Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 11 - Témoignages du 14 mai 2014
OTTAWA, le mercredi 14 mai 2014
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce s'est réuni aujourd'hui, à 16 h 15, pour examiner la teneur des éléments des parties 2, 3, et 4 et les sections 2, 3, 4, 8, 13, 14, 19, 22, 24 et 25 de la partie 6, du projet de loi C- 31, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 11 février 2014 et mettant en œuvre d'autres mesures.
Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Nous tenons aujourd'hui la quatrième de cinq séances dans le cadre de notre étude préliminaire du projet de loi C-31, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 11 février 2014 et mettant en œuvre d'autres mesures.
Nous commencerons par la section 13 de la partie 6, qui modifie la Loi sur les banques pour y ajouter le pouvoir de réglementer les activités des banques liées aux instruments dérivés et aux indices de référence.
La section 13 de la partie 6 est reproduite sous l'onglet F-13 de votre cahier d'information et à la page 144 du projet de loi.
Il y a deux semaines, nous avons reçu des représentants du gouvernement qui nous ont fait des exposés relatifs à l'objet de nos travaux. Aujourd'hui, nous sommes heureux d'accueillir des représentants du secteur bancaire. Pour commencer, nous entendrons Mme Marina Mandal, conseillère juridique principale pour l'Association des banquiers canadiens. Mme Mandal sera suivie de M. Kenneth Thorlakson, vice-président et avocat général associé à la Banque Scotia.
Merci à vous deux d'être ici aujourd'hui. Je laisse la place à Mme Mandal, pour qu'elle puisse faire son exposé. Viendra ensuite M. Thorlakson.
Marina Mandal, conseillère juridique principale, Association des banquiers canadiens : Bonjour! Je m'appelle Marina Mandal et je suis conseillère juridique principale à l'Association des banquiers canadiens, l'ABC. Je suis accompagnée aujourd'hui par M. Ken Thorlakson, vice-président et avocat général associé à la Banque Scotia.
Nous sommes heureux de pouvoir répondre à l'invitation du Comité afin de discuter du projet de loi C-31, et plus particulièrement de la section 13 de la partie 6, qui renferme des dispositions pour modifier la Loi sur les banques en vue de donner au ministère des Finances le pouvoir de réglementer au sujet des instruments dérivés et des indices de référence.
Le président : Je vais vous demander de ralentir un tout petit peu, car votre débit est peut-être un peu trop rapide pour nos interprètes.
Mme Mandal : L'ABC représente 60 banques membres — soit des banques canadiennes ainsi que des filiales et des succursales de banques étrangères exerçant des activités au Canada — et leurs 275 000 employés.
Dans son budget de 2014, le gouvernement a annoncé son intention de modifier la Loi sur les banques afin de mettre en place un pouvoir réglementaire explicite sur les banques en matière de produits dérivés de gré à gré. L'ABC appuie fermement les modifications proposées à la Loi sur les banques, car elles spécifient le pouvoir réglementaire du gouvernement fédéral sur les produits dérivés de gré à gré lorsqu'une banque est contrepartie à la transaction.
Les produits dérivés jouent un important rôle dans l'économie en permettant aux entreprises de gérer et de couvrir les risques. Dans un contexte bancaire, les produits dérivés permettent aux banques de gérer leur exposition au risque de crédit et, par conséquent, d'accroître leurs capacités d'accorder des prêts et d'investir.
Fidèle à son rôle d'organisme de réglementation prudentielle des banques, le Bureau du surintendant des institutions financières, le BSIF, supervise la gestion du risque des banques. Dans le cadre de son mandat de veiller à la sécurité et à la robustesse des banques canadiennes, le BSIF a toujours été responsable de la supervision des activités bancaires touchant les produits dérivés. Également, le BSIF a toujours pu accéder aux données propres aux transactions sur produits dérivés effectuées par les banques canadiennes avec des contreparties étrangères. Ainsi, les activités des banques canadiennes faisant intervenir des produits dérivés ont toujours été supervisées et réglementées.
Les transactions de gré à gré sur produits dérivés ont lieu entre des parties particulièrement averties et bien capitalisées, dont des institutions financières. Il est important de noter l'absence d'un marché de détail pour les produits dérivés de gré à gré. Les cinq plus grandes banques au Canada sont actives sur les marchés mondiaux et elles sont contreparties à plus de 95 p. 100 des transactions de produits dérivés négociés de gré à gré au Canada.
En 2009, les pays du G20 se sont engagés à améliorer la transparence et à réduire le risque systémique sur le marché mondial des dérivés de gré à gré. À cette fin, ils ont proposé d'exiger que les contrats soient négociés en bourse ou sur une plateforme électronique, et que la transaction soit compensée par des contreparties centrales.
Toutes les transactions sur produits dérivés devraient être déclarées à des référentiels centraux auxquels les organismes de réglementation auraient accès. En outre, les transactions sur produits dérivés qui ne seraient pas compensées par une contrepartie centrale devraient être assujetties à des exigences de capital plus strictes. Depuis 2009, les principaux pays du G20 ont fait des progrès considérables dans l'adoption de réformes réglementaires visant les marchés des dérivés de gré à gré.
Aussi depuis 2009, le BSIF travaille avec un certain nombre d'organismes de réglementation non canadiens afin de mettre en place une structure réglementaire canadienne qui répond à l'engagement pris par le G20.
Par ailleurs, en plus des autres directives émises pour les banques, nous comprenons que le BSIF émettra bientôt une version révisée de la directive sur les produits dérivés. Aussi, le BSIF collabore avec des organismes aux États-Unis et ailleurs en vue d'harmoniser les régies transfrontalières, ce qui est important pour que les banques canadiennes qui traitent mondialement puissent continuer à suivre des régies canadiennes plutôt que d'essayer de se conformer à une myriade de régies étrangères, souvent contradictoires.
Comme vous le savez, la section 13 de la partie 6 du projet de loi C-31 propose également des modifications à la Loi sur les banques qui donnent au gouvernement canadien le pouvoir réglementaire sur les repères financiers dans le cadre des activités bancaires. Bien que l'ABC n'ait pas fait de représentation en faveur de cette modification, elle n'a aucune réserve à formuler à ce sujet. Le secteur bancaire est prêt à collaborer avec le BSIF dans la réalisation de son nouveau mandat visant l'établissement de repères financiers au Canada.
Nous serons heureux de répondre à vos questions.
Le président : M. Thorlakson, avez-vous des observations préliminaires à notre intention?
Kenneth Thorlakson, vice-président et avocat général associé, Banque Scotia : Merci. Je suis honoré et très heureux d'être ici. Je n'ai pas d'observations préliminaires à formuler. Je suis ici en tant que membre de la Banque Scotia et comme représentant des banques canadiennes qui appuient avec enthousiasme ce projet de loi.
Le président : Vous êtes d'accord avec tout ce qu'a dit Mme Mandal?
M. Thorlakson : Oui, tout à fait.
Le sénateur Black : Merci à vous deux, et soyez les bienvenus.
Si tous les exposés étaient aussi constructifs, concis et bienveillants, notre travail serait beaucoup plus facile.
J'ai entendu dire que vous étiez très favorables à cette mesure législative. Ma question s'adresse à vous deux : avez- vous des propositions à nous faire pour améliorer et renforcer le système? Pourrions-nous aller plus loin? Devrions- nous aller plus loin? Voilà une belle occasion de nous donner des conseils.
Mme Mandal : Je serai heureuse de commencer, et M. Thorlakson pourra compléter.
En ce qui nous concerne, la définition que la modification proposée donne du processus entourant les produits dérivés est assez large pour permettre au gouvernement fédéral de mettre en place ce qui doit être mis en place pour bien les encadrer, voir pour aller au-delà des normes internationales.
Le sénateur Black : Très bien.
M. Thorlakson : Je ferai écho à ma collègue en disant que la modification proposée est une étape importante pour la réglementation des dérivés de gré à gré et une démarche appréciable dans notre participation à la coordination internationale des efforts déployés à cette fin. La mesure fournira l'occasion attendue de présenter une réglementation explicite sur les produits dérivés pour accompagner la Loi sur les banques afin d'encadrer les activités des banques ayant trait aux dérivés de gré à gré. Cela sera bien sûr très utile pour développer un régime encadrant les produits dérivés, mais aussi pour montrer aux organismes de réglementation d'autres pays et aux contreparties internationales ce qui se fait au Canada.
Depuis la crise financière et les réformes qui ont suivi, les organismes de réglementation du monde entier scrutent les systèmes et les régimes des autres dans le but d'en mesurer la robustesse et l'efficacité. Mais cela est loin d'être la dernière étape. Ce n'est en fait qu'une première étape pour doter la Loi sur les banques d'un tel régime. Selon moi, il n'y a aucun moyen d'améliorer la mesure législative proposée. Il faut avant tout l'adopter dans sa forme actuelle, puis passer à ce pouvoir de réglementer qu'elle instaurera.
Le sénateur Black : J'ai une autre question. Étant donné que les marchés des produits dérivés vont probablement changer avec le temps, croyez-vous que les règlements existants ou le pouvoir accordé dans cette mesure législative donnent aux autorités appropriées la latitude dont elles auront besoin pour s'adapter?
M. Thorlakson : Oui, c'est ce que je crois. La définition même d'instrument dérivé — et elle prend à elle seule près de la moitié du libellé de la modification — est très large et elle tient compte de tout. Mais, il fallait bien sûr tenir compte du fait que les dérivés sont une catégorie très vaste de transactions et que les éléments sous-jacents auxquels la définition fait référence sont eux aussi très diversifiés. Or, en procédant de la sorte, on permettra aux organismes de réglementation et aux marchés de réagir aux nouveaux types de transactions et de les inclure — plutôt que de les exclure — dans un régime international exhaustif et cohérent.
[Français]
Le sénateur Maltais : D'abord, je vous félicite d'appuyer notre projet de loi. Il répond bien à une situation présente et future.
Je vais parler au nom des consommateurs. En ce qui concerne les produits dérivés, dans le domaine de l'assurance, on sait que, depuis de nombreuses années, les banques et les caisses populaires offrent des services d'assurance vie, d'assurance habitation, automobile et hypothécaire.
La question qui suscite le plus de plaintes est l'absence d'un pare-feu entre la banque qui émet les polices d'assurance et le client. Il n'y a pas d'intermédiaire entre la banque et le client.
Lors d'un conflit, la personne se retrouve devant une grande institution financière et sa voix ne porte pas fort à côté de celle de l'institution.
Serait-il possible que, à l'avenir, il y ait un arbitre lors de conflits entre le consommateur et l'institution financière émettrice de polices d'assurance? Y avez-vous déjà pensé?
[Traduction]
Mme Mandal : Je veux m'assurer que je comprends bien votre question. En ce qui concerne l'interaction avec un client qui aurait des préoccupations au sujet de la banque avec laquelle il transige, il y a plusieurs scénarios possibles. Il y a un processus de plaintes interne, et chaque banque a un ombudsman désigné à l'interne qui joue essentiellement le rôle de médiateur entre le client et l'institution. Le client qui n'est pas satisfait des résultats a des recours externes à sa disposition. À l'heure actuelle, il y a deux organismes externes chargés d'entendre les plaintes de ces clients. Ici encore, il s'agit d'une médiation impartiale.
Cela répond-il à votre question?
[Français]
Le sénateur Maltais : Un peu, mais j'aurais aimé que vous soyez plus ferme. Je ne savais pas qu'il y avait un ombudsman dans chacune des banques. Je ne suis pas le seul, je crois, à ne pas le savoir. Lorsqu'on entre dans une banque, on a une panoplie de feuillets qui nous indiquent les services qu'elle offre. Pourriez-vous en rajouter un pour dire que vous avez un ombudsman en cas de conflit?
[Traduction]
Mme Mandal : Malheureusement, les relations avec les clients ne sont pas ma spécialité. C'est l'un de mes collègues de l'ABC qui voit à cela. Mais l'ABC pourra assurément vous revenir avec de plus amples renseignements à ce sujet. Je vous dirai cependant que j'ai oublié de mentionner que le client peut aussi adresser une plainte à l'Agence de la consommation en matière financière du Canada sur la façon dont la banque s'est comportée avec lui. Ce droit du client est consigné dans des brochures disponibles dans toutes les succursales bancaires qui figurent dans le site web. C'est une obligation légale. C'est une obligation aux termes de la Loi sur les banques.
Les services internes d'ombudsman et les instances externes de traitement des plaintes sont aussi des obligations légales, mais je ne suis pas certaine que les banques sont tenues de l'annoncer. Nous pourrons assurément vérifier cela pour vous.
[Français]
Le sénateur Maltais : Vous plaidez très bien, mais le consommateur, ce n'est pas un plaideur, c'est un emprunteur. On sait que tous ces mécanismes existent, mais le consommateur moyen, qui gagne 50 000 $ et moins par année, n'est pas au courant de tout cela et n'a pas nécessairement le temps ni les connaissances nécessaires. Si vous faisiez un peu plus de publicité — et cela ne coûterait pas énormément plus cher —, vous pourriez expliquer qu'il existe une personne à qui il pourrait s'adresser pour tenter de régler le conflit au lieu d'aller devant ces organismes, et parfois, devant les tribunaux.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup d'avoir soulevé cette question.
La sénatrice Hervieux-Payette : On entend régulièrement dire que nos institutions financières ont des milliards de dollars à la Barbade et dans d'autres pays étrangers où, de toute évidence, les lois en matière de fiscalité ne sont pas aussi sévères qu'au Canada. Je me demandais si le BSIF supervise les activités de nos institutions financières dans ces pays.
Mme Mandal : Le BSIF ne fait pas de supervision de façon consolidée. Toute banque canadienne qui a une filiale dans n'importe quel autre pays est assujettie à la surveillance et à la réglementation du BSIF.
La sénatrice Hervieux-Payette : Monsieur Thorlakson, pourriez-vous m'en dire plus long sur vos activités dans les Amériques? Votre organisation est très active. J'ai vu vos édifices dans de nombreux pays. Lorsque vous êtes à l'étranger, devez-vous vous soumettre à la fois à la surveillance du pays hôte — que ce soit le Mexique, l'Argentine ou d'autres — et à la nôtre?
M. Thorlakson : Merci de cette question. C'est très intéressant, car cela rejoint certains des enjeux qui, bien qu'ils ne soient pas directement liés aux instruments dérivés, ont en partie justifié la mise en place de cette mesure législative. Pour peu qu'elles aient des activités bancaires ou des filiales bancaires à l'étranger, les institutions financières sont assujetties à la surveillance réglementaire locale ainsi qu'à celle qu'exerce le BSIF sur elles et sur toutes leurs filiales consolidées. Nous devons en outre observer toutes les règles et toutes les exigences en vigueur dans notre pays.
Dans ce contexte, les organismes de réglementation internationaux pour le secteur bancaire ou d'autres types d'organismes de réglementation pour les services financiers tenteront de coopérer ou de se consulter pour s'assurer qu'il y ait une reconnaissance mutuelle quant à l'étendue des activités prenant place dans la nation mère par opposition à celles qui se déroulent sous la bannière d'une filiale locale ou d'un bureau local.
Fondamentalement, la mesure législative n'a pas été conçue pour créer un pouvoir de réglementation sur les produits dérivés, mais bien pour faire en sorte que les organismes de réglementation internationaux sachent où regarder lorsqu'ils viendront au Canada pour vérifier s'il existe ici un régime équivalent.
La sénatrice Hervieux-Payette : Quel est le processus? Devez-vous soumettre la structure des nouveaux instruments dérivés que vous mettez en circulation, lesquels pourraient probablement être aussi vendus à l'extérieur du Canada? Devez-vous les soumettre ici avant de les lancer sur le marché, ou si vous devez le faire une fois qu'ils sont lancés?
M. Thorlakson : Aux termes du cadre de gestion du risque et de surveillance du BSIF, l'une des composantes est que chaque nouveau produit qui est élaboré par une institution financière doit être passé en revue à l'interne par une foule d'intervenants. Le produit doit être examiné pour son aspect financier, pour le risque qu'il fera peser sur les marchés, pour le risque de crédit et du point de vue du client. Ces examens se déroulent effectivement à l'interne, au même titre que si l'institution procédait à un nouveau type de transaction relative aux produits dérivés.
La sénatrice Hervieux-Payette : Vous ne répondez pas à ma question. Je vous demande si le BSIF peut jeter un coup d'œil au nouveau produit. Comprend-il le nouveau produit? Nous avons parfois eu des surprises avec les gens qui sont dans le domaine; même les présidents d'institutions très importantes ne comprennent pas toujours les produits qui sont lancés sur le marché.
Y a-t-il un échange d'information avec les gens du BSIF?
M. Thorlakson : J'aurais de la difficulté à me prononcer pour le BSIF, mais je sais qu'en tant qu'institution assujettie à la réglementation fédérale, dans la mesure où nous entreprenons de nouvelles activités, nous devons suivre les instructions du BSIF et nous sommes sous sa surveillance en ce qui a trait aux contrôles et aux protections que nous sommes fondamentalement tenus de maintenir; le fait de nous soustraire à ces obligations risquerait de faire sourciller le régulateur.
La sénatrice Hervieux-Payette : La surveillance est-elle plus serrée qu'elle ne l'était?
Mme Mandal : Absolument.
La sénatrice Hervieux-Payette : La surveillance est-elle plus serrée qu'avant le ralentissement économique de 2008 et 2009?
M. Thorlakson : On met beaucoup plus l'accent sur les produits dérivés, qu'on considère maintenant comme des transactions, mais cela ne veut pas dire que cela n'a jamais été le cas auparavant. Les types de risque qui accompagnent les instruments dérivés ont toujours été gérés et assujettis à une surveillance réglementaire ainsi qu'au cadre de gouvernance propre de l'institution.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Je poursuivrai dans la même veine de questions. Vous avez répondu brièvement. Toutefois, j'aimerais obtenir une clarification. Conformément à ce projet de loi, le pouvoir réglementaire qui sera accordé au Bureau du surintendant des institutions financières réduira les risques liés aux produits dérivés.
Si cette disposition réglementaire avait existé en 2007-2008, est-ce que les documents commerciaux adossés à des actifs auraient été repérés comme des produits dangereux?
[Traduction]
M. Thorlakson : C'est très difficile de répondre en fonction d'une hypothèse. Je répéterai que ce pouvoir de réglementer n'est pas nouveau. Il est tout simplement plus en évidence dans le contexte de la Loi sur les banques et de la réglementation à l'ordre du jour. Vous faites allusion à des événements précis qui ont découlé de la crise financière, laquelle a été causée par une foule de choses. Les produits dérivés ont été de ce nombre — et le fait que des contreparties internationales se soient engagées dans des activités qui étaient risquées ou qu'on ne savait pas vraiment comment mesurer, avant de tenter d'en atténuer la portée en ayant recours à des garanties —, mais ils n'étaient pas seuls. Je crois que les efforts conjugués des organismes de réglementation et des législateurs internationaux visant à faire une révision exhaustive de tout le marché des instruments dérivés de l'OTC et à veiller qu'il y ait une transparence accrue en ce qui concerne les risques, vers quoi ils sont transférés et les façons utilisées pour les munir de garanties ou les atténuer, je crois que ces efforts visent essentiellement à empêcher que les mêmes types d'événements s'amalgament les uns aux autres pour provoquer une crise particulière au sein d'une institution donnée ou d'un marché donné.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Supposons que cette réglementation ait été en vigueur en 2007 et 2008; de quelle façon aurait-on supervisé le mouvement de ces produits dérivés? Ceux-ci n'émanaient pas des banques en particulier. Toutefois, certaines banques ont fait face à des pertes, entre autres la Banque Nationale. Selon vous, qu'est-ce qui se serait passé? La présente réglementation n'est pas assez précise pour pouvoir imaginer un scénario.
[Traduction]
M. Thorlakson : Encore une fois, il est très difficile de répondre à une question hypothétique, mais je crois que ces réformes visent à nous permettre de mieux évaluer où le risque s'en va, car il importe de reconnaître que ce n'est pas le produit dérivé proprement dit qui crée le risque. Les produits dérivés n'augmentent pas le risque de beaucoup, mais ils le transfèrent d'une contrepartie à une autre; ils peuvent concentrer les risques ou les disperser. Je pense que l'intention des réformes internationales vise à permettre aux principaux organismes de réglementation d'intervenir, seuls ou en collaboration avec d'autres — le cas de Lehman Brothers montre que les organismes concernés ont failli à la tâche tant aux États-Unis qu'en Angleterre — lorsqu'ils constatent des transferts de risques inappropriés ou une concentration de risques dans une institution particulière — l'exemple de Lehman Brothers s'applique encore — afin d'évaluer l'ampleur des risques et celle des risques qui n'ont pas été atténués, et de prendre les mesures pour tirer l'institution d'affaire plutôt que de la laisser s'effondrer. Je pense que cette intention y est pour beaucoup.
Bien entendu, l'autre partie de l'équation est de faire en sorte qu'il y ait des moyens pour régler les problèmes d'une institution donnée sans provoquer de catastrophe qui risquerait d'avoir un effet domino. Il semble en effet que l'expression « trop gros pour tomber » est chose du passé.
Le sénateur Moore : Merci à nos témoins d'être venus. Madame Mandal, dans vos observations, vous avez dit qu'il était important de souligner qu'il n'y a pas de marché de détail pour les dérivés hors cote. Or, après 2009, des efforts ont été déployés pour obliger à ce que les produits dérivés soient négociés en bourse. Qui sont ceux qui en font le commerce?
Mme Mandal : Les échanges lient, par exemple, une banque et une très grosse société. Je pense que Ken peut vous donner quelques exemples concrets de cela. Ce ne sont pas des bourses « traditionnelles », comme le TSX ou la bourse de New York. C'est une toute nouvelle organisation. Aux États-Unis, on les appelle les swap execution facilities ou plateformes de négociation des swaps. Par souci de clarté, le terme utilisé est « bourse » mais les particuliers ne peuvent pas y investir.
Le sénateur Moore : Le Canada dispose-t-il d'une telle institution?
M. Thorlakson : Non, pas encore. Il serait exagéré de parler d'une « révolution », mais le fait que les réformes du G20 exigent la mise en place de telles institutions est sans conteste une évolution pour le marché des produits dérivés de l'OTC. Il y a des bourses, des plateformes de négociation des swaps et d'autres plateformes d'échange. Encore une fois, l'objectif est d'améliorer la transparence et de créer certaines obligations redditionnelles. En fait, les échanges en temps réel et les prix de ces échanges sont assujettis à des obligations redditionnelles très rigoureuses. Les joueurs sur ce marché sont surtout des professionnels liés à des institutions, des institutions financières, des courtiers et des vendeurs réglementés, des fonds d'investissement importants, des fonds de pension. Il y en a de toutes sortes.
Le sénateur Moore : Les banques canadiennes ont-elles recours à une bourse ou plateforme particulière? Est-ce aux États-Unis, est-ce à Londres?
M. Thorlakson : À l'heure actuelle, il y en a toute une variété. Aux États-Unis, il y en a au moins six ou sept qui ont été reconnues et qui sont dûment enregistrées; le Royaume-Uni compte aussi quelques institutions de ce type. Les organismes européens et américains de réglementation ont convenu de faire ce qu'il fallait pour reconnaître réciproquement les plateformes d'échange de l'autre, toujours dans l'optique qu'une coopération internationale nécessite que chacun accorde des équivalences, pour peu qu'il croie que les institutions de l'autre sont administrées de façon appropriée et efficace. Il y en a plusieurs.
Le sénateur Moore : Qui vérifie si les produits dérivés peuvent escompter des retombées concrètes? Qui retourne en arrière afin de vérifier si tous ces échanges sont partis de quelque chose de tangible?
M. Thorlakson : Essentiellement, cette tâche appartient à l'institution qui est la contrepartie dans la transaction. Dépendant de quoi il s'agit —comme de jauger l'amplitude du produit dérivé dont il est question ou dans quelle mesure le risque est transféré à une institution ou l'inverse —, il incombe aux parties de faire une analyse complète de la transaction et de la contrepartie avec qui elles transigent. Et dans la mesure où une contrepartie pourrait essayer de transférer un risque qu'elle a acquis ailleurs, la partie menacée devra recourir à des moyens juridiques ou à d'autres mesures de diligence raisonnable pour s'en assurer.
Le sénateur Moore : Une autre partie de la question et du libellé concerne les indices de référence. Pouvez-vous m'expliquer ce que sont ces indices de référence? Qui les établit et que viennent-ils faire dans toute cette question du marché des instruments dérivés?
Mme Mandal : Je ne suis pas certaine si l'intention de faire ces modifications sur les indices de référence financiers était nécessairement de faire écho aux modifications de l'OTC sur les produits dérivés ou aux modifications sur les produits dérivés.
Le sénateur Moore : À quoi servent-ils donc? Je vois qu'on en parle ici, mais je ne sais pas ce que cela veut dire. Je veux comprendre comment cela fonctionne. Je veux savoir à quel moment le gouverneur en conseil intervient et ce qui déclenche cette intervention. Ce sont des questions complexes, et je ne crois pas que le citoyen moyen pourrait comprendre. J'ai moi-même de la difficulté à saisir de quoi il retourne.
M. Thorlakson : Je crois que la meilleure façon est de regarder les deux modifications séparément. La raison pour laquelle elles se retrouvent ensemble est plus circonstancielle qu'autre chose. Il s'agit de démontrer aux pouvoirs de réglementation internationaux que, dans la mesure où les indices de référence sont fixés au Canada et qu'il arrive que les banques canadiennes participent à leur établissement, un indice de référence est un taux d'intérêt ou un autre taux ou indice utilisé à d'autres fins que la seule transaction qui vous occupe.
Le sénateur Moore : Cela n'a rien à voir avec les produits dérivés.
M. Thorlakson : Seulement si le dérivé fait allusion à un indice de référence. Autrement, il s'agit effectivement d'idées ou de concepts distincts. L'objectif de cela est de mettre en évidence le rôle du BSIF et du gouvernement fédéral pour ce qui est d'établir ou d'améliorer certaines pratiques existantes aux fins de conformation aux normes internationales émergentes.
Le sénateur Moore : Quelles sont les conjonctures susceptibles de retenir l'attention du gouverneur en conseil, et comment le gouverneur en conseil réagirait-il? À quoi devons-nous nous attendre?
Mme Mandal : Je peux répondre. Une des raisons qui a mené à cela est la publication, l'année dernière, de Principles for Financial Benchmarks par l'Organisation internationale des commissions des valeurs. Les organismes de réglementation au Canada — le gouvernement fédéral et les organismes de réglementation provinciaux — ont examiné le taux CDOR pour s'assurer que...
Le sénateur Moore : Pouvez-vous expliquer ce qu'est le taux CDOR aux personnes qui nous écoutent, car je crois que c'est une notion essentielle pour comprendre le reste?
M. Thorlakson : Avec cela, nous entrons dans les arcanes du monde bancaire, mais disons que le taux CDOR est un taux moyen fondé sur un rendement réel ou un taux d'intérêt réel établi en référence à un titre bancaire négociable qui est appelé acceptation bancaire et qui est une forme standardisée de chèque. En gros, le taux CDOR est une façon de faire en sorte qu'un indice de référence commun rende compte, jour après jour, de la valeur de ce taux CDOR, de manière à ce qu'il puisse être utilisé.
Le sénateur Moore : Entre toutes nos banques à charte.
M. Thorlakson : Exactement.
Mme Mandal : Cette notion a été proposée par l'Organisation internationale des commissions des valeurs et elle fait son chemin. Après la crise financière, des instances internationales comme le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire et l'Organisation internationale des commissions des valeurs ont ajouté des tonnes de règlements dans tous les domaines — pour le capital, le risque, les liquidités. Elles ont été influencées à ce titre par ce qu'a recommandé le Conseil de stabilité financière, et par les rapports qui ne cessent d'être relayés par le G20 aux organismes de réglementation nationaux travaillant avec leurs homologues des autres pays.
D'après ce que nous comprenons, le gouvernement souhaite que sa capacité de réglementer autant qu'il le faudra soit inscrite dans la Loi sur les banques. Plus tôt cette année, la surveillance et la réglementation ont été confiées au BSIF pour qu'il se penche sur la gouvernance et les contrôles du risque afin d'établir les indices de référence financiers. Habituellement, celui qui est le plus en vogue au Canada est le taux CDOR. C'est l'un des outils dont le pays dispose pour s'assurer qu'il gardera la cadence et qu'il y aura toujours une surveillance minutieuse. Le BSIF a donc examiné le taux CDOR et il n'a rien trouvé à redire. Nous devons néanmoins nous assurer d'être au diapason des normes internationales, voire de les dépasser.
La sénatrice Ringuette : Quelle est l'ampleur du marché canadien des instruments dérivés qui s'échangent annuellement entre les institutions financières canadiennes? Quelle est la moyenne? L'an dernier, quelle a été la valeur en dollars des swaps entre les institutions financières canadiennes?
M. Thorlakson : Je n'ai pas de données précises à ce sujet. Je pense...
La sénatrice Ringuette : Approximativement, un ou deux milliards?
M. Thorlakson : La meilleure façon de s'en faire une idée est de considérer que la plupart des estimations évaluent que la valeur notionnelle du marché mondial des produits dérivés oscille entre 600 et 700 billions de dollars.
Les estimations que les banques canadiennes ont examinées supputent qu'elles détiennent environ 2 p. 100 de ce marché mondial. Je ne suis pas en mesure de faire le calcul de ce que cela représente, mais je peux vous assurer que c'est un très gros montant et que c'est une activité très importante.
La sénatrice Ringuette : Oui, mais vous parlez du marché mondial. En ce qui concerne le marché national, échangez- vous des produits dérivés — une institution financière comme la vôtre auprès des grandes sociétés canadiennes? Et quel est le montant approximatif de ces échanges?
M. Thorlakson : Encore une fois, je n'ai pas le montant en dollars sous la main. Je crois que ces chiffres peuvent donner une idée approximative du montant. Nous pouvons vous revenir avec une idée plus juste de la valeur de ces transactions par l'entremise de l'Association des banquiers canadiens.
La sénatrice Ringuette : Essentiellement, du moins, selon moi, c'est le marché que devrait viser en premier lieu la supervision du BSIF.
M. Thorlakson : C'est assurément un élément fondamental de la surveillance du BSIF en matière de réglementation. Mais pour en revenir à la discussion et aux questions au sujet du rôle du BSIF, précisons que le bureau encadre les activités des banques à l'étranger, dont celle qui entourent les produits dérivés. Les produits dérivés ne tiennent pas compte des frontières. Il est très important qu'une banque canadienne comme la nôtre soit en mesure de fournir des services financiers pour la négociation des produits dérivés à nos clients des grandes sociétés canadiennes, mais l'histoire ne s'arrête pas là. Il n'est pas rare qu'un de nos clients nous fasse courir un risque. Nous devons alors tenter de nous en débarrasser ou de nous couvrir, et c'est ce qui se produit de manière générale à l'échelle mondiale.
Vous ne pouvez pas examiner une partie du marché séparément des autres. Les réformes en réglementation visent toutes à faire en sorte que tous les pays se dotent de règlements compatibles avec ceux des autres et réciproquement respectueux de ces derniers.
La sénatrice Ringuette : Vous devez cependant tenir compte du fait que la part canadienne du marché mondial des swaps de produits dérivés est, comme vous l'avez dit, de 2 p. 100 de plusieurs billions. C'est très important. C'est important de comprendre l'ampleur du risque que courent les Canadiens et dans quelle mesure le BSIF sera capable d'assurer une supervision permanente de l'évolution de ce produit financier.
J'ai une autre question. Comme l'indiquait ma collègue un peu plus tôt, la Banque Scotia a des succursales dans différents pays — surtout en Amérique centrale et en Amérique latine —, dont un grand nombre aux États-Unis. Est-ce qu'il arrive que vous échangiez des produits dérivés avec une de vos filiales situées dans un autre pays?
M. Thorlakson : Une filiale de la banque?
La sénatrice Ringuette : Oui.
M. Thorlakson : Oui, cela peut arriver, surtout pour des questions de gestion du risque.
Je reprends ma réponse de tantôt en répétant que le marché des dérivés ne connaît pas les frontières. Alors, dans la mesure où des risques peuvent se matérialiser et être transférés au sein d'une même organisation, mais dans d'autres États, ou troqués avec d'autres institutions situées dans un autre État, il est très important que cela se fasse de façon compatible afin que ces risques, dans la mesure où ils pourraient avoir un effet domino dans un autre État, soient compris.
L'ampleur de la réforme de l'OTC s'explique aussi par ce besoin d'instaurer un dialogue beaucoup plus efficace entre tous les organismes de réglementation, notamment en ce qui a trait au marché des dérivés de l'OTC.
La sénatrice Ringuette : Mais nous n'avons pas d'organisme canadien pour surveiller ces swaps furtifs — le fil des transactions —, une institution comme un marché des valeurs.
M. Thorlakson : Avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas d'accord avec cette observation. Le principe moteur de cette modification législative est de reconnaître que les activités des banques sur le marché des dérivés peuvent comporter les risques dont vous parlez — des risques qui peuvent aller au-delà des murs d'une entité individuelle et créer un risque systémique susceptible de faire sombrer l'institution. Voilà vraiment la raison fondamentale de la présentation de cette mesure législative. Il s'agit en d'autres mots de reconnaître les risques qui sont associés à ces activités. Il est important que cela soit surveillé, car n'importe lequel de ces risques peut faire boule de neige et finir par mettre toute l'institution en péril. Le scénario pourrait aussi se produire chez notre contrepartie et la faire tomber. En sera aussitôt augmenté le risque que cette occurrence d'origine se traduise par un effet domino et provoque l'apparition d'un risque systémique.
Ces risques doivent être mesurés, surveillés et analysés par quelqu'un qui comprend vraiment où tous les risques convergent. Dans le cas des banques canadiennes, il s'agit du siège social. Nous nous attendons à ce que les organismes de réglementation fédéraux interviennent dans la mesure où le problème prend des proportions qui dépassent celles que l'organisation peut gérer.
Mme Mandal : Je souhaite ajouter quelque chose. Mes paroles peuvent avoir créé un léger malentendu. Lorsque j'ai déclaré plus tôt qu'il n'y avait pas de bourse ou de plateforme centrale de négociation au Canada, cela ne signifie pas que les banques canadiennes n'auront pas recours à des bourses canadiennes. Elles négocieront sur des plateformes centrales, et les organismes de réglementation auront accès à ces plateformes. Le BSIF a déjà accès aux renseignements sur toutes les transactions sur produits dérivés effectuées par une banque canadienne — et pas seulement la Banque Scotia du Canada, mais aussi toutes ses filiales — où que ce soit sur la planète, que ce soit au Chili ou à Londres.
Soyons clairs. Comme le Canada détient seulement 2 p. 100 du marché mondial, l'établissement d'une plateforme autonome au Canada ne me semble pas faisable, et c'est la raison pour laquelle le Canada dépend un peu des États- Unis et du Royaume-Uni à cet égard.
Je tenais aussi à mentionner que, dans une certaine mesure, la présentation de cet amendement ne nous semble pas controversée parce qu'il officialise les mesures que le BSIF prend depuis que des produits dérivés ont commencé à être négociés. Donc, le BSIF a établi des lignes directrices en matière de pratiques exemplaires relatives aux transactions sur produits dérivés. Elles doivent déjà respecter les risques inhérents aux instruments dérivés, comme les risques liés aux marchés, au crédit et aux aspects juridiques qui sont déjà contrôlés par la réglementation canadienne. La négociation de produits dérivés ne fonctionne pas en vase clos.
La sénatrice Ringuette : Dans quelle mesure le BSIF serait-il en mesure d'évaluer les risques inhérents à un instrument dérivé?
M. Thorlakson : Je répète que, selon moi, dans le contexte du cadre de gestion du risque du BSIF, on s'attend surtout à ce que l'institution négocie correctement le produit dérivé du premier coup, mais toutes ces transactions sont assujetties aux normes de gouvernance et aux mesures de surveillance de la gestion du risque de l'institution. Dans la mesure où des transactions transfrontalières sont effectuées, la réaction mondiale à la crise financière a entraîné, entre autres, des discussions plus fréquentes entre divers organismes de réglementation internationaux, et pas seulement des responsables de la réglementation des banques. Par exemple, la CFTC a acquis un nombre réellement important de nouvelles compétences aux États-Unis et est devenue, par conséquent, le principal organisme de réglementation des produits dérivés de gré à gré.
Les organismes de réglementation font preuve d'un degré élevé de collaboration et, j'ajouterais, de reconnaissance mutuelle pour ce qui est de déterminer qui est essentiellement chargé de mesurer correctement les risques et, le cas échéant, si les mesures seront reconnues par l'autre administration. Par exemple, en décembre dernier, je crois, la CFTC a reconnu fondamentalement que le cadre de gestion du risque du BSIF, qui repose sur le régime législatif fédéral et les règles relatives à la gestion du risque, la conformité, ainsi qu'à l'évaluation et la surveillance de ces risques, est généralement équivalent — je pense que son expression exacte était « généralement identique » — au régime de la CFTC. Non seulement ces deux organismes de réglementation entretiennent un dialogue, mais, en fait, tous les organismes de réglementation internationaux font de même pour garantir l'existence d'une approche coordonnée dans la mesure où, comme je l'ai indiqué, les risques sont transférés d'un État à l'autre.
Le président : Dans le cadre de vos observations, vous avez fait allusion à des produits dérivés parents, des sous- produits dérivés, ainsi qu'à des instruments dérivés nationaux et internationaux. Vous êtes très favorable aux amendements. Y a-t-il des expositions que nous n'avons pas abordées et que vous recommanderiez au comité d'envisager de gérer?
M. Thorlakson : Je le répète, en dépit du fait que je travaille dans ce domaine depuis des années, je suis incapable de penser à une amélioration à apporter au libellé du projet de loi en tant que tel.
Il existe diverses définitions de l'expression « produit dérivé ». Compte tenu du fait qu'il s'agit là d'un genre de définitions appelé à évoluer, nous avons parfois du mal à déterminer si la définition est assez générale, trop étroite, ou si elle englobe, comme certains des enjeux, des produits nouveaux ou en constante évolution. Je n'ai pas été consulté au cours de la rédaction du projet de loi, mais je suis heureux de dire que le libellé me ravit parce que, selon moi, il autorisera ce genre de réaction. Je le répète, on qualifie les produits dérivés de gré à gré de modificateurs dans le texte de loi. Ce qu'il est important de reconnaître après la crise, c'est que le marché est en pleine évolution. Au début, ces instruments étaient des contrats privés négociés entre deux parties. Comme nous le remarquons, ces produits sont négociés, compensés et déclarés de plus en plus fréquemment, et leur marché devient plus ouvert et transparent — les produits sont moins négociés de gré à gré et présentent davantage les caractéristiques de produits négociés en bourse. Je mentionne de nouveau qu'il est important que ces produits ne soient pas perçus comme des restrictions ou des qualificatifs dans l'amendement. Sa formulation est assez générale pour englober ces genres de transactions et de risques, peu importe la forme qu'ils finissent par prendre.
Le sénateur Moore : Pour donner suite à la question de la sénatrice Ringuette concernant la valeur internationale de ces produits, et je sais que ces chiffres ne sont pas exacts, mais, si la part de marché du Canada oscille entre 12 et 14 billions de dollars et correspond à 2 p. 100 des 600 à 700 billions de dollars négociés, en quoi cette part de marché consiste-t-elle? S'agit-il de produits dérivés générés par nos banques, ou générés par d'autres parties, mais détenus par nos banques, ou d'une combinaison des deux?
M. Thorlakson : Il s'agit d'une combinaison des deux. Étant donné que ces produits sont très variés et qu'ils englobent un grand nombre de transactions différentes, l'élément qu'ils ont en commun et qui est devenu un terme technique employé par les marchés de produits dérivés est leur montant nominal. Par exemple, si vous et moi convenons que je paierai le taux d'intérêt révisable sur un certain principal, que vous me verserez un taux d'intérêt fixe en échange et que nous fixons le principal à 50 millions de dollars canadiens, c'est là le montant nominal de ce produit dérivé. Cette somme ne change pas de main le premier jour. Le montant nominal est simplement le dénominateur qui permet de déterminer les liquidités en jeu, et les obligations de paiement à venir sont calculées par référence. Lorsque nous déclarons que les produits dérivés s'élèvent à 700 billions de dollars, cela ne signifie pas que cet argent circule quotidiennement dans le monde. Il s'agit là de l'élément commun qui témoigne de la valeur totale risquée.
Le sénateur Moore : Je comprends cela. Mais, en ce qui concerne notre discussion actuelle, quelle est l'exposition des banques canadiennes? Varie-t-elle de 12 à 14 billions de dollars? Elle ne correspond pas à cela. Quelle est sa valeur minime?
M. Thorlakson : Compte tenu de mes compétences en tant qu'avocat, je ne suis pas la personne la mieux placée pour parler de chiffres. De plus en plus fréquemment, dans le cadre de la divulgation publique de leurs résultats, les banques déclarent les risques liés à leurs produits dérivés. Des pratiques exemplaires, qui traitent des capitaux, des risques du marché et des montants nominaux risqués, sont en voie d'élaboration. Je vous référerais...
Le sénateur Moore : Quoi qu'il en soit, le BSIF surveille cette exposition.
M. Thorlakson : Absolument. C'est l'un des principaux éléments de l'exposition.
Le sénateur Moore : Une dernière chose. Je n'ai pas obtenu de réponse à ce sujet auparavant.
Vous pensez que le projet de loi conjugué aux amendements est excellent et nous apporte la surveillance et la transparence dont nous avons besoin. Qu'est-ce qui entraînerait le gouverneur en conseil à exercer ces pouvoirs? Quel genre d'événements devrait survenir? Le BSIF demanderait-il au gouverneur en conseil d'intervenir, ou est-ce que quelqu'un au ministère des Finances surveille cet aspect? Quel événement pousserait le gouvernement à intervenir et à réglementer les activités des banques à cet égard?
M. Thorlakson : Je le répète, il revient au gouvernement de décider de la meilleure façon d'organiser ces activités.
Le sénateur Moore : Je veux qu'on me donne une idée de la raison pour laquelle nous prenons de telles mesures.
M. Thorlakson : Si ce projet de loi est adopté, je prévois que les pouvoirs de réglementation ne prendront pas la forme d'une intervention en cas de crise. Ces pouvoirs représentent plutôt un moyen d'établir un cadre pour l'élaboration de pratiques exemplaires, ou pour l'établissement d'exigences en matière de compensation, par exemple. Autrefois, dans un marché bilatéral, si vous et moi prenions le risque d'échanger des taux d'intérêt, ce risque ne touchait que nous. Si vous manquiez à votre obligation — je serais plus susceptible de manquer à mon obligation —, vous courriez alors un risque dans la mesure où je vous devrais de l'argent lié à cet échange. En confiant à des contreparties centrales la tâche de compenser les produits dérivés, on a tendance à réduire le risque parce que le grand nombre de contreparties déterminera le risque net et, dans un monde parfait, ce risque devrait se rapprocher de zéro, car les contreparties devraient garantir par nantissement le produit dérivé.
Dans le contexte de lignes directrices, nous nous attendons à ce qu'un règlement établisse le cadre qui oblige les banques canadiennes à compenser certains produits afin de tracer une voie sécuritaire en prévision de la prochaine crise, au lieu de simplement réagir à la crise.
Mme Mandal : Si vous me le permettez, j'aimerais ajouter que la question semble suggérer que le gouverneur en conseil interviendrait dans une situation d'urgence. Ce n'est pas vraiment la façon dont nous percevons son intervention, et ce n'est pas ce à quoi le gouvernement veut en venir. J'approuve tout à fait les propos de Ken. En outre, les engagements pris par les pays du G20 ont donné lieu à de nombreux travaux à l'échelle internationale, comme la création de conseils responsables d'établir des normes, l'établissement du CSF et les rapports aux pays du G20 sur les progrès accomplis liés à la mise en œuvre complète des réformes. Parce que le système réglementaire canadien cherche à respecter ou à surpasser les normes internationales et parce que, comme Ken y a fait allusion auparavant, nous souhaitons que des équivalents soient reconnus, afin d'éviter que nos banques aient à respecter plusieurs règlements dans divers États, il faudrait peut-être suggérer de faire progresser les règlements adoptés au même rythme que ceux mis en œuvre à l'échelle internationale, que la suggestion vienne du ministère des Finances ou du BSIF.
Je mentionne encore une fois qu'il s'agit vraiment d'un effort international. Dans la mesure où le système canadien accuserait un retard par rapport à celui de l'UE ou des États-Unis, pour ne citer que ces deux exemples, nous chercherions à rattraper ce retard.
La sénatrice Ringuette : Nous comprenons qu'en moyenne, nous détenons en ce moment une part du marché mondial de 2 p. 100. De 2007 à 2009, quel pourcentage de ces produits dérivés détenions-nous?
M. Thorlakson : Je ne connais pas ce chiffre par cœur. Je sais qu'il a été plutôt stable depuis 2010 et 2011, les années où les organisations qui prennent part au marché canadien de produits dérivés ont compilé ces statistiques. Je ne peux pas vous indiquer quel était le pourcentage à cette époque.
La sénatrice Ringuette : Quelle organisation participe à ce processus au Canada?
M. Thorlakson : Diverses associations liées à l'industrie y participent. Un comité s'occupe de ce qui est connu sous le nom de secteur des ventes et de secteur des achats. Le secteur des ventes est habituellement composé des banques, et le comité s'appelle le Comité de l'infrastructure du marché canadien. Le comité participe aux efforts déployés par les organismes de réglementation à l'échelle fédérale et provinciale afin d'élaborer un régime de surveillance.
La sénatrice Ringuette : Ce comité est-il issu de l'Association des banquiers canadiens?I
Mme Mandal : Ce comité est distinct.
M. Thorlakson : Il représente plus que les banques. Il comprend d'autres contreparties qui participent au marché canadien des produits dérivés.
La sénatrice Ringuette : Pour obtenir une réponse à propos de la situation et des pertes qui ont été enregistrées au Canada au cours de ces années, il faudrait que nous interrogions le comité?
Mme Mandal : Oui. Au nom de l'ABC, nous pouvons certainement nous renseigner à ce sujet. Je présume que quelqu'un suit l'évolution de ces chiffres. Par conséquent, nous pouvons nous efforcer de trouver ces renseignements.
La sénatrice Ringuette : Si vous pouviez les trouver pour nous, nous vous en serions reconnaissants.
Mme Mandal : J'ai pris en note votre demande.
Le président : Nous nous assurerons que les renseignements sont distribués aux membres du comité.
Les instruments dérivés et les indices de référence sont des domaines compliqués. Nous vous sommes grandement reconnaissants du temps que vous avez passé à faire la lumière sur ces enjeux et à nous aider dans nos délibérations. Nous vous en remercions infiniment.
Au cours de la deuxième heure de notre séance, nous mettrons l'accent sur la section 14 de la partie 6 qui modifie la Loi sur les sociétés d'assurances afin de conférer au gouverneur en conseil des pouvoirs réglementaires élargis en ce qui concerne la transformation de sociétés mutuelles en sociétés avec actions ordinaires.
La section 14 de la partie 6 se trouve à l'onglet F14 de votre cahier d'information, et à la page 145 du projet de loi.
Il y a deux semaines, le comité a entendu les représentants officiels du gouvernement et, aujourd'hui, nous sommes heureux d'accueillir des représentants du secteur de l'assurance.
Nous accueillons M. Steve Masnyk, de l'Association des courtiers d'assurances du Canada. Il est en passe de devenir un invité régulier de notre comité. Il est directeur des Affaires publiques, et il a comparu mercredi dernier dans le cadre de notre étude des amendements à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Nous sommes heureux de vous revoir, monsieur Masnyk.
Nous recevons également M. Normand Lafrenière, le président de l'Association canadienne des compagnies d'assurance mutuelles; Frank Lowery, vice-président principal, secrétaire et chef du contentieux des Co-operators; et Mme Karen Gavan, présidente et chef de la direction d'Assurance Economical.
Nous vous remercions tous d'être venus aujourd'hui.
Je vais céder en premier la parole à M. Masnyk, qui s'exprimera depuis le devant de la salle. Vous disposez d'à peu près cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire. Nous voulons nous assurer qu'il reste suffisamment de temps pour les séries de questions. Monsieur Masnyk, la parole est à vous.
Steve Masnyk, directeur, Affaires publiques, Association des courtiers d'assurances du Canada : Merci et bonjour. L'Association des courtiers d'assurances du Canada est le porte-parole national de plus de 35 000 courtiers en assurances de dommages et un défenseur des consommateurs d'assurances. Il fait valoir leurs intérêts auprès du gouvernement du Canada.
L'ACAC et ses membres ont un intérêt considérable dans les lois et les règlements régissant la démutualisation des mutuelles d'assurances multirisques. Les courtiers d'assurances vendent aux Canadiens des polices offertes par des assureurs privés, des assureurs mutuels et des assureurs gouvernementaux.
En tant qu'intermédiaires pour les trois types d'assureurs, les courtiers connaissent bien la situation des consommateurs face aux choix que leur offre le marché des assurances.
Les sociétés mutuelles comptent pour environ une police sur quatre au Canada. Elles représentent une part très importante du marché national des assurances, une part sur laquelle comptent les Canadiens. Les sociétés mutuelles fournissent depuis longtemps un service de grande qualité et continuent de le faire à peu de frais. La continuité du service est due en partie au fait que les assureurs mutuels ont pour mandat de mettre en commun les risques d'un grand nombre, et non de réaliser surtout des bénéfices en fournissant des services financiers. C'est dire que le profit est le premier objectif des assureurs non mutuels, alors qu'il est accessoire pour les assureurs multirisques mutuels.
Il est de notoriété publique dans l'industrie que les assureurs multirisques mutuels essuient plus de pertes techniques que leurs concurrents non mutuels. Les mutuelles y parviennent en partie parce que, grâce à la participation de tous les souscripteurs, elles ont constitué au fil des générations d'importants portefeuilles d'investissement et peuvent ainsi subventionner les souscriptions d'assurances au bénéfice financier de leurs souscripteurs.
En outre, la mutualité permet aux assureurs multirisques de répondre aux besoins de leurs souscripteurs (c'est-à-dire de protéger leurs actifs) sans avoir à dégager de bénéfices pour des actionnaires.
Comme je l'ai dit, le mandat des assureurs multirisques mutuels, sur le plan de la conception comme de l'exécution, est différent de celui de leurs homologues non mutuels. C'est pourquoi, selon nous, la réglementation de la démutualisation des assureurs multirisques devrait viser en priorité à maintenir le grand objectif de politique publique consistant à préserver et à rehausser la qualité, le bon marché et la continuité des services, surtout, mais pas exclusivement, à l'extérieur des grands centres urbains.
Nous estimons par ailleurs que la mutualité permet en général d'atteindre cet objectif stratégique. Toutefois, lorsque la démutualisation paraît s'imposer, nous aimerions que les sociétés qui proposent cette solution s'engagent de façon crédible : un, à expliquer clairement pourquoi la transformation en société par actions est préférable; deux, à démontrer avec preuves à l'appui que les options qui sont déjà à la disposition des assureurs mutuels, comme la fusion avec d'autres assureurs multirisques mutuels, la levée de capitaux par des emprunteurs extérieurs, et cetera, ne répondent pas à leurs besoins; trois, à montrer clairement comment la mutuelle nouvellement transformée parviendra à fournir ces services à la même diversité de souscripteurs à un degré égal de qualité, de bon marché et de continuité.
Pour ce qui est de la relation entre les souscripteurs et la mutuelle elle-même, premièrement, il n'y a pas de lien direct entre les souscripteurs et les actifs d'une mutuelle d'assurances multirisques, contrairement aux mutuelles d'assurance- vie. Les membres de la mutuelle souscrivent leur police annuellement et, une fois la police expirée, ils cessent d'en être membres.
Deuxièmement, et comme corollaire au premier point, les actifs de la mutuelle sont essentiellement constitués au fil des générations de souscripteurs.
Troisièmement, donc, le droit des souscripteurs actuels aux actifs de la mutuelle n'est pas supérieur à celui des souscripteurs passés; autrement dit, la mutuelle doit à tous ceux qui ont contribué ou contribuent à son capital de pouvoir offrir cette « protection », essentiellement la raison d'être de son existence.
Pour ces trois raisons, il est conceptuellement difficile sinon impossible de départager clairement les droits des souscripteurs aux actifs de la mutuelle.
Cela étant, l'ACAC estime que le vote sur la démutualisation doit être ouvert à tous les souscripteurs, c'est-à-dire à tous ceux qui ont souscrit aujourd'hui comme hier une police, peu importe qu'ils soient considérés par les statuts de la mutuelle comme membres ayant droit de vote.
Comme la démutualisation est une mesure extraordinaire, elle doit être soumise à un examen extraordinaire, c'est-à- dire à l'examen d'un bassin plus grand de membres que celui que reconnaissent habituellement les statuts d'une mutuelle. En bref, il faudrait que les mutuelles qui envisagent la démutualisation soient tenues par la loi d'accorder un vote par police aux fins de la démutualisation. Quant aux modifications qu'il est proposé d'apporter à la Loi sur les sociétés d'assurances, nous sommes en faveur d'accorder clairement au gouverneur en conseil le pouvoir d'encadrer toute démutualisation.
Le cadre législatif énoncé dans le budget est sain, mais le diable se cachera dans les détails au moment de la rédaction du règlement, tâche à laquelle, je l'espère, le comité sera associé.
Merci, monsieur le président.
Normand Lafrenière, président, Association canadienne des compagnies d'assurance mutuelles : Merci d'avoir décidé de tenir des audiences publiques sur le projet de loi C-31 et merci d'avoir accepté ma demande de comparaître devant ce comité.
L'Association canadienne des compagnies d'assurance mutuelles, l'ACCAM, est une association professionnelle d'assureurs mutualistes de dommages. À l'heure actuelle, elle compte 91 compagnies membres. Le volume collectif de leurs primes s'élève à 5,3 milliards de dollars, soit 12,7 p. 100 du marché privé canadien des assurances dommages.
L'assurance mutuelle canadienne de dommages remonte à l'époque, il y a entre 100 et 175 ans, où les agriculteurs surtout ne parvenaient pas à trouver d'assurance ou à trouver une assurance à un prix abordable. En fait, un grand nombre de nos membres sont des compagnies qui existaient déjà avant la Confédération. Depuis leur formation, ces compagnies sont contrôlées par les titulaires de police : les membres assurés.
Chaque année, quand l'entreprise dégage un bénéfice, les membres élus du conseil d'administration décident si ce bénéfice servira à rembourser les primes ou s'il sera ajouté au surplus de la compagnie afin d'assurer la survie et la croissance de cette dernière pour les futures générations. Le surplus dont bénéficient aujourd'hui les assureurs mutualistes est constitué de l'accumulation de ces allocations des bénéfices au surplus.
[Français]
Il y a trois ans, une compagnie mutuelle d'assurance de dommages, Economical, Compagnie mutuelle d'assurance, a demandé au ministre des Finances en exercice d'établir des règles de démutualisation pour les compagnies d'assurance mutuelle en assurance de dommages, règles dont elle pourrait se servir ensuite pour se démutualiser.
Au moyen de manœuvres que l'ACCAM croit répréhensibles, la compagnie a progressivement réduit le nombre de ses détenteurs de police mutuelle qui, seuls, possèdent un droit de vote, au point où la compagnie compte maintenant quelque 940 détenteurs de police mutuelle sur un total de plus d'un million de titulaires de police.
Si la compagnie se démutualise, on peut penser que son surplus sera distribué à la cohorte actuelle de détenteurs de police mutuelle, bien que ce surplus ait été accumulé grâce aux contributions de l'ensemble des titulaires de police depuis les débuts de la compagnie, il y a environ 140 ans.
Bien que l'ACCAM préfère un environnement où il n'y a pas de règles de démutualisation, le ministre des Finances a annoncé, dans le budget de juin 2011, que de telles règles seraient mises en place pour les compagnies d'assurance mutuelle de dommages. Cet engagement a été réitéré dans le budget de février 2014.
[Traduction]
Dans la section 14 de la partie 6 du projet de loi C-31, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 11 février 2014 et mettant en œuvre d'autres mesures, le ministre des Finances propose des modifications à la Loi sur les sociétés d'assurance qui établissent le cadre dans lequel seront élaborées les règles de démutualisation des assureurs mutualistes de dommages.
L'Association canadienne des compagnies d'assurance mutuelles croit fermement que la modification législative proposée comporte trois principales lacunes.
Premièrement, elle n'exige pas que l'ensemble des titulaires de police d'une compagnie d'assurance mutuelle, qu'ils soient considérés comme ses membres assurés ou non, aient le droit de voter sur une proposition de démutualisation et que toute proposition soit assujettie à la majorité qualifiée en ce qui concerne le quorum et le vote.
Deuxièmement, elle ne tient pas compte du fait que le surplus d'une compagnie d'assurance mutuelle, constituée au fil de nombreuses générations, est un « intérêt commun » de nature « indivisible ». Il est inadmissible que les titulaires de police actuels puissent avoir part, directement ou indirectement, à un surplus qu'ils n'ont pas mérité.
Troisièmement, elle ouvre la possibilité du renvoi aux tribunaux de questions que devraient régler les élus qui ont reçu le mandat d'inscrire dans la loi des politiques publiques bien fondées et de prendre des décisions dans l'intérêt public.
L'ACCAM prie respectueusement le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce de modifier la section 14 de la partie 6 du projet de loi C-31 de manière à corriger les lacunes décrites dans cette présentation.
La section 14 pourrait aussi être retirée carrément du projet de loi C-31 et faire l'objet d'un projet de loi séparé.
Merci de votre attention.
Le président : Merci beaucoup.
Frank Lowery, vice-président principal, secrétaire et chef du contentieux, The Co-operators : La greffière m'a dit que notre mémoire n'avait pas été traduit en français.
Le président : Je viens de l'apprendre. Pouvez-vous expliquer la situation au comité?
Barbara Reynolds, greffière du comité : Le mémoire nous a été envoyé en anglais, et je présente mes excuses au comité parce que je ne l'ai pas envoyé à la traduction. Je n'en ai de copies qu'en anglais. Je présente mes plus sincères excuses au comité.
Le président : Merci.
Monsieur Lowery, toutes nos excuses.
M. Lowery : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, c'est avec grand plaisir que je saisis l'occasion de participer à cette table ronde au nom du Co-operators Group Limited.
Pour vous mettre en contexte, The Co-operators Group Limited est une coopérative de propriété canadienne. Nos 42 membres sont des coopératives canadiennes, des représentants d'organisations agricoles et des centrales de caisse de crédit. Notre entreprise a été fondée en 1945 et est graduellement devenue l'une des plus grandes coopératives financières du Canada. Par son groupe d'entreprises, Co-operators offre un vaste éventail de services financiers et d'assurance aux Canadiens et à leurs collectivités.
Bien que Co-operators ne soit pas une compagnie d'assurances mutualiste en tant que telle, nos principes de base sont semblables à ceux des mutuelles. Les coopératives et les mutuelles travaillent de concert en raison de ces principes communs. Nous sommes membres de l'Association canadienne des compagnies d'assurance mutuelles (l'ACCAM), de même que de l'International Cooperative and Mutual Insurance Federation, l'ICMIF, une fédération établie au Royaume-Uni.
Comme une mutuelle, Co-operators a été fondée pour combler les besoins d'assurance d'agriculteurs canadiens qui, à l'époque, n'étaient pas satisfaits par l'offre du marché.
Tout comme les assureurs mutualistes sont déterminés à participer au bien-être de leurs collectivités et souhaitent utiliser leurs profits à l'avantage des membres assurés, Co-operators met l'accent sur les principes coopératifs et utilise ses profits à l'avantage de ses membres et des collectivités qu'elle sert. Pour cette raison, Co-operators souhaite vivement participer au processus de consultation actuel sur le régime proposé pour la démutualisation des assureurs multirisques mutualistes.
Dans le mémoire que nous avons soumis au ministre des Finances en 2011, nous appuyions la position de l'ACCAM selon laquelle une petite minorité d'assurés, de membres du conseil d'administration, de hauts dirigeants, de courtiers et de consultants professionnels ne devraient pas être les seuls à profiter des avantages de la démutualisation d'une compagnie d'assurances mutualiste.
Nous croyons que tous les assurés devraient être traités de la même manière dans un processus de conversion ou de démutualisation pour ce qui est du droit de vote et du droit de recevoir une partie des surplus de la société mutuelle.
De plus, nous croyons qu'aucun assuré ne devrait recevoir une partie des surplus ou des avantages supérieurs à la valeur de sa contribution aux surplus de l'entreprise au fil du temps, selon une démonstration actuarielle, et que tout surplus restant devrait être conservé pour favoriser la croissance de l'industrie de l'assurance mutuelle ou appuyer les objectifs mutualistes. C'est la position de l'ACCAM, et nous l'appuyons.
Voici matière à réflexion pour le comité : s'il y avait une vague de privatisation chez les assureurs multirisques comparable à celle qui s'est observée chez les assureurs vie il y a une dizaine d'années, à peu près, il y aurait probablement une consolidation telle que le capital assurant les risques en régions rurales risquerait de se déplacer vers des marchés urbains ou même étrangers jugés plus rentables.
En situation de marché difficile, cela pourrait causer une baisse de l'offre de produits pour parer aux risques en région rurale, alors que c'est justement pour cette raison que les sociétés mutuelles ont été créées il y a une centaine d'années. Nous devons tirer des leçons de cette histoire, dont nous pouvons être fiers.
Les compagnies d'assurances mutualistes qui proposent de changer de structure devraient avoir l'obligation juridique de prouver à la satisfaction du ministre des Finances et du gouverneur en conseil qu'elles ont étudié toutes les options raisonnables outre la démutualisation, y compris la possibilité d'une fusion avec d'autres mutuelles ou d'un quelconque regroupement avec d'autres mutuelles, coopératives et organisations fondées sur une structure et des principes semblables, et que la démutualisation est la meilleure option possible pour les assurés sans égard à leur droit de vote. Ainsi, toute société en processus de conversion devrait également montrer qu'elle a étudié d'autres options que la démutualisation.
Cependant, nous tenons à souligner qu'il ne suffit pas de nous doter d'un bon règlement sur la démutualisation des mutuelles multirisques canadiennes, tout juste et équitable soit-il. Nous exhortons le gouvernement à adopter une loi qui permettrait aux mutuelles et aux organisations aux vues similaires comme les coopératives et les sociétés de secours mutuelles de s'organiser pour préserver l'essence de la société mutuelle actuelle sans avoir à recourir à la démutualisation et à la répartition des surplus.
Une organisation d'assistance mutuelle — et il n'existe rien de tel dans ce contexte pour l'instant, mais c'est le terme que nous avons choisi pour le concept — pourrait se composer d'une combinaison de mutuelles, de coopératives, de sociétés de secours mutuelle et d'autres organisations de structures et de vocations semblables qui jugeraient approprié de se regrouper. Ce modèle a été retenu il y a plusieurs années au Royaume-Uni et a donné lieu à ce qu'on a appelé la Butterfill Act. Nous en avons parlé à la Chambre des communes il y a plusieurs années. Nous avions alors enjoint au gouvernement d'envisager ce genre de démarche pour éviter la démutualisation sur le marché canadien. En conclusion, Co-operators tient à remercier le comité de l'occasion qui lui est fournie de participer à cette table ronde et de partager avec vous sa perspective unique de coopérative. Nous sommes à la fois une coopérative et un assureur et partageons beaucoup de valeurs de base et d'objectifs à long terme avec les assureurs multirisques mutualistes.
Karen Gavan, présidente et chef de la direction, Assurance Economical : Au nom d'Assurance Economical, je suis heureuse d'avoir l'occasion de m'exprimer devant vous au sujet des sociétés d'assurances multirisques. J'ai été invitée à prendre position sur le projet de loi C-31, qui est un projet de loi assez technique. Je mettrai donc l'accent sur ce que ce projet de loi permet et sur ce que la démutualisation signifie pour Economical et l'industrie dans son ensemble. Je vous expliquerai pourquoi la démutualisation est une bonne solution pour Economical, en quoi la démutualisation profitera à l'industrie de l'assurance, au système financier canadien et à tous les Canadiens en général, puis vous parlerai de la nécessité de prévoir un règlement fonctionnel qui permettrait aux sociétés mutuelles d'assurances multirisques de se démutualiser.
Depuis trois ans, le ministère des Finances mène un vaste processus de consultation auprès de divers intervenants, y compris ceux qui comparaissent devant vous aujourd'hui. Il a notamment pour objectif d'assurer un traitement juste et équitable à tous les titulaires de police et de créer un processus structuré et transparent qui ne serait ni trop complexe, ni trop énergivore, ni trop coûteux. Nous sommes totalement d'accord avec ces objectifs et sommes fermement convaincus que grâce à la démutualisation, Economical deviendra un chef de file canadien.
Economical a une longue histoire et une fière tradition. Notre entreprise est née dans le Sud-Ouest de l'Ontario, puis a grandi pour devenir l'une des 10 entreprises les plus importantes de l'industrie à offrir divers produits d'assurance aux consommateurs et aux entreprises partout au Canada.
Nous évoluons toutefois dans un marché qui a changé profondément depuis une dizaine d'années. De par notre portée nationale et parce que nos produits sont beaucoup plus diversifiés que ceux offerts par la plupart des autres mutuelles, nous rivalisons avec de grandes sociétés par actions en croissance et les filiales canadiennes de multinationales d'assurance encore plus grandes. Ces entreprises ont accès à des marchés de capitaux pour financer leur croissance et de plus en plus, elles déploient ce capital pour favoriser des fusions.
Dans notre secteur, les grands sont de plus en plus grands. Lorsqu'Economical a décidé de se démutualiser, en 2010, les cinq plus grands assureurs détenaient 37 p. 100 des parts du marché. Trois ans plus tard seulement, ils en détenaient 47 p. 100. Les grandes entreprises achètent leurs petits concurrents pour accroître leur part de marché et réaliser des économies d'échelle. Depuis trois ans, il y a eu six grosses transactions qui ont touché 12 p. 100 de toutes les primes de l'industrie.
En tant que société mutuelle sans accès aux capitaux, nous n'aurions jamais pu envisager de telles transactions. Les sociétés mutuelles doivent conserver une plus grande part de capitaux que les sociétés par actions avec qui elles sont en concurrence, ce qui signifie que nous ne jouons pas selon les mêmes règles. Pour Economical, la démutualisation est essentielle afin d'équilibrer les règles du jeu et de réaliser notre plein potentiel à long terme.
La démutualisation nous permettra de surmonter les limites inhérentes à la structure mutuelle, d'abord grâce à une stabilité financière et à une souplesse accrues. Les sociétés mutuelles n'ont pas accès aux marchés de capitaux lorsqu'elles en auraient besoin, notamment pour se rétablir après de grandes réclamations d'assurance liées à une catastrophe ou quand le marché connait des conditions extrêmes. En raison du changement climatique, les phénomènes météorologiques extrêmes et imprévisibles deviennent la norme. Par conséquent, les assureurs doivent avoir accès à une base de capitaux plus vaste et plus souple afin de répartir davantage le risque grâce à des économies d'échelle pour gérer efficacement la fréquence et l'ampleur des réclamations.
Deuxièmement, cela nous permettrait de faire les investissements requis pour rester concurrentiels. Les systèmes d'avant-garde, les analyses de données détaillées et l'innovation technologique continue deviennent rapidement la norme minimale pour conserver le leadership dans notre industrie. Ceux qui n'arrivent pas à investir en ce sens risquent d'être marginalisés. Enfin, cela placerait Economical en situation de lancer une consolidation du secteur. Nous ne pourrons pas réaliser notre objectif d'être le plus grand assureur multirisques national grâce à notre propre croissance seulement, même si nous absorbons d'autres sociétés mutuelles. Pour participer vraiment à la consolidation de l'industrie, nous aurions besoin de pouvoir émettre des actions pour lever des fonds d'acquisition ou de nous déployer comme monnaie d'acquisition.
Il existe un règlement qui permet aux sociétés mutuelles d'assurance vie de se démutualiser, et diverses sociétés l'ont utilisé à la fin des années 1990. Il en est ressorti des sociétés d'assurance vie plus grandes, plus fortes, plus concurrentielles à l'échelle internationale, qui servent un plus grand nombre de consommateurs, qui emploient plus de gens et qui apportent beaucoup de valeur à l'économie canadienne.
Ceux qui choisissent de se démutualiser devraient pouvoir appuyer leur décision sur des règles claires et réalistes. Ceux qui choisissent de ne pas se démutualiser devraient pouvoir en faire le choix pour continuer de servir leur clientèle comme par le passé. Ce n'est pas parce qu'il y a un règlement que toutes les entreprises vont choisir de se démutualiser. En fait, le règlement sur les sociétés d'assurance vie existe depuis plus de 14 ans, et il y a toujours des sociétés mutuelles d'assurance vie en activité aujourd'hui.
Il ne faut pas oublier que le cadre de démutualisation doit être réaliste, parce qu'un processus réglementaire ne peut atteindre ses objectifs que s'il peut être mis en œuvre. Nous croyons qu'il serait tout à l'avantage d'Economical et de l'industrie qu'un règlement permettant la démutualisation puisse être mis en place efficacement, sans lenteur ni coût excessif, ni risque indu de longues poursuites judiciaires.
Le président : Merci beaucoup. Je tiens à féliciter nos témoins d'avoir tous respecté nos contraintes de temps. J'ai une très longue liste de gens qui souhaitent vous interroger, je vais donc faire la même chose avec les membres du comité.
La sénatrice Hervieux-Payette : Ma première question s'adresse à M. Masnyk. Je comprends que vous êtes prêt à comparaître devant nous lorsqu'un règlement aura été déposé et que vous croyez que nous devrions l'examiner pour nous assurer qu'il protège bel et bien les assurés, ce qui est nouveau, n'est-ce pas? Je dois vous dire que si notre comité se penchait sur le règlement, ce serait presque une première mondiale. C'est ce que vous avez demandé. J'aimerais vous informer que nous n'examinons habituellement pas les règlements. Vous seriez toutefois à l'aise avec l'idée que les parlementaires se penchent sur les lignes directrices régissant la démutualisation?
M. Masnyk : Je pense que oui.
[Français]
La sénatrice Hervieux-Payette : M. Lafrenière, je vous réfère aux trois clauses à la fin — les premier et dernier paragraphes. Au premier paragraphe, on lit ce qui suit : « Elle n'exige pas que l'ensemble des titulaires de police d'une compagnie d'assurance mutuelle, qu'ils soient considérés comme des membres assurés ou non, ait le droit de voter [...] »
Qu'est-ce qui vous fait dire que ça va se passer ainsi? Est-ce que c'est parce qu'il y a un vacuum au niveau des règles ou de la réglementation, et que vous pensez qu'il y a eu des précédents qui ont fait en sorte que tous les gens qui possédaient une police d'assurance n'avaient pas les mêmes droits? D'où vient cette idée?
M. Lafrenière : Actuellement, il y a quatre compagnies — sous juridiction fédérale — dont les détenteurs de police ne sont pas à 100 p. 100 des membres votants. Donc, la situation que nous examinons, comme celle de la compagnie Economical, se retrouve ailleurs. Nécessairement, on craint que ces gens à qui on restreint le droit de vote, selon les règlements, se divisent les surplus de la compagnie qui a été bâtie à l'aide de tous les détenteurs de police depuis la fondation de la compagnie; on a peur que ça leur donne le droit d'être propriétaires de cette compagnie. Et toutes ces compagnies ont plus de 100 ans.
La sénatrice Hervieux-Payette : Ainsi, vous n'avez pas tellement envie que tout cela se retrouve devant les tribunaux pendant les 10 prochaines années.
M. Lafrenière : Absolument pas. D'ailleurs, on ne voit pas comment on peut protéger ces gens devant les tribunaux quand on n'inclut pas, dans la loi, qu'eux-mêmes devraient avoir le droit de vote lors d'une démutualisation.
La sénatrice Hervieux-Payette : Donc, si je comprends bien, parmi les détenteurs de police actuelle et les détenteurs de police antérieure — et, on a parlé plus tôt de 175 ans, on peut déterrer les morts —, qui devrait avoir le droit de vote?
M. Lafrenière : Tous les détenteurs de police actuelle, mais tous les détenteurs de police. Évidemment, on ne peut pas déterrer les morts, mais tous les détenteurs de police actuelle devraient avoir le droit de vote, et pas seulement ceux qui ont la notation « police mutuelle », dans le cas de ceux qui ont établi des différences entre les polices mutuelles et celles qui ne sont pas mutuelles.
Soit dit en passant, sur les 91 membres, tous les autres — à part les 3 qui ont des polices mutuelles différentes de toutes les polices — ont atteint un taux de 100 p. 100 en ce qui a trait au nombre de leurs membres qui ont des polices mutuelles.
[Traduction]
La sénatrice Hervieux-Payette : Je comprends que Co-operators est un groupe de sociétés mutuelles regroupées sous le nom de Co-operators. Est-ce que je me trompe?
M. Lowery : Non, au Canada, la loi sur les assurances ne nous permet pas d'incorporer des sociétés d'assurance coopératives. Ce n'est tout simplement pas permis, si bien que Co-operators est de propriété coopérative. C'est en fait une entité (Co-operators Group Limited), qui est une coopérative selon la Loi canadienne sur les coopératives. Elle est donc constituée comme n'importe quelle autre coopérative selon les principes de l'Alliance coopérative internationale d'un vote par membre. Elle possède des filiales d'assurance, qui sont des sociétés par actions, mais nous essayons d'administrer l'organisation de façon globale.
Pour vous donner un exemple, sous le régime de la Loi sur les sociétés d'assurances, quand une institution financière reçoit 2 milliards de dollars en capitaux, elle est tenue de distribuer publiquement 35 p. 100 de ses parts. Nous avons réclamé une modification législative, qui a été adoptée par le Parlement. Nous avions demandé une exemption parce que ce n'est pas conforme aux valeurs de base d'une coopérative que d'avoir des actionnaires motivés par le capital, c'est-à-dire qui cherchent à réaliser des gains spéculatifs. Il y a ensuite un autre 65 p. 100 qui appartient à un groupe qui a pour principale mission de favoriser l'éducation coopérative et le réinvestissement dans le développement économique coopératif de la collectivité. Cette exemption nous a donc été accordée, et tant que ces sociétés d'assurance appartiennent à Co-operators, notre société d'assurance générale bénéficie de cette exemption.
La sénatrice Hervieux-Payette : Dois-je en comprendre que vous appuyez la position de l'Association des courtiers d'assurances du Canada?
M. Lowery : Tout à fait, à tous les égards. Nous appuyons l'idée selon laquelle le règlement est l'aspect le plus important. Les dispositions qu'on trouve dans le projet de loi d'exécution du budget sont intéressantes, parce qu'elles accordent des pouvoirs, mais la vérité, c'est que tous les détails seront dans le règlement.
Si je regarde un peu le règlement sur la conversion des assureurs vie, il a été élaboré dans un contexte différent, parce que ces entreprises avaient l'appui fort des assurés votants et compte tenu du fait que les produits offerts par une société d'assurance vie s'apparentent davantage à des dépôts ou à des produits d'épargne, comme M. Masnyk en a fait l'observation, si je ne me trompe pas. Ainsi, la valeur de l'actif sous-jacent peut être liée à ceux qui contribuaient au capital.
En assurance multirisques, les polices sont d'un an, et beaucoup d'entre elles contribuent à peine à l'actif sous-jacent de l'organisation d'une perspective actuarielle. Je suis totalement d'accord avec cela. Si vous êtes prêt à nous recevoir de nouveau, je serais ravi de vous parler du règlement, parce que nous avions proposé des modifications la dernière fois.
Le sénateur Black : Je vous remercie tous et toutes d'être ici. J'espère que vous pourrez m'aider à comprendre l'enjeu fondamental que vous avez présenté et sur lequel il semble y avoir mésentente légitime. Je comprends que la démutualisation est une option dont les sociétés pourraient se prévaloir ou non, selon leur préférence. Est-ce exact?
Mme Cavan : Oui, la Loi sur les sociétés d'assurances dicte que les sociétés peuvent choisir de se démutualiser.
Le sénateur Black : Seriez-vous tous d'accord pour dire que c'est une option? S'il s'agit bel et bien d'une option, personne ne serait obligé de s'en prévaloir, évidemment. Si une société mutuelle choisissait de préserver son statut pour des raisons légitimes — vous en avez donné quelques exemples, monsieur Lowery, comme le service aux collectivités rurales —, elle choisirait simplement de ne pas exercer cette option, n'est-ce pas?
M. Lowery : C'est vrai, mais je pense qu'il faut tenir compte du contexte. Ce n'est pas toujours qu'une société mutuelle d'assurance choisit de se démutualiser. Il y a diverses autres parties qui créent l'environnement dans lequel la société mutuelle d'assurance va se démutualiser. Par exemple, il y a des cabinets d'avocats et d'autres groupes qui vont faire de la publicité, afin d'essayer de trouver des gens pour prendre le leadership, comme des titulaires de polices, pour obtenir des votes en faveur de la démutualisation. C'est souvent ce qu'on appelle de la « libération » de valeur. La véritable question aujourd'hui ne serait donc pas de savoir si l'on peut ou non libérer de la valeur; bien sûr qu'on le peut, et le règlement va le permettre. La véritable question serait plutôt la suivante : la valeur constituée au fil du temps par les membres assurés des mutuelles, sur la base de certaines valeurs, devrait-elle être libérée au profit d'un petit groupe? C'est la question sous-jacente.
Le sénateur Black : Je comprends que c'est votre point de vue. On pourrait toutefois sûrement faire valoir que la société mutuelle pourrait être plus efficace dans ses communications avec ses membres pour permettre aux gens de dire non. Ne serait-ce pas là un autre point de vue?
M. Lowery : Oui, bien sûr.
M. Lafrenière : Est-ce que je peux dire quelque chose à ce sujet?
Le sénateur Black : Bien sûr.
M. Lafrenière : Nous craignons que le surplus accumulé depuis plus de 275 ans soit attirant pour certaines personnes qui voudraient s'en accaparer, mais nous ne voudrions pas que ce soit une incitation à la démutualisation, puis que nous nous retrouvions avec des sociétés par actions. C'est un encouragement à partir avec les surplus accumulés au fil des générations par tous les titulaires de polices, alors que dans les faits, dans certaines entreprises, il n'y a qu'une petite partie de l'ensemble des titulaires de polices qui ont le droit de vote, et ces personnes se croient propriétaires de l'entreprise et de ces surplus.
La sénatrice ringuette : Pour commencer, monsieur le président, je ne pense pas être en situation de conflit d'intérêts, mais mon assurance habitation est chez Economical. Je le mentionne pour que tout le monde le sache.
Je comprends bien ce que vous dites. Quelle serait la part de marché au Canada que les mutuelles d'assurance et le mouvement coopératif détiennent en matière d'assurance?
M. Masnyk : Environ 25 p. 100 du marché.
La sénatrice Ringuette : Economical serait incluse dans ces 25 p. 100, en ce moment?
Mme Gavan : Je ne sais pas s'il nous inclut dans ces statistiques, parce que nous n'avons jamais été membres de l'ACCAM.
M. Lowery : La question portait sur la part de marché de l'assurance mutuelle, et je crois qu'Economical serait incluse dans cette proportion, pas seulement les membres de l'ACCAM.
M. Lafrenière : Les membres de l'ACCAM détiennent 12,7 p. 100 du marché dans le secteur privé. Il y a donc d'autres mutuelles qui ne sont pas membres de l'ACCAM qui sont incluses dans ce chiffre.
La sénatrice Ringuette : Madame Gavan, on nous a dit qu'au cours des trois dernières années, le nombre de titulaires de polices d'assurance mutuelle chez Economical est passé de 1 million à 940. C'est toute une chute.
Mme Gavan : Ce n'est pas exact.
La sénatrice Ringuette : Pouvez-vous rectifier les faits?
Mme Gavan : Au départ, Assurance Economical était une mutuelle, puis elle est devenue ce qu'on appelle une mutuelle au comptant. Il y a plus de 100 ans, nous avons commencé à offrir des polices non mutuelles de même que des polices mutuelles. Avec le temps, particulièrement dans les années 1970, le nombre d'assurés en assurance mutuelle a dégringolé jusqu'au seuil d'environ 130 seulement, parce que l'entreprise, par ses courtiers, avait de la difficulté à vendre de l'assurance mutuelle. Elle a ensuite déployé beaucoup d'efforts pour élargir ce bassin dans les années 1980, mais c'est resté un produit peu attrayant. La Loi sur les assurances de l'Ontario ne nous permettait d'émettre de polices d'assurance mutuelle que si l'assuré était prêt à signer ce qu'on appelait un billet de primes. C'était en fait du capital appelé, c'est-à-dire que le conseil d'administration pouvait appeler les assurés ayant signé un billet de primes à payer jusqu'à trois fois leur prime annuelle. Les agents avaient beaucoup de difficulté à vendre ce produit. Beaucoup de membres de l'ACAC m'ont dit directement à quel point il était difficile de vendre ces polices.
Lorsque nous avons pris un moratoire sur l'émission de nouvelles polices, quand nous avons commencé à envisager la démutualisation, en 2010, nous avions environ 940 assurés.
La sénatrice Ringuette : En assurance mutuelle?
Mme Gavan : En assurance mutuelle. Le Groupe Assurance Economical...
La sénatrice Ringuette : Combien avez-vous de polices d'assurance non mutuelle?
Mme Gavan : Nous avons quelques filiales par actions de propriété exclusive. Quand M. Lafrenière a mentionné le chiffre de plus d'un million, celui-ci comprend nos filiales par actions qui ne font pas partie de la société mutuelle. La société mutuelle compte environ 800 000 assurés.
La sénatrice Ringuette : Quelles sont les filiales par actions dont vous parlez?
Mme Gavan : Depuis 50 ou 60 ans, nous sommes venus à la rescousse de quelques mutuelles en difficulté. Elles s'étaient démutualisées de différentes façons et se trouvaient toutes en difficultés financières. Elles se sont converties en sociétés par actions. La plupart de leurs activités ont été transférées à Economical, mais nous avons utilisé ces entités légitimement converties dans différents secteurs d'activités, parce que nous ne pouvons pas émettre de polices d'assurance collective par la même entité que celle qui émet des polices d'assurance directes ordinaires ou des polices pour les entreprises non standard, en raison de la réglementation provinciale.
La sénatrice Ringuette : J'essaie toujours de comprendre le fait que vous déteniez des actions dans beaucoup de sociétés démutualisées. Combien y en a-t-il?
Mme Gavan : Quatre.
M. Lowery : Puis-je vous aider à répondre à cette question? Dans l'industrie de l'assurance, les sociétés d'assurance sont limitées dans le type d'activités qu'elles peuvent mener en fonction de leur catégorie de société d'assurance. Mise à part toute la question de la mutualité, la plupart des sociétés possèdent plusieurs entreprises différentes parce que chacune d'elles ne peut offrir qu'une certaine catégorie de produits et ne peut pas se faire concurrence à elle-même pour le même produit. C'est la structure d'Economical, en dessous de sa structure principale.
Je dirais que la réponse à votre question, c'est que dans la mutuelle, il y a 800 000 titulaires de police et 1 000 titulaires de police d'assurance mutuelle. Ce sont les nombres clés, dans le contexte de la présente discussion.
La sénatrice Ringuette : Je vous remercie. Je pense toujours — et c'est mon opinion — que la preuve sera dans les règles établies pour protéger les nombreuses générations, et la génération actuelle, de sorte qu'elles soient protégées en cas de démutualisation.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Je suis très embêtée par ce cas; on entend dire que les mutuelles peuvent se démutualiser ou que c'est possible de le faire. Ça se fait en tout cas en ce qui concerne l'assurance vie. Par ailleurs, la façon dont les différents intervenants ont présenté la problématique qui nous importe dans le cadre du projet de loi C-31 me donne l'impression que les articles contenus dans le projet de loi C-31 devaient régler le cas d'une société mutuelle qui est la compagnie Economical. J'aimerais vous entendre à ce sujet. Si c'est le cas, j'ai beaucoup de difficulté avec cela, c'est-à- dire d'apporter un amendement à un projet de loi en visant une seule entreprise. C'est ma lecture, à ce jour, de la manière dont vous avez développé vos arguments. Pouvez-vous me démontrer qu'il ne s'agit pas de cela et que c'est pour le bien de tous?
M. Lafrenière : C'est pour tous. Des règlements de démutualisation des compagnies d'assurance vie sont en vigueur; la Loi sur les compagnies d'assurance couvre à la fois les assureurs-vie et les assureurs généraux. Des règlements ont été élaborés pour l'assurance vie seulement — on l'a vu à la fin des années 1990 — et ils ont eu un impact. La part de marché des compagnies d'assurance mutuelle en assurance vie est passée de plus de 50 p. 100 à moins de 5 p. 100 en deux ou trois ans. On met en œuvre maintenant des projets de règlements en assurance générale. On a dit au ministre qu'on ne voulait pas de règlements de démutualisation. Sauf que, il y a trois ans, une compagnie a exprimé un intérêt à se démutualiser, et le ministre des Finances s'est dit que s'il y avait maintenant un intérêt à la démutualisation, il allait élaborer des règlements de démutualisation. Maintenant, de notre côté, nous disons que des surplus ont été gagnés; en assurances générales, on parle de compagnies qui existent depuis très longtemps, et même depuis 175 ans. Un surplus a été gagné par chacune de ces générations et il y un grand intérêt à toucher cet argent. Toutefois, il faut que ce soit fait de façon propre. Ce surplus n'appartient pas à la cohorte actuelle des détenteurs de polices; elle appartient à tous les détenteurs de polices des générations passées. Selon nous, il s'agit d'un bien collectif, qui appartient à la communauté et qui est indivisible. C'est la grande question en ce qui concerne la démutualisation. S'il n'y avait pas un intérêt personnel à prendre l'argent qui est là, je vous garantis qu'il n'y aura pas de démutualisation. L'intérêt principal, c'est l'argent qu'il y a là.
La sénatrice Bellemare : Cela m'amène à ma deuxième question : dans le cas qui nous intéresse, combien d'argent de surplus a été accumulé pour la compagnie Economical?
M. Lafrenière : La meilleure personne pour répondre à cette question est là.
[Traduction]
Mme Gavan : Quand nous avons annoncé notre intention de démutualiser notre capital et notre surplus, notre actif total était alors d'environ 1,2 milliard de dollars. Nous avons eu, depuis, trois années très fructueuses et notre actif est maintenant d'environ 1,6 milliard de dollars.
Le sénateur Moore : Madame Gavan, vous avez dit qu'une loi de l'Ontario avait créé une nouvelle catégorie appelée « titulaire de police d'assurance mutuelle ». Est-ce exact?
Mme Gavan : Non. Jusqu'au début des années 2000, pour émettre une police d'assurance en Ontario, selon la Loi sur les assurances de l'Ontario, il fallait avoir ce qu'on appelait un billet de primes. Il s'agissait de l'obligation légale de rembourser un maximum de trois années en primes annuelles. Étant donné que nous étions soumis à cette loi, l'interdiction d'éliminer ce billet de primes était intégrée dans les règlements administratifs de l'entreprise.
Le sénateur Moore : Quand est-ce apparu?
Mme Gavan : Je n'ai pas pu reculer assez dans le temps pour trouver.
Le sénateur Moore : Cette loi ontarienne?
Mme Gavan : Oui. Nous émettons des polices au comptant depuis plus de 100 ans.
Le sénateur Moore : Donc, parmi toutes les personnes qui ont eu des polices d'assurance émises par la mutuelle Economical, une poignée seulement a accepté ce nouveau véhicule? Je ne comprends pas cela. Est-ce qu'on a donné la possibilité à chaque titulaire de police? Je ne comprends pas comment cela s'est déroulé. Quel a été le processus?
Mme Gavan : Non. Il n'était possible d'offrir une police d'assurance mutuelle que pour certaines catégories, selon la Loi sur les assurances de l'Ontario; je pense que c'était pour le feu, le bétail et les intempéries. Nous ne pouvions donc pas offrir d'assurance mutuelle de manière générale. Nous ne vendons pas directement les polices; cela se fait par distribution indépendante.
Le sénateur Moore : Par l'intermédiaire de courtiers.
Mme Gavan : En effet. Ils ont dit éprouver beaucoup de difficulté à vendre les polices d'assurance mutuelles en raison de cette exigence additionnelle — la signature de ce billet de primes.
Le sénateur Moore : Donc, de tous les titulaires et de toutes les polices d'assurance que vous aviez, il n'y en avait que 200? Et maintenant, c'est 940. Qu'est-il arrivé à tous les autres titulaires de police? Ils sont tous partis?
Mme Gavan : Non. La personne morale qu'est Economical, Compagnie mutuelle d'assurance en a plus de 800 000 maintenant. Mais ce ne sont pas des polices d'assurance mutuelle, lesquelles donnent le droit de vote, conformément aux règlements de la compagnie.
Le sénateur Moore : Quand cela s'est produit, est-ce que tous les détenteurs de police ont eu l'occasion de voter? Ils sont dans une compagnie mutuelle. Ont-ils pu voter, et tous décider qu'il y aurait une nouvelle catégorie de détenteurs de police qui seraient les seuls à pouvoir voter et participer à la distribution, au bout du compte? Comment cela s'est-il produit?
Mme Gavan : C'est dans les règlements depuis plus de 100 ans. Je ne peux pas vous dire comment cela s'est produit.
Le sénateur Moore : C'est plutôt fondamental.
M. Lowery : J'aurais quelque chose à dire à propos du principe. Je ne sais pas combien d'entre vous ont connu Claude Gingras, mais il était l'avocat-conseil général de la Mutual Life avant sa démutualisation. Il était un expert des mutuelles. Il était avocat. Il est allé travailler pour le ministère des Finances après son départ de la Mutual Life, après qu'elle se soit démutualisée.
Selon le principe de l'organisation mutualiste, ce sont les détenteurs de police qui en sont propriétaires. En gros, c'est presque de la coassurance. Les gens sont dans des collectivités locales. C'est presque de l'autoassurance. Le billet de primes s'appuie sur le principe selon lequel si vous voulez participer à la compagnie, vous pourriez être appelé à donner du capital additionnel. C'est presque comme le mécanisme de la Lloyd, sauf que ce n'est pas aussi complexe. C'est une responsabilité limitée, mais ça reste un élément de passif possible. La véritable question à poser est celle de savoir combien de personnes ont eu un appel concernant le billet de primes, si des billets de primes ont été offerts ou quand cela s'est arrêté.
Le sénateur Moore : C'est ce que je veux savoir. Les centaines de milliers d'actionnaires ont-ils tous eu la chance de le faire?
M. Lafrenière : Je vais vous faire remonter le cours de l'histoire, si vous me le permettez.
Le président : Veuillez le faire très rapidement, je vous prie.
M. Lafrenière : Je vais vous faire remonter un peu plus le cours de l'histoire, si je puis. Quand nous parlons de 100, 150 années passées, les mutuelles exigeaient la prime à la fin de l'année, plutôt qu'au début de l'année. C'était ainsi parce que ces compagnies en étaient à leurs débuts. Elles n'avaient pas de surplus. Elles étaient pauvres. Les agriculteurs étaient pauvres et créaient leurs propres compagnies. À la fin de l'année, ils savaient exactement ce qu'ils devaient à la compagnie pour toutes les pertes et pour l'administration au cours de l'année.
Puis ces compagnies se sont retrouvées en concurrence avec des compagnies par actions venues surtout d'Angleterre. Quand cela s'est produit, il a été convenu que les primes seraient payées au début de l'année et qu'on saurait ce qu'on devait à la compagnie, plutôt que de ne le savoir qu'à la fin de l'année.
De plus, au moment de la Crise, comme vous pouvez l'imaginer, nous allions voir nos titulaires de police pour avoir l'argent, mais c'était impossible parce qu'ils n'avaient pas d'argent pour nous payer. Certaines compagnies ont fait faillite.
Nous avons donc cessé de les faire payer à la fin de l'année pour plutôt les faire payer au début de l'année et exiger un peu plus pour créer un surplus, de manière à ne pas avoir à redemander de l'argent à nos titulaires.
Ce sont les organismes de réglementation qui nous disaient, à l'époque : « Vous n'avez pas de surplus, ou presque pas. Oui, vous pouvez les faire payer au début de l'année, mais vous voulez avoir la possibilité de revenir à vos titulaires, à la fin de l'année, si vous n'avez pas assez d'argent pour couvrir les pertes et tout cela. » C'est ainsi que nous avons créé les billets de primes.
Par la suite, nous avons amené les compagnies à se regrouper et à créer des fonds de garantie. Grâce aux fonds de garantie, si une compagnie faisait faillite, nous ne sauverions pas la compagnie, mais nous protégerions les titulaires de police de cette compagnie. Tout le monde serait indemne, au bout du compte.
Avec des compagnies qui se regroupent pour assurer la protection de tous, les organismes de réglementation disent : « D'accord, nous pouvons maintenant nous débarrasser du système des billets de notes, puisqu'il n'a plus de raison d'être. » Un groupe va protéger les titulaires de police et ce n'est en fait pas les compagnies.
Le président : Il faudrait terminer. J'ai un certain nombre de sénateurs qui veulent poser des questions.
[Français]
Le sénateur Maltais : Il faut bien comprendre que, dans les sociétés mutuelles, on retrouve deux sortes de polices. Il y a les polices assurées et les polices ordinaires. Il ne faut pas avoir peur des mots. Il y a chez vous peut-être quelques centaines de polices assurées et 800 000 ou 900 000 autres détenteurs de polices.
La mutualisation, les billets de dépôt, visaient à capitaliser la compagnie ou la société. C'était payé sur trois ans pour capitaliser la compagnie. Est-ce qu'une compagnie d'assurance comme Economical fait de la réassurance?
[Traduction]
Mme Gavan : Nous achetons de la réassurance pour nous protéger en cas de pertes énormes causées par des catastrophes; nous ne conservons ainsi qu'un certain montant de risque au sein de la compagnie.
[Français]
Le sénateur Maltais : Qu'est-ce qui vous empêche d'accéder à des capitaux, de vous fusionner ou d'aller chercher des associés pour conserver la force de votre mutuelle?
[Traduction]
Mme Gavan : Quand le comité spécial de notre conseil d'administration s'est penché sur l'option de démutualisation, ils ont envisagé divers scénarios hybrides comportant l'acquisition de capital sur le marché, comme ce que les Co- operators ont fait, mais cela ne change pas énormément les choses.
[Français]
Le sénateur Maltais : Si vous vous démutualisez, vous allez devenir une compagnie par actions. Vous engageriez- vous à faire en sorte que tous les actionnaires, peu importe le type de police, soient détenteurs du capital qui demeure, comme cela s'est fait dans les compagnies d'assurance vie?
[Traduction]
Mme Gavan : Au moment de notre démutualisation, nous comptons demeurer une compagnie appartenant à des intérêts canadiens, à des actionnaires canadiens.
[Français]
Le sénateur Maltais : Ce n'est pas ma question. Si vous vous démutualisez, vous engageriez-vous maintenant à ce que les 800 000 ou un million de membres deviennent des actionnaires pour la valeur de la compagnie cotée en bourse?
[Traduction]
Mme Gavan : Il est ressorti très clairement de nos consultations avec le ministère des Finances que les actions ne se limiteront pas aux polices d'assurance mutuelle et que l'on veille aux intérêts de tous les détenteurs de police.
Le président : La réponse que vous avez obtenue ne correspond peut-être pas à ce que vous voulez entendre.
Mme Gavan : Je ne suis pas la personne responsable des règlements auxquels nous nous soumettons pour notre démutualisation. Le ministère des Finances a tenu un processus de consultation. Ils nous ont indiqué clairement que les actions seront accessibles à nos titulaires de police.
[Français]
Le sénateur Maltais : Le problème est lié au fait que c'est le jackpot qui vous intéresse.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk : Ma question va dans le sens de celle du sénateur Black sur les droits des titulaires de police antérieurs, que je ne comprends pas bien. J'ai de l'assurance dommages chez Sask Mutual. J'arrête d'acheter et je me tourne vers SGI. Sask Mutual se démutualise et veut devenir une société ouverte. Pourquoi aurais-je quelque chose à dire là-dessus, en tant qu'ancien titulaire ou actionnaire?
M. Lafrenière : Vous n'auriez vraisemblablement pas votre mot à dire. Nous ne pouvons reculer dans le temps, aux générations précédentes, et dire : « Que pensez-vous de la démutualisation? » Cependant, ce que nous pouvons dire aux générations passées, c'est qu'elles ont contribué à bâtir le surplus de cette société. Vous y avez probablement contribué quand vous étiez membre de cette compagnie.
Ce surplus ne devrait pas appartenir à la cohorte actuelle de titulaires de police qui profiterait de ce qui a été accumulé par les générations passées. Cet argent ne devrait pas être celui de l'actuelle cohorte. Il devrait appartenir à la communauté et être indivisible. C'est ce que nous disons. Une compagnie peut se démutualiser si elle le souhaite, mais elle ne devrait pas partir avec le surplus accumulé par les générations passées pour les générations à venir de cette compagnie.
Le sénateur Tkachuk : Je ne comprends pas cela, mais en laissant une compagnie d'assurance pour faire affaire avec une autre, je ne pense pas que, dans 25 ans, j'ai tant contribué à cette compagnie. L'un des avantages de posséder des actions dans une société n'est-il pas de pouvoir les donner à mes enfants pour qu'ils puissent profiter de mon investissement? Je ne peux pas faire cela avec une compagnie d'assurance.
M. Lafrenière : Tout à fait, mais si vous me suivez bien, quand vous achetez des actions, vous les payez.
Le sénateur Tkachuk : Bien sûr. C'est comme ça que je paie l'assurance.
M. Lafrenière : C'est différent. Quand vous contractez de l'assurance d'une mutuelle, vous achetez une protection pour l'année. Vous contribuez aussi — ou pas, parce que vous avez des pertes cette année-là — au surplus de cette compagnie. Cette compagnie accumule son surplus depuis de nombreuses générations. Elle n'a jamais vendu de parts. Vous avez acheté des parts. Vous avez payé pour les dernières générations quand vous avez acheté ces parts.
Le sénateur Tkachuk : À ma connaissance, j'ai contracté de l'assurance. J'aimerais poser une question à M. Lowery.
Le syndicat du blé s'est privatisé et est devenu Viterra. Je n'en suis plus membre, et ce, depuis au moins 20 ans. Est- ce qu'ils m'ont consulté même si je ne suis plus membre depuis 20 ans, sur les avantages que je pourrais obtenir? Est-ce que les membres du syndicat du blé du moment ont été les seuls à profiter de cela? Je pense bien que oui.
M. Lowery : C'est tout à fait vrai. Le syndicat du blé était une coopérative. Il a profité à tous ses membres, tandis que la mutuelle compte une petite cohorte, les titulaires de police d'assurance mutuelle. La grande majorité, environ 99 p. 100, n'est pas composée de titulaires de police d'assurance mutuelle, mais les deux catégories de titulaires ont contribué au même montant. Cela ne se compare pas au syndicat du blé, lequel a échangé les parts que les membres avaient avant dans la coopérative contre des actions de la société cotée en bourse, mais c'était pour tous les membres et non pour un petit groupe.
Le sénateur Tkachuk : Je sais, mais ma contribution antérieure n'a pas été reconnue.
M. Lowery : Vous avez tout à fait raison, mais je pense que nous parlons de deux choses bien différentes. Dans un cas, vous avez des membres. Même si, aujourd'hui, une mutuelle disait — comme c'était généralement le cas — que tous les titulaires de police participaient, je pense que ce serait moins aberrant que ce qui est proposé en vertu des règles actuelles.
Le président : Mme Gavan a quelque chose à dire.
Le sénateur Tkachuk : J'ai une autre question très courte, après son commentaire.
Mme Gavan : J'aimerais répéter que le ministère des Finances a clairement indiqué qu'il s'agit d'un partage plus général et que ce n'est donc pas, comme M. Lowery le disait, un petit groupe seulement. Les bienfaits seront plus généraux. C'est ce que le ministère des Finances nous a indiqué. Nous ne décidons pas des règlements, mais c'est ce qu'on nous a donné comme indication. C'est ce que nous communiquons à nos actionnaires.
Le président : Sénateur Tkachuk, posez votre brève question.
Le sénateur Tkachuk : J'ai acheté de l'assurance-vie pour mes deux enfants, auprès d'une mutuelle qui s'est démutualisée.
Le président : La question, s'il vous plaît.
Le sénateur Tkachuk : Voici la question. Je reçois une lettre, et tout un paquet d'actions de la compagnie. J'étais un titulaire de police très content, et j'avais toujours l'assurance — mes enfants, en fait, avaient l'assurance. J'avais l'argent et toutes ces actions que je n'avais pas avant. N'est-ce pas ce qui va se passer pour les titulaires d'assurance de cette compagnie? Je pose la question. Je ne le sais pas.
M. Lafrenière : Dans le cas des compagnies d'assurance-vie, le partage a été très général. Il n'en est pas ainsi dans ce cas-ci.
La sénatrice Hervieux-Payette : Le petit groupe ne représente que 1 p. 100 de près d'un million de titulaires. Qui sont ces gens? S'agit-il d'employés, d'anciens employés, de courtiers ou d'anciens courtiers? Qui sont-ils? Nous aimerions savoir pourquoi il y a une différence. Paient-ils la même chose pour leur police? Pour la même protection, leur taux est- il le même?
Mme Gavan : Les polices se trouvent un peu partout. Les titulaires sont généralement des personnes plus âgées qui se trouvent un peu partout dans le sud-ouest ontarien. Ce sont des gens qui, généralement, avaient une communauté d'intérêts avec Economical. Les administrateurs, gestionnaires et employés qui possèdent des polices sont minoritaires. En fait, les gestionnaires et administrateurs actuels qui ont des polices sont une minorité au sein de notre équipe de direction.
Les polices étaient vendues aux commerçants locaux qui avaient de l'assurance personnelle auprès d'Economical. L'assurance n'était disponible que pour la résidence principale; pas pour l'auto ou le commerce. Ce n'était que pour la résidence principale. Les normes de qualité appliquées à la souscription étaient strictes, car nous devions veiller à ce que les gens soient en mesure de payer le billet de primes au besoin. Cela se faisait par l'intermédiaire de nos courtiers.
La sénatrice Hervieux-Payette : Est-ce qu'une personne peut avoir plus d'une police d'assurance mutuelle? Avez- vous plus d'une police d'assurance mutuelle?
Mme Gavan : Personne ne peut en avoir plus d'une parce qu'on ne peut avoir qu'une résidence principale.
Le président : Vous vous engagez sur un terrain glissant, au Sénat, en parlant de résidence principale.
J'aimerais dire qu'il y avait longtemps que je n'avais pas eu une discussion aussi stimulante et animée, peu importe le panel. Je vous félicite d'avoir présenté vos points de vue. Au nom de tous les membres du comité, je vous remercie d'avoir comparu aujourd'hui. Merci beaucoup. La séance est levée.
(La séance est levée.)