Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 11 - Témoignages du 3 février 2015
OTTAWA, le mardi 3 février 2015
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 35, pour étudier les problèmes liés à l'infrastructure dans les réserves des Premières Nations.
Le sénateur Dennis Glen Patterson (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les honorables sénateurs ainsi qu'aux membres du public qui assistent à cette séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones ou qui la regardent sur la chaîne CPAC ou sur le Web. Je suis Dennis Patterson, du Nunavut, et j'ai le privilège de présider le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.
Le comité a pour mandat d'examiner des projets de loi et des questions qui ont trait aux peuples autochtones du Canada en général. Ce matin, nous entendrons des témoignages dans le contexte d'un ordre de renvoi précis nous autorisant à examiner, en vue d'en faire rapport, les problèmes et les solutions possibles en matière d'infrastructure dans les réserves des Premières Nations, notamment pour ce qui est du logement, des infrastructures communautaires, des options de financement novatrices et des stratégies de collaboration plus efficaces.
Nous avons terminé nos audiences sur la question du logement et nous axerons maintenant notre étude sur l'infrastructure. Aujourd'hui, nous entendrons deux témoins, représentant deux organisations. Durant la première heure, nous entendrons M. Jeffrey Frank, de Castlemain Group, une entreprise qui offre aux communautés des Premières Nations des services consultatifs principalement axés sur la gestion, les finances, la technologie et les communications.
Durant la deuxième heure, nous entendrons M. Jean Vincent, Société de crédit commercial autochtone, Société d'épargne des Autochtones du Canada. Son organisation est une société à but non lucratif qui offre aux Premières Nations du Québec des services consultatifs et de financement, notamment pour la préparation de plans de financement, l'analyse de projets d'entreprise et la recherche de financement. Elle offre également des services administratifs et de gestion financière à distance.
Avant que nous commencions à entendre les témoins, j'invite les membres du comité à se présenter.
Le sénateur Moore : Wilfred Moore, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Watt : Charlie Watt, du Nunavik.
La sénatrice Raine : Sénatrice Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Beyak : Sénatrice Lynn Beyak, de l'Ontario.
Le président : Merci, chers collègues. Nous allons maintenant accueillir ensemble notre premier témoin, M. Jeffrey Frank, directeur principal, Castlemain Group.
Nous avons hâte d'entendre votre exposé; il sera suivi d'une série de questions.
Jeffrey Frank, directeur principal, Castlemain Group : Je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner devant vous. Au cours des 15 dernières années, j'ai eu le privilège de travailler avec plus de 60 Premières Nations dans différentes fonctions. J'ai travaillé avec des représentants d'AADNC et de Santé Canada dans diverses régions et aux administrations centrales ici, à Ottawa, dans des fonctions axées sur l'infrastructure. J'ai travaillé avec l'APN à la Stratégie de gestion de l'eau des Premières Nations, à laquelle a participé M. LeBlanc. J'ai été le gestionnaire du projet de PPP du parc éolien Kitchi-Nodin avec la Première Nation de Swan Lake. Plus récemment, j'ai aussi été gestionnaire du projet de PPP des écoles des Premières Nations du Manitoba, auquel prenaient part la Nation des Cris de Manto Sipi, la Nation des Cris de Bunibonibee, la Première Nation de God's Lake et la Première Nation de Wasagamack.
Je serai bref, car selon moi, il est préférable que vous me posiez des questions. J'ai consulté longuement les comptes rendus des séances antérieures. J'ai travaillé avec ou pour la plupart des gens qui sont venus, les chefs et les représentants des communautés, ainsi que les représentants de Santé Canada et d'AADNC.
Ce serait bien si nous passions aux questions; nous verrons à partir de là.
La sénatrice Raine : Pourriez-vous nous faire un bref résumé de l'objectif des PPP, ou partenariats public-privé? Quelle est la vision à ce sujet? Je ne suis pas une économiste ni une personne très avertie sur le plan des projets de financement, mais je peux comprendre que nous n'avons pas suffisamment de fonds pour construire tout ce qui doit être construit actuellement. Si nous pouvons trouver un moyen d'inclure des capitaux privés, nous pourrons étendre la participation du secteur public sur une période plus longue pour accélérer la construction des infrastructures. J'aimerais que vous nous parliez brièvement de la raison pour laquelle les PPP devraient fonctionner.
M. Frank : Nous devons faire la distinction entre deux différents contextes. D'abord, il faut se demander si cela fonctionne dans le monde autochtone, car les choses y sont très différentes, sur le plan de l'infrastructure, par rapport au monde non autochtone. Deux raisons expliquent pourquoi il est difficile de lancer des projets de PPP pour les Premières Nations — j'y reviendrai dans un instant. Je vais vous parler de la raison pour laquelle je pense que les PPP sont bons pour les Premières Nations, en particulier pour les collectivités isolées des Premières Nations.
Nous avons actuellement deux problèmes principaux dans les réserves; le premier est la qualité initiale de la construction, qui est de médiocre à faible, selon la région.
Le deuxième concerne l'entretien à long terme des installations. En général, actuellement, la durée de vie des projets d'infrastructure, en particulier les bâtiments et l'infrastructure d'approvisionnement en eau, ainsi que l'infrastructure de prestation de services, est souvent deux fois moins longue que ce qu'elle devrait être. Diverses études ont été réalisées à ce sujet. Je suis sûr que les gens d'AADNC pourront vous fournir des données, grâce au rapport d'Acres, sur la durée de vie des infrastructures, mais en ce qui concerne les bâtiments, la valeur des biens est souvent deux fois moins élevée que ce qu'elle devrait être, même après 10 ans, et ce, uniquement en raison du manque d'entretien.
Ce qui rend les PPP avantageux, selon moi, c'est qu'ils assurent une autosurveillance. Lorsqu'on met sur pied un projet de PPP et qu'une seule entité est responsable de la construction, du financement et de l'entretien à long terme sur une période de 25 à 30 ans, on peut s'assurer de son intégrité. Ce que je veux dire, c'est que durant le processus de soumission, lorsqu'on a des soumissions multiples pour la construction, ou d'abord pour les travaux de conception, puis les travaux de construction et enfin l'entretien d'une infrastructure pour la période durant laquelle elle sera accessible à la collectivité, il n'y a pas de moyen véritable de tenir qui que ce soit responsable. Pendant le processus de construction, il y a généralement une garantie d'un an sur les composantes de l'immeuble. Est-elle applicable? Je dirais que dans les collectivités isolées des Premières Nations, elle l'est peut-être dans 20 p. 100 des cas, en raison de la distance et de ce qu'il en coûte pour coordonner tout cela et se rendre dans les collectivités pour faire le travail, en ne sachant pas précisément ce qui doit être fait. Plusieurs déplacements peuvent être nécessaires pour régler un seul problème à cause du manque de formation et de connaissances dans les collectivités.
L'avantage des PPP, c'est qu'on regroupe tout en un seul contrat, et ce contrat est assujetti à des spécifications fonctionnelles. La façon la plus simple de l'expliquer, c'est que si le consortium dit que pour les 20 prochaines années, il lui en coûtera 1 $ pour entretenir une installation, c'est gravé dans la pierre. S'il lui en coûte 2 $ par année pour le faire, il ne peut revenir s'adresser au gouvernement. Il ne peut dire aux Premières Nations qu'il ne le savait pas, car il est responsable du travail de conception, du travail juridique initial et du financement. L'avantage et la force d'un PPP, c'est que les groupes des finances, qui sont à la base du projet sur le plan du transfert des risques, sont responsables de la vie de ce projet. Si leur partenaire contractuel ou l'entrepreneur chargé des services de fonctionnement et d'entretien n'effectue pas sa part du programme de travail, ils le tiendront responsable, car les Premières Nations ont la possibilité de retenir le paiement jusqu'à ce qu'il réponde aux spécifications fonctionnelles. C'est là qu'intervient l'autosurveillance, et c'est pourquoi il est préférable qu'une seule entité s'occupe de tout cela plutôt que d'avoir à se demander qui va régler un problème ou en assumer la responsabilité. C'est là que l'avantage de ces PPP entre en ligne de compte.
Sont-ils toujours avantageux? Absolument pas. Le meilleur exemple que nous avons au Canada est celui du programme scolaire de l'Alberta. Tout dépend de la personne à qui l'on parle, mais cette province en serait à la quatrième version. Les deux dernières versions n'ont pas donné de très bons résultats ni assuré l'optimisation des ressources que nous verrions habituellement. Cela ne résulte pas du fait qu'il s'agit de PPP; cela résulte principalement du fait qu'on les a transformés. On y a ajouté des éléments ici et là qui n'étaient pas compris dans le contrat. Avec un projet lié au transfert des risques, on a créé davantage de risques que ce que les entreprises étaient prêtes à encourir; tout le monde s'est retiré ou a haussé les prix pour couvrir ces risques.
Vous pouvez consulter les gens d'Infrastructure Alberta, mais les deux premières versions ont été très bien accueillies. Beaucoup de consortiums étaient prêts à soumissionner. Il s'agissait de projets de PPP plus traditionnels. Ce n'est pas que les PPP sont simples, car ils ne le sont pas, mais il s'agissait de projets plus simples.
J'espère que cela répond à votre question.
La sénatrice Raine : Oui, et cela m'amène à vous en poser une autre. Si on a prévu, comme vous l'avez dit, des coûts de 1 $ par année pour l'entretien, mais qu'en fait, il en coûte 2 $ par année, le consortium ne risque-t-il pas de faire faillite et de se retirer?
M. Frank : Pas nécessairement. Ce qu'il faut comprendre, c'est que ces consortiums effectuent un travail de préparation considérable avant de signer ces contrats. C'est la raison pour laquelle certaines personnes trouvent que les coûts initiaux des PPP sont prohibitifs.
Quand vient le moment de la clôture des comptes, dans un projet de PPP, on sait... et comme vous le savez, qu'il s'agisse de la CIBC, de la Banque Royale, de la TD ou de n'importe quelle grande société d'investissement qui contribue à ces projets, elle ne négligera aucun détail. Nous parlons de beaucoup d'argent. En ce qui concerne le programme scolaire dont j'ai parlé, le coût en capital uniquement pour la construction serait d'environ 125 à 140 millions de dollars. La valeur totale du projet, pour toute sa durée de vie, et nous parlons ici d'une période de concession d'environ 25 à 30 ans, sera de 260 ou 280 millions de dollars, selon les intérêts commerciaux. Il ne faut pas avoir froid aux yeux; c'est beaucoup d'argent.
Permettez-moi de revenir un peu en arrière. Quel est l'objectif en ce qui concerne les écoles? L'objectif, en particulier pour les écoles situées dans les réserves, est de les ouvrir afin qu'on puisse y enseigner aux jeunes, et non pas de les fermer durant deux ou trois mois chaque année, et dans certains cas la moitié de l'année, à cause de problèmes de chaudière, de CVCA, d'eau, de moisissure ou de structure. C'est assez courant.
Je pense que le chef Michael Yellowback est venu témoigner la semaine dernière; dans la Nation crie de Manto Sipi, il y a des salles de classe temporaires qui ont besoin de réparations depuis le jour où on les a construites. Il n'y a pas d'eau courante ni de système d'égouts. Si les enfants ont besoin d'aller aux toilettes, ils doivent marcher jusqu'à l'école par des températures de 40 degrés sous zéro. Je suis entré dans ces salles; elles sont en piteux état. C'est absolument renversant.
Il faut envisager la création de partenariats public-privé, en particulier dans les collectivités isolées, pour l'eau, les égouts et les bâtiments des réserves, c'est-à-dire les garages, les centres des chefs et des conseils, les centres communautaires et les installations de traitement des eaux usées. Je crois que toutes ces installations doivent être améliorées. Selon moi, elles sont de qualité médiocre et leur durée de vie n'est pas très longue.
Le président : Monsieur Frank, j'aimerais revenir à la dernière question de la sénatrice Raine, qui vous demandait si les consortiums risquent de se retirer si les fonds consacrés à l'entretien sont insuffisants. Si je comprends bien le concept des PPP, le constructeur n'a pas intérêt à se retirer parce qu'il est propriétaire du bien; il doit donc l'entretenir, car c'est sa source de revenus. Est-ce bien cela?
M. Frank : En quelque sorte. Il n'est pas nécessairement propriétaire du bien; il le loue, en quelque sorte. Je veux dire que le bâtiment comme tel appartient encore essentiellement aux Premières Nations — mais c'est là un autre sujet de discussion. Le consortium qui gère le PPP est chargé d'entretenir ce bien pendant 30 ans et il a une responsabilité contractuelle.
Ce qui l'incitera à continuer d'assurer l'entretien durant ces 30 ans, c'est la façon dont les fonds sont versés; les paiements de disponibilité — j'ignore si quelqu'un vous en a parlé — sont contrôlés par une autorité selon les conditions fixées dans le contrat initial. Par exemple, après la réalisation du projet comme tel, on ne verse que 60 p. 100 du paiement, et le reste est réparti sur les 20 années suivantes et versé tous les trimestres ou tous les mois. Les fonds ne sont pas tous versés au moment de l'achèvement du projet.
De plus, les coûts d'entretien de l'installation sont également répartis sur 25 ans, en fonction de deux éléments : les paiements périodiques et les spécifications fonctionnelles. Si, à n'importe quel moment, le bâtiment ne répond pas aux spécifications fonctionnelles, on retient ces fonds jusqu'à ce que le problème soit réglé.
En gros, on est lié. Une fois le contrat signé, le groupe des finances, son partenaire contractuel et le fournisseur des services de fonctionnement et d'entretien sont liés pour les 20 années suivantes, en raison des pertes financières qu'ils subiraient s'ils tentaient de quitter le projet. C'est presque de l'autosurveillance. Les entreprises de construction sont liées à leurs partenaires financiers parce que ce sont eux qui financent le projet et qui remettent les paiements de disponibilité à leurs partenaires contractuels. C'est la même chose en ce qui concerne le fournisseur des services de fonctionnement et d'entretien. Il est captif. Une fois qu'il a signé, il n'a pas la possibilité de se retirer et il doit respecter les spécifications fonctionnelles pendant toute la durée du projet.
Ce qui est différent, actuellement, c'est que lorsque nous construisons un bâtiment, le contrat est rempli dans un délai de trois à cinq ans, selon le temps qui a été nécessaire pour construire le bâtiment. Les services de fonctionnement et d'entretien sont fondés sur une formule présentée dans les ententes globales de financement, ou EGF, pour chaque Première Nation. Je ne dirai pas que c'est un nombre arbitraire, mais il n'est pas fondé sur la fonctionnalité du bâtiment.
Le président : Monsieur Frank, vous nous avez dit que les PPP semblent être une bonne solution compte tenu des problèmes de qualité de construction et d'entretien qui vous préoccupent et qui nous préoccupent. Vous avez parlé de constructions de mauvaise ou de piètre qualité. Les Premières Nations sont admissibles au financement dans le cadre de PPP; depuis peu, les Inuits peuvent présenter des projets de PPP, je crois, et des sommes importantes sont disponibles, mais cette idée n'est pas beaucoup retenue. Je me trompe peut-être.
M. Frank : Non, vous avez raison.
Le président : Vous avez indiqué que les deux dernières versions n'avaient pas donné de bons résultats en Alberta, pour d'autres raisons. On nous a parlé de la situation de la Nation crie de Manto Sipi, que vous avez mentionnée. On nous a dit qu'AADNC, le ministère fédéral responsable, a choisi de ne pas adopter une approche de PPP pour les écoles du Nord du Manitoba.
Je me demandais si vous aviez un commentaire à ce sujet. L'idée est bonne. A-t-elle du mal à percer? Pourrions-nous faire quelque chose? AADNC subventionne les écoles pour bâtir des infrastructures à long terme. Il y a une filière permanente d'organisation et de méthodes. On penserait que ces projets seraient parfaitement adaptés à un PPP. Y a-t- il un problème?
M. Frank : Je répondrai d'abord à votre première question. Je pense qu'il y a une précision à faire. Surtout en ce qui concerne les infrastructures, le financement dans le cadre d'un PPP n'est pas possible pour les Premières Nations. La raison en est que les projets d'infrastructures dans les réserves sont classés comme des projets fédéraux, tout comme un bâtiment de la GRC et l'immeuble de la Direction des communications, qui étaient des projets PPP. Il n'y a donc pas de rendement.
Habituellement, lorsque vous vous adressez à PPP Canada et que vous faites une demande d'entrer dans la filière en présentant une analyse de rentabilité préliminaire, cela suppose un rendement. En effet, PPP Canada offrira jusqu'à 25 p. 100 du total des immobilisations au titre du capital. Cela ne s'applique pas aux projets fédéraux pour lesquels le Canada est le bailleur de fonds. Il n'y a pas de recettes. Ce n'est pas comme si l'on avait des recettes fiscales provenant des collectivités ou l'émission d'obligations pour couvrir les frais. Le financement des projets fédéraux provient du Canada.
Il y a eu une erreur d'appréciation. Par exemple, j'ai exécuté deux différents types de projets PPP. Pour la Première Nation de Swan Lake, j'ai travaillé pour le parc d'éoliennes Kitchi-Nodin qui a été admissible à PPP Canada. Grâce à une solide analyse de rentabilité, nous avons tout d'abord obtenu jusqu'à 25 p. 100 des coûts d'immobilisations couverts pour la Première Nation à titre de capital, sous la forme d'un emprunt non remboursable offert par PPP Canada. Comme un accord pour l'achat d'énergie avait été conclu avec Manitoba Hydro, il allait y avoir des recettes pour appuyer le projet. Ce dernier était donc admissible à un financement par PPP Canada.
En l'état, le projet d'écoles du Manitoba et ses infrastructures dans les réserves sont classifiés comme un projet fédéral qui ne peut être financé par PPP Canada. Quoi qu'on ait pu vous dire, en tant qu'administrateur des deux projets, je sais qu'on a passé en revue le dossier avec AADNC, PPP Canada et KPMG et on nous a fait comprendre que c'était le cas pour toutes les infrastructures dans les réserves. Le projet ne sera donc pas admissible à moins d'adopter une approche de service public comme on essaie de le faire au Congrès des chefs de l'Atlantique, sur la côte est, où les collectivités se sont regroupées pour mettre sur pied un service public. Elles pourront donc demander un financement de PPP Canada, mais cela reste à voir.
Le président : Merci de ces précisions. Ce sont des faits nouveaux pour le comité, car, au Manitoba, on nous avait dit que le ministère recommandait une approche de PPP et l'on a appris ensuite que le ministère avait décidé d'abandonner cette approche. C'est étonnant.
M. Frank : Il y a une explication à cela.
Le président : Vous pourriez nous en parler si vous voulez, car nous cherchons des moyens novateurs de financer les écoles. Comme l'a dit la sénatrice Raine, nous avons vu les chiffres, qui sont plutôt décourageants. Si nous continuons dans cette voie, il n'y aura pas assez d'argent pour même commencer à financer les besoins. Le PPP pourrait, espérons- le, être une solution de rechange au processus actuel, qui ne fonctionne pas.
M. Frank : Je pense que ce qu'on a mal compris à propos du projet PPP Manitoba, c'est que, lorsque le processus a été amorcé — je pense que le chef Yellowback a commencé à s'informer en 2010 et je suis intervenu à la fin de 2011 — le ministère a fait miroiter que 50 millions de dollars du budget de 2011 ou 2010 seraient remis à MKO ou à AMC, qui pourraient mettre à profit cette somme. Ce que je veux dire par là, c'est de pouvoir commercialiser le projet et obtenir 50 millions de dollars pour créer un projet d'écoles. Le problème est que, premièrement, aucune de ces organisations n'a la capacité d'assumer le projet et de le mener à bien. Deuxièmement, le marché n'y prendrait aucune part en raison de la nature des organisations qui sont commises à des considérations politiques — changements de gouvernement, et cetera. Le risque serait tellement élevé pour le marché que ce dernier ne se donnerait même pas la peine de l'envisager.
À l'occasion d'autres séances, j'ai remarqué qu'on avait fait à de nombreuses reprises allusion à la notion d'entité, entité qui est le problème majeur dans le cadre d'un projet PPP avec les Premières Nations.
À propos du projet d'écoles, j'ai dit que le gouvernement devait satisfaire à deux conditions. Premièrement, créer une entité semblable à Alberta Infrastructure, SaskBuilds ou ProjectsBC, qui concernent au premier chef les projets d'infrastructures, qui servent d'autorité et qui peuvent être cautionnables, autrement dit qui soient susceptibles d'une évaluation de crédit leur permettant de procéder au projet.
Ce genre de mécanisme n'existe pas pour les Premières Nations. Il n'y a pas d'entité. D'autres organisations pourraient, je crois, être converties en entité, qu'il s'agisse de la Commission de la fiscalité des premières nations ou d'autres organisations. Or, il n'y a pour le moment rien sur le marché qui puisse susciter la confiance s'agissant de transferts de fonds du gouvernement fédéral vers des consortiums ou même de la signature de contrats entre les consortiums et l'entité qui représenterait les Premières Nations. Aucune autorité de ce genre n'existe, et c'est là le plus grand obstacle.
Deuxièmement, il fallait associer le Conseil du Trésor en vue d'établir, pour les Premières Nations, une période de concession de 25 à 30 ans. Cela n'a pas été fait.
Nous l'avons dit dès le début. Cette condition faisait partie d'un document remis à Ron Hallman et à Michael Wernick, ce dernier étant alors sous-ministre. Quel que soit ce que nous faisons avec les Premières Nations s'agissant des travaux d'infrastructures dans les réserves, le marché ne s'y associera pas à cause du risque trop élevé, tant que ces deux conditions ne seront pas remplies.
Je peux confirmer que dans le cas des écoles, l'analyse de rentabilité était bonne. Selon l'évaluation préliminaire de KPMG, le PPP allait faire économiser 45 millions de dollars par rapport au mode de financement traditionnel.
Si le ministère a hésité à aller de l'avant, c'est qu'il n'avait pas encore déterminé comment utiliser les crédits existants. Je pense que la somme de 500 millions de dollars a coïncidé avec la loi sur l'éducation sur laquelle on comptait pour notre projet. En fait, on avait réservé 200 et quelques millions de dollars pour notre projet. Lorsque la mesure a été abandonnée, le projet est tombé à l'eau.
À mon avis, on a eu tort de procéder ainsi. Cette mesure n'aurait jamais dû être envisagée. Ces projets sont distincts. On aurait dû les traiter à long terme plutôt que dans le cadre d'un processus à court terme de trois ou cinq ans.
La valeur des PPP se détermine à la fin du projet. Le point le plus important à considérer, surtout en ce qui concerne les Premières Nations, c'est qu'après une période de concession de 30 ans, l'actif peut être réutilisé pendant 20 années de plus car, à la fin de cette période, il est récupéré. C'est prévu dans le contrat. Le prix prévu au contrat peut s'étaler sur 20 ou 30 ans de plus. On a alors essentiellement un cycle de vie effectif de 50 ans plutôt que, je suppose, de 10, 15 ou 20 ans.
Le président : Je dois dire que votre analyse donne à réfléchir, monsieur Frank. Vous nous dites que des obstacles majeurs freinent l'application des PPP à la construction d'infrastructures dans les réserves des Premières Nations. Nous avons parlé des écoles, mais je présume que cela s'appliquerait aussi à d'autres projets d'infrastructures.
M. Frank : Oui, absolument.
J'ai remarqué qu'on a eu l'idée de regrouper des projets. C'est le seul moyen d'obtenir une valeur en capital suffisamment élevée pour intéresser le marché. Si l'on ne peut l'obtenir, c'est-à-dire pour des projets dont les coûts dépassent les 75 millions de dollars, le risque est trop élevé pour le marché, surtout dans les régions isolées.
On nous a dit que les entrepreneurs sont très intéressés à financer des groupes qui entreprendraient ces projets, même s'il y a un certain risque, surtout dans les régions isolées, où il y a des coûts de transport et des problèmes de logistique. Mais dans l'ensemble, si l'on s'en tient aux conditions actuelles et aux modes de construction, que ce soit pour l'adduction d'eau, les égouts, les écoles et autres bâtiments, le risque est largement compensé par les profits.
Le président : Monsieur Frank, que devons-nous faire, en tant que comité, pour convaincre le gouvernement fédéral de réaliser ces projets dans les réserves des Premières Nations. Vous en avez bien décrit les avantages. Vous avez une propriété qui est bien construite, qui va être entretenue à long terme et réhabilitée à la fin de sa vie de sorte qu'elle durera aussi longtemps que ces projets importants. Que faut-il changer pour que cela fonctionne?
Vous nous avez dit que le projet tâtonne au Manitoba et qu'il y a des doutes en Alberta. Le gouvernement de cette province aurait déclaré vouloir abandonner l'approche des PPP et ne pas continuer dans cette voie. Que faut-il changer pour que cette bonne idée ne soit pas abandonnée?
M. Frank : Voilà une question bien pertinente.
Le président : Vous avez dit qu'il faut des capacités, qu'il faut un mécanisme d'exécution. Vous avez mentionné la Commission de la fiscalité des premières nations, mais il faut un mécanisme d'exécution.
M. Frank : Absolument.
Le président : Et il n'y en a pas pour l'instant.
M. Frank : Non.
Je m'attendais à la question. Je pense qu'une chose doit changer : il faut qu'on s'engage vraiment au changement. C'est pour moi la première étape. On peut bien parler de changements différents de politiques et de que sais-je encore, mais ce qu'il faut, c'est un engagement au changement.
Au cours des 8 à 10 dernières années, j'ai constaté, s'agissant de la Stratégie de gestion de l'eau des Premières nations ou de projets PPP, qu'il n'y avait pas vraiment d'engagement à venir sur place. Au départ, les intentions sont excellentes, mais au fur et à mesure que le projet avance, certains éléments amènent les intervenants qui s'occupent des politiques à prendre un temps d'arrêt. Je pense que l'un des plus gros problèmes à l'heure actuelle est le manque d'engagement.
Il s'agit de comprendre pourquoi agir. Le travail que l'on mène de concert avec les Premières Nations change selon la région. Les Premières Nations isolées ont de graves lacunes au plan des capacités, de la formation et de certains aspects touchant aux finances. C'est une chose. Les collectivités reliées par la route sont un peu plus avancées. Comme je l'ai dit, cela ne fonctionne pas pour tout.
Par rapport au changement, on a essayé de mettre en place certaines choses. En 2008, PPP Canada a passé en revue certaines Premières Nations pour des projets à réaliser — la plupart étaient axés sur le développement énergétique. À cette occasion, beaucoup de promesses ont été faites. S'agissant de l'aide à apporter aux Premières Nations pour réaliser des projets, on avait promis des prêts non remboursables à hauteur de 25 p. 100 du capital. Cette promesse n'a pas été tenue.
En ce qui concerne la Première Nation avec laquelle j'ai travaillé, Swan Lake, l'avantage était que PPP Canada paierait l'élaboration de l'analyse de rentabilité. Il a ensuite retiré cette proposition en faisant valoir qu'il allait examiner la politique. Ces collectivités — et je pense que Desmond Gould en a parlé lorsqu'il leur a rendu visite — ont assumé tous les coûts. On n'assume même pas ces coûts pour les projets autres que ceux des Premières Nations. La Ville de Winnipeg, par exemple, n'a pas assumé ces coûts. PPP Canada a payé ses analyses de rentabilité.
Je pense que des groupes comme PPP Canada comprennent mal les besoins des Premières Nations. Les gens ont de bonnes intentions, mais ils n'ont pas une vue d'ensemble de la situation et des éléments avec lesquels il faut composer.
De la part du ministère, AADNC, il y a tout simplement un manque d'engagement. Il y a eu de bonnes opportunités à saisir. Au début malheureusement, on n'a pas compris ce qu'impliquait un PPP, d'où l'idée d'offrir 50 millions de dollars à ces organisations afin qu'elles les fassent fructifier alors qu'elles ont du mal à payer leurs propres factures. L'initiative était vouée à l'échec et ce que l'on a vu essentiellement, c'est un groupe de gens se battant pour avoir les 50 millions de dollars.
J'aimerais revenir au mot « engagement », outre les éléments de politiques qui consistent à mettre sur pied une autorité responsable du projet et à obtenir l'engagement du Conseil du Trésor d'y veiller sur la période de 25 à 30 ans de leur cycle de vie.
Par ailleurs, il faut vraiment essayer de comprendre ce que vous cherchez à atteindre, quels sont vos objectifs. Plutôt que de dire « non », on peut envisager différents objectifs pour les collectivités isolées.
Quant au concept de formation, je suis sûr que vous en avez entendu parler des milliers de fois avec les collectivités. L'un des éléments annexes qui serait très intéressant pour les Premières Nations dans le cadre d'une collaboration à un projet PPP serait un programme de formation à long terme. Dans ce contexte, quelqu'un aiderait les membres de la communauté non pas seulement pendant six mois de formation, mais pendant 25 ans. Au lieu d'envoyer quelqu'un pendant six mois en formation et de le laisser se débrouiller tout seul pour le restant du cycle de vie de l'installation, il conviendrait de nommer quelqu'un responsable de l'installation qui travaillerait de concert avec les membres de la communauté. C'est ce que j'entends par formation, une formation à long terme. Pour moi, c'est un avantage supplémentaire et c'est cela que l'on ne comprend pas.
Le président : Merci, monsieur Frank.
Le sénateur Moore : Merci de votre présence, monsieur Frank. Après avoir entendu votre réponse aux questions du président, j'en avais une ou deux à vous poser et maintenant, j'en ai probablement une vingtaine. Je trouve vos observations édifiantes. Ce que vous dites n'est pas ce que j'imaginais par rapport aux PPP et aux Premières Nations.
J'aimerais revenir à ce que vous avez dit à propos de projets de qualité mauvaise ou médiocre. S'agissait-il de projets menés dans le cadre d'un PPP? Étaient-ils entrepris par les Premières Nations elles-mêmes?
M. Frank : Les projets ont été menés de façon traditionnelle, autrement dit selon le processus habituel d'AADNC dans la communauté, dans le cadre d'études de préfaisabilité, de faisabilité et de la conception finale. Lorsque des crédits sont disponibles, on passe alors à la phase contractuelle. Tout cela se fait de manière traditionnelle, par l'entremise de la communauté ou d'un groupe technique mis sur pied par le conseil tribal.
Le sénateur Moore : Qui prendrait la décision de construire un immeuble qui ne soit pas raccordé aux égouts et à l'eau courante? Êtes-vous en train de me dire que le ministère approuverait les crédits pour ce genre de construction?
M. Frank : Oui.
Le sénateur Moore : Comment est-ce possible? Cela ne laisse aucune possibilité aux gens.
M. Frank : Non, mais c'est le processus. Cela fait très longtemps que je travaille dans le domaine, notamment pour l'ensemble du processus budgétaire et du processus de répartition des immobilisations. Des rapports d'Acres établissent l'état de vos immeubles et ils sont bien documentés. On s'occupe des plaintes de ceux qui font le plus de bruit. À un moment donné, les collectivités ont des besoins absolus à combler. Et ce sont celles qui se manifestent le plus bruyamment qui obtiennent les crédits.
Le sénateur Moore : Oui, je le sais.
Quand vous dites que l'aspect le plus important est l'engagement au changement, voulez-vous parler d'un changement d'attitude et d'approche de la part des Premières Nations et du Conseil du Trésor en vue de faire passer le cycle de vie d'un projet de 30 à 50 ans? Est-ce que les deux parties devraient envisager un changement? Je ne suis pas certain de ce que vous vouliez dire.
M. Frank : En fin de compte, je dirais que oui. C'est la responsabilité des deux parties, mais j'ajouterais qu'à court terme, il incombe au ministère, au Conseil du Trésor et aux groupes concernés de trouver des moyens de financer et de mettre sur pied des infrastructures au Canada, surtout dans les réserves.
Le sénateur Moore : Quand vous dites qu'il faudrait une entité pour s'occuper d'un projet, proposez-vous qu'il y ait une seule entité au Canada ou qu'il y en ait une pour chaque projet?
M. Frank : En raison des coûts, il ne peut pas y en avoir une seule pour chaque projet. L'Alberta dépense près de 500 000 $ par an pour le groupe immobilier qui administre ses PPP après la construction et s'occupe de l'administration du contrat pendant 25 à 30 ans.
Ce que je veux dire, c'est qu'il faudrait soit une entité, soit au moins deux ou trois pour les régions. L'une pourrait travailler avec la Colombie-Britannique et l'Alberta, une autre avec la Saskatchewan et le Manitoba, une avec l'Ontario, une avec le Québec, et enfin une avec les provinces de l'Atlantique.
Le sénateur Moore : À propos du projet des quatre écoles dans le Nord du Manitoba, des témoins de la Nation de Manto Sipi ont affirmé que le ministère avait décidé de ne pas adopter l'approche PPP. Savez-vous pourquoi?
M. Frank : Oh que oui.
Le sénateur Moore : Pouvez-vous nous le dire?
M. Frank : Certainement.
J'hésite cependant pour diverses raisons. Premièrement, des choses terribles se sont passées lors d'une réunion que nous avons eue avec des hauts fonctionnaires d'AADNC, qui ont carrément menti aux chefs sur les raisons pour lesquelles ils n'allaient pas donner suite au projet.
La principale raison pour laquelle ils ne voulaient pas mener le projet à bien est qu'il n'y avait pas d'entité responsable de l'autorité. Nous le savions. Nous le leur avions dit depuis le début.
Le sénateur Moore : Vous le leur avez dit?
M. Frank : Dès le premier jour, avant même de prendre le projet en mains. Nous leur avons dit qu'ils devaient avoir une entité, qu'ils devaient essentiellement avoir l'approbation du Conseil du Trésor pour une période de concession de 25 à 30 ans.
Le sénateur Moore : Désolé de vous avoir interrompu, vous parliez de la réunion.
M. Frank : Depuis le début, tout le processus a été très pénible. Tout d'abord, le ministère ne comprenait pas bien le mode de fonctionnement du PPP. De son côté, la communauté avait beaucoup à apprendre, car c'était une première pour elle. Certaines organisations provinciales s'imaginaient qu'elles allaient s'enrichir, ce qui n'est pas le cas avec ce type de projets. Étant donné la surveillance associée à un PPP, les comptes à rendre montaient en flèche. C'était tellement différent de leur processus traditionnel que les gens se sont montrés très méfiants.
Ensuite, cette incompréhension a abouti à un certain nombre de problèmes.
Je vais m'arrêter là. Je tiens toutefois à mentionner le courage qu'il a fallu aux quatre communautés pour s'en occuper et les efforts qu'elles ont déployés au sein de la collectivité, car le concept leur était totalement étranger. Le ministère n'a été d'aucune aide, car il jouait sur la carte de l'argent. Premièrement, toute la question des 50 millions de dollars a été très dure à avaler, car cette somme n'allait pas se matérialiser. Tout le monde pensait qu'avec 50 millions de dollars, on allait faire toutes ces constructions et que ce serait très lucratif pour certains. Des gens se sont montrés déplaisants et on a traversé des périodes bien difficiles.
Je ne sais pas ce que vous a rapporté le chef Yellowback sur ce qui s'est passé ensuite, mais les quatre communautés ont laissé MKO se charger du projet en raison des graves problèmes de comptabilité auxquels il avait fait face au cours de la première phase. En fait, les choses allaient tellement mal que ma propre firme, Quilcene Consulting, avait dû refaire toute la comptabilité et en faire rapport à AADNC. Cela nous a pris beaucoup de temps et de travail. Voilà les problèmes que nous avons eus.
Les communautés ont donc pris leurs distances. On a dû refaire toutes les résolutions des conseils de bande et les protocoles d'entente. Il y a eu un changement d'orientation au ministère, qui ne pouvait plus traiter avec MKO. Voilà le type d'entité qu'il voulait mettre sur pied.
Le sénateur Moore : La Nation de Manto Sipi a déclaré qu'elle n'avait pas donné suite au projet à cause des conditions de maintenance qui y étaient associées.
M. Frank : Non, c'est faux.
Le sénateur Moore : D'accord, vous pouvez donc nous dire ce qui en est et je vous poserai ensuite une dernière question.
J'aimerais savoir qui vous a imposé les deux conditions dont vous avez parlé. Vous avez dit qu'on ne les avait pas imposées à la Ville de Winnipeg. Qui a donc décidé de vous imposer ces deux conditions essentielles?
Pourriez-vous répondre à la question de la maintenance, nous dire en quoi était-ce une erreur et qui vous a imposé les deux points que vous avez mentionnés, que j'estime d'ailleurs fondamentaux dans ce genre d'affaires?
M. Frank : Puis-je d'abord finir de répondre à votre première question?
Le sénateur Moore : Oui, absolument.
M. Frank : Ce qu'on a essentiellement appris à la réunion, c'est que le ministère s'était retiré du projet en raison de problèmes liés aux opérations et à la maintenance, mais ce n'était pas vraiment des problèmes. Pour déterminer les risques, nous venions de consacrer plusieurs réunions à une analyse de l'optimisation des ressources. Nous avons sondé le marché. Même s'il n'y avait que quelques organisations dans la région, nous avons fait des démarches auprès d'entreprises s'occupant d'opérations et de maintenance pour déterminer les problèmes qui pouvaient être associés à la maintenance à long terme. Même s'il y avait quelques questions en suspens et quelques inquiétudes, l'intérêt suscité était grand et la maintenance ne représentait pas un problème grave. On pouvait simplement le régler en établissant des conditions qui auraient été prévues au contrat.
Le projet n'a pas abouti parce qu'AADNC n'a pas cherché à mettre sur pied une autorité de projet ou bien il n'a pas obtenu l'accord du Conseil du Trésor pour une période de concession de 25 à 30 ans. C'est là que résidait le problème, et non dans les opérations et la maintenance. Ces dernières suscitaient certes quelques soucis, mais n'est-ce pas le cas de tous les projets?
Voilà les éléments que vous déterminez à l'issue de ces rencontres et vous cherchez à atténuer les risques. Nous n'avons même pas eu la possibilité de le faire et c'est cela qui est triste. L'analyse de rentabilité était positive, nous le savions depuis le début. Nous n'avions même pas à passer en revue tout le plan d'affaires pour le comprendre. Nous savions simplement qu'en prenant quatre écoles, on pouvait les regrouper et créer un élément de conception commun. Nous avions examiné la façon dont l'Alberta avait procédé avec ses écoles faites d'éléments préfabriqués que l'on pouvait regrouper en fonction des besoins. En demandant à l'entrepreneur de bâtir une installation dépassant les spécifications de rendement actuelles — car il ne tenait pas à épuiser toutes ses ressources dans la phase finale, celle de la maintenance —, nous savions que le projet était réalisable. Il ne faut pas être un génie pour s'en rendre compte. Ce n'est pas comme si KPMG, ou PPP Canada d'ailleurs, n'avait jamais réalisé un tel projet.
C'était là la véritable question soulevée à la rencontre et non pas celle des opérations et de la maintenance. Le fait est qu'AADNC n'avait pas fait son travail.
Le sénateur Moore : C'était donc le ministère.
M. Frank : Pourriez-vous reformuler vos deux dernières questions concernant les opérations et la maintenance?
Le président : Si je puis me permettre d'intervenir à propos de la dernière question, vous aviez dit que PPP Canada avait d'abord tendu la main aux Premières Nations en leur offrant son aide pour l'analyse de rentabilisation.
M. Frank : Oui. Il y avait donc l'offre initiale et l'aide qu'ils avaient promis d'apporter dans le cadre de l'analyse de rentabilisation. Comme c'est le cas pour tous les partenariats public-privé, l'avantage de faire appel aux responsables du Fonds PPP Canada pour entreprendre un tel partenariat est que, grâce à leur fonds, ils peuvent accorder à titre d'avoir 25 p. 100 du coût en capital du projet à l'entité qui l'entreprend. Au début, on avait laissé croire aux Premières Nations que cet avoir pourrait prendre la forme d'un prêt non remboursable.
Le coût en capital de notre projet allait s'élever à 32 millions de dollars. Par conséquent, vous devez envisager de payer près de 8 millions de dollars pour assumer votre part de l'apport en capital au projet. Qui va prêter une somme pareille à la Première Nation de Swan Lake? Et il s'agit d'une collectivité très accomplie sur le plan de la gestion et des réalisations.
Ces projets dépendent tous du maintien de l'impulsion.
Le sénateur Moore : C'est vrai et, qui plus est, il y avait le problème du paiement préalable des coûts accessoires.
M. Frank : Tout à fait. C'était l'autre obstacle au projet.
Le sénateur Moore : Donc, qui a retiré ces deux offres?
M. Frank : Il va falloir que vous leur posiez la question.
Le sénateur Moore : À qui dois-je poser cette question?
Le président : Aux responsables du Fonds PPP Canada, n'est-ce pas?
M. Frank : Oui. Jamey Burr et Dale Booth sont les premiers à nous avoir aidés à franchir les étapes du processus. Dans une certaine mesure, ils étaient très compétents. Ce sont leurs supérieurs hiérarchiques qui ont retiré les offres, et c'est essentiellement ce qui a fait avorter le projet. Pour pouvoir entreprendre ce projet, nous avions négocié une entente tripartite entre Manitoba Hydro, le gouvernement du Manitoba et la Première Nation de Swan Lake. Hydro Manitoba allait investir environ 8 millions de dollars dans le projet. Les coûts associés à l'accord d'achat d'énergie étaient un peu bas, mais nous étions en train de les renégocier. Le gouvernement a accepté de participer au projet et de combler les fonds qui manquaient pour le financer, parce qu'il s'agissait d'un projet pilote. Le gouvernement du Manitoba avait pour mandat de mettre en œuvre, entre autres, un projet énergétique communautaire, projet qui n'existe toujours pas dans la province.
Cela dit, c'est essentiellement ce qui nous a convaincus de participer au volet PPP. Nous et le gouvernement du Manitoba désirions participer à ce projet hydroélectrique parce que nous allions recevoir 7,5 p. 100 du coût en capital sous forme d'un prêt non remboursable. En raison des faibles coûts associés à l'accord d'achat d'énergie conclu avec Manitoba Hydro, le rendement financier du projet n'était pas des meilleurs, mais, avec le temps, il allait devenir excellent.
Par conséquent, j'ignore qui a laissé tomber le projet.
Le sénateur Moore : Qui avait établi ces conditions en premier lieu?
M. Frank : Ce sont eux.
Le sénateur Moore : Qui sont-ils?
M. Frank : Les responsables du Fonds PPP Canada. Cela faisait partie de leurs arguments de vente.
Le sénateur Moore : C'était l'appât.
D'accord, merci.
Le président : Sur ma liste, il y a deux sénateurs qui n'ont encore posé aucune question et un qui en est à son deuxième tour. Toutefois, nous allons manquer de temps.
Sénateur Enverga et sénatrice Beyak, pourrais-je vous demander de vous limiter à une question chacun et de la rendre aussi concise que possible?
Le sénateur Enverga : Je vous remercie de votre exposé.
Vous avez mentionné plus tôt un certain manque d'engagement. Pouvez-vous me dire si les Premières Nations repoussent cette idée? Est-ce attribuable au processus de demande, ou à la nature du projet? À quoi leur résistance est- elle due, et qu'est-ce qui empêche les projets d'être menés à bien?
M. Frank : Je ne sais pas si le problème est attribuable en grande partie à la résistance des collectivités. Il y a un manque de compréhension à l'égard de ces projets. C'est là le plus gros obstacle. J'ai également travaillé avec un certain nombre de Premières Nations auxquelles j'ai conseillé de ne pas s'engager dans la voie des PPP parce qu'elles gaspilleraient leur temps et leur argent à le faire. Il faut que nous comprenions exactement quand cet autre processus d'acquisition unique en son genre est approprié.
Je ne dirais pas que les Premières Nations repoussent ce processus. Je dirais plutôt que le processus ne leur est pas familier parce qu'elles sont très habituées qu'on leur dise comment les choses fonctionneront. Les PPP leur permettent d'exercer un assez grand contrôle sur les projets, que ce soit dans le cadre d'un processus entrepris par un conseil scolaire et d'un travail réalisé à l'étape de la conception, ou en fonction de la façon dont l'entité responsable du projet est structurée. Quoi qu'il en soit, les Premières Nations se voient maintenant confier un assez grand degré de contrôle.
Je ne crois pas que les Premières Nations repoussent les processus de ce genre. Elles ont juste un manque de connaissances à cet égard.
La sénatrice Beyak : Ma question vise plutôt à obtenir des précisions. Je crois comprendre que le Conseil canadien pour les partenariats public-privé est un organisme indépendant qui compte un conseil d'administration et un président, soit l'honorable John Manley. Est-ce ce dont nous parlons? Est-ce leurs critères que nous devons examiner? Font-ils avorter des projets qui ne devraient pas l'être?
M. Frank : Vous faites allusion au mauvais groupe.
La sénatrice Beyak : Oh, fort bien.
M. Frank : Le Conseil canadien pour les partenariats public-privé est un organisme à but lucratif ou non, établi à Toronto. PPP Canada est l'organisme chargé de favoriser l'établissement d'infrastructures. Il supervise le Fonds PPP Canada et envisage les possibilités de financement.
La sénatrice Beyak : Qui établit ses critères?
Le président : Il relève du ministre des Finances du Canada.
M. Frank : Oui, c'est tout à fait cela.
La sénatrice Beyak : Qui établit ses critères?
M. Frank : L'organisation comporte un conseil d'administration.
La sénatrice Beyak : Qui préside ce conseil?
M. Frank : Je l'ignore.
La sénatrice Beyak : C'est là la nature exacte de notre problème. Nous devons découvrir qui établit ses critères.
Le président : Nous devrions peut-être faire un suivi à cet égard.
La sénatrice Raine : Pensez-vous que nous avons besoin de concevoir un modèle spécial pour les PPP négociés avec des Premières Nations, en particulier avec celles qui sont éloignées, un modèle différent de celui qu'on emploie dans le reste du Canada?
M. Frank : Je ne sais pas. Je ne peux pas vraiment répondre à cette question. Je pense que nous n'avons pas eu l'occasion de mener complètement à bien ce modèle. C'est le principal problème que j'observe. Nous ne parvenons qu'à un stade où le projet est freiné par quelqu'un. Je pense que c'est ce que la plupart des gens reprochent aux PPP.
La sénatrice Raine : Habituellement, la partie publique d'un PPP est un organisme public comme une municipalité, un conseil scolaire ou un district scolaire. Ces organismes ont une source de revenus ou de taxes sur laquelle ils exercent un contrôle.
M. Frank : Absolument.
La sénatrice Raine : Mais, dans le cas présent, nous demandons aux Premières Nations de contrôler une source de revenus sur laquelle elles n'exercent aucun contrôle.
M. Frank : Non. Les Premières Nations n'ont pas la source de revenus requise. Leur source de revenus relève du Canada.
La sénatrice Raine : Par conséquent, il faut employer un modèle distinct.
M. Frank : Oui. Les collectivités n'ont nullement la capacité d'obtenir ce genre de... il va de soi qu'elles ne sont pas en mesure d'obtenir une cote de solvabilité.
Certaines mesures intéressantes ont été prises. Comme on vous l'a dit, je crois, des obligations ont été émises par l'administration financière responsable de certains projets d'infrastructures, mais elles ont permis de recueillir une somme dérisoire. Je pense qu'ils ont amassé 80 ou 90 millions de dollars, alors qu'il faudrait maintenant investir 2 ou 3 milliards de dollars pour mettre à niveau les infrastructures des réserves. Ces fonds ne suffiront pas.
Le président : Monsieur Frank, j'aimerais vous remercier de votre témoignage franc et éclairant. Vos observations sont à la fois très utiles et — je peux l'admettre au nom du comité — un peu décourageantes.
Chers collègues, nous accueillons aussi M. Jean Vincent, président-directeur général de la Société de crédit commercial autochtone et de la Société d'épargne des Autochtones du Canada. Compte tenu du temps restreint dont nous disposons, je suggère que nous entendions M. Vincent immédiatement. Je pense qu'il a présenté un mémoire dans les deux langues officielles qu'on distribue en ce moment.
Monsieur Vincent, veuillez commencer votre témoignage. Soyez le bienvenu.
Jean Vincent, président-directeur général, Société de crédit commercial autochtone, Société d'épargne des Autochtones du Canada : Je vous remercie de me recevoir ce matin. Chers sénateurs, je suis très fier de témoigner devant vous, et cela me fait très plaisir. Si vous me le permettez, je préférerais faire mon exposé en français. Merci.
[Français]
Vous avez déjà reçu un document. Je ne prétends pas vouloir faire la présentation intégrale du document; je vais plutôt relever certains éléments importants et, par la suite, je serai heureux de répondre à vos questions. Pour débuter, quelques mots sur la naissance de la Société de crédit commercial autochtone et de la Société d'épargne des Autochtones du Canada. Vous n'ignorez pas que l'accès au capital pour les Premières Nations a toujours été un problème, pour différentes raisons, notamment en raison de l'existence de l'article 89 de la Loi sur les Indiens, qui prévoit que les biens d'un Indien dans une réserve sont insaisissables. Il y a également la question des différences culturelles et, évidemment, l'éloignement de plusieurs communautés des grands centres financiers, ce qui rend l'accès au capital plus difficile.
À la suite d'une initiative du gouvernement fédéral et des Premières Nations dans les années 1980, on a assisté à la naissance de plusieurs institutions financières autochtones partout au pays, y compris la Société de crédit commercial autochtone qui a vu le jour en 1992, et qui avait pour mission principale d'offrir du capital aux entrepreneurs autochtones.
À travers son action, la Société de crédit commercial autochtone a écouté les communautés, ses clients, les leaders autochtones, et on s'est aperçu que les besoins en matière de financement dépassaient largement le crédit commercial pour les entreprises. Rapidement, on s'est rendu compte qu'il y avait d'énormes besoins également en matière d'habitation et d'infrastructure.
Au cours de son histoire, la Société de crédit commercial autochtone a donné naissance, en 2005, à une autre organisation qui s'appelle la Société d'épargne des Autochtones du Canada. L'objectif de la Société d'épargne des Autochtones du Canada est, d'une part, d'émettre des obligations pour attirer du capital provenant soit d'individus, soit d'institutions, et, ensuite, de recycler ce capital à l'intérieur des communautés autochtones à diverses fins, notamment à des fins d'habitation et d'infrastructure.
Le modèle de la Société d'épargne des Autochtones du Canada se veut une initiative. Nous ne prétendons pas détenir la solution unique aux problèmes de financement en matière d'habitation et d'infrastructure, mais nous offrons une solution qui vise à changer les mentalités. Dans les communautés autochtones, le modèle d'habitation le plus courant est le modèle des habitations sociales. Les conseils de bande sont propriétaires des unités d'habitation, et les membres des Premières Nations en sont locataires. Nous croyons que ce modèle n'encourage pas la responsabilisation des locataires; nous privilégions donc, plutôt, par l'entremise de la SÉDAC, un modèle qui permet, à terme, aux membres des Premières Nations de devenir propriétaires de leurs unités d'habitation.
Ce modèle offre l'avantage d'avoir une plus grande propension à prendre soin de ses actifs lorsqu'on est propriétaire, contrairement à un locataire pour qui l'habitation n'est pas un actif dont il a intérêt à prendre soin à long terme.
En matière d'habitation, les besoins sont énormes. D'autres témoins qui ont comparu devant vous ont probablement présenté des chiffres. À l'échelle du pays, les besoins liés au rattrapage en matière d'habitation et d'infrastructure se mesurent en milliards de dollars, à l'heure actuelle, dans les communautés autochtones.
Grâce à nos petites organisations, on ne prétend pas avoir trouvé la solution, mais, comme je l'ai dit tout à l'heure, on en a une parmi tant d'autres qui permet aux membres des Premières Nations qui sont en bonne situation financière et qui sont responsables d'accéder à des propriétés. Très souvent, les communautés autochtones qui sont en difficulté financière n'ont plus accès aux garanties ministérielles ou aux services de la Société canadienne d'hypothèques et de logement et, par le fait même, pénalisent tous les membres de la communauté qui voudraient accéder à des unités d'habitation.
J'aimerais vous décrire notre approche en vous exposant d'abord le fonctionnement de la majorité des systèmes de financement liés à l'habitation. Par exemple, en ce qui concerne les garanties ministérielles offertes par le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord canadien, si un individu ou une communauté veut construire des unités d'habitation, ils sollicitent du financement auprès d'une grande banque, et la grande banque accepte de faire le financement dans la mesure où le ministère leur accorde une garantie ministérielle. Si, en fin de compte, le prêt devient en défaut, l'institution financière se tourne vers le ministère pour faire rembourser le prêt et honorer la garantie et, ensuite, le ministère se tourne vers la communauté autochtone et se rembourse la garantie ministérielle à même les budgets qui sont dévolus aux communautés à diverses fins.
Nous croyons qu'il y a un mauvais alignement entre les risques, les responsabilités et le rendement sur le capital. Il n'est pas normal qu'une institution financière fasse des profits sur le capital en ne prenant aucun risque, car elle bénéficie de la garantie du ministère, et que le ministère, en retour, se tourne vers la communauté pour puiser à même son budget dans un contexte de défaut. La solution que nous proposons par l'intermédiaire de la Société d'épargne des Autochtones du Canada est de ne pas mettre à risque la communauté, mais de faire affaire directement avec les individus pour les responsabiliser.
Par exemple, même dans le cas d'une communauté en difficulté financière, qui n'a pas accès à des garanties ministérielles ou aux services de la Société canadienne d'hypothèques et de logement, plutôt que de faire affaire avec la communauté, on propose de faire affaire directement avec les individus qui sont solvables financièrement et que l'on juge responsables et capables de rembourser leur prêt.
Grâce au capital qu'on va chercher à la suite de la vente des obligations, on fait des prêts à des individus dans des communautés sans nécessairement faire intervenir la communauté pour la question de la garantie. C'est un modèle qui fonctionne.
La SÉDAC a été mise sur pied en 2005. Depuis, nous avons vendu pour environ 20 millions d'obligations, dont 80 p. 100 d'entre elles ont été achetées par des membres des Premières Nations, des individus. Plus récemment, compte tenu des besoins grandissants en capital, on a également ouvert le marché des obligations avec le marché institutionnel. Il y a donc des compagnies d'assurances, entre autres, qui ont accepté d'acheter nos obligations.
La raison pour laquelle ce système fonctionne est liée à l'expertise qu'on a développée au moyen de nos institutions. La Société de crédit commercial autochtone existe depuis 23 ans, ce qui fait que, avec un capital original de 8 millions de dollars, qui a été obtenu du gouvernement fédéral, elle a atteint 60 millions de prêts. Elle accorde des prêts, se fait rembourser, reprend le capital et le prête à nouveau, ainsi de suite. Non seulement on a conservé le capital d'origine, mais on l'a fait également fructifier. Avec la Société d'épargne des Autochtones, qui existe maintenant depuis 10 ans, dont la source de capital est la banque d'obligations, les 20 millions d'obligations qui sont vendues et recyclées sous forme de capital et ensuite remboursées, depuis 10 ans, nous n'accusons jusqu'à maintenant aucune perte.
Le système fonctionne bien grâce à l'expertise de l'équipe de gestion qui est en place et aux façons de faire que nous avons développées au fil des ans, ainsi qu'en raison de la connaissance que l'on a du marché.
Plus récemment, nous avons lancé un projet pilote — car la faiblesse de notre système actuel est liée à la capacité d'aller chercher du capital — pour obtenir des sommes de beaucoup supérieures à celles que nous sommes allés chercher jusqu'à maintenant. Nous avons vendu pour 20 millions d'obligations. Notre objectif, à terme, est de faire augmenter notre fonds de prêts jusqu'à 100 millions de dollars. Maintenant, pour aller chercher 100 millions de dollars de capital, nous devons nécessairement travailler avec le marché institutionnel.
Le marché institutionnel nous connaît et nous a observés. Il connaît notre performance et notre taux de succès. Notre taux de perte est pratiquement nul. Le marché institutionnel est donc prêt à nous aider et à nous avancer le capital nécessaire pour financer les besoins en matière d'habitation et d'infrastructure dans les communautés.
Cependant, il nous manque des outils qui existent dans le marché ordinaire. Je vous en parlerai un peu plus tard pour voir comment le gouvernement fédéral pourrait nous aider à assurer la croissance et le développement de nos organisations.
Maintenant, pour faire la démonstration que le système fonctionne et pour pouvoir chercher des appuis, notamment auprès du gouvernement fédéral, ultimement, nous avons mis sur pied un projet pilote. Nous travaillons actuellement avec des partenaires comme la fondation J.W. McConnell, qui a accepté d'investir dans notre projet, ainsi qu'avec d'autres organisations telles que MaRS qui est située à Toronto. Ces gens ont étudié nos façons de faire, nos systèmes et nos mécanismes. Ils croient à la solution que nous proposons et qui consiste à travailler directement, pour ce qui est des prêts, avec les membres des Premières Nations et les individus dans les communautés pour les responsabiliser. Nos partenaires pensent que c'est une solution d'avenir qui fonctionne et qui est rentable.
Je suis PDG de deux organisations, la SOCCA et la SÉDAC, mais je suis également vice-grand chef de la Nation huronne-wendat. C'est une communauté autochtone située au cœur de la ville de Québec. Je pourrais vous en glisser quelques mots, mais j'aimerais parler particulièrement de son fonds d'habitation, que nous avons mis sur pied en 1970.
Je dirais d'ailleurs que le modèle de la SÉDAC est inspiré en grande partie du fonds d'habitation qui fonctionne chez nous depuis 1970. Avant 1970, les habitations appartenaient soit au conseil de bande et étaient louées par les membres des Premières Nations, ou bien certains individus tentaient tant bien que mal de construire eux-mêmes leur maison, avec des moyens financiers qui étaient à peu près inexistants, et les institutions financières ne voulaient pas prêter aux membres, aux Hurons-Wendat qui vivent chez nous.
Donc, les conseils de bande du début des années 1970 recevaient bon an, mal an des subventions et des contributions du gouvernement fédéral pour construire des unités d'habitation. Or, au lieu de prendre ces contributions et de les donner aux individus pour qu'ils puissent se construire des maisons, le conseil de bande, malgré le fait que c'était plus ou moins acceptable — je ne voudrais pas dire que c'était illégal —, compte tenu des règles du programme qui existait à l'époque, a décidé de garder ces contributions et a commencé à les prêter. Donc, les membres de la communauté de Wendake avaient accès, à la fois, à des prêts faits par la communauté de même qu'à des prêts de la caisse populaire de Wendake, à l'époque, qui recevait une garantie de la part du conseil de bande. Tranquillement, ce fonds, dont le capital était prêté et remboursé avec les intérêts, a grossi. Il grossissait également grâce aux subventions reçues chaque année, et ce fonds, aujourd'hui, atteint la somme de 30 millions de dollars. Les membres de la communauté de Wendake peuvent emprunter jusqu'à un maximum de 210 000 $. Le taux de perte dans le portefeuille de prêts est en deçà de un p. 100. Le système d'habitation de Wendake est basé maintenant sur la propriété privée. Donc, les individus sont responsabilisés, ils prennent soin de leur habitation, et on sait que dans le patrimoine d'un individu, une maison constitue l'actif probablement le plus important. Une fois que la maison est payée, les individus peuvent réemprunter sur leur maison pour créer une entreprise ou financer d'autres aspects des activités de leur vie.
La Société d'épargne des Autochtones du Canada ne travaille pas seulement à Wendake, mais avec d'autres communautés un peu partout dans la province de Québec. À partir du modèle qui fonctionne très bien chez nous, on veut exporter ce modèle dans d'autres communautés et, à terme, travailler avec des communautés qui se situent peut- être au même niveau de développement que Wendake, mais également avec des communautés qui sont à des stades de développement beaucoup moins avancés. Or, dans le cas des communautés moins bien structurées et organisées, on a une équipe qui s'occupe non seulement de leur procurer le capital dont elles ont besoin pour se développer, mais également de l'expertise pour les accompagner dans l'élaboration de politiques et de règles en matière d'habitation et de gestion des terres.
Voilà, en quelque sorte, notre expérience et la solution que l'on veut offrir pour pallier les problèmes considérables en matière d'habitation et d'infrastructure que l'on retrouve dans les communautés. Au risque de me répéter, on veut opérer un changement de mentalité, orienter les individus qui ont une mentalité de logements sociaux, où le logement est un dû, vers une mentalité de responsabilisation qui leur permettra de devenir plutôt propriétaires et donc responsables de leur habitacle.
Le modèle fonctionne. On a des partenaires intéressés. Il y a du capital disponible. En fait, j'ai été moi-même président d'une caisse de retraite autochtone au Québec, le Régime des bénéfices autochtones, qui gère actuellement un actif qui dépasse 500 millions de dollars. Ce sont 4 500 retraités, une centaine d'organisations qui bénéficient de ce fonds de pension. Le Régime des bénéfices autochtones, son demi- milliard, il l'investit comme toutes les autres caisses de retraite, dans les obligations, l'immobilier et les infrastructures. Entre autres, le Régime des bénéfices autochtones est prêt à investir dans le modèle de la SÉDAC, pourvu que celle-ci puisse offrir les mêmes caractéristiques de produits d'investissement qu'il retrouve ailleurs dans le marché. De deux choses l'une, les obligations de la SÉDAC devront, à terme, être cotées par des agences de cotation, par exemple Standard & Poor's ou, au mieux, bénéficier de garanties gouvernementales. À ce moment-là, les portes seront ouvertes pour permettre à la SÉDAC d'aller chercher du capital en quantité considérable et de devenir, en partie, une solution aux problèmes d'habitation et d'infrastructure des communautés autochtones.
Je termine ainsi. Il y a quelques années que l'on travaille étroitement avec le gouvernement fédéral pour mettre en place ces mécanismes de garantie du capital. En fait, ce qu'on demande au gouvernement, c'est de mettre en place les mêmes mécanismes qui existent dans l'ensemble du Canada au bénéfice des Canadiens. Grâce à l'expérience pilote de la SÉDAC, on a prouvé que cette garantie ne coûterait pas tellement cher, puisque, à ce jour, le capital qu'on a emprunté des épargnants et que l'on a recyclé dans les communautés sous forme de prêts nous revient, et que le taux de perte, selon notre expérience, est nul depuis 2005. Donc, le coût d'une garantie pour le gouvernement fédéral, à notre avis, serait minime, même à des niveaux d'opération qui seraient de beaucoup supérieurs à ceux que l'on a actuellement.
Voilà. J'espère avoir été clair. Il n'était pas facile en quelques minutes de résumer l'expérience acquise au cours des 25 dernières années avec les Premières Nations avec des essais, des erreurs et des mécanismes.
[Traduction]
Le président : Je me demande si vous pourriez expliquer brièvement la façon dont votre société collabore avec la province de Québec et ses organismes ou avec le gouvernement du Canada pour réaliser une telle réussite. Quelles relations entretenez-vous avec les gouvernements fédéral et provincial au chapitre de l'habitation des Premières Nations?
[Français]
M. Vincent : C'est une excellente question. Je dirais, dans un premier temps, que notre relation est principalement avec le gouvernement fédéral. Je vous disais tout à l'heure que je suis vice-grand chef de la Nation huronne-wendat. À ce titre, je participe également à la vie de la Première Nation, chez nous, et nous avons à traiter plusieurs dossiers, pas seulement en matière économique, mais également en matière d'habitation, de santé et d'éducation.
Pour ce qui est de l'expérience du Québec, c'est toujours un peu un jeu de ping-pong entre le gouvernement fédéral et la province. Prenons comme exemple le dossier de la santé — le dossier de l'habitation est un peu traité de la même façon. Lorsque nous allons consulter le gouvernement fédéral pour parler des dossiers liés à la santé, le gouvernement fédéral a un peu le réflexe de dire : « Écoutez, au Québec, la santé est de compétence provinciale. » Lorsque nous allons consulter le gouvernement provincial pour obtenir des services en matière de santé, la réaction de celui-ci est de dire : « Écoutez, les Premières Nations, les Indiens, c'est de compétence fédérale. » Nous avons donc toujours à travailler avec cette dichotomie entre le fédéral et le provincial.
Cela dit, pour revenir à nos organisations, la SOCCA et la SÉDAC, je dirais que nous avons su établir, autant avec le gouvernement fédéral qu'avec la province, d'excellentes relations. Nous avons surtout acquis une bonne réputation. De fait, nous avons à cœur de bien faire les choses, autant chez la SOCCA, au chapitre du financement commercial, que chez la SÉDAC, en ce qui concerne le financement lié à l'habitation et à l'infrastructure. Nos taux de pertes sont très bas et nous connaissons bien le marché. Nous savons comment travailler avec les communautés, et cette expertise, les gouvernements fédéral et provincial ont pu la constater au fil des ans. Je vous dirais donc que nous avons bonne presse et que nous recevons une bonne écoute de la part des deux gouvernements.
Cela dit, compte tenu du fait que les gouvernements fédéral et provincial se renvoient la balle pour ce qui est de leurs champs de compétences, et compte tenu, surtout, du fait que ce que nous faisons chez la SOCCA et chez la SÉDAC peut être qualifié, tout en demeurant modeste, d'innovateur, nous faisons des choses qui ne se voient pas de façon conventionnelle. Nous ouvrons la voie, nous défrichons la route au fur et à mesure que nous avançons et, lorsque nous soumettons nos besoins et nos attentes aux deux ordres de gouvernement, nous sommes écoutés, nous sommes compris. Nous sentons qu'il y a une volonté de nous aider. Par contre, la lourdeur des systèmes gouvernementaux et la complexité des programmes et des critères des programmes font en sorte qu'il est parfois difficile d'aller chercher le bon outil, l'outil dont nous avons besoin pour poursuivre notre mission auprès des Premières Nations.
De fait, nous ne sommes pas une banque, qui serait régie par la Loi sur les banques. Nous ne sommes pas non plus une caisse populaire, qui serait régie par la loi sur les caisses populaires. Nous sommes donc, en quelque sorte, considérés comme une espèce à part, et nous avons de la difficulté à cadrer, la plupart du temps, avec les programmes existants.
Personnellement, je suis membre d'une Première Nation et, sur le plan professionnel, je travaille au développement économique et au développement des communautés, en particulier sous l'angle du financement, depuis 1982. Alors, c'est devenu un peu une mission, pour ce qui me concerne. C'est peut-être ce qui me motive, finalement, parce que je vous dirais que ce n'est pas routinier, et qu'on ne s'ennuie pas chez nous. Cependant, parfois, c'est un peu décourageant aussi, parce qu'on aimerait que les choses avancent un peu plus vite.
D'ailleurs, parlant de notre expérience du côté de la SÉDAC, nous avons vendu 20 millions d'obligations. Quand on est rendu à un point où les compagnies d'assurances achètent de nos obligations, mais qu'on voudrait passer de 20 millions à 100 millions, les investisseurs institutionnels nous disent : « Oui, nous avons confiance en vous, mais nos politiques d'investissement exigent que, en fin de compte, vos produits d'investissement répondent exactement aux règles et critères inscrits dans nos politiques. »
Donc, à un moment donné, on revient toujours à la case départ, et il est clair que la croissance et le développement de nos organisations dans le futur vont nécessairement devoir compter sur la présence du gouvernement fédéral et de la province, parce que nous n'écartons pas non plus le fait que, dans notre cas, la province de Québec puisse jouer un rôle.
D'ailleurs, évidemment, dans le cadre de mes fonctions de vice-grand chef, j'ai souvent l'occasion de traiter avec le premier ministre du Québec et avec les ministres provinciaux. Ainsi, lorsque nous les rencontrons, je ne rate pas l'occasion de leur parler de ce que nous faisons au sein de nos institutions financières.
[Traduction]
Le président : Merci.
Monsieur, vous savez, je crois, que l'étude du comité met l'accent sur les logements des Premières Nations dans les réserves. Nous examinons les difficultés liées au financement, à l'octroi de prêts aux membres des Premières Nations qui vivent dans les réserves. L'un des obstacles — et je pense qu'il est mentionné dans le site web de la Société d'épargne des Autochtones du Canada — tient au fait que la Loi sur les Indiens interdit la saisie des biens d'un Indien ou d'une bande dans une réserve.
Vous avez émis des obligations pour pouvoir accorder des prêts aux membres des Premières Nations et leur permettre de devenir propriétaires de leur habitation. Avez-vous trouvé un moyen de surmonter l'obstacle que constitue l'impossibilité d'utiliser les propriétés comme garanties pour les prêts? Avez-vous été en mesure de contourner ce problème dans le cas d'un membre d'une Première Nation qui vit dans une réserve et qui souhaite obtenir un prêt pour acheter une habitation?
[Français]
M. Vincent : La réponse est oui. Le mécanisme qu'on utilise à la SÉDAC pour le financement de l'habitation a été développé dès la naissance de la Société de crédit commercial autochtone au début des années 1990. Je vous rappelle que, en ce qui concerne la SOCCA, sa mission est de faire du financement commercial; cependant, quand on parle de financement, on fait face aux mêmes défis et aux mêmes contraintes liés à la Loi sur les Indiens, soit l'article 89 dont je vous parlais tantôt.
L'un des premiers problèmes auxquels nous avons fait face, au début des années 1990, lorsque nous avons amorcé les opérations de la SOCCA, était de trouver des mécanismes pour être en mesure de saisir et de récupérer des actifs pour lesquels des emprunteurs étaient en défaut auprès de notre organisation.
Évidemment, la Loi sur les Indiens, comme vous l'avez très bien dit, ne permet pas à des institutions financières ou à des prêteurs non indiens de saisir les actifs, que ce soit au moyen d'hypothèques ou d'autres formes de garantie. Alors, très rapidement, nous avons élaboré un système qui fait intervenir les conseils de bande, par l'intermédiaire d'ententes de garantie tripartites.
Ce que je suis en train de dire s'applique exactement pour la SÉDAC en matière d'habitation. Lorsque la SOCCA accorde un prêt à un entrepreneur, par exemple, pour financer un bâtiment sur une réserve, un garage, et que l'emprunteur devient en défaut, dans un tel cas nous avons développé des ententes avec les conseils de bande. Le conseil de bande peut reprendre possession d'un actif qui appartient à l'un de ses membres. Le conseil de bande, ensuite, gère cet actif a pendant un certain temps au bénéfice de la SOCCA, le temps de trouver soit un locataire ou un nouvel acheteur afin que l'actif ne soit pas perdu et qu'il soit possible de le recycler à l'intérieur d'un autre projet. Ce sont donc des ententes de garantie tripartites entre la SOCCA, qui est le prêteur, le conseil de bande, qui a le pouvoir d'agir dans la communauté, et l'emprunteur, qui est le membre d'une Première Nation. Évidemment, toutes ces ententes sont signées avant que le prêt ne soit déboursé. Cela ne vient pas a posteriori, mais bien au moment où le prêt est approuvé.
De façon accessoire, nous avons mis en place aussi ce qu'on appelle une offre de vente pour un dollar. Donc, l'emprunteur a accepté, au moment de signer son prêt, de vendre à la SOCCA bâtiment et équipement pour un dollar dans un contexte de défaut de prêt. Évidemment, le tout ne se fait pas de façon automatique. Quand il y a un défaut, nous discutons avec nos emprunteurs et nous tentons de trouver des solutions. Toutefois, ultimement, quand cela ne fonctionne pas, nous faisons appel à ces mécanismes et nous faisons intervenir la communauté au moyen de l'entente de garantie tripartite pour gérer les actifs que nous avons récupérés dans le cadre d'une offre de vente qui avait été préalablement acceptée par l'emprunteur dans un contexte de défaut.
Ce système n'a pas été testé en cour. Par contre, nous avons dû l'utiliser. Nous ne l'avons pas fait très souvent, mais c'est arrivé dans l'histoire de la SOCCA. Cela ne s'est pas produit dans l'histoire de la SÉDAC. Je vous rappelle qu'en 10 ans, la SÉDAC n'a connu aucune perte ni défaut, grâce à la façon dont nous gérons nos projets, grâce à notre équipe et à notre capacité d'évaluer le marché. Nous faisons de bons investissements. Avec la SOCCA, dans le secteur commercial, nos taux de perte sont très bas, mais il peut arriver qu'il y ait des défauts.
Même si nous n'avons pas eu à tester ces mécanismes de garantie en cour, il est arrivé, dans certains cas, que nous ayons dû reprendre des actifs et que des emprunteurs aient fait appel à des avocats. Certains bons avocats du Québec se sont penchés sur le système et ont conseillé à leur client, qui était notre emprunteur, de ne pas aller plus loin, que le système fonctionnait. Les mécanismes que l'on a développés au sein de la SOCCA, dans le volet commercial, sont les mêmes dont on se sert du côté de la SÉDAC pour financer des projets d'habitation et d'infrastructure pour les Premières Nations.
[Traduction]
La sénatrice Raine : Merci beaucoup. Vos propos sont très intéressants. J'ai quelques questions à vous poser.
Le modèle sur lequel la SOCCA et la SÉDAC reposent a-t-il été adopté par d'autres Premières Nations du Québec, ou est-il en train de l'être? Je pense que certaines Premières Nations de la Colombie-Britannique exploitent des sociétés semblables et gèrent des situations semblables. Je me demande simplement si, à l'échelle nationale, vous communiquez avec d'autres Premières Nations mettant en œuvre ce genre de financement novateur, qui est si important pour l'avenir des Premières Nations.
[Français]
M. Vincent : J'ai deux volets de réponse à votre question. À travers la SOCCA ou la SÉDAC, nous sommes en communication avec d'autres Premières Nations au Québec, et aussi au Canada. En fait, la SOCCA fait partie de ce qu'on appelle l'Association nationale des sociétés autochtones de financement, ou la NACCA, National Aboriginal Capital Corporations Association of Canada.
Les sociétés autochtones de financement ont vu le jour à partir du milieu des années 1980 jusqu'au début des années 1990. Les Premières Nations et le gouvernement fédéral en ont mis sur pied une cinquantaine. Dès 1993, j'ai été impliqué, avec d'autres directeurs généraux de sociétés de financement, dans la mise en place de l'Association nationale des sociétés autochtones de financement. On voulait s'assurer que le réseau des sociétés de financement disposait d'un organisme central qui pourrait, d'une part, faire du lobbying auprès du gouvernement et, d'autre part, permettre l'échange d'information entre les sociétés de financement. D'ailleurs, l'Association nationale des sociétés autochtones de financement est née au Québec, en 1995. J'ai été membre du conseil d'administration de la NACCA pendant une dizaine d'années environ.
L'autre volet de ma réponse est le suivant. De façon plus spécifique, l'action de la SOCCA et de la SÉDAC se situe dans la province de Québec. Je vous ai parlé de l'expérience de Wendake, qui est une Première Nation située au cœur de Québec. Le siège social de la SOCCA et de la SÉDAC est à Wendake, mais le marché de ces deux institutions est la province de Québec. Par conséquent, on travaille, avec la SOCCA, avec presque la majorité des Premières Nations du Québec et, chez la SÉDAC, avec l'entièreté des Premières Nations du Québec. C'est le marché.
Plus particulièrement chez la SÉDAC, actuellement, à part Wendake, nous avons six autres communautés qui font partie du projet pilote que nous avons mis en œuvre avec la fondation J.W. McConnell. Notre objectif et notre mission sont d'exporter le modèle de Wendake et la solution de la SÉDAC dans le plus grand nombre de Premières Nations, dans un premier temps au Québec. Toutefois, rien ne nous empêcherait de sortir éventuellement des frontières du Québec et de nous étendre un peu plus loin au Canada. Tout dépendra des moyens financiers et de la capacité que nous aurons, à terme, de lever du capital.
Le capital, on l'a identifié et on sait où il se trouve. Nous avons des partenaires qui souhaiteraient investir ce capital chez nous. Ce qui nous manque, maintenant, ce sont des mécanismes de garantie. Nous tentons de convaincre le gouvernement fédéral de nous accorder cette aide.
J'ai eu l'occasion de rencontrer M. Valcourt, qui est le ministre des Affaires autochtones. Il connaît bien le projet de la SÉDAC. Il a d'ailleurs accepté, à notre grand plaisir, d'investir 500 000 $ dans la SÉDAC, en 2014, pour nous permettre justement d'assurer le développement de l'organisation. À cette somme s'est ajoutée une autre enveloppe de 500 000 $, qui a été approuvée par la fondation J.W. McConnell.
[Traduction]
La sénatrice Raine : Pour donner suite à vos propos, je précise que je peux comprendre la raison pour laquelle la modification des mentalités est un défi qu'il est très important de relever. J'aimerais vous féliciter des efforts que vous déployez à cet égard. Toutefois, je me demande si le modèle employé par la SÉDAC sert aussi à financer des infrastructures, ou s'il se limite aux logements des Premières Nations.
[Français]
M. Vincent : On parle des habitations et des infrastructures.
Avec l'expérience acquise dans le cadre de la SOCCA et de la SÉDAC, qu'on veuille financer des projets commerciaux, des projets d'habitation ou des projets d'infrastructure, le nerf de la guerre, c'est essentiellement le capital. Nous savons où se trouve le capital et nous connaissons les besoins des Premières Nations; qu'il s'agisse de développement économique, des infrastructures ou de l'habitation, sur le plan financier, que l'on parle de capital ou de recycler ce capital dans les communautés, il s'agit des mêmes mécanismes. On n'a pas à réinventer la roue chaque fois qu'on veut s'attaquer à un besoin précis au sein des communautés. En réalité, on a mis en place une machine à ramasser de l'argent pour le réinvestir dans les communautés, mais, essentiellement, les mêmes mécanismes s'opèrent qu'il s'agisse de levée de capitaux, de garanties de prêts et de remboursements.
[Traduction]
Le président : Sénateur Moore, c'est vous qui poserez la dernière question.
Le sénateur Moore : Merci, monsieur Vincent, de votre présence. Vous avez mentionné que 123 membres des Premières Nations avaient investi dans vos obligations. J'aimerais connaître le taux d'intérêt que vous avez offert aux détenteurs d'obligations et savoir si La fondation de la famille J. W. McConnell est l'un de ces détenteurs, ou si elle a investi dans d'autres fonds.
[Français]
M. Vincent : Pour répondre à votre première question, le taux d'intérêt que l'on paie aux détenteurs d'obligations se situe autour de 4 p. 100.
Compte tenu du fait que nous ne disposons pas d'une garantie gouvernementale ou que nous n'avons pas eu les moyens, jusqu'à maintenant, de donner une cote BBB ou AAA à nos produits d'obligation, nous devons offrir un taux d'intérêt un peu supérieur de façon à intéresser les investisseurs qui nous connaissent et qui ont confiance en nous, mais qui, à la fois, prennent aussi un risque additionnel par rapport au fait d'acheter, par exemple, un dépôt à terme auprès d'une grande banque ou d'acheter des bons du Trésor du gouvernement fédéral. Il est évident que nous sommes obligés, dans le cadre de notre système, de payer une prime qui n'est pas si grande, mais que nous devons tout de même payer.
Pour répondre à votre autre question, la fondation McConnell a fourni une contribution à notre organisation qui, à terme, pourra être non remboursable dans la mesure où nous atteindrons les objectifs fixés dans le cadre du projet pilote.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Les fonds investis par La fondation de la famille J. W. McConnell sont-ils réservés au financement de logements? Je sais que ses dirigeants sont vivement intéressés par les collectivités des Premières Nations et qu'ils font partie des principaux participants à leurs activités. Les fonds étaient-ils prévus pour le logement, ou ont- ils été versés dans l'un de vos fonds à vocation particulière?
[Français]
M. Vincent : Une proportion de 75 p. 100 de l'investissement servira à construire des habitations dans les communautés, et environ 25 p. 100 de l'investissement servira à financer les frais de recherche et de développement engagés chaque année. En fait, il faut bien le dire, pour développer des organisations comme la SOCCA et la SÉDAC, pour sortir des sentiers battus et innover, cela demande énormément de temps et d'énergie, mais cela demande également de l'argent. En fait, on innove continuellement et on met en place des mécanismes qui n'existent pas. Nous devons travailler, non seulement à partir de l'expertise interne qui s'est développée chez nous, mais nous devons aussi régulièrement travailler avec des spécialistes et des experts qui, évidemment, ne sont pas bénévoles. Chaque année, d'importants frais de recherche et de développement sont donc engagés et, en partie, la fondation McConnell a accepté de participer à cet effort de guerre. Toutefois, la grande partie de son investissement servira spécifiquement à construire des unités d'habitation dans les communautés.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Merci.
[Français]
M. Vincent : Si vous me le permettez, j'aimerais ajouter que le ministère de l'Emploi et du Développement social, il y a environ deux ans, avait fait un appel d'offres auprès de tous les Canadiens — pas seulement auprès des Premières Nations — pour la soumission de projets innovateurs faisant appel, notamment, à la finance sociale. Quand on travaille avec la fondation McConnell, on touche le volet de la finance sociale.
Le ministère de l'Emploi et du Développement social avait reçu, à l'époque, environ 150 projets. Il s'agissait un peu d'une compétition nationale, et le ministère en a retenu une dizaine, dont le projet de la SÉDAC. D'ailleurs, cette initiative est documentée dans un rapport qui s'intitule Exploiter le pouvoir de la finance sociale au Canada; nous en étions bien fiers. Cela n'a pas été payant sur le plan financier, parce qu'il n'y avait pas d'aide financière qui y était rattachée. Par contre, pour faire connaître notre produit, et en matière de reconnaissance et de réputation, cela a été un bon coup dans notre cas.
Notre projet est donc bien connu du gouvernement fédéral, et plus particulièrement du ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord, qui nous connaît très bien; évidemment. Nous cognons à leur porte régulièrement et nous nous organisons pour ne pas qu'ils nous oublient.
[Traduction]
Le président : Monsieur Vincent, voilà des renseignements très utiles auxquels nous donnerons suite. Nous allons également chercher à en apprendre davantage au sujet de l'Association nationale des sociétés autochtones de financement que vous avez mentionnée. J'aimerais vous remercier de votre témoignage qui s'est avéré très profitable.
(La séance est levée.)