Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 21 - Témoignages du 10 décembre 2014
OTTAWA, le mercredi 10 décembre 2014
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, pour étudier l'utilisation de la monnaie numérique.
Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour et bienvenue au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Aujourd'hui, aussi incroyable que cela puisse paraître, nous en sommes à la dernière réunion de 2014 et à la 12e séance de notre étude sur l'utilisation de la monnaie numérique, qui porte notamment sur les risques, les menaces et les avantages potentiels de ces formes électroniques d'échange.
Encore à l'étape de concept, le comité a écouté des exposés du ministère des Finances, de la Banque du Canada, de l'Agence du revenu du Canada et de l'Association canadienne des paiements. Nous avons entendu des témoignages d'universitaires des domaines de l'économie, de l'histoire monétaire et de la cryptographie. Le comité a en outre entendu les témoignages des représentants de diverses sociétés d'échange de bitcoins et du grand spécialiste du domaine, M. Andreas Antonopoulos.
Aujourd'hui, je suis heureux d'accueillir M. Jason Dearborn, qui est président de la Dominion Bitcoin Mining Company. L'entreprise de M. Dearborn, un ancien député de l'Assemblée législative de la Saskatchewan, exerce ses activités dans le domaine du minage de bitcoins et a conclu un partenariat avec la société CoinCad, de Toronto, qui est spécialisée en cryptologie et en sécurité de portefeuille. Comme nous l'avons appris, le minage de bitcoins est le processus de création des bitcoins, mais je n'en décrirai pas le fonctionnement plus en détail, car je suis certain que M. Dearborn pourra l'expliquer beaucoup mieux que moi.
J'ai également le plaisir d'accueillir les représentants du Digital Finance Institute. Il s'agit de M. Manie Eagar, qui est cofondateur et président; il est accompagné de Mme Christine Duhaime, qui est cofondatrice et directrice générale. Le Digital Finance Institute est un organisme à but non lucratif situé à Vancouver, en Colombie-Britannique. Dans le secteur de la finance numérique, l'institut constitue un lien stratégique entre l'industrie, le milieu universitaire, les organismes de réglementation du secteur financier et les décideurs. Parmi les champs d'intérêts de l'institut, notons le développement de la technologie et de la commercialisation de la finance numérique, la réglementation de la finance numérique et l'inclusion financière.
Nous entendrons d'abord l'exposé de M. Dearborn, suivi de M. Eagar et de Mme Duhaime.
Monsieur Dearborn, la parole est à vous.
Jason Dearborn, président, Dominion Bitcoin Mining Company : Mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie d'étudier l'important enjeu que représentent les cryptomonnaies, en particulier les bitcoins. Aujourd'hui, je vais me concentrer sur le cadre réglementaire de Bitcoin au Canada; je parlerai de l'état actuel des choses et de l'avenir, et j'expliquerai pourquoi il en est ainsi. Étant donné que j'œuvre dans l'industrie et que j'ai été législateur pendant deux mandats, j'estime être bien placé pour présenter des commentaires à ce sujet.
La technologie du chaînage de blocs est une technologie perturbatrice. Dans un récent rapport de la Banque d'Angleterre sur les cryptomonnaies, on reconnaît que cette technologie pourrait changer la donne. Bien que ce soit vrai, la période de transition liée à l'intégration d'une nouvelle technologie à des cadres réglementaires qui n'ont pas été conçus pour elle est perturbatrice en soi.
Je suis président de la Dominion Bitcoin Mining Company. Nos activités visent à offrir aux investisseurs accrédités un mécanisme leur permettant d'investir dans l'industrie du Bitcoin. Cela passe par le minage; la distribution des profits se fait par l'intermédiaire de portefeuilles sécurisés en collaboration avec notre partenaire, CoinCad.
Nous avons d'abord engagé un avocat en valeurs mobilières. Nous n'avons toujours pas reçu d'argent d'investisseurs ni entrepris de démarches auprès de qui que ce soit, car nous avons été frappés dès le début d'une interdiction d'opérations sur valeur par le Bureau des affaires financières et des consommateurs de la Saskatchewan. Pour citer l'enquêteur, la décision découle du fait que « le nom de la société contient le terme Bitcoin ». Je vous invite à examiner les faits vous-mêmes lorsque nous les aurons publiés sur Facebook. À ce jour, nous n'avons reçu aucun renseignement.
Cet exemple démontre comment les technologies en évolution peuvent se heurter à des cadres de réglementation désuets. La protection de chasses gardées entraîne le prolongement temporaire du temps de transition.
À ce jour, l'Agence du revenu du Canada a rendu des décisions au sujet des bitcoins, disant qu'ils sont assujettis à l'impôt sur les gains en capital lorsqu'ils sont reconvertis en dollars canadiens. À mon avis, il s'agit malheureusement d'une politique extrêmement mauvaise et à courte vue, car s'ils sont assujettis à l'impôt sur les gains en capital, ils sont aussi admissibles aux déductions de pertes en capital. Étant donné que les portefeuilles en bitcoins sont anonymes, mais que le registre des chaînes de blocs est du domaine public, il serait facile pour une personne de créer une perte en capital grâce au transfert de bitcoins dans un nouveau portefeuille.
Il serait sage que le gouvernement du Canada adopte des politiques adaptées à la technologie plutôt que d'essayer d'adapter un régime qui y est diamétralement opposé. En outre, il n'existe actuellement aucun mécanisme pour le versement des gains associés aux bitcoins dans des comptes d'épargne libre d'impôt, des REER, ou pour les rendre admissibles à des reports d'impôts liés à des assurances vie universelles, des abris fiscaux, et cetera.
La Dominion Bitcoin Mining Company a établi un partenariat avec CoinCad, une entreprise de Toronto mise sur pied par des diplômés du MIT spécialisée en portefeuilles sécurisés. La technologie elle-même permettrait au gouvernement du jouer un rôle actif dans l'élaboration d'une politique pertinente et lucrative sur le plan des revenus fiscaux. Pour les portefeuilles de CoinCad, on utilise un chiffrement sur 256 octets, ce qui est deux fois plus puissant que le chiffrement sur 126 octets normalisé auquel les banques canadiennes ont actuellement recours pour les services bancaires en ligne.
En ce qui concerne les politiques futures liées aux bitcoins, je propose que le gouvernement canadien approuve ou appuie certains portefeuilles, pour lesquels on utiliserait des protocoles de chiffrement extrêmement élevé. En contrepartie, la taxe Tobin ou des frais de transaction seraient encodés à même ces portefeuilles. Je propose l'adoption d'un taux de 0,25 p. 100 par transaction. Ces revenus seraient ensuite versés dans des portefeuilles détenus par le gouvernement du Canada. Selon cette méthode, une petite fraction de toute transaction en bitcoins serait versée dans les portefeuilles du gouvernement du Canada. Initialement, ces dépôts pourraient être utilisés dans un programme comparable à l'assurance-dépôts. Par conséquent, dans l'éventualité où un particulier verrait son portefeuille approuvé par le gouvernement être piraté, il pourrait présenter une demande liée au fonds d'assurance pour les bitcoins, selon les modalités de la réglementation, ce qui équivaudrait par exemple à l'assurance-dépôts relative aux comptes d'épargne. Un tel système favoriserait l'adoption du bitcoin dans l'ensemble du Canada et constituerait également un modèle général en vue de l'interaction nécessaire entre le bitcoin et le gouvernement.
On compte actuellement cinq milliards de téléphones cellulaires dans le monde. D'ici la fin de 2016, ce chiffre aura doublé et pratiquement tout le monde aura accès aux réseaux. À mon avis, ce sont les importantes populations du tiers- monde qui placeront le bitcoin à l'avant-scène, car pour une Libérienne, par exemple, utiliser un téléphone intelligent pour placer ses avoirs dans le nuage, en monnaie non fiduciaire qui peut se déprécier, serait moins risqué que de détenir des devises qui peuvent être touchées par une inflation de 300 p. 100 par année.
De plus, dans les pays qui ont récemment entrepris des révolutions démocratiques — les pays touchés par le printemps arabe, l'Ukraine, la révolution des parapluies, à Hong Kong —, la technologie a été utilisée pour précipiter les changements au sein des gouvernements. Toutefois, ces sociétés n'ont pas les institutions civiles nécessaires pour mettre en place autre chose qu'une « équipe B » pour remplacer un dictateur déchu. Prenez l'Égypte de la période post- Moubarak. L'adoption du bitcoin par les manifestants prive l'État d'un de ses monopoles traditionnels — la fiscalité, ou l'argent — et ne lui laisse que le monopole de la violence. Je vous présente la réalité et non des hypothèses; ces événements ont déjà lieu dans ces pays.
En tant que pays commerçant, le Canada a beaucoup à gagner de l'utilisation du bitcoin, car sauf dans nos échanges commerciaux avec les États-Unis, nous devons actuellement convertir nos contrats en devise de réserve mondiale. Dans mon mémoire écrit, j'ai un exemple qui démontre comment l'utilisation de ces technologies permettrait d'accroître de 3p. 100 la rentabilité de nos exportations.
Je tiens à remercier le comité de m'avoir accueilli; je suis prêt à répondre à vos questions. Merci du temps qui m'a été accordé, monsieur le président.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Dearborn.
Manie Eagar, cofondateur et président, Digital Finance Institute : Honorables sénateurs, merci de me donner l'occasion de témoigner. Je vais tenter d'être bref pour que nous puissions passer rapidement aux séries de questions.
Je vais brièvement vous présenter le Digital Finance Institute; nous voyageons beaucoup et nous entretenons des liens avec divers organismes à l'échelle mondiale. Comme vous pouvez le constater par mon accent, je suis originaire d'Afrique du Sud. Je deviendrai bientôt citoyen canadien, et j'en suis très fier.
Nous obtenons les commentaires d'acteurs importants comme la Banque mondiale et le FMI, et nous discutions avec des parties comme la Fondation Bill et Melinda Gates. Vous êtes sans doute au courant de la déclaration de M. Bill Gates en appui aux cryptomonnaies ou aux nouveaux instruments qui visent à atteindre les personnes dites « non bancarisées » et à favoriser la mise en œuvre accrue d'efforts et de technologies afin que d'autres parties et d'autres membres de la collectivité mondiale aient accès à des services que nous tenons pour acquis.
Au Canada, l'expérience d'un immigrant — ce dont je peux parler, pour l'avoir vécu —, c'est qu'en ce qui concerne les services bancaires et d'autres services, l'immigrant repart à zéro pour établir sa crédibilité. Donc, je suis très bien placé pour juger de la situation du bitcoin. Il s'agit de la dernière innovation; de nouvelles technologies émergent en ce moment même. On tente de leur tailler une place sur les marchés et de démonter leur importance et leur valeur sans courir de risques inutiles.
Le Digital Finance Institute considère que les prises de décisions, l'élaboration et la mise au point des politiques liées à ce secteur reposent sur trois piliers. Le premier est l'innovation. Vous avez sûrement lu les manchettes des journaux, où l'on rapporte que dans les dernières semaines, tout le monde — que ce soit à Londres, à New York, à Dublin, à l'île de Man, aux îles Caïmans, et j'en passe — affirme être un lieu propice aux investissements et aux occasions dans le monde de la finance numérique. Nous aimerions que le Canada soit aussi sur cette liste, s'il ne l'est pas déjà.
L'innovation est l'un des moteurs. Je pense que nous sommes reconnus pour être des chefs de file de l'innovation. Au cours des prochaines années, le monde de la finance numérique suscitera beaucoup d'enthousiasme, probablement de façon marquée, quant à la convergence naissante des technologies et des solutions comme les cryptomonnaies, et à la façon dont on pourra démontrer la valeur de solutions liées au chaînage de blocs de chiffrement, dont vous avez entendu parler.
De par le monde, de plus en plus d'écosystèmes de finance numérique sont lancés, et on observe un soutien accru pour les entrepreneurs et les groupes d'investisseurs qui intègrent l'activité bancaire numérique répartie, les transactions mobiles et les solutions et les plateformes axées sur la cryptomonnaie. Ce n'est pas une mince tâche. Si vous avez eu affaire à des systèmes comme SWIFT ou les échanges interbancaires, vous savez qu'il existe une multitude de plateformes et de protocoles. La participation aux nouveaux marchés de l'économie numérique et d'autres secteurs, comme les initiatives à dimension sociale ou environnementale, l'envoi de devises par les travailleurs à l'étranger, un facteur important pour les communautés originaires de l'étranger établies au Canada.
Ma collègue s'attardera davantage sur la transparence, qui suscite la confiance et amplifie la valeur d'échange. Dans les marchés numériques qui constituent l'économie de partage, il ne suffit pas de fournir un service : ce que les gens veulent — et c'est le plus important —, c'est une expérience de qualité qui est abordable, sûre et accessible.
Il faut, à l'échelle internationale, concrétiser et développer davantage de partenariats et d'initiatives pour mettre en place une réglementation normalisée et équilibrée des paiements/versements numériques et des nouveaux enjeux technologiques. Il faut aussi veiller à l'efficacité et à la réforme des règlements afin que les consommateurs et les investisseurs du secteur financier numérique soient adéquatement protégés, surtout si nous voulons universaliser l'usage de ces inventions et de ces solutions.
L'inclusion est un véritable enjeu. La viabilité de la société mondiale de demain passe par l'inclusion financière, c'est-à-dire l'accès juste et équitable aux ressources, aux richesses, à la valeur d'échange et à des services financiers abordables et pertinents. La politique publique sur l'inclusion financière devrait donc avoir pour priorité la mise à la disposition de toute la population, sans discrimination, des services bancaires et des services de paiement.
Or, des solutions novatrices sont nécessaires pour résoudre les problèmes de l'inclusion financière; soutenir la croissance économique durable; et promouvoir la participation accrue des femmes — en particulier celles des groupes marginalisés — à l'économie numérique et aux technologies financières.
Par exemple, la grande majorité des personnes « non bancarisées » — jusqu'à 98 p. 100 dans certains pays, selon un récent rapport de la Banque mondiale —, c'est-à-dire mal servies par les services bancaires, sont des femmes qui gèrent le revenu de leur maisonnée, qui paient les frais scolaires de leurs enfants, qui sont vendeuses de rues ou qui exercent leurs activités dans divers marchés publics. Nous croyons qu'elles représentent un excellent marché pour les programmes d'inclusion financière et d'apprentissage de la finance numérique, dont certains existent déjà.
À ce sujet, il convient de souligner le succès que connaît M-Pesa. Je ne sais pas si vous en avez entendu parler. C'est possible. Au Kenya, le service M-Pesa montre à quel point les nouvelles technologies financières peuvent atteindre de vastes marchés et publics, au-delà des frontières nationales. Le service M-Pesa, en gros, convertit en monnaie locale des « jetons » correspondant au temps d'utilisation acheté sur le téléphone cellulaire. L'activité économique au Kenya se chiffre aujourd'hui à 44 milliards de dollars, et le quart de ce montant transite par le M-Pesa. Ce service emploie par ailleurs, comme agents, quelque 79 000 personnes qui seraient peut-être au chômage sinon.
Ce n'est pas par hasard si la société Rogers, au Canada, s'est procuré un permis bancaire et a récemment ouvert une « banque » en ligne où elle offre un service de carte de crédit, un programme de récompenses et d'autres avantages. Et ce n'est qu'un début.
Vous entendrez beaucoup parler de l'aspect de la segmentation en unités. J'ai écrit un article qui a été publié hier par l'intermédiaire de l'invention Apple Pay, si vous voulez l'appeler ainsi, dont on parlera beaucoup l'an prochain. Essentiellement, le bitcoin est un jeton qui fonctionne grâce à ce qu'on appelle le chaînage de blocs bitcoin et à d'autres solutions.
Pour nous, les innovations dans le domaine des cryptomonnaies ouvrent maintenant toute une gamme d'applications et de solutions potentielles pour notre économie de plus en plus mondialisée. L'exploration ne doit pas s'arrêter là. Les nouveaux modèles et technologies de finance numérique peuvent avoir un effet positif sur les personnes « non bancarisées » ou exclues et accroître l'accès, l'égalité et l'efficience dans les marchés établis.
En résumé, nous assistons aujourd'hui à une convergence entre trois dimensions distinctes du phénomène de la finance numérique qui représenteront un véritable casse-tête pour les organismes chargés de la réglementation ou de l'établissement des politiques. L'une de ces dimensions, ce sont les banques numériques ou sans succursale, comme on les appelle. Il y a aussi le commerce mobile, les paiements à l'aide d'appareils mobiles et tout ce qui est connecté à Internet. En dernier lieu, et non le moindre, il y a les plateformes d'échange des cryptomonnaies. Lorsque ces domaines ou ces technologies convergent, comme vous l'avez entendu précédemment, vous pouvez imaginer que l'on franchit un grand nombre des frontières entre d'anciennes mesures législatives, une nouvelle réglementation et le commerce mondial. Il sera intéressant de voir comment cela évoluera.
Quel est le potentiel pour le Canada? Notre objectif est d'approfondir notre compréhension de ce domaine en constante évolution de la finance numérique, et d'assurer un leadership sur les plans commercial, public et social. Plus précisément, on estime que le marché numérique, qui représente déjà des échanges commerciaux d'une valeur de 4 000 milliards de dollars à l'échelle mondiale, triplera au cours de la prochaine décennie et qu'il touchera chacun d'entre nous et chacun de nos appareils. Chaque transaction touchera de multiples administrations.
La numérisation du secteur financier est un bouleversement : elle réduit les coûts de service et de distribution et crée des produits et services financiers entièrement numériques qui, s'ils ne sont pas nouveaux eux-mêmes, sont fournis sur des plateformes numériques internationales qui, elles, sont nouvelles.
Ces changements ouvrent des possibilités importantes aux nouvelles technologies financières au Canada, et elles sont l'occasion pour les gouvernements et les entreprises de donner un élan à la croissance et à l'innovation, avec la participation accrue des entrepreneurs.
Dans ce contexte, les gouvernements doivent se poser certaines questions : comment leur économie participera-t-elle à cette évolution? Quel doivent être leur environnement commercial, leur régime de réglementation? Comment peut-il profiter de cette transition mondiale vers la finance numérique? La numérisation de la finance et toute la gamme des nouveaux enjeux qu'elle entraîne nécessiteront de nouveaux investissements et des politiques ciblées.
Actuellement, il n'existe aucun régime ou infrastructure de réglementation mondiale de la finance numérique; on ignore donc comment seront réglementées, par exemple, les transactions financières numériques machine-machine dans le monde de « l'Internet des objets ». Le Canada a l'occasion de prendre l'initiative dans ce domaine.
Christine Duhaime, cofondatrice et directrice générale, Digital Finance Institute : Nous vous sommes reconnaissants de l'occasion d'être ici. Merci de nous permettre de participer à votre étude sur les monnaies numériques.
Aujourd'hui, mes commentaires se rapporteront à d'autres discussions que nous avons entendues aujourd'hui et porteront essentiellement sur les risques de crime financier associés aux monnaies numériques, pour autant que nous en ayons connaissance. J'aborderai certaines solutions et certains enjeux en matière de réglementation, et je traiterai également de l'avenir de la réglementation par rapport aux monnaies numériques. Ensuite, nous parlerons d'inclusion financière, d'atténuation des risques et de protection des emplois au Canada.
Comme vous le savez, la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes est la mesure législative qui régit le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes au Canada. L'objet de cette mesure législative répond à deux objectifs principaux. Le premier est de protéger l'intégrité du système financier. Pour ce faire, nous demandons la participation des banques, qui sont tenues d'identifier les clients et d'assumer ce rôle pour nous. Comme vous le savez, nous signalons ces transactions. Le deuxième objectif est de protéger la sécurité nationale, d'où les dispositions sur le financement des activités terroristes.
En effet, comme l'ont démontré les récents événements, les menaces auxquelles nous sommes confrontés au Canada sont très graves, et cela englobe les menaces croissantes à Vancouver. La semaine dernière, lors de la séance sur le contre-terrorisme, les représentants de la GRC ont fait état des menaces croissantes et importantes venant d'organisations criminelles transnationales. Comme nous l'avons vu à Ottawa dernièrement, il existe des menaces terroristes sur notre propre territoire. Nos lois contre le terrorisme et le blanchiment d'argent nous aident à cerner ce genre de menaces et à nous protéger afin d'éviter la résurgence de tels problèmes.
Le régime de contre-terrorisme et de lutte contre le blanchiment d'argent mis en œuvre dans la foulée des recommandations présentées en 2012 par le Groupe d'action financière a été restructuré de façon à ce que son approche soit uniquement fondée sur le risque. Cette modification visait à prendre en compte divers facteurs.
Premièrement, les banques se sont vues imposer d'importantes amendes et elles dépassaient les exigences de la réglementation en adoptant une réglementation unique appliquée sans discernement.
Deuxièmement, il avait des enjeux liés à l'inclusion financière. En effet, la réglementation accrue de l'industrie des services financiers aggrave le problème de l'inclusion financière. Dans le monde, il y a un nombre déterminé de personnes « bancarisées », « non bancarisées », exclues ou incluses. Reconnaissant le fait que nos lois de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d'argent n'étaient pas censées entraîner un problème d'inclusion financière, le GAFI a procédé à une refonte du système pour permettre l'examen de la réglementation à l'échelle nationale et au sein des institutions financières et ainsi prendre en compte l'inclusion financière.
La stratégie de 2012 du GAFI était que le gouvernement fédéral entreprenne une évaluation nationale du risque dans tous les secteurs, dont la monnaie numérique, même si cela n'existait pas à l'époque; or, c'est pertinent maintenant. L'idée était d'entreprendre une évaluation nationale du risque et de mener également une telle évaluation dans le secteur privé. Il s'agissait de consulter les banques ou toute autre entité pour avoir leurs commentaires et évaluer le risque par activité. De là, les entités déclarantes — les gens de l'industrie des casinos, par exemple — se fonderaient sur l'évaluation des risques fédérale pour préparer leurs propres évaluations des risques en fonction de leur emplacement ou de leurs activités.
À ma connaissance, en tant qu'avocate spécialisée dans la réglementation financière, il n'y a jamais eu d'évaluation des risques dans quelque secteur que ce soit, surtout pas dans l'industrie des casinos — avec laquelle je travaille beaucoup —, et il n'y en a pas eu dans l'industrie des monnaies numériques. Toutefois, certaines entités déclarantes ont mené leurs propres évaluations des risques en fonction de leurs propres examens des secteurs qu'elles considéraient comme des risques. La détermination des risques s'est faite selon une approche ascendante plutôt qu'une approche descendante, alors que cela devrait être le contraire.
L'un des problèmes qui a été soulevé par rapport au projet de loi C-31, qui entraînera la réglementation de l'industrie des bitcoins et des monnaies numériques et qui en fera des entreprises de services monétaires — ou ESM — et, par conséquent, des entités déclarantes aux termes de la réglementation sur les crimes financiers, ce qui les obligera à identifier les clients et à transmettre des déclarations à CANAFE, c'est que le dialogue sur l'évaluation nationale des risques qui devait avoir lieu n'a pas eu lieu. On n'a pas demandé aux gens du secteur de la monnaie numérique d'évaluer ces risques. À notre connaissance, il n'existe aucun document national. La réglementation qui découlera du projet de loi C-31 — je crois comprendre qu'il y a eu un retard, mais qu'elle sera prête sous peu — régira la monnaie numérique sans qu'un dialogue ait eu lieu. L'une de nos recommandations est de tenir un tel dialogue, de prendre du recul et de veiller à la tenue de l'évaluation nationale des risques pour déterminer s'il existe des risques de crime financier associés aux monnaies numériques.
Je tenais à vous parler d'une des questions que l'on me pose constamment, soit la question de savoir si les monnaies numériques représentent un risque quant au financement du terrorisme. C'est une question intéressante. Comme nous l'avons entendu dans un témoignage précédent, une transaction en bitcoins peut se faire de façon anonyme. En fait, j'ai créé un portefeuille tout à fait anonyme, mais certains services de portefeuilles électroniques ne le sont pas. Donc, on se retrouve dans un système où certaines personnes se conforment volontairement aux lois de lutte contre le blanchiment d'argent; ces gens ont des portefeuilles qui ne sont pas anonymes. Ensuite, il y a un autre groupe de gens — dont moi, à titre expérimental — qui ont créé des portefeuilles tout à fait anonymes.
J'utilise cet exemple des portefeuilles anonymes pour vous dire que si je le voulais et s'il avait un portefeuille de bitcoins, je pourrais d'ici même transférer des bitcoins au dirigeant de l'État islamique à l'aide de mon téléphone intelligent sans que personne le sache. Ce serait une transaction non signalée. Si j'étais une sympathisante de l'EI, je pourrais transférer 10 millions de dollars en trois minutes.
De mon côté, cette transaction ne serait pas enregistrée, signalée ou connue, étant donné que je détiens un portefeuille anonyme. Or, cela va plus loin : si, de l'autre côté, l'organisation terroriste détient également un portefeuille anonyme, la transaction serait parfaitement anonyme.
Cela dit, toutefois, les représentants du Trésor américain ont indiqué que rien ne prouve que les bitcoins soient fréquemment utilisés pour financer le terrorisme et je ne les ai jamais entendus dire que cela s'était produit. Je ne veux pas faire peur aux gens en disant qu'il y a des risques associés au financement du terrorisme. Il y a un risque, mais nous n'avons aucune preuve que cela s'est produit.
Comme les transactions en bitcoins sont anonymes, il y a d'autres risques. Des gens qui travaillent en Chine me l'ont indiqué, les bitcoins constituent l'une des méthodes privilégiées pour le paiement de pots-de-vin. Si vous voulez transférer des actifs hors du pays ou éviter des restrictions sur les devises, avoir un portefeuille en Chine est une méthode assez efficace, rapide et non transparente pour le faire. Ce n'est qu'un témoignage; ce n'est aucunement fondé sur une étude précise ou autorisée sur les bitcoins.
Pour revenir à la question de l'impôt qui a été soulevée plus tôt, l'un des problèmes par rapport à Bitcoin, c'est qu'à certains égards, c'est mieux qu'un compte dans une banque suisse, car vous pourriez transférer des bitcoins aux îles Caïmans et l'ARC ne le saurait jamais. L'ARC ne saurait jamais que vous les avez obtenus par minage, le cas échéant, ou par l'intermédiaire d'un portefeuille anonyme. Vous pourrez alors poursuivre votre vie en toute quiétude sans jamais avoir payé d'impôt.
Encore une fois, il n'existe aucune preuve que c'est arrivé, mais lorsqu'on parle de risque de crimes financiers lié à quelque chose comme Bitcoin et d'autres monnaies numériques, ce sont des risques théoriques. J'en parle aujourd'hui parce qu'il s'agit du genre d'enjeux qui seraient très utiles, selon moi, dans une discussion sur l'évaluation nationale du risque. Voilà le genre de choses dont il faut discuter, à mon avis. Il faut savoir si cela se produit ou non, si cela s'est produit et si cela se produira; il faut parler des risques. À la suite de cette discussion, nous devons procéder à une évaluation nationale du risque, comme le GAFI l'a recommandé. Dans la foulée de cette évaluation nationale du risque, les banques canadiennes pourront prendre une décision quant à savoir si elles veulent régir des choses comme les sociétés de bitcoins.
Le président : Il vous reste deux minutes pour conclure.
Mme Duhaime : D'accord. Je vais passer à l'inclusion financière et à l'atténuation des risques. Ce sont deux concepts qui découlent de la loi contre le blanchiment d'argent.
Plus tôt, j'ai expliqué que le problème de l'inclusion financière survient lorsque l'industrie des services financiers est de plus en plus réglementée et que l'on exige des pièces d'identité et la déclaration des transactions, ce qui incite de plus en plus de gens à se sortir du système. Soit les gens sont exclus par les banques — ce qu'on appelle l'atténuation des risques, car on considère que ces gens représentent un risque trop élevé —, soit les gens le font volontairement. Ils tombent donc dans la catégorie des gens en situation d'exclusion financière. C'est nuisible sur les plans du terrorisme, des lois de lutte contre le blanchiment d'argent et du financement de la lutte antiterroriste.
C'est nuisible, car notre régime de lutte contre le blanchiment d'argent est conçu de façon à surveiller le plus de transactions possible, car il est fondé sur le volume de transactions. En réglementant à outrance et en incitant les gens à sortir du système, nous nous exposons à un risque accru, car ces transactions ne sont ni surveillées, ni signalées, et les gens se tournent vers les services bancaires clandestins, ce qui nous est nuisible.
En terminant, je dirais que nous devons aborder la réglementation de Bitcoin de façon équilibrée en gardant à l'esprit que nous ne voulons pas aggraver le problème de l'inclusion financière, que nous voulons inciter les gens à réintégrer le système et à dialoguer avec les dirigeants des banques. Ils pourront faire valoir que rien ne prouve que les bitcoins posent problème et demander qu'on cesse de les frapper de mesures d'atténuation des risques. Cela permettra de réintégrer ces gens dans le régime de lutte contre le blanchiment d'argent et le terrorisme, et nous pourrons surveiller ces transactions pour assurer la sécurité de tous.
En ce qui concerne l'atténuation des risques, certaines sociétés de change de Vancouver n'ont pu ouvrir un compte bancaire. Une petite institution bancaire de Calgary est prête à leur offrir des services bancaires, en contrepartie de frais incroyables de 7 500 $ par mois, ce qui est plutôt déplorable. Leur choix est donc de faire affaire avec cette petite institution bancaire qui est prête à les accepter malgré les risques ou de se tourner vers les services bancaires clandestins.
Le président : Madame Duhaime, je dois vous interrompre. Je vous remercie. Je dois permettre aux sénateurs de poser des questions.
Mme Duhaime : Merci.
Le président : Avant de passer aux questions, je tiens à informer le comité que les déclarations écrites ont été fournies en anglais seulement à la greffière quelques minutes avant le début de la réunion et je tiens à assurer le comité qu'elles seront toutes traduites et transmises aux membres.
J'aimerais d'abord m'adresser à vous, monsieur Dearborn. Vous avez dit ce qui suit : « Cet exemple démontre comment les technologies en évolution peuvent se heurter à des cadres de réglementation désuets. »
Monsieur Eagar, je crois que vous avez parlé de la nécessité d'adopter des régimes de réglementation à l'échelle internationale. La question de la réglementation revient souvent dans le cadre de nos discussions. Certains nous ont dit que toute réglementation freinerait la croissance de cette industrie numérique.
Dois-je conclure que vous êtes tous les deux favorables à la réglementation?
M. Dearborn : Oui.
Si vous le permettez, monsieur, j'aimerais faire un commentaire. Je suis l'un des membres les plus âgés du milieu des bitcoins. J'ai 42 ans. Dans ce domaine, la plupart des gens sont dans la vingtaine. Cela découle de la culture des passionnés d'informatique, des programmeurs, une culture caractérisée par un courant libertaire très fort. Au début, dans la foulée de la crise financière de 2008-2009, l'idée maîtresse était l'absence de gouvernement, la liberté et l'autonomie.
Personne n'aime particulièrement payer des impôts, mais j'aime bien l'idée d'avoir des routes, un hôpital pour ma grand-mère et une école pour les enfants. Voilà pourquoi j'estime que les démocraties ont les structures nécessaires pour mettre en place des régimes réglementaires logiques et adaptés aux technologies. À mon avis, c'est là que le Canada peut avoir un rôle de chef de file.
On compte actuellement environ 43 millions de portefeuilles dans le monde. Personne ne connaît l'identité des détenteurs des portefeuilles ni la quantité de bitcoins dont il est question. À mon avis, pour que cela gagne en popularité dans la société de consommation, les gens de la génération de mes parents — ils utilisent des téléphones intelligents, notamment — seraient beaucoup plus à l'aise s'ils savaient que c'est réglementé, que c'est en quelque sorte frappé d'une feuille d'érable et d'une mention qui indique « Portefeuille bitcoin autorisé par le Canada ».
Le président : Je vais considérer ce commentaire comme votre réponse.
Monsieur Eagar, aimeriez-vous ajouter quelque chose par rapport à la réglementation?
M. Eagar : Cette question revient toujours, où que ce soit. Je suis mentor chez Startup Canada. Toutes les jeunes entreprises en démarrage veulent se lancer dans le domaine des bitcoins, car on perçoit cela comme une occasion. Évidemment, tout le monde veut devenir le prochain Facebook, le prochain Twitter, par exemple. Ma réponse est très simple.
D'un côté, on a manifestement affaire à quelque chose de totalement nouveau, et sans une définition adéquate, il est difficile de réglementer. Je vais bientôt citer M. Lawsky, qui a fait une déclaration d'ouverture à l'exposition Money 20/ 20 il y a quelques semaines, à laquelle j'ai assisté.
Pour revenir à ma réponse, si vous exploitez une entreprise dont certaines activités sont liées aux bitcoins, vous êtes assujetti au régime en place, qui est fondé sur la primauté du droit. Si vous intégrez les bitcoins ou en faites le commerce, vous devez vous conformer à toutes ces choses. Vous devez connaître votre client. Vous devez remplir les formulaires requis. Vous devez remplir votre déclaration de revenus. Le simple fait d'être dans le secteur des bitcoins ne vous exempte pas de ces obligations, et les gens l'acceptent.
Je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui a dit : « Non, nous voulons enfreindre la loi. » Je peux vous rassurer à ce sujet. La question, c'est : Ne respectons-nous pas déjà assez de règlements et ne rendons-nous pas déjà assez de comptes pour donner aux gens, surtout aux banques, un certain niveau de confort?
Lors de Money 20/20, un banquier a dit : « En définitive, nous travaillons dans ce domaine à cause des risques et des bénéfices; trop de risques, trop peu de bénéfices, et vice versa. » Évidemment, nous devons régler cette question et en arriver à un consensus. Je suis certain que vous avez déjà pensé à cela aussi.
Je donne aux gens une réponse intéressante, mais je ne sais pas qui a dit ceci. Si vous êtes un agriculteur et que vous avez deux moutons cette année, et que la femelle mette bas l'année suivante et vous donne deux autres moutons, en tant qu'agriculteur, vous êtes tenu de déclarer ce gain en capital ou cette acquisition d'éléments d'actif que vous avez réalisé et pour lequel vous avez payé des taxes. Pensez aux bitcoins de la même façon. Je sais que cela peut sembler banal, mais voilà ce à quoi cela se résume. Évidemment, le fait que les gens peuvent ensuite aussi effectuer des transactions et envoyer leurs moutons à l'étranger soulève d'autres questions, mais il existe des règles que nous sommes tenus de respecter.
D'un autre côté, nous devons continuer d'innover, mais bon, je vais m'en tenir à cela.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Ma première question s'adresse à M. Dearborn. Si j'ai bien compris, vous proposez l'élaboration d'un système d'assurance dont le coût équivaudrait à 0,25 p. 100 d'un bitcoin par transaction. Pouvez- vous expliquer plus clairement quel risque cette mutuelle assurerait?
[Traduction]
M. Dearborn : Le concept est celui de la taxe Tobin, dont les membres du comité ont entendu parler, j'en suis certain. Un portefeuille comprend deux parties. La première est la signature cryptographique du bitcoin, qui permet de voir la valeur de la monnaie non fiduciaire qu'il contient. La deuxième est votre mot de passe personnel. Nous avons vu beaucoup de ces mots de passe piratés et des bitcoins accaparés par quelqu'un d'autre.
Or, dans le journal de la chaîne de blocs, vous pouvez voir où les bitcoins sont allés; cependant, vous ne savez pas réellement où ils se trouvent. Vous savez qu'ils sont allés dans un autre portefeuille; cela peut être prouvé.
Je parle de la sécurité qui serait mis en place relativement au portefeuille. Disons que j'ai un portefeuille qui contient trois bitcoins — et, chaque jour, un millier de Canadiens utilisent cette monnaie et font un dépôt — et que mon portefeuille se fait pirater. Je peux alors présenter une demande au Gouvernement du Canada et dire : « J'ai perdu mes trois bitcoins. » Apparemment, le gouvernent aurait reçu la taxe Tobin de ce millier de portefeuilles, et il me dirait : « Oui, vous avez raison. Vous avez prouvé que c'est vrai. En effet, vous nous l'avez montré dans la chaîne de blocs. Voici vos trois bitcoins » ou, autre chose d'approprié et de prévenant. À mon avis, la cryptographie servant à assurer la sécurité serait assez robuste pour m'éviter d'être piraté de nouveau à ce stade-ci. Je ne suis pas un expert, mais nos partenaires, diplômés du MIT, m'ont donné l'explication suivante.
Le système de cybersécurité actuel de l'industrie bancaire au Canada laisserait à un pirate informatique une heure et vingt minutes pour déjouer et faire tomber toutes les mesures de sécurité avant que les données ne se transforment et ne soient plus accessibles. Cette cryptographie de 256 bits ferait chuter ce délai à une durée allant de 2 minutes et demie à 7 minutes. Dans l'éventualité où le gouvernement lancerait un tel programme, au début, il pourrait servir à un régime du type assurance-dépôts. Toutefois, avec le temps, si le programme subit des ajustements, il pourrait devenir une source de revenus. Il y a tout lieu de croire qu'il fera l'objet d'ajustements.
Regardons le point de vue des consommateurs. Quelques-uns de mes amis tiennent un restaurant qui génère des revenus d'environ 3 millions de dollars par année. C'est un très bon endroit pour manger, Leurs frais de transactions par cartes de crédit s'élèvent à environ 60 000 $ par année. Si ces transactions étaient effectuées en bitcoins, il n'y aurait aucuns frais de transactions. Les commerces vont donc prendre le virage vers cette monnaie.
J'aimerais que les membres du comité envisagent les choses de cette manière-ci. Je crois que le bitcoin et les monnaies cryptographiques d'aujourd'hui en sont au point où les courriels étaient en 1993. Ils ont beaucoup des mêmes caractéristiques. Ils sont simples, gratuits et exempts de frictions.
Ai-je répondu à votre question?
La sénatrice Bellemare : Oui. Je vais devoir réfléchir à cela, mais c'est l'individu qui sera assuré.
[Français]
Vous dites que le fait de détenir une assurance de cette nature fera en sorte de décourager le comportement des fraudeurs, mais je ne comprends pas comment cette assurance peut réduire le temps qui permet le vol.
[Traduction]
M. Dearborn : Voilà simplement ce que l'outil pourrait faire.
De mon point de vue, le principal objectif de ceci, c'est d'avoir une politique gouvernementale qui soit compatible avec la technologie, parce que la technologie va évoluer à un rythme qui est généralement beaucoup plus rapide que celui du gouvernement. De plus, si Bitcoin obtenait le sceau du gouvernement du Canada, beaucoup plus de gens l'utiliseraient parce que le fait que le gouvernement prend part au processus les rassurerait.
Aujourd'hui, si vous appeliez votre courtier en fonds mutuels de la Sun Life pour lui dire : « J'aimerais investir dans des bitcoins », ils répondraient : « Oh, vous ne pouvez pas faire cela! » et vous ne pourriez pas le faire. Ou bien, ils vous diraient que ce sont tous des criminels et que ce sont des narcodollars, et des choses semblables. Cela arrive souvent, et nous voulons corriger ces fausses conceptions à l'égard de l'ensemble de l'industrie. Voilà pourquoi, à mon avis, il est important de travailler dans ce sens. Je suis reconnaissant de l'importance que le comité accorde à ce dossier.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Vous dites que les pays en voie de développement représentent un marché important pour le bitcoin. Pensez-vous que cela pourrait se développer en Afrique, avant même les pays très développés?
[Traduction]
M. Dearborn : Absolument, madame, je pense que oui. On m'a fait comprendre que Google est en train de déployer un réseau Internet dans la plupart des régions d'Afrique au moyen de méthodes novatrices qui utilisent des dirigeables. Cela semble invraisemblable, mais beaucoup de gens prévoient que l'utilisation des téléphones cellulaires va augmenter et que ces pays sont en train de faire des pas de géant parce qu'ils ne sont pas obligés d'installer des tours de cellulaire normalisées et parce que de grands réseaux sans fil seront fournis par des entreprises privées et qu'elles financeront cela par leurs publicités. Compte tenu de ces faits, je crois que c'est seulement une question de temps avant que les consommateurs, à qui l'on présente un choix, opteront pour le cellulaire.
C'est ce qui arrive en Égypte en ce moment. Comme je l'ai dit, je suis très privilégié; j'ai beaucoup voyagé. Quand vous luttez contre la corruption, c'est très démoralisant. Si je peux parler avec les gens seul à seul, simplement de mon téléphone à leur téléphone, cela m'évite beaucoup de situations déplaisantes. Je ne suis pas obligé de verser un pot-de- vin à l'aéroport. Je pense que cela sera accepté.
Un autre aspect très important, c'est que, par nature, le bitcoin est déflationniste. Il fait chavirer le milieu économique. Par exemple, si le bitcoin devenait généralement accepté, cela voudrait dire que si, au début de l'année, j'avais un bitcoin dont la valeur de parité des pouvoirs d'achat était de 400 $, et que, à la fin de l'année, il me restait seulement la moitié du bitcoin, cette moitié vaudrait 600 $.
Si ces choses font ce pour quoi elles ont été conçues — et je ne suis pas en train de dire qu'elles le feront nécessairement étant donné qu'il s'agit de théories — vous pourriez diviser chaque bitcoin au minimum en 2 milliards de parties, au minimum. Cela préoccupe énormément les banques à couverture fractionnaire parce que, comment peut- on consentir des prêts majorés d'intérêts quand il existe des options déflationnistes? Je ne crois pas que nos systèmes financiers soient fondés sur ces principes, qui sont un élément de la conception de Bitcoin.
Je pense que le tiers monde adoptera Bitcoin et, à mon avis, nous ne pouvons rien y faire. Faisons en sorte que le Canada soit le chef de file et montrons au monde de quelle manière un gouvernement peut intégrer une technologie dans ses politiques. Ces pays n'ont pas nécessairement les institutions civiles en place pour constituer des comités comme celui-ci, qui pourront appliquer la technologie. Ce serait donc une excellente idée si le Canada pouvait être un chef de file à cet égard.
La sénatrice Ringuette : Ma première question s'adresse à notre président.
Monsieur le président, d'habitude, vous donnez aux membres du comité une mise à jour de votre situation en ce qui concerne bitcoin. Aujourd'hui, vous ne l'avez pas fait.
Le sénateur Tkachuk : Je pensais la même chose.
Le président : Je vais voir si je pourrais vous en donner des nouvelles à la fin de cette réunion.
La sénatrice Ringuette : D'accord. Merci.
Le sénateur Campbell : Notre vie en dépend.
La sénatrice Ringuette : J'ai deux questions à poser, et j'espère que vous nous direz ce que vous pensez des deux.
Premièrement, est-ce que Bitcoin, en tant que marque de commerce, est la solution, ou ne fait-il que montrer la voie?
Deuxièmement, existe-t-il une banque reconnue qui accepte les transactions en bitcoins à l'heure actuelle?
Quand j'étais jeune, je me souviens que beaucoup de gens parlaient d'une langue universelle. Bien des gens ont travaillé fort à une langue universelle, mais elle a simplement sombré dans l'oubli. Maintenant, nous nous penchons sur une monnaie universelle en format numérique. Ne serait-il pas aux leaders mondiaux du G8 et du G20 à prendre part à sa conception? En définitive, tous les partisans du bitcoin disent qu'ils veulent éliminer les frais de transaction et être capables de faire affaire avec n'importe quel pays du monde dans une seule monnaie. Tous les aspects pratiques de la monnaie semblent attirer des utilisateurs.
J'en ai assez dit. J'aimerais entendre vos observations.
M. Eagar : En ce qui concerne votre toute dernière question, je me suis entretenu avec une équipe du MIT la semaine dernière — certains des membres étaient ici, à Vancouver — qui travaillaient à une demande de propositions des Nations Unies. Ils cherchent une plateforme de monnaie cryptographique pour financer des projets d'aide étrangère, surtout dans des régions où il n'existe aucune infrastructure et où les gens n'ont pas accès à des services bancaires à proprement parler. Évidemment, au moment où nous nous parlons, il existe des problèmes concernant la manière dont l'argent et les éléments d'actif sont traités. Je crois que la date limite fixée est le 24, et un certain nombre de parties ont déjà présenté des propositions. C'est du domaine public. C'est très intéressant.
La sénatrice Ringuette : Oui, je comprends que c'est très intéressant, mais si jamais plusieurs entités différentes inventent chacune une monnaie numérique, nous nous trouverons dans la même situation que celle dans laquelle nous sommes présentement avec la monnaie de papier.
M. Eagar : À mon avis, un malentendu courant, c'est que le bitcoin est le fin mot de l'histoire, mais il ne l'est pas. Je vous ai parlé de M-Pesa, où les gens prennent du temps d'utilisation d'une téléphonie cellulaire, lui accordent une valeur financière et l'appellent un « jeton ». Pour ceux qui ont déjà été à un casino, ceux qui aiment les jeux de hasard, vous savez que les joueurs utilisent des jetons. C'est le même concept. Un bitcoin est un jeton qui a une valeur en tant que monnaie.
Toutefois, sur la chaîne de blocs, vous voyez une chaîne de codes — il pourrait s'agir de n'importe quelle chaîne de blocs — à laquelle vous pouvez accorder une valeur; la valeur pourrait être un sac de maïs en Afrique ou trois poulets, si vous êtes un fermier, comme vous le voulez. Je pense que nous avons tous entendu les grands titres dans les médias de minute en minute sur le taux de change du dollar, qui laissent la plupart d'entre nous perplexes. Ce n'est pas du tout de cela qu'il s'agit.
L'invention de la chaîne de blocs, plus précisément du jeton bitcoin, sert à montrer aux gens combien il est facile pour une partie de l'envoyer à une autre partie n'importe où sur la planète et que, comme mon collègue l'a mentionné, c'est semblable à un courriel. Voilà un aspect qui fait peur, mais c'est aussi la proposition de valeur passionnante de ces innovations sous forme de chaîne de blocs.
Quelqu'un a mentionné le Canada. Le Canada fait d'importants investissements. En ce moment même, des Canadiens de Toronto et d'Ottawa sont en train de développer Bitcoin 2.0. Une autre option, sur laquelle IBM se penche attentivement — qui s'appelle Ethereum —, a été développée au Canada. Voilà une autre option de chaîne de blocs, qui possède également un système de jetons. Nous serons bientôt gâtés par le vaste choix de solutions qui nous serons offerts pour en trouver une qui convient à tout le monde.
M. Dearborn : Si vous me le permettez, sénatrice, je vais répondre à votre première question, soit est-ce que Bitcoin sera la solution? La réponse, c'est que nous ne le savons pas en ce moment. Cependant, 164 cryptomonnaies sont en voie d'être enregistrées à l'heure actuelle, et il y en a constamment de nouvelles qui sont lancées.
À mon avis, toutefois, si nous les examinons, nous devrons être réalistes et tenir compte de facteurs comme ceux de la reconnaissance du nom et de la capitalisation boursière. À l'heure actuelle, la capitalisation boursière du bitcoin est d'environ 5 milliards de dollars US. Cela correspond à sa valeur en bourse à l'échelle internationale, ce qui, comparativement à une économie mondiale d'une valeur de 67 billions de dollars US, est très faible. Or, la deuxième cryptomonnaie en importance se situe seulement à 300 millions de dollars, et ces monnaies fluctuent beaucoup plus que le bitcoin. Le bitcoin fluctue de 5 à 15 p. 100 chaque jour, ce qui crée des problèmes d'adoption.
Le nom bitcoin est le plus reconnu; en effet une personne sur quatre aux États-Unis en a entendu parler. Par contre, cela ne veut pas dire qu'elles savent de quoi il s'agit. Pensez à certaines marques comme Jacuzzi, Kleenex et Hoover, qui sont devenus des synonymes d'aspirateur, de papiers mouchoirs et de bains tourbillon parce qu'ils ont été les premiers sur le marché. Cela ne se passe pas toujours de cette manière. Il y a probablement autant d'exemples, sinon plus, où ce n'est pas le cas. Or, je crois que le bitcoin a de bonnes chances sur ce plan, parce qu'il a été bien conçu, selon moi.
Par ailleurs, étant donné que la technologie sous-jacente du bitcoin est un code source ouvert, cela lui donne un avantage relativement aux autres dans la mesure où il peut évoluer et où il n'est absolument pas centralisé.
Si j'exploitais une entreprise d'exploitation du fait que le bitcoin a été le premier sur le marché, je voudrais commencer par le plus important, celui qui est le plus près d'atteindre l'état de liquidité. Bitcoin n'en est pas encore là. Au mieux, le règlement de créances prendrait peut-être 48 heures, d'après moi. Nous ne sommes pas près d'être en mesure de le faire instantanément. Vous avez entendu d'autres experts dire qu'il faudrait mettre en place une meilleure réglementation, jouir de plus de confiance de la part de la population et augmenter sa capitalisation boursière. Cela viendra
Vous pouvez échanger des bitcoins avec des vendeurs, s'ils les acceptent. Il existe aussi des problèmes sur ce plan. Si je veux acheter un café au Tim Hortons, le commerce ne peut pas accepter des bitcoins étant donné que, un jour le café coûtera 2,50 $, le jour suivant, 1,30 $ et le jour d'après, 3,50 $. Je pense que les développeurs sont présentement en train d'inventer des modèles d'arbitrage pour surmonter ce problème et aussi pour faire en sorte que leur capacité de résoudre les problèmes rapidement assurera la croissance de la technologie. Voilà ce que nous allons réellement voir. J'espère que j'ai répondu à votre question, du moins en partie.
Je ne sais pas si le bitcoin sera la monnaie qui réussira à dominer le marché. À mon avis, la technologie de la chaîne de blocs qui est sous-jacente au bitcoin peut être utilisée de tellement de façons, notamment pour payer des titres fonciers, des propriétés, des actions et des obligations, parce qu'elle ne contiendra jamais d'erreurs. C'est un journal public où les transactions sont immédiatement finalisées, ce qui fait qu'on n'est pas obligé de revenir sur des échanges, comme on le faisait au TSX, à l'époque où il y avait des courriers sur le parquet.
La sénatrice Ringuette : Les utilisateurs numériques seront-ils obligés d'avoir un portefeuille numérique qui peut accepter différentes monnaies numériques? Voilà la réalité actuelle.
M. Eagar : Je voudrais rapidement dire quelques mots à ce sujet. Toutefois, avant de faire cela, je fais remarquer que, à l'heure actuelle, 97 p. 100 des transactions et des capitalisations en bourse sur le marché sont effectuées en bitcoins.
En ce qui concerne la méthode des cartes de fidélité, vous connaissez tous Aéroplan et Air Miles. La même question se pose. Laquelle des deux sortira gagnante un jour? Nous n'en savons rien. Tout dépendra de la façon dont vous les utilisez et des choix que vous prendrez.
Pour répondre à votre question directement, M-Pesa n'exige même pas de portefeuille. C'est le temps d'utilisation de votre cellulaire qui vous sert de portefeuille. Tant et aussi longtemps que vous avez un NIP sur votre téléphone, il pourra accepter n'importe quelle monnaie qui a acheté du temps d'utilisation, qui vous sert de jeton. On utilise en effet le terme « jeton ». Vous pouvez recevoir du temps d'utilisation sous forme de ce jeton n'importe où dans le monde et l'encaisser dans n'importe quelle monnaie.
Selon moi, tôt ou tard, cette technologie ira dans ce sens et éliminera les portefeuilles, sur lesquels nous achoppons. La chaîne de blocs, comme vous le savez peut-être — au sujet de laquelle M. Antonopoulos a formulé des avis au cours de son dernier exposé —, a été piraté il y a deux jours. Heureusement, on a pu récupérer tous les bitcoins.
Est-ce que les portefeuilles sont la solution ultime? Nous n'en savons rien. Nous devrons continuer d'améliorer notre sécurité, comme nous en sommes tous conscients.
Le sénateur Black : Je vous remercie tous d'être ici. Vous avez tous l'habileté peu commune — un signe de grande intelligence, en fait — de prendre des concepts qui sont extrêmement compliqués et de les rendre relativement simples.
Comme vous l'avez souligné aujourd'hui, notre comité entend constamment dire que le développement de cryptomonnaies en est à ses débuts. Vous avez parlé des débuts des courriels; nous avons entendu parler des débuts d'Internet. On semble croire que, sous une forme ou une autre, les cryptomonnaies joueront un rôle important dans le commerce international dans les années à venir. Êtes-vous du même avis?
M. Eagar : Oui.
Le sénateur Black : Notre comité veut faire des recommandations constructives. Nous croyons nous avons pu être constructifs non seulement au Canada, mais aussi au-delà de nos frontières. Nous voulons faire en sorte que le Canada soit vu comme étant novateur. Voici le défi auquel nous sommes confrontés : que devons-nous faire? Quelles sont les trois choses que nous devrions faire, le cas échéant, pour arriver à faire cela?
Mme Duhaime : Voilà une question intéressante. Le Canada est le premier pays dont le gouvernement contemple l'adoption d'une loi sur la monnaie numérique. Le monde entier regarde ce que fait le Canada. En un mot, à mon avis, la première recommandation serait de mettre la réglementation proposée sur la glace, si c'est possible, jusqu'à ce que nous ayons compris la technologie un peu mieux.
La deuxième serait d'engager un dialogue. Les cerveaux du bitcoin, qui sont surtout à Vancouver mais d'autres ont déménagé aux États-Unis et à Londres en quelque sorte, disent qu'ils sont frustrés du fait qu'il n'y a pas de dialogue, alors que des gens leur demandent qu'est-ce que le bitcoin peut faire et de quelle manière ils aimeraient que ce soit réglementé. Quand je parle à des avocats et à des organismes de réglementation, c'est la même chose.
Une des choses que nous avons décidé de faire à Vancouver, c'était d'organiser des réunions auxquelles nous invitons des régulateurs, des avocats en droit financier, les personnes qui conçoivent toutes ces choses et, comme Manie en a parlé, de mettre sur la table toute cette technologie phénoménale que les Canadiens conçoivent et mettent en œuvre, que tout le monde utilise, et d'entamer le dialogue dans une seule pièce. Nous tenons des réunions et nous nous parlons. Voilà le genre de dialogue que nous devrions établir pour que tout le monde comprenne l'opinion des autres. Ce serait très utile.
La troisième chose vous semblera peut-être un peu simpliste. À Londres, un des législateurs a publiquement acheté un bitcoin pour faire valoir sa position à ce sujet, et tous les médias en ont parlé. Si le Canada pouvait faire une déclaration quelconque pour faire savoir que nous souhaitons garder la technologie financière au pays de façon concrète, pour saluer les personnes ingénieuses qui ont assuré le fonctionnement du bitcoin et pour dire que nous souhaitons garder la technologie et les emplois ici au Canada, ce serait ma troisième recommandation importante.
Le sénateur Black : Aimeriez-vous ajouter quelque chose, messieurs?
M. Dearborn : Monsieur, je suis un agriculteur de profession, un homme simple et un conservateur. Je recommanderais donc de rester petit, de rester simple et de ne pas ériger de lourde bureaucratie autour de la technologie. Je vous ai fourni une proposition...
Le sénateur Black : J'aime bien cela. Je viens de l'Alberta.
M. Dearborn : Oui, sénateur. J'aimerais qu'il y ait une compatibilité avec la technologie, que cela figure en fait dans le code. Voilà pourquoi ce que je vous ai proposé...
Le sénateur Black : Je l'ai ici.
M. Dearborn : Toutes les autres propositions concernant les avocats — et j'ai payé pour les services de beaucoup d'entre eux —, deviendront plus complexes. Les choses progressent à un rythme où la complexité est nécessaire, mais n'aidera pas nécessairement le produit.
L'autre aspect, c'est que, étant donné que les bitcoins sont disponibles à l'échelle mondiale et que nous ne les contrôlons pas, le fait de les garder simples constitue probablement une des meilleures recommandations que je pourrais formuler.
Le sénateur Black : Monsieur Eagar, qu'entendez-vous par « rester simple »?
M. Eagar : Comme je vous en ai fait part tout à l'heure, toutes les règles et toutes les politiques sont pas mal déjà en place, comme la règle de connaître ses clients; tous ces éléments sont en place en ce moment. Je visite les guichets automatiques qui ouvrent partout au Canada. Ils suivent tous la règle « connaissez vos clients ».
En passant, c'est un mythe que de dire qu'il est impossible de retracer l'origine d'une transaction. Je vous demanderais d'être patients pour quelques instants. Si vous ouvrez un compte quelque part et que votre nom y est associé et que le nom et l'adresse postale de l'entité qui reçoit les bitcoins sont connus, vous pouvez retracer cette transaction. Ce n'est pas un mystère. C'est quand les gens font exprès pour être introuvables que les choses deviennent intéressantes et que nous appelons nos avocats ou que vous appelez vos avocats.
Je vais rapidement faire référence à mon article, dont je n'ai pas eu le temps de parler. Dans son discours d'ouverture, M. Ben Lawsky, de l'État de New York, qui a créé tout le brouhaha relativement aux services financiers, a dit qu'il considérait qu'il faudrait revoir la définition de « bitcoin » et de « cryptomonnaie » en général du point de vue de la réglementation et retourner à la table de travail pour envisager de mettre en place un indicateur de licence de bit, terme qu'il a inventé, pour éviter la confusion en matière de réglementation entre les sphères de compétence. Par exemple, si vous considérez un bitcoin comme étant une monnaie au lieu d'être un bien ou un gain en capital, il s'agit d'une réglementation différente. Si vous êtes un banquier, et que vous regardez cela, vous vous dites : « Ouf, je ne sais pas quelle réglementation s'applique dans ce cas-ci. Par conséquent, il est très frustrant de faire affaire avec M. Le demandeur d'ouverture de compte, numéro. »
En venant ici, j'ai reçu des gazouillis de la part de personnes du milieu Bitcoin, qui m'ont dit : « S'il vous plait, pourriez-vous nous aider à ouvrir un compte bancaire? » Évidemment, ce n'est pas toujours aussi simple. Nous n'avons pas le droit de dire aux gens quoi faire, mais il ne devrait pas être aussi difficile d'ouvrir un compte que c'est le cas aujourd'hui. Compte tenu du déploiement d'« Internet des objets », je ne peux même pas commencer à imaginer où nous arrêterons et commencerons à établir des réglementations — il s'agit d'autres problèmes.
Voilà comment je pourrais résumer la question.
Le sénateur Massicotte : Monsieur Dearborn, vous avez parlé de la Banque d'Angleterre, qui a publié deux rapports au cours des deux ou trois derniers mois. Je présume que ce qui se trouve dans ces rapports ressemble à ce qui se passe au Canada. Selon ces rapports, à l'heure actuelle, un nombre minime de transactions sont effectuées en monnaies numériques en Angleterre. Ils disent que deux ou trois centaines de personnes font un grand nombre de transactions. Ils ont conclu que, pour le moment, ces transactions ne présentent aucun risque pour la stabilité monétaire dans l'économie. Du point de vue d'une banque centrale, il n'y a aucune raison d'établir une réglementation ou d'intervenir dans ce dossier. Il s'agit d'un joueur mineur. Pour certains, c'est un passe-temps.
Une autre de leurs observations, c'est que, en raison de l'offre limitée de bitcoins, qui est reconnue par tous, il y aura probablement toujours de l'instabilité. Évidemment, les gens qui sont motivés en produisent, mais il y a une offre limitée et la demande augmentera s'il gagne en popularité. Ils disent qu'il y aura toujours de l'instabilité, ce qui est un aspect très négatif. L'avantage du faible coût disparaitra probablement, parce qu'il sera de plus en plus nécessaire d'augmenter les frais.
Que pensez-vous de ces conclusions? Êtes-vous du même avis? Personne ne peut prédire l'avenir, mais si quelqu'un vous donne l'impression qu'il n'y en a pas beaucoup, peut-être que nous ne devrions pas intervenir au chapitre de la réglementation.
M. Dearborn : Je dois bien préciser que je ne prétends pas forcément posséder l'expertise voulue à propos de la Banque d'Angleterre, qui a inventé la finance moderne, mais je vais répondre de mon mieux à la question.
Le taux d'utilisation est très faible à l'échelle mondiale. Comme je l'ai dit, la capitalisation boursière atteint 5 milliards de dollars, dont une bonne partie ne bouge pas au quotidien. Les bitcoins sont accumulés. Je crois que nous avons un PIB mondial considérable de 67 billions de dollars; c'est donc infime. Il est toutefois important de tenir compte de la croissance exponentielle du taux d'utilisation.
La personne qui m'a fait comprendre ce concept est Ray Kurzweil, ingénieur en chef de Google. Il a écrit sur la croissance exponentielle dans le domaine de la technologie, sur la façon d'adapter le tout et sur la façon dont les organismes de réglementation ont tendance à considérer les choses dans une perspective temporelle linéaire. Compte tenu du nombre de téléphones cellulaires qui apparaissent à l'échelle mondiale, le taux de croissance sera lui aussi exponentiel si la technologie est facile, simple et abordable.
En 2011, je crois qu'il était possible d'acheter 11 bitcoins pour 1 cent. Lors du mouvement Occupy Wall Street, une personne avait payé sa pizza 10 000 bitcoins. C'est très peu. Ce matin, un bitcoin vaut 400 dollars canadiens. C'est très rapide pour une telle augmentation.
Le Sénat et le gouvernement fédéral sont d'avis que nous devrions nous attarder au rythme de la variation. Comme je l'ai dit, le courriel existait en 1993, mais c'était un passe-temps entre les professeurs, par exemple. Or, même ma grand-mère de 90 ans possède aujourd'hui un compte courriel tellement la technologie est partout.
Je doute que ce soit vraiment une question de montant brut. Il faut examiner la question parallèlement à la croissance exponentielle et au taux d'utilisation. Malheureusement, personne ici n'a de contrôle à ce chapitre puisqu'il s'agit d'un phénomène mondial. Les choses qui ont entraîné des changements dans le passé étaient des situations géopolitiques. La première augmentation substantielle du prix du bitcoin était attribuable à la crise bancaire chypriote de 2013; les Chinois ont ensuite découvert le bitcoin, après quoi sa valeur a flambé pour atteindre 1 100 $. Il valait 13 $ en début d'année.
Je crois vraiment que la Russie traverse actuellement une crise financière. M. Poutine a déclaré qu'il allait rendre le bitcoin illégal. Je lui souhaite bonne chance. Mais dans ce genre de secteur, lorsque le consommateur n'aura pas d'autre choix, ou qu'il trouvera que c'est le meilleur choix, il va adopter la technologie. Je pense que l'évolution du bitcoin sera accompagnée de mouvements géopolitiques.
La deuxième chose, c'est que plus le bitcoin attirera l'attention des médias, plus son prix augmentera, selon des études financières. Un énorme battage médiatique l'entoure, mais cela n'enlève rien à la technologie sous-jacente ou aux concepts.
Ce qui est très inquiétant pour les banques nationales et les banques en général, c'est la nature déflationniste du bitcoin. Il pourrait représenter une menace à la banque à couverture fractionnaire et à nos systèmes, puisqu'il peut créer de la richesse ex nihilo, à partir de rien, ce qui va à l'encontre du reste. Il faut donc que des gens compétents comme vous définissent un cadre réglementaire à ce chapitre.
Le sénateur Massicotte : Voulez-vous commenter, monsieur Eagar?
M. Eagar : Oui, simplement en réponse à la question concernant le coût.
Une nouvelle version du bitcoin est en train d'être mise en place. Le coût provient actuellement du minage de bitcoin, mais dans la version future, lorsque le minage sera complété, les entreprises dites de minage deviendront des intermédiaires. Il y aura donc des frais de traitement. Ce concept permettra au bitcoin de poursuivre son chemin, mais à un prix modique. Je peux me tromper, mais on parle de frais de traitement de 0,01 $ ou moins.
Le sénateur Massicotte : Je ne suis pas spécialiste, mais les gens de la Banque d'Angleterre semblent s'y connaître.
M. Eagar : Tout à fait.
Le sénateur Massicotte : Le représentant dit que les coûts vont grimper en raison du nombre restreint de bitcoins.
M. Eagar : J'ai pu le constater.
Le sénateur Massicotte : Il dit bel et bien que la croissance a été forte, mais que cela ne suffira pas, même aujourd'hui. Il faudra apporter un changement considérable au fonctionnement du bitcoin pour que la croissance suffise à justifier la réglementation d'une banque centrale.
M. Eagar : Vous savez que vous pouvez diviser le bitcoin jusqu'à la 8e décimale, et ainsi de suite.
Le sénateur Massicotte : L'offre demeure tout de même limitée; une quantité limitée a été programmée.
M. Eagar : C'est exact.
Le sénateur Massicotte : Cela dit, permettez-moi de faire une observation. Les gens mentionnent souvent le prix croissant du bitcoin pour confirmer sa réussite, mais si j'étais la banque centrale mondiale, je ne verrais pas cela d'un bon œil. Une telle instabilité et fluctuation est la première indication qu'il ne s'agit pas d'une devise sérieuse; ce n'est pas une méthode d'échange sérieuse. Lorsqu'on veut faire des échanges plutôt que du troc, on veut des prix stables et une certitude. Lorsqu'on remarque ce genre de fluctuations, on prend ses jambes à son cou. Ce serait ma réaction. Voulez-vous répondre?
M. Dearborn : Compte tenu de la nature déflationniste du bitcoin, il y aura au bout du compte 21 millions de bitcoins à l'échelle mondiale lorsque le minage sera terminé. Mais chacun est divisible en 2 milliards de pièces, comme nous l'avons dit. Mettre 21 millions à la puissance de 2 milliards donne un chiffre énorme.
Le sénateur Massicotte : Je regrette de vous interrompre, mais je veux entrer dans le vif du sujet. Le problème n'est pas qu'on ne puisse pas diviser le bitcoin autant de fois qu'on le souhaite. C'est possible puisqu'il s'agit d'une monnaie numérique. Sans égard à la division, le problème est que la valeur du bitcoin est volatile, puisqu'avec un nombre limité, la demande sera supérieure à l'offre — vous savez, c'est une simple question d'offre et de demande.
M. Dearborn : Mais sénateur, c'est la même question qui se pose aux banques centrales lorsqu'elles créent ex nihilo. La situation est simplement inversée. Si la Banque du Canada imprime plus de billets demain, cette richesse vient de nulle part. Diviser le bitcoin en parts de plus en plus petites revient exactement au même. On va simplement dans le sens contraire.
Une des raisons pour lesquelles le bitcoin a été conçu ainsi — et croyez-moi, ce n'est pas moi qui l'aie inventé —, c'est qu'une grande colère entourait la crise financière de 2008-2009, lorsque des banques d'investissement de New York s'étaient endettées de 50 fois la somme des dépôts. Les banques canadiennes sont très responsables, avec un ratio de 17 fois, je crois. Nous n'avons eu aucun problème semblable, mais la crise nous a fait mal. C'est dans ce contexte qu'est né le bitcoin. Nous ignorons qui l'a conçu, mais je présume que c'est un groupe de personnes particulièrement ingénieuses.
Je crois qu'un des autres aspects dont il faut tenir compte, c'est que tandis que l'économie mondiale dans son ensemble connaît une croissance et que notre productivité augmente, l'idée d'avoir une monnaie déflationniste pourrait être utile, si je conserve la monnaie et qu'à la fin de l'année, la parité du pouvoir d'achat vaut beaucoup plus simplement parce que la monnaie est adaptée ailleurs.
La monnaie n'est qu'une question de confiance. Lorsque je vous envoie un courriel, j'ose espérer que vous allez le recevoir même si j'ignore comment le système fonctionne exactement. Autrefois, nous accordions notre confiance au gouvernement du Canada, et c'est pourquoi l'image de Sa Majesté se trouve sur notre monnaie. C'était appuyé par le gouvernement du Canada. La reine signifiait que le billet n'est pas qu'un simple bout de papier, mais qu'il est bel et bien échangeable contre des biens et des services.
Mais si j'appartiens à la génération Internet, tout comme mes enfants, je n'ai aucun problème à croire que je peux me brancher et qu'il y aura quelqu'un à l'autre bout pour réaliser un échange équitable avec moi. Voilà pourquoi je pense qu'il y a vraiment deux faces à un même bitcoin — c'est un horrible jeu de mots.
Le sénateur Tkachuk : J'ai quelques observations dont j'aimerais que vous nous parliez un peu plus, de même qu'une question. Je vais commencer par poser ma question à Mme Duhaime.
Lorsque vous avez parlé du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, ou CANAFE, et de notre capacité à assurer la stabilité du marché en veillant à ce que l'argent ne serve pas à... nous avons un système de déclaration pour les banques. Vous avez dit que plus nous rendons le système universel, plus de gens en seront exclus. Je ne suis pas certain de comprendre ce que vous entendez par là. J'aimerais que vous nous en disiez un peu plus là- dessus.
J'étais au Parlement lorsque le projet de loi a été déposé pour la première fois après les événements du 11 septembre. Beaucoup d'entre nous ont fait valoir que les banques ne devraient pas faire des déclarations universelles puisqu'elles ont beaucoup d'expérience en détection des fraudes. Elles devraient plutôt faire une déclaration lorsqu'elles pensent détecter une fraude, de l'argent de la mafia ou un problème, plutôt que d'en faire sur tout le monde. Je ne suis pas certain que c'est ce que vous vouliez dire, et je vous invite à nous en parler davantage.
Mme Duhaime : Je ne voulais aucunement laisser entendre que les banques font des déclarations sur tout le monde ou sur toute transaction.
Le sénateur Tkachuk : J'ai cru comprendre que c'est pratiquement le cas.
Mme Duhaime : Oui, en pratique. Il y a assurément un problème de déclaration excessive des transactions douteuses.
Le sénateur Tkachuk : C'est ce que je voulais dire.
Mme Duhaime : C'est vrai. Vous connaissez le fonctionnement de la loi. Si on a des motifs raisonnables de soupçonner qu'un acte criminel lié au blanchiment d'argent ou au financement du terrorisme a été commis, il faut le signaler. Ce qu'on oublie, ce sont les motifs raisonnables permettant d'associer la transaction à un acte criminel. Dès que les banques ont des soupçons, elles le signalent. Leur déclaration porte donc sur un individu plutôt que sur une transaction financière.
Si vous soupçonnez un individu d'avoir assassiné quelqu'un, ce qui est un acte criminel, et que celui-ci entre dans votre casino les mains sanglantes, vous pouvez bien sûr signaler la personne parce qu'elle a du sang sur les mains, mais rien ne vous permet de croire qu'elle vient d'assassiner quelqu'un. Les banques vont donc déclarer des personnes sans toutefois faire de rapprochement. C'est toutefois un problème puisqu'il y a trop de déclarations.
Alors que nous refilons une réglementation financière à l'industrie, nous contribuons au problème d'inclusion financière. Ce que je voulais dire par là, c'est que nous excluons des gens du système parce qu'ils n'ont aucune pièce d'identité leur permettant même d'ouvrir un compte bancaire, ou parce qu'ils ne répondent pas aux exigences de la banque. Les banques de partout dans le monde atténuent constamment le risque dans le cas des personnes politiquement vulnérables, qu'elles considèrent comme trop risquées. Même si ces gens sont fortunés, ils ne peuvent pas ouvrir un compte bancaire aussi facilement qu'avant à l'échelle mondiale, et ils sont désormais touchés par le problème d'inclusion financière, étonnamment. Ce problème menace aujourd'hui des personnes riches, des personnes politiquement vulnérables et des personnes pauvres, comme en Afrique ou en Asie.
Voilà donc le problème que nous créons ici en imposant une réglementation. Comme l'affirme le Groupe d'action financière, ou GAFI, si nous adoptons une approche mondiale fondée sur le risque dans la lutte contre le blanchiment d'argent et contre le financement du terrorisme, nous intercepterons bel et bien les transactions qui devaient l'être, et pas les autres. Nous allons donc limiter ce gros problème d'inclusion financière, puis les banques cesseront d'atténuer le risque des clients et recommenceront à accepter les personnes politiquement vulnérables. Une plus grande variété de personnes dans le monde possédera un compte bancaire. Il s'agit à nos yeux d'un problème de financement du terrorisme puisque ces individus ne passent pas par le système financier et par les déclarations, alors que nous voulons qu'ils y soient pour surveiller leurs transactions.
Le sénateur Tkachuk : Monsieur Dearborn, vous avez dit qu'il faut environ 48 heures pour encaisser une transaction. Parliez-vous de la conversion de bitcoins en dollars canadiens ou américains?
M. Dearborn : Je parlais de la conversion du dollar canadien en bitcoins, et inversement.
Nous faisons affaire avec le bureau de change VirtEx, situé à Calgary. Le bureau a conclu une entente avec la Banque Scotia permettant aux utilisateurs de cette banque de transférer un chèque de banque dans le compte de VirtEx. Il faut du temps au bureau pour effectuer la transaction. On va ensuite en ligne, où il y a des gens qui surveillent, où des offres sont faites, et ainsi de suite. Un prix est fixé, puis les gens achètent. Il suffit donc de placer 100 $ pour obtenir un quart de bitcoin. Le bureau déduit les frais de transaction, et un portefeuille est associé au compte. Il est sage de retirer votre argent du compte, car les bureaux de change ont été les principales cibles des pirates informatiques. Vous pouvez transférer les fonds à votre propre portefeuille.
Si je souhaite au contraire retirer mon argent, je dois l'afficher dans le portefeuille du bureau. Celui-ci doit savoir que mes bitcoins sont à vendre. Il faut ensuite un prix proposé, sur lequel tout le monde s'est entendu, puis un acheteur.
Il faut donc plus ou moins 48 heures pour effectuer la transaction, au mieux. Il y a des bureaux de change à Hong Kong et ailleurs qui sont plus grands et peut-être plus rapides, mais nous ne faisons affaire qu'au Canada pour toutes sortes de raisons. Voilà donc notre expérience.
M. Eagar : Ce qui peut accélérer les choses, c'est que certains bureaux de change font déjà affaire avec Interac et Vogogo, qui vient d'entrer en scène. Si votre compte a déjà une autorisation préalable, et que vous connaissez le client et le reste, la transaction pourrait être beaucoup plus rapide.
Le sénateur Tkachuk : J'ai été étonné d'apprendre à quel point c'est rapide. Nous sommes plutôt gâtés au Canada, mais ma fille vit aux États-Unis, et lorsqu'on dépose un chèque là-bas, on ne reçoit pas l'argent avant deux ou trois jours. Ce n'est pas comme ici. Le traitement d'un chèque aux États-Unis peut prendre deux, trois et parfois cinq jours.
Le sénateur Massicotte : Vous êtes censé avoir de l'argent dans votre compte, David.
Le sénateur Tkachuk : Pardon?
Le sénateur Campbell : Vous êtes censé avoir de l'argent dans votre compte.
Le sénateur Tkachuk : J'ai été très étonné qu'on puisse effectivement changer des bitcoins en espèce en 48 heures seulement.
M. Dearborn : Sénateur, un des plus importants intervenants au détail le fait pour des sommes beaucoup plus modiques. Home Depot accepte le bitcoin, tout comme Virgin Airlines et la NBA. Ils sont environ 150 marchands dans le monde; ce n'est pas beaucoup, mais il y en a chaque jour de nouveaux qui acceptent la monnaie. Bon nombre d'entre eux passent par un centre d'échange situé en Caroline du Nord, dont j'ai oublié le nom, et la transaction est pratiquement instantanée. Je crois que le centre accumule des réserves de bitcoins, en se basant sur l'arbitrage. Il prélève des frais de traitement.
M. Eagar : C'est une sorte de centre d'échange, disons.
M. Dearborn : Je n'en connais aucun au Canada.
M. Eagar : Vous avez probablement entendu parler de la vérification, et une transaction de bitcoin peut prendre jusqu'à 10 minutes. C'est le temps nécessaire. Il y a désormais des fournisseurs de services relatifs au bitcoin qui en garantiront la valeur en fonction de la valeur actuelle du dollar, de sorte que le client obtienne toujours cette valeur moyennant une somme modique. Les commerçants sont évidemment inquiets. J'ai parlé il y a deux jours à un détaillant qui vend des repas, après quoi le prix du bitcoin a chuté. J'espère qu'il a acheté à bon prix.
Il est maintenant possible d'encaisser immédiatement les bitcoins par l'intermédiaire des centres d'échange. Les gens prennent donc vraiment les choses en main et offrent ce genre de services financiers. De toute évidence, le prix initial pour eux serait de passer officiellement par un compte bancaire et ainsi de suite, mais ils utilisent ces mécanismes, rendent des comptes, ont un registre comptable et sont vérifiables à l'heure actuelle.
Le sénateur Tkachuk : Monsieur Dearborn, j'ai une autre question. Vous avez dit que des pays ne faisant pas partie de ce que j'appellerais l'ensemble Europe-Amérique du Nord offrent des possibilités réelles quant à l'utilisation des bitcoins : des pays africains, comme l'Égypte, où les gens n'ont pas accès aux banques.
Il me semble dans les pays où règne l'instabilité politique, les gens chercheraient — par exemple, je suis sûr que les Russes ne sont pas très contents de la situation actuelle du rouble — à utiliser le bitcoin. Quoi qu'il en soit, pourriez- vous me nommer un ou deux exemples de pays qui se sont penchés là-dessus, et des exemples où ce sont les pays eux- mêmes, et non pas seulement les groupes, qui s'y intéressent et qui font des progrès en ce sens?
M. Eagar : J'ai eu un échange passionnant avec des gens de Vodafone, l'entreprise qui a lancé la solution M-Pesa au Kenya et maintenant dans sept autres pays africains; et elle vient de la lancer en Inde. Vodafone a formé un partenariat avec IBM, qui est en train d'adopter une version de chaîne de blocs. Ils ne savent pas encore ce qu'ils choisiront, mais c'était une évaluation où ils ont dit que c'était seulement le fournisseur de services mobiles Vodafone — l'un de mes anciens clients, et c'est pourquoi j'en sais autant à ce sujet. J'ai collaboré avec eux pendant près de 10 ans. Ils vont essayer de déterminer de quelle façon le système peut être utilisé comme un utilitaire sur toutes les plateformes des fournisseurs de service mobile. IBM était très enthousiaste et collaborait avec la Fondation Gates, la Banque mondiale, et cetera. Ils ne voulaient pas parler du bitcoin en tant que tel, mais ils ont utilisé le terme « cryptomonnaie », un volet qu'ils veulent ajouter pour faire exactement ce dont nous parlons.
Ce type de gros joueurs commencent à avancer sans faire de bruit à cet égard, à faire des démonstrations de faisabilité du concept. Au Kenya, il y a déjà BitPesa, qui permet aux gens d'utiliser des bitcoins pour faire des transferts d'argent. C'est un exemple fascinant.
M. Dearborn : Je crois que l'Islande a choisi d'aller sans cette direction après la crise économique.
M. Eagar : J'ai entendu dire hier qu'il y a des pourparlers au Venezuela.
M. Dearborn : Pendant longtemps, on a interdit l'accès au système de paiement Bitcoin sur la plateforme d'Apple. Selon une rumeur, Apple, qui dispose de 81 milliards de dollars, devait lancer sa propre cryptomonnaie, mais elle ne l'a pas fait, et elle a finalement permis l'accès au réseau Bitcoin.
M. Eagar : Elle est en train de lancer Apple Pay avec le jeton.
M. Dearborn : Oui. Le rythme, parce que c'est à l'échelle globale, parce qu'il s'agit d'ordinateurs, où il y a des exemples — eh bien, je peux le garantir. Il y a beaucoup d'exemples que je ne connais pas.
Pour revenir à ce que j'ai dit tout à l'heure, à ce moment-ci, le système Bitcoin se trouve à être le plus important. Je crois que vous avez parlé de 97 p. 100.
Dans le cadre de nos propres activités, concernant le processus de vérification, que l'on appelle le minage, nous choisissons plutôt cette voie, car si le bitcoin était supplanté par une autre cryptomonnaie, notre infrastructure serait capable de vérifier les chaînes de blocs utilisées, et nous serions toujours en affaires, n'est-ce pas? On ne met pas tous ses œufs dans le même panier.
De plus, puisque la puissance de calcul devient désuète — ce sont les aspects techniques —, on peut le déplacer — dogecoin, litecoin, et cetera. Il est peut-être encore possible de générer des revenus par le minage de ces cryptomonnaies, alors que l'on n'a plus le pouvoir d'un mot-clic pour le bitcoin parce que les choses changent très rapidement.
M. Eagar : À ce sujet, SWIFT — qui est établi au Royaume-Uni, je crois — a fait une démonstration de faisabilité pour la conversion des cryptomonnaies, et les gros joueurs se penchent tous là-dessus.
Le sénateur Tkachuk : Merci.
Mme Duhaime : L'Équateur vient de terminer une vaste étude, et d'après ce que je crois comprendre, il pourrait être le premier pays à accorder son appui à une forme légalisée de bitcoin.
La sénatrice Greene : J'aimerais vous poser une question sur la réglementation. Nous en avons parlé de façon générale sans entrer dans les détails. Je ne suis pas une adepte de la réglementation. Je suis avant tout libertarienne, je crois. Nous pourrions avoir besoin d'une ou deux règles simplement pour chasser la crainte que les cryptomonnaies soient utilisées à de mauvaises fins. Est-ce que l'établissement d'un règlement qui exigerait que le CANAFE surveille le réseau Bitcoin, ou quelque chose du genre, serait une option intéressante? Quelles répercussions un tel règlement aurait-il sur Bitcoin?
Mme Duhaime : Vous voulez dire plutôt que d'en faire une entreprise de transfert de fonds et exiger la déclaration?
La sénatrice Greene : Le CANAFE devait-il surveiller, par exemple, le registre public.
Mme Duhaime : Non, je ne pense pas. Selon l'un des points qui figurent dans le rapport de la Banque d'Angleterre, le nombre de transactions est faible. L'autre chose, notamment, c'est que le Trésor américain a dit qu'il n'y a vraiment aucun risque à ce moment-ci, car le nombre est très faible. Ils comptent examiner cela de plus près lorsque le nombre de transactions sera plus important.
Je crois que sur le plan de la réglementation — et c'est pourquoi je dis qu'il serait bien d'engager un dialogue —, nous devons nous demander à quel point nous voulons nous pencher sur sa réglementation. Je crois que c'est trop tôt. À mon avis, il faut laisser la technologie se développer, et penser à la réglementer au moment où cela posera des risques.
La sénatrice Greene : C'est la réponse que je voulais entendre.
Mme Duhaime : Puisque nous ne savons pas encore si cela pose des risques, laissons la technologie évoluer.
[Français]
Le sénateur Maltais : En réponse à la question du sénateur Tkachuk, vous avez donné tout à l'heure des explications concernant les pays possibles, comme l'Ukraine. J'aimerais ajouter, plus précisément, que le Canada a signé de nombreux traités de libre-échange, par exemple, avec l'Europe, la Corée, et maintenant, peut-être avec l'Asie.
Est-ce qu'il y a un avantage pour les Canadiens? Est-ce que ces pays pourraient faire affaire avec le bitcoin à l'avenir?
[Traduction]
M. Dearborn : En 2011, j'ai collaboré avec Brandt Agricultural Products, le plus grand fabricant de produits de manutention des grains au monde. Gavin Semple et Shaun Semple, de formidables entrepreneurs, ont créé une entreprise valant un milliard de dollars et fabriquent de l'équipement agricole extraordinaire. Ils en vendent partout dans le monde et le transport se fait par conteneur.
C'est dans la même période que je me suis vraiment intéressé au bitcoin. Ce ne sont pas des chiffres réels, mais je vais vous montrer comment cela fonctionne. Si nous prenions un conteneur à toit ouvert de 40 pieds et le remplissions de GrainVacs faits au Canada, disons qu'ils valent 100 000 $. Notre client se trouve en Ukraine et il nous faut prendre position sur le prix en dollars américains. Ils devront aussi le faire. C'est donc 100 000 $, et disons qu'il en coûte 7 000 $ pour la livraison, le montant s'élève donc à 110 000 $.
[Français]
Le sénateur Maltais : Vous avez peut-être mal compris ma question. Je vous parle des pays avec lesquels le Canada a signé des traités de libre-échange; il s'agit des États-Unis, de l'ALENA, du traité conclu avec l'Union européenne, de celui conclu avec la Corée et de ceux qui sont en voie de négociation avec l'Asie. Est-ce que les Canadiens pourront faire des transactions avec ces pays en bitcoins?
Comprenez-vous ma question?
Je ne veux pas vous entendre parler de l'Ukraine. Je veux vous entendre parler des autres pays.
[Traduction]
M. Dearborn : N'importe quel pays dans le monde qui a Internet et des ordinateurs pourrait fort bien faire des transactions en bitcoins.
M. Eagar : Je crois que vous parlez du fait que pendant longtemps, nous avons eu des zones franches, et lorsqu'il y a des accords commerciaux, on peut déterminer que certains produits et services sont inclus dans ce type de zone franche. On pourrait décider d'adopter le système de jetons pour tous les échanges qui se font dans cette zone pour qu'ils ne soient pas contrôlés et soumis aux taxes, et cetera.
[Français]
Le sénateur Maltais : Qui pourrait décider de cela? Vous dites « on pourrait décider ». Alors, qui pourrait décider?
[Traduction]
M. Eagar : Un de mes amis, qui est membre de notre conseil, est un conseiller aux réunions des BRICS et représente la Banque mondiale. Évidemment, vous savez bien que le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud se regroupent pour créer une banque de développement et des zones de libre-échange entre elles, par exemple.
L'une des questions qui ont été posées au cours de nos séances est la suivante : devrions-nous avoir une cryptomonnaie ou un jeton nous permettant de faire des échanges par un accord mutuel? De toute évidence, il faut qu'au moins deux parties s'entendent au sujet du jeton, de ce qui peut être soumis aux taxes ou non et de l'intérêt d'échanger dans cette zone, qui pourrait être virtuelle. C'est ce vers quoi on s'en allait, je crois. Cela pourrait être dans l'espace virtuel.
[Français]
Le sénateur Maltais : Est-ce que le bitcoin est présentement en voie de développement avec l'Union européenne? Ne me parlez pas de l'Ukraine. Je parle de l'Union européenne, avec laquelle le Canada vient de signer un traité de libre- échange. Y a-t-il une évolution dans l'acceptation du bitcoin?
[Traduction]
M. Dearborn : Oui, monsieur. Toutefois, Bitcoin, à l'heure actuelle, n'est utilisé que par les accros de l'informatique. Il n'a pas encore été adopté à l'échelle de l'industrie. Il n'est pas utilisé pour des transactions importantes, en général, sauf dans le cas de transactions très illégales, Silk Road, et cetera. C'était un très bon moyen pour les barons de la drogue de faire circuler de la monnaie, car on ne pouvait identifier personne.
Est-ce que l'industrie l'utilise? Non, mais je veux terminer d'expliquer mon exemple : il en coûterait 3 000 $ de plus pour le conteneur; les Indiens devraient faire la conversion en dollars américains, couvrir le transport de sept semaines, et nous aurions à faire de même. On pourrait le faire avec des bitcoins en appuyant sur un bouton; une vérification serait faite en 10 minutes et il n'en coûterait que 6 ¢ pour les 100 000 $. Cela pourrait être ajouté.
Pour une multitude de raisons, l'industrie n'en est pas encore à adopter Bitcoin, mais je crois que c'est pour bientôt en raison des facteurs qui entrent en jeu : facilité et sans frictions.
Toutefois, cela soulève des questions sérieuses liées à la fraude fiscale. Je ne peux pas vendre à l'Inde les lentilles que je cultive sur ma ferme et ne pas réclamer des dollars canadiens lorsqu'on me paie en bitcoins. C'est quelque chose de théorique aujourd'hui, qui pourrait facilement être établi, mais ce n'est pas bon pour notre pays. C'est pourquoi nous avons besoin d'un cadre. Nous n'aurons jamais d'institutions qui surveilleront toutes les exportations et les importations.
J'espère que cela a répondu à votre question, monsieur.
M. Eagar : J'ai en fait une réponse à vous donner au sujet de l'Union européenne, et elle se trouve dans le document que je n'ai pas eu le temps de vous lire. Nous nous excusons de vous l'avoir fourni en retard. Il sera traduit en français. Je cite M. Gareth Murphy, directeur de la surveillance des marchés de la Banque centrale de l'Irlande. Il parle ici de l'Union européenne et c'est sous le titre « hybridized finance ».
Il prévoyait, après s'être entretenu avec ses collègues de l'Union européenne, l'avenir de la monnaie non fiduciaire hybride — le bitcoin, ou une autre monnaie.
L'existence d'une économie en euro et d'une économie en monnaie virtuelle invoque la possibilité d'une balance des paiements entre deux sous-économies où les fournisseurs préféreront peut-être une monnaie à une autre comme moyen de paiement (pour différents produits et services). [...] Les économies qui ont plus d'une monnaie n'ont rien d'inhabituel. Par exemple, le dollar américain est accepté dans bon nombre d'économies, parallèlement à la monnaie légale. De plus, il existe un certain nombre de monnaies régionales dans des régions de la France et de la Suisse, ce qui vise à encourager la conclusion de transactions pour les biens et les services locaux. Toutefois, à la différence de ces exemples, une évolution rapide...
Il parle ensuite des effets de ces nouvelles technologies financières, et cetera. Il signale, en se basant sur ses ateliers, les questions essentielles à régler.
Je vous renvoie au document, que vous avez, et nous le ferons traduire. Je peux vous donner plus de renseignements s'il reste du temps. Bref, oui, ils examinent la question.
Le président : J'aurais besoin d'un éclaircissement, monsieur Eagar. Vous avez dit que l'on pouvait suivre les transactions à la trace. Vous entendez par là que l'on peut connaître à la fois l'expéditeur et le destinataire. Je ne sais plus si vous avez précisé que c'était le cas pour toutes les transactions, mais partons tout de même de ce que vous avez dit concernant la traçabilité.
Je me tourne maintenant du côté de Mme Duhaime, et je lis dans ses notes d'allocution : « [...] n'importe quel détenteur d'un portefeuille anonyme, et ils sont très nombreux, peut transférer anonymement des bitcoins ». Vous donnez ensuite des exemples. Vous dites que tout cela est théorique et qu'il n'y a pas de preuve concrète, mais vous indiquez ensuite : « [...] j'ai entendu dire que les bitcoins sont utilisés en Chine pour percevoir des pots-de-vin et pour déplacer des actifs... » Puis, vous concluez : « [...] il est possible de déplacer des valeurs anonymement vers les îles Caïmans à l'insu de l'ARC, mais il n'y a encore là aucune preuve que cela se soit déjà produit. »
Je ne sais plus trop quoi penser. Vous dites pouvoir retracer toutes les transactions, puis vous indiquez qu'elles peuvent être tout à fait anonymes.
Mme Duhaime : Je peux vous dire pour ma part que des portefeuilles peuvent être établis de façon anonyme, et c'est de ce dont je parle ici. J'en détiens moi-même un, et c'est l'exemple que je vous ai donné. Ces portefeuilles anonymes sont assez répandus en Chine.
C'est la chaîne de blocs qui permet la traçabilité, mais ce n'est pas possible avec tous les portefeuilles. Un portefeuille est traçable lorsqu'on peut établir le lien avec une adresse courriel et ainsi identifier le détenteur. C'est ce que peut faire la NSA ou n'importe qui possédant les connaissances ou les compétences requises.
Manie pourra peut-être vous fournir plus de précisions.
M. Eagar : Si je vous donne cette carte, vous verrez un code QR à l'arrière. C'est donc un portefeuille que l'on pourrait suivre à la trace. Mon nom, mon adresse et toutes mes coordonnées y sont rattachés. Les deux modes de fonctionnement sont donc possibles dans ce contexte, comme vous pouvez tout aussi bien cacher de l'argent dans vos chaussettes et aller vous en servir anonymement à l'étranger. Je pense que c'est un peu la même chose.
Je voulais faire valoir que des gens peuvent décider de fonctionner hors-ligne, sans déclarer leurs transactions, et je crois que c'est ce dont Mme Duhaime parlait également.
Le sénateur Greene : Pourquoi alors ne pas tous fonctionner hors-ligne?
Mme Duhaime : C'est ce que font bien des gens.
Le président : Comment croyez-vous que l'on devrait contrôler ou réglementer tout cela? Est-ce que nous devrions le faire?
Mme Duhaime : C'est la grande difficulté que pose la réglementation des bitcoins. Comment réglementer les portefeuilles hors-ligne qui sont établis via le réseau Tor? C'est vraiment difficile.
Le sénateur Tkachuk : Puis-je ajouter quelque chose? Des témoins précédents nous ont dit que ces portefeuilles étaient traçables.
M. Dearborn : Ils le sont effectivement.
Le sénateur Tkachuk : Ils nous ont dit que leur capacité d'échapper à tout suivi était un mythe et qu'il était impossible de les utiliser à des fins condamnables, car on peut toujours découvrir l'identité de l'utilisateur.
M. Eagar : S'ils correspondent à une adresse associée à un nom pouvant être identifié. Tout ce qui est sur la chaîne de blocs est traçable...
M. Dearborn : Oui.
M. Eagar : ... point à la ligne. Je suis d'accord avec cet énoncé.
Le sénateur Tkachuk : Qu'est-ce qu'on indique sur la chaîne de blocs lorsque — ou est-ce qu'on inscrit même...
M. Eagar : Vous pouvez connaître l'emplacement physique où l'achat a eu lieu et bien sûr l'endroit où la somme en question a été reçue, mais on ne saura pas que c'est vous.
Le sénateur Tkachuk : Je comprends.
Mme Duhaime : On indiquera votre adresse générale de portefeuille numérique. Quelqu'un pourra trouver votre adresse courriel à partir de ce renseignement, puis contacter votre fournisseur Internet pour remonter jusqu'à vous. Il y a bien des étapes à franchir. Ce n'est pas tout à fait ce que prévoit la loi pour la lutte contre le blanchiment d'argent, mais vous pouvez avoir un portefeuille qui ne contient pas tous ces éléments, qui n'est pas relié à une adresse courriel vous appartenant, ou qui l'est, mais avec une fausse adresse, ou que vous avez acquis par un autre moyen, comme le réseau clandestin Tor qui en préserve l'anonymat.
M. Eagar : J'ajouterais que deux étudiants parisiens ont annoncé il y a deux semaines qu'ils avaient conçu un logiciel qui permet de faire exactement cela.
Le sénateur Tkachuk : D'accord.
M. Eagar : La traçabilité est possible, mais avec un certain effort.
Le président : Vous avez parlé de la possibilité de fonctionner hors-ligne.
M. Eagar : Autrement dit, la traçabilité devient difficile, mais pas impossible.
Mme Duhaime : Je ne suis pas nécessairement du même avis.
Le président : Il semblerait que nous ayons un léger désaccord.
M. Dearborn : Du point de vue du cadre réglementaire, je tiens à ce que le Canada puisse compter sur des forces armées solides, la Gendarmerie royale, les écoles et tout le reste. Si je vais dîner dans un restaurant qui accepte les bitcoins, je vais m'assurer qu'il détient une certification du Canada confirmant que ma transaction va contribuer à l'essor de mon pays.
Pour les montants très petits, j'entrevois le jour où je n'aurai plus à signaler la transaction à l'ARC parce que tout aura été réglé à l'avance. Ne serait-ce pas merveilleux? Peut-être pas pour KPMG, mais reste quand même que tout cela pourrait être très simple.
Nous apprécions tous de vivre dans le meilleur pays au monde, mais il y a un coût attaché à cela. Est-ce qu'il y a des gens qui vont tenter d'échapper au fisc et à toutes ces obligations? Assurément.
Tant qu'une réglementation n'aura pas été mise en place, ces comportements seront plus fréquents, mais une fois que ce sera fait, lorsque l'utilisation de cette monnaie sera largement répandue et acceptée de tous, il sera possible pour chacun de s'adapter en posant des questions du genre : « Où s'en va cet argent? Est-ce que vous avez des portefeuilles cachés? »
Si votre entreprise utilise un de ces portefeuilles, il vous est possible de savoir si les bitcoins qui passent entre vos mains vont se retrouver dans un portefeuille anonyme.
M. Eagar : Les portefeuilles que nous avons connus jusqu'à maintenant sont ceux de première génération. Nous pourrions concevoir des portefeuilles capables de saisir tous ces renseignements. C'est ce que pourraient décider les concepteurs et nous pourrions, théoriquement, établir par règlement que seuls des portefeuilles de ce type sont approuvés. Je ne dis pas qu'on devrait le faire, mais cela faciliterait grandement la tâche à ceux qui souhaitent suivre ces transactions à la trace, pour une raison ou pour une autre.
Le président : Merci.
M. Eagar : On en est encore aux premiers balbutiements. Il faut se rappeler que le bitcoin n'est du domaine public que depuis à peine un an.
Le sénateur Tkachuk : Est-ce que le montant de la transaction peut être un signal d'alarme ou sont-elles toutes traitées de la même manière?
M. Eagar : Il y a des gens qui se sont vantés la semaine dernière d'avoir pu expédier 80 millions en l'espace de quelques minutes. Je crois que c'était au moyen du réseau Ripple, mais je n'en suis pas certain.
Je ne pense pas qu'il y ait de plafond quant au montant de la transaction. Il s'agit simplement de ne pas dépasser la capacité de traitement du centre de compensation. Les actifs sont-ils suffisants pour concrétiser l'échange entre les deux parties? Pas nécessairement.
M. Dearborn : Et il ne devrait pas y avoir de problèmes techniques quant au minage de la valeur nécessaire en bitcoins, car les calculs d'encryptage devraient être à peu près les mêmes.
M. Eagar : C'est un peu comme un courriel. Pouvez-vous joindre de nombreux documents au courriel que vous envoyez à quelqu'un? Tout dépend s'il est en mesure de traiter des fichiers de 10 mégabytes. C'est le même principe.
La sénatrice Hervieux-Payette : Il y a un élément que je ne suis pas sûre de bien comprendre. Le ministre a indiqué hier qu'il allait voir ce qu'il pouvait faire en réponse au rapport de notre comité à l'égard des différences de prix entre les mêmes articles vendus au détail au Canada et aux États-Unis. Pour un article comme une caméra que des gens peuvent acheter dans tous les aéroports du monde, le prix est différent selon que l'on se trouve à Hong Kong, Paris, New York ou Vancouver. Comment tenir compte de cette réalité dans le contexte de vos bitcoins?
M. Eagar : Je ne sais pas trop. Il va de soi que vous devez déclarer la transaction sur le réseau. Comme tout bon citoyen, vous devez déclarer vos achats et payer les taxes qui s'y rattachent.
La sénatrice Hervieux-Payette : Non, ma question n'avait rien à voir avec les taxes à payer au retour.
M. Eagar : C'était concernant la différence de prix.
La sénatrice Hervieux-Payette : Je parle de la différence de prix. En supposant que je paye en bitcoins, et j'ai déjà mon propre compte, quel montant sera déduit de mon compte si le prix est indiqué en dollars, en yens, en euros ou dans toute autre devise? Comment fait-on le calcul? Connaissez-vous la valeur à jour des devises des 190 ou 200 pays du monde? Même la valeur du bitcoin peut varier d'une journée à l'autre, alors comment vous y prenez-vous avec plus de 200 devises qui peuvent servir à l'achat du même produit?
M. Eagar : Je comprends bien la question. Je n'ai pas de réponse à vous donner, mais j'imagine que vous achetez des choses sur eBay. Vous connaissez eBay?
La sénatrice Hervieux-Payette : Je n'achète rien sur eBay, mais je sais de quoi il s'agit.
M. Eagar : On y vend des articles usagés, à rabais ou peu importe. Si je trouve un produit moins cher que partout ailleurs, qui peut m'empêcher de l'acheter? Je ne sais pas. Il est bien évident qu'il va falloir s'entendre sur certains mécanismes pour régir le monde virtuel.
La sénatrice Hervieux-Payette : Vous convenez donc qu'il n'existe rien actuellement pour procéder aux ajustements requis?
M. Eagar : Mais le bitcoin ira là où...
La sénatrice Hervieux-Payette : Combien de bitcoins devrais-je débourser compte tenu des fluctuations importantes de la valeur de cette monnaie? Nous parlons d'un même article qui n'est pas vendu au même prix dans différents pays pendant la même journée. Quel montant sera déduit de mon compte bitcoin?
Soit dit en passant, monsieur le président, votre compte bitcoin devrait atteindre aujourd'hui une valeur de 400 $, si bien que vous pourrez sous peu tous nous inviter au restaurant.
On peut très bien discuter de ceci et de cela, mais je n'ai pas encore abordé la question des états financiers. On y trouve toujours l'actif et le passif. Est-ce que mon passif va varier quotidiennement ou plusieurs fois par jour en raison des fluctuations du bitcoin?
Le sénateur Tkachuk : On utiliserait un indice de prix. Lors des échanges internationaux, tous les prix sont fixés en dollars américains. Il n'est donc pas question de devise russe ou canadienne. Il y a une seule monnaie et tout est acheté en dollars américains sur la scène internationale.
Pour obtenir cette devise, vous devez vous rendre à la banque pour échanger votre argent. Vous pouvez ensuite en faire ce que vous voulez. Les prix seront établis en bitcoins. C'est comme ça que l'on fonctionne.
Le président : Sénatrice Hervieux-Payette, si vous voulez bien poursuivre votre question.
La sénatrice Hervieux-Payette : Cela fonctionnerait certes pour le monde occidental, mais comme les Chinois ont de grandes ambitions, il faudrait s'entendre, ce qui est parfois très difficile avec les différents blocs économiques, quant à la valeur à donner aux bitcoins pour que chaque pays puisse les utiliser.
M. Eagar : Il faut effectivement qu'il y ait parité.
La sénatrice Hervieux-Payette : Mais nous n'en sommes pas encore là. Qui va s'occuper de faire le nécessaire?
M. Dearborn : Je pense que votre question soulève des considérations beaucoup plus profondes et philosophiques, car le bitcoin n'est en soi qu'un simple code binaire. C'est une série de uns et de zéros qui existent électroniquement dans l'espace virtuel. Cela ne peut pas exister sans un système informatique. Cela ne peut pas exister sans raccordement électrique. Pour bien comprendre la nature des bitcoins, il faut penser que l'on ne peut pas en tenir dans ses mains. C'est une simple question de confiance. Je dois faire confiance à la personne avec laquelle je fais un échange de codes binaires, et je perçois en tirer une certaine valeur. J'estime que c'est une forme de marché libre tout à fait ouvert.
Je ne sais pas si on peut totalement répondre à votre question dans le contexte de...
M. Eagar : Si c'est un marché libre, on va trouver une solution, mais je comprends votre préoccupation.
La sénatrice Hervieux-Payette : Il y a des biens à la consommation, mais il y a aussi des produits industriels en plus grande quantité encore. Je parle des avions, des équipements lourds et des produits semblables. Je dis simplement que je ne sais pas quelle commission des Nations Unies va s'en charger, ou comment nous pourrions y arriver. C'est bien beau de parler de confiance, mais si on pouvait faire confiance aux gens à ce point, il n'y aurait pas autant de problèmes dans le monde.
Je me demande donc comment nous pouvons parvenir à nous entendre sur la valeur de ces séries de uns et de zéros, pour reprendre votre expression, de telle sorte que chacun puisse procéder à une transaction d'importance en sachant exactement combien de bitcoins il lui faudra. Pour les transactions mineures, ce n'est pas trop problématique à mes yeux, mais c'est différent lorsque les sommes en cause sont plus élevées.
M. Eagar : Mes amis qui travaillent du côté de la bourse ont déjà trouvé une piste de solution. Ils traitent ces transactions comme s'il s'agissait d'instruments dérivés ou à terme. On s'entend mutuellement sur une valeur fixe et la transaction est effectuée à la valeur convenue, un point c'est tout.
Le sénateur Black : J'allais poser exactement la même question que notre président, car j'ai perçu une contradiction qui, en toute franchise, m'empêche de bien comprendre. Est-ce que vous pourriez nous aider à y voir plus clair pour la suite des choses?
Monsieur Eagar, je vais lire aux fins du compte rendu l'avant-dernier paragraphe de la lettre que vous avez envoyée au comité le 14 octobre dernier :
Nous tenons également à venir témoigner devant le comité pour parler des risques de financement du terrorisme, de blanchiment d'argent, de sanctions et d'évitement fiscal associés aux produits financiers...
Ce sont autant de choses qui ne m'inquiétaient pas vraiment, car je pensais que nous étions en mesure de suivre à la trace toutes les transactions. J'ai appris aujourd'hui que ce n'était pas le cas.
Vous indiquiez aussi vouloir nous suggérer des façons de limiter ces risques financiers grâce à la technologie, sans pour autant freiner l'innovation financière. Auriez-vous l'obligeance de nous transmettre par écrit vos suggestions à ce sujet?
M. Eagar : Certainement. Je pense avoir certaines réponses à vous donner, mais laissez-moi réfléchir à la question et vous transmettre le tout.
Le président : Je vous remercie. Au nom de tous les membres du comité, je tiens à vous exprimer notre grande reconnaissance. Vous avez été d'excellents témoins et votre contribution nous sera très utile.
Avant de conclure, je souhaite vous informer officiellement de la valeur de mes bitcoins. Comme vous le savez, lors d'une séance antérieure portant sur ce sujet, j'ai acheté 0,18 bitcoins pour 100 $, et on m'indique qu'ils valent aujourd'hui 72,39 $. Il faut donc oublier le dîner pour cette année.
Le sénateur Massicotte : Il faut se demander si on doit lui faire confiance.
Le sénateur Tkachuk : En fait, vous auriez dû vendre lorsque la valeur était élevée.
Le sénateur Campbell : Vous auriez dû demander 20 $ à chacun de nous.
Le président : Merci encore une fois à chacun d'entre vous et joyeux temps des fêtes à tous.
(La séance est levée.)