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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 10 - Témoignages du 9 décembre 2014


OTTAWA, le mardi 9 décembre 2014

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour examiner les problèmes liés à l'infrastructure dans les réserves des Premières Nations.

Le sénateur Dennis Glen Patterson (président) occupe le fauteuil.

Le président : Bonjour à tous. J'aimerais souhaiter la bienvenue aux honorables sénateurs et aux membres du public qui sont présents à notre réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones ou qui nous regardent sur CPAC ou sur le Web.

Je suis Dennis Patterson, du Nunavut. J'ai le privilège de présider le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Le comité a pour mandat d'examiner les dispositions législatives et, de façon générale, les questions relatives aux peuples autochtones du Canada. Aujourd'hui, nous entendrons des témoignages dans le cadre d'un ordre de renvoi précis qui nous autorise à examiner, en vue d'en faire rapport, les problèmes liés à l'infrastructure dans les réserves et d'éventuelles solutions à ces problèmes, notamment en matière de logement, d'infrastructures communautaires, de façons novatrices d'obtenir du financement et de stratégies de collaboration plus efficaces.

Nous avons terminé nos séances sur le logement et nous nous concentrons maintenant sur les infrastructures.

Avant d'entendre les témoignages de ce matin, je vais d'abord faire un tour de table et demander aux membres du comité de se présenter à tour de rôle.

Le sénateur Moore : Wilfred Moore, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Dyck : Lillian Dyck, de la Saskatchewan.

Le sénateur Wallace : John Wallace, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, de l'Ontario.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

La sénatrice Raine : Nancy Raine, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l'Alberta.

Le président : Merci. Accueillons maintenant notre premier témoin. Nous sommes ravis de vous revoir, monsieur Manny Jules, président de la Commission de la fiscalité des Premières Nations.

Les membres du comité ont eu le plaisir de vous rencontrer de manière informelle en octobre dernier, à Kamloops, dans le cadre de notre mission d'information. Nous sommes heureux de vous revoir et nous vous remercions d'être ici aujourd'hui. Nous sommes impatients d'entendre votre exposé, après quoi nous enchaînerons avec une période de questions. La parole est à vous.

C.T. (Manny) Jules, président, Commission de la fiscalité des Premières Nations : Merci beaucoup. J'espère que, lors de votre visite à Kamloops, vous avez pu goûter à notre saumon séché traditionnel, que nous appelons mellts'wén.

Honorables sénateurs, bonjour. Je m'appelle Manny Jules et je suis le président de la Commission de la fiscalité des Premières Nations. C'est un plaisir que de comparaître de nouveau devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

J'ai toujours été impressionné par les recommandations bien étoffées du comité sur les enjeux qui touchent les Premières Nations.

Le travail que je fais aujourd'hui, je le dois à mon père. Il était chef avant moi. Il avait une vision du développement économique, de la fiscalité, de l'infrastructure et des droits fonciers au sein de notre communauté. Chaque fois que je rencontrais des gens pour discuter du développement économique, il me demandait toujours : Est-ce qu'ils pensent comme nous?

Sa question porte en fait sur la stratégie. Est-ce que les autres ont la même stratégie que nous, c'est-à-dire éliminer les obstacles économiques afin de progresser vers la justice sociale?

En 2006, le comité a publié un rapport sur le développement économique des Premières Nations intitulé Partager la prospérité du Canada — un coup de main, pas la charité. Le rapport cernait quelques-unes de nos contraintes financières et présentait des solutions pour réduire ou supprimer les obstacles économiques auxquels nous sommes confrontés. Quand j'ai lu le rapport, il était clair que le comité « pensait comme nous ».

Aujourd'hui, j'aimerais parler de l'un des principaux obstacles auxquels se heurtent les Premières Nations du Canada : le manque d'infrastructures convenant aux entreprises. La Commission de la fiscalité a relevé trois obstacles qui nous empêchent de bâtir un plus grand nombre d'infrastructures de meilleure qualité.

Tout d'abord, il y a le manque de financement. Les Premières Nations n'ont pas le même accès aux outils de financement que les autres gouvernements. Ceux-ci comptent sur les droits fonciers, d'autres taxes locales, des frais et des droits, des économies destinées au remplacement des infrastructures, des paiements de la part des promoteurs, des transferts d'autres gouvernements et du financement à long terme. Comme nous ne disposons pas de toutes ces sources de revenus, nous ne sommes pas en mesure de contribuer autant pour soutenir les options de financement à long terme. Par conséquent, les Premières Nations dépendent énormément des transferts des gouvernements pour financer l'infrastructure et, comme vous le savez, ces transferts sont insuffisants.

Deuxièmement, il y a l'impasse du financement. Nos communautés sont prises dans un cercle vicieux. Les Premières Nations veulent investir sur leurs terres pour générer des revenus, mais elles ont besoin d'infrastructures pour attirer des investissements. Les programmes d'infrastructure actuels sont généralement conçus pour répondre aux besoins de base en matière de logement et d'infrastructure matérielle et n'appuient pas l'aménagement des terres. En conséquence, de nombreuses communautés sont prises dans un engrenage au chapitre du développement économique et sont incapables d'établir une infrastructure commerciale.

Troisièmement, il y a les lacunes au niveau de la planification intégrée et des capacités. La planification de l'infrastructure des Premières Nations doit refléter leurs stratégies économiques, de façon à ce que l'infrastructure appuie l'aménagement des terres et la création de revenus. C'est ce que veulent les Premières Nations, mais ce n'est pas ce qu'elles planifient. Une grande partie de la planification repose sur les besoins financiers pour appuyer le logement local ou la santé. Il en résulte que notre infrastructure ne favorise pas la croissance de l'économie locale ni des recettes et, par conséquent, notre déficit en matière d'infrastructure s'accroît.

Cependant, la Loi sur la gestion financière des Premières Nations représente un pas très important pour combler ces lacunes. Tout d'abord, la loi et la Commission de la fiscalité des Premières Nations ont aidé de nombreuses communautés à mettre en œuvre diverses possibilités d'augmenter leurs revenus à cet effet. Ensuite, le financement à long terme peut aider certaines Premières Nations à se sortir de ce cercle vicieux. Enfin, grâce à notre partenariat avec le Tulo Centre for Indigenous Economics, les communautés ont accès à une formation universitaire leur permettant de remédier aux lacunes dans la planification.

Mais nous pouvons faire beaucoup plus. J'aimerais vous présenter quatre propositions.

Premièrement, il faudrait pouvoir percevoir un impôt sur l'exploitation des ressources. Il y a pour plus de 600 milliards de dollars de projets d'exploitation de ressources au Canada. Presque tous ces projets se trouvent sur notre territoire et nécessitent des consultations et, dans bien des cas, notre consentement. Les entreprises offrent des avantages économiques sous forme d'emplois, de possibilités d'affaires et de capitaux. Les Premières Nations doivent tirer un avantage fiscal net de leurs ressources pour construire et financer des infrastructures. La Loi sur la gestion financière des Premières Nations et la Commission de la fiscalité fournissent un cadre réglementaire solide à l'appui de ce concept.

Deuxièmement, il faudrait modifier la LGFPN. Un examen de cette loi a été réalisé en 2012. Un certain nombre de modifications administratives ont été proposées. Plusieurs Premières Nations aimeraient imposer des droits aux utilisateurs pour payer les réseaux d'aqueducs et d'égouts.

D'autres gouvernements au Canada en font autant avec les services publics. L'une des modifications que l'on propose à la LGFPN serait de permettre aux communautés de percevoir des frais d'utilisation, par exemple, pour l'eau, les services publics et les péages routiers, en vue d'appuyer les partenariats public-privé.

Troisièmement, il faudrait miser davantage sur les partenariats public-privé et les régimes de pension. L'infrastructure au Canada est de plus en plus construite dans le cadre de partenariats public-privé. Par exemple, les régimes de pension contribuent aux programmes et aux projets d'infrastructure en PPP. Les Premières Nations n'ont pas accès à cette source de financement. Nos régimes publics de pension n'ont pas le cadre réglementaire nécessaire pour contribuer de façon significative à notre infrastructure.

Et quatrièmement, il faudrait maintenir la formation offerte par le Tulo Centre of Indigenous Economics. La Commission de la fiscalité a collaboré avec le Tulo Centre et l'Université Thompson Rivers pour élaborer et offrir des cours de niveau universitaire reconnus et des certificats aux étudiants des Premières Nations. Au cours des cinq dernières années, 29 cours ont été offerts à plus de 100 étudiants, représentant 58 Premières Nations partout au pays. Ces étudiants apprennent l'administration fiscale, la planification intégrée et l'aménagement des terres.

À la lumière de ces propositions, la Commission de la fiscalité sollicite l'appui du comité pour quatre initiatives.

Premièrement, le travail de la Commission de la fiscalité avec les Premières Nations intéressées à élaborer des modèles d'imposition pour des projets d'exploitation des ressources qui contribueraient au financement de l'infrastructure.

Deuxièmement, les modifications administratives proposées à la Loi sur la gestion financière des Premières Nations.

Troisièmement, la création du cadre nécessaire pour les régimes publics de pension des Premières Nations et des partenariats public-privé.

Et quatrièmement, l'octroi de ressources pour accroître le nombre d'étudiants inscrits au programme d'administration fiscale offert par le Tulo Centre of Indigenous Economics afin de renforcer la capacité des Premières Nations en matière de planification et de financement des infrastructures.

Nous espérons que le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones inclura ces recommandations dans son rapport final.

Le président : Merci beaucoup. Sénatrice Dyck?

La sénatrice Dyck : Je vais intervenir plus tard.

Le président : D'accord. Dans ce cas, je crois que je vais me prévaloir de ma prérogative et vous poser quelques questions. Tout d'abord, je vous remercie de votre exposé. J'aimerais vous poser une question qui n'est pas liée à votre exposé, mais je sais que vous avez beaucoup d'expérience dans le domaine de l'infrastructure et des revenus. J'aimerais que vous nous parliez d'un sujet qui intéresse le comité, à savoir le Fonds d'aide au logement du marché pour les Premières Nations. Cette question a déjà été soulevée devant le comité par le passé, et on fondait de très grands espoirs sur ce fonds. Certains intervenants que nous avons rencontrés ont exprimé leur indignation. Le fonds a été créé en 2008 et devait servir à financer la construction de 25 000 unités sur 10 ans. Cependant, six ans plus tard, seulement 55 maisons ont été construites.

Lors de sa comparution du 18 novembre, M. Dinsdale, de l'Assemblée des Premières Nations, nous a dit que le Fonds d'aide au logement du marché pour les Premières Nations était un effort bien intentionné et que son potentiel à long terme restait à voir. D'un autre côté, nous entendons que la situation, telle quelle, ne peut appuyer une approche axée sur le marché en ce qui a trait au logement puisque le marché est tout simplement inexistant.

Il y a ensuite toutes les questions liées au régime foncier. J'aimerais que vous nous en parliez davantage. Sans mettre de côté vos importantes recommandations, pourriez-vous aborder cette question?

M. Jules : Le logement est non seulement un aspect fondamental du bien-être des Premières Nations, mais aussi un indicateur du développement et de la croissance économique. On peut le voir grâce aux prévisions de logement à l'échelle nationale. Le prix des maisons est-il à la hausse ou à la baisse? Cela reflète le bien-être du pays. C'est l'investissement le plus important qu'une personne ou une famille fera au cours de sa vie. Les gens investissent toutes leurs économies dans leur maison. Ils espèrent pouvoir s'en servir pour éduquer leurs enfants, se lancer en affaires, et cetera. Malheureusement, ce programme, comme bien d'autres par le passé, n'a pas donné les résultats escomptés.

À l'origine, nous avions participé à l'élaboration de ce concept, et nous avions formulé des recommandations qui, selon nous, contribueraient à développer une approche du logement fondée sur le marché pour les terres des Premières Nations partout au pays. Malheureusement, une approche universelle ne peut pas régler les problèmes auxquels nous faisons face. C'est la même chose avec ce programme. Ma communauté a pris part à son élaboration, mais personne n'a pu avoir accès aux fonds. Toutefois, il y a aussi le volet de la SCHL; certains d'entre vous sont allés à Kamloops et ont vu le projet de Sun Rivers. Sachez que la valeur de nos terres est passée de 6 000 $ l'acre à trois quarts de millions de dollars. Des maisons d'un million de dollars : beaucoup de membres de la bande ont voulu déménager à cet endroit, mais n'ont pas pu en raison des restrictions imposées par la SCHL. On ne peut pas construire sur ses propres terres en vertu de l'article 89 de la Loi sur les Indiens. Il a fallu pratiquement quatre ans à la SCHL pour changer sa politique afin que les membres des bandes puissent construire sur leurs terres. Cela reflète réellement les problèmes qui sont inhérents à cette approche. Vous l'avez dit clairement : on espérait construire 25 000 maisons; il y en a eu que 55. Pourquoi? Les vraies raisons sont les problèmes inhérents à cette approche. Pourquoi n'y a-t-il pas plus de maisons construites aux termes de la Loi sur les Indiens? Selon moi, les raisons sont les mêmes. Le conseil de bande doit accepter de se porter garant de l'hypothèque. Le ministère des Affaires indiennes doit intervenir. Chaque fois, on a des restrictions sur le nombre de maisons qui peuvent être construites. Si on veut avoir une approche du logement fondée sur le marché, ce que j'appuie, il faut être en mesure de donner les moyens à ces personnes. C'est pourquoi je prône l'accession à la propriété pour les Premières Nations, de sorte que lorsqu'une communauté décide d'aller de l'avant, elle détient le titre de propriété sous-jacent, et ce, pour toujours. Les personnes pourraient avoir une propriété en fief simple sur ces terres. Le conseil de bande et la communauté continueraient d'avoir compétence sur ces terres. Par conséquent, on se retrouverait avec une véritable approche.

Même si on parle des biens immobiliers matrimoniaux, c'est toujours lié à ce type d'approche. Il y a donc de nombreux problèmes inhérents à l'approche qui est adoptée. Malheureusement, on a fait des promesses et on doit les tenir.

Le président : La bonne nouvelle, c'est qu'il reste 340 millions de dollars dans le fonds, si je ne me trompe pas. Vous avez recommandé ce matin d'accroître le soutien aux étudiants en vue de renforcer vos capacités. Selon vous, pourrait- on réaffecter ce fonds ailleurs ou mieux l'utiliser?

M. Jules : Évidemment, je préconise le concept des droits de propriété individuels et collectifs. Ma première recommandation au comité serait d'examiner cela très sérieusement et d'appuyer la notion. Ma deuxième recommandation serait d'utiliser le reste du fonds, peut-être pas la totalité, mais au moins donner les moyens aux personnes de faire leurs propres choix et leur permettre d'utiliser une partie des fonds comme mise de fonds.

Comme vous le savez, lorsqu'on va à la banque, on a besoin d'une mise de fonds pour obtenir une hypothèque. Une partie de cet argent pourrait servir à cette fin. On pourrait également utiliser certaines de ces recettes pour envisager de meilleures approches de développement économique dans le marché du logement.

La sénatrice Dyck : J'aimerais revenir sur ce que vous avez dit au sujet de la propriété foncière individuelle et de la communauté qui détient le titre de propriété. Lors de notre voyage en Colombie-Britannique, nous nous sommes entretenus avec différentes bandes. La plupart d'entre elles semblaient avoir trouvé d'excellents moyens de contourner le manque de propriétés en fief simple. En fait, à Kamloops, le problème découle de ce qu'on pourrait appeler les « certificats de possession », qui accordent la propriété des terres à un membre ou deux de la bande. Ils en ont donc bénéficié énormément, contrairement au reste de la communauté. Aujourd'hui, la communauté peut percevoir des impôts fonciers, même si les propriétés appartiennent à une ou deux personnes.

Vous nous avez dit qu'il a fallu plusieurs années à la SCHL pour modifier sa politique. Est-ce que la politique comprend la capacité de prélever des impôts sur les terres qui font l'objet d'un certificat de possession, ou si la bande avait déjà cette capacité?

M. Jules : La capacité des communautés de prélever des impôts sur les intérêts découlant des terres détenues par leurs membres figure à l'article 83 de la Loi sur les Indiens. Toutes les communautés ont choisi par contre de ne pas appliquer cette mesure. On se retrouve donc avec une situation comme celle de Kamloops, où les gens détiennent des certificats de possession. Les intérêts imposés sont ceux des sociétés qui louent ces terres, pas des personnes qui paient les impôts. Cela est équitable, en ce sens qu'on obtient l'argent pour fournir les services pour ces développements.

C'est la même chose pour Sun Rivers. La communauté ou la bande touche des recettes de location du projet ainsi que des recettes fiscales. À l'heure actuelle, ces membres sont exemptés de l'impôt foncier. Pour la plupart des communautés, tant qu'il n'y aura pas de véritables propriétés, je ne crois pas que cela va arriver.

Cela nous montre également la voie à suivre. Étant donné que ces terres ont été désignées, les conseils de bande individuels ont compétence sur ces terres tout en permettant au marché de fonctionner. Ce qui est le plus proche d'une propriété en fief simple, c'est un bail à long terme. Dans le cas de Sun Rivers, on parle de 99 ans et d'une construction de 15 ans. Nous en sommes là pour l'instant. Dans une cinquantaine d'années, on atteindra un seuil critique où les gens hésiteront à investir, étant donné qu'il restera un grand nombre d'années avant que le bail arrive à terme. Au fond, dans un système de libre marché, on veut remédier à cette situation par un renouvellement automatique ou une autre approche.

Encore une fois, si une communauté au pays choisit de ne pas se prévaloir de cette option, elle n'est pas obligée. Le droit de propriété des Premières Nations, tel que proposé, n'est qu'une option; il n'y a rien d'obligatoire. On peut aborder cette question de différentes façons. À mon sens, compte tenu des divers enjeux auxquels sont confrontées les Premières nations, il faut examiner cette option pour donner aux personnes les moyens d'agir, car les déficits qu'enregistrent les Premières Nations sont essentiellement attribuables à l'absence de paiements des personnes pour leurs maisons.

La sénatrice Dyck : Durant notre voyage, le chef Clarence Louie nous a dit qu'un modèle semblable avait été adopté aux États-Unis et qu'à son avis, il était un échec lamentable. Il a indiqué que les réserves étaient comme des damiers. Des parcelles de terre appartenaient à des particuliers, et ce n'était pas du tout souhaitable. Par conséquent, beaucoup de gens pourraient invoquer ce motif pour ne pas s'engager sur cette voie.

M. Jules : Tout à fait.

La sénatrice Dyck : Que pourriez-vous dire à l'appui du modèle que vous proposez? Est-ce un modèle qui s'est avéré efficace ailleurs ou est-ce plutôt un modèle relativement nouveau, qui n'a pas fait ses preuves?

M. Jules : Clarence faisait référence à la Loi Dawes de 1887 qui a été adoptée aux États-Unis pour priver les tribus de leurs terres. Les gens estimaient que les tribus possédaient trop de terres, alors ils leur en ont enlevé une partie. La loi leur a dérobé des milliers d'acres. Certaines des terres avaient été données à des membres des tribus en fief simple. Cette situation n'a rien à voir avec les parcelles de terre qui appartiennent à des particuliers. Dans la plupart des cas que j'ai vus, les terres sont plus productives que celles des propriétés en fief simple.

Ce que je propose est bien différent; les gens peuvent choisir cette option et tous les intérêts sous-jacents restent ceux de la tribu ou de la bande, alors on ne peut pas leur enlever. Il faut également réfléchir à la position du gouvernement provincial, de sorte que toutes les terres demeurent toujours la propriété de la bande ou de la tribu. Les particuliers pourraient être propriétaires en fief simple. Ils pourraient vendre et acheter et faire des échanges sur le marché. Au fond, ce serait toujours nos terres parce que les titres et les intérêts nous appartiendraient. Nous aurions toujours compétence sur ces terres parce que, comme je l'ai recommandé, il est essentiel d'avoir des fonds pour les infrastructures. Ce ne sont pas les particuliers qui peuvent effectuer ces investissements, mais plutôt la communauté; on parle donc d'un intérêt collectif. Un intérêt collectif est l'idéal pour une communauté. Ce n'est peut-être pas ce qui convient le mieux à mon voisin, mais c'est ce qui est le mieux pour nous, et nous voulons pouvoir faire ce choix.

Ma proposition n'a rien à voir avec la situation des États-Unis. C'est quelque chose qu'on leur a imposé. Ce que je propose est une option; les gens sont libres de faire un choix. Selon moi, une fois que les gens auront compris de quoi il s'agit, les choses changeront du tout au tout, particulièrement dans le domaine du logement. Comme vous le savez, si nous dépendons du gouvernement fédéral pour le logement, nous serons toujours déficitaires. Si on croit le ministère des Affaires indiennes, il faudrait 200 ans pour se rattraper. Si on croit l'APN, ce serait plutôt 800 ans, ce qui veut dire que nous ne construirons jamais suffisamment de maisons pour nos membres. Cela doit être un de nos objectifs fondamentaux, non seulement ici, mais aussi partout au pays.

Vous me demandez où cela a réussi? Au Canada. C'est grâce aux droits de propriété individuels que notre pays est ce qu'il est aujourd'hui et que, en dehors des réserves, nous jouissons d'une telle qualité de vie. Ils nous ont permis de construire des villes, des écoles et des infrastructures qui dynamisent l'économie dont nous profitons tous aujourd'hui. Et c'est ce qui explique le déficit qu'on connaît dans les réserves.

En ce qui concerne les questions des ajouts aux réserves, sachez que l'Initiative de droits de propriété des Premières Nations faciliterait le processus parce qu'on n'aurait pas besoin de la bénédiction du ministère pour ajouter des terres. Lorsque le gouvernement fédéral ou le ministère des Affaires indiennes examine les ajouts aux réserves pour des logements, ils considèrent cela comme un élément de passif.

Si on construit une maison sur une réserve, on ne parle pas d'un investissement de 100 000 $, mais plutôt de plusieurs millions de dollars, étant donné qu'on a besoin d'eau, de routes, d'électricité et d'égouts. On doit pouvoir sensibiliser ces gens. Ce sont toutes des questions inhérentes, mais de notre point de vue — celui des Premières Nations —, lorsque je regarde une maison, je vois un abri. Je voudrais pouvoir transmettre cela à ma famille. J'aimerais pouvoir être plus indépendant et je ne devrais pas avoir à demander la permission pour cela.

Le président : Vous avez parlé des modifications à la LGFPN. Pas plus tard que la semaine dernière, nous avons recueilli le témoignage d'Ernie Daniels, et je ne sais pas si vous le connaissez, mais il disait qu'on envisageait des modifications pour tirer le meilleur parti de l'exploitation des ressources en participant à des projets de grande envergure dans le cadre d'accords de financement pluriannuels avec AADNC.

Il a indiqué qu'on chercherait à obtenir un consensus sur ces modifications au sein du ministère au cours des prochaines semaines. Pour mettre en œuvre votre proposition, c'est-à-dire une propriété optionnelle pour les Premières Nations, pourriez-vous dire au comité quels seraient les changements nécessaires? Mise à part une recommandation d'ordre général au ministère, avez-vous une idée claire de la façon de procéder?

M. Jules : Ce que nous proposons, à la Commission de la fiscalité, est assez simple. Nous aimerions avoir le pouvoir d'imposer des frais et des droits, que nous pourrions ensuite utiliser pour mettre en place des infrastructures. Nous souhaitons être en mesure de modifier les exigences, tout simplement. Ce sont des mesures administratives, mais la plus importante est de donner la possibilité à une communauté d'emprunter elle-même au lieu de faire un emprunt commun avec toutes les autres communautés. C'est très simple.

Notre proposition vise à percevoir des impôts sur l'exploitation des ressources. C'est l'élément le plus important. Comme je l'ai indiqué dans mon exposé, il y a pour plus de 600 milliards de dollars de projets de développement qui s'annoncent et qui ne pourront être menés qu'une fois que les Premières Nations auront été consultées. Pour l'instant, on nous offre des capitaux, des fonds de consultation et ce genre de choses. Je propose que les gouvernements provinciaux se penchent sur le partage des recettes de l'exploitation des ressources et, dans ma communauté — je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de prendre connaissance de notre partenariat avec New Gold —, cela représente 38 p. 100. Selon nous, le gouvernement provincial devrait céder cet espace fiscal aux Premières Nations. Ce que nous avons en ce moment ne nous permet pas d'obtenir un prêt à la banque.

Je suis quelqu'un de très terre-à-terre. Quand je pense au développement des économies — et on doit pouvoir examiner tous ces enjeux —, il s'agit d'une question fondamentale. Puis-je me présenter à la banque avec cela? Avec un accord de partage des recettes provenant des ressources, non, parce que le gouvernement provincial peut le changer. Toutefois, si on a le droit de percevoir des impôts, on peut s'adresser à la banque en disant : « Voici l'argent dont nous allons disposer au cours des 10 prochaines années. » Les Premières Nations regardent toutes les autres communautés situées le long des pipelines, les têtes de puits, les mines, et voient tous les impôts qui sont prélevés par les gouvernements provinciaux. Ces recettes profitent à tous les ordres de gouvernement sauf à nous. Par conséquent, les Premières Nations devraient pouvoir utiliser cette méthode pour obtenir des fonds.

Cela signifierait que notre approche doit changer considérablement, et que nous devons participer à l'union économique de notre pays. Voilà la direction que nous devons prendre, selon moi.

Si vous examinez cette idée en combinaison avec la notion du droit de propriété des Premières Nations, vous constaterez qu'elles vont de pair. Plus nos terres relèveront de nous, plutôt que du gouvernement fédéral, plus nous serons en mesure de prendre des décisions à l'échelle locale qui auront une incidence sur nos vies. Puis nous pourrons ajouter des terres, si le gouvernement provincial, nos voisins, les municipalités, les comtés et les gouvernements régionaux sont disposés à faire équipe avec nous.

Le président : Merci. Sénateur Moore, vous aviez une autre question à poser découlant de cette discussion?

Le sénateur Moore : Oui. Je vous remercie, monsieur Jules, de votre présence. C'est bon de vous revoir.

Dans le mémoire que vous nous avez adressé, vous avez mentionné à propos du Fonds pour les logements du marché destinés aux Premières Nations qu'il avait fallu quatre ans pour que la SCHL autorise une personne à entreprendre des travaux de construction sur son propre terrain. Je ne sais pas si vous avez participé à cette discussion, mais pourquoi a-t-il fallu quatre ans?

M. Jules : Je faisais allusion au projet de développement Sun Rivers à Kamloops. Ces terrains ont donc été désignés comme une zone résidentielle.

Le sénateur Moore : Dans la réserve.

M. Jules : Dans notre réserve, nous avons conclu un bail de 99 ans, et nous sommes autorisés à construire pendant 15 ans. Comme la Loi sur les Indiens n'exige pas la compétence habituellement requise pour des projets de ce genre, nous avons ajouté de nombreux projets de construction au bail principal. Une fois les travaux de construction commencés, les membres de la bande ont constaté la qualité des habitations construites, et ils ont déclaré qu'ils souhaitaient construire leurs maisons à cet endroit, qu'ils désiraient qu'elles soient identiques et qu'ils voulaient bénéficier de ce niveau de service.

Ils se sont présentés devant le conseil de bande, lequel a déclaré qu'il allait bien entendu les appuyer. Ils sont allés rencontrer des représentants de la SCHL qui leur ont dit qu'en raison de la Loi sur les Indiens et, en particulier, de l'article 89 de cette loi, ils n'étaient pas en mesure de saisir ces terres et que, par conséquent, ils ne pouvaient pas leur prêter cet argent. Ils ont admis que ce membre de la bande souhaitait entreprendre des travaux de construction sur ses propres terres, mais que la responsabilité potentielle les empêchait d'accorder ce prêt. Alors nous leur avons dit que, si des gens souhaitaient construire des bâtiments sur leur propre terrain, ils devraient être en mesure de le faire. Et les étapes requises pour faire modifier cette politique ont exigé quatre ans. Au départ, la SCHL ne voulait pas envisager cette possibilité. Heureusement, nous connaissons un membre du conseil d'administration qui a défendu notre cause. Malgré cela, il a fallu quatre ans pour que cette approche soit modifiée. Personnellement, je crois que l'approche tient compte de celle adoptée pour le logement fondé sur le marché parce que les politiques sont inhérentes à ce projet de construction, tout comme les problèmes de logement sont inhérents à la Loi sur les Indiens.

Le sénateur Moore : En ce qui a trait à la Loi sur les Indiens, vous venez de dire qu'ils hésitaient à accorder des prêts en raison de la responsabilité potentielle. Qu'est-ce que cette responsabilité potentielle?

M. Jules : Cela signifie que si nous prêtons à quelqu'un 250 000 $ pour la construction de sa maison et qu'il refuse de rembourser cet argent, nous ignorons comment nous allons récupérer cette somme. L'article 89 pourrait nous empêcher de saisir ce bien.

Le sénateur Moore : Dans l'éventualité d'un défaut de paiement de la part du membre des Premières Nations qui a construit l'habitation sur une terre de réserve.

M. Jules : C'est exact. Par conséquent, lorsqu'un tel problème survient, il faut que quelqu'un appuie ce prêt, que ce soit le conseil de bande ou le ministre.

Le sénateur Moore : Puis-je poser quelques questions concernant le projet de développement Sun Rivers?

Le président : Allez-y, mais faites vite.

Le sénateur Moore : Le promoteur a obtenu un bail de 99 ans, n'est-ce pas? C'est le promoteur qui paie les taxes, et non les propriétaires des habitations?

M. Jules : Non, le promoteur a conclu le bail principal, mais des sous-baux ont été contractés, et ce sont les personnes qui ont signé ces sous-baux qui paient les taxes. Si des aires communes existent, c'est le promoteur qui paie les taxes associées à ces aires.

Le sénateur Moore : Qu'adviendra-t-il de ces habitations à la fin des 99 ans? À qui appartiendront-elles?

M. Jules : À moins que la bande accepte de renouveler le bail pour 99 années supplémentaires, le bail échoira, et les terrains seront rendus à la bande.

Le sénateur Moore : Y compris les maisons érigées sur ces terrains?

M. Jules : C'est exact. J'étais chef à l'époque où le projet de construction domiciliaire Sun Rivers a été entrepris, et l'une de nos principales préoccupations était de construire des habitations qui survivraient plus de 99 ans. Par conséquent, il a fallu que nous mettions en place des codes du bâtiment adéquats. La plupart des collectivités autochtones du Canada n'ont pas adopté de codes du bâtiment. Par conséquent, ces codes sont appliqués de façon ponctuelle. C'est la raison pour laquelle la mesure législative doit être adoptée avant d'aller de l'avant. Nous avons intégré le respect des codes du bâtiment dans ce projet afin de nous assurer que les maisons seraient construites conformément à une excellente norme. Puis, comme je l'ai mentionné, le moment vient où les gens sont prêts à investir et, si vous souhaitez que ces investissements se poursuivent, vous devez prolonger le bail.

Le sénateur Moore : Merci.

Le sénateur Enverga : Bienvenue. Vous avez déjà répondu à ma question. J'ai manqué votre témoignage la dernière fois que nous sommes venus en Colombie-Britannique, mais j'ai goûté à votre saumon séché qui était vraiment délicieux. Je vous en remercie.

M. Jules : Bien.

Le sénateur Enverga : Pendant notre visite en Colombie-Britannique, quelques personnes ont essentiellement repoussé l'idée de la propriété privée. Quelle incidence cela aura-t-il sur vos propositions? Cela les entravera-t-il, ou vous amènera-t-il à repousser l'idée?

M. Jules : Comme je l'ai mentionné, les dispositions que je propose sont habilitantes. Le droit de propriété est optionnel et, par « optionnel », on entend que les gens ont le choix. Comme nous le savons tous, le temps que vous et le Parlement pouvez accorder à ces questions est compté et, habituellement, vous n'avez qu'une seule chance de faire adopter la mesure législative. Si vous proposiez une mesure législative précise, cela compromettrait le caractère optionnel de ces dispositions.

Les idées que je propose sont optionnelles. Par conséquent, les collectivités peuvent prendre une décision éclairée avant de les approuver et d'aller de l'avant. Si une collectivité choisit de ne pas mettre en œuvre ces dispositions, ce sera son droit. Au bout du compte, c'est comme l'idée de prélever des taxes. Au début, nous estimions que seulement sept collectivités décideraient de le faire. Nous avions tort, car 160 collectivités ont pris cette décision. Ce comportement est très révélateur.

La sénatrice Beyak : Vous avez répondu à mes questions en répondant au sénateur Moore. Toutefois, au cours de votre exposé, vous avez mentionné que l'adoption de la Loi sur la gestion financière des premières nations avait aidé, tout comme la Commission de la fiscalité des premières nations. Pour informer les gens à la maison, pourriez-vous nous fournir des renseignements supplémentaires sur la commission de la fiscalité?

M. Jules : Je mentionne toujours mon père lorsque je parle de la commission de la fiscalité. Il était chef dans les années 1960, et il nous a amenés à entreprendre nos propres projets de construction. Les taxes faisaient partie intégrante de cette initiative. En 1965, il a rencontré certains de nos locataires à des fins de déneigement. Nous nous sommes alors rendu compte que, pour assurer le déneigement et la construction des systèmes de traitement des eaux, nous avions besoin de prélever des taxes. Il nous a fallu 25 années pour y arriver. Tout d'abord, il a fallu que nous fassions modifier la Loi sur les Indiens afin d'être autorisés à assumer la responsabilité fiscale et à imposer d'autres parties.

Selon la Loi sur les Indiens, nous avons le droit d'imposer des taxes à nos membres, mais non de prélever des taxes sur les bâtiments érigés sur nos terres. La Commission consultative de la fiscalité indienne a donc été créée dans ce but. Ensuite, nous avons réalisé que nous devions être en mesure d'utiliser ces recettes fiscales pour établir des infrastructures. C'est à ce moment-là que la Loi sur la gestion financière des premières nations a été élaborée. Elle a été adoptée en 2005 et mise en œuvre en 2007.

Les Premières Nations ne voulaient pas que le ministre soit en mesure de faire cela. Nous souhaitions établir notre propre institution nationale qui nous aiderait à définir des normes, à résoudre des conflits, et c'est ainsi que la commission de la fiscalité a vu le jour.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup.

Le sénateur Wallace : Comme vous en êtes bien conscient, monsieur Jules, la Loi sur la gestion financière des premières nations indique que votre commission vise à favoriser la compréhension des systèmes d'imposition foncière des Premières Nations. Je me demande comment vous décririez la compréhension que les collectivités des Premières Nations ont des systèmes d'imposition foncière et des possibilités que cette imposition pourrait offrir.

M. Jules : Je personnifie essentiellement le fisc. Lorsque j'entre dans une pièce, les gens disent : « Oh, voici le percepteur. »

Le sénateur Wallace : Nous nous en sommes rendu compte.

M. Jules : Premièrement, c'est la vérité, que j'entre dans une pièce occupée par des chefs ou des particuliers. Lorsqu'on commence à parler d'imposition foncière, on pense bien sûr toujours à soi. Eh bien, quelle incidence cette imposition aura-t-elle sur moi? Ensuite, il faut renseigner les gens. Je commence par leur expliquer que, dans le passé, non seulement les membres des Premières Nations partageaient leurs biens, mais que le partage était une obligation communautaire. Voilà ce dont nous parlons dans ce cas en particulier. L'imposition foncière concerne le partage des revenus en vue que nous puissions tous jouir d'une meilleure qualité de vie. Le développement économique est impossible sans compétence fiscale et, si notre économie ne se développe pas, nous dépendrons toujours de quelqu'un d'autre. On ne peut pas dissocier l'imposition foncière de l'autonomie gouvernementale, des compétences et du bien- être.

Le sénateur Wallace : Le degré de compréhension générale des collectivités des Premières Nations se conforme-t-il au vôtre? Évidemment, elles ne comprennent peut-être pas les questions d'imposition aussi en profondeur que vous, mais partez-vous de zéro en ce moment?

M. Jules : Comme je l'ai indiqué, lorsque j'ai commencé à aborder ce sujet, nous pensions que seules quelques collectivités de la Colombie-Britannique décideraient d'aller de l'avant et, maintenant, plus de 160 collectivités se manifestent. Toutefois, un nombre considérable de collectivités devront se manifester avant que la grande majorité des collectivités des Premières Nations souscrivent à ce concept. Ceux qui s'opposent à l'imposition foncière le font pour des raisons philosophiques.

Lorsqu'il y a 40 ans, j'ai commencé à travailler à titre de membre du conseil, j'allais voir mon père, et je lui disais : « Père, nous disons la même chose. Alors, pourquoi ne pouvons-nous pas nous entendre? » Il répondait : « Fils, c'est une question de philosophie. » Le plus gros obstacle que je dois surmonter est cette philosophie selon laquelle nous ne devons pas prendre des mesures qui vont à l'encontre de la conception de nos traditions de certains de nos membres. Pour de nombreuses personnes qui sont liées entre elles, l'idée de l'imposition foncière les amène à penser qu'elle les touchera tôt ou tard et que c'est une pente glissante. Même si l'on parle d'imposer des taxes aux sociétés, cela aura tôt ou tard une incidence sur ces personnes.

Je le répète, c'est une question de droit de propriété privée. On ne peut pas imposer des taxes à quelqu'un qui ne possède pas son propre terrain. Par conséquent, dans tous les cas, les collectivités n'imposent pas de taxes à leurs membres, parce qu'elles ont conscience que leurs droits de propriété ne sont pas du même genre que ceux qui existent ailleurs

C'est en grande partie une question d'éducation. Les gens doivent voir comment les choses se passent parce que nous sommes les héritiers d'une tradition orale. De nombreuses personnes visitent Kamloops. Elles jettent un coup d'œil aux alentours et se disent que ce n'est pas si effrayant et qu'elles envisageront peut-être de faire de même. C'est une question de bouche-à-oreille. Nous visitons les collectivités, et ce, à plusieurs reprises. Nous ne nous contentons pas de les visiter une seule fois; nous devons y retourner à de nombreuses reprises. Et les membres des bandes ne sont pas les seuls à être touchés par ces mesures; elles ont des répercussions sur les résidents et les citoyens corporatifs des collectivités, sur les gouvernements locaux et, en fait, sur le gouvernement provincial. Il faut éduquer tous les groupes avec lesquels nous dialoguons.

En fin de compte, on doit faire preuve de transparence et de responsabilité. C'est la raison pour laquelle j'ai parlé de la Gazette des Premières Nations la dernière fois que nous nous sommes rencontrés. Il est crucial que les gens sachent ce qui va se passer parce que, si vous les prenez par surprise, ils vont bien entendu réagir.

La sénatrice Raine : Il est toujours très instructif de vous écouter, monsieur le président de la commission. Je pense que la plupart des Canadiens n'ont jamais vraiment réfléchi aux conséquences liées au fait de ne pas posséder ses terres et de ne pas être en mesure d'établir des régimes comme les systèmes d'imposition foncière pour financer les services qu'on souhaite offrir à sa collectivité.

Dans votre déclaration préliminaire, vous avez mentionné qu'il y avait des lacunes en matière de planification et de capacité. Lorsque j'examine la situation de nombreuses Premières Nations, je constate qu'on peut dire assez facilement qu'elles ne disposent pas vraiment d'un plan pour aménager leur territoire de manière optimale sur lequel tous leurs membres se sont entendus. L'aménagement a en quelque sorte évolué par lui-même.

Je ne sais pas si c'est le cas dans le reste du pays, mais les Premières Nations de la Colombie-Britannique disposent de certificats de possession qu'elles ont obtenus je ne sais trop comment. Je n'ai jamais réussi à comprendre comment cela avait commencé et comment cela fonctionne. Pourriez-vous nous expliquer brièvement l'origine des certificats de possession et l'incidence qu'ils ont sur les droits de propriété que vous avez l'intention d'accorder? Les titulaires de ces certificats obtiendront-ils automatiquement des droits de propriété? Est-ce équitable envers les membres des Premières Nations qui ne disposent pas de ces certificats?

M. Jules : L'histoire abrégée de ces certificats est vraiment un peu plus longue que la courte période de leur existence. Le Haut et le Bas-Canada sont bien entendu à l'origine de la Loi sur les Indiens. Vers 1836, il a été décidé que les Indiens n'obtiendraient jamais les titres fonciers associés à leurs terres, que ces titres appartiendraient toujours à Sa Majesté.

Cette notion a été intégrée dans la Loi sur les Indiens à l'époque où elle a été élaborée en 1876. Donc, il est inscrit qu'« une réserve indienne signifie une parcelle de terre réservée à l'usage et au profit d'une bande d'Indiens ». Dans cette définition, il est clair que la terre appartient au gouvernement fédéral, mais qu'elle est mise de côté à l'usage et au profit des Indiens, ce qui veut dire que nous pouvons l'utiliser tant que c'est à notre avantage.

Ensuite, la propriété individuelle s'est développée, mais, à mon avis, dans les temps anciens, nous détenions toujours des droits de propriété privée. Si vous aviez tenté de pénétrer dans ma maison à cette époque, vous auriez immédiatement découvert à qui elle appartenait et constaté qu'elle n'était pas à vous.

Au fil du temps, plusieurs changements sont survenus. Je dirais qu'il y a eu des détenteurs de coupons rouges, puis des détenteurs de billets de location, et cetera. Ensuite, dans les années 1950, un programme a été mis en œuvre afin que des plans de développement communautaire soient élaborés. Dans ma collectivité, le processus a commencé en 1956, et c'est à ce moment-là que les certificats de possession ont été délivrés — la Loi sur les Indiens a été modifiée. Il était possible d'obtenir un certificat de possession à condition d'élaborer un plan de développement communautaire détaillé et d'autoriser les particuliers à devenir propriétaire.

Notre collectivité s'est employée à élaborer ce plan de 1956 à 1958. Après 1958, nous avons approuvé le plan communautaire, et des certificats de possession ont été attribués. Ces certificats nous permettent encore d'utiliser ces terres et de profiter d'elles, mais elles ne nous appartiennent pas, ce qui signifie qu'en pratique, nous ne pouvons pas présenter ces certificats aux banques.

Une fois renforcé par des droits de propriété privée, le titre sous-jacent serait toujours dévolu. Dans mon cas, la Bande indienne de Kamloops serait en mesure de reconnaître ceux qui possèdent déjà des certificats de possession comme des titulaires de fief simple.

Nous avons déjà discuté de la façon dont les personnes qui ne détiennent pas de certificats de possession pourraient bénéficier de droits de propriété privée. Pour ce faire, il faudrait offrir plus de terrains. Ainsi, nous aurions accès à des recettes supplémentaires et nous pourrions construire des infrastructures sur ces terrains, agrandir notre réseau routier, développer notre réseau d'assainissement, fournir de l'hydroélectricité et prendre d'autres mesures de ce genre. Nos membres pourraient ainsi élaborer des plans pour s'assurer un avenir meilleur.

D'après le nombre de certificats de possession à l'échelle nationale, sachant qu'il y a des réserves autochtones à la grandeur du pays, on parle de 55 000 personnes. On pourrait ainsi accroître l'accès au marché financier pour 55 000 personnes. C'est 55 000 familles. Je ne sais pas combien de personnes compte une famille nucléaire moyenne, mais cela fait beaucoup.

Quand on parle de planification, cela signifie que les collectivités doivent être en mesure de planifier leur avenir. En ce moment, on procède souvent de manière organique, comme vous le dites. C'est ainsi parce que les choses ont commencé de cette façon. Souvent, ce n'est pas la manière optimale de procéder.

Je propose de tirer le plein potentiel des terres. Cela signifie de les utiliser à bon escient et de la façon la plus rentable possible.

La sénatrice Raine : Une question de zonage.

M. Jules : Ce sont toutes des exigences gouvernementales. Il faut trouver l'équilibre entre les responsabilités du gouvernement et les responsabilités des particuliers. C'est en mariant les deux qu'on a de l'influence sur le plan économique.

Le président : Vous nous avez dit en commençant que selon la Loi sur les Indiens, la Couronne détenait toujours les titres fonciers. Cela nous amène à vos propositions d'aujourd'hui, qui prévoient entre autres de maintenir la notion de propriété privée des Premières Nations, ce qui signifie que les titres vont appartenir non pas à la Couronne, mais à la bande.

M. Jules : Oui.

Le président : Au risque de paraître simpliste, est-ce que la bande remplace la Couronne comme titulaire du titre? Et est-ce que cela donne aux détracteurs de cette approche l'assurance qu'à l'instar de la Couronne, la bande va conserver les titres fonciers même si les terres changent de propriétaires hors réserve?

M. Jules : Si on oublie un moment la constitutionnalité de la dévolution des terres, c'est la notion, oui. C'est semblable au principe de la Couronne du chef des Premières Nations, la Couronne du chef des gouvernements provinciaux, ou la Couronne du chef du gouvernement fédéral. D'ici à ce qu'on modifie la Constitution, nous sommes coincés avec les articles 91 et 92. Il ne faut toutefois pas oublier l'article 35, dont s'est prévalue la Première Nation Tsilhqot'in. Je me suis posé deux questions à la lumière de l'arrêt Tsilhqot'in.

Soit dit en passant, la Première Nation Tsilhqot'in a obtenu le titre autochtone pour ces terres, mais le territoire couvert est encore plus petit que la réserve Yakama, que la réserve Colville, et que bien d'autres réserves des États- Unis, et il est assujetti aux lois d'application générale, ce qui veut dire que les lois provinciales s'appliquent toujours. Deux questions me sont venues en tête immédiatement. Premièrement, est-ce qu'elle a revendiqué les terres des Shuswap? Heureusement, non.

Deuxièmement, peut-elle vraiment compter sur ce titre autochtone? Je reviens encore à cette question. Selon mon analyse, elle ne peut pas, parce qu'elle a beau en être titulaire, le territoire est toujours assujetti aux lois d'application générale. Elle doit faire reconnaître ce titre quelque part. Il y a des chevauchements avec les lois et les terres provinciales, alors il faut lui donner un peu plus de certitude.

Je pense que le concept que je propose pour les droits de propriété des Premières Nations conviendrait à cette situation précise également. Le principe de la Couronne du chef du titre autochtone prévu à l'article 35 pourrait s'appliquer, si c'est ce que vous voulez. Mais je pense que pour plus de certitude, il faut avoir le concours du gouvernement fédéral en raison des paragraphes 91(2) et (4), sur les pouvoirs conférés par la Constitution canadienne. Et dans bien des cas, il faudra également traiter avec les gouvernements provinciaux, parce que les nations voudront ajouter des terres provinciales à leur assise territoriale, et il faut une prise en charge en bonne et due forme de ces droits fonciers.

La sénatrice Raine : C'est très intéressant de vous entendre parler de la décision Tsilhqot'in, rendue récemment. Selon votre analyse, est-ce qu'ils pourraient toujours assurer la taxation du développement des ressources sur leurs terres traditionnelles?

M. Jules : Dans mes discussions avec les ministres provinciaux, un des premiers amendements législatifs prévus par le gouvernement de la Colombie-Britannique consistait à modifier la Loi sur les forêts pour permettre une compétence commune sur les terres en question.

Pour que la nation Tsilhqot'in puisse occuper les terres de manière absolue, il doit y avoir une dissolution ordonnée des compétences provinciales. Elles devraient être remplacées par les lois inhérentes de la nation, mais à mon avis, il faudrait que tout soit codifié. Il faut que les gens puissent d'emblée lire et consulter ces lois, et celles-ci doivent être promulguées comme le sont toutes les lois du pays.

Le président : Monsieur Jules, merci beaucoup de nous avoir donné matière à réflexion avec votre exposé. Ce fut une très bonne discussion.

M. Jules : Une dernière chose : mes meilleurs vœux pour la nouvelle année.

Le président : Le prochain témoin se joint à nous par vidéoconférence. Il s'agit de Kevin McLeod, directeur du Secrétariat au logement et au développement économique et communautaire, de la Federation of Saskatchewan Indian Nations.

Merci beaucoup d'être des nôtres ce matin, monsieur McLeod. Souhaitons que cela compensera pour la fois où vous avez parcouru tout ce chemin pour être avec nous, car nous avions dû couper court à la séance. Il est parfois difficile de gérer notre charge de travail en fonction du temps qui nous est alloué.

Je suis très heureux que vous puissiez vous joindre à nous encore une fois ce matin. Nous avons hâte d'entendre votre présentation. Comme vous le savez, elle sera suivie des questions des sénateurs. Nous vous écoutons.

Kevin McLeod, directeur, Secrétariat au logement et au développement économique et communautaire, Federation of Saskatchewan Indian Nations : Merci, monsieur le président. Merci de me donner l'occasion de m'adresser à vous de nouveau. Je sais qu'il en avait été question quand j'ai témoigné il y a quelques semaines, mais je ne m'attendais pas à ce que ce soit aussi rapide, honnêtement. Je sais comment cela fonctionne. Je suis heureux de pouvoir me joindre à vous par téléconférence également. Cela facilite un peu les choses.

Mes objectifs sont les mêmes que lorsque j'étais à Ottawa il n'y a pas si longtemps. L'idée était de présenter la solution la plus simple qui, selon mon opinion et mon expérience, aurait la plus grande incidence pour le secteur de l'habitation des Premières Nations, tant sur le plan collectif qu'individuel. Dans mon exposé d'aujourd'hui, j'aimerais réitérer certains de ces points et peut-être en aborder quelques-uns plus en détail, si vous me le permettez.

En général, parce que tout le dossier du logement repose en quelque sorte sur mes épaules à la FSIN, je suis un peu limité dans le genre de projet que je peux entreprendre. Je me concentre donc surtout sur l'autodétermination et le contrôle éventuel par les Premières Nations de la prestation et de l'administration du financement et des programmes.

À cette fin, les trois principaux projets auxquels je travaille sont l'établissement d'un fournisseur provincial de services techniques, semblable à l'Ontario First Nations Technical Services Cooperation et au TSAG, en Alberta. Je travaille également, en collaboration avec un des conseils de bande, à la création d'une régie du logement pour neuf des Premières Nations.

Comme je l'indiquais à ma dernière comparution, il s'agit d'une initiative lancée par Ken Jacobs, en Ontario, en lien précisément avec la gouvernance et l'administration des programmes de logement.

Je pense que les gens se montrent à la hauteur des possibilités qu'on leur offre : pas nécessairement à la hauteur de la situation, mais certainement à la hauteur des possibilités. À l'heure actuelle, peu de possibilités sont offertes aux Premières Nations, en Saskatchewan et dans les Prairies, en ce qui a trait à l'habitation. Les fonds manquent, carrément. Nous avons beaucoup de jeunes. Bien des gens sont attirés par les métiers de la construction, mais il n'y a pas d'argent à faire. Il est très difficile de gagner sa vie dans le secteur de l'habitation. La plupart des bandes comptent entre 800 et 1 500 membres sur les réserves, et il est même difficile d'embaucher quelqu'un à temps plein pour faire l'administration du logement. Généralement, c'est une tâche qui revient au conseiller du portefeuille. Il est donc difficile de susciter un intérêt marqué chez les gens.

La SCHL met l'accent sur la conformité. Encore là, il est difficile d'être très enthousiaste à l'idée d'assurer la prestation du programme de quelqu'un d'autre. La réglementation qui va de pair avec ce programme ne cadre pas vraiment avec les valeurs de la collectivité. Il n'est pas évident de trouver des candidats prêts à prendre les choses en charge et à faire valoir les meilleurs intérêts de la collectivité si la perception est que le programme ne vient pas de la collectivité et qu'il n'est pas conçu pour elle.

Vient ensuite l'autre volet des programmes de logement en place, c'est-à-dire les contributions en capital des Affaires autochtones. Les collectivités sont quelque peu laissées pour compte là aussi.

La formule prévoit généralement environ 400 000 $ par tranche de 1 000 membres sur la réserve, une fois les assurances et les frais de protection-incendie payés. Si la collectivité juge qu'elle en a les moyens, elle embauche un administrateur. Au bout du compte, il reste assez d'argent pour entreprendre deux ou trois projets de rénovation. Sinon, les fonds sont habituellement affectés à des réparations d'urgence, vu l'âge de certaines résidences.

En Saskatchewan, il y a ce qu'on appelle les résidences du MAINC ou de la bande, et les plus vieilles ont été construites en 1986. En ce moment, on ne dispose d'aucun financement pour réparer ces maisons. Cela crée des inégalités entre les résidents sur la réserve. Les personnes qui habitent dans les résidences de la bande ont généralement un emploi, mais il leur est impossible d'en devenir propriétaire. Les demandes de rénovation se retrouvent habituellement au bas de la liste. Souvent, ce sont des aînés ou des personnes âgées bénéficiaires de l'aide sociale qui vivent dans les résidences du MAINC. La plupart des bandes admissibles en vertu de l'article 95 vont attribuer ces logements aux bénéficiaires de l'aide sociale. Les locataires des résidences prévues par l'article 95 ne paient généralement pas de loyer, parce que leurs collègues de travail qui habitent dans les résidences de la bande n'ont pas à en payer.

Cela remonte à la politique du logement de 1996. Quand elle a été adoptée, une disposition prévoyait le versement d'une allocation au logement. Quand une Première Nation adopte un régime de loyer, on a droit à des versions contradictoires. Au moment de l'adoption de la politique, certaines Premières Nations de la Saskatchewan étaient intéressées, d'autres pas. Mais quand est venu le temps de la mettre en œuvre, on aurait dit aux Premières Nations qu'il n'y avait pas de financement offert pour couvrir la portion loyer de l'allocation au logement versée aux bénéficiaires de l'aide sociale habitant dans les résidences de la bande. Depuis, les années s'accumulent, et cela nous a amenés où nous en sommes aujourd'hui.

Et les choses ne feront qu'empirer avec le temps, car il y a aussi les résidences prévues à l'article 95. De moins en moins des premières phases qui ont été inaugurées au début des années 1980 sont subventionnées. Les subventions arrivent à échéance. D'après les données nationales, on a un ratio de 4 pour 1, c'est-à-dire qu'environ quatre unités cessent d'être subventionnées pour chaque nouvel engagement. Avec les unités admissibles au programme d'allocation au logement en ce moment, cela ne va pas faire augmenter les versements d'aide sociale si on garde le statu quo. Généralement, la portion subventionnée prévue à l'article 95 s'applique aux emprunts, alors les deux s'annulent, en quelque sorte. Les Premières Nations vont se retrouver en charge de résidences qui ne seront plus subventionnées et pour lesquelles elles ne peuvent pas percevoir de loyer.

Comme on l'indique dans mes notes bibliographiques, j'ai fait mes premiers pas dans le secteur du logement en élaborant un programme d'accès à la propriété dans ma collectivité. J'ai vu les avantages que cela comporte, et je crois qu'il est bénéfique pour les collectivités que les particuliers aient la possibilité de devenir propriétaires. Ce n'est pas pour tout le monde et cela ne va pas régler tous les problèmes. Dans certaines collectivités, peut-être que seuls 25 ou 30 p. 100 de la population vont en profiter, contrairement à ce qu'on voit dans quelques collectivités mohawks, où on frôle les 85 p. 100, ou encore dans d'autres collectivités de la Colombie-Britannique, où les chiffres sont semblables. Le fait est que cela donne un but à atteindre. Encore une fois, il s'agit de se montrer à la hauteur des possibilités qu'on nous offre.

À La Ronge, là où j'habite, c'est lorsque les gens ont compris qu'ils avaient la possibilité d'être propriétaires qu'ils ont adopté une mentalité différente. Voici une anecdote que j'aime raconter. Quand la première propriété privée a été construite à La Ronge, les travailleurs sont arrivés un matin et ils ont senti une odeur d'essence à l'intérieur. Les voisins sont venus leur dire que les enfants s'étaient amusés dans la maison, mais qu'ils n'avaient pas trouvé d'allumette pour allumer le brasier. Quelqu'un d'autre est venu insulter les travailleurs, leur disant qu'ils devaient arrêter de s'enfler la tête parce qu'ils construisaient un « château » sur la réserve. Le premier voisin lui a cloué le bec en lui disant : « Tu pourrais faire la même chose si tu voulais. » Cela a fonctionné. Ce fut l'étincelle qu'il lui fallait pour comprendre que c'est maintenant une possibilité. Vivre sur la réserve n'implique pas de vivre d'une certaine façon. C'est un peu l'impression qu'ont les gens compte tenu de la situation actuelle. Pour moi, les allocations au logement est un moyen pour les gens et les collectivités de prendre leurs programmes de logement en charge et d'offrir des solutions permettant à ceux qui ne souhaitent pas payer un loyer de devenir propriétaires.

Selon mes calculs, on arrive à environ 350 $ par mois. C'est la contribution minimum d'après l'article 95, et c'est ce que le ministère des Affaires autochtones verse en ce moment à titre d'allocation au logement pour les résidences de l'article 95. Si on compare ce montant aux 50 $ en frais de loyer mensuels, à peu près, et aux 100 $ d'assurance par mois, on voit tout de suite qu'il est plus économique d'être propriétaire que locataire d'une résidence de la bande. À La Ronge, près de 70 p. 100 des transactions liées à l'accès à la propriété sont des transferts de résidences de la bande à des particuliers. D'un seul coup de crayon, la bande se défait d'une résidence non subventionnée et pour laquelle elle ne peut avoir de revenus pour en assurer l'entretien. Il suffit de préparer un bail foncier et de fournir des preuves d'assurance. C'est tout. Les nouveaux propriétaires peuvent aller à la banque avec une garantie de la bande et rénover la maison à leur goût, sans se limiter aux réparations nécessaires pour être conforme au code de santé et sécurité, comme c'est le cas avec le Programme d'aide à la remise en état des logements de la SCHL.

Le problème avec l'allocation au logement, c'est qu'il y a une certaine résistance face à la notion de loyer universel. Il y a différentes raisons derrière cette résistance, mais je crois honnêtement que c'est parce que les gens ne se sont pas vraiment demandé qui allait être touché par cette mesure. Il y a deux types de résidences sur la réserve. Il y a les résidences de la bande et celles de l'article 95. Les occupants des résidences de l'article 95, les personnes sur l'aide sociale, ne seraient pas du tout touchés par la mesure du loyer universel. Leur allocation au logement est déjà assurée. Les travailleurs savent déjà qu'il faut payer un loyer pour habiter dans les résidences de l'article 95. Si les travailleurs occupant les résidences de la bande sont tenus de payer un loyer, l'excuse selon laquelle il y aura toujours une minorité qui refusera de verser un loyer dans les résidences de l'article 95 n'est plus valable. Il est souvent difficile pour les Premières Nations de mettre cette exigence en application, parce que c'est injuste si les occupants des résidences de la bande ne sont pas tenus de le faire.

Si on applique un loyer universel, les travailleurs des résidences de la bande vont pour la plupart choisir de devenir propriétaires, parce que c'est moins cher. Cela donnerait un énorme coup de pouce à l'accès à la propriété. Les bénéficiaires de l'aide sociale ne seraient pas touchés par l'application d'un loyer universel, mais cela permettrait à la bande d'avoir les ressources nécessaires pour rénover les résidences.

Comme cela a été dit la dernière fois, une minorité de gens pourraient en subir les contrecoups, et ce sont les travailleurs à faible revenu des résidences de la bande. Je ne veux pas minimiser les répercussions d'une telle mesure, mais si c'est plus économique d'être propriétaire que locataire, j'estime que cela demeure une option viable pour la grande majorité des gens.

Donc, où en est-on? On ne parle pas d'argent pour construire des maisons. Nous l'avons vu dans l'évaluation de l'allocation-logement destinée au logement dans les réserves. Il s'agit d'un rapport d'AADNC présenté en août 2011. Ce n'est pas une question d'avoir des fonds pour construire des logements, mais plutôt pour rénover et entretenir les logements existants. Comme je l'ai indiqué, nous estimons qu'il manque environ 11 000 unités en Saskatchewan. Actuellement, nous en sommes à une double occupation, au moins, comparativement à une moyenne provinciale d'environ 2,5 en Saskatchewan. Par rapport aux nouvelles unités, les besoins sont énormes. Les prêts au logement visés par l'article 95 sont loin de satisfaire à ces besoins. Seulement 25 p. 100 ou même seulement 20 p. 100 des bandes sont admissibles au financement de nouveaux logements et reçoivent une confirmation. En moyenne, il se construit environ 100 logements par année en Saskatchewan. C'est ainsi depuis sept ans. Par conséquent, beaucoup de bandes accusent un retard de plus en plus grand en matière de logement.

Toutefois, je pense que nous devrons commencer à tenir compte de la qualité de vie. Il sera très difficile d'ignorer la réalité démographique en Saskatchewan et dans les Prairies en général. Nous devons penser au résultat ultime. À quoi rime le sous-financement chronique de programmes essentiels, de programmes clés comme le logement? Il est très difficile d'améliorer sa vie lorsque l'on tente simplement de survivre. Lorsque 10 personnes habitent dans un logement conçu pour quatre personnes, cela entraîne un manque d'intimité et une dégradation accrue du logement. Ce n'est pas que les maisons sont mal construites; c'est qu'elles sont conçues pour trois ou quatre personnes et non 10 à 12 ou 8 à 12 personnes, ce qui n'est pas rare. Dans de telles circonstances, une maison n'a pas une durée de vie aussi longue, qu'elle soit construite ou non selon le code du bâtiment.

L'important est d'examiner la question d'un point de vue global. Le financement de la partie de l'allocation- logement visant le loyer représente certes un coût supplémentaire pour le programme de l'allocation-logement. En Saskatchewan, pour que ce soit clair, la facture d'électricité et les factures des services publics sont déjà couvertes, mais la partie visant le loyer ne l'est pas. Il s'agit d'un coût supplémentaire, mais il faut encore une fois examiner la question dans le contexte des dépenses des autres programmes pour régler les problèmes associés aux logements de piètre qualité et au surpeuplement. Pour moi, c'est une question très simple qu'il convient de poser, étant donné que tous ces ministères font partie d'un même gouvernement. Il y a Santé Canada, la SCHL et le ministère des Affaires autochtones. Toutes ces entités jouent un rôle par rapport aux logements dans les réserves, mais les programmes ne sont pas intégrés et fonctionnent essentiellement en silos

Même s'il existe au sein de l'APN des comités de liaison et ce genre de choses, cela ne change rien au fait qu'il n'y a pas vraiment beaucoup de collaboration ou de transparence, je dirais, pour ce qui est de la participation à la conception des programmes. Je ne sais pas; cela ressemble à l'histoire de l'éléphant, où cinq aveugles touchent une partie de l'éléphant, mais aucun d'entre eux n'arrive à avoir une idée précise de l'ensemble. C'est à cela que je compare la situation du logement dans les réserves actuellement.

Nous faisons valoir notre point de vue sur des tribunes comme celle-ci, ce qui est bien, mais le processus s'interrompt à un certain niveau, et nous recevons alors la nouvelle version d'une expérience en matière de politiques ou de programmes, selon ce qui semble convenir sur le moment.

Cela peut sembler négatif, mais les changements que l'on voit semblent correspondre davantage aux besoins du gouvernement plutôt qu'à une réelle préoccupation à l'égard des résultats pour les prestataires, pour les gens sur le terrain. Je dirais que cette pression démographique a déjà un effet sur le taux d'incarcération des jeunes Autochtones, le nombre de femmes autochtones disparues et assassinées, et les taux de consommation de drogues et de suicide, notamment.

Si la tendance se maintient, avec une moyenne d'âge de 20 ans, les Premières Nations représenteront probablement 30 p. 100 de la population de la province d'ici 10 ou 15 ans. Quelle sera notre situation, en fin de compte? Ce sont des questions clés, des questions vraiment essentielles. Je suis conscient que je suis partial, étant donné que j'œuvre dans le secteur du logement, et cela semble être corroboré par les initiatives hors réserve comme l'initiative Priorité au logement, qui est liée à l'itinérance, et par le fait qu'il a été reconnu que les gens auront de la difficulté à améliorer les autres aspects de leur vie à moins que l'on ne s'attaque d'abord à la question du logement.

Pour revenir au début, en mon sens, la partie de l'allocation-logement visant le loyer aurait des effets considérables qui dépasseraient le cadre des membres de la bande, des programmes de logement des Premières Nations. Cela aurait un effet important et permettrait d'améliorer la vie des gens, car ils habiteraient un logement de meilleure qualité. Actuellement, cela fait partie des politiques; le problème, c'est qu'aucun financement n'y est accordé. Dans les provinces des Prairies, cet aspect de la politique n'est pas financé.

La dernière partie, c'est que le financement visant à faciliter de ces mesures est disponible, à mon avis, dans le cadre du Fonds d'aide au logement du marché pour les Premières Nations. J'estime que le gouvernement a un rôle à jouer par rapport à la promotion de l'accession à la propriété dans les réserves. Nous ne sommes pas aussi avancés que certaines bandes de la Colombie-Britannique auxquelles M. Jules a fait allusion. Nous n'en sommes pas là. En Saskatchewan, une Première Nation a mis en place une taxe de vente dans la réserve, mais il s'agit d'une bande qui n'est pas visée par un traité et qui est à proximité d'un centre urbain. Avant même de se préoccuper de cette question, la plupart des Premières Nations devront régler des problèmes beaucoup plus importants.

Le Fonds d'aide au logement du marché pour les Premières Nations ne fonctionne tout simplement pas. Pour être honnête, j'y ai travaillé de 2008 à 2010, après son lancement. Il est rapidement apparu évident que les avantages anticipés du fonds de bonification du crédit étaient en quelque sorte fondés sur une croyance selon laquelle les prêteurs appliqueraient des taux d'intérêt plus faibles ou assumeraient une plus grande part du risque. Cela ne s'est pas matérialisé. Cela s'est peut-être produit dans certaines collectivités, mais en général, les collectivités des Prairies n'ont pas observé cet effet.

Où sont les besoins les plus urgents? À ce moment-ci, même si cela peut sembler paradoxal, je dirais que pour favoriser réellement l'accession à la propriété, il faut envisager d'accroître le budget de l'aide sociale. Cela aurait un effet immédiat sur l'accession à la propriété.

J'ai également indiqué qu'on prévoit qu'en Saskatchewan, le budget nécessaire pour la partie de l'allocation- logement visant le loyer s'élèverait à 17 millions de dollars. Cela ne se fera pas du jour au lendemain. Certains participeront d'emblée, tandis que d'autres tarderont à le faire. Je dirais qu'un montant de 300 millions suffirait amplement à mener un projet pilote à cet égard dans les provinces des Prairies et dans d'autres régions qui n'ont pas entièrement mis en œuvre de telles mesures.

Nous verrons où cela mènera. Quelle est la solution de rechange? Nous voyons où vont les choses : rien ne semble vouloir changer.

Le président : Monsieur McLeod, pourriez-vous conclure, pour que nous ayons le temps de poser des questions, s'il vous plaît?

M. McLeod : Certainement. J'aimerais soulever un autre point : le logement est une entreprise commerciale.

L'un des aspects que l'on a cernés dans le rapport d'évaluation sur le logement, c'est que les fonds de l'allocation- logement servent à la rénovation, aux frais liés aux matériaux et à la main-d'œuvre. Pour les jeunes et les bandes qui veulent adopter un modèle de rémunération à l'acte, cela représente une occasion de développement économique. Actuellement, le logement est une entreprise commerciale. Il y a eu un mouvement visant à l'étendre à l'échelle nationale, mais c'est seulement en Ontario — et peut-être en Alberta — que l'on a emboîté le pas, je crois. Comme je l'ai indiqué, 14 bandes souhaitaient aller de l'avant il y a deux ou trois ans. En soi, le modèle qui consiste à aborder le logement comme une entreprise commerciale est lié aux fonds de prêts renouvelables. Ce sont de bonnes choses, mais ce modèle est d'abord lié à l'administration, la gouvernance, la mise en œuvre de politiques et l'adoption de choses comme des régimes d'allocation-logement pour garantir un revenu sur lequel les bandes pourront compter à l'avenir.

Ce sont des éléments connexes. Je suis tout à fait d'avis que l'approche qui consiste à considérer le logement comme une entreprise commerciale doit être adoptée à l'échelle nationale de façon à accroître l'autonomie des Premières Nations par rapport aux programmes de logement.

En résumé, l'objectif c'est l'autonomie. Nous aimerions avoir de véritables discussions à l'avenir pour connaître les attentes en ce qui a trait aux résultats des programmes. Nous savons que le financement du développement social, y compris l'allocation-logement, fera l'objet d'un examen à l'échelle nationale et que selon l'APN, le ministère des Affaires autochtones n'a pas clairement indiqué ses intentions à cet égard. Ce qui me préoccupe, c'est que plutôt que d'aborder les points faibles — les Prairies sont certes dans cette catégorie sur le plan du sous-financement de la partie visant le loyer —, on tentera de miner les points forts et de trouver un dénominateur commun plus faible qui s'appliquerait à tous en resserrant les politiques et les programmes.

Je trouve qu'il serait dommage que les Premières Nations des Prairies, de la Saskatchewan, soient privées de l'occasion de tirer avantage de ce programme — comme l'ont fait celles des autres provinces depuis 1996 — et de cette nouvelle politique.

Le président : Merci, monsieur McLeod. Vous nous avez présenté le problème sous un angle nouveau; je vous en remercie. La vice-présidente, la sénatrice Dyck, posera la première question.

La sénatrice Dyck : Merci, monsieur le président. Monsieur McLeod, merci de votre exposé. Vous avez couvert beaucoup d'aspects en peu de temps.

Vous avez indiqué que l'on commence à aborder le logement comme une entreprise commerciale et que cela a des avantages. Vous avez aussi indiqué être originaire de La Ronge, qui est probablement l'une des collectivités de la Saskatchewan que l'on pourrait citer en exemple quant aux pratiques exemplaires visant à accroître le nombre de logements privés à 70 p. 100, si j'ai bien compris.

Le modèle adopté à La Ronge a-t-il permis à la bande d'avoir accès à du capital supplémentaire pour la construction d'infrastructures? Cela a-t-il permis à la bande de mener d'autres projets plutôt que de se concentrer uniquement sur la construction résidentielle?

M. McLeod : Pas dans le secteur des infrastructures, qui relève toujours du ministère des Affaires autochtones, par l'intermédiaire du budget d'immobilisations. Actuellement, à La Ronge, les besoins sont considérables, en fait. Il est curieux que vous souleviez la question. Il existe des plans d'arpentage pour la création de nouveaux lotissements, mais en raison des contraintes relatives au budget d'immobilisations, ce projet de nouveaux lotissements est mis en veilleuse pour le moment.

L'établissement de partenariats avec des prêteurs nous ouvre d'autres voies de financement. Les membres ont accès à un financement privé, sous forme de prêts, pour la construction domiciliaire, ce qui a certes été utile. En deux saisons de construction, 1 million de dollars de plus ont été injectés dans la collectivité, sous forme de prêts. Le ministère des Affaires autochtones nous a fourni des capitaux d'amorçage pour le lancement d'un fonds de prêts renouvelable. En toute franchise, cela fonctionne encore très bien. Cependant, pour l'infrastructure, il n'y a malheureusement rien de nouveau.

Le sénateur Tannas : Soyez le bienvenu, monsieur McLeod. C'est moi qui assurais — maladroitement — la présidence lors de votre dernière comparution, où vous n'avez disposé que de cinq minutes. Nous sommes heureux de vous accueillir de nouveau aujourd'hui. Merci de votre exposé.

À vous regarder à l'écran, j'ai l'impression que vous êtes un soldat très fatigué pour avoir travaillé extrêmement fort dans ce dossier. Je vous remercie de nous faire part de votre expérience et de votre sagesse.

Selon vous, quel pourcentage des maisons existantes, en Saskatchewan, correspond à ce que vous avez décrit par rapport à La Ronge, soit une maison payée et habitée par la personne qui l'a construite? Quel pourcentage des maisons dans les réserves pourrait-on classer dans cette catégorie?

M. McLeod : Honnêtement, je dirais moins de 1 p. 100. Pour La Ronge, je n'ai pas les données les plus récentes. C'est approximatif, mais je présume qu'il y a 100 ou 120 propriétaires de maison en tout, soit presque 70 p. 100. Cela correspond au pourcentage de prestataires d'aide sociale dans la collectivité. Cinq, six ou sept collectivités en sont à diverses étapes de la mise en œuvre de programmes privés d'accession à la propriété dans les réserves, et il y en a probablement le même nombre qui envisage la création de programmes de ce genre. Quant au nombre, La Ronge est en avance, étant donné que le programme a officiellement été lancé en 2005-2006. J'estime que nous en sommes à moins de 1 p. 100 actuellement. Il y a du progrès, mais pour le moment, c'est très modeste.

Le sénateur Tannas : Concernant l'une des façons qui nous permettraient, selon vous, de libérer le potentiel, vous avez mentionné la nécessité de faire du lotissement et d'accroître le nombre de lots dans les collectivités, ainsi que l'absence d'infrastructures. Est-ce en raison de la demande liée à l'accession à la propriété, ou parce que nous avons besoin de plus de lots en raison d'une augmentation de la population et du surpeuplement, par exemple? À votre avis, en ce qui concerne les initiatives ou l'impulsion en matière d'accession à la propriété, outre l'augmentation du nombre de lots, quels obstacles devons-nous éliminer?

M. McLeod : Le budget d'immobilisations est important, évidemment, en Saskatchewan, il s'élève à quelque 22 millions de dollars. La valeur des projets qui ont été approuvés, mais qui ont été mis de côté s'élève à plus de 200 millions de dollars. Dans les réserves, les besoins en infrastructures sont énormes.

Concernant les obstacles, l'allocation-logement permettrait l'acquisition des maisons existantes. On pourrait ainsi augmenter exponentiellement le nombre de maisons de propriété privée sans entraîner une demande accrue pour le financement des immobilisations associées aux nouveaux lots.

Un des avantages de la propriété, pour les maisons neuves, c'est que l'on peut également financer les infrastructures. À La Ronge, la collectivité dont je suis originaire, il faut abattre les arbres, enlever les roches, remblayer et construire des routes, car il s'agit d'une zone de brousse et de forêt, ce qui est très différent du sud, évidemment. Même trouver un entre-deux par rapport à certains secteurs en les réservant à la construction domiciliaire privée — simplement pour que les gens aient leurs propres réseaux d'aqueduc, d'égouts et d'électricité, par exemple — serait extrêmement utile.

En ce qui concerne les budgets d'immobilisations, les besoins sont énormes, en effet.

Sur le plan de la réglementation, nous n'avons pas en Saskatchewan autant de certificats de possession qu'en Colombie-Britannique et en Ontario. Deux ou trois bandes ont des certificats de possession, qui ont été donnés à d'anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale, mais c'est certainement une minorité. En général, ce sont les terres de la bande, et le régime de baux fonciers fonctionne bien. Les banques ont accepté ces certificats. À La Ronge, nous avons créé un modèle, et il est offert à toutes les bandes de la Saskatchewan. C'est un modèle très souple fondé sur le coût nominal et cela semble fonctionner. En fait, il convient très bien.

Donc, sur le plan de la réglementation, pour l'avenir, à court terme, nous avons tous les outils nécessaires.

Le président : Monsieur McLeod, vous avez décrit comment, à La Ronge, vous avez réussi à transformer le passif d'une bande en actif en créant un régime de baux avec les membres qui ont les moyens de payer un loyer, et vous avez également parlé d'une garantie de la bande. Vous venez de parler d'un modèle.

Pourriez-vous nous expliquer quelles sont les étapes pour y arriver? J'aimerais aussi connaître la nature du titre de propriété que vous avez décrit. Est-ce quelque chose qui peut être hérité, ou légué par la personne qui a payé le loyer et qui a acquis un tel titre de propriété?

M. McLeod : Je vais d'abord répondre à votre deuxième question. En général, les prêteurs préfèrent que la durée d'un bail excède de cinq ans la durée du prêt. Donc, on parle en général de baux de 29 ans, et certains cherchent à avoir un bail de 49 ans. Au terme de la durée du prêt, le propriétaire de la maison détient le droit de renouvellement. Il peut le léguer à des membres de sa famille ou le vendre à un autre membre de la bande. Habituellement, cela s'applique aux membres de plus de 18 ans seulement, et c'est transférable à la discrétion du propriétaire.

En ce qui concerne les étapes de l'accession à la propriété, il n'y a pas beaucoup de différence avec les pratiques hors réserve. Il faut un titre foncier, du financement, une garantie pour le prêt et un cadre réglementaire dans lequel sont fixées les modalités en cas de défaut et l'ensemble des taux applicables qui sont associés à la propriété.

Comme M. Jules l'a indiqué, l'article 89 est un problème. Le fait qu'une Première Nation soit tenue de garantir elle- même le prêt consenti à un membre peut être un obstacle. Je travaille actuellement avec une bande; certains membres souhaitent accéder à la propriété, mais la bande n'a pas les moyens de garantir les prêts de plus d'un ou deux membres, ce qui limite le potentiel.

Je ne connais pas la solution. De toute évidence, il serait préférable que les membres puissent s'adresser à un prêteur et utiliser leur propre crédit pour garantir un prêt plutôt que de dépendre de la bande. La désignation de terres — fréquemment utilisée en Colombie-Britannique pour les centres de villégiature — pourrait être une option.

Dans l'état actuel des choses, l'enjeu est la différence entre un prêt personnel non garanti assorti d'un taux d'intérêt prohibitif et l'exigence selon laquelle une bande doit avoir la capacité financière de garantir les prêts pour un certain nombre de membres afin que le programme soit viable pour tous.

Le président : Je suis heureux que vous ayez eu l'occasion d'entendre l'exposé de M. Jules. Il a évoqué la possibilité que le Fonds d'aide au logement du marché pour les Premières Nations soit utilisé pour les mises de fonds. Avez-vous des commentaires à ce sujet?

Je suis heureux que vous ayez pu collaborer avec cet organisme au fil des ans.

M. McLeod : Merci. J'ai eu l'idée d'établir un fonds d'apport de capitaux en Saskatchewan dans le simple but de rendre les prêts plus abordables, ce qui pourrait aussi servir à la mise de fonds. Je crois comprendre que le financement de 300 millions de dollars du Conseil du Trésor est assorti de conditions, dont l'une est que les fonds ne peuvent être versés sous forme de prêt et qu'ils doivent être investis dans des instruments publics.

Rendre les prêts abordables n'est pas une mauvaise idée. Je pense qu'un fonds d'apport de capitaux favoriserait considérablement la participation. Toutefois, je ne sais pas si cela pourrait les rendre abordables pour les bandes. Comme je l'ai dit, cela pourrait les rendre abordables pour les particuliers, mais les bandes seraient toujours tenues de garantir les prêts. Je ne sais pas précisément dans quelle mesure cela favoriserait les progrès.

Un fait demeure : à mon avis, la meilleure façon d'accroître le nombre de propriétaires dans les réserves serait d'adopter un loyer universel, soit la partie visant l'allocation-logement. Actuellement, beaucoup de résidences de la bande sont occupées par des travailleurs et l'accession à la propriété pourrait être très rapide.

De toute évidence, c'est là un aspect sur lequel M. Jules et moi sommes d'accord. Le fonds doit être modifié, car il ne donne pas de résultats en ce moment.

Le sénateur Enverga : Merci de cet exposé. L'accession à la propriété semble susciter beaucoup d'engouement. Quelle part de la population est favorable à l'idée? Avez-vous beaucoup de demandes?

M. McLeod : Oui. Quant au pourcentage, je crois que le recensement de 2006 indiquait que 30 p. 100 de la population des réserves pourrait accéder à la propriété. Cela varie d'une collectivité à l'autre, mais c'est un pourcentage acceptable.

Les gens sont réceptifs. On a observé une grande inertie dans les collectivités jusqu'à maintenant, mais il faut savoir que l'intérêt des collectivités croîtra à mesure que des programmes d'accession à la propriété seront mis en place. De plus, nous devons être prêts à laisser les choses évoluer naturellement. Le gouvernement met souvent en œuvre des programmes d'une durée de deux ou peut-être trois ans, mais pour juger de la réussite de quoi que ce soit, il faut des programmes et des initiatives sur cinq ans. En territoire autochtone, il faut bien plus de deux ans pour évaluer la réussite de quoi que ce soit.

Le sénateur Enverga : Dans un autre ordre d'idées, vous avez mentionné que beaucoup de travailleurs de la construction sont prêts à travailler et à contribuer au développement économique de la collectivité. Ai-je bien compris?

M. McLeod : Oui.

Le sénateur Enverga : Je me demande, étant donné que la Saskatchewan embauche beaucoup de travailleurs étrangers temporaires, si les travailleurs autochtones se sont montrés prêts à travailler dans d'autres régions de la Saskatchewan afin de redonner à la bande. Est-ce une possibilité dans cette collectivité?

M. McLeod : Je suis désolé, sénateur. Parlez-vous de travailleurs étrangers temporaires qui travailleraient dans les réserves?

Le sénateur Enverga : Cela porte davantage sur le fait qu'il y a beaucoup de travailleurs étrangers temporaires dans la province, d'après ce que j'entends, en particulier dans le secteur agricole, dont nous avons déjà discuté. Les travailleurs autochtones ont-ils songé à œuvrer dans ce domaine pour que la bande puisse profiter des retombées économiques? Avez-vous observé ce genre de choses au sein des Premières Nations?

M. McLeod : Personnellement, je n'ai pas vu de travailleurs étrangers temporaires dans les réserves jusqu'à maintenant.

Le sénateur Enverga : Non; je parle des perspectives d'emploi dans d'autres régions de la province. Cela suscite-t-il l'intérêt des membres? La bande pourrait alors profiter des retombées économiques.

M. McLeod : C'est un point intéressant. La plupart des gens qui occupent un bon emploi à l'extérieur de la réserve soutiennent leur famille qui habite dans la réserve. C'est très courant, au point où les gens qui ont une bonne cote de crédit et un bon emploi — et c'est vrai — deviennent locataires à vie. Il leur est très difficile d'épargner pour la mise de fonds, car ils envoient de l'argent à leurs parents, leurs frères et sœurs, leurs cousins et cousines, et cetera. C'est un bon point. C'est très courant.

Le président : Monsieur McLeod, je pense que ce sera probablement la dernière question. Votre description des divers ministères qui œuvrent dans les secteurs des infrastructures et du logement a suscité mon intérêt. Vous avez parlé d'une démarche cloisonnée et de la nécessité de la transparence et de la coopération. Je me demande, étant donné votre expérience, si vous avez une idée de la façon de modifier les choses. Devrait-on miser davantage sur une approche à guichet unique? Le comité devrait-il présenter des recommandations à cet égard?

M. McLeod : Je vous remercie de la question. Le personnel de la SCHL, du ministère des Affaires autochtones et de Santé Canada est très compétent, mais il semble qu'ils doivent suivre des directives très précises qui se rapportent uniquement au ministère ou à l'organisme. Or, le service public, c'est lorsqu'on commence à tenir compte des besoins des gens sur le terrain plutôt que d'adopter des mesures rapides et d'ordre administratif qui satisfont aux exigences d'un ministère. Voilà ce que font ces gens. Je ne veux faire la morale à personne ni en donner l'impression, mais il faut servir le public. Nous ne devrions pas nécessairement être soumis aux exigences de l'administration, surtout — à mon avis — au moment où l'enjeu est extrêmement important par rapport à l'avenir de la Saskatchewan et des Prairies en général, du moins en ce qui concerne la démographie des Premières Nations. C'est un moment crucial. Les décisions que nous prendrons maintenant — ou ne prendrons pas — auront un effet important sur les deux ou trois prochaines générations, ou plus. En toute franchise, nous devons être prêts, parce que le problème ne disparaîtra pas.

J'ai des recommandations. Les programmes doivent être intégrés. Si l'on maintient l'approche selon laquelle divers ministères sont responsables d'un même aspect dans les réserves, il faut alors que les ministères et les programmes fonctionnent de façon intégrée. Ils doivent être axés sur les besoins des gens et des responsables de la prestation de ces programmes dans les collectivités. Les programmes doivent être cohérents et uniformes; on doit pouvoir les intégrer dans une politique communautaire et les mettre en œuvre de façon efficace.

La sénatrice Raine : Il est formidable que vous ayez pu témoigner au comité de nouveau. Vous brossez un tableau qui comporte de nombreuses difficultés et qui révèle qu'il existe des critères d'ordre institutionnel qui doivent être modifiés. Je me demande si vous considérez que le fait de réunir les gens compétents du ministère des Affaires autochtones, de Santé Canada et de la SCHL pour trouver des façons d'obtenir les résultats nécessaires constitue la première étape de la simplification du processus. L'autre question que je souhaite vous poser porte sur le fait que vous avez affirmé sans équivoque que l'accession à la propriété est la voie à suivre à l'avenir. Actuellement, sans un régime de location... De toute évidence, certaines collectivités ont un tel régime, d'autres pas. Vous avez dit que nous devrions mettre en place un loyer universel pour financer la partie de l'aide sociale consacrée à l'allocation-logement. Je n'ai pas tout à fait saisi comment vous voyez cela.

M. McLeod : Actuellement, selon la politique, le ministère paie la partie de l'allocation-logement visant le loyer sur présentation d'une preuve de dépenses, comme un reçu de loyer, un bail ou quelque chose du genre, et s'il existe une politique en vertu de laquelle la bande peut prendre des mesures en cas de non-paiement du loyer. Les frais de logement payés par le ministère des Affaires autochtones concernent les frais des services publics des prestataires d'aide sociale. Essentiellement, en mettant en place une mesure sur le loyer universel dans le manuel de la politique en matière d'habitation au lieu d'avoir deux politiques — une liée à la SCHL et l'autre aux résidences de la bande —, on se retrouve avec une politique unique qui précise qui est chargé de la perception du loyer. Donc, on détermine que le loyer est fixé à un montant donné et doit être payé à une entité donnée. Le locataire a des droits et des responsabilités, et il en va de même pour les Premières Nations. C'est semblable aux baux de location que l'on voit ailleurs.

Cela augmenterait vraisemblablement les besoins de la bande en matière d'administration, ce que les revenus accrus permettraient certainement de compenser. La bande dont je fais partie n'a pas de régime de loyer universel, mais le taux de perception des loyers liés aux logements visés par l'article 95 est assez élevé. Cela varie chaque mois. La seule raison qui explique ce taux élevé, ce n'est pas la mise en place d'une politique sur la perception des loyers, mais le fait que des gens ont été embauchés à cette fin. La taille de la bande nous en donne la capacité même si nous n'avons pas ce revenu de l'allocation-logement. C'est un cercle vicieux, en quelque sorte. Sur le plan administratif, sans revenus accrus découlant de l'allocation-logement, on pourrait ne pas avoir la capacité de percevoir les loyers. Dans la collectivité de La Ronge, cela se fait tous les mois. Le montant des loyers perçus varie, mais il y a un accord de principe. Cela ne se fait pas du jour au lendemain. Voilà pourquoi j'y reviens. Les gens ont tendance à saisir les occasions, mais elles ne sont pas nombreuses, en ce moment. Dans le système, les ressources sont rares lorsque le logement à l'extérieur des réserves est un moteur économique, un multiplicateur. Dans les réserves, les besoins sont criants et les occasions sont nombreuses, mais il y a un manque de financement. Nous avons besoin d'un élan pour faire évoluer les choses.

Pour ce qui est du fait que la première étape serait de réunir les acteurs des divers ministères, je suis convaincu que c'est nécessaire. Nous avons besoin de gens habilités à prendre des décisions. Voilà une chose qui entraîne de la frustration au sein des Premières Nations : parfois, nous rencontrons des représentants des ministères, mais ils n'ont pas le pouvoir de prendre des décisions.

Je suis d'accord pour dire que ce serait une première étape adéquate, pourvu que les décideurs y participent. Merci, sénatrice.

Le président : Le comité pourrait les réunir à une même tribune. J'exprime simplement ma pensée. Merci beaucoup, monsieur McLeod. Je suis très heureux que nous ayons eu de nouveau l'occasion de vous accueillir au comité, par vidéoconférence. Ce fut très utile et très stimulant. Comme je l'ai indiqué à la fin de votre exposé, je pense que vous nous avez présenté des approches dont nous n'avions jamais entendu parler auparavant, soit des mesures novatrices liées à l'utilisation de l'allocation-logement et au fait de réserver un certain nombre de résidences pour favoriser l'accession à la propriété. Ce fut très utile.

Merci encore une fois. Merci, chers collègues.

(La séance est levée.)


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