Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 19 - Témoignages du 27 novembre 2014
OTTAWA, le jeudi 27 novembre 2014
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi C-8, Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur, la Loi sur les marques de commerce et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour en étudier la teneur.
Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour et bienvenue au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Nous entamons aujourd'hui notre étude du projet de loi C-8, Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur, la Loi sur les marques de commerce et d'autres lois en conséquence. Connu sous le nom de Loi visant à combattre la contrefaçon de produits, le projet de loi C-8 vise à combattre la contrefaçon en modifiant la Loi sur le droit d'auteur et la Loi sur les marques de commerce afin d'en renforcer l'application. Les modifications prévues dans le projet de loi permettent l'adoption de nouvelles mesures frontalières d'exécution de la loi et la création de nouvelles causes d'action civile et infractions criminelles.
Nous sommes très heureux d'accueillir l'honorable James Moore, ministre de l'Industrie, pour discuter du projet de loi. Le ministre Moore a une remarquable carrière parlementaire, étant député depuis 2000. Il a occupé plusieurs fonctions gouvernementales. Il a notamment été secrétaire d'État pour les Jeux olympiques de Vancouver, la porte d'entrée de l'Asie-Pacifique et les Langues officielles. Il est devenu le plus jeune ministre de l'histoire de la Colombie- Britannique et il figure au quatrième rang des plus jeunes ministres de l'histoire canadienne. Avant d'être nommé ministre de l'Industrie, en juin 2013, il a été ministre du Patrimoine canadien et des Langues officielles durant plusieurs années.
Le ministre sera avec nous pour environ une heure, et les fonctionnaires de son ministère pourront répondre à nos questions pendant le reste de la séance.
Le ministre est accompagné ce matin de deux représentants de son ministère, Paul Halucha, directeur général, Direction générale de la politique stratégique, et John Knubley, sous-ministre; du surintendant Jean Cormier, directeur, Centres de coordination de la police fédérale, Gendarmerie royale du Canada; et de Peter Hill, vice-président associé, Direction générale des programmes, Agence des services frontaliers du Canada.
Monsieur le ministre, soyez le bienvenu. Vous avez la parole.
L'honorable James Moore, C.P., député, ministre de l'Industrie : Merci, sénateur Gerstein, de cette présentation trop élogieuse, et merci d'avoir présenté les gens qui m'accompagnent et qui m'aideront à répondre aux questions que vous et vos collègues pourriez avoir au sujet du projet de loi C-8.
L'entrée des produits piratés sur le marché canadien ne date pas d'hier, et je pense que c'est un problème que nous devons régler; nous y arriverons notamment grâce aux efforts de notre gouvernement pour empêcher l'entrée de ces produits et au projet de loi C-8, Loi visant à combattre la contrefaçon de produits. Comme le comité le sait bien, notre gouvernement a travaillé d'arrache-pied pour moderniser les lois du Canada relatives à la propriété intellectuelle afin de les adapter au XXIe siècle. D'ailleurs, certains membres du comité participaient aux discussions concernant la Loi sur la modernisation du droit d'auteur lorsque j'ai comparu devant le comité sénatorial à ce sujet.
Nous avions promis de moderniser la Loi sur le droit d'auteur du Canada, et notre gouvernement a tenu sa promesse. Nous avons présenté et fait adopter un projet de loi qui établit un équilibre entre les besoins des créateurs et ceux des consommateurs. Mais il ne s'agit bien sûr que d'une partie de la solution recherchée.
[Français]
Le Canada continue d'ouvrir de nouveaux marchés et de stimuler le commerce à l'échelle mondiale. Comme vous le savez, le gouvernement a récemment signé deux ententes commerciales, qui sont les plus complètes de l'histoire, avec la Corée et avec l'Union européenne. Cette dernière entente nous donnera un accès préférentiel à un marché de plus de 500 millions de consommateurs et à ses 17 billions de dollars d'activité économique annuelle.
[Traduction]
Les changements technologiques ont rendu les échanges commerciaux plus rapides et plus évolués. Le monde prend rapidement conscience de l'importance d'avoir des lois modernes, souples et efficaces pour assurer une croissance économique soutenue et la création d'emplois. Nous ne nous contentons plus d'échanger des produits et des ressources avec quelques proches alliés. Dans l'économie contemporaine, nous faisons le commerce de biens matériels et de propriété intellectuelle avec un plus grand nombre de pays et de personnes, et à une fréquence accrue. L'accroissement des échanges commerciaux crée d'excellentes possibilités et nous procure des avantages, mais s'accompagne aussi de responsabilités. Lorsque nous tentons d'optimiser ces possibilités, nous ne pouvons pas ignorer les risques accrus liés au vol et à la revente de propriété intellectuelle canadienne. Nous avons déjà pris les mesures nécessaires pour harmoniser les lois canadiennes sur le droit d'auteur avec les normes internationales.
Comme le comité le sait bien, puisqu'il a étudié la question à plusieurs reprises, il reste du travail à faire pour que les biens qui ne respectent pas les lois du Canada ne puissent pas entrer au pays à des fins de vente commerciale. En plus de nuire aux activités des entreprises canadiennes légitimes, ces biens représentent trop souvent une menace pour la santé et le bien-être des familles canadiennes.
Le projet de loi à l'étude modifie la Loi sur les marques de commerce et la Loi sur le droit d'auteur et il donne aux titulaires de droits, aux agents des services frontaliers et aux organismes d'application de la loi les outils dont ils ont besoin pour travailler ensemble afin d'affronter directement la menace grandissante posée par la contrefaçon et le piratage à l'échelle internationale. De nos jours, la propriété intellectuelle est constamment exposée à des risques. Les produits contrefaits et piratés franchissent de plus en plus nos frontières et entrent sur le marché canadien. La valeur au détail des produits contrefaits saisis par la GRC augmente de façon constante; elle est passée de 7,6 millions de dollars en 2005 à 38 millions de dollars en 2012. Il s'agit là d'une augmentation de 400 p. 100 en seulement sept ans. Il s'agit d'argent et d'emplois dont sont privés les Canadiens.
Permettez-moi de vous expliquer quelle incidence les produits contrefaits ont sur nos vies.
Premièrement, les produits contrefaits menacent la santé et la sécurité des Canadiens. Nous ne parlons pas seulement des sacs Gucci contrefaits qui sont vendus dans la rue. Les coussins de sécurité gonflables, le dentifrice, les jouets d'enfant et les boissons et aliments contrefaits sont tous des produits illégaux qui peuvent mettre en danger la santé et la sécurité des Canadiens.
[Français]
Deuxièmement, il existe un lien direct entre les produits contrefaits et le crime organisé. Les groupes criminels utilisent les profits générés par les produits piratés pour financer d'autres activités criminelles.
[Traduction]
Troisièmement, les produits contrefaits et piratés constituent une menace pour la croissance économique et la création d'emplois au Canada. Lorsque les fabricants de produits contrefaits volent la propriété intellectuelle à des fins commerciales, ce sont les entreprises canadiennes qui sont les plus touchées. Il ne s'agit pas seulement de la perte de revenus découlant de produits non vendus, mais aussi des dommages causés à l'intégrité de la marque. Lorsque les criminels importent des produits contrefaits au pays, ils cherchent à réaliser des profits rapidement et ils entachent la solide réputation des marques canadiennes de qualité.
Prenons l'exemple de Canada Goose, qui s'est forgé une réputation de chef de file mondial en tant que fabricant de vêtements d'hiver de grande qualité. Cette entreprise a consacré de l'énergie, de l'argent et un temps précieux à la création d'une marque qui est maintenant reconnue mondialement et qui est synonyme de qualité. La marque Canada Goose continue de souffrir énormément des contrefaçons de mauvaise qualité qui entrent au Canada. Voici un exemple de manteau Canada Goose contrefait. J'ai également ici un chandail de hockey canadien contrefait, qui est de bonne qualité et qui ressemble assez aux vrais chandails. Mais on peut imaginer comment les détaillants et les créateurs des produits originaux se sentent quand les produits tombent en morceaux après quelques lavages parce qu'ils sont contrefaits ou qu'ils ont été fabriqués avec des matières dangereuses pour la santé.
Kevin Spreekmeester, vice-président du marketing global chez Canada Goose et coprésident du Conseil canadien de la propriété intellectuelle, a déclaré : « Les Canadiens ont longtemps été les victimes du commerce illicite de produits contrefaits, et les nouvelles mesures annoncées aujourd'hui sont une bonne nouvelle pour les consommateurs, les entreprises et les détaillants ».
[Français]
L'association des Produits alimentaires et de consommation du Canada affirme ce qui suit, et je cite :
Les produits contrefaits représentent une menace réelle pour la santé et la sécurité des Canadiens. Leur présence sur le marché pose un risque pour les Canadiens et nuit à notre économie. Nos membres félicitent le gouvernement de prendre des mesures fermes et décisives pour s'attaquer aux biens contrefaits.
[Traduction]
Manufacturiers et Exportateurs du Canada a également déclaré : « Nous félicitons le gouvernement des mesures qu'il a prises afin d'améliorer les conditions commerciales des entreprises qui investissent et qui créent des emplois ici même, dans nos collectivités ».
Il est évident que le projet de loi dont vous êtes saisis est nécessaire. Il fournira aux titulaires de droits et aux organismes d'application de la loi du Canada les outils dont ils ont besoin pour lutter contre cette menace à la frontière et prendre des mesures contre ceux qui tirent profit du commerce de produits contrefaits et piratés. Il conférera aux agents des services frontaliers le pouvoir de retenir des envois s'ils soupçonnent qu'ils contiennent des produits contrefaits et d'aviser les titulaires de droits de la retenue, et ce, que les marchandises suspectes soient importées ou exportées.
Il créera un nouveau processus appelé demande d'aide, qui permettra aux titulaires de droits de collaborer avec les agents des services frontaliers et de leur demander de retenir les envois commerciaux contenant probablement des produits contrefaits.
Monsieur le président, ce projet de loi a fait l'objet d'une étude et d'un débat approfondis à la Chambre des communes. Le Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie a apporté des amendements au projet de loi pour le rendre plus robuste et répondre aux commentaires des parties concernées. Je dois souligner que le projet de loi C-8 a aussi reçu l'appui de tous les partis au Parlement du Canada. Je crois que nous pouvons affirmer que ces changements sont nécessaires et attendus depuis longtemps. Cette mesure législative a fait l'objet d'une étude. Je crois que la courte période proposée pour l'étude du projet de loi suscite du mécontentement. Il revient évidemment au comité de décider de son échéancier. Mais ce projet de loi s'impose depuis longtemps; il a fait l'objet d'un examen approfondi du côté de la Chambre. Nous avons accepté les amendements raisonnables qui ont été présentés par les partis de l'opposition afin de l'améliorer; nous en avons tenu compte. Et lorsque la mesure législative a été présentée au Parlement pour être mise aux voix, elle a reçu l'appui de tous les députés conservateurs, libéraux et néo-démocrates.
Je demande donc instamment à tous les membres du comité d'approuver le projet de loi afin que les titulaires de droits canadiens, les agents des services frontaliers et les organismes d'application de la loi disposent des outils nécessaires pour lutter contre la contrefaçon et le piratage à l'intérieur du pays et à nos frontières. Je vous remercie du temps que vous m'avez accordé.
Le président : Je vous remercie de votre déclaration.
Le ministre sera avec nous jusqu'à 11 h 30 environ. D'autres témoins resteront pour toute la durée de la séance.
[Français]
La sénatrice Hervieux-Payette : Bienvenue, monsieur le ministre. J'aurais deux questions. Premièrement, dans votre discours, vous parlez d'une augmentation de 7,6 millions de dollars en 2005 à 38 millions de dollars en 2012. Je trouve qu'il est absolument aberrant de croire que le marché des produits contrefaits au Canada représente uniquement 38 millions de dollars. J'irais plutôt dans les centaines de millions de dollars.
Quelles mesures devons-nous prendre pour faire diminuer ce problème? Vous dites également que le fait de combattre la contrefaçon de produits est une bonne nouvelle pour les consommateurs, les entreprises et les détaillants. Quelles personnes en subiraient les conséquences dans les grandes chaînes de magasins, comme Costco, par exemple, s'il y avait des produits contrefaits, en comparaison des petites boutiques de cadeaux où l'on risque de retrouver le plus d'articles contrefaits? Est-ce celui qui les vend? Quelles personnes seront arrêtées et par qui le seront-elles? Quel mécanisme sera utilisé pour stopper la contrefaçon?
M. Moore : C'est complexe. Cela dépend des circonstances, des détails qui concernent l'enquête. Ce sont ceux qui paient, qui ont géré les produits et qui ont reçu des bénéfices liés à ce commerce. Les enquêteurs détermineront la meilleure façon de trouver ceux qui ont profité de cet acte criminel.
À votre première question, je réponds, oui. Ces montants nous viennent de la GRC et, à mon avis, ils sont probablement beaucoup plus élevés. C'est ce que nous avons comme information jusqu'à présent. Si la loi était déjà en place, comme c'est le cas dans d'autres pays, ce montant serait beaucoup plus élevé, car nous aurions la capacité de faire de telles enquêtes.
[Traduction]
Ce projet de loi aura pour effet de dissuader les gens qui voudraient se livrer à ce genre de pratique commerciale. Monsieur Cormier, peut-être pourriez-vous parler de l'ampleur des investissements que j'ai mentionnés — l'augmentation de 400 p. 100. La sénatrice indique qu'à son avis, on sous-estime les faits.
Surintendant Jean Cormier, directeur, Centres de coordination de la police fédérale, Gendarmerie royale du Canada : Oui, certainement. Je tiens à souligner que les statistiques ne sont pas toujours un bon moyen de mesurer l'ampleur des problèmes.
[Français]
Je m'excuse, je vais reprendre en français. Déjà, l'exposé des statistiques donne une indication de ce qu'on a détecté, mais cela n'indique pas nécessairement l'ampleur du problème. Les montants que nous affichons proviennent seulement de ce que nous avons découvert. Nous reconnaissons que ce que nous détectons ne représente qu'une petite portion, habituellement, de ce qui se passe.
Pour ce qui est de prendre des mesures efficaces pour contrer ce problème, de nouvelles mesures législatives sont nécessaires. Il y a déjà des procès en cours qui démontrent les résultats de ce type d'enquête. De nouvelles lois nous donneront des outils supplémentaires qui nous aideront à combattre ce fléau en collaboration avec nos partenaires, dont l'Agence des services frontaliers du Canada.
[Traduction]
M. Moore : C'est un bon argument, et certaines données internationales sont pertinentes. En 2012, compte tenu de l'accord de libre-échange entre le Canada et l'Europe, les autorités frontalières de l'Union européenne ont retenu plus de 90 000 envois contenant près de 40 millions d'articles. Cela représente une valeur de près de 900 millions d'euros, ou 1,3 milliard de dollars. Les autorités douanières américaines ont effectué près de 23 000 saisies de produits contrefaits et piratés en 2012, pour une valeur au détail de 1,2 milliard de dollars. La valeur de l'alcool contrefait était d'environ 2 milliards de dollars par année au Royaume-Uni. Plus d'une entreprise japonaise sur cinq a subi des pertes liées à la contrefaçon en 2011.
C'est un problème important à l'échelle mondiale. Comme vous le savez tous, il y a seulement quelques années, le Canada avait des accords de libre-échange contraignants avec cinq pays, alors qu'actuellement, il en a avec 43 pays; c'est donc un aspect sur lequel il faut se pencher.
Le sénateur Black : J'ai deux questions à vous poser, monsieur le ministre. La première porte sur les interventions faites auprès de divers membres de ce comité par nos amis américains, qui laissent entendre que le projet de loi devrait aller plus loin et donner le pouvoir à nos agents d'examiner les marchandises en transit vers les États-Unis. Pouvez- vous nous dire ce que vous en pensez?
M. Moore : Oui. J'ai rencontré l'ambassadeur Heyman et la secrétaire Pritzker, qui était à Ottawa. J'ai également discuté de cette question avec elle le mois dernier à Washington, D.C.
Le projet de loi C-8 vise principalement à protéger le marché canadien; les marchandises destinées au marché canadien seront inspectées. Pour tout dire, nous n'avons pas d'union douanière avec les États-Unis. Nous sommes un pays de 35 millions d'habitants. Nous avons 293 000 kilomètres de côtes; nous avons la frontière la plus longue et la plus rentable de la planète, sur le plan commercial, avec les États-Unis; mais nous n'avons pas d'union douanière. Je trouve un peu exagéré — et je l'ai dit clairement — que des gens de l'administration américaine demandent au gouvernement du Canada et aux contribuables canadiens de filtrer à la frontière toutes les marchandises destinées au marché américain.
Nous avons mis en place des procédures qui permettront d'empêcher certaines marchandises d'entrer aux États- Unis. La Loi sur les aliments et drogues, la Loi canadienne sur la sécurité des produits de consommation, la Loi sur le transport des marchandises dangereuses et le Code criminel donnent à l'Agence des services frontaliers du Canada, ou ASFC, et à la GRC le pouvoir de bloquer certaines marchandises destinées aux États-Unis qui peuvent représenter un risque pour une personne ou pour la santé et la sécurité publiques, et cetera. Honnêtement, l'idée que le Canada serve d'agent douanier pour les États-Unis n'est pas du tout envisagée. Nous estimons que le projet de loi permettra, par sa portée, de protéger les Canadiens et le marché intérieur canadien.
Le sénateur Black : Il s'agit certes d'un projet de loi important; j'en conviens tout à fait. Au sujet du point abordé par ma collègue, je dirais qu'il reste clairement du travail à faire. Par conséquent, cela devient une question de ressources.
Ma deuxième question est la suivante. L'ASFC et les organismes ayant le pouvoir de faire appliquer la loi ont-ils les ressources humaines et financières nécessaires pour accomplir ce qui est prévu dans ce projet de loi?
M. Moore : Oui. Le comité de la Chambre a entendu des témoignages en ce sens. Je demanderai dans un instant à M. Hill et à M. Cormier de vous en dire plus au sujet de ce qui s'est déjà dit sur cette question.
Je voudrais également souligner la portée internationale du projet de loi C-8; c'est ce qui avait été exigé du gouvernement du Canada afin que nous puissions participer aux négociations sur le Partenariat transpacifique. Nous avons entretenu de bonnes relations et travaillé très efficacement avec le gouvernement américain relativement à ces enjeux transfrontaliers dans tous les dossiers — que ce soit l'entente Par-delà la frontière, le Passage Windsor-Detroit et l'ajout d'une travée au pont Ambassador ou le Conseil de coopération en matière de réglementation —, afin de faciliter la circulation à la frontière existante entre le Canada et les États-Unis. Et nous estimons avoir bien réussi.
Le projet de loi permet d'établir une relation plus efficace de collaboration entre le Canada et les États-Unis pour harmoniser les lois canadiennes avec les normes internationales et pour atteindre la norme que le gouvernement américain a demandé au gouvernement du Canada de respecter afin de participer aux négociations sur le Partenariat transpacifique. Nous avons fait tout ce qui était requis et nous faisons tout ce qu'il faut pour protéger le marché canadien.
Pour ce qui est des ressources, je vais laisser MM. Hill et Cormier vous répondre.
Peter Hill, vice-président associé, Direction générale des programmes, Agence des services frontaliers du Canada : Merci beaucoup, monsieur le ministre. L'agence dispose de suffisamment de ressources pour mettre en œuvre le projet de loi. L'ASFC a quelque 5 600 agents des douanes qui inspectent quotidiennement les envois commerciaux qui entrent au pays. Elle administre quelque 90 mesures législatives au nom du gouvernement du Canada, et le présent projet de loi l'autoriserait à agir de manière proactive en retenant temporairement des envois que les agents des douanes soupçonnent de contenir des produits contrefaits ou piratés. Nous intégrerons cet aspect dans nos pratiques actuelles, et nous croyons avoir à notre disposition les agents et la formation requise pour eux en vue d'accomplir cette tâche de manière très professionnelle.
[Français]
La sénatrice Ringuette : Bonjour, monsieur le ministre. Je vis dans une collectivité au Nouveau-Brunswick qui agit aussi comme communauté frontalière de l'État du Maine. Je suis tout à fait d'accord avec votre position concernant les services frontaliers américains. Il y a des limites.
[Traduction]
L'une de mes premières questions porte sur les données que vous nous avez mentionnées plus tôt concernant ce qui se passe dans l'UE, en particulier au Royaume-Uni. Les données vous permettent-elles également de connaître la provenance des envois?
M. Moore : C'est possible dans certains cas, mais ce ne l'est parfois pas. MM. Hill ou Halucha pourraient vous parler de certaines données et de la dynamique internationale quant à la provenance des produits. Nous savons que beaucoup de produits proviennent d'un pays en particulier; cela va de soi.
M. Hill : Les renseignements dont nous disposons nous indiquent clairement qu'actuellement et au cours des dernières années les produits contrefaits et piratés qui entrent au Canada et en Amérique du Nord proviennent principalement de la Chine, y compris Hong Kong, de Singapour, de l'Inde et du Pakistan.
Nous entretenons certainement de très bons rapports avec nos homologues américains et mexicains qui constatent aussi des tendances similaires quant au commerce illicite.
La sénatrice Ringuette : Vous avez déjà une idée des envois qui entrent au pays et sur lesquels vous pouvez mettre l'accent en ce qui concerne les produits contrefaits, n'est-ce pas?
M. Hill : Oui. Nous avons une bonne idée des menaces et des tendances dont nous devons nous occuper davantage grâce aux outils améliorés que le projet de loi mettra à notre disposition.
La sénatrice Ringuette : Savons-nous si des produits contrefaits sont fabriqués au Canada pour le marché canadien? Il y a aussi un gros point d'interrogation à cet égard.
M. Moore : En effet. Les violations de la propriété intellectuelle sont monnaie courante. Des gens gravent et répliquent illégalement des DVD et des CD, par exemple, et volent nos artistes. Je sais que vous vous êtes notamment déjà exprimée sur la nécessité de protéger nos artistes de ce type de vol qui se fait également au Canada.
La Loi sur la modernisation du droit d'auteur protège les produits en sol canadien. Cette mesure législative protège les produits qui sont expédiés à l'étranger et importés au Canada. Je suis persuadé que d'autres produits — outre les produits liés à la culture — sont aussi fabriqués au Canada et expédiés à l'étranger. Des produits sont très fréquemment saisis à la frontière canado-américaine.
Je ne sais pas si vous voulez donner des exemples de produits que vous avez saisis au fil des ans.
M. Cormier : Oui, bien entendu. Au cours des dernières années, la GRC a mené des enquêtes au Canada en partenariat avec l'ASFC concernant la production de produits contrefaits au Canada. Je peux vous donner deux ou trois exemples. En février 2014, des accusations ont été déposées relativement à un laboratoire clandestin qui a été démantelé à Longueuil, au Québec, par la GRC et l'ASFC. L'enquête a permis de saisir des stéroïdes et des produits qui auraient pu être utilisés pour fabriquer plus de 280 000 comprimés contrefaits d'un médicament d'ordonnance. Elle a été menée en collaboration avec l'ASFC, comme je l'ai mentionné, et le service de police de la ville de Longueuil et a permis de saisir plus de 15 000 comprimés de médicaments contrefaits, 22 000 comprimés de stéroïdes et 5 litres de stéroïdes liquides. La qualité de l'emballage des divers produits était à s'y méprendre avec l'emballage réel, et les sceaux scellés et les étiquettes laissaient croire aux consommateurs qu'il s'agissait bel et bien de produits licites.
La sénatrice Ringuette : Lorsque vous dites que vous avez saisi 38 millions de dollars de produits contrefaits en 2012, cela inclut-il les produits faits au Canada et les envois importés au Canada?
M. Cormier : Oui. Les statistiques de la GRC à cet égard incluent ces deux éléments. C'est exact.
La sénatrice Ringuette : Par contre, cela n'inclut pas les statistiques de l'ASFC, n'est-ce pas, ou est-ce que je me trompe?
M. Cormier : Je n'en suis pas certain. Cela inclut-il vos statistiques?
M. Hill : Je crois bien. Je devrai en fait vérifier l'information, mais j'ai l'impression que cela inclurait certaines statistiques de l'ASFC.
La sénatrice Eaton : Merci de votre présence, monsieur le ministre.
Vous avez mentionné à quelques reprises les accords de libre-échange du Canada, en particulier le PTP, et vous, messieurs, avez parlé de la Chine, de Singapour et du Pakistan, soit des pays qui font partie du PTP. Aurez-vous des ententes ou avons-nous des ententes de collaboration avec les forces policières de l'UE, par exemple? Les forces de l'ordre de certains pays, dont la Chine, auront-elles de la difficulté à lutter contre la contrefaçon? Communiquerez- vous avec ces pays ou devrez-vous attendre que les produits arrivent à la frontière canadienne pour sévir contre les responsables?
M. Moore : Comment le dire avec diplomatie? En ce qui a trait à certains pays, s'il y a une volonté de le faire, nous le ferons; voilà pour ça. Avec d'autres pays, nous avons évidemment des relations plus amicales et des ententes de coopération relativement à l'échange de renseignements. L'objectif de l'entente Par-delà la frontière est évidemment d'essayer de justement échanger des renseignements avec les États-Unis, en raison de la fluidité des possibilités économiques entre nos deux pays.
Évidemment, la situation est tout autre dans nos ports d'entrée, comme le Port de Vancouver, en ce qui a trait aux conteneurs de produits et aux marchandises commerciales qui entrent au pays. Il est notamment important de souligner que le présent projet de loi vise les échanges commerciaux et non un particulier qui en voyage achète des produits louches dans un marché et qui les rapporte au Canada. Le projet de loi concerne les produits en grande quantité. Autrement, il serait impossible pour le Canada d'avoir une quelconque relation avec les gens qui voyagent d'un pays à l'autre dans le monde.
Lorsque vous visitez un pays, vous devez respecter les lois en vigueur dans ces pays et ne pas violer les lois sur la propriété intellectuelle qui ont des répercussions dans ces pays.
Nous nous appliquons évidemment à avoir des relations commerciales plus fluides et plus efficaces avec tous les pays dans le monde, ce qui inclut l'échange de renseignements, mais je crois qu'il importe de réaffirmer que le présent projet de loi nous permettra de nous aligner sur la norme internationale que d'autres pays ont déjà adoptée eux-mêmes. D'autres pays ont des mesures législatives semblables à la nôtre qui protègent leurs consommateurs des batteries qui peuvent prendre feu, lorsque vous les installez dans votre téléphone cellulaire. Nous n'avons pas de telles protections; nous en avons besoin dans notre marché intérieur.
La sénatrice Eaton : Lorsque vous parlez des normes internationales, cela signifie-t-il que la majorité des pays du PTP ont également adopté ces normes?
M. Moore : En effet. Nous nous alignons sur cette norme en vue d'être à la table. Il y a certes des questions concernant l'application des mesures — la sincérité de l'application et la dynamique et la capacité d'application — qui se fait évidemment de manière différente d'un endroit à l'autre. Nous en sommes toujours conscients, et c'est toujours un objectif. Je ne veux pas trop insister sur cette notion, mais nous accusons un retard sur ce que nous devrions déjà avoir en place au Canada à ce sujet.
La sénatrice Eaton : C'était très diplomate de votre part, monsieur le ministre.
M. Moore : Nous verrons comment ce sera repris par les médias, mais je vous en remercie.
Paul Halucha, directeur général, Direction générale de la politique stratégique, Industrie Canada : Pour compléter les commentaires du ministre concernant l'échange de renseignements avec d'autres pays, l'un des principaux éléments du projet de loi, c'est qu'il accordera d'office aux agents des douanes le pouvoir de retenir temporairement des produits.
Le projet de loi met en place le système concernant les demandes d'aide dont le ministre a parlé dans son exposé. Cela permettra aux titulaires de droits de communiquer leur information aux services frontaliers, ce qui sera extrêmement utile aux agents des douanes en vue d'échanger des renseignements à cet égard. Si des titulaires de droits présentent des demandes concernant des marques de commerce, il sera facile pour les agents de douanes de consulter la base de données, de discuter avec leurs homologues d'un autre pays et d'échanger des renseignements.
Voilà deux exemples de la manière dont le projet de loi viendra appuyer les initiatives internationales de lutte contre la contrefaçon.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Merci, monsieur le ministre, et merci à vos collègues de votre présence parmi nous; il s'agit d'un projet de loi important.
Vous avez fait référence au fait que le Canada figure sur une liste selon laquelle on ne prend pas les moyens nécessaires pour contrer la contrefaçon et que l'on est un peu en retard en ce qui concerne le respect des normes internationales. Est-ce que vous croyez que, compte tenu du projet de loi proposé et des budgets que nous avons prévus, nous serons capables de corriger ce retard et cette lacune? Est-ce que cela est adéquat?
M. Moore : Oui, c'était notre objectif dès le début d'adopter des politiques qui étaient aux premiers rangs sur la scène internationale. Il faut regarder l'expérience des autres pays et les leçons que nous pouvons tirer des politiques qui étaient déjà en place dans certaines autres régions du monde. Bien entendu, notre approche permettra au Canada d'atteindre les normes, à titre de pays du G7 qui a des ententes de libre-échange sans précédent avec les autres pays du monde. Il faut trouver les politiques et les sommes nécessaires.
On me dit que, dès 2006, lorsque notre gouvernement a été élu, nous avons augmenté le financement consacré aux services frontaliers de 26 p. 100. C'est quelque chose qui a été important. Sans doute, il y a des demandes de financement qui changent, mais c'est l'un des objectifs du gouvernement, sans doute, de livrer la marchandise pour obtenir les sommes nécessaires. C'est l'objectif de M. Hill et de son équipe de protéger les frontières. Vous avez entendu le témoignage de M. Hill selon lequel l'agence dispose des fonds nécessaires, des politiques et des infrastructures nécessaires pour mettre en place une approche pour le Canada.
Le sénateur Massicotte : Je comprends un peu pourquoi les parties ne sont pas affectées; ce sont ceux qui profitent de la contrefaçon qui le seront. Il est important d'interdire la contrefaçon, si c'est injuste, et on reconnaît que c'est injuste pour ceux qui ont créé un produit quelconque. Je comprends que c'est difficile de gérer cette situation. Mais pourquoi permet-on aux particuliers d'acheter un produit dont tout le monde sait qu'il s'agit d'une contrefaçon? Pourquoi est-ce légal de le faire, alors qu'on qualifie cette pratique d'inacceptable, que l'on va prendre des mesures pour l'arrêter? Est- ce un geste politique? Pourquoi, en France, par exemple, si vous achetez des produits de contrefaçon, il est clair que c'est contre la loi, même pour les particuliers? Pourquoi n'est-ce pas le cas au Canada?
M. Moore : C'est légal de le vendre, mais ce sont des droits privés.
[Traduction]
Dans la loi canadienne sur la propriété intellectuelle, ce sont des droits privés. Si vous avez créé un maillot de hockey et qu'une autre personne contrefait et vend votre maillot, vous êtes protégé, en tant que créateur du produit, au Canada en vertu de la Loi sur le droit d'auteur et vous pouvez intenter des poursuites contre la personne qui vous vole.
Le projet de loi s'attaquerait maintenant à une personne qui vous vole, qui crée un produit et qui le vend ailleurs dans le monde ou qui vole votre idée, crée le produit dans un autre pays et l'importe au Canada.
Parmi ces trois situations, soit fabriquer et vendre un produit au Canada; fabriquer et exporter un produit à partir du Canada; et fabriquer et vendre un produit à l'étranger et l'importer au Canada, deux seront maintenant considérées comme des actes criminels à l'égard de votre PI en vertu du présent projet de loi.
Le sénateur Massicotte : Par contre, il faut passer à l'action lorsque le consommateur... C'est en gros une question de cupidité, d'argent. Le consommateur achète le produit. C'est au moment de l'achat que la transaction est conclue. Pourquoi n'est-ce pas illégal pour le consommateur, le détaillant ou le particulier d'acheter le produit? Les gens sont parfaitement conscients que c'est un produit illicite. Pourquoi est-ce permis?
M. Halucha : Ce que vous dites, c'est que, si un détaillant achète un produit, le particulier qui l'achète...
M. Moore : Non. Si M. Tout-le-Monde entre dans une boutique et achète un maillot de hockey, pourquoi ne considérons-nous pas cela comme un acte criminel?
M. Halucha : L'objectif est de nous attaquer aux conséquences sur le marché de la contrefaçon. C'est lié à l'innovation. Nous voulons que les entreprises innovent, comme le ministre l'a mentionné dans son exposé. Si j'ai investi dans la conception d'un produit et que des contrefaçons de ce produit sont disponibles sur le marché, ce qui est vraiment efficace — et je crois que cet aspect a été prouvé dans divers domaines du droit —, c'est de nous attaquer à la contrefaçon à grande échelle pour retirer ces produits du marché.
M. Moore : Ce ne serait pas vraiment réaliste. Cette personne commet-elle une infraction? Oui. Cependant, est-ce nécessairement le cas?
Si j'achète cette batterie, suis-je conscient que je commets une infraction? Il s'agit d'un produit contrefait. On pourrait dire qu'il s'agit d'un cas de démenti plausible; le logo de Canon ressemble comme deux gouttes d'eau au logo de Canon. La police de caractère est exactement la même. C'est écrit dans les deux langues officielles. La contrefaçon ressemble en tout point à l'original et fonctionne probablement tout aussi bien. Je ne le sais pas. Commettez-vous une infraction? J'imagine que oui.
Si une personne souhaite payer 25 $ pour un maillot au lieu de 125 $, ce qui serait probablement un prix de vente normale, se font-ils complices des faussaires? Peut-être, peut-être pas. Bonne chance pour le prouver.
Le sénateur Massicotte : Je comprends ce que vous dites, mais vous devez être conscient que vous commettez une infraction, comme vous n'êtes pas sans le savoir.
Dans certains pays comme en France, par exemple, je le commercialise. Il y a beaucoup de produits de luxe, et c'est leur producteur.
Canada Goose est un produit répandu partout sur la planète. Si nous chérissons cette ingéniosité et cette créativité, ne devrions-nous pas faire comme d'autres pays lorsque le consommateur est manifestement conscient de ce qu'il fait? Si le consommateur n'en est pas conscient et qu'il est innocent, c'est autre chose; par contre, lorsque vous achetez des produits dans la rue et qu'une personne tire son rideau pour vous vendre une montre, par exemple, à moins de dormir au gaz, vous savez pertinemment bien qu'il s'agit d'un produit illicite.
M. Halucha : Il faut également tenir compte du caractère pratique de l'application de la loi. En discutant avec des titulaires de droits, nous avons constaté que bon nombre d'entre eux ne se donnent même pas la peine de traquer les envois commerciaux de petite envergure.
L'une des améliorations que nous avons apportées au projet de loi en comité, c'était de permettre aux agents des douanes, après que l'ASFC a été informée de la présence d'un produit contrefait à la frontière, d'en aviser les titulaires de droits en vue d'en arriver à un règlement à l'amiable.
Un titulaire de droits n'a pratiquement aucune motivation à traquer un particulier pour essayer d'obtenir une maigre réparation devant les tribunaux. Ce que les titulaires de droits souhaitent, c'est de retirer le produit du marché.
J'aimerais également souligner qu'en ce qui concerne les recours civils prévus dans le projet de loi, nous avons étendu les recours possibles pour les titulaires de droits. Actuellement, en vertu du droit canadien, le produit doit se trouver sur le marché, avant que le titulaire de droits puisse prendre des mesures. Nous avons étendu cela à tout moment entre la fabrication et la distribution, soit tout au long de la chaîne d'approvisionnement. L'objectif est encore une fois d'empêcher que des produits contrefaits soient disponibles sur le marché et ainsi éviter que des consommateurs s'en procurent.
Enfin, j'aimerais tout simplement ajouter que, comme le projet de loi est du domaine public, cet aspect a notamment eu l'avantage de sensibiliser davantage les Canadiens aux conséquences de la contrefaçon.
J'ai l'impression que les gens croient que les produits contrefaits sont souvent moins chers, alors qu'ils ne le sont vraiment pas. Les consommateurs payent souvent le prix fort pour un produit, mais ils se rendent vite compte qu'ils ont en fait reçu un produit contrefait qui, comme le ministre l'a dit, tombe en lambeaux après trois lavages, qui se dégrade rapidement, qui est défectueux ou qui peut prendre feu, par exemple, dans le cas d'un produit électrique. Nous essayons également de sensibiliser les gens à cet aspect; c'est vraiment important.
Le sénateur Massicotte : Je comprends ce que vous dites au sujet du caractère pratique de la chose. Nous avons beaucoup de lois; nous devons notamment nous immobiliser à un arrêt. Cela ne signifie pas pour autant qu'un policier surveille chaque arrêt. Nous avons des lois, et nous encourageons les gens à les respecter, même s'ils savent qu'on ne peut pas surveiller chaque arrêt.
M. Moore : Cela ressemble à un projet de loi ciblé d'initiative parlementaire émanant du Sénat.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Merci, monsieur le ministre, et félicitations pour votre projet de loi; je crois que les avantages économiques seront plus grands que les coûts.
J'aimerais poursuivre sur la question des coûts. Selon ce que j'en déduis et compte tenu des réponses que vous avez données au sénateur Black et à la sénatrice Hervieux-Payette, ce projet de loi n'a pas de conséquences financières, est-ce que j'ai bien compris?
M. Moore : Je crois qu'il est certainement trop facile de dire qu'il n'y a pas de conséquences. Bien sûr, il y a des coûts. On en a discuté avec les agences et elles nous disent qu'elles disposent des sommes nécessaires pour appliquer ces pouvoirs. Cela touche aussi aux questions que le sénateur Black m'a posées. L'une des raisons pour lesquelles notre approche est plus efficace pour les contribuables, et également pour M. Hill et son équipe, c'est parce que nous n'avons pas la même approche que les États-Unis pour intervenir auprès de ceux qui contreviennent à la loi. La responsabilité leur revient. Donc, les coûts sont imposés, en fin de compte, s'il y a une enquête et une approche juridique.
J'inviterais M. Hill à parler un peu de l'agence et de ce qu'elle est en train de faire avec les sommes dont elle dispose dans le but de faire bouger les choses de sorte que nous ayons un projet de loi qui impose les lignes directrices qui permettront d'établir les politiques que nous désirons.
[Traduction]
M. Hill : Il s'agit du modèle fondé sur la rétention, alors qu'aux États-Unis il s'agit d'un modèle fondé sur la saisie. D'entrée de jeu, le gouvernement n'assume pas les coûts liés aux produits qui sont retenus. Dans le modèle que nous proposons, ce seraient les titulaires de droits qui assumeraient la facture liée aux produits qui sont temporairement retenus, et ce, par l'entremise de la demande d'aide. L'objectif est d'ainsi permettre aux titulaires de droits d'intenter des poursuites civiles, s'ils le souhaitent. Voilà pour un aspect.
Deuxièmement, oui, l'affectation de ressources à cette activité entraînera certainement des coûts. Comme je l'ai mentionné, cela fait partie de l'activité en cours, à bien des égards. Notre examen du secteur commercial est continu, et cette tâche sera intégrée dans ces activités. Bien entendu, nous formerons nos agents afin qu'ils tiennent précisément compte de cette mesure législative et qu'ils détectent les marchandises piratées. Le processus qui sera établi favorisera un échange efficace d'information entre l'ASFC et les titulaires de droits. Cet échange d'information nous permettra, avec le temps, de développer une capacité plus évoluée et solide de détection d'indicateurs de marchandises piratées. Cette tâche comporte un élément de formation.
Dans le cadre de notre initiative de modernisation, l'un des principes que nous appliquons consiste à repousser nos frontières. Nous concluons des accords d'échange de renseignements avec d'autres gouvernements. Comme la sénatrice l'a demandé à propos de la Chine, j'aimerais faire ressortir le fait que, grâce au récent voyage du premier ministre en Chine, un accord des douanes sur l'assistance administrative mutuelle a été conclu entre notre agence et celle de ce pays.
Lorsqu'il est question de mesures complémentaires comme celles-ci, nous trouvons des moyens de gérer les risques en mettant l'accent sur les secteurs qui présentent des risques élevés et en facilitant la circulation des personnes et des marchandises à faible risque. Ainsi, nous consacrons moins de ressources aux voyageurs et aux marchandises qui présentent moins de risques, et nous affectons nos précieuses ressources aux secteurs à risque élevé.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Monsieur le ministre, le projet de loi est-il conforme à l'entente que nous avons conclue avec l'Europe sur la contrefaçon? Y a-t-il des liens?
M. Moore : Oui, cela permettra à ceux et celles qui sont engagés dans un tel commerce de savoir que leurs droits intellectuels seront protégés au Canada, de même que les droits d'auteur de ceux qui veulent investir au Canada.
[Traduction]
Le sénateur Lang : Ma première question concerne l'ASFC et l'application de la loi. J'informe les membres que le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense est en train d'achever une étude portant sur l'Agence des services frontaliers du Canada. L'examen de l'ASFC est en cours depuis plusieurs mois de la dernière année.
Je souhaite revenir en arrière. Tout d'abord, vous pourriez peut-être nous expliquer comment le système fonctionne en ce moment. Je crois qu'à l'heure actuelle, nous avons repéré 38 millions de dollars de produits contrefaits. Je présume que nous avons porté des accusations. Compte tenu de la façon dont le système fonctionne en ce moment sur le terrain, qui mène les enquêtes, qui porte les accusations, et comment l'adoption de la nouvelle mesure législative changera-t-elle les choses?
M. Hill : Selon le système actuel, l'ASFC n'a fondamentalement pas le pouvoir de retenir les marchandises qu'elle soupçonne d'être piratées ou contrefaites. Le projet de loi accordera à l'ASFC le pouvoir de retenir temporairement les marchandises qui font l'objet de tels soupçons et de mettre en branle un processus selon lequel l'affaire sera premièrement renvoyée à la GRC, si l'agence soupçonne que l'envoi ou l'importation de marchandises piratées est lié à de graves crimes ou au crime organisé. Les agents de la GRC prendront alors ou non l'initiative de mener une enquête criminelle. Deuxièmement, si l'agence soupçonne que les produits soulèvent des préoccupations relatives à la santé et à la sécurité, elle renverra l'affaire à Santé Canada.
Si ni l'un ni l'autre de ces organismes n'estime qu'une enquête s'impose, l'ASFC aura le pouvoir de renvoyer l'affaire à un titulaire de droits. Comme Paul l'a mentionné plus tôt, la demande d'assistance est un processus qui, d'entrée de jeu, permet à un titulaire de droits d'enregistrer sa marque de commerce auprès de l'Office de la propriété intellectuelle du Canada, qui exerce ses activités sous l'égide d'Industrie Canada, et, par la suite, de demander à l'avance l'aide de l'ASFC. Par conséquent, lorsque nous détecterons un envoi suspect, nous consulterons notre base de données où nous constaterons qu'une demande d'assistance a été présentée par un titulaire de droits et nous renverrons l'affaire à cette personne.
Voilà la structure du processus que nous aurions établie. Comme vous pouvez l'imaginer, nous avons élaboré des procédures normales d'exploitation à l'intention de nos agents afin qu'ils sachent exactement en quoi consistent leurs responsabilités au sein de la structure de gestion de l'agence. J'espère que cela répond à votre question concernant la façon dont nous gérerons ces cas particuliers.
John Knubley, sous-ministre, Industrie Canada : Il est important de comprendre généralement que le projet de loi et les processus que nous nous efforçons de mettre en place visent, d'une part, à prévenir les abus et, d'autre part, à garantir une application régulière de la loi. Il est important que les sénateurs soient conscients de la façon dont le projet de loi a été conçu. Nous tentons de maintenir l'équilibre entre ces deux objectifs, et nous avons pris des mesures de protection pour assurer cet équilibre.
Nous avons déjà parlé de quelques-unes de ces mesures. Par conséquent, je ne les passerai pas toutes en revue. Les dispositions criminelles s'appliquent seulement aux activités exercées à l'échelle commerciale. Le pouvoir de retenir les marchandises, qui vient d'être mentionné, est temporaire. Cela assure le bon fonctionnement de la frontière, tout comme le respect de la présomption d'innocence dans les cas qui font l'objet d'un examen en vertu de la loi. Les tribunaux surveillent ce processus. Les agents des services frontaliers ne prennent pas de décision concernant les infractions. Il y a un processus en place.
Je sais que la question des dommages-intérêts légaux est problématique, mais nous croyons que, pour protéger les droits de tous, il vaut mieux que les tribunaux tranchent ces questions. Ainsi, les titulaires de droits devront prouver qu'ils ont subi des dommages-intérêts. Je le répète, nous tentons de trouver un équilibre entre la détection et la poursuite des abus et l'application régulière de la loi.
Le sénateur Lang : Si vous me le permettez, j'aimerais maintenant aborder un autre sujet ayant trait au pays même où les produits sont fabriqués. Je vais utiliser un exemple pratique. Disons qu'un envoi de jouets arrive à Vancouver et que vous le retenez à la frontière. Vous découvrez qu'effectivement, l'entreprise qui a fabriqué ces produits a enfreint nos diverses lois. Quelles relations entretenons-nous avec d'autres pays qui nous permettent de leur dire : « Regardez, l'une de vos entreprises s'est fait prendre à expédier des produits illégaux dans notre pays. Quelles mesures prendrez- vous dans votre pays pour empêcher cette organisation de fabriquer ces produits et de les envoyer dans notre pays? » Avons-nous conclu des ententes à cet égard?
M. Moore : Cela varie en fonction des pays. Ces questions sont en partie régies par les accords de libre-échange que nous avons conclus avec certains pays. Cependant, il est beaucoup plus difficile de régler ces problèmes avec les autres pays. Si quelqu'un expédie une grande quantité de chandails de hockey sur lesquels Canada est écrit avec un « K », et que ces chandails sont retenus à la frontière, ce problème doit être réglé. Nous avisons la personne dont la propriété intellectuelle a été volée. La marchandise est retenue pendant 10 jours. La personne dont les produits ont été contrefaits peut inspecter leur contrefaçon et décider si elle souhaite intenter des poursuites contre la personne qui tentait d'importer ces articles. Les États sont toujours autonomes. Par conséquent, nous n'avons pas le droit d'imposer ou d'appliquer nos lois dans d'autres pays du monde entier. C'est la raison pour laquelle il est important que le premier ministre, les ministres, les députés et les sénateurs participent aux associations parlementaires qui visitent d'autres pays et qui soulèvent la question de la propriété intellectuelle dans certains d'entre eux, dont la Chine, que je ne me gênerai pas de citer en exemple. Beaucoup de gens dans ces pays considèrent que ces problèmes doivent être réglés s'ils souhaitent continuer de développer leurs capacités commerciales.
Comme vous le savez, la Chine tente en ce moment de conclure un accord de libre-échange avec l'Australie. L'effet qu'un tel accord aura à l'avenir sur la propriété intellectuelle engendre de nombreux débats en Australie. Nous prêtons vivement attention à ces débats afin de découvrir s'il y a des mesures que nous pourrions prendre pour mieux protéger ici la propriété intellectuelle des Canadiens, comme l'établissement de meilleures relations diplomatiques avec ces pays.
Le sénateur Lang : Vous avez fait allusion à un accord que la Chine et le Canada viennent de conclure. De quel accord s'agissait-il?
M. Hill : C'est un accord des douanes sur l'assistance administrative mutuelle.
Le sénateur Lang : Cet accord pourrait peut-être servir de tremplin. Si nous repérons des produits illégaux, nous disposerons d'une façon de nous assurer que ces entreprises ne pourront plus continuer de fabriquer des produits qui enfreignent les droits de propriété intellectuelle et de les charger sur d'autres porte-conteneurs.
M. Moore : Cet accord porte sur l'échange de renseignements.
M. Hill : C'est une disposition relative à l'échange de renseignements qui, selon moi, incitera avec le temps des pays, dont la Chine dans le cas présent, à prendre des mesures pour faire respecter leurs lois nationales.
Le président : Monsieur le ministre, le projet de loi semble mettre l'accent sur les biens de consommation et la propriété intellectuelle. La contrefaçon en matière d'œuvres d'art commence à être préoccupante. Le projet de loi C-8 prévoit-il des dispositions à cet égard?
M. Moore : Je le pense, oui. Je ne vois pas comment cela pourrait ne pas être le cas.
La sénatrice Ringuette : Pour donner suite à la question du sénateur Lang à propos des poursuites intentées au Canada, cette responsabilité incombe au propriétaire de la marque de commerce ou du brevet. Est-ce qu'une question de compétence constitutionnelle empêche le gouvernement fédéral d'intenter des poursuites conjointes ayant trait à l'aspect de cet enjeu lié à la protection des consommateurs?
M. Moore : Je suis désolé; voulez-vous tenter de formuler de nouveau la question?
La sénatrice Ringuette : On ne sait jamais très clairement si la protection des consommateurs est une compétence fédérale ou provinciale. Dans certaines parties du Canada, elle relève des deux instances.
Il incombe au propriétaire de la marque de commerce de décider s'il souhaite poursuivre le fabricant dans l'éventualité d'un envoi retenu. Ne pourrions-nous pas aller plus loin et nous occuper de la question de la protection des consommateurs contre les produits contrefaits? En fin de compte, nous souhaitons protéger les consommateurs contre ces produits. Pourquoi n'envisageons-nous pas d'intenter des poursuites conjointes pour réaffirmer à quel point nous prenons la contrefaçon au sérieux?
M. Moore : Il n'est pas nécessaire d'intenter des poursuites conjointes étant donné que cette compétence relève entièrement du gouvernement fédéral. Bien sûr, si l'ASFC ou la GRC a besoin d'aide pour porter des accusations lorsque les droits d'une personne ont été violés, elle s'adressera à n'importe quel organisme local d'application de la loi dans le but de réunir tous les renseignements nécessaires pour mener une enquête de ce genre.
Le sénateur Massicotte : Monsieur le ministre, j'ai une question stupide à vous poser. Vous avez décrit plus tôt la nécessité de collaborer. J'ai réalisé tout d'un coup que nous dépendons grandement des produits que nous importons de Chine. Le pauvre propriétaire d'une petite entreprise ne peut pas poursuivre tous les gens qu'il aperçoit, car il passerait tout son temps devant les tribunaux. Nous avisons la Chine que les produits contrefaits proviennent de son territoire, et nous nous attendons à ce qu'elle applique ses lois. Est-il illégal en Chine et au Canada de produire de la marchandise qui, vous en avez conscience, viole probablement la propriété intellectuelle de quelqu'un qui ne l'a pas enregistré dans votre pays? Si, pour une raison quelconque, la partie n'a pas enregistré sa propriété intellectuelle au Canada, est-il illégal de produire cette marchandise?
M. Moore : C'est la raison pour laquelle il faut enregistrer votre propriété intellectuelle.
Le sénateur Massicotte : Certaines personnes pourraient décider de se concentrer sur les États-Unis. Elles n'auraient alors aucune propriété intellectuelle enregistrée au Canada ou en Chine. L'argument que je fais valoir est que l'on peut pointer du doigt la Chine où la propriété intellectuelle n'a pas été enregistrée, ce qui serait fréquemment le cas. Les Chinois peuvent seulement appliquer les lois en vigueur, ce qui signifie que, même si on les avise des centaines de fois, cela n'aura aucun effet.
M. Moore : C'est une bonne question, mais, instinctivement, je dirais que c'est la raison pour laquelle il faut prendre la peine d'enregistrer sa propriété intellectuelle. Dans certains cas, un flou peut exister, car il peut être difficile de définir une idée. Je soupçonne qu'il reviendrait alors aux tribunaux de décider si une propriété intellectuelle a été violée et aux titulaires de droits de soutenir que leurs droits ont été enfreints.
Le sénateur Massicotte : Toutefois, si aucune propriété intellectuelle n'a été enregistrée, j'ai le sentiment, d'après votre réponse, que rien n'empêche ces producteurs de fabriquer ces marchandises, même au Canada.
M. Moore : Comme cela a été mentionné il y a une minute, nous vivons au sein d'un système d'observation volontaire de la loi, y compris en ce qui concerne nos limites de vitesse et nos panneaux d'arrêt. Nous sommes punis seulement si nous nous faisons prendre.
M. Knubley : Je ne suis pas un expert en la matière, mais j'ai entendu dire, en particulier par les entreprises qui vont en Chine et qui enregistrent leur propriété intellectuelle là-bas, qu'elles rencontrent des difficultés liées à ce qui se produit lorsqu'elles intentent des poursuites et que leurs causes sont entendues par les tribunaux.
Le président : Monsieur le ministre, au nom du comité, je vous remercie infiniment d'avoir comparu devant nous aujourd'hui.
Maintenant, Michael Ryan, analyste principal, Direction de la politique du droit d'auteur et des marques de commerce, et Megan Imrie, directrice générale, Direction du programme commercial, Direction générale des programmes, à l'Agence des services frontaliers du Canada, se joignent à M. Halucha, au surintendant Cormier et à M. Hill.
Nous n'entendrons plus de déclarations préliminaires, mais nous continuerons de poser des questions.
Le sénateur Tannas : J'aimerais développer un peu la question que le sénateur Black a posée plus tôt. Premièrement, j'ai certainement compris que le port de Vancouver et, en particulier, le port de Prince Rupert annoncent aux expéditeurs d'Asie qu'ils bénéficieront d'un avantage concurrentiel, d'une réduction considérable de leurs coûts, si leurs marchandises à destination de Chicago passent par leurs installations avant d'être acheminées aux États-Unis. C'est là une solution économique et attrayante.
Je me demande si vous pourriez nous donner une idée du nombre de personnes qui seraient nécessaires et des coûts qui seraient occasionnés si les Américains faisaient ce que le sénateur Black a mentionné qu'ils aimeraient faire, c'est-à- dire inspecter beaucoup à fond les marchandises en transit. Avez-vous modélisé ce scénario? Pouvez-vous nous donner une idée des répercussions que cela pourrait avoir?
M. Hill : Je vais demander à ma collègue de m'aider à répondre à votre question, mais j'aimerais d'abord signaler que nous ne devrions pas sous-estimer l'importance des renseignements que nous serons en mesure d'échanger avec les Américains et les avantages que nous pourrons en retirer. Nous ne saisirons pas des marchandises en route vers les États-Unis, mais, dans le cadre de nos activités prévues par la forme actuelle du projet de loi, nous envisageons, dans certains cas, de communiquer aux États-Unis les renseignements que nous obtiendrons. Nous poserons donc de nouveaux scellés sur les conteneurs qui poursuivront leur route jusqu'à destination sous scellés douaniers. Les autorités, c'est-à-dire nos partenaires de l'agence américaine des douanes et de la protection des frontières, attendront là-bas de recevoir les conteneurs, munies des renseignements découlant de nos soupçons que nous aurons été en mesure d'obtenir et de leur communiquer ainsi à l'avance. Il est important de comprendre que ces renseignements sont extrêmement précieux et qu'ils représentent également un élément du modèle qui permet de rentabiliser nos activités. Je vais maintenant céder la parole à ma collègue qui formulera d'autres observations.
Megan Imrie, directrice générale, Direction du programme commercial, Direction générale des programmes, Agence des services frontaliers du Canada : Je suis assurément d'accord avec mon collègue. J'ajouterai seulement des données volumétriques — puisque vous posiez des questions à propos des modèles — pour vous donner un aperçu national. L'ASFC dédouane plus de 14 millions d'envois commerciaux par année. Compte tenu du ciblage et des renseignements communiqués à l'avance, nous procédons à plus de 200 000 inspections. Les volumes sont très élevés.
Par ailleurs, s'il y a des sujets de préoccupation à Prince Rupert, à Vancouver, à Montréal ou à Halifax, s'il y a des problèmes de criminalité, s'il y a des produits qui sont dangereux, nous pourrons en informer Santé Canada ou la GRC et prendre des mesures. Et c'est ce que nous pourrions simplement convenir de faire. Nous recevons beaucoup d'informations préalables sur les cargaisons, ce qui nous permet de nous acquitter de nos fonctions liées à la gestion des risques.
Le sénateur Tannas : À titre de précision, je crois que, d'après ce que nous avons entendu, peu importe la destination, si les marchandises sont en transit et qu'elles entrent dans une de ces catégories, alors cela n'a pas d'importance. Vous avez le pouvoir d'agir, et cela a toujours été le cas, n'est-ce pas?
Mme Imrie : C'est exact.
Le sénateur Tannas : Vous avez parlé de la collecte et de la transmission de données. Est-ce quelque chose que vous faites déjà, ou s'agit-il d'une amélioration que le projet de loi permettra d'apporter?
M. Hill : Comme Megan l'a souligné, c'est ce que nous faisons déjà quand nous tombons sur de tels cas dans l'exercice de notre mandat. À l'heure actuelle, nous sommes à la recherche de menaces pour la sécurité nationale — par exemple, des matériaux chimiques, biologiques, radiologiques —, et nous visons certainement des produits de contrebande, des armes et des drogues illégales. Dans le cadre de ces inspections, si nous découvrons des produits contrefaits ou piratés, nous transmettons cette information à nos partenaires.
Le projet de loi nous donne l'autorisation de cibler ces produits, ce qui est une étape importante pour moderniser notre cadre et l'harmoniser avec ceux des nombreux commerçants dignes de confiance partout dans le monde. Essentiellement, il n'y a aucune raison pour que le Canada tire de l'arrière dans ce domaine, et le projet de loi nous aidera à harmoniser et à moderniser nos pratiques.
Le sénateur Tannas : Merci.
La sénatrice Ringuette : Tout à l'heure, j'ai posé une question sur les expéditeurs. Maintenant, j'aimerais vous poser une ou deux questions sur les destinataires canadiens.
[Français]
Monsieur Cormier, vous êtes la personne la plus apte à répondre à ces questions. Selon vos observations et selon les données que vous avez accumulées sur les actions que vous avez déjà entreprises dans le cadre des 38 millions de dollars, est-ce que vous pouvez facilement identifier le récipiendaire de ce cargo au Canada? Est-ce que ces récipiendaires sont des grossistes? Est-ce qu'ils représentent des chaînes, des grandes chaînes de vente, ou est-ce que c'est destiné à la vente sur Internet?
M. Cormier : Je vous remercie de votre question. Avant de vous répondre, j'aimerais clarifier un point qui avait été soulevé concernant les statistiques qui ont été données plus tôt concernant les 38 millions de dollars. Je pense que vous vouliez savoir s'il s'agit de statistiques de la GRC ou de statistiques combinées avec celles de l'ASFC. Je tiens à clarifier que ce sont les statistiques de la GRC, mais qu'elles peuvent comprendre des références de l'ASFC.
Quant à votre question, je peux y répondre. Je pense que l'ASFC pourrait, elle aussi, s'en charger, puisqu'elle est le premier point de contact dans le cas des gros conteneurs qui arrivent au Canada. Je ne sais pas si vous voulez faire un commentaire, mais je pourrai répondre, par la suite, en ce qui concerne les procédures nécessaires pour identifier les récipiendaires.
Mme Imrie : Je peux essayer de répondre à votre question. Le régime que nous allons mettre en place contiendra de l'information que nous recevrons et partagerons avec les détenteurs de droit, c'est-à-dire ceux qui sont inscrits au titre du droit auprès de l'Office de la propriété intellectuelle du Canada.
La sénatrice Ringuette : Peut-être que ma question n'était pas claire. Je veux surtout qu'on me dresse un portrait concernant les 38 millions de dollars qui ont été identifiés. Quel type de récipiendaires au Canada attend cette livraison?
M. Cormier : La réponse est oui, vous l'avez identifié vous-même. Est-ce que ce sont des grossistes, des détaillants, des chaînes? La réponse est oui à toutes ces questions. Il peut y avoir différents types de récipiendaires.
La sénatrice Ringuette : A priori?
M. Cormier : A priori, les plus grandes quantités viennent des grossistes. C'est pourquoi il faut identifier les récipiendaires, nécessairement. Il y a un procès important qui implique l'ASFC à ce sujet. Cela implique aussi des enquêtes qui peuvent être complexes. La raison pour laquelle nous voulons nous doter de nouveaux outils dans le cadre de la loi, c'est pour nous offrir la possibilité d'utiliser différentes méthodes d'enquête qui nous permettront de faire avancer des enquêtes plus complexes.
La sénatrice Ringuette : Dans les marchandises dont la valeur de 38 millions de dollars nous a été rapportée, y avait- il de la nourriture?
M. Cormier : Je n'ai pas cette information. Je ne sais pas si nous y aurions accès non plus.
[Traduction]
M. Halucha : La plus grande catégorie était celle des textiles. Je ne me rappelle pas si les produits alimentaires figuraient sur la liste, mais ce n'était pas une des principales catégories. Il s'agit surtout de produits de consommation.
En ce qui concerne l'infraction criminelle qui sera ajoutée si le projet de loi est adopté, une des dispositions précise que la personne doit avoir agi sciemment. L'infraction comporte donc un élément de mens rea. Ainsi, une personne ne pourra être reconnue coupable si elle signe par inadvertance un contrat avec un fournisseur qui est un distributeur de produits contrefaits, et qu'elle l'apprend seulement après coup. Il y a donc cette disposition. C'est une protection très importante qui est prévue dans le projet de loi.
Quant à votre question de savoir qui paiera les coûts, supposons que j'essaie, en toute bonne foi, de me procurer un produit et que je découvre qu'il s'agit d'un produit contrefait, à la suite d'une enquête de la GRC ou d'une poursuite intentée par un titulaire de droits. Je suppose que, dans la plupart des cas, les grandes chaînes ont évidemment tout intérêt à maintenir des produits de qualité et qu'elles n'iront pas acheter des produits contrefaits. Donc, si elles se retrouvent dans une telle situation par inadvertance, c'est probablement parce qu'elles ont signé, à leur insu, ce genre de contrats.
La sénatrice Ringuette : Pour revenir aux 38 millions de dollars et au recours au processus judiciaire dans certains cas, y a-t-il eu des poursuites intentées par les propriétaires canadiens de marque de commerce?
M. Cormier : Comme le propriétaire de la marque de commerce est habituellement la victime, c'est sûr que la victime doit être disposée à poursuivre l'affaire pour que nous puissions aller de l'avant avec l'enquête criminelle. C'est un des éléments dont il faut tenir compte.
La sénatrice Ringuette : Vous n'avez peut-être pas les détails à portée de la main, mais je...
M. Cormier : Je peux vous dire, par exemple, combien de cas ont été soumis à des poursuites.
Le président : Nous pourrions y revenir.
M. Cormier : D'accord, parfait.
La sénatrice Ringuette : Merci.
Le président : Monsieur Ryan, aviez-vous une observation à faire?
Michael Ryan, analyste principal, Direction de la politique du droit d'auteur et des marques de commerce, Industrie Canada : Je pourrais peut-être aider à clarifier les choses. Ces poursuites sont intentées par la Couronne, et le propriétaire de la marque du commerce serait un témoin pertinent pour prouver que les droits en cause lui appartiennent, mais ce sont les procureurs de la Couronne et la police qui intentent les poursuites et mènent les enquêtes.
La sénatrice Ringuette : C'est donc dire que nous modifions actuellement le processus.
M. Ryan : Non, nous ajoutons en fait plus d'outils pour permettre à la police d'enquêter sur d'autres cas — beaucoup plus de cas concernant l'importation, la fabrication et la vente. Lorsque la Couronne n'intente pas des poursuites, nous donnons aux titulaires de droits l'occasion d'accéder à l'information afin de leur permettre de faire valoir leurs droits au civil.
Le président : Sénatrice Ringuette, je vous accorderai du temps au deuxième tour.
[Français]
Le sénateur Massicotte : On constate que la coopération entre les pays est une condition fondamentale du succès. En gardant cet objectif en tête, quand des produits de contrefaçon sont en transit au Canada pour aller vers les États-Unis et vice versa, on a le droit d'aviser nos collègues américains qu'il y a une livraison de produits contrefaits qui arrive. J'accepte cela. Alors, lorsqu'un produit de l'Asie destiné aux États-Unis transite au Canada, nos procédures de vérification sont-elles aussi rigoureuses que si le produit était destiné au Canada?
[Traduction]
Mme Imrie : En ce qui concerne les marchandises en transit, normalement, une telle procédure serait mise en branle, comme M. Hill l'a dit, uniquement si une cargaison devait soulever des préoccupations du point de vue de la sécurité nationale : criminalité, contrebande, armes illicites. C'est sur quoi nous concentrerions notre attention dans le cas des marchandises en transit.
Pour ce qui est des marchandises qui arrivent au Canada aux fins d'importation, nous appliquerions les 90 lois du Parlement qui sont en vigueur au Canada, ce qui pourrait faire intervenir d'autres ministères gouvernementaux comme l'ACIA, Santé Canada, et cetera. Il y a plus de dispositions qui s'appliquent à l'importation qu'aux marchandises en transit.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Vous avez dit, en réponse au sénateur Tannas, que si on recevait en transit un produit à destination des États-Unis, on les aviserait, mais que cela est exceptionnel, parce qu'on ne vérifie pas les produits, effectivement. C'est par hasard qu'on peut aider les Américains. En termes de coopération internationale, c'est peu.
Alors, prenons l'exemple contraire, où un produit destiné au Canada arrive par l'intermédiaire des États-Unis. Les Américains traitent-ils ce produit à part, sans effectuer une vérification, comme on le fait, ou à tout le moins, en vérifiant le pays d'où vient l'envoi, puisqu'on parle de coopération entre les pays à ce sujet?
[Traduction]
Mme Imrie : Il importe de signaler qu'aux termes du projet de loi, nous protégerions le marché national ou nous appliquerions les lois du Canada. Ainsi, le Canada n'imposerait pas ses dispositions nationales concernant la propriété intellectuelle, et il en serait de même dans le cas inverse. Je ne sais pas si Paul souhaite ajouter quelque chose.
Le sénateur Massicotte : Ce n'est pas ça, ma question. Là où je voulais en venir, c'est que les Américains ont soulevé un point valable auprès de la plupart des sénateurs ici, parce que nous les avons rencontrés. Ils nous ont demandé de les aider à vérifier les marchandises qui entrent au Canada à destination des États-Unis et de les aviser dès que nous découvrons des produits contrefaits. Ils nous ont priés d'exercer le pouvoir dont nous disposons pour réduire le nombre de ces produits. Vous dites que nous avons le pouvoir de les aviser, mais nous ne prenons aucune mesure particulière, comme la tenue d'inspections, pour renforcer l'interception de produits contrefaits. Bon, d'accord, c'est notre position. Mais, selon moi, les Américains font une plainte fondée et une demande valable en sollicitant notre aide. À l'inverse, si des produits en provenance de la Chine sont en transit aux États-Unis pour être acheminés vers le Canada, les Américains nous aident-ils comme ils veulent que nous les aidions?
Mme Imrie : Dans l'état actuel des choses, il y a beaucoup de renseignements qui sont échangés entre le Canada et les États-Unis, et l'initiative Par-delà la frontière vient certainement renforcer cet effort, car elle permet de cibler ensemble les risques ou d'échanger l'information pertinente. Nous miserons assurément sur les initiatives qui sont déjà en place pour accroître davantage l'échange d'information. Grâce au projet de loi, nous pouvons envisager un plus grand échange d'information à l'avenir.
Le sénateur Massicotte : Ma question porte très précisément sur les marchandises en transit. Si les produits passent par le Canada en toute légalité, mais qu'ils sont destinés aux États-Unis, nous n'avons pas grand-chose à faire dans ce cas-là, à moins que nous soyons au courant d'un problème. Mais l'inverse est-il vrai? Les Américains examinent-ils toutes les marchandises qui entrent dans leur pays, peu importe si elles sont destinées au Canada ou aux États-Unis? Y a-t-il une différence de traitement? Les Américains font-ils un examen plus détaillé de ces questions que nous et, par conséquent, leur plainte serait-elle valable? Je veux simplement savoir ce qu'ils font pour nous dans ce domaine.
Mme Imrie : Paul, vouliez-vous ajouter quelque chose?
M. Halucha : Je ne suis pas un spécialiste lorsqu'il s'agit de déterminer comment les États-Unis administrent leurs relations transfrontalières. Je me contenterais de répéter ce que le ministre a dit, à savoir que nous ne vivons pas dans une union douanière. Les droits de propriété intellectuelle sont en fait des droits territoriaux, et c'est ce que vise le projet de loi. Il s'agit de droits de propriété intellectuelle. Dans la mesure où les États-Unis empêchent l'entrée de cargaisons au Canada lorsque les agents des douanes américains soupçonnent que les produits sont contrefaits ou que les droits d'une personne ont été brimés, ils n'appliquent pas les lois canadiennes puisqu'ils sont aux États-Unis. Ils appliquent plutôt les lois américaines aux marchandises qui sont destinées au Canada.
Le sénateur Massicotte : Revenons au cas des marchandises qui se trouvent physiquement au Canada, mais qui sont en transit vers les États-Unis, et disons qu'il s'agit clairement de produits contrefaits; votre explication semble suggérer que nos lois ne nous permettent pas d'intercepter ces produits, même s'ils ne sont pas destinés au consommateur canadien.
M. Halucha : C'est justement ce que le projet de loi permet aux agents des douanes de faire : intercepter les produits parce qu'il y a un crime contre la propriété intellectuelle.
Le sénateur Massicotte : Même si les produits n'ont pas pour destination le Canada, leur expédition sur nos territoires va à l'encontre des lois canadiennes?
M. Halucha : Il y a une exception dans le projet de loi, et c'est essentiellement la raison pour laquelle les autorités américaines sont venues vous voir, et elles ont également communiqué avec nous. L'exception précise qu'en cas de préoccupations liées uniquement à la propriété intellectuelle, les autorités canadiennes devront transmettre l'information. Nous ne retiendrons pas ces produits aux termes de nos lois.
Le sénateur Massicotte : Est-ce que cela va à l'encontre de nos lois?
M. Halucha : Si les produits ne sont pas destinés au marché canadien, mais qu'on craint qu'ils puissent y entrer, alors il y a effectivement une infraction possible liée à la contrebande. On peut les intercepter.
Le sénateur Massicotte : Je dois dire — et je ne suis pas un expert en la matière — que votre réponse me surprend beaucoup.
Par conséquent, les produits contrefaits, plus précisément les médicaments contrefaits qui entrent au Canada, se trouvent physiquement ici — au port de Montréal ou peu importe —, et il est clairement établi qu'il s'agit de contrefaçons de produits dont la propriété intellectuelle est enregistrée ici, mais vous dites que nous n'avons pas le droit de les intercepter parce qu'ils ne sont pas destinés au consommateur canadien.
M. Halucha : Votre exemple concerne un produit pharmaceutique contrefait. Les agents des douanes canadiens ont déjà les pouvoirs législatifs nécessaires pour intercepter ces produits. Ils n'ont pas besoin de pouvoirs supplémentaires à cet égard.
Le sénateur Massicotte : Et qu'en est-il d'un chandail de hockey?
M. Halucha : Dans le cas d'un chandail de hockey, s'il n'y a qu'une infraction liée à une marque de commerce, l'agent des douanes canadien pourra certainement communiquer avec les autorités pertinentes aux États-Unis.
Le sénateur Massicotte : Mais il ne pourra pas saisir ces marchandises?
M. Halucha : Non, il ne le pourra pas s'il s'agit uniquement d'une infraction mettant en cause une propriété intellectuelle concernant un produit qui entre sur le marché canadien.
Le sénateur Massicotte : C'est donc interdit par la loi?
M. Halucha : Sauf s'il y a une préoccupation sur le plan de la santé ou de la sécurité.
Le sénateur Massicotte : Même si les produits ne sont pas destinés au Canada, aux Canadiens, c'est interdit par la loi?
M. Halucha : Mais la loi de quel pays?
Le sénateur Massicotte : Les lois canadiennes concernant un produit pharmaceutique.
M. Halucha : Si le produit n'est pas destiné au marché canadien, alors qu'est-ce qui nous donne le droit d'y imposer nos lois?
Le sénateur Massicotte : Même dans le cas d'un produit pharmaceutique?
M. Halucha : Là, c'est différent. Si le produit devait soulever des préoccupations en matière de santé et de sécurité, il pourrait être retenu.
Le sénateur Massicotte : Même si ce n'est pas destiné aux Canadiens?
M. Halucha : C'est exact.
Le sénateur Massicotte : Que faisons-nous pour intercepter ces produits?
Mme Imrie : Bien sûr, s'il y a des préoccupations en matière de santé et de sécurité, comme je l'ai dit, dans les cas de marchandises qui traversent notre pays, dans les cas d'activité criminelle, nous avons déjà le pouvoir d'appliquer de nombreuses lois du Parlement, notamment celles qui relèvent de Santé Canada, et cetera.
Donc, là encore, nous compterions sur les outils déjà mis à notre disposition, c'est-à-dire les données figurant sur les manifestes, l'information préalable sur les cargaisons, l'information recueillie par nous-mêmes ou par nos partenaires internationaux, ainsi que les indicateurs utilisés par l'Agence des services frontaliers du Canada pour déterminer s'il y a un sujet de préoccupation. Ce serait l'objet de nos examens et inspections, et nous prendrions des mesures pour renvoyer certains cas à nos partenaires.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Ma question est liée aux modifications proposées à la Loi sur le droit d'auteur et à l'effet de la répartition des coûts. Je comprends que, désormais, les coûts liés à l'entreposage, à la manutention, à la destruction des biens retenus par les services de douane, tous ces frais reliés seront imputés aux détenteurs de droits d'auteur plutôt qu'à l'importateur qui, lui, commet une infraction en important des biens contrefaits.
Est-ce que ce n'est pas un peu injuste de faire supporter ces frais par ceux qui ont les droits d'auteur? Qu'est-ce qui arrive si la propriété des droits d'auteur ne se situe pas au Canada? Donc, si la propriété des droits d'auteur est en Europe ou aux États-Unis, à ce moment-là, est-ce que l'importateur ira chercher sa cargaison et ne paiera rien? Qui va payer quoi? Il n'y a pas, ici, un peu d'injustice dans la répartition des coûts?
[Traduction]
M. Halucha : En ce qui concerne le système de demande d'aide, il y a deux principes fondamentaux, le premier étant la présomption d'innocence. D'ailleurs, nous utilisons toujours le terme « importateurs ». Nous ne déclarons pas a priori qu'ils sont des faussaires. C'est la cour qui détermine si c'est le cas, et non pas les services frontaliers. Le système de demande d'aide sera mis en place au profit des titulaires de droits. Ils ne sont pas obligés de s'y inscrire. S'ils choisissent de le faire parce que c'est dans leur intérêt, alors ils pourront aller de l'avant. Le système leur permettra d'obtenir l'information à la frontière et d'intenter des poursuites au civil.
C'est vraiment dans leur intérêt et, comme le ministre l'a dit, les droits de propriété intellectuelle sont des droits privés.
Le premier principe sur lequel reposent les services frontaliers, c'est que la personne est innocente jusqu'à preuve du contraire, et c'est aux tribunaux de trancher la question. Deuxièmement, comme il s'agit d'un droit privé, c'est à la personne d'assumer les coûts de la retenue temporaire.
Pour ce qui est de savoir s'il y a injustice ou non, je signale que si les titulaires de droits décident d'acquérir les produits en cause dans le but de faire valoir leurs droits devant un tribunal, ils peuvent obtenir des dommages-intérêts, ce qui comprend le remboursement de ces coûts. Nous avons bien précisé dans le projet de loi qu'ils pourront récupérer les coûts liés à la retenue et à l'entreposage des produits en s'adressant à un tribunal. Ils ont donc cette possibilité. D'une part, ils ne sont pas obligés de faire partie du système. D'autre part, ils peuvent récupérer ces coûts au terme d'une procédure judiciaire.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Ceux qui détiennent les droits de propriété sont des petites entreprises; ceux qui ont inventé n'ont pas les moyens financiers de soutenir ces frais. Est-ce que cela signifie que la contrefaçon demeurera impunie? En d'autres mots, si la personne dont les droits de propriété sont lésés n'a pas les moyens financiers d'entreprendre ces démarches, car cela peut arriver.
Le sénateur Massicotte : C'est souvent le cas.
La sénatrice Bellemare : Qu'est-ce qui va arriver?
[Traduction]
M. Halucha : Vous voulez savoir ce qui se passe dans le cas précis des petites et moyennes entreprises? Si elles décident qu'il est dans leur intérêt d'utiliser le système de demande d'aide, elles doivent disposer des ressources nécessaires pour faire respecter leurs droits. La situation ne serait guère différente si elles découvraient les produits sur le marché canadien. Si les titulaires de droits trouvaient par hasard des versions contrefaites de leurs produits en vente dans un magasin, ils auraient quand même un problème d'accès à la justice. Ils seraient obligés d'avoir les ressources nécessaires pour faire valoir leurs droits. C'est ainsi que fonctionne le système judiciaire au Canada.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Ils vont être obligés d'emprunter ou de s'endetter pour faire en sorte que leurs droits soient respectés? Est-ce que la situation peut aller jusque-là ou est-ce que le gouvernement a des possibilités d'intervenir?
[Traduction]
M. Halucha : Au Canada, il s'agit d'un droit privé.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Cependant, la Couronne, vous l'avez mentionné tantôt, a le droit d'intenter des poursuites pour contrefaçon. Dans quel cas va-t-elle décider d'aider la petite entreprise? Il y a certainement une politique ou des lignes directrices qui existent? Dans ce cas, la Couronne va s'impliquer, mais quels sont les critères d'application?
[Traduction]
M. Halucha : D'entrée de jeu, je dirais que vous avez raison. Si, au terme d'une enquête, la GRC décidait de cibler un réseau de contrefaçon dont sont victimes un grand nombre de petites et moyennes entreprises, les coûts seraient alors assumés par la Couronne, puisqu'il s'agit d'un réseau criminel de grande envergure auquel il faut s'attaquer.
Le sénateur Massicotte : Donc, le critère, c'est la présence d'un réseau criminel?
M. Halucha : Oui.
[Français]
M. Cormier : Les groupes du crime organisé, principalement, sont ceux que nous allons viser, qui sont impliqués. S'ils sont impliqués et que les victimes représentent un nombre de petites entreprises, nous allons certainement les aider. En ce qui concerne l'enquête, le procureur et le procès à la cour, les frais qui en résultent restent à la cour.
J'aimerais prendre l'occasion aussi de confirmer que dans les statistiques qu'on a présentées plus tôt, il n'y avait pas de produits alimentaires. De plus, au Canada, il y a eu 164 condamnations, de 2005 à 2012, dans le cadre de cas qui concernaient la contrefaçon.
Le sénateur Massicotte : Monsieur Cormier, quelle portion de votre budget annuel est disponible pour les poursuites de la Couronne?
[Traduction]
Le président : Je regrette, mais ce n'était pas une question complémentaire. Je vous accorderai du temps au deuxième tour.
[Français]
La sénatrice Hervieux-Payette : J'ai une question pour vous, monsieur Cormier. Combien d'effectifs additionnels seront nécessaires, à la suite de l'adoption de cette loi qui devrait donner des résultats, étant donné que vous allez avoir des ressources additionnelles pour la sécurité du pays et plusieurs autres de vos mandats?
En ce qui a trait à l'application du projet de loi C-8, vous avez reçu un budget pour obtenir des ressources additionnelles, de même que les services douaniers. Combien de personnes supplémentaires participeront à l'application de cette loi?
M. Cormier : Il n'y a pas de personnel additionnel pour assurer l'application de la loi. C'est la nature des choses au sein de la GRC. On fait face à différentes priorités d'un jour à l'autre. Il faut assigner nos ressources en conséquence. En ce qui concerne les cas qui nous sont transmis, il faut leur donner la priorité au même titre que ceux que nous avons en même temps.
La sénatrice Hervieux-Payette : Combien d'heures de formation allez-vous offrir pour que les gens puissent appliquer la loi? Allez-vous tenir une série de rencontres avec les officiers sur le terrain pour les informer des modalités de la nouvelle loi?
M. Cormier : Il y a différentes méthodes pour transmettre l'information aux enquêteurs lorsque des modifications sont apportées à la loi. Avec les avancées technologiques, il y a la possibilité d'offrir des cours en ligne. L'information est aussi diffusée par courriel. En outre, nous allons certainement aborder l'application des nouvelles lois dans le cadre des cours à venir.
La sénatrice Hervieux-Payette : Entre vos deux services et les entreprises dont on vole les marques de commerce, quel est le plus grand nombre? Est-ce que c'est vous qui lancez le plus de procédures ou est-ce que ce sont ceux dont les marques de commerce sont volées? Est-ce que vous vous occupez de la fin, où vous recevez 20 p. 100 et eux reçoivent 80 p. 100 des plaintes? En fait, qui dépose le plus souvent des plaintes?
M. Cormier : Qui dépose le plus souvent des plaintes?
La sénatrice Hervieux-Payette : Oui.
M. Cormier : La plupart des plaintes nous ont été transmises par les services frontaliers. Nous sommes davantage intéressés aux grosses quantités qui ont un impact sur le Canada. Nous accordons donc la priorité aux causes qui impliquent le crime organisé, tant au Canada qu'à l'échelle internationale.
La sénatrice Hervieux-Payette : Est-ce que la loi réduira de façon substantielle le temps qu'il faut mettre entre la saisie, la mise en accusation, la résolution et l'application de la peine encourue? Est-ce qu'on va améliorer cela? En général, les tribunaux au Québec accusent deux ans de retard dans pratiquement toutes les causes. Disons que, demain matin, juste avant les Fêtes, le Canada faisait face à une autre cause impliquant les produits Canada Goose. On voit que des démarches sont entamées sur le marché ou que vos collègues font des saisies aux frontières. Combien de temps faudra-t-il pour arrêter l'hémorragie?
M. Cormier : Le procès et les enquêtes peuvent être complexes. Ce sont des outils qui nous sont donnés. Cela fait partie de notre boîte à outils pour les enquêtes. Je ne suis pas certain que cela puisse réduire la durée des enquêtes, mais ces nouveaux outils vont certainement nous aider.
En ce qui concerne Canada Goose, j'aimerais soulever un point à ce sujet. La contrefaçon n'est pas nécessairement faite au Canada. Bon nombre de gens sont impliqués. Ils trouvent un site web qui vend ce genre de produits et les achètent sur Internet. Au Canada, vous connaissez sans doute le Centre antifraude du Canada, situé à North Bay. Il y a un procès qui est en cours. De nombreuses personnes appellent. Il y a une hausse du nombre d'appels de gens qui ont recours à cela. Un procès est en place pour aider les victimes en leur donnant des conseils sur les démarches qu'elles doivent entreprendre. L'information que l'on reçoit est partagée avec les autorités internationales et avec les banques qui produisent les cartes de crédit pour les aviser qu'il s'agit de fraudes. Les banques ou les groupes qui gèrent les cartes de crédit arrêtent les paiements pour ces produits. On minimise les fraudes de cette façon. Il ne s'agit pas seulement de l'application de la loi et des tribunaux. Parfois, il existe d'autres moyens de régler les problèmes. C'est ce qu'on appelle avoir d'autres recours.
La sénatrice Hervieux-Payette : Pour ce qui est de l'application de la loi, avez-vous élaboré un plan de communication afin que les victimes sachent que, dorénavant, il sera plus facile d'empêcher les fraudeurs de vendre des produits contrefaits sur le marché canadien?
M. Cormier : La prévention, l'éducation et la diffusion de publicités assez féroces font partie des solutions. Il y a déjà des annonces qui expliquent que l'achat de produits contrefaits encourage le crime organisé. C'est le genre de message qui est lancé.
La sénatrice Hervieux-Payette : J'aimerais que vous nous transmettiez le budget consacré aux communications en ce qui concerne l'application de la loi.
M. Cormier : Je ne sais pas si nous disposons d'un document distinct, mais je peux certainement le vérifier.
[Traduction]
La sénatrice Ringuette : Monsieur Ryan, j'aimerais reprendre là où nous étions rendus dans notre discussion de tout à l'heure au sujet des poursuites. Vous avez parlé de statistiques concernant les 38 millions de dollars enregistrés en 2012, et vous avez dit qu'il s'agissait surtout de poursuites intentées par la Couronne. Ai-je bien compris?
M. Ryan : Oui.
La sénatrice Ringuette : Pourquoi est-ce le cas, s'il s'agit de contrefaçon?
M. Ryan : Je pense qu'il y a deux éléments importants à ne pas perdre de vue. Il y a l'aspect criminel, c'est-à-dire la responsabilité de la GRC d'enquêter sur des cas et de les transmettre aux procureurs, mais il y a aussi l'aspect civil, en ce sens qu'il s'agit d'une action privée. La GRC ne joue pas de rôle dans la surveillance du respect des droits privés.
Il existe beaucoup de jurisprudence qui montre que des titulaires de droits s'adressent à la Cour fédérale pour faire respecter leurs droits, mais il s'agit là de leurs droits privés, par opposition aux infractions criminelles et aux recours criminels dont s'occupe la GRC.
La sénatrice Ringuette : Sur les 38 millions de dollars, combien représentent les poursuites criminelles intentées par la Couronne?
M. Ryan : Les statistiques qu'on vous a données concernent les enquêtes de la GRC.
La sénatrice Ringuette : Ce serait seulement...
M. Ryan : C'est la Couronne, c'est-à-dire la GRC qui applique...
La sénatrice Ringuette : ... l'aspect criminel.
M. Ryan : C'est exact.
La sénatrice Ringuette : Dans les cas de contrefaçon, comment faites-vous pour établir la ligne de démarcation entre une affaire criminelle, une affaire mettant en cause une marque de commerce et une affaire liée à la protection des consommateurs?
M. Ryan : Il faut examiner la question sous différents angles, et cela dépend de la nature des produits eux-mêmes. Le projet de loi porte sur l'importation, la fabrication et la vente à l'échelle commerciale. C'est le critère de l'échelle commerciale et l'acte de vendre sciemment un produit contrefait qui...
La sénatrice Ringuette : Justement, quand on a affaire à un volume élevé d'importations commerciales de produits contrefaits, à qui revient la décision de déterminer s'il s'agit d'une activité criminelle ou d'une activité mettant en cause des marques de commerce? Il pourrait aussi s'agir des deux à la fois. Que se passera-t-il alors?
M. Ryan : En l'occurrence, ce que nous envisageons, c'est d'essayer de filtrer les marchandises à la frontière. Ce qui importe le plus dans une telle situation, c'est toujours l'intérêt de l'État à l'égard de ces produits. Ces cas seront transmis à la GRC et, s'ils remplissent les critères d'enquête concernant les produits visés, la GRC intentera des poursuites; sinon, il y a aussi lieu de faire intervenir Santé Canada pour voir si ce ministère voudrait poursuivre l'affaire. Autrement, le titulaire de droits a la possibilité de lancer des recours pour faire valoir ses droits privés.
La sénatrice Ringuette : Ce seront donc les services frontaliers qui décideront de l'orientation à prendre, en fonction des produits.
M. Ryan : Ils décideront à qui transmettre le dossier.
La sénatrice Ringuette : En fait, on pourrait avoir affaire aux trois cas à la fois : infraction criminelle, marque de commerce et protection des consommateurs. Merci.
Le président : Le sénateur Massicotte veut-il avoir le mot de la fin pour poser une question courte et directe? Il faut que ce soit bref, comme d'habitude.
Le sénateur Massicotte : Je pose toujours de brèves questions. Quelle proportion de votre budget annuel total est-elle consacrée aux poursuites intentées par la Couronne pour lutter contre les criminels?
M. Cormier : En ce qui concerne les 38 millions de dollars — et j'ignore si c'est ce à quoi vous faites allusion —, je tiens à préciser que ce montant ne représente pas le budget de la GRC. Il s'agit là de la valeur des marchandises saisies.
Le sénateur Massicotte : C'est pourquoi je vous pose la question.
M. Cormier : Ce n'est pas la valeur de notre budget. Le budget de la GRC fait partie du budget total des services policiers fédéraux. Je vais devoir vous donner un chiffre global à ce sujet.
Le sénateur Massicotte : Très bien. Pourriez-vous faire parvenir l'information à la greffière, pour qu'elle puisse nous la transmettre?
M. Cormier : Absolument.
Le sénateur Massicotte : Vous voyez, monsieur le président, mes questions sont toujours très courtes.
Le président : Tout à fait. M. Halucha avait une dernière observation à faire.
M. Halucha : Je voulais souligner un point. Nous avons beaucoup parlé de l'accès aux tribunaux et, bien entendu, il s'agit là d'un élément extrêmement important du cadre législatif que nous mettons de l'avant.
Je vous rappelle également qu'un des amendements importants présentés à la Chambre des communes concernait l'utilisation de l'information fournie aux garde-frontières et l'interaction entre ces derniers et les titulaires de droits. Nous avons précisé que cette information pourrait servir à conclure un règlement à l'amiable avec l'importateur.
Là encore, les hypothèses sont nombreuses puisque nous avons tendance à penser à l'exemple le plus frappant, c'est- à-dire à l'éventualité qu'une personne importe sciemment des produits contrefaits. Toutefois, il y a des cas où l'importateur fait confiance à son fournisseur, et la première fois qu'il apprend avoir importé des produits contrefaits, c'est lorsqu'un avocat vient le voir à son bureau pour lui dire que ses marchandises sont retenues à la frontière; du coup, la personne est aux prises avec un problème.
Ce dont nous avons clairement besoin dans la législation — et c'est un changement positif que le Parlement a apporté —, c'est de s'assurer qu'il y a moyen d'échanger l'information entre le titulaire de droits et l'importateur en vue d'en arriver à un règlement à l'amiable. Ainsi, le titulaire de droits pourrait faire respecter ses droits sans tarder. Par ailleurs, il n'y a aucun coût pour la Couronne. Les marchandises seraient rapidement dédouanées à la frontière. En fait, selon moi, c'est ainsi que le système finirait par fonctionner dans la plupart des cas. D'ailleurs, dans le cadre de nos consultations sur le projet de loi, nous avons appris que dans 90 à 95 p. 100 des cas où les marchandises sont retenues, le dédouanement se fait par règlement à l'amiable. C'est la première mesure que l'on prend. Je crois qu'il est très important d'ajouter cette dernière étape.
Le président : Merci, monsieur Halucha. Au nom de tous les membres du Comité sénatorial des banques, je tiens à remercier les témoins d'être venus témoigner aujourd'hui. Vous nous avez fourni des renseignements très utiles pour notre étude du projet de loi C-8. La séance est levée.
(La séance est levée.)