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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 24 - Témoignages du 26 février 2015


OTTAWA, le jeudi 26 février 2015

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour étudier l'utilisation de la monnaie numérique.

Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.

Il s'agit aujourd'hui de la 15e séance de notre étude spéciale sur l'utilisation de la monnaie numérique, qui porte notamment sur les risques, les menaces et les avantages potentiels de ces formes électroniques d'échange.

À ce jour, le comité a entendu un large éventail de témoins, y compris des représentants d'organismes gouvernementaux, des spécialistes en finance numérique, des universitaires et des sociétés d'échange de bitcoins.

Aujourd'hui, notre séance sera divisée en deux groupes de témoins. Pendant la première heure, nous recevrons des experts juridiques, et au cours de la deuxième heure, nous entendrons des représentants de la plateforme d'échange Ripple.

Notre premier groupe de témoins, deux avocats experts dans le domaine, traiteront des aspects juridiques des monnaies numériques. Ces deux messieurs ont d'ailleurs été cités dans un excellent article sur la crypto-monnaie paru l'été dernier dans le magazine Canadian Lawyer, que je recommande fortement à tous les membres du comité. La greffière peut d'ailleurs vous remettre une copie si vous n'avez pas eu la chance de le lire.

Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Elliot Greenstone, de Davies Ward Phillips & Vineberg LLP. M. Greenstone est un associé faisant partie des groupes Marchés financiers, Fusions et acquisitions, Sciences de la vie et Technologie. Il siège également au comité de technologie du cabinet.

Si je puis me permettre, en mentionnant le nom de Phillips Vineberg, je me suis rappelé M. Lazarus Phillips, dont l'entreprise porte le nom. Il était un grand ami de mes parents et un éminent sénateur. Il a également été le vice- président de ce même comité de 1968 à 1970.

Ensuite, je suis heureux d'accueillir M. John Jason, de Norton Rose Fulbright Canada. M. Jason exerce la profession d'avocat depuis plus de 20 ans. Il est considéré comme un spécialiste du droit réglementaire pour tous les secteurs de l'industrie des services financiers.

Nous allons maintenant entendre la déclaration liminaire de M. Greenstone, qui sera suivi de M. Jason. Monsieur Greenstone, la parole est à vous.

Elliot A. Greenstone, avocat, Davies Ward Phillips & Vineberg, à titre personnel : Merci beaucoup. Honorables président et membres du comité, j'aimerais vous remercier de m'avoir invité à vous entretenir aujourd'hui de la question des monnaies numériques.

Comme vous l'avez dit, je suis avocat pour la firme Davies Ward Phillips & Vineberg, et ma pratique se concentre principalement sur la technologie de l'information dans le secteur des valeurs mobilières. Ces dernières années, j'ai passé beaucoup de temps à essayer de mieux comprendre les monnaies numériques et les technologies qui les sous- tendent.

Bien que je m'intéresse surtout à la technologie de la chaîne de blocs et à son application potentielle à toutes sortes de domaines et d'entreprises, compte tenu de l'intérêt du comité et des témoignages que vous avez déjà recueillis, je vais me concentrer sur le bitcoin, puisqu'il est la monnaie numérique non conventionnelle la mieux connue dans le monde. Je dis « non conventionnelle », car de nos jours, pratiquement toutes les monnaies sont numériques. Les transactions en espèces sont devenues plus rares, alors que les transactions effectuées dans le cyberespace, que ce soit les sites web bancaires et les transferts électroniques de fonds, sont devenues la norme.

La volatilité et la nature spéculative du bitcoin, en plus d'autres préoccupations qui ont été soulevées, ont suscité un important débat sur le rôle du gouvernement dans la surveillance réglementaire des crypto-monnaies.

En ce qui a trait aux lois sur les valeurs mobilières, même si aucune mesure précise n'a été proposée à ce jour, l'Autorité des marchés financiers du Québec, l'organisme québécois de réglementation des valeurs mobilières, a émis un avertissement à la suite du lancement du premier guichet automatique de bitcoins à Montréal en mars 2014. L'AMF a également indiqué que les crypto-monnaies n'étaient pas couvertes par le Fonds d'indemnisation des services financiers du Fonds d'assurance-dépôts. De plus, l'AMF a annoncé qu'elle comptait surveiller les crypto-monnaies en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières, de la Loi sur les instruments dérivés et de la Loi sur les entreprises de services monétaires.

La Commission des valeurs mobilières de l'Ontario a été tout aussi prudente dans sa première publication sur les crypto-monnaies, en évitant de parler de leurs avantages potentiels. Au contraire, la CVMO a signalé que toutes les crypto-monnaies devraient être utilisées avec grande prudence, en mettent l'accent sur les cas de fraude et leur lien potentiel avec le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. La CVMO a indiqué qu'elle surveillerait de près les activités d'investissement liées aux crypto-monnaies et qu'elle prendrait des mesures s'il y avait violation de la Loi sur les valeurs mobilières de l'Ontario.

À ma connaissance, à ce jour, aucun organisme canadien de réglementation des valeurs mobilières n'a pris position quant à savoir si les crypto-monnaies devraient être traitées ou non au même titre que les valeurs mobilières ou les dérivés pour l'application des lois sur les valeurs mobilières. Bien que je n'aie pas examiné la question du point de vue de toutes les lois provinciales et territoriales, je vais tout de même vous exposer certains articles pertinents des lois sur les valeurs mobilières du Québec et de l'Ontario.

La Loi sur les valeurs mobilières du Québec ne définit pas ce qu'est une valeur mobilière, mais s'applique notamment à une valeur mobilière reconnue comme telle dans le commerce, à un instrument ou à un titre, autre qu'une obligation constatant un emprunt d'argent. Elle définit toutefois ce qui constitue un contrat d'investissement.

En revanche, la Loi sur les valeurs mobilières de l'Ontario définit le terme « valeur mobilière ». Une valeur mobilière s'entend notamment d'un document, acte ou écrit généralement appelé valeur mobilière — encore une fois, cela n'indique pas où se situe le bitcoin —, et la loi définit également ce qu'est un contrat d'investissement. Il y a lieu de se demander si le bitcoin ne fait pas partie de cette dernière catégorie.

Cependant, à la fin de la définition de « valeur mobilière », il est question d'un émetteur ou d'un émetteur éventuel. Pour le bitcoin, il n'y a pas d'émetteur ni d'émetteur éventuel. Par conséquent, à mon avis, les crypto-monnaies ne devraient pas être considérées comme des valeurs mobilières, du moins conformément aux définitions actuelles des lois sur les valeurs mobilières qui s'appliquent dans les provinces du Québec et de l'Ontario.

Le bitcoin est une monnaie très volatile qui fait l'objet de spéculations, comme bien des monnaies fiduciaires nationales. Ces caractéristiques n'en font pas des valeurs mobilières.

Je tiens de nouveau à remercier le comité de m'avoir invité. C'est un honneur et un privilège de pouvoir discuter avec vous.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Greenstone. Monsieur Jason, la parole est à vous.

John Jason, avocat, Norton Rose Fulbright Canada, à titre personnel : J'aimerais également remercier le président et les membres du comité de m'avoir invité ici pour vous entretenir de cette question. Comme vous me l'avez dit avant le début de la séance, c'est un sujet aussi intéressant que complexe.

Permettez-moi de vous donner mon point de vue personnel. Chez Norton Rose, nous avons divers clients, que ce soit des banques, des compagnies d'assurance ou des entreprises spécialisées dans les transactions en bitcoins. Je ne peux pas vous dire si le bitcoin est une bonne chose ou non, mais j'ai passé beaucoup de temps à essayer de comprendre comment il s'inscrit dans notre cadre juridique.

Si je comprends bien, le comité se demande s'il doit recommander ou non qu'on réglemente le bitcoin ou les monnaies numériques afin de protéger les Canadiens. À la lumière des témoignages que vous avez recueillis, j'ai constaté, en fait, que les personnes et les entreprises qui essaient de mener des activités liées au bitcoin et aux monnaies numériques souhaitent qu'on les réglemente afin de promouvoir leur utilisation au sein de la population et d'amener les Canadiens à en tirer avantage. Plus précisément, je crois que l'une des questions qui a été soulevées était de savoir si les entreprises pouvaient avoir accès ou non aux services bancaires au Canada en raison de l'absence de réglementation. Il y a donc deux points de vue différents. D'une part, on veut protéger les Canadiens des méfaits potentiels et, d'autre part, on veut favoriser le développement de la crypto-monnaie afin qu'elle se démocratise au pays et qu'on puisse bénéficier de ses avantages.

Je voulais également mentionner dans ma déclaration que j'ai passé beaucoup de temps à essayer de comprendre d'autres questions juridiques qui ne sont pas nécessairement réglementaires. Permettez-moi de vous donner un exemple.

Je sais qu'un témoin a parlé de la Loi sur la monnaie. Évidemment, l'une des choses importantes que fait la Loi sur la monnaie, c'est de préciser que le dollar canadien est la monnaie officielle au Canada, mais elle en fait davantage. Elle crée un cadre juridique que nous, les avocats, trouvons très utile dans le cadre de nos activités quotidiennes.

Par exemple, la loi précise que tout contrat conclu au Canada, tout accord et tout billet à ordre qui fait intervenir de l'argent fait référence au dollar canadien. Cela soulève donc une question intéressante si je veux rédiger un contrat et utiliser le bitcoin comme moyen d'échange. Si c'est en dollars canadiens, je peux simplement dire que la partie A doit 1 000 $ par mois à la partie B. La Loi sur la monnaie confirme qu'on parle bel et bien de dollars canadiens, et je peux régler le contrat au moyen de dollars canadiens. Toutefois, si je rédigeais le même contrat en faisant référence à des bitcoins, comment pourrais-je établir la valeur du bitcoin? Je devrais aller plus loin et définir ce qui peut être accepté pour satisfaire cette obligation contractuelle.

Par conséquent, la Loi sur la monnaie nous a aidés en fournissant un cadre juridique qui appuie notre activité économique.

Permettez-moi de vous donner un autre exemple intéressant qui nous interpelle tous. Disons que je décide de commencer à utiliser des bitcoins pour quelques-unes de mes transactions quotidiennes. Je télécharge des bitcoins sur mon ordinateur personnel, et c'est là où se trouve ma clé privée. Ma maison brûle, tout comme mon ordinateur. Je fais une réclamation à ma compagnie d'assurances en disant : « Non seulement j'ai perdu mon ordinateur, que j'avais payé 1 500 $, mais aussi les 5 000 $ de bitcoins qui se trouvaient dans mon ordinateur. »

L'assureur se demandera si le bitcoin est quelque chose qu'il peut assurer. Est-ce un bien qui peut être endommagé? Est-ce couvert par la police d'assurance? Même si on détermine que c'est couvert, comment peut-on en déterminer la valeur? Est-ce le montant qu'on les a payés en dollars canadiens? Est-ce la valeur actuelle au moment de la perte? Comment établit-on cette valeur? Y a-t-il un taux de référence vers lequel on peut se tourner?

Nous savons que la Banque du Canada publie les taux de change de référence, alors dans le cadre d'un contrat, on peut se reporter aux calculs de la Banque du Canada. Toutefois, ce n'est pas le cas pour les monnaies numériques.

À partir de 1935, année où le gouvernement canadien a décidé qu'il était le seul à pouvoir émettre la monnaie canadienne, on a établi un cadre juridique, au fil des années, afin d'appuyer cette position et de soutenir notre activité économique. Si on introduit une autre monnaie, ce cadre ne s'applique pas nécessairement. Chose certaine, cela soulève beaucoup de questions intéressantes auxquelles il faudra répondre.

Comme M. Greenstone l'a indiqué, s'agit-il d'une valeur mobilière ou non? Une valeur mobilière nécessite un émetteur, et dans le cas du bitcoin, il n'y a aucun émetteur officiel; personne n'émet les bitcoins, alors cela vient donc remettre en question le cadre que nous avons créé à l'égard des valeurs mobilières.

Comme je l'ai dit, la question qui se pose, à l'heure actuelle, est de savoir si on doit protéger les Canadiens contre les méfaits potentiels de ces monnaies ou, au contraire, si on doit réglementer cette technologie afin qu'elle puisse s'implanter. De toute évidence, les crypto-monnaies susciteront beaucoup de questions juridiques au cours des prochaines années, à mesure que nous traiterons des éléments faisant partie d'un cadre juridique, qui pourrait convenir ou non à cette nouvelle technologie.

C'est tout pour ma déclaration liminaire.

Le président : Merci, monsieur Jason.

Monsieur Jason, vous avez dit que vous travaillez pour des banques, des compagnies d'assurance et des entreprises de bitcoins.

Dans l'article paru dans Canadian Lawyer, si je ne me trompe pas, vous avez dit qu'il était difficile de réglementer ce qu'on ne pouvait identifier. Il faut tout d'abord définir ce qu'on essaie de réglementer. Ai-je bien compris?

M. Jason : Oui, absolument.

Le président : D'accord. De votre point de vue, si vous aviez le privilège de siéger à notre place, que feriez-vous? Est- ce que vous réglementeriez et, si oui, comment vous y prendriez-vous?

M. Jason : Je travaillais au ministère des Finances au début des années 1990 lorsqu'on a révisé la réglementation des services financiers, alors je me considère un peu comme un historien de la réglementation des services financiers.

Quand j'ai lu les témoignages que vous avez recueillis, j'ai trouvé que de nombreux témoins s'attardaient à des détails. Nous, les avocats, essayons de nous en tenir aux principes fondamentaux. Je vous encouragerais donc à revenir à certains principes fondamentaux. En 1935, le gouvernement du Canada a décidé qu'il serait le seul émetteur de monnaie légale au Canada. Avant cela, les banques émettaient le papier-monnaie, et c'était le moyen d'échange au pays.

Pourquoi alors a-t-on pris cette décision? Pourquoi était-il préférable d'avoir une monnaie garantie par le gouvernement plutôt que par les diverses banques? Il y avait des lois qui les régissaient à l'époque. Par exemple, la valeur des billets qu'une banque possédait ne pouvait excéder son capital. Il y avait une loi en place pour s'assurer que ces billets de banque correspondent à une réelle valeur et pour que les gens aient confiance en ces billets qui reflétaient le capital de la banque.

Et pourtant, nous avons décidé qu'il valait mieux avoir une monnaie nationale garantie par le gouvernement. Pourquoi a-t-on pris cette décision? Quel était l'objectif du gouvernement? On peut ensuite comparer cette situation aux monnaies numériques et déterminer s'il y a lieu de les réglementer.

Je devrais peut-être vous donner un exemple. À un certain moment, le gouvernement du Canada a instauré l'assurance-dépôts pour assurer les déposants. Pourquoi? Parce que nous voulions que les Canadiens fassent confiance aux banques et y déposent leur argent. Pourquoi? Parce que les banques utilisent cet argent à des fins productives.

Le principe de base est de faire en sorte que l'argent ne dorme pas sous un matelas et qu'il soit réinjecté dans l'économie. Par conséquent, l'assurance-dépôts encourage les Canadiens à placer leur argent à la banque.

Cela dit, nous perdons de vue nos principes fondamentaux et la mesure dans laquelle ils se rapportent à ces préoccupations.

Le sénateur Black : Je vous remercie tous les deux. Vous nous avez offert des exposés remarquables et fort utiles. Puisque nous approchons la fin de notre étude, vos interventions arrivent à point nommé.

Messieurs Jason et Greenstone, j'aimerais si possible reprendre là où le président s'est arrêté. Vous avez parlé de revenir aux principes fondamentaux, et il est toujours bon de faire exactement ce que vous proposez. À votre avis, quels sont ces principes fondamentaux?

M. Jason : Un pays comme le nôtre qui repose sur la théorie économique doit chercher à stimuler et à soutenir l'activité économique. Je pense que le principe fondamental visait, à une époque où le gouvernement devenait l'émetteur de la devise, à gagner la confiance des gens envers la monnaie pour qu'ils n'aient plus à se promener avec des sacs d'or comme ils le faisaient il y a très longtemps, de façon à ce que la population puisse utiliser des billets de banque en papier comme monnaie d'échange.

Il fallait veiller à ce que la valeur de la devise ne s'effrite pas, pour que les gens sachent qu'ils pourraient toujours utiliser les dollars qu'ils avaient reçus en échange de leur labeur ou de leurs biens. Voilà ce dont nous avons besoin. Il faut que l'économie tourne rondement.

Suivant ce principe fondamental, il faut d'abord se demander si la valeur de la devise est assurée. Nous avons entendu beaucoup de témoignages à propos des fluctuations importantes de la valeur du bitcoin. Est-ce attribuable à son utilisation encore restreinte? M. Greenstone pourra probablement vous l'expliquer mieux que moi, mais les défenseurs du bitcoin affirment que sa valeur sera plus sûre au bout du compte parce qu'elle ne dépend pas des interventions du gouvernement. Elle ne dépend pas de mesures que certains pourraient prendre ou non afin de gérer la devise. Sa valeur est directement tributaire de la somme que le marché est prêt à payer en échange.

Comme je l'ai dit, un défenseur du bitcoin dirait que, tôt ou tard, lorsqu'une quantité suffisante de bitcoins seront émis, la devise sera plus sûre qu'une monnaie à la merci d'un gouvernement. Je pense que c'est un exemple des questions que nous devons nous poser. Si cette technologie devient un élément important de notre économie, va-t-elle nous offrir les protections que nous estimons nécessaires?

Le sénateur Black : À propos de la réglementation, monsieur Greenstone, pouvez-vous nous dire si vous croyez que le bitcoin et les autres crypto-monnaies devraient désormais être réglementés au Canada? Dans l'affirmative, quelle forme devrait prendre la réglementation?

M. Greenstone : C'est une question très complexe qui tombe à point nommé; c'est d'ailleurs pour cette raison que nous sommes ici.

Je pense qu'il est très important de préciser que les bitcoins devaient au départ servir à valider un principe. La technologie dont nous avons parlé plus tôt du registre central des transactions, ou blockchain, est vraiment fascinante et révolutionnaire. Son utilisation en tant que devise est nouvelle. Elle n'existe que depuis 2008. Encore une fois, la difficulté réside dans la façon de la réglementer. Il faut se demander ce qu'on tente de réglementer. Selon quels principes de base réglementerait-on le bitcoin? Comment en réglementerait-on l'utilisation?

Par exemple, je ne le fais pas, mais une personne pourrait aller et venir avec un portefeuille de bitcoins, et traverser la frontière avec bien plus que la limite légale de 10 000 $. Or, nous n'aurions pas la moindre idée qu'une personne aurait autant d'argent lorsqu'elle traverserait la frontière, non pas en dollars canadiens ou américains, mais dans une devise équivalente au bitcoin. Voilà le genre de questions qui me préoccupent. Si ces règlements sont en place, c'est pour éviter un tel mouvement de fonds qui ne laisserait aucune trace.

La technologie devrait-elle être réglementée, selon moi? Comme je l'ai mentionné plus tôt, je suis agnostique. J'ai des clients qui sont en faveur, et je comprends bien les deux côtés de la médaille, suivant le contexte et l'industrie en question. Je sais que le gouvernement canadien a déjà songé à créer sa propre version du bitcoin. Il s'agissait de la cybermonnaie, que vous connaissez bien, et dont les coupures et les transactions devaient être plus modestes. La limite était de 2 000 $. L'approche est différente. La question mérite certainement d'être étudiée, mais le fait est que ceux qui s'intéressent aux transactions en bitcoins sont à la recherche d'une devise qui ne soit pas à la merci des fluctuations attribuables au gouvernement ou des fluctuations d'une monnaie donnée.

À l'heure actuelle, la valeur du bitcoin varie considérablement, mais comme je l'ai dit, est-ce simplement attribuable au fait qu'elle ne soit pas beaucoup utilisée et qu'il y ait des préoccupations personnelles? Il y a eu des inquiétudes relatives aux échanges de même qu'à la fraude; il y a d'ailleurs eu des fraudes, mais la technologie est très nouvelle. Les gens ne sont pas encore à l'aise, et il faudra du temps. Que le bitcoin soit là pour rester ou non, et qu'il doive être réglementé ou non, il est la première devise du genre. Il devait servir à valider le principe. Je pense que nous devons effectivement envisager la question à long terme.

Le sénateur Black : Votre réponse est fort utile.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Merci à vous deux d'être parmi nous, c'est très apprécié.

Je note que votre opinion est neutre. La tendance internationale, et surtout la tendance américaine, dans l'état de New York en particulier, c'est de pencher vers une obligation de réglementer pour le bien de la population. Nous n'avons qu'à songer à l'expérience de Mt. Gox, alors que beaucoup d'argent a disparu, au Web invisible, un phénomène que nous avons appris il y a environ trois semaines, ainsi qu'au fait que certains joueurs au sein de l'industrie ne peuvent ouvrir de compte dans une banque et que certains gouvernements se soucient de la protection des consommateurs.

Le CANAFE a déjà émis un principe de réglementation qui s'appliquera au règlement actuel en ce qui concerne ce type de devise. La Commission des valeurs mobilières du Québec a également pris position il y a trois semaines, et l'Agence du revenu du Canada a déjà précisé sa position à quelques reprises.

Est-ce adéquat, puisqu'ils sont aussi, à certaines occasions, en contradiction l'un avec l'autre, et qu'il ne s'agit pas toujours de la même forme de réglementation? Doit-on faire davantage, à votre avis? Dans la vraie vie, il faut décider et recommander quelque chose. Quelle est la bonne décision à prendre et pourquoi?

[Traduction]

M. Greenstone : Encore une fois, je vais répondre dans ma langue puisque c'est plus facile. Veuillez me corriger si j'ai tort.

Le gouvernement est tenu d'informer ses citoyens des risques qui se présentent. Certes, investir dans les crypto- monnaies, qu'il s'agisse du bitcoin ou... Votre prochain témoin parlera du Ripple. Il y a toutes sortes de crypto- monnaies en circulation, ce qui empêche ceux qui en font l'acquisition de courir de grands risques, que leur achat vise à effectuer un investissement, à mettre de l'argent de côté ou à faire une transaction. Il y a sans doute des gens qui en font l'acquisition sans pour autant correspondre aux définitions habituelles d'un investisseur accrédité, selon les lois sur les valeurs mobilières. Ces personnes n'ont pas les connaissances financières et les ressources nécessaires pour décider d'investir ou non dans les bitcoins.

Je pense donc que le rôle du gouvernement est de continuer à informer les citoyens des risques inhérents à ces devises étrangères, à ces nouvelles devises et à ces nouvelles technologies.

Je crois que nous devons également faire une distinction entre la devise elle-même et certains problèmes récents. Il y a eu de la fraude et des échanges frauduleux, mais ces problèmes se rapportaient à des entreprises particulières. Les échanges étaient attribuables à des entreprises. Les fraudes ont été commises par certaines entités qui ont escroqué le système. Or, nous avons déjà eu affaire à des fraudes en valeurs mobilières, à du blanchiment d'argent et à des activités terroristes. C'est différent, et il est selon moi important que le comité et l'ensemble du gouvernement fassent une distinction entre la devise elle-même, la technologie à laquelle la devise est attribuable, et la tentative de réglementer et de protéger d'autres volets des crypto-monnaies.

M. Jason : C'est difficile, car notre écosystème financier, disons, comporte bien des volets. Lorsqu'on se demande s'il faut réglementer la devise, on doit pratiquement s'attarder au rôle qu'elle joue, étant donné qu'une monnaie numérique comporte autant de facettes. Par exemple, le premier élément dont il faut tenir compte est ce que j'appellerais le risque lié à l'investissement. Au pays, les provinces ont généralement réglementé le risque attribuable à de mauvais investissements au moyen de lois sur les valeurs mobilières. Il y a donc actuellement au Canada un risque que les gens investissent dans des produits dont ils n'ont pas une connaissance suffisante ou sur lesquels il n'y a pas assez de divulgation. Ainsi, un grand cadre juridique régit l'investissement dans ce que nous appelons des valeurs mobilières. Il y a donc des exigences en matière de divulgation. Les courtiers, par exemple, doivent connaître les exigences de leurs clients pour que les investissements soient acceptables.

Il y a tout un cadre juridique conçu pour essayer de gérer le tout afin de protéger le consommateur, qui n'a peut-être pas les connaissances et les compétences nécessaires pour prendre de telles décisions en matière d'investissement.

Voilà une des questions à envisager : le bitcoin présente-t-il un trop grand risque en matière d'investissement, de sorte que nous devions en quelque sorte l'intégrer à notre cadre juridique dans le but de protéger le consommateur?

Il a aussi été question de ce que j'appellerais un risque en matière de valeur mobilière. Ce qui est arrivé au bitcoin est attribuable en grande partie à la perte de valeur que nous avons constatée à la suite du vol de valeurs mobilières ou de bitcoins, ou du retrait frauduleux de bitcoins. Dans la mesure où le consommateur dépend de tierces parties pour conserver la monnaie et en préserver la valeur, on peut se demander s'il faut réglementer les entités qui offrent ce service au public. Devons-nous savoir si elles feront véritablement ce qu'elles promettent, à savoir garder la valeur de l'investissement à l'abri? Par exemple, devrait-il y avoir une exigence en matière d'assurance? Des entités indépendantes devraient-elles mettre à l'épreuve leurs mesures de protection? Voilà qui nous amène à nous demander si nous devrions assurer la sécurité de cet aspect.

Nous avons également appris que le bitcoin est essentiellement un système interne de paiement. Eh bien, notre pays a adopté de nombreux règlements pour assurer l'intégrité de ses systèmes de paiement. Devrions-nous tenir compte du fait qu'un volet du bitcoin constitue un système de paiement? Devons-nous y transposer des mesures de protection propres à notre système de paiement actuel?

C'est un peu comme s'il fallait décomposer la question et se demander si chaque composante pose un risque justifiant une réglementation.

Le sénateur Massicotte : Le témoin a très bien analysé les questions. Et quelle est la réponse?

M. Jason : Pour l'instant, la question se résume malheureusement au fait que nous ayons une assurance-dépôts au pays, comme je l'ai déjà dit, notamment pour que les Canadiens soient à l'aise de placer leur argent à la banque. À vrai dire, c'est aussi pour éviter de protéger les simples citoyens qui ne pourraient pas prendre de décisions éclairées sur la meilleure façon de placer leur argent.

C'est parce que pratiquement tous les Canadiens utilisent les services d'une banque. Si nous n'avions pas de protection, le pays et les Canadiens courraient un risque incroyablement élevé.

Je dirais qu'à l'heure actuelle, l'utilisation du bitcoin n'est pas suffisamment répandue pour que bien des gens soient lésés de ne pas avoir de filet de sécurité sous forme d'assurance-dépôts, par exemple. Je dirais que nous ne sommes peut-être pas encore rendus là. Si nous atteignons un stade où le bitcoin devient plus courant au sein de l'économie et qu'il y joue un rôle plus important, je pense que nous devrons alors évaluer réalistement si nous pouvons mettre en place des protections équivalentes.

Le sénateur Massicotte : Êtes-vous d'accord, monsieur Greenstone?

M. Greenstone : Oui. Lorsque nous parlons de réglementer l'industrie, nous mentionnons souvent les différents règlements qui s'appliquent aux domaines des valeurs mobilières, des banques, de la finance et de l'assurance, que nous envisageons d'un point de vue national. Nos lois ne sont pas tellement différentes de celles des États-Unis et d'autres pays européens.

Lorsque nous commençons à parler de crypto-monnaies, de devises qui ne sont pas appuyées par un gouvernement et qui servent à effectuer des transactions entre différents pays, il est important de nous rappeler que nous ne faisons pas cavalier seul dans la création des règlements. Si nous adoptons des règlements plus sévères et stricts que ceux des autres, nous devons veiller à ne pas causer du tort par mégarde aux consommateurs, aux investisseurs et aux entreprises, puisque les crypto-monnaies et la technologie du registre central des transactions peuvent, si vous croyez les arguments commerciaux, stimuler les affaires et créer plus d'activités commerciales, de mouvement de fonds et d'investissements.

Nous devons faire bien attention de ne pas étouffer le potentiel de croissance avec un nouveau règlement. J'ai déjà répondu à la question sur le fait que je sois en accord ou non avec l'adoption d'une nouvelle réglementation canadienne. Je pense que nous devons prendre garde de ne pas mettre en place une réglementation qui serait plus sévère que celles des autres, et de ne pas empêcher la croissance de l'économie canadienne alors que d'autres marchés seraient peut-être plus libres.

La sénatrice Ringuette : Messieurs, vous avez contribué à mon dilemme, à savoir s'il faut considérer le bitcoin comme une devise ou un bien. Monsieur Greenstone, vous dites être d'avis qu'il ne s'agit pas de valeurs mobilières puisque la définition actuelle du concept n'englobe pas cette technologie. Par contre, dans votre exemple sur le contrat — ou était-ce l'exemple de M. Jason? Dans le cadre d'un contrat, je pourrais dire que j'accepte de payer un service donné avec cinq vaches, qui sont considérées comme un bien. À quelle catégorie le bitcoin appartient-il? D'après votre expérience, croyez-vous que toute réglementation des crypto-monnaies devrait servir à légitimer le produit?

M. Greenstone : Je vais répondre. Vous avez posé deux questions; permettez-moi de commencer par la deuxième, à savoir si je crois que la création d'une réglementation légitimera le produit. En fait, le produit existe déjà. Je ne pense pas qu'il va disparaître.

Je ne dis pas que le bitcoin existera encore dans 10 ans, mais les crypto-monnaies et la technologie du registre central des transactions sont nouvelles. De toute évidence, les spécialistes qui s'y intéressent depuis bien plus longtemps que moi affirment que la technologie est là pour rester. Elle ne prendra peut-être pas la forme du bitcoin, il s'agira peut-être d'une autre évolution de la devise, mais l'idée de la crypto-monnaie demeurera.

Il ne s'agit pas de déterminer si nous devons légitimer le bitcoin puisque le concept existe déjà. Il faut plutôt se demander si nous devons intervenir ou non.

Vous avez demandé en premier lieu s'il s'agit d'un bien ou d'une devise. Encore une fois, bien des articles ont été rédigés — j'en ai lu plusieurs —, et la plupart d'entre eux disent que les crypto-monnaies sont une pseudo-monnaie fiduciaire. C'est le terme employé. Il ne s'agit ni d'un bien ni d'une devise, mais d'un concept quelque part entre les deux qui possède des caractéristiques propres aux deux. Le bitcoin ne correspond pas exactement à la définition habituelle d'un bien, pas plus qu'à celle d'une devise. Son offre est limitée, à l'instar d'un bien, mais certains aspects s'apparentent beaucoup à une devise, comme la simplicité d'utilisation et la possibilité d'effectuer des transactions, une fois que l'utilisateur arrive à utiliser un portefeuille de bitcoin, à l'installer sur son téléphone et à réaliser une transaction.

Le bitcoin ne correspond pas parfaitement à l'une ou l'autre des définitions, mais constitue bel et bien un nouveau concept. Et je pense qu'on parle d'une pseudo-monnaie fiduciaire; c'est le syntagme que les gens semblent avoir adopté pour nommer cette réalité.

M. Jason : Je suis d'accord. Le problème, c'est que le bitcoin réunit une combinaison d'éléments. En plus de posséder des caractéristiques propres au bien et à la devise, le bitcoin est un système de paiement en soi. Lorsqu'on pense à la réglementation, il faut vraiment envisager les trois domaines de réglementation ensemble et se demander, comme je l'ai dit, la raison pour laquelle un domaine donné est réglementé. Quelles caractéristiques du bitcoin se prêteraient au même type de réglementation?

La sénatrice Ringuette : Voilà qui contribue à notre problème, car le bitcoin fait partie des deux concepts, mais en plus, ceux-ci relèvent de deux compétences différentes au Canada.

M. Jason : Eh bien, c'est n'importe où.

La sénatrice Ringuette : Exactement.

M. Jason : Il y a une chose que je n'ai pas dite en réponse à la dernière question, et que M. Greenstone a mentionnée. Le problème qui se pose si vous adoptez une loi au Canada, c'est que le concept ne se limite pas aux frontières nationales.

Par exemple, les nouvelles lois contre le blanchiment d'argent qui ont été adoptées et qui seront bientôt en vigueur pour les monnaies virtuelles sont intéressantes. Ce sont les premières lois, à ma connaissance, qui tentent de réglementer des entités à l'extérieur de nos frontières.

Selon le libellé de la loi, si vous n'êtes pas Canadien ou résidant du Canada, mais que vous faites affaire avec des Canadiens, vous êtes assujettis à la réglementation. Permettez-moi de faire une comparaison. Si je vais chez moi aujourd'hui et que j'utilise mon ordinateur pour magasiner dans Internet, et que j'achète un produit d'une entreprise des États-Unis, cette entreprise américaine est-elle assujettie à la loi canadienne parce que j'ai communiqué avec elle sur son propre territoire pour effectuer un achat?

Le dernier exemple à cet égard concerne la législation sur les banques. En effet, selon cette législation, nous ne réglementons pas les banques étrangères, mais nous réglementons les banques étrangères qui mènent leurs activités sur notre territoire. Donc, nous avons toujours dit — j'utilise encore une fois mon analogie historique — que si vous allez à Buffalo pour faire affaire avec une banque américaine, c'est à vos propres risques, n'est-ce pas? Si cette banque américaine traverse nos frontières et commence à mener ses activités au Canada, nous nous attendrons à ce qu'elle se soumette à la loi canadienne.

La sénatrice Ringuette : Mais cette chose n'a pas de frontières.

M. Jason : Exactement — où existe-t-elle? La loi est unique. Encore une fois, pour faire référence aux principes de droit que j'ai élaborés pendant de nombreuses années, l'un des principes de droit principal, c'est que nous ne pouvons pas prendre de règlements à l'extérieur de notre territoire.

La sénatrice Ringuette : Les États-Unis.

M. Jason : D'autres territoires que les États-Unis. C'est ce qu'on a généralement observé. Le point que j'essaie de faire valoir, c'est qu'il est difficile d'imaginer comment la réglementation fonctionnera pour une chose qui n'existe pas à l'intérieur de nos frontières nationales.

Le sénateur Greene : Tous ceux qui sont assis à cette table se rendent compte que l'élément le plus important de ce développement n'est pas le bitcoin lui-même, mais l'architecture encadrant le bitcoin. Cette architecture représente une nouvelle façon d'envoyer de l'information. C'est avant tout un outil de communication. Dans le cas du bitcoin, c'est de l'information à laquelle nous avons décidé d'attribuer une valeur.

Étant donné la présence de cette architecture et le fait que lorsque vous l'utilisez, vous exprimez quelque chose — pour revenir aux fondements —, comme nous l'avons mentionné plus tôt, quel est le rôle des lois en matière de liberté d'expression et de parole à cet égard?

M. Greenstone : Je serai honnête avec vous : j'ai abordé ce sujet sous différents angles, mais pas sous l'angle de la liberté d'expression.

M. Jason : Cela soulève une question intéressante. Comme vous le dites, et vous le savez beaucoup mieux que moi, qu'est-ce que la technologie du bitcoin? C'est une donnée digne de confiance. C'est un système qui garantit que cette donnée est exacte, qu'il s'agit d'une donnée réelle et précise.

C'est ce qui explique qu'on peut l'utiliser comme monnaie, car le système garantit que le transfert que vous effectuez s'est produit dans la réalité. Vous cherchez donc à déterminer si le fait de réglementer cela ne revient pas essentiellement à réglementer le droit des personnes de communiquer entre elles.

Le sénateur Greene : L'architecture encadrant le bitcoin peut être utilisée pour de nombreuses autres choses.

M. Greenstone : Vous dites qu'il s'agit d'un transfert d'information, et c'est bien le cas, mais on peut l'utiliser pour transférer n'importe quel actif. Dans l'exemple du bitcoin, on transfère un actif financier d'une partie à une autre. Mais on peut également l'utiliser pour transférer n'importe quel actif, y compris, en théorie, des biens. L'une des nouvelles entreprises dans le domaine a parlé de la création de systèmes d'enregistrement foncier — certainement pas au Canada, car nos systèmes d'enregistrement foncier sont plutôt bien établis —, mais vous pouvez imaginer la mise sur pied, dans un pays où l'on n'enregistre pas en ce moment les propriétaires des parcelles de terre, d'un système d'enregistrement beaucoup moins dispendieux que la mise sur pied d'un système d'enregistrement foncier traditionnel. C'est un exemple facile.

Dans d'autres exemples, des gens pourront louer une voiture équipée de boutons électroniques et recevoir la clé sur leur téléphone. La personne n'aura qu'à s'asseoir dans la voiture et elle sera en mesure de la démarrer avec son téléphone cellulaire pendant la période de location.

Ces chaînes de blocs ont plusieurs différentes applications technologiques et offrent plusieurs façons de transférer l'information entre les parties. Le transfert monétaire représente seulement la première application de cette technologie.

C'est la raison pour laquelle j'ai dit plus tôt que la technologie de chaînes de blocs est bel et bien parmi nous. Le bitcoin est simplement une validation de principe. C'est la première bien connue, mais c'est seulement la validation du principe qu'une personne fera confiance à un réseau de transfert anonyme. Avant, si je souhaitais effectuer un paiement à quelqu'un, je devais passer par une banque ou je devais rencontrer cette personne et lui transférer l'argent ou les biens.

Nous pouvons maintenant effectuer des transactions et faire des affaires avec des gens que nous n'avons jamais rencontrés à l'autre bout du monde sans utiliser d'intermédiaire.

Le sénateur Greene : C'est certainement un sujet très intéressant, et la liberté d'expression est une façon très populaire de gérer les affaires aux États-Unis. Les juges de la Cour suprême portent une attention particulière à cet élément, à mon avis, et ils en ont considérablement étendu la portée. Ce n'est pas autant le cas ici, mais il me semble que nous ne devrions pas imposer de limites à cette technologie, car elle présente des éléments de liberté d'expression. Avez-vous des commentaires à cet égard?

M. Greenstone : On a récemment adopté d'autres lois canadiennes qui imposent les mêmes restrictions sur les libertés, notamment la Loi canadienne antipourriel, et elles ont fait l'objet de critiques similaires en raison des restrictions apparentes ou prétendues en matière de liberté d'expression qu'elles imposent aux entreprises qui souhaitent effectuer des transferts ou communiquer avec des personnes. Il y a donc des précédents.

M. Jason : Mon seul commentaire, c'est qu'encore une fois, il s'agit d'équilibrer vos objectifs concurrents. Comme je l'ai dit, la structure financière de notre pays a été élaborée avec soin pour soutenir le bien-être économique de notre nation. Lorsque cette technologie est utilisée dans ce secteur, je crois qu'il est toujours légitime de se demander si on entraîne des répercussions négatives sur d'autres objectifs importants.

Le président : Monsieur Jason, pourrais-je revenir à votre premier principe, la valeur garantie. Comme les membres du comité le savent, il y a un an, au début de notre étude, j'ai acheté 0,18 bitcoin pour 100 $CAN, et il vaut maintenant 53,32 $. On peut acheter des actions ou des choses qui perdront la moitié de leur valeur, et le bitcoin n'est pas à l'abri de ce phénomène.

Si vous revenez à votre notion de valeur garantie, dans un système décentralisé — et jusqu'à la réunion d'aujourd'hui, je pensais qu'il s'agissait d'un système non échangeable en monnaie fiduciaire jusqu'à ce que je vous entende utiliser l'expression « pseudo-fiduciaire. » Je dois dire que je n'ai jamais entendu cette expression auparavant.

À votre avis, dans un système de soutien par les pairs — comme le système décentralisé — et dans lequel il n'y a pas de tierce partie, pouvons-nous évoluer vers un certain type de valeur garantie par l'entremise de la chaîne de blocs?

M. Jason : Le temps nous le dira. Selon la technologie, nous devrions croire en toute confiance que la chose que nous avons est unique et en nombre limité — c'est une question de rareté, tout comme lorsqu'il s'agit d'un produit — et qu'éventuellement, si le marché devient assez important, sa valeur devrait commencer à moins fluctuer.

La Banque du Canada déploie de grands efforts pour gérer la valeur de notre monnaie. Toutefois, comme je l'ai dit, les promoteurs du bitcoin ne veulent pas qu'on gère cette monnaie, car ils veulent que le marché détermine par lui- même la valeur du bitcoin et que cette valeur ne soit pas affectée par d'autres préoccupations ou problèmes.

La réponse, c'est que je ne sais pas. En ce moment, il n'y a pas assez de gens sur le marché, et selon mes observations non scientifiques, la valeur est clairement affectée par les fluctuations quotidiennes de l'information. Tout comme ils font avec les actions lorsqu'ils reçoivent de mauvaises nouvelles, les gens ont tendance à s'en débarrasser.

Dans ce cas-ci, malheureusement, nous avons eu des mauvaises nouvelles à répétition, et je pense donc que les gens qui aimeraient investir là-dedans deviennent facilement nerveux. Cette monnaie est malheureusement trop nouvelle.

M. Greenstone : La seule chose que j'aimerais ajouter, c'est qu'à l'exception des risques que nous avons abordés, l'autre risque dont nous n'avons pas parlé aujourd'hui, c'est le risque théorique selon lequel une personne pourrait acquérir 50 p. 100 de la puissance informatique qui soutient la chaîne de blocs. Il s'agit d'un risque théorique qui doit être réglé, car il menace la longévité et le succès potentiel du bitcoin.

En théorie, une personne, potentiellement même un pays, pourrait acheter, dans certaines situations, 50 p. 100 de la puissance informatique soutenant le bitcoin. Dans ce cas, ces personnes seraient en théorie en mesure d'inverser certaines utilisations du bitcoin et de le dépenser deux fois. Du moins, c'est ce que la théorie prévoit. On se demande donc jusqu'où cela peut aller et dans quelle mesure les gens sont à l'aise de continuer à utiliser la chaîne de blocs.

Le sénateur Black : Monsieur Greenstone, l'approche récemment adoptée par le Québec à l'égard des monnaies numériques, des guichets automatiques et du point de vue du Québec envers un potentiel... Une interprétation concerne la réglementation du bitcoin. Avez-vous des commentaires à cet égard?

M. Greenstone : Je suis désolé, mais pouvez-vous reformuler la question?

Le sénateur Black : Bien sûr. D'après ce que nous comprenons, le Québec a récemment adopté certains règlements, certaines politiques, une loi — je ne suis pas certain dans quel contexte — réglementant la monnaie numérique dans cette province. Êtes-vous au courant?

M. Greenstone : Non.

M. Jason : Je sais ce qu'a fait la province. J'ai écrit un blogue à ce sujet la semaine dernière.

Le sénateur Black : Merci.

M. Jason : Aux fins d'éclaircissements, le Québec a déjà une loi qui oblige les entreprises de transfert de fonds à s'enregistrer et à respecter un certain nombre de règlements.

Cela signifie deux choses. Avant de vous accorder un permis, le gouvernement du Québec ou l'Autorité des marchés financiers du Québec vérifie vos antécédents et s'assure que vous êtes une personne honorable, si je peux m'exprimer ainsi, et que vous n'avez pas de casier judiciaire. Essentiellement, on vous dit que si vous souhaitez exploiter un guichet automatique qui offre des bitcoins, vous devez vous enregistrer aux termes de la loi, ce qui signifie qu'on vérifiera vos antécédents.

Le sénateur Black : La loi qui régit les transferts de fonds.

M. Jason : La loi qui régit les transferts de fonds, la même loi. Cela signifie qu'on vérifiera vos antécédents et qu'on déterminera si vous êtes une personne qualifiée pour exploiter un guichet automatique. Cela ne réglemente en aucune façon le fonctionnement de la machine ou du bitcoin.

Je pourrais dire que c'est un premier pas. Cela vise certains des problèmes liés aux échanges, par exemple lorsque des personnes organisent des échanges à des fins frauduleuses, et cetera. On tente simplement d'empêcher les mauvaises personnes d'acquérir et d'exploiter ces machines.

Le sénateur Black : Que pensez-vous de cette intervention?

M. Jason : Eh bien, comme je l'ai dit, cela faisait partie de ma liste de choses auxquelles nous devons réfléchir, et que j'ai étiquetées comme étant un risque lié à la sécurité, car étant donné que c'est une activité innovatrice et entrepreneuriale, elle attirera toutes sortes de personnes, des bonnes et des mauvaises.

L'une des choses auxquelles vous devrez réfléchir, c'est la question de savoir s'il nous faut une façon de vérifier si tout est en ordre — dans le milieu bancaire, nous disons que la personne est « qualifiée ». En effet, vous ne pouvez pas ouvrir une banque au Canada à moins que le gouvernement du Canada détermine que vous êtes une personne qualifiée pour le faire. C'est ce qu'on tente d'accomplir.

M. Greenstone : Je suis désolé, je n'étais pas certain de la loi à laquelle vous faisiez référence.

Le sénateur Black : Je n'étais pas clair.

M. Greenstone : Je connaissais la partie sur les guichets automatiques. Je suis tout à fait d'accord avec M. Jason : cela crée un système dans lequel il faut s'enregistrer pour exploiter un guichet automatique.

La raison pour laquelle c'est important, c'est que traditionnellement — et lorsque je dis traditionnellement, c'est très récent, c'est-à-dire depuis 2008 —, avant que les services d'échange des bitcoins existent, les gens qui souhaitaient vraiment obtenir des bitcoins dans leur portefeuille numérique devaient se rencontrer quelque part et échanger de l'argent comptant contre des bitcoins. Ce système doit être éliminé.

Si nous revenons sur certaines des questions précédentes sur la réglementation des bitcoins, nous ne voulons certainement pas d'un milieu dans lequel les gens se sentent libres de se promener et d'échanger des enveloppes contre de l'argent électronique. L'utilisation d'un système public dans lequel les gens peuvent maintenant obtenir des bitcoins, par exemple un guichet automatique dont le propriétaire est enregistré, représente un excellent premier pas pour éliminer certaines des principales préoccupations en matière de politiques publiques qui sont liées au blanchiment d'argent et aux activités terroristes. Cela élimine certainement une partie de l'anonymat.

Le sénateur Black : C'est très utile. Je vous remercie tous les deux.

Le sénateur Massicotte : Au sujet du Québec, d'après ce que je comprends, le libellé publié dans le communiqué de presse ne vise pas seulement les guichets automatiques, mais toutes les personnes qui échangent de l'argent. Si vous créez un portefeuille, je pensais que cela visait également les parties intéressées; n'est-ce pas le cas?

M. Greenstone : Ce n'est pas ce que je comprends. D'après ce que je comprends, on n'impose pas de restrictions à la personne. En effet, vous pouvez avoir un portefeuille de bitcoins sur votre téléphone cellulaire. D'après ce que je comprends, la loi ne vise pas cela.

M. Jason : Il y a donc la loi elle-même et il y a ensuite un document stratégique qui précise quelles personnes doivent s'enregistrer. Les propriétaires de guichet automatique qui utilisent l'argent traditionnel devaient déjà s'enregistrer. La province a modifié le libellé visant les personnes qui doivent enregistrer leur guichet automatique pour inclure les guichets automatiques qui offrent de la monnaie numérique. Je crois que c'est la seule chose qui a été faite jusqu'ici.

Le sénateur Massicotte : Nous avons parlé de la garantie de valeur. Les témoins que nous avons entendus m'ont donné l'impression qu'ils n'ont jamais dit que les bitcoins fourniraient une garantie de valeur. La seule chose que le bitcoin fait, c'est qu'il fournit une certitude en matière d'approvisionnement et les valeurs qui fluctuent avec l'offre et la demande. C'est dans ces cas qu'on observe une variation importante.

Permettez-moi de m'adresser à M. Greenstone. Vous avez dit plus tôt que nous ne devrions pas travailler de façon isolée, et je suis d'accord avec vous. Comme vous le savez probablement déjà, les intervenants de New York — qui est probablement le centre financier du monde — ont publié deux formes de documents de discussion sur les règlements envisagés, et en décembre, ces intervenants en ont publié un autre. Ils sont sur le point de publier ce qu'ils considèrent comme étant leur document final après avoir consulté un grand nombre d'experts dans le domaine.

Connaissez-vous la loi proposée? Êtes-vous d'accord avec la voie empruntée par ces intervenants?

M. Greenstone : J'ai lu ces documents. Pour être honnête, je ne suis pas encore sûr de ce qu'ils veulent accomplir. Différents points de vue sont exprimés dans ces documents, et je n'arrive pas à déterminer lesquels seront suivis. En ce moment, je ne le sais pas.

Le sénateur Massicotte : Avez-vous des commentaires à cet égard, monsieur Jason?

M. Jason : Je suis désolé, mais je ne connais pas suffisamment le sujet.

Le sénateur Massicotte : Veuillez me parler des banques. C'est un enjeu important pour les gens qui mènent des activités dans ce domaine. Les banques refusent essentiellement de faire affaire avec eux pour de bonnes ou de mauvaises raisons, probablement pour des raisons de concurrence. Quelle est la solution? Un grand nombre d'entre elles affirment qu'elles ne peuvent pas étendre leurs activités et qu'elles ne peuvent rien faire tant que ce problème ne sera pas résolu, mais les banques sont des participantes indépendantes à notre économie et on ne peut pas les forcer à faire affaire avec tout le monde. Quelle est la solution? Que faites-vous dans ce cas?

M. Greenstone : Je n'ai pas de solution à proposer.

M. Jason : Je ne peux vous dire si elles le font par agissement anticoncurrentiel, mais je vais vous donner des informations générales sur le problème du blanchiment de l'argent.

Les banques sont assujetties aux lois relatives au recyclage de l'argent. De plus, le Bureau du surintendant des institutions financières dit aux banques qu'il ne veut pas qu'elles deviennent un jour un outil pour les blanchisseurs d'argent. Quelles que soient les dispositions de la loi, le BSFI a indiqué très clairement qu'il est primordial qu'elles doivent éviter de devenir un outil de blanchiment d'argent.

Dans la presse, on a tellement parlé de la possibilité que les bitcoins soient utilisés comme outil de blanchiment d'argent que les banques ont réagi en disant « eh bien, nous ne pouvons pas les accepter parce que le risque que nous ayons affaire à des blanchisseurs d'argent est trop grand, ce qui fera que nous... »

Le sénateur Massicotte : Donc, quelle est la solution?

M. Jason : Je pense qu'il s'agit d'adopter, comme le fait le gouvernement du Canada, une réglementation pour lutter contre le blanchiment d'argent applicable. C'est ce point d'entrée qui est ciblé, l'endroit où l'argent entre et d'où il ressort, car on a déterminé que ce sera l'endroit le plus propice à l'échange de narcodollars pour de la monnaie virtuelle, qu'on peut transférer de façon pseudo anonyme. Nous nous attaquons à ce problème.

La plupart de ces entreprises qui ont de la difficulté à obtenir des services bancaires sont des entreprises qui veulent accéder au marché des échanges. Les banques leur disent que tant qu'il n'y a pas de réglementation, elles ont des réserves à cet égard.

Le sénateur Massicotte : En bref, dans six mois, lorsque le CANAFE aura mis en place les règles, et que tout le monde les respectera, pensez-vous que les banquiers accepteront de faire affaire avec les gens qui échangent la monnaie?

M. Jason : Certains accepteront de le faire; d'autres ne passeront jamais par-dessus cela. À une époque, j'étais chef de la conformité à la Banque de Montréal, qui avait la réputation d'être plus conviviale à l'égard des entreprises de services monétaires. Ce n'était pas le cas d'autres banques. Nous avions un plus grand marché, mais au moins, nous avons été en mesure de dire à celles qui étaient bien réglementées et qui pouvaient nous montrer qu'elles avaient de bons programmes de lutte contre le blanchiment d'argent qu'elles pouvaient avoir accès à nos services.

La dernière chose que je vous dirais, c'est que la prochaine étape intéressante, c'est que des entreprises décident simplement d'accepter le bitcoin et de mener leurs activités en utilisant le bitcoin. Cela signifie d'accepter les paiements en bitcoins, de faire des paiements en bitcoins. Je ne parle pas ici des échanges, mais, par exemple, d'un constructeur d'automobiles. Quelle sera l'attitude des banques?

Je ne sais pas ce qu'il faudra faire si elles disent qu'elles ont la même crainte parce qu'on ignore d'où viennent les bitcoins pour lesquels le véhicule a été vendu.

Le président : Merci. Messieurs Greenstone et Jason, nous avons commencé notre discussion d'aujourd'hui en disant que nous étudions un sujet très complexe. J'ai le regret de vous informer que nous serons en mesure de le répéter au début de la prochaine séance, mais je ne veux en rien minimiser votre importante contribution et l'information que vous nous avez fournie aujourd'hui dans le cadre de nos délibérations. Nous vous remercions beaucoup d'être venus comparaître devant nous. Au nom de tous les membres de notre comité, je vous remercie.

Je veux dire aux gens qui nous écoutent que la deuxième partie de notre séance portera sur l'une des plateformes de monnaie numérique dont le comité a entendu parler à plusieurs reprises lors de son voyage à New York plus tôt au cours du mois.

Je suis heureux d'accueillir M. Greg Kidd, agent principal de gestion des risques de Ripple Labs. Il comparaît par vidéoconférence. Ripple Labs est le créateur du protocole Ripple, qui connecte entre eux les systèmes financiers du monde pour permettre aux gens d'effectuer des paiements sécurisés et instantanés en utilisant n'importe quelle monnaie. Ripple a aussi sa propre monnaie numérique, le XRP. On dit souvent de Ripple qu'elle se classe au deuxième rang des plateformes d'échange de monnaies virtuelles les plus utilisées, juste derrière ce que nous avons appelé le « Kleenex » des monnaies virtuelles, soit le réseau Bitcoin.

J'aimerais attirer votre attention sur un article d'Anthony Lewis, qui a été publié le 11 mai 2014 sur CoinDesk.com, et dont le titre est « Ripple explained : Medieval Banking with a Digital Twist ». Ce n'est pas ce qu'on peut appeler un titre très explicite.

Je cède donc la parole à M. Kidd, qui nous fera son exposé et nous expliquera ce qu'est Ripple et quel est son lien avec notre étude. Je vous remercie de votre présence. La parole est à vous.

Greg Kidd, agent principal de gestion des risques, Ripple Labs : Merci. Monsieur le président Gerstein, madame la vice-présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, je m'appelle Greg Kidd. Je suis agent principal de gestion des risques chez Ripple Labs, une entreprise de technologie qui conçoit des outils de paiement pour les institutions financières.

Auparavant, j'ai travaillé sur les systèmes de paiement à la Réserve fédérale des États-Unis et conseillé des institutions financières en matière de risques et de gouvernance.

Je suis très heureux de pouvoir vous rencontrer aujourd'hui. Je vous félicite de l'intérêt précoce que vous portez aux monnaies virtuelles et aux autres technologies émergentes. C'est un plaisir pour moi de vous faire connaître Ripple Labs et de répondre à vos questions.

Ripple Labs est basée à San Francisco. Elle emploie 95 hommes et femmes qui connaissent de première main l'administration publique et la réglementation, les finances et la technologie. Ils ont travaillé entre autres pour la Réserve fédérale, la Commission des valeurs mobilières des États-Unis, la NSA, Goldman Sachs, Deloitte, Apple et Google. Notre but est de concevoir des systèmes de paiement plus rapides, plus sûrs et plus efficaces tant aux États- Unis qu'à l'échelle internationale.

À mon avis, une bonne partie des inefficiences des systèmes de paiement sont attribuables à la vétusté de l'infrastructure. Dans beaucoup de pays, la dernière modernisation de la technologie des paiements remonte aux années 1970 et s'est faite sans égard à l'interopérabilité. Comme les systèmes ne sont pas compatibles, les banques doivent compter sur une multitude d'intermédiaires pour transférer des fonds — ce qui est source de risques, de retards et de coûts.

Ripple Labs cherche à améliorer les paiements en offrant des infrastructures de paiement modernes et interopérables aux institutions financières enregistrées, aux chambres de compensation et aux banques centrales. Comme notre technologie de paiement est conçue pour les institutions financières, il se peut que les consommateurs ne sachent pas que leurs transactions se font par notre intermédiaire, tout comme ils ignorent tout ou presque de la chambre de compensation automatisée ou des virements électroniques qui aujourd'hui facilitent leurs paiements.

Notre technologie est conçue pour minimiser les risques de paiement et de crédit, réduire les coûts et permettre la connectivité entre les banques et les réseaux de paiement.

Avant de parler de notre technologie, je tiens à souligner qu'elle est pleinement conforme aux règlements en vigueur. Quand elles passent par Ripple, les institutions financières restent pleinement assujetties à leurs obligations en matière de contrôle des avoirs étrangers, de lutte contre le blanchiment d'argent, d'établissement de l'identité du client et de toutes autres déclarations exigées d'elles tout comme avec les voies de paiement existantes. Ripple Labs a en effet pour principe que l'amélioration des systèmes de paiement passe par une sécurité robuste et de solides protections du consommateur.

Deux aspects de la technologie Ripple présentent un intérêt particulier dans le cadre des travaux du comité : un grand livre partagé et une monnaie virtuelle.

Au cœur d'une institution financière se trouve le grand livre, où elle consigne tous les soldes de ses clients. Comme les banques et les systèmes de paiement ont chacun leur grand livre, ils doivent compter sur des intermédiaires ou des chambres de compensation pour transférer des fonds entre différents grands livres. C'est là source de retards, de frais et de risques pour les paiements.

Le grand livre partagé dont se sert Ripple permet d'effectuer les transactions en temps réel et en tout temps entre banques expéditrices et banques destinataires. Les intermédiaires sont ainsi éliminés et les risques et les coûts sont réduits au minimum.

Alors que les régulateurs doivent actuellement recouper les grands livres de plusieurs banques pour suivre les mouvements de fonds, notre grand livre partagé emmagasine en un seul lieu tous les justificatifs de paiement, ce qui permet de voir au travers des transactions et améliore grandement la traçabilité des fonds. En améliorant la transparence et en rendant plus directs les paiements de point à point, notre grand livre partagé améliore l'aptitude des banques à se conformer aux règlements et seconde les efforts des régulateurs dans la lutte contre le blanchiment d'argent.

En plus du grand livre, Ripple utilise une monnaie virtuelle appelée XRP, mais elle s'en sert d'une manière très différente de la plupart des monnaies virtuelles en usage.

Comme on vous l'a déjà dit, la plupart des monnaies virtuelles se présentent comme moyen d'échange et réserve de valeur. Or, elles font ainsi courir aux consommateurs de sérieux risques de liquidité, de volatilité et de sécurité.

Le XRP de Ripple se veut au contraire un mécanisme de sécurité et une passerelle facultative entre devises. Les institutions financières qui utilisent Ripple sont tenues chacune de constituer une petite réserve de XRP qu'elles apposent comme des timbres sur les transactions. Chaque transaction entraîne une destruction de XRP, le plus souvent l'équivalent d'une minuscule fraction de cent. Le coût de la transaction augmente légèrement, mais il devient alors beaucoup trop coûteux de surcharger le réseau d'un trafic illicite ou de lancer une attaque par saturation. De cette façon, le XRP protège le réseau contre les attaques et assure leur résilience et leur fiabilité.

Le XRP sert aussi, comme je l'ai dit, de passerelle facultative entre devises. Si une banque doit faire un paiement à un receveur domicilié dans un autre pays, elle peut utiliser le XRP comme passerelle peu coûteuse et efficace entre la devise d'envoi et la devise de réception. Le XRP diminue le coefficient de couverture des paiements transfrontaliers. Toutefois, l'utilisation du XRP comme passerelle est entièrement facultative; la banque est tout à fait libre d'effectuer la transaction en monnaie fiduciaire.

Dans votre étude et dans la réglementation sur laquelle elle débouchera, je vous recommande fortement de faire une place à ces utilisations possibles des monnaies virtuelles et de la technologie qui s'y rattache. À mesure que ce secteur se développe, je suis sûr qu'il se présentera d'autres utilisations de ces technologies, utilisations dont beaucoup présentent un intérêt pour les systèmes de paiement. La réglementation devrait tenir compte de ces utilisations possibles de manière que les banques et les consommateurs canadiens puissent en profiter.

En résumé, la technologie de Ripple permet aux banques d'effectuer des paiements en direction de pays auparavant inaccessibles plus rapidement, à moindre coût et de façon plus sûre, et ce, tout en leur permettant de se conformer entièrement à la réglementation.

J'espère que mes observations vous auront permis de mieux comprendre notre technologie. Je vous remercie de votre attention et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Monsieur Kidd, je vous remercie beaucoup de votre déclaration préliminaire. Pourrais-je commencer par vous demander de nous en dire un peu plus au sujet de Ripple? De toute évidence, c'est une entreprise. Depuis combien de temps existe-t-elle? Effectue-t-elle présentement des transactions pour les banques et pour d'autres monnaies dans le monde? Pourriez-vous nous donner des informations générales sur Ripple?

M. Kidd : Bien sûr. Ripple est une entreprise très traditionnelle, une entreprise financée par le capital-risque, par Silicon Valley. Elle a reçu des fonds d'investisseurs comme Google, et plus récemment de Horowitz, d'IDG, d'investisseurs chinois. Jusqu'à maintenant, elle a obtenu environ 30 millions de dollars en capital-risque lors des tours annoncés. Comme je l'ai dit, elle compte 95 personnes.

Cette entreprise est formée principalement de gens spécialisés qui travaillent au développement du protocole. Encore une fois, en ce qui concerne le protocole, si Bitcoin ressemble à un grand livre ou à un registre comprenant les bitcoins de tout le monde, c'est la même chose dans le cas de Ripple, sauf que le grand livre ou registre inclut chaque forme de monnaie. Il n'y a pas que le solde de bitcoins ou de XRP. Voyez-le plutôt comme un grand tableau de ventilation que tout le monde peut voir et utiliser, mais les soldes incluent également les monnaies fiduciaires. Ils peuvent aussi inclure la monnaie-marchandise, comme l'or et l'argent.

Le point en commun avec Bitcoin, c'est qu'il y a un registre distribué. La plupart des gens ici sont en quelque sorte d'anciens spécialistes de Bitcoin. C'est seulement qu'ils ont élargi le protocole pour y inclure toutes les monnaies plutôt que le bitcoin exclusivement. Il permet également le recours à des teneurs de marché, à des gens qui sont disposés à échanger des devises, à utiliser le protocole. C'est la grande innovation ici, une innovation 2.0 en quelque sorte qui comprend la monnaie virtuelle, mais aussi la monnaie fiduciaire.

Le président : Depuis combien de temps votre entreprise fait-elle des affaires? Elle est en activité présentement. Par exemple, effectuez-vous des transactions pour des banques à charte canadiennes à ce moment-ci?

M. Kidd : Nous n'effectuons pas de transactions pour des banques à charte canadiennes. Le protocole n'inclut donc pas de banques canadiennes. Il se peut que des citoyens canadiens utilisent le protocole par d'autres intermédiaires. Ripple Labs existe depuis trois ans. Il y a un site, Ripple Charts, qui est accessible, et on peut voir le volume de transactions et toutes les différentes monnaies, jour après jour. Chaque jour, il y a des millions de dollars en transactions.

Le président : Merci beaucoup. Je vais maintenant donner la parole aux intervenants dont le nom figure sur ma liste, en commençant par le sénateur Black.

Le sénateur Black : Monsieur, je vous remercie beaucoup de votre présence. C'est fascinant. Je vous félicite, vous et vos collègues, du travail que vous accomplissez.

Ces derniers mois, nous avons entendu des témoignages très intéressants selon lesquels ce qui est emballant au sujet de la chaîne de blocs et du bitcoin, c'est qu'il s'agit d'une nouvelle technologie et qu'elle continuera d'évoluer. Ripple constitue-t-il une évolution de Bitcoin?

M. Kidd : Je dirais que c'est une évolution. Elle se fonde sur la même technologie cryptographique et sur le concept de registre distribué. Les choses fonctionnent un peu différemment pour ce qui est de l'état du registre. Dans le réseau Bitcoin, il y a ce qu'on appelle une preuve de travail; dans le cas de Ripple, on parle d'un processus qui s'appelle le consensus. Il est fondé plutôt sur des votes. Or, le concept de registre distribué est vraiment le même. Encore une fois, l'aspect novateur ici, c'est la capacité de constituer des réserves de valeurs autres que le bitcoin dans le registre.

Le sénateur Black : D'accord. Donc, si c'est l'exemple A de cette évolution, nous devrions voir d'autres développements allant dans ce sens?

M. Kidd : C'est le cas. Parmi les autres développements que nous prévoyons, il y a par exemple l'utilisation de cela comme un registre de titres — et cela pourrait s'appliquer tant pour Bitcoin que pour Ripple —, et il s'agirait tout simplement de prendre un titre de propriété, ou un véhicule, par exemple, et conserver cela de façon sécuritaire dans un registre décentralisé que tout le monde peut voir. Il y a eu également des discussions au sujet du concept de contrats intelligents — la capacité des gens à rédiger des contrats qui n'ont qu'un ensemble de règles automatiques entièrement lisibles et gérables par des ordinateurs sans qu'un humain n'ait à intervenir.

Le sénateur Black : Ce ne serait pas bon pour les avocats, monsieur Kidd. De toute façon, nous nous écartons du sujet.

M. Kidd : Les avocats utiliseraient des décodeurs pour les contrats.

Le sénateur Black : Parfait. Votre technologie est-elle fondée sur la chaîne de blocs?

M. Kidd : Elle est fondée sur le même type de logique, mais Ripple a son propre processus. Encore une fois, nous l'appelons le consensus plutôt que la preuve de travail. Nous l'appelons essentiellement le registre, tout simplement, parce que le fonctionnement de la chaîne de blocs comporte des différences subtiles, mais il y a une source d'ADN commune.

Le sénateur Black : D'accord. Je veux seulement comprendre ce que vous dites. Est-ce que c'est que vous avez développé la chaîne de blocs pour qu'elle corresponde aux besoins de Ripple?

M. Kidd : Cela représente une évolution de la chaîne de blocs. Il y a un système différent. Il s'agit du consensus. Dans le réseau Ripple, lorsqu'une nouvelle transaction a lieu, toutes les trois à cinq secondes, tous les différents serveurs du réseau négocient et déterminent s'ils peuvent convenir que la transaction est valide. On fait plus confiance à certains de ces serveurs qu'à d'autres; et il s'agit donc d'un processus de vote qui sert à déterminer si le registre est modifié. Cela se produit en trois à cinq secondes. Toutes les nouvelles transactions sont analysées par l'ensemble du réseau, certaines ayant essentiellement plus de poids que d'autres. Cela permet la confirmation très rapide des transactions. Du côté de Bitcoin, il peut s'écouler huit minutes ou plus avant qu'on obtienne la confirmation finale. Au fond, Ripple est axé sur l'obtention d'un état en temps réel. Ce qui requiert un algorithme différent.

Le sénateur Black : Je vois; d'accord. Disons que je veux effectuer une transaction en direction de la Somalie; puis-je utiliser le réseau Ripple à cette fin?

M. Kidd : Oui, Ripple le permet. Le réseau ignore que le destinataire est en Somalie, car il n'y a pas de concept géographique rattaché à ces technologies.

Le sénateur Black : Toutefois, je pourrais faire ma transaction en bitcoins?

M. Kidd : Le réseau Ripple prend les bitcoins, tout comme il prend les dollars canadiens.

Le sénateur Black : Je vois. Merci.

Le sénateur Massicotte : Monsieur Kidd, je vous remercie de votre présence. Votre témoignage est très utile. J'aimerais seulement préciser quelque chose. Est-ce que seules les banques sont autorisées à utiliser votre système?

M. Kidd : Puisqu'il s'agit d'un protocole, essentiellement, n'importe qui peut l'utiliser, mais ce que nous faisons, c'est travailler avec les banques sur Internet. L'Internet est accessible à tous, mais des gens créent des réseaux privés virtuels. Donc, les banques peuvent utiliser la technologie pour établir leurs propres solutions.

Le sénateur Massicotte : Étant donné que c'est efficace du point de vue du temps et des coûts, pourquoi ne finirait- on pas par permettre à n'importe qui d'effectuer une transaction, y compris une opération monétaire?

M. Kidd : N'importe qui peut le faire. La technologie le permet déjà. N'importe qui peut utiliser le protocole. Pensez à la façon dont le protocole SMTP permet de lier deux systèmes de courriel. Même s'il existe de nombreux systèmes de courriel différents, dont certains sont administrés par de grandes entreprises, et d'autres, par de très petits exploitants indépendants, ils peuvent tous parler le même langage. Cependant, certains systèmes et réseaux de courriel peuvent décider d'être fermés. Ils pourraient avoir un réseau fermé, mais ils peuvent tous utiliser la même technologie de protocole pour favoriser l'interopérabilité sur le plan technique. Si, selon les règles, « on choisit d'opérer seulement avec certaines personnes d'un club particulier », il est possible de créer ses propres sous-domaines dans la structure générale de la technologie de protocole.

Le sénateur Massicotte : Cela étant dit, faisons un petit saut dans le temps; transportons-nous dans six mois ou deux ans. Étant donné qu'il est accessible à n'importe qui, on démocratise le système en entier. Puisqu'il est si peu coûteux, cela ne changerait-il pas la dynamique du marché, c'est-à-dire que la compétition sera telle que le système actuel, qui est fondé sur une infrastructure vétuste — comme vous l'avez dit dans votre exposé —, deviendrait rapidement désuet? Les banques n'auront pas à dépenser des millions de dollars pour faire cela. Elles devraient en fait offrir votre type de système ou un système concurrent, et ces coûts de conversion, de transferts, devraient diminuer énormément au cours des deux ou trois prochaines années; est-ce exact?

M. Kidd : En fait, elles n'ont pas à nous demander la permission. Nous offrons seulement un service de consultant si elles veulent travailler avec nous, mais elles n'ont pas besoin de notre permission pour utiliser le protocole. Le protocole est de source ouverte. N'importe qui est libre de l'utiliser. Je reviens d'Europe, où je suis allé visiter des banques centrales. J'ai également discuté avec des banques dans les pays européens que j'ai visités. Elles pourraient tout simplement apporter le changement. Considérez cela comme une technologie qui permet à leurs systèmes de règlement de fonctionner en tout temps plutôt que, comme je l'ai dit, à des heures fixes. C'est une technologie qui permettrait aux gens de faire des règlements à n'importe quel moment de la journée, au moyen d'un registre partagé entre tous les acteurs.

C'est quelque chose qu'on pourrait simplement changer tout en conservant les mêmes règles. Cela ne perturbe pas nécessairement beaucoup leurs investissements actuels dans la technologie. On ne fait que changer la base pour pouvoir faire des opérations instantanées en tout temps.

Le sénateur Massicotte : Au lieu que chaque banque et — ce qui est plus important — que chaque pays aient un système de paiement pour les transferts de fonds qui leur est propre. Tout cela pourrait être remplacé rapidement, si j'ai bien compris?

M. Kidd : Regardez cela sous cet angle : initialement, pour les courriels, il y avait CompuServe et AOL, qui avaient chacun leur propre réseau interne. Le problème était toujours lié à ce qui se passait lorsqu'on voulait envoyer des courriels du réseau d'AOL à celui de CompuServe. Il fallait un intermédiaire qui agissait comme un traducteur. Ces passerelles étaient mises en place une par une. Ce dont nous parlons permet la création d'une passerelle commune à laquelle tous ont accès. Il ne s'agit donc pas de l'abandon des systèmes existants, mais bien d'établir une interconnexion entre tous ces systèmes, de façon plus efficace.

Le sénateur Massicotte : Dans votre exposé, vous avez également souligné que votre système empêche le commerce illicite. Vous avez parlé du XRP, votre ancienne monnaie. En fait, cela ressemble à un iShare, étant donné le symbole. Dans ce cas, comment empêchez-vous le commerce illicite? Que faites-vous pour empêcher qu'une situation comme celle qu'on a vue pour les bitcoins se produise?

M. Kidd : J'ai travaillé dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d'argent, de l'identification des clients et des services d'affaires, et le plus frustrant lorsqu'on utilise les systèmes actuels, c'est que chacune des institutions financières cloisonne les informations relatives à l'identification des clients et aux transactions qu'elle observe de son côté du registre. Donc, il est extrêmement utile de suivre les activités du réseau dans le registre lorsqu'on tente de retrouver les auteurs. Il s'agit essentiellement de suivre la trace des fonds. Donc, sur le plan des enquêtes, du signalement d'activités suspectes et de l'analyse, un registre commun dans lequel toutes les transactions — tant celles de l'expéditeur que celles du destinataire — est un mécanisme bien supérieur et plus optimisé, car cela permet d'avoir un portrait global du déroulement de la transaction. C'est une véritable transformation. Si vous êtes un malfaiteur et que vous savez que vos transactions passeront dans un réseau qui fera l'objet d'une analyse à toutes les étapes, ce n'est pas l'endroit idéal pour mener de telles activités.

Le sénateur Massicotte : Je dois admettre que la technologie m'impressionne. Vous modifiez une technologie pour la rendre plus efficace et plus sécuritaire. Toutefois, si dans deux ans nous découvrons que Ripple n'existe plus, quelle menace cela représenterait-il pour le système? Quelles pourraient être les conséquences si le système n'était pas en place comme vous le prévoyez?

M. Kidd : Permettez-moi d'être clair : la société Ripple pourrait disparaître demain, mais cela n'aurait aucune incidence sur le protocole Ripple, qui est comparable au protocole TCP/IP pour Internet ou SMS pour la messagerie texte. Aucune entreprise de téléphonie ne rend possible à elle seule l'interconnexion des entreprises de téléphonie pour l'envoi de messages textes. Il s'agit simplement d'un ensemble de protocoles techniques, comme le protocole SMTP utilisé pour les courriels. La survie et l'essor du protocole Ripple ne dépendent pas de la survie de notre entreprise. Il est déjà en place.

Le sénateur Massicotte : Dans le même ordre d'idées, la technologie en soi est plutôt remarquable, mais comme nous le savons tous, beaucoup de choses n'arrivent pas à maturité. Quelles sont les menaces potentielles qui pourraient freiner l'évolution de cette technologie et l'empêcher de devenir un moyen beaucoup plus efficace de faire des transactions à l'échelle mondiale?

M. Kidd : La réglementation est le principal obstacle. Au terme de discussions, les entreprises et les gouvernements pourraient conclure qu'ils ne sont pas à l'aise à l'idée de l'utiliser. Même si la technologie fonctionne, rendre son utilisation illégale ou créer un certain flou ou une incertitude à cet égard pourrait entraîner une hésitation à utiliser des applications fondées sur cette technologie.

Le sénateur Massicotte : La réunion du comité porte principalement sur la question de savoir si nous devrions recommander la réglementation de la crypto-monnaie. Selon votre point de vue, que devrions-nous faire pour éviter que ce que vous venez de dire se produise? Devrions-nous adopter une nouvelle réglementation?

M. Kidd : On ne parle pas nécessairement d'une nouvelle réglementation, mais la réglementation doit prendre en compte qu'il pourrait y avoir un nouveau mécanisme de transfert de fonds, soit un registre commun au lieu de registres d'État centralisés. Donc, il faut prévoir qu'il existe, sur le plan technologique, de nouveaux mécanismes pour les transferts de fonds, tant dans le marché national que sur le marché international. Il faut aussi considérer qu'il ne faut pas s'en remettre seulement à un registre central régi par une entité unique, mais qu'il pourrait y avoir une solution décentralisée pour les transferts de fonds, comme c'est le cas pour l'envoi de courriels, de photos et de musique sur Internet.

Nous voulons absolument que ce soit réglementé; nous voulons une réglementation stricte. L'élément essentiel, c'est la clarté. Actuellement, le principal obstacle c'est l'ambiguïté quant à ce qui est visé par la réglementation. Nous avons besoin de clarté.

Le sénateur Massicotte : Que pensez-vous de la réglementation sur la crypto-monnaie envisagée dans l'État de New York?

M. Kidd : Ce qui est formidable, ce sont les discussions qui ont eu lieu à ce sujet. L'approche initiale en matière de réglementation était plutôt irréalisable. Toutefois, il y a eu d'importantes avancées pour comprendre les différences et les similitudes entre la monnaie virtuelle et les monnaies classiques. À certains endroits, on a retiré des restrictions qui imposaient aux sociétés émettrices de monnaie virtuelle un fardeau considérable tant sur le plan de la gestion que de la mise en œuvre, ce que n'ont pas les autres institutions financières. Essentiellement, les règles du jeu ont été uniformisées.

On a aussi établi une distinction entre la signification de ce qu'est un dépositaire de monnaies virtuelles comparativement à un portefeuille qui pourrait ne jamais être dépositaire de fonds, mais qui agit essentiellement à titre de navigateur de réseau pour vos fonds. La loi de l'État de New York comporte aussi le concept d'importance relative. Les petites entreprises en démarrage ont droit à un délai de grâce; il s'agit en quelque sorte d'un assouplissement de la réglementation. Tout cela sous-tend souplesse et clarté. Je suis convaincu que les entreprises qui ont le financement nécessaire et le désir de se lancer dans ce marché présenteront une demande de permis d'exploitation afin d'avoir pignon sur rue à New York.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Merci pour votre très intéressante présentation. Je voudrais parler un peu de la façon dont Ripple Labs fait son argent. On sait que, avec le bitcoin, les mineurs sont rémunérés, finalement, à partir de la production de cette monnaie numérique. Vous produisez des XRP. A-t-on la même logique, avec ces mineurs qui sont éparpillés un peu partout géographiquement, ou est-ce que c'est Ripple Labs, l'entreprise, qui produit les XRP? C'est une première clarification que j'aimerais obtenir de votre part.

J'aimerais également que vous puissiez développer un peu plus l'idée de l'utilisation des XRP, parce que vous dites que vous les utilisez différemment. Ce que je comprends, c'est que c'est plutôt comme cela que vous êtes payés; vous faites disparaître des XRP, donc, quelque part, il s'agit de frais que vous chargez dans le cadre de l'utilisation. Si vous pouviez mettre cela en perspective dans votre système décentralisé, cela me permettrait de bien comprendre la différence entre la monnaie numérique qu'on va maintenant qualifier de « classique », le bitcoin, et ce que vous faites à Ripple Labs.

[Traduction]

M. Kidd : Dans le cas du bitcoin, l'un des problèmes, c'est que le minage de bitcoins est extrêmement coûteux sur le plan économique; il faut beaucoup de matériel et beaucoup d'électricité. En somme, cela a mené à une répartition équitable des bitcoins. Du point de vue économique, c'était intéressant. En pratique, malheureusement, exploiter une monnaie et un système de paiement est devenu extrêmement coûteux.

Ripple n'a pas choisi cette voie. Certains fondateurs de Ripple ont créé 100 milliards de XRP dans le protocole et en ont fait don à l'entreprise, qui ne peut créer plus de XRP. Elle dispose de la somme qu'elle a depuis le début, soit environ 80 milliards de XRP. Une partie des 20 milliards restants ont été donnés à des organismes de bienfaisance. Il faut voir Ripple Labs comme la combinaison d'une banque centrale et de fonds souverains. La quantité de XRP est limitée et l'entreprise peut en donner pour aider au lancement du réseau. Si nous les donnons tous, nous n'en aurons plus.

Si leur valeur augmente, cela figure sur le bilan de l'entreprise, ce qui nous a été très utile étant donné que le XRP a pris de la valeur. Nous avons ainsi pu financer un certain nombre d'activités de R-D liées à cette monnaie numérique.

En ce qui concerne notre modèle d'affaires, il ressemble au modèle de la société Red Hat, que vous connaissez peut- être. Elle fonctionne avec Linux, un protocole libre qu'elle adapte, puis elle offre de la formation et du soutien aux entreprises. C'est ainsi que Ripple fait de l'argent. Nous aiderions les institutions financières à adopter, intégrer, utiliser et prendre en charge notre protocole. Les institutions ne sont pas tenues de retenir nos services; il n'y a aucune exigence à cet égard. C'est simplement parce que nous avons probablement plus d'expérience que quiconque pour l'utilisation du protocole Ripple.

Nous ne sommes pas payés pour les transactions dans le réseau de Ripple. Comme je l'ai indiqué précédemment, il y a des frais minimes, mais ces frais ne sont perçus par aucune entité. Ils visent seulement à dissuader les polluposteurs d'accéder au réseau et de faire des millions et des millions de transactions de petite valeur ou sans valeur.

Cela entraîne une légère déflation de la valeur globale des XRP, mais c'est très négligeable. À ce taux, cela n'aura aucune incidence avant plusieurs milliers d'années. C'est ce qu'il faut retenir.

Ai-je répondu à toutes vos questions? Y a-t-il d'autres questions?

[Français]

La sénatrice Bellemare : C'était à propos du réseau décentralisé; pouvez-vous développer un peu cette idée?

[Traduction]

M. Kidd : Bien qu'il existe un registre, voyez-le comme un point central où l'on consigne l'ensemble des activités du réseau. Ce registre unique n'est pas stocké sur un seul ordinateur; de multiples copies circulent un peu partout. Toutes les copies du registre doivent être synchronisées. Chaque nouvelle transaction fait l'objet d'une analyse. L'opération vise à vérifier la légitimité de la transaction et à s'assurer qu'une série de transactions douteuses n'est pas transmise par l'intermédiaire d'un serveur donné.

Si un nœud précis du réseau semble transmettre un nombre élevé de transactions qui ne semblent pas légitimes pour les nœuds pairs, le nœud en cause peut être ignoré. La décentralisation est très importante, car seules les transactions qui sont considérées comme légitimes par de multiples nœuds pairs sont validées.

Comme vous pouvez l'imaginer, lorsque les institutions financières travaillent avec nous, elles accordent leur confiance à d'autres institutions et créent ainsi un réseau de confiance. Les utilisateurs du protocole doivent déterminer à qui faire confiance. Essentiellement, la validation et l'acceptation du registre reposent sur la confiance de multiples utilisateurs.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Il n'y a pas de jeu, à ce moment-là. Avec le bitcoin, il y a un jeu à solutionner, et c'est celui qui le solutionne le plus rapidement qui obtient la récompense. Cela n'existe pas dans votre protocole.

[Traduction]

M. Kidd : Chez Ripple, notre processus s'articule autour d'une série de cycles qui se produisent à toutes les trois à cinq secondes, voire plus fréquemment, selon le volume de transactions. On pourrait simplement comparer cela à une réunion de l'ensemble des nœuds pairs qui vise à déterminer quelles transactions seront approuvées et acceptées dans le registre. Ce n'est pas un système fondé sur la rapidité comme dans le cas de Bitcoin.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Pouvez-vous nous donner une idée de la valeur du XRP, actuellement, en dollars américains?

[Traduction]

M. Kidd : Je pense qu'il vaut actuellement 1,3 cent, soit un peu plus qu'un yen. Avec ses 100 milliards de XRP, le réseau de Ripple a une valeur d'environ 1,3 milliard de dollars.

Le président : Dans la même veine que la question de la sénatrice Bellemare, selon ce que je comprends, dans le système de chaînes de blocs, la récompense va au mineur. D'où proviennent les revenus de Ripple? Est-ce des contrats de services-conseils et du travail que vous faites auprès des diverses institutions financières? Est-ce ce qui fera croître vos revenus? D'après ce que je comprends, vos revenus ne proviennent pas des transactions.

M. Kidd : C'est exact. Il provient des services-conseils que nous offrons aux gens sur l'adaptation du protocole. Il existe d'autres entreprises de services-conseils, comme McKenzie, notamment, qui ont aussi choisi de se spécialiser dans ce domaine. À l'instar de Stas, l'entreprise allemande, beaucoup de gens obtiennent des services-conseils pour la mise en œuvre du logiciel Statistical Analysis System, ou SAS.

Le président : Merci.

Le sénateur Massicotte : Par rapport à la dernière question sur votre modèle d'affaires, vous dites que vous faites de l'argent avec les transactions. Essentiellement, vous n'offrez que des services d'experts-conseils. Est-ce vraiment cela? Vous avez 30 millions de dollars provenant d'investisseurs en capital-risque qui s'attendent manifestement à un bon rendement par rapport au capital investi et vous me dites qu'ils ont pour ainsi dire investi dans une société d'experts- conseils?

M. Kidd : Nous avons aussi le XRP, qui figure au bilan de l'entreprise. Actuellement, sa valeur s'élève à plus de 1 milliard de dollars. C'est comparable à une ressource épuisable, comme le pétrole en Arabie saoudite. Si vous épuisez la ressource maintenant, il ne vous en restera plus pour l'avenir. De plus, cela ne veut pas dire que nous n'avons pas d'autres revenus liés à des services-conseils et d'autres services.

Par exemple, nous avons parlé des technologies de paiement. Nous avons démarré une entreprise dérivée qui se spécialise exclusivement sur les questions liées à l'identité et les solutions en matière d'identité. Pour la première fois, on rendrait l'identité transférable. Une personne qui utilise des monnaies virtuelles ou même des devises traditionnelles pourrait créer un profil d'identification du client, le faire valider par des sociétés comme Xperia. Au lieu d'avoir à créer un nouveau profil dans chaque institution, vous pourriez utiliser ce profil comme une identité transférable.

Peu importe où vous iriez, vous auriez déjà un profil d'identification du client. Vous n'auriez qu'à ouvrir une session; votre identité serait connue et vous seriez réputé digne de confiance. Vous auriez accès à vos soldes. Dans ce monde, s'il y avait un registre unique et que vous étiez un utilisateur ayant des fonds inscrits au registre, vous devriez pouvoir avoir accès à ces fonds partout.

C'est un débat ouvert, en quelque sorte. Le volet de l'établissement de l'identité du client pourrait être une source de revenus plus importante, car cela permet de valider l'identité des acteurs et de garantir que les fonds sont considérés comme de l'argent. Cela pourrait être un secteur d'affaires en soi.

Cela représente aussi une deuxième source de revenus possible pour Ripple ou une filiale de Ripple Labs.

Le sénateur Massicotte : Vous avez parlé du protocole de consensus par rapport à l'autre service. Est-ce 51 p. 100? Quel est le taux d'approbation minimal pour qu'une transaction soit acceptée?

M. Kidd : Actuellement — les technologues pourraient mieux répondre à la question —, je crois que le seuil de consensus est établi à 80 p. 100, mais cela ne touche pas seulement l'approbation des transactions. En cas de modification du protocole, il existe un processus pour lequel les divers nœuds pairs doivent négocier pour déterminer s'il s'agit de la nouvelle réalité applicable à tous et si d'autres branches ou nœuds sont exclus.

Le sénateur Massicotte : Personne ne peut manipuler un système lorsqu'un seul joueur le contrôle à 80 p. 100.

M. Kidd : C'est comme lorsqu'on dit qu'il n'est pas possible, en démocratie, de trafiquer les résultats des élections. C'est un système fondé sur la faiblesse de la nature humaine. Une conspiration nécessite la participation d'un nombre suffisant de personnes. Il faut garder en tête qu'en cas de conspiration, ces gens en seraient probablement les seules victimes. Ils pourraient modifier le registre. Or, étant donné qu'il s'agit d'un logiciel libre, si tous les acteurs cessent de faire confiance à cette branche du registre, ils prendront une version du registre antérieure à l'incident et déclareront : « Voici la dernière version crédible du registre; nous ne suivrons plus ce groupe de conspirateurs. »

Les mesures correctives sont les mêmes que dans une démocratie : il y a un vote, et les gens agissent en conséquence. Les conspirations sont possibles, mais dans le cas présent, nous croyons que ce serait autodestructeur.

La sénatrice Bellemare : Ce sujet et vos observations me fascinent. Habituellement, la valeur découle de matériaux bruts, de la fabrication ou de services à la personne. Nous découvrons maintenant que cette technologie peut servir à créer de la valeur. J'ai à l'esprit une hypothèse que j'aimerais valider en vous posant une question délicate. Vous avez dit que vous avez un effectif de 25 personnes. Pourriez-vous nous donner une idée du salaire moyen de ces employés?

M. Kidd : Nous avons 95 employés. Cependant, je ne connais pas leur salaire moyen. En gros, la rémunération que nous offrons correspond à la norme à Silicon Valley. Nos salaires ne sont ni supérieurs ni inférieurs aux taux du marché. Je ne connais pas le taux moyen de rémunération.

La sénatrice Bellemare : Avez-vous une idée du salaire annuel?

M. Kidd : Je suis désolé; je ne le sais pas parce que je n'ai pas accès à cette information. Je répondrai avec plaisir à toute question liée au protocole ou à Ripple.

La sénatrice Bellemare : Merci.

Le président : Monsieur Kidd, au nom des membres du comité des banques, je vous remercie. Vous nous avez grandement aidés à comprendre un peu mieux un sujet que nous étudions avec une grande attention. C'est complexe, mais vous nous avez été très utile. Merci beaucoup d'avoir comparu au comité aujourd'hui.

M. Kidd : Nous vous prions de nous rendre visite; nous aimons recevoir.

Le président : La séance est levée.

(La séance est levée.)


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