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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 23 - Témoignages du 19 février 2015


OTTAWA, le jeudi 19 février 2015

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour étudier l'utilisation de la monnaie numérique.

Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, et bienvenue à la séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.

Il s'agit aujourd'hui de la 14e séance de notre étude spéciale sur l'utilisation de la monnaie numérique qui porte notamment sur les risques, les menaces et les avantages potentiels de ces formes électroniques d'échange. À ce jour, le comité a entendu un large éventail de témoins, y compris des représentants d'organismes gouvernementaux, des spécialistes en finance numérique, des universitaires et des sociétés d'échange de bitcoins.

À la dernière séance, nous avons entendu le témoignage de représentants de la GRC et du Service canadien du renseignement de sécurité, ou SCRS, qui nous ont parlé des risques potentiels des monnaies numériques. Nous allons aujourd'hui poursuivre sur le sujet avec le témoignage de représentants du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, mieux connu sous le nom de CANAFE. Il s'agit de l'organisme canadien responsable des renseignements financiers qui a été créé en 2000, une entité indépendante qui fait rapport au ministère des Finances. Le CANAFE a été créé aux termes de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, qui régit ses activités, une loi dont les membres du comité se souviendront sans doute puisqu'ils ont eu pour mandat de la réviser il y a deux ans.

Le CANAFE a pour mandat de faciliter la détection, la prévention et la dissuasion du blanchiment d'argent et du financement des activités terroristes tout en assurant la protection des renseignements personnels.

C'est particulièrement pertinent dans le cas des monnaies numériques, car nous avons appris que celles-ci pourraient servir au blanchiment d'argent et à d'autres activités illicites.

Je suis ravi d'accueillir aujourd'hui les représentants du CANAFE : Bernard Gagné, sous-dirigeant principal de la conformité, Relations et soutien à la conformité; et Martin Tabi, gestionnaire, Unité de la recherche et du renseignement stratégique et des Relations internationales. Nous recevons également les représentants de la Direction de la politique du secteur financier du ministère des Finances : Lisa Pezzack, directrice, Secteur financier; et Ian Wright, chef, Crimes financiers — Intérieurs.

Mme Pezzack va commencer et sera suivie de M. Tabi.

Madame Pezzack, la parole est à vous.

[Français]

Lisa Pezzack, directrice, Secteur financier, Direction de la politique du secteur financier, ministère des Finances Canada : Je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant le comité et de faire le point sur notre travail en matière de monnaie virtuelle. J'aimerais vous présenter mon collègue, M. Ian Wright, chef de la Section des crimes financiers intérieurs.

Je souhaite tout d'abord féliciter les membres du comité pour leur travail dans le cadre de l'étude de l'utilisation de la monnaie numérique. Vos comptes rendus ont été très utiles à notre travail d'élaboration de politiques.

En mars 2014, mon prédécesseur s'est présenté à la réunion inaugurale de ce comité sur l'étude de l'utilisation de la monnaie numérique. Il a fait un exposé sur les monnaies virtuelles au Canada afin de fournir des renseignements généraux sur le sujet. Je suis certaine que vous avez grandement bénéficié des données présentées par les nombreux témoins experts qui se sont présentés devant le comité au cours de l'année dernière.

[Traduction]

Lors de la séance du mois de mars 2014, l'exposé présenté par le ministère des Finances a permis de souligner quelques-uns des avantages de la monnaie virtuelle, notamment en tant que moyen d'innovation financière et comme support pour les transactions à faible coût et de faible valeur. Ces avantages devront être soupesés par rapport aux éventuelles préoccupations afin de décider si le secteur doit être réglementé ou non, et avec quels moyens. L'utilisation des monnaies numériques présente certains risques importants.

Par exemple, le degré d'anonymat accru et la facilité des transferts, qu'ils soient de faible ou de grande valeur, constituent des faiblesses susceptibles d'être exploitées en vue de blanchir de l'argent et de financer le terrorisme. La protection des consommateurs et la surveillance des systèmes de taxation et de paiement sont elles aussi exposées à des risques importants.

Nous devons également tenir compte des défis auxquels le secteur lui-même doit faire face, notamment les cas de cybercriminalité très connus et les difficultés que les entreprises ayant affaire à la monnaie virtuelle rencontrent pour accéder aux services bancaires.

Parallèlement, nous devons éviter d'être trop intrusifs et devons trouver un juste équilibre qui n'empêcherait pas le Canada de bénéficier des retombées économiques de l'innovation pour les entreprises utilisatrices de monnaie virtuelle. Il ne faudrait pas inciter ces entreprises et les adeptes de ce type de monnaie à se tourner vers les marchés gris ou même obscurs sur le Web, ce qui réduirait encore plus la surveillance réglementaire et la transparence financière.

Depuis le mois de mars de l'an dernier, nous avons entrepris des consultations pour mieux comprendre les technologies sous-jacentes, mieux connaître les entreprises impliquées ainsi que les risques et les répercussions de l'évolution des monnaies virtuelles. Nous avons notamment rencontré des ministères et organismes provinciaux et fédéraux, et discuté avec différentes entreprises utilisatrices de monnaie virtuelle et diverses autorités étrangères.

Ces consultations ont été utiles, car elles nous ont donné un aperçu de la composition du secteur des monnaies virtuelles et de la structure des entreprises; nous ont renseignés sur les risques et les stratégies d'atténuation adoptées par les entreprises; et nous ont permis d'apprécier les stratégies de réglementation mises en place par d'autres administrations.

Nous nous appuyons également sur des travaux menés par le ministère pour mieux comprendre les risques liés au blanchiment d'argent et au financement du terrorisme à l'échelle nationale. Ces travaux sont soutenus par une douzaine de ministères et d'organismes fédéraux dans le cadre du Régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, et viendront éclairer l'élaboration et la mise en œuvre de politiques et d'approches opérationnelles efficaces visant à atténuer un large éventail de risques, notamment ceux qui sont liés aux monnaies virtuelles.

Nous travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires par l'intermédiaire du Groupe d'action financière, l'organisme international qui définit les normes en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. La monnaie virtuelle est, par essence, un enjeu global qui exige une coordination internationale pour atténuer le risque que présente l'arbitrage réglementaire.

Pour les transactions internationales, la possibilité de payer dans une monnaie qui ne nécessite aucun change constitue clairement un avantage.

[Français]

En juin dernier, le Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux a publié un document intitulé Monnaies virtuelles : Définitions clés et risques potentiels en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Ce document fait suite à ses travaux précédents sur les nouveaux produits et services de paiement. Cette publication très utile propose un cadre conceptuel permettant de comprendre les monnaies virtuelles, leurs utilisations et les abus possibles. Elle permet aux représentants du marché, aux organismes de réglementation et aux organismes d'application de la loi de se comprendre en définissant un vocabulaire commun.

Nous avons apporté un exemplaire de ce document à votre intention. Le Groupe d'action financière s'appuie sur ces travaux pour élaborer un projet de directive concernant l'adoption d'une approche axée sur le risque afin d'inclure les monnaies virtuelles dans son cadre de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Nous serons heureux de vous transmettre un exemplaire de ce document dès qu'il aura été publié.

[Traduction]

La fonction de réglementation n'incombe pas uniquement au gouvernement fédéral. Les autorités provinciales jouent un rôle majeur dans la réglementation des activités des entreprises qui s'apparentent à des entreprises de services monétaires, comme celles présentes dans le secteur des monnaies virtuelles, et, plus généralement, dans les questions de protection des consommateurs.

L'Agence de la consommation en matière financière du Canada, l'ACFC, a émis un avertissement sur les risques de la monnaie virtuelle, notamment le vol électronique et la volatilité des cours, ce dernier risque étant particulièrement bien illustré par la chute du cours du bitcoin, passé de quelque 1 200 dollars canadiens en novembre 2013 à 295 dollars canadiens aujourd'hui.

L'ACFC a également fourni quelques conseils, dans le cadre de son mandat d'éducation financière, sur l'utilisation et le stockage de la monnaie virtuelle afin d'atténuer certains de ces risques. Cependant, le mandat de conformité de l'ACFC se limite aux institutions financières sous réglementation fédérale, comme les banques.

À l'échelle fédérale, nos responsabilités et pouvoirs découlent de notre législation contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, c'est-à-dire la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, que j'appellerai tout bonnement la loi par souci de concision.

Le gouvernement fédéral a pris des mesures pour atténuer certains risques associés aux monnaies virtuelles. Dans son Plan d'action économique de 2014, il a annoncé qu'il proposerait des modifications législatives et réglementaires afin de renforcer la loi. Les modifications législatives ont été présentées dans le projet de loi d'exécution du budget, qui a reçu la sanction royale le 19 juin 2014. On y retrouve une modification visant l'enregistrement des plateformes d'échange de monnaies virtuelles en tant qu'entreprises de services monétaires, aux termes de la loi.

Le ministère élabore actuellement le règlement nécessaire à l'adoption de ces dispositions législatives. Le règlement sur les monnaies virtuelles définira les types d'entreprises de monnaies virtuelles qui seront couvertes et les obligations précises qui devraient être appliquées.

Cela peut être difficile dans le contexte des monnaies virtuelles caractérisé par un environnement commercial en évolution constante qui utilise une technologie sortant de nos cadres habituels. En outre, il est difficile de légiférer dans un environnement dans lequel aucun pouvoir centralisé ne peut être ciblé par un cadre législatif ou réglementaire. Dans le cas du bitcoin, par exemple, il n'y a aucun pays hôte dont les lois et règlements régiraient le comportement de la monnaie.

Nous nous attendons à ce que les obligations soient essentiellement les mêmes que pour les entreprises de services monétaires, ce qui comprend l'enregistrement, l'identification des clients et la diligence raisonnable, la tenue de documents et un régime de conformité interne, de même que la déclaration des transactions douteuses et de certaines opérations définies dans le règlement.

Le volume et la rapidité des transactions de monnaies virtuelles demeurent relativement faibles par rapport au système financier traditionnel. Toutefois, les courtiers de monnaies virtuelles sont la cible d'activités illicites, comme le montrent les nombreux exemples qui ont été fournis au comité dans les témoignages précédents. Comme pour nombre de nouvelles technologies, la pleine utilité et le niveau d'adoption des monnaies virtuelles ne sont pas encore clairs.

Je dirais aussi que de récents reportages médiatiques indiquent que le bitcoin fait face à certaines difficultés, notamment un risque d'atteinte à la réputation en raison de l'augmentation du nombre de scandales et des liens accrus avec les activités illicites et le marché obscur du Web; et la volatilité des prix qui suscite la spéculation autour du bitcoin en tant que bien plutôt que moyen d'échange pour les transactions commerciales.

Nous chercherons à réduire les risques de blanchiment d'argent et de financement d'activités terroristes avec des monnaies virtuelles tout en préservant les avantages de l'innovation financière. Ce sera possible à l'aide d'une intervention réglementaire ciblée dans les secteurs les plus vulnérables, comme dans le cas de transactions de monnaies virtuelles qui facilitent le transfert de ces monnaies vers le système financier traditionnel. C'est dans ce type de situations que les monnaies virtuelles sont échangées pour des monnaies fiduciaires ou ce que certains d'entre nous appellent des monnaies réelles ou nationales. Traditionnellement, cela ferait en sorte que ceux qui échangent des monnaies virtuelles pour des monnaies réelles sont des entreprises de services monétaires.

[Français]

Suivant les autres approches internationales à l'égard des obligations des courtiers de monnaies virtuelles en matière de lutte contre le blanchiment d'argent, bon nombre de ces entreprises sont les voies d'entrée et de sortie de l'environnement des monnaies virtuelles. Cette approche nous évitera aussi de limiter davantage l'innovation en garantissant que le gouvernement ne réglemente pas de façon indue l'infrastructure et les technologies sous-jacentes de la monnaie virtuelle, comme le code source ou les mineurs, de même que les utilisateurs individuels de la monnaie virtuelle.

Au fur et à mesure que l'élaboration des politiques se poursuit, nous envisageons de consulter un groupe cible d'intervenants au sujet de quelques propositions précises. Dans le cadre du processus de réglementation, les intervenants pourront fournir des commentaires écrits une fois que le règlement aura fait l'objet d'une publication préalable dans la Gazette du Canada.

Nous attendons impatiemment le rapport final du comité sur l'étude de la monnaie numérique. Vos recommandations documenteront l'élaboration de nos propositions de règlement finales.

[Traduction]

Monsieur le président, je cède maintenant la parole à mon collègue du CANAFE, Martin Tabi, pour son mot d'ouverture.

[Français]

Martin Tabi, gestionnaire, Unité de la recherche et du renseignement stratégique et des Relations internationales, Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) : Bonjour. Je vous remercie de nous avoir invités aujourd'hui dans le cadre de votre étude sur les monnaies virtuelles.

Avant de commencer, j'aimerais vous présenter mon collègue, Bernard Gagné, sous-dirigeant principal de la conformité du CANAFE, responsable de notre unité des Relations et du soutien à la conformité. M. Gagné est ici pour répondre à vos questions au sujet de la conformité.

Comme les membres du présent comité le savent très bien, le ministère des Finances, le CANAFE, les services de police, les organismes du renseignement et de la sécurité nationale, les procureurs et environ 31 000 entreprises partout au pays ont tous un rôle à jouer au sein du régime canadien de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, afin de créer un environnement hostile pour ceux qui tentent d'abuser de notre système financier et de menacer la sécurité des Canadiennes et des Canadiens.

La Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes impose des obligations aux institutions financières, aux entreprises de services monétaires, aux casinos, et à d'autres entreprises qui y sont assujetties et qui doivent mettre sur pied un programme de conformité, vérifier l'identité de leurs clients, surveiller les relations d'affaires, tenir certains documents et déclarer certains types d'opérations financières au CANAFE.

Par l'entremise de notre programme de conformité, nous nous assurons que les entreprises respectent leurs obligations. Tout en améliorant la dissuasion à l'échelle du système, la conformité à la loi nous permet également de nous assurer que les entreprises nous transmettent les déclarations dont nous avons besoin pour élaborer un renseignement financier exploitable pour nos partenaires des services policiers, pour les organismes de sécurité nationale du régime canadien ainsi que pour nos partenaires internationaux.

L'année dernière, nous avons produit 1 143 communications de renseignement exploitable pour nos partenaires afin de les aider dans leurs enquêtes sur le blanchiment d'argent, le financement du terrorisme et les menaces à la sécurité du Canada.

À titre d'unité du renseignement financier du Canada, le CANAFE collabore étroitement avec la GRC, le SCRS et d'autres organismes responsables afin d'avoir une compréhension approfondie de l'environnement de menace et d'être en mesure de contribuer aux enquêtes prioritaires de nos partenaires des services policiers et de la sécurité nationale.

[Traduction]

Notre Unité de la recherche et du renseignement stratégique et des Relations internationales travaille également avec des spécialistes, des intervenants et des partenaires internationaux sur une vaste gamme d'enjeux qui peuvent avoir des répercussions sur nos activités de conformité ou de renseignement, sur le régime canadien de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme dans son ensemble ou sur les régimes de nos partenaires internationaux.

Ce genre de recherche collaborative a été particulièrement importante en ce qui a trait aux monnaies virtuelles; en effet, l'utilité de notre base de données sur les rapports de transactions est limitée puisque les opérations effectuées avec une telle monnaie n'ont pas à être déclarées en vertu de la Loi ou des règlements.

Depuis le début de l'étude du comité, un certain nombre de témoins spécialistes ont discuté des avantages et des risques que présentent les monnaies virtuelles. Nous avons suivi ces témoignages très attentivement. Selon notre propre recherche, nous savons que les monnaies virtuelles sont utilisées par un grand nombre de personnes partout dans le monde à des fins tout à fait légitimes.

Nous savons également que certaines caractéristiques des monnaies virtuelles peuvent les rendre attirantes pour les criminels. Plus particulièrement, comme pour l'argent en espèces, certaines de ces monnaies offrent un certain niveau d'anonymat à ceux qui effectuent des opérations. Elles peuvent donc être utilisées pour acheter des produits et des services illégaux, tout en étant difficiles à retracer. Elles peuvent aussi être utilisées pour camoufler ou déplacer des montants importants tirés d'activités illicites.

Nous partageons le point de vue du SCRS et de la GRC, présenté devant ce comité il y a quelques semaines, selon lequel les monnaies virtuelles pourraient devenir un outil important pour les auteurs de menaces, surtout en ce qui a trait au blanchiment d'argent et au financement du terrorisme.

Comme le savent les membres du comité, et comme l'ont mentionné nos confrères, dans le cadre de la Loi sur le plan d'action économique de 2014, le Parlement a modifié la définition d'une entreprise de services monétaires de la Loi afin d'y ajouter toute personne ou entité qui se livre au commerce d'une monnaie virtuelle, au sens des règlements.

Nous avons avisé les entités déclarantes que la modification législative entrera en vigueur une fois le règlement publié dans la Gazette du Canada. D'ici là et à ce que le règlement entre en vigueur, c'est le statu quo entre les entités déclarantes et nos activités de conformité. Les entreprises de services monétaires qui doivent s'inscrire auprès de CANAFE sont celles qui exercent une des activités suivantes : opérations de change; remise ou transmission de fonds par tout moyen ou par l'intermédiaire d'une personne, d'une entité ou d'un réseau de télévirement; émission ou encaissement de mandats-poste, de chèques de voyage ou de titres négociables du genre.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie. Nous nous ferons maintenant un plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Monsieur Tabi, je vous remercie de votre exposé.

Vous savez, à propos des transactions en bitcoins, les membres du comité s'efforcent de saisir le concept de confidentialité, d'anonymat et de traçabilité.

Franchement, au cours de nos audiences, nous avons entendu des opinions tout à fait contradictoires quant à la traçabilité et à l'anonymat des opérations en bitcoins. En fait, nous avons même entendu deux témoins de la même organisation exprimer des points de vue différents à ce sujet.

Or, monsieur Tabi, je remarque que vous ne vous prononcez pas vraiment sur le sujet, mais que vous dites : « Elles peuvent donc être utilisées pour acheter des produits et des services illégaux, tout en étant difficiles à retracer. » Vous savez, même s'il est difficile de faire quelque chose, il est tout de même possible de le faire.

Qu'en pensez-vous? Est-il possible de retracer les opérations en bitcoins?

M. Tabi : Merci, monsieur le président. À notre avis, il est difficile de les retracer — et pas seulement pour le CANAFE. Cette question ne concerne pas seulement des opérations financières. Comme vous le savez, le CANAFE met l'accent sur les opérations financières. Les monnaies virtuelles et leurs déplacements dans le système non seulement sont difficiles à retracer par le biais des opérations, mais ils présentent aussi des risques sur le plan de la cybercriminalité. Pour les retracer, il faudrait donc compter sur la collaboration de beaucoup d'autres partenaires dans le système. Cependant, certains éléments de cette monnaie peuvent aider les criminels à cacher et à déplacer leur argent, et c'est cela qui nous inquiète.

Le sénateur Massicotte : Est-ce que c'était un oui ou un non, monsieur le président?

Le président : Selon moi, la réponse penchait un peu plus en faveur de l'avis que les opérations ne sont pas nécessairement traçables, malgré tous les efforts que vous pourriez déployer. Est-ce bien cela?

M. Tabi : À nous seuls, au CANAFE, elles ne sont pas traçables. Il est évident que cela pose problème.

Le président : Pensez-vous que d'autres entités peuvent retracer d'où proviennent les fonds?

M. Tabi : À mon avis, vous avez entendu beaucoup de témoins vous aider à ce sujet. Je ne peux pas en dire plus concernant leurs capacités.

Le président : Voilà le problème. Nous avons entendu beaucoup de points de vue différents.

M. Tabi : Oui, en effet.

Le sénateur Massicotte : La réponse me paraît très claire.

Le président : Bon. Nous passons aux questions, et je vais commencer par donner la parole à la vice-présidente du comité, la sénatrice Hervieux-Payette, ensuite à la sénatrice Bellemare.

La sénatrice Hervieux-Payette : Merci et bienvenue. Permettez-moi de commencer par poser une question liée à l'actualité. Vous parlez de traçabilité. Pourquoi n'avez-vous pas retrouvé les gens de la HSBC qui ne payaient pas leurs impôts au Canada?

Vous n'arrivez pas toujours à retracer de l'argent réel. Comment donc allez-vous retracer de l'argent complètement différent, qui n'est pas dans un lieu précis quelque part, mais dans le nuage?

Si votre organisation n'est pas en mesure de faire cela, qui a les capacités techniques pour le faire? Est-ce que c'est notre organisme de renseignement, qui a tous les gros ordinateurs comme ceux de la NSA?

Qui va mettre au point un système qui nous permettra, en collaboration avec les autres pays, de trouver ceux qui font ces opérations? En fait, c'est cela le plus gros problème. On peut réglementer tout ce que l'on veut, mais si on ne sait pas qui fait quoi, cela ne sert à rien.

Si on demande à ces personnes de s'inscrire, et qu'elles savent bien qu'on ne peut pas les trouver, elles ne s'inscriront pas. Par conséquent, qui a la capacité de faire cela, et quel pays? Vous entretenez-vous avec d'autres entités étrangères, que ce soit des organisations internationales ou des pays précis comme les États-Unis, dans l'objectif de faire mieux avec cette monnaie que nous faisons avec l'argent réel dans une banque réelle à l'étranger?

M. Tabi : Merci. Pour commencer, le rôle du CANAFE consiste à travailler avec des entités qui publient des états financiers, et nous travaillons à partir de ces états. Cela veut donc dire que nous travaillons en étroite collaboration avec ces entités, qui nous présentent divers rapports, notamment des déclarations d'opérations suspectes, des relevés d'opérations importantes en espèces dont le seuil est fixé à 10 000 $ et de virements télégraphiques à l'étranger. Cela répond à une partie de la question sur la nature internationale du problème.

Pour répondre à votre question sur la formation de partenariats avec d'autres URF, un protocole d'entente a été conclu avec 90 autres URF dans le monde, comme le CANAFE. Nous pouvons donc échanger des renseignements. Vous avez parlé tout particulièrement des États-Unis. Nous avons conclu un PE avec le FinCEN, qui est l'équivalent du CANAFE aux États-Unis. Je peux confirmer que FinCEN est notre partenaire le plus important, pour des raisons évidentes.

En ce qui concerne ce qui se fait au pays sur le plan de la traçabilité pour l'exemple que vous avez mentionné, bien sûr, d'autres partenaires travaillent à ce dossier. Vous avez parlé des services du renseignement : oui, ils sont capables de retracer d'autres éléments. Vous avez soulevé la question des impôts : l'ARC prendrait aussi part à ces recherches. Plusieurs ministères et organismes du Canada collaborent donc à des dossiers de ce genre.

La sénatrice Hervieux-Payette : À ce jour, avons-nous produit des communications de renseignement? Vous en avez produit 1 143 l'année dernière. Est-ce que l'une d'entre elles portait sur des bitcoins?

M. Tabi : Une communication de renseignement sur des bitcoins? Malheureusement, aux termes de la loi, je ne peux pas vous faire part des détails des communications. Celles que nous transmettons sont rigoureusement régies par la loi, la LRPCFAT, et nous fournissons de tels renseignements à une liste très précise d'organismes, comme la GRC et le SCRS. Quant aux résultats des enquêtes, je vais laisser aux autorités chargées de l'application des lois et aux services du renseignement le soin de vous fournir plus de renseignements.

Le rôle du CANAFE consiste à fournir les éléments relatifs au renseignement financier, ce qui est un morceau important et particulier d'un gros casse-tête. Par conséquent, il vaudrait probablement mieux laisser aux responsables des enquêtes le soin de répondre à la question sur les résultats.

La sénatrice Hervieux-Payette : Mais vous avez produit 1 143 communications. Est-il strictement question d'argent régulier? Je ne vous demande pas de me dire qui a fait quoi. Tout ce que je vous demande, c'est si, par exemple, 1 100 communications portaient sur de l'argent régulier et 43 sur des bitcoins. Je vous demande si vous avez produit des communications à ce sujet.

M. Tabi : Pour ce qui est des communications qui portent spécifiquement sur les monnaies virtuelles, comme je l'ai indiqué dans mon exposé, du fait que les opérations effectuées avec ce genre de monnaie n'ont pas encore à être déclarées aux termes de la loi, l'utilité de notre banque de données dans ce domaine est limitée, et il nous est donc difficile d'en tirer des conclusions claires.

À ce jour, la seule à pouvoir créer un rapport à ce sujet, une déclaration d'opérations suspectes, par exemple, serait une entité qui est présentement assujettie à la loi, comme une banque. Par conséquent, dans le monde non virtuel, en ce moment, une banque serait en mesure de déceler et déterminer certaines choses concernant les monnaies virtuelles.

Cela s'est déjà fait, mais de façon très limitée pour l'instant, dans l'objectif d'aider à faire notre travail.

La sénatrice Hervieux-Payette : Merci.

[Français]

La sénatrice Bellemare : J'ai deux questions, mais la première concerne la thématique importante qu'est la traçabilité. En ce qui concerne les lieux d'échange, par exemple, les guichets automatiques ou ceux qui gèrent les lieux d'échange de la monnaie canadienne en achat de bitcoins, croyez-vous qu'il soit possible de prévoir un mécanisme pour identifier les individus qui achètent des bitcoins?

Peut-être qu'il ne serait pas facile d'identifier à l'autre bout de la transaction qui reçoit les bitcoins, surtout si c'est en Afrique et que cela sert au terrorisme, mais cela pourrait peut-être donner des pistes. Réglementer l'aspect de l'échange sur notre territoire pourrait-il nous donner une bonne idée, tout en tâchant que cela ne nuise pas au processus d'innovation?

[Traduction]

Ian Wright, chef, Crimes financiers - Intérieurs, Direction de la politique du secteur ministère des Finances Canada : Oui, absolument. Comme Lisa l'a fait remarquer, nous imposerions alors à ces entités, désormais réglementées, des exigences similaires à celles que l'on impose actuellement aux ESM, c'est-à-dire la vigilance à l'égard de la clientèle, l'identification, la tenue de dossiers et les exigences en matière de rapport. Ce que j'appellerai les entreprises de services monétaires pour les monnaies virtuelles, ESMMV, envisageraient alors de recueillir des renseignements de ce genre; cela serait très utile. Vous avez absolument raison de dire qu'il est plus difficile de savoir ce qui arrive à l'autre bout de la chaîne, à cause du caractère anonyme des opérations.

[Français]

La sénatrice Bellemare : La technologie permettrait de réglementer cela? Si vous élaborez un règlement, il serait possible de le mettre en œuvre également?

[Traduction]

M. Wright : Absolument.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Auriez-vous quelque chose à ajouter, messieurs Tabi et Gagné?

Bernard Gagné, sous-dirigeant principal de la conformité, Relations et soutien à la conformité, Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) : Non, sauf pour confirmer ce que nos collègues du ministère des Finances ont dit, à savoir que si on demande aux participants d'identifier les clients qui se présentent chez eux pour acheter ou vendre des bitcoins, ce n'est plus une question de technologie, mais bien d'obligation.

La sénatrice Bellemare : Ma deuxième question s'adresse à Mme Pezzack. On a lu dans les journaux que, au Québec, on s'apprête à élaborer un règlement. Le ministère fédéral des Finances discute-t-il avec le Québec de ce dossier? Êtes-vous sur la même longueur d'onde?

Mme Pezzack : Nous avons entamé des discussions avec les provinces et d'autres ministères fédéraux, mais nous tenons aussi des consultations avec des entreprises dans ce domaine.

[Traduction]

M. Wright : Le règlement québécois complète notre loi et nos règlements. Nos règlements s'appliquent encore au Québec, mais la province a choisi de faire un pas de plus et d'aller de l'avant avec certaines des choses que nous pensons appliquer directement à la monnaie virtuelle. Comme Lisa l'a dit, il faut tenir compte de la question des compétences fédérales-provinciales ici. Nous devons donc travailler en étroite collaboration avec le Québec pour veiller à ce que les autorités compétentes soient en place. Nous considérons que ce règlement est essentiellement complémentaire aux nôtres.

[Français]

La sénatrice Bellemare : C'est parce que la question des pouvoirs constitutionnels est importante.

Dans la foulée de ces discussions, avez-vous aussi des relations avec l'État de New York, qui est en train de réglementer les cryptomonnaies?

[Traduction]

M. Wright : Nous n'avons pas établi de relation directe. Nous avons vu certains des documents et nous avons parlé avec les personnes concernées au fil du temps. Je pense que nous parlerons davantage avec eux parce que leur régime de réglementation est beaucoup plus vaste. Ils ont un mélange de ce que nous avons sur les plans fédéral et provinciaux, et ils sont autorisés à se pencher sur les problèmes des consommateurs; certains de ces pouvoirs ne relèvent pas tout à fait de notre compétence. Nous considérons que les États-Unis sont des chefs de file dans ce domaine.

[Français]

M. Tabi : Par l'entremise de la relation que nous avons avec des gens de FinCEN qui, comme le CANAFE, a une responsabilité sur le plan de la réglementation, nous pouvons consulter des personnes qui constituent déjà un réseau de joueurs établis aux États-Unis. Nous avons eu des échanges sur les différentes pratiques.

Nous avons eu ce type d'échanges également sur la scène internationale. Mme Pezzack mentionnait, dans ses propos, les travaux du GAFI, le groupe international qui se penche sur les recommandations sur le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Cela nous permet donc aussi d'échanger des renseignements avec un groupe d'intérêt plus large, et pas seulement avec les Américains.

Le sénateur Massicotte : Merci à nos témoins. Madame Pezzack, lorsque je lis votre texte, vous parlez des normes et des approches internationales. Deux paragraphes indiquent la direction que vous prenez. Vous êtes à l'étape de la rédaction des règlements à venir. J'ai l'impression que vous visez effectivement à contrôler les points d'échanges entre la monnaie qu'on connaît, le dollar canadien, et la monnaie virtuelle. En d'autres mots, il y a l'entrée et la sortie.

Si je comprends bien, vous orientez surtout le règlement sur le contrôle de ces deux points pour faire l'identification du client, un peu comme dans une banque. Est-ce que je me trompe en disant cela?

Mme Pezzack : Je dirais oui, mais M. Wright a davantage d'expérience dans ce domaine que moi.

[Traduction]

M. Wright : Comme vous l'avez entendu, les problèmes se présentent surtout dans les entités décentralisées comme Bitcoin, qui est le Kleenex des monnaies virtuelles. Il est très difficile de comprendre la notion de décentraliser parce qu'aucune entité ne sert de point d'échanges unique, qui nous aurait permis de réglementer la monnaie, comme c'est le cas pour tous les autres systèmes de paiement. Toutefois, cela ne veut pas dire que nous ne ciblerons pas aussi bitcoin.

Il y aura peut-être des cas où nous regarderons ces échanges et que nous dirons, par exemple : « Cela n'est pas seulement la monnaie virtuelle que vous gérez, mais aussi toutes les opérations en bitcoins d'une valeur de 10 000 $ ou plus qui sont effectuées entre les entités. » Les échanges entre monnaies réelles et virtuelles comptent parmi les principales questions sur lesquelles nous voulons nous pencher. Nous essayons aussi de voir comment nous pourrions produire des rapports sur les flux de monnaies réelles et virtuelles malgré les restrictions et les problèmes associés aux entités décentralisées.

Le sénateur Massicotte : Dans votre exposé, que vous avez sans doute préparé vous-même, vous parlez en détail d'une approche internationale pour encadrer les échanges de monnaies virtuelles pour de l'argent réel. Vous avez ensuite précisé votre pensée en disant que non, vous allez en fait essayer d'obtenir plus de renseignements sur la possibilité d'échanger des monnaies virtuelles pour des monnaies virtuelles ou des biens. J'essaie de comprendre ce que vous dites, parce que cela va au-delà de ce que vous avez dit dans votre exposé.

M. Wright : Cela ne serait pas pour échanger des biens. Tout comme c'est le cas dans notre régime normal de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes, nous n'obligeons pas les détaillants à faire des déclarations quand les échanges sont effectués en argent comptant. J'essayais simplement de dire que nous avons déjà parlé du fait qu'il est extrêmement difficile d'établir l'identité des clients dans les systèmes utilisant les chaînes de blocs. Ces systèmes ont été conçus dans un objectif bien précis, et ils remplissent cet objectif.

Le sénateur Massicotte : Nous devrions mettre plus d'accent sur ce qui est écrit que sur ce que vous ajoutez.

M. Wright : À notre avis, le principal but d'établir un régime de LBA/FAT sera de réglementer les échanges de ces monnaies pour le système de paiement réel — le système monétaire réel au fur et à mesure qu'il évolue. À l'heure actuelle, le marché des bitcoins n'est pas très grand. Les terroristes et les blanchisseurs d'argent ne peuvent pas acheter tout ce qu'ils veulent acheter. Dell et Expedia annoncent qu'ils acceptent des bitcoins. En réalité, ces entreprises ont formé une relation de tiers pour gérer ces échanges. Il ne s'agit ni de Dell ni de Bitcoin. Il reste à établir le volet de l'argent réel. À notre avis, la manière la plus pratique de faire cela pour l'instant, c'est de se pencher sur l'aspect des échanges.

Le sénateur Massicotte : Dans ce cas, est-ce la même limite de 10 000 $ qui s'appliquerait? Est-ce la même norme?

M. Wright : C'est ce que nous examinons. Nous avons annoncé notre intention d'amorcer d'autres consultations et discussions sur le sujet. Nous respecterions la limite actuelle.

Le sénateur Massicotte : Bref, ce serait 10 000 $, plus toute activité douteuse.

M. Wright : Pour l'heure, la limite de 10 000 $ s'applique aux opérations importantes en espèce. Il faudrait trouver un équivalent pour le Bitcoin. Avec les TEF, les transferts électroniques de fonds, pour les fonds étrangers, il est difficile de savoir comment faire respecter une telle limite et gérer la situation. Je renverrais cette question à mes collègues du CANAFE. Mais, nous examinons les mêmes seuils financiers.

Le sénateur Massicotte : Selon les critères internationaux, New York, en quelque sorte le chef de file sur la question, et la Californie ont choisi 2 000 $ pour les monnaies virtuelles. Est-ce que cela a une influence sur vos décisions?

M. Wright : Nous allons certainement étudier cela. Je l'ignorais, mais nous allons nous pencher là-dessus.

Le sénateur Massicotte : Vous avez également parlé de la protection des consommateurs, puisque vous avez un rôle à jouer à ce chapitre. Vous dites que des annonces ont été faites récemment pour prévenir les Canadiens que les taux de change variaient énormément, que c'était hautement spéculatif, et qu'ils devaient se méfier. Maintenant — et vous avez une certaine responsabilité à cet égard —, je ne crois pas que c'était suffisant pour prévenir les Canadiens. Cela dit, cette question est abordée à l'échelle internationale. Certains prennent de l'argent en espèce et le convertissent en monnaie virtuelle, mais ils peuvent également conserver cet argent et vous obliger à détenir de la monnaie virtuelle. Par conséquent, on étudie la possibilité d'obliger ces gens — car il y a eu des scandales au cours des derniers mois, des cas où l'argent est disparu; peut-être qu'il n'y avait jamais eu d'argent en premier lieu, qui sait — à conserver ce nantissement et non seulement identifier les clients, mais leur dire que s'ils veulent convertir 10 000 $ en monnaie virtuelle, ils doivent placer ces 10 000 $ ou quelque chose d'équivalent en nantissement de façon à ce que les fonds soient disponibles lorsqu'ils voudront y avoir accès.

Vous n'avez pas abordé la question dans votre exposé. Est-ce une chose sur laquelle vous vous penchez?

Mme Pezzack : C'est complexe. Au sujet de la protection des consommateurs, l'ACFC n'est responsable des questions relatives à la protection des consommateurs que lorsqu'elles concernent des institutions financières sous réglementation fédérale. Si l'on considère les exploitants de monnaie virtuelle comme des entreprises de services monétaires plutôt que des institutions financières sous réglementation fédérale, il faut avoir des discussions continues avec les provinces et territoires, ce que nous faisons, car c'est à eux qu'il incombe de superviser et de gérer les entreprises de services monétaires. C'est, en partie, ce qui complique les choses.

Néanmoins, je crois que l'ACFC a adopté une approche proactive pour sensibiliser la population grâce à ses activités de littératie financière, car c'est un sujet dont il est beaucoup question. Les médias parlent beaucoup des problèmes qui y sont liés.

Quel était le sujet de votre deuxième question encore?

Le sénateur Massicotte : Conserver un nantissement, comme doivent le faire les institutions financières.

Mme Pezzack : Encore une fois, c'est une question de solvabilité et de structure d'entreprise. La société canadienne CAVIRTEX précise dans ses documents qu'elle conserve un nantissement de 100 p. 100 pour les monnaies qu'elle échange. Avec un secteur de monnaie virtuel opaque et international, il est très difficile pour un gouvernement d'obliger ces entreprises à conserver des réserves pour les monnaies qu'elles échangent. Il est impossible de savoir qui détient la plus grande quantité de monnaie à un moment précis.

La sénatrice Unger : Merci, madame et messieurs les témoins. Je suis une remplaçante à ce comité. Madame Pezzack, vous avez raison de dire que c'est complexe, car ce l'est vraiment.

D'abord, les groupes illégitimes ou terroristes qui utilisent cette monnaie savent-ils qui sont les autres intervenants? De toute évidence, ils font des affaires avec quelqu'un, que ce soit en vraies espèces ou en biens durables, si c'est possible, mais se connaissent-ils? Peuvent-ils savoir qui se trouve à l'autre bout de la transaction?

Mme Pezzack : Tout ce que je pourrais dire à ce sujet serait hypothétique. Je peux vous dire, par contre, que pour envoyer de l'argent à une autre personne par l'entremise de ce réseau, vous devez avoir son adresse. Vraisemblablement, pour l'obtenir, il faudrait vous adresser à quelqu'un que vous connaissez. Donc, il y a un certain lien. J'ignore si c'est toujours le cas, s'il y a un échange quelconque.

M. Tabi : Vous avez raison. Pour procéder à un échange, vous devez avoir l'adresse ou les coordonnées de l'autre intervenant sur le réseau Bitcoin. Encore une fois, le CANAFE ne reçoit pas ce genre de rapport des autorités déclarantes incluses.

La sénatrice Unger : Quelqu'un qui crée une entreprise légitime et qui se met à faire des affaires pourrait-il savoir qui sont les autres intervenants afin de participer à ce que j'appellerais la pègre de la monnaie?

Mme Pezzack : Je crois que cela cadre avec ce que la GRC et le SCRS ont dit dans le cadre de leur témoignage au comité il y a quelques semaines. Il y a plusieurs couches dans Internet : celle que l'on voit, la couche grise, puis la couche noire.

Certaines entreprises se trouvent dans la couche supérieure, d'autres dans la couche inférieure. Tout dépend de leur intention, si elles veulent faire des transactions légitimes ou participer à cette Route de la soie, maintenant démantelée, où il y avait plein de transactions illégales et de troc, notamment.

La sénatrice Unger : Une entreprise légitime pourrait-elle participer à ce marché noir d'Internet pour obtenir des renseignements?

M. Wright : J'aimerais préciser que le Bitcoin n'est pas en soi un marché noir. Le marché noir est une couche dans Internet qui utilise le Bitcoin comme monnaie d'échange. Le Bitcoin n'est pas le marché noir. Il est vrai que deux personnes doivent communiquer entre elles pour faire un échange et cet anonymat réside dans les portefeuilles.

Si vous me le permettez, j'aimerais profiter de l'occasion pour revenir à une question posée plus tôt sur notre capacité à percer cet anonymat. Ce que vous soulignez a été abordé dans le cadre d'autres discussions. Prenons une transaction qui va de haut en bas. Il est très difficile d'identifier les participants à une transaction. Ces gens n'échangeront pas seulement sur le réseau Bitcoin. Une fois que ces individus sont identifiés, il est plus facile, je crois, pour les organisations d'application de la loi d'utiliser d'autres méthodes d'enquête, les renseignements liés au Bitcoin et d'autres sources d'information, comme des courriels, pour établir des liens. Ça demeure difficile; je ne dis pas que c'est facile. Mais, vous l'avez peut-être vous-mêmes entendu : pour les transactions de haut en bas, c'est très difficile; pour les transactions de bas en haut, c'est un défi, mais ce n'est pas aussi difficile.

La sénatrice Unger : À votre connaissance, y a-t-il eu des crimes commis en lien avec cette industrie?

Mme Pezzack : Il y a eu quelques enquêtes importantes, par exemple, celle concernant la Route de la soie, démantelée par le FBI, et les versions 2.0 et 3.0 de cette route. Donc, oui, ceux qui ont les contacts et connaissances nécessaires peuvent participer à ce marché noir pour échanger des biens illicites et blanchir de l'argent.

M. Wright : Un autre exemple soulevé par la GRC concerne les rançongiciels. Un virus est téléchargé sur votre ordinateur et brouille tous vos renseignements. Les responsables vous envoient un courriel exigeant des bitcoins en échange d'un code qui vous permet de récupérer vos renseignements. Si vous refusez, ils effacent votre disque dur. C'est une des activités criminelles où les bitcoins sont utilisés.

La sénatrice Unger : Merci.

Le président : Madame la sénatrice, vous comprenez rapidement à quel point c'est complexe.

Le sénateur Tannas : Comme d'habitude, avec ce groupe, si vous intervenez en dernier, vous n'avez plus de question à poser, car elles ont toutes déjà été posées et répondues, ce qui est très bien.

Pour être clair — je crois que le sénateur Massicotte a abordé la question plus tôt —, vous avez parlé de portes d'entrée et de sortie. De toute évidence, c'est de votre domaine; vous allez vous en charger. Vous avez les outils législatifs pour le faire. On n'attend plus que le règlement connexe.

Mme Pezzack : C'est exact.

Le sénateur Tannas : Pour utiliser une analogie du secteur de l'automobile, il y a un stationnement, là où se trouvent les fournisseurs de services de portefeuille. J'ai lu quelque part au sujet de transmissions et de versements. Avez-vous ce qu'il faut pour cibler les fournisseurs de services de portefeuille? Cela deviendra rapidement une question de protection des consommateurs et vous dites qu'il s'agit d'une compétence provinciale. Avant de faire des recommandations aux provinces, sommes-nous certains qu'il s'agit d'une compétence provinciale? C'est un domaine fédéral, mais puisque, selon la loi, ces fournisseurs sont considérés comme des entreprises de services monétaires, par déduction, toute question relative à la protection des consommateurs revient aux provinces.

Mme Pezzack : C'est exact.

Le sénateur Tannas : C'est bien cela?

Mme Pezzack : Oui.

Le sénateur Tannas : Selon vous, y a-t-il quelque chose à faire au sujet des fournisseurs de services de portefeuille? Devrait-on en parler ou avez-vous suffisamment d'outils pour vous assurer que ces fournisseurs vous donnent ce dont vous avez besoin, s'il y a lieu?

M. Wright : C'est intéressant. Nous avons étudié la question, mais pas en détail. Nous allons l'étudier plus attentivement. Un portefeuille, c'est en quelque sorte un dossier de renseignements.

Le sénateur Tannas : Oui, mais, beaucoup de gens nous ont dit que la prochaine étape — il n'y a rien de nouveau. On revient à Wells Fargo. Il faut placer son argent dans une boîte à l'abri des malfaiteurs. Avec la popularité grandissante du bitcoin, les fournisseurs de services de portefeuille deviendront les protecteurs; pour ne pas se faire voler leurs bitcoins, les clients doivent les mettre dans une « banque ».

M. Wright : Je regarde la situation du point de vue du BA/FT, mais comme l'a souligné Lisa, du point de vue de la protection des consommateurs...

Mme Pezzack : En ce qui concerne le paiement, nous avons eu des discussions avec des fournisseurs de services de portefeuille qui n'ont rien à voir avec le blanchiment d'argent ou le financement terroriste. Les fournisseurs de services de portefeuille offrent des services différents.

Par exemple, si vous achetez quelque chose et que vous utilisez PayPal pour le paiement, c'est PayPal qui conserve vos renseignements. Apple Pay, disponible aux États-Unis, mais pas au Canada, est une plateforme TI. Donc, si vous utilisez Apple Pay pour payer un achat, vous aurez un portefeuille Apple, mais Apple n'a rien à voir avec la transaction. L'entreprise ne conserve pas vos renseignements.

Tout dépendra de la structure du portefeuille, s'il est possible d'y avoir accès et s'il contient les renseignements du client auxquels on pourrait s'attendre. C'est une question que nous analysons encore, à savoir jusqu'où nous pouvons aller. Il y a différentes façons d'organiser un portefeuille. C'est une partie du problème.

Le sénateur Tannas : Si vous pensez à quelque chose sur laquelle nous devrions faire des recommandations, faites-le nous savoir, notamment en ce qui concerne la conservation des renseignements une fois qu'il y a eu transaction.

Maintenant, j'aimerais savoir si vous avez des conseils à nous donner au sujet des comptes bancaires. Vous direz peut-être que ce n'est pas votre domaine, mais vous œuvrez dans le secteur des finances. Nous avons beaucoup entendu parler de l'accès à des comptes bancaires, que les gens de l'industrie de la monnaie virtuelle ne peuvent pas ouvrir de comptes bancaires. Nous avons entendu dire également que même lorsque New York aura réglementé la monnaie virtuelle, les gens ne pourront pas ouvrir de compte bancaire.

Selon vous, lorsque nous aurons terminé avec ce dossier — je crois que les banques canadiennes s'inquiètent vraiment du BA/FT. Donc, lorsque vous aurez donné votre aval à cette monnaie, à votre avis, les banques vont-elles permettre à ces gens d'ouvrir un compte bancaire? Faudrait-il adopter une loi pour les encourager en ce sens et leur offrir une certaine protection si jamais les choses ne se passent pas comme prévu?

Mme Pezzack : C'est une bonne question. Est-ce que je peux dire, encore une fois, que c'est complexe?

Une des choses sur lesquelles nous nous penchons avec le Groupe d'action financière, sur le plan national également, c'est la question du risque. Certaines banques canadiennes — et c'est la même chose dans d'autres pays — ne veulent rien savoir de cette industrie, car elle est trop risquée. Elles n'y ont pas suffisamment accès pour gérer le risque confortablement et ne veulent pas se retrouver dans l'eau chaude pour du blanchiment d'argent ou du financement terroriste.

Donc, avec le Groupe d'action financière, nous tentons de trouver une approche axée davantage sur le risque qui nous permettrait de définir — selon la GRC et le SCRS, il y a peu de bitcoins en circulation, donc il n'y a pas beaucoup d'inquiétude quant au niveau de criminalité associé à cette monnaie. Cela laisse entendre que le processus comporte peu de risques, ce qui pourrait réconforter les banques.

Toutefois, au bout du compte, les banques doivent prendre des décisions d'affaire sur le risque qu'elles sont prêtes à accepter. On ne peut pas les obliger à ouvrir des comptes bancaires pour les clients qu'elles jugent à haut risque.

Le sénateur Black : Merci d'avoir accepté notre invitation. Votre témoignage nous est extrêmement utile. Vous connaissez bien votre sujet et ça nous aide. J'ai une question très simple à poser, et elle s'adresse aux représentants du CANAFE.

Croyez-vous avoir les outils nécessaires pour remplir votre mandat concernant les transactions inappropriées réalisées avec les monnaies virtuelles?

M. Tabi : Merci. Comme je l'ai souligné dans mon exposé, pour le moment, notre base de données sur les monnaies virtuelles est d'une utilité restreinte, car nous n'offrons aucune protection aux intervenants de l'industrie. Pour l'heure, la seule façon pour nous d'obtenir des renseignements avant l'adoption d'un Règlement, c'est par l'entremise des entités déclarantes, comme les banques et les 31 000 autres entités déclarantes au pays, qui sont en mesure d'identifier ces transactions.

Pour le moment, nous ne recevons pas suffisamment de renseignements sur les transactions réalisées à l'aide de monnaies virtuelles, mais nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère des Finances à la rédaction d'un Règlement.

Le sénateur Black : Vous dites que si des transactions — qui sont normalement signalées au CANAFE — sont réalisées à l'aide de bitcoins, le CANAFE ne peut pas enquêter sur ces transactions. C'est ce que vous dites, non?

M. Tabi : J'aimerais préciser une chose. Le CANAFE ne mène pas d'enquêtes. Il n'a pas ce pouvoir. Nous sommes un organisme administratif. Nous recevons des rapports des entités déclarantes incluses en vertu de la loi. Donc, pour le moment, notre rôle se limite à recevoir les renseignements des entités incluses.

À l'heure actuelle, nous recevons déjà tous les rapports dont j'ai parlé plus tôt; toutefois, les entités exerçant des activités exclusivement dans le monde virtuel, auxquelles la loi ne s'applique pas, n'envoient aucune déclaration au CANAFE.

Le sénateur Black : Je vois. Si, dans ce monde, ces entités d'échanges étaient catégorisées comme étant des entreprises de services monétaires, est-ce que cela réglait le problème?

Mme Pezzack : Le cadre législatif est en place, et nous travaillons à l'élaboration du cadre réglementaire qui, essentiellement, établira les dispositions législatives visant à obliger les entreprises de services monétaires à envoyer des déclarations au CANAFE.

Le sénateur Black : D'après vous, est-ce que cela règlera le problème? Je veux m'assurer que vous avez les outils nécessaires pour faire votre travail. Une fois que ces règlements seront en place, vous devriez avoir les outils nécessaires, n'est-ce pas?

M. Tabi : Les règlements sont en cours d'élaboration. Par conséquent, une fois que nous les verrons et que nous pourrons opérationnaliser de nouveaux outils, nous serons mieux en mesure de confirmer cela.

Le sénateur Black : Auriez-vous des suggestions à nous faire? Nous aurons bientôt terminé notre étude. Que pourrions-nous faire pour aider votre organisation?

M. Tabi : Le travail est en cours et, je le répète, nous attendons de voir comment nous pourrons opérationnaliser des outils. À mon avis, nous devons continuer avec le ministère des Finances pour voir ce que nous pouvons faire. Après cela, ce sera à nos collègues du côté de la conformité de réussir à opérationnaliser tout cela et à commencer à recevoir les documents. C'est seulement une fois que nous verrons ce qui a été élaboré et publié dans la Gazette que nous serons mieux en mesure de vous dire ce que nous en pensons.

M. Wright : Je vous assure que nous travaillerons et que nous travaillons déjà en très étroite collaboration avec le CANAFE pour veiller à ce qu'ils disposent des meilleurs outils que nous sommes capables de leur fournir, compte tenu des inquiétudes concernant la protection de la vie privée et la Charte, qui sont extrêmement importantes.

Le sénateur Black : Je veux m'assurer que vous disposez des outils nécessaires.

M. Wright : Nous travaillons toujours en très étroite collaboration avec le CANAFE. Nous entretenons de très bons rapports avec eux.

Le sénateur Black : Merveilleux. En fin de compte, ce n'était pas compliqué, n'est-ce pas?

Le sénateur Tannas : J'aimerais poser une autre question à ce sujet. Vous avez mentionné quelque chose, et je veux m'assurer d'avoir parfaitement compris. Vous avez produit 1 143 éléments de renseignement exploitables. Par conséquent, essentiellement, si vous n'avez aucun pouvoir d'enquête, en réalité, ce sont ces 31 000 entités qui vous ont envoyé exactement 1 143 déclarations d'opérations suspectes; est-ce bien cela?

M. Tabi : Je vais vous expliquer un peu mieux comment les choses se passent. Quand nous disons que nous envoyons une communication de renseignement exploitable à nos partenaires — et il y en a eu 1 143 —, nous ne parlons pas d'un seul rapport qu'une entité déclarante nous a envoyé.

Les analystes techniques du CANAFE montent des dossiers — et un dossier peut être fondé sur plusieurs rapports concernant, par exemple, un grand réseau. Le travail d'un analyste technique au CANAFE consiste donc à recueillir les renseignements présentés dans plusieurs rapports pour monter un dossier, qu'il transmet ensuite à un partenaire figurant sur la liste prévue par la loi. Par conséquent, un de ces 1 143 dossiers peut avoir été monté à partir de plusieurs rapports et, comme je l'ai mentionné, ces rapports peuvent inclure des déclarations d'opérations suspectes, auxquelles aucun seuil n'est imposé. Tant et aussi longtemps qu'une entité déclarante satisfait au critère de motifs raisonnables de soupçonner, elle peut présenter une déclaration au CANAFE au sujet d'une opération financière. De plus, il existe tous les autres rapports objectifs, notamment ceux auxquels on impose le seuil de 10 000 $ et les rapports de décaissement des casinos. Il s'agit donc d'un ensemble de renseignements.

[Français]

Le sénateur Maltais : J'aimerais poser deux questions. La première question qui me dérange, parce que j'ai l'impression que tout le monde est dépassé par les événements liés au bitcoin. Je me souviens d'un article dans un journal américain qui disait que c'était une monnaie de singe; c'est le Trésor américain qui déclarait cela. Aujourd'hui, ce dernier court après le singe. On n'avait pas entendu beaucoup parler de Bitcoin avant que le président du comité ne nous propose ce sujet que l'on étudie depuis quelques mois. Maintenant, on s'aperçoit que les instances gouvernementales s'y intéressent.

Avez-vous été pris de court ou êtes-vous en avance dans ce dossier?

Mme Pezzack : C'est une bonne question.

M. Tabi : Je peux commencer et tenter de répondre de façon globale sur la situation sur le plan international.

Le sénateur Maltais : Non, sur le plan canadien; je reviendrai au plan international plus tard.

M. Tabi : D'accord. Au Canada, tout comme dans les autres pays, lorsque je regarde les travaux effectués à l'échelle internationale, je ne crois pas que nous soyons en retard. Les différents pays et les grands leaders de ce monde sont en train d'élaborer des lois, en même temps, afin de s'adapter. Vous avez raison, toutefois, c'est une technologie qui bouge très rapidement, à laquelle on doit s'adapter et pour laquelle on doit développer des mesures rapidement.

Mme Pezzack mentionnait des cas, tels celui de Liberty Reserve, et un autre cas à l'échelle internationale, développé par les Américains, mais aussi avec 17 autres pays, y compris — la GRC l'a confirmé il y a quelques semaines — le Canada. La GRC vous a aussi confirmé, tout comme le SCRS, qu'il n'existe que très peu de cas au Canada jusqu'à maintenant, et que du travail se fait tout de même pour traiter ces cas.

Le sénateur Maltais : Ce qui m'inquiète, c'est que l'Agence du revenu du Canada ne semble pas être très présente. Il y a un vieux dicton au Canada qui dit que l'impôt vous poursuit du berceau au tombeau; on n'entend pas parler beaucoup l'Agence du revenu du Canada sur cette question. Ses représentants ont comparu au comité, oui, et je leur ai demandé si je pouvais payer mes impôts en bitcoins; ils m'ont répondu que non. Parfait. C'est la seule réponse catégorique que j'ai obtenue. J'ai l'impression qu'ils ne savent pas où ils vont ou bien qu'ils nagent dans un océan où ils ne voient pas de paramètres pour accoster quelque part.

Mme Pezzack : Je ne veux pas commenter les actions d'un autre ministère; ce n'est pas à moi de juger. Je dirais qu'avec tous les changements qui surviennent dans ce domaine, la rapidité avec laquelle les changements surviennent représente un défi, non seulement pour nous, au ministère des Finances, mais également pour d'autres ministères, afin que nous puissions y répondre.

Le sénateur Maltais : J'aimerais aussi parler de traçabilité. Il ne me semble pas qu'on ait beaucoup évolué dans ce domaine. À l'heure actuelle, si vous êtes à Kitimat, en Colombie-Britannique, en train de manger un œuf le matin, et qu'il n'est pas bon, on peut savoir en une heure s'il provient de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, ou de Terre-Neuve-et-Labrador, mais on ne peut pas savoir d'où viennent les transactions en bitcoins.

La traçabilité est la mise en application d'un système dont l'objectif est d'assurer le respect de la réglementation. On n'a pas de réglementation; à quoi sert donc la traçabilité, s'il n'y a pas de réglementation?

Mme Pezzack : Nous travaillons actuellement à mettre en place des règlements.

Le sénateur Maltais : Travaillez-vous des deux côtés en même temps, c'est-à-dire en vue de créer un système de traçabilité efficace? Il y en a un pour le secteur alimentaire au Canada; ne pourriez-vous pas appeler le ministère de l'Agriculture pour lui demander comment cela fonctionne?

Mme Pezzack : Je ne crois pas.

[Traduction]

M. Wright : À mon avis, c'est le Web qui pose problème ici. Nous pouvons surveiller ce qui se passe aux points d'entrée et de sortie. Cependant, une fois que la monnaie disparaît dans la brume numérique, il n'est plus question d'une marchandise. Il ne s'agit pas d'une entité à laquelle on peut assigner un numéro de suivi qui permettrait de dire entre quelles mains elle est passée.

Nous ne sommes pas capables de faire cela. Ce n'est pas une chose réelle et tangible, et le Web est international, comme Lisa l'a dit.

Vous soulevez un énorme problème.

[Français]

Le sénateur Maltais : C'est ce que je voulais vous entendre dire. Somme toute, il n'y a aucune sécurité liée au système Bitcoin. Vous n'êtes pas en mesure de retracer des renseignements. N'importe qui peut faire des transactions louches.

Mme Pezzack : C'est vrai.

[Traduction]

M. Wright : Voilà pourquoi nous envisageons de surveiller les points d'entrée et les points de sortie. Voilà les deux points que nous ciblons, et je pense que d'autres témoins ont aussi dit au comité que c'est ce qu'il faudrait faire. Nous pourrions établir l'obligation d'appliquer les mesures de vigilance à l'égard de la clientèle, de respecter d'autres exigences normales concernant l'identification, entre autres.

[Français]

Le sénateur Maltais : À l'heure actuelle, y a-t-il des transactions louches qui ont lieu sur le territoire canadien?

Mme Pezzack : Peut-être que oui.

M. Tabi : Vous avez raison. La traçabilité représente un problème. À l'heure actuelle, il y a des transactions en bitcoins qui sont difficiles à retracer dans le système, parce que cela confère un certain degré d'anonymat. Cependant, on peut faire le parallèle avec l'économie non virtuelle et le comptant. Dès que je retire 500 $ de mon compte de banque et que je l'échange au coin d'une rue avec mon collègue Bernard Gagné, cela aussi complique la traçabilité. L'argent comptant comporte le même problème. On retrouve ce problème dans le monde virtuel d'une façon beaucoup plus complexe. Jusqu'à présent, les recherches de votre comité montrent qu'il y a aussi le facteur de la rapidité. C'est aussi une question de volume. On peut échanger des sommes importantes assez rapidement dans le monde virtuel. Comme l'ont confirmé nos collègues de la GRC et du SCRS, il existe un potentiel que ce système soit utilisé à des fins illicites.

Le sénateur Massicotte : Vous faites référence aux transactions financières mondiales. Vous en connaissez bien les pratiques. Pourquoi cette tendance envers la monnaie virtuelle? Quels sont les systèmes de contrôle? Qu'est-ce qu'on apprend de nos partenaires internationaux? Où en sont-ils?

Mme Pezzack : Comme je l'ai mentionné, un rapport a été publié en juin dernier, qui a permis de créer une terminologie commune. Dans d'autres pays, on peut réutiliser les termes d'origine d'une façon différente. Ils sont aussi en voie d'établir des lignes directrices pour la fabrication numérique. Je m'attends à ce qu'elles soient prêtes sous peu. Nous vous ferons parvenir un exemplaire de ces lignes directrices dès qu'elles seront approuvées par les membres.

C'est compliqué. Tous les pays ont plus ou moins les mêmes problèmes et se posent les mêmes questions.

M. Tabi : En effet, le GAFI, qui est un organisme international, a publié ces deux documents. Il y a aussi le groupe Egmont, à l'instar du CANAFE, qui développe des indicateurs pour mettre en commun les connaissances et mieux comprendre les raisons derrière ce phénomène qui évolue rapidement. Des travaux sont réalisés par ces deux organismes internationaux. Le GAFI, sous la gouverne de nos collègues du ministère des Finances, est impliqué dans ces travaux, tout comme plusieurs autres partenaires. Donc, le Canada s'implique. C'est la même chose pour le groupe Egmont. On travaille avec les partenaires afin de mieux comprendre ce phénomène qui évolue rapidement. Des lignes directrices sont établies pour aider. Vous avez sûrement entendu parler des 40 recommandations du GAFI dans le cadre d'une quatrième ronde d'évaluation qui a lieu en ce moment. Il y avait déjà des dispositions en place pour faire face aux nouvelles technologies. Parmi ces 40 recommandations, il y en a une qui s'intitule « nouvelles technologies », selon laquelle tous les partenaires mondiaux, tous ceux qui sont impliqués dans le cadre du GAFI, soit près de 200 pays, devraient suivre ces nouvelles technologies et mettre en place des dispositions au fur et à mesure que ces nouvelles technologies émergent. Nous avons une obligation, selon les recommandations du GAFI, de suivre le plus rapidement possible l'émergence de ces nouvelles technologies.

Le sénateur Massicotte : Il faudrait nous concentrer sur les on-ramps et les off-ramps. Est-ce la tendance?

Mme Pezzack : Je crois que oui. Ce serait une façon d'orienter les règlements. Lorsqu'une transaction passe par plusieurs frontières, c'est un signe qu'il faut réglementer notre façon de faire des affaires.

Le sénateur Massicotte : Les Américains sont peut-être en avance, car cette technologie est centrée sur eux, même si c'est de niveau international. Ce sont les Américains qui mènent le troupeau au sens de la réglementation?

[Traduction]

M. Wright : Je pense qu'ils ont révélé ce qu'ils prévoient faire au cours des deux dernières semaines. À mon avis, nous ne serons pas trop en retard, mais nous allons dans le même sens.

Le sénateur Massicotte : Qui sont « ils »?

M. Wright : L'État de New York et FinCEN.

Le sénateur Massicotte : Il est certain que l'État de New York a décidé de dire que ce processus est trop lent. Ils ont annoncé leur directive en juin 2014. Ils y ont apporté une modification en décembre 2014, et ils s'attendent à faire part de leur position finale sous peu. Ils n'ont donc pas attendu que ce comité international leur dise : « Voici ce que vous devriez faire. » Ils ont en quelque sorte dit que ce problème est urgent, qu'il y a eu d'énormes problèmes et d'énormes surprises — peut-être que des consommateurs ont perdu de l'argent. Peut-être que nous devrions tirer quelques leçons de cela et ne pas attendre trop longtemps.

Mme Pezzack : Il est toujours difficile de créer un cadre de réglementation, surtout dans un nouveau domaine. Nous ne voulons pas nous dépêcher et mettre en place des règlements qui risquent d'étouffer l'innovation, et nous ne voulons pas perdre le contrôle. Par conséquent, pendant que nous élaborons notre cadre de réglementation, nous nous penchons aussi sur la portée de ce dont nous parlons.

Au Canada, les gens n'utilisent pas beaucoup les bitcoins ou les autres monnaies virtuelles. Quand on adopte une approche axée sur les risques pour fixer des règlements, comme nous essayons de le faire, s'il y a peu de transactions, il y a donc aussi peu de risques.

Sommes-nous persuadés que nous allons dans la bonne direction, et que nous agissons assez rapidement? Je dirais que oui.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je vais poursuivre dans le même ordre d'idées que le sénateur Massicotte. Savez-vous quand votre réglementation sera prête?

[Traduction]

M. Wright : Non, pas à ce stade-ci.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Pouvez-vous, à l'heure actuelle, nous donner une idée claire de la définition que vous allez utiliser dans le cadre de votre réglementation quant à la cryptomonnaie? Allez-vous définir cela comme un mode de paiement ou comme une commodité? Puisqu'il y a des implications quant à la loi en matière financière selon la manière dont c'est défini, en avez-vous déjà une idée ou est-ce que cela n'a pas encore été décidé dans le cadre de vos études?

[Traduction]

M. Wright : D'après moi, nous allons finir par utiliser le terme général « monnaie virtuelle ». Il faudra voir quelle définition l'ARC choisira d'utiliser dans ses décisions — et elle a déjà pris quelques décisions, sans traiter cela comme étant du troc ou du gain en capital ou autre chose de ce genre. Il est certain qu'une des questions importantes que nous étudions, c'est la définition que nous allons utiliser.

En fait, ce que nous devons définir, c'est l'entité. Nous devons donc pouvoir définir quelles entités sont échangées au moyen de ces monnaies virtuelles. Vous avez soulevé un bon point, et c'est justement ce que nous tentons de faire.

Comme nous en avons parlé, la technologie évolue tellement rapidement. Si nous adoptons des règlements trop normatifs, il faudra les réexaminer dans un an. Nous cherchons donc à faire en sorte que les règlements établissent des limites convenables, sans qu'ils soient trop normatifs et aussi, comme Lisa l'a dit, sans qu'ils étouffent l'innovation.

Les bitcoins ne sont pas nécessairement le problème, mais c'est plutôt la manière dont ils sont utilisés et dont les rails des bitcoins sont utilisés.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Si c'est considéré comme une commodité par laquelle on peut faire des gains en capital, on peut aussi faire des pertes, et cela vient également compliquer la gestion financière.

Mme Pezzack : Lorsque les règlements seront rédigés, nous les publierons dans la Gazette du Canada, et une période de consultation sera prévue afin que les gens puissent s'exprimer à leur sujet, ce qui nous permettra de savoir si nous avons touché le cœur du problème.

[Traduction]

Le président : Dans les années 1950, une nouvelle technologie a été créée, appelée la télévision. Beaucoup de gens pensaient qu'elle n'avait aucun avenir. Pourquoi voudrait-on s'asseoir devant quelque chose et la regarder quand on pourrait écouter la radio et faire autre chose en même temps?

Dans les années 1970, il y a eu une autre nouvelle technologie. Internet a fait son entrée sur scène, et beaucoup de gens, sinon la majorité d'entre eux, pensaient qu'il permettrait de télécharger ou de visionner de la pornographie, et de distribuer des drogues. Les choses ont bien évolué.

Nous trouvons-nous dans la même situation aujourd'hui avec les monnaies virtuelles et numériques, étant donné qu'elles en sont à leurs débuts?

Mme Pezzack : Oui, probablement. Tout comme cela a été le cas avec les exemples que vous avez donnés, il faut du temps pour comprendre quelle direction l'innovation va prendre et comment elle va évoluer.

Je ne veux certainement pas vous donner l'impression que nous pensons que les bitcoins sont seulement utilisés à mauvais escient. Il y a beaucoup d'avantages à avoir une monnaie qui permet d'exercer des activités d'import-export sans être obligé d'utiliser des devises étrangères différentes dans chaque pays. Il est évident que les monnaies virtuelles présentent des avantages.

Par ailleurs, tout comme c'est le cas de toute industrie naissante, il existe plusieurs intervenants, qui s'y prennent de différentes façons. Une partie des recherches que nous faisons consiste à comprendre comment les différentes organisations de monnaies virtuelles fonctionnent et comment elles vont exercer leurs activités.

Nous voulons nous assurer de maintenir la sécurité et la stabilité du système financier, de veiller à ce que les consommateurs comprennent ce qu'ils obtiennent et ce qu'ils n'obtiennent pas dans le cadre de ces activités et nous assurer de respecter nos obligations sur le plan de la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes. Voilà le monde avec lequel nous devons composer et dans lequel nous essayons de déterminer comment élaborer notre régime de réglementation.

Le président : Dans votre travail, établissez-vous la comparaison entre ce que l'on pourrait appeler les monnaies virtuelles centralisées, comme le M-PESA — et, au Kenya, la moitié de toutes les opérations effectuées le sont en bitcoins — et les monnaies décentralisées comme le bitcoin? Adoptez-vous une approche différente pour chacune d'elles, ou les regroupez-vous tous ensemble dans une seule catégorie de monnaies virtuelles?

Mme Pezzack : D'après moi, il existe une différence entre les monnaies centralisées et décentralisées.

Le président : D'accord.

Mme Pezzack : Par exemple, le M-PESA dont vous parlez est très étroitement lié à la monnaie régulière du pays. Quand ce lien clair existe, il est facile de comprendre comment le réglementer : la monnaie est visible et tangible.

Quand on commence à étudier les monnaies décentralisées — et cela est en partie dû au fait que nous élaborons le cadre de réglementation — on peut se retrouver avec des entreprises de services monétaires au Royaume-Uni qui fournissent des services en monnaies virtuelles à quelqu'un ici au Canada qui vend quelque chose à quelqu'un dans un troisième pays. Comment fait-on pour réglementer cela? C'est très difficile parce qu'ils n'ont pas nécessairement un pays d'origine. C'est certainement le cas du bitcoin.

Il est inutile de mettre en place des règlements s'il est impossible d'en assurer l'application. Voilà le problème. Je sais que vous comprenez de quoi je parle parce que j'ai lu les témoignages que vous avez entendus. C'est compliqué.

Le président : Nous allons terminer ici. Je dois dire que, depuis que je siège à des comités du Sénat, j'ai rarement vu tous les membres du comité et tous les témoins en arriver à un consensus, mais, de toute évidence, c'est le cas aujourd'hui. Nous sommes tous d'accord sur le fait qu'il s'agit d'un dossier compliqué.

Au nom de tous les membres du Comité sénatorial des banques, je vous remercie d'avoir comparu aujourd'hui. Vous nous avez beaucoup éclairés. Encore une fois, merci.

(La séance est levée.)


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