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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 13 - Témoignages du 21 avril 2015


OTTAWA, le mardi 21 avril 2015

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 32, pour étudier les problèmes liés à l'infrastructure dans les réserves des Premières Nations.

Le sénateur Dennis Glen Patterson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les sénateurs ainsi qu'aux membres du public qui assistent à cette séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones ou qui la regardent sur la chaîne CPAC ou sur le Web.

Je m'appelle Dennis Patterson, sénateur du Nunavut. Le mandat de notre comité consiste à examiner les projets de loi et les questions qui touchent les peuples autochtones du Canada en général. Ce matin, nous allons entendre des témoignages dans le contexte d'un ordre de renvoi précis nous autorisant à examiner, en vue d'en faire rapport, les problèmes et les solutions possibles liés à l'infrastructure dans les réserves, notamment pour ce qui est du logement, des infrastructures communautaires, des options de financement novatrices et des stratégies de collaboration plus efficaces.

Nous avons terminé nos audiences sur la question du logement, et nous en sommes maintenant aux dernières étapes de notre étude sur l'infrastructure.

Nous entendrons aujourd'hui deux témoins, et j'en suis ravi. Nous accueillons tout d'abord, ici même dans la pièce, un témoin que nous connaissons bien : M. C.T. Manny Jules, commissaire en chef de la Commission de la fiscalité des Premières Nations. Nous sommes ravis de vous revoir.

Notre deuxième témoin comparaît devant nous par vidéoconférence à partir de New York. Il s'agit de M. Ken Coates, collaborateur émérite dans les dossiers des Autochtones et du Nord canadien à l'Institut Macdonald-Laurier.

Avant que nous commencions à entendre les témoins, j'invite les membres du comité à se présenter.

Le sénateur Moore : Bonjour. Wilfred Moore, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Sandra Lovelace, Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Watt : Sénateur Watt, du Nunavik.

Le sénateur Sibbeston : Je m'appelle Nick Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest.

La sénatrice Beyak : Bonjour. Sénatrice Lynn Beyak, de l'Ontario.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l'Alberta.

Le président : Merci, chers collègues.

Messieurs, je vous remercie beaucoup de comparaître pour aider le comité dans le cadre de son étude. Nous avons hâte d'entendre vos exposés. Les sénateurs vous poseront des questions par la suite. Nous pourrions commencer par entendre M. Coates, qui sera suivi de M. Jules.

Monsieur Coates, allez-y, s'il vous plaît.

Ken Coates, collaborateur émérite dans les dossiers des Autochtones et du Nord canadien, Institut Macdonald-Laurier : Merci à tous. C'est un honneur pour moi d'être parmi vous aujourd'hui et d'avoir l'occasion de vous parler. Je crois comprendre que je n'ai que quelques minutes pour résumer ma pensée. C'est d'autant plus un honneur pour moi de comparaître avec le chef Manny Jules, dont le travail est à la base de notre changement d'attitudes sur les enjeux dont il est question aujourd'hui.

Je vais très rapidement vous parler du contexte. Les nouvelles règles sur la mise en valeur des ressources et les droits des Autochtones en général ont donné pour la première fois au pays, depuis la Confédération, la possibilité de partager sa prospérité avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Des occasions s'étaient déjà présentées dans le passé, mais elles n'avaient pas été saisies.

Or, nous avons maintenant des règles. Nous avons de nouvelles règles sur l'obligation de consulter et d'accommoder et sur le partage des revenus, ce qui existe dans bien des régions du pays. Plus de 250 sociétés de développement économique autochtones ont, collectivement, plusieurs milliards de dollars d'actifs. En fait, pour la toute première fois dans l'histoire du Canada, des collectivités de Premières Nations, de Métis et d'Inuits ont des revenus autonomes et des actifs pouvant être investis qui représentent des sommes substantielles.

Le problème lié au développement de l'infrastructure dans les réserves dont il est question ici est peut-être l'un des plus importants auxquels notre pays et l'ensemble des peuples autochtones sont confrontés.

Tout d'abord, il y a un facteur, et c'est la chance du point de vue de l'emplacement géographique. Certaines collectivités autochtones vivent près d'une grande ville, d'une ressource, d'une destination qui attire les touristes, et une position géographique avantageuse peut donc créer des possibilités. Or, une position géographique désavantageuse a exactement l'effet contraire. Les collectivités qui sont trop éloignées, involontairement, et qui vivent loin du réseau routier, par exemple, peuvent faire face à d'importantes difficultés sur le plan des ressources et de l'aide qui leur sont fournies.

Il existe très peu de possibilités d'investissements et de développement économique dans ces peuplements autochtones, et certaines collectivités très éloignées adoptent des solutions très novatrices. Je viens du Yukon, et je suis vraiment impressionné par ce qu'on réalise dans des endroits comme Old Crow, où la collectivité examine les possibilités d'accumuler du capital qui s'offrent à l'extérieur des réserves, réussit extrêmement bien à créer de la richesse pour l'ensemble de la collectivité et utilise cette richesse pour stimuler le développement économique dans la réserve.

Il y a un autre phénomène que nous devrions prendre en considération : la migration d'un grand nombre d'Autochtones hors des réserves. Nous nous retrouvons avec une fausse dichotomie en quelque sorte. C'est-à-dire que nous tenons pour acquis que les gens vivent soit dans une réserve, soit en dehors d'une réserve alors qu'en fait, pour bon nombre de peuples des Premières Nations, d'Inuits et de Métis, les deux réalités s'appliquent. Ils vivent en partie dans leur réserve, et en partie dans les grands centres et peut-être dans le Sud.

Toutefois, les populations se déplacent et en fait, certaines collectivités, en Saskatchewan par exemple, ont décidé de ne pas investir beaucoup dans leur réserve. Elles n'y voient pas de possibilités économiques et elles commencent à voir la réserve comme un centre cérémoniel, un lieu de détente estivale, un endroit où l'on retourne pour participer à des activités cérémonielles importantes.

Nous savons également que dans ces collectivités, une grande stabilité économique est essentielle au maintien de l'infrastructure. Les collectivités qui ont des bases économiques solides sur le plan de l'emploi et d'autres possibilités peuvent soutenir l'infrastructure; ailleurs, on construit de nouvelles installations, de nouvelles maisons, et cetera, mais la situation de pauvreté générale dans la collectivité et un manque de débouchés économiques font en sorte qu'il est difficile de maintenir cette infrastructure avec le temps.

Dans bien des cas — et je suis certain que vous en avez discuté longuement —, nous finissons par nous retrouver avec un déficit important dans les réserves. Le manque de logement dans les collectivités autochtones au Canada est grave. Nous avons des problèmes importants liés à l'approvisionnement en eau. Tout le monde sait que l'accès à Internet est un pilier de la nouvelle économie et de la nouvelle société, mais les services offerts à certaines collectivités éloignées sont de qualité inférieure, pour dire les choses gentiment et poliment. Nous avons des problèmes importants sur le plan de l'accès routier.

En fait, ce que je constate — et nous pourrons en discuter —, c'est que dans notre pays, nous n'avons pas de normes claires et nous n'avons pas exprimé nos attentes. Il n'y a pas de normes nationales uniformes sur l'infrastructure de base de nos collectivités. Le fait qu'une collectivité isolée a de la difficulté à s'approvisionner en eau et à accéder à Internet ne semble pas nous poser problème.

J'attire votre attention sur les conditions qui existent dans des pays comme la Norvège — certains y sont déjà peut- être allés. Il y a de nombreuses années, le gouvernement norvégien a pris la décision de veiller à ce que toutes les collectivités aient également accès à l'infrastructure, et ce, pas seulement quand les ressources sont abondantes : les routes seraient pavées, sans nids-de-poule, les logements seraient convenables et tous auraient accès à des hôpitaux et à d'autres biens communautaires.

De façon plus générale, au Canada, l'idée selon laquelle les peuples autochtones devraient avoir les mêmes possibilités que les autres Canadiens ne s'est pas encore vraiment imposée. À mon sens, l'infrastructure témoigne justement de ces types de problèmes.

Concernant les éléments positifs, de nouveaux modèles font leur apparition; on remarque de nouvelles attitudes par rapport à l'aménagement immobilier et à la propriété foncière des Autochtones et il y a une résurgence du modèle coopératif, ce qui est important dans l'Arctique. Nos collègues qui se trouvent dans le Grand Nord le savent très bien. Le potentiel du modèle coopératif — de la propriété collective en général — est énorme.

Ce qui est positif dans tout cela, c'est que bon nombre de collectivités autochtones génèrent elles-mêmes des revenus. Elles ont trouvé des moyens, au-delà des transferts qui existent même dans le cadre du partage des recettes de l'exploitation des ressources, où des sociétés de développement économique et des entreprises importantes jouent un rôle, et elles génèrent des sommes importantes de revenus autonomes qu'elles peuvent utiliser pour assurer leur stabilité à long terme. Elles ont la capacité de réinvestir dans les installations locales — les logements, par exemple — en particulier dans la construction de biens communautaires, sous la forme de nouvelles activités commerciales, de centres communautaires, et cetera.

Avant de terminer mon exposé — on m'a dit qu'il ne devait pas dépasser cinq minutes —, je veux dire qu'à mon avis, nous n'avons pas encore tenu de véritable débat national quant à savoir qui doit payer pour l'infrastructure et quelle partie doit relever du gouvernement fédéral et des territoires et des provinces; jusqu'à quel point l'infrastructure se rattache aux biens régionaux, par exemple pour ce qui est des installations routières, des sources d'approvisionnement en eau et de la protection contre l'incendie; et quelles sont les attentes concernant les collectivités autochtones en tant qu'individus — les membres des collectivités, pour ce qui est de se procurer leurs propres logements —, et la responsabilité des collectivités dans leur ensemble, d'autant plus qu'elles ont maintenant des actifs à investir et des revenus autonomes.

Je vais conclure en parlant d'un sujet dont vous avez longuement discuté, j'en suis sûr. Les lieux où vivent bon nombre de collectivités autochtones dans notre pays représentent un défi de taille compte tenu des coûts du transport de ressources dans les collectivités éloignées, de la difficulté à fournir des services dans des régions qui n'ont pas facilement accès aux routes, des problèmes graves liés au temps qu'il fait et aux conditions extrêmes — surtout dans le Grand Nord — et des coûts qu'aucune collectivité, autochtone ou non autochtone ne pourrait éponger par ses propres ressources et possibilités économiques.

Enfin, en tant que Canadiens, nous avons un défi à surmonter : assumer la responsabilité de garantir l'égalité des chances et d'adopter des normes nationales uniformes pour l'infrastructure et nous assurer que les peuples autochtones de notre pays bénéficient de l'aide et des installations équivalentes qui sont à celles que les non-Autochtones ont et tiennent généralement pour acquises. Merci.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Coates.

C'est maintenant au tour de M. Manny Jules de présenter son exposé. Je demande aux membres du comité d'attendre qu'il ait terminé avant de poser des questions à nos deux témoins, s'il vous plaît.

C.T. (Manny) Jules, commissaire en chef, Commission de la fiscalité des premières nations : Bonjour, honorables sénateurs. Je suis le commissaire en chef de la Commission de la fiscalité des premières nations.

C'est un honneur pour moi d'avoir été invité une fois de plus à comparaître devant votre comité pour faire des suggestions pratiques relativement à des questions importantes. Pourquoi nos peuples sont-ils si pauvres? Pourquoi les habitants d'origine du Canada n'ont-ils pas une part des richesses du pays? Pourquoi la situation de l'infrastructure des collectivités des Premières Nations n'équivaut-elle pas à celle du reste du Canada, et pourquoi les peuples des Premières Nations n'appuient-ils pas plus fortement la mise en valeur des ressources?

Comme je l'ai déjà dit, les réponses à ces questions sont simples : sur les plans législatif et fiscal, nous avons été poussés en marge de la fédération canadienne. Au Canada, chaque projet de développement des ressources — lorsqu'on exploite une nouvelle mine, par exemple —, produit deux types d'avantages. Premièrement, il y a les avantages économiques qui profitent aux individus sous forme d'emplois, de contrats et de profits. Deuxièmement, il y a les avantages fiscaux qu'en retirent les gouvernements sous forme de taxes et d'impôts qui sont utilisés pour améliorer la situation de l'infrastructure, du logement, de la santé, de l'éducation et d'autres services. Les recettes fiscales permettent aux Canadiens de mieux profiter financièrement de la mise en œuvre des ressources.

En raison de décisions qui ont été rendues récemment par des tribunaux, les Premières Nations commencent à générer des avantages économiques. Cependant, très peu d'entre elles produisent des avantages fiscaux par la mise en valeur des ressources, en particulier des avantages directs, c'est-à-dire des revenus.

Non seulement nous n'en tirons pas d'avantages directs, mais nos avantages indirects, c'est-à-dire les transferts, sont plafonnés. Il en résulte que notre situation quant à l'infrastructure, la santé, l'éducation et le logement est bien inférieure aux normes nationales. Il nous faut créer un avantage fiscal pour les Premières Nations, de sorte qu'elles puissent elles aussi bénéficier des revenus directs découlant des projets de développement qui sont menés sur leur territoire.

Des gens proposent que les gouvernements provinciaux partagent avec les Premières Nations une part des revenus qu'ils tirent de la mise en œuvre des ressources. C'est un bon début, mais le partage des revenus n'équivaut pas à une compétence fiscale.

Je suis bien placé pour dire que la solution, c'est l'obtention d'une compétence fiscale. Au cours des 40 dernières années, j'ai travaillé à l'établissement d'une telle compétence pour les Premières Nations. Ma collectivité, la bande Tk'emlúps te Secwepemc, a été la première du pays à conclure un accord de partage des revenus avec le gouvernement provincial. Mon frère a participé aux négociations qui ont mené à l'accord.

Je vais maintenant dire quelque chose qui risque de vous surprendre : nous n'avons jamais considéré le partage des redevances comme un objectif ultime, comme la meilleure solution pour le partage des avantages fiscaux. La meilleure solution, depuis toujours, c'est la mise en place d'une compétence fiscale. Nous, les Premières Nations, avions une compétence fiscale bien avant notre premier contact avec les Européens. Comme l'a dit la Cour suprême en 1995, notre pouvoir de taxation est un pouvoir proprement gouvernemental.

Au cours des 20 dernières années, des Premières Nations de partout au pays sont parvenues à établir des compétences sur l'impôt foncier et la taxe de vente. Ces revenus ont permis d'améliorer les services communautaires et l'infrastructure. Ces compétences ont été établies de façon coordonnée et efficace en collaboration avec les gouvernements fédéral et provinciaux par des mesures législatives et avec l'aide de la Commission de la fiscalité.

Élargir notre compétence fiscale pour qu'elle s'applique aux projets d'exploitation des ressources atténuerait en grande partie l'opposition à ces projets et l'incertitude des gens en Colombie-Britannique et partout ailleurs au pays. Cela ferait en sorte qu'on aurait les revenus nécessaires pour enfin corriger les lacunes sur le plan de l'infrastructure, des services et de l'économie.

Il ne devrait pas être question du partage d'une taxe qui a été créée par un gouvernement provincial pour un nombre limité de projets. Il nous faut parler d'une taxe transparente des Premières Nations, d'une taxe autochtone sur les ressources, et de la façon dont les gouvernements fédéral et provinciaux devraient libérer de l'espace fiscal, de sorte que les investissements ne disparaissent pas, et je vais vous expliquer pourquoi.

Premièrement, les décisions rendues par les tribunaux ont permis aux Premières Nations de ne plus avoir à lutter pour obtenir des titres et des droits et de passer à une ère de propriété et de compétence. Ce sont les taxes et les impôts qui font vivre les gouvernements. C'est le moyen pour nous de rétablir notre place au sein de la fédération. C'est le point de départ d'une nouvelle relation financière avec le Canada.

Deuxièmement, dans bon nombre de types de projets, comme les projets de pipelines, le partage des redevances n'est pas applicable. Il n'y a pas de redevance pertinente, et ce sont les gouvernements fédéral et provinciaux qui profitent de la plupart des avantages fiscaux.

Troisièmement, la capacité de générer des revenus sous forme de redevance est déterminée par les gouvernements provinciaux, et non par nous. Donc, s'ils veulent prévoir une exemption temporaire du versement de redevances, et que nous partageons les revenus, nous n'obtiendrons pas un sou durant toute la période où l'exemption sera en vigueur. S'ils veulent faire passer l'incidence fiscale des redevances à l'impôt sur les sociétés, les Premières Nations obtiendront moins.

Quatrièmement, le processus de négociation sur les accords financiers avec les sociétés qui exploitent des ressources constitue ce que j'appelle de la pseudotaxation. Il est vraiment très inefficace et même destructeur. Il prend beaucoup de temps, crée de l'incertitude et, au bout du compte, il peut nuire aux accords et aux investissements. Il devrait être remplacé par une taxe transparente, déterminée à l'avance et facile à administrer.

Cinquièmement, et les gouvernements provinciaux doivent soulever ce point également, avec le partage des redevances, les provinces libèrent de l'espace fiscal pour les Premières Nations, mais pourquoi n'appartiendrait-il qu'aux gouvernements provinciaux de le faire?

Au cours des 30 prochaines années, ce sont les gouvernements provinciaux qui feront face aux plus grands défis sur le plan financier. Les Premières Nations relèvent de la compétence du gouvernement fédéral. De nombreux projets d'exploitation des ressources et d'infrastructure touchent plus d'une province, ce qui fait en sorte que le partage des redevances dans une seule province ne fonctionne pas bien.

Le gouvernement fédéral sortira gagnant sur le plan fiscal si nous réduisons les obligations associées à l'infrastructure et à la pauvreté des Premières Nations. Le gouvernement fédéral est souvent le principal bénéficiaire au chapitre des nouvelles recettes lorsqu'un projet est mis en branle.

Nous devrions nous interroger sur la manière dont nous allons coordonner cette taxe. Voici ce que je suggère. Il suffirait d'une initiative toute simple pour nous permettre de régler une grande partie des problèmes liés au soutien des Premières Nations à la mise en valeur des ressources et découlant de la croissance du déséquilibre fiscal entre le fédéral et les provinces. Le gouvernement fédéral pourrait procurer une marge fiscale aux Premières Nations en offrant aux entreprises un crédit d'impôt en fonction des taxes payées aux Premières Nations. Les gouvernements provinciaux pourraient faire de même.

La Commission de la fiscalité pourrait collaborer avec les Premières Nations pour créer une taxe équitable, facile à administrer, transparente et assortie de faibles coûts d'observation. Les gouvernements des Premières Nations cesseraient ainsi d'être les seuls à ne pas toucher de revenus lorsque leurs terres sont mises en valeur.

En conséquence, je prie votre comité de recommander, dans le cadre de la présente étude, que le gouvernement fédéral commence à envisager les moyens à mettre en œuvre pour l'intégration d'une taxe autochtone sur les ressources dans le contexte de la fédération. Dans son récent rapport, M. Doug Eyford a d'ailleurs indiqué que c'était une solution plausible pour relancer des négociations actuellement au point mort.

Le Canada a besoin de cet investissement. Le soutien des Premières Nations est nécessaire pour que cela puisse se réaliser. Pour obtenir ce soutien, il faut offrir aux Premières Nations un avantage fiscal quelconque. À ce titre, la contribution du gouvernement fédéral est essentielle, car les provinces sont hésitantes et les revenus ne sont pas partagés comme ils le devraient.

Le gouvernement fédéral peut offrir la marge de manœuvre fiscale nécessaire et ainsi influencer les provinces. La Commission fiscale peut contribuer à faire en sorte qu'une nouvelle taxe soit mise en application efficacement de telle sorte que les Premières Nations puissent obtenir ces revenus dont elles ont tant besoin pour bâtir leur avenir et prendre la place qu'il leur revient en tant que partenaires au sein de notre économie et de notre fédération. Je vous remercie.

Le président : Merci.

Le sénateur Sibbeston : Ma question s'adresse à M. Coates. Dans un rapport de janvier 2015, vous avez fait valoir que le partage des recettes de l'exploitation des ressources entre les peuples autochtones et les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux constitue une question stratégique clé dont, on le constate maintenant, la gestion n'est pas coordonnée au Canada. J'aimerais que vous nous en disiez davantage à ce sujet, car c'est ce qu'on peut observer en partie dans ma région des Territoires du Nord-Ouest. Pour tous les projets d'exploitation des ressources, comme les mines de diamant et les pipelines, les Autochtones négocient des ententes précisant les avantages qu'ils vont en tirer. En un sens, c'est une forme de partage des revenus. Il s'agit donc de considérer pour tout projet de mise en valeur des ressources que celles-ci appartiennent d'abord et avant tout aux Autochtones du Canada, et que ceux-ci devraient avoir droit à une partie des retombées de leur mise en valeur, peu importe qui s'en charge.

C'est une façon de voir les choses qui prend forme au Canada depuis 10 ou 20 ans à peine. Combien de temps encore faudra-t-il attendre pour que cela s'inscrive dans nos politiques, dans notre façon de faire des affaires?

M. Coates : Merci pour la question, sénateur. C'est un sujet très intéressant.

Disons d'abord et avant tout que c'est d'ores et déjà inscrit dans notre façon de faire les choses dans bien des régions du Canada. On ne considère généralement pas les ententes sur les répercussions et les avantages comme des modes directs de partage des revenus tirés des redevances. Il s'agit essentiellement de partager les avantages en s'assurant que les populations locales en bénéficient.

Nous avons donc en quelque sorte un système de partage des revenus qui est un reflet du fédéralisme canadien. Comme le soulignait le chef Jules, les ressources appartiennent aux gouvernements provinciaux et territoriaux, ce qui donne un arrangement quelque peu confus. Par exemple, le partage des revenus en Colombie-Britannique se fait en fonction de chaque projet. C'est avantageux pour la Première Nation la plus rapprochée de la ressource mise en valeur. Si celle-ci est située à 100 kilomètres de votre communauté, c'est vous qui allez en bénéficier. Si vous êtes à 300 kilomètres de la ressource, vous n'obtiendrez sans doute rien du tout.

Comme vous le savez très bien, les Territoires du Nord-Ouest ont maintenant un régime de partage des revenus entre toutes les Premières Nations. Celles qui sont directement touchées obtiennent la part du lion, mais le reste des redevances provenant du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest est distribué à parts égales entre les autres Premières Nations.

En Alberta et en Saskatchewan, il n'y a pas de mécanisme semblable en place. Les traités modernes ont instauré des arrangements de la sorte un peu partout au pays, du Labrador jusqu'au Yukon en passant par le nord du Québec.

La situation actuelle est un peu source de confusion pour l'industrie, car les modalités et les façons de procéder sont différentes d'une région à l'autre.

Il importe surtout de savoir que nos dispositions en matière de redevances sont généralement fondées sur le principe de la localisation. Ainsi, la collectivité la plus touchée par les activités de mise en valeur des ressources sera celle qui en bénéficiera le plus.

C'est un peu ce que je voulais dire en parlant de chance ou de malchance du point de vue géographique. Si une mine est située à proximité de votre communauté, vous avez la chance de toucher des sommes importantes. Je suis persuadé que vous êtes tous au courant, mais pour que les choses soient bien claires, disons que les arrangements conclus par Cameco avec les comtés ou avec les Premières Nations comme celle d'English River sont assortis d'un ensemble d'avantages valant 600 millions de dollars. C'est donc loin d'être de la menue monnaie. C'est un important arrangement financier entre l'entreprise et différentes communautés des Premières Nations, métisses ou inuites.

Comme on procède au cas par cas, les collectivités autochtones vivent dans l'incertitude. Elles ne savent pas ce qui va se passer. Les sociétés minières qui sont actives dans quatre provinces ou territoires doivent composer avec quatre régimes différents. Il existe une solution fédérale pour ce problème. Je conviens donc avec vous qu'il s'agit d'une question stratégique clé, et j'ajoute que les nouvelles ententes juridiques doivent prévoir des consultations et des accommodements. On pourra ainsi montrer très clairement que le soutien des Autochtones est essentiel pour que notre secteur de la mise en valeur des ressources puisse se développer dans la mesure souhaitée. Pour assurer la stabilité de ce soutien, il faut que les populations autochtones puissent constater les avantages directs de ces projets pour leur collectivité et leur propre mode de vie.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci d'être des nôtres aujourd'hui. Ma question s'adresse au chef Jules. À votre avis, quelle est l'importance des revenus de source propre comme solution de substitution pour financer les projets d'infrastructure des Premières Nations?

M. Jules : Eh bien, il faut surtout se demander comment on peut en arriver à générer des revenus de source propre. Comme je l'indiquais dans mon exposé, le partage des revenus tirés des ressources est notamment problématique du fait que ces revenus ne sont pas directement monnayables. On ne peut pas aller les déposer à la banque. Il faut s'en servir comme d'un levier pour pouvoir créer une situation qui permettra à la collectivité de générer ses propres sources de revenus.

À l'heure actuelle, la majorité des revenus provenant de la mise en valeur des ressources vont au fédéral ou aux gouvernements provinciaux qui les transfèrent ensuite aux municipalités, aux comtés et aux districts régionaux. Plus souvent qu'autrement, les Premières Nations ne bénéficient aucunement des grands projets d'exploitation des ressources au Canada.

Il n'est pas question ici des arrangements qui peuvent être conclus avec des entreprises, comme celui de 600 millions de dollars dont Ken parlait tout à l'heure. Les gouvernements doivent avoir accès à des revenus.

Comme je l'indiquais dans mon exposé, ce sont les taxes et les impôts qui font vivre les gouvernements. Nous devons donc adopter à l'échelle nationale une approche qui fera en sorte que les Premières Nations aient accès à des recettes fiscales pour pouvoir conclure des ententes commerciales et avoir leurs propres sources de revenus. La garantie de recettes fiscales stables à long terme permettra d'alléger les besoins en infrastructures en favorisant la construction de maisons, d'écoles, de routes et systèmes d'aqueduc. De plus, nous devons veiller à y parvenir, comme le soulignait également Ken, en nous donnant des normes nationales, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle.

La sénatrice Lovelace Nicholas : On a également mentionné qu'il y avait conflit entre le gouvernement fédéral et la province pour savoir qui allait payer la note. Comme c'est bien évidemment le gouvernement fédéral qui a une responsabilité fiduciaire à l'égard des Premières Nations, la question ne se pose même pas : c'est le fédéral qui devrait payer.

M. Jules : Dans l'état actuel des choses, ce sont les gouvernements fédéral et provinciaux qui occupent l'espace fiscal. Il faudrait que les deux ordres de gouvernement renoncent à une partie de leurs pouvoirs respectifs en matière de fiscalité pour permettre l'instauration de la taxe sur la mise en valeur des ressources sur les terres des Premières Nations.

Il y a une certaine réticence à cet égard. À titre d'exemple, la Saskatchewan ne veut pas adopter une formule de partage des revenus tirés de l'exploitation des ressources parce qu'elle estime que ces recettes profitent à l'ensemble des citoyens de la province, y compris les membres des Premières Nations. Cette prise de position ne tient pas compte du fait que les Premières Nations se considèrent comme des entités gouvernementales au sein du régime fédéral canadien. Il faudra un jour que les Premières Nations obtiennent ces pouvoirs si on veut changer la dynamique et instaurer de nouveaux rapports en matière de fiscalité.

Le pouvoir de taxation peut procurer aux gouvernements des Premières Nations une source de revenu stable à long terme. Si l'on parvient à créer de nouveaux outils en s'appuyant sur ce pouvoir, les membres des Premières Nations pourront alors songer à devenir propriétaires de leur maison.

Le problème, c'est que les Premières Nations relèvent de la compétence du gouvernement fédéral. Dès que nous quittons nos réserves, nous déclenchons un conflit fiscal entre le fédéral et les provinces. J'estime que les deux ordres de gouvernement ont des responsabilités et qu'ils doivent tous les deux libérer de l'espace fiscal pour permettre aux Premières Nations d'aller de l'avant.

Dans cette perspective, les revenus de source propre revêtent une importance capitale.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Comme vous le savez, les Premières Nations en situation de déficit se voient imposer une tutelle. Comment ces communautés pourront-elles avoir accès au partage des revenus au moyen de cette taxe?

M. Jules : Bien évidemment, il y a beaucoup de travail à faire. Il faut d'abord que votre comité recommande au gouvernement fédéral de se pencher très sérieusement sur la situation en vue d'amorcer des discussions avec les provinces et les Premières Nations pour la mise en œuvre de cette taxe sur la mise en valeur des ressources.

Pour ce qui est de la mise en tutelle, j'ai examiné la situation à l'échelle nationale, mais ce n'est pas une observation scientifique que je vais vous faire. La plupart des cas dont je suis au fait découlent directement d'un déficit en matière de logement. Des gens ont emprunté individuellement, et les Premières Nations se retrouvent à devoir rembourser, car elles ont offert leur garantie.

Pas plus tard que la semaine dernière, j'ai visité une communauté qui doit rembourser 500 000 $ avant même de pouvoir enclencher son processus budgétaire. Les sommes à rembourser ont atteint dans certains cas jusqu'à un million de dollars, voire deux millions de dollars. Le fait que nos communautés doivent essuyer des répercussions de la sorte témoigne bien de la nécessité de mettre en place un régime de droits à la propriété privée. Chacun doit avoir la possibilité de posséder sa propre résidence de manière à pouvoir aller de l'avant en misant sur cet actif pour se lancer en affaires.

Dans la plupart des cas, je constate que les gens refusent simplement de rembourser leur emprunt en sachant qu'ils ne pourront pas de toute manière avoir accès à la propriété.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je pense que la situation s'explique notamment du fait que nos gouvernements changent à tous les deux ans. Il y a aussi bien sûr le manque d'emplois permanents. Bien des gens doivent recourir à l'aide sociale. C'est en grande partie à cause de ce problème.

Lorsqu'il leur est finalement possible d'acquérir leur résidence et de contracter une hypothèque, ils se retrouvent soudain sans emploi et ils ne peuvent plus effectuer les remboursements. C'est là où je voulais en venir.

M. Jules : C'est un problème cyclique, un dilemme que nous devrons résoudre de notre vivant, espérons-le.

Tout bien considéré, les Premières Nations se retrouvent en marge de l'économie. Nous devons attendre les décisions d'autres gouvernements pour obtenir nos budgets. Ce n'est pas la manière dont les gouvernements fonctionnent. Un gouvernement doit avoir ses propres sources de revenus et exercer ses compétences dans certains domaines à l'intérieur de la fédération. Les accords sur le partage des recettes fiscales deviennent donc essentiels dans des secteurs cruciaux comme l'éducation et la protection de l'enfance pour que nous puissions nous donner les institutions capables de faire de nous de véritables acteurs économiques et des intervenants à part entière au sein de la structure fiscale canadienne.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Il doit y avoir de véritables communications entre les peuples autochtones et les gouvernements. Merci.

Le sénateur Enverga : Messieurs, je vous remercie pour vos exposés. J'ai une question qui s'adresse d'abord à M. Coates, mais peut-être que M. Jules voudra également y répondre.

L'un des témoins que nous avons reçus a souligné que le secteur privé n'investit pas énormément dans les collectivités des Premières Nations en raison d'un manque de certitude et des obstacles à l'investissement engendrés par la Loi sur les Indiens. Êtes-vous du même avis? Y a-t-il d'autres facteurs qui pourraient expliquer la participation limitée du secteur privé auprès des Premières Nations?

M. Coates : C'est une question très intéressante. Si c'était à refaire maintenant, personne ne songerait à proposer la Loi sur les Indiens. Aucun d'entre vous n'envisagerait l'adoption d'une telle mesure en faisant valoir que c'est une bonne idée de vouloir décider comment seront gérées les relations avec les communautés autochtones sans quitter son siège sur la Colline parlementaire.

C'est une vieille loi qui comporte de nombreuses lacunes et pose toutes sortes de difficultés. Il y a une centaine de communautés des Premières Nations au Canada qui ne sont pas assujetties à la Loi sur les Indiens. Il y en a plus d'une centaine qui ont demandé à en être affranchies. Les traités modernes libèrent les collectivités autochtones du joug de la Loi sur les Indiens.

Les communautés métisses ne sont pas régies par la Loi sur les Indiens; certaines s'appauvrissent et d'autres s'en tirent mieux.

Ne serait-il pas merveilleux de pouvoir tout reprendre du début? En effet, personne n'aurait l'idée de proposer quoi que ce soit qui pourrait être vaguement apparenté à la Loi sur les Indiens. C'est une loi paternaliste, colonialiste, désuète et qui a perdu tout son sens, mais elle est tout de même encore en application.

Aucune Première Nation ne va y renoncer, ce qui est tout à fait compréhensible, si on ne lui fournit pas les assurances dont parle Manny Jules en lui garantissant qu'elle pourra compter sur les ressources et les pouvoirs nécessaires pour prendre elle-même les décisions qui concernent son avenir.

Nous pouvons et devons envisager une restructuration radicale de nos rapports avec les communautés autochtones de manière à les reconnaître comme des entités gouvernementales à part entière et à leur accorder tous ces pouvoirs dont nous parlons aujourd'hui.

Il y a une autre chose qu'il convient de préciser. Vous avez raison pour ce qui est du secteur privé. Il n'est pas facile d'amener un promoteur immobilier à construire des maisons dans une communauté autochtone. Dans le cadre des structures en place, ce n'est pas vraiment chose possible. Il est rare qu'un investisseur du secteur privé ouvre un commerce ou se lance dans des projets semblables.

Plus de 250 ententes de collaboration ont été conclues au Canada entre des sociétés d'exploitation des ressources et des communautés autochtones. Je vous dirais que c'est l'un des meilleurs exemples que l'on puisse trouver dans l'histoire canadienne d'une collaboration soutenue et mutuellement avantageuse avec le secteur privé dans l'industrie de la mise en valeur des ressources. Les sociétés minières, pétrolières, de pipelines, forestières et hydroélectriques travaillent avec les communautés des Premières Nations suivant des formules qui sont souvent profitables pour tous. Il arrive que cela ne fonctionne pas, mais je peux vous assurer que c'est efficace dans bien des endroits.

Le secteur privé va toujours s'adapter aux structures en place. Comme le soulignait le chef Jules, les sociétés privées ont besoin de certitude. Si l'on mettait en vigueur le nouveau régime fiscal qu'il propose, le secteur privé s'adapterait. C'est un élément qui s'ajouterait aux coûts d'exploitation. On trouverait le moyen de composer avec la situation.

Il nous faut des modalités structurelles davantage uniformes et propices à l'indépendance des communautés autochtones afin qu'elles puissent prendre elles-mêmes les décisions qui les concernent et collaborer avec le secteur privé de façon constructive et cohérente.

Il y a toutefois une chose qu'il ne faut pas perdre de vue. La croissance de l'entrepreneuriat autochtone est l'un des développements les plus remarquables des 25 à 30 dernières années. Si vous rencontrez un jeune entrepreneur de la Saskatchewan, il y a pas mal plus de chances que ce soit un Autochtone. Il faut donc considérer que le secteur privé n'est pas seulement un environnement non autochtone. C'est aussi désormais un phénomène autochtone.

Nous travaillons actuellement à un projet visant à chiffrer la valeur de l'entrepreneuriat autochtone. Je dirais que les sociétés de développement économique autochtones ont actuellement pour 5 milliards de dollars d'actifs disponibles pour l'investissement. Je m'attends à ce qu'on s'approche des 20 milliards de dollars d'ici 10 ans. Il s'agit de fonds privés disponibles dans le contexte des sociétés de développement économique autochtones pour investir dans les communautés, dans leurs infrastructures et en faveur de leur prospérité.

Le problème est structurel; il faut déplorer l'absence de régimes fiscaux et d'une autonomie gouvernementale véritable, une situation marquée par l'ingérence du ministère des Affaires indiennes. Le problème se manifeste notamment dans l'application de la Loi sur la transparence financière des Premières Nations qui, bien qu'elle comporte des éléments valables, a causé de l'incertitude au sein des communautés autochtones en raison de la frontière plutôt floue qu'elle trace entre le volet public et gouvernemental et celui des investisseurs et des entreprises.

Nous avons fait une partie du chemin. Il est important que nous prenions bonne note des progrès réalisés qui nous montrent que c'est chose possible. D'ici une dizaine d'années à peine, il va se produire des choses remarquables qui nous obligeront à tenir compte du fait que de nombreuses communautés autochtones seront désormais plutôt bien nanties. Nous avons tellement l'habitude de considérer ces communautés comme étant pauvres par définition qu'il nous faudra adopter une perspective totalement différente.

Je réitère en terminant ce que je disais tout à l'heure à l'effet que le secteur privé est désormais un phénomène autochtone. La croissance de l'entrepreneuriat autochtone est l'une des transformations les moins reconnues des 20 dernières années.

Le sénateur Enverga : Je sais qu'il y a eu un projet de loi visant à apporter des améliorations à la Loi sur les Indiens. S'il y avait une chose que vous pouviez changer dans cette loi, quelle serait-elle? Avez-vous une suggestion à nous faire quant à nos recommandations à cet égard?

M. Coates : Si vous n'y voyez pas d'objection, j'en aurais deux. Premièrement, il faut revoir totalement les mécanismes de surveillance en place, car les communautés autochtones croulent sous la quantité de rapports à produire. Elles doivent en présenter un très grand nombre suivant toutes sortes de formules pour justifier leurs actions. La plupart des communautés autochtones sont très petites et ne peuvent pas compter sur un gros appareil gouvernemental. Les dizaines de rapports qu'elles doivent annuellement soumettre au ministère dans le cadre des structures en place représentent un fardeau très lourd pour ces communautés administrées et dirigées par un petit nombre de personnes.

Je suis un fervent partisan de Manny Jules et de ses idées concernant la fiscalité et l'autonomie locale. Je pense comme lui que nous devons en arriver à une situation où les Autochtones n'auront plus à mendier et attendre chaque année pour savoir combien d'argent le gouvernement fédéral va leur donner. Diverses possibilités s'offrent à nous pour mettre en place assez facilement une structure qui assurera aux Autochtones une part des recettes fiscales de ce pays. Il y a toutefois une contrepartie que les gens ont tendance à oublier — mais ce n'est pas le cas de Manny Jules qui aura sans doute des commentaires à ce sujet. Ainsi, l'accès à une portion des recettes fiscales entraîne inévitablement une part de responsabilité accrue. Vous ne pouvez pas simplement toucher l'argent et ne rien faire. Il s'agit donc non seulement de transférer une partie des points d'impôt aux Autochtones, mais aussi de leur permettre d'assumer de façon plus officielle une plus grande responsabilité relativement aux infrastructures.

Ces deux choses vont de pair. Il faut déterminer qui fait quoi et qui paie quoi, mais on ne peut pas demander aux Autochtones de débourser de l'argent s'ils n'ont pas une source de revenus sûre.

Le sénateur Enverga : Manny, avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Jules : Évidemment, mon souhait le plus cher, ce serait que la Loi sur les Indiens soit abrogée. Selon moi, il s'agirait de la solution la plus simple, mais cela ne peut pas se faire du jour au lendemain.

Je crois que les Premières Nations doivent avoir de nombreuses options afin de pouvoir choisir ce qui est le mieux pour leur collectivité. Il y a longtemps qu'elles ne se laissent plus dire ce qu'elles peuvent et ne peuvent pas faire. Voilà pour la première partie de votre question.

Deuxièmement, pourquoi existe-t-il des lacunes? Ken y a répondu brièvement, mais je dirais que la plupart des partenariats du secteur privé sont établis à l'extérieur des réserves autochtones. Nous nous sommes penchés sur les projets de développement réalisés dans les réserves, en particulier au sein de ma réserve, et nous avons constaté qu'il est 10 fois plus long et difficile d'y mener des projets. Cette situation s'explique par le fait que c'est le gouvernement fédéral qui est le propriétaire des terres.

Comme je l'ai déjà indiqué, le problème, c'est que cela entraîne des contraintes. Il faut dégager Sa Majesté de toute responsabilité. On observe une aversion au risque. De nombreuses collectivités ont des fonds dans ce qu'on appelle un « compte de capital », et on leur dit comment dépenser leur propre argent. Ce n'est pas acceptable en cette époque.

Si nous voulons réellement vivre au XXIe siècle, il nous faut des technologies du XXIe siècle, des institutions du XXIe siècle et des idées du XXIe siècle, et non pas du XIXe siècle. Nous devons remédier à la situation.

Le sénateur Enverga : Vous avez indiqué que l'une des solutions consisterait à laisser une marge de manœuvre fiscale aux Premières Nations. Pourriez-vous me donner un exemple? Quel est le potentiel de cette mesure? La création d'un espace fiscal mènera-t-elle à l'autosuffisance des Premières Nations?

M. Jules : Le meilleur exemple est celui de ma propre collectivité. Nous faisons partie de la division de Kamloops de la nation Shuswap. On y trouve la mine Afton, qui est aujourd'hui la mine New Afton de New Gold. Cette société a décidé d'y reprendre les travaux d'extraction. On y extrait non seulement du cuivre, mais aussi de l'or, ce qui est très profitable, compte tenu du cours élevé de l'or.

Dans le cadre de ces négociations, il a fallu conclure une entente sur les répercussions et les avantages, qui a donné lieu à un partage des revenus tirés des ressources, soit 37 p. 100 des recettes fiscales du gouvernement provincial générées par le site minier. Cela signifie que les deux collectivités sont en mesure d'embaucher des personnes pour exploiter la mine, de faire appel à des entreprises de camionnage et à des électriciens, et d'engendrer toutes sortes de retombées avantageuses.

En fait, un des entrepreneurs est devenu millionnaire à la suite de ces projets. C'est quelque chose que j'aimerais voir plus souvent. Nous devrions avoir le même moyen de création de richesse que les Canadiens tiennent pour acquis.

Dans ce cas en particulier, le partenariat représente d'énormes retombées économiques pour les deux collectivités, qui peuvent non seulement exercer leur compétence et obtenir leur part des bénéfices tirés des ressources, mais aussi mettre de l'argent à la banque, construire des maisons et améliorer leurs infrastructures.

Le sénateur Enverga : Je sais que votre collectivité est un bon modèle pour la négociation de ce type d'ententes. Pourquoi les Premières Nations ne suivent-elles pas votre exemple? Quel est le problème?

M. Jules : Comme je l'ai dit plus tôt, le problème découle en partie de l'absence de droits de propriété privée dans les réserves et d'institutions pour favoriser le développement. Nous avons créé, par l'intermédiaire de la Commission de la fiscalité, le Tulo, un mot chinook, c'est-à-dire la langue dans laquelle se déroule le commerce. Nos échanges commerciaux s'étendaient de l'Alaska jusqu'en Californie. Grâce à cette langue commerciale, il était plus facile pour nos groupes autochtones de transiger entre eux.

Nous avons donc créé le Centre Tulo des économies autochtones — Tulo signifiant « profits ». Comme Ken l'a dit plus tôt, nous voulons être en mesure d'établir la base institutionnelle nécessaire pour amener davantage de gens à songer au développement et à la croissance économique. Nous avons besoin d'institutions pour transmettre ces connaissances.

Il ne suffit pas de dire : « Je vais vous parler et vous deviendrez un grand entrepreneur. » Il faut des institutions qui partageront des histoires personnelles et qui enseigneront comment accomplir quelque chose et établir des normes, de façon à obtenir des avantages durables en matière de développement et de croissance économique. Il faut adopter une approche polyvalente; il ne s'agit pas simplement d'en parler, il faut créer les institutions à cet effet.

Le sénateur Moore : Merci beaucoup à nos témoins d'être ici aujourd'hui. Ma question s'adresse au chef Jules.

Tout d'abord, j'aimerais que vous me renseigniez un peu. Vous avez dit que la fiscalité n'était pas quelque chose de nouveau chez les Premières Nations. En fait, vous dites que cela existait bien avant l'arrivée des Blancs. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

M. Jules : Beaucoup de gens pensent qu'il n'y avait pas de fiscalité à l'époque; les gens croient à tort que c'est quelque chose de nouveau, qui a été instauré par les Blancs, alors qu'en fait, c'était essentiel à notre mode de vie. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les potlatchs ont été interdits en 1927, parce que c'était une façon de partager les ressources au sein de nos collectivités afin que tout le monde puisse en bénéficier.

C'est pourquoi les danses, en Ontario et ailleurs au pays, étaient aussi importantes; elles reflétaient le partage des ressources.

Lorsque vous êtes venus sur notre territoire et que vous avez pêché du poisson, vous avez payé quelqu'un pour utiliser sa canne à pêche. Vous l'avez payé en poissons.

Il y a un concours qui se tient à l'heure actuelle, qui prendra fin à la fin du mois, dans le cadre duquel le Musée de la monnaie demande aux gens de proposer de nouveaux dessins pour les pièces de monnaie. L'une des pièces de monnaie que nous connaissons tous est la pièce de cinq cents, qui est représentée par un castor. Dans ma langue, on dit sqléw, qui signifie « argent ». Par le passé, c'est ce que nous faisions. Nous faisions des échanges entre nous. Nous avions une économie. C'est ainsi que nous avons survécu pendant des millénaires. Nous ne restions pas là à ne rien faire. Il fallait travailler fort. Ceux qui travaillaient fort partageaient leurs ressources.

Nous avions des processus pour nous occuper de nos aînés; autrement, ils étaient incapables de survivre seuls. Nous avions en place des programmes à l'intention des jeunes enfants. Nous avions des scientifiques, des chefs et des artisans, bref tout ce qui compose une société. Tout cela nous a été enlevé par des lois. Nous ne pouvions plus pratiquer nos formes traditionnelles de gouvernance parce que le gouvernement les a rendues illégales. On a soulevé plus tôt la question de la Loi sur les Indiens. Nous n'avons pas pu régler la question des terres avant les années 1950 parce qu'un amendement apporté en 1927 à la Loi sur les Indiens nous interdisait de quitter les réserves, d'embaucher nos propres avocats et de régler les revendications territoriales. C'est pourquoi c'est encore très présent aujourd'hui. Pour les Premières Nations, les Inuits et les Métis, je dirais que ce n'est pas nouveau. C'est comme si c'était arrivé hier et cela ne disparaîtra jamais.

L'un des principaux documents auxquels je me réfère est le mémoire de Wilfrid Laurier, qui a été remis au premier ministre Laurier à Kamloops en 1910.

Le sénateur Moore : Que disait-il?

M. Jules : Que tant et aussi longtemps que nous estimerons ne pas avoir accès à la justice, il persistera un sentiment d'insatisfaction et d'agitation entre nous. Autrement dit, l'injustice amène des conflits et de l'incertitude, et c'est exactement ce qui se produit aujourd'hui.

À l'époque, la fiscalité prenait diverses formes. Par exemple, lorsque je traversais un pont, plus souvent qu'autrement dans notre région, si ce pont avait été construit par quelqu'un, je devais payer un péage. Si nous utilisions une technique pour regrouper les chevreuils ou si nous pêchions avec des fascines que quelqu'un avait fabriquées, cette personne était payée en viande. S'il y avait beaucoup de viande à partager, nous la distribuions au sein de la collectivité.

Nous étions donc en mesure de nous débrouiller seuls. Par conséquent, à l'avenir, nous devons être responsables et voir à nos besoins. La Loi sur les Indiens a créé un sentiment de dépendance. Je dirais même qu'aujourd'hui, nous vivons dans une culture de dépendance, c'est-à-dire que quelqu'un doit s'occuper de nous.

Le sénateur Moore : M. Coates a dit qu'il s'agissait d'un document paternaliste et archaïque qui devrait être aboli sur-le-champ. Si j'étais à votre place, je serais tellement frustré car je sais, pour m'être rendu dans les réserves et avoir rencontré des gens brillants qui veulent bien faire, que vous avez la dignité d'un chèque de paie et la capacité de réussir. Toutefois, en ce moment, d'autres personnes s'ingèrent dans votre vie. Comment pouvez-vous endurer chaque année qu'on vous dise quel sera votre budget? Personne ne vous consulte; par conséquent, comment pouvons-nous participer à votre évolution? Comment pouvons-nous aller de l'avant? Vous devez nous dire ce dont vous avez besoin.

Quoi qu'il en soit, je vous remercie, Manny.

Le sénateur Tannas : Je vous remercie d'être ici aujourd'hui. Je suis ravi de pouvoir vous écouter et réfléchir à ce dont vous nous avez parlé. J'ai beaucoup de questions à vous poser, mais bon nombre d'entre elles ont déjà été posées.

Chef Jules, l'idée de créer un régime fiscal pour les gouvernements des Premières Nations me semble parfaitement logique. Toutefois, quand je songe aux obstacles, quelques-uns me viennent à l'esprit, et peut-être que M. Coates pourrait également s'exprimer sur le sujet.

Vous conviendrez tous qu'une compétence fédérale est exercée à l'endroit des Premières Nations et que la majorité des revenus découlant des ressources relèvent du gouvernement provincial. Premièrement, si vous étiez à la place du gouvernement fédéral, comment vous y prendriez-vous pour créer un mécanisme qui ne nécessite pas que vous quémandiez aux gouvernements provinciaux chaque fois que vous avez besoin d'argent? Avez-vous réfléchi à un mécanisme qui serait logique et qui ne ferait pas que créer une taxe supplémentaire dont personne ne veut?

M. Jules : Tout d'abord, sachez que c'est sans précédent. C'est la première fois qu'on présente un tel concept. Les gens devront l'accepter, sur le plan intellectuel, et commencer à réfléchir à toutes les questions qui font en sorte que les Premières Nations doivent faire partie de l'économie. Les Premières Nations doivent pouvoir exercer leurs propres compétences, en particulier leurs compétences fiscales, afin de pouvoir veiller à leurs propres besoins en matière d'infrastructure, de santé et d'éducation.

Si on regarde les budgets du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux des 10 à 30 prochaines années, les soins aux personnes âgées constitueront les coûts les plus élevés. Nous sommes aux prises avec une population vieillissante. Nous avons un déficit considérable à cet égard. Les pensions engendreront d'importants problèmes dans un avenir prévisible. Étant donné que le gouvernement fédéral impose un plafond aux dépenses des Premières Nations, cela signifie qu'il y aura une réduction des fonds disponibles pour les Premières Nations. Le gouvernement fédéral se penchera sur ses véritables responsabilités fiduciaires, c'est-à-dire l'éducation, de la maternelle jusqu'à la 12e année. Cela signifie également qu'il faut continuer d'investir dans l'enseignement postsecondaire.

Lorsqu'on songe aux déficits provinciaux, on pense aux infrastructures, c'est-à-dire aux routes, aux immeubles, et cetera. J'ai travaillé au sein d'une filiale de BC Hydro. On ne peut pas exploiter une mine si on n'a pas accès à l'électricité. Cela implique donc beaucoup de planification et peut-être même la construction de nouveaux barrages.

L'extraction des ressources permet de faire fonctionner l'économie au Canada, qu'il s'agisse de pétrole en Alberta ou dans le nord de la Colombie-Britannique, de gaz naturel, de bois ou d'une mine, ce sont tous des secteurs de ressources naturelles. Le développement des ressources se poursuit, plus particulièrement dans les territoires traditionnels des Premières Nations.

Lorsqu'on présente un projet d'exploitation aux Premières Nations, elles pensent immédiatement qu'elles n'en retireront rien. Le gouvernement fédéral en bénéficiera, tout comme les gouvernements provinciaux, les municipalités situées à proximité, les districts régionaux et les comtés. Toutefois, en tant que gouvernement, nous n'en tirons aucun avantage. Pourquoi alors devrais-je l'appuyer? La fiscalité des Autochtones est donc extrêmement importante pour ces raisons.

À la suite de récentes décisions des tribunaux, les Premières Nations doivent conclure des ententes sur les répercussions et les avantages avec le gouvernement et le secteur privé. Ce processus est très laborieux. Dans bien des cas, il faut un an, deux ans, voire trois ans de négociation. Ce n'est pas une question de compétence; cela fait partie d'un accord commercial.

Je crois que les gouvernements autochtones doivent devenir un élément fondamental de la fédération. Pour ce faire, tous les ordres de gouvernement, à savoir les territoires, les provinces et le gouvernement fédéral, doivent laisser une marge de manœuvre fiscale aux Premières Nations. Il ne faut surtout pas créer une taxe supplémentaire, car cela nous acculerait à la faillite. Les Premières Nations doivent occuper une partie de l'espace fiscal existant.

À l'heure actuelle, les gouvernements provinciaux ne veulent pas céder une partie de l'espace fiscal parce qu'ils vont perdre de l'argent. Par conséquent, je propose que le gouvernement fédéral adopte un crédit d'impôt afin que ce soit neutre, du point de vue des revenus, pour les gouvernements provinciaux et les Premières Nations, car au bout du compte, ce sera lui le plus grand gagnant dans cette loterie.

Cela signifie que le gouvernement fédéral doit donner l'exemple, et cela doit commencer ici. Vous, à titre d'honorables sénateurs et de chambre de second examen objectif, devez dire au gouvernement qu'il devrait commencer à examiner cette possibilité; que les Premières Nations doivent faire partie de la société et de la fédération, du point de vue économique et politique.

Il faut parvenir à convaincre les gouvernements provinciaux, et cela peut se faire grâce à des discussions directes avec le gouvernement fédéral. C'est dans l'intérêt du Canada.

Le sénateur Tannas : Le crédit d'impôt dont vous parlez aidera les provinces à se remettre sur les rails et, au bout du compte, c'est le gouvernement fédéral, qui n'obtient pas la majorité des revenus découlant des ressources, qui devra payer la note. Est-ce exact?

M. Jules : Pas nécessairement payer la note. Je ne crois pas que ce soit la meilleure façon de l'exprimer.

Le sénateur Tannas : En effet, vous avez raison; ce n'est pas la chose à dire. Toutefois, l'espace fiscal vient entièrement du gouvernement fédéral, si on met en place un crédit d'impôt; c'est un crédit d'impôt fédéral.

M. Jules : Mais il ne faut pas oublier que les gouvernements fédéral et provinciaux doivent tous deux libérer une partie de l'espace fiscal. Il ne revient donc pas au gouvernement fédéral de tout payer. Le gouvernement provincial doit également payer sa part.

Le sénateur Tannas : Très bien. Permettez-moi de poser rapidement ma prochaine question, parce qu'au cours de mes deux années d'expérience, j'ai souvent entendu la même chose. Chaque fois qu'on présente une idée nationale intéressante, on nous rappelle qu'il y a quelque 630 accords qui doivent être conclus, et c'est là que tout s'écroule.

Avez-vous trouvé une solution pour régler ce problème, comme une option d'adhésion qui suppose le renoncement à certains droits et des demandes à venir à cet égard adressées au reste du Canada? Je semble peut-être cynique ou frustré, mais ce n'est pas le cas. Je sais simplement ce qui arrivera si nous nous accrochons à cette idée.

Pouvez-vous nous fournir une solution ou vos réflexions à ce sujet?

M. Jules : Eh bien, il faut que ce soit facultatif au début. Comme je l'ai mentionné plus tôt, si vous dites à une Première Nation qu'elle doit faire quelque chose, elle fera preuve de résistance. Et l'on observe la même chose partout dans la société. Dans la vallée du bas Fraser en Colombie-Britannique, un débat fait rage en ce moment à propos d'une petite taxe qui servirait à financer les transports. Les gens s'opposent à cette idée parce qu'ils prennent cette taxe personnellement. Chaque fois que les gens font d'un enjeu une affaire personnelle, ce qui est le cas d'une taxe, ils envoient cet enjeu au diable.

Il faut que cette mesure soit facultative. Il faut que les Premières Nations participent au processus, mais, en même temps, les Premières Nations, les personnes et les gouvernements auxquels j'ai parlé approuvent la motion parce que, pour la première fois, les Premières Nations seront en mesure d'exercer leur compétence fiscale à l'extérieur des réserves indiennes et auront, en fin de compte, l'avantage d'avoir ces discussions avec le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux.

Lorsque vous commencez à avoir des discussions de cet ordre, la composition fiscale et la politique avec un grand « P » de votre pays commencent à changer. Cela veut dire que lorsqu'auront lieu des discussions portant sur le partage des recettes tirées de l'exploitation des ressources ou sur les responsabilités fédérales-provinciales, les Premières Nations y participeront parce que certains de leurs intérêts seront en jeu — notamment leurs intérêts fiscaux.

Le sénateur Tannas : Merci.

Le sénateur Moore : Chef Jules, je vais donner suite à la question posée par le sénateur Tannas. Si le gouvernement fédéral et certaines provinces renoncent à une part de leur marge fiscale, je m'attendrais à ce qu'en revanche, ils cessent de verser aux Premières Nations l'équivalent en espèces de cet espace fiscal. Ils renonceront à ces impôts et vous diront que, puisque vous recevez maintenant ces fonds, ils ne vous en accorderont pas d'autres.

Y avez-vous bien réfléchi, ou est-ce ainsi que vous pensez voir les choses se dérouler?

M. Jules : Eh bien, en fin de compte...

Le sénateur Moore : Vous ne pouvez pas simplement piger une deuxième fois dans les coffres des gouvernements. Vous comprenez ce que je veux dire, n'est-ce pas? Je crois que vous avez raison. Les Premières Nations ont le droit de revendiquer ces recettes tirées de l'exploitation des ressources, mais, si le gouvernement fédéral y renonce, il ne pourra plus verser cet argent aux Premières Nations. Donc, je penserais que ces contributions seraient rayées de leurs livres. Comme quelqu'un l'a déclaré, l'accès aux recettes fiscales est assorti de certaines responsabilités. Par conséquent, il vous incombera de les assumer. Y avez-vous réfléchi?

M. Jules : C'est tout à fait le cas. Les collectivités des Premières Nations qui perçoivent des impôts fonciers en ce moment le font afin d'assumer les responsabilités en matière de services qui leur ont été retirées. À l'heure actuelle, les collectivités avec lesquelles je travaille, qui sont au nombre d'environ 160, assurent des services routiers et améliorent les routes qui relèvent d'elles. Elles fournissent et complètent les infrastructures que le ministère des Affaires indiennes finance — les réseaux d'aqueduc et d'égout et les autres infrastructures de ce genre.

Cela ne réduit pas la responsabilité fiduciaire du gouvernement. Ce sont là des questions qui devraient être débattues dans le cadre d'autres séances. Finalement, lorsqu'on prend le contrôle du régime fiscal, cela modifie la dynamique fiscale du pays. C'est ce que Ken a déclaré, et je suis tout à fait d'accord avec lui. La question est de savoir qui fait quoi et qui paie quoi. Voilà le genre de discussions que nous devons finalement avoir dans notre pays, et non une discussion portant simplement sur le fait de tendre la main, car on ne peut pas avoir la main tendue et se qualifier de gouvernement.

Le président : Je souhaite intervenir maintenant et, en accord avec la question du sénateur Tannas, je désire poser à M. Coates la question suivante : dans le rapport très judicieux de l'Institut Macdonald-Laurier, vous faites valoir que les gouvernements autochtones devraient utiliser les recettes qu'ils tirent de l'exploitation des ressources naturelles pour mettre en commun un fonds d'investissement substantiel. Et, je pense que vous avez attiré notre attention sur environ la moitié du Canada, je dirais, y compris le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest, le Nunavut, le Nord du Québec et le Labrador, où, grâce aux traités modernes, les recettes tirées de l'exploitation des ressources ont été mises en commun afin d'être partagées surtout à l'échelle territoriale.

Je suis content que vous ayez attiré notre attention sur cela parce que, selon moi, nous avons réalisé des progrès dans le Nord canadien dont le reste du Canada pourrait tirer des enseignements. Cependant, ma question est la suivante : dans les provinces, nous constituons des fonds d'investissement substantiels. Qui gérerait les vôtres? Comment vous assureriez-vous que les collectivités éloignées dont les sources de revenus sont limitées bénéficient de ce partage des recettes tirées de l'exploitation des ressources, au même titre que celles qui ont ce que vous appelez un avantage géographique? Pouvez-vous nous expliquer comment cela pourrait fonctionner en pratique?

Bien entendu, nous nous sommes efforcés d'employer des modèles de financement commun comme celui fourni par l'Administration financière des Premières nations. En quoi le modèle que vous envisagez différerait-il de ceux-là?

M. Coates : Voilà une question d'un genre très détaillé.

Le président : Je vous en demande pardon.

M. Coates : Cela ne pose pas de problèmes. Il ne fait aucun doute que les ententes doivent changer. Lorsque l'on examine la question de la mise en commun des revenus, on constate que la quasi-totalité des collectivités canadiennes des Premières Nations sont pauvres. Il y a très peu de Premières Nations bien nanties.

Je tiens à revenir sur les paroles que Manny a prononcées auparavant, à savoir que notre objectif devrait être d'avoir autant d'Autochtones fortunés ou millionnaires dans les collectivités des Premières Nations que dans n'importe quelle autre ville du Canada. C'est lorsque cela se produira que nous aurons conscience d'avoir réussi. Mais, à l'heure actuelle, un grand nombre d'Autochtones sont très pauvres.

Les ententes actuellement en vigueur permettent vraiment de remettre les fonds à la collectivité la plus rapprochée des ressources. Il y a des endroits qui sont géographiquement chanceux. La Première Nation Squamish se trouve à être établie en plein dans le nord et l'ouest de la ville de Vancouver, et ses terres s'étendent jusqu'à Squamish. Les Premières Nations du Nord de la Saskatchewan ou du Nord de l'Alberta sont près de sites où des ressources naturelles sont exploitées. Par conséquent, la Première Nation de Fort McKay bénéficie d'occasions qui sont 100 fois plus importantes que celles qui s'offrent à la Première Nation de Kashechewan dans le Nord de l'Ontario.

Étant donné que, d'emblée, ces Premières Nations sont très pauvres, et ce, depuis 100 ans, elles ont besoin de fonds supplémentaires simplement pour atteindre le niveau requis. Par conséquent, elles investissent dans leurs propres collectivités, elles construisent des routes et des habitations, elles lancent de nouvelles entreprises, et elles créent des perspectives économiques. Toutefois, dans certains cas, nous avons presque atteint le stade où des fonds pourront être répartis d'une manière plus globale. On commence à voir certaines Premières Nations investir dans d'autres collectivités. Elles partagent leur prospérité avec d'autres Premières Nations. Dans certaines collectivités de la Colombie-Britannique, les Autochtones déclarent ce qui suit : « Nous avons toujours un problème de chômage, mais le vôtre est encore plus grave. Par conséquent, nous allons engager quelques membres de votre Première Nation afin qu'ils travaillent à l'exécution de notre projet, parce que nous devons nous assurer que nous progressons tous en même temps. » Ils ne veulent pas qu'une collectivité soit bien nantie, alors que l'autre n'a rien.

Le Canada n'a pas encore mûrement réfléchi à la question de la mise en commun des ressources. L'idée de Manny concernant l'emploi d'un taux d'imposition général me plaît, parce qu'une telle imposition permettrait de répartir les richesses beaucoup plus efficacement. Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a trouvé une bonne solution. Il attribue une partie des redevances qu'il reçoit aux Premières Nations. Il partage une part de ses recettes. Une part de ces fonds est remise à la collectivité touchée, et une autre part est accordée à l'ensemble des collectivités touchées.

Cinq Premières Nations du Nord de la Colombie-Britannique et du Yukon ont conclu une entente selon laquelle les Autochtones partagent avec les cinq collectivités une portion des bénéfices tirés de l'exploitation des ressources. Si une collectivité est établie près d'une exploitation pétrolière et gazière qui génère des revenus d'un milliard de dollars, la collectivité locale recevra 40 p. 100 de ces revenus, mais les 60 p. 100 restants seront divisés entre les quatre autres collectivités.

Les Premières Nations réfléchissent donc sérieusement à cela par elles-mêmes. Elles n'ont pas vraiment beaucoup songé à partager leurs ressources avec d'autres cultures, bien que nous commencions à observer des exemples en ce sens de la part l'Inuvialuit Regional Corporation. Comme vous vous en souviendrez, la société a commencé à exercer ses activités grâce au règlement de revendications territoriales de l'ordre de 100 millions de dollars, et ses investissements s'élèvent maintenant à 550 millions de dollars. Par ailleurs, la société examine en fait la possibilité d'investir en collaboration avec d'autres peuples autochtones du Nord et du Canada en général.

Nous sommes également aux prises avec une autre situation intéressante à laquelle nous ne prêtons pas suffisamment attention, à savoir le fait que les membres des Premières Nations qui habitent dans les réserves sont souvent ceux qui bénéficient de l'argent, bien que la moitié de la population de ces Premières Nations ne vive plus à proximité de leurs réserves. Je vous invite à examiner le cas de la Première Nation d'English River, dont la moitié des membres réside à English River et dont l'autre moitié vit surtout à Saskatoon, mais aussi dans d'autres régions. Par conséquent, la stratégie d'investissement de cette Première Nation couvre les deux régions. Elle tente donc d'investir dans la municipalité de Saskatoon afin de créer des emplois pour les Autochtones d'English River qui vivent là-bas.

Nous avons vraiment du mal à déterminer comment nous devrions mettre en commun nos ressources et comment nous devrions les partager en général. Si vous souhaitez vous enthousiasmer à ce sujet, le meilleur exemple que je pourrais vous donner est celui du Nord du Québec. Regardez les Inuits et les Cris de la Baie James qui ont créé ensemble des sociétés régionales de développement économique. Ils investissent dans plusieurs collectivités, et partagent leurs recettes et leurs ressources de ces façons.

Toutefois, j'aimerais souligner un autre argument que j'ai oublié de faire valoir auparavant, à savoir que, lorsque l'on examine cette question du point de vue de ce qui est profitable pour le Canada, on observe un phénomène très intéressant. En effet, on constate que, dans le cadre de la mise en valeur des ressources, plus les Autochtones reçoivent d'argent, plus l'incidence régionale est importante. Si vous mettez en œuvre un projet auquel les Autochtones ne participent pas beaucoup, presque tous les fonds quittent la région. Les travailleurs arrivent et repartent, et une société du sud ou une multinationale transfère tous les profits hors de la région. Même si une mine est exploitée, ses répercussions nettes réelles sur la région, qu'elle se trouve au Yukon, dans le Nord de la Saskatchewan ou dans le Nord du Manitoba, sont relativement minimes. Dès que des Premières Nations participent au projet — je privilégie une participation au capital, le genre de processus d'imposition dont Manny parle, des ententes sur les répercussions et les avantages et des dispositions de ce genre —, son effet multiplicateur sur la région est simplement stupéfiant. Par conséquent, le Canada a un énorme problème lié à la pauvreté générale des régions nordiques et rurales, et ce problème ne touche pas seulement les Autochtones. Si vous souhaitez le régler pour tous les Canadiens, nous pensons que le meilleur moyen de garder l'argent à portée de main consiste à habiliter les Autochtones.

Le président : Merci.

Le sénateur Watt : Chef, je sais qu'au fil des ans, vous avez pris part à de nombreux projets auxquels les Premières Nations ont participé, et l'un d'eux est la commission dans laquelle vous jouez un rôle depuis un certain temps. Je sais que vous avez contribué efficacement à apporter de temps en temps des modifications mineures aux exigences administratives, et que les Premières Nations ont tiré profit de cette série de modifications que vous avez apportées au cours des années. Ces modifications ont trait aux revendications territoriales, à la gestion financière et à d'autres enjeux de ce genre.

Je ne vais pas entrer dans les détails des enjeux dont nous parlons tous. Je préférerais tenter de savoir ce que vous pensez de l'échéancier qui serait requis pour établir tous les paramètres si nous voulons conclure une entente significative avec le gouvernement du Canada à un moment ou à un autre d'un avenir rapproché, j'espère. Toutefois, si ce processus dure encore longtemps, je ne crois pas que nous rendrons service aux Canadiens, et je pense que nous en avons tous conscience. Je suis certain que vous et Harold Calla avez discuté de cette idée au fil des ans. Je suis l'une des personnes qui ont eu l'idée de tenter de trouver des solutions pour faire bouger les choses à l'échelle fédérale, mais ce n'est pas facile.

Je suppose qu'il doit y avoir deux points de mire. L'un d'eux doit consister à réunir toutes les pièces du puzzle. Que faut-il faire pour qu'une institution unique fournisse des services à 640 collectivités du Sud du Canada et au Nord du Canada, qui compte 56 collectivités, voire plus? Il faut donc tenir compte de ces exigences.

Même si, comme notre président l'a indiqué, des revendications territoriales globales existent dans le Nord du Canada, elles favorisent dans une certaine mesure ce dont nous parlons aujourd'hui. Dans certains cas, quelques obstacles doivent être supprimés ou modifiés afin que les membres des collectivités bénéficient de cette idée, tout comme les autres Canadiens.

Ce que j'aimerais que nous examinions pendant la présente séance, c'est la façon de gérer cet aspect. Nous parlons de besoins en matière de logement et de besoins sociaux et, en même temps, nous discutons des besoins des collectivités en matière d'infrastructures.

Nous savons que le gouvernement du Canada et les provinces ne seront pas toujours prêts à nous accorder des fonds quand les besoins seront signalés, mais nous devons trouver un moyen de créer nos propres revenus, et j'appuie complètement cette idée.

En disant cela, envisagez-vous en quelque sorte de réunir les grandes organisations nationales, comme l'APN et l'ITK, et d'organiser une rencontre avec le gouvernement du Canada, peut-être sans y faire participer les provinces au début? Il vous faudra peut-être les inviter plus tard.

Envisagez-vous de passer de deux ou trois ans à tenter de négocier un processus constructif pour mettre en place le mécanisme? Nous ne sommes pas certains de savoir en quoi consistera ce processus au bout du compte, mais, au moins, les négociations seront amorcées. Préconisez-vous cette approche afin que nous finissions par avoir un fondement législatif et, par conséquent, une base sur laquelle nous appuyer lorsque nous traiterons avec le gouvernement? Est-ce où vous voulez en venir?

M. Jules : Je ne peux parler que de mon échéancier. Je suis âgé de 62 ans, et je ne veux pas être encore en train de travailler là-dessus quand j'aurai 70 ans. Par conséquent...

Le sénateur Watt : Je suis âgé de 70 ans en ce moment.

M. Jules : Soit vous croyez que trois années seront nécessaires — j'aurai alors 65 ans — soit huit années, tout au plus. Je suis un éternel optimiste. Cela fait 40 ans que je fais ce travail. J'ai vu ma fille naître, et devenir indépendante. Elle est maintenant âgée de 40 ans, et je l'aime beaucoup. Quant à mon fils, il a 20 ans. Je ne veux pas leur faire porter le fardeau de tous les efforts requis, mais il faudra tout de même qu'ils restent actifs, car nous ne résoudrons pas tous les problèmes dans les deux ou trois prochaines années.

Au cours des deux ou trois prochaines années, je veux vraiment concentrer une grande partie de mes efforts sur la taxe autochtone sur les ressources, et je distingue un fondement législatif pour le faire. Au bout du compte, le gouvernement fédéral devra céder un espace fiscal, ce qui exigera l'adoption d'une mesure législative. Les gouvernements provinciaux devront faire de même, ce qui exigera également l'adoption d'une mesure législative.

Je pense que la première province devrait être la Colombie-Britannique, où j'ai d'ailleurs eu des discussions avec des politiciens sur ce sujet précis. L'un des responsables auxquels j'ai parlé déclare d'ailleurs qu'en ce qui le concerne, la fiscalité offre des revenus à long terme et stables pour les collectivités des Premières Nations. Je pense que c'est la raison qui l'emportera finalement. Le 28 avril, il y aura à Kamloops une réunion avec des représentants de nombreuses collectivités pour débattre de la question. Nous devons commencer au niveau communautaire. Nous devons susciter un élan. C'est par ailleurs à ce niveau que le changement doit se produire. Il faut qu'on le demande. Pour l'instant, on exprime une volonté. Cela suppose un engagement auprès du gouvernement provincial.

Sandra disait que nombre de nos gouvernements avaient un horizon de deux ans. Les parlementaires et les assemblées législatives ont de leur côté un échéancier à plus long terme. En Colombie-Britannique, on envisage probablement deux ou trois ans de plus. C'est donc une occasion à saisir. Cela se fera probablement pendant le nouveau mandat du gouvernement fédéral. Cela nous laisse quatre ans de plus. Mais le dossier doit être prioritaire.

Je pense que le développement des ressources est une priorité en raison des retombées sur l'économie. Prenez l'exemple de l'Alberta où des élections ont lieu. Je sais que Jim Prentice connaît très bien ces dossiers et s'alignera sur l'Alberta. Cela donnerait un élan. En Ontario, Kathleen Wynne a offert aux Premières Nations de partager les revenus provenant des ressources, mais son offre a été reçue froidement parce qu'elle n'offrait pas suffisamment de marge de manœuvre.

Dans ce contexte, il faudra développer les infrastructures pour se déplacer vers le nord. Ce n'est pas une seule route qu'il faudra, mais deux. De nombreux dossiers concernent à la fois les Premières Nations, les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral. Tout cela suscite une volonté politique. Je crois fermement dans l'art du possible, et c'est ce que vise finalement la politique. Nous devons pouvoir avoir une vision. Nous devons pouvoir l'énoncer et nous devons pouvoir la soutenir. En fin de compte, elle doit être légiférée et nous devons créer des institutions pour la réaliser.

Comme je l'ai dit, nous devons avoir un système transparent, mais qui ne soit pas trop complexe et qui s'appuie sur ce qui existe déjà afin que la fiscalité ne fasse pas fuir l'entreprise. Nous voulons multiplier les entreprises et pour cela, il faut susciter un climat de confiance en maintenant les acquis.

J'ai bon espoir de ne pas avoir à faire cela au-delà de 65 ans, mais si cela est vraiment nécessaire et que je me laisse persuader, je pourrais le faire jusqu'à 70 ans, comme vous. Ce qui me laisse de trois à huit ans. C'est donc tout ce que je ferai. Je le promets.

Le sénateur Watt : J'aimerais simplement revenir sur un point que j'ai déjà soulevé. Que faisons-nous avec les organisations qui existent déjà et qui prétendent — en fait, elles le font en réalité — représenter leur peuple, comme l'Assemblée des Premières Nations, par exemple? Comment les associer au processus?

M. Jules : Le chef national actuel a affirmé appuyer au niveau national le partage des recettes de l'exploitation des ressources. Je sais que d'un point de vue politique, il souhaiterait ardemment avoir des compétences fiscales puisque cela relève des traités.

Ce qui pose problème au niveau national, c'est que la Saskatchewan n'appuie pas le partage des recettes de l'exploitation des ressources parce qu'elle estime déjà le faire avec tous les citoyens de la province. Je ne suis pas d'accord avec cette position, mais c'est celle qu'elle a prise pour l'instant au niveau politique.

Le sénateur Watt : Peut-on sensibiliser la province à cela?

M. Jules : Je crois que oui, car cela relève de l'économie. Fondamentalement, ce qui fait fonctionner ce pays et le gouvernement, c'est un bon système économique. Le Canada et l'Occident ont réussi à se doter d'institutions favorables au développement économique et aussi aux citoyens. Ne serait-ce que pour cela, la Saskatchewan devrait pouvoir ouvrir les yeux.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup à tous les deux, ces délibérations sont très fructueuses. J'ai quelques questions à vous poser.

Je ne suis pas sûre d'avoir tout compris, chef Jules. Pourriez-vous élaborer à propos du crédit d'impôt par rapport à la marge de manœuvre fiscale? Pour moi, le crédit d'impôt, c'est par exemple le crédit d'impôt pour enfants qu'on verse aux contribuables et qui leur permet de payer moins d'impôts. J'y vois un partage fiscal. Il y a un partage fiscal entre les gouvernements provinciaux, le gouvernement fédéral et les Premières Nations. Pourriez-vous préciser, s'il vous plaît?

M. Jules : Je préfère votre formulation.

La sénatrice Raine : D'accord.

M. Jules : Vous m'ôtez les mots de la bouche, c'est un partage fiscal.

La sénatrice Raine : Lorsque vous parlez de crédit d'impôt, vous ne dites pas que le crédit devrait provenir du gouvernement fédéral et être versé aux provinces, par exemple.

M. Jules : Lorsque les entreprises paient un impôt aux Premières Nations, elles peuvent le déduire de celui qu'elles doivent au gouvernement fédéral. De cette façon, les impôts n'augmentent pas pour l'industrie et cela ne nuit pas au développement des ressources. Plutôt que de viser une recette provinciale particulière, cette approche permet aux gouvernements fédéral et provinciaux de contribuer dans le cadre d'un partage fiscal en faveur des Premières Nations.

La sénatrice Raine : Ce montant, qui représente, si on veut, un crédit, serait ainsi versé aux Premières Nations?

M. Jules : En vertu du régime, tant les gouvernements fédéral que provinciaux auraient à renoncer à une partie de leur fiscalité en faveur des administrations des Premières Nations. Selon cette approche, il s'agit bien ainsi d'un réel partage fiscal.

La sénatrice Raine : Merci. Ma deuxième question sur laquelle je m'interroge concerne notre histoire. Nous avons un pays, le Canada, qui existait bien avant 1867. Avant la colonisation, les Premières Nations partageaient la terre, et avaient des frontières et des territoires traditionnels. Lorsque nous faisons aujourd'hui allusion à une Première Nation, il pourrait s'agir d'une des 17 collectivités du Conseil tribal des Shuswaps, par exemple. Si l'on n'y réfléchit pas, on pourrait penser qu'une collectivité de 200 ou 300 personnes constituerait une Première Nation. Or les Cris constituent, selon la terminologie d'aujourd'hui, une Première Nation et c'est, je suppose, une vraie nation.

Si l'on envisage un partage fiscal sous la forme de recettes découlant de l'exploitation des ressources dans les terres traditionnelles, ne devrions-nous pas redessiner les frontières?

M. Jules : Pour être clair, je crois que les Secwepemc sont une nation, une vraie nation. Nous étions une nation avant la colonisation et nous nous définissons toujours comme des Secwepemc. Quand vous parlez de redessiner les frontières, j'estime que c'est à nous de le faire. Le début du processus, c'est de s'identifier.

Pour prendre l'exemple des Cris, il y a les Cris des bois, les Cris des plaines et il y a les Cris du nord du Québec. Certes, ils parlent tous la même langue, mais avec de nombreux dialectes. S'ils voulaient se regrouper, je ne m'y opposerais pas, je les y encouragerais. Si tous les Shuswaps voulaient se regrouper, ils n'en seraient que plus puissants. J'espère que cela arrivera un jour.

Lorsqu'on parle d'une « Première Nation », beaucoup de gens vous diront : « Eh bien moi, je suis une Première Nation. » Ainsi, on passe des Cris, qui occupent essentiellement le nord du Canada à un particulier. La façon dont on parle d'une « Première Nation » n'est pas la mienne.

Quand je pense aux Premières Nations, je pense en fait aux Premières Nations des temps anciens qui avaient le pouvoir, et qui occupaient et défendaient leurs terres. Mon peuple, ce sont les Shuswap. Nous avons fait cela, nous avions un territoire bien défini. Mais cela a changé à la suite des divers événements qui se sont déroulés.

L'épidémie de variole témoigne de migrations de certaines des collectivités traditionnelles vers d'autres collectivités qu'elles occupaient. Et la Cour suprême affirme qu'il faut s'en tenir à la date de 1849. Étiez-vous une société organisée? Aviez-vous occupé ces territoires à partir de cette date? Une foule de dynamiques sont en jeu lorsqu'on parle des Premières Nations.

Si l'on remonte à 1849, nous occupions davantage de territoires qu'aujourd'hui en raison de la présence de Tsilhqot'in. L'une des questions que j'ai posées aux Tsilhqot'in après les procès était de savoir s'ils comprenaient Riske Creek, qui faisait partie de notre territoire traditionnel depuis 1849. Ils ont occupé la région à cause de l'épidémie de variole.

Deux de nos collectivités étaient autrefois vraiment les nôtres, mais en raison des mariages et d'autres facteurs, elles ne se considèrent plus ni ne s'identifient plus comme des Secwepemc. Tous ces facteurs entrent en jeu.

Je pense que c'est à nous et non aux gouvernements de régler la question. C'est une question interne. Il nous faut des diplomates; nous devons pouvoir entrer en contact avec nos voisins et cela se fera en partie comme nous l'avons fait avec les gens d'Upper Nicola. L'Accord de Fish Lake a été conclu entre les Shuswap et l'Okanagan à la fin des années 1700. À cette occasion, il y a eu littéralement un échange d'enfants entre nos collectivités de telle sorte que nous sommes devenus une famille. Nous sommes devenus une famille afin de ne plus entrer en guerre les uns contre les autres. Pour cette raison, nous avons convenu de partager certaines parties du territoire. Et c'est ce qui va arriver. Il n'y aura plus cette frontière entre nous. En fin de compte, nous dirons qu'il s'agit d'une région utilisée de façon commune et nous devrions en profiter de façon commune, et nous allons nous rassembler pour le déterminer. Et l'une des raisons qui nous poussent à le faire, c'est le pouvoir de lever des impôts. Pourquoi nous rassembler, si nous n'avons pas ce pouvoir?

La sénatrice Raine : Merci.

Le président : Je pense que la vraie difficulté pour ce comité — et nous nous y sommes attelés à plusieurs reprises ce matin — ce sont les collectivités pauvres.

Selon votre rapport, monsieur Coates — et je pense que vous en parlez au sujet des Territoires du Nord-Ouest et d'autres, je veux parler du modèle de dévolution dans les Territoires du Nord-Ouest —, il faudrait une approche hybride qui serait à mi-chemin entre l'approche locale et globale, qui permettrait aux collectivités avantagées au plan géographique d'en retirer des avantages légitimes, mais qui ferait que les ressources soient partagées selon un pourcentage fixe avec celles qui ont des besoins et des difficultés.

Quelle est la prochaine mesure à prendre pour en arriver là? Votre rapport est sorti en janvier. Je suis sûr qu'il a suscité beaucoup de réactions et de débats. Comment faire avancer le dossier?

Pensez-vous que l'affrontement regrettable que suscitent les projets de développement des ressources dans les diverses régions du pays, avec les litiges et autres mesures qu'il pourrait entraîner, est l'occasion d'envisager l'avenir autrement?

Est-ce que votre proposition est appuyée par des dirigeants comme le chef Manny Jules? Y a-t-il une possibilité de trouver un moyen autre que l'affrontement et les litiges en ce qui concerne le développement des ressources?

M. Coates : Je suis tout à fait d'accord avec vous, c'est un nouveau moyen et nous devons trouver un nouveau moyen. Il y a certes des affrontements. Mais il faut se rendre compte que nous avons aussi des affrontements avec des populations non autochtones. Les Autochtones ne sont pas les seuls à avoir des soucis. En fait, très souvent, si vous songez au Nouveau-Brunswick et à la controverse que suscitent les gaz de schiste, il y a beaucoup de gens des Premières Nations au Nouveau-Brunswick qui sentent la nécessité d'avancer et d'autres, dans les mêmes collectivités, qui pensent qu'on ne devrait pas aller de l'avant. Mais c'est également un débat au sein de la population non autochtone.

Je dirais simplement ceci : ne rien faire entraînera des coûts très importants. Quand on songe au partage des redevances, aux mesures fiscales dont parle Manny Jules, on doit se rendre compte que certes, il y a un coût, que cela prend du temps, qu'il y a un processus politique, mais il faut faire le calcul de tout ce qui arrivera si nous ne faisons rien du tout.

Si vous comptez sur un processus extrêmement lent et que rien ne change, les batailles judiciaires vont se multiplier dans tout le pays. Ces batailles coûtent des millions de dollars. Les Tsilhqot'in, qui sont très démunis, ont dépensé 10 millions de dollars pour leur poursuite. Ils ont dû investir beaucoup de leur propre argent et de leurs efforts dans le processus et les négociations sur des projets particuliers sont interminables.

Manny Jules parle du temps que prend la mise en place de tous ces éléments. Un régime fiscal serait très simple. Les possibilités d'investissement en capital seraient très simples. En revanche, les luttes politiques sont énormes.

S'agissant du coût, il faut aussi se rendre compte que les collectivités autochtones assument un fardeau extraordinaire, celui de la pauvreté qui se poursuit. Prenons l'exemple des collectivités dont vous parlez, par exemple celles qui sont isolées, loin des possibilités qu'offre le développement des ressources comme les Attawapiskats et les Kashechewans du Canada. Soit ces collectivités constituent environ un tiers de toutes les collectivités autochtones au Canada qui n'ont pas accès au développement des ressources, soit elles ont des défis internes.

Si nous ne faisons rien dans ces collectivités, on ne crée pas simplement un problème qui durera trois ou quatre ans, on crée des problèmes pour les familles et les particuliers qui imposeront à ce pays et aux Premières Nations un coût social renversant qu'il faudra assumer pendant des générations.

Nous parlons tout le temps de l'éducation de la maternelle à la 12e année. La recherche montre sans l'ombre d'un doute que le défi numéro un touche la tranche d'âge de zéro à cinq ans. Nous n'avons pas de structures institutionnelles pour cette tranche d'âge. Pour l'éducation de la maternelle à la 12e année, on parle du système scolaire; pour l'enseignement postsecondaire, on parle d'universités. Toutefois, les enfants qui vivent dans des logements surpeuplés où les murs ont de la moisissure, qui ne sont pas suffisamment alimentés, qui n'ont pas accès à des services locaux, ces enfants vont être gravement affectés pour le reste de leur vie. Les coûts et les conséquences sont énormes.

S'agissant de cet arrangement, il nous faut faire preuve d'un courage extraordinaire. Nous devons opérer des changements spectaculaires. Permettez-moi de souligner ce dont Manny Jules parle à plusieurs reprises. Il nous faut abandonner l'idée qu'il y a une solution, une sorte de vieille panacée, pour régler les problèmes de tous les Canadiens, en toutes circonstances. Je veux parler des pensionnats ou des réserves ou de l'autonomie qui allaient régler tous les problèmes.

Ce dont parle le chef Jules, c'est de créer un outil. Si vous mettez au point l'outil fiscal qu'il a décrit, vous allez constater qu'il sera adopté par des Premières Nations. Des instances régionales, que ce soit un conseil tribal ou peut- être un groupe au Yukon ou dans les Territoires du Nord-Ouest l'adopteront et l'on verra alors les avantages associés à ce que je crois être l'élément le plus important, je veux parler de la réussite. Lorsque l'on voit les collectivités réussir — collectivités des Premières Nations, autochtones, métisses ou inuites — elles partagent leurs histoires et leurs expériences et tout cela fait alors partie du dialogue national.

C'est l'un des défis auxquels nous faisons face. Ne cherchons pas l'élément unique qui réglera tout pour tout le monde et d'un coup. Il n'existe pas.

Les 636 Premières Nations dispersées à travers le pays vont de Membertou en Nouvelle-Écosse et de Fort McKay en Alberta jusqu'aux collectivités désavantagées, marginalisées et appauvries. Ne réglons pas tous les problèmes d'un coup. Inspirons-nous de leur succès pour le reste du pays.

Le président : Quelle est la prochaine étape?

M. Coates : La prochaine étape est l'action directe et c'est vous qui la mènerez. Nous avons besoin de messages forts de la part des spécialistes comme ceux de Macdonald-Laurier, de la collectivité des Premières Nations, du chef Jules et de l'APN. Les idées ne manquent pas.

À mon avis, l'appui en faveur des droits autochtones au Canada est en déclin. Il décline proportionnellement à l'accroissement de ses droits. Au fur et à mesure que les peuples indigènes ont plus de pouvoirs, l'appui en faveur de leurs droits diminue. Le problème est que l'intérêt politique que suscitent les droits et l'habilitation des Autochtones diminue, même si les coûts sociaux persistent. Il nous faut, au niveau du pays, une déclaration ferme sur la nécessité de changer les choses.

Le rapport conjoint de l'APN et des Affaires autochtones sur le développement économique présente à cet égard un message fort selon lequel, essentiellement, tout le monde doit agir. Le Parlement doit agir, de même que les gouvernements provinciaux, mais aussi les Premières Nations et les entreprises.

Il faudrait maintenant une déclaration émanant d'un groupe comme le vôtre qui dirait : « Arrêtons de faire des retouches sous forme de petits pas, de modestes subventions et de petits changements. Il faut une action suffisamment spectaculaire pour changer la donne. »

Je ne parle pas de transition révolutionnaire, mais des mesures précises à prendre qu'a évoquées le chef Jules. Il faut parler des grands progrès qui ont été accomplis. Nous avons des réussites. Ne disons pas que si nous faisons cela quelque chose arrivera. Nous pouvons montrer que les collectivités changent lorsqu'il y a le partage des redevances, lorsque des accords modernes sur les revendications territoriales donnent du pouvoir aux Autochtones, lorsqu'il y a un partage des recettes en Colombie-Britannique. La collectivité Haisla en Colombie-Britannique parle d'une usine de gaz naturel pour produire de l'électricité, elle parle d'appuyer le pipeline et de revitaliser l'économie du nord de la Colombie-Britannique. Un tel discours aurait été inimaginable il y a 30 ans.

Nous voyons des changements en raison de ce qui est déjà là, mais quelles sont les prochaines mesures spectaculaires à prendre? Je vous le dis bien franchement, les gens qui parlent de partage des redevances, de régimes fiscaux et d'équité pour les Autochtones doivent savoir qu'ils sont appuyés par le Parlement.

Le président : Merci.

M. Jules : L'avantage d'une réelle compétence fiscale est que cela permet de débattre de la péréquation. Je pense que si les Premières Nations ont une vraie compétence fiscale sur les terres visées par les traités, en dehors des réserves indiennes on en arrivera au point où les Premières Nations voudront parler de péréquation parce que nous voulons tous voir toute la population, tous les peuples autochtones s'affirmer et être autonomes. Et nous voulons contribuer à ce progrès.

Le président : Cela a été une séance des plus instructives et je suis content qu'elle ait eu lieu. Elle nous permet de trouver des possibilités novatrices de financement pour surmonter les obstacles que présentent le logement et les infrastructures.

Au nom du comité, je tiens à vous remercier tous les deux des efforts que vous avez déployés pour préparer ces exposés et contribuer au dialogue que nous avons eu ce matin.

Merci beaucoup.

(La séance est levée.)


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