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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 17 - Témoignages du 5 novembre 2014


OTTAWA, le mercredi 5 novembre 2014

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, pour examiner la situation actuelle du régime financier canadien et international.

Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Aujourd'hui, nous accueillons avec plaisir M. Jeremy Rudin, le surintendant des institutions financières. C'est sa première comparution devant le comité. M. Rudin a été nommé en juin dernier au poste de surintendant, et ce, pour un mandat de sept ans.

Avant sa nomination au BSIF, M. Rudin était au gouvernement fédéral depuis 20 ans. Durant les six dernières années, il avait occupé le poste de sous-ministre adjoint responsable de la Direction de la politique du secteur financier au ministère des Finances. À ce titre, il était chargé de l'élaboration de mesures stratégiques visant à assurer l'accès au crédit pendant la crise financière mondiale, en plus de participer à de nombreux dossiers touchant à la politique du secteur financier.

Il a également représenté le Canada à des comités permanents du Conseil de stabilité financière. Avant d'entrer à la fonction publique, M. Rudin a enseigné l'économie à l'Université de la Colombie-Britannique et à l'Université Queen's. M. Rudin est diplômé de l'Université de Toronto et de l'Université Harvard et est titulaire d'un doctorat en économie de l'Université de Stanford. J'ajouterai, monsieur Rudin, que c'est un curriculum des plus remarquables.

Je rappelle au comité et aux gens qui écoutent que le rôle du BSIF, dont M. Rudin est le surintendant, est de réglementer et de surveiller les institutions financières et les régimes de retraite privés sous le régime d'une loi fédérale, dans le but d'éviter aux déposants et aux souscripteurs de subir des pertes indues et de contribuer ainsi à la confiance du public dans le système financier canadien.

Le BSIF est un organisme indépendant et autofinancé qui rend compte de ses activités au Parlement par l'entremise du ministre des Finances.

Monsieur Rudin, nous sommes ravis de vous accueillir aujourd'hui. Vous avez la parole.

Jeremy Rudin, surintendant, Bureau du surintendant des institutions financières du Canada : Je vous remercie beaucoup de votre aimable présentation, monsieur le président.

[Français]

Je suis heureux d'être ici en votre compagnie et en présence des membres du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Aujourd'hui, j'aurai le plaisir de vous parler du Bureau du surintendant des institutions financières et de mes nouvelles fonctions de surintendant.

[Traduction]

Commençons par mettre en contexte le travail qu'effectue le BSIF à titre d'instance de réglementation et de surveillance prudentielle des institutions financières fédérales.

Au Canada, la réglementation prudentielle et la réglementation des pratiques financières sont deux disciplines distinctes. C'est une des caractéristiques fondamentales de notre régime de réglementation financière, un régime dit à deux piliers qu'on retrouve aussi ailleurs dans le monde, notamment au Royaume-Uni et en Australie.

À titre d'instance de réglementation prudentielle du Canada, le BSIF contribue à la stabilité financière en exerçant une étroite surveillance de la solvabilité, de la liquidité, de la sûreté et de la solidité des entités financières fédérales. Il encadre quelque 400 institutions financières — surtout des banques et des sociétés d'assurances et de fiducie — et plus de 1 200 régimes de retraite qui se trouvent, pour la plupart, dans le secteur privé.

La réglementation et la surveillance des institutions financières passent par trois questions que nous nous posons constamment. Est-ce qu'elles mesurent, surveillent et gèrent leurs risques prudemment? Est-ce qu'elles ont suffisamment de capitaux ou, autrement dit, est-ce qu'elles pourraient absorber les pertes et continuer d'offrir des services à leurs clients en cas de revers financier important, mais plausible? Est-ce qu'elles ont suffisamment de liquidité ou, autrement dit, assez d'argent liquide et d'actifs pouvant facilement être convertis en argent liquide pour honorer leurs engagements, même en situation de crise?

Le régime qui gouverne les relations entre une institution financière et ses clients, qu'on appelle pratiques financières, se distingue de la supervision prudentielle à bien des égards. Au Canada, c'est une agence différente, l'Agence de la consommation en matière financière du Canada, souvent appelée l'ACFC, qui supervise les pratiques bancaires. Par exemple, c'est elle qui surveille les règles visant l'information à fournir aux consommateurs qui s'apprêtent à souscrire un prêt hypothécaire, et les règles qui régissent le calcul du montant maximal accordé aux titulaires de carte de crédit.

[Français]

Le BSIF travaille en étroite collaboration avec les autres membres du Comité de surveillance des institutions financières que j'ai le privilège de présider. Il se compose de cinq organismes.

[Traduction]

Donc, parmi les membres du Comité de surveillance des institutions financières, il y a le BSIF, où je travaille et dont la principale sphère d'activité est, comme je l'ai mentionné, la réglementation prudentielle des institutions financières fédérales. Le ministère des Finances y est aussi représenté. Comme vous le savez, il élabore des lois fédérales en vue de l'approbation de recommandations au Parlement, il produit le budget fédéral et s'occupe de divers autres aspects liés à la politique et la gestion financières.

La Banque du Canada est aussi représentée au comité. Son principal champ de compétence est la politique monétaire, mais elle intervient également dans le secteur financier, notamment en ce qui a trait au système de paiements et au soutien de la liquidité du système financier dans son ensemble. La Société d'assurance-dépôts du Canada en fait aussi partie. Elle garantit les dépôts confiés aux institutions financières fédérales. Enfin, il y a l'Agence de la consommation en matière financière du Canada qui, comme je l'ai dit, encadre la réglementation des pratiques bancaires. L'ACFC oriente aussi les initiatives fédérales en matière de littéracie financière.

Les mandats des membres du Comité de surveillance des institutions financières comportent tous des aspects liés à la politique du secteur financier et sont complémentaires. Les attributions respectives des membres ne se recoupent pas, ou pratiquement pas. Elles ont été conçues ainsi. Ensemble, ces mandats forment un cadre de surveillance intégré qui joue un rôle déterminant dans le maintien d'un système financier solide, stable et concurrentiel, dans l'intérêt de tous les Canadiens.

Ce comité, qu'on appelle le CSIF, se réunit régulièrement pour communiquer de l'information, coordonner ses actions et informer le gouvernement fédéral des questions qui concernent le système financier.

Dans ce contexte, je vais maintenant vous parler des rouages du BSIF et de ses méthodes de travail. Il est important de bien comprendre que le BSIF n'a pas pour mission d'empêcher les institutions financières de prendre des risques. Dans le secteur financier, le risque fait partie de la prestation de services, et la croissance de l'économie dépend de la capacité d'offrir des services financiers avec efficience et sans interruption. Toutefois, la dernière crise financière nous a montré qu'en l'absence de saines pratiques de gestion du risque et de suffisamment de capitaux et de liquidité, la prise excessive de risques de la part des institutions financières est le meilleur moyen d'aller droit à la catastrophe.

Toutes les instances de réglementation doivent trouver un juste milieu entre la nécessité de réprimer la témérité et celle de permettre aux institutions financières de prendre des risques raisonnables et de soutenir efficacement la concurrence ici et à l'étranger.

Les activités du BSIF s'articulent autour de deux grands axes. Le premier consiste à produire des lignes directrices à l'intention des institutions financières, qui expriment nos attentes en matière de capitaux, de liquidités et de la gestion du risque dans son ensemble. Le deuxième consiste à nous assurer que chaque institution financière observe nos lignes directrices. C'est le volet de la surveillance.

Dans la mesure du possible, nous n'imposons pas de règles normatives et détaillées. Nous préférons formuler des principes directeurs en termes généraux, ce qui laisse aux institutions financières la marge de manœuvre voulue pour s'acquitter de leurs responsabilités en prenant des risques raisonnables et en gérant ces risques. En fait, nombre de nos directives à l'intention des institutions financières portent sur les mesures de gestion du risque qu'elles doivent prendre, et dont elles doivent rendre compte.

Voyons cela de façon plus concrète, grâce à des exemples.

Nous avons publié une ligne directrice sur la gouvernance d'entreprise qui demande entre autres aux institutions de veiller à ce que leur conseil d'administration compte à la fois des personnes qui ont de l'expérience du secteur des services financiers et des personnes qui possèdent les compétences nécessaires pour encourager une saine gouvernance d'entreprise, plus particulièrement en matière de gestion du risque.

Nous avons aussi publié une ligne directrice qui porte sur le capital requis pour pouvoir composer avec toute perte importante qui pourrait survenir. Comme je l'ai dit, ce capital est un coussin de sécurité qui permettrait à l'institution d'absorber les pertes considérables et de continuer d'offrir des services.

Depuis la crise financière, le BSIF a considérablement augmenté les normes de fonds propres bancaires, ce qui correspond aux nouvelles normes internationales qui ont fait leur apparition dans la foulée de cette crise. Qui plus est, les normes de fonds propres bancaires que nous estimons importantes pour l'ensemble du système financier canadien sont plus élevées que celles qui visent les autres banques. Autrement dit, le coussin de protection des banques canadiennes est mieux garni, ce qui leur permet d'encaisser les coups durs.

J'aimerais maintenant parler de la réforme mondiale du secteur financier. Le Canada est, et demeurera, un tenant de la normalisation internationale de la réglementation du secteur financier. C'est en ce moment le Conseil de stabilité financière, ou CSF, qui dirige cette normalisation.

Les accords internationaux établissant des critères de base sont le meilleur moyen d'amener les institutions financières canadiennes présentes sur le marché mondial à se montrer prudentes sans nuire à leur capacité de faire concurrence aux institutions étrangères.

À lui seul, cet argument démontre clairement la nécessité d'adhérer à ces accords, et d'être perçu comme tel.

[Français]

Comme vous le savez, et je l'ai justement dit, le Conseil de stabilité financière est l'organisme créé par le G20 au lendemain de la crise pour coordonner la réforme financière mondiale. Sa mission consiste à identifier les problèmes à l'origine des crises financières, les crises potentielles, et à recommander des actions visant à améliorer la résilience des marchés et des institutions.

[Traduction]

Le nœud de la réforme mondiale repose, comme je l'ai dit, sur l'élaboration de normes internationales minimales à l'intention des institutions financières.

Grâce à sa réputation sur le plan de la stabilité financière, le Canada a pu exercer une influence considérable sur le contenu de ces normes, lesquelles ont une vaste portée et visent entre autres le capital de risque, les ratios de levier et le risque opérationnel.

Cela étant dit, nous adaptons toujours très soigneusement les exigences mondiales à la réalité canadienne avant de les mettre en œuvre.

Le BSIF continue de cibler les objectifs prioritaires présentés en détail dans son rapport annuel 2013-2014, déposé au Parlement au début d'octobre. Les priorités sont de réagir aux risques liés à l'économie, de réagir aux risques qui découlent des réformes de la réglementation, de se doter d'un effectif performant et efficace et d'améliorer l'infrastructure administrative.

Nous allons poursuivre dans cette voie tout en souscrivant aux principes de contrôle des dépenses auxquels les organismes fédéraux sont tenus.

Pour ne pas allonger inutilement mon intervention et vous donner une idée de ce que nous faisons dans le domaine de la gestion du risque, je ne parlerai que des deux premiers éléments de la liste des priorités.

En ce qui concerne la nécessité de réagir aux risques liés à l'économie, nous devons répondre aux craintes soulevées par la faiblesse des taux d'intérêt et le taux élevé d'endettement des ménages en exerçant une surveillance plus étroite des institutions que nous réglementons, en examinant de près l'activité de crédit aux particuliers et en leur demandant d'effectuer des simulations de crise.

[Français]

Nous avons réalisé des examens approfondis dans d'autres domaines, notamment la cybersécurité, le risque opérationnel, la gouvernance des entreprises et les risques de catastrophes naturelles, telles que les tremblements de terre et les inondations.

[Traduction]

Nous avons publié des lignes directrices touchant de nombreux aspects de la gestion du risque, notamment la souscription de prêts hypothécaires résidentiels, l'évaluation que les sociétés d'assurances réalisent concernant leurs propres risques et leur propre solvabilité, les normes de liquidité et, bien sûr, les normes de fonds propres réglementaires, dont j'ai parlé précédemment.

[Français]

Le BSIF a aussi participé au programme d'évaluation du secteur financier du Fonds monétaire international, le FMI. Dans son rapport, le FMI souligne la qualité du travail de surveillance du système financier au Canada effectué par les membres du Comité de surveillance des institutions financières.

[Traduction]

Je vais maintenant énumérer brièvement quelques-uns des projets entrepris pour atteindre notre deuxième objectif prioritaire, qui est de réagir aux risques qui découlent des réformes de la réglementation. En très étroite collaboration avec les banques et les sociétés d'assurances, nous nous employons à recueillir des données et à évaluer l'incidence des nouvelles normes de fonds propres qui leur ont été imposées à la suite de la crise financière mondiale. Nous travaillons aussi avec les banques aux nouvelles normes de liquidité, et nous avons suivi de près l'évolution des normes comptables internationales et leur impact sur le cadre de capital des banques et des sociétés d'assurances canadiennes, et nous avons contribué à leur élaboration.

Que ce soit au Canada ou à l'étranger, la plupart des réformes visaient les très gros acteurs du secteur des services financiers, c'est-à-dire les institutions financières dont la faillite pourrait compromettre la stabilité économique du pays. Au Canada, six institutions sont considérées comme étant d'importance systémique intérieure. Le BSIF leur a imposé des normes plus strictes en matière de capital et d'information financière, en plus d'exercer à leur endroit une surveillance accrue.

En même temps, nous sommes conscients de la nécessité d'avoir des attentes différentes vis-à-vis des institutions financières de petite taille, car leur faillite ne menacerait pas la stabilité financière, et leurs ressources sont moindres que celles des banques d'importance systémique intérieure. Il importe pour ces institutions de bien gérer leurs risques, mais nous sommes conscients que l'application d'une solution universelle pourrait nuire à leur croissance et à leur capacité d'affronter la concurrence. Par conséquent, nous explorons les meilleures façons d'appliquer nos méthodes de surveillance et de réglementation à ces institutions, afin que nos exigences n'entravent pas inutilement leur croissance. Cela dit, ces institutions doivent tout de même maintenir des ratios de capital établis et respecter des normes de prudence en matière de gestion du risque.

Il y a plus de six ans, Lehman Brothers demandait la protection des lois sur la faillite. L'échec de cette institution a précipité la crise financière mondiale, ce qui a déclenché une amélioration radicale des mesures de réglementation et de surveillance prudentielles. Il est important de reconnaître que même sans ces améliorations, le système financier et l'économie du Canada se sont tirés relativement bien de la crise, et ce, grâce à la saine gestion des institutions financières canadiennes, conjuguée à une réglementation et à une surveillance diligentes. Depuis la crise, comme je l'ai mentionné, nous avons resserré les exigences relatives au volume et à la qualité des fonds propres et nous avons haussé nos attentes relatives à la gestion du risque dans bien des domaines. Cela n'a pas empêché le secteur canadien des services financiers de profiter d'excellents résultats.

Nous allons maintenir le cap sur les quatre objectifs prioritaires présentés dans notre rapport annuel, et nous allons continuer de renforcer l'approche canadienne de la surveillance et de la réglementation prudentielles.

[Français]

Je vous remercie de m'avoir offert l'occasion de vous donner un bref aperçu du travail du BSIF et de nos projets en cours. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

[Traduction]

Le président : Merci, monsieur Rudin. J'aimerais revenir sur une des premières choses que vous avez dites dans votre exposé. Si vous me le permettez, je vais vous citer directement :

À titre d'instance de réglementation prudentielle du Canada, le BSIF contribue à la stabilité financière en exerçant une étroite surveillance de la solvabilité, de la liquidité, de la sûreté et de la solidité des entités financières fédérales.

Si nous reculons de 25 ou 30 ans, probablement à l'époque de la création du BSIF, dans les années 1980 — je pense que c'était en 1987 —, d'après mes souvenirs, nous avons eu plusieurs faillites de banques. Je pense qu'il y avait eu entre autres la Banque canadienne de commerce. Est-ce que j'ai le bon nom?

M. Rudin : Oui. C'est bien cela.

Le président : Il y avait la Norbanque, et de très nombreuses fiducies en grave difficulté. C'est simplement pour dire qu'à cette époque, notre structure financière, au Canada, n'aurait pas retenu l'attention du monde entier.

Tout à coup, 25 ou 30 ans plus tard, nous sommes le modèle en ce qui concerne ce qu'il faut avoir comme surveillance réglementaire, la solidité de nos banques, et cetera. Qu'est-ce qui s'est passé en 25 ans? Cela ne s'est pas produit simplement parce que quelqu'un a rédigé de nouveaux règlements. D'après vous, qu'est-ce qui s'est passé? Qu'est-ce qui a amené ce changement?

M. Rudin : Divers facteurs sont entrés en jeu. Entre autres, il y a certainement eu une hausse importante des fonds propres requis par les institutions financières, les institutions de dépôt, de manière plus générale. La capacité d'absorber les pertes en capital est l'un des aspects les plus importants de la réglementation et de la supervision des banques, car c'est la capacité d'absorber les pertes — graves, mais quand même plausibles — tout en continuant à servir les clients. Cela garantit la continuité. Pour des raisons faciles à comprendre, les institutions sont réfractaires à l'idée d'avoir tous les fonds propres que le public voudrait.

Il est important que ce soit obligatoire. Les règles du jeu sont alors les mêmes pour toutes les institutions, et le système est beaucoup plus stable. Nous avons été capables de le faire au Canada. Il s'est produit une autre chose qui a été utile, mais pas autant qu'elle l'aurait pu, et c'est la création de normes internationales visant les fonds propres requis. Comme je l'ai dit, cette première convention établie dans la ville suisse de Bâle et qu'on a appelée Bâle I a contribué à permettre aux organismes de réglementation d'imposer des normes de prudence, des normes de fonds propres, sans inutilement entraver la capacité de leurs banques d'affronter la concurrence. Cela étant dit, mes prédécesseurs ont très judicieusement examiné les exigences de Bâle I et II et, ayant conclu que cela ne suffisait pas pour les besoins du Canada, ils ont délibérément établi pour nos banques des normes de fonds propres plus rigoureuses que celles qui avaient été acceptées à l'échelle internationale. Cela a porté des fruits dès le début de la crise financière, car les fonds propres étaient là, et on savait qu'ils étaient là.

Pour d'autres raisons que nous aurons un peu le temps de discuter, les banques canadiennes dans l'ensemble n'ont pas connu les pertes énormes que les banques d'autres pays ont subies. Cependant, le simple fait de savoir que les fonds étaient là alors que se déroulait la crise a contribué à maintenir la confiance dans le système, et les fonds auraient été très utiles si les pertes subies avaient été supérieures.

Ce sont des facteurs importants qui entrent en ligne de compte. Il y a aussi qu'on ne se contente pas de réglementer la chose au Canada, on exerce une supervision. Une supervision étroite des institutions financières, un examen rigoureux de leurs pratiques de gestion du risque et l'adoption — dans la foulée de la faillite de la BCC et de la Norbanque — d'une approche plus proactive pour encadrer les institutions en péril sont tous des parties intégrantes de la loi qui nous gouverne, qui est très importante pour la stabilité du secteur financier.

Cela dit, il faut donner aux dirigeants de ces institutions eux-mêmes le crédit qui leur revient.

Le président : Puis-je déduire de vos observations que les Canadiens peuvent être rassurés par le fait que la collaboration entre la Société d'assurance-dépôts du Canada, le BSIF, le ministère des Finances et la Banque du Canada a pour effet de nous doter du filet de sécurité important dont nous jouissons au Canada aujourd'hui?

M. Rudin : Je suis d'accord. Cette forte relation de travail, qui prend en partie ses racines dans la loi et en partie dans la coutume, nos attentes et notre culture sont des aspects importants de notre système. Le FMI et d'autres observateurs les citent comme des forces de notre système. Quand on regarde un peu le genre de difficultés qui s'observent dans d'autres pays, le manque de communication entre les divers organes de gouvernement est souvent cité comme une faiblesse.

Le sénateur Tannas : Je vous souhaite la bienvenue au comité, monsieur. Je vous remercie de votre déclaration préliminaire. J'ai deux questions à vous poser. Je vais mettre la table pour ma deuxième question, que je vais poser au tour suivant, si vous me le permettez. Je précise d'abord que je suis du domaine de l'assurance et que j'y suis encore actif. On parle beaucoup, dans notre industrie, de l'énorme risque et des inquiétudes liés aux séismes, particulièrement dans la vallée du bas Fraser, en Colombie-Britannique, et au Québec, qui pourraient frapper de plein fouet le secteur de l'assurance canadien et même se répercuter sur le secteur bancaire, dans l'éventualité d'hypothèques impayées sur des maisons endommagées qui ne seraient pas assurées ou qui le seraient par une société d'assurance qui ne serait pas en mesure de payer.

Je sais que c'est un sujet qui évolue et je pense que les membres du comité aimeraient savoir où le BSIF déploie ses efforts et comment il exerce son influence à ce jour, puis comment vous entrevoyez l'avenir.

M. Rudin : En gros, le BSIF a pris deux mesures importantes à cet égard au cours des dernières années. Nous avons d'abord révisé nos lignes directrices concernant le capital que les sociétés d'assurance devraient détenir pour se prémunir contre le risque de séisme, et nous avons haussé le seuil minimal de capital requis.

Ainsi, nous demandons aux sociétés d'assurance d'estimer, à l'intérieur d'une fourchette plausible, le séisme plus grave susceptible de les toucher. Habituellement, pour les séismes comme pour les inondations, le calcul se fonde sur un certain nombre d'années; et nous avons considérablement prolongé l'horizon et augmenté le seuil du capital requis. C'est une mesure de protection supplémentaire pour les titulaires de police contre le risque qu'une société d'assurance fasse faillite après un séisme.

Vous mettez le doigt sur un élément important. Comme d'autres institutions financières, dont les banques, nous devons évaluer la probabilité d'un séisme, élaborer des scénarios et tester leurs portefeuilles pour évaluer le risque auquel ces sociétés sont exposées. Ce sont deux mesures positives. Elles n'ont pourtant pas mené, comme vous l'avez souligné, à une couverture d'assurance contre les séismes aussi élevée qu'on pourrait le souhaiter.

Le président : Monsieur Tannas, le comité alloue le temps de parole en fonction du temps et non du nombre de questions, donc je vous prie de continuer.

Le sénateur Tannas : Fantastique. Vous avez obtenu ce poste, mais vous venez de l'extérieur du BSIF. Votre prédécesseur avait fait ses classes au sein même du bureau. Vous êtes là depuis un peu plus d'une centaine de jours. Quelles sont vos observations? Sans surprendre personne, pouvez-vous nous faire part de vos observations sur le renouvellement que vous constatez au sein de l'organisation?

Le sénateur Massicotte : Quelle a été votre première erreur?

M. Rudin : Je vais répondre d'abord à votre première question puis je vais espérer que vous allez oublier la deuxième. Pour vous mettre en contexte, le Comité de surveillance des institutions financières ouvre une fenêtre qui permet à tous les membres de surveiller les activités du BSIF. J'ai siégé à ce comité dès que je suis devenu SMA, Politique du secteur financier, il y a plus de six ans. J'avais donc un œil sur ses activités, ce qui m'a beaucoup aidé.

J'ai été très impressionné, mais pas surpris, de la qualité du personnel qui travaille au BSIF, par les personnes, et pas seulement en raison de leur bagage et de leurs compétences, quoiqu'ils soient impressionnants. Beaucoup d'employés, particulièrement le personnel de supervision, qui viennent du secteur financier ont un niveau d'engagement tel qu'ils tirent énormément de satisfaction de leur travail. Comme je l'ai dit, je n'en ai pas été surpris, mais c'est gratifiant.

J'ai fait une chose assez commune pour un nouveau directeur : j'ai essayé de rencontrer le plus grand nombre de personnes possible, si bien que j'ai rencontré, un à un, mes 50 employés les plus haut placés. Ils me font toujours part de réflexions très éclairées. Il y a quelques pierres angulaires qui orientent le travail du BSIF : notre cadre de supervision, notre mandat ciblé et la qualité des collègues, qui comptent beaucoup pour les gens. C'est très impressionnant et cela me rassure.

Pour ce qui est de l'avenir, nos priorités cette année sont très semblables à nos priorités de l'an dernier. Nous devons poursuivre le renouvellement interne de notre infrastructure. Nous allons mettre encore plus l'accent sur l'amélioration de nos mécanismes de supervision, comme c'est mentionné brièvement dans le rapport annuel. Nous avons embauché beaucoup de nouveaux superviseurs après la crise. C'est vraiment une bonne décision qu'a prise mon prédécesseur. Ce n'est pas simple de recruter des gens et d'en faire des superviseurs. Nous devons porter attention à la façon dont nous améliorons notre culture de la supervision et examiner nos façons de faire pour accroître notre efficacité et optimiser davantage nos ressources.

Pour terminer, nous venons de traverser une période de croissance très rapide et justifiable, mais si les circonstances le permettent, cette période tire à sa fin, et nous devrons passer plus de temps à réfléchir à la façon de gérer nos ressources d'une enveloppe existante plutôt que de continuellement l'augmenter.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Monsieur Rudin, félicitations pour votre nomination.

M. Rudin : Merci beaucoup.

Le sénateur Massicotte : En 2008-2009, on a vécu une crise financière et on en assume encore les conséquences. Cette crise financière a permis de constater que le Canada était très bien positionné en ce qui concerne ses institutions financières. Néanmoins, une crise financière mondiale affecte tous les joueurs dans le monde, surtout un pays comme le Canada qui exporte et importe beaucoup.

Il y avait une volonté de tous les pays, dont ceux du G8 en particulier, d'initier une réforme visant à minimiser le risque de voir se reproduire une telle crise. En 2008-2009, beaucoup de pays, y compris les marchés émergents, se sont engagés à y arriver. Cette volonté est-elle toujours là? Est-ce qu'on verra arriver de bons résultats? Pensez-vous que l'on arrivera à bon port?

M. Rudin : À mon avis, cette volonté existe toujours. À l'échelle mondiale, le Canada a fait beaucoup de progrès, surtout avec le nouvel accord de Bâle, qui établit les nouvelles normes en ce qui a trait aux capitaux des banques. Il s'agit d'une augmentation nette du montant et de la qualité du capital.

L'autre chose importante, c'est que nous avons convenu d'établir un processus de revue des pairs pour vérifier si les pays respectent les nouvelles normes et à quel point ils les respectent, et cela, à mon avis, encouragera le respect des normes.

Ceci étant dit, il y a des aspects qui sont plus simples et d'autres, plus difficiles. Un des aspects plus difficiles, c'est d'en arriver à une cohérence entre les régimes réglementaires afin que les institutions financières actives à l'échelle mondiale puissent participer sans avoir à gérer un fardeau énorme, sans difficulté causée par le manque de cohérence entre la réglementation d'un pays et celle d'un autre.

Cela demeure un travail en progression. Pour un pays, c'est une chose de décider de changer la réglementation ou de resserrer les normes d'un régime. Il est plus difficile d'arriver à quelque chose qui fonctionne de façon cohérente d'un pays à un autre. C'est important, parce qu'il y a beaucoup de gens qui ont une contrepartie dans un pays et une autre contrepartie dans un autre pays. Donc, lorsque les régimes diffèrent, cela empêche la prestation efficace des services financiers.

[Traduction]

Le sénateur Black : Monsieur Rudin, à l'instar de mes collègues, je vous félicite de votre nomination et je vous remercie infiniment pour le service que vous continuez de rendre aux Canadiens.

Comme pour tout, la situation est toujours plus claire après coup. Si vous vous projetiez dans l'avenir, pourriez-vous nous dire quelles seraient les deux ou trois choses qui vous inquiètent le plus dans votre nouveau rôle?

M. Rudin : Bien sûr, je vais commencer par la principale, qui recoupe pour ainsi dire toutes les autres.

Quand on lit sur l'histoire d'une crise financière dans un autre pays ou une grande institution, je dirais qu'il y a toujours une constante : il y avait toute une série de signes d'avertissement; c'était évident; c'était un accident inévitable; les gens auraient dû le voir venir; ils n'ont pas reconnu les signes précurseurs ou ils ont volontairement fermé les yeux. C'est ce qui me dérange le plus. Y a-t-il quelque chose qui saute aux yeux, mais que nous ne voyons pas? C'est une question que je me pose constamment.

En coopération avec nos partenaires du CSIF, nous essayons très fort de scruter l'horizon pour repérer les faiblesses. Comme vous le savez, la Banque du Canada le fait pour le système dans son ensemble et publie ses résultats dans sa revue du système financier. C'est tellement récurrent dans les faillites des grandes institutions financières que je tiens toujours pour acquis qu'il y a quelque chose que nous devrions voir; je rends mes collègues fous. Qu'est-ce que c'est? Est-ce que c'est ceci, cela? Qu'y a-t-il que nous ne voyons pas? C'est la première chose.

Ensuite, je tiens toujours pour acquis que je ne mettrai pas le doigt sur le bobo, ce qui est un peu déprimant, mais je ne peux pas me permettre de prétendre que mes collègues et moi allons arriver à le voir, tout aussi intelligents, dévoués et motivés soyons-nous. C'est pourquoi il est si important de miser sur le capital et les liquidités, parce que ce sont des protections générales. Elles ne dépendent pas d'un scénario donné. Quand on a beaucoup de capital, on peut absorber les pertes, quelles qu'elles soient.

Il y a une chose très importante à l'échelle internationale, comme au Canada d'ailleurs, c'est d'améliorer ce qu'on appelle la qualité du capital. C'est une expression un peu bizarre : qu'est-ce que du capital de qualité? Du capital de qualité permettra d'absorber les pertes, quel que soit le scénario. Avant, on considérait comme du capital des choses qui pouvaient nous permettre d'absorber les pertes dans certaines circonstances, mais moins dans d'autres. On exige dorénavant plus de capital de grande qualité et plus de liquidités. Ce sont des protections générales, les meilleures pour nous prémunir contre le scénario que je ne vois peut-être pas.

Le sénateur Black : Pour changer de sujet, si vous me le permettez, en tant que principal organisme de réglementation et de supervision des régimes de retraite régis par le gouvernement fédéral, pouvez-vous nous parler de la qualité de la gestion du risque, de la gouvernance et de la solvabilité dans les plans que vous surveillez?

M. Rudin : Avec plaisir. La majorité des règlements qui régissent les régimes de retraite sont établis par le gouvernement, et nous les administrons. Ils mettent l'accent sur deux éléments en particulier. Le premier s'applique à tous les régimes de retraite, il vise des éléments de base, mais importants, comme de vérifier si l'argent déduit du chèque de paie des gens est bel et bien transféré dans le régime de retraite, par exemple. Nous avons pour mandat de protéger les intérêts des membres et des retraités en particulier, c'est donc important.

Pour les régimes de retraite définis, dans lesquels beaucoup de contributions sont investies contre promesse d'investissement particulier à long terme, la stratégie d'investissement et la gestion du risque sont très importantes pour protéger la sécurité des prestations futures. Dans ce contexte, nous vérifions si le plan d'investissement est prudent.

Le règlement prévoit, à juste titre à mon avis, une bonne marge de manœuvre pour les gestionnaires, parce que ce sont les gestionnaires d'un régime de retraite qui en sont les ultimes responsables, tout comme les gestionnaires et les conseils d'administration des banques et des sociétés d'assurance sont responsables de leurs résultats en bout de ligne. Ils doivent toutefois assurément faire preuve de prudence, et nous analysons divers indicateurs pour déterminer si nous pouvons anticiper les choses.

Cela dit, à l'aube de la crise financière, bon nombre de nos régimes de retraite se fondaient sur une stratégie d'investissement qui a été durement touchée par les grands changements qui ont eu lieu. Dans un régime de retraite type, la sagesse voulait que comme pour n'importe quel autre investissement et selon les principes actuariels, on détienne des actions et des obligations à long terme. Quand les taux d'intérêt se sont mis à chuter, la valeur actualisée du passif a explosé. La valeur du portefeuille d'obligations a également augmenté, mais pas autant que la valeur du passif.

Vous vous souviendrez que la valeur des actions a chuté radicalement et que les mesures de ratio de solvabilité ont réduit radicalement aussi. Il y a eu toute une reprise lorsque la valeur des actions s'est remise à augmenter et jusqu'à tout récemment, avec la hausse des taux d'intérêt à long terme jusqu'à un niveau un peu plus normal, mais nous surveillons la situation de très près. La solvabilité demeure vulnérable à la volatilité du marché des actions, c'est très clair.

Le sénateur Black : J'en comprends, pour ceux et celles qui nous regardent, qui sont à la retraite et dont les régimes sont régis et supervisés par votre bureau, que vous faites confiance aux dispositions actuelles en matière de gestion du risque, de gouvernance et de solvabilité qu'on trouve dans les régimes de retraite fédéraux que vous surveillez?

M. Rudin : Eh bien, nous avons 1 200 régimes de retraite. Je pense que nous avons un bon système, dans l'ensemble, mais qu'il n'est pas conçu pour garantir la solvabilité des régimes de retraite. Il se fonde sur l'idée que les régimes sont le fruit de négociations privées. Il doit y avoir quelqu'un pour voir aux intérêts des retraités et des membres, et c'est le travail du bureau du surintendant, mais en bout de ligne, les décisions qui concernent l'investissement et les prestations sont des décisions privées, et ce sont les gestionnaires qui en sont responsables. Il est écrit très explicitement dans la loi que cela n'annule pas pour autant la possibilité que les prestations doivent diminuer dans certains cas. C'est ainsi que notre système fonctionne.

La sénatrice Ringuette : Merci. J'ai deux questions à poser à M. Rudin.

Le printemps dernier, ce comité s'inquiétait beaucoup des coopératives d'assurance qui voulaient devenir des sociétés non coopératives. Participeriez-vous à la supervision de cette transition?

M. Rudin : Je crois, madame la sénatrice, que vous parlez de la possibilité de démutualiser une société d'assurance multirisques ou générale. Le gouvernement a établi par loi qu'une société d'assurance multirisques peut se démutualiser, mais seulement conformément au règlement établi par le gouvernement, et ce règlement n'a pas encore été promulgué, il n'est donc pas encore en vigueur.

Je pense que mes anciens collègues du ministère des Finances ont lancé un processus de consultation sur ce que doit contenir ce règlement, mais que le règlement lui-même n'est pas encore établi. Je ne sais donc pas encore quel rôle le BSIF jouera, s'il y a lieu, dans la supervision de ce genre de démutualisation. Il ne serait pas surprenant que nous ayons un rôle à jouer, parce que nous avons clairement joué un rôle dans la démutualisation des sociétés d'assurance-vie, mais ce rôle reste à déterminer.

La sénatrice Ringuette : Mon autre question ne préoccupe pas que moi. On parle de la bulle de l'immobilier. Pour les grands édifices à condos qu'on trouve dans toutes les grandes villes du Canada, à ma connaissance, la règle générale semblait être de commencer à construire l'édifice quand 60 p. 100 des propriétés sont vendues.

Quelles sont vos lignes directrices à l'intention des institutions financières sur ces immenses projets commerciaux? On entend dire depuis presque deux ans qu'il y a une bulle immobilière au Canada. Quelles sont vos responsabilités à cet égard? Comment intervenez-vous?

M. Rudin : Permettez-moi de vous parler d'abord des hypothèques résidentielles en général, après quoi je vais vous parler de prêts pour la construction de condominiums, puisque je crois que c'est l'une des questions que vous avez soulevées.

Nous avons une série de lignes directrices relativement nouvelles concernant les hypothèques résidentielles en particulier. Ces lignes directrices s'adressent aux institutions qui offrent ce genre de prêt hypothécaire. Elles visent surtout les principes. Nous prescrivons que toute institution offrant des prêts hypothécaires résidentiels doit se doter d'une politique de souscription. La décision sur le contenu de cette politique revient à chaque institution, mais elle doit en avoir une, faire un suivi et évaluer son rendement en fonction de sa politique pour ne pas commencer à descendre par inadvertance dans la courbe de crédit, sans même le savoir.

Il y a des seuils de démarcation dans nos lignes directrices sur la souscription de prêts hypothécaires qui ne se fondent pas exclusivement sur des principes. D'abord, les hypothèques doivent être amorties. On ne peut pas consentir de prêts hypothécaires, à tout le moins des prêts avec un rapport prêt-valeur élevé, s'ils ne sont pas amortis, s'ils ne rapportent pas avec le temps. Il y a des marges de crédit hypothécaire qui ne s'amortissent pas nécessairement, et nous établissons un seuil de démarcation selon lequel le rapport prêt-valeur maximal pour une marge de crédit hypothécaire est de 65 p. 100. Cette règle vise à ce que les dépenses soient amorties, en général, ce qui réduit beaucoup le risque à long terme.

L'autre seuil de démarcation consiste à évaluer l'aptitude de l'emprunteur à rembourser. L'un des grands problèmes aux États-Unis pendant la crise des prêts hypothécaires à risque élevé, c'est que les gens prenaient des hypothèques sans tenir compte de leur aptitude à les rembourser, même si le créancier était parfois convaincu qu'ils n'en seraient pas capables. L'idée était que l'argent pourrait être récupéré grâce à la vente de l'hypothèque à une personne moins informée ou à la saisie de la propriété pour cause de non-remboursement, puis à la vente de la propriété. Il faudra donc indéniablement que les créanciers évaluent avec soin l'aptitude à rembourser et la valeur de la propriété. On ne peut pas faire preuve de négligence à cet égard.

L'autre élément important pour la stabilité financière, bien sûr, c'est d'examiner attentivement l'ampleur du capital, la capacité d'absorption des pertes des prêteurs résidentiels, sur papier.

Je dois mentionner que nous supervisons aussi les assureurs d'hypothèques privés. Nous surveillons le risque de non-paiement sur les hypothèques dont le rapport prêt-valeur est élevé, soit au-dessus de 80 p. 100. Le créancier ne conserve pas ces hypothèques, la loi exige qu'elles soient confiées à un assureur hypothécaire, c'est-à-dire à la SCHL ou à un assureur privé. Nous supervisons le travail des assureurs privés et nous examinons celui de la SCHL, c'est assez similaire, mais ce n'est pas exactement comme une supervision.

La sénatrice Ringuette : C'est récent.

M. Rudin : Il est également récent que nous ayons des lignes directrices provisoires pour les assureurs hypothécaires, que nous allons parachever sous peu.

Pour ce qui est des prêts de construction, nous n'avons pas de lignes directrices détaillées sur les prêts de construction ou les autres formes de prêt, qu'il s'agisse de cartes de crédit ou de prêts automobiles. Les lignes directrices sur les hypothèques résidentielles sont plutôt l'exception pour nous, et nous les avons préparées à cause de la très grande exposition au risque dans le système, en raison de l'importance du portefeuille des prêts hypothécaires résidentiels. Évidemment, dans une certaine mesure, les précautions qui limitent la prise de risque ou améliorent la gestion du risque que représentent les prêts hypothécaires résidentiels réduisent également le risque sur le marché des condominiums, parce qu'il y a des acheteurs pour les condos et que bon nombre d'entre eux contractent des hypothèques, pas tous, mais beaucoup.

C'est une décision qui relève du ministre plutôt que du BSIF, mais si quelqu'un veut acheter un condo pour le louer, il ne peut pas souscrire d'hypothèque assurée, si bien que le rapport prêt-valeur de l'hypothèque ne peut pas excéder 80 p. 100.

Il y a quelques institutions, pas beaucoup, qui consentent des prêts de construction, et nous suivons de près le marché immobilier commercial en général, pour lequel nous avons encore une fois des obligations de principe : ces institutions doivent avoir des politiques de souscription en fonction desquelles elles mesurent et suivent leur exposition au risque, et nous examinons attentivement le capital qu'elles adossent à ces risques.

La sénatrice Ringuette : Vous en surveillez une partie.

M. Rudin : Oui.

La sénatrice Ringuette : Très bien. Quoi qu'il en soit, cela n'apaise pas mes inquiétudes, je pense qu'il y a un problème, mais nous verrons bien. Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Bellemare : J'aimerais revenir à la problématique soulevée par le sénateur Black en ce qui concerne les régimes de pension privés sous responsabilité fédérale. C'est un sujet qui m'intéresse particulièrement. Pour revenir un peu à votre cadre d'évaluation des risques, vous avez expliqué, par rapport au régime privé, tantôt, que la solvabilité de certains régimes peut être faible. Ils ne sont pas tous pleinement capitalisés et solvables. Vous avez soulevé aussi l'idée que certains régimes devraient peut-être arriver à réduire leurs prestations.

Alors, voici ma question : est-ce que le Bureau du surintendant des institutions financières prévoit des règles précises pour les régimes de retraite privés qui ont un gros problème de solvabilité? Est-ce qu'il y a, par exemple, des règles selon lesquelles l'entreprise doit améliorer sa solvabilité, sa capitalisation sur 5 ans ou 10 ans? Est-ce qu'il y a des règles de cette nature-là? C'est ma première question.

M. Rudin : De telles règles existent déjà. Les régimes de retraite sont contraints à des évaluations de solvabilité. Lorsqu'il y a un manque à gagner, il faut un plan pour y arriver. L'échéancier est généralement d'environ cinq ans. Ceci étant dit, s'il y a un autre événement négatif, par exemple, des réductions de la valeur des actifs, cela mène à un autre plan de retour à la solvabilité.

Ces règles sont établies par le gouvernement selon les recommandations du ministère des Finances. Il est de notre devoir de surveiller, de gérer et de vérifier les régimes de retraite pour nous assurer qu'ils sont conformes aux règlements. En ce qui concerne la protection des régimes de retraite qui sont dans une situation moins favorable ou, par exemple, qui comportent un ratio de solvabilité de moins de 80 p. 100, nous appliquons des restrictions pour éviter toute détérioration continuelle de la solvabilité.

La sénatrice Bellemare : Pour continuer dans cette veine, on sait qu'avec les taux d'intérêt faibles et les rendements, il y a des booms dans le monde boursier, mais dans l'ensemble, la rentabilité est plus faible qu'elle ne l'était, la présente valeur des régimes de retraite est plus forte et les cotisations doivent être plus élevées. En tant que surintendant, avez-vous une idée du taux de cotisation en pourcentage de la masse salariale dans le cas des régimes traditionnels à prestations déterminées? Quel serait le taux de cotisation global d'équilibre pour arriver à remplir les promesses?

M. Rudin : Je n'ai pas ces chiffres au bout des doigts. Si je me souviens bien, la moyenne de ratio d'insolvabilité à la fin de l'année précédente s'est améliorée pour les régimes de retraite fédéraux de plus de 90 p. 100, soit 91 p. 100 ou 92 p. 100. Je pourrai vous fournir les chiffres précis, qui sont encourageants.

En même temps, cette proportion déguise une variation importante entre les régimes. Si on prend la même situation, avec les indices des bourses à un tel niveau et les taux à long terme à un tel niveau, il y a des divergences importantes dans les ratios de solvabilité. C'est en raison de la démographie des régimes, de l'historique du plan d'investissement et des investissements actuels. Tout cela diffère d'une façon importante d'un régime à l'autre.

La sénatrice Bellemare : J'ai une autre question à vous poser. À l'heure actuelle, connaissez-vous le taux de cotisation moyen des régimes de retraite? Est-ce une information disponible dans les régimes fédéraux à prestations déterminées? Lorsqu'on examine le montant que les employés et l'employeur cotisent, est-ce qu'on a une idée des taux actuels? Ce serait une option à retenir, soit d'augmenter les taux plutôt que de réduire les prestations.

M. Rudin : Je comprends. Je ne sais même pas si on a ce chiffre, parce qu'on demande des rapports au sujet de la solvabilité. Je ne dis pas qu'on ne demande pas cette information, mais je ne sais pas. Une autre chose à souligner, c'est qu'il y a des régimes qui sont fermés, c'est-à-dire qu'il n'y a personne qui y contribue actuellement. Les plans existent toujours, parce qu'il y a des prestations à payer en raison de la participation précédemment. Il y a très peu de personnes qui contribuent à leur régime, parce que le plan n'est pas offert aux nouveaux employés. Dans certains cas, le plan est complètement fermé et il n'y a pas d'option qui permettrait d'augmenter les cotisations, puisqu'il n'existe plus.

La sénatrice Bellemare : Les régimes sont transformés en régimes à cotisations déterminées.

M. Rudin : Il s'agit de la possibilité de continuer de payer les prestations sur la performance des fonds investis de prime abord, et après, les contributions potentielles de l'employeur.

Le sénateur Maltais : Monsieur Rudin, félicitations.

M. Rudin : Merci beaucoup.

Le sénateur Maltais : Nous sommes certains que vous vous acquitterez de cette immense tâche avec toute la dextérité qu'on vous connaît.

M. Rudin : Merci beaucoup.

Le sénateur Maltais : Je viens aussi du monde des assurances, non pas comme propriétaire, comme mon collègue, le sénateur Tannas, mais comme courtier et assureur. On remarque un phénomène, aujourd'hui, qu'on ne voyait pas il y a peut-être une vingtaine d'années : il s'agit des acquisitions à répétition des entreprises d'assurances et de fiducie d'assurance. Trouvez-vous inquiétant le fait de se retrouver peut-être avec 10 ou 15 grands secteurs qu'on ne pourra éviter, alors que ce sont eux qui contrôleront le monde de l'assurance dans le domaine de l'assurance générale?

M. Rudin : Nous avons la responsabilité d'assurer la bonne gestion et la capitalisation des institutions. Nous avons aussi la responsabilité de faire attention à la concurrence et de veiller à l'efficacité du secteur. Un secteur qui est plus ouvert aux nouveaux concurrents sera plus efficace. Nous n'avons pas le mandat de considérer directement l'effet d'une fusion sur la concurrence. Cette responsabilité incombe au Bureau de la concurrence. Potentiellement, c'est quelque chose que le ministre peut prendre en considération. En ce qui concerne le cycle de vie des institutions, la création d'une nouvelle institution, le changement de contrôle et le reste, même si je dois faire une recommandation au ministre, c'est le ministre qui, en fin de compte, prend les décisions. Celui-ci pourra considérer des aspects non prudentiels à ce moment.

Le sénateur Maltais : Au Québec, le Mouvement des caisses Desjardins est devenu la deuxième plus grande coopérative de financement au monde, et ce n'est pas peu dire. Il fait également beaucoup d'acquisitions. Selon un système de recapitalisation, il vendait des parts chaque année. Or, cette année, il a cessé de le faire, probablement pour nombre de raisons. Je m'en trouve privé de déductions d'impôt, mais c'est la vie.

Le Mouvement des caisses Desjardins fait beaucoup d'acquisitions là où vous avez un rôle de contrôle. Il a même acquis une banque. Vous vous souviendrez de la Banque Laurentienne, qui a une charte fédérale. Petit à petit, il se glisse vers le contrôle du gouvernement fédéral. Il relève du champ de compétences de la loi provinciale, car c'est une coopérative. Toutefois, dans ses activités et ses actions, il relève presque de la juridiction fédérale.

Avez-vous une opinion à ce sujet? Comment voit-il ce transfert, indirectement?

M. Rudin : À mon avis, Desjardins reste en grande partie réglementé par la province. Là où le BSIF a un rôle à jouer, c'est si Desjardins devient propriétaire d'une compagnie d'assurance fédérale qui est sous réglementation prudentielle fédérale. Il existe aussi des compagnies sous réglementation prudentielle provinciale. C'est le cas également si Desjardins devient propriétaire d'une banque, parce que la réglementation de toutes les banques est de responsabilité fédérale.

En ce qui concerne la Laurentienne, elle a été une filiale de Desjardins et ne l'est plus. Je crois qu'elle est devenue une autre banque plus petite.

La grande majorité des opérations et des actifs de Desjardins continue d'être surveillée.

Le sénateur Maltais : Au Québec et au Canada, lorsqu'on fait de la réassurance, souvent, on répartit des risques dans différentes compagnies, mais on pénètre aussi les marchés internationaux, particulièrement aux États-Unis.

M. Rudin : Oui.

Le sénateur Maltais : Je me suis toujours posé une question. Comme courtier, comme réassureur, on devait s'informer de la solvabilité de la compagnie. Alors, on s'en tenait au rapport émis par le département fédéral américain des Finances et des Banques.

Aujourd'hui, a-t-on une meilleure façon de vérifier si le coassureur que l'on ira chercher au New Hampshire, par exemple, est solvable? Doit-on encore se fier à ce genre de rapport, ou a-t-on un instrument plus moderne ou plus rapide qui nous indique s'il est solvable?

M. Rudin : En général, la réassurance est un aspect important de la gestion de risques des compagnies d'assurance, comme vous le savez très bien — et vous le savez sans doute mieux que moi. Il est donc essentiel d'avoir un marché qui fonctionne très bien. On reconnaît, cependant, qu'on ne peut pas réglementer et superviser tous les réassureurs.

Le sénateur Maltais : C'est vrai.

M. Rudin : En fait, c'est la distribution des risques qui est importante. Nous avons, au Canada, surtout, mais pas uniquement, en ce qui concerne l'assurance-vie, les filiales de grandes compagnies européennes ou américaines. Nos sociétés d'assurance ont souvent l'option de faire affaire avec une filiale qui est supervisée ou surveillée par le BSIF. Nous croyons qu'il est toujours important de savoir que ces sociétés ont la liberté de chercher leur réassurance ailleurs. Bien sûr, on a moins d'information en ce qui concerne la solvabilité des assureurs d'ailleurs, à savoir s'ils vont sur les marchés de capitaux pour faire des obligations, par exemple, en situation de catastrophe; encore une fois, on a moins d'information à ce sujet. C'est en quelque sorte le compromis que nous devons faire.

La sénatrice Bellemare : Ma question touche un autre sujet que celui des fonds de pension; elle concerne le système financier international.

Il y a une question que je me pose depuis 2007 et à laquelle je n'ai jamais eu de réponse. Je me suis dit que, dans votre position, vous qui allez à Bâle, vous seriez peut-être en mesure de répondre à ma question.

Au Canada, en 2007, vous vous souviendrez de tous les déboires financiers qu'on a vécus. À l'époque, je me trouvais au Québec, et on questionnait, dans le cadre d'une commission parlementaire, les intervenants. Dans une question, on parlait, en 2007, des PCAA, des papiers commerciaux adossés des actifs et de toute la titrisation des titres. À ce moment-là, la Banque du Canada ne comprenait pas ces papiers commerciaux. Je me suis alors demandé s'il était possible que ce soit passé sous le radar.

Je vous pose la question, parce que, plus tôt, vous avez dit quelque chose de très, très important. Vous avez dit que vous vérifiiez pour savoir ce qu'on ne voit pas.

M. Rudin : Oui.

La sénatrice Bellemare : Aujourd'hui, une telle innovation financière peut-elle passer sous les radars de la supervision nationale et internationale?

M. Rudin : Je dirai deux choses à ce sujet. Premièrement, j'espère que non. Je crois que nous avons appris notre leçon en 2007-2008, et que nous faisons une surveillance beaucoup plus rigoureuse et accrue pour tenter d'éviter de telles lacunes dans nos connaissances.

Ceci étant dit, c'est l'une des raisons pour laquelle je vous raconte cette petite histoire sur l'inaptitude de voir les signes précurseurs ou peut-être la possibilité de ne pas les comprendre. Il y avait au moins deux, peut-être trois articles, dans la revue du système financier de la Banque du Canada, au sujet des PCAA émis par les organismes non bancaires. Le dernier a été publié, et je me souviens très bien, en juin 2007, soit avant le gel dans le marché. L'article expliquait très clairement le problème et la fragilité du système.

J'ai lu cet article en juin 2007, mais je n'avais pas réalisé l'ampleur du problème. L'information était là, il y avait des signes, mais, à l'époque, je ne les ai pas vus. C'était peut-être par manque d'expérience, mais c'était aussi parce qu'il y avait des aspects insolites. C'est la raison pour laquelle ma réponse au sénateur Black a été oui. Chaque jour, je présume qu'il y a quelque chose à trouver et à côté de laquelle on pourrait passer. Il faut toujours garder en tête l'hypothèse qu'on risque de manquer quelque chose. Il faut alors se fier à d'autres approches dans le but de se prémunir contre une crise financière pour laquelle le surintendant ou d'autres personnes ne reconnaîtraient pas le problème ou les signes avant-coureurs afin de garder une bonne longueur d'avance.

La sénatrice Bellemare : Je vais lire l'article. Merci beaucoup.

[Traduction]

Le président : Monsieur Rudin, vous avez été succinct, direct et transparent, vous avez répondu à nos questions très clairement. Je sais que les membres du comité apprécient beaucoup ces qualités. Je sais que tous les membres du comité joignent leur voix à la mienne pour vous souhaiter beaucoup de succès à votre nouveau poste de surintendant; nous sommes ravis que vous ayez comparu devant nous aujourd'hui. Nous avons déjà hâte à vos futures comparutions.

M. Rudin : Je vous remercie tous et toutes.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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