Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 4 - Témoignages du 29 janvier 2014
OTTAWA, le mercredi 29 janvier 2014
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 16 h 23, pour étudier la capacité des particuliers à se prévaloir d'un régime enregistré d'épargne-invalidité (REEI), notamment la représentation par un avocat et la capacité des particuliers à conclure un contrat.
Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.
[Translation]
Le président : Bon après-midi. Je déclare ouverte la séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.
Aujourd'hui, le comité tient sa quatrième séance dans le cadre de son étude sur les régimes enregistrés d'épargne-invalidité, ou REEI, mettant l'accent sur la représentation par un avocat et la capacité des particuliers à conclure un contrat en vue de souscrire à un REEI.
Histoire de nous rafraîchir la mémoire, puisque notre dernière réunion remonte à loin, je précise que le comité a entendu le témoignage du ministre d'État aux Finances, M. Kevin Sorenson, qui était accompagné de représentants du ministère des Finances. Nous avons aussi entendu des représentants du Conseil des Canadiens avec déficiences, de l'Association canadienne pour l'intégration communautaire, et du Planned Lifetime Advocacy Network. Le comité a également reçu l'Association des banquiers canadiens, la Banque Canadienne Impériale de Commerce, et BMO Gestion mondiale d'actifs.
Aujourd'hui, le comité reçoit l'Institut national canadien pour les aveugles (INCA), et la Section d'Ottawa de l'Association canadienne pour la santé mentale. Merci aux témoins d'être ici.
Je demanderais à M. Marc Workman, directeur national, Défense des intérêts, de l'Institut national canadien pour les aveugles, de prendre la parole en premier. Ce sera ensuite au tour de Mme Nelson, présidente de la Section d'Ottawa de l'Association canadienne pour la santé mentale, qui est accompagnée de M. Tim Simboli.
Je cède donc la parole aux témoins. Monsieur Workman, nous vous écoutons.
Marc Workman, directeur national, Défense des intérêts, Institut national canadien pour les aveugles : Merci, monsieur le président. Merci aussi aux membres du comité de me permettre de m'adresser à vous au nom de l'INCA.
L'INCA est un organisme de charité enregistré qui offre depuis près d'un siècle des services à des personnes qui ont des déficiences visuelles. Sa mission consiste à fournir du soutien communautaire, à diffuser de l'information et à représenter les Canadiens aveugles et partiellement voyants à l'échelle nationale, afin de leur donner la confiance, les habiletés et les possibilités voulues pour profiter pleinement de la vie.
L'INCA soutient vivement le programme de régimes enregistrés d'épargne-invalidité. Le programme des REEI est un programme novateur qui aidera les personnes handicapées à vivre confortablement et dans la dignité à l'approche de leurs vieux jours.
Cependant, comme l'a entendu le comité, la question de la représentation par un avocat a poussé certains Canadiens à faire un choix entre renoncer à un REEI ou faire des démarches pour être déclarés légalement incapables et désigner un tuteur légal, ce qui s'avère souvent un processus laborieux.
Pour la plupart des clients de l'INCA, la question de la représentation légale ne pose pas de problème pour souscrire à un REEI. Rien n'empêche une personne souffrant d'une déficience visuelle de conclure un contrat avec une institution financière — je précise toutefois qu'il est bien sûr primordial de veiller à ce que tous les documents liés à la conclusion d'un contrat soient fournis dans un format accessible à la personne ayant une déficience visuelle.
Cela dit, la cécité est parfois associée à des déficiences développementales qui peuvent soulever des doutes quant à la capacité légale d'une personne. Par exemple, une étude américaine a démontré que 28 p. 100 des enfants chez qui on a diagnostiqué une déficience visuelle importante et irréversible entre 0 et 3 ans souffraient également de déficiences développementales. C'est donc dire que le tiers des enfants essentiellement aveugles de naissance présentent aussi une déficience développementale. L'INCA veut donc s'assurer que ses clients, pour lesquels la question de la capacité légale peut poser problème, ne soient pas forcés de choisir entre renoncer à un REEI et être déclarés légalement incapables.
Pour remédier à la situation, l'INCA aimerait appuyer la proposition présentée par l'Association canadienne pour l'intégration communautaire, l'ACIC, et le Conseil des Canadiens avec déficiences, le CCD.
La proposition a été présentée pour la première fois au ministère des Finances en 2011, et en décembre, elle a de nouveau fait l'objet de discussions devant le comité.
L'ACIC et le CCD sont mieux placés pour parler en détail de leur proposition, mais je vous rappelle rapidement qu'il est proposé que le gouvernement fédéral crée un formulaire expressément — et j'insiste là-dessus — pour le programme des REEI. Ce formulaire permettrait à une personne handicapée de désigner une ou plusieurs personnes admissibles comme cotitulaires d'un compte de REEI. Lorsque la personne handicapée n'est pas en mesure de donner des directives, une ou plusieurs personnes admissibles peuvent se désigner elles-mêmes comme cotitulaires du compte, pourvu qu'une tierce partie, un professionnel, atteste de la relation qui les unit à la personne handicapée.
Avec cette proposition, il n'est plus nécessaire de choisir entre renoncer à un REEI et être déclaré légalement incapable. C'est aussi une proposition à l'échelle nationale, alors finies les conditions particulières selon la province de résidence. Cela signifie également que les institutions financières n'ont pas à composer avec un ramassis de textes législatifs à l'échelle du pays. La mise en oeuvre de la proposition peut s'effectuer assez rapidement, à tout le moins plus rapidement que s'il fallait adopter des solutions semblables dans chacune des provinces.
Finalement, cette proposition soutien le principe de l'aide à la prise de décisions prévu par la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, que le gouvernement fédéral a ratifié avec l'appui de l'ensemble des provinces et des territoires.
L'INCA croit que la solution proposée par l'ACIC et le CCD est la meilleure manière de régler la question de la représentation juridique et facilitera l'accès aux REEI pour les personnes que visent à aider ce programme.
Je vous remercie encore une fois de votre attention. Je suis disposé à répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Workman, pour votre exposé. Madame Nelson.
Karen Nelson, présidente, Association canadienne pour la santé mentale, Section d'Ottawa : Merci à vous, monsieur le président, et aux membres du comité de m'avoir donné l'occasion de vous parler du programme des régimes enregistrés d'épargne-invalidité, ainsi que de la capacité des personnes atteintes de maladies mentales graves de se servir et de profiter de ce programme.
Permettez-moi d'abord de vous décrire la clientèle que dessert la Section d'Ottawa de l'ACSM. Nous desservons plus de 1 000 personnes aux prises avec des maladies mentales graves et des problèmes de santé mentale complexes, auxquels s'ajoutent souvent des problèmes de dépendance et des problèmes de santé physique. Il s'agit du principe des trois « D », c'est-à-dire qu'un psychiatre ou un médecin établit un diagnostic de maladie mentale, qui bouleverse la vie du patient pour une longue durée, et il en résulte une déficience.
De plus, ce sont généralement des sans-abri, des patients hospitalisés ou des personnes aux prises avec l'appareil judiciaire qui sont dirigés vers nos services. La plupart du temps, ces gens ont perdu contact avec leur famille et sont isolés de la société. Beaucoup n'ont pas accès à des services de santé primaires. Ils sont pauvres; certains reçoivent des prestations d'invalidité ou d'aide sociale, et d'autres n'ont aucun revenu lorsqu'ils prennent contact avec l'ACSM. Beaucoup n'ont pas de compte bancaire, d'adresse postale, de coordonnées, de documents d'identification ni de simples cartes d'identité. Ils ont parfois été incarcérés ou placés en institution à répétition ou ont reçu du soutien temporaire à plusieurs reprises.
Étonnamment, malgré le piteux état dans lequel nous arrivent nos clients, seul un faible pourcentage d'entre eux pourraient être jugés « inaptes » en vertu de la loi. La pauvreté, les carences alimentaires, les conditions de logement inadéquates et l'isolement sont tous des facteurs qui viennent exacerber leurs problèmes de santé mentale. Pour ce qui est de leur état de santé général, ils font piètre figure au Canada, ayant une espérance de vie plus courte de 25 ans que le Canadien moyen.
Il y a les clients que nous desservons à Ottawa, et d'autres organisations en desservent tout autant, mais il y en a beaucoup plus qui n'obtiennent pas de services fiables ou durables. On estime qu'il y a entre 7 000 et 10 000 personnes dans cette situation dans la région d'Ottawa.
On compte parmi nos clients les personnes handicapées les plus pauvres et les plus marginalisées du Canada, et les dispositions du programme de REEI ne leur rendent pas service.
Lorsque le gouvernement fédéral a fait l'annonce du programme de REEI en décembre 2008, nous espérions que ce dernier, notamment les Bons canadiens pour l'épargne-invalidité, permettrait aux personnes atteintes de maladies mentales graves d'améliorer leur situation financière future et de remédier à l'une des principales difficultés auxquelles elles sont confrontées, c'est-à-dire la pauvreté. Notre organisme a vite informé ses clients et son personnel à propos des REEI. Au printemps 2009, un avocat de notre conseil d'administration avait préparé une fiche d'information et avait présenté un exposé aux intervenants. Plus récemment, nous avons reçu des organisations externes financées par le gouvernement fédéral pour qu'elles présentent de l'information sur les REEI à nos clients, à leurs familles et aux travailleurs en santé mentale. Cependant, l'ACSM-Ottawa s'inquiète depuis le début de la capacité de ses clients à se servir et à profiter de cet outil d'épargne financière.
Nos craintes se sont avérées fondées. Nous savons qu'il ne suffit pas d'informer le public pour faire en sorte que le programme soit accessible à nos clients. À ce que l'on sache, seuls quelques-uns de nos clients ont pu souscrire à un REEI depuis la création du programme. Lorsqu'ils apprennent le nombre d'étapes à franchir pour souscrire à un REEI et les critères à remplir pour maintenir leur admissibilité, nos clients sont découragés, sceptiques et abattus. Leurs contraintes cognitives, les fluctuations de leur état de santé mentale et leur vie instable rendent le processus des REEI trop compliqué pour eux.
Le Planned Lifetime Advocacy Network a préparé un guide clair et utile qui explique étape par étape comment ouvrir et gérer un compte de REEI. Le guide divise le processus en dix étapes et s'adresse aux personnes handicapées qui ne présentent pas de contraintes envahissantes sur le plan mental, psychiatrique, émotionnel ou psychologique. Mais pour nos clients, le processus n'est pas simple; il y a beaucoup plus d'étapes à franchir.
Pour obtenir un numéro d'assurance sociale, ils doivent avoir un certificat de naissance, se faire aider pour remplir les formulaires et trouver l'argent nécessaire pour payer les pièces d'identité en question. S'ils n'ont pas de compte en banque, ils doivent avoir une pièce d'identité avec photo, et cela fait grimper les coûts. Ils doivent trouver une institution financière où ils peuvent ouvrir un compte, où les frais sont abordables et où l'environnement est accueillant. Ils doivent ensuite faire remplir le formulaire de crédit d'impôt pour personnes handicapées, à condition d'avoir un médecin et d'avoir l'argent pour le payer et que celui-ci sache comment remplir le formulaire correctement; ce n'est qu'à ce moment-là qu'ils pourraient avoir le crédit d'impôt pour personnes handicapées. Ces trois conditions sont les plus difficiles à remplir.
Le formulaire de crédit d'impôt pour personnes handicapées est un outil complexe pour évaluer les invalidités associées aux déficiences mentales, et les médecins n'ont pas la formation voulue pour remplir le formulaire correctement. Étant donné la nature et les manifestations de la maladie mentale, et bien que la maladie soit envahissante, il se peut que les symptômes soient épisodiques. Il devient alors difficile de satisfaire chaque année aux exigences liées au crédit d'impôt pour personnes handicapées. Une année, la personne peut se sentir trop mal pour même envisager de demander un crédit d'impôt, et lorsque les choses vont mieux, il se peut qu'elle n'arrive pas à répondre aux critères établis. C'est la réalité de bien des gens.
Il y a ensuite la déclaration de revenus à chaque année. Il ne faut pas l'oublier, ni perdre ses papiers; il faut être en mesure de remplir sa déclaration de revenus ou obtenir un rendez-vous dans une clinique d'impôt gratuite. De plus, il faut se sentir assez bien pour tout mettre en place afin de produire la déclaration. Et c'est à refaire chaque année, qu'on se sente bien ou non au moment où on nous demande de le faire.
L'ACSM-Ottawa tente d'éliminer ou d'atténuer ces obstacles — accès à des pièces d'identité, comptes bancaires, prestations, déclaration de revenus — tant au niveau des systèmes que des particuliers. Nous sommes d'avis que sans une aide plus directe, les personnes souffrant de troubles mentaux graves et persistants et ayant des besoins complexes ne pourront pas profiter pleinement du programme des REEI. Bien que faire la publicité et la promotion du programme puisse être utile pour certains, cela ne l'est pas vraiment pour nos clients, qui gagneraient davantage à recevoir de l'aide pratique pour naviguer au sein du système et satisfaire aux exigences. Cela s'est d'ailleurs avéré efficace dans des systèmes semblables.
Nous avons obtenu de bons résultats avec un programme similaire que nous dirigeons en partenariat avec le Centre 454 des Anglican Social Services, à Ottawa. Ce programme vise à aider les personnes à passer les nombreuses étapes du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, ou POSPH.
Le personnel aide les clients à chacune des étapes, que ce soit pour trouver un médecin, obtenir des dossiers médicaux, accompagner les clients à un rendez-vous chez le médecin, enseigner aux médecins comment remplir les formulaires, aider les clients à remplir leurs autoévaluations, les tenir au courant du processus et les aider à interjeter des appels. C'est une petite équipe de talent qui donne l'exemple parfait de ce qui devrait être fait pour aider les gens à profiter du crédit d'impôt pour personnes handicapées.
Il s'agit de combiner ce genre de service à un service d'éducation financière, où on accompagne les clients à la banque, de façon individuelle ou en groupe, pour souscrire à un REEI. Puis, avec un certain suivi pour les déclarations de revenus, ils sont en mesure de maintenir les REEI auxquels ils ont souscrit.
Les programmes de prestations à l'intention des personnes handicapées qui ne tiennent pas compte de la réalité des gens qu'ils sont censés aider peuvent être inaccessibles au point de devenir de simples symboles de soutien. L'information ouvre des portes, mais l'aide concrète permet aux gens d'y entrer. Sans ce type de soutien, les Canadiens handicapés — comme nos clients, sans famille et ayant de nombreux besoins complexes —, ne pourront pas tirer profit des REEI, malgré la possibilité que ce programme leur offre d'améliorer leur situation financière.
Merci beaucoup de nous avoir accordé votre attention. Nous sommes disposés à répondre à vos questions.
Le président : Merci.
Monsieur Simboli, voulez-vous ajouter quelque chose?
Tim Simboli, directeur exécutif, Association canadienne pour la santé mentale, Section d'Ottawa : Ce sera très court. J'ajouterais simplement que lorsqu'il s'agit d'offrir des services à des personnes handicapées, il faut absolument tenir compte de l'incapacité en tant que telle et des facteurs contraignants que cela implique pour le processus.
Les personnes que nous aidons ont peut-être des troubles ou des déficiences cognitives, mais elles ont aussi un parcours tortueux. Dans la majorité des cas, elles ne font plus partie du système. Les aider à réintégrer le système et à accéder à ce programme serait grandement bénéfique pour elles et pour leur santé à long terme. Nous assurons des interventions cliniques auprès de ces gens, mais s'ils ne peuvent s'appuyer sur la stabilité d'un foyer, une sécurité financière ou un état de santé stable, bien souvent, nos efforts ne servent à rien.
Le président : Merci pour cette excellente introduction.
Le sénateur Black : Merci à vous tous d'être ici aujourd'hui, mais merci surtout pour le travail que vous faites pour vos collectivités. C'est extrêmement important pour nous.
Je pars du principe que ce programme est essentiel et que nous devons nous assurer d'éliminer toute barrière qui limite l'accès des collectivités. C'est ce que je pense.
D'après ce que je comprends, il y a trois obstacles potentiels à cet égard. Vous avez parlé des trois, mais j'aimerais avoir plus de détails, car nous voulons que le rapport que nous allons produire tienne bien compte des besoins des collectivités. Je vais vous faire part de mes préoccupations et vous pourrez me dire ce que vous en pensez.
Premièrement, il y a clairement un problème d'accès pour un petit groupe de la collectivité, et aujourd'hui je comprends que ce groupe est plus nombreux que je le croyais, car je n'avais pas pensé honnêtement aux personnes souffrant de troubles mentaux. Je pensais surtout en fait aux handicaps physiques. Il y a toute une portion de la collectivité qui ne peut pas, pour diverses raisons, accéder légalement à ce programme.
Comme M. Workman l'a indiqué aujourd'hui, des propositions ont été faites pour faciliter l'accès, mais cela implique des problèmes pratiques, ou des problèmes juridiques. Pour ce qui est de la proposition dont vous nous avez parlé, monsieur, c'est-à-dire le formulaire du gouvernement du Canada, des témoins nous ont dit que les institutions financières ne l'appuyaient pas, et je peux comprendre pourquoi. Cela suppose des risques de fraude et des problèmes sur le plan constitutionnel.
Pensez-vous que vous pourriez soutenir un système qui permet à une personne handicapée de désigner un ami, un collègue ou une personne de confiance pour effectuer les démarches légales nécessaires, comme c'est le cas en Colombie-Britannique et à Terre-Neuve-et-Labrador? Est-ce que cela pourrait fonctionner dans vos milieux?
M. Workman : Je vais me lancer en premier. Je pense que c'est l'idée derrière la proposition de l'ACIC et du CCD, alors je n'y vois pas d'inconvénient. Le défi consiste à faire en sorte que les règles sont uniformes à l'échelle du pays, qu'elles sont semblables d'une province à l'autre et que cela permet aux personnes handicapées de désigner quelqu'un. Elles auraient un certain contrôle sur ce qui se passe, plutôt que d'être déclarées légalement incapables et de devoir renoncer à différents droits de regard. Je crois que votre proposition est bonne. Il s'agit simplement de s'assurer de mettre en place un mécanisme uniforme dans toutes les provinces, et c'est ce qui est compliqué.
Le sénateur Black : Très utile. Merci.
M. Simboli : J'ajouterais que c'est une très bonne suggestion. Souvent, les personnes handicapées sont capables de s'occuper de leurs affaires, mais ce n'est pas constant, et c'est presque impossible pour la plupart des gens qui nous sont référés.
La question à se poser sera « qui désigner? ». Ce sera primordial. Un pourcentage assez élevé de ces personnes ont perdu contact avec leur famille, alors il serait impossible de trouver des parents biologiques. Dans certains cas, non seulement la distance les sépare de leur famille, mais elles sont aussi vivement rejetées par celle-ci.
L'autre facteur à reconnaître est qu'elles sont très nombreuses à être victimes de toutes sortes de mauvais traitements; ce n'est donc pas une bonne idée de s'en remettre à une connaissance. Les personnes handicapées se font trop souvent exploitées. Elles sont maltraitées physiquement, financièrement et émotionnellement. Ce n'est pas vrai pour toutes les personnes handicapées, mais ça l'est tout de même pour un grand nombre d'entre elles.
Si on arrive à trouver quelqu'un qui peut agir en ami à la cour ou tout au long du processus, quelqu'un qui a de bonnes valeurs morales, qui est assidu et responsable, si c'est possible de trouver une telle personne, je crois que c'est une très bonne suggestion.
Le sénateur Black : Est-ce que cela pourrait être un membre de votre association, qui pourrait agir comme administrateur ou défenseur?
M. Simboli : Ce n'est pas une pratique courante de l'ACSM, mais nous serions certainement prêts à examiner cette possibilité. Nos objectifs et notre mandat consistent à servir cette portion de la population, alors il serait envisageable pour nous d'offrir une telle aide.
Le sénateur Black : Si je ne me trompe pas, une personne qui est admissible au régime ne peut faire de retrait pendant les 10 années suivant la dernière contribution du gouvernement du Canada. Cela me paraît très long pour quelqu'un qui a besoin d'un nouveau fauteuil ou d'un chien-guide, par exemple.
Maintenant que j'ai teinté votre point de vue, dites-moi, qu'est-ce que vous en pensez?
Mme Nelson : On tente d'aider les gens à épargner pour la retraite, alors les fonds doivent être investis pendant un certain temps. Si les gens retirent les fonds immédiatement, c'est évident que cet argent ne sera plus là au moment de la retraite.
Les personnes que nous représentons qui ont des maladies mentales graves et persistantes pourraient avoir besoin d'un nouveau fauteuil toutes les semaines. Leurs besoins sont énormes et constants, si bien que si la famille ou une organisation tentait de leur établir un fonds de retraite, elles verraient cet argent s'envoler très rapidement. Alors je comprends qu'on puisse penser cela.
Le sénateur Black : Seriez-vous en faveur de cela?
Mme Nelson : Je crois que c'est raisonnable, compte tenu de l'objectif du régime.
Le sénateur Black : Monsieur Workman, êtes-vous d'accord?
M. Workman : Compte tenu de l'objectif, je crois qu'une période de 10 ans est effectivement raisonnable. C'est vrai que certaines personnes aimeraient pouvoir y accéder avant, mais le but est d'épargner pour la retraite et de mettre de l'argent de côté à long terme.
M. Simboli : Permettez-moi de préciser, comme Mme Nelson l'a indiqué dans son exposé, que les personnes ayant un lourd handicap mental vivent 25 ans de moins que le Canadien moyen. Pour un sans-abri souffrant d'une maladie mentale grave, c'est à la mi-cinquantaine qu'il atteint le vieil âge. Il ne vivra pas assez vieux pour profiter d'un régime de retraite qui commence à l'âge de 65 ans. Je pense qu'il faut viser l'équilibre entre une stratégie d'investissement efficace et la reconnaissance que ces personnes ont une courte espérance de vie.
Le sénateur Black : Qu'est-ce que pourraient faire les gouvernements et les organisations, peu importe qui, pour aviser la population que ces programmes existent? Vos conseils seraient les bienvenus. Seuls 17 p. 100 des personnes admissibles au régime y ont accès, ce qui me paraît très peu. Que feriez-vous?
M. Workman : J'imagine qu'il faudrait travailler de concert avec des organisations comme l'ACSM, l'INCA et d'autres organismes qui viennent directement en aide à ces personnes. C'est probablement la meilleure façon de faire passer le message.
La sénatrice Ringuette : Merci. Vous nous présentez un point de vue bien différent de ce que nous avons entendu jusqu'à maintenant.
D'après votre expérience, quel est le revenu moyen de votre clientèle? Vous avez parlé d'extrême pauvreté et de pauvreté.
M. Simboli : Oui. La plupart des personnes qui ne font plus partie du système n'ont pas de revenu gagné. Notre objectif est généralement de les inscrire au programme Ontario au travail ou au Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées.
Dans le cadre du programme Ontario au travail, les prestations totales sont inférieures de 20 p. 100 au loyer moyen d'un appartement à Ottawa, s'élevant probablement à 500 $ environ ou peut-être un peu moins. Celles du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées sont légèrement plus élevées, et si on les utilise au complet, on peut se payer un appartement moyen à Ottawa.
La sénatrice Ringuette : Il s'agit d'un groupe de citoyens qui peine à combler ses besoins quotidiens sur les plans du logement et de l'alimentation; comment peut-on s'attendre à ce qu'ils cotisent à un régime? Ce programme est probablement inaccessible à la plupart de ceux qui ont les besoins les plus criants, et c'est sans compter les autres obstacles, comme l'obtention d'un compte en banque. Je sais certainement comment les institutions fonctionnent, et je ne m'étonne pas qu'il leur soit difficile d'ouvrir un compte en banque.
L'élément fondamental du programme n'est pas là, sans compter que le revenu mensuel de ces gens leur permet à peine de combler leurs besoins essentiels. Le programme visait à assurer leur avenir; peut-être devrait-on le modifier pour qu'il satisfasse les besoins immédiats des citoyens. Qu'en pensez-vous?
M. Simboli : Il est certain que la population visée a des besoins immenses et n'a pas les revenus pour les satisfaire. Une partie de notre travail consiste à leur offrir une sorte de stabilité à plus long terme. La moindre stabilité, une goutte d'eau dans l'océan, constitue un investissement dans l'avenir.
Ces personnes ne sont pas irrécupérables. Par exemple, nous pouvons intervenir auprès d'une personne qui vit dans la rue, sans source de revenu, vivant peut-être dans un refuge si elle a de la chance. Nous travaillerons avec elle dans le cadre d'un processus comprenant beaucoup d'accompagnement. Il est notamment crucial de lui permettre de trouver un logis ou un lieu de résidence adéquat.
En l'espace de trois ou quatre ans — c'est un effort intensif à long terme —, ces personnes peuvent prendre leur vie en main. En contrôlant leur maladie, en prenant une médication adéquate et en recevant de bons soins d'un médecin, elles peuvent résoudre certains de leurs problèmes immédiats. Puis, en utilisant les quelques revenus dont elles disposent pour profiter des dispositions sur les montants de contrepartie et les prestations complémentaires que comprend ce plan, elles peuvent commencer à préparer un peu l'avenir.
Dans certains cas, elles en tirent un avantage pratique, alors que dans d'autres cas, les avantages sont symboliques. Bien souvent, elles ne croient pas qu'ils ont un avenir. C'est incroyablement stimulant de savoir qu'elles ont quelque chose devant elles, qu'elles ont une vie qui vaut la peine d'être vécue et qu'elles ont un avenir devant elles. Et ce n'est pas qu'une question d'argent.
La sénatrice Ringuette : Je peux le comprendre et je ne peux qu'admirer les efforts constants que vous devez déployer. Vous avez indiqué qu'une église aide un grand nombre de vos clients au sujet du programme de l'Ontario.
M. Simboli : Oui.
La sénatrice Ringuette : Selon vous, est-ce qu'une autre organisation qui collabore avec vous pourrait se charger de ce programme, comme une le fait pour le programme de l'Ontario?
M. Simboli : Je crois qu'un certain nombre de possibilités s'offrent dans les diverses villes du pays. Il se trouve que ce groupe confessionnel et que cette église en particulier offrent un programme de jour, auquel un grand nombre de ces personnes participent, et elles tendent à attirer des services. Nous avons donc mis sur pied ce projet avec eux pour aider ces gens qui n'ont aucune source visible de soutien à faire les premiers pas afin d'obtenir au moins l'aide publique à laquelle ils ont doit.
Il existe de telles communautés, mais une demi-douzaine de programmes de jour sont offerts à Ottawa, certains par un groupe confessionnel, d'autres par des centres de santé et de ressources de la ville. Il y a également des refuges, ainsi que des services communautaires. Ottawa compte à elle seule un réseau de 50 à 60 organisations ayant l'intérêt de ces personnes à cœur et avec lesquelles nous pourrions travailler en étroite collaboration. Nous tirons parti des avantages qu'il y a à combiner diverses expertises et différents points d'accès pour aider cette clientèle.
La sénatrice Ringuette : Auriez-vous besoin de financement supplémentaire pour y arriver?
M. Simboli : Nous avons toujours besoin de fonds supplémentaires. En examinant notre bassin de clients potentiels à Ottawa, qui a exactement besoin des services que nous offrons, et en observant le nombre d'organismes qui sont à l'œuvre, nous savons que le déficit est d'environ 50 p. 100 à Ottawa seulement.
Avec le genre de travail que nous faisons par habitant, nous devrions disposer d'environ 135 gestionnaires de cas graves, ceux qui travaillent vraiment dur sur le terrain, et nous n'en avons que 65 ou 70 à Ottawa. Il nous en faut toujours davantage. C'est un problème d'insuffisance, pas d'inefficacité.
Aidez-nous à cet égard : voilà un des messages que nous vous transmettons aujourd'hui. Pour que ce projet se concrétise, il faut offrir un soutien réel, pratique sur le terrain, alors que le système est débordé actuellement.
Le président : Monsieur Workman, auriez-vous quelque chose à ajouter?
M. Workman : Non, ne serait-ce que pour convenir que certaines personnes admissibles au programme manquent simplement de ressources financières.
Je vais vous donner une idée de la clientèle de l'INCA. Environ la moitié vit avec un revenu de moins de 20 000 $. Des personnes ayant une perte de vision en âge de travailler, environ 30 p. 100 occupent un emploi. Les 70 p. 100 restants ne travaillent pas et devraient être admissibles au REEI, mais elles ne peuvent y cotiser.
Un défenseur du programme ferait toutefois remarquer que des milliers de dollars seront investis en obligations d'épargne du Canada, qu'on cotise ou pas. Je ne veux pas diminuer le mérite du programme, car il est utile, mais la sénatrice a effectivement raison de dire que certaines personnes n'ont pas les moyens d'y cotiser et d'en profiter pleinement.
La sénatrice Hervieux-Payette : Merci et bienvenue. J'admire le travail que vous accomplissez tous. Je sais que c'est difficile. J'ai déjà travaillé pour le ministère des Affaires sociales du Québec et je sais que la maladie mentale est une question difficile. La situation est probablement pire dans les grandes villes, car on y est plus anonyme que dans les petites communautés, comme ma ville d'origine. Dans les agglomérations ne comptant que quelques milliers d'habitants, la communauté prend soin de ces gens, mais dans les grandes villes, ils n'ont personne.
Je me demandais si vous aviez des solutions de rechange, d'autres manières de modifier les règles ou les procédures pour nous donner des conseils sur la façon d'agir dans ces cas. Le programme ne semble pas adapté à votre clientèle. C'est louable de discuter de la question, mais si le programme n'est pas applicable aux personnes atteintes de maladie mentale et que ces dernières ne vivent même pas assez longtemps pour en profiter, peut-être pouvez-vous proposer de nouvelles règles, une nouvelle ère ou une nouvelle manière de résoudre cette question.
Mme Nelson : Il existe des moyens d'offrir des services et des services financiers à ces gens. Nous constatons, dans les cas du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées et du programme Ontario au travail, qu'il est possible d'offrir de l'aide financière à cette clientèle. Je crois donc qu'il faut examiner le fonctionnement de ces systèmes, déterminer quelles sont les exigences pour conserver une preuve d'admissibilité ou d'autres éléments, et réduire la bureaucratie à laquelle il faut s'astreindre pour maintenir son statut dans un programme une fois qu'on y est admis.
Chose certaine, une fois que les agents chargés de cas et les travailleurs sociaux ont fait tout le travail et inscrit quelqu'un, le programme continue de s'appliquer dans le cas du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, du programme Ontario au travail et d'autres programmes d'aide financière. Je crois que c'est vraiment avantageux, car si on tombe malade au mauvais moment et qu'on se retrouve à l'hôpital ou ailleurs, on continue d'être admissible au programme une fois qu'on a réussi à accomplir la difficile tâche d'obtenir des papiers d'identité et un compte bancaire.
Une fois qu'il a été prouvé qu'une personne a une maladie ou un problème de santé grave et prolongé considéré comme un handicap, ce n'est pas demain qu'elle va gagner un revenu mirobolant et acheter une immense maison. Les choses suivront probablement leur cours, et c'est la présomption sur laquelle repose un grand nombre de ces programmes.
Selon moi, en imposant le moins de bureaucratie, de paperasserie et de requalification possible, on fera en sorte que le programme continue de s'appliquer à la personne concernée.
La sénatrice Hervieux-Payette : Puis-je faire une suggestion? Il faudrait que vous nous confiiez la recette, parce que si nous demandons aux fonctionnaires d'agir, ils ne feront qu'instaurer un autre type de formalité administrative. Je les connais depuis longtemps. Je suis d'accord avec vous : une fois que les personnes sont admises dans le programme, elles devraient le demeurer.
Ma question s'adresse à M. Workman. Vous savez probablement si les personnes aveugles travaillent à temps plein et sont indépendantes. Je sais que certaines d'entre elles contribuent à la société, gagnent un salaire et versent toutes les cotisations. Dans l'ensemble de la population, quel pourcentage serait, selon vous, en mesure de profiter du programme? Ce programme est bon, mais l'est-il pour 100 p. 100 de vos membres ou seulement une partie d'entre eux?
M. Workman : Pour ce qui est de l'admissibilité, toute personne aveugle au sens de la loi serait admissible au programme. En ce qui concerne les cotisations, toutefois, nos recherches indiquent qu'environ 30 p. 100 des personnes aveugles ou partiellement aveugles travaillent, ce qui signifie que 70 p. 100 d'entre elles ne travaillent pas. Environ la moitié de la population gagne un revenu inférieur à 20 000 $. Il s'agit habituellement de personnes adhérant à des programmes d'aide aux personnes handicapées, comme le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, et leurs revenus sont de moins de 20 000 $. Avec de tels revenus, il est difficile de déposer ne serait-ce que 1 500 $ par année afin d'obtenir des cotisations optimales du gouvernement dans un REEI.
La sénatrice Hervieux-Payette : Que proposeriez-vous pour que tous vos membres aient accès au programme? Selon ce que vous me dites, 30 p. 00 d'entre eux y ont accès, alors que 70 p. 100 y arrivent difficilement. Je présume que s'il y a des formalités administratives pour les personnes ayant une maladie mentale, c'est aussi le cas des personnes aveugles. Auriez-vous également des recommandations au sujet de la gestion du programme?
M. Workman : C'est difficile, parce qu'il s'agit d'un programme fédéral et qu'un grand nombre des personnes dont nous parlons sont bénéficiaires de programmes de soutien provinciaux. En Alberta, une personne adhérant à un programme d'aide aux personnes handicapées gagnerait un peu plus de 1 500 $ par mois, alors qu'en Colombie-Britannique, pas si loin de là, c'est moins de 1 000 $. Il existe des grands écarts entre ce que les personnes reçoivent de leur programme d'aide, mais c'est de toute évidence les provinces qui déterminent le montant des prestations qu'elles peuvent recevoir.
Est-ce que je préfèrerais que ces programmes fassent en sorte que les personnes aient suffisamment d'argent pour vivre dans un endroit confortable et épargner un peu en vue de leur retraite? Ce serait formidable, mais la question relève pour l'instant des provinces.
La sénatrice Hervieux-Payette : Je demanderais aux deux organisations si elles considèrent que ce sont ceux qui gèrent le programme qui devraient fournir l'aide, puisqu'ils connaissent le programme, afin d'aider à remplir toutes les formalités et à assurer le suivi? Quand vous regardez les bénévoles, puisque vos associations n'ont pas beaucoup d'employés rémunérés — et en disant vous, je parle de vous et de tous vos collègues à l'échelle du pays —, diriez-vous qu'il faudrait qu'un fonctionnaire du ministère se charge de la question du bureau de service du gouvernement du Canada afin d'aider les gens à suivre le processus?
M. Simboli : Oui, je crois que n'importe quelle aide pratique pouvant être ajoutée améliorerait le programme. Toute mesure pouvant réduire les exigences administratives et aider les gens à faire ce qu'il faut serait faisable et constituerait une amélioration.
Nous avons peut-être omis de préciser qu'il faudrait encourager les institutions financières à y mettre du leur. C'est souvent là que les problèmes surviennent : nos clients ne sont pas tellement les bienvenus dans les banques.
La sénatrice Hervieux-Payette : En voilà une surprise.
M. Simboli : Les banques ne veulent pas d'eux, car ce ne sont pas de bons clients. Pour encourager les institutions bancaires à participer, il faut avoir un lien avec elles. On pourrait faire quelque chose à cet égard pour faire pencher la balance en faveur de ces gens.
La sénatrice Hervieux-Payette : Il me semble que notre rapport comprend un paragraphe à ce sujet, car ce n'est assurément pas le seul groupe au pays. J'ai parlé aux personnes responsables de l'aide sociale, et le problème est le même. Nous avons dû forcer les institutions à laisser des personnes exclues du système ouvrir un compte de banque et à faire d'autres transactions.
Avec toutes les bonnes choses dont ils profitent, je suis d'accord avec vous, mais en même temps, je suppose que le seul rôle qui vous incomberait consisterait à simplement orienter les personnes vers le bureau de service. À partir de là, ce dernier devrait faire le reste du travail. Je crois que vous en avez assez lourd sur les épaules en aidant les gens dans leur vie quotidienne. Ces personnes sont également malades physiquement, attrapent le rhume comme nous et présentent aussi quelques ecchymoses ici et là en raison de la violence dont elles sont parfois l'objet.
J'ai l'impression que cette clientèle ne devrait pas être un fardeau pour votre organisation.
M. Simboli : Si je peux ajouter quelque chose, nous ne voulons pas que les employés en poste là-bas pour défendre les intérêts de ces personnes et travailler avec elles soient également obligés d'agir à titre de juge et jury au sujet des qualifications, des montants et de tout le tralala. Je ne proposerais rien qui consisterait à utiliser ces employés pour essayer d'améliorer la vie de ces gens.
La sénatrice Hervieux-Payette : C'est ce que j'entrevois. Vous les orientez, les aidez, les prenez par la main pour leur faciliter l'accès, mais à partir de là, on leur fournit d'autres services.
[Français]
Le sénateur Maltais : Madame et messieurs les témoins, tout d'abord félicitations pour le travail que vous faites. Ce n'est pas évident de travailler avec des handicapés mentaux, ça prend beaucoup de patience et même de l'angélisme en quelque sorte.
Nous parlons ici de l'amélioration d'un régime d'épargne-invalidité. Si j'en comprends bien le sens, un régime d'épargne, c'est de l'argent qu'on épargne pour l'avenir.
Pour pouvoir profiter des avantages d'un REER conventionnel ou d'un régime d'épargne-invalidité (REEI), il faut d'abord y contribuer.
Comment voulez-vous que les personnes que vous m'avez décrites puissent y contribuer? Elles n'ont pas de revenus, elles n'ont pas d'adresse, elles sont dans la rue. C'est presque impossible pour elles de contribuer. C'est malheureux mais elles n'ont pas besoin d'un tel système. Étant donné qu'elles sont handicapées mentales, elles auraient plutôt besoin d'un système qui se responsabilise vis-à-vis d'elles, qu'il soit établi par l'État provincial ou l'État fédéral.
Je ne pense pas que le présent régime puisse s'appliquer à ces gens. Ils n'ont pas de revenus, ils ne peuvent pas contribuer, ils n'ont pas d'adresse, pas de travail, pas de carte d'identité, pas de compte bancaire, pas de logement, pas d'argent, ils n'ont rien. Comment voulez-vous que ces gens contribuent à un régime d'épargne?
Je pense que la présentation que vous nous avez faite est très émotive, je l'avoue, mais je ne crois pas que c'est grâce à un tel programme qu'on peut régler les problèmes. Si vous avez fait une telle présentation au gouvernement provincial, quelle a été la réponse?
Ici on parle d'épargne, mais pour épargner il faut travailler. Personnellement, j'ai visité quatre familles durant le temps des Fêtes dans lesquelles il y avait des gens souffrant de handicaps très lourds, mentaux et physiques. Ils n'ont pas les mêmes préoccupations que les vôtres parce que ce sont des familles qui s'en occupent. Ils ne sont pas abandonnés par les familles, contrairement à une grande partie des vôtres où les familles les ont reniés. Les préoccupations des parents ne sont pas du tout les mêmes que les vôtres parce qu'ils ont la responsabilité de leurs enfants malgré qu'ils aient des handicaps très lourds.
Ce que vous nous avez dit est touchant, mais j'essaie de voir comment la loi actuelle peut aider quelqu'un à contribuer à un régime de retraite s'il n'a pas de revenus. Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette question?
[Traduction]
M. Workman : Je crois que la question s'adresse davantage à l'ACSM. Pour notre part, nous ne sommes pas confrontés au même problème de maladie et d'itinérance épisodiques qu'elle.
Mais pour faire suite à ce que j'ai dit plus tôt, une personne qui reçoit 1 000 $ par mois d'un programme d'aide aux personnes handicapées, et qui accorde 700 $ au loyer et le reste à l'épicerie n'a pas assez d'argent pour mettre 1 500 $ de côté. C'est donc un problème.
M. Simboli : Je pense que c'est bien là la question. Comment aider les gens à épargner s'ils n'ont rien à épargner?
Les dispositions du régime qui prévoient une cotisation, qu'elle soit correspondante ou pas, représentent un pas dans la bonne direction. Honnêtement, bon nombre de nos gens ne pourront probablement pas profiter de cela. Ce que nous recommandons, c'est un processus un peu meilleur qui nous permettra d'aller en chercher plus et d'encourager plus de gens à embarquer.
L'autre chose, c'est que si notre société réussit à aller chercher les gens qui souffrent de troubles mentaux graves, il sera possible de les ramener à la stabilité. Ils ont une vie qui vaut la peine d'être vécue. Ils ont un avenir. Ils pourront se remettre à travailler. Dans bien des cas, les personnes atteintes de troubles mentaux graves peuvent occuper des emplois qui les paient bien, ou décemment, à condition d'avoir les soins et les médicaments qu'il leur faut.
C'est une brique qui vient s'ajouter, si vous voulez, dans la transition entre une situation épouvantable et une belle vie. Ce n'est pas une solution miracle, mais c'est précieux pour nos gens. Si nous pouvons aller les chercher au tout début de leur processus de rétablissement et aller en chercher plus, nous pourrons alors tirer profit d'un régime fédéral dont les intentions sont bonnes.
[Français]
Le sénateur Maltais : Est-ce que votre association a des contacts avec vos homologues d'autres provinces comme le Québec, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, le Manitoba ou la Saskatchewan? Avez-vous des contacts interprovinciaux? Sans doute qu'ils font face aux mêmes problèmes que vous. Et quelles sont les solutions qu'ils ont apportées? Que pensent-ils du projet? Est-ce que vous êtes un peu leur porte-parole général d'un océan à l'autre ou ont-ils une vision différente de la vôtre?
[Traduction]
M. Simboli : Oui, nous faisons partie d'un réseau national de quelque 140 Associations canadiennes pour la santé mentale. Ce sont toutes des associations indépendantes établies au sein des collectivités, mais elles ont un ensemble de valeurs communes et portent toutes le même nom. Nous nous consacrons aux personnes atteintes de troubles mentaux graves et cherchons à améliorer leur vie grâce à la modification des politiques sociales, à la sensibilisation du public et à l'intervention directe. C'est ce que nous faisons à l'échelle du pays.
Je n'irai pas jusqu'à dire que nous sommes le porte-parole de l'ensemble du réseau, mais je pense pouvoir dire que nous le représentons. Nous fondons en partie nos positions de principe sur l'information que nos collègues des autres villes nous donnent et nous les faisons valoir.
En réponse à votre question sur ce que nous faisons, je dirai que nous faisons constamment des représentations sur ces questions auprès de tous les intervenants du gouvernement.
[Français]
Le sénateur Maltais : Il y a 25 ans, nous avons fermé des institutions qui s'occupaient de ces personnes. On a choisi de les remettre dans la rue avec un soutien financier et moral et tout ce que vous voudrez. On a pensé qu'on allait les responsabiliser et en faire des citoyens comme tout le monde.
Malheureusement, 25 ans plus tard on les retrouve dans la rue. Ils n'ont plus d'adresse, plus d'identité, plus rien, parce que les spécialistes du moment avaient jugé que ces personnes, avec le temps, deviendraient normales et pourraient vivre une vie normale.
Je ne prétends pas qu'il n'y a pas eu de réussites. Il y a certainement quelques cas qui ont très bien réussi. Est-ce que les provinces n'ont pas des responsabilités vis-à-vis ces gens?
[Traduction]
Mme Nelson : Le logement est le besoin premier des gens. C'est ce qui va changer leur vie, mais la désinstitutionnalisation et l'absence d'un environnement structuré qui offre du soutien sont véritablement à l'origine de bon nombre des problèmes que vivent les personnes atteintes de troubles mentaux graves et persistants.
Les institutions telles que nous les connaissions ont subi un coup énorme. Elles fonctionnaient à une époque où l'on estimait que c'était la bonne façon de s'occuper des gens et, dans certains cas, de les loger et les nourrir. Mais elles ont toutes été fermées, sans qu'il se trouve une structure de soutien équivalente, à l'extérieur.
Je travaille à l'hôpital, ici, à Ottawa, et ce, depuis longtemps, et je peux vous dire qu'ils aboutissent régulièrement à l'hôpital ou qu'ils y restent parfois très longtemps, car ils ont véritablement besoin d'un tel degré de structure et de soutien.
C'est donc un gros problème, que ces gens vivent dans la rue, qu'ils ne puissent pas épargner et qu'ils n'aient pas de carte d'identité; l'itinérance est vraiment à la source de bon nombre de ces problèmes.
J'ai pensé aussi à la façon dont vous pourriez aider les gens inscrits au programme Ontario au travail ou les bénéficiaires du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées à cotiser à l'un de ces régimes; il s'agirait d'adjoindre quelque chose à leur versement mensuel. Sans qu'ils obtiennent le chèque et soient ensuite obligés de mettre 10 ou 20 $ de côté, on pourrait le faire pour eux, s'ils sont bénéficiaires du POSPH ou d'un programme auquel ils sont déjà admissibles. C'est comme ça que j'épargne, car mon employeur met de l'argent dans mon régime de retraite, n'est-ce pas? Je ne dis pas qu'ils sont incapables d'épargner — nous recourons tous à des moyens de nous forcer à épargner —, mais ce serait une façon de veiller à ce qu'une partie de l'argent soit mise de côté pour eux.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Je remercie nos trois témoins d'être ici aujourd'hui et surtout, je les remercie du bon travail qu'ils font pour une partie de la population qui est très dépendante de leurs habilités et de leurs compétences.
Je veux faire un suivi. Le sénateur Black a posé certaines questions et nous voulons nous assurer de bien comprendre le problème. Je veux parler en particulier du régime d'épargne .
Le problème, je crois, est un problème juridique où la définition de délégation acceptable selon les lois provinciales semble indiquer que c'est assez sévère et pas assez flexible. Conséquemment, la personne handicapée ne peut pas être considérée comme compétente du point de vue juridique et il y a une difficulté de déléguer cette autorité.
Toutefois, quatre provinces — la Colombie-Britannique, la Saskatchewan, le Manitoba et Terre-Neuve-et-Labrador — ont trouvé une solution. Ils ont changé la législation provinciale pour permettre plus facilement la délégation. Si je comprends bien, ces amendements, dans ces provinces, ont permis des gestes qui ont trouvé solution au problème. Généralement, vous donnez l'impression que c'était acceptable.
J'ai l'impression que la solution la plus importante est qu'il faut inciter les six autres provinces et territoires à faire un amendement à la législation provinciale de même nature et que cela réglerait le problème en grande partie.
Ai-je raison de penser de cette façon?
[Traduction]
M. Simboli : J'admets ne pas connaître tous les détails de ce qui se passe, mais il n'est pas rare de voir une province proposer une excellente solution qu'il faut encourager une autre province à adopter. Je pense qu'au Canada, avec les pratiques propres à chaque province ou territoire, il existe probablement des pratiques exemplaires pour divers aspects de l'ensemble du système et des systèmes dont il dépend, parce que ce n'est pas que le POSHP; il faut que cela se fonde sur des pratiques provinciales, et même municipales. Je ne peux entrer dans les détails, mais ce ne serait pas surprenant.
Le sénateur Massicotte : Disons que toutes les provinces font la même chose. Si les autres provinces adoptaient les mêmes mesures législatives que la Colombie-Britannique, est-ce que cela résoudrait le problème? Il y a bien d'autres problèmes liés au régime, mais est-ce que cela résoudrait le plus important des problèmes, concernant la capacité de désigner un fiduciaire ou un organisme officiel compétent? Est-ce que ça résoudrait ce problème?
M. Simboli : Je n'en suis pas sûr.
Le sénateur Massicotte : Monsieur Workman, pouvez-vous nous aider?
M. Workman : Compte tenu du témoignage présenté au comité en décembre, c'est une question complexe, car, d'un côté, on vous a dit que la Colombie-Britannique avait la solution, puis on vous a dit ensuite que les chiffres étaient les mêmes. Après cela, le représentant de la CIBC a affirmé que la solution de la Colombie-Britannique ne couvrait pas le REEI. Je pense que, pour avoir la vraie réponse, vous devez parler à quelqu'un de la Colombie-Britannique qui vous dira comment la loi fonctionne, et si elle couvre le REEI.
Si c'est le cas, adopter cela dans d'autres provinces serait une bonne solution, à condition de pouvoir amener les provinces à édicter des lois semblables à l'échelle du pays, pour en revenir à ce que le sénateur Black disait. Je dirais tout simplement que c'est une solution bien plus difficile à mettre en œuvre qu'une solution fédérale qui s'appliquerait à toutes les provinces.
Le sénateur Massicotte : Vous avez raison, monsieur Workman, au sujet du témoignage que nous avons entendu précédemment; à l'occasion d'une téléconférence, les gens de la collectivité nous ont dit que cela fonctionnait, mais nous avons ensuite entendu d'autres personnes ayant plus de connaissances juridiques dire que cela ne fonctionnait pas. J'essaie de connaître la vérité, les faits. Je comprends. Ce n'est pas facile. Merci.
La sénatrice Ringuette : Selon vous, bon nombre des gens que vous essayez d'aider reçoivent du soutien financier de la part du gouvernement provincial, du gouvernement de l'Ontario, dans votre cas.
Compte tenu de vos commentaires et de votre suggestion concernant le gouvernement provincial en tant que cotisant indirect, dans ce scénario, serait-il possible que les provinces deviennent une sorte de fiduciaires, dans le cadre de ce programme, pour les personnes qui bénéficient de programmes provinciaux et de cotisations provinciales? Si une modification à la loi permettait à une province d'être individuellement un fiduciaire, est-ce que cela pourrait, d'après vous, faciliter le mécanisme? Pour bien des gens dont le handicap est déjà reconnu dans le cadre d'un programme provincial, la province atteste de leur état. La province pourrait être, je pense, une sorte de tuteur ou de curateur pour ce programme. J'exagère peut-être un peu.
Mme Nelson : La plupart des provinces ont déjà un tuteur ou un curateur public, qui agit déjà au nom de bon nombre de ces personnes, quand il s'agit de décisions touchant le logement, les établissements de soins de longue durée, et cetera. Il prend des décisions et aide à la prise de décisions; c'est déjà là. On peut imaginer une sorte d'interface entre ces programmes, car il y a déjà une interface. Il se peut que vous soyez bénéficiaire du POSPH et que vous ayez un tuteur ou un curateur.
En ce moment, il faudrait que vous soyez désigné comme étant incapable; les personnes souffrant de troubles mentaux sont parfois capables, parfois incapables. C'est l'un des problèmes qu'il faudrait résoudre. Je pense qu'il y a moyen de résoudre cela. C'est possible.
Le président : Ce sera tout pour les questions. Monsieur Workman, madame Nelson, monsieur Simboli, au nom de tous les membres du comité, je tiens à vous remercier sincèrement de votre comparution d'aujourd'hui et de votre contribution très utile à nos débats, mais surtout du travail énorme que vous accomplissez au sein de la collectivité et que nous applaudissons.
Encore une fois, merci beaucoup d'être venus aujourd'hui.
(La séance est levée.)