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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 6 - Témoignages du 14 mai 2014


OTTAWA, le mercredi 14 mai 2014

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 53, pour étudier les problèmes liés à l'infrastructure dans les réserves des Premières Nations.

[Français]

Marcy Zlotnick, greffière du comité :Honorables sénateurs, le président du comité ne peut malheureusement assister à la réunion de ce soir. En tant que greffière du comité, il est donc de mon devoir de présider à l'élection d'un président suppléant.

[Traduction]

Je suis prête à recevoir une motion pour l'élection d'un président suppléant. Est-ce qu'il y a des propositions?

Le sénateur Wallace : Je proposerais que le sénateur Scott Tannas agisse à titre de président suppléant pour la séance de ce soir.

Mme Zlotnick : Y a-t-il d'autres propositions?

L'honorable sénateur Wallace propose que l'honorable sénateur Tannas préside le comité. Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?

Des voix : Oui.

Mme Zlotnick : Je déclare la motion adoptée.

Le sénateur Scott Tannas (président suppléant) occupe le fauteuil.

Le président suppléant : Bonsoir. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les honorables sénateurs et aux membres du public qui regardent cette séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, que ce soit sur place, sur CPAC ou sur le Web. Je m'appelle Scott Tannas, de l'Alberta, et j'ai le plaisir de présider la séance de ce soir au nom des sénateurs Patterson et Dyck.

Le comité est mandaté pour examiner des lois et des questions ayant trait aux peuples autochtones du Canada en général. Ce soir, nous entendrons un témoignage en vertu d'un ordre de renvoi précis qui nous autorise à examiner, pour en faire rapport, les problèmes et les solutions potentielles liés à l'infrastructure dans les réserves, notamment le logement, l'infrastructure communautaire, les occasions novatrices de financement et les stratégies de collaboration plus efficaces.

Nous recevons aujourd'hui Douglas Cardinal, un architecte dont les nombreuses œuvres, comme le Musée des civilisations, sont bien connues des membres du comité et du public en général. M. Cardinal a été nommé Officier de l'Ordre du Canada, a reçu une médaille d'or en architecture de l'Institut royal d'architecture du Canada et a été déclaré « maître mondial en architecture contemporaine » en qualité de professeur et d'universitaire par l'International Association of Architects.

Avant d'entendre son témoignage, j'aimerais que nous fassions le tour de la table pour que chaque membre du comité se présente.

Le sénateur Moore : Wilfred Moore, de Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Wallace : Sénateur John Wallace, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Raine : Sénatrice Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Meredith : Don Meredith, de l'Ontario.

Le président suppléant : Mesdames et messieurs, joignez-vous à moi pour souhaiter la bienvenue à notre témoin, Douglas Cardinal.

Nous sommes impatients d'entendre votre exposé, qui sera suivi des questions des sénateurs. Vous avez la parole.

Douglas Cardinal, architecte, à titre personnel : Merci beaucoup de m'avoir invité ici. J'aimerais vous faire part des expériences que j'ai vécues au service des communautés des Premières Nations au cours des 50 dernières années, non seulement au Canada, mais aussi aux États-Unis.

J'ai constaté que le principal problème auquel les communautés sont confrontées, c'est le manque d'écoute et de respect envers les Premières Nations, qui ne sont que très peu consultées au sujet de l'élaboration des programmes et des systèmes. Ces derniers ne s'inspirent pas des habitants des communautés, mais sont plutôt conçus à l'extérieur de ces dernières et imposés aux gens comme étant ce qu'il y a de mieux pour eux. Je pense que ce manque de respect et de réelle compréhension des communautés des Premières Nations est à raison de la situation affligeante dans laquelle elles se trouvent.

J'aide actuellement à la conception d'installations de soins de santé, à Toronto, et on m'a informé que la durée de vie moyenne des gens des Premières Nations est de 37 ans. Le premier ministre de l'Alberta m'a rappelé, quand j'ai commencé à servir les communautés des Premières Nations à sa demande, que cette espérance de vie moyenne était de 34 ans dans les années 1960. À l'époque, les Autochtones étudiaient en moyenne 3,4 ans et, 75 p. 100 d'entre eux vivaient dans la pauvreté et l'indigence.

Il y a toujours beaucoup de pauvreté dans les communautés, et les habitants n'y sont pour rien. C'est principalement le résultat de la politique du gouvernement. Ce fait m'a toujours préoccupé, car je crois que les Premières Nations, particulièrement la plupart des membres des Naskapis, avaient une culture de don et de partage voulant qu'ils accueillent les gens venus ici et partagent leur terre avec eux. Mais dans le cadre de ce processus, ils ont été mis de côté et marginalisés.

Ce qui me préoccupait le plus quand je servais les 52 chefs de l'Alberta dans les années 1960 et 1970, c'était que les gens reçoivent une éducation convenable. Mais il n'est absolument pas question que ce soit une éducation d'assimilation, car les gens ne l'accepteront jamais. En un certain sens, ils ont développé une culture pendant des milliers d'années — en vertu de laquelle ils vivaient en harmonie avec la terre et les uns avec les autres, dans l'amour et le respect de la terre et en symbiose avec la nature —, et c'est forts de cette culture et de ce point de vue qu'ils ont survécu des milliers d'années sur cette terre. Ils ont appris que la culture dominante est une mauvaise façon de vivre. Quand on détruit son hôte, la terre, on pollue l'environnement et les rivières et on rase les arbres, les forêts et tout le reste, on crée un risque non seulement pour l'environnement, mais aussi pour soi-même.

Selon la vision du programme d'éducation des Premières Nations présentée au premier ministre de l'époque, M. Trudeau, par M. Chrétien, qui était alors ministre des Affaires indiennes, il fallait que leur culture soit intégrée de bien des manières, comme me l'ont dit des gens en Amérique du Sud, le tambour dans une main et l'ordinateur dans l'autre. Il faut leur enseigner le meilleur des deux cultures parce qu'ils ont une contribution à faire. Cette contribution, comme ils disent, doit se faire conformément à la prophétie des sept feux, dont la septième stipule qu'ils doivent enseigner aux cultures immigrantes qui partagent leur terre à aimer cette terre, les eaux pures et les ruisseaux qui coulent des montagnes, à aimer la terre comme eux-mêmes l'aiment, et à aimer les vents qui caressent leur tempe. Ils doivent enseigner aux cultures immigrantes à aimer comme ils aiment, car ils résident sur ces terres depuis des milliers d'années alors que ces nouvelles cultures n'y sont que depuis peu.

Ils considèrent donc qu'ils sont destinés à enseigner à la culture immigrante comment aimer comme ils aiment pour assurer leur propre survie, car notre peuple ne peut survivre sur cette terre s'il continue sur la voie de la destruction qu'il suit actuellement.

Ils n'adhéreront jamais à cette approche à l'égard de l'environnement, car cela va à l'encontre de leur culture fondamentale et les enseignements de leurs ancêtres. Voilà qui doit être respecté, selon moi.

En un certain sens, ils veulent un programme d'éducation qui enseigne les deux façons de voir : leur vision du monde axée sur l'amour, l'honneur et le respect des autres et de l'environnement, ainsi que l'approche hiérarchique qui leur est imposée, laquelle repose sur le pouvoir et le contrôle, habituellement exercés par l'église et l'État, à leur avis.

Je considère que le Canada jouit d'une grande diversité et qu'il est essentiel que les Premières Nations assument le rôle qui leur revient en conférant ce savoir et cette sagesse à la famille humaine. J'ai récemment été invité en Chine, où le vice-ministre des ethnies et des minorités, qui veut préserver les cultures autochtones, m'a demandé mon aide. Il m'a expliqué que les Chinois voulaient préserver ces cultures parce qu'à force de considérer la nature comme une ressource, ils sont en train d'étouffer dans leur propre pollution à Beijing. Ils veulent retourner à leurs racines et ressentir une affinité avec la terre et l'environnement, et ils ont l'impression que leurs peuples autochtones pourront faire une contribution importante dans l'avenir de leur pays. C'est tout un changement de cap pour leur gouvernement.

Je me suis alors dit que les Chinois ont compris que les Autochtones constituent pour eux une précieuse ressource, et je crois que bien des gens au Canada considèrent que les Autochtones sont une formidable ressource pour leur pays. Nous pourrions tous travailler ensemble comme partenaires. Je considère que c'est fondamental et très important.

En ce qui concerne le logement dans les communautés, rien ne va parce que la planification se fait à l'extérieur, par les ingénieurs qui développent les communautés autour des réseaux d'égout. Les gens considèrent que les êtres humains devaient avoir des communautés aménagées en fonction de leur façon de vivre, de leurs familles élargies et de la manière dont ils communiquent entre eux. Elles devraient être planifiées en fonction de leur culture et de leur cœur, pas de leur anus. Le premier problème, c'est que toute la planification des systèmes d'ingénierie de ces communautés est devenue l'esclave des systèmes qui sont censés servir les gens. Toute la communauté est planifiée d'une manière contraire à la façon de vivre des gens. La plupart des systèmes d'ingénierie qui desservent ces communautés vont à l'encontre des cultures de ces dernières.

Certaines communautés vont s'installer dans d'autres localités prétendument aménagées d'après le système d'ingénierie et de planification que nous acceptons, et c'est un échec monumental qui soumet les gens à un stress considérable. Même le logement est attribué en fonction d'une liste; si on figure sur une liste donnée, on se verra attribuer telle ou telle maison.

Dans le Nord, les gens ont des familles élargies, mais ces dernières sont séparées en raison du processus qui sert à déterminer qui sera sur la liste pour obtenir la prochaine maison. Les résidants du Nord ne peuvent trouver le sommeil, car les gens circulent toute la nuit en Ski-Doo pour essayer de garder le contact; ils se battent contre la communauté qui les abrite. Cette façon de faire ne convient pas aux gens.

Les gens ont toujours vécu en groupes et tout mis en commun. C'est ce que nous faisions quand nous étions des chasseurs-cueilleurs, il y a 10 000 ans. Nous avons survécu en partageant, en prenant soin les uns des autres et mettant toutes les ressources en commun. C'est ainsi que nous avons survécu.

Au cours des 10 000 dernières années, nous avons décidé de nous mettre à l'agriculture et nous avons traité la nature comme une marchandise. Nous avons commencé à défendre nos territoires et nous avons établi des cultures patriarcales reposant entièrement sur le pouvoir et le contrôle, qui sont porteurs de confrontation et de conflits. Et depuis 10 000 ans, nous nous entretuons à coup de guerres destructrices provoquées par nos systèmes patriarcaux.

Quand ma mère était jeune, elle n'était pas une personne. Les femmes n'avaient aucun droit, elles étaient des marchandises.

Les femmes des Premières Nations ont toujours été respectées et considérées comme le centre de la famille. Elles détenaient le pouvoir. Notre système patriarcal prend le dessus sur un système matriarcal, et nous nous demandons pourquoi les femmes sont victimes d'abus. En Europe, il a fallu 500 ans pour passer d'un système patriarcal à un système matriarcal, et il a fallu brûler toutes les femmes puissantes sur le bûcher pour y parvenir.

Nous avons deux cultures, et quand j'étais en Chine, j'ai visité une culture matriarcale. Cette communauté éprouvait les mêmes problèmes, mais on l'aide maintenant à préserver sa culture, sa langue et son patrimoine.

Est-ce que le logement fonctionne? Non. Est-ce que ces maisons modulaires conviennent aux gens là-bas? Je pense qu'elles ne conviennent même pas aux gens d'ici. Un de mes architectes, qui vient d'Italie, affirme qu'il déteste les subdivisions. Il n'y a pas moyen de les séparer. On ne peut se retrouver avec ses amis ou avec les siens; ces maisons sont conçues pour séparer les gens. Je pense que les communautés devraient être aménagées pour mettre les gens en contact, et ce n'est pas ainsi que nous les planifions.

En travaillant avec les Premières Nations, j'ai également remarqué la manière dont elles planifient. Je n'ai jamais tant appris des Premières Nations. Elles savent aménager le territoire, car elles ne le font pas seulement pour les gens — et elles connaissent l'inventaire de toutes les ressources —, mais aussi pour tous ceux qui donneront la vie pour sept générations. J'ai travaillé avec les communautés et je les ai aidées à aménager leurs communautés de manière traditionnelle. J'ai énormément appris au sujet de la planification. En fait, nous ne planifions pas. Nous faisons de l'aménagement pour les gens, mais quand on n'a plus rien à se mettre sous la dent et qu'on n'a plus qu'à s'entredévorer, ce n'est pas de la planification.

Les résidants du Grand Nord, du fait qu'ils sont plus isolés, planifient de façon étonnante, en fonction des récoltes. Une certaine communauté tient 200 célébrations par année, au cours desquelles les gens récoltent des espèces particulières en prenant soin d'en laisser amplement pour la prochaine génération. Le fait d'avoir élaboré une méthode de planification avec ces gens a été pour moi une grande source d'inspiration.

J'ai cherché toutes sortes de professionnels pour m'aider, et le seul que j'ai pu trouver, c'est un bouddhiste du Japon qui comprenait cette méthode de planification. Il faisait partie de l'équipe, bien entendu.

Si on écoute les gens, comme je l'ai fait, les résultats peuvent être merveilleux. On peut établir une installation d'éducation fondée sur les soins et l'amour prodigués aux enfants. On peut créer une communauté où les femmes et les enfants sont respectés. Nos villes ne sont pas conçues pour les femmes et les enfants, car elles sont toutes pensées par des hommes. Toute notre industrie est une symphonie de symboles phalliques. Tout tourne autour des hommes.

Quelle contribution les Premières Nations apporteraient si les gens les écoutaient, non seulement au sujet de l'aménagement de leurs installations, mais aussi de la planification de leurs ressources. Dans les communautés que j'ai conçues, comme celle d'Oujé-Bougoumou, pour laquelle j'ai reçu un prix des Nations Unis pour la conception d'un village de l'avenir, j'ai été entièrement à l'écoute des gens. J'ai rencontré les anciens et je leur ai demandé de me parler de leur vision de la communauté, ce qu'ils ont fait. Je suis retourné à mon bureau et j'ai jeté cette vision sur papier. J'ai présenté le plan à 500 personnes de la communauté en leur disant : « Vous devez comprendre que ce que je vous présente est mon interprétation de vos besoins. J'ai dessiné le plan en fonction de mon filtre culturel et de mon interprétation. Que sais-je des Cris de la baie James? Si vous ne changez pas tout et ne vous vous investissez pas entièrement dans le processus de planification, vous vous retrouverez avec un résultat digne de l'époque coloniale, et je ne veux pas que cela vous arrive. »

Ils se sont montrés réticents, indiquant qu'ils n'avaient étudié que jusqu'en troisième année. Je leur ai répondu « Les universités ne donnent pas de cerveaux ou de diplômes en gros bon sens. Que diriez-vous de participer pleinement au processus? » Quand ils ont été certains que je les écouterais, ils sont devenus comme des piranhas m'attaquant de toutes parts. J'ai prêté l'oreille à chacune de leurs doléances en y répondant. Je les ai tous écoutés, car j'avais de nouvelles informations. Parfois, les gens ne savent pas ce qu'ils veulent, mais ils savent ce qu'ils ne veulent pas, et c'est bon à savoir.

L'écoute faisait partie du processus. Les gens m'ont fait part de leurs opinions. De retour à mon bureau, j'ai déchiré le plan et j'en ai dessiné un autre que je leur ai présenté. Comme ils se sentaient encore plus à l'aise, ils m'ont indiqué que c'était bien pour les anciens, mais que les gens d'âge moyen devaient s'occuper des aînés et des jeunes, puis ils m'ont bombardé de commentaires. Nous avons repris le processus sept fois jusqu'au jour où je leur ai présenté un plan. Les gens et les enfants se sont levés, ont manipulé les modèles et les ont examinés longuement. Puis le chef a dit : « Bien. Il veut votre opinion ». Les gens sont restés muets. Il m'a alors dit : « Eh bien, Doug, vous avez enfin votre plan. » Les gens se sont levés et ont affirmé que c'était leur communauté.

Et ils l'ont construite. Une compagnie de construction crie l'a bâtie avec sa propre main-d'œuvre. Ils ont reçu un prix des Nations Unies. Ils ont également présenté leur travail à Hanovre, en Allemagne, à l'occasion de l'exposition universelle de 2000. C'est une communauté exemplaire, car elle est l'œuvre de ses habitants.

Lorsque j'ai amené le ministre là-bas, il y avait du paysagement, des pelouses et des affiches en cri un peu partout. Tout cela peut devenir réalité. Les gens sont moins frustrés et ont moins de problèmes de toxicomanie. Ils n'ont plus besoin d'avoir recours à l'automédication pour apaiser toutes les douleurs dont on les afflige en leur imposant un système qui est tout simplement contre leur nature.

Pour ce qui est de la conception des résidences elles-mêmes, la composition des familles est telle que le bungalow classique de trois chambres à coucher avec cloisons ne fonctionne pas là-bas. Ils n'aiment pas les cloisons; ils sont habitués à tous partager le même espace. Certains décident de mettre la hache dans les cloisons entre les pièces pour se faire du bois de chauffage. Les gens leur disent alors qu'ils ne respectent pas leur maison, mais ne serait-ce pas plutôt la maison qui ne respecte pas leur culture? Tout commence avec la maison elle-même.

Je me souviens d'être allé dans le Nord avec un groupe d'aînés. Nous avions conçu ensemble une maison répondant aux besoins des gens du Nord. J'ai essayé d'en implanter le concept par l'entremise de nos instances gouvernementales, mais celles-ci l'ont jugé tout à fait inacceptable parce qu'il ne suivait pas leurs lignes directrices.

Le système d'éducation ne respecte pas leur langue et leur culture, pas plus que la manière dont ils souhaitent enseigner. Lorsque je suis allé en Bolivie, on m'a demandé de contribuer à la conception d'une université. On voulait créer une structure non hiérarchisée. Les Boliviens voulaient que toutes les classes soient rondes pour ne pas créer de hiérarchie parce que c'est un pays où on fonctionne plutôt par consensus. Ils ont adopté un mode coopératif qui leur vient de l'enseignement matriarcal.

Là est toute la question. Rien de ce qu'on fait là-bas ne fonctionne, tant pour le logement que pour les programmes et l'aménagement du territoire. Vous investissez des millions de dollars dans ces collectivités et les gens n'ont pas leur mot à dire.

Au cours des dernières années, j'ai participé à la conception d'une première école visant à créer un précédent en tenant compte de la culture indienne et des programmes que les gens recherchent. C'est moi qui ai conçu la première école, l'Université des Premières Nations, le premier plan d'aménagement du territoire dans une perspective autochtone et le premier plan d'aménagement communautaire. L'an dernier, nous avons ouvert le Centre culturel cri qui vise la préservation de la langue et de la culture et la mise en commun des enseignements et du savoir.

Si vous concevez vraiment une collectivité en fonction de la culture autochtone — et si la nouvelle se rend jusqu'en Chine — elle devient une attraction touristique. Ainsi, Oujé-Bougoumou a des revenus touristiques de 1 ou 2 millions par année parce que les gens veulent voir une véritable communauté autochtone. Il y en a très peu au Canada. La plupart ressemblent davantage à des bidonvilles conçus par les Blancs. Pourquoi pas une communauté autochtone dont les gens peuvent être fiers et qui témoigne de leur mode de vie et de la contribution qu'ils peuvent apporter à la société? Le gouvernement a pour politique de mettre les Premières Nations dans une position de mendicité, ce qui les humilie et va totalement à l'encontre de leur culture où l'on valorise le don.

Je suis d'avis que, pour véritablement respecter un peuple, il faut considérer qu'il a cette culture du don et qu'il a énormément à offrir et à partager avec le reste de la population canadienne.

Je me ferai un plaisir de répondre à toutes vos questions.

Le président suppléant : Merci beaucoup, monsieur Cardinal. Il y a dans tout cela amplement matière à réflexion et à discussion.

Pendant que mes collègues réfléchissent à leurs questions, peut-être puis-je me permettre de vous en poser une.

Vous avez dit que la communauté d'Oujé-Bougoumou a vu le jour autour de l'an 2000. Une quinzaine d'années plus tard, considérez-vous que les technologies développées depuis pourraient faciliter les choses pour l'implantation d'autres communautés semblables? Est-ce qu'on pourrait y arriver plus facilement et à moindre coût aujourd'hui, ou est-ce à peu près la même chose?

M. Cardinal : Je pense qu'il y a eu des progrès technologiques importants pour ce qui est des égouts, des réseaux d'alimentation en eau et du chauffage. Il y a par exemple autour du village en question des moulins qui produisent beaucoup de bran de scie et d'autres déchets. Des ingénieurs suédois nous ont aidés à mettre en place un système centralisé de collecte de ce bran de scie pour alimenter une chaudière à bois qui chauffe tout le village. Ce système très peu polluant permet de créer de l'emploi en utilisant des déchets pour alimenter le village en électricité et en eau chaude. C'est une économie considérable pour la collectivité, car il lui en coûterait beaucoup plus cher pour se chauffer au mazout. Il y a beaucoup d'innovations semblables que nous devrions envisager.

Ceci dit très respectueusement, aucune de ces innovations ne pourrait voir le jour à l'intérieur de la structure du ministère des Affaires autochtones. C'est en dehors du cadre de ce ministère que nous avons pu développer la communauté d'Oujé-Bougoumou. Nous avons créé une organisation distincte administrée par des gens bien intentionnés et des représentants locaux qui gèrent le développement de la communauté en suivant des principes de transparence. Nous y sommes en outre parvenus en respectant nos budgets et nos échéanciers, ce qui n'aurait pas été possible avec la bureaucratie écrasante du ministère.

Encore là, les gens ont appris à gérer eux-mêmes leurs ressources et leurs affaires. En participant directement à la construction des édifices, ils ont aussi appris comment ils devaient les entretenir. Notre efficience a été telle que nous avons en fait dépensé moins que prévu. Nous avons ainsi pu prendre les sommes économisées et les placer dans un fonds distinct pour le logement. Nous avons conçu un programme qui permettait aux gens de devenir propriétaires de leur résidence en contribuant à ce fonds. Lorsque les gens sont propriétaires, ils entretiennent mieux leur maison et la traitent avec beaucoup plus de respect.

Dans le cadre de ce programme d'accès à la propriété, les gens versaient une certaine proportion de leur revenu dans ce fonds pour le logement, ce qui nous a permis de construire davantage de maisons. C'était une façon d'optimiser leurs propres ressources. C'était avantageux pour tout le monde, car les gens devenaient propriétaires de leur résidence. Ils ont commencé ainsi à être fiers de leur communauté qui disposait quant à elle d'un fonds local pour stimuler la construction de maisons.

Le président suppléant : Merci de votre réponse.

Nous entendons maintenant les échos de quelques-unes des initiatives que vous nous avez décrites. Certaines de vos innovations et des avancées qui ont été rendues possibles grâce à vos efforts sont reprises à plus petite échelle ailleurs au pays. Je crois que vous pouvez vous en réjouir.

Il va de soi que nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir dans cette étude très importante que nous avons entreprise, mais il y a de l'espoir.

Passons aux questions des sénateurs.

Le sénateur Meredith : Monsieur Cardinal, un grand merci pour votre exposé des plus intéressants. J'aurais volontiers passé la soirée à vous écouter, mais il semble bien que nous devons maintenant vous poser des questions.

Je tiens à vous remercier pour votre contribution à notre pays et pour tout le travail que vous avez accompli en faisant fi du racisme dont vous avez fait l'objet.

Je veux donc vous remercier du fond du cœur pour votre contribution et le travail que vous continuez de faire au Canada et, maintenant, un peu partout dans le monde.

Dans le contexte de l'aménagement des collectivités, vous nous avez dit que la culture n'était pas respectée, qu'on n'écoutait pas les gens et qu'il n'y avait aucune consultation. Au fil de vos 50 années de travail auprès des collectivités, comment ont réagi ceux à qui vous avez offert vos sages conseils? Vous avez parlé à la fin de votre exposé de ces communautés des Premières Nations qui ressemblent à de véritables bidonvilles. Pourquoi ces gens-là n'ont-ils pas écouté vos conseils pour se donner une collectivité modèle à l'image de celles au développement desquelles vous avez contribué ailleurs au pays?

M. Cardinal : Je crois qu'il y a un problème parce que toute la culture canadienne est entachée de racisme envers les Premières Nations. Le simple fait qu'on ait créé un ministère des Affaires autochtones montre que les gens ne nous croient pas capables de nous occuper de nos propres affaires; quelqu'un d'autre doit le faire pour nous. Il n'y a pas de ministère semblable pour les autres groupes culturels présents au Canada. Nous accueillons pourtant des gens de différents peuples de la planète.

C'est notre histoire. Avec le système des pensionnats, John A. Macdonald a créé un programme extrêmement dévastateur qui visait à tuer l'Indien dans chaque enfant. Quarante pour cent des enfants sont morts dans ces pensionnats; les autres sont restés marqués à vie.

Nous devons donc nous remettre de ces séquelles, mais ce n'est que de l'histoire. Sans oublier ce qui a pu nous arriver, notre génération a la responsabilité d'imprimer une direction nouvelle, car nous ne pouvons pas nous appesantir sur le passé. Il faut regarder le présent en face. Lorsqu'on voit le visage de ces jeunes enfants, on comprend qu'il ne faut surtout pas s'attarder au passé. Il faut pardonner pour ce qui est arrivé et se tourner vers l'avenir.

J'estime que le moment est bien choisi dans la foulée des excuses présentées par le gouvernement aux Premières Nations; un geste qui a redonné l'espoir à bien des gens. Je crois donc que c'est un pas dans la bonne direction et que les circonstances sont maintenant idéales, étant donné que nous côtoyons désormais tous ces gens qui ont connu dans leur pays d'origine — et c'est la raison pour laquelle ils sont au Canada — le racisme et les conflits de toutes sortes. Forts de cette expérience concrète, ils peuvent vraiment aider les citoyens des Premières Nations à prendre la place qui leur revient au sein de la famille canadienne en tant que partenaires à part entière. C'est la voie que je privilégierais pour l'avenir. Il faut se réjouir du seul fait que nous pouvons tenir ce soir cette séance pour discuter de ces questions, car nous ne pouvions même pas en parler auparavant. Les gens des Premières Nations étaient invisibles. Cette évolution se traduit même dans le travail de Mark O'Neil au Musée canadien de l'histoire, l'ancien Musée des civilisations, qui souhaite maintenant remonter le cours de notre histoire jusqu'à la dernière période glaciaire, plutôt que de l'amorcer avec le premier contact avec les Blancs, comme c'était le cas il y a 25 ans lorsque je travaillais à ce dossier. Notre contribution en tant qu'indigènes est donc intégrée à l'histoire canadienne.

Je crois que les gens n'ont aucune connaissance de notre histoire, et c'est ce qui cause problème. On ne l'enseigne pas dans les livres d'histoire ni nulle part ailleurs. Les Canadiens ne connaissent ni notre culture ni notre contribution, et je crois que le changement doit d'abord s'appuyer sur une meilleure compréhension entre les Premières Nations elles- mêmes. Pour ma part, je peux vous assurer que je ne renoncerai jamais à mon patrimoine autochtone pour adopter une perspective occidentale, et ce, même si je suis un architecte qui a été formé à l'école occidentale. Personne ne pourra tuer l'Indien en moi sans me tuer moi-même.

À certains égards, la société évolue, ce qui est une bonne chose. Je constate simplement que le Canada doit modifier en profondeur les rapports qu'il entretient avec les Premières Nations et son approche en tant que société patriarcale. Il suffit de parler aux gens et de voir ce qu'on a fait dans les réserves avec les chefs et les conseils de bande. Il s'agit de systèmes coloniaux qui n'ont rien à voir avec la structure des communautés autochtones où la chambre des représentants était constituée uniquement de femmes, les mères de clans, et dont les aînés, hommes et femmes, formaient le Sénat. Le pouvoir exécutif était confié aux hommes en raison de leur goût pour l'action, mais ils agissaient sous la direction des femmes qui s'assuraient qu'ils travaillent dans les meilleurs intérêts de la génération future, les enfants.

C'est la grande loi autochtone. La Constitution américaine était fondée sur cette loi. On s'en est emparé en y ajoutant une tangente patriarcale. Ils ont donc créé une Chambre des représentants entièrement masculine, car les femmes n'étaient pas considérées comme des personnes à l'époque. Un régime où seuls les hommes discutent entre eux ne fonctionne pas pour nous, car nous devons parler aux femmes de nos communautés.

Lorsque je vais travailler auprès des communautés, je parle aux femmes et aux aînés, car c'est à eux qu'il incombe d'élever les enfants dans un contexte où le taux de suicide infantile est plus élevé que partout ailleurs. C'est tellement triste de voir tous ces jeunes de 13 ou 14 ans qui s'enlèvent la vie, parfois en série, parce qu'ils ne voient aucun avenir pour eux. De nombreuses collectivités me demandent de leur rendre visite, et je dois malheureusement constater que c'est une situation qui les afflige encore aujourd'hui.

Le sénateur Meredith : Parlez-nous de la communauté modèle que vous avez créée et des raisons pour lesquelles ce modèle n'a pas été reproduit ailleurs au sein des Premières nations.

M. Cardinal : Je me souviens d'avoir assisté à une réception tenue à Ottawa où des cadres supérieurs du ministère des Affaires autochtones discutaient entre eux. Ils ne savaient pas qui j'étais; j'étais simplement pour eux un invité parmi d'autres. Ils considéraient Oujé-Bougoumou comme la communauté qui leur avait échappé; un précédent qu'ils jugeaient très regrettable pour le ministère. D'après ce que j'ai pu constater, le ministère n'appliquera jamais ce modèle, et ce, même dans le secteur de l'éducation où le ministre a approuvé une prise en charge par les Autochtones. À Kehewin, en Alberta, il y avait une femme du nom de Teresa Gadwa qui disait que les hommes avaient laissé tomber sa communauté. Les femmes ont alors pris les choses en main et m'ont demandé de concevoir une école qui répondrait aux besoins de leurs enfants. Je m'en suis remis à la parole de l'honorable Jean Chrétien et j'ai conçu une école en fonction des enfants. Le projet allait à l'encontre des volontés du ministère. Même les organisations politiques ont toutes été averties de ne pas soumettre le projet d'école au ministre, car elles perdraient la totalité du financement obtenu du ministère si le projet était présenté et approuvé par le ministre. On a dit à tous les responsables, et ce, dans toute l'Alberta, que leur financement serait coupé s'ils appuyaient le projet d'école. J'ai donc dû aller en Saskatchewan, où le chef rencontrait régulièrement l'honorable Jean Chrétien, pour que le projet soit mis à l'ordre du jour. Il s'est ainsi rendu au bureau du ministre, qui l'a approuvé.

Le ministère résiste tellement à tout changement à ce système colonialiste qu'il devient très difficile de réaliser quelque progrès que ce soit. Je me suis alors dit qu'il ne fallait pas s'attaquer au système dans son ensemble. Je devais travailler avec une communauté à la fois pour créer des précédents. Après que nous ayons construit la première école, une autre communauté s'est dit qu'elle pouvait faire de même. C'est ce que j'appelle un précédent.

Le sénateur Moore : À quand remonte votre projet à la baie James? Quand la communauté d'Oujé-Bougoumou a-t- elle été conçue et aménagée?

M. Cardinal : Autour de l'an 2000.

Le sénateur Moore : Êtes-vous retourné là-bas et pouvez-vous nous dire si tout fonctionne bien et si les gens en tirent les avantages escomptés?

M. Cardinal : Oui, les gens en ont beaucoup bénéficié. Ils ont été exclus de la Convention de la Baie James, et même les autres Autochtones leur ont tourné le dos. On les a simplement abandonnés à leur sort avec leur lac et leurs cabanes en papier goudronné sans que personne ne leur accorde la moindre considération.

Quoi qu'il en soit, ces gens-là se sont bâti une communauté qui fonctionne bien. On crée de l'emploi en prenant en charge l'administration publique et le développement de la communauté. Celle-ci est devenue un véritable moteur économique pour la région. On reçoit des touristes allemands et japonais. Les Européens tout particulièrement veulent prendre contact avec la nature et manger du castor dans l'aschiiukamikw, la cabane traditionnelle, à leur retour au village. Les gens de la communauté peuvent ainsi être fiers de ce qu'ils sont et de la contribution qu'ils peuvent apporter.

Il y a donc effectivement davantage d'emplois et de débouchés, et moins de problèmes d'alcoolisme. Il y a aussi des gains au chapitre linguistique; l'école enseigne le cri, le français et l'anglais. Les enfants sont donc trilingues et ont un taux d'admission à l'université plus élevé que la moyenne canadienne. C'est vraiment un franc succès. Nous avons ouvert l'an dernier le centre culturel des Cris de la baie James qui ont décidé de s'installer dans ce village qui est devenu un véritable pôle d'activités.

Le sénateur Moore : Est-ce que d'autres Premières Nations vous ont demandé d'effectuer un travail semblable en collaborant avec elles et, le cas échéant, vous êtes-vous adressé au ministère et quelle a été sa réponse?

M. Cardinal : Certaines communautés l'ont fait, et on leur a dit que si elles travaillaient avec moi, le ministère allait couper toutes leurs sources de financement, y compris l'aide sociale.

Le sénateur Meredith : À quand remontent ces démarches?

M. Cardinal : C'était il y a quelque temps déjà. J'essaie actuellement d'obtenir la construction d'une école pour les Algonquins à Winneway. Nous avions le mandat de concevoir une école adaptée au mode d'enseignement souhaité, et nous avons pu respecter à la fois le budget de quelque 6 millions de dollars et les échéanciers en utilisant des matériaux novateurs comme les panneaux de bois lamellé-croisé, un produit du Nord transformé là-bas qui serait idéal pour la région et suffisamment solide pour résister à des coups de hache.

Nous avons conçu une école suivant ces paramètres, mais le ministère a décidé que c'était trop bon pour la communauté qui allait devoir se contenter d'un de ces édifices carrés si chers aux Affaires autochtones. Nous avions pourtant conçu l'école en fonction des besoins de la communauté en prévoyant des classes octogonales qui lui permettraient de transmettre aux enfants sa vision non hiérarchisée du monde. Le ministère nous a dit que le budget avait été réduit à 4 millions de dollars, malgré qu'il en coûte deux fois plus cher que les 6 millions de dollars prévus pour construire une école pour tout autre groupe en Ontario. Le projet a donc été retardé.

Puis voilà qu'un nouveau directeur général a été nommé au sein du ministère québécois. Je l'ai rencontré il y a un mois pour lui parler du projet. Après que je lui ai présenté tous les éléments, il m'a dit qu'il voulait aller de l'avant avec la construction et lancer l'appel d'offres le jour de son anniversaire. C'était donc un changement d'attitude tout à fait radical. Voilà maintenant que nous mettons tout en œuvre pour que l'appel d'offres puisse être lancé le jour de son anniversaire.

C'est le genre de situation où l'on se demande pourquoi des gens devraient être pénalisés parce qu'ils souhaitent ce qu'il y a de mieux pour leurs enfants. J'ai donc effectivement créé au fil des ans différents précédents, y compris l'Université des Premières Nations, qui allaient à l'encontre des volontés du ministère des Affaires autochtones.

C'est le genre de précédents que nous sommes censés créer. Nous sommes là pour servir les gens. C'est l'essence même de la démocratie. Mais au sein de la démocratie canadienne, il y a un régime communiste dirigé par les Affaires autochtones. C'est comme un pan de Russie au Canada. Je parle de la Russie que j'ai connue sous le régime de Moscou lorsque je suis passé par Checkpoint Charlie. Je considère pour ma part que le ministère des Affaires autochtones est une réplique à petite échelle du Bloc de l'Est, et vous savez ce que cela a donné.

La sénatrice Raine : Merci pour tous ces commentaires.

Nous savons que la population croît rapidement dans les collectivités des Premières Nations. D'après ce que vous nous dites aujourd'hui, il semblerait que nous ayons tort sur toute la ligne en construisant de petites maisons qui favorisent le surpeuplement. Croyez-vous qu'il soit possible de changer les mentalités de telle sorte que les fonds consacrés au logement dans les réserves ne servent pas à la construction de petites maisons unifamiliales, mais plutôt d'unités d'habitation plus grandes pour des regroupements familiaux? Existe-t-il des plans à cette fin?

C'est tellement difficile, car les bureaucrates ne laissent pas libre cours à leur imagination, mais nous parlons ici de gens qui ne veulent pas vivre dans des édifices carrés. Compte tenu de la technologie d'aujourd'hui, avez-vous songé à construire des logements multigénérationnels?

M. Cardinal : Oui. C'est une idée sensée. Cela va à l'encontre du système en place et ne correspond pas aux lignes directrices, à ce qui est prévu.

Cela me fait penser à la hiérarchie égyptienne. Pendant 7 000 ans, on a dessiné les gens de telle et telle façon. Les bureaucrates ne changent pas; ils restent en place, car le ministère n'a pas à rendre des comptes aux Autochtones, car ce sont des dictateurs pour les Autochtones. Voilà le problème.

Les femmes ont fait la planification pour leurs logements et j'y ai participé. Nous avons conçu un projet comprenant de petits groupes et des installations communes. Elles partagent toujours les tâches, soit la cuisine et l'éducation des enfants.

J'ai élaboré un projet pour l'ensemble de la collectivité. Les choses avançaient, et les femmes ont dit « d'accord, vous avez fait du bon travail jusqu'à maintenant, mais voici comment nous voulons faire ». Elles ont organisé la collectivité en petits groupes dans lesquels les enfants sont au centre et les femmes les entourent. Il s'agissait de petits groupes en cercle.

Les mères seules — et elles sont nombreuses — ont dit qu'elles voulaient que les choses soient organisées de cette façon, car les autres femmes peuvent les aider à élever leurs enfants. Elles peuvent avoir de l'aide parce que l'une des mères peut s'occuper de tous les enfants pendant que les autres font d'autres tâches. Elles disent qu'elles pourraient élever les enfants ensemble, préparer les repas ensemble, et cetera, et collaborer.

C'est maintenant un groupe d'hommes qui veulent dominer les femmes qui s'en occupent. Ils prévoient séparer les femmes les unes des autres afin d'exercer un contrôle sur elles; toutes les femmes doivent donc s'occuper d'enfants qu'elles ont du mal à supporter, car les enfants sont des êtres sociaux. Ils veulent être ensemble. C'est pourquoi cette façon de faire ne convient à personne.

Elles voulaient mettre les enfants au centre, les entourer de femmes à qui l'on fournit les outils, car il nous faut placer la mère entre les outils et l'enfant, et organiser l'ensemble de la collectivité de cette façon, en groupes qui partagent beaucoup de ressources.

Pourquoi faudrait-il que chaque personne ait son réfrigérateur et sa cuisinière? Pourquoi leur fournir d'autres installations alors que ces personnes veulent les partager? Elles veulent vivre de cette façon. C'est beaucoup plus économique et utile et on utilise ainsi moins de ressources et d'infrastructures.

Elles savent ce qu'elles veulent, et j'ai fini par concevoir un projet pour elles en suivant ces paramètres. Le ministère ne l'a jamais approuvé.

La sénatrice Raine : Notre comité sénatorial est indépendant et nous faisons une étude sur le logement

M. Cardinal : Qui a dit qu'il faut un village pour élever un enfant? Quel type de village élève l'enfant? Il faut que ce soit un village qui respecte l'enfant. Les gens m'ont alors dit : « C'est de cette façon que nous voulons que ce soit organisé, Doug; est-ce que cela s'est déjà fait? » Je me suis dit que c'est de cette façon que la vieille ville de Londres a été construite. Elle n'a pas été conçue en un ensemble de cercles, mais chaque maison avait un jardin au centre, et tous les jardins communiquaient entre eux. C'est de cette façon que les vieilles villes de Londres et de Philadelphie ont été construites.

Je leur ai répondu que bien des gens qui voulaient élever leur famille et collaborer ont organisé leurs collectivités de cette façon et qu'en ce sens, leur souhait n'était pas différent.

Avec le concept nord-américain — qui consiste à avoir son propre espace et une grande clôture entre sa maison et celle du voisin et à faire une distinction entre ce qui appartient à Chacun —, les gens ressemblent à une bande de petits chiens qui délimitent leur territoire. C'est tellement patriarcal, mais cela ne correspond pas à ce que veulent ces peuples. Ils veulent élever leur famille, réunir les gens, se dévouer en tant que groupe et établir des rapports avec d'autres groupes. C'est ce qui leur a permis de survivre pendant un million d'années sur le territoire.

La sénatrice Raine : Dans le cas de l'Université des Premières Nations, votre projet comprenait-il des dortoirs correspondant à de tels paramètres?

M. Cardinal : Concernant l'université, nous avions un plan directeur d'ensemble qui incluait des dortoirs et tout le reste, mais ce qui s'est passé est un exemple. Bien sûr, nous avons eu du financement externe pour commencer le projet, car personne au ministère ne voulait le soutenir. Nous avons donc élaboré le plan directeur et tout le reste, et avons eu l'appui de l'université, et tous les ministres l'ont approuvé. Ils ne ménageaient pas leurs efforts pour que ce soit approuvé. Le ministère n'a pas accepté; il s'efforçait de retarder le projet de toutes les manières possibles. Il est resté sur sa position. Nous avons soumissionné et on était censé nous répondre. L'entrepreneur, PCL, a attendu, 30, 60, 90 jours et les coûts étaient alors tellement élevés que nous ne pouvions pas commencer la construction sans obtenir des fonds supplémentaires.

Le ministère nous a dit « oui, nous allons approuver le projet et fournir l'argent supplémentaire si vous louez le dernier étage à notre ministère et que le président et tout ce qui est lié à l'Université des Premières Nations sont installés au sous-sol ».

Donc, à l'Université des Premières Nations, le dernier étage est réservé au ministère des Affaires autochtones; tout le monde doit donc passer par l'Université des Premières Nations pour être servi par le ministère, à l'étage supérieur, car ses représentants sont les rois des Autochtones et ont leur place au dernier étage, tandis que la place du président de l'université est au sous-sol.

De plus, ils se sont tellement mêlés du programme de l'université qu'il a failli être annulé. Ils se sont ensuite tellement mêlés des affaires des chefs, qui faisaient tous partie du système colonial que nous avons créé avec le chef et le conseil, de sorte qu'ils n'ont pas bien dépensé l'argent. Ils ont presque abandonné le projet, une idée qu'avaient les gens depuis des années. Ainsi, les aînés et les étudiants ont dû renvoyer tous les chefs et recourir à d'autres personnes malgré les tactiques du ministère.

Le président suppléant : Monsieur Cardinal, nous n'avons plus de questions. Au nom de tout le monde ici, je veux vous remercier. Vous nous avez donné un point de vue sans précédent sur certains aspects auxquels nous ne nous attendions pas, et vous nous avez donné une excellente idée de certains éléments pour lesquels vous êtes reconnus dans le monde.

C'est inspirant. Vous avez fait des observations réfléchies et parfois provocantes, et c'est formidable. Nous sommes ouverts à cela. Nous vous remercions beaucoup d'avoir pris le temps de venir comparaître devant notre comité.

M. Cardinal : Je vous remercie. Je m'excuse si j'ai offensé des gens des Affaires autochtones. Ce n'est pas ce que j'aime faire. Je veux tout examiner de façon positive, mais j'ai estimé que je devais vous faire part de mon point de vue. J'espère que je n'ai offensé personne. Si c'est le cas, j'en suis vraiment désolé.

Le président suppléant : Vous nous avez donné en partie une leçon d'histoire. Tout le monde est déterminé à se tourner vers l'avenir. J'espère entendre parler de ce qui se passera le jour de l'anniversaire du directeur général et savoir comment les choses se passeront pour vous, monsieur. Tenez-nous au courant.

(La séance est levée.)


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