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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 28 - Témoignages du 6 mai 2015


OTTAWA, le mercredi 6 mai 2015

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi S-210, Loi modifiant le Code criminel (taux d'intérêt criminel), se réunit aujourd'hui, à 16 h 16, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.

Aujourd'hui nous tenons notre deuxième séance sur le projet de loi S-210, Loi modifiant le Code criminel (taux d'intérêt criminel).

Lors de notre première séance sur le sujet, la marraine du projet de loi et membre du comité, la sénatrice Ringuette, a comparu comme témoin pour parler de son projet de loi. Le but du projet de loi S-210 est d'amender l'article 347 du Code criminel pour changer le taux d'intérêt criminel qui était actuellement défini comme excédant 60 p. 100 par année.

Aujourd'hui, notre séance sera divisée en deux volets d'une heure. Pour ce premier volet, je suis ravi de souhaiter la bienvenue à Michael Bradfield, professeur d'économie à la retraite de l'Université Dalhousie. M. Bradfield est aussi membre de Face of Poverty, une association de lutte contre la pauvreté. Je suis également ravi de souhaiter la bienvenue à Mme Dominique Gervais, responsable des services budgétaires et juridiques à Option consommateurs. Option consommateurs est une association à but non lucratif basée à Montréal. Sa mission est de défendre les droits de base des consommateurs et d'en faire la promotion. Les services financiers sont l'un des domaines clés de ce groupe.

Nous allons donc commencer par la déclaration liminaire de M. Bradfield, qui sera suivie de celle de Mme Gervais.

Michael Bradfield, professeur d'économie (à la retraite), Université Dalhousie, à titre personnel : Merci beaucoup de m'avoir invité.

Il y a longtemps que ce projet de loi se fait attendre. Il était inévitable que l'évolution des conditions économiques et financières au fil des ans rende caduc le taux d'intérêt criminel original, qui avait été fixé quand les taux d'inflation et d'intérêt atteignaient des sommets historiques. Plutôt que de définir un taux fixe, il est logique d'établir le taux d'intérêt criminel par rapport à un repère qui tient compte de la conjoncture. Le taux de financement à un jour de la Banque du Canada constitue un bon point de référence. Une formule qui établit le taux à un montant ou une marge fixe au-dessus du taux de financement à un jour est plus sensée que l'utilisation d'un multiple de ce taux.

L'importance de la marge est arbitraire. La marge proposée de 20 points de pourcentage paraît raisonnable en tant que taux d'intérêt maximum acceptable, c'est-à-dire légal, à condition qu'elle serve de plafond et non de cible. Cependant, une loi ne vaut que dans la mesure où elle est appliquée, surtout contre ceux qui exploitent les gens vulnérables. Pour cette raison, ce projet de loi doit également supprimer l'exemption accordée aux sociétés de prêts sur salaire, de sorte que les dispositions relatives au taux d'intérêt criminel s'appliquent à elles.

Le secteur des prêts sur salaire a été exempté des dispositions relatives au taux d'intérêt criminel dans la mesure où il était réglementé par la province. Quelques provinces ont entrepris de réglementer le secteur au milieu des années 2000, la Nouvelle-Écosse étant la première à avoir adopté un règlement en 2007. Elle fixait à 31 $ les frais maximums pour un prêt de 100 $, soit un taux annualisé de plus de 800 p. 100. Le maximum en Nouvelle-Écosse a été abaissé par la suite, d'abord à 25 $ puis à 22 $, dans un secteur où les prêts sont généralement consentis pour une période de deux semaines. Dans d'autres provinces, le maximum fixé n'est dans certains cas que de 17 $ par prêt de 100 $.

Tous ces taux d'intérêt provinciaux maximums sont incompatibles avec le taux criminel fédéral actuel de 60 p. 100. Le respect de ce taux équivaudrait à des frais maximums, c'est-à-dire sans intérêts composés, de 2,31 $ par 100 $. Dans le cadre du processus de réglementation, les provinces subissent d'intenses pressions de la part de l'Association des prêteurs sur salaires et de quelques-unes des plus grandes sociétés. Ces dernières soutiennent que la formule mathématique normale employée pour calculer les taux d'intérêt, soit le paiement d'intérêt divisé par le montant du prêt, rajusté en fonction de la durée du prêt, ne doit pas s'appliquer aux prêts sur salaire pour plusieurs raisons. D'abord, elles font valoir que puisque le montant des prêts est très peu élevé, habituellement de moins de 400 $, et que la durée des prêts est courte, soit habituellement deux semaines, elles doivent constamment reconstituer leur clientèle, ce qui génère des coûts administratifs. De plus, elles soutiennent que les taux de défaillance sont élevés ce qui fait aussi augmenter les coûts administratifs.

Deuxièmement, elles soutiennent que le niveau d'instruction et de revenu de leurs clients est supérieur à la moyenne, de sorte qu'ils comprennent le taux d'intérêt effectif sur les prêts et ne s'attendent pas à avoir du mal à rembourser les intérêts élevés et le principal à l'aide de leur paie suivante.

Le troisième argument est que les clients acceptent les taux d'intérêt effectifs en tant que prix acceptable de la commodité du service comparativement à celui des banques ou d'autres sources.

Finalement, le secteur estime que s'il devait demander moins cher que le taux d'intérêt criminel au sens de la loi fédérale, les sociétés de prêt sur salaire feraient faillite et leurs clients se retrouveraient en profonde difficulté, entre les griffes d'usuriers. Autrement dit, leurs clients sont désespérés. Ces arguments ont été contestés sur les plans tant de la logique que de la preuve, études universitaires, surtout, à l'appui. En toute logique, si l'argument quatre est vrai, c'est- à-dire que les clients seraient la cible d'usuriers, alors l'argument deux voulant que les clients n'aient pas de mal à rembourser les prêts — est réfuté.

Les gens empruntent parce qu'ils sont désespérés et non pas parce que c'est commode, et ils doivent donc probablement renouveler leurs emprunts ou les refinancer. Par conséquent, la clientèle est plus acquise, et les frais administratifs sont moins élevés, que ne veut le faire croire l'industrie.

Il y a d'autres raisons de rejeter l'argument du coût administratif. Les prêteurs font la promotion de la vitesse à laquelle ils peuvent consentir un prêt. C'est en partie parce qu'ils évitent le coût d'une vérification de la solvabilité des clients. Certains ne font même pas une recherche dans leur propre base de données pour vérifier si un emprunteur a des prêts impayés ou a eu du mal à rembourser des prêts antérieurs. Il en résulte un temps de traitement minime et des frais administratifs réduits, mais également un manque de diligence raisonnable. De plus, si l'argument deux est juste — que les clients comprennent les modalités du prêt et ont des revenus suffisants pour le rembourser, le taux de défaillance devrait être inférieur à celui des institutions dont la clientèle est plus représentative de la société, contredisant davantage les arguments.

L'argument des frais administratifs élevés en proportion des fonds prêche également contre la logique du fait que des sociétés comme Cash Store, l'une des plus grandes — ce n'est plus le cas; elle est maintenant en faillite — agissent comme courtiers pour des sociétés financières en traitant les réclamations et en prenant des mesures de recouvrement. Contrairement à une banque ou coopérative de crédit, elles n'ont pas un fonds commun de capitaux à recycler sans cesse. Elles retirent des fonds selon les besoins.

Les données sur lesquelles l'industrie appuie les deux premiers arguments sont fondées en grande partie sur des sondages dont la validité statistique a été vertement critiquée par des universitaires. Des études indépendantes contredisent l'argument de l'industrie selon lequel elle doit constamment reconstituer sa clientèle. Une proportion considérable de ces clients sont prisonniers de leur dette envers les prêteurs sur salaire, et empruntent à l'un pour rembourser l'autre. Le Consumer Financial Protection Bureau aux États-Unis estime que les gens qui empruntent une ou deux fois par année ne représentent que 13 p. 100 des clients et comptent pour seulement 2 p. 100 des frais perçus par les sociétés de prêt sur salaire. Les gens qui empruntent 20 fois par année ou plus forment 14 p. 100 de la clientèle, mais procurent 32 p. 100 des revenus en frais versés. Le PDG de Cash Store a reconnu que son client typique tend à emprunter de quatre à six fois sur une période de trois mois. Autrement dit, il renouvelle un prêt aux deux semaines jusqu'à six fois avant de le rembourser.

Des données récentes sur l'industrie recueillies par Service Nouvelle-Écosse indiquent que plus de la moitié des prêts en Nouvelle-Écosse sont des prêts à répétition et qu'environ 15 p. 100 des emprunteurs font neuf emprunts ou plus en une année. Ainsi, les éléments de preuve, y compris les données en provenance des bases de données des sociétés de prêt qui ont été exigés par Service Nouvelle-Écosse appuient la conclusion que les profits des prêteurs sur salaire dépendent des prêts à répétition et que leur taux d'intérêt font en sorte qu'il est difficile pour les emprunteurs à faible revenu de rembourser ces prêts. La commodité est associée à un prix élevé.

Des éléments de preuve indépendants contredisent les déclarations de ces sociétés à l'effet que sans prêt sur salaire leurs clients se tourneraient vers des usuriers. Dans une étude, Schwartz et Robinson citent le manque de preuve indiquant que les consommateurs de ces produits au Québec, dans 15 États américains ainsi que dans le district de Colombie subissent des torts puisque les taux d'intérêt sont établis si bas que tous les prêts sur salaire ont cessé. En fait, en Caroline du Nord on estime que cette interdiction a été avantageuse pour les consommateurs.

Quelles sont les solutions de rechange pour les personnes à faible revenu? La réponse dépend de leur notion de calcul de base, par exemple leur capacité de reconnaître le prix exorbitant des prêts sur salaire comparativement aux sources traditionnelles de financement comme une ligne de crédit ou d'autres sources d'emprunt plus traditionnelles.

Les coopératives de crédit et les banques élaborent des programmes de littératie financière pour leurs clients mais pour régler le problème il faudrait offrir des cours dans des écoles afin de bien éduquer les consommateurs sur l'endettement, le crédit et les répercussions des intérêts composés. Les coopératives de crédit au Canada examinent le problème immédiat de fournir des prêts peu coûteux à court terme. L'expérience a été tentée avec succès aux États- Unis. En conclusion, on peut dire que l'application d'une nouvelle définition de taux d'intérêt criminel est une solution logique qui va dans l'intérêt du public. Même si ce sont les provinces qui devraient réglementer une grande partie des aspects touchant l'industrie des prêts sur salaire, le tout devrait se faire dans le cadre de la définition fédérale d'un taux d'intérêt criminel.

Le président : Je vous remercie, monsieur Bradfield.

[Français]

Dominique Gervais, responsable, Service budgétaire et juridique, Option consommateurs : Je vous remercie de nous donner l'occasion d'exprimer les préoccupations des consommateurs face aux taux d'intérêt liés aux prêts aux consommateurs.

Option consommateurs est une association sans but lucratif qui a pour but de promouvoir et de défendre les intérêts des consommateurs. Il existe depuis 1983, et est aussi une association coopérative d'économie familiale. Cela veut dire que nous recevons des gens à nos bureaux qui ont des problèmes de dettes. Nous sommes l'équivalent d'autres organismes de crédit-conseil ailleurs au Canada. Nous voyons des gens avec toutes sortes de revenus, bas et élevés, de tout âge et de tous horizons, qui arrivent dans nos bureaux très, très endettés. Il s'agit de prêts automobiles, de cartes de crédit maximisées, de marges de crédit, de prêts personnels, et de prêts alternatifs. Nous sommes les témoins privilégiés de ce qui se passe sur le terrain et de ce qui existe comme produit sur le terrain, en tout cas au Québec.

Nous sommes à même de constater que les taux d'intérêt sont très élevés, à part les prêts hypothécaires, qui ont des taux historiquement bas à l'heure actuelle.

Tout d'abord, je tiens à préciser qu'Option consommateurs appuie et accueille très favorablement le projet de loi. Un taux d'intérêt criminel qui fluctue en fonction du taux qui est le taux de financement à un jour est une excellente idée. On sait que, en ce moment, il y a des cartes de crédit dotées d'un taux de 20, même de 25 p. 100, qui peut grimper jusqu'à 30 p. 100, et c'est aberrant. Ce n'est pas logique, comme M. Bradfield le disait, car, au cours des années 1980, lorsque cette disposition du Code criminel a été adoptée, les taux de la Banque du Canada étaient de 21 p. 100.

Des taux d'intérêt trop élevés constituent une exploitation du consommateur, et j'aimerais faire un parallèle avec le droit civil pour vous expliquer comment, au Québec, on aborde ces questions. La Loi sur la protection du consommateur stipule qu'il y a exploitation lorsqu'il y a une disproportion importante entre les prestations respectives des parties. Les tribunaux considèrent que des taux d'intérêt à partir de 38 ou de 39 p. 100 sur un contrat de crédit sont abusifs.

D'ailleurs, notre Office de la protection du consommateur et notre gouvernement ont décidé de ne pas permettre les prêts sur salaire au Québec, mais qui plus est, ils ont décidé qu'ils ne délivraient pas de permis de prêteur d'argent à des entreprises qui chargeaient un taux d'intérêt de plus de 35 p. 100. Il est important que le droit criminel s'intéresse à cette question, car, au-delà des sanctions civiles, il y a une notion criminelle d'exploitation et d'extorsion du consommateur qu'il faut examiner.

Prenons l'exemple des cartes de crédit. Depuis quelques années, on remarque, chez Option consommateurs que, de plus en plus, les consommateurs sont dirigés vers les cartes de crédit. Si on veut emprunter une petite somme ou si on a des revenus modestes, on nous dirige vers les cartes de crédit à 20 p. 100. C'est devenu la norme pour les petits prêts. Quant au taux de 20 p. 100, on ne se pose plus de question, il est devenu la norme, malgré le taux directeur de 0,75 p. 100. En cas de non-paiement, pour un consommateur qui aurait de la difficulté à effectuer ses paiements, il y a certaines institutions financières qui imposent une pénalité supplémentaire aux consommateurs et qui leur chargent 5 p. 100 de plus. Donc, on passe de 19,9 p. 100 à 24,99 p. 100, jusqu'à 27,99 p. 100. Donc, ces taux sont excessivement élevés.

À cela s'ajoutent certaines pratiques qui font encore plus mal au consommateur et qui favorisent le surendettement, par exemple, la réduction du paiement minimum sur les cartes de crédit. En ce moment, le paiement minimum est environ 2 à 3 p. 100 du solde. Permettez-moi de vous donner un exemple. Admettons que j'ai un solde de 3 000 $ sur ma carte de crédit, et que je doive faire un paiement minimum de 90 $, donc 3 p. 100 du solde; il me faudra 24 ans et 8 mois pour payer ma dette totale de 3 000 $, et je vais avoir payé 6 294 $ en intérêts seulement. J'aurai donc payé le double, ou plus du double en intérêts. Voilà ce que crée le taux d'intérêt de 20 p. 100, avec les pratiques des institutions financières qui favorisent le surendettement.

L'article 347 du Code criminel s'adresse surtout à ce type de prêteurs alternatifs, soit les prêteurs usuraires, le prêt sur salaire, et tout ce qu'on appelle le crédit alternatif. Dans nos bureaux, nous recevons de plus en plus d'appels de gens à ce sujet. Or, les pratiques se raffinent et il y a de plus en plus de prêteurs.

En ce moment, une pratique courante, ce sont les courtiers en prêts. Ils vous magasinent un prêt et vous chargent des frais de courtage. Ce ne sont pas des intérêts à proprement parler, mais ils s'ajoutent aux frais, ce qui donne des taux de crédit absolument exorbitants et astronomiques. Jusqu'à présent, il y a eu très peu de poursuites criminelles en vertu de l'article 347. Les consommateurs vulnérables ne portent pas plainte pour plusieurs raisons, soit par crainte de représailles, mais aussi parce que c'est la seule source de crédit qu'ils peuvent obtenir. Donc, ils ne veulent pas se couper de cette source.

Ainsi, pour que cette disposition fasse effet, il faudrait une plus grande surveillance des activités des prêteurs, que nous appelons des « prédateurs ». Au Québec, on a choisi de ne pas faire de prêts sur salaire, mais on a aussi prévu une alternative avec les caisses Desjardins et le mouvement des ACEF. On a mis sur pied un fonds d'entraide. On accorde de petits prêts de 200 $ à 800 $ à des gens qui n'ont pas accès à des prêts traditionnels pour les empêcher justement de consulter les prêteurs alternatifs. Ce sont des gens qui reçoivent de l'aide sociale, sans emploi, ou qui ont des revenus de chômage ou des prestations de maladie. Or, malgré le fait que la clientèle soit assez vulnérable, le taux de remboursement est de 85 p. 100, et on impose 0 p. 100 d'intérêt.

Il est donc possible pour une province d'interdire les prêts sur salaire si la communauté se mobilise pour offrir du crédit et si les banques y mettent un peu de bonne volonté.

En conclusion, Option consommateurs salue l'initiative du projet de loi S-210 et en recommande l'adoption. Nous recommandons également une surveillance accrue. Enfin, nous recommandons au comité de s'intéresser aux autres questions liées au crédit. Il reste beaucoup de travail à faire pour protéger adéquatement les consommateurs. Je vous remercie.

[Traduction]

Le président : Merci madame Gervais. Pourriez-vous apporter quelques explications. On parle de taux d'intérêt qui sont exigés et ensuite vous avez parlé de frais de courtage et de frais de service qui pourraient être ajoutés au prêt. Ce serait un pourcentage imposé au montant impayé.

Le montant exigé comme frais de courtage ou frais de service ajouté au pourcentage d'intérêt serait-il considéré comme le taux effectif ou bien ces frais sont-ils distincts des taux d'intérêt?

[Français]

Mme Gervais : Au Québec, je sais que, selon la Loi sur la protection du consommateur, ces frais font partie du taux de crédit. En vertu de l'article 347, je ne suis pas certaine si ces frais peuvent être considérés comme de l'intérêt pur et dur, selon la définition, mais je vous donnais l'exemple des prêteurs qui arrivent à contourner la règle et à ajouter toutes sortes de frais à leur prêt pour faire grimper la facture. Au Québec, on l'appelle le « taux de crédit », et il inclut tous les autres frais qui ne sont pas du capital. Cela revient à 200, 300 ou 400 p. 100 par année.

[Traduction]

Le président : Merci pour cet éclaircissement. Je vais maintenant poursuivre dans la liste des intervenants.

Le sénateur Black : Merci à nos deux témoins. Si vous me le permettez, pourriez-vous m'en dire davantage sur cette question parce que jusqu'à ce que la sénatrice Ringuette la soulève, je n'avais aucune idée de quoi il s'agissait.

Voici ce que j'aimerais bien comprendre. Pourriez-vous s'il vous plaît me dire qui est le groupe ciblé par les sociétés de prêts sur salaire qui vous préoccupe? Qui sont leurs clients?

M. Bradfield : La véritable cible et celle citée par l'industrie sont deux choses tout à fait différentes. Comme je l'ai dit, l'industrie prétend que les emprunteurs ont fait des études supérieures à la moyenne et qu'ils ont des revenus supérieurs à la moyenne. Les statistiques qui ont été recueillies indiquent que ce n'est pas le cas et si vous voulez en avoir la preuve, il vous suffit de vous rendre sur le chemin Richmond près de Lincoln Fields et du grand centre commercial qui s'y trouve. Au-delà de Lincoln Fields, sur trois pâtés de maisons, il y a quatre sociétés de prêts sur salaire sur le chemin Richmond et il faut dire que des logements sociaux se trouvent tout juste derrière. Ces sociétés visent les personnes à faible revenu.

Le sénateur Black : Ce doit être non seulement des personnes à faible revenu, mais aussi des personnes à faible revenu sans cote de crédit.

M. Bradfield : Oui, ou bien des personnes à faible revenu qui pour de multiples raisons ne font pas confiance aux banques.

Le sénateur Black : Eh bien, cela constituerait un autre problème.

M. Bradfield : On dit souvent que ces gens n'ont pas accès aux services bancaires, même si la plupart des sociétés de prêts sur salaire affirment qu'il faut avoir un compte en banque pour obtenir un prêt.

Le sénateur Black : Donc en réponse à la question, vous diriez que ce sont des Canadiens à faible revenu qui n'ont peut-être pas accès aux services bancaires.

M. Bradfield : Qui hésitent à faire affaire avec des banques.

L'idée qui sous-tend les prêts à répétition, c'est que lorsqu'un client fait partie du système et qu'il ne peut pas rembourser son prochain prêt, eh bien...

Le sénateur Black : On pourra entrer dans ces détails. D'abord j'aimerais comprendre le public cible de votre point de vue. Seriez-vous d'accord avec cela, madame Gervais?

[Français]

Mme Gervais : Oui, il y a deux catégories. Il y a les gens à faible revenu qui n'ont pas accès à du crédit traditionnel. Ainsi, même s'ils vont à la banque et demandent une carte de crédit, ils n'y auront pas accès. Il y a les gens qui font affaire et aussi les gens qui sont très endettés, qui reçoivent du crédit traditionnel et qui ont atteint la limite. Dans ces cas, les banques refusent leur demande. Peut-être qu'ils ont perdu leur emploi ou qu'ils ont atteint les limites du crédit traditionnel. Alors, ils se tournent vers le crédit alternatif. Il y a vraiment deux catégories de gens qui se tournent vers ce genre de prêteurs.

[Traduction]

Le sénateur Black : Merci. Pour ce qui est des prêts en question, les prêteurs exigent-ils une garantie?

[Français]

Mme Gervais : Non. En fait, ce qu'ils prennent, d'après ce que nous observons, c'est beaucoup d'information personnelle, l'adresse de votre mère, de votre père, de votre sœur, de votre beau-frère, et si vous ne payez pas, ce sont eux qui recevront une petite visite pas très courtoise.

[Traduction]

Le sénateur Black : Vous fondez-vous sur des spéculations?

Mme Gervais : Non.

Le sénateur Black : Selon vous, on a recours à des tactiques qui...

[Français]

Mme Gervais : Oui. Nous recevons des gens qui ont fait affaire avec ce type de prêteurs et qui nous racontent ce qui est arrivé. Nous avons vu des contrats, et même conclu des contrats avec des magasins de type « louez pour acheter », ce qui est du prêt alternatif. On vous demande une très longue liste de renseignements personnels et de références, comme le nom de votre mère, de votre père, de votre sœur, et on vous dit à mots couverts que vous devez payer, sinon ils auront une petite visite. Ce ne sont pas des rumeurs, c'est ce que nous avons constaté sur le terrain, et c'est ce que les gens disent.

[Traduction]

Le sénateur Black : Merci. Avez-vous quelque chose à rajouter à cela, monsieur Bradfield?

M. Bradfield : Pour ce qui est des prêts sur salaire, dans bon nombre des cas il faut signer un document autorisant le prêteur à percevoir les intérêts et le principal de votre prochain chèque de paie et que cela se fasse automatiquement. Ainsi, une personne à court d'argent qui doit se tourner vers un prêt sur salaire verra son prochain chèque de paie entamé.

Le sénateur Black : Ainsi, ils saisissent votre salaire.

M. Bradfield : Et les gens doivent de nouveau avoir recours à un prêt sur salaire.

Le sénateur Black : Bien des gens pourraient dire — ce n'est pas mon cas, parce que je ne suis pas prêt à faire des recommandations — que bon nombre de personnes ont perdu le contrôle de leur crédit et que ce n'est pas à la société de s'occuper de ce problème et qu'en fait il est peut-être bien d'avoir des taux d'intérêt élevés, qui sont des moyens de dissuasion. Ce n'est pas un argument que je fais valoir, je me demande tout simplement ce que vous en pensez.

[Français]

Mme Gervais : Jusqu'à un certain point, oui. Les gens sont responsables de leur propre situation et on leur fait miroiter le crédit facile. À peu près n'importe qui peut détenir une carte de crédit à 20 p. 100. On travaille, on gagne un petit salaire. Il faut tout de même gagner un salaire raisonnable, mais n'importe qui peut obtenir une carte de crédit à 20 p. 100.

On nous encourage à accepter le crédit. On vit dans une société de crédit. Il y a quelques années, une nouvelle pratique s'est développée. Par exemple, un commerçant vend une piscine creusée qui coûte 100 $ par mois avec des paiements étalés sur 20 ans. Cela n'a pas de bon sens. Les sociétés financières, les banques, les institutions financières encouragent cette pratique auprès des consommateurs.

Jusqu'à un certain point, le taux d'intérêt peut permettre un certain contrôle du marché, mais lorsqu'on atteint une certaine limite, on tombe dans l'exploitation et la vulnérabilité. Les prêteurs alternatifs profitent de cette vulnérabilité, et c'est à ce moment-là qu'on doit intervenir. Les institutions financières profitent aussi de cette vulnérabilité en émettant des cartes de crédit à 20 p. 100.

[Traduction]

M. Bradfield : J'aimerais signaler que les taux d'intérêt élevés sont un peu comme le problème de l'œuf et de la poule. Des taux d'intérêt élevés font en sorte qu'il est impossible pour les emprunteurs de rembourser. Ce n'est pas non plus forcément une question de personnes qui gèrent mal leur argent, mais plutôt de personnes qui sont si mal rémunérées qu'elles arrivent à peine à joindre les deux bouts. À ce moment-là, si leur voiture tombe en panne, qu'elles ont soudainement besoin de produits pharmaceutiques ou qu'il survient une importante dépense imprévue qui ne figure pas dans leur budget serré, cela suffit pour les désarçonner pendant des mois. Ce sont des dépenses qu'on ne peut pas normalement prévoir.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Je remercie nos deux invités de leur présence. Nous sommes tous d'accord qu'il faut trouver une solution quant aux taux d'intérêt abusifs. Cependant, lorsqu'on examine le projet de loi et les solutions proposées, c'est là que les choses se compliquent.

On parle beaucoup de prêts sur salaire, mais le but du projet de loi n'a rien à voir avec les prêts sur salaire, parce que l'exemption a été déléguée aux provinces. La sénatrice Ringuette fait référence à d'autres prêts sur salaire. J'essaie de comprendre si c'est très dominant. Est-ce qu'on parle de prêts abusifs de 40 ou de 50 p. 100? Est-ce que ce type de prêt est très présent sur le marché, à part les prêts sur salaire?

Mme Gervais : Au Québec, les prêts sur salaire existent, mais ce n'est pas une pratique légale. Notre province n'a pas légiféré, mais ces prêts existent, et ils ne se cachent pas trop. C'est comme les services d'escorte, qui sont illégaux, mais qui font paraître des annonces dans les journaux. C'est aussi une volonté politique de les arrêter.

On constate une pratique de plus en plus courante : celle de la deuxième chance ou troisième chance au crédit, comme les prêts automobiles pour les consommateurs qui ont fait faillite, qui gagnent un petit salaire, qui ont un mauvais dossier de crédit. Ceux-ci se retrouvent avec des prêts de 30, 40, 45 ou 50 p. 100 d'intérêt.

Le sénateur Massicotte : Est-ce que c'est très courant?

Mme Gervais : Oui.

Le sénateur Massicotte : Pouvez-vous répéter? Vous parlez des prêts automobiles?

Mme Gervais : Oui, les gens ont une deuxième chance, puis une troisième chance au crédit. C'est une pratique courante qui a pris beaucoup d'ampleur au cours des 10 dernières années. Auparavant, on parlait plutôt de prêteurs sur gages, tels que les « shylocks ».

Le sénateur Massicotte : Vous voulez dire que les gens se font refuser du crédit dans les institutions typiques?

Mme Gervais : Oui, c'est exact. Les consommateurs se font refuser du crédit, mais comme ils ont besoin d'une automobile pour se déplacer, ils font appel à des prêteurs sur gages qui ciblent les personnes qui ont fait faillite, qui n'ont pas de bons dossiers de crédit. Or, les taux d'intérêt sont calculés en conséquence.

Le sénateur Massicotte : D'accord.

Mme Gervais : Il est tout à fait normal de payer davantage lorsqu'on n'a pas un bon dossier de crédit, mais, jusqu'à un certain point, cela devient de l'exploitation. Les tribunaux du Québec le confirment : les taux d'intérêt peuvent atteindre jusqu'à 40 et 50 p. 100. C'est fréquent.

Le sénateur Massicotte : Est-ce que vous avez des noms, puisque vous dites que cela se fait?

Mme Gervais : Vous n'avez qu'à lire les journaux ou à écouter la radio.

Le sénateur Massicotte : Avez-vous des noms de compagnies à nous donner?

Mme Gervais : Montréal Auto Prix et HGrégoire au Québec. À peu près tous les concessionnaires automobiles ont leur propre dispositif de première, deuxième et troisième chance au crédit. C'est une pratique que l'on retrouve aussi dans les commerces de voitures usagées.

Le sénateur Massicotte : Selon vous, tout comme les prêts sur salaire, cela ne devrait pas exister. En d'autres mots, les particuliers ne devraient pas être servis de cette façon.

Mme Gervais : On devrait établir des limites pour ces particuliers. En fait, ce que je déplore, c'est lorsque l'on tombe dans l'exploitation, lorsque cela prend des proportions démesurées. Je comprends qu'un consommateur qui a eu plus de difficulté à rembourser, qui est plus à risque, doive payer des taux d'intérêt plus élevés. C'est le but des taux d'intérêt. Cependant, il faut informer les consommateurs que, lorsqu'ils empruntent au-delà d'une certaine limite, cela devient criminel. C'est de l'exploitation, de l'extorsion.

Le sénateur Massicotte : C'est peut-être là que le système est fautif. Le système de marché fonctionne très bien, mais une hypothèse importante, c'est la concurrence. Si la concurrence est forte, les taux seront proportionnels aux risques. Cependant, est-ce que la concurrence est assez forte ou est-ce que les consommateurs ne sont pas assez éduqués ou ne comprennent pas les risques liés aux taux d'intérêt?

Mme Gervais : Pour les prêts qui représentent des risques, c'est la carte de crédit qui détermine le marché. C'est 20 p. 100 pour la carte de crédit. Si on vous refuse une carte de crédit, le taux d'intérêt sera plus élevé.

Le sénateur Massicotte : Faites-vous référence aux cartes de crédit que tout le monde offre? Est-ce que vous parlez de cartes de crédit qui ont des modalités particulières? Est-ce une pratique répandue?

Mme Gervais : Je vous ai donné l'exemple d'une carte de crédit pour vous montrer comme fonctionne le marché. Le consommateur à risque n'a pas accès à une carte de crédit ni à un prêt auprès d'une institution financière. Il a accès à un prêt de première, deuxième ou troisième chance au crédit. Si on prend une gradation, le prêt personnel sera d'environ 8, 10, 12 ou 14 p. 100.

Le sénateur Massicotte : Selon vous, est-ce raisonnable?

Mme Gervais : Pour le prêt personnel, c'est raisonnable. Mais la carte de crédit à 20 p. 100, c'est exagéré. Les consommateurs à risque se retrouvent automatiquement dans la catégorie de la première, deuxième et troisième chance au crédit, devant des prêts alternatifs et des taux... Comme les taux des cartes de crédit sont à 20 p. 100, les prêteurs exigeront un taux plus élevé.

Le sénateur Massicotte : Pourquoi les consommateurs acceptent-ils des cartes de crédit à 20 p. 100 lorsqu'ils peuvent obtenir un taux de 12 p. 100?

Mme Gervais : En fait, le taux de 12 p. 100 n'est pas offert à tout le monde. Il faut être un bon client. Un consommateur qui a eu de la difficulté à payer sa carte de crédit au cours d'une année quelconque, en raison d'une maladie ou d'une perte d'emploi, perd son droit d'obtenir un taux réduit.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : J'ai quelques questions pour vous deux. Merci beaucoup pour votre témoignage aujourd'hui.

Monsieur Bradfield, j'aimerais m'attarder quelques instants sur les prêts sur salaire. Je sais qu'on a fait beaucoup de recherche là-dessus. Quel genre de rendement ces gens obtiennent-ils pour leur placement? Combien de profits nets font-ils en fin d'année? Combien d'argent empochent-ils, une fois qu'ils ont payé toutes leurs dépenses?

M. Bradfield : Cela varie beaucoup d'une société à l'autre. DeLoitte Touche a réalisé une étude pour l'industrie il y a plusieurs années. Si je me souviens bien, les taux de rendement, il y a sept ans, s'étalaient de 6 p. 100 à 17 p. 100. Il faut faire attention avec cela, car certaines compagnies ont deux sociétés, la société de financement et la société de prêts sur salaire comme interface avec les clients. La société de prêts sur salaire emprunte alors l'argent auprès de sa propre société financière pour ensuite le prêter. Si elle gagne 10 p. 100 en tant que société financière, puis 6 p. 100 en tant que société de prêts sur salaire, il s'agit ensuite de transférer des bénéfices au secteur non réglementé. On pourrait dire qu'en réalité, elle gagne 16 p. 100.

Le sénateur Tkachuk : Pour autant que l'on sache, c'est la réalité. Ensuite, elles doivent payer de l'impôt sur ce revenu. Elles versent également des impôts au gouvernement provincial. Même si elles empruntent l'argent auprès de la société financière, cette dernière l'emprunte probablement auprès d'une autre entité, une banque ou des investisseurs. Ce que j'essaie de dire, c'est qu'il n'est pas nécessairement juste de dire que quelqu'un qui emprunte 200 $ doit payer des frais de 35 $ et rembourser le prêt en deux semaines et qu'il se voit imposer des taux d'intérêt sans précédent. Quand j'achète une chemise, elle me coûte 100 $, mais le vendeur l'a sûrement payé 50 $. Il n'a pas gagné 50 $ avec la vente, car il doit payer son loyer, les services publics, les salaires, la taxe foncière municipale, et cetera. C'est pour cela que le rendement de l'investissement est beaucoup plus important que le prix de vente d'un produit au cours de cette période de deux semaines.

M. Bradfield : Il y a un certain nombre de points à considérer, ici. Le rendement d'un investissement doit être calculé en fonction du montant d'argent réel que le prêt sur salaire a investi, mais il pourrait également s'agir uniquement d'une entité intermédiaire. À mon sens, sans connaître l'historique de l'article 347, un taux criminel désigne un taux maximum qu'on impose, et non pas un taux qui indique que vous retirez un certain rendement. En tant qu'économiste, j'estime que si vous faites quelque chose qui est jugé criminel ou non éthique ou quel que soit le mot que vous utilisiez pour décrire ce taux d'intérêt et que vous essayez d'imposer ce taux d'intérêt car selon vous vous en avez besoin pour couvrir tous vos frais, en tant qu'économiste, j'estime que la société dit qu'en vertu de la loi ce n'est pas autorisé et que donc si vous n'arrivez pas à avoir un taux de rendement raisonnable en respectant la loi, vous devez alors quitter le marché.

Le sénateur Tkachuk : Vous êtes en train de dire qu'il y a des gens qui dépassent la limite actuelle de 60 p. 100 et qui enfreignent la loi.

M. Bradfield : Oui, si vous appliquez la loi fédérale aux prêteurs sur salaire sous réglementation provinciale. Tout est là. On a invoqué le fait qu'ils étaient précisément exclus du taux d'intérêt criminel fédéral s'ils étaient sous réglementation provinciale. C'est l'industrie qui a elle-même demandé cette exemption. En ce qui me concerne, ils ont demandé cette exemption car ils voulaient diviser pour mieux régner. L'industrie peut ensuite utiliser le même ensemble de données et se servir des mêmes experts dans chaque province pour dire que c'est injuste pour elle et c'est justement l'argument qu'elle a soulevé.

Le sénateur Tkachuk : Ils n'enfreignent pas la loi provinciale.

M. Bradfield : Ils enfreignent la loi fédérale, mais la loi fédérale devrait imposer des limites sur les opérations provinciales.

Le sénateur Tkachuk : Qu'est-ce qu'Option consommateurs? De quel genre d'organisation s'agit-il? Qu'est-ce que c'est exactement?

[Français]

Mme Gervais : Nous offrons des services équivalents à ces des agences de crédit-conseil ailleurs au Canada. Nous recevons des gens qui ont des problèmes d'endettement. Nous sommes financés par Centraide, donc nous sommes un organisme sans but lucratif qui aide des gens qui ont des problèmes budgétaires et financiers.

Ces gens arrivent à nos bureaux et ils sont surendettés. Ils ne savent plus que faire. Souvent, ils sont menacés de saisie ou ils sont poursuivis devant les tribunaux. Nous essayons d'examiner avec eux leur situation, de leur proposer des solutions, qu'il s'agisse d'une proposition de consommateur, d'une faillite, d'une réorganisation du budget; on fait de l'éducation budgétaire aussi. C'est notre mission ACEF. Au Québec, c'est du travail de crédit-conseil, qui a aussi une portée plus large, car nous représentons les consommateurs, et nous faisons la promotion de leurs droits en tant que consommateurs.

Au Québec, il y a la Loi sur la protection du consommateur. Nous faisons des représentations pour améliorer les lois pour mieux protéger les consommateurs.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Est-ce que tout votre financement provient de Centraide?

Mme Gervais : Non.

Le sénateur Tkachuk : D'où ce financement provient-il?

[Français]

Mme Gervais : Industrie Canada, par l'intermédiaire du Bureau de la consommation. Nous faisons des recherches en droit de la consommation. Nous recevons du financement du gouvernement pour mener des recherches ponctuelles. Dans certains cas, nous recevons aussi des dons. Donc, le public nous finance, de même que le gouvernement du Québec et l'Office de protection du consommateur. Nous recevons aussi de l'argent grâce aux recours collectifs que nous intentons. Souvent, il y a des reliquats des recours collectifs que nous intentons. Donc, voilà un peu la source de notre financement.

La sénatrice Bellemare : Plusieurs de mes questions ont déjà été posées, mais j'ai deux questions. Je vais commencer par le Dr Bradfield. Vous avez l'air d'avoir beaucoup étudié le rendement des institutions de crédits alternatifs. Le taux criminel qui est actuellement de 60 p. 100, à ce que j'ai compris, a été déterminé dans les années 1980, au moment où les taux d'intérêt étaient très élevés.

Dans l'historique des taux de rendement des institutions de prêts alternatifs, est-ce que vous avez déterminé si les taux de rendement, dans le temps, avaient augmenté à la suite de la baisse des taux d'inflation, ou s'ils étaient restés assez stables, soit autour de 16 p. 100, comme vous l'avez dit tantôt?

Est-ce qu'il y a des changements dans les taux de rendement de ces institutions dans le temps, depuis les années 1980?

[Traduction]

M. Bradfield : Je ne sais pas exactement ce qui s'est produit au fil du temps. Cette étude a été réalisée sur une période donnée. Les prêts sur salaire, en réalité, existent plus ou moins depuis le début des années 1990 et ils ont rapidement gagné en popularité. Il y a quelques années au Canada, et c'est la dernière date pour laquelle je dispose de données, on dénombrait 2 millions de Canadiens qui avaient emprunté 2 milliards de dollars auprès de l'industrie des prêts sur salaire en un an. Un grand pourcentage de ces gens empruntait plus de sept fois par année.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Madame Gervais, concernant la législation québécoise, j'aurais deux questions.

D'abord, le taux de 35 p. 100 représente le taux maximum qu'une institution qui consent des prêts sur salaire peut imposer au Québec. Est-ce que c'est le cas?

Mme Gervais : C'est le cas de tout prêteur. Pour être un prêteur d'argent au Québec, sauf dans le cas des institutions financières et des banques, il faut détenir un permis de l'Office de la protection du consommateur. Or, celui-ci, selon les lignes directrices, ne délivre pas de permis si vous chargez... Il va examiner vos contrats et vos pratiques et, si vous chargez plus de 35 p. 100, il ne délivre pas de permis. Donc, tous prêteurs confondus, peu importe le style de prêt, au Québec, c'est 35 p. 100.

La sénatrice Bellemare : Dans des institutions financières reconnues, comme les banques ou les coopératives, le taux maximum d'intérêt est de 20 p. 100 pour les cartes de crédit?

Mme Gervais : Cela peut aller jusqu'à 27,99 p. 100.

La sénatrice Bellemare : Dans des institutions traditionnelles?

Mme Gervais : Oui, sur des cartes de crédit.

La sénatrice Bellemare : Jusqu'à 27 p. 100?

Mme Gervais : Oui, il y a des cartes de crédit qui ont un taux allant jusqu'à 24,99 p. 100 et, si on manque deux paiements, le taux passera à 27,99 p. 100. C'est le taux le plus élevé qu'on a trouvé.

La sénatrice Bellemare : Donc, ces institutions seraient touchées par ce projet de loi.

Mme Gervais : Certaines, oui.

La sénatrice Bellemare : Voici mon autre question. Vous avez parlé des façons de promouvoir la consommation en disant, par exemple : « Vous payez 100 $ par mois, mais pendant quatre ans ou dix ans. » Est-ce que ce type de pratique serait régi par ce projet de loi?

Mme Gervais : Non. En fait, c'était pour vous donner un exemple du milieu dans lequel on évolue en ce moment. Sur le plan du crédit, il est un peu illusoire de penser qu'une personne peut se débrouiller sans crédit. Donc, il faut penser aussi aux gens les plus vulnérables de notre société qui n'ont pas accès au crédit traditionnel, qui vont chercher leur crédit sur les marchés alternatifs et qui ont besoin d'être protégés.

C'était un exemple pour expliquer le contexte dans lequel on évolue. Maintenant, il est possible de tout avoir à crédit. Les institutions financières et tout le monde poussent dans ce sens, et il faut protéger la tranche la plus vulnérable de la masse.

La sénatrice Bellemare : Est-ce que tous les gens qui vous consultent sont obligés de faire faillite?

Mme Gervais : Non, il y a plusieurs solutions qui existent. Certains nous consultent avant la faillite, et d'autres, lorsqu'il est trop tard.

Le sénateur Maltais : Madame Gervais, monsieur Bradfield, je voudrais d'abord vous dire que vous faites un travail exceptionnel pour les gens les plus démunis. Vous êtes presque des missionnaires des finances. Ma question fait suite à une question posée par mon collègue, le sénateur Massicotte, et concerne la vente de voitures usagées.

Ce n'est pas caché. Je l'ai remarqué, je suis allé voir, j'ai vu : il y a une première chance au crédit, une deuxième et une troisième chance. Chez certains vendeurs d'autos, on voit une première chance, une deuxième chance, une troisième chance et, en dessous, c'est indiqué : « Encore... » Je n'ai pas osé entrer pour savoir ce que « Encore... » voulait dire, car j'avais peur de ne pas sortir vivant de ce garage.

Ces garages ont la fâcheuse habitude de s'établir dans les quartiers les plus défavorisés et, à ce moment-là, ce sont les jeunes qui n'ont pas d'argent pour s'acheter une voiture chez le concessionnaire qui se font prendre. Ils vont acheter une petite « minoune » de 2 000 $, mais, en fin de compte, elle leur aura coûté le prix d'une Maxima.

Dans une autre vie, j'ai été député à l'Assemblée nationale pendant de nombreuses années. Il y a aussi les vendeurs de meubles qui adoptent la pratique « Achetez maintenant et payez plus tard ». Lorsqu'il s'agit de payer plus tard, le gars est arrivé à la retraite, il a acheté ses meubles à 21 ans, il les a payés toute sa vie et les meubles ne lui appartiennent pas encore. Ce sont les vendeurs ou les fabricants — je ne sais pas lesquels — qui vendent le crédit à deux, trois et quatre entreprises qui sont ni plus ni moins des usuriers.

Mme Gervais : En fait, ce sont les institutions financières qui sont à la base des financements de meubles. Au Québec, c'est surtout Desjardins avec Financement Accord D, mais certaines banques en font aussi.

Il y a eu un recours collectif au Québec contre Brault & Martineau, un fabricant de meubles, et dans le cadre de ce recours collectif, on a appris que 70 p. 100 des clients de Brault & Martineau choisissaient un financement pour acheter leurs meubles et que 70 p. 100 de ces gens finissaient par payer des intérêts, parce qu'ils ne payaient pas à temps leurs meubles. Donc, c'est un gros marché, et ce sont des taux de carte de crédit de 19, 20 et 21 p. 100 à payer lorsqu'on ne paie pas les meubles à temps. Ces chiffres datent de 2007, donc la situation a probablement évolué. C'est un très gros marché.

Le sénateur Maltais : Les gens nous disaient que la pratique, c'était que si un mois...

[Traduction]

Le président : Sénateur Maltais, je vais devoir vous demander une dernière question pour conclure, sinon nous risquons de manquer de temps.

[Français]

Le sénateur Maltais : Si, pendant un mois, tu n'avais pas assez d'argent pour effectuer ton paiement, ils te le reculaient à la fin, mais ils te chargeaient l'intérêt de la journée. S'ils le reculaient à 60 mois plus tard, ton petit 80 $ devenait finalement 350 $.

Mme Gervais : Oui, effectivement, si on suit les règles.

Le sénateur Maltais : Il faut absolument corriger cette façon de faire. C'est de l'exploitation, et c'est presque de l'esclavagisme.

[Traduction]

La sénatrice Ringuette : J'imagine que je vais devoir répéter cela une autre fois à mes collègues. Le privilège législatif accordé aux provinces en matière de prêt sur salaire concerne précisément un produit financier. Il doit s'agir d'un prêt maximum de 1 500 $ sur une période maximum de 62 jours. Quels que soient les autres produits financiers fournis par le prêt sur salaire, ils sont couverts par l'article 347. Nous avons donné aux provinces la possibilité de réglementer ce produit précis. Pour ce qui est des autres produits, leur ligne de crédit qu'ils offrent maintenant, entre autres, ils ne relèvent pas de la compétence des provinces concernant les prêts sur salaire.

Je tiens à vous remercier d'être parmi nous et, à en juger par vos réponses, je vous remercie d'avoir partagé vos connaissances sur le sujet.

Monsieur Bradfield, vous nous avez indiqué que Deloitte avait rapporté que les entreprises de prêt sur salaire ou leurs institutions financières d'attache gagnaient, en moyenne, entre 6 p. 100 et 17 p. 100 de profit. Ai-je bien compris?

M. Bradfield : C'est ce dont je me souviens, mais vous me demandez là d'aller chercher un chiffre précis dans ma mémoire alors que cela remonte à il y a quatre ans. Aux États-Unis, il y a une situation parallèle qui est pertinente par rapport à la question sur le taux de rendement : aux États-Unis, on s'est aperçu que certaines des banques avaient créé des organisations financières séparées pour financer les prêteurs sur salaire. Ainsi, si les grandes banques arrivent à gagner plus d'argent que leur taux de rendement courant en se lançant dans l'industrie du prêt sur salaire, je dirais que nous n'avons pas à nous soucier du taux de rendement.

La sénatrice Ringuette : Nous savons, par exemple, que dans le marché canadien, l'exploitant d'une épicerie enregistre une marge de profit de 4 p. 100. Si en parallèle, vous estimez qu'un prêteur sur salaire gagne de 6 p. 100 à 17 p. 100, on peut dire que sa situation est relativement bonne.

[Français]

Pour ce qui est des prêts automobiles et des prêts-meubles, puisque maintenant il y a tout le réseau Easy Own qui existe, quant à la loi au Québec, est-ce qu'il y a eu des interventions du gouvernement québécois pour vérifier si, effectivement, le taux de 35 p. 100 était conforme selon la réglementation des prêts?

Mme Gervais : L'Office de la protection du consommateur a fait des enquêtes, et a retiré des permis à certains prêteurs. Le problème que nous avons avec les Easy Own, c'est que ce ne sont pas nécessairement des prêteurs. C'est de la location avec option d'achat. Donc, il devient un peu plus difficile de les coincer avec la réglementation qui est en place en ce moment. Il y avait un projet de loi il y a deux ou trois ans, mais il est tombé à l'eau en raison des élections.

La sénatrice Ringuette : C'était pour couvrir toute cette nouvelle gamme de produits.

Mme Gervais : Exactement, et qui n'existait pas en 1978 lorsque la loi a été adoptée. Au Québec, on avait fait tout un travail pour voir quelles étaient les nouvelles formes de crédit pour pouvoir mieux les encadrer. Comme je vous le disais, il y avait une disposition selon laquelle un courtier en prêts n'avait pas le droit d'imposer des frais au consommateur pour lui trouver un prêt. C'était les institutions qui accordaient le prêt qui devaient payer le courtier. Malheureusement, la loi n'est pas encore adoptée.

[Traduction]

La sénatrice Ringuette : Monsieur Bradfield, l'argument avancé par l'industrie des prêts sur salaire ne tient pas debout, selon vous. Vous avez également dit qu'il y avait le problème des prêts répétitifs. Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce sujet? J'imagine que cela a trait à l'industrie des prêts sur salaire et à leur limite de 62 jours.

M. Bradfield : Le problème, avec ces prêts répétitifs, c'est évidemment que ces personnes ont tellement de difficultés financières qu'elles n'arrivent pas à rembourser leur prêt immédiatement, à se remettre sur pied et à vivre en fonction de leur budget. Ces emprunteurs à répétition sont très vulnérables, de façon générale, même s'il se peut qu'il y ait des escrocs parmi eux, mais j'en doute. Il s'agit en fait d'un segment vulnérable de la société. L'autre partie de l'équation concerne l'industrie qui prétend qu'étant donné qu'il n'y a pas de prêts à répétition, elle doit continuer à attirer de nouveaux clients, ce qui est coûteux et qui fait augmenter ses frais administratifs.

Les données indiquent — et je vous en ai cité quelques-unes — que non seulement un grand pourcentage de clients empruntent, au minimum, de 8 à 20 fois par an, voire plus, mais également qu'une partie disproportionnée de leurs frais provient de ce groupe de clients. L'industrie prétend ne pas avoir beaucoup de clients habitués ou à répétition, et pourtant les statistiques indiquent qu'elle dépend grandement du fait d'obtenir, d'attirer et de garder des gens pour former une clientèle de base.

Je suis membre de Face of Poverty, un groupe confessionnel qui lutte contre la pauvreté. Ce qui importe, pour nous, c'est qu'ils s'en prennent aux personnes les plus vulnérables pour faire des profits, ce qui en fait une question d'éthique ou de morale, en plus d'une question financière. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

La sénatrice Ringuette : Oui.

Le sénateur Greene : J'aimerais que vous nous donniez une idée de l'ampleur de cette industrie. Combien y a-t-il d'entreprises?

M. Bradfield : Le nombre total d'entreprises est assez élevé. Certaines, par exemple Cash Store, ont plus d'un point de vente avec un nom différent. Leur stratégie de marketing est telle que lorsque quelqu'un d'autre arrive et aperçoit un point de vente de prêt sur salaire, elles vont placer chacune un point de vente des deux côtés, en se disant que peu importe d'où les gens viennent, ils entreront d'abord dans leur point de vente.

Ce que je peux vous dire, d'après les études, c'est qu'en Nouvelle-Écosse et à l'échelle nationale, trois entreprises contrôlent 80 p. 100 du marché. Le fait que vous ayez beaucoup de petites entreprises n'est pas important si trois entités contrôlent 80 p. 100 du marché. En économie, on estime que le marché est contrôlé par ces trois entreprises, qui ont recours à divers moyens pour forcer les autres à s'aligner. Cela ressemble à un marché concurrentiel car il y a peut- être 50 entreprises; mais si trois entreprises contrôlent 80 p. 100 du marché, elles contrôlent tout le marché.

Le sénateur Greene : Est-ce que ces 80 p. 100 concernent la Nouvelle-Écosse?

M. Bradfield : Il s'agit du chiffre national. J'essaie de me souvenir à combien cela s'élevait en 2010, au moment où j'ai fait beaucoup de recherche là-dessus. Si je me souviens bien, à ce moment-là deux entreprises contrôlaient environ 60 p. 100 du marché. On ne peut toujours pas considérer cela comme un marché concurrentiel.

Le sénateur Greene : Quelle est l'ampleur de ce marché, en termes d'argent?

M. Bradfield : À l'échelle nationale, sa valeur s'élevait à 2 milliards de dollars, avec 2 millions de clients. En Nouvelle-Écosse, sur une période d'un an allant du 1er juillet 2013 au 30 juin 2014, 200 000 prêts sur salaire ont été accordés, pour une valeur de 89 millions de dollars. Les données de la Nouvelle-Écosse ne sont pas ventilées comme celles de l'autre étude que je vous ai citée, mais elles indiquent qu'un grand nombre de ces clients avaient contracté plusieurs emprunts. Il s'agit d'une situation semblable. À mon sens, les données américaines brossent un tableau beaucoup plus extrême que les données canadiennes, mais les Américains connaissent le phénomène des prêts sur salaire depuis plus longtemps. Il s'agit donc d'un phénomène plus profondément enraciné ou ancré dans le marché.

Le sénateur Greene : Ces entreprises ont-elles des propriétaires à l'extérieur de l'industrie?

M. Bradfield : Je n'en ai pas la moindre idée.

Le sénateur Wallace : Monsieur Bradfield, dans votre témoignage, vous avez déclaré qu'il serait raisonnable de lier le taux de prêt commercial non professionnel, ou au moins ce taux criminel maximum, au taux de financement à un jour de la Banque du Canada. Vous avez également déclaré que la marge proposée de 20 points de pourcentage au-desssus du taux bancaire vous semblait acceptable. On nous demande, si nous approuvons ce projet de loi, de faire de ce niveau le taux criminel. Bien évidemment, il s'agit d'une question très importante. Savez-vous s'il y a des études indiquant que le taux de la Banque du Canada plus 20 points serait un niveau approprié? Devrait-il s'agir de plus 15 ou 25 ou 35? Pourquoi 20? Avez-vous des études à nous citer.

M. Bradfield : Les ouvrages académiques que je consulte habituellement n'ont pas examiné cette question. Généralement, les études se concentrent sur la situation existante, tandis que ce projet de loi propose de créer un nouvel environnement. Je n'arrive pas à penser à quelque étude que ce soit qui ait examiné cette question.

Le sénateur Wallace : Il est certain que par rapport à 60 p. 100, cela semble beaucoup plus raisonnable; mais pourquoi 20?

M. Bradfield : Si vous me permettez d'exprimer mon opinion personnelle, puisque vous avez entendu la discussion au sujet des cartes de crédit, il me semble qu'un taux de 20 p. 100 ne va pas entraîner une montée de boucliers de la part de l'industrie des cartes de crédit; cela permet donc de réduire la pression politique.

Le sénateur Wallace : Mais ce serait moins que 2 p. 100 d'intérêts cumulés mensuellement, ce qui équivaut à 26,89 p. 100.

Ce projet de loi prévoit également d'établir un taux criminel pour les prêts à des fins commerciales ou professionnelles, lequel ne pourrait pas dépasser 60 p. 100. L'un de vous deux a-t-il des commentaires là-dessus? Je suis en train de me dire qu'il existe un grand nombre de Canadiens vulnérables qui sont de petits entrepreneurs, notamment un propriétaire de petit atelier de réparation automobile dans la cour arrière ou un petit plombier et électricien, qui ont besoin d'une ligne de crédit pour leur entreprise. Ne craignez-vous pas que, si ce taux de 60 p. 100 était appliqué à ces entreprises, ce soit raisonnable et que cela pourrait avoir une incidence sur ceux qui sont vulnérables?

[Français]

Mme Gervais : Je me suis surtout intéressée à la question du point de vue du consommateur. Il est vrai qu'il y a de petits entrepreneurs qui pourraient être touchés, mais je ne peux pas me prononcer à ce sujet. Je n'ai pas examiné la question de ce point de vue.

[Traduction]

Le sénateur Campbell : Ne peut-on pas dire que la personne qui contracte ce prêt a aussi une part de responsabilité? Je sais bien que ces personnes s'attirent des problèmes et qu'elles sont marginalisées en raison de leur situation économique. Comment peut-on les empêcher d'avoir recours à ces services? Comment peut-on les informer ou les éduquer? Comment peut-on les aider à comprendre la finance? Comment aborde-t-on tout ça? Si ces personnes étaient instruites ou informées, nous ne serions pas ici en train de débattre de ce projet de loi.

Même si j'ai énormément de sympathie pour ces personnes, j'estime que la responsabilité est partagée entre, d'un côté, la personne qui contracte le prêt et nous qui essayons de l'aider à se sortir de cette situation. Y a-t-il quelque chose qu'on puisse faire? Parfois, je vois des annonces, à la télévision, à 3 heures du matin, qui disent : « Appelez-nous et nous vous débarrasserons de vos dettes ». Mais ne les appelez pas, ça ne fonctionne pas, d'accord? Sinon à part ça, de quels moyens disposons-nous pour rejoindre ces personnes qui finalement sont forcées d'utiliser ce système pour une raison ou une autre?

[Français]

Mme Gervais : Il y certainement moyen de faire de l'éducation. C'est ce qu'Option consommateurs fait en offrant des ateliers sur le budget, le crédit et l'endettement dans les groupes communautaires de quartier. Nous rencontrons des gens qui sont à la recherche d'un emploi, qui reçoivent de l'aide sociale ou qui sont au chômage. Donc, nous les éduquons et leur donnons des conseils.

[Traduction]

Le sénateur Campbell : Quel est votre taux de réussite? Je sais que c'est impossible à savoir, mais quelles sont vos estimations? À votre avis, une fois que quelqu'un a compris tout cela et voit comment il peut éviter tout cela, les choses changent-elles ou bien continuent-elles?

[Français]

Mme Gervais : Nous souhaitons que nos actions portent leurs fruits. Je ne peux pas mesurer la portée des actions dans ce sens, mais Option consommateurs offre le programme de petits prêts avec Desjardins, et ce, dans l'ensemble du Québec. Il faut aussi comprendre qu'aujourd'hui, on ne peut pas vivre sans crédit et que les gens vulnérables ont tout de même besoin de crédit.

Des initiatives comme celle d'Option consommateurs qui offre de petits prêts sans intérêt, entre 200 $ et 800 $ pour des besoins importants — on ne prête pas pour des bagatelles; on prête pour l'achat d'un réfrigérateur ou pour des lunettes —, permettent à ces gens de continuer à vivre, de se payer un réfrigérateur, sans tomber dans les griffes de ces prêteurs.

Comment arrêter ces prêteurs? Non seulement nous avons la responsabilité d'éduquer les gens, mais nous avons aussi celle d'empêcher ces prêteurs d'exploiter la vulnérabilité. Or, c'est là que le projet de loi intervient.

[Traduction]

Le sénateur Campbell : J'apprécie grandement ce que fait votre groupe.

Le président : Il y a trois sénateurs qui voudraient poser des questions pendant le deuxième tour. Je leur demanderais de poser leurs questions aux fins du compte rendu. Si vous pouvez y répondre rapidement, faites-le, sinon je vous demanderais de nous envoyer une réponse par écrit.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Je vais résumer mon souci. Évidemment, il y a des consommateurs qui ne sont pas bien informés, et il y a toujours des gens dans la société qui sont là pour profiter de ce manque de connaissances.

Je comprends qu'Option consommateurs accorde des prêts, et vous faites référence à Desjardins. Mais c'est plutôt un programme social subventionné par quelqu'un, et je ne suis pas convaincu que c'est une solution structurelle à long terme.

[Traduction]

Le problème que je vois à toutes ces suggestions, c'est qu'il y a des prêts, mais cela prend un certain temps, une certaine paperasserie. Si vous faites un prêt sur salaire de 100 $ et qu'il est remboursé deux ou quatre semaines plus tard, cela va coûter au moins...

Le président : Je vous demanderais de bien vouloir poser la question.

Le sénateur Massicotte : Comment pouvez-vous couvrir les coûts fixes d'une telle transaction? Comment pouvez- vous vous assurer que ce sera juste envers l'emprunteur alors qu'il y a un coût fixe pour cette transaction?

M. Bradfield : Les entreprises qui accordent des prêts sur salaire établissent souvent un certain nombre de frais fixes qui sont distincts du taux d'intérêt affiché. En Nouvelle-Écosse, par exemple, même si elles affichaient que le deuxième taux de 25 $ pour 100 $ serait le maximum, certains prêteurs sur salaire ont quand même trouvé le moyen d'y ajouter des frais fixes.

Le sénateur Massicotte : Ça, c'est les frais fixes, mais que prévoit votre loi?

M. Bradfield : On fait ce que la loi de la Nouvelle-Écosse est censée prévoir, on dit : « le taux d'intérêt maximum plus tout autre frais ».

Le sénateur Tkachuk : Madame Gervais, j'aimerais poursuivre dans la même veine. Vous êtes financés par la province, le gouvernement fédéral, des organismes de charité, des dons, et vous avez peut-être d'autres sources de fonds, je ne sais pas, mais lorsque vous accordez un prêt de 200 à 800 $, qu'est-ce que cela vous coûte?

[Français]

Mme Gervais : Nous sommes financés pour offrir ce genre de prêt par l'entremise d'une institution financière au Québec qui s'appelle Desjardins, et Centraide nous donne un petit montant. Donc, nous recevons globalement environ 60 000 $ par année pour payer une ressource qui s'occupe de ces prêts.

Le capital nous est prêté par Desjardins. Nous n'avons pas eu à investir de l'argent, car c'est Desjardins qui nous a donné l'argent pour gérer le programme. C'est vraiment de la philanthropie de la part d'une institution financière. Desjardins n'offre plus de petits prêts aux consommateurs et n'a pas l'expertise pour faire notre travail. Donc, elle nous a sous-contracté les petits prêts.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Vous recevez de Desjardins un prêt renouvelable, libre d'intérêt.

Mme Gervais : Oui.

Le sénateur Tkachuk : Est-ce que vous comptabilisez ces 60 000 $ dans vos frais généraux ou est-ce qu'il sert simplement à rémunérer vos employés pour qu'ils administrent ces prêts? Quel est le coût par prêt?

[Français]

Mme Gervais : Je ne pourrais pas vous le dire, parce que nous ne le calculons pas de cette façon.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Il faut que vous le calculiez de cette façon. Ce que je dis, c'est qu'un prêt n'est pas gratuit. C'est ce que j'essaie de dire.

La sénatrice Ringuette : À propos, le gouvernement du Royaume-Uni fait exactement la même chose dans toutes ses collectivités que ce que Desjardins fait au Québec.

Mes récentes recherches indiquent qu'il y a de plus en plus de prêteurs en ligne dont les taux d'intérêt sont extrêmement élevés. Qu'est-ce que vos clients, vos études révèlent au sujet de ces entreprises en ligne?

[Français]

Mme Gervais : Les compagnies qui font des prêts en ligne, généralement, ont des taux qui se rapprochent des taux des prêteurs sur salaire. Au Québec, ce sont des prêteurs sur salaire qui se déguisent un peu, parce qu'ils n'ont pas le droit de s'afficher comme tels. Souvent, c'est ce que nous observons au Québec, mais je ne peux pas parler d'ailleurs au Canada.

Notre clientèle ne fait pas affaire avec les compagnies de prêts en ligne, mais plutôt avec des entreprises qui ont pignon sur rue ou qui s'affichent dans les petites annonces au téléphone et dans un petit bureau un peu lugubre. Ce que nous observons, c'est plutôt le prêt alternatif ou le prêt à taux d'intérêt élevé.

[Traduction]

Le président : Madame Gervais, monsieur Bradfield, je crois pouvoir dire au nom de tous les membres du comité que vous avez été d'excellents témoins. Nous vous remercions beaucoup d'avoir comparu devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.

Pour la deuxième heure de notre réunion, nous aurons deux autres témoins pour discuter du projet de loi S-210. Je suis heureux de souhaiter la bienvenue à M. Ian Lee, de la Sprott School of Business de l'Université Carleton. M. Lee enseigne la gestion stratégique et il a travaillé auparavant dans le secteur des services financiers à titre de gestionnaire de prêts à la consommation, hypothécaires et commerciaux pour une multinationale américaine et ensuite pour la Banque de Montréal.

Je suis également ravi d'accueillir, représentant la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada, Mme Jennifer Babe, associée, Miller Thompson s.e.n.c.r.l. Sa pratique, basée à Toronto, met l'accent sur le droit commercial, et se concentre sur les transactions sécurisées, la réalisation de ventes et de location de produits importants et l'achat d'actifs commerciaux et d'actions.

Nous allons maintenant commencer par la déclaration d'ouverture de M. Lee.

Ian Lee, professeur adjoint, Sprott School of Business, Université Carleton, à titre personnel : J'aimerais remercier l'auguste Comité sénatorial des banques de m'avoir invité à comparaître pour parler du projet de loi S-210. Premièrement, je vais vous présenter ma situation. Je n'agis pas à titre de consultant auprès de personne ou qui que ce soit, où que ce soit — pas d'entreprises, de syndicats, d'ONG, de gouvernements, ou de personnes. Je lis mes notes, car je préfère le numérique au papier. Deuxièmement, je n'ai aucun investissement financier dans quelque société ou véhicule d'investissement que ce soit, sauf mes parts du Fonds de retraite de l'Université Carleton, alors je me présente devant vous sans aucun conflit d'intérêts.

Troisièmement, j'ai publié des lettres d'opinion avec Philip Cross, le chef à la retraite de la Division des statistiques économiques de Statistique Canada, et aussi avec le chancelier et professeur Vijay Jog sur l'épargne, les actifs, les dettes et la valeur nette des Canadiens dans le Globe and Mail et le Financial Post.

Quatrièmement, j'ai travaillé dans les services financiers à Ottawa dans les années 1970 et au début des années 1980. J'ai été gestionnaire de succursale pendant quatre ans et demi pour Services financiers AVCO, comme on les appelait à l'époque, et puis je suis passé à la Banque de Montréal.

Le président : Pourrais-je vous demander de ralentir un peu? Les interprètes ont un peu de difficultés.

M. Lee : Je vais ralentir.

Puis je suis passé à la BMO Banque de Montréal en tant que gestionnaire des prêts aux consommateurs, puis gestionnaire des hypothèques dans la quatrième plus grande succursale au Canada. En fait, elle est à 100 mètres d'ici, au 144, rue Wellington. Je crois que le Parlement en a pris possession pour le Comité des finances de la Chambre des communes.

Je veux simplement souligner que j'ai prêté des millions et des millions de dollars au cours de ces neuf années. Je ne faisais rien d'autre. Je ne m'occupais pas des devises étrangères ou des dépôts. Tout ce que j'ai fait c'est prêter de l'argent — des prêts, des prêts personnels, des hypothèques, et cetera.

Dans les années 1970, j'ai consenti de nombreux prêts — des milliers — en vertu de la Loi sur les petits prêts. À cause de l'inflation dans les années 1970, c'était une période d'inflation élevée — la loi a perdu en importance et plus de prêts étaient consentis au-dessus du seuil de 1 500 $. Il y avait en fait beaucoup de pression de la part des prêteurs à convaincre les clients à prendre des prêts de plus de 1 500 $ car les taux étaient plus élevés. C'était parfaitement légal. On appelait cela la vente incitative et la vente croisée.

Cette loi a été remplacée en 1981, et je dirais que c'était de façon très naïve par une modification au Code criminel, qui criminalisait une partie des prêts, même s'il y a eu très peu de poursuites depuis.

Je veux vous présenter un portrait de la situation générale, parce que je pense que cela a manqué à la discussion. Voici des données empiriques des comptes du bilan national de Statistique Canada, publiées chaque trimestre. C'est pour l'ensemble des Canadiens, les citoyens, cela exclut les sociétés et les gouvernements. Nous avons tous entendu dire que nous devons 1,7 billion de dollars, un chiffre ahurissant, et les gens s'énervent à cause de cela mais presque tout le monde oublie de mentionner que nous avons 9,5 billions de dollars en actifs bruts ou 8 billions en valeur nette, soit environ 250 000 $ par personne. Ce n'est pas le cas bien sûr pour les jeunes et les plus âgés en ont plus. C'est donc une moyenne.

Voilà quelques autres chiffres décrivant la situation en général : 70 p. 100 de toute la dette des ménages au Canada représentent un prêt hypothécaire résidentiel. Il s'agit d'environ 1,2 billion d'une dette totale de 1,7 billion qui est garanti par un bien-fonds. Vingt pour cent des 1,7 billion représente des marges de crédit personnelles et seulement 5 p. 100 des dettes attribuables aux cartes de crédit. Soixante pour cent des Canadiens payent tous les mois la totalité du solde sur leurs cartes de crédit.

En terminant, je voudrais aborder la question de la hiérarchie du crédit et ensuite je répondrai à vos questions. Je ne sais pas si d'autres témoins l'ont dit ici en comité et j'espère que oui, sinon je le ferai. Il y a une hiérarchie du crédit. Les prêts hypothécaires constituent la forme de crédit la moins coûteuse au Canada et aux États-Unis, car le nombre de défauts de paiement est le plus faible. En ce moment, les défauts de paiement représentent un tiers de 1 p. 100. C'est extraordinairement bas. Par conséquent, les pertes sont bien plus faibles quand il s'agit du crédit immobilier.

Deuxième dans la hiérarchie, les prêts personnels et les prêts à la consommation coûtent plus cher que les prêts hypothécaires et on constate là un taux plus élevé de défaut de paiement, suivant la banque ou la région. Ce taux varie entre 2 p. 100 et 5 p. 100, ce qui signifie un coût plus élevé.

Troisièmement dans la hiérarchie, les cartes de crédit — Visa et MasterCard essentiellement — coûtent beaucoup plus cher en intérêts, environ 18 p. 100. Certaines portent un intérêt de 20 à 30 p. 100, d'autres un intérêt de 10 p. 100 et c'est pourquoi j'ai parlé d'environ 18 p. 100 comme point de référence.

Quatrièmement dans cette hiérarchie, il y a le crédit accordé par les grands magasins. La plupart des gens portent principalement attention aux cartes de crédit, mais ils ne se rendent pas compte que Home Depot, Canadian Tire, Sears et tous les magasins de vêtements perçoivent 28 p. 100. C'est bien plus que Visa et le risque dans ces cas-là est bien plus élevé avec plus de défauts de paiement que pour les prêts personnels et un coût plus élevé en cas de défaut.

Au cinquième rang viennent les prêts sur salaires et là le risque est encore plus élevé.

Je résume rapidement. Le crédit, le risque, les taux d'intérêt et les dettes impayées, tout cela est relié. Les données sont très claires si les prêteurs sont prêts à les partager, quoique les prêteurs ont tendance à les garder jalousement. Quand j'étais dans le milieu bancaire, j'avais ces données et c'était le cas. Il n'y a pas de théorie, il n'y a pas d'idéologie. J'ai été gestionnaire de prêts hypothécaires pendant près de quatre ans. Je n'ai jamais eu à assumer de pertes pour les prêts hypothécaires alors que c'était le cas pour les prêts personnels à hauteur de plusieurs centaines de milliers de dollars par année. Les prêts hypothécaires ne comportent à peu près pas de risque parce que le bien immobilier est la garantie. Quand il y a défaut de paiement, le prêteur saisit la maison. C'est très clair.

Je pense que je vais manquer de temps si bien que je vais me hâter.

Permettez-moi de parler maintenant de mes inquiétudes à propos de ces dispositions législatives. Tout d'abord, je ne pense pas qu'il y ait des crises au Canada comme en témoignent les chiffres que je viens de citer. Je ne pense pas qu'il y ait de crises ou d'abus sur le plan des prêts. Je vois un inconvénient en ce que la loi comporte des frais et certains avocats futés s'en servent. On a constaté qu'il y avait eu un recours collectif contre les banques. On les accusait d'enfreindre la loi au pénal en raison de la façon dont elles calculaient les frais sur les paiements en souffrance. Cela pourrait, et je pense que ce sera le cas, être utilisé comme prétexte par ceux qui ont une dent contre les banques. Je vous ai déjà dit que je n'avais aucun investissement dans les banques, mais j'y ai travaillé et je sais comment le système fonctionne tout comme 300 000 Canadiens qui travaillent eux aussi dans les banques à charte et 1,1 million de Canadiens qui travaillent dans le secteur des services financiers. Ce sont là des données de Statistique Canada.

Je crois qu'il y a consensus au Canada pour que nous protégions les emprunteurs contre des pratiques abusives. Toutefois, je ne pense pas que le Code criminel soit l'outil approprié pour réglementer le commerce ou réglementer le crédit et l'emprunt. En effet, on ne voit pas clairement si ce projet de loi vise les cartes de crédit ou les découverts bancaires, qui sont réglementés par le gouvernement fédéral ou s'il vise les prêts sur salaire, qui sont réglementés par les gouvernements provinciaux.

Toutefois, et je le dis à mes étudiants tous les ans, le secteur des services financiers et plus particulièrement les banques à charte, représente le secteur le plus lourdement réglementé au Canada. J'affirme cela fort de 40 années au cours desquelles j'ai œuvré comme professeur et dans le secteur financier.

Il y a une notion implicite qui est fondamentalement fausse à bien des égards, à savoir que la réglementation par le gouvernement fédéral des institutions financières est inadéquate. J'aurais presque du mal à vous expliquer pourquoi. Le projet de loi S-210 vise à criminaliser davantage les prêts.

Il n'y a pas de crise. En effet, Statistique Canada, qui recueille des données sur presque tout ce qui concerne notre pays, et je consacre le plus clair de mon temps, sept jours par semaine, à étudier les données de Statistique Canada, n'a pas cerné ce cinquième niveau, ce qui porte à croire qu'il est minime et sans importance.

En conclusion, le Code criminel qui servirait à réglementer le taux d'intérêt et les prêts est un outil inapproprié et nous ferions fausse route d'avoir recours à la police et aux tribunaux pour réglementer ce qui est en fait le faux diagnostic d'un éventuel problème.

Merci.

Jennifer Babe, associée, Miller Thomson s.e.n.c.r.l., Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada : Merci de permettre encore une fois à la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada de participer de nouveau aux discussions sur la question de l'article 347.

La Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada existe depuis plus de 100 ans. C'est l'Association du Barreau canadien qui en est l'instigatrice et depuis très longtemps, il s'agit d'un lieu de rencontre des juristes des 10 provinces, des trois territoires et du gouvernement fédéral et elle comporte deux sections : l'une, sur le droit pénal et l'autre sur le droit civil, c'est-à-dire tout ce qui n'est pas pénal.

Pendant environ 10 ans, la conférence a mené un projet majeur sur le droit commercial au Canada. Les questions concernant l'article 347 ne découlent pas du droit pénal. Elles relèvent du droit civil quant à l'incidence de cet article pour ce qui est du droit des affaires au Canada.

L'article 346 du Code criminel porte sur l'extorsion. L'article 347 porte sur ceux qui exigent ou reçoivent des intérêts à un taux criminel. Si on se reporte aux décisions rendues à la suite de poursuites pénales depuis le début des années 1950, on n'en trouve que trois ou quatre. La poursuite n'invoque pas l'article 347 pour s'attaquer aux usuriers. Est-ce l'article 346 pour extorsion? Probablement. Je n'ai pas vérifié les statistiques là-dessus.

L'article 347 du Code criminel permet d'engager une poursuite civile quand des contractants déclarent que certaines clauses de leurs contrats sont illicites et par conséquent ne peuvent pas être appliquées. Vous trouverez dans les documents que nous avons fait distribuer et qui remontent à la dernière comparution de la CHLC à l'occasion de l'étude par votre comité du projet de loi S-19 des citations de trois arrêts de la Cour suprême du Canada concernant l'article 347. Dans chaque cas, il s'agit du droit des obligations contractuelles. Il y en a un qui est révélateur. Il s'agit d'un recours collectif au cours duquel Consumers Gas n'a pas eu gain de cause. L'organisme de réglementation souhaitait que les abonnés paient leurs factures de gaz à la date d'échéance. Ainsi, l'abonné paierait un montant donné. Toutefois, un jour de retard déclencherait une amende de 5 p. 100 du montant de la facture.

Dans le droit contractuel, l'article 347 pose problème, car le Code criminel prévoit que n'est pas demandé le taux d'intérêt annuel mais le taux d'intérêt réel, qui doit être calculé par un actuaire. Dans l'affaire Consumers Gas, si par exemple la facture de gaz s'élevait à 50 $ et qu'on payait avec un jour de retard, le montant réel de la réduction de 5 p. 100 par année serait d'environ 3 à 4 $. Selon la méthode actuarielle, le taux d'intérêt criminel dépasserait les 2 000 p. 100 par année. Plus la période de temps est courte, plus le taux réel est élevé, c'est pourquoi les prêts sur salaire, ne serait-ce que pour exister, doivent faire l'objet d'une réglementation distincte du Code criminel.

La Cour suprême a entendu d'autres causes faisant intervenir des parties commerciales représentées par des avocats, mais étant donné diverses circonstances liées à ces parties, il y a eu non-remboursement et un délai de paiement court entre l'avance de fonds, le non-remboursement et le calcul des intérêts.

La Cour suprême du Canada ne se penche que très rarement sur le droit commercial, n'ayant entendu que trois causes en huit ans sur l'article 347. C'est pourquoi la CHLC et l'Association du Barreau canadien se sont tournées vers vous au cours des dernières années — notre dépliant en fait état — parce que pour les parties commerciales l'article 347 est un véritable calvaire. Certains de mes clients mènent des activités légitimes, soit des transactions indépendantes. Le projet de loi S-210 accordera plus d'un million de dollars en laissant entendre : « Nous estimons que vous êtes expérimentés. Vous êtes des grands; vous serez en dehors du régime. » C'est bien, mais tous mes clients qui mènent des activités indépendantes, que ce soit des institutions financières réglementées ou d'autres parties, ne seront pas affranchis de l'article 347, si bien que leurs contrats seront criminels. Les dispositions, quant à elles, seront par conséquent illégales et inapplicables. La Cour suprême a jugé que, dans ces situations, dans l'affaire Degelder par exemple : « Vous devez rembourser le principal et les intérêts, dont le taux réel est réduit pour s'établir à 60 p. 100, mais vous n'avez pas à payer le montant ci-dessus. »

Des parties expérimentées ne devraient toutefois pas devoir me payer pour comprendre les modalités de leur contrat.

Dans notre mémoire, vous retrouverez les recommandations de la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada et d'autres sur l'article 347. Selon cet article, les intérêts comprennent tous les frais que doit payer un emprunteur pour obtenir un prêt. Imaginez par exemple une jeune entreprise de haute technologie. Les jeunes diplômés, qui ont tous produit une application, misent sur le financement participatif. Si leur contrat prévoit des clauses de participation ou du financement secondaire à haut risque, les redevances qu'ils auront à payer sur les brevets et les fruits des actions préférentielles à taux élevés seront considérées comme de l'intérêt, ce qui fait intervenir l'article 347.

L'une des recommandations c'est de prévoir les exclusions. On peut proposer des exclusions, auquel cas, l'article 347 ne devrait pas s'appliquer aux institutions financières réglementées de toutes sortes, qu'elles relèvent du fédéral ou du provincial. Ce serait le cas si on était à plus d'un million de dollars. Le projet de loi S-19 avait établi le seuil à 100 000 $. C'est un problème qui relève du droit contractuel. Sauf votre respect, bien qu'il soit noble de vouloir réglementer la protection des consommateurs, il ne convient pas de modifier le Code criminel à cette fin.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Si nous adoptons le projet de loi S-210 et que nous réduisons le taux criminel à 20 p. 100 plus le taux de la Banque du Canada, quelles seront les répercussions connues sur l'industrie?

[Traduction]

Mme Babe : Les consommateurs pourraient intenter plus de recours collectifs. Ces recours visent à rendre des dispositions illégales, pour ensuite, comme dans l'affaire Consumers Gas et d'autres liées à la protection des consommateurs, mener d'autres actions sur les frais illégaux prévus dans les contrats.

M. Lee : Je n'aborderai pas les conséquences juridiques. Qui a une bonne cote de crédit peut obtenir du crédit. C'est tout simple, ces derniers ne sont pas exclus du marché. Ils n'en sont pas tenus à l'écart. Le crédit, c'est aussi un marché, et certains en sont exclus. Ce sont ceux à la marge. On dit que l'enfer est pavé de bonnes intentions. Je crois que ce projet de loi va inciter les banques à se serrer les goussets; elles deviendront beaucoup plus prudentes. Elles vont resserrer les règles et réduire l'accès au crédit, ce qui va nuire encore plus à ceux qui sont désespérés en les poussant vers des gens mal intentionnés.

C'est ce que j'entends par « l'enfer est pavé de bonnes intentions ». Vous visez un objectif dans ce projet de loi, mais il pourrait avoir l'effet contraire.

Le sénateur Massicotte : Merci pour votre exposé. Il nous a été très utile.

Madame Babe, je voudrais bien comprendre. Je pense vous avoir comprise, mais que feriez-vous de ce projet de loi? Vous feriez passer le seuil d'un million de dollars à 100 000 $ probablement et vous feriez passer le taux de 60 p. 100 à 100 p. 100? Comment éviter ce problème, ou faudrait-il simplement supprimer le paragraphe au complet?

Mme Babe : Dans le calcul du taux annuel réel, je changerais les exigences pour n'avoir à calculer que le taux annuel.

Le sénateur Massicotte : Ce deviendrait donc un taux nominal?

Mme Babe : Je préconise un taux annuel tout simplement, calculé de façon linéaire et par année. C'est le calcul du taux réel qui cause tous ces problèmes et donne lieu à des recours collectifs.

Le sénateur Massicotte : Quel pourcentage vous privilégieriez?

Mme Babe : Soixante pour cent, ça va. Le secteur s'y est habitué.

Le sénateur Massicotte : Vous remplaceriez le terme « réel » par quel autre terme?

Mme Babe : Je supprimerais la notion de taux annuel réel. Les clauses de participation et les redevances sur la propriété intellectuelle ne feraient plus partie de la définition d'« intérêt ». Ce n'est pas considéré comme de l'intérêt; les entreprises peuvent s'appuyer sur ces actifs pour emprunter. Les institutions financières réglementées ne devraient pas non plus être considérées comme des créanciers.

Le sénateur Massicotte : Que pensez-vous du seuil d'un million de dollars?

Mme Babe : Je le ramènerais à 100 000 $. Cela ne résoudrait pas tous les problèmes, mais pour les prêts commerciaux, ce serait très utile.

Le sénateur Massicotte : Essentiellement, vous faites référence à un taux annuel nominal et vous excluriez des coûts fixes et des frais qui sont calculés séparément.

Mme Babe : Oui, si ces frais sont payés à un tiers. Je trouve légitime, pour contracter un prêt immobilier par exemple, qu'on ait à obtenir une évaluation et payer des frais à un tiers. Ce tiers joue le rôle d'un courtier en prêt. On peut s'attendre, pour l'établissement d'un prêt commercial, à devoir payer les services d'un arpenteur ou une assurance.

Le sénateur Massicotte : La sénatrice Ringuette a abordé les prêts sur salaire. Certains sont du ressort des provinces. Imaginez quelqu'un qui emprunte 100 $ pour deux semaines et qui, en contrepartie, fournit un numéro de carte de crédit ou un chèque postdaté. Un taux de 60 p. 100 ou peut-être 40 p. 100 ne gêne personne, mais 20 p. 100 c'est peu compte tenu que les taux de cartes de crédit sont plus élevés. Ne serait-ce que pour effectuer la transaction, à savoir recevoir quelqu'un dans son bureau et transiger pour une valeur de 100 $, il faudrait probablement passer de 10 à 15 minutes avec le client pour lui poser quelques questions et remplir les formulaires. C'est un coût fixe. Le taux d'intérêt, c'est le loyer qu'on paie sur l'emprunt. C'est un loyer — on ne peut voir les choses dans l'absolu. Quelle serait la solution? Revenons au 100 $ pour une période de deux semaines. Il en coûtera 8 $ pour les procédures, et on voudra se faire payer de 15 p. 100 à 20 p. 100 pour assumer les risques. On est déjà à 100 p. 100. Quoi faire?

Mme Babe : Je ne sais pas comment on règle la question des frais administratifs. Si on impose des limites de frais par le biais de règlements, cela va constituer un défi; certains intervenants devront quitter la place.

M. Lee : Tout d'abord, il faut commencer par rejeter le projet de loi. Je le dis avec le plus grand sérieux, pas pour choquer. Rejetez le projet de loi. C'est un mauvais projet de loi.

Le sénateur Massicotte : Je suis surpris de vous entendre dire cela.

M. Lee : Si vous allez de l'avant, en tout cas, éliminer toute institution réglementée par le BSIF ou l'équivalent pour les caisses de crédit. Je connais moins le secteur des caisses de crédit, mais il est sûrement bien réglementé. Éliminer toutes les institutions, les banques et institutions similaires réglementées par le BSIF. Si l'on veut réglementer les taux d'intérêt, le canal est le BSIF. C'est là que résident l'expertise, les gens qui comprennent la banque et le secteur financier. Utiliser le Code criminel pour essayer de cibler les comportements malhonnêtes est une approche qui sent son XIXe siècle.

Le sénateur Massicotte : Le BSIF?

M. Lee : Le Bureau du surintendant des institutions financières.

Le sénateur Massicotte : Une bonne part des prêts sur salaire ne sont pas consentis par de grandes institutions.

M. Lee : Effectivement. C'est pourquoi j'ai parlé des institutions relevant du BSIF. Et les prêts sur salaire sont réglementés par les provinces. Laissez-moi aller plus loin. Je ne suis pas convaincu qu'il y ait eu une situation de crise ni même un problème. J'ai consacré un temps considérable, ces cinq derniers jours, à la recherche de données; et trouver des données est quelque chose que je fais à longueur de journée et que je fais bien. C'est la beauté d'être universitaire : on n'a pas besoin d'aller au travail. Je peux consacrer mon temps à explorer la chose, prendre le téléphone pour appeler des gens que je connais à Statistique Canada, demander s'il me manque une base de données. Il n'y en a pas, et pourtant ils mesurent quasiment tout ce qu'il y a à mesurer au pays.

J'en arrive à votre question sur les frais administratifs. C'est un problème auquel s'est heurté Avco dans les années 1970. Comment l'ont-ils contourné, ce problème des frais d'administration pour de petits prêts? Simplement en promouvant des prêts plus importants, de plus de 1 500 $. Le client arrivait à ce montant en remboursant d'autres sociétés, comme la carte de crédit des magasins Sears, et cetera. Le problème a fini par disparaître en partie grâce à l'inflation et en partie grâce aux stratégies des sociétés de prêt.

Comment les banques ont-elles affronté le problème? J'ai observé le phénomène au moment où il se produisait. Au départ, les banques n'étaient pas très attirées par les prêts à la consommation, dans les années 1970, comme s'en souviendront les gens d'un certain âge. D'ailleurs, les banques n'étaient pas autorisées à consentir un prêt à la consommation, en vertu de la Loi sur les banques, pas avant 1967. Il était illégal au Canada qu'une banque consente un prêt à un particulier. Les banques ont obtenu ce droit en 1967. Et elles sont restées ahuries pendant cinq ans, sans savoir quoi faire de ce droit. Je ne plaisante pas. La Banque de la Nouvelle-Écosse, comme on disait alors, s'y est mise la première. S'étant aperçue qu'elle n'avait aucune expertise en matière de crédit à la consommation elle a commencé à piquer le personnel de Household Finance, Beneficial et AVCO, qui lui s'y connaissait en matière de crédit et de recouvrement des prêts à la consommation.

Les autres banques ont commencé à se lancer dans les prêts à la consommation, les prêts pour l'achat d'automobiles et les aménagements pour courtiers. Mais elles se sont heurtées au même problème : celui des clients qui voulaient un prêt de 300 $ ou 400 $, alors que les banques souhaitaient octroyer des prêts de 2 000 $, 5 000 $ ou 10 000 $. Il va sans dire qu'il y a des économies d'échelle en matière de crédit. Vérifier un prêt de 10 000 $ coûte la même chose que de vérifier un prêt de 200 $. C'est alors que Visa est apparu dans le marché, au milieu ou vers la fin des années 1970.

On a vu alors les banques adopter, manifestement, une stratégie ingénieuse : délivrer des cartes de crédit aux jeunes sans vérifier leur solvabilité. Elles misaient sur la loi des grands nombres : de 98 p. 100 à 99 p. 100 des clients paieraient à temps; 1 p. 100 ne le ferait pas, et devenait une créance irrécouvrable. La belle affaire! Elles dénichaient une masse de bons clients pour le prix de radier une mauvaise créance. Les banques utilisent les cartes de crédit comme petits prêts. Les gens qui n'arrivent pas à avoir une carte de crédit ont une très mauvaise solvabilité. C'est pour cela qu'ils s'adressent à l'industrie des prêts sur salaire. Il s'agit de personnes ayant de graves problèmes de solvabilité et je ne pense pas qu'on puisse réglementer cela.

[Français]

Le sénateur Maltais : Monsieur Lee, vous avez parlé beaucoup d'Avco. Puisque nous avons tous les deux les cheveux blancs, j'aimerais vous rappeler qu'il détenait la Coupe Avco dans l'Association mondiale de hockey, dont les trois quarts des équipes ont fait faillite. C'est un mauvais exemple.

Madame Babe, j'essaie de comprendre votre intervention. Vous avez dit dans votre présentation que vous aviez toujours gagné vos causes en Cour suprême. Ai-je bien compris?

[Traduction]

Mme Babe : Non monsieur, je ne suis pas une avocate plaignante. Il s'agit seulement de décisions publiées. Il est rare que la Cour suprême s'occupe de droit commercial. Elle a rendu trois décisions en 10 ans sur l'article 347, pas sur le crime mais sur l'exécution des contrats.

[Français]

Le sénateur Maltais : Alors, pourquoi avoir peur du projet de loi S-210 si la Cour suprême vous donne cette garantie?

[Traduction]

Mme Babe : Il ne s'agissait pas d'une garantie. Les prêteurs ont perdu. C'est pour les prêteurs et les entreprises qu'il y a un problème.

[Français]

Le sénateur Maltais : Vous dites que le prêteur a perdu. C'est le premier au Canada, et même dans le monde, non?

[Traduction]

Mme Babe : Non monsieur. Le problème auquel vous vous heurterez si vous allez de l'avant est celui qui a surgi quand a été déposé le projet de loi S-19 en 2005 : six ou sept provinces sont intervenues quant à la constitutionnalité d'essayer de réglementer dans le domaine des droits civils et de propriété. Cela relève du droit des contrats, entre emprunteurs, prêteurs et gens d'affaires. Cela ne relève pas du Code criminel.

[Français]

Le sénateur Maltais : Est-ce que vous faites affaire au Québec?

[Traduction]

Mme Babe : Non, monsieur, je pratique dans la province de l'Ontario.

[Français]

Le sénateur Maltais : Est-ce que vous travaillez pour une compagnie de gaz?

[Traduction]

Mme Babe : Non, monsieur, je travaille pour un cabinet d'avocats.

Le sénateur Wallace : Je pense que vous dites l'un et l'autre la même chose et je vous reçois 7 sur 7 : vous estimez que le Code criminel n'est pas l'endroit où réglementer les prêts à la consommation ou les prêts commerciaux. C'est une idée dépassée héritée des années 1970; ce n'est pas la direction à adopter.

Si je comprends bien, pour remédier à une bonne part des problèmes existants en matière de prêts, tant prêts commerciaux que prêts à la consommation, il faudrait éliminer l'article 347 du Code criminel et le remplacer par d'autres exigences réglementaires non criminelles. Est-ce bien votre point de vue?

Mme Babe : Oui.

M. Lee : Je pense qu'il faut établir une distinction et je la fais en tant que personne ayant été un spécialiste du recouvrement, il y a de cela de nombreuses années. Même à l'époque, on se souciait de l'éthique. Il faut établir une distinction entre le taux facturé au client et les moyens par lesquels on recouvre l'argent. En d'autres termes, si vous menacez de fracasser la tête de l'emprunteur avec un bâton de baseball, c'est illégal. Si quelque chose doit rester dans le Code criminel, ce sont les moyens acceptables pour recouvrer un emprunt, ce qui est entièrement indépendant du taux d'intérêt.

Ça ne devrait pas se trouver dans le Code criminel. Donc, en ce qui concerne les taux d'intérêt, cela ne devrait pas relever de l'article 347.

Le sénateur Wallace : En ce qui concerne la méthode de recouvrement, que l'on recouvre de l'intérêt, de l'argent ou une mitaine de baseball, le fait est qu'il s'agit d'une activité exécutoire criminelle.

M. Lee : Je sais que vous le comprenez bien, mais ce qui s'est produit, au fil des ans, est que les deux questions ont été fusionnées. On a tendance à faire une corrélation entre les taux d'intérêt élevés et les méthodes de recouvrement agressives, voire illégales. Nous devons séparer ces deux questions.

Le sénateur Wallace : Ceci étant dit, il semble que la sénatrice Ringuette a bel et bien mis le doigt dessus, et je crois que nous pouvons tous être d'accord pour dire qu'il faut y faire quelque chose. Croyez-vous qu'il y a quoi que ce soit de bénéfique dans le projet de loi S-210? La question s'adresse aux deux témoins.

M. Lee : Je n'y vois rien.

Mme Babe : Si cet article n'est pas abrogé, alors le plafond de 1 million de dollars pourrait à tout le moins faciliter certaines transactions d'affaires, mais ce n'est pas une réelle solution. Cela restera un problème et l'article 347 remonte aux années 1950; à l'époque, il devait viser les usuriers. La police avait demandé que l'on y insère un taux d'intérêt précis afin de lui donner des éléments de preuve utiles, mais ce taux d'intérêt annuel tel que calculé par des actuaires s'est soldé par des problèmes de droit contractuel et par des contrats impossibles à faire respecter du fait qu'ils sont illégaux.

La sénatrice Ringuette : Madame Babe, j'ai lu trois décisions de la Cour suprême avant de proposer ce projet de loi, et c'est pourquoi, en ce qui concerne le financement intérimaire des grandes entreprises, les transactions d'un million de dollars et plus sont exonérées du Code criminel.

Ceci étant dit, j'ai également lu le rapport de la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada de 2008 portant sur ces mêmes questions. Ce rapport compte sept sections.

À la page 17, le groupe dont vous faites partie recommande ce qui suit :

À la lumière des questions et discussions contenues dans le présent rapport, la section criminelle de la Conférence pour l'harmonisation des lois au Canada recommande que le ministère de la Justice, de concert avec les provinces et territoires, effectue immédiatement un examen de l'article 347 en vue de le réformer, et présente les résultats de son examen dans les plus brefs délais.

Nous voici sept ans plus tard et il n'y a eu aucune suite à cette recommandation.

Mme Babe : C'est exact.

La sénatrice Ringuette : C'est malheureux, car je suis d'accord avec la septième section du document. Au fait, je ne m'oppose pas aux banques, tout simplement aux usuriers.

C'est pourquoi l'ensemble de l'article du projet de loi S-210 portant sur les prêts de 1 million de dollars et plus est enlevé du Code criminel, afin d'offrir aux institutions financières la souplesse dont elles ont besoin, notamment en matière de capital-risque sur un horizon d'un an et moins. C'est à cause de ces trois décisions de la Cour suprême.

À part cela, depuis sept ans, votre organisation appelle le gouvernement à consulter les provinces, les institutions et les autres parties prenantes afin de corriger une situation. Depuis, nous avons vu les résultats des entreprises de prêts sur salaire et de prêts Internet.

Comment pouvons-nous mobiliser les Canadiens sur ces questions de façon qu'ils ne soient pas obligés d'attendre encore sept ans avant de la faire corriger? Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que la situation était inadmissible. Peut-être qu'il y a un autre moyen que le Code criminel pour régler le problème. Le ministère des Finances et l'actuel gouvernement n'ont pas proposé d'autres solutions et le Code criminel actuel est en vigueur depuis 34 ans. Il faut dénoncer le problème et offrir des solutions. Je crois que le projet de loi S-210 propose une solution, ou du moins dénonce le problème.

Mme Babe : Je comprends. Malheureusement, en 2008, mes collègues et moi avons travaillé à la section criminelle de la Conférence sur l'uniformisation des lois au Canada et je peux vous dire que les avocats de la Couronne n'utilisaient pas cette section et donc n'y voyaient aucun problème. Les spécialistes en droit commercial du côté civil y voyaient certainement un problème et nous avions fait ce que nous avions pu jusqu'en 2008, avant de passer le dossier à nos collègues du droit criminel, en espérant qu'ils collaboreraient avec le ministre de la Justice pour régler le problème. Comme vous le savez, il ne s'est rien passé.

Entre-temps, le secteur des prêts sur salaire a été réglementé par exception et...

La sénatrice Ringuette : Pour un seul produit.

Mme Babe : Il est vrai que l'on a défini le concept de prêt sur salaire. Mais je reviens au fait que le Code criminel n'est pas le bon outil pour réglementer ce qui est en fait le droit d'affaires. Il y a par exemple la Loi fédérale sur les taux d'intérêt. Cette loi compte neuf sections et n'a pas été mise à jour depuis 1904, mais elle existe néanmoins.

Toutefois, je pense qu'il y a en fait un problème constitutionnel, puisqu'on essaie de réglementer dans le domaine du droit de la propriété et des droits civils. Ceci nous ramène à la compétence provinciale qu'est la protection du consommateur, et les règles de divulgation du loyer de l'argent y sont bien plus à leur aise. Malheureusement, le Québec n'impose pas de règles sur la divulgation du loyer de l'argent pour ce qui est des baux, ou bien on en verrait davantage dans les baux au Québec.

La sénatrice Ringuette : J'ai une autre question. Et si j'amendais mon projet de loi pour en retirer l'article qui porte sur les entreprises? Actuellement, le taux de 60 p. 100 s'applique toujours aux prêts de moins de un million de dollars aux petites et moyennes entreprises.

Si je modifiais mon projet de loi pour retirer cet article, qui porte sur les contrats, est-ce que cela serait mieux que de ne rien faire?

Mme Babe : Le plafond d'un million de dollars est certainement utile pour les entreprises. Mais je crois que les gens pourront contourner le problème en adoptant des définitions créatives de ce qu'est une entreprise. Mais pour les gens d'affaires légitimes, les transactions à distance, le plafond d'un million de dollars sont certainement utiles. Mais les gens d'affaires trouveraient également utile de définir les taux d'intérêt.

Vous avez parlé des prêts intérimaires. Mais les entreprises n'ont pas habituellement recours à ce type de prêts. Ce sont surtout les particuliers qui achètent une nouvelle maison avant que l'ancienne ne se vende qui ont besoin de ces prêts intérimaires. Et ces prêts peuvent certainement être criminels puisque certains d'entre eux exigent que le prêt soit remboursé après seulement deux jours. C'est une transaction légitime, et avec un terme si court au taux d'intérêt annualisé, la plupart de ces prêts sont consentis par des institutions financières réglementées. Donc, pour répondre à la question de M. Lee, si on retire les institutions financières à titre d'exception, cela sera également bénéfique du point de vue des gens d'affaires.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je vais m'en tenir à une seule question. Les intervenants précédents nous ont fait part d'une expérience au Québec liée au Mouvement Desjardins, qui aide à financer un fonds pour aider ceux qui sont exploités par le système financier, parce qu'il y a un lien avec les risques et les taux d'intérêt et, souvent, ce sont les bas revenus qui paient le plus. Il y a un fonds administré par un groupe communautaire. Cette expérience aide les plus pauvres, les plus démunis à se tirer d'affaire. Si on rendait une formule semblable, si le gouvernement encourageait les institutions financières — étant donné qu'elles font beaucoup de discrimination envers leurs clients — à financer un tel fonds pour empêcher que les gens s'endettent, pensez-vous que ce serait un bon moyen d'aider les plus démunis?

[Traduction]

M. Lee : Non, et je m'explique. Vous créez tout de suite un problème de risque moral. Le risque moral, c'est lorsqu'on encourage les gens à faire ce que l'on essaie justement d'enrayer. S'il existe un fonds qui vous permet de ne pas rembourser votre prêt, eh bien ma foi, je présenterais ma propre demande. Vous êtes en train de dire qu'on pourrait obtenir un prêt gratuit. Enfin je plaisante, mais l'idée est bonne.

Le deuxième problème est un problème de méthodologie. C'est-à-dire : comment déterminer s'il s'agit réellement d'un cas spécial? Je vous assure — et je me répète — j'ai travaillé dans le secteur du crédit pendant neuf ans. Nous affrontions ce genre de choses tous les jours. Nous devions faire des évaluations très strictes car les clients ne vous disent pas toujours la vérité. Ils sont comme des étudiants. Certains étudiants mentent. Incroyable mais vrai. La plupart d'entre eux sont honnêtes, mais certains ne le sont pas. C'est-à-dire qu'il faut faire le tri et se demander si chaque personne qui affirme ne pas pouvoir rembourser son prêt est bel et bien légitime. Ont-ils réellement perdu leur travail? S'agit-il réellement d'un cas spécial? À ce moment-là, on se convertit presque en conseiller psychologique, ce qui complique les choses.

Troisièmement, c'est la raison pour laquelle la Loi sur la faillite a été adoptée par le Parlement. Si vous ne pouvez plus payer vos factures, la loi vous donne le droit de déclarer faillite. Ce n'est ni compliqué ni difficile. J'ai traité de milliers de faillites ces neuf dernières années. Moi, je n'ai pas fait faillite. Chaque jour, je reçois des avis du syndic de faillite Gingras et associés me disant qu'un de mes clients vient de faire faillite. Ce que j'essaie de dire, c'est qu'il y a une solution, un mécanisme juridique pour ceux qui sont inondés de factures et qui ne peuvent payer : c'est la faillite.

Le sénateur Massicotte : La loi présente un problème : le critère des 60 p. 100 est problématique. Ceux qui s'adressent aux tribunaux le font souvent par dépit, parce que les choses ne se sont pas passées comme prévu. Ils invoquent la loi et le critère arbitraire des 60 p. 100 pour faire baisser les frais de leur prêt. Ne rien faire n'est pas une solution. Permettez-moi une question stupide : pourquoi le gouvernement n'a-t-il rien fait? Les tribunaux consacrent beaucoup de temps à ces litiges — vous avez donné un bon exemple, celui de Consumers Gas — et certaines de ces poursuites sont manifestement frivoles. Pourquoi ne fait-on rien? Pourquoi ne pas apporter des correctifs?

Mme Babe : J'aimerais bien que le gouvernement agisse, mais il ne l'a pas fait. Je vous félicite de votre initiative. Après tout, il s'agit de crime. Peu lui importe que le ministère de la Justice ne porte pas d'accusation de prêt usuraire. Cela relève du ministère de la Justice et c'est à lui de s'en occuper.

Le sénateur Massicotte : Vous tentez de régler un problème différent de celui qui inquiète la sénatrice Ringuette, qui, elle, veut protéger les consommateurs vulnérables. Peut-être qu'on devrait fixer le montant non pas à un million de dollars mais à 100 000 $, avec des exceptions pour les prêteurs réglementés. Cela réglerait une bonne part du problème. Ce qui me plaît moins — et il en a été question un peu plus tôt — c'est le calcul du montant des dommages-intérêts. Pourquoi ne pas tout simplement laisser tomber ce montant comme l'a fait le Royaume-Uni et comme l'envisagent les États-Unis et prévoir tout simplement que les prêteurs ne peuvent consentir un prêt que s'ils ont une attente raisonnable d'être remboursés. On doit pouvoir évaluer la probabilité d'être remboursé. Dans le secteur du prêt sur salaire, on consent des prêts à répétition aux mêmes personnes, et cela devient abusif. D'ailleurs, aux États-Unis, comme vous le savez, c'est ce qui a été recommandé le mois dernier. Un prêt ne devrait être consenti que s'il existe une attente raisonnable d'être remboursé dans un délai donné. Cela réduit les risques d'abus. Ne serait-ce pas la façon la plus facile de prévenir les abus de prêt sur salaire et de protéger les consommateurs? On pourrait en même temps régler votre problème, celui de tous ces prêts commerciaux qui dépassent peut-être 60 p. 100. Ils sont éliminés.

Mme Babe : Si vous adoptiez ce critère, cela ne figurerait pas dans le Code criminel.

Le sénateur Massicotte : En effet, mais vous n'avez pas d'autre choix. Vous tentez de régler un problème.

Mme Babe : Selon moi, il serait difficile pour la police de ne plus disposer de ce critère des 60 p. 100, car les rares fois où l'on intente des poursuites, on a besoin d'un critère clair. Je crois donc que le critère des 60 p. 100 est là pour rester. La façon dont il est calculé, ça, c'est une autre question et c'est ce qui entraîne des difficultés pour les entreprises.

M. Lee : Je sympathise. Même si je ne suis pas d'accord avec vous, je comprends, sénatrice Ringuette, que vous ayez un problème que vous voulez régler. Puis-je vous suggérer respectueusement de travailler avec Statistique Canada afin d'obtenir un chiffre ferme? Je pense que le gouvernement ne prête pas attention à ce sujet parce qu'il n'y a pas de données acceptées. Est-ce que c'est un problème de 10 000 personnes par an et de 100 millions de dollars de dettes, ou est-ce que c'est un problème de milliards de dollars et de centaines de milliers de Canadiens? Personne ne sait. Nous n'avons pas de données fiables, claires, ou de bonne qualité. On travaille tous dans l'ignorance.

La sénatrice Ringuette : Statistique Canada a subi des compressions budgétaires par rapport au nombre d'études et à la quantité de données qu'ils pouvaient recueillir.

Le président : Monsieur Lee, au nom de tous les membres du comité, j'aimerais vous dire qu'on est tous très reconnaissants que vous soyez venu. Vous avez comparu devant ce comité plusieurs fois. C'est toujours un plaisir, monsieur.

Et vous madame Babe, je ne sais pas si vous avez comparu devant notre comité auparavant. Ce fut un véritable plaisir.

Mme Babe : En 2005, concernant le projet de loi 347.

Le président : C'était avant que je ne sois nommé au Sénat. C'était un véritable plaisir de vous avoir. Nous sommes très reconnaissants que vous soyez venue.

M. Lee : Merci.

Mme Babe : Merci.

Le président : La séance est levée.

(La séance est levée.)


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