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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 31 - Le onzième rapport du comité


Le jeudi 4 juin 2015

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a l'honneur de déposer son

ONZIÈME RAPPORT

Votre comité, qui a été autorisé à examiner la teneur des éléments des sections 14 et 19 de la partie 3 du projet de loi C-59, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 21 avril 2015 et mettant en œuvre d'autres mesures, a, conformément à l'ordre de renvoi du 14 mai 2015, examiné ladite teneur et en fait maintenant rapport comme il suit :

SECTION 14 — Modification de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes

L'article 167 de la section 14 du projet de loi C-59 modifie le paragraphe 55(3) de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes de manière à permettre au Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) de communiquer des renseignements désignés à des autorités provinciales et territoriales de réglementation des valeurs mobilières s'il a des motifs raisonnables de croire que les renseignements seraient utiles aux fins d'enquête ou de poursuite liée au blanchiment d'argent ou au financement d'activités terroristes, ainsi qu'à une infraction à la législation sur les valeurs mobilières.

Le CANAFE a indiqué au Comité que, dans certains cas où les autorités provinciales de réglementation des valeurs mobilières et les organismes d'application de la loi ont mené des enquêtes conjointes, les autorités ont eu accès aux renseignements qu'il avait communiqués aux organismes d'application de la loi. Cela dit, dans ces cas, cet accès s'est avéré très utile lorsque les autorités ont intenté des poursuites en vertu des lois sur les valeurs mobilières. Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ont décrit l'une de ces enquêtes conjointes, laquelle portait sur un stratagème de « gonflage et largage ». Dans cette affaire, les renseignements fournis par le CANAFE ont permis de cerner les comptes bancaires liés au stratagème, ce qui aurait été impossible autrement.

Selon le ministère des Finances, l'impossibilité pour le CANAFE de communiquer directement des renseignements aux autorités provinciales de réglementation des valeurs mobilières constitue une lacune dans le régime canadien de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes. La section 14 comblerait cette lacune. Le CANAFE a expliqué qu'un certain nombre d'unités du renseignement financier (URI) dans d'autres États peuvent communiquer des renseignements aux autorités de réglementation des valeurs mobilières de leur pays. Selon les Autorités canadiennes en valeurs mobilières, qui étaient représentées par l'Autorité des marchés financiers du Québec, les États-Unis et l'Australie figurent parmi ces États. Selon le CANAFE, la modification proposée dans la section 14 placerait le Canada sur le même pied des États où les URI ont le pouvoir de communiquer des renseignements avec les autorités de réglementation des valeurs mobilières.

En outre, le CANAFE a noté que la communication de renseignements aux autorités provinciales respecterait un test à deux étapes semblable à celui en place pour la communication de renseignements à l'Agence du revenu du Canada. Il a indiqué que, avant de communiquer des renseignements aux autorités de réglementation des valeurs mobilières, il devrait d'abord avoir des motifs raisonnables de croire que les renseignements seraient utiles aux fins d'enquête ou de poursuite liée à des allégations de blanchiment d'argent ou de financement d'activités terroristes. Selon le CANAFE, si le premier test est concluant, il devrait ensuite avoir des motifs raisonnables de croire que les renseignements seraient utiles dans le cadre d'une enquête ou d'une poursuite liée à une infraction aux lois sur les valeurs mobilières.

Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ont indiqué que la modification proposée permettrait aux autorités provinciales de réglementation des valeurs mobilières de demander au CANAFE de fournir des renseignements sur un cas donné et permettrait au CANAFE de communiquer volontairement des renseignements aux autorités provinciales. Selon elles, on améliorerait de différentes façons les enquêtes sur les infractions aux lois sur les valeurs mobilières si l'on permet au CANAFE de communiquer des renseignements aux autorités provinciales. Par exemple, il serait possible :

  • de suivre les fonds obtenus illégalement;
  • de cerner les comptes bancaires associés aux infractions aux lois sur les valeurs mobilières, comme les combines à la Ponzi;
  • d'appliquer plus rapidement les ordres de blocage des comptes bancaires contenant des fonds obtenus de manière illégale, ce qui pourrait empêcher le transfert de fonds vers d'autres États, par exemple;
  • d'identifier les personnes impliquées dans des infractions aux lois sur les valeurs mobilières ainsi que des témoins potentiels;
  • de calculer avec davantage de précision les pertes potentielles des victimes d'infractions aux lois sur les valeurs mobilières, ce qui pourrait avoir un effet sur les sanctions imposées aux contrevenants.

De plus, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ont noté que la modification proposée dans la section 14 inciterait les firmes de courtage à signaler davantage de transactions douteuses au CANAFE plutôt que de les signaler directement aux autorités provinciales de réglementation des valeurs mobilières, puisqu'ils leur sembleraient plus efficace de les adresser à cet organisme.

Le ministère des Finances a affirmé que la modification proposée à la section 14 renforcerait le régime canadien de lutte au blanchiment d'argent et au financement des activités terroristes, et aiderait les autorités provinciales de réglementation des valeurs mobilières à lutter contre les infractions aux lois provinciales, ce qui renforcerait la sécurité des Canadiens et du secteur financier.

SECTION 19 : Protection de renseignements relatifs à la supervision Liée aux institutions financières sous réglementation fédérale

Les articles 232 à 238 de la section 19 du projet de loi C-59 ajoute l'article 504 à la Loi sur les sociétés de fiducie et de prêt, les articles 608, 638 et 956.1 à la Loi sur les banques, les articles 672.2 et 999.1 à la Loi sur les sociétés d'assurance, et l'article 435.2 à la Loi sur les associations coopératives de crédit de manière à assurer, dans le cadre d'une procédure civile, la protection de renseignements relatifs à la supervision qui sont précisés par règlement. Au cours d'une procédure civile, ces renseignements ne peuvent être utilisés comme preuve et nul ne peut livrer un témoignage ou déposer des documents concernant ces renseignements.

Toutefois, le ministre des Finances, le surintendant des institutions financières, le procureur général du Canada et les institutions financières sous réglementation fédérale seraient exemptés de cette mesure de protection dans le cadre de certaines poursuites civiles. Par conséquent, il leur est possible d'utiliser ce type de renseignement comme preuve devant un tribunal. Qui plus est, une cour, un tribunal ou une autre instance pour ordonner au ministre, au surintendant ou à une institution financière sous réglementation fédérale de livrer un témoignage ou de fournir des documents concernant des renseignements relatifs à la supervision précisés par règlement dans le cadre de certaines poursuites civiles.

Selon les articles 239 à 245, les articles 232 à 238 seraient rétroactifs et viseraient toute procédure civile pour laquelle une décision n'a pas été rendue le jour de l'entrée en vigueur des articles. Selon les articles 246 à 252, certains règlements de la Loi sur les sociétés de fiducie et de prêt, de la Loi sur les banques, de la Loi sur les sociétés d'assurance et de la Loi sur les associations coopératives de crédit s'appliqueraient aux articles 232 à 238 jusqu'à ce que de nouveaux règlements entrent en vigueur.

Au cours de son témoignage devant le Comité, le ministère des Finances a proposé des modifications qui moderniseraient, clarifieraient et amélioreraient la protection de renseignements relatifs à la supervision précisés par règlement que produit le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF). Le ministère a précisé que « renseignements relatifs à la supervision précisés par règlement » s'entend des avis que formule le BSIF à l'intention des institutions financières au sujet des mesures que celles-ci doivent prendre. À l'heure actuelle, les institutions financières considèrent ces renseignements comme confidentiels. Selon le Ministère, l'objectif de la protection proposée est de garantir une communication franche et ouverte entre les institutions financières et le BSIF et l'adoption d'une approche uniforme en ce qui concerne l'utilisation de ces renseignements dans les tribunaux du Canada. Il a fait valoir que les modifications font écho à une affaire entendue par la Cour d'appel du Québec impliquant la Manuvie et le Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires. Le Ministère a indiqué que, même si les avis du BSIF sont protégés, les renseignements sur lesquels ils sont fondés pourraient néanmoins être utilisés dans le cadre d'une poursuite civile.

En outre, selon le ministère des Finances, les modifications proposées renforceraient la confiance envers le processus de supervision et la stabilité du système financier tout en répondant au besoin d'établir des processus judiciaires transparents et équitables. Il a indiqué que les exemptions à la protection proposée s'appliqueraient dans quatre situations : les poursuites criminelles; les poursuites civiles impliquant la liquidation d'une institution financière; les poursuites civiles intentées par une institution financière contre le gouvernement ou le BSIF pour évaluer leurs activités à titre d'organisme de réglementation; et les poursuites intentées par le ministère des Finances, le surintendant des institutions financières ou le procureur général du Canada. Selon le Ministère, il serait néfaste pour les consommateurs et le secteur financier de rendre publics les renseignements liés à la supervision. Il a souligné que qu'il a toujours été prévu que ces renseignements soient protégés et qu'ils ne doivent pas être utilisés dans des poursuites civiles intentées par des actionnaires d'une institution financière. Le Ministère a également fait valoir que d'autres types de renseignements sont protégés en vertu de la Loi sur les statistiques.

L'Association canadienne des compagnies d'assurance de personnes a dit appuyer les modifications proposées et a ajouté que les dispositions de la Loi sur les sociétés d'assurances concernant les renseignements liés à la supervision précisés par règlement facilitent la communication efficiente et rapide de renseignements entre une institution financière et le BSIF. L'Association a fait valoir que le BSIF utilise les renseignements fournis par les institutions financières pour différentes raisons : pour déterminer si les institutions financières ont un bon état financier et si elles respectent les lois et les règlements canadiens en matière de supervision; pour aviser en temps opportun les institutions en cas de lacune et leur proposer des mesures correctives; et pour proposer un cadre réglementaire qui encourage l'adoption de politiques et de procédures visant à contrôler le risque.

Selon l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes, la communication de renseignements liés à la supervision précisés par règlement dans le cadre d'une poursuite civile risque de nuire aux communications entre le BSIF et les institutions financières, ce qui minerait la capacité du BSIF de relever les lacunes du marché, ce qui, par conséquent, aurait des effets néfastes sur la sécurité et la solidité du système financier du Canada. Selon l'Association, l'une des raisons expliquant le fait que le système financier du Canada est perçu comme l'un des plus robustes au monde provient de la rigueur du régime de supervision des institutions financières. Elle a expliqué que les modifications proposées à la section 19 viseraient certains renseignements communiqués entre le BSIF et les institutions financières — mais pas tous —, et a souligné que la confidentialité des renseignements médicaux détenus par les compagnies d'assurance ne serait pas touchée par les modifications proposées.

À l'instar de l'Association canadienne des compagnies d'assurance de personnes, l'Association des banquiers canadiens appuie les modifications proposées dans la section 19 et a affirmé que les communications entre le BSIF et les institutions financières sont un élément essentiel de leur cadre de supervision. L'Association a expliqué que les communications se font entre autres par l'intermédiaire de formulaires et de rapports, du système d'évaluation des institutions financières par le BSIF, et de renseignements produits exclusivement pour le BSIF qui pourraient être délicats sur le plan commercial ou concurrentiel. Elle a fait valoir que si l'on ne protège pas la confidentialité de ces renseignements, on risque de mettre en péril l'efficience et la transparence de la communication de renseignements entre le BSIF et les institutions financières.

Selon l'Association des banquiers canadiens, la protection proposée favoriserait la stabilité du système financier du Canada puisqu'elle préviendrait la mauvaise interprétation des renseignements fournis par les institutions financières au BSIF. On a fait valoir que les modifications proposées permettraient de confirmer l'objectif initial de la confidentialité des communications entre le BSIF et les institutions financières, décrit dans le résumé de l'étude d'impact de la réglementation visée, afin d'assurer l'établissement de relations productives, collaboratives et coopératives entre ces organismes. L'Association a indiqué que les modifications proposées avantageraient principalement le BSIF et a affirmé qu'elle était intervenue, de concert avec l'Association canadienne des compagnies d'assurance de personnes, le Bureau d'assurance du Canada et le procureur général du Canada, au cours du litige entre la Manuvie et le Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires entendu par la Cour d'appel du Québec. Elle a également souligné que l'excellent rendement des banques canadiennes au cours de la crise financière découle de la gestion prudente des banques et du solide cadre réglementaire en place.

Selon l'un des sénateurs membres du Comité, la protection proposée ne devrait pas viser les communications du BSIF indiquant qu'une institution financière n'a pas agi de manière efficace ou appropriée et qu'elle doit prendre des mesures correctives.

D'après son examen des témoignages, le Comité ne s'objecte pas à l'adoption des modifications proposées aux sections 14 et 19 de la partie 3 du projet de loi C-59.

Respectueusement soumis,

Le président,

IRVING GERSTEIN

Annexe — Liste des témoins

Le mercredi 26 mai 2015

Autorités canadiennes en valeurs mobilières :

Marianna Ferraro, avocate, Direction du contentieux - Montréal, Autorités des marchés financiers;

Jean-François Fortin, directeur général, Direction générale du contrôle des marchés, Autorités des marchés financiers.

Ministère des Finances Canada :

Heather Kay, économiste principal, Division des systèmes financiers, Direction de la politique du secteur financier;

Lisa Pezzack, directrice, Division des systèmes financiers, Direction de la politique du secteur financier.

Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) :

Dan Lambert, gestionnaire, Analyse financière et communications de cas.

Le jeudi 27 mai 2015

Association des banquiers canadiens :

Darren Hannah, vice-président intérimaire, Finances, risques et politique prudentielle;

Bill Randle, avocat général adjoint.

Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes :

Frank Zinatelli, vice-président et avocat général.


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