Aller au contenu
APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 6 - Témoignages du 30 avril 2014


OTTAWA, le mercredi 30 avril 2014

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 46, pour examiner la teneur du projet de loi C-33, Loi établissant un cadre permettant aux Premières Nations de contrôler leurs systèmes d'éducation primaire et secondaire, pourvoyant à leur financement et modifiant la Loi sur les Indiens et d'autres lois en conséquence.

Le sénateur Dennis Glen Patterson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir, mesdames et messieurs. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les sénateurs et sénatrices ici présents, ainsi qu'aux membres du public qui suivent les délibérations du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, ici même dans cette salle ou au moyen de CPAC ou d'Internet.

Je m'appelle Dennis Patterson, je viens du Nunavut et je suis le président de ce comité, dont le mandat est d'examiner des projets de loi et des dossiers qui concernent les peuples autochtones du Canada de façon générale.

Ce soir, conformément à l'ordre de renvoi dont nous avons été saisis, nous allons continuer d'examiner la teneur du projet de loi C-33, Loi établissant un cadre permettant aux Premières Nations de contrôler leurs systèmes d'éducation primaire et secondaire, pourvoyant à leur financement et modifiant la Loi sur les Indiens et d'autres lois en conséquence, en prévision du dépôt de ce projet de loi au Sénat.

Ce soir, nous allons entendre des témoins d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, ainsi que du ministère fédéral de la Justice. Avant de donner la parole aux témoins, je vais demander aux membres du comité de se présenter, à tour de rôle.

Le sénateur Moore : Sénateur Wilfred Moore, Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Dyck : Lillian Dyck, vice-présidente du comité, de la Saskatchewan.

Le sénateur Watt : Sénateur Watt, du Nunavik.

La sénatrice Beyak : Sénatrice Beyak, de l'Ontario.

Le sénateur Wallace : John Wallace, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l'Alberta.

Le président : Merci.

Au nom des membres du comité, je souhaite la bienvenue à nos témoins ce soir. Du ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord, nous accueillons Françoise Ducros, sous-ministre adjointe, Secteur des programmes et des partenariats en matière d'éducation et de développement social, ainsi que Chris Rainer, directeur de la planification et de la politique stratégique, Direction générale de l'éducation. Est également assis à la table Martin Reiher, avocat général et directeur par intérim, Opérations et programmes, Services juridiques, du ministère de la Justice.

Nous vous invitons à faire une déclaration liminaire, après quoi les sénateurs vous poseront des questions. Je crois savoir, madame Ducros, que c'est vous qui allez faire une déclaration.

Françoise Ducros, sous-ministre adjointe, Secteur des programmes et des partenariats en matière d'éducation et de développement social, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada : Je vous remercie infiniment de nous avoir invités à comparaître devant vous aujourd'hui au sujet du projet de loi sur le contrôle par les Premières Nations de leurs systèmes d'éducation.

Depuis deux ans, cette question a fait couler beaucoup d'encre, et le travail accompli par votre comité a beaucoup influé sur les divers débats qui ont eu lieu. Avant d'entrer dans les détails du projet de loi, j'aimerais rappeler le contexte qui a amené le gouvernement à déposer le projet de loi C-33.

Aujourd'hui, les élèves des Premières Nations qui vivent dans une réserve sont les seuls au Canada à ne pas bénéficier d'un cadre réglementaire exhaustif qui sous-tende leur éducation, ou à ne pas avoir accès à un quelconque système officiel qui leur garantisse une éducation de qualité, comme tous les autres élèves du Canada. Le système scolaire actuel des Premières Nations est une mosaïque d'autorités, de lignes directrices et de politiques qui régissent tant les normes que les services et l'administration. Bon an mal an, 40 p. 100 des élèves autochtones qui habitent dans une réserve fréquentent une école en dehors de la réserve. Dans certaines provinces, ce pourcentage atteint 60 p. 100. Les élèves autochtones doivent pouvoir passer d'un système à l'autre sans être pénalisés sur le plan scolaire.

Le taux de réussite scolaire des élèves autochtones qui vivent dans une réserve n'est que de 38 p. 100, en comparaison de 87 p. 100 pour les élèves non autochtones. Tout le monde s'entend pour dire que c'est inacceptable. C'est inacceptable, à la fois socialement et économiquement, pour les élèves autochtones, pour les familles autochtones, pour les communautés autochtones et pour le Canada dans son ensemble. Nous reconnaissons tous que, à part quelques exceptions, le système actuel ne fonctionne pas. Nous reconnaissons également que cette question est un élément clé de la réconciliation et qu'elle s'inscrit dans le prolongement des excuses présentées par le premier ministre en 2008.

Les appels en faveur d'une réforme se font entendre depuis 1972, lorsque la Fraternité nationale des Indiens a publié un rapport intitulé La maîtrise indienne de l'éducation indienne. Depuis, bon nombre d'études, de vérifications et de rapports ont recommandé une réforme, y compris le rapport de votre comité en 2011, dont le contenu a d'ailleurs été largement pris en compte pour l'élaboration de ce projet de loi.

[Français]

Le rapport formulait les quatre recommandations suivantes : premièrement, élaborer, de concert avec les Premières Nations, une nouvelle loi sur l'éducation qui reconnaît leurs compétences en ce qui concerne l'éducation dans les réserves; deuxièmement, élaborer un nouveau modèle de financement prévu par la loi en collaboration avec les Premières Nations; troisièmement, élaborer un plan d'action Canada-Premières Nations en matière de réforme de l'éducation; et quatrièmement, mettre sur pied, de concert avec l'Assemblée des Premières Nations, un groupe de travail conjoint afin de superviser les progrès accomplis et d'en rendre compte.

Selon le rapport, la solution ne réside pas uniquement dans le financement, et des réformes structurelles sont tout aussi nécessaires pour améliorer l'éducation des Premières Nations dans les réserves. Le projet de loi C-33 tient compte des recommandations formulées par le comité et le panel national, lesquelles ont été soumises au ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord ainsi qu'au chef national de l'Assemblée des Premières Nations.

[Traduction]

Le projet de loi C-33 reconnaît qu'il appartient aux Premières Nations de choisir leur modèle de gouvernance. Il énonce cinq normes fondamentales, ainsi que trois options de gouvernance parmi lesquelles les Premières Nations pourront retenir celle qui répond au mieux aux besoins de leurs communautés. Les Premières Nations qui préféreront ne pas s'en remettre à une autorité scolaire ou ne pas signer d'entente avec une commission scolaire provinciale pourront continuer de gérer elles-mêmes leurs écoles, mais elles devront être tenues de respecter les normes établies dans le cadre législatif.

Le projet de loi prévoit également un mode de financement prévisible et stable, grâce à la création d'un fond dont elle définit les modalités. En vertu de ce texte, les Premières Nations pourront choisir leur option de gouvernance, élaborer leurs programmes scolaires, déterminer comment elles y incorporeront des cours de langue et de culture, choisir leurs propres inspecteurs, décider de l'embauche et du licenciement de leurs enseignants, déterminer comment les élèves seront évalués, et organiser leur calendrier scolaire pour garantir un certain nombre de jours d'enseignement.

Suite à la recommandation du rapport de 2011 d'élaborer un plan d'action conjoint, le gouvernement du Canada et l'Assemblée des Premières Nations ont mis sur pied le Panel national sur l'éducation primaire et secondaire des Premières Nations. Ce panel a consulté les Premières Nations du Canada pendant environ un an, après quoi il a formulé des recommandations dans son rapport de 2012 qui s'intitulait Cultiver l'esprit d'apprentissage des élèves des Premières Nations. Ces recommandations ont été pleinement prises en compte dans l'élaboration du projet de loi qui a été déposé au Parlement.

[Français]

Le projet de loi C-33 survient à la suite d'un vaste processus de consultation lancé en décembre 2012 qui s'est déroulé sous forme de séances tenues en personne, de discussions, de courriels, de vidéoconférences et de téléconférences, tous ces efforts témoignant de la volonté d'un grand nombre de personnes et d'organisations d'améliorer l'éducation primaire et secondaire des Premières Nations.

[Traduction]

Le 12 juin, le ministre a envoyé une lettre à tous les chefs et conseils des Premières Nations, ainsi qu'aux grands chefs, pour faire le point sur le processus de consultation et pour définir les prochaines étapes de l'élaboration d'un projet de loi.

En juillet 2013, le gouvernement a publié un plan qui s'articulait sur les résultats des consultations effectuées entre décembre 2012 et mai 2013, et qui présentait l'approche retenue par le gouvernement du Canada en vue de l'élaboration d'un projet de loi. Des fonds ont été mis à la disposition des Premières Nations pour leur permettre d'organiser des réunions au sein de leurs communautés, afin de discuter de cette approche législative et de faire connaître leur opinion. Le gouvernement a reçu des rétroactions par courriel, lors de vidéoconférences et de téléconférences, et en face à face. Toutes ces discussions ont eu lieu entre des représentants du gouvernement et des centaines de dirigeants, d'éducateurs et de parents autochtones de tout le pays.

Cette rétroaction a servi de point de départ à l'élaboration d'un avant-projet de loi, qui été communiqué en octobre 2013 à plus de 600 chefs du pays et qui a donné lieu à d'autres discussions. En novembre 2013, le chef national de l'Assemblée des Premières Nations a adressé une lettre ouverte au ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord, où il énonçait les cinq conditions de succès de la réforme. En décembre 2013, le ministre a répondu au chef national en s'engageant à collaborer avec l'Assemblée des Premières Nations et avec les communautés autochtones pour trouver une solution aux problèmes en suspens et pour améliorer le système d'éducation dans les réserves.

Le projet de loi C-33 répond précisément aux cinq conditions fondamentales non seulement énoncées par le chef national de l'Assemblée des Premières Nations mais aussi appuyées, par voie de résolution, par les chefs réunis en assemblée en décembre 2013. En particulier, le projet de loi C-33 prévoit, conformément aux demandes qui ont été faites, le respect et la reconnaissance des droits et titres inhérents, des droits issus de traités, et de la compétence des Premières Nations sur leurs systèmes d'éducation; une garantie de financement inscrite dans la loi; l'octroi d'une aide financière pour permettre l'incorporation de cours de langue et de culture dans les programmes scolaires; une responsabilisation mutuelle, ce qui comprend la reconnaissance du principe selon lequel les Premières Nations ont le contrôle de leurs systèmes d'éducation, avec le soutien du gouvernement fédéral mais sans que ce dernier n'exerce de surveillance unilatérale; et l'instauration d'un dialogue constructif permanent. Les Premières Nations et le gouvernement continueront de travailler ensemble pour élaborer et mettre en place un cadre législatif habilitant qui assurera la réussite des écoles et des élèves des Premières Nations.

[Français]

La loi sur le contrôle par les Premières Nations de leurs systèmes d'éducation permettra de rendre des comptes aux parents et aux collectivités, tout en établissant un cadre législatif qui définit des normes correspondant aux normes provinciales hors réserve.

Elle établirait cinq normes de base, soit l'accès à l'éducation, un certificat ou un diplôme reconnu, des enseignants diplômés, un nombre minimal d'heures et de jours d'enseignement ainsi que la possibilité pour les élèves de passer d'un système à un autre sans être pénalisés.

[Traduction]

Par exemple, le projet de loi exige que les écoles des Premières Nations mettent en place des programmes scolaires qui répondent aux normes provinciales, voire qui les dépassent, et que les élèves fréquentent l'école pendant un nombre de jours minimum. Les enseignants seront agréés, et les écoles des Premières Nations délivreront des diplômes et des certificats reconnus.

Toutes les décisions, qu'il s'agisse de l'administration d'une école, de l'élaboration d'un programme scolaire ou de l'embauche des enseignants et des inspecteurs, relèveront exclusivement du contrôle des Premières Nations. Pour l'application des normes, des règlements seront élaborés en collaboration avec les Premières Nations, par l'entremise d'un comité mixte de professionnels de l'éducation, comme l'ont annoncé le premier ministre et le chef national de l'Assemblée des Premières Nations, le 7 février dernier.

L'engagement financier de 1,9 milliard de dollars qui a été annoncé à cette occasion comporte trois volets : un financement de base inscrit par la loi et indexé au taux inouï de 4,5 p. 100; un financement de transition, pour faciliter la mise en œuvre du nouveau cadre législatif; et enfin, un financement destiné à des investissements à long terme dans l'infrastructure scolaire des réserves.

Le premier volet prévoit un financement de base de 1,252 milliard de dollars sur trois ans, à partir de 2016-2017, qui sera débloqué en vertu de la loi et qui sera lui aussi indexé à 4,5 p. 100. Ce financement comprendra des crédits pour les programmes linguistiques et culturels.

S'agissant de gouvernance, le projet de loi permettra aux Premières Nations de choisir leur modèle de gouvernance entre les options suivantes : continuer d'administrer les écoles de la communauté; déléguer ce pouvoir à une autorité scolaire autochtone, qui gérera plusieurs écoles au nom de plusieurs Premières Nations; ou encore signer ou reconduire une entente avec une commission scolaire provinciale pour l'administration d'écoles situées dans les réserves. Ce sera donc aux Premières Nations de choisir le modèle de gouvernance qui convient le mieux à leurs communautés.

Par ailleurs, le projet de loi C-33 n'empêche nullement des Premières Nations de signer des ententes d'autonomie gouvernementale en matière d'éducation. En fait, le projet de loi appuie les efforts de celles qui voudront signer de telles ententes à l'avenir.

Les Premières Nations nous ont dit ce que nous savions déjà, à savoir que les enfants y gagnent lorsque les parents et les communautés participent aux décisions concernant l'administration générale et les opérations quotidiennes des systèmes d'éducation. C'est la raison pour laquelle la participation des parents et des communautés est une composante importante de cette réforme qui permettra de donner aux Premières Nations le contrôle de leurs systèmes d'éducation.

[Français]

En fait, les parents et les communautés jouent un rôle important dans le succès d'une école et des élèves. L'article 25 du projet de loi donne une voix aux parents et aux membres de la communauté, et plus spécifiquement aux aînés et aux jeunes en ce qui a trait à l'élaboration des politiques et des programmes scolaires, particulièrement en ce qui concerne les langues et les cultures des Premières Nations.

[Traduction]

De plus, les Premières Nations pourront d'autant mieux exercer ce contrôle qu'elles recevront un financement stable et soutenu, qui est inscrit dans la loi.

Le projet de loi C-33 prévoit notamment la création d'un comité mixte de professionnels de l'éducation qui aura pour mission de conseiller le gouvernement du Canada et les Premières Nations sur toute question relative à l'application de la future loi. Les membres seront choisis en fonction de leur expérience reconnue en éducation et de leurs connaissances des systèmes scolaires des communautés autochtones.

Le comité mixte de professionnels de l'éducation constitue un changement important à l'avant-projet de loi publié en octobre 2013. Sa création répond directement aux demandes des Premières Nations qui craignaient que le ministre ne décide unilatéralement d'intervenir dans l'administration de leurs systèmes scolaires. En fait, le comité aura l'autorité et la compétence nécessaires pour s'assurer que la mise en œuvre de la loi se déroule de la meilleure façon possible et que les pouvoirs ministériels ne sont invoqués qu'en dernier ressort. Il participera également à l'élaboration des règlements, en présentant les points de vues des Premières Nations, et il sera tenu de faire un examen de la loi au bout de cinq ans.

[Français]

Le comité aiderait également les conseils des Premières Nations et les autorités scolaires des Premières Nations à améliorer leurs systèmes d'éducation, en plus d'assumer un rôle de surveillance en veillant à ce que les pouvoirs ministériels octroyés par la loi soient utilisés en dernier ressort et soient exercés dans le respect du point de vue des Premières Nations.

La législation proposée établirait des structures, des rôles et des responsabilités, des normes de prestation des services et des responsabilités claires et mesurables. Elle mettrait en place un système de rigueur et de responsabilités qui n'existait pas auparavant.

On a longuement débattu de la question des inspecteurs. Le projet de loi prévoit que les Premières Nations ou les autorités scolaires des Premières Nations embaucheront et géreront les inspecteurs scolaires, exerceront une surveillance sur les activités scolaires, et géreront les situations où une école ne fournit pas une éducation de qualité aux élèves.

[Traduction]

L'autorité scolaire responsable qui aura été choisie par la communauté devra surveiller les résultats obtenus et le respect des normes, et en faire régulièrement rapport. Le cas échéant, des plans de réussite scolaire seront établis pour améliorer la performance. Ces rapports seront soumis au comité mixte de professionnels de l'éducation, qui fera des recommandations au ministre sur la nécessité de prendre des mesures supplémentaires pour assurer une meilleure protection du bien-être des élèves.

Ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles, et en tout dernier ressort, que le ministre pourra nommer un administrateur provisoire, après avoir demandé l'avis du comité mixte de professionnels de l'éducation. Comme je l'ai dit, cette disposition ne sera invoquée que dans des circonstances exceptionnelles, par exemple lorsque les rapports d'inspection n'ont pas été soumis ou lorsque le bien-être et la réussite des élèves sont fortement compromis.

Je crois que tout le monde reconnaît que chaque enfant canadien a droit à une éducation de qualité, quel que soit l'endroit où il habite au Canada. Le projet de loi C-33 vise à mettre en place un système d'éducation complet, qui sera placé sous le contrôle des Premières Nations et qui encouragera une plus grande réussite scolaire des enfants autochtones.

Encore une fois, je vous remercie de m'avoir invitée.

Le président : Merci, madame Ducros.

Chers collègues, nous avons reçu la déclaration liminaire de Mme Ducros juste avant la réunion, et j'ai constaté avec surprise, car ça n'arrive pas souvent avec votre ministère, que le texte n'était pas traduit mais plutôt qu'il comportait des passages en français et des passages en anglais. Généralement, nous demandons que les documents qui sont préparés pour notre comité soient bilingues.

Quoi qu'il en soit, avec l'accord du comité, j'ai pris la liberté d'en faire faire des photocopies que je peux faire distribuer aux membres du comité, s'ils sont d'accord.

Pendant ce temps, je vais me permettre de poser une première question.

Madame, vous nous avez décrit le processus de consultation qui a conduit à l'élaboration du projet de loi. Vous avez dit qu'il avait commencé, si je me souviens bien, en 2011 pour se poursuivre jusqu'en 2012 et 2013. Que le gouvernement a publié d'abord un plan en juillet 2013, puis un avant-projet de loi qui a été communiqué à 600 chefs en octobre 2013 et qui a même, je crois, été affiché sur Internet.

Nous avons aujourd'hui le projet de loi C-33. Pouvez-vous nous dire en quoi il se distingue de l'avant-projet de loi qui a été présenté en octobre de l'an dernier? Qu'est-ce qu'il apporte de nouveau?

Mme Ducros : Il y a plusieurs différences, et j'inviterai mes collègues à compléter ma réponse.

L'une des plus importantes concerne le comité mixte. L'avant-projet de loi traitait de modèles de gouvernance, de diverses questions, et des rôles et responsabilités de chacun. Le projet de loi actuel comporte des différences importantes, dont la création d'un comité mixte. Il en définit précisément les rôles et les responsabilités. En l'occurrence, ce comité mixte sera composé de neuf personnes, dont quatre seront proposées par les Premières Nations et quatre par le ministre, toutes ces personnes étant ensuite nommées par décret; le président sera nommé par le gouverneur en conseil, sur l'avis des Premières Nations.

Chris Rainer, directeur, Direction de la planification et de la politique stratégique, Direction générale de l'éducation, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada : Le projet de loi actuel se distingue de l'avant-projet de loi notamment par l'ajout d'un préambule et d'une clause intitulée « Objet » et indiquant clairement que la loi a pour objet de donner aux Premières Nations le contrôle de leurs systèmes d'éducation. Le gouvernement s'engage également, dans le nouveau projet de loi, à fournir un financement adéquat, stable, prévisible et soutenu, ce qui ne se trouvait ni dans le plan ni dans l'avant-projet de loi.

Ce nouveau texte prévoit également que le gouvernement accordera une aide financière pour l'incorporation de cours de langue et de culture dans les programmes scolaires.

Enfin, le projet de loi stipule expressément que le gouvernement s'engage à collaborer pour l'élaboration des règlements.

Le président : Je vais vous poser une dernière question, avant de donner la parole à notre vice-présidente. Certains dénoncent l'inclusion de normes dans le projet de loi. Des porte-parole des Premières Nations estiment que c'est une façon de faire autoritaire ou inappropriée, et que le gouvernement devrait accorder un financement sans ce genre de conditions. Pourriez-vous nous dire pourquoi il est nécessaire que le projet de loi comporte des normes?

Mme Ducros : En fait, il n'y a que cinq normes minimales dans ce projet de loi, et elles concernent l'accès à l'éducation, le devoir des parents d'encourager leurs enfants à aller à l'école, et la responsabilité des Premières Nations de s'assurer que leurs écoles sont opérationnelles. Il est question aussi de la délivrance d'un diplôme reconnu, d'où la nécessité de mettre en place un programme d'études qui permettra à l'élève de passer de la 4e année dans une école de la réserve à la 5e année dans une école hors de la réserve, ou encore d'obtenir son diplôme d'études secondaires. Le projet de loi exige aussi le recrutement d'enseignants agréés, impose un nombre minimal d'heures d'enseignement, et donne la possibilité aux enfants de passer d'un système à l'autre. Ce sont des normes assez fondamentales, qui répondent à ce que les gens réclament depuis 1972.

L'objectif est de mettre en place une partie de la structure ou du système, mais pas de déterminer comment ces normes seront mises en œuvre. Si nous avons décidé d'inclure ces normes dans la loi, c'est essentiellement pour nous assurer que lorsqu'ils devront passer d'un système à l'autre, ou qu'ils arriveront à l'université ou sur le marché du travail, les enfants auront acquis les mêmes compétences et les mêmes connaissances que s'ils avaient fréquenté une école provinciale. Mais nous n'avons pas l'intention de nous mêler de la façon dont ces normes seront mises en œuvre.

Le président : Les dispositions sur l'éducation de la Loi sur les Indiens contiennent-elles actuellement des normes?

Mme Ducros : Non. À l'heure actuelle, l'éducation est essentiellement financée dans le cadre d'accords de contribution, qui sont négociés entre le gouvernement fédéral et les Premières Nations, sur une base annuelle ou quinquennale. Ces accords de contribution obligent les Premières Nations à dispenser une éducation comparable à celle dispensée par les provinces. Les Premières Nations nous ont dit elles-mêmes qu'elles n'ont ni la capacité, ni les structures, ni les systèmes nécessaires pour garantir de tels résultats.

La Loi sur les Indiens contient huit dispositions sur le sujet, qui portent notamment sur l'ouverture d'une école ou sur ce qu'il faut faire dans le cas d'un élève absent sans permission, mais elle ne mentionne pas expressément des normes. C'est en partie dû au fait que les normes en matière d'éducation, ainsi que les dispositions qui ont été incorporées dans les divers systèmes d'éducation, ont été mises au point par les provinces, lors des réformes des dernières décennies.

La sénatrice Dyck : Je vous remercie de la déclaration que vous nous avez faite. J'aimerais remonter au tout début et vous poser la question suivante : quand vous avez décidé d'élaborer un projet de loi et que vous vous êtes retrouvée face à votre feuille blanche, par quoi avez-vous commencé? Avez-vous pris connaissance des lois déjà en vigueur, qui donnent ce contrôle aux Mi'kmaq et aux Cris de la Colombie-Britannique, si je me souviens bien? Avez-vous pris connaissance des lois provinciales qui traitent de l'éducation?

Mme Ducros : Eh bien, en fait, nous sommes remontés encore plus loin et nous avons lu tous les rapports sur la question. Avec notre groupe de conseillers, nous avons analysé les systèmes et les non-systèmes qui existent dans les réserves. Nous avons en effet examiné le système des Mi'kmaq, celui du Comité de coordination de l'éducation des Premières Nations, en Colombie-Britannique, et celui des Cris. Nous avons aussi consulté tous les rapports publiés pendant une quarantaine d'années, depuis 1972, c'est-à-dire depuis la parution de celui qui portait sur la maîtrise indienne de l'éducation indienne et qui réclamait les mêmes outils que ceux qu'avaient les provinces pour pouvoir administrer des systèmes d'éducation. Nous avons lu les rapports publiés par certains des témoins qui ont comparu devant vous — Harvey McCue, John Richards et d'autres — et qui identifiaient les lacunes existant entre les systèmes des réserves et les systèmes hors des réserves.

Nous avons ensuite étudié les systèmes qui existent actuellement dans les provinces. Au cours des 20 dernières années, les provinces ont élaboré des normes pour les programmes d'études et les brevets d'enseignement. Pour ce qui est du financement de ces systèmes, elles prennent en compte entre 4 et 14 éléments, et, s'il faut offrir des programmes d'éducation spéciaux, comment on peut les mettre en œuvre.

Alors oui, nous avons étudié tous les systèmes provinciaux, et nous avons aussi examiné tous les rapports traitant des lacunes dans ces systèmes.

La sénatrice Dyck : Si je comprends bien, ce n'est pas une compétence que le projet de loi C-33 transfère aux Premières Nations mais un pouvoir administratif; il ne leur donne pas l'autorité juridique qui est accordée aux Mi'kmaq, par exemple.

Mme Ducros : Dans le cas des Mi'kmaq et d'autres, ils ont signé une entente d'autonomie gouvernementale qui leur transfère un contrôle total. À vrai dire, l'entente ne leur transfère pas une compétence totale, mais elle remplace ce qui existe par défaut. À l'heure actuelle, vous pouvez négocier une entente d'autonomie gouvernementale avec divers mandats, et obtenir tous les pouvoirs négociés, comme dans le cas des Cris de la baie James et des Mi'kmaq, mais en l'absence d'une telle entente, votre position de repli est littéralement l'accord de contribution, qui exclut l'autonomie gouvernementale. Ce que dit le projet de loi, c'est que si vous négociez un accord de compétence, votre position par défaut est que vous obtiendrez le contrôle de vos systèmes.

La sénatrice Dyck : Bien.

Dans une réponse précédente, vous avez dit que vous aviez vérifié ce que les lois provinciales de l'éducation prévoyaient comme formule de financement pour déterminer le financement d'une école donnée, et qu'il y avait quatre à 14 catégories.

Je me souviens d'avoir discuté, en 2005, avec le premier ministre Calvert, et celui-ci parlait du financement de l'éducation en Saskatchewan. Il disait que pour faire une demande de financement, une école disposait d'un grand nombre de catégories, mais que pour une Première Nation, il n'y en avait qu'un petit nombre. Je vois ici qu'il y a une dizaine de catégories, alors je me dis que ce n'est peut-être pas très équitable, si on compare avec les lois provinciales.

Mme Ducros : Je ne vois pas bien ce que vous voulez dire par catégories, mais dans le cas de la Saskatchewan, et ce n'est pas le seul exemple au Canada, nous avons un système provincial qui prévoit l'allocation de telle somme à l'éducation et qui l'achemine aux différentes commissions scolaires en fonction de ces éléments. Dans notre projet de loi, nous essayons de reprendre les mêmes éléments.

La sénatrice Dyck : Par exemple, si l'on veut élaborer des programmes d'études et des cours de langue, c'est possible de faire une demande de financement, mais cela ne figure pas précisément dans la liste des éléments d'une demande de financement.

Mme Ducros : Je vous prie de m'excuser, j'avais mal compris votre première question.

Je ne sais pas comment ça se passe actuellement en Saskatchewan. Peu importe comment ça marchait en 2005, aujourd'hui, en Saskatchewan, vous calculez le financement en fonction de la taille de l'école, de son éloignement, des transports, et cetera. Par le passé, le gouvernement fédéral versait un financement aux écoles pour les activités scolaires de base, et en Saskatchewan, ça dépendait du nombre d'enfants. Pour tout le reste, c'est-à-dire si vous voulez créer des programmes spéciaux pour l'apprentissage de la lecture ou du calcul, pour la rétention scolaire ou que sais-je, il faut faire une demande dans le cadre d'un programme. Les financements accordés par les gouvernements provinciaux sont calculés en fonction du profil socio-économique et des besoins des autres.

Cela répond-il à votre question?

La sénatrice Dyck : Je pense que oui.

M. Rainer : Puis-je me permettre d'ajouter que, dans la structure actuelle de financement de l'éducation et des écoles des réserves, il y a à la fois un financement de base qui va aux écoles, et un financement disponible pour toutes sortes de programmes mais pour lequel les Premières Nations doivent faire une demande, qu'il s'agisse d'un programme d'éducation spéciale ou du Programme de réussite scolaire des élèves des Premières Nations. Il y en a sept ou huit.

Nous reconnaissons que cette structure pose des difficultés aux Premières Nations, car il leur faut beaucoup de temps et d'énergie simplement pour préparer les demandes de financement dont elles ont besoin pour offrir des programmes d'éducation à leurs élèves.

Ce que le projet de loi propose, c'est une structure de financement comportant un financement de base inscrit dans la loi, qui sera calculé selon la formule qui sera convenue avec les Premières Nations, au moment de l'élaboration des règlements, de sorte qu'elles n'auront plus à faire des demandes chaque année pour des programmes qui représentent une grande partie de leur financement. Ce sera basé sur une formule, comme cela se fait dans les provinces, et ce sera donc plus transparent; elles sauront sur quelles sommes elles peuvent compter chaque année, et elles n'auront plus à consacrer autant de temps à la préparation de demandes de financement et à la rédaction de rapports sur la façon dont elles ont dépensé ces sommes.

La sénatrice Dyck : Vous avez parlé de l'élaboration des règlements, et ça me semble être un aspect très important du projet de loi. Ce que veulent savoir les Premières Nations, à ce sujet, c'est dans quelle mesure elles vont être consultées, et si on va vraiment tenir compte de leurs observations, notamment en ce qui concerne le financement et tous ces autres éléments qui seront définis dans les règlements.

Vous dites qu'elles ont été consultées comme jamais elles ne l'ont été auparavant, mais on lit toutes sortes de communiqués de presse et de déclarations de chefs régionaux qui disent qu'ils n'ont pas été consultés. Il y a manifestement un écart entre les deux versions.

Comment allez-vous faire pour que les Premières Nations soient vraiment consultées pour l'élaboration des règlements, comme elles le demandent?

Mme Ducros : Le projet de loi propose une méthode assez rigoureuse pour l'élaboration des règlements, notamment que le gouvernement doit les élaborer en collaboration avec les Premières Nations, par l'entremise du comité mixte. Il est évident que ce comité va jouer un rôle dans l'élaboration des règlements.

Le paragraphe 48(1) stipule même que le ministre ne peut pas prendre de règlements sans avoir demandé l'avis du comité mixte. Et le paragraphe 48(2) dit que le comité ne fournit un avis au ministre qu'après avoir donné aux Premières Nations la possibilité de présenter leurs observations et en avoir fait un examen complet.

La sénatrice Dyck : Mais où exige-t-on la tenue d'un véritable processus de consultation? Je crois vous avoir entendu dire que c'était dans le préambule, mais...

Mme Ducros : Non, c'est dans le corps du texte.

La sénatrice Dyck : Mais il est question du comité mixte, pas de...

Mme Ducros : Le projet de loi dit que le comité mixte doit donner aux Premières Nations la possibilité de présenter leurs observations. Je vais laisser le représentant du ministère de la Justice vous répondre, mais je ne crois pas qu'il existe une disposition aussi rigoureuse dans une autre loi.

Le comité mixte, avec lequel nous collaborerons, doit donner aux Premières Nations la possibilité de présenter leurs observations.

Un autre changement apporté au nouveau projet de loi, par rapport au précédent, concerne l'élaboration de règlements nationaux. Le projet de loi prévoit que ces règlements pourront incorporer des règlements provinciaux ou pourront être pris au niveau de chaque province. Cela répond à ceux qui craignaient que le gouvernement fédéral n'impose une réglementation nationale qui ne tiendrait pas compte des spécificités régionales.

Le président : Merci. Nous examinerons bien entendu cette question de plus près.

La sénatrice Dyck vous a posé une question au sujet de la formule de financement. L'une des quatre recommandations de notre rapport de 2010 portait justement sur l'établissement d'une formule de financement. Je le dis à l'intention des sénateurs qui siègent dans notre comité depuis peu.

Le sénateur Meredith : Je vais moi aussi vous poser une question au sujet du financement. Vous avez mentionné le chiffre de 1,9 milliard de dollars. Il y a 612 bandes au Canada. Comment en êtes-vous arrivés à ce chiffre, quand on pense qu'il va falloir mettre sur pied des commissions scolaires, embaucher des enseignants et construire sans doute des infrastructures dans les réserves des Premières Nations?

Mme Ducros : Premièrement, la somme de 1,9 milliard de dollars s'ajoute au financement que le ministère débourse actuellement, c'est-à-dire 1,55 milliard de dollars en 2011.

Je vais vous expliquer comment nous en sommes arrivés à ce chiffre, mais il faut savoir qu'il comporte trois volets différents. Le premier volet de 1,2 milliard de dollars est un financement de base, inscrit dans la loi, qui sera débloqué à partir de 2016 et qui s'ajoute aux crédits actuellement consentis pour la gestion des programmes. Le deuxième volet est un fonds de transition de 160 millions de dollars, qui sera débloqué le 1er avril 2015 et qui facilitera la mise sur pied d'une autorité scolaire des Premières Nations. Le troisième volet est un fonds pour les infrastructures, qui s'ajoute aux crédits actuellement versés pour les programmes d'infrastructures.

S'agissant du volet de 1,2 milliard de dollars, cela nous ramène un peu à la question de la sénatrice Dyck. Depuis 30 ans, on nous dit qu'il faut calculer ce financement sur la base de services comparables, et non en fonction du nombre d'élèves. Nous avons consulté les provinces pour savoir comment elles avaient élaboré leurs réformes des 20 dernières années, et l'Ontario, par exemple, nous a dit que, pour offrir des services comparables, il en coûtait plus cher dans le Nord de l'Ontario que dans le sud de l'Ontario, non seulement en raison de l'éloignement mais aussi parce que les enfants doivent parcourir de longues distances, et qu'il y a donc des frais de transport.

Les provinces nous ont dit qu'elles donnaient tant par élève, comme Chris vous l'a expliqué. En plus, si le profil socioéconomique est inférieur, nous savons que les besoins sont plus grands. Si, en plus, les enfants ont davantage de besoins spéciaux, nous savons que ça va coûter plus cher. S'il y a de longues distances à parcourir, ça va aussi coûter plus cher.

Nous avons donc passé en revue les écoles des Premières Nations de l'ensemble du pays, pour voir si on pouvait élaborer des indicateurs — c'était indispensable — pour calculer de combien il faudrait augmenter ce financement inscrit dans la loi si l'on voulait avoir une école de proximité qui puisse dispenser des services comparables. Ensuite, on s'est dit qu'en la finançant directement, avec un coefficient d'indexation de 4,5 p. 100, elle devrait être en mesure d'accroître son efficience et son efficacité, vu qu'elle pourrait compter sur un financement pluriannuel. Donc, au lieu de débloquer le montant nécessaire année après année, comme dans le cadre d'un accord de contribution, on a maintenant un financement inscrit dans la loi qui permet aux écoles des Premières Nations de planifier la structure de leurs programmes, et par exemple de mettre l'accent, telle année, sur un programme d'apprentissage du calcul, et l'année suivante, sur des investissements dans les technologies.

C'est donc vraiment après avoir consulté les provinces que nous avons retenu cette notion de service comparable, plutôt que celle de financement comparable.

Le sénateur Meredith : J'aimerais poser une autre question en ce qui concerne l'attribution des fonds. Quelle garantie avez-vous que les fonds ne seront pas affectés à d'autres priorités d'infrastructures d'une Première Nation? Est-ce que vous versez ces fonds directement au chef et au conseil? Qu'est-ce qui vous garantit qu'ils ne les utiliseront pas pour faire autre chose?

Mme Ducros : À l'heure actuelle, tant que ce projet de loi n'est pas adopté, les fonds sont débloqués, comme je l'ai dit, dans le cadre d'accords de contribution, et les bénéficiaires doivent faire rapport sur l'utilisation qui en a été faite. Qu'il s'agisse d'une communauté autochtone ou d'une autre structure autochtone, le bénéficiaire doit faire rapport sur l'utilisation qui en a été faite, conformément aux politiques de vérification en vigueur, et cette obligation s'applique à tous les programmes, y compris aux frais de scolarité de base.

Le projet de loi permet d'entrevoir l'instauration d'un système qui, comme le système provincial, financera les programmes d'éducation, et les bénéficiaires des fonds devront justifier des résultats obtenus et de l'utilisation qui a été faite de ces fonds, mais l'avantage, c'est qu'ils pourront planifier puisqu'ils sauront qu'ils peuvent compter sur un financement pluriannuel.

Le sénateur Meredith : Monsieur Rainer, vous avez dit, à moins que cela ait été mentionné dans la déclaration liminaire, qu'une Première Nation a besoin d'être habilitée, soutenue et financée pour incorporer des cours de langue et de culture dans ses programmes d'études. C'est ce que vous avez dit.

Pourtant, monsieur Rainer, ça fait des années qu'on parle de donner des fonds pour préserver la langue et la culture, avec pour résultat que les Premières Nations sont en train de perdre leur langue et leur culture. Alors que comptez-vous faire?

Nous avons également parlé de l'embauche d'enseignants. Certains critiquent déjà la nouvelle autorité, et se demandent comment elle va rendre des comptes et comment elle va pouvoir embaucher des enseignants qui ont l'expérience culturelle des Premières Nations, afin que ce ne soit pas des personnes de l'extérieur qui viennent mettre en place les nouvelles structures. Comment allez-vous faire? La question s'adresse ou deux témoins et porte sur la mise sur pied de l'autorité et sur la préservation de la culture et de la langue.

Mme Ducros : Tous les rapports que nous avons lus disent, à l'instar des Premières Nations elles-mêmes, qu'il faut laisser ces dernières élaborer des systèmes qui leur permettront d'incorporer la langue et la culture dans leur programme d'études, mais que jusqu'à présent, elles n'ont pas eu les ressources nécessaires pour le faire. Nous avons incorporé ce coût dans le volet de 1,2 milliard de dollars de financement inscrit dans la loi. Ce mécanisme existe déjà dans les provinces, où vous calculez les besoins en matière de programmes culturels pour les incorporer ensuite dans la formule. C'est donc incorporé dans le montant de 1,2 milliard de dollars qui sera débloqué et qui permettra aux Premières Nations de concevoir leurs programmes d'études en conséquence.

Pour ce qui est de l'embauche et du licenciement des enseignants, le projet de loi en confie le contrôle exclusif aux communautés autochtones. Dans le passé, elles se plaignaient qu'elles ne pouvaient pas faire concurrence avec les écoles avoisinantes parce qu'elles n'avaient pas suffisamment de ressources et qu'elles ne pouvaient pas faire les gains d'efficacité qu'il est possible de faire quand on fait partie d'une commission scolaire. Donc, grâce au financement et grâce à l'objectif clairement énoncé qui leur donne le contrôle de l'embauche et du licenciement des enseignants, des inspecteurs, des administrateurs, des directeurs d'écoles et des directeurs de l'éducation, les Premières Nations seront en mesure de le faire.

M. Rainer : Permettez-moi d'ajouter quelques mots au sujet de l'attribution de ce financement. Rien n'est encore défini, puisque les Premières Nations devront participer à l'élaboration du règlement qui déterminera la formule de financement.

Nous savons qu'il y a un engagement supplémentaire de 1,25 milliard de dollars, qui s'ajoute au fonds d'infrastructures de 500 millions de dollars et à un budget de 160 millions de dollars sur quatre ans, mais il va falloir élaborer avec les Premières Nations une formule qui permettra d'en attribuer telle partie à la langue et la culture, telle partie au transport, et cetera. Une fois que cette formule aura été déterminée, il appartiendra à chaque communauté autochtone de décider, lorsqu'elle reçoit cet argent, comment elle va l'investir dans son système d'éducation.

Autrement dit, la formule de financement permettra de calculer le montant qui sera versé à la Première Nation, mais celle-ci aura toute la latitude pour transférer des crédits au sein de son budget, si elle souhaite investir davantage dans un secteur plutôt qu'un autre, compte tenu des besoins de ses élèves.

Le président : Avez-vous une idée du temps qu'il va falloir pour élaborer ces règlements en collaboration avec les Premières Nations?

Mme Ducros : Nous avons des échéanciers, mais tout dépend du comité mixte et des représentants que les Premières Nations y enverront; nous n'avons pas imposé de date fixe. Nous savons par contre que nous avons besoin de règlements pour faire avancer les choses, notamment pour mettre sur pied des autorités scolaires autochtones et pour déterminer la formule de financement.

Le président : Pensez-vous que tout sera prêt en 2016-2017?

Mme Ducros : Oui, et nous espérons que les règlements seront finalisés bien avant cette date.

Le sénateur Wallace : Madame Ducros, j'aimerais revenir sur la question soulevée par la sénatrice Dyck et au processus de consultation qui a mené à l'élaboration de ce projet de loi. Vous avez parlé d'un important processus de consultation, et vous avez donné quelques détails. J'aimerais toutefois que vous nous en donniez davantage.

Quelqu'un a rappelé tout à l'heure qu'il y avait plus de 600 communautés autochtones au Canada. Je sais que le ministère a longuement négocié avec le chef Atleo et avec l'APN, mais comment pouvez-vous être sûrs que toutes les communautés du pays ont eu la possibilité d'exprimer leurs points de vue au sujet du projet de loi qui vient d'être présenté?

Mme Ducros : Nous avons eu recours à des procédés itératifs.

Le président : Qu'est-ce que ça veut dire? Pardonnez mon ignorance, mais qu'entendez-vous par procédés itératifs?

Mme Ducros : Cela signifie qu'en 2011, le chef national et le ministre ont annoncé la création d'un panel mixte. Ce Panel national sur l'éducation primaire et secondaire des Premières Nations s'est rendu dans un certain nombre de communautés, dont je peux vous fournir la liste, si vous le souhaitez. Le panel a également organisé des consultations régionales, sous la houlette d'un président et de deux commissaires. Voilà comment tout ça a commencé.

Les consultations de ce panel mixte, dans diverses communautés du pays, se sont déroulées en même temps que les consultations menées par nos DGR dans les régions et dans les communautés.

Excusez-moi, je ne cherche pas à vous embrouiller. Les directeurs généraux régionaux se rendent régulièrement dans les communautés, pour toutes sortes de raisons, notamment pour élaborer des accords de contribution, et ils ont bien sûr fait circuler ces informations.

Donc, le panel national s'est rendu dans 30 communautés autochtones et dans 25 écoles réparties dans toutes les régions du Canada. Ils ont rencontré toutes sortes de parties prenantes. Pendant ce temps, nous avons essayé de notre côté — et ça a marché dans certains endroits mais pas dans d'autres — d'envoyer des lettres et des brochures invitant les Premières Nations à nous répondre, à nous et au panel national. Nous avons essayé d'utiliser toutes sortes de médias, nouveaux et traditionnels.

M. Rainer : En décembre 2012, après la publication du rapport du panel national qui tirait des conclusions sur les consultations menées, le ministre a adressé une lettre à tous les chefs du pays et à d'autres parties intéressées, pour leur dire qu'il voulait les consulter au sujet d'un projet de loi dont il leur soumettait une ébauche inspirée du rapport du panel national, du rapport du comité sénatorial et du rapport du vérificateur général. Il énumérait dans cette lettre les enjeux et les éléments qu'il voulait prendre en considération pour l'élaboration du projet de loi.

Nous avons organisé huit rencontres nationales, en face à face, nous avons invité des chefs, des professionnels de l'éducation, des parents et des enseignants, pour qu'ils nous donnent leurs points de vue sur ce qu'ils aimeraient voir dans une loi.

L'été suivant, nous avons préparé un rapport sur ce que nous avions entendu au cours de ces consultations, sur ce que nous avions lu dans les lettres que nous avaient adressées les chefs et les communautés, et sur ce qu'on nous avait dit dans nos consultations en ligne et par courriel. Nous avons également effectué une enquête en ligne qui nous a permis de recevoir plus de 460 réponses de communautés et de membres des Premières Nations sur ce qu'ils aimeraient voir dans un projet de loi.

À partir de là, nous avons bâti une ébauche du projet de loi, qui a elle aussi été envoyée à tous les chefs du pays ainsi qu'à des éducateurs et d'autres professionnels, pour qu'ils nous disent ce qu'ils en pensent. Nous avons ensuite donné de l'argent aux Premières Nations pour qu'elles s'organisent pour en discuter et nous présenter leurs observations.

Après avoir reçu toutes ces réactions, transmises par lettres ou à la suite de ces rencontres, nous avons préparé un avant-projet de loi que le ministre a envoyé à tous les chefs.

Le président : Nous aimerions bien avoir la liste des communautés dans lesquelles le panel s'est rendu. Je crois que nous avons un exemplaire du plan qui a précédé l'avant-projet de loi de juillet 2013. Ce plan a-t-il été publié?

Mme Ducros : C'est un document public.

L'autre initiative que nous avons prise, même pour les communautés dans lesquelles nous ne sommes pas allés, c'est de répondre nous-mêmes à leurs questions à l'occasion de 35 vidéoconférences. Nous avons organisé beaucoup de vidéoconférences et de téléconférences avec des communautés éloignées et d'autres. Nous pouvons vous fournir tous les détails là-dessus.

Le sénateur Wallace : À part les chefs eux-mêmes, je crois savoir que vous avez eu de nombreuses discussions avec le chef Atleo, qui présidait l'APN. Pourriez-vous nous donner des détails sur vos discussions et consultations avec l'APN, et sur la rétroaction que vous en avez reçue?

Mme Ducros : Pendant ces deux années de consultation, qui ont commencé avec le panel mixte, nous avons eu des rencontres hebdomadaires avec des représentants de l'APN, et au cours des derniers mois, les discussions ont eu lieu directement entre le premier ministre, le ministre et le chef national.

Le sénateur Wallace : Le chef Atleo et l'APN vous ont-ils fait parvenir des suggestions ou des observations, et le ministère y a-t-il répondu?

Mme Ducros : Le panel mixte a tenu des réunions hebdomadaires, à la suite desquelles il nous a soumis des recommandations qui nous ont servi à élaborer notre réponse à l'APN, mais les discussions avec l'APN et le chef national ont eu lieu ces derniers mois, au niveau du ministre et du premier ministre, et je préférerais que ce soit le ministre qui réponde à votre question.

M. Rainer : Le chef national a adressé une lettre ouverte au ministre énonçant les conditions de succès de la réforme, et le contenu de cette lettre a été endossé par les chefs et les conseils réunis en assemblée. Ils ont adopté une résolution énonçant les mêmes conditions, et le ministre a incorporé ces conditions dans le texte du projet de loi que vous avez devant vous aujourd'hui.

Le sénateur Wallace : Autrement dit, le nouveau projet de loi que nous avons aujourd'hui entre les mains reprend les cinq conditions énoncées par le chef Atleo?

Mme Ducros : Tout à fait, et ça représente un ajustement important par rapport au projet de loi antérieur. Ces conditions sont au nombre de cinq, et je vous propose de les passer en revue. Il y a d'abord la reconnaissance des droits et titres inhérents, ainsi que des droits issus de traités; l'inscription, dans la loi, d'un financement de base; le contrôle confié aux Premières Nations, avec une surveillance conjointe, et le comité mixte de professionnels de l'éducation; et l'engagement pris d'élaborer des règlements en collaboration avec les Premières Nations.

Le sénateur Moore : Je remercie les témoins de comparaître devant notre comité. J'aimerais poser une question au sujet du comité mixte. Au début, on a créé le panel national qui s'est rendu dans un certain nombre de communautés et qui a recommandé la création d'une commission nationale de l'éducation des Premières Nations, dont les membres seraient nommés par les deux parties. Cette recommandation n'a pas été retenue, et j'aimerais savoir pourquoi.

Mme Ducros : Pour plusieurs raisons. La première est que certains des rôles envisagés pour cette commission, notamment apporter un soutien aux Premières Nations, et rassembler et compiler les rapports, sont en fait assurés par le comité mixte.

L'autre question qui a été soulevée pendant les consultations...

Le sénateur Moore : Pas du tout, le panel avait recommandé la création d'une commission nationale de l'éducation des Premières Nations. Vous venez de dire qu'elle a été absorbée par le comité mixte. Ce n'est pas ce que je vous demandais. Pourquoi la recommandation du panel national n'a-t-elle pas été retenue?

Mme Ducros : La recommandation du panel national a été suivie d'autres consultations, et on s'est rendu compte que certains des rôles envisagés pour la commission nationale étaient dorénavant assurés par le comité mixte. Nous avons donc tenu compte des observations des Premières Nations, exprimées lors de consultations ultérieures, qui nous ont dit qu'elles voulaient une autorité scolaire au niveau local, et ce qu'on entend depuis plusieurs jours, c'est que les gens ne veulent pas du même modèle pour tout le monde.

Le sénateur Moore : Je sais que certains dirigeants autochtones sont très mécontents. Ils disent qu'il n'y a pas eu suffisamment de consultations. On se retrouve aujourd'hui avec un comité mixte de neuf membres au maximum et de cinq au minimum, tous nommés par le gouverneur en conseil, y compris le président. Or, si je relis les cinq conditions énoncées par le ministre Valcourt en décembre dernier, il disait vouloir donner le contrôle aux communautés autochtones. Je ne vois pas comment c'est possible. Combien y aura-t-il d'Autochtones parmi les neuf membres du comité?

Mme Ducros : Il se peut que ce soit tous des Autochtones, mais un maximum de quatre seront nommés sur la recommandation directe des Premières Nations. Les quatre autres seront nommés sur la recommandation du ministre, et ce dernier consultera l'Assemblée des Premières Nations pour nommer un président.

Je tiens à préciser que le comité mixte n'a absolument pas pour rôle de dire à la Première Nation quel modèle de gouvernance elle doit adopter, qui elle doit embaucher ou licencier, et quels programmes d'études elle doit élaborer. Le comité mixte a pour mandat, conformément aux recommandations du panel mixte, de fournir du soutien et des conseils.

Le sénateur Moore : Peut-être, mais c'est quand même l'entité qui chapeaute tout. Je suis d'accord pour ce qui est du financement de base inscrit dans la loi, de la reconnaissance des langues et de la culture des Premières Nations. Tout ça est indiqué aux paragraphes (2) et (3) de l'article 21, on dit bien « peut ». Ce n'est donc pas une obligation puisqu'on dit « peut ».

Mais quand on parle de surveillance conjointe, je ne comprends pas bien, étant donné que les membres du comité sont nommés par la Couronne. On est loin de la commission nationale que les Premières Nations réclamaient, et je trouve cela inquiétant. Je ne vois pas comment ça va marcher si on ne donne pas des rôles clés à des Autochtones. Le ministre va consulter, certes, mais c'est lui qui décidera quelles personnes nommer, et il ne va certainement pas nommer quelqu'un qui ne lui plaît pas. Il risque d'y avoir des entourloupes, et ça m'inquiète.

Je ne vois pas la garantie dont vous parlez. L'autre jour, un témoin a dit combien il était important d'en parler en salle de classe, pour que les enfants des Premières Nations soient fiers de leur identité, qu'ils sachent d'où ils viennent et qui ils sont, et qu'ils puissent faire l'apprentissage de leur langue et de leur culture.

Je ne vois pas où c'est inscrit. J'ai l'impression que c'est encore une fois l'homme blanc qui chapeaute tout et qui dicte aux gens ce qu'ils doivent faire, et ça m'inquiète.

Mme Ducros : Le comité mixte n'aura pas son mot à dire, ce sera à la communauté autochtone de choisir son mode de gouvernance, d'administrer son école, d'embaucher des enseignants et d'élaborer des programmes d'études. Le comité mixte pourra lui fournir des conseils et des appuis, et si les résultats tardent à se concrétiser, il pourra en informer le ministre.

Je comprends votre point de vue. Je ne le conteste pas, mais je vous assure que le comité mixte n'aura pas son mot à dire quant au modèle de gouvernance, aux programmes d'études et au mode de fonctionnement de l'autorité scolaire de la Première Nation.

Le sénateur Moore : Mais c'est le ministre qui signe les chèques, et ce comité conseille le ministre.

Mme Ducros : C'est vrai. Lors de l'annonce du 7 février dernier, le chef national et le ministre ont avalisé cette approche, qui reconnaît que le comité mixte n'a pas son mot à dire quant au mode de gouvernance que choisiront les Premières Nations.

Le sénateur Moore : Mais c'est ce comité qui fait les évaluations d'ensemble. Le chef Nepinak a dit qu'il n'y avait pas eu assez de consultations. Vous dites que le comité s'est rendu dans 30 communautés, mais il y en a 614. J'aimerais bien savoir si elles ont toutes reçu les lettres et ce qu'elles ont répondu.

Mme Ducros : Je peux vous dire que les 630 chefs ont reçu tous les documents, et qu'il y a eu beaucoup de réponses sur toutes sortes de sujets. Je peux vous faire parvenir ces listes.

Le sénateur Moore : Ce sera sûrement très intéressant.

Le président : Je tiens à préciser à mes collègues que le comité mixte est composé d'un minimum de quatre personnes et d'un maximum de neuf. Le paragraphe 12(1) fait référence, je crois, à l'ascendance autochtone des membres du comité mixte. Il dispose que « le gouverneur en conseil nomme de un à quatre membres sur recommandation du ministre... et de un à quatre autres membres sur recommandation du ministre parmi les candidats proposés par toute entité représentant les intérêts des premières nations... ».

Supposons que les Premières Nations proposent un candidat autochtone, a-t-on pour autant la garantie que des Autochtones seront nommés à ce comité, madame Ducros ou monsieur Rainer?

Martin Reiher, avocat général et directeur par intérim, Opérations et programmes, Services juridiques, ministère de la Justice Canada : En effet, le ministre fera des recommandations au gouverneur en conseil quant aux candidats qui seront nommés. Le ministre lui fera donc des recommandations sur les candidats.

Autrement dit, si quatre personnes sont candidates, il faudra qu'elles soient recommandées par le ministre pour être nommées.

Le président : J'aimerais en avoir le cœur net.

La sénatrice Dyck : Pouvez-vous me dire quelle est cette entité qui représente les intérêts des Premières Nations?

M. Reiher : Le projet est conçu de façon à pouvoir s'appliquer pendant un certain nombre d'années, et il se peut que ce ne soit pas toujours la même entité. L'important est que l'entité représente les intérêts des Premières Nations. Je crois qu'au début, cette entité sera l'APN, mais à l'avenir, ça pourrait changer, tout dépend de la situation.

Le président : Sénateur Wallace, avez-vous une question supplémentaire?

Le sénateur Wallace : J'aimerais revenir sur la question soulevée par le sénateur Moore, pour être sûr que j'ai bien compris. Il a demandé des précisions sur le rôle du comité mixte et a laissé entendre que les ordres vont venir d'en haut et que c'est le ministre — si je le suis bien — qui va contrôler tout le système d'éducation. D'après ce que j'ai compris, ce sont les communautés autochtones elles-mêmes qui vont décider de leur mode de gouvernance, de leur programme d'études, de l'incorporation de cours de langue et de culture dans leur programme d'études, de l'embauche d'inspecteurs et d'enseignants, de l'évaluation des élèves, et même du calendrier scolaire. Que je sache, ce sont les Premières Nations qui vont avoir le contrôle de tous ces domaines-là, et pas le ministre. Est-ce que je me trompe?

Mme Ducros : Vous avez tout à fait raison. La Première Nation aura le contrôle de tous les domaines que vous avez mentionnés, et elle devra rendre des comptes au ministre. Ce dernier n'aura pas son mot à dire, sauf si les résultats scolaires restent insuffisants ou si la santé et la sécurité des enfants sont compromises. Et même s'il reçoit un rapport négatif de ce genre, il ne pourra pas intervenir pour imposer un programme d'études différent, un enseignant différent ou une structure différente. Le ministre n'en a pas le pouvoir.

Le comité mixte est là pour appuyer les Premières Nations — c'est une des recommandations qui nous ont été faites, notamment par le panel mixte —, mais ce sont les Premières Nations qui détiennent ce pouvoir. Chacune d'entre elles décidera si elle veut administrer elle-même une école dans la communauté, si elle veut en confier la responsabilité à une autorité scolaire autochtone, ou encore si elle veut conclure une entente avec la province. C'est elle aussi qui élaborera et administrera ses programmes d'études. Le ministre n'aura pas son mot à dire. Chris peut passer en revue les différents pouvoirs, si vous voulez.

Le président : Sénateur Moore, vous avez fait des émules.

Le sénateur Watt : J'aimerais tout d'abord remercier les témoins de leur déclaration liminaire. Mais très franchement, je ne comprends pas très bien ce que nous essayons de faire, et je pense que je ne suis pas le seul.

Le texte qu'on nous présente est pour le moins inhabituel si l'objectif recherché est de mettre sur pied une véritable commission scolaire. Si c'est ça l'objectif recherché, est-il vraiment nécessaire de passer par tout ce processus compliqué, puisqu'il y a de bonnes chances que le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux, les groupes concernés et les conseils de bandes s'entendent pour mettre sur pied une commission scolaire? Car je suppose que c'est ça que vous voulez faire, au bout du compte.

Et avant d'en arriver là, il faut se demander quelle va être la relation entre ce comité mixte de professionnels de l'éducation et l'assise communautaire. Quelle relation y aura-t-il entre les deux? Va-t-on opter pour une assise communautaire, une assise nationale ou une assise régionale? Je ne sais pas combien d'entités vous voulez créer au Canada, mais il risque d'y en avoir 640 étant donné qu'il y a 640 conseils de bandes. Que voulons-nous exactement? Une méga commission scolaire qui chapeaute tout, ou bien une commission scolaire dans chaque région? Comment voyez-vous les choses? Pourriez-vous nous brosser un tableau plus précis, pour que nous puissions mieux comprendre?

Mme Ducros : Je vais faire tout mon possible.

À l'heure actuelle, il y a 415 écoles réparties dans 630 communautés autochtones. Depuis 2008, et même avant dans certaines provinces, certaines écoles ont essayé de se regrouper pour créer leur propre commission scolaire. Dans certaines provinces comme la Nouvelle-Écosse, il n'y a qu'une commission scolaire. En Colombie-Britannique, 87 communautés sur 88 se sont regroupées au sein de la même commission scolaire. En Ontario, en Saskatchewan et ailleurs, il y a plusieurs regroupements scolaires. Les Premières Nations nous ont dit en termes non ambigus qu'elles voulaient se regrouper elles- mêmes, parce qu'elles ne voulaient pas que le gouvernement fédéral leur impose un quota de regroupement particulier, que ce soit 10 dans la région des Battleford ou 87 en Colombie-Britannique. Elles veulent décider elles-mêmes de la façon dont elles vont se regrouper.

Avec ce projet de loi, nous essayons de donner aux Premières Nations les outils nécessaires pour qu'elles puissent décider elles-mêmes si elles veulent administrer une école communautaire ou si elles veulent mettre sur pied une autorité scolaire, et de quelle taille. Voilà ce que nous essayons de faire, de donner aux Premières Nations, par la voie de ce projet de loi, les outils et le financement stable dont elles ont besoin.

Le sénateur Watt : Y a-t-il eu des discussions entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux sur ce sujet?

Mme Ducros : Depuis 2008, nous avons mis sur pied des tables tripartites, où les Premières Nations et leurs organismes représentatifs viennent discuter avec le gouvernement fédéral et les provinces. Dans chacune des provinces, il y a des groupes de Premières Nations qui sont allés rencontrer le gouvernement et qui ont dit que, dans certains cas, ils préféreraient avoir les outils dont disposent les provinces, et que, dans d'autres cas, ils préféreraient se regrouper directement avec une commission scolaire provinciale voisine. En Saskatchewan, deux ou trois écoles ont dit qu'elles voulaient s'entendre avec la province. Elles veulent administrer leur propre école dans la communauté, de la maternelle à la deuxième année, et ensuite, à partir de la troisième année, être rattachées à la commission scolaire provinciale, mais elles veulent une entente là-dessus. En Colombie-Britannique et en Nouvelle-Écosse, où il y a une entente d'autonomie gouvernementale, les Premières Nations ont dit qu'elles acceptaient des rôles de soutien, mais pas que le gouvernement intervienne en cas de mauvais résultats.

Nous essayons de donner des outils aux Premières Nations pour qu'elles puissent décider elles-mêmes si elles veulent gérer les choses toutes seules. Certaines communautés vont vouloir administrer elle-même leur propre école communautaire, tandis que d'autres vont vouloir contrôler leurs écoles parce qu'elles ont une masse critique. En Saskatchewan, à Saskatoon et dans les Battleford, les Premières Nations veulent se regrouper pour créer une entité. En Ontario, il y aura probablement 34 entités. Nous essayons d'être aussi flexibles et adaptables que possible, mais pas indifférents au point de ne pas leur donner les outils dont elles ont besoin.

Pour répondre directement à la question que vous m'avez posée, je dirai que les Premières Nations nous ont dit très clairement qu'elles ne veulent pas que ce soit nous qui décidions de la taille de l'autorité scolaire. Depuis 2008, deux programmes ont été mis en place — le Programme d'aide aux étudiants des Premières Nations, et le Programme des partenariats en éducation autochtone —, avec pour résultat la création d'autorités scolaires embryonnaires qui peuvent regrouper huit ou neuf écoles. Tout au long des consultations, elles nous ont dit qu'elles voulaient avoir la possibilité de se regrouper et la capacité de mettre sur pied une autorité scolaire autochtone. Ce n'est pas du tout incompatible avec ce qui s'est fait de manière embryonnaire jusqu'à présent.

M. Rainer : J'ajouterai, pour reprendre les termes de Mme Ducros, que le choix appartiendra aux Premières Nations, en fonction de ce qu'elles souhaitent pour leur communauté. D'après les discussions que nous avons eues jusqu'à présent, les nouvelles structures seront des variantes des commissions scolaires, et leur limites pourront être celles des traités, celles des conseils tribaux ou encore celles qui seront dictées par des raisons géographiques ou historiques. Ce sera à chaque Première Nation de décider ce qui convient le mieux aux élèves.

Comme vous l'avez dit au début de votre question, nous voulons en effet encourager la création d'entités de grande taille car nous savons qu'elles permettront aux Premières Nations de mieux administrer tous les services dont leurs élèves ont besoin, y compris les soutiens professionnels qu'elles doivent offrir à leurs enseignants et les services d'éducateurs spécialisés et d'orthophonistes, qu'elles ne sont guère en mesure d'offrir à l'échelle d'une seule communauté.

Le sénateur Watt : Le gouvernement n'a pas plus d'expertise qu'elles là-dedans, mais les gouvernements provinciaux en ont, eux.

M. Rainer : Exactement, mais en donnant le contrôle aux Premières Nations, ça signifie que ce sont elles qui vont décider ce qui convient le mieux aux élèves. C'est ce que nous voulons encourager, au moyen des structures et des aides que prévoit ce projet de loi, afin d'inciter les Premières Nations à se regrouper. Mais au final, ce sont elles qui vont décider.

Le sénateur Watt : Dans ce cas, je pense qu'on s'embarque dans un très long processus. Le président a dit que ça pourrait être prêt en 2016. C'est cette année-là que les fonds vont être débloqués, mais je pense que ça va prendre plus longtemps. Créer une commission scolaire n'est pas une chose facile.

Mme Ducros : Depuis 2008, il n'y a pas une seule province où des communautés n'ont pas essayé de se regrouper au sein d'une même commission scolaire. Par conséquent, dans chaque province, il existe déjà des organisations embryonnaires, qui nous ont dit qu'elles avaient besoin d'argent pour développer leurs capacités — elles en reçoivent déjà et elles continueront d'en recevoir avec les 160 millions de dollars —, afin d'être en mesure d'élaborer des programmes d'études et de développer leurs services, en fonction des crédits qui leur seront alloués avec la formule de financement.

Le sénateur Watt : Pour le moment, en qualité de représentante du gouvernement fédéral, vous ne pensez pas qu'on pourrait essayer de faire avancer les choses un peu plus vite? Est-ce parce qu'il faut occuper les Premières Nations?

Mme Ducros : Il y a déjà des entités qui sont pratiquement prêtes à démarrer. Par exemple, à Saskatoon et à Winnipeg, elles ont signé des accords avec les gouvernements provinciaux et elles font partie d'une commission scolaire. Dans le Nord de l'Alberta, ainsi qu'en Colombie-Britannique et en Ontario, je crois, elles ont adopté des modèles qui leur permettront de devenir des autorités scolaires autochtones très rapidement.

Je ne pense pas que ce soit pour dans 5 ou 10 ans. L'important, c'est de développer les capacités rapidement pour que, lorsque le financement de base commencera en 2016 et se fera sur une base pluriannuelle, ce qui permettra de mieux planifier, les choses puissent aller assez vite. En qualité de fonctionnaire fédérale, je suis très optimiste.

Le sénateur Watt : J'espère que le temps vous donnera raison. Dix ans, c'est long, car les enfants souffrent déjà d'un manque d'éducation et d'autres services qui leur sont pourtant nécessaires pour réussir dans la vie.

Le président : Sénateur Watt, merci beaucoup. Je peux vous inscrire pour une deuxième ronde, si vous le souhaitez. Auparavant, je vais donner la parole au sénateur Meredith pour une petite question supplémentaire.

Le sénateur Meredith : Combien va coûter ce comité mixte? Pourquoi ne pas avoir une structure hybride, comme le mentionnait le sénateur Watt, une méga commission dont les membres rendraient des comptes directement au gouvernement mais travailleraient en même temps à la mise sur pied d'une méga commission, plutôt que de créer une autre structure bureaucratique? J'ai l'impression que c'est ce qu'on est en train de faire. Ce comité est-il créé pour le court terme, en attendant qu'une méga commission ou plusieurs commissions soient mises sur pied, ou bien va-t-il continuer de fonctionner en parallèle? Je ne voudrais surtout pas qu'on envoie indéfiniment des fonds à ces neuf personnes plutôt qu'aux élèves des Premières Nations.

Mme Ducros : Nous n'avons pas encore calculé combien ce comité nous coûtera, avec ses neuf membres.

Je peux par contre vous dire dès maintenant que les Premières Nations ne veulent absolument pas d'une méga commission qui chapeauterait tout. Elles n'en veulent pas. Elles estiment que, tout comme les autorités régionales provinciales et les différents systèmes scolaires, elles doivent pouvoir se regrouper si elles ont la masse critique suffisante. Elles sont catégoriques, elles ne veulent pas d'une commission scolaire nationale. Ce n'est pas la même chose qu'un comité mixte, qui a un mandat précis, mais les Premières Nations ne veulent pas d'une méga commission scolaire et elles veulent en avoir le contrôle.

Le sénateur Watt : Qui veut contrôler quoi?

Mme Ducros : Les Premières Nations nous ont dit qu'elles ne veulent pas que leur système d'éducation soit contrôlé par une méga commission scolaire, comme l'a fait remarquer le sénateur Moore, ou par un comité mixte. Elles veulent décider elles-mêmes si elles veulent administrer l'autorité scolaire autochtone au niveau régional ou provincial. Le comité mixte est là pour leur donner des avis et des conseils, et c'est ce qu'elles réclament.

M. Reiher : Je voudrais dire quelques mots au sujet de l'argent qui sera versé au comité mixte et au financement qui sera débloqué pour l'éducation des Premières Nations. Le budget administratif du comité émargera à celui du ministère, et ne proviendra pas du financement dont on a parlé et qui sera alloué à l'éducation des Premières Nations. Ce sont deux choses distinctes.

Le sénateur Meredith : Oui, mais ce que je voulais dire, essentiellement, c'est qu'au lieu de créer cette bureaucratie qui va coûter de l'argent, il vaudrait mieux que les fonds aillent à l'éducation des Premières Nations. Et pourquoi pas? Il me semble que si je devais recevoir des fonds du ministère, ces fonds pourraient tout aussi bien être réaffectés aux Premières Nations.

M. Rainer : Quand on a décidé de créer un comité mixte, l'idée n'était pas de créer une commission chargée d'offrir des services. Nous avons créé ce comité parce que les Premières Nations nous ont dit très clairement, au cours des consultations publiques et lors de nos discussions avec l'APN, qu'elles ne voulaient pas que le ministre ait des pouvoirs de contrôle et de surveillance illimités sur leurs systèmes d'éducation. La création du comité mixte répondait directement à cette crainte. Le ministre se retrouve avec un pouvoir limité, mais il reste responsable devant le Parlement des deniers publics qui sont dépensés. Le ministre doit demander l'avis du comité mixte avant d'invoquer les pouvoirs qui lui permettent d'imposer des structures comptables afin de s'assurer que la sécurité des élèves et la qualité de l'éducation dispensée ne sont pas compromises.

L'autre solution serait que le ministre puisse intervenir directement lorsqu'il estime que les choses ne fonctionnent pas bien dans la communauté. Le comité mixte sert en quelque sorte de contrepoids, puisqu'il sera composé de professionnels de l'éducation qui conseilleront le ministre d'intervenir ou non, dans des cas exceptionnels, pour protéger les élèves et empêcher que quelque chose de grave ne se produise. Il ne s'agit donc pas de créer une autre bureaucratie, mais plutôt d'assurer un contrepoids aux pouvoirs de surveillance du ministre en la matière.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup. Je pense que tous les membres de notre comité estiment que ce projet de loi leur appartient un peu, car nous travaillons d'arrache-pied, depuis des années et comme beaucoup d'autres Canadiens, pour que les choses s'améliorent. J'ai quelques questions à poser, et j'espère que vous serez d'accord avec moi pour dire qu'une question n'est jamais stupide.

Je voudrais parler de l'administration des écoles. Prenons le cas d'une petite communauté très éloignée, trop éloignée pour que les enfants puissent prendre l'autobus jusqu'à la communauté voisine. Elle compte un très petit nombre d'habitants, et elle veut avoir sa propre école. Est-elle obligée d'avoir un directeur de l'éducation et un directeur d'école, et si elle n'a que 20 élèves?

Mme Ducros : D'après le projet de loi, oui. C'est ce qu'on nous a clairement demandé au cours des consultations, y compris les témoignages déposés devant votre comité, car votre rapport, que j'ai relu, dit bien qu'une école doit avoir les structures et les soutiens nécessaires pour dispenser une éducation adéquate. Les chefs et les conseils nous ont dit la même chose. Par contre, et c'est peut-être ça qui a causé une certaine confusion, le directeur d'école et le directeur de l'éducation n'ont pas besoin d'être là à plein temps.

On nous a dit et redit, je ne sais pas combien de fois, qu'il faut absolument que quelqu'un soit responsable du fonctionnement de l'école.

La sénatrice Raine : Dans un monde idéal, je serais d'accord avec vous, mais dans les petites communautés éloignées, ce n'est pas facile de trouver quelqu'un sur place, qui a toutes les compétences nécessaires pour faire ce genre de travail, et cette exigence nous condamne peut-être à l'échec. Il faudrait trouver le moyen de transmettre les informations, les conseils et l'encadrement nécessaires, peut-être par voie électronique. Mais je suis d'accord avec vous, c'est à la Première Nation de décider.

Quand j'ai lu toutes les compétences exigées dans la loi, j'ai été très surprise de voir que c'était quasiment une description de tâches. Je sais bien que les fonctions de directeur d'école et de directeur de l'éducation s'accompagnent de certaines responsabilités, mais dans une petite communauté, ça va être très difficile de trouver quelqu'un sur place qui possède toutes ces compétences.

Mme Ducros : Je comprends, mais je voudrais vous rassurer en vous disant que, aussi bien lors de nos consultations que dans les autres rapports de comités, on sous-entendait que le directeur d'école ou un enseignant ne serait pas nécessairement rattaché à une seule école, qu'il pourrait fort bien, même dans une communauté éloignée, être responsable de cinq ou six écoles. Une commission scolaire pourra aussi utiliser des outils virtuels et autres. Mais on nous a dit et répété — notamment des gens qui critiquent aujourd'hui ces descriptions de tâches — qu'il fallait que quelqu'un ait la responsabilité « d'exécuter les tâches suivantes ».

Il n'est pas indispensable que le directeur de l'éducation soit à plein temps. Rien n'empêche qu'un enseignant occupe également la fonction de directeur d'école. Mais s'agissant des structures, des rôles et des responsabilités, votre comité, le panel mixte et le vérificateur général ont tous recommandé que les rôles et les responsabilités soient clairement définis, qu'ils soient inscrits dans la loi et qu'ils soient assortis de normes de service. C'est ça que nous essayons de faire. Rien n'empêche, au moment de l'élaboration des règlements — et les Premières Nations pourront en prendre de leur côté —, de faire preuve d'imagination. C'est ce que les Premières Nations nous ont dit.

La sénatrice Raine : Dans ce cas, j'aimerais savoir si la formule de financement qui sera établie pour une école de 20 élèves comprendra un salaire pour le directeur d'école et le directeur de l'éducation?

Mme Ducros : La formule de financement sera calculée à partir des mêmes indicateurs que ceux qui sont utilisés actuellement pour toutes les écoles éloignées. Vous m'avez demandé si le directeur d'école et le directeur de l'éducation devaient nécessairement être nommés à plein temps. Tout dépend de la situation de la communauté, mais dans toutes les consultations que nous avons eues, les communautés elles-mêmes nous ont dit, y compris les enseignants et les éducateurs, qu'elles voulaient un directeur de l'éducation ou un directeur d'école pour assumer cette responsabilité, que ce soit à temps plein ou à temps partiel. Elles voulaient en avoir l'assurance, qu'il s'agisse d'une école de 20 élèves ou de quatre ou cinq écoles de 40 élèves dans un rayon de 500 milles.

Je n'essaie pas d'éluder votre question, et j'y répondrai en disant que la formule de financement doit prendre en compte les salaires et la base. Tout ça doit être pris en compte. La réponse est donc oui.

La sénatrice Raine : Pendant vos consultations, vous vous êtes rendus dans des écoles rurales très petites et très éloignées.

Mme Ducros : En effet, et nous avons écouté ce que leurs représentants avaient à nous dire. Nous en avons visité un certain nombre, très éloignées et très rurales, notamment en Colombie-Britannique. Nous en avons visité aussi dans le Nord de l'Ontario, et je me souviens qu'un éducateur s'est levé pour dire qu'il fallait que les rôles et les responsabilités soient clairement définis. Certes, ça n'empêche pas ces mêmes éducateurs de dénoncer d'autres aspects du projet de loi, mais ils ont demandé que les rôles et les responsabilités soient clairement définis, y compris ceux du chef et du conseil, pour savoir à quoi s'en tenir. C'est surtout dans le Nord de l'Ontario que les gens ont insisté là-dessus.

La sénatrice Raine : Comment la formule de financement va-t-elle prendre en compte ce qu'on appelle communément les services de soutien de deuxième et de troisième niveaux? Je ne connais pas très bien le sujet, mais j'ai entendu dire que, dans les provinces, un pourcentage du financement de base per capita est alloué aux coûts d'administration de l'autorité scolaire régionale. Envisagez-vous le même genre de formule?

Mme Ducros : Pour en arriver au montant de 1,2 milliard de dollars, nous avons calculé, à l'aide d'indicateurs, tout ce qu'il en coûterait pour administrer ces écoles. Dans la formule de la Colombie-Britannique, le barème prévoit que 7 à 10 p. 100 du financement — c'est selon l'emplacement géographique de l'école — sont alloués aux services de deuxième et de troisième niveaux.

Je dois dire que cette expression « services de deuxième et de troisième niveaux » se prête à différentes définitions. Dans le contexte de ce projet de loi, nous nous sommes inspirés de toutes les études que nous avons eues sous la main. Normalement, ça comprend le fonctionnement de l'école. Les services de deuxième niveau sont notamment les soutiens offerts aux enseignants et aux directeurs d'école. Les services de troisième niveau concernent l'agrément des enseignants et la certification des programmes d'études, entre autres. Les définitions peuvent varier.

Pour en arriver à la somme de 1,2 milliard de dollars, nous avons utilisé les indicateurs qui existent actuellement dans les provinces, et nous avons prévu un coefficient d'indexation de 4,5 p. 100, qui est la moyenne des provinces.

Nous savons aussi qu'en se regroupant, les écoles peuvent faire des gains d'efficience. À ce moment-là, on calculera le coût d'administration d'une école éloignée, et on tiendra compte du fait que l'école devra sans doute acheter des services de deuxième et de troisième niveaux. Si c'est une école de 20 élèves, elle doit acheter les services d'un orthophoniste ou des services de soutien aux enseignants. Nous tenons compte de tout cela pour le calcul du financement, y compris le fait que, s'il s'agit d'une école éloignée, elle devra acheter ces services. Dans le cas d'une autorité scolaire des Premières Nations, elle pourra faire des gains d'efficience parce qu'elle pourra embaucher un orthophoniste, ou un spécialiste de l'évaluation.

Par exemple, au Labrador, les écoles se sont regroupées et elles ont élaboré leurs propres outils d'évaluation, si bien que les résultats sont très différents de ceux qu'elles obtenaient quand elles utilisaient les outils d'évaluation de la province.

Ma réponse est donc oui en ce qui concerne le financement, et on encourage également les Premières Nations, sans trop insister ni sans leur imposer quoi que ce soit, à se regrouper car de cette façon, non seulement elles peuvent faire des gains d'efficience, mais elles peuvent aussi faire des gains d'efficacité pour l'élaboration des programmes d'études et l'évaluation adéquate des programmes culturels. Ma réponse est donc oui en ce qui concerne le financement, et il y aura des d'incitatifs pour les petites écoles éloignées qui n'ont que 40 élèves.

À ce propos, je voudrais dire que de nouvelles techniques se développent au Canada, en Nouvelle-Zélande et en Australie notamment, où l'enseignant donne ses cours à une classe de 20 à 40 élèves, mais certains de ces cours sont diffusés virtuellement. Par exemple, un professeur de mathématiques de Vancouver peut donner son cours, à distance, aux 40 élèves d'une école éloignée. Vous pouvez aussi donner des iPads aux élèves, et le professeur est là pour les aider. Il faut faire preuve d'imagination, mais pour ce qui est du financement, il sera assuré.

M. Rainer : Il faut faire attention quand on parle de la formule, car elle n'est pas encore définie. Elle le sera en collaboration avec les Premières Nations.

D'après les investissements qui ont été annoncés le 7 février dernier, nous savons qu'il y aura des fonds pour la mise en place des structures, des systèmes et des soutiens dont les élèves ont besoin. Mais nous ne savons pas encore précisément quel pourcentage sera prévu pour les coûts administratifs, car ça sera déterminé en collaboration avec les Premières Nations, lors de l'élaboration des règlements et de la formule de financement.

La sénatrice Raine : J'aimerais parler de la participation de la communauté, et il en est question dans le projet de loi. Celui-ci oblige le conseil de la Première Nation à donner régulièrement aux élèves des écoles qu'il administre, à leurs parents ainsi qu'aux aînés et aux autres membres de la Première Nation la possibilité de lui donner leur avis sur le fonctionnement du système d'éducation. Il est même tenu de mettre sur pied un comité ou un forum de l'éducation, avec la participation de la communauté.

Mme Ducros : C'est exact.

La sénatrice Raine : Pourriez-vous nous donner des précisions là-dessus?

Mme Ducros : Le rapport de 1972 sur la maîtrise indienne de l'éducation indienne, comme tous les autres documents et études que nous avons consultés, montre que les élèves ont généralement de meilleurs résultats lorsque les parents et les aînés participent au système d'éducation. C'est ce que disent toutes les études qui ont été faites sur le sujet, et c'est ce qu'on a entendu dans toutes les consultations que nous avons menées.

Ça correspond également à ce qui existe dans les systèmes provinciaux, où il faut mettre sur pied un conseil des parents d'élèves. Certaines provinces en créent pour s'en débarrasser ensuite, mais tout le monde reconnaît que les élèves ont généralement de meilleurs résultats scolaires lorsque les parents participent à leur éducation.

La sénatrice Raine : J'aimerais que vous m'inscriviez pour la deuxième ronde.

Le sénateur Tannas : Permettez-moi tout d'abord de vous dire que je suis ravi de voir que le projet de loi vise à garantir que les élèves autochtones recevront des diplômes reconnus, qu'il y aura un nombre minimum de jours de fréquentation scolaire, que l'enseignement sera dispensé en anglais ou en français, avec la possibilité d'incorporer des cours de langue autochtone, que les enseignants devront avoir un brevet d'enseignement, et cetera. Nous savons bien que c'est loin d'être le cas actuellement.

Vous avez dit dans votre déclaration liminaire que le projet de loi facilitera le transfert d'un élève de 4e année, dans une école autochtone, en 5e année dans une école publique. Pourriez-vous me dire précisément quel article du projet de loi le prévoit, parce que vous parlez carrément d'équivalence, et je ne vois ça nulle part dans le projet de loi. Pouvez- vous me donner des précisions?

Mme Ducros : Vous voulez savoir quel article le prévoit?

Le sénateur Tannas : Oui, Je vois qu'il en est question dans le préambule, mais je ne vois pas où exactement on dit qu'un élève pourra passer de la 4e année à la 5e année.

Mme Ducros : D'accord.

Vous l'avez trouvé?

Nous allons le trouver. C'est à l'article qui porte sur les plans de transition. Nous allons le trouver.

Le sénateur Tannas : Parfait. Merci.

Mme Ducros : Encore une fois, nous nous sommes inspirés de ce qui se fait de mieux à l'heure actuelle. Par exemple, les écoles qui ont des ententes avec d'autres écoles autochtones ou avec des écoles du système provincial ont des plans de réussite scolaires des élèves et des plans de transition. C'est ce qu'elles font depuis qu'elles se sont regroupées au sein d'une même commission scolaire, en 2008, dans le cadre du Programme de réussite scolaire des élèves des Premières Nations, et du Programme des partenariats en éducation. La question était de savoir comment on peut préparer un élève qui fait sa maternelle, sa 1ère et sa 2e année dans le même système à passer en 3e année dans une école hors de la réserve.

M. Rainer : Le paragraphe 36 (2) énonce les responsabilités du directeur d'école. Il définit le plan de réussite scolaire, qui comprend les objectifs de l'école en matière d'éducation, la manière de les atteindre et les délais pour ce faire, ainsi que les mesures visant à préparer les élèves qui obtiennent un certificat ou un diplôme visé à l'article 25, et les mesures visant à préparer les élèves à poursuivre avec succès leurs études après avoir terminé une année scolaire. Il appartiendra aux Premières Nations d'élaborer leurs programmes d'études en conséquence. Si elles décident d'incorporer des cours de langue et de culture, nous voulons nous assurer que les élèves acquerront aussi les compétences de base. Pour ce qui est du calcul et de la littératie, tous les enfants apprennent à faire des multiplications en troisième année. Il appartiendra aux Premières Nations de définir, dans leurs programmes d'études, le mode d'apprentissage qui convient le mieux à leurs élèves. Ça pourra être un apprentissage sur le terrain, ou toute autre méthode que la Première Nation jugera appropriée.

Le sénateur Tannas : Je pense que l'alinéa 2b)(ii) dit exactement ce que vous venez de dire, à savoir que les enfants sortant d'une 4e année d'une école autochtone pourront passer sans problème en 5e année dans une école publique, mais il faudra que les plans de réussite scolaire et les objectifs en matière d'éducation soient adéquats.

M. Rainer : C'est exact.

Le sénateur Tannas : Merci.

La sénatrice Raine : L'une des écoles les plus incroyables que j'ai jamais vues est l'école d'immersion d'Onion Lake. J'ai du mal à comprendre comment un élève de 4e année pourra passer sans problème dans une autre école à l'âge de cinq ans, car à cet âge-là, il n'a appris que le cri à l'école. Je suis surprise qu'on dise au paragraphe 21 (2) que « le conseil offre aux élèves le français ou l'anglais comme langue d'instruction; il peut leur offrir comme langue d'instruction additionnelle une langue d'une première nation ». Ça ne tient pas compte de l'enseignement en immersion dans les écoles élémentaires. De plus en plus d'études montrent que c'est une très bonne chose pour les élèves des écoles élémentaires. Ensuite, à l'école secondaire, je sais qu'ils doivent rattraper leur retard en anglais ou en français, mais ne devrait-on pas indiquer que « nonobstant le paragraphe (2), on encourage les programmes d'immersion dans les écoles élémentaires »?

Mme Ducros : Il y a en effet des études qui le démontrent, notamment des études réalisées en Colombie-Britannique, qui indiquent qu'un enfant qui a été exposé à sa langue maternelle avant la deuxième année a généralement de meilleurs résultats scolaires. C'est ce qu'indiquent aussi des études réalisées à la baie James.

Ce qu'il faut, c'est lire le paragraphe 21(2) en parallèle avec l'alinéa 48(1)d), qui dit en substance :

d) définir, pour l'application du paragraphe 21 (2), le terme « langue d'instruction » et prévoir l'étendue de l'utilisation d'une langue d'une première nation comme langue d'instruction pour l'application de ce paragraphe;

Les juristes pourront vous donner des précisions si vous le voulez, mais l'objectif, ici, est de combiner deux choses. L'exposition dès les premières années d'école est l'un des facteurs de la réussite scolaire. Il y en a beaucoup d'exemples dans les écoles du pays, notamment le programme qui va de la maternelle à la 12e année à Kahnawake, et d'autres écoles au centre-ville de Toronto, sans oublier des écoles cries. La question qui se pose est de savoir comment on peut avoir des programmes complets en immersion et enseigner en même temps toutes les compétences qui permettront à l'élève qui termine sa 12e année de passer sans problème dans un autre système. C'est une question qui se pose non seulement dans le système des Premières Nations, mais aussi dans les systèmes francophones, anglophones et ukrainiens, en Saskatchewan. C'est ce que nous essayons de régler ici.

La sénatrice Raine : Et ça va régler le problème?

Mme Ducros : C'est ce que nous pensons. Je vais laisser les juristes vous donner plus de précisions.

M. Reiher : C'est l'objectif recherché, c'est-à-dire trouver un équilibre entre le besoin de parler français au début et l'immersion en parallèle. Les moyens employés seront définis dans les règlements, qui seront élaborés en consultation avec les Premières Nations, et c'est la raison pour laquelle le paragraphe 21(2) dit « Sous réserve des règlements... ».

La sénatrice Raine : Merci.

Mme Ducros : L'objectif est vraiment de s'inspirer des programmes d'immersion qui marchent bien actuellement, sans pour autant imposer des méthodes pour garantir la reconnaissance des diplômes et le passage sans problème d'une école à une autre.

Le président : Je n'ai qu'une petite question à poser. S'il y a une recommandation qu'on nous a faite maintes et maintes fois, c'est bien de se débarrasser du plafond de 2 p. 100. Il a été mis en place en 1996, par le ministre des Finances de l'époque, et il est resté en vigueur depuis. Qu'arrive-t-il au plafond de 2 p. 100, avec ce projet de loi?

Mme Ducros : Des fonds ont été annoncés le 7 février dernier, assortis d'un coefficient d'indexation de 4,5 p. 100. Deux choses. Il n'y aura plus de plafond de 2 p. 100 après l'adoption de ce projet de loi. Et il y aura un coefficient d'indexation de 4,5 p. 100 du montant de base qui est inscrit dans la loi.

Je dois préciser, au sujet de ce plafond de 2 p. 100, que les programmes qui ont été mis en place en 2008, le Programme de réussite scolaire des élèves des Premières Nations et le Programme des partenariats en éducation, étaient des ajouts. Autrement dit, les 268 millions de dollars qui ont été annoncés pour le Programme de réussite scolaire des élèves des Premières Nations, la création de commissions embryonnaires et la collaboration avec les provinces, s'ajoutaient aux financements des services d'éducation de base qui, eux, étaient assujettis au plafond de 2 p. 100.

Le président : Merci.

La sénatrice Dyck : À propos de la suppression de ce plafond, vous dites que ça va augmenter de 4,2 p. 100?

Mme Ducros : 4,5.

La sénatrice Dyck : Pendant combien de temps?

Mme Ducros : Indéfiniment.

La sénatrice Dyck : Indéfiniment?

Mme Ducros : Oui. C'est l'engagement qui a été pris.

La sénatrice Dyck : Je voudrais vous faire une demande. Pourriez-vous faire parvenir au comité un diagramme des différents niveaux de responsabilité décrits dans le projet de loi, comme les directeurs d'école, les directeurs de l'éducation, les inspecteurs, le comité mixte, le ministre, et cetera, afin qu'on comprenne mieux la structure globale et les relations entre ses composantes, sans oublier les autorités scolaires des Premières Nations?

Mme Ducros : Volontiers. Nous avons déjà un tableau indiquant les rôles de chacun, en commençant par les parents et l'enseignant.

La sénatrice Dyck : Ça nous permettrait de visualiser et de mieux comprendre ce que le projet de loi cherche à faire. Merci.

J'aimerais revenir un instant sur les consultations. Vous avez décrit un processus qui me semble tout à fait adéquat. Vous avez rencontré beaucoup de gens, vous avez écouté ce qu'on vous a dit et vous l'avez intégré dans des rapports et dans le document dont nous sommes saisis aujourd'hui. Il n'en reste pas moins qu'un grand nombre d'organisations autochtones et de membres des Premières Nations prétendent qu'ils n'ont pas été consultés. Il est manifeste que tout le monde n'a pas les mêmes définitions et les mêmes attentes. Peut-être que ces consultations ont cessé trop vite et qu'il aurait fallu, juste avant de présenter votre projet de loi, consulter à nouveau certaines organisations et discuter avec elles, comme vous le faites avec nous aujourd'hui, du sens précis des différentes dispositions? À ce moment-là, le projet de loi aurait peut-être été mieux compris et mieux accepté, quitte à lui apporter d'autres amendements. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait?

Mme Ducros : Je vous dirai bien humblement que malgré les nombreuses consultations itératives auxquelles nous avons procédé, il est toujours possible d'en faire d'autres sur les étapes qui suivent. Mais on nous dit des choses qui sont un peu contradictoires : d'une part, on nous dit qu'on ne peut pas attendre encore 10 ans, et d'autre part, on nous dit qu'il ne faut rien faire dans certains dossiers.

La sénatrice Dyck : Qui dit cela?

Mme Ducros : Toutes les Premières Nations. Les éducateurs. Le vérificateur général. Le panel mixte. Les parents. Pendant toute les consultations, on nous a demandé d'aller vite. Je me souviens précisément de deux intervenants, l'un à Vancouver et l'autre dans le Nord de l'Ontario, qui nous ont dit qu'ils ne pouvaient pas attendre plus longtemps, qu'il fallait mettre en place un financement inscrit dans la loi. Et en même temps, on nous dit qu'il faut consulter davantage.

Au Canada, il n'y a pas de dossier aussi intime, aussi délicat et même aussi potentiellement dévastateur que la réforme de l'éducation. Nous avons entendu ce que les gens nous ont dit, et nous avons essayé de répondre à leurs demandes. Tout le contenu du projet de loi, y compris le préambule, montre que nous ne cherchons pas à imposer des choix. Mais en même temps, partout dans le pays et depuis que j'occupe ce poste, on nous demande d'aller vite. Je n'occupe ce poste que depuis trois ans et demi, mais c'est quelque chose que j'entends depuis 20 ans. Ici, il s'agit d'inscrire dans la loi un financement de base et d'y définir les rôles et les responsabilités de chacun.

Je dirai tout simplement que, sur un dossier aussi intime que l'éducation, les consultations ne sont jamais terminées.

La réponse du ministre à la cinquième condition, qui concerne l'instauration d'un dialogue constructif permanent, est qu'il faut continuer de se parler et de faire avancer les choses au moyen de règlements. Mais il n'a pas dit qu'il fallait tout arrêter jusqu'à ce qu'on ait l'accord de tout le monde.

La sénatrice Dyck : Je reviendrai sur les règlements dans un instant, mais pour poursuivre sur ce sujet, je voudrais dire que j'ai reçu une lettre du chef responsable du Programme de réussite scolaire des élèves du traité 4, et il m'a dit que je pouvais le citer. C'est le chef de la nation Muskowekwan, et il représente 11 Premières Nations. Vous les connaissez peut-être, et elles font probablement partie de ces regroupements scolaires embryonnaires dont vous parliez tout à l'heure. Il dit qu'il a parlé à des hauts fonctionnaires du ministère le 22 octobre 2013 et qu'il devait vous rencontrer mais que ça a été reporté en raison de la présentation du nouveau projet de loi.

Vous semblez perplexe.

Mme Ducros : Je ne me souviens pas avoir reporté une réunion à cause de la présentation du nouveau projet de loi.

La sénatrice Dyck : Ils devaient vous rencontrer le 10 avril, mais la réunion a été reportée.

Mme Ducros : C'est exact.

La sénatrice Dyck : Ils disent qu'ils ont l'impression que la nouvelle loi est imposée unilatéralement, et ils se demandent ce qu'il va advenir de tout le travail qu'ils ont fait. Voilà donc l'exemple d'un groupe qui a collaboré avec le ministère, mais qui a l'impression d'avoir été laissé à l'écart.

Mme Ducros : Je les ai personnellement rencontrés, nous avons travaillé ensemble et ils veulent créer une entité.

Je ne dis pas que ce genre de choses ne se produit pas, et c'est pour ça qu'il faut maintenir le dialogue. Dans un dossier comme celui-ci, il y aura toujours des inquiétudes, et au fur et à mesure que nous allons créer ces entités, nous allons devoir poursuivre nos consultations, et cet exemple le montre bien.

La sénatrice Dyck : Ils veulent que la réforme avance, ils n'ont pas l'intention de bloquer les autoroutes. Ils estiment tout simplement qu'ils n'ont pas été informés de tout ce qui se passe.

Mme Ducros : C'est un peu paradoxal, puisqu'ils veulent que la réforme avance. Je pourrais nommer plusieurs organisations — mais il me faudrait avoir leur permission — qui se préparent à mettre sur pied une autorité scolaire autochtone, et elles attendent le financement de base prévu par la loi.

La sénatrice Dyck : Je pense qu'ils veulent faire la même chose.

Mme Ducros : Je m'engage personnellement à prendre contact avec le chef du traité 4.

La sénatrice Dyck : Comme vous l'avez dit, l'élaboration des règlements sera vraiment le pivot de toute cette réforme, et vous vous êtes engagés à collaborer avec les Premières Nations. C'est mentionné dans le préambule, et vous avez cité un certain nombre d'articles du projet de loi qui vont dans ce sens.

Ma question est la suivante : comment allez-vous vous y prendre pour que les règlements soient vraiment élaborés en consultation directe avec les chefs et les conseils des Premières Nations, avec les familles autochtones et même avec les enseignants? Comment allez-vous faire? J'aimerais que vous nous donniez des explications détaillées, à l'intention non seulement des membres de notre comité, mais aussi des autres Canadiens et des Premières Nations qui vont participer à l'élaboration des règlements.

Mme Ducros : À vrai dire, la façon dont nous allons nous y prendre va être déterminée selon un processus, et ce que nous avons fait dans le projet de loi, c'est énoncer un certain nombre d'engagements. Le premier est que les règlements pourront être élaborés au niveau régional, province par province, et prendre en compte les pratiques existantes. Voilà pour le premier. Ce sont juste des principes. Deuxièmement, il est impossible d'essayer d'élaborer des règlements pour 630 nations. Il va donc falloir déterminer comment nous allons procéder, et c'est en partie pour cela que nous avons créé le comité mixte qui va recevoir les avis des Premières Nations, qui ne veulent pas nécessairement toutes traiter directement avec le gouvernement fédéral. Nous allons donc définir ce processus avec le comité mixte. Des discussions sont en cours avec l'APN et aussi avec les autorités scolaires des Premières Nations avec lesquelles je suis en contact régulier. Les choses avancent.

Ça vous paraîtra peut-être très bureaucratique, et je n'ai pas été bureaucrate toute ma vie, mais je vous rappellerai qu'une disposition du projet de loi oblige le comité mixte à donner la possibilité à chaque Première Nation de lui présenter ses observations.

S'agissant des Premières Nations des traités 4, 6, 7 et 8, en Alberta, ainsi que d'autres, nous avons contacté les conseils tribaux de Meadowlake et des Battleford pour leur demander de quelle façon ils voudraient participer à l'élaboration de ces ententes et de ces règlements.

La sénatrice Dyck : Pourquoi en avez-vous contacté certains et pas d'autres? Qu'ont-ils répondu?

Mme Ducros : Nos directeurs généraux régionaux doivent les contacter chaque année pour signer les accords de contribution. Et il y a régulièrement, c'est-à-dire chaque année et chaque semaine, des discussions avec la plupart des communautés du pays, pas au niveau du sous-ministre adjoint, mais au niveau des directeurs régionaux, des agents financiers ou des directeurs de l'éducation. Tout ça pour vous dire que ces contacts ont eu lieu dans le cadre de consultations que nous avons en permanence, en Colombie-Britannique, en Alberta et en Saskatchewan comme partout ailleurs dans le pays. Que vous appeliez cela des consultations ou non... Je suis désolée pour cette lettre, mais je peux vous dire que je vais fréquemment en Saskatchewan et que je rencontre régulièrement ces groupes pour leur demander de quoi leurs autorités scolaires ont besoin, et nos DGR ont des contacts hebdomadaires avec eux.

Il y a bien sûr le processus de consultation principal. En Alberta, par exemple, ils sont divisés en deux groupes de traités, et ils ont mis au point leurs processus. Ils ne sont peut-être pas d'accord avec le projet de loi, mais nous sommes en train de mettre sur pied des mécanismes. Nous ne pouvons pas parler à tout le monde. Il y en a aussi qui ne veulent pas travailler avec nous, mais ils ne sont pas nombreux. Je ne pense pas qu'ils soient très nombreux à être à l'écart de toute discussion sur la façon dont nous avons procédé, car soit ils sont en train de mettre sur pied des autorités scolaires, soit ils préfèrent le mécanisme traditionnel de l'accord de contribution, qui se base sur le nombre d'étudiants mais qui ne tient pas compte de tous les autres éléments pris en compte dans la réforme actuelle.

Le président : Vous dites que des consultations régionales ont eu lieu avant la présentation du projet de loi C-33, et qu'il y en a eu sept, si je me souviens bien. Y a-t-il eu un fort taux de participation? Les gens étaient-ils vraiment mobilisés? Y a-t-il eu des protestations? Y a-t-il des endroits où les gens ont quitté la salle? Pouvez-vous nous en donner une petite idée?

Mme Ducros : En Colombie-Britannique, nous avons organisé une rencontre régionale avec le Comité de coordination de l'éducation des Premières Nations, nous l'avons organisée conjointement. Il faudrait que je vérifie, mais je crois que plus de 100 personnes y ont participé, y compris des éducateurs et des chefs. Voilà pour cette consultation régionale, qui se poursuit par des contacts réguliers avec le Comité de coordination de l'éducation des Premières Nations, pour l'application de l'entente.

En Alberta, nous avons eu une consultation régionale avec trois groupes visés par des traités. Il y a eu quelques discussions, puis certaines personnes ont quitté la salle. Le ministre est revenu pour les rencontrer, et j'ai mené une première discussion avec l'Alberta. Il y a eu quelques protestations, le ministre y est retourné et a rencontré les groupes visés par des traités de l'Alberta.

En Saskatchewan, la consultation régionale a attiré pas mal de monde, à mon avis. Environ la moitié des chefs ont quitté la salle, mais on a eu finalement une bonne séance de discussions avec les éducateurs.

Au Manitoba, nous avons eu une consultation générale. Je peux vous faire parvenir des chiffres sur le nombre de participants, car je ne les ai pas en tête.

Le président : Pas de problème.

Mme Ducros : Au Manitoba, tous les chefs avaient été invités. Il y a eu des protestations à l'extérieur, parce que les gens voulaient participer, alors nous les avons invités à entrer. Nous avons eu une bonne réunion au Manitoba, et nous poursuivons nos discussions avec le Centre de ressources éducationnelles des Premières Nations du Manitoba.

En Ontario, il y a eu deux consultations, l'une à Kenora et l'autre à Thunder Bay, qui ont attiré beaucoup de participants. Il y a eu quelques protestations à l'extérieur et tout le monde a été invité à entrer, si bien qu'il y a eu des protestations à l'intérieur et à l'extérieur, mais les discussions se sont poursuivies.

Au Québec, les chefs avaient été invités, mais ils ont quitté la salle. Les consultations se sont poursuivies avec les différentes organisations responsables de l'éducation, par vidéoconférence et d'autres...

Dans l'Atlantique, et c'est là que nous avons commencé cette ronde de consultations, la réunion a eu lieu le 21 juin et a attiré un grand nombre de participants. Elle a duré une journée et demie et nous a permis de rencontrer des chefs et des éducateurs.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous avons organisé 32 vidéoconférences qui étaient à la fois des séances d'information et des discussions. D'autres consultations ont été effectuées par plusieurs de mes collaborateurs qui se sont rendus au Labrador ainsi qu'en Alberta pour rencontrer des groupes visés par les traités 6, 7 et 8. D'autres réunions de travail ont eu lieu, mais plutôt au niveau des éducateurs que des dirigeants nationaux.

Le président : Merci beaucoup.

Il ne nous reste que quatre minutes, et je vais demander au sénateur Watt et à la sénatrice Raine d'en tenir compte.

Le sénateur Watt : J'aimerais revenir sur la question soulevée par la sénatrice qui est en face de moi, au sujet des trois ou quatre années pendant lesquelles un enfant reçoit un enseignement dans sa langue maternelle. Est-ce que cela a une incidence sur ses chances de réussite scolaire, quel que soit le milieu dont il est issu?

Je m'y connais un peu dans ce domaine, car c'est un problème auquel nous sommes confrontés. Ça a des avantages et des inconvénients, dans une certaine mesure. Si un enfant inuk est instruit en inuktitut pendant les deux premières années, je suppose que ça l'empêche d'acquérir certaines compétences. Cet enfant devrait avoir deux ans d'avance, mais en fait il prend deux ans de retard, et c'est un problème. De notre côté, même si ça pose un problème, le fait qu'ils soient instruits dans leur langue maternelle pendant les deux premières années les rend beaucoup plus solides, et on en constate les résultats. Ce qu'on essaie de faire, à l'heure actuelle, c'est de trouver une façon de les instruire dans les deux langues en même temps. De cette façon, ils seront solides et ils auront de bons résultats tout à la fois. Quand ils se retrouveront avec des camarades à Montréal, par exemple, ils n'auront plus deux ans de retard, mais pour l'instant, ils ont deux ans de retard, c'est ce que je voulais vous dire.

J'aimerais faire remarquer, s'il me reste assez de temps, que, étant donné que le ministre n'est pas un ministre de l'éducation, je suppose qu'il tient à avoir certains des pouvoirs conférés à un ministre de l'éducation, surtout en ce qui concerne la langue d'instruction, et peut-être aussi du côté de l'administration. Bref, je suppose que le ministre disposera d'un pouvoir de désaveu, au même titre qu'un ministre de l'éducation.

Mme Ducros : Le projet de loi prévoit que, si la réussite scolaire ou la sécurité des élèves sont menacées, le ministre peut, après avoir demandé l'avis du comité mixte, nommer un administrateur provisoire de l'école, mais il ne peut pas désavouer l'ensemble d'un programme d'études. Autrement dit, pour remédier à l'absence de bons résultats scolaires, l'administrateur provisoire devra respecter la structure établie par les Premières Nations.

Certains estiment que ce projet de loi n'élargit aucunement les pouvoirs du ministre, au contraire. À l'heure actuelle, les systèmes d'éducation sont régis par les accords de contribution, lesquels confèrent au ministre pratiquement tous les pouvoirs.

Le sénateur Watt : Une dernière chose. Pensez-vous que le ministre serait d'accord pour qu'on supprime, par voie d'amendement, son pouvoir de désaveu en ce qui concerne la langue d'instruction?

Le président : Nous poserons la question au ministre quand il comparaîtra. On ne peut pas demander à un fonctionnaire de répondre à ce genre de question.

La sénatrice Raine : J'aimerais vous remercier tous car cette réunion a été très instructive. C'est le début de notre étude préliminaire, et j'espère que nous aurons l'occasion de vous réinviter si nous avons d'autres questions à vous poser. Mais pour l'instant, je n'en ai pas d'autres. Merci.

Le président : Je crois que vous avez couvert pas mal de sujets, chers collègues. Je remercie les témoins et merci aussi à vous, chers collègues.

Mme Ducros : Merci beaucoup.

(La séance est levée.)


Haut de page