoique un peu plus vastes. Je crois que les quatre obstacles étaient d'une nature un peu plus fondamentale.

Quand nous sommes revenus à la charge en 2011, nous avons constaté, une fois de plus, que certaines recommandations avaient été appliquées tandis que d'autres ne l'avaient pas été. Nous avions alors l'impression que, même quand le gouvernement prenait des mesures sensées et efficaces, il ne faisait que piétiner. Il n'améliorait pas vraiment la situation parce que les obstacles systémiques sont tels qu'ils empêchent tout changement concret. Je crois que c'est pour cette raison que M. Wernick a jugé cette préface tellement utile : il faut s'attaquer simultanément à tous les problèmes au lieu de courir à droite et à gauche pour construire 10 maisons de plus ou prendre d'autres mesures fragmentaires.

Le sénateur Moore : Si vous le permettez, monsieur le président, je dirais qu'à mon avis, la clé réside dans le fondement législatif. Quoi que vous fassiez, c'est cet objectif qu'il faut atteindre d'une façon ou d'une autre. Je ne saurais pas dire comment, compte tenu des discussions liées aux traités, aux droits, à ce qu'il convient de faire dans les réserves et hors réserve et à ce qu'on peut réaliser dans le cadre de la loi ou en s'y soustrayant. Tout cela doit être standardisé pour que chacun ait une chance équitable d'avoir un logement décent et des services de base tels que de l'eau courante et des installations sanitaires. Certaines des histoires qu'on nous raconte sont tragiques. À défaut de choses fondamentales de ce genre, je ne vois pas comment il serait possible d'améliorer concrètement la situation, ne serait-ce que d'une façon très partielle.

Le président : C'est un problème sérieux.

Le sénateur Sibbeston : Lorsque nous discutons de questions d'envergure nationale, comme dans le cas du logement pour les Premières Nations, j'en arrive parfois à la conclusion que le sujet est excessivement vaste et que certains de ses aspects sont vraiment frustrants.

J'ai acquis mon expérience dans les Territoires du Nord-Ouest où j'ai passé six ans comme député à l'Assemblée territoriale. Quand je visitais les collectivités et que je notais des cas de gens vivant dans des tentes ou dans des logements d'une qualité inacceptable, j'allais à Yellowknife pour en parler et pour montrer les photos que j'avais prises. Je faisais vraiment du bruit, ce qui entraînait une réaction de la part du gouvernement.

Au fil des ans, les conditions de logement dans les Territoires du Nord-Ouest — le sénateur Patterson peut le confirmer pour le Nunavut — se sont sensiblement améliorées pour les habitants du Nord.

Pour les Premières Nations du Sud, le problème semble énorme. Que pouvons-nous faire? Comment notre comité sénatorial peut-il agir pour améliorer la situation? J'ai toujours cru qu'en politique, on n'obtient jamais rien en parlant doucement ou en écrivant de gentilles petites lettres. Il faut faire du tapage. Il faut montrer qu'on est vraiment déterminé.

Nous sommes membres d'un comité sénatorial. Nous sommes payés pour servir la population de notre pays. Que pouvons-nous faire pour retenir l'attention du gouvernement et le persuader de prendre des mesures vraiment concrètes? Voilà la question qui se pose. Comme l'a dit le vérificateur général, les investissements dans le logement n'ont pas évolué au rythme de la demande. Le problème de la moisissure se pose depuis 2003. En 2011, le vérificateur général a signalé que les progrès réalisés étaient insatisfaisants. Trois ministères s'en occupent. Le point 9 du rapport énumère cinq problèmes auxquels il faut s'attaquer. Le rapport du vérificateur général parle ensuite des obstacles structurels qui nous empêchent d'avancer et de faire des progrès dans le domaine du logement.

Que pouvons-nous faire? Il semble que nous devons mieux préciser les choses. Nous avons entendu beaucoup de témoins qui, invariablement, ont dit que c'était la responsabilité des Affaires autochtones. Le ministère est le premier responsable du logement. Nous devons définir le problème et présenter au gouvernement un rapport assez énergique pour l'amener à agir.

Y a-t-il quelqu'un qui se soucie de la situation? Y a-t-il quelqu'un au gouvernement qui soit préoccupé par les problèmes qui se posent? J'ai l'impression, quand il s'agit des Affaires autochtones, que leur temps de réaction se situe aux alentours de 20 ans. Si nous nous demandons quelque chose aujourd'hui, nous aurons à attendre 20 ans pour l'obtenir. Ce sont les délais du ministère. Les gens y travaillent dans le plus grand confort. En fait, ils s'en foutent royalement.

Nous avons des bureaux remplis de fonctionnaires. Que font-ils exactement? Y a-t-il quelqu'un qui s'intéresse à la question? Y a-t-il quelqu'un qui l'a jugée importante? Nous devons faire quelque chose de révolutionnaire et de remarquable pour retenir l'attention du gouvernement, du premier ministre, du ministre et pour savoir s'il y a quelque chose à faire. Je crois que cela est dans le domaine du possible. Je crois que c'est ce que nous devons faire.

Ma vie reflète la politique de l'efficacité. La politique des sénateurs n'est rien. Les sénateurs parlent, mais rien n'arrive, surtout s'ils font partie de l'opposition. Si je propose une motion, mes collègues d'en face sont assez nombreux pour la bloquer parce qu'ils craignent d'offenser le gouvernement. C'est un facteur à considérer.

Nous devons travailler de concert pour voir ce que nous pouvons faire. Nous devons suivre les conseils du vérificateur général et faire quelque chose de concret. Disons ce que nous pensons au premier ministre et au ministre, et demandons-leur de répondre. Demandons-leur d'agir concrètement et de nous présenter un rapport dans un, deux ou trois ans. À mon avis, c'est la seule façon d'agir efficacement et de gagner l'argent que nous recevons. Autrement, ce ne sont que des paroles creuses qui ne veulent rien dire et n'aboutissent à rien.

J'exhorte le comité à agir énergiquement et à présenter un bon rapport comprenant des recommandations claires et concrètes dans l'espoir que le gouvernement fera quelque chose pour améliorer les conditions de logement des Premières Nations de notre pays.

C'est ce que je pense. Je suis originaire du Nord. Je viens de rentrer d'une visite dans quelques collectivités où il fait bon vivre. De retour à Ottawa, je me demande : Qu'est-ce que je fais ici? Puis-je apporter quelque chose de positif aux gens?

Il arrive qu'on fasse de grands efforts sans obtenir des résultats. Je me dis alors que je perds mon temps et que je ferais mieux d'aller vivre dans le Nord. Oui, j'y pense de temps en temps.

Bref, j'exhorte tous les membres du comité à prendre cette affaire au sérieux et à faire quelque chose de radical, de révolutionnaire et d'énergique pour obtenir de vrais résultats. Nous ne pouvons plus nous limiter à parler gentiment. Nous devons être forts et déterminés. Nous devons gagner notre salaire.

Le président : Je vous remercie de ces réflexions. Le vérificateur général a dit la même chose d'une façon plus diplomatique, mais il est vrai que ce dossier est vraiment frustrant. Vous avez bien parlé, sénateur Sibbeston.

Le sénateur Watt : Je vous remercie de votre exposé.

Cette question revient constamment sur le tapis depuis que je suis au Sénat. Il n'y a vraiment rien de neuf dans ce que j'entends au sujet de la situation difficile dans les réserves. Je m'intéressais déjà aux problèmes des Premières Nations et des Inuits il y a bien longtemps, avant d'arriver au Sénat. Nous avons examiné les problèmes de logement dans le Nord dans une perspective septentrionale. Nous avons rapidement compris que le ministère des Affaires indiennes, à titre de mandataire du gouvernement, ne disposait pas des compétences nécessaires pour s'occuper de construction et de logement. Il nous fallait donc trouver une solution. C'était la meilleure à laquelle nous ayons pu penser à l'époque, même en présence des difficultés occasionnées par les conflits de compétence qui se posaient par intermittence pour les Premières Nations, les Inuits et les médias. Nous nous demandions s'il fallait prendre au sérieux ces conflits et en tenir compte dans les négociations futures en associant les gouvernements provinciaux aux discussions avec les Inuits.

Je crois que ce concept peut être appliqué indépendamment des compétences provinciales. D'ailleurs, j'entends dire de temps en temps que les Premières Nations ne veulent pas entendre parler des compétences provinciales. Elles préfèrent avoir uniquement affaire au gouvernement fédéral, même si les administrations fédérales n'ont pas de connaissances spécialisées dans les domaines de la santé, de l'éducation, du logement et des services municipaux.

En un sens, je crois que les Autochtones sont eux-mêmes à l'origine de certains de leurs problèmes. Nous avons commencé à nous en rendre compte aux alentours de 1975. Lorsque nous avions l'occasion d'essayer de maîtriser à la fois des choses qui étaient nouvelles pour nous et des problèmes que nous avions toujours connus, nous nous étions efforcés d'inscrire tout ce qui avait trait à notre vie dans ce qu'on appelait un traité, de façon à éviter à jamais les problèmes de compétences. Il est possible de négocier avec les deux ordres de gouvernement, le fédéral et le provincial. Il est même possible de les amener à négocier entre eux. Je crois vraiment que nous en sommes actuellement à ce stade parce qu'il n'y a pas eu de solution jusqu'ici, même si, à plusieurs reprises, nous avons affirmé qu'une solution serait trouvée un jour. Je ne crois pas que nous trouverons une solution si nous continuons à tenir les gouvernements provinciaux à l'écart parce qu'il faut tenir compte des besoins de développement des collectivités.

Si les Premières Nations tiennent absolument à éviter de relever de la compétence provinciale dans certains domaines, elles peuvent toujours s'en garder grâce à des négociations. Les soins de santé, l'éducation, le logement et les services qu'elles reçoivent ordinairement du gouvernement du Canada doivent figurer à l'ordre du jour des négociations. Tout doit y être inclus si nous voulons remédier aux problèmes que nous affrontons depuis des années.

J'ai une question à poser à cet égard au vérificateur général. Avez-vous envisagé ce dont je viens de parler dans vos discussions? J'ai eu l'impression, pendant que vous présentiez votre exposé, que vous avez abordé le sujet d'une façon très habile, que vous avez eu recours à une approche très douce parce que vous saviez que les Premières Nations n'accepteraient jamais de relever de la compétence provinciale. Vous ne l'avez pas dit directement, mais vous avez présenté la chose sous une autre forme. Pouvez-vous répondre à cette question si vous jugez que ce que j'ai dit est plus ou moins sensé?

Le président : C'est sans doute ce que M. Berthelette a voulu dire lorsqu'il a mentionné que les gens hors réserve peuvent recourir à tout un réseau de soutien.

Le sénateur Watt : Oui. Monsieur le président, il arrive qu'en parlant, nous tournions autour du pot sans nous attaquer vraiment au problème. C'est ce que je veux éviter pour que la discussion soit plus ciblée.

M. Ferguson : Je vais faire quelques commentaires, après quoi je demanderai à M. Berthelette de continuer. Il est bien possible que ces commentaires aillent un peu dans tous les sens.

Avant d'accepter les fonctions de vérificateur général, j'étais sous-ministre des Finances au Nouveau-Brunswick. Je peux vous dire que les responsables des gouvernements provinciaux ressentent aussi de la frustration lorsqu'ils essaient de comprendre leur propre rôle, celui des Premières Nations et celui des provinces par rapport aux mesures prises par le gouvernement fédéral dans ce dossier. Je ne sais pas dans quelle mesure le comité s'est intéressé aux préoccupations et aux frustrations ressenties par les provinces à cet égard.

Vous avez évoqué la possibilité d'associer les provinces aux négociations, mais il a également été question de votre comité. Encore une fois, je ne sais pas si vous avez fait des efforts pour comprendre la situation dans l'optique des gouvernements provinciaux. Si vous ne l'avez pas fait, il vaudrait peut-être la peine de l'envisager.

Même si notre organisme porte le nom de Bureau du vérificateur général du Canada, il s'occupe aussi de la vérification pour les trois territoires du Nord. Nous faisons au moins un audit de gestion dans chacun des territoires pour examiner un sujet particulier. Ainsi, nous avons récemment examiné l'éducation au Nunavut. Nous procédons donc à un audit de gestion et présentons un rapport à ce sujet à l'assemblée législative.

Dans un cas de ce genre, nous ne ressentons pas du tout le même niveau de frustration parce que nous examinons une question précise dans un domaine particulier. Nous savons qui en est responsable, à qui nous devons présenter un rapport et ce que nous pouvons attendre des intéressés. Ce n'est pas vraiment très différent de ce qui se passe lorsque nous présentons le rapport d'un audit de gestion au Comité des comptes publics de la Chambre des communes. Ce n'est pas très différent du rôle que je jouais lorsque j'étais vérificateur général au Nouveau-Brunswick. Nous présentions notre rapport à l'assemblée législative. Nous savions à qui nous nous adressions : les responsables du logement, de l'éducation et de tout le reste. Nous savions très clairement qui avait la responsabilité du domaine en cause.

Je vais maintenant demander à M. Berthelette de continuer.

M. Berthelette : Monsieur le président, j'appuie fortement la proposition du vérificateur général. Le comité aurait vraiment intérêt à faire comparaître quelques responsables provinciaux parce que c'est dans les provinces qu'on trouve de grandes compétences dans les domaines du logement, de l'infrastructure et des autres questions que le comité étudie actuellement.

J'ajouterai que ces responsables peuvent beaucoup contribuer à la recherche d'une solution qui n'imposerait pas aux Premières Nations de relever de la compétence provinciale. Si les Premières Nations ont besoin de conseils en matière d'éducation, de logement ou de tout autre service envisagé, les provinces disposent de l'expertise nécessaire pour les aider.

J'ai également une observation à formuler au sujet de l'intervention du sénateur Sibbeston. Je crois que votre comité peut jouer un rôle très important. Permettez-moi de dire ceci : il ne faudrait vraiment pas sous-estimer l'influence que le Sénat peut exercer sur la politique publique. Les audiences que vous tenez actuellement ont déjà attiré l'attention du public sur la question du logement. Il y a des gens qui suivent les travaux du comité, qui lisent les comptes rendus, examinent les témoignages présentés et accordent un grand intérêt à vos rapports parce que vous êtes en mesure de donner un aperçu non politique et non partisan de la situation, qui peut être très utile aussi bien pour le gouvernement que pour les Premières Nations.

Je crois que les deux parties peuvent profiter d'un autre point de vue non partisan, à part celui du vérificateur général. Dans la mesure où les deux points de vue concordent, ils peuvent être persuasifs et amener des changements.

Je pense qu'il serait extrêmement utile que vous poursuiviez vos travaux dans ce domaine particulier. Je serais vraiment enchanté de vous voir présenter un rapport à cet égard et d'associer à vos efforts, comme vous l'avez fait, les Premières Nations de même que des représentants des provinces parce que vous êtes vraiment bien placés pour rapprocher les deux parties grâce à votre rapport et à vos travaux.

Le sénateur Watt : C'est bien noté. Il vaut toujours mieux s'occuper des choses quand tout le monde comprend leur fonctionnement. Si on ne sait pas du tout comment les choses marchent, c'est très difficile et cela exige du temps, de l'énergie et de l'argent. Nous n'avons ni les ressources, ni les compétences voulues au ministère ni l'argent qu'il faut affecter sur une base régulière.

J'aimerais préciser quelque chose car je ne voudrais pas qu'on interprète mal ce que j'ai dit. Nous avions bien trouvé une solution, mais il y avait toujours un problème. Chaque fois qu'on mettait la main sur une solution, un autre problème surgissait. Comme Inuits, nous avions convenu avec la SCHL d'une formule faisant intervenir le gouvernement provincial. Nous devons négocier avec eux de temps en temps pour décider des exigences. Celles-ci posent un problème tous les cinq ans, par exemple. Il faut alors organiser des négociations pour régler les difficultés. Mais, même alors, il y a encore des problèmes. Le plus important, à mon avis, se situe dans les réserves car je crois qu'il y a un manque de compréhension et de communication entre les dirigeants des Premières Nations et le gouvernement du Canada et probablement les provinces.

Comment les sénateurs peuvent-ils agir efficacement? Je suis un sénateur indépendant. Je voudrais me prévaloir de ce titre pour essayer de faire avancer les choses, de susciter de l'intérêt parmi toutes les parties en cause et d'organiser des négociations entre elles. On pourrait peut-être même prévoir des limites de temps en accordant par exemple certains délais pour commencer et pour finir.

Nous nous occupons depuis longtemps de ce problème de logement. Je suis ici depuis 30 ans, et j'en entends parler sans cesse. J'aimerais pouvoir, avant de partir, dire au moins que j'ai essayé de contribuer à la solution de ce problème de longue date.

Le sénateur Moore : Pour revenir au code du bâtiment, le rapport de 2006 dit qu'après avoir examiné certaines régions, vous avez noté qu'AINC et la SCHL indiquaient que les codes du bâtiment nationaux étaient respectés. Toutefois, nous avons entendu des témoignages de gens sur le terrain qui affirmaient le contraire. Si la SCHL dit que la vérification de la conformité aux codes du bâtiment ne fait pas partie de son mandat, comment peut-elle savoir si les codes sont respectés? Pourquoi d'ailleurs s'occuperait-elle de cette question?

J'estime, si vous ne l'avez pas déjà fait, qu'il serait peut-être bon d'examiner la conformité aux codes du bâtiment. Si vous disposez de nouveaux renseignements, vous pourriez les transmettre à notre greffière.

Si vous ne vous occupez pas de cette question, pourquoi ne le faites-vous pas? Ne croyez-vous pas que c'est important? Cela semble être la source du problème. Nous avons entendu des témoignages accablants selon lesquels il n'y a parfois qu'une seule inspection, au lieu des trois ou quatre qui sont imposées. L'entrepreneur engage l'inspecteur. On n'a pas l'impression que les responsabilités sont sérieusement assumées conformément aux normes nationales du secteur de la construction.

Même si nous arrivons à comprendre ce qui se passe, nous devons commencer à nous attaquer à certains des problèmes et définir quelques normes que tout le monde doit respecter.

M. Ferguson : Nous tiendrons certainement compte de vos observations.

Je vais demander à M. Barrett s'il a quelque chose à ajouter au sujet des codes du bâtiment que nous avons examinés dans l'audit précédent.

M. Barrett : Si je m'en souviens bien, dans l'audit de 2006, nous avions prélevé un échantillon de rapports d'inspection, qui nous avaient amenés à croire que certains aspects des codes étaient respectés. Cela ne signifie pas que tous les rapports étaient conformes et que toutes les inspections étaient satisfaisantes. On ne pouvait pas dire qu'il n'y avait pas de renseignements, mais ceux qui étaient disponibles n'étaient pas complets.

Le sénateur Tannas : Le sénateur Sibbeston m'a toujours inspiré. Il a parlé de la possibilité de trouver une solution audacieuse.

Nous avons entendu un témoin qui est évidemment un dirigeant des Premières Nations, mais aussi le président du Conseil de gestion financière des Premières Nations. Cet homme et son organisation s'occupent d'abord et avant tout de contrôler les Premières Nations qui ont suffisamment progressé pour être en mesure d'emprunter de l'argent sur les marchés de capitaux. Jusqu'ici, le conseil a certifié quelque 35 Premières Nations sur 617. Elles représentent en quelque sorte l'élite des 5 p. 100 des Premières Nations qui ont une bonne gouvernance, qui ont fait l'objet de vérifications sans réserves et qui satisfont à différents critères d'excellence. Ce groupe est maintenant assez bien placé pour pouvoir faire des emprunts en commun sur les marchés de capitaux. Il a réussi à obtenir des cotes provisoires de certaines agences de notation et suit une voie qui lui permettra bientôt de pouvoir emprunter lui-même.

Les excédents constituent un autre élément. Je veux parler d'une gestion financière assez efficace pour produire des excédents. Certaines des Premières Nations en cause ont d'importants revenus tirés de leurs propres ressources. D'autres en ont moins, mais exploitent leurs biens d'une manière crédible.

Cet homme a fait une proposition qu'il serait possible d'appliquer si le gouvernement n'arrive pas à faire avancer sensiblement le problème du logement. Cette proposition est d'autant plus intéressante qu'il a également dit que, même dans ce groupe d'élite, il y avait quand même des problèmes et des pénuries de logements. Il estime que les Premières Nations en cause peuvent constituer un excellent groupe témoin si nous pouvions lui obtenir un accord de financement dans lequel le gouvernement dirait qu'il convient d'augmenter le budget d'immobilisations de tel ou tel montant pendant les 30 prochaines années. Comme les marchés de capitaux ont suffisamment confiance dans ce groupe, celui-ci pourrait considérer ce montant comme un excédent sur lequel il pourrait accorder des prêts. Par exemple, un financement de 100 millions de dollars par an sur 30 ans pourrait être capitalisé aux taux actuels pour obtenir 2,5 milliards de dollars ou tout autre montant calculé sur la base du taux d'escompte courant. On disposerait ainsi d'un important capital à consacrer à l'amélioration du parc de logements.

Je crois que l'idée est intéressante. Elle est un peu inquiétante, mais comme il s'agit d'un groupe de Premières Nations qui ont déjà fait leurs preuves dans la gestion de leurs avoirs, nous devrions l'envisager. En effet, ces Premières Nations sont les mieux administrées du pays.

Je suis en fait à la recherche de conseils en comptabilité : Comment un tel arrangement serait-il traité si le gouvernement prenait aujourd'hui un engagement sur 30 ans? Les fonds devraient-ils être engagés? Je suis un homme d'affaires. Je sais que mon vérificateur dirait : « Je regrette, mais il faut engager intégralement le montant aujourd'hui même sans essayer d'y échapper. » Ce serait donc un passif immédiat. Dans le cadre de la comptabilité gouvernementale, je crois que les montants devraient être engagés tout de suite, mais j'aimerais savoir si une telle solution peut tomber à l'eau à cause du traitement comptable.

M. Ferguson : Ne sous-estimez jamais la capacité qu'ont les comptables de faire sombrer les meilleurs projets.

Avant même que vous posiez la question, j'étais en train de me dire que cela représenterait très probablement un passif pour le gouvernement.

Le problème, dans les cas de ce genre, c'est qu'on peut toujours s'arranger pour que la transaction ne constitue pas un passif pour le gouvernement. Toutefois, aussitôt qu'on le fait, on augmente le risque que l'argent ne soit pas versé. Or, pour l'organisme prêteur, plus le risque est grand, plus le taux d'intérêt imposé est élevé. C'est toujours le problème qui se pose dans ce genre de transaction. D'une part, pour obtenir le meilleur taux possible sur l'emprunt, on cherche à minimiser le risque. De l'autre, pour éviter d'inscrire un passif, on s'efforce de le maximiser. En essayant de trouver le meilleur compromis entre les deux extrêmes, on arrive au point où une partie peut dire : « Oui, je vais obtenir la somme », tandis que l'autre dit : « Non, je ne dois rien. » Cela crée toujours des situations intéressantes pour nous, qui devons vérifier les états financiers. Bref, nous devons nous montrer très prudents dans ces cas.

Le sénateur Tannas : Nous avons déjà eu des situations de ce genre. Je pense, par exemple, au crédit agricole. Le taux d'intérêt est un peu plus élevé parce que la garantie du gouvernement est implicite, sans être réelle. N'est-ce pas le cas? Nous avons actuellement plusieurs situations de même nature, ne croyez-vous pas?

M. Ferguson : Je ne peux parler d'aucune situation particulière, mais il est certain qu'il y a des cas où, même si la source de financement est un gouvernement, quel qu'il soit, les prêteurs estiment qu'il y a un risque pour les bénéficiaires. Je ne peux parler ni du crédit agricole ni d'autres cas particuliers, mais il ne fait pas de doute que des situations de ce genre existent.

Vous avez mentionné au début de votre intervention que, même dans les Premières Nations les mieux administrées, il y a quand même des pénuries de logements. Nous savons tous en fait que les provinces elles-mêmes ont des difficultés à cet égard. Nous pouvons toujours espérer que les problèmes se résorberont par eux-mêmes, mais, pour être réalistes, nous devons reconnaître que le problème du logement ne disparaîtra pas de sitôt. Nous pouvons quand même viser comme objectif de faire en sorte que la situation des Premières Nations ne soit pas pire que celle des provinces.

Le sénateur Tannas : Bien dit.

Le président : Le Conseil de gestion financière des Premières nations a un fondement législatif. C'est l'un des obstacles définis dans le rapport du vérificateur général. Nous envisageons donc cela comme moyen d'intervention.

La sénatrice Beyak : Je vous remercie, messieurs, de vos explications. Vous avez déjà répondu à l'une de mes questions. Au cours des deux derniers mois, nous avons entendu beaucoup de déclarations contradictoires venant de toutes sortes de témoins. Certains ont fait l'éloge des Premières Nations qui se débrouillent bien tandis que d'autres nous ont parlé de corruption, de fraude, de gaspillage et de double emploi. Nous n'avons jamais réussi à comprendre pourquoi il y a tant d'incohérences et de différences au Canada, d'une province à l'autre et d'un territoire à l'autre.

Enfin, votre liste d'obstacles structurels m'a aidée à comprendre ce qui se passe, sans pour autant m'éclairer quant aux solutions. Il y a des revenus provenant de nombreuses sources : le gouvernement fédéral, les provinces, les casinos. On n'a pas l'impression qu'il manque d'argent, mais les fonds ne semblent pas être affectés en fonction des besoins.

Je vis dans le Nord depuis des dizaines d'années. Au nord de chez moi, il y a 52 réserves des Premières Nations. Dans certaines d'entre elles, les conditions de logement sont épouvantables, tandis qu'elles sont très bonnes dans d'autres. Je ne comprends pas pourquoi. Je sais que les conseils de bande en sont parfois responsables. On n'a jamais l'impression qu'il y a pénurie, mais c'est toujours un conflit entre quantité et qualité. La quantité est abondante, mais la qualité est absente. L'argent coule à flots, mais il ne semble pas suffire pour améliorer la qualité de vie après toutes ces décennies.

À titre de vérificateurs, vous avez pu observer toutes ces conditions. Avez-vous des solutions sur lesquelles nous pourrions concentrer notre attention? C'est un peu comme le budget d'un ménage. Il y a tant d'argent qui rentre et tant d'argent qui sort. Je sais quelles sont les rentrées, quelles sont les dépenses et ce qui reste au bout du compte.

Toutefois, dans le cas qui nous intéresse, le problème paraît énorme. Je ne sais pas où commencer. On sait qu'il y a tant d'argent qui rentre et tant d'argent qui sort, mais la situation ne semble jamais s'améliorer.

M. Ferguson : Encore une fois, ma réponse s'inspire essentiellement de mes antécédents au Nouveau-Brunswick. Nous ne devons pas perdre de vue qu'il y a quelque 600 Premières Nations au Canada. Au Nouveau-Brunswick, nous en avons bien sûr quelques-unes qui ont des sources de revenus propres et d'autres qui n'en ont pas.

Lorsqu'on considère la situation d'une manière globale, on peut avoir l'impression — je ne sais pas — qu'il y a tant d'argent qui rentre et que cela devrait suffire pour obtenir tels ou tels résultats. En réalité, si on examine la situation au niveau de chaque Première Nation, on constate qu'il y a de grandes disparités entre celles qui disposent de revenus propres et les autres.

Je vais maintenant laisser M. Berthelette donner une réponse plus détaillée.

M. Berthelette : Le vérificateur général a tout à fait raison. Je préciserai que beaucoup des collectivités des Premières Nations n'ont que 500 habitants ou moins. Avec une telle population, le nombre d'adultes s'élève à environ 200, de sorte qu'il y a des problèmes de capacité. Pour revenir à nos obstacles structurels, il faut noter que le manque d'organisations pouvant appuyer la prestation de services joue un rôle de premier plan, compte tenu de l'insuffisance des capacités de ces très petites collectivités.

J'ajouterai qu'il n'existe aucune solution qui puisse, seule, régler les problèmes de logement et d'infrastructure dans les réserves. Le sénateur Tannas a mentionné que mon ami, M. Harold Calla, a comparu devant le comité. Le conseil qu'il dirige compte parmi les organismes auxquels le gouvernement fédéral a accordé un soutien législatif et financier afin de leur permettre d'aider les Premières Nations à atteindre leurs objectifs. Ces organismes peuvent amener un certain nombre de Premières Nations à joindre leurs efforts et à tirer parti des avantages de cette mise en commun.

L'une des solutions pourrait consister à mettre des ressources en commun pour financer quelques collectivités. Cela pourrait ne pas marcher dans certains cas, ce qui imposerait de trouver d'autres solutions. Cela rend les choses un peu compliquées, comme l'a mentionné le vérificateur général, lorsqu'on dispose d'un capital commun à répartir très rapidement entre 600 collectivités. Comme certains témoins vous l'ont sans doute dit, une fois qu'on en arrive aux collectivités de 400 ou 500 habitants, il ne reste probablement assez d'argent que pour construire un seul logement. Dans une telle situation, il est nécessaire de chercher d'autres solutions pour les collectivités en cause, surtout si elles sont isolées et n'ont pas une économie locale assez forte.

J'ai une grande considération pour M. Harold Calla et son organisation. Si votre comité pouvait mettre cette idée de l'avant dans son rapport, comme solution possible parallèlement à d'autres, on réussirait peut-être à susciter de l'intérêt, de façon à aider Harold et son organisation à avancer.

La sénatrice Raine : Pouvez-vous nous parler de la question de la propriété privée dans les réserves et de son évolution, non seulement en ce qui concerne la terre, mais aussi à l'égard de la location à bail et de l'octroi de prêts pour l'acquisition de maisons mobiles, que leurs propriétaires pourraient déplacer à leur gré? Est-il possible de recourir à l'un des programmes qui existent actuellement pour prêter de l'argent à des gens qui souhaitent acheter une maison mobile?

M. Berthelette : La question de la propriété privée dans les réserves est très complexe, assez complexe, en fait, pour que je préfère m'abstenir d'en parler. Le comité ferait mieux d'en discuter avec les Premières Nations.

Je signalerai cependant qu'il existe actuellement dans les réserves au moins un, peut-être deux équivalents de la propriété privée. Le premier est le certificat de possession, qui donne des droits très proches de la propriété en fief simple dans certaines collectivités. Comme l'a dit l'honorable sénatrice, l'autre équivalent serait la location à bail à long terme.

Il y a donc quelques équivalents de la propriété privée, qui pourraient constituer une autre solution permettant de remédier à la situation du logement dans les réserves. Cela s'ajouterait aux initiatives du groupe de Harold Calla : équivalents de la propriété privée, moyens de les soutenir, article 95 et SCHL. Nous pourrions ainsi aboutir à un éventail d'options parmi lesquelles chaque Première Nation pourrait choisir ce qui convient le mieux à sa situation.

J'encourage le comité à examiner les différentes solutions qu'il est possible d'envisager.

La sénatrice Raine : Existe-t-il actuellement des programmes permettant d'accorder à un particulier des subventions ou du financement pour l'achat d'une maison mobile?

M. Berthelette : Je ne saurais pas le dire dans le cas particulier d'une maison mobile, mais je sais que le ministère des Affaires autochtones a un programme de garantie dont peuvent se prévaloir les membres d'une collectivité, avec l'appui de la bande. Le programme permet aux intéressés d'utiliser leurs propres fonds pour acheter un logement. C'est encore une autre possibilité que le comité voudra peut-être examiner de plus près.

Le président : C'est un renseignement très utile. Merci, monsieur Berthelette.

Le sénateur Wallace : De toute évidence, l'eau potable et les égouts sont directement liés à la question du logement. Je me demande, monsieur Ferguson, si vous avez eu l'occasion, dans le cadre de vos audits, d'examiner en particulier ces aspects dans les réserves. Si vous l'avez fait, à quelles conclusions avez-vous abouti quant aux progrès réalisés à cet égard?

M. Ferguson : Oui, nous avons examiné ces questions dans le passé. Je vais demander à M. Barrett de vous donner des détails sur nos conclusions.

M. Barrett : Nous avons examiné ces questions en 2005. Vous trouverez un suivi dans ce rapport.

Il y a quelques points importants à noter dans le contexte des obstacles structurels. Dans nos examens antérieurs, nous avions dit qu'il n'y avait pas de fondement législatif établissant qui est responsable de la qualité de l'eau. Lorsque nous avons fait notre suivi en 2011, nous avons conclu à des « progrès satisfaisants » au sujet des mesures législatives concernant la qualité de l'eau. Ces mesures législatives n'avaient pas encore été adoptées, mais nous disions que le travail nécessaire avait été fait en 2010. D'un point de vue bureaucratique, si je peux m'exprimer ainsi, nous étions d'avis que tous les efforts possibles avaient été faits pour favoriser l'adoption du projet de loi. Bien sûr, nous avons constaté en juin dernier que le projet de loi avait effectivement été adopté. Voilà un exemple qui montre qu'il est possible d'obtenir des résultats partiels. Nous n'avons pas examiné le contenu précis de la nouvelle loi, mais il n'en reste pas moins qu'elle constitue un début de fondement législatif. Il y avait évidemment d'autres domaines dans lesquels les résultats étaient moins satisfaisants.

Le sénateur Wallace : En fonction des audits que vous avez faits au sujet de l'infrastructure de l'eau potable et des égouts, considérez-vous que c'est un problème important dans les réserves?

M. Barrett : Oui, compte tenu de la surveillance exercée et des inspections faites. C'était un autre domaine important où la plupart des Canadiens jouissent ordinairement d'une eau potable de qualité, tandis que beaucoup de Premières Nations n'ont qu'une eau de qualité médiocre.

Le sénateur Wallace : Si le problème de l'eau potable et des égouts n'a pas été réglé, la situation est vraiment difficile. Comment peut-on s'attaquer au problème du logement si on ne dispose pas des éléments de base indispensables?

M. Barrett : C'est un autre problème.

Le président : Je note que nous avons maintenant un fondement législatif en ce qui concerne l'eau. Notre comité a approuvé le projet de loi en cause, mais nous n'en sommes encore qu'aux tout premiers stades pour ce qui est de sa mise en œuvre.

Le sénateur Watt : Je n'ai pas grand-chose à ajouter à ce que j'ai déjà dit, mais je voudrais proposer que le comité examine une question particulière. Compte tenu de la situation géographique des réserves, les distances à franchir ne sont pas les mêmes. Certaines sont isolées, tandis que d'autres sont proches d'agglomérations urbaines et ont donc accès à des routes. S'il était possible de faire un bon inventaire, parallèlement aux travaux du comité, nous serions en mesure de déterminer quelles réserves sont assez proches pour avoir accès à des matériaux locaux plutôt que d'en importer de sources éloignées. Si nous pouvons disposer d'un bon inventaire, nous découvrirons peut-être que les réserves peuvent utiliser des matériaux locaux. Il manque actuellement deux choses : d'une part, les matériaux et, de l'autre, l'argent nécessaire pour les acheter. Ce serait un autre moyen pouvant permettre au comité d'imaginer des solutions grâce auxquelles les collectivités pourraient s'aider elles-mêmes et devenir ainsi un peu moins dépendantes du gouvernement.

Je me demande si le vérificateur général et ses collaborateurs appuieraient des initiatives de ce genre qui favoriseraient une plus grande autonomie. Je crois que nous en avons grandement besoin.

M. Ferguson : Comme je l'ai déjà dit, c'est un domaine complexe compte tenu du genre de défis que certaines Premières Nations doivent affronter, qu'il s'agisse d'une population de 500 habitants, d'isolement ou de l'absence de routes d'accès. Ces Premières Nations ont beaucoup d'obstacles à surmonter qui ne font qu'augmenter la difficulté qu'il y a à trouver des solutions.

Je vais maintenant demander à M. Berthelette de donner plus de détails.

M. Berthelette : Encore une fois, monsieur le président, je dirais que c'est une autre solution à ajouter à l'éventail d'options. Je me souviens d'avoir visité une collectivité de la Saskatchewan dont je ne me rappelle pas le nom. J'étais allé là dans le cadre d'un audit. Pendant que je passais dans les rues, je pouvais voir ce que les locaux appelaient les maisons des Affaires indiennes, mais il y avait aussi des maisons en rondins. Les membres de la collectivité étaient allés dans la forêt, avaient abattu des arbres et s'en étaient servis pour se construire des maisons. Je pouvais voir avec quelle fierté ils me parlaient de ces maisons. J'avais aussi noté qu'elles étaient bien bâties, qu'elles étaient là depuis un certain temps déjà et qu'elles étaient en excellent état. L'utilisation de matériaux locaux est une solution. Je me souviens cependant que le chef m'avait dit que la collectivité n'avait pas pu continuer à construire ces maisons parce qu'une disposition des ententes de financement — je ne sais plus avec quel ministère — ne leur permettait pas de bâtir des maisons en rondins.

Vous pourriez envisager, dans le cadre de vos travaux dans ce domaine, de demander aux Premières Nations quelles dispositions des programmes de financement existants les empêchent d'utiliser des matériaux locaux. Qu'est-ce qui leur interdit de construire les maisons dont elles ont besoin?

Le sénateur Watt : Ce sont des renseignements très utiles.

Le président : Cela m'amène à une question pratique. Pour produire votre rapport de juin 2011, des représentants de votre bureau ont visité différentes réserves des Premières Nations afin d'obtenir leur point de vue. Comme notre comité a l'intention de faire aussi quelques visites sur place, pouvez-vous nous expliquer de quelle façon vous avez choisi les Premières Nations que vous avez visitées?

M. Ferguson : Je vais demander à M. Berthelette de vous donner les détails, mais vous avez parlé de ce rapport. Dans notre rapport le plus récent, nous avons abordé la question de la gestion des urgences, ce qui nous a aussi amenés à visiter des réserves. En ce moment, nous faisons une étude sur les services de police et devons donc entreprendre des visites dans une autre série de réserves. Je vais demander à M. Berthelette d'expliquer la façon dont nous les choisissons.

M. Berthelette : Monsieur le président, nous recourons à différents moyens pour faire ce choix. Une fois que nous avons déterminé le sujet de notre audit, nous nous servons de nos propres connaissances. J'ai visité un bon nombre de collectivités au cours des années que j'ai passées au Bureau du vérificateur général ainsi qu'à la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits. J'ai donc une bonne idée de ce qui se passe dans ces collectivités. Toutefois, comme je suis à Ottawa, je ne suis pas toujours au courant des dernières nouvelles. Nous avons donc des contacts avec les services administratifs de l'Assemblée des Premières Nations, à qui nous demandons des conseils sur le choix des collectivités à visiter pour étudier une question particulière.

Nous prenons également contact avec les associations provinciales-territoriales, l'Assemblée des chefs du Manitoba, la Fédération des nations indiennes de la Saskatchewan et l'Association de la Colombie-Britannique pour connaître leur avis sur les collectivités qui peuvent le mieux nous aider.

Nous avons en outre des discussions avec des gens tels que Harold Calla et d'autres, qui ont une connaissance approfondie de ce qui se passe dans les réserves. C'est donc en recourant à ces différentes sources que nous déterminons les collectivités à visiter.

J'ajouterai que nous consultons aussi — je ne voudrais pas les oublier — les fonctionnaires des Affaires autochtones et de Santé Canada qui sont très au courant de la situation des différentes collectivités et dont le point de vue est toujours utile.

Le président : Ces renseignements sont précieux. Je vous remercie.

Le sénateur Ngo : Nous avons entendu plusieurs groupes de témoins qui nous ont présenté des points de vue très différents sur la pénurie de logements. Nous savons qu'AADNC fournit aux Premières Nations environ 1 milliard de dollars par an pour financer toutes sortes d'infrastructures. D'après les témoins, il manque toujours 3 à 5 milliards de dollars, ce qui empêche les Premières Nations de se rattraper. Qui est chargé de s'assurer que les fonds sont judicieusement affectés de façon à répondre aux besoins d'infrastructure des collectivités des Premières Nations?

M. Berthelette : Monsieur le président, les responsabilités sont généralement définies dans les accords de subventions et de contributions. Les ententes prévoient les montants à fournir à chaque collectivité ainsi que leur répartition.

Ai-je répondu à votre question, sénateur?

Le sénateur Ngo : Est-ce la personne qui reçoit les fonds ou bien AADNC qui doit veiller à ce que l'argent soit utilisé en fonction des besoins?

M. Berthelette : AADNC doit s'assurer que les budgets des programmes et des services dont il a la responsabilité sont répartis, si je peux m'exprimer ainsi, entre les accords de contribution des différentes Premières Nations. Le ministère est également tenu de veiller à ce que les accords de contribution définissent clairement les fins auxquelles l'argent doit servir et la façon de l'utiliser. Il doit recevoir les rapports des Premières Nations sur l'utilisation des fonds et, en définitive, en rendre compte au gouvernement et au Parlement.

La sénatrice Raine : Votre bureau a signalé que le recours à des accords de contribution pour financer les programmes offerts aux Premières Nations pose des problèmes pour plusieurs raisons, la principale étant que ces accords doivent souvent être reconduits sur une base annuelle. La planification d'infrastructures est très difficile dans ces conditions. Comme le financement de l'année précédente doit être examiné avant l'approbation d'un nouvel accord, le financement est souvent interrompu pendant plusieurs mois.

Je comprends les raisons pour lesquelles nous avons besoin d'accords de financement, mais quand il s'agit d'infrastructures et de planification de la croissance d'une collectivité, quand celle-ci s'efforce d'établir un plan, de déterminer où construire des logements et d'agir d'une façon rationnelle, elle ne peut pas le faire si elle doit attendre des subventions annuelles. Ces défis s'appliquent-ils aussi au logement? Je sais qu'ils existent dans le cas des autres genres de services.

M. Berthelette : Monsieur le président, nous avons présenté des observations sur l'utilisation des subventions et contributions, comme l'honorable sénatrice l'a noté. Cela peut occasionner des difficultés, et je suis sûr que, dans certains cas, cette façon de procéder a des répercussions sur le logement dans les réserves.

AADNC a pris des mesures pour remédier à ce problème particulier en signant des accords de cinq ans avec les Premières Nations et en leur laissant plus de latitude quant à la façon de dépenser l'argent. Ainsi, les collectivités reçoivent un certain montant annuel pendant cinq ans et sont en mesure de définir leurs propres priorités et d'établir leur budget en conséquence.

Bref, certaines mesures ont été prises pour remédier aux problèmes, mais il ne faut pas perdre de vue que le système des subventions et contributions marche bien quand le gouvernement souhaite offrir une contribution à un organisme qui cherche à réaliser un projet donné dont le financement est assuré par plusieurs intervenants, dont l'organisme lui- même. Par contre, je ne suis pas sûr que ce système convient dans le cadre d'une relation de gouvernement à gouvernement. Vous voudrez peut-être, au cours de votre examen, déterminer si le ministère des Affaires autochtones, entre autres, peut recourir à d'autres moyens pour régler le problème du financement d'une façon qui corresponde mieux à une relation de gouvernement à gouvernement. Je ne saurais pas dire si ce serait « la » solution, mais elle pourrait faire partie de l'éventail d'options à envisager.

La sénatrice Raine : Pouvez-vous nous donner des exemples de situations semblables? Je suppose qu'il y a aussi certains arrangements à long terme dans le cadre des transferts fédéraux-provinciaux. C'est probablement là que pourrait intervenir le Conseil de gestion financière des Premières nations. On saurait alors si les Premières Nations en cause ont gagné le droit de recevoir un financement à long terme. Est-ce une solution à envisager?

M. Berthelette : Absolument. Je crois que Harold Calla et son groupe pourraient jouer un rôle utile en garantissant en quelque sorte qu'un accord à long terme serait dans l'intérêt de la collectivité.

À part les transferts fédéraux-provinciaux, il y a l'aide provinciale-municipale et celle des conseils scolaires provinciaux. Il faut également penser aux traités qui prévoient le versement de certains montants aux Premières Nations bénéficiaires.

On peut trouver différents exemples de moyens de procéder de cette façon.

La sénatrice Raine : À l'avenir, il y aura évidemment des occasions de partage des recettes tirées des ressources naturelles. Croyez-vous que ces nouvelles sources de revenus permettront aux Premières Nations bénéficiaires d'avoir un meilleur accès au marché de capitaux pour remédier à leur pénurie de logements?

M. Berthelette : Monsieur le président, je crois que les accords de partage des recettes qui sont mis en place ont considérablement aidé les collectivités, mettant à leur disposition une source de financement privée à laquelle ils peuvent puiser sans avoir à subir les restrictions dont le financement gouvernemental est assorti. Bien que je ne sache pas grand-chose de ces situations particulières, j'ai pu constater que les collectivités bénéficiaires se servent de l'argent à différentes fins. Je ne serais pas surpris qu'elles l'utilisent pour remédier au manque de logements et d'infrastructures.

Le sénateur Moore : Monsieur Berthelette, vous allez peut-être pouvoir répondre à ma question, qui fait suite à celle du président. Vous avez parlé de la façon dont vous avez choisi les collectivités des Premières Nations que vous avez visitées. Y a-t-il une liste de ces collectivités dans le rapport de 2011? Si oui, disposez-vous de chiffres précisant leurs besoins en matière de logement : nombre de logements manquants, nombre de maisons nécessitant de grandes réparations, nombre de maisons ayant besoin de petits travaux de rénovation, et ainsi de suite? Serait-il utile pour nous de visiter les mêmes réserves afin d'être en mesure de faire des comparaisons, au moins dans le cas des collectivités en cause, et de nous en servir pour formuler des recommandations ou rédiger un rapport énergique fondé sur notre propre expérience ainsi que sur vos conclusions?

M. Barrett : Je vais essayer de répondre à votre question.

Nous ne publions pas ordinairement une liste des Premières Nations visitées dans le cadre de chacun de nos audits. Nous essayons de couvrir une certaine gamme, qui peut être différente dans chaque cas.

Comme M. Berthelette, j'ai eu l'occasion de visiter des dizaines de Premières Nations au cours des différents audits que nous avons effectués. Personnellement, je crois qu'il vaut mieux se demander d'abord : « Que cherchons-nous à découvrir? » La réponse serait peut-être : « Quelle est la gamme des logements disponibles? »

Je peux vous dire qu'il y a deux ans, nous avons visité — ce n'était pas dans le cadre de cet audit — quelques collectivités du nord de l'Ontario. Nous cherchions à préciser un certain nombre de points. Nous avons examiné leurs logements, et quelques familles nous ont invités à venir jeter un coup d'œil chez elles. En toute franchise, cela nous a brisé le cœur. C'était vraiment triste. Des gens charmants, des familles sympathiques, mais on pouvait littéralement voir le sol à travers les trous du plancher et il y avait des fils électriques qui pendaient un peu partout. Les risques d'incendie étaient absolument évidents.

Si c'est le logement qui vous intéresse, je peux vous donner un autre exemple, celui d'une Première Nation dans le secteur de Vancouver-Nord. Il y avait là de belles maisons que la Première Nation louait à des membres du public et qui constituaient pour elle une source de revenu. Cette Première Nation était très bien administrée et n'avait pas de problèmes de logement. Pour se faire une bonne idée des conditions de logement des Premières Nations, il faut parler aux différentes organisations mentionnées par M. Berthelette et s'assurer de prendre connaissance des différents scénarios qui existent. C'est ainsi que des décideurs comme vous peuvent vraiment se renseigner sur la situation.

Le sénateur Moore : Avez-vous visité quelques-unes des collectivités les plus éloignées, de même que Squamish, par exemple, d'où vient M. Calla et qui semble être très bien administrée? Avez-vous effectué une visite dans toute la gamme des Premières Nations, monsieur Barrett?

M. Barrett : Nous l'avons fait au fil des ans. Les collectivités du nord de l'Ontario que j'ai mentionnées étaient toutes très éloignées et seulement accessibles par avion. Bien sûr, il est extrêmement difficile d'obtenir des matériaux et de construire une maison dans de telles conditions.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup, monsieur Barrett. Ce que vous venez de dire apaise quelque peu la frustration que je ressens comme habitante du Nord lorsque je constate les énormes différences qui existent entre les collectivités. J'ai trouvé vos propos très instructifs.

Avez-vous une solution à proposer? Je conviens avec vous que le comité pourrait aller visiter toutes ces régions du pays pour essayer de trouver les bandes qui se débrouillent bien et celles qui réussissent moins bien, et en arriver ainsi à définir une norme qu'il nous serait possible de recommander pour l'ensemble du pays. Ce que je dis est peut-être simpliste, mais il y a sûrement un moyen de mieux faire. Je parle aux femmes et aux enfants qui voient à la télé les centres commerciaux et tout le reste. Les femmes aimeraient bien se faire manucurer et coiffer et voudraient bien vivre dans le monde réel. Elles ne veulent pas rester à 100 kilomètres au nord de la limite forestière et se contenter d'une eau à peine potable, sans avoir autre chose à faire qu'inhaler des vapeurs d'essence. Nous pouvons sûrement mieux faire avec tout l'argent dont nous disposons. Je ne sais cependant pas comment. Je vous remercie d'avoir apaisé la frustration.

Le président : Je crois, sénatrice, que vous avez très bien décrit les défis que nous affrontons.

S'il n'y a pas d'autres questions, je vais, avant d'ajourner, profiter de la prérogative de la présidence. J'ai pensé aux obstacles que vous avez mentionnés, et notamment à l'absence d'un fondement législatif. J'ai réfléchi au manque de clarté dont vous avez parlé. Nous avons recommandé un fondement législatif en matière d'éducation parce que la Loi sur les Indiens contient des dispositions traitant de ce sujet, mais que les responsabilités n'y sont pas clairement définies. Toutefois, en ce qui concerne le logement, la Loi sur les Indiens ne dit absolument rien. Vous avez affirmé, si j'ai bien compris, que le gouvernement fédéral ou le ministère des Affaires autochtones n'admet pas — je vous prie de me corriger si j'ai mal interprété vos propos — qu'il est responsable du logement. Le ministère verse des sommes considérables pour le logement et met en œuvre différents programmes. Pourtant, je crois bien que vous avez dit qu'il ne reconnaît pas sa responsabilité à cet égard.

Est-ce que je me trompe? Ai-je mal interprété vos propos, monsieur?

M. Barrett : Très légèrement. Permettez-moi de reprendre ce que nous avons dit dans le rapport :

[L]e gouvernement fédéral est d'avis qu'il n'est pas tenu, aux termes de la loi et des traités, d'appuyer le logement dans les réserves...

Cela ne signifie pas que le gouvernement fédéral n'assume aucune responsabilité ou n'offre aucun financement. Cet énoncé signifie que le gouvernement n'a pas l'obligation juridique de le faire et que les traités ne contiennent aucune disposition qui lui impose cette obligation.

Le président : C'est cela qui vous a amenés à définir comme obstacle structurel l'absence d'un fondement législatif.

M. Barrett : Exactement.

Je voudrais signaler un autre élément que nous mentionnons ailleurs dans notre rapport en parlant des services à l'enfance et à la famille. Voilà un autre grand domaine dans lequel nous croyons que l'absence de dispositions législatives cause de nombreux problèmes. Des gens ont dit que ce domaine relève des provinces et qu'en général, le gouvernement fédéral ne s'en occupe pas. C'est au niveau provincial qu'on trouve les compétences à cet égard. Nous ne disons pas dans notre rapport que tout est parfait à l'échelle provinciale, mais nous avons noté que, dans plusieurs provinces, le gouvernement fédéral avait conclu des ententes tripartites. C'est encore le cas. Il y a des Premières Nations qui travaillent avec le gouvernement et avec les provinces, qui se conforment à des normes provinciales et qui reçoivent des services directement dispensés par les provinces. Bien sûr, les coûts assumés au niveau fédéral ont augmenté parce que les Premières Nations doivent maintenant se conformer aux normes provinciales.

M. Berthelette a parlé de l'éventail d'options à envisager. J'ajouterai qu'il faudrait aussi garder cette option à l'esprit.

Le président : Je suis sûr de parler au nom de tous les membres du comité en disant que vos contributions et vos réponses nous ont été très utiles dans le travail ardu que nous avons entrepris. Au nom du comité, je vous remercie tous de votre présence ce soir. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)


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